Célian Ramis

Boxeuses : Combattre les préjugés

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Rennes
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La boxe prône, au delà du ring, des valeurs de respect, d'égalité et de maitrise de soi. Loin d'être le sport violent que l'on dépeint dans l'imagerie populaire, les femmes l'investissent. Reportage.
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Existe-t-il une boxe féminine ? A priori non. La démarche des femmes qui pratiquent ce sport est-elle similaire à celle des hommes ? Tout dépend des personnes. Comment sont accueillies les filles dans cette discipline que l’on pense (trop souvent) réservée aux hommes ? Bien.

Si elles sont encore minoritaires à pousser les portes des clubs, elles sont en revanche indifférentes aux stéréotypes de genre qui existent dans l’imagerie populaire, voulant que la boxe – anglaise, française ou thaï – soit un sport violent exclusivement destiné aux hommes avides de castagne. Un cliché qui prouve que l’on connaît bien mal ce que l’on qualifie de noble art.

La Mézière, dimanche 31 janvier, 19h, salle Cassiopée. Danaé Cuvinot est sacrée championne de Bretagne de boxe thaï, après un combat en 3 rounds de 3 minutes chacun, dans la catégorie amateure des moins de 60 kilos. Elle est maintenant qualifiée pour le tournoi de la zone Nord Ouest, dernière étape avant de pouvoir conquérir les championnats de France.

Pendant plus de 10 minutes, la jeune boxeuse du club local Naga Muay Thaï a affronté Barbara, de l’Association sportive des cheminots de Rennes. Encouragée dès son entrée, Danaé esquisse un sourire malicieux en montant sur le praticable. Selon le rituel d’arrivée sur le ring, elle longe les cordes des quatre côtés, salue son public ainsi que les juges et vient se placer au centre, à l’appel de l’arbitre. Un check du gant avec son adversaire et le combat débute. Elle déclenche plusieurs coups de pied, jambe bien droite, dont elle semble parfaitement maitriser la technique.

« Shoote, shoote », crie son entraineur, Jérôme Juin. La sportive gagne en assurance dès le deuxième round, au cours duquel elle se montre de plus en plus offensive, concentrée, battante. Les 30 dernières secondes se font intenses, les encouragements vrombissent dans les gradins, laissant finalement éclater une vive émotion dans l’assistance mêlant satisfaction et soulagement à l’annonce de sa victoire, lorsque l’arbitre saisit son bras. Signe de bataille gagnée.

BANDE DE FILLES

Plus tôt dans l’après-midi, c’est Anaïs Serralta qui s’est illustrée sur le ring, ouvrant le bal des combats féminins. Quatre ans que la jeune adolescente de 15 ans pratique la boxe thaï et un an qu’elle évolue en compétition. Ce dimanche, elle perd son combat d’assauts mais démontre qu’elle en veut et qu’elle possède un potentiel technique. Et révèle également, à l’instar des 5 autres boxeuses du championnat, l’esthétisme de ce sport, fascinante chorégraphie gracieuse et puissante.

« De plus en plus de filles viennent faire de la boxe. Et elles ont des bons niveaux. Vous pouvez donc nous envoyer vos sœurs et vos filles… », précise le speaker dont le commentaire, interprété à double sens, suscitera les ricanements des spectatrices et spectateurs. Sur les 180 licenciés du club Naga Muay Thaï, un peu moins d’un tiers sont des femmes et environ 30 d’entre elles s’entrainent dans le groupe non mixte du lundi soir mis en place lors de la saison 2014/2015, à La Mézière.

« Ça fait 6 ans que le club existe, explique Jérôme Juin, boxeur depuis 25 ans. Lors de la 4e saison, j’ai perdu une dizaine de filles. En les croisant, j’ai discuté avec elles des raisons de leur départ. Elles m’ont demandé une section féminine. J’ai dit ok mais je voulais qu’il y ait minimum 20 filles. » Dès le lancement, l’offre connaît le succès. Aujourd’hui, l’effectif est variable selon les semaines, oscillant entre 20 et 30 participantes. L’objectif étant de renforcer leur aisance technique et tactique, pour pouvoir s’intégrer aux autres cours, mixtes.

Ce moment entre boxeuses pallie au manque de confiance instauré par l’éducation genrée dès la petite enfance. « Les garçons, ils se bagarrent dès la cour d’école. Les filles, non, et elles n’osent pas frapper car elles ont peur de faire mal. Depuis toutes petites, elles entendent dire que ce n’est pas bien. Ici, elles se disent ‘j’ai le droit de le faire’. Mais attention, il ne faut pas assimiler la boxe à la violence. C’est un sport de combat mais les entrainements sont très protégés. Personne n’a envie d’aller bosser le lendemain avec la figure abimée. », analyse l’entraineur.

Pourtant, l’idée persiste inconsciemment et il est difficile de passer outre, même pour une fille : « Un groupe de filles, ça change, c’est bien, assure Anaïs, un lundi soir de janvier à l’entrainement non mixte. Mais je préfère m’entrainer avec les gars. En combat avec eux, on peut taper. » Ce soir-là, une quinzaine de boxeuses, âgées entre 15 et 45 ans environ, travaille les différentes techniques au fil d’une série d’exercices en duo. « J’ai du mal avec l’esquive », « Moi, c’est avec le crochet » ou encore « ah, je ne peux pas m’empêcher de réagir alors que c’est à ton tour »…

Les unes et les autres affrontent leurs difficultés, dans une ambiance détendue. Aux alentours de 20h15, les sportifs du cours suivant foulent le plancher de la salle et s’amusent à taquiner : « C’est tout de suite plus le bordel avec les femmes, ça bavarde ! » Plaisanterie, à n’en pas douter, qui assoie une supériorité dans l’implication des licencié-e-s : le loisirs pour les femmes, le sérieux pour les hommes. Une image stéréotypée qui n’a pas épargné Anne-Gaëlle Derriennic, championne de France Élite, de boxe française - savate (lire son interview p.22 et 23).

Malgré tout, lors des combats, la notion de sexe s’évapore. Compétiteurs et compétitrices sont jugés, respectés et encouragés de manière similaire par le public.

ELLES ARRIVENT !

À 70 ans, Jean-Claude Guyard ne compte même plus combien de temps il a boxé. Après 18 ans au Cercle Paul Bert à mener la section boxe anglaise, il a fondé en 2005 le Club Pugilistique Rennes Villejean, dont il est président. Il parle comme s’il était né les mains dans les gants, aujourd’hui raccrochés mais pas délaissés. Loin de là. Il se souvient, avec Jacques Marguerite, entraineur du club, de l’arrivée des premières filles. Il y a à peine 20 ans. D’abord dans la boxe éducative, où on apprend à toucher l’adversaire, sans appuyer, sans frapper. Puis en catégorie amateure.

« Il y a eu des réactions oui, évidemment, certains n’étaient pas d’accord mais ils se sont adaptés. Quand elles font leurs preuves, ils ne disent plus rien. Elles doivent faire deux fois plus d’effort que les gars », commente Jacques. « Les filles dans les équipes, généralement, ce sont des têtes ! Avocates, médecins, ingénieures, cadres… Alors oui certains ont dit que ce n’était pas un sport féminin, que les femmes ne pouvaient pas prendre des coups… Mais ce sont des a priori ! À part certains qui restent dans leur connerie, les autres se sont ouverts et ont changé d’avis. Et heureusement ! », vient préciser Jean-Claude qui se délecte chaque soir de l’ambiance qui règne dans le gymnase loué par le CPRV, qui manque d’une salle de sport qui lui soit propre.

À l’image du Naga Muay Thaï, les femmes représentent presque 1/3 de l’effectif du Club, comptant près de 40 boxeuses sur environ 120 licenciés.

LA BOXE LIBÈRE

Audrey Chenu, militante féministe, boxeuse depuis 5 ans et entraineure pour les petites filles, était de passage à Rennes en novembre 2014. Elle défendait bec et ongles la place des femmes dans ce sport : « Il faut prendre l’espace, il y a plein de choses à déconstruire ! » La boxe se révèle comme un des sports les plus complets et exigeants, qui permet de prendre confiance en soi et de se forger un mental d’acier.

« On nous fait croire qu’on n’est pas capables. Qu’on est faibles. Quand on regarde dans le métro, les femmes sont recroquevillées. La boxe libère l’agressivité, dresse le corps des femmes et développe la force musculaire. », avait-elle alors déclarée, passionnée et engagée (lire notre article « Audrey Chenu, son combat de femme vers l’émancipation » - 19/12/2014 – yeggmag.fr).

Mettre du rythme, ne pas être contracté, effectuer des mouvements amples, ne pas gaspiller de l’énergie en se dispersant… Les conseils prodigués par Maxime Cuminet, coach de boxe anglaise au sein du club Défenses tactiques, de Rennes, résonnent dans l’esprit des boxeurs/boxeuses. Dynamisme, précision, fluidité, rapidité, la boxe demande rigueur et discipline. Les cordes fouettent le sol d’un côté du tatami, les poings fendent l’air de l’autre. Une chaleur moite envahit la salle.

Par deux, les participant-e-s se concentrent sur les feintes. L’objectif : apprendre à percer la défense de l’adversaire. Il faut élaborer sa stratégie rapidement. Avant que l’autre ne provoque l’action et ne déclenche en premier. « Les bases techniques nous aident à maitriser nos coups et à les recevoir. Les six premiers mois, ma famille s’inquiétait un peu de me voir avec des bleus. Sur la peau noire, ça surprend », s’amuse une participante. À 26 ans, elle prend des cours de boxe depuis 2 ans et de krav maga depuis 5 ans.

À force d’entrainement, elle se sent de plus en plus à l’aise, progresse et n’hésite pas à s’entrainer avec des hommes. Si les femmes sont en minorité, ne représentant qu’un quart de l’effectif de boxe anglais (environ 15 filles sur 60), la question ne se pose pas lors de l’entrainement.

SE DÉFOULER

L’intérêt majeur avoué réside dans le défoulement et le dépassement qu’il permet. Toutes évoquent les bienfaits physiques de la boxe. Cardio, gainage, abdos, pompes, sauts à la corde, la pratique régulière entraine musculation et perte de poids. La sueur coule à chaque séance.

Les sacs de frappe sont indispensables aux entrainements du CPRV pour le cardio et le développement du haut du corps, la boxe anglaise n’utilisant que cette partie-là (touches au buste et au visage), tandis que la savate fait appel aux poings et aux pieds, tout comme le muay thaï qui ajoute les genoux et les coudes. Un sport complet et adéquat pour entretenir son corps et aérer son esprit. Mais pas uniquement.

« Je suis venue à la boxe car on m’a dit que ça m’irait bien. Je suis de base assez nerveuse et impulsive mais je déteste la violence. On se défoule dans un état d’esprit que j’aime bien, on se respecte, petits, grands, débutants, doués, femmes, hommes : on est tous ensemble, c’est mixte et tout le monde est accueilli. », confie Adeline Coupeau, 26 ans, qui boxe depuis 3 ans au CPRV.

LA RÈGLE DU RESPECT

Si bon nombre de clichés s’accumule autour de la discipline, vue comme un sport de rue, une occasion de se bastonner, la notion de respect est bien réelle. Le combat est codifié. Les règles doivent être intégrées, sous peine d’être de sanction. Saluer les juges, respecter son adversaire, ne pas remettre en cause les décisions de l’arbitre, écouter son entraineur, ne pas frapper avec l’intérieur du gant… des points qui peuvent paraître évidents mais qui nécessitent une rigueur mentale qui s’applique comme un réflexe sur le ring mais également en dehors.

« Pour moi, c’est l’école de la vie, il y a un règlement très dur. », note Jean-Claude Guyard. Il connaît tous les membres de son club dans lequel les différentes nationalités et milieux sociaux se côtoient. Il prône la boxe sociale, la mixité, et a un mot pour chaque personne qui foule la porte du gymnase de la rue de Lorraine. Du coin de l’œil, il scrute la salle et observe toutes les personnes présentes, se nourrit de l’énergie communicative qui s’en dégage.

Et défend l’idée d’un club convivial et familial. Dans un quartier populaire comme Villejean/Kennedy, une salle de boxe est un argument d’intégration. Plutôt que de trainer dehors, les jeunes s’entrainent. Et s’entraident, et c’est là la fierté de Jean-Claude : les plus grands aident les plus petits aux devoirs, les liens se tissent, la notion de confiance en l’autre s’aiguise.

VALEURS DÈS L’ENFANCE

Un soir d’entrainement, une petite fille de 7 ans, Noémie, attend son papa qui boxe. Il ne lui faut pas plus d’une minute avant d’enfiler des gants et de commencer à déclencher des directs du droit et du gauche contre les palettes que lui présente son grand oncle de 17 ans. Nul doute qu’elle rejoindra à la rentrée prochaine le groupe de boxe éducative, premier pas des enfants dans ce sport pour les assauts. Toucher sans appuyer, c’est la devise de cette pratique.

On y apprend la maitrise de soi, le respect mais aussi à mettre des coups, en recevoir et à découvrir ainsi ses propres capacités. L’apprentissage de la boxe favorise alors la confiance en soi, en prenant conscience de ses capacités. D’autant plus quand on est une femme dans un sport jugé pour les hommes. Le président du CPRV se souvient d’une jeune fille prénommée Rose qui venait aux entrainements mais restait sur le banc à regarder : « Un jour, je l’ai emmenée à Brest. Elle a boxé, elle a gagné. J’ai croisé un peu plus tard la directrice de son collège qui m’a dit que c’était incroyable car Rose avait énormément pris en assurance. »

La boxe force à se dépasser et à se découvrir. Se découvrir une résistance, une capacité à aller encore plus loin, à aller de l’avant, à canaliser son énergie et à maitriser son corps, simultanément au développement d’une réflexion rapide, qui se doit d’être juste et précise. Mais il va plus loin : « Ici, on ne parle pas que de boxe ; on parle de leur vie aussi. »

CONFIANCE EN SOI

La confiance est primordiale et s’acquiert avec le temps. « Certaines sont timides, discrètes. Sur le ring, elles deviennent des guerrières ! », commente Jérôme Juin. Les motivations sont aussi différentes que nombreuses, que ce soit pour s’entretenir, maigrir ou se défendre. Un argument que la plupart des femmes réfutent. « On prend confiance en nous mais faut pas être dupe. Si je me fais agressée, je ne sais pas si je saurais me protéger. », déclare Rozenn Juin, 35 ans, boxeuse dans le club Naga Muay Thaï depuis 4 ans.

Même son de cloche du côté de Juliette Josselin, 24 ans, boxeuse au CPRV depuis la rentrée 2015 : « Je n’en fais pas depuis longtemps, je ne sais pas donc au niveau des répercussions mais je n’en fait pas pour me sentir en sécurité dans la rue. »

Pour Laélia, la boxe est un moteur pour les femmes. À 28 ans, elle pratique pour la 3e année le noble art et a intégré le club Défenses tactiques en arrivant à Rennes en septembre dernier. « Ça a changé énormément de choses pour moi. Avant, je vivais à Paris, je souffrais du harcèlement de rue, du sexisme. Moi, je suis du genre à sourire… », explique-t-elle à la fin du cours. Plusieurs points lui apparaissent. Le premier : le sport de combat, discipline « qui ne va pas de soi pour les filles », alimente la confiance en soi et diminue la peur des interactions et donc les risques d’interaction.

L’attitude influençant directement les agresseurs. Le second : la boxeuse apprend à ne plus se laisser faire et à réagir lorsqu’elle est victime d’une situation sexiste. « Un jour, un type me harcelait dans le train et m’a craché dessus. Je lui ai mis un coup de poing. Alors je ne dis pas que c’est la solution, pas du tout. Mais en fait il a été tellement surpris, pensant que j’allais pas réagir, qu’il n’a plus rien fait. Et je me dis qu’il ne le fera plus ! », affirme-t-elle.

Tout comme Juliette, Laélia est de celles qui aiment briser les codes genrés et ne surtout pas se laisser enfermer dans les normes sociales. Être une femme ne devrait pas être un frein. Et la jeune femme se réjouit d’avoir intégré le club rennais qui, prend soin d’employer un langage mixte. « Au masculin et au féminin. Il adapte quand il y a des différences (protection de la poitrine par exemple, ndlr) et surtout il ne nous infantilise pas. J’aime le discours que le club tient : une fille peut avoir les mêmes forces de frappe qu’un homme. », souligne Laélia.

Ne manque plus qu’à appliquer cette qualité de parole au domaine du sport, secteur dans lequel les stéréotypes ont souvent la vie dure. Une chance que ce soit le cas aux JO de Rio cette année ? Pas sûre mais quelques boxeuses devraient nous mettre KO de par leur maitrise et leurs compétences. En 2012, elles étaient passées inaperçues…

C’est une compétitrice aguerrie. De la gymnastique, elle passe à la boxe française, la savate, un sport qu’elle pratique depuis 10 ans. En arrivant à Rennes il y a 2 ans, Anne-Gaëlle Derriennic se lance dans la compétition. La détermination de la jeune trentenaire, originaire du Sud Ouest, lui vaut d’être sacrée championne de France Elite B en 2015. En parallèle de ses études à l’école de kiné, la sportive vise à présent le podium de l’Elite A, tremplin pour une sélection en équipe de France.

YEGG : Pourquoi avoir choisi la boxe ?

Anne-Gaëlle Derriennic : C’est un sport qui permet de se défouler en peu de temps. En 1h30, on est complètement rincé. Il fait appel à plein de choses comme la souplesse, la coordination, la rapidité… C’est un sport complet ! La boxe française est moins traumatisante car il y a plus de cibles, pas uniquement buste et figure, et de choix dans les armes.

Quel est le rythme d’entrainement ?

Je suis à 3 entrainements de 2h par semaine. Mais ça peut aller jusqu’à 5 entrainements par semaine à l’approche d’une compétition. Ce sont les entraineurs qui planifient les rythmes. Un mois, un mois et demi avant une compétition, je suis à 4 entrainements par semaine. Et ils peuvent choisir d’en rajouter s’il y a besoin de développer la tactique ou la technique.

On dit que la boxe française est la plus féminine. Êtes-vous d’accord ?

Pour moi, il n’y a pas de boxe féminine. Quand on est en combat, les femmes et les hommes ont la même volonté sur le ring. Ce sont les mêmes impacts, proportionnellement au poids, la même intensité. Pour moi, c’est unisexe.

Pourquoi avez-vous voulu passer en compétition ?

J’ai une vision du sport de compétitrice. Pour moi, c’est l’évolution normale. On apprend un sport, les bases, puis on développe, les assauts, les combats, Elite. Mais je comprends que des femmes ne veuillent pas aller au combat. Après, on est préparé-e-s quand on arrive sur le ring. On a une préparation psychologique et physique.

Que vous apporte la boxe ?

Pour une grande partie des gens, la boxe est un sport dans lequel on se met sur la figure. C’est beaucoup plus élaboré que ça. On doit réfléchir, provoquer l’autre pour toucher là où on veut, quand on veut. C’est comme un jeu d’échecs avec une grande rapidité pour réfléchir sous la pression. La boxe française est très codifiée. Elle comporte beaucoup de règles. Ce n’est pas du combat de rue. On a des gants et ça se passe entre des cordes. Pas dans la rue et n’importe comment. C’est comme un art, la boxe. (…) Il faut avoir conscience du danger. On peut prendre un mauvais coup, un KO, il faut bien réfléchir. Quand on va sur le ring, on pense à son combat, il faut faire le vide, être très concentré.

Quels regards les hommes et les femmes portent sur vous ?

Les hommes sont souvent étonnés. Avec mon petit gabarit, ils ne s’imaginent pas que je fais de la boxe. Ou alors en loisirs. Quand je montre mes combats, ils se disent qu’ils ont en face d’eux un bout de femme qui sait se servir de ses pieds et de ses poings sur un ring. Les femmes ont plutôt tendance à dire « Ah oui c’est bien de faire ça… Mais moi je ne le ferais pas ! ». Surtout quand elles me voient avec un cocard (Rires). Mais certaines de mes amies ont testé et ont accroché malgré tout !

Vous souvenez-vous de votre premier combat ?

Oui, c’était un gala, j’étais à l’époque au club de Brest. Il y avait de la musique, des jeux de lumière : le gros stress ! Les entraineurs savent transformer ça en bon stress et puis quand on monte sur le ring, on oublie tout. J’en garde un très bon souvenir.

Un combat vous a-t-il marqué plus qu’un autre ?

Mon premier combat en Élite, ça devait être en avril je crois (2015, ndlr). Mon premier 5 x 2 minutes. Je combattais contre une amie d’un club de Nantes avec qui je me suis beaucoup entrainée. C’était assez fort. On rentrait dans la cour des grandes.

Dans quelle ambiance est-on au Championnat de France ?

C’est assez bizarre et en même temps il ne faut pas trop se mettre la pression. Ce n’est pas comme un gala ; ce sont des combats à la chaine, une soixantaine dans la journée. Il faut alors observer les jeux des adversaires, repérer qui on va peut-être rencontrer. Et vu l’enjeu, on veut aller jusqu’au bout. Il faut être solide psychologiquement.

Vous étiez en catégorie F52 – Coqs, qu’est-ce que ça veut dire ?

C’est la catégorie des femmes de moins de 52kg. Coqs, c’était le nom à ce moment-là. Et c’était l’Elite B. C’est comme la ligue 2 au foot. Cette année, je suis en Elite A, je me suis qualifiée en janvier pour la demi-finale (qui se jouera le 27 février).

Quel objectif vous fixez-vous ?

C’est la première année en Elite alors l’idée ici est de prendre les combats les uns après les autres. Mais mon rêve est évidemment d’aller en finale !

Et si c’est le cas ?

Les 2 finalistes sont sélectionnables en Equipe de France. Mais il y a beaucoup de prétendants pour peu de places. Dans ma catégorie, l’une des plus grosses catégories, on était 12 femmes. En Elite, il y en a entre 40 et 50. Ça représente environ 1/3 de l’effectif total.

Que diriez-vous aux femmes pour leur donner envie d’intégrer le milieu de la boxe ?

Que malgré l’étiquette de sport d’hommes, les femmes ont leur place dans la boxe. Ce n’est pas un sport de garçon manqué, pas du tout. Il y a une bonne entente aux entrainements entre les femmes et les hommes et nous sommes bien intégrées. Il n’y a pas de différences entre nous. Nous avons les même cours, les mêmes gants, deux pieds, deux mains ! C’est un sport accessible, très physique et ce n’est pas un sport de bagarre. Après, il faut essayer pour voir si on accroche.

Concernant la confiance en soi, la boxe transmet des valeurs utiles sur le ring comme en dehors…

Ah c’est sûr, il vaut mieux avoir confiance en ses armes quand on est sur le ring (Rires) ! Personnellement, je ne suis pas quelqu’un qui a naturellement confiance en soi mais on apprend au fur et à mesure. Evidemment, la boxe transmet aussi sur la vie de tous les jours. On se fixe un objectif et on se donne les moyens d’y arriver.

 

 

 

 

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Elles enfilent les gants
Valeurs sur le ring... et en dehors !
Le cran des boxeuses à l'écran
Anne-Gaëlle Derriennic : "Se donner les moyens d'y arriver"

Célian Ramis

Femmes du monde, militantes de la paix

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Maison des Associations de Rennes
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« Je suis fatiguée d’être dans la lutte depuis 30 ans. Mais que faire ? Laisser tout ça ? Ce n’est pas responsable. Nous devons lutter. » Un appel à la solidarité et au combat pour la paix et l’égalité, lancé le 23 mars dernier.
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« Je suis fatiguée d’être dans la lutte depuis 30 ans. Mais que faire ? Laisser tout ça ? Ce n’est pas responsable. Nous devons lutter. » Shura Dumanic, journaliste d’origine bosniaque et militante pacifiste pour les droits des femmes, lance un appel à la solidarité et au combat pour la paix et l’égalité. Le 23 mars dernier, elle figurait parmi les intervenantes, féministes et citoyennes du monde, venues défendre des espaces publics de paix et de non-violence, lors d’une conférence organisée par Mouvement de la Paix, à la Maison des Associations de Rennes.

Au mois de mars, les luttes des femmes pour l’accès aux droits et à l’égalité des sexes sont chaque année mises en avant dans la capitale bretonne. En 2016, le contexte de tensions internationales résonne dans la programmation et les diverses conférences destinées à aborder la condition des femmes à l’étranger et rompre les tabous et stéréotypes alimentés par les Occidentaux-tales.

Plusieurs voyages en cultures connues et/ou inconnues nous ont mené en Inde, en Afrique, au Proche et au Moyen Orient, au Maghreb, au Mexique ou encore au Québec, multipliant les visions et les points de vue autour des femmes dans le monde et démontrant l’importance de la lutte pour les droits des femmes et l’égalité des sexes. La conférence du 23 mars venait alors comme une synthèse à tous les événements organisés durant ce mois de mars. Loin d’une conclusion, elle brise les frontières et ouvre la réflexion sur tous les aspects des féminismes.

FEMMES KURDES ET TURQUES CONTRE LA RÉPRESSION

En France depuis 2 mois, Miral souhaite apprendre le français. À la Maison des Associations, elle parle en turc, traduite par son amie, Hayral. Elle milite au sein du parti pro kurde et au congrès des femmes libres, et dénonce la politique répressive d’Erdogan président de la République de Turquie, qui a récemment rappelé – à l’occasion de la journée internationale pour les droits des femmes – que les femmes restent avant tout des mères.

Pour elle, la situation en Turquie est alarmante. La mentalité islamiste et répressive atteint tous les mécanismes de l’état turc et la place au même niveau que la pratique terroriste de Daesh.

« Erdogan tient des propos sexistes et empêche l’émancipation des femmes donnant lieu à des réalités atroces. »
scande-t-elle.

Et ces réalités, elle les liste : recrudescence des violences faites aux femmes, culpabilisation des femmes en cas de viol, augmentation des mariages forcés d’enfants et d’adolescentes… « Une femme enceinte ne peut pas se promener dehors, une femme ne peut pas rigoler sans risquer de donner envie à un homme, un père a le droit d’avoir envie de sa fille. Sans oublier la réduction de peine dans un cas de violence sexuelle si le coupable a éjaculé rapidement ou si sa victime est une femme handicapée… Récemment, il y a eu une affaire de viols sur 45 enfants. Le gouvernement ne veut pas en parler, minimisant les faits car ‘’les viols n’ont été faits qu’une seule fois’’. »

Mais la militante transmet aussi dans son discours la volonté, détermination et force des femmes kurdes et turques, qui manifestent main dans la main le 8 mars dans les rues d’Istanbul. « Elles ne se laissent pas faire, elles n’acceptent pas, elles se battent et elles résistent. », affirme Miral qui rappelle toutefois que les guerres, comme celle qui oppose les kurdes aux turques ou comme celles que mènent Daesh, notamment envers les femmes, kidnappant les femmes yézidies, les forçant à se marier et à se convertir à l’Islam, font des enfants et des femmes leurs premières victimes.

« Nous demandons à l’état turc de cesser les violences envers les femmes. Il est important de comprendre le rôle attribué aux femmes, la situation des kurdes, et de comprendre que la paix ne pourra s’obtenir qu’en libérant les femmes dans tous les domaines de la vie. »
insiste Miral.

FEMMES MEXICAINES CONTRE LES FÉMINICIDES

De son côté, la militante mexicaine Elena Espinosa attire l’attention sur les féminicides en Amérique latine. « Quand je suis arrivée en France, je me suis intéressée à l’image que les gens avaient concernant le Mexique. J’ai entendu « narco, pauvre, tequila, fajitas, machos… » mais personne ne parlait des féminicides. », déplore-t-elle avant de donner des chiffres effarants sur la situation mexicaine : 6 femmes sont assassinées chaque jour, 1014 féminicides ont eu lieu ces dix dernières années, toutes les 9 minutes une femme est victime de violences sexuelles.

Au Mexique, l’Observatoire National Citoyen des Féminicides reconnaît l’horreur de la situation et la dénonce. Tout comme les Argentin-e-s se mobilisent contre ce crime, consistant à assassiner des femmes en raison de leur sexe. Une lutte qui a suscité la curiosité de l’auteure Selva Almada qui a mené une enquête sur 3 meurtres de jeunes femmes, survenus dans les années 80 dans la province Argentine et jamais élucidés. En octobre 2015, son livre Les jeunes mortes est un coup de poing engagé et nécessaire au réveil des consciences.

« Motivés par la misogynie, les violences extrêmes, ils ont recours à l’humiliation, l’abandon, les abus sexuels, les incestes, le harcèlement… Cela révèle un rapport inégal entre les hommes et les femmes dans tous les domaines. »
rappelle Elena.

Pour elle, une des solutions réside dans la dénonciation des faits par le biais des arts et de l’humour. « Avec le collectif Les Puta, on identifie les éléments culturels et on réfléchit ensemble à comment le mettre en scène dans une pièce de théâtre par exemple. Avortement, diversité culturelle, homosexualité, violences de genre… Il faut ouvrir des espaces publics pour créer la paix. », conclut-elle.

FEMMES SOLIDAIRES POUR LA PAIX

Shura Dumanic, militante pacifiste et journaliste bosniaque, réfugiée en Croatie, et Fathia Saidi, militante féministe et présentatrice radio et télé en Tunisie, insistent sur la solidarité internationale. Encore marquée par les guerres des Balkans, Shura Dumanic explique : « La guerre divise les gens et empêche la reconstruction et le développement d’un pays. Il n’y a plus d’esprit de construction, de confiance, plus de volonté de reconstruire la vie. »

Pour elle, sans la solidarité de la France et de l’Italie, la situation n’aurait pas été supportable. « Les femmes témoignent d’une grande force, d’une force terrible, qui doit vivre ! Entre nous et à l’extérieur. Avec le réseau des femmes de la Croatie, nous avons réussi à changer 3 lois sur les violences, sur la participation des femmes à la vie politique et sur la famille. Ça nous a pris 15 ans mais c’est possible ! Nous devons changer notre culture, changer la culture de la violence et aller vers la culture de la non-violence. Interdire la guerre, liée à la violence domestique, et surtout résister contre la division ! », scande-t-elle, fatiguée mais emprise d’espoir.

Fathia Saidi revient sur l’importance de la lutte contre la culture patriarcale du père, du mari, du frère et du fils. Casser la représentation de la femme objet. Voir enfin la femme comme un sujet. Dans le monde arabe, la Tunisie figure comme une exception, un symbole de la lutte féministe acharnée et qui ne lâche rien. Les lois pour les droits des femmes se multiplient, mais ne s’appliquent pas forcément. Les femmes manifestent, luttent, défilent, aident à l’avancée du pays en temps de révoltes et de révolutions, puis disparaissent de la circulation.

« Dans la Constitution, l’article 21 stipule la non discrimination entre les sexes mais le combat reste permanent et doit se faire davantage. », souligne-t-elle. Pour la militante tunisienne, l’avancée des droits des femmes est le meilleur indicateur d’une société en progrès :

« L’avenir de la Tunisie, ce sont les femmes. Et elles se battent contre la régression des mentalités. »

La solidarité doit alors servir à créer des réseaux au sein d’un même pays mais également entre les pays, comme tel est déjà le cas entre les pays du Maghreb par exemple : « Il faut combattre les violences pour changer les mentalités, faire participer les femmes aux politiques publiques, éduquer nos jeunes à la culture de la paix et apprendre le respect de la différence. Et là peut-être qu’on arrivera à des sociétés moins violentes. » Le chemin est long mais pas impraticable. Aux femmes de prendre leur liberté, comme le conseillait Nadia Aït-Zaï, à la MIR le 15 mars dernier.

Célian Ramis

Que les femmes arabes arrachent leur liberté !

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Les femmes doivent arracher leur liberté ! C’est ce que prônait l’avocate Nadia Aït Zaï, le 15 mars dernier, à la MIR, à l’occasion d’une conférence sur les formes de libération des femmes en Algérie.
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Les femmes doivent arracher leur liberté ! C’est ce que prône l’avocate Nadia Aït Zaï, également professeure à la faculté de droit d’Alger et présidente du Ciddef – Centre d’information et de documentation sur les droits de l’enfant et de la femme. Le 15 mars dernier, à la MIR, la militante pour les droits des femmes abordait les conditions de vie des femmes algériennes mais aussi tunisiennes et marocaines, à l’occasion d’une conférence sur les formes de libération des femmes en Algérie, organisée par l’association de jumelage Rennes-Sétif.

« Les images qui vous viennent en France, de par les faits divers, les journaux, les journalistes, etc. donnent une image de la femme algérienne sans aucun droit. La situation est encore inégalitaire et discriminatoire mais elle évolue favorablement. Je fais partie d’un mouvement féminin, je ne sais pas si je suis féministe mais il faut toujours essayer de défendre les droits des femmes, considérer la femme comme un individu, un sujet de droit. Car tout tourne autour de ça. », lance Nadia Aït Zaï au commencement de sa conférence.

Tout comme le précise Fatimata Warou, présidente de l’association Mata, à Rennes, dans le documentaire de Karine Hannedouche, Pour que l’oiseau s’envole, « on considère souvent que la femme n’a pas de valeur, elle est chosifiée ». Et cette image colle à la peau des femmes du continent africain, du Moyen Orient et du Proche Orient. En témoignent toutes les intervenantes invitées à s’exprimer dans le cadre de la programmation du 8 mars à Rennes. Une explication pour l’avocate algérienne : les guerres d’indépendance et les périodes post libération.

BAISSER LES ARMES

Pourtant, les femmes du monde arabe – Maghreb et Egypte – ont participé à ces luttes. « Elles ont bravé la tradition pour la guerre d’indépendance (1954 à 1962, en Algérie, ndlr), certaines ont fait le maquis, ont pris les armes, ont brisé la digue des interdits ! », scande Nadia Aït Zaï. Mais, poursuit-elle, une fois l’indépendance déclarée, la digue a été refermée sur les femmes, lâchées par les hommes :

« Elles ont été éloignées du vrai combat, de la vie politique. C’est à partir de là que va se nourrir l’image qu’ont les politiques, les sociétés sur nous. »

Malgré le droit de vote (droit d’être éligibles et électrices) obtenu en 1944, elles n’ont pourtant pas un réel accès à la représentativité, une petite dizaine d’élues seulement accédant au Parlement dans les années 60 et 70. Le droit au travail n’est pas non plus saisi comme élément libérateur, seul 18% de la population féminine travaillant en Algérie.

« C’est le taux le plus bas du Maghreb. Il a été libérateur à un moment mais il n’est plus considéré tel quel. Selon une enquête de 2013, 18% des célibataires travaillent, 11% des femmes mariées, 30% des femmes divorcées et 6% des veuves. En fait, quand les femmes trouvent des maris, elles quittent leur emploi. Elles travaillent pour se faire un trousseau comme on dit ! Pour le jour du mariage…, ironise Nadia Aït Zaï. Il y a eu tout un travail insidieux de la part des islamistes dans les années 90. »

En effet, quelques années plus tôt, le Code de la famille est voté. En 1984, précisément. Et sur ce point, les femmes n’ont pas voix au chapitre, malgré les manifestations et contestations de la part des féministes, y compris de Zohra Drif, sénatrice et épouse de Rabah Drif, alors président de l’Assemblée populaire nationale. Le Code de la famille réinstaure des éléments de la charia, instaure une tutelle pour diminuer les droits juridiques des femmes, maintenues sous la coupe masculine et patriarcale, et légalise entre autre la polygamie. Sans oublier qu’il vient contredire et rompre les articles et principes de la Constitution de 1976 signifiant l’égalité de tous les citoyens.

Une double dualité s’instaure : être des citoyennes dans la sphère publique et être considérées comme mineures dans la sphère privée.

50 ANS DE MOBILISATION

« Pourtant, il y a 50 ans déjà, la liberté et l’émancipation semblaient promises aux femmes arabes. Alors que leurs pays accédaient à l’indépendance, certaines d’entre elles, comme les actrices et danseuses égyptiennes exposaient fièrement un corps libre et sensuel. Et les leaders politiques de l’époque, libérateurs des peuples, déclaraient tous aussi vouloir libérer les femmes. 50 ans plus tard, les femmes arabes doivent pourtant lutter plus que jamais pour conquérir ou défendre leurs droits chèrement acquis. Et leur condition ne s’est pas vraiment améliorée. Ou si peu. Que s’est-il passé ? Et comment les femmes arabes parviendront-elles à bousculer des sociétés cadenassées par le sexisme et le patriarcat ? »

C’est l’introduction et les questions que pose la réalisatrice Feriel Ben Mahmoud en 2014 dans le documentaire La révolution des femmes – Un siècle de féminisme arabe. Un film qui raconte leurs luttes et leur histoire. Et montre surtout la détermination de ces femmes à acquérir leur liberté et l’égalité des sexes. Pour la présidente du Ciddef, « l’égalité est virtuelle, elle est à construire. Mais des efforts ont été faits. »

Dès le début du XXe siècle, des hommes, comme le penseur tunisien Tahar Haddad, et des femmes, comme la militante égyptienne Huda Sharawi – désignée dans le documentaire comme la première femme féministe arabe, elle a retiré son voile en public en 1923, créé l’Union féministe égyptienne et lutté pour la coopération entre militantes arabes et militantes européennes – se mobilisent pour défendre les droits des femmes et affirmer l’idée que la libération des pays arabo-musulmans ne peut passer que par l’acquisition de l’égalité des sexes, la modernité d’une société se mesurant sur ce point-là, comme le précise l’historienne Sophie Bessis en parlant de « pensées réformistes, modernistes », concernant l’Egypte, le Liban, la Syrie et la Tunisie.

Un discours que tiendra également la présentatrice radio et télé, et militante féministe Fathia Saidi, le 23 mars lors de son intervention à la conférence "La lutte des femmes à travers le monde pour un espace public de paix et de non-violence", organisée à la Maison des Associations de Rennes : "C'est à travers les droits des femmes que l'on mesure les progrès d'une société. L'avenir pour la Tunisie, ce sont les femmes. Et elles se battent contre la régression des mentalités."

C’est dans cet esprit que le penseur égyptien Kassem Amin, en 1899, affronte l’idéologie religieuse interprétée par des hommes. Il ne s’oppose pas à l’Islam mais bel et bien à l’interprétation des traditions et des textes, considérant que la libération des femmes permettrait de lutter contre le déclin d’un pays. « Imposer le voile à la femme est la plus dure et la plus horrible forme d’esclavage. C’est quand même étonnant, pourquoi ne demande-t-on pas aux hommes de porter le voile, de dérober leur visage au regard des femmes s’ils craignent de les séduire ? La volonté masculine serait-elle inférieure à celle de la femme ? », s’interroge-t-il.

L’INSPIRATION DE LA TUNISIE

Habib Bourguiba, en 1956, devient le premier Président de la république en Tunisie. Il proclame le Code du statut personnel, qui abolit la polygamie et la répudiation, instaure le divorce et fixe l’âge légal du mariage à 17 ans. Il dévoilera même plusieurs femmes en public et, sans aller jusqu’à l’égalité entre les femmes et les hommes, inaugurera le féminisme d’Etat. Education gratuite, droit au travail, création du planning familial, accès à la contraception dès la deuxième moitié des années 60, légalisation de l’avortement, sans condition et pour toutes les tunisiennes, en 1973… La Tunisie est et reste une exception au sein du monde arabe.

Car si certains pays ont essayé de promouvoir une autre image de la femme, notamment en Egypte, qui dans les années 50 sera le centre du cinéma arabe et montrera des figures féminines modernes, le colonel Nasser, au pouvoir depuis 1956, ne pourra s’opposer très longtemps aux conservateurs que sont les membres de la Société des frères musulmans.

Malgré la marginalisation du combat des femmes dans la plupart des pays arabes après l’obtention de leur indépendance, les mouvements féministes ne vont pas se contenter des quelques droits obtenus et vont créer une cohésion entre pays maghrébins. Pour l’Algérie, ce sont de longues années de lutte profonde qui voient le jour dans les années 90.

CHANGER LES LOIS ET LES MENTALITÉS

Le Ciddef, créé en 2002, ne lâche rien et travaille constamment sur des actions et des plaidoyers permettant de faire évoluer les lois. Pendant 12 ans, la structure a lutté pour obtenir une loi instaurant des quotas (2012), permettant ainsi aux femmes d’accéder aux fonctions électives et administratives. Ainsi, 147 femmes ont été élues au Parlement lors des dernières élections législatives.

Mais si les lois évoluent, les mentalités sont quant à elles extrêmement difficiles à changer. Et les femmes que Charlotte Bienaimé, auteure de documentaires sur France Culture et Arte Radio, a rencontrées et interviewées - en sillonnant à partir de 2011 divers pays arabes – l’affirment. Elles s’insurgent, critiquent, analysent, décryptent, observent et témoignent de leurs vécus dans le livre de la journaliste, Féministes du monde arabe, publié aux éditions Les Arènes en janvier 2016.

Madja est algérienne. Elle a 27 ans au moment de l’échange avec Charlotte Bienaimé et vit à Alger. Elle explique, page 76 : « Les gens estiment que pour que les femmes sortent, il faut qu’elles aient une bonne raison. Et après 18h, il n’y a plus de bonnes raisons. On n’est pas censées travailler, ni avoir cours. Pour eux, le soir, si les femmes sont dehors, c’est qu’elles veulent être agressées ou c’est qu’elles se prostituent. La nuit, tout est permis. Les mecs, on dirait des loups-garous. Ça devient très agressif. Les agressions sont verbales et physiques. »

LES LUTTES RÉCENTES ET EN COURS

Actuellement, les militantes œuvrent pour l’égalité sur l’héritage. « Nous y travaillons depuis 2010 et nous n’avons pas encore eu de réactions violentes… Il faut savoir qu’il y a des discriminations sur l’héritage, les femmes n’ont pas les mêmes parts. Et il y a des familles avec que des filles. Là, un cousin mâle éloigné peut se pointer pour hériter avec elles. C’est injuste. La Tunisie a déjà exclu cette possibilité et nous souhaitons l’exclure également. », explique Nadia Aït Zai.  

Si le gouvernement a abrogé la notion du chef de famille en Algérie (un combat actuellement mené par les tunisiennes et les marocaines) et par conséquent le devoir d’obéissance au chef de famille, la tutelle est, elle, toujours effective lors de la conclusion du contrat de mariage. Un point devant lequel le président algérien, Abdelaziz Bouteflika, n’a pas voulu fléchir en 2005 lors de la réforme du Code de la famille. Il impose néanmoins le consentement comme élément essentiel de l’acte matrimonial, notamment en ce qui concerne la polygamie.

Côté divorce, l’homme peut toujours répudier sa femme. « Elles en souffrent depuis 1985 ! Et le ministère ne donne pas les vrais chiffres de la répudiation », précise la présidente du Ciddef. Pour les femmes, le divorce par compensation financière est autorisé. L’ex-épouse doit alors restituer la dot.

« Elles utilisent toutes ça ! Pendant un temps, la pension alimentaire était dérisoire, voire pas versée du tout. Aujourd’hui, on vient juste de créer un fonds de pension, une garantie pour la pension. », souligne-t-elle.

Autres avancées récentes en faveur des femmes : la transmission de la nationalité de la mère à son enfant et la garde prioritaire de l’enfant à sa mère en cas de divorce. Rien n’est à noter cependant concernant le fait que l’homme conserve tous les biens matrimoniaux, comme le logement conjugal par exemple, après la séparation. Mais si des progrès permettent à la société d’évoluer vers des conditions de vie moins critiquables, les féministes algériennes réclament l’abolition complète et totale du Code de la famille.

CONTRE LES VIOLENCES FAITES AUX FEMMES

En mars 2015, les députés votent une nouvelle loi contre les violences faites aux femmes, durcissant les peines de réclusion mais permettant aussi à l’auteur du crime de s’en sortir indemne si son épouse lui pardonne. Les élus islamistes s’insurgent contre cette nouvelle mesure. Disant que cela déstructure la famille :

« Pour eux, il ne faut pas toucher à ce qui se passe dans l’espace privé. Mais c’est là que les violences ont lieu. C’est bien la preuve que la femme ne peut pas être libre. »

Dans son enquête, Charlotte Bienaimé aborde la question des violences sexuelles dans un sous-chapitre intitulé « Terrorisme sexuel ». Tandis que les tentatives d’explications se multiplient, la plus avancée nous informe-t-elle subsiste celle de la frustration due à l’interdiction des relations sexuelles avant le mariage. Amina, militante en Algérie, s’offusque, pages 98 et 99 :

« Nous aussi, les femmes, nous sommes frustrées et on n’agit pas comme ça. Alors, on se dit que c’est peut-être l’âge, mais les gamins et les vieux le font aussi. Ou alors, ce sont les vêtements qu’on porte, mais les filles voilées aussi sont agressées. Ce n’est pas non plus le milieu social parce qu’il y a des hommes aisés harceleurs alors qu’ils ont fait de grandes études. C’est pour ça que maintenant, on identifie le patriarcat en tant que tel comme cause principale. »

Elle explique alors que c’est le terrorisme qui a amené le pays à parler des viols, en reconnaissant aux femmes violées le statut de victime du terrorisme. De là, le ministère de la Santé a souhaité lancer une enquête sur les violences conjugales.

« Il en va de la responsabilité de l’Etat de protéger les femmes de la violence conjugale. Mais c’est une question de contrôle du corps de la femme aussi. »
interpelle Nadia Aït-Zaï.

Pour la militante, les politiques publiques doivent redoubler d’effort et donner aux femmes, depuis trop longtemps enfermées dans des carcans traditionnalistes, le droit de prendre part au développement économique du pays.

« Les textes ont suivi dans le Code civil, le Code du travail, la Constitution avec le principe de l’égalité, l’accès à la santé et à l’éducation. Aujourd’hui, 62% de filles sortent de l’université, c’est plus que les hommes. On atteint presque la parité en matière de scolarisation. Pareil pour la santé. Avec une politique de planning familial repensant le nombre d’enfants par famille à 3 ou 4. Le Planning familial travaille actuellement à la dépénalisation de l’IVG. Il y a la possibilité de l’avortement thérapeutique mais certains médecins refusent de le faire. Les Algériennes vont en Tunisie pour avorter. Tout prend du temps car il faut que les politiques publiques se mettent en place. Mais les droits, nous les arrachons ! », développe-t-elle.

ARRACHER LEURS DROITS, LEUR LIBERTÉ

Son leitmotiv : la liberté, c’est à la femme de s’en saisir, de la prendre. « Mais certaines n’ont pas le courage de faire une rupture avec la tradition. Elles se disent modernes mais en public elles parlent de Dieu », regrette-t-elle. La question du voile ressurgit. La liberté serait-elle acquise par le voile ? Serait-ce une forme de libération ? Ce n’est pas un débat qu’elle souhaite avoir. Néanmoins, elle se permet de donner son point de vue, sans s’étaler :

«  Le foulard ne libère pas mais celles qui le portent pensent que ça libère. Car il les libère d’une interdiction. Celle d’aller dans l’espace public. Elles le pensent alors comme une protection. À Alger, j’ai constaté qu’elles l’enlevaient de plus en plus. Mais à l’intérieur du pays, toutes les femmes sont voilées. » Pour elle, pas de secret. C’est l’indépendance économique qui permettra la libération des femmes.

En décembre 2013, comme dans tous les numéros de la revue, elle signe l’édito du magazine du Ciddef et termine ainsi : « Ne soyons pas en dehors de cette histoire qui doit se faire avec nous. Sans nous il n’y aura pas de société saine et équilibrée ni de politique appropriée. » Elle le répète jusqu’à la fin de la conférence :

« C’est la femme qui doit arracher sa liberté ! ».

Un discours qui concorde avec celui de l’ancienne journaliste algérienne Irane, révélé dans l’enquête et ouvrage Féministes du monde arabe. Charlotte Bienaimé met en perspective la révolte, lutte du quotidien, à travers l’expérience d’Irane, dans une société de communication, page 39.

« On parle souvent des femmes victimes, des femmes violées, des femmes battues, du harcèlement sexuel dans la rue, etc. Mais on ne parle jamais de ces femmes algériennes actives qui sont violentées, mais extrêmement violentées tous les jours à la maison, au travail, parce qu’elles sont tout simplement des femmes. Si les femmes reprennent la parole, si elles disent ce qu’elles pensent, si elles le balancent comme ça, ça va choquer, mais ça va faire, disons, un équilibre, un contre-pouvoir. Les femmes doivent avoir accès à la parole. » (…)

« Chaque fois, on me renvoie à ma position de femme. ‘’Tu es une femme, on devrait pas t’écouter, d’ailleurs tu ne sais pas.’’ Donc, quand je fais des réunions, je dis, ‘’écoutez, vous la bande de machos là-bas’’, je dis ça comme ça, ouvertement, je les secoue, et je leur dis : ‘’Je sais, ça vous fait très mal parce que je suis une femme mais vous devez changer votre mentalité, le monde ne marche plus comme ça, il faudra se remettre en cause. Je sais, vous n’êtes pas d’accord parce que je suis une femme et ce n’est pas ma place, mais malheureusement, je suis là et c’est ma place et je suis votre responsable et vous devez m’écouter.’’ Donc, quand on voit que je suis assez forte, je le dis d’une manière assez directe, je leur laisse pas trop le choix, ça marche. Pas tout le temps, mais ça marche. »

Célian Ramis

Les Iraniennes lèvent le voile sur les interdits

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Le désir d’émancipation des femmes en Iran n’a pas attendu que l’on braque nos regards dessus pour se faire ressentir. L’anthropologue Fariba Adelkhah évoque la place des femmes dans la société iranienne.
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Le désir d’émancipation des femmes en Iran n’a pas attendu que l’on braque nos regards dessus pour se faire ressentir. À l’occasion du 8 mars, l’anthropologue et directrice de recherche au CERI (Centre de recherches internationales) à Sciences Po Paris, Fariba Adelkhah, était de passage à la Maison Internationale de Rennes le 7 mars dernier, pour évoquer la place des femmes dans la société iranienne.

Spécialiste de l’anthropologie sociale et politique en Iran, Fariba Adelkhah pose une problématique essentielle pour comprendre, et sans doute changer le regard des Occidentaux-Occidentales sur la situation actuelle : comment, à travers les bouleversements politiques en Iran, les femmes ont su résister et contourner les lois pour préserver leur place au sein de la société ?

Elle précisera à plusieurs reprises :

« Toute forme d’interdit provoque une situation. Je ne suis pas en train de soutenir les interdictions mais l’objectif est de voir comment la société les contourne. »

Et ces interdictions, elle les pointe dès lors que la dynastie Pahlavi est renversée en Iran. En 1979, la révolution islamique aboutit à la destitution du Shah d’Iran, au pouvoir depuis le début des années 50, au profit de l’Ayatollah Khomeini. Mais les mouvements pour les droits des femmes ont commencé à se soulever bien avant cette période. Notamment lors de la révolution constitutionnelle au début du XXe siècle.

DROITS DES FEMMES

Sous le règne de Reza Shah, des écoles pour les filles voient le jour dans les grandes villes, jusqu’à la création d’un système d’éducation nationale sans distinction pour les filles et les garçons et l’accessibilité à l’apprentissage à l’Université de Téhéran. À la même époque, au milieu des années 30, le port du voile est interdit en public.

« C’était assez violent. Les femmes se sont retirées de l’espace public. Il y avait peut-être 20% des femmes, dans les grandes villes, qui étaient voilées. Et c’est un chiffre à prendre avec des pincettes, je n’en suis pas très sûre. »
souligne Fariba Adelkhah.

Son fils, Mohammad Reza Shah, accorde, entre autre, dans les années 60, le droit de vote et d’éligibilité aux femmes et passe l’âge légal du mariage à 18 ans dans les années 70 (fixé à 15 ans, en 1931, au lieu de 13 ans). Mais si les femmes acquièrent des droits politiques et civiques importants, portés par des courants de modernité et de modernisation du pays, la population se soulève contre la tyrannie de la dynastie Pahlavi, comme le définira Khomeini, qui a pris la tête des forces religieuses.

Et ce dernier appelle les femmes à prendre part à la révolution islamique. La révolte qui éclate n’est au départ pas fondamentalement religieuse : « L’Islam, à ce moment-là, était signe d’anti-impérialisme et d’anti traditionalisme. » Lutter contre l’impérialisme de l’Occident, en particulier celui des Etats-Unis, et maintenir le calme dans la société pour éviter le retour du roi, les priorités sont claires.

« Mais les femmes vont être les maillons faibles. Et ça commence avec le voile, qui symbolise la gestion de l’espace. L’imposition du voile a permis à la république de voir d’où venait l’ennemi. Il s’agissait d’être ou non avec le soutien au nouveau régime. », explique l’anthropologue. Le port du voile obligatoire n’est toutefois pas inscrit dans une loi, les versets coraniques abordant le hijab (dont les significations diffèrent selon les pays), sont rares, concrètement « il n’y a rien de clair ni de simple mais un châtiment est prévu en cas de non respect des règles islamiques. » L’imposition passe par la force des choses, la télévision d’abord, le ministère ensuite et les institutions pour finir.

Tout comme l’interdiction de le porter a été violente, l’obligation de le revêtir l’est tout autant. Sortir sans expose celle qui le fait à recevoir des insultes, à être contrôlées. Pour la directrice de recherche au CERI, les femmes ont alors instrumentalisé le voile pour sortir dans l’espace public, dont elles s’étaient coupées depuis la loi du Shah.

À son sens, elles se libèrent alors de l’oppression ressentie durant cette période « mais les hommes ne les ont pas soutenues pour aller plus loin car ils auraient alors remis en cause la république révolutionnaire. Pourtant, on critique le guide de la révolution mais jamais le voile. On n’en parle pas. »

Néanmoins, le sujet résonne au delà des frontières iraniennes. La répression qui suit la révolution islamique en Iran pour les femmes fait des vagues. C’est ce que déclare Nadia Aït Zai, avocate, professeure de droit à la faculté d’Alger et présidente du Ciddef – Centre d’Information et de Documentation sur les Droits de l’Enfant er de la Femme – lors de sa venue à la MIR, le 15 mars dernier, pour évoquer les formes de libération des femmes en Algérie après l’Indépendance, en 1962.

C’est une évidence pour elle aussi. Les femmes, à travers l’imposition du voile, retrouvent l’opportunité d’occuper l’espace public. Mais est-ce la meilleure ou l’unique alternative ? Elle pose la question consciente de la pression sociale et sociétale qui s’abat sur la population féminine dans les pays où les islamistes ont su insidieusement ancrer une vision manichéenne de la Femme et de l’Homme dans les esprits.

Même discours du côté du photographe Pierre Roth qui expose jusqu’au 20 mars à la MIR des portraits de femmes libanaises, réalisés au cours d’un reportage dans le pays en septembre 2010. « Au-delà du voile » rend hommage à ces habitantes qui dévoilent ici toute la complexité de leur réalité. Et dans l’introduction à l’exposition, on peut lire : « Les femmes libanaises ont fait du chemin, en instrumentalisant le voile elles ont réussi à accéder à l’espace public (…) ».

« Le voile a permis d’aller dans l’espace public mais je ne crois pas qu’il a libéré la femme dans la sphère privée. »
souligne la militante algérienne.

SPHÈRE PRIVÉE, POUR SE CACHER

Les femmes iraniennes se retrouvent à nouveau soumises à la charia et les acquis obtenus sous la dynastie Pahlavi disparaissent, l’âge légal du mariage tombe à 9 ans pour les filles. Le 4 février, le Comité des enfants de l’ONU a dénoncé le nombre croissant de mariages forcés de fillettes de moins de 10 ans soumises à un mariage forcé en Iran. Et appelle les autorités iraniennes à élever l’âge légal du mariage à 18 ans, de relever l’âge du consentement à des relations sexuelles à 16 ans et à criminaliser le viol conjugal dont sont victimes la plupart des jeunes filles obligées à satisfaire les besoins sexuels de leurs maris.  

La sphère privée, celle de la famille, renvoie la femme à son statut de femme au foyer. Mais depuis plusieurs années, voire générations, elles se sont battues pour affirmer leurs droits fondamentaux. Elles ont étudié pour certaines même si des filières, notamment scientifiques, leur sont encore à cette époque difficiles d’accès simplement à cause de leur sexe, et elles se sont affirmées dans leur volonté d’émancipation.

Si les regroupements féministes avaient été interdits durant un temps, la fin de la guerre opposant l’Iran à l’Irak et la mort de Khomeini à la fin des années 80 marquent un nouveau tournant dans l’histoire des femmes. Les militantes féministes, qu’elles soient musulmanes, laïques, traditionalistes ou modernistes réussissent à faire converger leurs opinions auprès des médias et des femmes.

Dans l’espace public, l’évolution suit son cours. Les femmes iraniennes sont actives, investissent quasi tous les secteurs d’activités – qui leur sont permis puisque certains comme la magistrature restent encore interdits – et leur nombre augmente même dans les filières politiques à l’instar du Parlement qui compte depuis le 27 février dernier 14 femmes élues dans ses rangs, et pour la première fois une femme au poste de vice-présidente de la République islamique.

Un record depuis 1997 signale Le Figaro dans un article du 8 mars 2016 : « « Le président Hassan Rohani, même s'il ne veut pas changer le système politique, cherche en tout cas à l'améliorer. Nous devons l'aider face aux conservateurs », explique Afsaneh (jeune enseignante iranienne qui témoigne dans l’article, ndlr). »

LIBÉRATION SOUTERRAINE OU HYPOCRISIE SOCIÉTALE ?

Mais dans la sphère privée, le chemin est encore long. Ou plutôt se fait en souterrain. Comme le regrettait Cala Codandam, de l’association rennaise AYCI, le 1er mars dernier lors de sa conférence sur la place des femmes dans la société indienne, tout est caché, tout est mensonge.

Le divorce est plus répandu aujourd’hui en Iran, 1 couple sur 4 divorce à Téhéran selon la spécialiste du pays, mais « le salut passe quand même par le mariage ». La virginité représente la pureté et la conserver est primordial. Il est impératif que les jeunes filles restent chastes pour le jour du mariage.

En 2005, Mitra Farahani et Iraj Mirza réalisent le documentaire Tabous (Zohre & Manouchehr) qui présente la réalité masquée de la sexualité des jeunes en Iran. Les femmes s’y dévoilent libérées et réfléchies. Elles témoignent alors de leurs manières de contourner cette injonction à la pureté, que ce soit en procédant à des opérations chirurgicales pour recoudre leur hymen ou que ce soit en consommant les « sigheh », les mariages temporaires, et dénoncent l’hypocrisie d’une société qui engendre et maintient le tabou, y compris chez les plus pieux et les représentants religieux.

Et Fariba Adelkhah le souligne en souriant : « Je suis en mariage temporaire depuis 35 ans et c’est bien meilleur ainsi. » Ce principe autorise, pour les chiites, ce que l’on peut considérer comme du concubinage. « Ça a libéré le désir sexuel en Iran ! », ajoute-t-elle. Mais alors que ce dernier se libère en souterrain, la pratique du chant en solo des femmes est toujours interdite, en dehors des représentations effectuées devant un parterre exclusivement féminin.

ATTENTION À LA SÉDUCTION

La voix de la chanteuse pourrait séduire. Tout comme pour la danse, le mouvement du corps pourrait séduire. Ce serait donc une provocation pour les hommes. Et ces derniers doivent se détourner de tout sentiment de désir, comme ils l’expliquent dans Tabous. Paradoxe stupéfiant, la guidance islamique accepte que des hommes figurent sur la scène, sans chanter, aux côtés des femmes.

Comment les femmes contournent-elles cet interdit ? Elles proposent des cours de chant, des cours de musique, par exemple.

« L’interdiction a libéré la création musicale. On n’a jamais vu autant d’offres et de propositions. »
précise l’anthropologue iranienne.

Et ce sujet, Ayat Najafi s’en est saisie pour réaliser le documentaire No land’s song, sorti dans les salles le 16 mars. Elle filme et suit la jeune compositrice Sara Najafi soutenue par 3 chanteuses de France – parmi lesquelles on retrouve Jeanne Cherhal -  dans son défi de braver la censure et les tabous en organisant un concert de solistes.

Pour Fariba Adelkhah, les interdits, symboles d’oppression des femmes en particulier, s’accompagnent toujours de stratégies d’évitement, permettant de contourner les lois et faire avancer petit à petit les mentalités et la société. Comme en témoigne la création musicale mais aussi plus largement artistique, le cinéma iranien connaissant également un noyau de réalisateurs et films indépendants. Sans attaquer frontalement le régime autoritaire, les artistes et cinéastes saisissent comment, avec un mélange de poésie et de réalisme, interpeler le public que les œuvres trouveront.

« Aujourd’hui, la société iranienne semble plus en phase avec son régime grâce à la manière dont elle prend en charge son destin. », conclut-elle. Ce que confirme une des jeunes femmes témoignant dans le documentaire de Mitra Farahani et Iraj Mirza : « Quand on fait le mur ou quand on présente de faux certificats de mariage à la police, pour les berner et dire ‘c’est mon mari’, ça devient concret (elle parle alors de la liberté individuelle qui, si elle ne trouve pas d’application concrète, n’est peut-être pas une « vraie » liberté, ndlr). Notre génération a toujours su trouver des solutions. »

 

 

En savoir plus sur le sujet : l’écrivaine, sociologue et militante féministe iranienne, exilée en France depuis plus de 30 ans, Chaqla Chafiq sera à Rennes le 3 avril pour une conférence débat autour du thème « Islam politique, sexe et genre, à la lumière de l’expérience iranienne ». A 18h, à l’Université Rennes 2. Dans le cadre de la Semaine du féminisme.

Célian Ramis

La situation critique des femmes indiennes

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Réputée pour son côté conservateur et inégalitaire, la société indienne n'a pas toujours été pensée ainsi. Dans le cadre de la journée internationale pour les droits des femmes, voyage dans des Indes complexes.
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La femme indienne sous le regard philosophique, spirituel et politique, tel était le thème de la conférence organisée par l’Association de Yoga et de Culture Indienne (AYCI), mardi 1er mars, à la Maison Internationale de Rennes. Une belle entrée en matière dans le programme du 8 mars - journée internationale pour les droits des femmes – chapeauté par la Ville de Rennes avec les associations féministes et/ou culturelles du territoire.

Aborder la question de la place des femmes dans le monde, sans observation fine et méticuleuse du terrain, est délicat. La journée internationale pour les droits des femmes est alors un moyen pour en décrypter quelques parcelles et ouvrir le champ des possibles. Cette année, à travers le thème « Sphère publique / sphère privée : Cultiver l’égalité entre les femmes et les hommes », l’invitation au voyage est lancée dans la capitale bretonne, du 1er au 31 mars.

Premier arrêt : l’Inde. Ou plutôt les Indes, comme le précise le géo-politologue et poète Déva Koumarane, français d’origine indienne élevé sur l’île de la Réunion. « On va voyager ensemble, on va traverser les siècles car c’est un pays très ancien. Avec une civilisation tellement ancienne qu’elle est difficile à comprendre, même pour les indiens », s’amuse-t-il.

Et c’est en chantant deux poèmes de Ranajit Sarkar que commence Calaisselvy, dite Cala, Codandam, professeure de yoga et animatrice culturelle pour AYCI, association qu’elle a fondée en 2011. Elle aussi est française, originaire d’Inde, et souhaite transmettre l’esprit de la culture indienne. Et situer les femmes dans un contexte particulier, l’Inde étant emprunte de traditions conservatrices, basées comme beaucoup sur de mauvaises interprétations de l’Histoire.

COMPRENDRE L’HISTOIRE

La base de l’Inde est fondée sur sa puissance religieuse. L’hindouisme en est la première et la plus ancienne religion. Mais le territoire accueille également les religions bouddhiste, chrétienne, juive et musulmane, entre autre. Pour les hindous, trois divinités représentent le fonctionnement de la société avec le créateur Brahma, le conservateur Vishnou et le destructeur Shiva.

« La femme est considérée comme l’égale de Dieu. Les trois dieux sont toujours représentés avec les « shakti », leurs épouses. La femme est l’énergie de l’homme, sa puissance. »
déclare le spécialiste de l’Inde.

Il évoque également l’égalité des sexes dans le droit à prêcher le bouddhisme. Et la situation honorable des femmes durant l’Antiquité.

Outre les multiples religions qui se côtoient, le territoire indien est également un berceau oriental, asiatique et anglophone, « entre guillemets », précise Déva Koumarane, en référence à la colonisation britannique, précédant l’indépendance de l’Inde en 1947. Avant cela, d’autres états européens se sont succédés sur la route des Indes, découvertes en 1498 par le portugais Vasco de Gama.

Le regard de l’européen se porterait alors vers une puissance « en avance par rapport à la société occidentale ». Pourtant, à l’époque coloniale, avant l’indépendance, les hommes auraient cherché à « sauvegarder », selon le terme du géo-politologue, les femmes, en les maintenant à l’écart, soit à l’intérieur des foyers. 

REGARD BRITANNIQUE SUR
LES FEMMES ET LES COUTUMES

Celles que les britanniques vont s’empresser de découvrir, ce sont les « devadâsî ». Les servantes de Dieu. Consacrées aux temples. Interpelé par Cala Codandam sur ces femmes apparentées à des prostituées, « dont on ne parle jamais », Déva Koumarane explique :

« Ce sont de très belles femmes, très instruites, qui dansent des danses classiques indiennes, les danses de la séduction. Ce sont un peu, sans offense aux japonais, les Geisha de l’Inde. Des femmes qui sont là pour distraire les hommes. »

Tout comme les rois viennent voir les « chastes » des temples pour assister aux spectacles, les anglais s’y précipitent également, « comme dans les pays orientaux avec les harems ». Si au départ, elles bénéficient du plus haut statut qu’une femme puisse obtenir, dans la culture hindoue, celui-ci évolue et de courtisanes, elles passent à prostituées, dans l’opinion britannique, qui abolit rapidement ce système social.

Et ils ne s’arrêteront pas là, interdisant également le rituel du sati, consistant pour une veuve à sauter de son vivant dans le bucher crématoire de son défunt mari.

Le guide spirituel le plus influent de l’Inde au XXe siècle, Mohandas Karamchand Gandhi, dit Mahatma (La Grande Âme) Gandhi, qui a effectué ses études en Angleterre et vécu plus de 20 ans en Afrique du Sud, conduit en parallèle la population indienne vers l’indépendance. Et prône la libération des femmes.  « Il demandait aux indiens d’enseigner la lecture et l’écriture à leurs femmes. Le sexe fort, il disait que c’était la femme. Car la femme est beaucoup plus réaliste, beaucoup plus révolutionnaire. Et moi je crois, si vous me permettez de donner mon avis, que ce sont les hommes qui les ralentissent dans le monde entier. », souligne le spécialiste.

RENAISSANCE DE LA CULTURE INDIENNE

À cette époque, la culture indienne renait. On chante la poésie, on accorde une place toute particulière à l’Amour. Hommes et femmes honorent la lune, la nature est essentielle, l’amour charnel et l’amour spirituel sont sous-entendus. Pour Cala Codandam, « le nénuphar qui s’ouvre doucement au regard de la lune, c’est le regard de l’homme sur la femme. On peut utiliser tous les éléments de la nature, des parfums, des saveurs, etc. ». Tout utiliser mais sans montrer et sans désigner précisément. Elle parle alors d’âge d’or, où femmes et hommes étaient égaux. Et de décadence. L’époque moderne.

Pour Déva Koumarane, les fondateurs de l’Inde antique avaient « bien fait les choses » mais les mauvaises interprétations, effectuées principalement par les hommes, ont changé la donne :

« Les hommes, je crois, ont cherché à faire de la femme, peut-être pas un objet sexuel, mais de procréation en tout cas. »

La ségrégation entre les hautes et basses castes est balayée des films Bollywood, qui ne conservent que des histoires d’amour impossibles.

La femme indienne est alors victime de la famille. Les traditions y sont conservatrices et pèsent sur la société : « Dans le cinéma, la femme est toujours présente. Un homme et une femme s’aiment. La mère va dire à la fille ‘’Tu ne peux pas car pas même milieu’’. A ce moment là, il y a toujours le père qui est malade et la mère qui en profite pour faire culpabiliser sa fille. »

SOCIÉTÉ MODERNE ?
PAS POUR LES FEMMES !

S’il est difficile de réformer cette société indienne, la censure étant encore draconienne, le géo-politologue est confiant : le réveil des femmes a sonné. Des associations de femmes naissent pour défendre leurs droits :

« Il y a des femmes courageuses, qui se battent ! Mais elles ne sont pas encore assez nombreuses. Mais ça viendra. On attend toujours des choses dramatiques pour en parler mais c’est tous les jours qu’il faut se battre. Par exemple, le mariage forcé. Aujourd’hui, la loi permet d’aller porter plainte mais la femme n’osera jamais à cause du regard de la société. »

L’association Stop Acid Attack, basée à Delhi, est un exemple de structures dédiées à la cause des femmes. En ligne de mire : les attaques à l’acide que subissent les jeunes femmes qui osent dire « non » à une ‘‘proposition’’ de mariage. En octobre 2015, l’émission de France 2, Envoyé Spécial, dédiait un reportage aux femmes vitriolées en Inde. « Nous ne sommes pas des victimes, nous sommes des combattantes », témoignent alors les jeunes filles. Elles seraient environ 4 ou 5 chaque semaine à subir ces horreurs, qui les défigurent et les brûlent à vie, quand elles ne sont pas violées collectivement ou tuées.

Cala a vécu en France. Mais a été élevée dans la tradition indienne. C’est-à-dire « à l’obéissance, au chantage affectif. Il est très dur de couper avec sa famille. » Pour la fondatrice de l’AYCI, pas d’ambigüité ni d’ambivalence. L’ennemi principal de la femme indienne est la femme indienne. La mère, la sœur.

LE MARIAGE, AU CŒUR
DE LA SOCIÉTÉ INDIENNE

En Inde, citations et proverbes guident les instances du quotidien. Il y en a pour la cuisine, pour la famille, pour les enfants… La professeure de yoga a baigné dedans dès ses 7 ans, et en est marquée, celle-ci en particulier : « Si l’homme est comme un brin d’herbe ou une pierre, c’est ton mari, ma fille ». Au nom de l’amour, des sacrifices. Au nom de sa caste, un mariage arrangé. Au nom d’un fonctionnement qui perdure, un discours culpabilisant.

« Les femmes sont partout en Inde. Depuis un an, une femme conduit le métro à Madras, c’est la première fois ! Une femme en sari a pris les commandes d’un avion aussi. En sari ! Elles sont partout mais doivent être derrière les hommes. Ma mère vit en France. Pourtant, quand j’ai passé mon permis, elle n’a pas compris. Une femme n’en a pas besoin… Aujourd’hui, elle serait très gênée de me voir vous parler, assise à côté d’un homme. », témoigne-t-elle.

Tout comme les textes sacrés ont été (mal) interprétés, l’histoire sociale de l’Inde a pris un virage vers la domination des hommes sur les femmes, infantilisées, enfermées dans les castes, qui elles n’ont pas disparu dans les traductions obscures des traditions. Le mariage « libre » est autorisé mais la culpabilité rattrapera la femme à marier. Le divorce est légalisé mais peu admis par la société qui a déjà eu du mal à accepter les veuves, sans les mettre vivantes sur le bucher.

Le mariage est au cœur du problème systémique indien. Les castes à respecter, la dot à présenter, la tradition a perpétué… Quels choix ont les femmes ? Mariage forcé ou vitriol ? Sans extrémisme ou radicalisme, le film Chokher Bali, réalisé par Rituparno Ghosh en 2003, dévoile la complexité des relations amoureuses entre jeunes indiens, avec toujours cet objectif de mariage en tête.

Mais l’espoir est permis. Le parcours la boxeuse Mary Kom, quintuple championne du monde de boxe indienne, fait l’objet d’un biopic en 2014 (Mary Kom, de Omung Kumar). Nourrie par les injustices sociales, une femme ne pouvant accéder à un statut de sportive – elle sera un temps renié par son père – ou encore une femme ne pouvant poursuivre ses rêves une fois mariée et mère de famille (selon la société, son mari à elle la soutenant et l’épaulant dans sa lutte vers son ambition), la jeune indienne va se battre et embarquer tout un pays dans une vibration libertaire et fédératrice. 

ÉMANCIPATION CACHÉE ?

Pour vivre libre, faut-il vivre cachée ? Aujourd’hui, les indiennes entreprennent des études et voyagent à travers le pays.

« Si elles vont vivre ailleurs pour les études, on dira qu’elles vivent chez un membre de la famille ici ou là. On ne dira jamais qu’elles vivent toutes seules ! Ce ne sont que des mensonges ! (…) Pareil pour la contraception, elle existe mais n’est pas bonne car elle rend moins féconde. Et là, on entendra la mère dire « Prends pas ma fille » alors tu prendras mais tu ne diras pas. »
s’écrie Cala.

Pour elle, la modernité a amené la décadence.

Elle prend pour exemple l’échographie. Quand cette révolution médicale débarque, la société s’en saisit pour faire avorter celles qui auraient du ou pu mettre au monde des filles. Un phénomène qui serait en voie d’extinction, la politique de natalité restreignant à un ou deux enfants par famille.

Pourtant, pour 1000 naissances de petits garçons, on comptabilise environ 920 naissances de petites filles, créant ainsi un écart entre la population masculine et féminine. Pour Cala Codandam et Déva Koumarane, la solution réside dans le dialogue, dans l’éducation à l’égalité de la part des familles tout d’abord « mais il y a toujours des attitudes machistes de la part des pères mais aussi des mères, et ce qui compte beaucoup pour les indiens, c’est la transmission », ne contestant pas que l’Inde soit décrié pour être un des pays qui enregistre le plus grand nombre de viols.

Ensuite, « ce qu’il manque, c’est la volonté de changer le monde, tous ensemble. ». Orient et Occident main dans la main pour les droits des femmes. Face à face dans un dialogue interculturel et inter-religieux. Rien de mieux alors que de conclure la conférence par la projection du film de Roshan Andrews, sorti en mai 2015, 36 Vayadhinile. L’histoire de Vasanthi, 36 ans, indienne, toujours au service des autres. Normal ? À méditer.  

 

 

Célian Ramis

Les Bretonnes bougent pour la mixité professionnelle

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Rennes
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La délégation bretonne de l'association Elles bougent fédère les actions déjà implantées qui incitent les étudiantes à s'orienter vers des secteurs scientifiques non-mixtes, comme l'informatique, l'aéronautique ou l'aérospatial.
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L'association Elles bougent a inauguré le 12 janvier dernier sa nouvelle délégation bretonne, à Rennes. Elle fédérera les actions déjà implantées qui incitent les étudiantes à s'orienter vers des secteurs scientifiques non-mixtes, comme l'informatique, l'aéronautique ou l'aérospatial.

La dix-huitième délégation régionale s'est lancée dans la capitale bretonne, le mois dernier. Créée par Marie-Sophie Pawlak en 2005, l'association Elles bougent souhaite donner envie aux filles d'aller vers des disciplines dans lesquelles elles sont quasiment absentes, comme la mécanique, l'informatique, le ferroviaire et l'aéronautique.

Or les entreprises sont en demande d'effectif féminin. Mais l'augmentation bouge lentement : aujourd'hui, selon les statistiques réalisées par l'association, 12% de filles, qui décrochent leur baccalauréat scientifique, s'orientent en écoles d'ingénieurs tandis qu'elles étaient 10% il y a une décennie. Alors que la moitié des élèves au lycée, en classe scientifique de filière générale, sont des femmes.

L'une des explications ? Peu de monde connaît réellement les métiers d'ingénieurs. L'imaginaire de la blouse blanche, du bleu de travail ou du casque de chantier jaune est ancré dans les préjugés. Et les collégiennes et lycéennes pensent alors que ce n'est pas pour elles. L'association parisienne, qui regroupe à la fois des établissements scolaires et des entreprises des secteurs non-mixtes, en a fait son cheval de bataille.

LES MARRAINES, DES RÔLES MODÈLES

Le rôle des marraines, qui servent de modèles, est essentiel. Au total, 2 040 salariées des 45 entreprises partenaires s'adressent aux filles pour parler de leurs professions. « Je fais des interventions dans des collèges, lycées, classes préparatoires ou dans des salons d'orientation », développe Claire Vantouroux, responsable sécurité et pyrotechnie à DCNS, marraine depuis deux ans et déléguée régionale de la nouvelle antenne bretonne.

Après avoir participé à la 3e édition de la journée des « Sciences de l'ingénieur au féminin » organisée par Elles bougent et UPSTI, le 26 novembre 2015, elle a gardé contact avec les filles qu'elle a rencontrées dans un lycée de l'académie de Rennes.

« C'est sympa de voir qu'elles ont été boostées ou confortées dans leurs choix par la suite ! »
s'exclame la cadre de 28 ans qui a elle-même connu Elles bougent en terminale.

VOLONTÉ NATIONALE

44 établissements scolaires de la région ont participé à l'évènement l'année dernière, un chiffre qui s'est démarqué des 26 autres académies inscrites. La Bretagne étant très dynamique dans ce domaine. Pour cette raison, « c'était facile de lancer cette délégation, explique Annaick Morvan, déléguée régionale aux droits des femmes et égalité entre hommes et femmes. L'intérêt est de fédérer et de formaliser tout ce qui se fait déjà. »

Selon elle, l'association s'inscrit dans la continuité de la Convention académique pour l’égalité entre les filles et les garçons, les femmes et les hommes dans le système éducatif en Bretagne, signée en 2014. Une déclinaison régionale de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes mise en route depuis 2012, qui était portée par l'ancienne ministre aux droits des femmes, Najat Vallaud-Belkacem. 

Cette volonté a été renforcée par le lancement de la campagne nationale en faveur de la mixité des métiers il y a deux ans. L'objectif a été donné : d'ici 2025, 30% des métiers devront être mixtes, contrairement à 12% aujourd'hui. Cependant, Annaick Morvan le sait bien :

« La mixité en soi ne suffit pas. Ce n'est pas parce qu'on rajoute des femmes dans des entreprises qu'on lutte contre l'ensemble des inégalités. »

C'est un travail de longue haleine à faire dès l'éducation jusqu'au monde du travail afin de combattre les stéréotypes genrés.    

Travelling 2016 : Quelles représentations des femmes sud-coréennes à l'écran ?

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Le festival rennais proposait un focus sur la ville de Séoul. L’occasion de s’intéresser à la place des femmes dans le cinéma sud-coréen. Une place restreinte, loin d’être le synonyme de liberté et émancipation.
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Du 2 au 9 février se déroulait le festival Travelling, à Rennes, abordant un focus sur la ville de Séoul. L’occasion de s’intéresser à la place des femmes dans le cinéma sud-coréen. Une place restreinte, loin d’être le synonyme de liberté et émancipation.

Photos et titres nous interpellent en feuilletant le programme de Travelling. Sur 36 films, 21 femmes illustrent les synopsis. Moins flagrant, un quart de la proposition cinématographique, articulée autour de la ville de Séoul, dévoile un intitulé féminin : La vierge mise à nu par ses prétendants, Une femme libre, La servante, Une femme coréenne, The Housemaid, My sassy girl, The satelitte girl and milk cow, A girl at my door ou encore Madonna. Sans compter le nombre de résumés dans lequel figure un personnage féminin.

« C’est peut-être parce que je suis une femme que j’y suis sensible… », avance Anne Le Hénaff, responsable artistique du festival. Mais l’explication de cette tendance féminine réside ailleurs. Le décalage entre la modernité – surtout technologique - apparente de la Corée du Sud et l’image de la femme l’interpelle, le classement du pays - figurant à la 108e place sur 135 en matière d’égalité des sexes - la choque.

FEMME OBÉISSANTE

« On attribue à la femme une image associée à la femme docile, belle, soignée… Sa place dans le cinéma coréen reflète largement sa place dans la société coréenne. », précise la directrice artistique. Assignée au foyer, la femme coréenne est vouée à s’occuper de la vie familiale, soumise à son mari. Ce sera d’ailleurs le point de départ du film de Im Sang-soo, Une femme coréenne, en 2005, ou encore de celui de Han Hyeong-mo, Une femme libre, plusieurs décennies plus tôt, en 1956.

« Elle se doit d’être dévouée à la réussite de l’homme ! », souligne Anne Le Hénaff qui s’est passionnée pour le sujet et plongée dans l’histoire de la Corée du Sud, très imprégnée de la morale confucéenne. Le confucianisme étant une école de pensées initiée par le philosophe Confucius qui a infusé des siècles durant dans les pays asiatiques et a été instrumentalisé politiquement faisant régner le principe d’obéissance.

Ainsi, jusqu’aux années 70, le cinéma propose un regard machiste sur les sujets traités à travers le regard de l’homme toujours dominant. Pour la cinéphile, cette vision s’explique par le contrôle des gouvernants : « À cette époque, le cinéma coréen est sous une chape de plomb, face à un gouvernement autoritaire. » Pourtant, les mentalités évoluent et engendrent des mutations dans la représentation de la figure féminine dans le 7e art.

« Elle revient dans des histoires sur des ados, des jeunes couples. Elle peut prendre son envol mais en restant quand même à sa place. »
souligne Anne.

Quand on s’intéresse de plus près au fonctionnement de la Corée du Sud, les chances d’avenir pour les nouveaux-nés sont identiques, sans distinction de sexe. Dans l’éducation des enfants, depuis plusieurs années, il ne serait plus question de discrimination envers les petites filles qui effectuent la même scolarité et atteignent le même niveau d’études que les garçons.

FEMME AU FOYER

Le tableau s’assombrit. Après l’université, le temps du mariage et des enfants. Si les femmes débutent des carrières, celles-ci sont écourtées par leur devoir envers le cercle familial, reprendre un travail devient compromis par la suite.

Un système qui contraint aujourd’hui les Coréennes à choisir entre vie professionnelle et vie familiale, comme le dénoncent les militantes féministes Lee Seon-mi et Mok Soo-jeong dans une interview publiée en mars 2014 sur le site lesinfluences.fr :

« Quand elles se marient ou encore à l’arrivée du premier enfant, elles arrêtent de travailler ; les frais de garde de l’enfant étant souvent supérieurs au salaire perçu. Quand les enfants sont plus grands, elles reprennent un travail. Mais cette coupure d’une dizaine d’année, leur interdit de reprendre leur carrière. Elles se retrouvent donc caissière ou femme de ménage, des emplois les moins rémunérés. »

Un phénomène qui diminue, voire disparaît, avant la crise de 1997 qui frappe la Corée du Sud. Après, selon les deux femmes interviewées, le dilemme travail/mariage renait de ses cendres. Malheureusement, le pays assiste à un recul de la part de la gent féminine qui se tourne majoritairement vers le cercle familial au détriment de leur épanouissement professionnel.

FEMME OBJET

Dans cette même décennie, le cinéma inclut davantage les personnages féminins, qui restent toutefois une minorité. Et surtout l’image donnée tend à montrer une femme objet. Objet de désir, pulpeux, vénéneux… la femme coréenne est uniformisée et hypersexualisée. Elle apparaissait déjà séductrice dans La servante de Kim Ki-young, en 1960, histoire revisitée en 2010 par Im Sang-soo dans The Housemaid.

Dans les films de Hong Sang-soo, les femmes sont maitresse, amante, amoureuse, objet d’un amour fantasmé, comme dans Conte de cinéma, sorti en 2005, ou au centre d’un triangle sentimental, à l’instar de La vierge mise à nu par ses prétendants, sorti en 2002.

« Elle continue d’avoir la place qu’on lui a assignée. Mais certains films proposent quand même des regards plus respectueux, comme ceux avec l’actrice Moon So-ri, Oasis (l’histoire d’un homme qui tombe amoureux d’une jeune femme handicapée, ndlr) et Hill of freedom (un Japonais attend une ancienne amante dont il est toujours amoureux, ndlr). », soulève Anne Le Hénaff.

FEMME SECONDAIRE

Autre problématique soulevée à l’occasion du festival, le manque d’héroïnes dans les scénarios. Une carence que de nombreux cinéastes dénoncent à l’échelle internationale – comme l’ont fait quelques jours plus tôt les frères Nasser, réalisateurs palestiniens venus à Rennes présenter leur premier long métrage Dégradé en avant-première – à l’instar de la réalisatrice Shin Su-won. Jeudi 4 février, elle donnait une conférence de presse à l’Étage du Liberté :

« Les actrices le disent, elles ne reçoivent pas beaucoup de scénarios. Et c’est un phénomène en Asie, il n’y a pas beaucoup de films d’héroïnes. »

Elle-même avoue rencontrer des difficultés en tant que réalisatrice. Son rapport avec les acteurs en pâtit. « Ils ont tendance à ne pas me faire confiance, à avoir des préjugés envers moi. », explique-t-elle, adulée par son producteur qui la soutient face aux journalistes avec un sourire : « Moi, je pense qu’elle est très brillante ! »

Shin Su-won interroge de son regard critique la société coréenne et propose dans Circle Line (2012) et Madonna (2015), qu’elle présentait en avant-première les 5 et 9 février, de dévoiler des drames sociaux. Jusqu’où va le pouvoir de l’argent ? De quelles difficultés souffrent les habitant-e-s ? La réalisatrice filme les inégalités entre les classes sociales, parfois de manière radicale, pour une prise de conscience terrible mais efficace. On ne ressort pas de la projection indemne.

FEMME SANS ISSUE ?

Dans ce film, Madonna, plusieurs facettes des femmes sont mises en lumière. Discrètes, paumées, écrasées, en proie à leurs doutes, leurs faiblesses et leurs convictions, elles troublent et crèvent le cœur quant à la condition féminine qui donne peu d’espoir pour le futur.

« Je suis classée satirique comme réalisatrice. Et ça me va que les gens pensent ça. Mes films ne sont pas grand public. En Corée, ce sont principalement les thrillers qui sont investis financièrement. Avant, certains essayaient des choses différentes mais la génération de cinéaste d’aujourd’hui a du mal à survivre. », explique Shin Su-won.

Si la programmation présentait au départ une belle couleur féminine, la réalité de sa représentation calme l’enthousiasme initial. « Même quand la femme décide de prendre sa liberté, de s’émanciper, comme dans Une femme libre, et qu’elle sort du moule, l’histoire se termine de manière dramatique. Conclusion : mieux vaut rester dans le moule. », analyse Anne Le Hénaff qui trouve l’adage coréen très révélateur et symbolique de la supériorité masculine : « L’homme est le ciel, la femme est la terre. »

Le patriarcat va même jusqu’à créer des mouvements d’hommes en colère, dénonçant des discriminations par rapport aux femmes, comme en atteste l’article de Courrier International daté d’avril 2015, « La ‘’haine des femmes’’ prend de l’ampleur ». Seong Jae-gi, défunt fondateur de Solidarité des hommes, en 2008 (rebaptisé depuis Solidarité pour l’égalité des sexes), proteste contre les prétendus privilèges accordés aux femmes dont : « les quotas (d’emploi dans les administrations), les installations réservées aux femmes (dans les transports et les espaces publics), le ‘’congé menstruel’’ (un jour par mois), etc. Et surtout elles ne sont pas soumises au service militaire obligatoire, contrairement aux hommes (la norme étant de deux ans). »

Pour M.Kim, actuel président de l’organisation, « Seong Jae-gi a eu le courage de violer un tabou en accusant les femmes au pouvoir au risque d’être ridiculisé et méprisé, y compris par les hommes qu’il essayait de défendre. Il a défendu la cause jusqu’à la mort, celle-ci ne doit pas rester vaine. »

Les deux militantes féministes, Lee Seon-mi et Mok Soo-jeong, reconnaissent quelques évolutions en matière de droits de femmes, notamment sur l’intérêt qu’accordent à présent les journaux politiques à des sujets tels que le stress de la femme au foyer ou la pénibilité du travail. Toutefois, elles se montrent bien pessimistes quant au pouvoir en place, la Corée du Sud étant présidée depuis 2012 par une femme, Park Geun-Hye, fille de l’ancien dictateur, Park Chung-hee, toujours très en prise au confucianisme et donc aux valeurs de fidélité à la famille.  

Célian Ramis

Trans Musicales 2015 : Monika, déferlante de bonne humeur

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Parc Expo, Rennes
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Samedi 5 décembre, dernier soir des Trans au Parc expo de Rennes. Monika assure le show et prouve que sa notoriété en Grèce est justifiée de par son talent.
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Samedi 5 décembre, dernier soir des Trans Musicales au Parc expo de Rennes. À peine 1% de femmes programmées sur l’ensemble des 4 halls. Pour chance, mais qui n’excuse en rien cette inégalité, Monika a assuré le show et prouvé que sa notoriété en Grèce, son pays d’origine, était justifiée de par son talent.

Depuis l’annonce de la programmation des Trans, sa chanson « Secret in the dark » – également titre de son 3e album, sorti le 13 novembre – circule. Disco entrainant, on se prête au jeu, on se déhanche et on imagine que son concert sera un enchainement de chansons du genre.

Monika Christodoulou nous prouve que l’on avait tort de penser ainsi. Car la chanteuse grecque dévoile une palette bien plus nuancée et plus complète que cela et gère le rythme de son set de manière à nous la faire découvrir sans lenteur, sans redondance et sans frustration.

Pour son premier concert en France, elle foule la scène des Trans Musicales, accompagnée d’un batteur, d’un trompettiste, d’un bassiste et d’un guitariste. Les sonorités jazzy se mélangent à des premiers morceaux folk rock qu’elle alimente d’une belle voix grave qui résonne dans le hall 3, rempli de spectateurs-trices envouté-e-s par la proposition.

L’ambiance est paisible sur les premières notes. Le public est saisi par la particularité de ce qui pourrait s’apparenter à un hymne porté simplement par la voix, et soutenu par la batterie qui intensifie la profondeur du chant. Monika, debout, droite, main sur le cœur, air grave. On ne peut décoller le regard de la chanteuse et se concentrer sur rien d’autre que la pureté de ce qu’elle renvoie en émotion. Une émotion forte et poignante, renforcée par la vision de son poing serré, tremblant, et de sa musculature contractée.

Elle enchaine en se rapprochant du public, descendant dans l’espace réservé aux photographes séparant le public de la scène, pour une « song d’amour ». Et éloignée de son micro durant une poignée de seconde, elle fait entendre la beauté de sa voix saisissante, à laquelle elle mêle ballade romantique et sonorités traditionnelles, lors d’un instant magique qui marque nos esprits.

De retour sur la scène, elle sonne le coup d’envoi vers des chansons teintées de disco. Musique et danse se mélangent, une bulle se forme autour du hall, le temps s’arrête, on vit l’instant présent sans penser à rien d’autre. Munie de sa guitare, elle balance un disco empli de funk tout en gardant son empreinte vocale rock et soul. Rien ne bascule jamais dans la démonstration et l’équilibre du groove et de l’émotion, transmise à travers une sensation de bien-être, nous fait chavirer.

Le côté Madonna dans Evita à la fenêtre pour entamer « Don’t cry for me Argentina » au début de la chanson « Shake your hands » est magistral et immédiatement suivi d’une rupture dans le rythme du morceau. La voilà qui sautille et parcourt la scène en dansant, derrière les musiciens. Une déferlante de bonne humeur a envahi l’espace de notre bulle et le public, timide au départ, reprend le refrain avec plaisir et enthousiasme.

Son spectacle est fort, percutant, emprunt de sensualité dont elle ne joue pas ni n’abuse dans un jeu de séduction naturel. De la spontanéité, Monika en déborde, rien ne semble too much et on apprécie son lâcher prise, même quand elle oublie les paroles et se ressaisit avec force et rage pour livrer au public les dernières notes de son concert qui se clôt, après l’excellente « Secret in the dark », sur une chanson qui allie une intro sonnant légèrement à la Abba, des airs traditionnels grecs et une partition très rock sur la suite.

Pour son premier concert en France, la chanteuse-musicienne marque les esprits du public des Trans Musicales. Son énergie communicative séduit instantanément et ne nous quitte pas de la soirée. Une révélation qui nous laisse sans voix mais nous emplit d’espoir et d’optimisme.

Célian Ramis

Trans Musicales 2015 : Danse alternative et cinématographique

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La Triangle, Rennes
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Le crew féminin Swaggers livrait une version spéciale et incroyable de leur création "In the middle", au Triangle, le 4 décembre dans le cadre des Danses aux Trans.
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Dix ans que la danse s’invite aux Trans Musicales. Vendredi 4 décembre, le Triangle accueillait le crew féminin Swaggers pour une version spéciale et incroyable de leur création « In the middle ».

Quand le hip hop rencontre l’art contemporain, quand la danse devient un concert, quand le spectacle se transforme en film… La liste pourrait être longue. Car Marion Motin en a sous le pied, dans le bide et dans la caboche et ne cesse de construire de nouveaux univers. Chorégraphe et danseuse, elle est une pointure dans son domaine.

En 2009-2010, elle décide d’insuffler un élan féminin au milieu hip hop, secteur à l’origine – et encore aujourd’hui - très masculin. Ainsi, elle crée le crew Swaggers, composé exclusivement de danseuses. « Tous mes mentors étaient des hommes. J’ai voulu fédérer les femmes, leur permettre de faire des battle entre elles, de s’imposer. », explique Marion Motin.

L’art de s’imposer, elles en maitrisent les rouages pourtant aléatoires, jamais certaines que le succès sera au rendez-vous. Mais leur création, longue de 20 minutes supplémentaires pour les Trans Musicales exceptionnellement (1h au total), est le fruit d’un travail collaboratif et marque surtout un désir de s’affranchir des codes. De ne pas rentrer dans les cases, ni dans les catégories simplistes et réductrices.

SHOW CINÉMATOGRAPHIQUE

De la scène peu éclairée se distingue une silhouette. La salle est plongée dans le noir, le public dans un silence emprunt de curiosité. Une femme, seule, lookée comme une indienne d’Amérique, chante a capella et donne immédiatement le ton. Entre puissance vocale, maitrise de la technique, note d’humour sur fond d’attitude diva, elle est la bande-annonce d’un show innovant et palpitant.

Et c’est sur une chanson des Doors, « This is the end », que les danseuses entrent en scène, presque les unes après les autres, d’un pas lent, parfaitement mesuré. Vêtues de trenchs et de chapeaux, elles nous transportent sur un autre continent, à l’époque des western et des saloon, le ralenti accroissant l’impression de duels à venir.

Tout de suite, le jeu de lumière, flirtant avec les nuances feutrées et brumeuses et maniant le contraste du clair-obscur, nous permet de pénétrer dans un univers fascinant dont l’esthétique se rapproche de celle d’un film expérimental.

Les mouvements sont synchronisés, longs et aboutis, tantôt lents, tantôt accélérés. En permanence pleins d’énergie. Et toujours une danseuse s’en détache, semblant perdre le fil et chercher son équilibre. Corps et esprits momentanément en décalage, les danseuses pourraient être assimilées à des marionnettes dotées de pensées, de réflexions et de libres-arbitres, dont les ficelles invisibles seraient tirées de chaque côté de la scène.

« La base de cette pièce, c’est de trouver notre équilibre, dans nos vies comme dans un groupe de danse. », souligne la chorégraphe du crew. L’équilibre physique comme l’équilibre intérieur. D’où l’alternance des rythmes, qui jamais ne vacille et qui ne cesse de nous laisser bouche-bée, happés par la singularité de cette danse « qui commence ‘straight’ » pour ensuite les laisser disparaître jusqu’à pouvoir se transformer en notes de musique, en instrument, en émotions…

VOYAGE TRANSÉMOTIONNEL

Car les danseuses incarnent leur chorégraphie, dans laquelle plusieurs séquences se succèdent, « comme des minis clips indépendants, sauf que pour nous, qui avons toutes notre histoire, l’ensemble fait sens. » L’atmosphère est envoutante. Il y a de la folie, des corps et des esprits possédés, de la joie et de la légèreté mais aussi de l’aisance, du soulagement, de l’apaisement, du tâtonnement.

Les musiques, comme celle des Pixies, « Hey », appuient et renforcent les sentiments dévoilés et théâtralisés. Sans oublier l’importance des lumières, qu’elles soient faisceaux linéaires et horizontaux, pour ne saisir que des expressions faciales ou des parties du corps insinuant ainsi l’évaporation des danseuses, ou qu’ils soient un rond de battle ou des carrés colorés de show artistique complet. Toutes mettent en valeur des différences et des personnalités propres à chacune des individues présentes sur la scène de la cité de la danse.

Les spectateurs-trices voyagent d’un genre à l’autre, grâce au mélange de danse contemporaine, de hip hop, de krump ou encore de house, mais aussi d’une ambiance à une autre. On passe ainsi du saloon à la plage de sable fin, bordant la Méditerranée. D’une battle hispanique quasi flamenca à une culture plus urbaine d’Amérique du Sud. Pour finir en divas féminines-masculines.

Les Swaggers se jouent d’une dualité entre douceur et urgence et mêlent dans les danses des sentiments personnels exprimés avec justesse et générosité, et parfois même des sourires lâchés par le bien-être du moment et l’adrénaline de la prestation alternative. La signature de Marion Motin ne passe pas inaperçue, puisant dans toutes ses influences et expériences, que ce soit en tant que danseuse aux côtés de Madonna ou en tant que chorégraphe de plusieurs clips de Stromae et de Christine and the Queens.

« Avec eux – Stromae et Christine – je suis dans l’échange. Je donne mon interprétation et ils me donnent la leur. Forcément, cela laisse des séquelles sur ma corporalité et pareil pour eux. », répond la chorégraphe quand on souligne que ces deux artistes sont également reconnus pour la spécificité de leur danse.

La beauté esthétique du spectacle se rend l’égale et l’alliée du talent des danseuses qui maitrisent le mélange des genres en terme de danses urbaines-contemporaines. L’occasion pour elles de s’en affranchir pour les chambouler, et nous au passage. Une découverte qui laisse une trace dans nos esprits, un choc optimiste et bénéfique.

Célian Ramis

Femmes DJs : Quelle place pour elles ?

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Rennes
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Le sexe n'est pas un critère de talent. Mais être un homme semble favoriser la mise en lumière lors des soirées et festivals. Les musiques électroniques ne font pas exception. Enquête auprès des Djettes et des programmateurs musicaux.
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Le secteur de la musique n'échappe pas au sexisme. Lorsque les femmes sont mises en avant, c'est souvent pour leur physique, et non pour leurs qualités artistiques. Et les médias contribuent aveuglément à ce système. Dans les concerts ou les festivals, elles sont très peu programmées. À cause de leur faible nombre ? Ou d'un manque de compétences ?

YEGG a rencontré une dizaine de Rennaises Djs et des programmateurs artistiques pour comprendre ce phénomène flagrant, en particulier dans les musiques électroniques. Les clichés de genre restent bien ancrés, surtout dans l'esprit des premières concernées. Certaines refusent de jouer par peur de paraître « trop » féminines ou de ne pas savoir faire. Ce qui contribue à cette sous-représentation mais n'explique pas tout. Pas question non plus pour elles de promouvoir le fait qu'elles soient des femmes.

Les programmateurs ainsi que Béatrice Macé, co-dirigeante de l'association des Trans musicales (ATM) qui chapeaute l'Ubu, salle historique des musiques actuelles dans la capitale bretonne, refusent également une binarité hommes-femmes. Or, ces Djs, tout aussi talentueuses, méritent autant leur place que les hommes mais y accèdent peu. Ce paradoxe n'est pas propre à la musique. Au contraire, il semble révélateur du fonctionnement global de notre société.

Jeudi 24 septembre, 22h30. Le bar Le Chantier, en bas de la place des Lices, se remplit au fur et à mesure que les sons de basses augmentent. Ce soir-là, Midweek fête sa « Midweek des familles », soirée de retrouvailles « entre copains ». Trois membres de cette association rennaise, chargée d'organiser des évènements de musiques électroniques, créée en 2012, mixent chacun leur tour : Antoine Pamaran, Tristan MDWK et Vanadis.

L'ambiance de la salle aux murs orangés se réchauffe ; les pintes de bières se passent de main en main, le premier rang se déhanche en rythme. Après un premier passage en début de soirée, Vanadis mixe à nouveau. Derrière les platines vinyles et cds, posées sur une planche en bois et deux grands tonneaux de chantier, la Dj choisit les prochains morceaux qu'elle va diffuser.

Son énergie est communicative. Véritable pile électrique lors de son set, la jeune femme brune bat le rythme avec sa jambe gauche, bouge les bras et chante sur ses lèvres les paroles des chansons qu'elle passe. Au bout d'un quart d'heure, Antoine et Tristan la rejoignent sur l'estrade pour préparer les vinyles et mixer quelques morceaux. Une parole échangée, un regard entendu, la complicité entre les trois personnes se ressent derrière les tourne-disques.

« Il y a deux ans, je venais juste d'arriver à Rennes et je voulais m'investir comme bénévole dans le milieu des musiques électroniques. J'ai envoyé un message à Midweek car je trouvais leur programmation cool. Cela a très vite collé et c'est parti directement ! Les gars m'ont dit : "ça te dirait pas de mixer ?" et ma première date s'est faite en avril 2014 au Bar'Hic », se souvient Vanadis, de son vrai nom, Morgane Deturmeny.

La jeune femme de 22 ans, qui a pratiqué du piano petite, a acquis son oreille musicale grâce à son père, dévoreur de disques. Au lycée, l'étudiante s'est plus tournée vers l'électro, même si elle se qualifie comme une « grosse boulimique de sons » en tout genre : « Je ne peux pas passer une journée sans en écouter ! Je passe vraiment par tous les styles pour aller à la recherche de la petite pépite. »

Morgane a commencé à mixer par hasard. C'était, au départ, pour s'amuser avec son cercle d'amis. Ce parcours, les femmes Djs rennaises l'ont toutes eu, à quelques différences près. L'univers du mix s'est ouvert à elles par la pratique artistique ou grâce à des proches, qui leur ont prêté du matériel et des vinyles pour s'entraîner.

Certaines, comme Dj Miss Blue, ont usé, adolescentes, des semelles dans des concerts ou des festivals. « Depuis mes seize ans, je fais les Trans Musicales chaque année ! Je n'ai loupé le festival qu'une seule fois car j'étais à l'étranger », raconte cette trentenaire, lunettes bleues relevées sur ses cheveux blonds et vêtements indigo. Cette dernière tient son nom de scène à son prénom breton, Bleunienn, signifiant bleu, et a créé la majeure partie de son personnage sur scène autour de cette couleur.

De sa culture familiale bretonnante, elle en a créé un style musical, le « Breizh'n'bass » dans lequel elle mélange danses traditionnelles bretonnes et drum'n'bass : « En m'entraînant dans le garage et en puisant dans la bibliothèque de ma mère, je suis tombée sur les vinyles des sœurs Goadec, d'Alan Stivell et des Frères Morvan. Et je me suis rendue compte que les structures des morceaux de musique électronique collaient complètement avec le plinn et la gavotte. »

En 2006, la demoiselle bleue quitte son travail d'institutrice et se lance comme Dj. En une dizaine d'années, sa musique s'est très rapidement exportée à l'étranger, en Asie et aux États-Unis, pour animer des évènements en rapport avec la Bretagne, sa région natale dont elle parle couramment la langue.

Katell a également tourné sur la scène locale et hors des frontières. Mais, contrairement à Miss Blue, la jeune femme brune tatouée n'a jamais souhaité en vivre et ne le considère pas comme un métier, bien qu'elle mixe depuis onze ans. Elle préfère garder cette activité à côté, sans avoir la pression du nombre d'heures pour obtenir le statut d'intermittente du spectacle.

Partenaire de platines et amie de Katell, Menthine approuve : « Mixer, c'est comme une drogue ! Tu peux être derrière tes platines pendant des heures et des heures et ne pas t'en rendre compte. Il y a des heures de travail au compteur... Mais les cachets ne sont pas suffisants pour en faire un salaire et le temps ne le permet pas. »

COMMUNAUTÉ MUSICALE HIÉRACHISÉE

Être Dj, c'est surtout faire partie d'une « grande famille », celle des musiques électroniques. « Il y a un aspect très communautaire. Le son arrive comme un trait d'union entre les gens qui tendent vers une organisation commune », témoigne Katell, qui a beaucoup côtoyé le monde des « sound system » et des « free party ». S'y intégrer, en tant que femme, n'a jamais posé problème. « Nous n'avons jamais bagarré pour avoir notre place », répondent en chœur Menthine et Katell.

« On dit même merci aux gars, sans eux on aurait jamais eu de platines ! », s'enthousiasme Menthine, qui a animé les émissions électro Open Fader sur Radio Campus Rennes (RCR) et organisé les soirées du même nom de 2006 à 2015. Miss Blue ne s'est, elle, jamais posé la question : « Je ne m'en rends pas compte, je fais mon métier et je suis un peu dans ma bulle. »

"Tu joues bien pour une fille !" Cette remarque a pourtant parfois été dite après leurs passages. Des comportements qui leur indiquaient qu'elles restaient des femmes avant tout. Mac l'Arnaque, qui mixe du hip-hop et du rap depuis 2009, l'a ressenti une seule fois :

« Alors que je jouais, un jeune homme, en train de danser, s'est retourné, m'a regardé et est directement parti. »

Autre constat : une pression supplémentaire est souvent mise sur la technique lorsque les femmes jouent. « Quand on est exposées comme ça, en tant que femme, des connaisseurs viennent, par curiosité, pour voir comment on s'en sort. Cela met forcément un peu la pression », reconnaît Mac l'Arnaque, casquette enfoncée sur la tête, qui ne souhaite donner ni son nom civil ni son âge. Anecdotiques, peut-être, mais ces actes n'auraient jamais été faits à des Djs masculins. Menthine rétorque : « C'est le jeu et je préfère m'en amuser ! »

Dans cette « grande famille » électro, à Rennes, une partie rayonne, l'autre reste dans l'ombre. Et c'est dans cette deuxième catégorie que les femmes seraient le plus nombreuses. Elena Tissier, 25 ans, qui se produit en tant que The Unlikely Boy, le remarque :

« J'ai du mal à citer beaucoup de noms de femmes Djs à Rennes, on se sent un peu isolées. »

Et cela se retrouve dans les programmations musicales de la ville. Les femmes aux platines se font rares. Cédric Bouchu, alias Dj Ced, qui tourne à Rennes depuis 20 ans, en fait le constat. Ayant commencé à mixer à l'âge de 17 ans au Saint Georges, il n'a jamais été sur le même plateau qu'une fille alors qu'il a « fait facilement plus de 1000 dates ».

FAVORISER L’ARTISTE ET NON LE GENRE

Également programmateur du festival I'm from Rennes, qui met en avant la scène rock et électro depuis 2011, Ced l'avoue : « Des femmes Djs, il y en a très peu cette année... ». La quatrième édition, qui s'est étalée du 16 au 26 septembre, comptait seulement Valandis et Mr. et Mme Henri, un duo mixte.

Bien que le manque de femmes interroge l'équipe organisatrice masculine, ce n'est pas prioritaire lorsqu'ils constituent la programmation. Cédric Bouchu s'en défend : « Il n'y a que l'artistique qui nous intéresse, nous n'avons pas envie de faire un quota avec 50% d'hommes et 50% de femmes. »

Pourtant, la quinzième édition du festival Maintenant, qui fait des passerelles entre art, musique et technologies, prouve qu'il est possible de programmer autant d'hommes que de femmes Djs, sans faire de quota.

Cette année, du 13 au 18 octobre, elle donne un coup de projecteur à la scène locale Dj, lors de ses « Ambiances électroniques », à la Salle de la Cité. Sur six Djs, trois sont des femmes : The Unlikely Boy, Vanadis et Knappy Kaisernappy. « C'est involontaire, il n'y a pas de recherche de parité », réagit Gaétan Nael, programmateur du festival et adjoint à la direction de la salle de musiques actuelles, l'Antipode.

Pour élaborer chaque programmation, il rencontre les personnes, se déplace à leurs concerts ou les écoute sur Internet : « Je ne me focalise pas sur le sexe, je ne fais pas de calcul. L'objet du festival, c'est de révéler des choses peu montrées ainsi que de partager des coups de cœur. Si on peut donner la visibilité que les femmes méritent, tant mieux ! Car elles travaillent, elles cherchent des morceaux, elles ont une capacité à partager avec les gens, elles ne cherchent pas la facilité. »

Privilégier l'artiste par rapport au genre, ce discours d'une musique asexuée n'est pas nouveau. Et cette volonté vient autant des programmateurs que des femmes elles-mêmes.

« Je pense qu'il n'y a aucun artiste, homme ou femme, qui aurait envie d'être booké pour une histoire de quotas, en tout cas, j'espère que ce ne sera pas mon cas car je trouve ça extrêmement réducteur », développe Elsa Quintin, alias Knappy Kaisernappy, interviewée dans la trentième émission Technosaurus, qui se consacre à la place des femmes dans l'électro, diffusée le 2 juillet dernier sur la radio nantaise, Radio Prun.

L'artiste préférerait plutôt se concentrer uniquement sur le projet artistique :

« Il existe plein de manières d'incarner son son, qu'on soit un mec ou une nana cela ne change rien ! Je trouve qu'en France, la question du genre est trop binaire. »

L'ÉLECTRO SE DÉMOCRATISE

À Rennes, la scène électro se développe énormément depuis ces cinq dernières années, bien qu'elle soit présente en terre bretonne depuis le début des années 90. Elle s'est plus institutionnalisée grâce à l'autorisation de la municipalité, comme c'est le cas pour les « Rencontres Alternatives », teknival qui a lieu à la Prévalaye depuis cinq ans. Une tendance qui n'est cependant pas propre à la ville mais due à une impulsion nationale.

« Depuis deux, trois ans, l'Ubu, l'Antipode... Tout le monde s'y met ! Ça se démocratise. L'électro arrive même dans les festivals populaires et familiaux comme les Vieilles Charrues et Rock en Seine, qui touchent toutes les générations », analyse Katell, installée à Rennes depuis quinze ans. La demande vient également des bars, à la recherche de Djs. D'après Mac l'Arnaque, qui a mixé en inter-plateaux aux Trans Musicales en 2014, ces derniers sont plus accessibles pour se produire que trouver une résidence.

« De nombreux collectifs ont toujours existé sur des esthétiques différentes comme la noise, la techno ou la drum'n'bass. Le bassin étudiant rennais a toujours permis un renouveau »
tient à rappeler le programmateur de l'Antipode.

L'effervescence autour de ce style musical multiplie les initiatives. Au 1988 Live Club, qui coordonne toute la programmation de la discothèque Le Pym's, c'est de cette façon que les soirées « elektro » se sont instaurées tous les vendredi soirs.

Si ce courant est autant en vogue, c'est grâce à l'arrivée des nouvelles technologies qui le rendent à portée de main et de clavier. « Avant, on apprenait à mixer et à caler en même temps les disques vinyles. Désormais, il faut seulement mettre les morceaux qui vont ensemble et qui ont une bonne rythmique. La technique est moins dure », développe Katell, qui mixe toujours avec uniquement des vinyles.  

À LA RECHERCHE DES FEMMES DJS

Decilab, Pulse, Social Afterwork, Midweek... Toutes ces organisations rennaises « très très masculines », selon The Unlikely Boy, dessinent le paysage électro le plus visible de la ville. La solution pour le transformer ? « Je pense qu'il faut lancer le mouvement », affirme Vanadis.

Ces dernières années, de nouveaux noms féminins sont apparus sur les affiches. « Plus on y réfléchit, plus on se rend compte qu'il y a pas mal de nanas Djs ! Rennes est un grand village », sourit Katell. « Pourvu que ça dure, que ce ne soit pas juste un effet de mode », espère Menthine.

Si les femmes Djs restent moins visibles, ce serait à cause des réseaux majoritairement masculins des programmateurs, avance Carole Lardoux, directrice artistique de la salle du Carré Sévigné, à Cesson-Sévigné :

« Je ne crois pas qu'il y ait d'actes volontaires de leur part de ne pas programmer de femmes. Parfois, ce sont des réseaux d'affinités et de sensibilité artistique. Il faut être à la croisée des réseaux afin de leur porter une attention tout aussi particulière. Il y a beaucoup de femmes qui créent, il faut juste y avoir accès. »

Pour beaucoup, programmer autant de femmes que d'hommes semble facile. Noëmie Vermoesen, qui mène une thèse sur les musiques électroniques à l'université Rennes 2, était de cet avis-là : « Je disais : "Ils font chier les programmateurs, on peut trouver des nanas !" ».

L'ancienne animatrice à Canal B de l'émission Track/Narre a déménagé à Berlin cet été. Depuis, la doctorante organise toutes les trois semaines une soirée électro où, une fois sur deux, l'artiste est féminine :

« C'est beaucoup plus compliqué que ce que je pensais. C'est important qu'il n'y ait pas que le critère « nana », il faut qu'il y ait quand même des affinités artistiques et personnelles avec la personne. »

Alors, les femmes Djs ont décidé de se les créer elles-mêmes, ces réseaux. En 2010, Mac l'Arnaque a crée le collectif rennais « Girls do it better » avec deux autres Djettes, Dj TFlow et Fckn Mood. « Quand il y a des filles Djs, on fait une petite veille mais on ne veut pas créer un cercle de Djettes. Ce n'est pas parce que t'es une fille qu'on va faire des choses ensemble mais on se serre les coudes, qu'on le veuille ou non », indique-t-elle. L'année dernière, Katell et Menthine ont appelé leur nouvelle formation duo, Las Gatas Electronicas, qui signifie en français « Les Chattes Électroniques ».

Ces noms, quelque peu provocateurs, ne se veulent pas revendicatifs. « On ne se prend pas au sérieux ! », rigole Menthine. Ces rassemblements permettent surtout de se regrouper par projets communs. Depuis neuf ans, Miss Blue fait partie du collectif international Geishaz, qui met en relation uniquement des femmes qui mixent : « Aux États-Unis, c'est moins exceptionnel qu'une fille soit Dj. » Geishaz est surtout un moyen d'entraide pour se trouver des dates.

S'AFFIRMER DANS UN MILIEU MASCULIN

« La seule différence que je vois entre une femme et un homme Dj à Rennes, c'est que beaucoup de Djs hommes se manifestent à nous, là où une femme est plus réservée et ne va pas oser », remarque Gaétan Nael.

Ce problème de confiance en soi et d'auto-censure est surtout dû à un conditionnement typiquement féminin, qui tend à se dévaloriser et se sentir illégitimes. « Beaucoup de filles qui sont à fond dans le son me disent : "Je ne saurai pas faire" », remarque Vanadis. Les stéréotypes de genre ont la vie dure :

« Il y a moins de filles qui jouent, je ne pense pas que cela vienne de l'extérieur. Les nanas ne s'y mettent pas trop car elles pensent que c'est réservé à la gente masculine, comme le bricolage ! »
rigole Menthine.

« Ce n'est pas parce qu'il y a des câbles et des ordinateurs qu'une fille ne peut pas le faire », lance The Unlikely Boy. 

Il faut donc une volonté de fer pour s'affirmer dans un milieu majoritairement d'hommes. « Dans la musique, les femmes doivent tout le temps avoir des forts caractères. Chez les mecs, il y en a des assez timides derrière les platines. Une meuf, elle, elle sait ce qu'elle veut ! », compare Cédric Bouchu. Et les femmes Djs de la capitale bretonne le savent. Quitte à s'y conformer et favoriser leur côté plus masculin.

« Je suis un peu garçon manqué, j'ai très peu d'amies, la plupart sont des mecs », reconnaît Vanadis. Sur scène, Mac l'Arnaque ne veut pas du tout valoriser sa féminité : « J'ai baigné dans la culture urbaine, je m'habille avec des casquettes et des baskets. » 

Or faut-il nécessairement mettre de côté sa féminité pour jouer ? Cette question a posé problème à Juliette, l'animatrice de l'émission nantaise Technosaurus. « J'ai rapidement abandonné l'idée de mixer car je ne voulais pas renvoyer l'image de la fille faiblarde qui ne cache pas du tout sa féminité. Ma phobie, c'est d'être classée comme "pétasse de la techno". Je me suis moi-même arrêté aux a priori que je dénonce. Alors, oui, on peut être une petite meuf en sucre, avoir sa féminité et être une bête derrière les platines », raconte-t-elle dans sa trentième émission.

Cependant, les fantasmes des programmateurs sur les Djettes existent bel et bien. « Une femme Dj va tenir une sorte de faire valoir, les mecs la programment car elle est jolie. Je sais que c'est quelque chose qui se fait », avoue Sylvain Le Pennec. « Certains programmateurs, quand on dit Djette, ils voient tout de suite une personne girlie, bien apprêtée et canon », rajoute Mac.

SOIRÉES FÉMININES, MARKETING OU LEVIER VERS LA VISIBILITÉ ?

Pour cette raison, les soirées Djs « 100% filles » sont encouragées car elles deviennent des arguments marketing. Le collectif France Téléconne en a fait l'expérience lorsqu'il a démarché les bars de Rennes pour organiser sa soirée « 100% meufs ». « Nous n'avons jamais eu de refus catégorique, les gens sont plutôt enthousiastes, note Adélaïde Haslé, la programmatrice. Mais ils trouvent ça trop cool car on est des filles, c'est comme si ils venaient voir un spectacle ! » Jeanne Marie Heard, deuxième tête pensante du collectif, rajoute : « Mais on s'en tape un peu, on s'affranchit de ça ! »

L'envie de cette soirée : s'amuser. Alors, ce collectif de « fêtardes et pochardes », comme elles se définissent, a mis en place un moment festif dans lequel les filles, la plupart inexpérimentées, pourront mixer pour le plaisir, le 28 novembre, au Bar'Hic.

« On passe la même musique que les mecs alors on estime qu'on a autant notre place dans le milieu »
développe Adélaïde, 34 ans, grande consommatrice de concerts avant d'être Dj.

Passer par la petite porte, plutôt que d'attendre, telle est leur philosophie. « L'idée n'est pas de nier les différences entre les hommes et les femmes mais ce n'est pas parce qu'on n'est pas pareils qu'on ne doit pas avoir les mêmes places », estime-t-elle.

Revendiquer des soirées 100% féminines dérangent les programmateurs. Sylvain Le Pennec parle d'effet « hyper pervers » : « En disant cela, on dessert la cause car on ne met en avant que des noms ». Même discours du côté de Gaétan Nael :

« Le clivage sera plus important si on oppose hommes et femmes. Un bon artiste est un bon artiste, qu'il soit homme ou femme. »

UN BON ARTISTE RESTE UN HOMME

Le souci vient de là : si un bon artiste est repéré, il effectue beaucoup de dates. Alors que le vivier se féminise de plus en plus, pourquoi aussi peu de femmes sont programmées ?  Publiées en 2013, les statistiques du collectif berlinois female:pressure parlent d'elles mêmes : les femmes ne représentaient que 8,4% de têtes d'affiches des festivals électros internationaux. 

« Nous pensons qu'il est inacceptable qu'au 21ème siècle, nous en soyons encore à constater que nous sommes parfois la seule femme figurant au programme d'un grand festival. Nous connaissons un grand nombre de collègues femmes tout aussi intéressantes les unes que les autres et nous pensons que le public par ailleurs très mixte, mérite d'entendre ces artistes », écrit le collectif dans un communiqué de presse publié le 8 mars 2013, pour la journée des droits des femmes.  

Organiser des évènements uniquement féminins a, pourtant, un effet sur la programmation. Pour preuve, en ajoutant les festivals « 100% femmes », la barre des 10% est atteinte.

Dans la même dynamique, Alice Cornélus a fondé en 2012, le réseau Women Multimedia Network !, qui soutient activement et communique sur les artistes féminines des arts numériques dont l'électro. Sa devise : « Ce n’est pas une question de genre mais de visibilité ! ».

LENTE PRISE DE CONSCIENCE

Malgré tout, le milieu des musiques électroniques évolue. C'est, en tout cas, ce que considère Noëmie Vermoesen, qui voit les changements à la fois en France et en Allemagne :

« Il y a une vraie prise de conscience et un changement de mentalités dans le milieu. De plus en plus de mecs s'en rendent compte et n'abordent plus le truc de la même façon. »

En un an, les chiffres de female:pressure 2015 montrent eux aussi une amélioration. L'année dernière, 10,8% de femmes se partageaient l'affiche de festivals.

Le milieu musical, en particulier des musiques actuelles, s'intéresse de plus en plus à cette problématique. Des artistes féminines occidentales poussent régulièrement des coups de gueule sur le sexisme ambiant. Dernier exemple marquant : l'artiste islandaise Björk en janvier dernier. Interviewée par le magazine Pitchfork, elle rapporte le conseil qu'elle a donné à la rappeuse M.I.A lorsqu'elles se sont rencontrées :

«[...] Je lui ai dit : Prends-toi en photo devant une table de mixage dans un studio, et les gens se diront "Oh, ok ! Une femme avec une machine, comme un homme avec une guitare."» Depuis, de nombreux blogs, comme Visibility et celui de female:pressure, ont été ouverts sur lesquels les musiciennes publient des photographies d'elles en train de travailler.

SECOND RÔLE POUR LES FEMMES

« L'évolution à Rennes, je la sens comme je peux la sentir dans la société française, ça s'ouvre petit à petit avec une volonté gouvernementale », commente le programmateur du 1988 Live Club. De plus en plus de femmes s'orientent, en effet, dans le milieu musical, que ce soit sur scène ou à la technique.

Cependant, elles restent toujours cantonnées au second rôle. « Les nanas sont dans les chœurs ou jouent du tambourin. C'est souvent aussi l'image de la groupie, la copine du chanteur ou celle qui s'occupe du catering..., rit jaune Adélaïde du collectif rennais France Téléconne. Elles ne se trouvent pas aux places fortes comme à l'organisation. Nous sommes les seules avec Nate & Jojo à programmer des concerts électro. Tout est lié au sexisme de notre société, la musique ne déroge pas à cela, bien que ce soit pourtant censé être plus ouvert. »

Alors que le secteur devient plus paritaire, les femmes restent bien souvent en arrière-plan, qu’elles le veuillent ou non. Alors on repose la question : Pourquoi cette évolution n'écarte-t-elle pas le fait qu'un Dj, ou plus généralement un artiste, reste toujours un homme, par défaut ?

 

Co-directrice de l’Association Trans Musicales, elle gère depuis plus de 37 ans les célèbres Rencontres Trans Musicales à Rennes et assume sans complexe d’être la femme de l’ombre, au profit de Jean-Louis Brossard, directeur artistique.

YEGG : D’où venez-vous et êtes-vous issue d’un milieu musical ?

Béatrice Macé : Je viens de Dinan, je suis arrivée à Rennes après mon bac. Je voulais faire des études d’archéologie mais j’ai fait latin, grec, histoire de l’art. Je devais faire ma licence et partir à Paris mais les Trans sont nées avant. Et comme je n’étais pas majeure, la majorité était à 21 ans à l’époque, mes parents n’ont pas voulu que j’y aille. Pour le milieu culturel, on était plutôt branchés bouquins, patrimoine, histoire. J’ai une grand-mère pianiste et un père saxophoniste mais, petite, j’ai refusé de faire le Conservatoire. J’ai refusé car il y allait avoir les mêmes filles qu’à l’école. Ça m’énervait.

Pourquoi ?

Être à nouveau en compétition… J’ai 57 ans aujourd’hui alors là je vous parle d’une époque avant 68. Il y avait une culture académique. À  la maison, mon père écoutait du classique, du jazz. Il avait fait pas mal de concerts à Paris. C’était quand même très classique. J’ai regretté plus tard de ne pas être allée au Conservatoire, je me suis mise au piano mais j’ai abandonné car je n’avais aucun don pour ça. J’étais beaucoup plus dans les bouquins et les musées.

Dans quel contexte est né le trio avec Jean-Louis Brossard et Hervé Bordier ?

Il y avait peu de concerts de musiques actuelles à Rennes. Il y avait moins de 20 concerts à l’année. Rien à voir avec l’effervescence de maintenant ! Aujourd’hui, plus personne n’a conscience de ça. C’était de la musique académique qui passait. J’ai rencontré Jean-Louis à la fac, à Villejean et on a gardé le contact. Lui, il avait déjà rencontré Hervé. Jean-Louis achetait déjà beaucoup de disque. Comme moi, il venait d’une culture hyper classique mais dès qu’il a découvert le monde du rock il s’y est mis à fond, d’abord en écoutant la radio, et ensuite en achetant les disques.

Je n’ai pas une grande culture musicale dans ce domaine, à part The Doors, Hendrix, Neil Young, j’avais repéré aussi la musique black avec Otis Redding, Aretha Franklin… Mais bon j’étais branchée Louvre et arts plastiques. D’où histoire de l’art à la fac. Et justement à la fac, c’était une expérience de vie. On était très insouciants. Donc Jean-Louis rencontre Hervé et on rentre dans l’association. Ce qui m’a branchée, c’est l’énergie, l’ambiance particulière. C’était comme je m’amuse à le dire une post-adolescence. J’avais 19 balais à ce moment-là, tu fais tes expériences. En plus venant de Dinan, une petite ville, tu arrives là dedans, c’est fou.

Ça ressemblait à quoi alors les concerts à cette époque ?

Déjà il faut se dire que là la 37e édition des Trans ne ressemble plus du tout à ce que l’on faisait au début. C’était très post 68, les gens ne voulaient pas payer pour aller au concert, c’était une société où la contre-culture était forte. On ne parlait pas de musiques actuelles mais de rock, d’esthétiques. On est en 77, il y a encore un esprit contestataire, sans les manifs, Morrisson est mort, le trio des 27 ans est mort.

Et puis on commence à rentrer dans le rock industrie. Juste après Yes. Le punk est venu comme une réponse, un redémarrage de la contre-culture. Le rock s’académise. Il y a une contestation contre le marché dans lequel entre le rock. Et nous, on est une toute petite asso Terrapin, en référence à une chanson de Syd Barrett, le chanteur des Pink Floyd, qui veut dire Tortue d’eau douce.

À cette époque, j’ai une copine qui habite à Londres et avec Jean-Louis et d’autres potes on allait passer toutes nos vacances de Noël chez elle. On faisait tous les concerts et Jean-Louis achetait des disques. Les Trans sont la continuité de cette manière de vivre. J’ai arrêté les études pour organiser des concerts. C’est une manière de vivre pour exprimer une forme de liberté. Une manière de dire non à un parcours social qui aurait pu nous conduire à reproduire ce qu’avaient fait nos parents ! On a décidé de vivre comme on avait envie de vivre et d’en faire notre métier.

Quel est votre rôle au sein de l’ATM ?

Ce qui m’intéresse, c’est de construire un projet, de dire quelque chose. Nous sommes en co-direction avec Jean-Louis et je m’occupe du projet, de l’écrire. En fonction de l’histoire et du positionnement du festival, comme on l’a décidé. Avant, c’était en juin, les 14 et 15 juin. On a fait un concert de soutien à Terrapin qui avait des problèmes financiers. On avait décidé de faire monter sur scène des groupes rennais. Ce n’était pas dans l’objectif de le refaire l’année suivante.

Mais les artistes et les publics sont venus nous solliciter. On a décalé en décembre car c’était une période sans examens. Mais il n’y avait pas de préméditation. Faire un festival, c’est interrompre le quotidien pour proposer quelque chose de différent. On y passe toute la nuit, il y a une intensité différente. On voit plusieurs groupes, les émotions sont beaucoup plus sollicitées. Aujourd’hui sur les Trans il y a une bonne quinzaine d’esthétiques majoritaires. Ça prend plus qu’un concert.

En 85, on arrête Terrapin et on lance l’ATM. On en fait notre festival les années suivantes. En 90, on reprend la gestion de l’Ubu, puis les rave ont eu un impact sur nous. En 96, c’est le départ d’Hervé. Mais nous on voulait continuer. Ça fait 20 ans maintenant et les choses se sont enchainées dans une logique. On n’est jamais rassasiés. D’une année sur l’autre ce n’est pas la même ambiance, pas les mêmes enjeux, pas la même programmation.

Le cadre est similaire mais les éditions sont différentes. Il n’y a pas de lassitude. Je travaille le même projet mais de manière différente. Le projet c’est la philosophie instinctive des 1ères Trans, c’est ça qui nous intéresse de développer.

C’est aussi de montrer des artistes rennais qui ne sont pas connus. Marquis de Sade, Etienne Daho, cette année, Her, Kaviar Special… Mais à l’époque Marquis de Sade et Etienne Daho, ils n’étaient pas connus. Le rock n’avait pas le droit de cité à ce moment-là. Aujourd’hui, les gens ne maitrisent pas leur choix culturel. Avec Internet et le marché, on pré-choisit pour nous. Et la diffusion est limitée par rapport à la création.

Ce qui nous intéresse, c’est de faire connaître la chose inconnue. Les Trans, c’est l’interstice entre ce qui existe et qui n’est pas très connu. Des artistes singuliers qui ne sont pas encore dans la focale des médias. C’est cette singularité qui nous plait, le truc qui fait que ça marquera l’histoire des arts et de la musique. On est là pour les faire découvrir. Ça ne veut pas dire forcer à aimer.

Concrètement, quel est votre boulot ?

Dans le projet, j’écris tout. À quoi je sers ? Attendez, je vais vous montrer (elle se lève et va chercher le projet rédigé sur son bureau, ndlr). J’écris tout le projet artistique que Jean-Louis va mettre en forme. Je fais une Convention aussi pour les partenaires. En fait, je réunis les conditions pour que le projet existe. Avant, j’étais directrice de production et de projet. Mais j’ai délégué.

Je travaille sur la construction du futur, la prospective et sur comment on va passer le projet. Je prends les décisions d’être dans l’Agenda 21, les normes ISO, d’aller au Parc expo, je fais et je négocie les dossiers. Je suis directrice mais pas artistique. Par contre, je suis dans l’accompagnement artistique. Le jeu de l’ouïe, Mémoires de Trans… tout ça c’est moi. En fait j’ai un rôle d’architecte : je pose les bases et les murs de la maison ATM. Mais les gens ne voient que ce que Jean-Louis fait.

Et ce n’est pas frustrant ?

Pas frustrant du tout.

Pourtant, vous le soulignez. Simple constat ou petite blessure ?

Vraiment, je ne suis pas frustrée. Je sais ce que je fais, je sais quelle est ma place, quel est mon rôle. Par exemple, je ne veux plus aller à Paris rencontrer les journalistes. Je ne me sens pas à l’aise. Je me sens à l’aise au moment des Trans, quand je suis dans le public et que tout se passe bien. Je gère aussi la sécu’, les bars, etc. Je suis comme une cheffe d’entreprise. Je fais en sorte que tout ça existe. Jean-Louis est le cœur du réacteur et moi mon rôle est de d’alimenter le corps en sang.

Je reviens sur le fait que vous avez délégué. Dans un article de Libération, paru en 2011, un acteur culturel rennais dit de vous : « Sans elle, le festival ne serait pas devenu ce qu’il est aujourd’hui. C’est une bosseuse hors pair, qui n’arrête jamais et qui a du mal à déléguer. Elle en fait 15 000 fois trop »…

(Rires) Oui, c’est vrai. C’est mon tempérament. Mais c’était en 2011 ? J’ai changé depuis. On a dit qu’on transmettait, je délègue. Et puis, je vais vous dire : à 57 ans, on ne veut plus faire ce que l’on faisait à 45 ans. J’en fais beaucoup moins aujourd’hui. Je préfère le monde des idées et la transformation des idées. Écrire le projet pour les 40èmes Trans. Faire en sorte que le quotidien des équipes soit moins compliqué. Ne pas laisser le projet se scléroser.

Et pour être dans l’interstice du connu et de l’inconnu, nous devons toujours être attentifs. Toujours prendre en considération les évolutions culturelles et musicales. Par exemple, les réseaux sociaux ont changé le festival. On a donc un webmaster, un community manager, un tweet wall… Perso, je ne pratique pas ça mais c’est la pratique des jeunes qui viennent au festival. Et notre rôle là dedans, c’est aussi de ne jamais oublier qu’il va y avoir un après 37e, un après 38e, etc.

En 40 ans de carrière, vous devez avoir des anecdotes sur le sexisme dans ce milieu non ?

J’ai vu des hommes quitter la salle, quitter l’équipe même juste parce qu’ils avaient une femme en face d’eux. Enfin, je n’ai pas bon caractère aussi, il faut bien le dire… Bon, je vous dis ça mais c’était il y a très longtemps. Ou alors en réunion, j’ai déjà dit une phrase et c’est arrivé que quelqu’un la reprenne en disant « Comme a dit Jean-Louis… » ! Par contre, j’ai toujours eu de la chance avec Hervé et Jean-Louis car pour eux, ça n’a jamais été un problème de bosser avec une femme. 

Mais bon, c’est sûr qu’on n’est pas beaucoup de directrices. 12% je crois selon HF. Ce n’est pas beaucoup ! Et dans les programmations, c’est pareil. Le secteur culturel n’est pas mieux que les autres. On pourrait penser le contraire, mais non. L’étude de Reine Prat montre aussi que les subventions accordées sont plus importantes quand c’est un homme qui porte le projet.

Vous êtes pénalisés à l’ATM ? Puisque c’est vous qui allez chercher les sous…

On a la plus grosse subvention de musiques actuelles donc je ne peux vous dire si nous sommes pénalisés (Rires). Mais vous savez aujourd’hui, tout le secteur est en crise. La différence entre nous et les plus petites structures, c’est que nous on tombera de plus haut.

Il faut s’imposer quand même femme à la tête d’une des plus grosses structures musicales…

Pour tout vous dire, je suis partie de l’association pendant 2 ans. Lors de l’édition 84 et je suis revenue pour l’édition 86 parce qu’Hervé est venu me chercher. Et ils ne m’avaient pas remplacée.

Pourquoi êtes-vous partie ?

J’en avais marre d’être la seule fille aux Trans. On était 3 nanas à la base et les deux autres sont parties. J’avais envie de prouver que je n’étais pas juste la nana des Trans. J’étais mal à l’aise quand je me suis retrouvée seule et j’avais aussi besoin de faire autre chose. D’exister et pas seulement à travers les Trans. Maintenant, l’ATM c’est mon univers. Quand j’arrive au bureau le matin, c’est mon univers, les Trans, l’Ubu, je suis à l’aise et je suis à la maison. Mais oui je me suis imposée.

Et vous ne vous dites pas féministe ?...

Pas militante féministe. Par contre, je réclame pour moi et pour les femmes que je connais le même respect et la même attention que pour les hommes. J’avais 16 ans quand la loi sur l’avortement est passée. J’ai encore des bouquins de mes 14/15 ans qui sont féministes. Jeune, j’ai lu le Deuxième sexe de Simone de Beauvoir. J’y suis sensible.

Pour moi, nous sommes avant tout des êtres humains. Je suis pour le respect pour tous, hommes et femmes, femmes et hommes. À mon époque, il y avait des radicales, anti hommes. Je ne suis pas dans l’antagonisme, dans l’opposition.

Et dans le contexte d’aujourd’hui ? Quand on a une fille de plus de 20 ans…

Ma fille a 22 ans et elle a été élevée par des femmes qui ont toujours bossé. Ma grand-mère, ma mère, moi… on a toutes fait des carrières professionnelles. Et puis, il faut dire que mon père était cool. Lors de la loi de 63, quand les femmes ont eu le droit d’ouvrir un compte bancaire, qu’elles ne passaient plus de l’aval de leur père à celle de leur mari… mon père avait dépassé ça depuis très longtemps.

J’ai toujours vu mon père aider ma mère qui était indépendante financièrement et socialement, elle gérait sa vie ! J’ai toujours baigné là dedans. Et je n’ai jamais eu à me poser la question par rapport à mon sexe. Je suis un être humain à part entière. Certaines femmes sont bridées. Pour moi, ce n’est pas concevable. Je ne suis pas née hier, je suis née sous René Coty quand même et j’en ai vu des vieilles dames qui avaient été entravées. Mon père l’avait noté, on en avait discuté.

Je suis fille unique, pas mariée, c’est un choix, faut l’assumer. Faut assumer la solitude. Mais il y a d’autres manières d’être en société, d’être épanouie. Mais c’est clair qu’on ne peut compter que sur soi même. Pour moi, le choix premier, c’est la liberté. Pas la liberté contre les hommes. La liberté, point. Je ne suis pas guerrière contre les hommes.

Simplement, je veux être celle que j’ai envie d’être au moment où j’ai envie de l’être. Je suis une nana et alors ? C’est comme ça, on ne va pas en faire un fromage ! (Rires) Après, je suis bien consciente que mon cas n’est pas une généralité et je suis sensible à toutes les luttes pour les droits des femmes. Je considère que c’est un vrai combat.

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