Célian Ramis

Broder le matrimoine

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Photo de deux femmes blanches qui brodent
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Dans cette histoire, il est question de fil, de relations à nouer, de personnages prêts à en découdre mais aussi de lignées de filles oubliées et de langues à délier…
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Dans cette histoire, il est question de fil, de relations à nouer, de personnages prêts à en découdre mais aussi de lignées de filles oubliées et de langues à délier… 

C’est l’histoire de Louise et dans cette histoire, il est question d’un chien avec qui il faut partager sa nourriture, d’un ogre qui veut la dévorer et à qui elle doit donner le pouce, de ses sept frères transformés en pigeons, de sa voix perdue, d’un amour rencontré, d’oiseaux tissés sur des rubans... Cette histoire, c’est celle du conte en vers Les sept frères de Jeanne Malivel qu’Inès Cassigneul et Anton Aguesse ont interprété durant l’été en français et en gallo dans une lecture théâtrale, au musée de Bretagne à Rennes, au musée d’art et d’histoire de Saint-Brieuc et à la Cité audacieuse à Paris, avant de convier les participant-e-s à un atelier de broderie sur du linge de maison. 

REVENDIQUER L’HÉRITAGE DES FEMMES

Par une belle journée estivale, elles s’attablent autour des motifs issus du conte, illustrés par Maïlis Michel. Sur une taie d’oreiller, un mouchoir, une serviette... elles vont pouvoir réaliser points arrière, points de tige, points de chainette, points de feston ou encore points de nœud pour tisser leurs ouvrages. Tandis que la brodeuse Delphine Guglielmini leur prodigue des conseils et s’attèle à donner les bases aux moins aguerries ou en guise de piqure de rappel, les femmes – sans que l’atelier soit en mixité choisie, ce jour-là, elles sont exclusivement des femmes – discutent entre elles et échangent autour de ce qu’elles ont pensé du conte, de celles qu’elles ont vu brodé durant leur enfance et de celles qui les ont initiées à cet art tombé, à tort, en désuétude.

Les temps de broderie créent une proximité favorable aux échanges. De par les propositions artistiques de la compagnie Sentimentale Foule, la comédienne et autrice Inès Cassigneul réhabilite la broderie au sein d’un matrimoine qu’elle défend et prône. On se souvient du travail, à la fois gigantesque et minutieux, de la carte géographique et de la tapisserie du jeu de l’oie, deux œuvres brodées en dehors et sur la scène dans le cadre de La carte d’Elaine et de Vierges maudites !, spectacles dans lesquels récit et broderie se mettent au service de la réécriture de la légende arthurienne d’Elaine d’Astolat. Un personnage secondaire et oublié. Invisibilisé. Comme l’a été Jeanne Malivel, artiste bretonne effacée de la mémoire régionale et nationale. Inès Cassigneul revendique l’héritage des femmes et convoque celles du passé et du présent pour ensemble tisser l’Histoire et sauvegarder le matrimoine.

« C’est compliqué de parler de la broderie sans en évoquer le côté féminin et sans en évoquer le côté oppressif puisque c’était fait pour garder les femmes sages, à la maison. », signale-t-elle. Sa mère tricotait, sa grand-mère brodait. Cette histoire de fil et de filles, Delphine Guglielmini l’a vécue également :

« J’ai même vu faire mon arrière-grand-mère ! Depuis petite, j’expérimente les arts du fil. Dès qu’une pelote se transforme, ça me passionne. Tricoteuses, couturières, brodeuses… Toutes sont des faiseuses ! »

Tantôt activité professionnelle, tantôt activité domestique. Parfois même les deux. Dévaluées financièrement et socialement parce que reléguées aux femmes et à l’artisanat. Et pourtant, cet art ancien et ce savoir-faire attribué au féminin recèle de vertus techniques et thérapeutiques aussi créatives qu’émancipatrices. 

TISSER DES LIENS

« Croiser écriture et broderie va de pair avec mon entrée dans l’écriture. Prendre le temps d’orner, de raconter des histoires… L’écriture a accompagné mon rapport à la broderie et j’ai eu besoin d’interroger cet héritage-là. », confie Inès Cassigneul. Avec L’Histoère Couzue, entre autre, elle fait sortir la broderie de l’espace domestique pour aller vers un ouvrage collectif. Elle poursuit : « Depuis 2017, on fait des spectacles intégrant cet art. C’est une réappropriation de cet artisanat féminisé et une réhabilitation du linge de maison. Dans les ateliers, chaque personne choisit un modèle différent et un support selon son goût, son envie, etc. Quelque chose de personnel s’exprime dans ce choix. Il y a une part de transmission importante. C’est un mélange de plein de femmes – parce que ce sont majoritairement des femmes qui viennent – pour broder. Parfois, des discussions émanent sur la condition féminine mais ce n’est pas un atelier de pensées féministes. Je préfère que ça vienne spontanément dans la conversation. Que ça vienne d’elles. L’idée, c’est d’être dans le lien. Avec Delphine, on injecte de la bienveillance et de la solidarité. »

La brodeuse, qui avait déjà pris part aux créations précédentes, est séduite instantanément par la démarche de l’autrice. La réflexion autour de la broderie, le ralentissement du temps pendant la pratique, les recherches autour de Jeanne Malivel, les discussions qu’elle définit comme « remarquables » constituent pour elle autant d’intérêt que le résultat. Elle est animée par « tout ce moment de transmission, de parlotte, de liens qui se tissent entre des inconnues qui brodent en commun. » Et puis, elle assiste à des moments suspendus : « Ça détend. Les participantes parlent du quotidien et ça va résonner chez les unes et les autres, même chez les silencieuses. L’une lance que sa grand-mère faisait ci ou ça et d’autres rebondissent. Ça nous fait du bien à nous aussi. Et ça fait du bien pour le matrimoine et l’histoire locale ! » Ce qui compte, c’est le ressenti provoqué. Ce que l’ouvrage a stimulé en elles. « On n’est pas dans l’excellence. Ce n’est pas le but. On cherche à désacraliser la pratique pour mieux se la réapproprier. Aller dans l’expressivité, ne pas défaire l’ouvrage… », ajoute Inès. 

UN ORCHESTRE QUI S’ACCORDE

Du chaos de l’expérimentation nait un moment de grâce. L’ouvrage méticuleux requiert concentration et rigueur. Les artistes dénouent la difficulté imposée par l’envie de perfection en rendant l’espace et la pratique accessibles et décontractées. L’important ici, c’est la participation au collectif. Delphine Guglielmini brode les points de départ, les participantes s’en emparent et apportent leur touche pour en faire un objet personnel et personnifié. « Je leur apprends les poings arrière, les points de tige, les points de chainette, et l’apothéose : le point de nœud. Ce qui est d’ailleurs antinomique car faire un nœud, c’est bafouiller. Mais non ! C’est joli un nœud. Ici, elles ont le droit au tâtonnement et à l’expérimentation. On leur confie un bout de tissu, je décortique les mouvements et elles en font ce qu’elles veulent. Elles font, refont, elles observent, elles refont encore. A force, elles trouvent leur propre écriture. », se réjouit-elle.

On les écoute, on s’enthousiasme. On assiste à un moment de joie et de bonheur d’être ensemble et de faire collectivement, tout en affirmant sa singularité. Elles écoutent, posent des questions, s’entraident, se donnent des conseils, interpellent Inès qui regardent avec attention leurs travaux, se lèvent et foncent sur Delphine, impatientes, pour lui demander des précisions. La magie opère : « C’est comme un orchestre qui s’accorde. Il y a beaucoup d’excitation, ça parle fort, ça discute broderie et souvenirs. Et puis, il y a un moment de silence. Autour de la table, elles ont partagé et là, elles se taisent. Ce n’est pas un silence lourd. C’est un silence très agréable. Un silence concentré. Elles se sentent en confiance, c’est un moment tout doux, où on est ensemble. C’est émouvant. »

L’esprit se détend. Le corps également. De la méditation active, comme le définit la brodeuse, qui permet de prendre de la distance face au stress du quotidien mais aussi du rythme effréné de nos sociétés de plus en plus productivistes. Ici, la réalisation de l’ouvrage peut rimer avec lâcher prise, temps long et développement des compétences douces. « On devient plus curieux, ça développe les qualités d’observation, d’écoute et ça améliore les rapports au monde et aux autres. », souligne-t-elle, en citant un exemple : « Je travaille dans un centre de formation à l’entreprenariat. Beaucoup font du tricot, du crochet, etc. Et j’ai eu un homme qui allait devenir papa, c’est lui qui fabriquait la couverture du bébé. Rien que d’être dans ce type de démarche fait qu’il va vivre différemment sa parentalité. »

UNE FIGURE MILITANTE ET IMPACTANTE

Par la broderie passe l’expression de soi. Par les choix, le style, les tissus, les points, etc. on fabrique, on crée, on personnalise. Le temps consacré à l’ouvrage et la concentration renforcent la capacité des un-e-s et des autres à résoudre certaines choses : « On a des pensées, des idées qui viennent. On ressasse, on trouve des solutions. Et puis c’est thérapeutique ! Personnaliser, c’est s’exprimer, c’est faire avancer le monde ! », scande Delphine Gugliemini. Se plonger dans une confection à long terme permet de laisser libre cours à son imagination et à ses réflexions. Inès Cassigneul s’immerge dedans : « Ça me donne la sensation de réparer quelque chose, des blessures, un manque, un vide… » Elle l’affirme et le revendique : « Oui, je reprends cet outil pour le questionner et pour me révolter ! »

Et de cette révolte jaillit la créativité collective. Et de cette révolte jaillit la sororité. Et de cette révolte jaillit le partage et l’envie de réhabiliter et de partager le matrimoine. Un matrimoine dont fait pleinement partie Jeanne Malivel, d’abord graveuse et peintresse « qui designait du mobilier ! » Nous sommes au début du XXe siècle et l’artisane-artiste, originaire de Loudéac, se proclame féministe. Elle étudie aux Beaux-Arts de Paris, rencontre de nombreux-ses artistes et devient professeure aux Beaux-Arts de Rennes. Elle lutte contre l’exode des bretonnes vers Paris en permettant aux jeunes filles de travailler sur des métiers à tisser. Elle fonde le mouvement Des Seiz Breur (Les Sept Frères) afin de participer à l’Exposition internationale des Arts décoratifs et industriels modernes.

Broderie, faïence, gravures sur du mobilier en bois, ornements des tissus… Elle défend les techniques artisanales auxquelles elle se forme et les modernise, réinventant la culture bretonne dont elle s’inspire et dont elle prône le côté populaire. Sans oublier ce conte qu’Inès Cassigneul et Anton Aguesse lisent et interprètent au premier étage des Champs Libres, dans une partie du musée de Bretagne. « Écrire en gallo, c’est assez exceptionnel ! C’était une langue qui était très jugée. L’uniformisation de la langue a participé à dénigrer la culture rurale. Et elle, elle en a fait un grand ouvrage de mise en vers et d’édition ! Elle a permis de donner de la noblesse à cette langue sur le déclin. », rappelle l’autrice et comédienne. Fascinée et admirative de son parcours et de son engagement pluriel, Inès se passionne pour Jeanne Malivel, figure emblématique de l’artisanat et de la culture bretonne populaire, oubliée, ignorée, reléguée aux oubliettes de l’Histoire.

UN OUVRAGE COLLECTIF ET PUISSANT

L’Histoère couzue vient secouer l’absence, briser le silence, réparer les blessures infligées par le mécanisme de l’oubli et ses conséquences, combler le vide. Faire entendre le gallo, faire vibrer la mémoire de Jeanne Malivel, faire resurgir une époque, une manière d’être, une façon de vivre, un territoire et sa population, rendre justice à celles qui ont été dévalorisées en raison de leur sexe et de leur genre, mettre en mouvement et en sororité celles du présent qui reprennent le fil de l’Histoire pour réaliser leur propre ouvrage. Pour laisser une trace. « Broder des histoires, piquer, se plonger dans la confection, marquer leurs initiales… Les femmes ont laissé leurs traces sur leurs ouvrages ! », souffle Delphine Guglielmini.

Elle constate qu’aujourd’hui dans les arts bruts, une grande place est accordée au fil. Valorise-t-on davantage ce matériau utilisé majoritairement par les femmes jusqu’alors ? « Tout dépend des cultures. Par exemple, dans les pays d’Europe, dans les arts textiles, on voit bien que ce sont souvent les hommes qui sont exposés. En France, au niveau de la broderie, quasiment le seul nom qu’on entend, c’est celui de Pascal Jaouen. Il y a aussi des artistes brodeuses, comme Annette Messager, Nadia Berruyer, etc. Il faut aller les chercher ! Elles font souvent l’objet de plus petites expos. En Angleterre ou en Australie par exemple, on s’ouvre davantage et les femmes artistes textiles sont plus mises en valeur. », précise-t-elle. Elle poursuit : « La catégorisation hommes / femmes me dérange. On est des amoureux-ses du fil, des praticien-ne-s du fil. Il y a plein de critères qui entrent en compte, pas juste une histoire d’hommes et de femmes. Je viens du secteur de l’architecture et sur les chantiers, c’est encore compliqué en tant que femme. C’est la figure de l’autorité qui est à interroger ! Pourquoi certaines productions sont mises en valeur par rapport à d’autres ? »

La binarité, le système patriarcal, le productivisme capitaliste… doivent être remis en question pour laisser place au ressenti procuré par la réalisation de l’ouvrage, à la concentration requise par le travail minutieux du fil, à l’apprentissage des techniques et des langages qui constituent notre héritage commun. Broder le matrimoine pour faire corps avec notre passé et réinventer ensemble nos histoires pour la mémoire de demain. Un ouvrage jamais achevé, toujours vivant, mouvant, en perpétuelle construction, et surtout très puissant. 

Dans le cadre de la programmation 8 mars à Rennes, Inès Cassigneul proposera un atelier les 16 et 17 mars de 13h à 18h à la MJC Grand Cordel pour une réécriture brodée de la légende arthurienne d'Elaine d'Astolat.

A noter également, une conférence le 17 mars à 10h30, dans le cadre de la programmation 8 mars et du festival Rue des livres, sur "Jeanne Malivel et les Seiz Breur, figure d'un matrimoine breton d'avant-garde" (aux Cadets de Bretagne).

 

  • Broderies féministes
  • « J’adore la broderie féministe, les broderies anatomiques de vulves, la broderie militante ! On voulait faire un atelier broderie porno mais il y a eu le covid… Le militantisme passe par la créativité. », lance Inès Cassigneul. Reprendre des insultes sexistes, libérer les mentalités autour de la sexualité, déconstruire le tabou des règles, coudre des slogans militants, en se réappropriant une activité manuelle attribuée aux femmes et donc dévalorisée et déconsidérée pour cela… Il en va là du retournement du stigmate. Ce qui permet de questionner notre Histoire, notre place dans celle-ci et dans notre société actuelle, comme le décrit l’artiste Céline Tuloup : « En utilisant une pratique liée au confinement des femmes dans la sphère privée, j’opère un retournement de cet héritage par un basculement vers des questions politiques propre à la sphère publique, autrefois réservées aux hommes. De par ce croisement, mes réalisations questionnent aussi les stéréotypes de genre propre à notre époque contemporaine et relatif au système patriarcal dans lequel nous évoluons. » 
  • On retrouve ce processus chez Marnie Chaissac qui coud au fil rouge et à l’aiguille les figures féminines représentées sur des cartes postales, des catalogues d’exposition, des pages des Beaux-Arts… « Le fil rouge, couleur du sang, celui des blessures ou des menstrues, ligote les mains, couvre les visages ; il vient entraver les corps, clore lèvres et paupières, et crever les cœurs. L’aiguille laisse des impacts de son passage approximatif, blesse tissus et peaux. Avec son geste parfois maladroit, et ces portraits toujours cousus et recousus, elle souhaite comme souligner une vérité effacée, réhabiliter ou rendre hommage à ces figures. », peut-on lire dans le dossier de son exposition Plates Coutures, présentée en janvier 2023 à la MJC de Pacé aux cotés de la tapisserie d’Inès Cassigneul et des brodeur-euse-s. De nombreux comptes fleurissent sur les réseaux sociaux, et notamment Instagram sur lequel circulent les créations originales, inspirées et inspirantes des militant-e-s féministes qui valorisent le savoir-faire et la transmission de leurs ainées mais aussi transgressent l’ordre établi de l’image passive, sage et vieillotte de la broderie.

Célian Ramis

Ce sont les féminicides qu'il faut stopper et non les militantes !

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Jeudi 1er avril, des militantes féministes ont appelé au rassemblement place de la Mairie à Rennes, pour dire stop aux féminicides. Les prises de parole ont été interrompues par les forces de l’ordre, contraignant les organisatrices à dissoudre la mobilisation.
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Ce jeudi 1er avril, plusieurs militantes féministes ont appelé au rassemblement place de la Mairie à Rennes, sur fond d'occupation de l'Opéra, pour dire stop aux féminicides et plus largement aux violences à l’encontre des personnes sexisées. Le message est partiellement passé puisque les prises de parole ont été interrompues par les forces de l’ordre, contraignant les organisatrices à dissoudre la mobilisation.

Jennifer, 35 ans, tuée au couteau par son conjoint. Deux enfants ont également été tués (11 et 16 ans). Avril 2020.

Anonyme, 52 ans, retrouvée inanimée après avoir été battue à mort par son conjoint. Mai 2020.

Virginie, 45 ans, tuée par arme à feu par son conjoint gendarme. Juillet 2020.

Anonyme, 37 ans, poignardée puis égorgée par son ex-mari en attente d’un jugement pour violence conjugale. Juillet 2020.

Laetitia, 38 ans, abattue au fusil de chasse par son mari qui a ensuite dissimulé le corps. Octobre 2020.

Anonyme, 76 ans, étranglée par son mari « parce qu’il était à bout de nerfs ». Octobre 2020.

Ces crimes sont inscrits sur les pavés ce midi du premier avril, place de la Mairie, à Rennes. Les passant-e-s s’arrêtent, lisent, repartent ou s’arrêtent quelques minutes, interpelé-e-s par les affiches qui jonchent le sol aux côtés de messages tout aussi forts : « Y’a pas mort d’homme ! y’a juste mort de femme », « Le sexisme tue tous les jours », « Police, justice, classement sans suite : vous êtes complices » ou encore « Dans 2 féminicides, c’est Pâques ».

Le décompte est glaçant : « Déjà 475 féminicides que Macron a nommé les violences faites aux femmes comme grande cause du quinquennat ». Plus d’une centaine de femmes ont été tuées par leur conjoint ou ex-conjoint en 2020. Depuis le 1er janvier 2021, ce sont déjà 27 femmes assassinées par leur compagnon ou ex compagnon, selon le recensement du compte Féminicides par compagnons ou ex.

Récemment, près de Rennes, c’est le meurtre de Magali Blandin qui secoue. Assassinée en février 2021 par son mari, à coups de batte de base-ball. « Comme la grande majorité des femmes tuées par leurs conjoints ou ex, elle avait porté plainte pour violences conjugales (la plainte avait été classée sans suite). Comme la grande majorité des femmes tuées par leurs conjoints ou ex, elle avait demandé de l’aide, mais n’a pas été prise au sérieux. », signale le tract distribué et lu au micro à l’occasion du rassemblement.

LES MOTS ONT UN SENS

La question du langage est centrale. La société n’assiste pas à une libération de la parole de la part des personnes sexisées. MeToo ainsi que tous les mouvements permettant les témoignages massifs dénonçant les violences sexistes et sexuelles ont amené le grand public à les écouter davantage.

Les militantes féministes insistent depuis plusieurs années pour faire évoluer les mentalités à ce sujet : on ne tue jamais par amour. Pourtant, dans les médias ou dans les procédures d’accueil des victimes, dans les enquêtes et les procès, on entend encore parler de « crime passionnel », de « drame familial ». Le tract le mentionne, ajoutant : « Dans la bouche de l’avocat du meurtrier de Magali Blandin, il l’a tuée « parce qu’il tient énormément à la famille ». »

Sans oublier le processus d’inversion de la culpabilité que l’on brandit sans vergogne dans de nombreux cas de féminicides, à l’instar de l’affaire Alexia Daval, tuée par son conjoint Jonathann Daval dont les avocats avaient dressé un portrait de femme castratrice. De quoi légitimer son crime : si elle a ôté la virilité de son époux, celui-ci peut lui ôter la vie.

Durant les prises de parole, les militantes rappellent :

« Ce sont des crimes de possession. Un homme s’octroie le droit de vie et de mort sur sa compagne qui n’a pas le droit selon lui d’exister sans lui. On voulait juste rappeler qu’avec l’épidémie du covid, il y a une explosion des violences masculines faites aux femmes. Selon les données de l’ONU en septembre, le confinement du printemps a fait augmenter ces agressions, ces viols, ces meurtres de 30% en France. »

Et puis, il y a ces phrases que les victimes entendent dans les commissariats ou les tribunaux, visant à les décourager de porter plainte ou d’aller au bout de la procédure : « Ça pourrait changer la vie de Monsieur à tout jamais, c’est pas rien ! » C’est ce dont témoigne cette militante ce midi-là :

« J’interviens aujourd’hui en tant que militante au sein du NPA, en tant que femme, en tant que femme lesbienne, en tant que mère d’une jeune femme, et j’ai aussi été cette enfant qui a grandit au milieu de la violence conjugale. Je repense à ma mère qui quand elle avait tenté de porter plainte contre cet homme violent, le père, elle s’était entendue dire « Vous êtes sure Madame que ce serait pas un gros préjudice pour votre mari ? Il risque la prison quand même. » Alors elle est repartie. C’était il y a plus de 40 ans. Ça n’a pas tellement changé. »

EXIGER DES MOYENS À LA HAUTEUR DU PROBLÈME

Le rassemblement vise encore une fois à réclamer des moyens satisfaisants. Pas des effets de communication ou de « beaux » discours sur l’importance de lutter contre les violences patriarcales. Non, des moyens, des vrais. À la hauteur de l’ampleur et de l’étendue des violences sexistes et sexuelles qui cautionnent qu’une femme meurt tous les 3 jours environ des coups de son conjoint, dont on essaye d’amoindrir le geste.

Les militantes féministes exigent non seulement la mise à disposition de structures d’hébergement pouvant accueillir les femmes victimes de violences conjugales, la formation des agent-e-s de toute la chaine juridico-policière, mais surtout la lutte profonde contre la culture du viol, contre la culture patriarcale visant à réduire les femmes au statut d’objet appartenant aux hommes.

La liste des revendications est longue et non exhaustive : « Dire notre colère ne suffit pas. En tant que femme, comme en tant que personne subissant les oppressions et les violences patriarcales, nous devons nous organiser pour faire entendre notre colère. Et pour obtenir des victoires contre ce système. Nous devons exiger des mesures immédiates, la mise sous protection effective de la victime dès la première alerte, la simplification des démarches pour porter plainte, pour quitter le domicile conjugal, éloigner l’agresseur, l’accès facilité aux services de santé spécialisés, des personnels spécialisés formés en nombre suffisant dans tous les services concernés : police, justice, éducation et bien d’autres, l’application de la loi afin que l’agresseur soit tenu éloigné, des places d’hébergement sécurisés et en nombre suffisant pour les femmes et leurs enfants, un accès au droit d’asile immédiat pour les femmes et personnes LGBTQI étrangères, plus de moyens aux associations féministes et LGBTQI qui assurent les missions de service public d’accompagnement et de soutien, des campagnes régulières d’information et d’éducation populaire, des moyens encore pour la mise en place effective pour l’éducation à la vie sexuelle et affective à l’Education nationale…»

« JE SUIS UNE FEMME ET JE VEUX POUVOIR ME SENTIR LIBRE »

Et puis, il y a ce témoignage de Louise. Exceptionnellement, nous le retranscrivons ici dans son intégralité :

« Je suis une femme, j’ai 17 ans et je fais partie des 97%. Alors que je croyais être invincible, que j’étais sûre de ne jamais subir de violences, il y a deux ans je suis tombée dans le filet d’un violeur. J’en ai parlé avec mes sœurs, chacune d’entre elles m’ont alors confié qu’elles aussi avaient subi des violences. 

La violence, elle a de multiples facettes. C’est difficile de savoir où est-ce qu’elle commence et quand elle s’arrête. Il y a les violences physiques, qui passent par les coups, les gestes qui nous font mal au corps. 

Les violences sexuelles : viols, attouchements, refus d’une contraception, harcèlement de rue, non respect du consentement. En France, 30% des femmes subiront des violences de la part de leur actuel ou ancien compagnon et 97% d’entre elles seront victimes de viol-s ou harcèlement sexuel. 

Il y a les violences psychologiques, qui ne laissent pas de traces visibles mais alimentent un mal être constant. L’agresseur utilise les mots pour détruire sa proie. Il dévalorise son comportement, son apparence, son caractère, sa personnalité. La torture psychologique se fait aussi par des actes qu’on pourrait percevoir comme de la jalousie excessive mais qui sont en réalité néfastes et dangereux. Contrôler la totalité des faits et gestes de quelqu’un, l’empêcher de travailler, d’avoir une vie sociale, d’avoir une indépendance, faire en sorte d’être essentiel pour ne jamais être remplacé, tel est le mode opératoire d’un pervers narcissique. 

Les violences peuvent être économiques lorsque l’agresseur ne paye pas la pension alimentaire, contrôle l’argent de sa victime ou l’empêche d’utiliser son salaire. 

Les mariages précoces et fermés, les mutilations génitales et les exploitations sexuelles sont aussi des violences que les femmes subissent. Dans le monde, environ 650 millions de femmes ont été mariées de force et 200 000 autres sont victimes de mutilation génitale. 

Les violences peuvent avoir lieu n’importe où et n’importe quand. Au travail comme dans la rue, au sein d’un couple comme dans la famille, à l’école comme dans les transports ou même les milieux hospitaliers. Peu importe leur durée, les violences sont anormales et pourtant si banalisées. 

Comment expliquer que 80% des plaintes sont classées sans suite, que les féminicides ont lieu tous les 3 jours ? Comment expliquer qu’au moment où je lis ces mots quelqu’un quelque part en France subit un viol ? Comment expliquer qu’une femme ne puisse pas se sentir en sécurité dans la rue ? Qu’elle ne se sente pas légitime à porter les vêtements qu’elle aime ? Qu’elle soit insultée selon ses pratiques sexuelles ? 

Je suis une femme, j’ai 17 ans et j’ai peur. Il y a tout un tas de choses effrayantes dans la vie d’une adolescente mais les violences que les femmes subissent sont effroyables et m’inquiétent car on n’est jamais à l’abri d’un sifflement ou d’un regard… 

Je suis une femme et je veux pouvoir me sentir libre et en sécurité. Partout et tout le temps. Sensibilisons les plus jeunes pour nous assurer un avenir, éduquons-les loin du patriarcat. Agresseurs, changez de camp ! Battez la société dans laquelle nous sommes enfermé-e-s plutôt que de vous défouler sur nos corps ! »

La mobilisation est interrompue par les forces de l’ordre qui exigent la dissolution de l’assemblée. Les organisatrices ont repoussé ce moment par respect envers la femme qui s’exprime. Le symbole est fort, et il est lourd, pesant. Interrompre la parole des femmes dans l’espace public en usant de son autorité… C’est choquant. Et cela renforce la colère entendue dans chaque prise de parole, y compris dans celles qui n’ont pas pu prendre le micro.

« Si la police était aussi efficace dans les violences faites aux femmes, ce serait vraiment le top ! », sera le mot de la fin et sera accompagnée par une levée des voix en chœur : « Nous sommes fortes, nous sommes fières, et féministes et radicales et en colère ! ». Espérons que la chanson reste dans la tête des flics…

 

Célian Ramis

De Gisèle Halimi à aujourd'hui : de l'intime au collectif

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Dans le cadre du 8 mars, l'association Déclic femmes organisait une conférence intitulée « Générations féministes, de Gisèle Halimi à la vague #MeToo », animée par l’autrice engagée, Jessie Magana, mardi 16 mars.
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« Chaque pas du féminisme est un pas pour les femmes migrantes ». C’est le postulat de départ de Fatima Zédira, fondatrice – en 1995 – et directrice de l’association rennaise Déclic Femmes qui en 26 ans a accueilli et accompagné entre 400 et 500 femmes exilées. Dans le cadre du 8 mars, la structure organisait une conférence intitulée « Générations féministes, de Gisèle Halimi à la vague #MeToo », animée par l’autrice engagée, Jessie Magana, mardi 16 mars. 

Gisèle Halimi, dans ses discours, ses écrits et ses actes en tant qu’avocate, autrice et députée, a toujours accompagné Fatima Zédira. Elle a d’abord défendu les indépendantistes tunisiens avant de venir en France et de s’inscrire au barreau de Paris. « Elle a découvert une justice instrumentalisée, au service de la domination coloniale. », précise la directrice de Déclic Femmes.

Elle s’est rapidement engagée dans le féminisme, créant avec Simone de Beauvoir entre autre, l’association Choisir la cause des femmes. Le procès de Bobigny, dans lequel elle défend une jeune femme ayant avorté à la suite d’un viol (en 1972, l’IVG est illégal) mais aussi sa mère, désignée complice, et trois autres femmes, ainsi que le « procès du viol », à la suite duquel l’avocate va brillamment réussir à faire changer la loi, figurent parmi les procès historiques du siècle dernier.

« Gisèle Halimi porte la cause des femmes jusqu’à ce qu’elles soient prises en compte. »
déclare Fatima Zédira en introduction de la conférence.

Au quotidien, elle œuvre avec les bénévoles pour l’insertion socio-professionnelle et l’apprentissage de la langue française des personnes exilées mais aussi et surtout pour « l’intégration réelle, celle qui prend en compte la dignité et l’histoire de la personne. »

Elle le rappelle, un migrant sur deux est une femme : « Une femme souvent diplômée, compétente ! Les femmes migrantes doivent être incluses dans le féminisme. Ce sont des richesses et non des poids. L’association fait l’interface entre les femmes et le pays d’accueil. Cette année encore, on a des femmes qui se sont inscrites en M2, en doctorat, etc. De par leur statut de femmes et de migrantes, elles subissent : discriminations, barrière de la langue, non équivalence des diplômes, manque de connaissances des dispositifs dans le pays d’accueil, manque de réseau (et donc isolement), manque de mobilité… Ces freins font qu’elles sont exposées à de nombreuses violences. »

Pendant le confinement, Fatima Zédira le dit clairement, la question des violences à l’encontre des femmes exilées s’est posée « encore plus fort que d’habitude. » L’association a rencontré Jessie Magana, autrice engagée dans les combats féministes mais aussi anti-racistes. 

Elle a notamment écrit Les mots pour combattre le sexisme, Des mots pour combattre le racisme, avec Alexandre Messager aux éditions Syros, Riposte – comment répondre à la bêtise ordinaire aux éditions Actes sud junior, Des cailloux à ma fenêtre aux éditions Talents Hauts ou encore Rue des Quatre-Vents – au fil des migrations, aux éditions des Eléphants.

Récemment, elle a signé le nouvel album de la collection Petites et grandes questions, chez Fleurus, Tous différents mais tous égaux ? et toutes les questions que tu te poses sur le sexisme, le racisme et bien d’autres discriminations et début mars est paru son roman Nos elles déployées, aux éditions Thierry Magnier. Sans oublier qu’en mai son livre Gisèle Halimi : non au viol, publié chez Actes sud junior en 2013, sera réédité. 

RENCONTRE AVEC GISÈLE HALIMI

En 2009, Jessie Magana écrit son premier livre édité, Général de Bollardière : non à la torture (dans la même collection chez Actes sud junior). La guerre d’Algérie fait partie de son histoire familiale, à travers son père, et c’est en effectuant des recherches sur le sujet qu’elle tombe sur Gisèle Halimi.

« Elle est féministe dans toutes les dimensions du terme ! Elle lutte pour les droits des femmes mais aussi pour elle-même. Et je trouve que c’est un modèle intéressant à montrer aux jeunes. Je n’aime pas tellement le terme « modèle », je trouve qu’il renvoie l’idée de se conformer… Je dirais plutôt source d’inspiration ! », explique l’autrice. 

Peu de temps après éclate l’affaire DSK. C’est un déferlement médiatique qui montre que le combat que Gisèle Halimi a porté pour faire reconnaître le viol en crime est toujours d’actualité :

« La notion de consentement, l’inversion de la charge sur la victime… Elle a fait changer la loi en 1978 mais en 2011, on en était toujours à avoir les mêmes comportements et remarques dans les médias… »

Pendant la conférence, elle raconte comment Gisèle Halimi, dans cette décennie qui va marquer l’histoire des féminismes, se saisit d’un cas particulier et l’érige en procès de société. Avec l’avortement tout d’abord lors du fameux procès de Bobigny où elle défend Marie-Claire et sa mère, entre autres.

« En 72, elle fait venir à la barre experts, politiques, journalistes, médecins, etc. et fait le procès de l’avortement. Elle a ensuite été menacée, comme elle l’avait été en défendant les indépendantistes algériens. C’était une remise en question de ce qu’elles étaient en tant que femmes qui prennent la parole, comme pour Simone Veil. En 78, elle reproduit ça avec le procès de deux jeunes femmes violées, Anne Tonglet et Araceli Castellano. Au départ, l’affaire est envoyée en correctionnelle pour coups et blessures. Mais les deux femmes obtiennent la requalification du procès. Gisèle Halimi prend leur défense et là encore, elle gagne. Non seulement elle gagne le procès mais elle gagne une nouvelle loi qui précise le viol et empêche sa correctionnalisation (dans le texte, car dans les faits, nombreuses sont les victimes à voir leur affaire requalifiée en agression sexuelle plutôt qu’en viol, ndlr). », précise Jessie Magana. 

Et le 16 mars 2021, quelques heures avant l’échange organisé par Déclic Femmes, les député-e-s fixaient à l’Assemblée nationale l’âge du consentement à 15 ans. Malgré le « procès du viol », l’affaire DSK, l’affaire Weinstein, et de nombreuses autres, les violences sexistes et sexuelles sont toujours terriblement prégnantes. Pourtant, l’arsenal judiciaire ne manque pas.

PARLER, PRENDRE LA PAROLE, DÉNONCER… ET ÊTRE ÉCOUTÉ-E-S ET ENTENDU-E-S…

Nous subissons toujours la lenteur de l’évolution des mentalités, précise Jessie Magana. Les mentalités évoluent plus lentement que la loi. Toutefois, les militantes féministes ne lâchent rien et c’est parce qu’elles œuvrent au combat et à la reconnaissance des droits et des choix et qu’elles prennent la parole et dénoncent les violences sexistes et sexuelles que l’autrice réédite Gisèle Halimi : non au viol, actualisant le propos dans un contexte nouveau, en pleine effervescence féministe.

« Avec les réseaux sociaux, les #, des actrices, chanteuses, femmes comme vous et moi sans audience médiatique ont pu s’exprimer. Grâce à ces mouvements, la parole d’une femme devient mondiale. », s’enthousiasme-t-elle.

Au départ, Jessie Magana est éditrice. Elle publie les récits et les imaginaires d’auteurs et autrices. Un jour, elle ressent le besoin de parler en son propre nom : « J’ai mis du temps à trouver ma voix et ma voie. Et j’ai choisi de m’adresser en priorité aux jeunes mais mes livres peuvent aussi être lus par les vieux… Quand on écrit pour la jeunesse, on est considéré-e-s un peu en marge. Et puis on a tendance à considérer qu’il faut avoir un ton neutre. J’essaye, dans tous mes livres, d’avoir un point de vue engagé pour transmettre mes combats et inciter à l’action. La littérature peut changer le monde ! »

Elle va réveiller l’adolescente qu’elle était. Une adolescente qu’elle décrit comme un peu seule dans sa révolte. « Je ne viens pas d’une famille de militants mais le sentiment d’injustice me suit depuis mon enfance. Ma conscience politique s’est construite au collège, par les rencontres et les livres. », souligne-t-elle, précisant qu’elle est née en 1974, « l’apogée du féminisme », mais lorsqu’elle grandit, dans les années 80 et 90, elle est « dans le creux de la vague… ».

Dans ces décennies de fin de siècle, les militantes sont traitées d’hystériques de service. Elles luttent pour du vent, se dit-on dans l’imaginaire collectif, puisque la contraception, c’est ok, l’avortement, c’est ok, l’accès à l’emploi, aussi… Alors quoi encore ? « À cette époque, seule la réussite individuelle comptait. Si on n’était pas une femme épanouie, si on était une femme victime de violences par exemple, bah, c’était de notre faute… », se remémore-t-elle.

Jessie Magana se souvient encore de la solitude en manif. Elles n’étaient pas très nombreuses à prendre la rue et occuper l’espace public pour défendre les droits déjà conquis et ceux à conquérir. Elle n’est pas amère vis-à-vis de cette période, elle dit même que finalement ça l’a forgée et lui a permis d’avoir du recul :

« Je considère que j’ai un rôle de trait d’union entre les générations. Et ça, ça m’intéresse beaucoup dans mon travail de transmission. »

LA QUESTION DE LA TRANSMISSION

Son nouveau roman, Nos elles déployées, répond parfaitement à ce pont entre les générations. Elle a écrit une première version il y a 15 ans. Sans réponse favorable de la part des maisons d’édition, elle l’a enfermé dans un tiroir mais la jeune fille, son héroïne, a lutté pour ressurgir, parler et trouver sa place.

Jessie Magana a retravaillé son histoire. Ou plutôt l’histoire de Solange, lycéenne dans les années 70 qu’elle traverse aux côtés de sa mère, Coco, et ses ami-e-s militantes féministes. En 2018, Solange est devenue mère à son tour et sa fille est héritière de deux générations différentes de femmes.

L’autrice explore ici les cheminements de ses personnages pour trouver leurs propres voix/voies et s’inscrire chacune dans leur propre contexte de lutte collective et d’épanouissement personnel. On aime son écriture, poétique et réaliste, son sens du détail et sa manière de nous intégrer à des événements historiques que nous n’avons pas vécu. Dans Nos elles déployées, on sent l’ambiance et on la vit. C’est un roman cinématographique qui met nos sens en éveil et nous plonge dans la vie de Solange, sur fond, très présent, de révolution féministe. 

Des réflexions sur le corps, les choix, la liberté, la parentalité, le sexe, les normes sociales, les conventions patriarcales mais aussi les complexes, les paradoxes, les oppositions… « L’intime est politique, c’est ce que je voulais faire avec ce roman. Créer une alternance entre l’intime et le collectif. Et je voulais parler du rapport au féminisme mais aussi du rapport à l’autre. Entre femmes mais aussi entre deux pays, Solange va aller en Algérie. C’est important de ne pas rester dans le contexte franco-français. Ce qui nous rassemble, c’est d’être ou de nous considérer femmes. On se retrouve dans la sororité. », souligne-t-elle.

UN RÉCIT INTIME ET COLLECTIF

Elle ne gomme pas les différences. Elle fait simplement en sorte que cela ne divise pas les femmes : « On utilise souvent les différences des femmes pour les diviser. On le voit à travers les questions d’identité de genre, de race, de religion, etc. Même au sein du mouvement féministe, avec les pro prostitution ou pas, la reconnaissance et l’inclusion de la transidentité dans les débats féministes… Il y a toujours un espace de dialogue d’opinions différentes mais l’expérience intime de la féminité nous rassemble. Il y a toujours eu des conflits, même dans les années 70 entre les gouines rouges et les mouvements plus axés féminisme d’État. Ça fait partie du plaisir de brasser les idées, de débattre ensemble, etc. »

Jessie Magana insiste, ce n’est pas seulement un roman de lutte, c’est aussi un récit qui questionne notre rapport à l’intime, nos manières et possibilités de nous construire à travers des désirs contradictoires, de s’affranchir des injonctions, en l’occurrence ici celle de la mère de Solange qui lui assène d’être libre, notre rapport à l’amour et à comment écrire l’amour. C’est un récit intense et enthousiasmant, profondément humain et vibrant.

Un récit qui résonne jusqu’en Afrique subsaharienne puisque ce soir-là, depuis Dakar, Odome Angone suit la conférence, elle est universitaire, ses travaux sont orientés sur l’afroféminisme et elle témoigne :

« Ici, être féministe est toujours un gros mot. Des femmes font entendre leurs voix au-delà des assignations. On nous reproche d’être contaminées par le discours occidental. Mais ce n’est pas un concept exogène, c’est une réalité que l’on vit au quotidien. »

Elle à Dakar, nous à Rennes. Toutes derrière nos écrans, en train de partager un instant suspendu de luttes féministes qui dépassent largement les frontières. Y compris celles de la définition pure du sexisme pour nous faire rejoindre celle de l’intersectionnalité.

Pour Jessie Magana, c’est d’ailleurs cela chez Gisèle Halimi qui inspire aujourd’hui les jeunes générations. Avocate engagée pour la cause des femmes, elle devient une figure intersectionnelle et rebelle, dans une société où les féminismes évoluent au pluriel, vers une prise en compte comme l’a formulé Fatima Zédira de la dignité et de l’histoire de la personne.

 

 

Célian Ramis

Histoires de femmes, inspirantes et puissantes

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Le matrimoine s’expose en portraits et récits de vie de 12 femmes qui ont marqué l’Histoire et qui pourtant en ont été oubliées ou exclues. L’exposition virtuelle Histoires de femmes offre la possibilité d’une rencontre avec des personnalités fortes et puissantes.
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Le matrimoine s’expose en portraits et récits de vie de 12 femmes qui ont marqué l’Histoire et qui pourtant en ont été oubliées ou exclues. L’exposition virtuelle Histoires de femmesse visite sur le site de l’université Rennes 2, nous offrant la possibilité d’une rencontre avec des personnalités fortes et puissantes.

Il y a Agnodice, la première gynécologue de la Grèce Antique. Il y a Mavia, la reine guerrière de l’Arabie antique. Il y a Wu Zeitan, la première impératrice chinoise. Il y a Christine de Pizan, la première écrivaine à vivre de son art. Il y a Nzinga, reine et combattante du Ndongo et du Matamba. Il y a Zitkala-Sa, la protectrice de la culture améridienne. Il y a aussi Maud Stevens Wagner, la première tatoueuse reconnue.

Il y a Gabriela Mistral, la première écrivaine d’Amérique latine à recevoir le prix Nobel de littérature. Il y a Anna Iegorova, une des plus grandes pilotes de l’armée soviétique durant la Seconde guerre mondiale. Il y a Christine Jorgensen, une des premières femmes transgenres aux USA. Il y a Cui Xuiwen, première artiste chinoise dont les œuvres ont été exposées au Tate Modern Museum à Londres. Et enfin, il y a Marie-Amélie Le Fur, athlète handisport multi-médaillée des Jeux Paralympiques.   

On n’en connaissait très peu. On se réjouit de les découvrir dans cette exposition conçue par Léa Tanner, Noémie Choisnet, Ysé Debroise, Euxane Desdevises et Quentin Catheline, étudiant-e-s en Master 2 Médiation du patrimoine et Histoire de l’Europe, à Rennes 2.

« En master 1, on devait réaliser un projet. La seule consigne était que ça devait être pour la fac. Sur le reste, on était totalement libres. On a choisi de dédier cette exposition aux étudiant-e-s à qui on a proposé un sondage sur les réseaux sociaux. Ils pouvaient choisir entre 3 sujets : les ports et voyageurs bretons, l’indépendance de la Bretagne et celui-ci sur les femmes qui a été retenu. », explique Noémie Choisnet. 

LA DÉCOUVERTE DU MATRIMOINE

Il y a des noms qu’elles connaissent – au départ, le groupe est constitué des 4 étudiantes – comme celui de Christine de Pizan, et d’autres, comme Nzinga, qu’on leur conseille. Elles s’inspirent des Culottéesde Pénélope Bagieu, de Viragod’Aude GG pour voir ce qui a déjà été fait, et éviter la redite, et puisent leurs matières sur Internet. « En M1, c’était la première du covid… », rappelle Ysé Debroise.

« Au début, on avait quelques autres portraits, comme celui de Clémence Royer mais après quelques recherches, on s’est aperçues qu’elle était eugéniste. On a décidé de ne pas la mettre. De rester plus politiquement correct. On voulait montrer des femmes capables d’aller à l’encontre de la pensée générale mais surtout des femmes qui nous inspirent et sont en lien avec nos convictions. », nous racontent-elles à plusieurs voix.

Pour élaborer cette exposition, le groupe souhaite visibiliser des femmes issues de tous les horizons : « Les femmes sont dans toutes les disciplines. Elles y sont légitimes. On va de l’Antiquité jusqu’à aujourd’hui et on a essayé de prendre des femmes qui viennent de pays différents, en dehors de l’Europe. Nous sommes 4 femmes blanches, on ne voulait pas centrer sur ce qu’on connaissait déjà. »

Les recherches sont fructueuses. L’Histoire a été écrite par des hommes et pour des hommes et a largement occulté la place des femmes, peu importe les domaines, les périodes et les continents. Réhabiliter le matrimoine est un travail de longue haleine. Un travail indispensable dans la déconstruction d’un système sexiste et raciste.

UN AUTRE REGARD

« Découvrir toutes ces femmes, ça donne de l’espoir ! On a une licence d’Histoire et en Histoire, on ne parle que des hommes. Là, c’est inspirant, ça nous donne des exemples. Même si bon, souvent la réussite d’une femme est décrite de manière négative… En général, la mort suit… », souligne Euxane Desdevises.

Noémie Chesnais enchaine : « Oui ou alors, on les connaît parce que ce sont les femmes des rois… ». Là, elles ne sont pas femmes de. Elles ont une identité propre et des parcours singuliers. « Pour les reines, elles le sont certes devenues parce que le père, le frère ou le neveu sont décédés mais elles ont régné pendant longtemps, ont fait des choses et étaient respectées par leur peuple. », précise Ysé Debroise, encore admirative des récits explorés.

Notamment celui de Gabriela Mistral, poétesse chilienne, qui a reçu le prix Nobel de littérature avant un homme : « Elle a fait plein de choses ! Et pourtant elle est inconnue ! Je pense en effet que le fait d’être une femme joue beaucoup… »

Pour Quentin Catheline, la découverte était totale. « Je n’en connaissais aucune mais ma non connaissance m’a donné envie de découvrir et de faire découvrir. De produire quelque chose de bien pour que ça donne envie justement (…) Ça questionne et ça nous amène à porter un autre regard sur les autres régions du monde et l’histoire. », commente-t-il.

Conscient des processus d’invisibilisation qui se jouent à travers des siècles de domination patriarcale, le groupe témoigne de l’impact bénéfique que représente l’accès à ce type de connaissances et de ressources.

Ainsi, l’exposition qui aurait dû être installée à la Mezzanine, sur le campus de Rennes 2, s’adapte à la crise et devient virtuelle. Pour chaque portrait, un dessin réalisé par un-e étudiant-e volontaire – principalement issue de leur Master ou de leurs entourages – une map monde situant la zone d’origine et de vie ainsi qu’un texte retaçant dans les grandes lignes le parcours de la protagoniste, en français et en anglais.

Un QR code est à flasher sur chaque figure présentée afin d’y trouver des ressources supplémentaires. Des sites d’infos, des vidéos des Culottées… cela permet d’en savoir plus, si on souhaite aller plus loin dans les recherches. Et pourquoi pas s’en inspirer pour d’autres projets.

« Ce serait bien que quelqu’un reprenne le flambeau après nous. Vraiment ! Il y a encore tellement de femmes à découvrir ! », s’enthousiasme Léa Tanner.

L’exposition est visible sur le site de l’université Rennes 2, jusqu’au 19 mars.

 

 

 

Célian Ramis

Réduire concrètement les inégalités femmes-hommes dans les sciences

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Quand on pense aux sciences, on a en tête l’image d’un chimiste en blouse blanche dans son laboratoire, du mathématicien en train de noircir son tableau d’équations, de l’ingénieur qui conçoit les technologies de demain. On pense au masculin, à tort.
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Quand on pense au domaine des sciences, on a très souvent l’image d’un chimiste en blouse blanche dans son laboratoire, du mathématicien en train de noircir son tableau d’équations, de l’ingénieur qui conçoit les technologies de demain. On pense au masculin, à tort. Les filles et les femmes s’investissent dans les carrières scientifiques mais pâtissent d’un manque de visibilité et d’un manque d’encouragement, pouvant donner lieu à un sentiment d’illégitimité, sans oublier les violences sexistes et sexuelles qu’elles vont subir durant leurs études et l’exercice de leur fonction.

Les choses bougent. Lentement mais elles bougent. Ainsi, on constate ces dernières années qu’enfin des femmes obtiennent par exemple le Docteur Honoris Causa, un titre honorifique que l’université décerne à une personnalité éminente.

Entre 1987 et 2012, à l’université Rennes 1, 48 titres ont été remis. Uniquement à des hommes. Le 8 mars 2013, 3 femmes, dont la mathématicienne Hélène Esnault, ont accédé au DHC. Entre 2014 et 2019, le titre a été décerné à seulement 3 femmes contre 12 hommes. Ça progresse mais c’est largement insuffisant.

« Identifier et réduire les inégalités dans les sciences », c’est la thématique choisie par l’université Rennes 1 pour une conférence en ligne qui a eu lieu le 8 mars, journée internationale des droits des femmes.

Colette Guillopé et Marie-Françoise Roy sont toutes les deux professeures émérites, respectivement de l’université Paris-Est Créteil et de l’université Rennes 1, engagées pour l’égalité femmes-hommes dans les sciences, et ont participé au projet international « The gender gap in science – A global approach to the gender gap in mathematical, computing and natural sciences : how to measure it, how to reduce it ? » dont l’ouvrage réalisé – publié il y a un an - est actuellement traduit en français par les deux intervenantes.

Entre 2017 et 2019, à l’initiative de l’Union internationale de mathématiques (à travers son Committee for women in mathematics) et l’Union internationale de physique, 11 coordinatrices et 1 coordinateur, issu-e-s de toutes les disciplines scientifiques et de différents pays ont mené une enquête auprès de 32 000 scientifiques répondant-e-s depuis 130 pays, ont analysé des millions de publications et revues depuis les années 70, ont créé une base de données des bonnes pratiques, référençant 68 activités, et ont dressé une liste de recommandations à destination des parents, des organisations locales et des institutions scientifiques.

DES DIFFÉRENCES CONSTATÉES SIGNIFICATIVES

Pour cette enquête, hommes et femmes ont été interrogées sur l’ensemble de leur vie universitaire et professionnelle. Résultat :

« Les expériences des femmes sont moins positives que celles des hommes. »
commente Colette Guillopé.

Les femmes sont souvent moins encouragées dans leurs études et carrières par leurs proches et leurs familles. Elles disposent de moins de rôles modèles, perçoivent un salaire moindre et voient leurs carrières évoluaient plus lentement que celles des hommes. 

Autre point non négligeable : un quart des femmes interrogées ont signalé avoir été victimes de harcèlement sexuel pendant leurs études ou au travail. Il est essentiel de travailler à la culture de l’égalité dans tous les secteurs de la société.

Dans l’analyse des publications de 1970 à 2018, Colette Guillopé constate une augmentation régulière de la proportion des femmes autrices d’articles scientifiques. Dans ce qui est considéré comme les meilleures revues, les plus renommées du moins, l’amélioration en astronomie et en chimie est nette (20% en 2020), tandis qu’il n’y a pas de progrès en mathématiques et en physique théorique où elles sont toujours moins de 10%.

En ce qui concerne la base de données des bonnes pratiques, Colette Guillopé établit qu’il est difficile de savoir ce qui relève de la « bonne » pratique et ce qui n’entre pas dans la catégorie : « Surtout qu’il y en a certainement plein mais qu’on ne les connaît pas forcément. »

L’intérêt n’est pas nécessairement de constituer une liste exhaustive mais surtout de sensibiliser les familles et les communautés pour promouvoir les carrières en science auprès des filles, surtout quand celles-ci vont à l’encontre des normes et des préjugés. Pour encourager les femmes à s’intéresser aux questions scientifiques. Pour promouvoir un soutien pour les femmes, via des systèmes de marrainage et de réseaux par les chercheuses et professionnelles confirmées dans les STIM.

LES AXES DE RECOMMANDATIONS

« Nous avons listé une trentaine de recommandations qui sont des choses plus ou moins déjà faites maintenant que, depuis 2013, les chargé-e-s de mission Égalité sont obligatoires dans les établissements d’enseignement supérieur. », explique la professeure de Paris-Est.

À destination des parents et des professeur-e-s, les préconisations concerneront le fait d’éviter les préjugés relatifs aux femmes et aux hommes et de plutôt promouvoir l’égalité des sexes et sensibiliser aux questions de genre.

Il y a également de nombreuses actions à entreprendre au niveau des organismes scientifiques et des établissements d’enseignement sur l’axe par exemple du harcèlement sexuel et de la discrimination afin de les empêcher, signaler et les condamner, mais aussi l’axe de la promotion de l’égalité des sexes dans les politiques de l’établissement ou encore l’axe de la parentalité, de son impact sur les carrières mais aussi de sa gestion avec l’environnement professionnel.

Concernant les recommandations formulées pour les unions scientifiques et autres organismes internationaux, Colette Guillopé et Marie-Françoise Roy conseillent de travailler sur le changement des normes, d’encourager les bonnes pratiques, d’augmenter la visibilité des femmes scientifiques et de créer des comités pour les femmes en science.

« ÉGALITÉ EN SCIENCE ! »

Afin de pouvoir accès aux mesures concrètes proposées et aux résultats de l’enquête, il faudra attendre encore quelques temps. La traduction est en cours, assurent les deux expertes. Et elle sera partielle avec cependant l’ajout de deux chapitres, un sur les mathématiciennes africaines – grâce à l’African women in mathematics association – et un sur les mathématiciennes françaises – grâce à l’association Femmes et mathématiques.

Le livre en français s’appelle : Égalité en science ! Une approche globale des inégalités femmes-hommes en mathématiques, informatique et sciences : comment les mesurer ? comment les réduire ?

Concernant les mathématiciennes françaises, elles en ont sélectionnées 5 et les ont interrogées sur leur parcours, leurs résultats scientifiques et leur action phare pour l’égalité femmes-hommes en mathématiques. Figurent ainsi Anne Boyé, Clotilde Fermanian, Geneviève Robin, Olga Romaskevich, Anne Siegel.

On y trouve aussi des statistiques plutôt accablantes sur la proportion de femmes et d’hommes professeur-e-s de maths depuis 1996. Les femmes représentent moins de 10% et leur nombre diminue progressivement avec le temps.

« En 2075, il n’y aura plus une seule profe de maths à l’université en France si ça continue. »
déplore Marie-Françoise Roy.

FAIRE PROGRESSER L’ÉGALITÉ CONCRÈTEMENT

À l’occasion de la conférence, Marie-Françoise Roy s’appuie sur différentes situations et actions que l’on peut mettre en lumière dans le cadre des avancées dues à des mouvements en faveur de l’égalité femmes – hommes.

Elle prend l’exemple du CIRM – Centre international de recherches mathématiques – un centre de rencontres organisées sur une semaine, dans le sud de la France. Créé en 1981, « il était interdit depuis le début d’y amener des bébés. Si une mère voulait allaiter, elle devait sortir de l’enceinte de la structure. » Et quand elles venaient en famille avec des enfants même plus âgés que les nourrissons, elles devaient louer un hébergement en dehors du CIRM au lieu de loger avec les autres.

A coups de protestations et de pétitions, « l’impossible est devenu possible ». Depuis 2016, soit 35 ans après son ouverture et à la suite d’une rénovation des locaux, le CIRM autorise les bébés et les enfants, installés avec leurs parents dans des studios familiaux. Les familles peuvent donc depuis 5 ans manger et loger avec le reste des personnes présentes. « Quand ils ont changé le règlement, ils n’ont pas fait beaucoup de pub à ce sujet… », conclut la professeure qui embraye rapidement sur les initiatives positives mises en place sur le campus de Beaulieu.

L’université Rennes 1, en collaboration avec l’université Rennes 2, l’EHESP, l’INSA, l’ENSAB et l’ENSCR, ont mis en place un dispositif de prévention et de lutte contre le harcèlement sexuel. Sur le site de Rennes 1, un espace est dédié par exemple pour alerter une ou des situations de harcèlement sexuel, que l’on en soit victime ou témoin.

Une fois l’alerte effectuée, la présumée victime peut avoir accès à une cellule de soutien, composée de médecins, d’une assistance sociale, d’une psychologue et d’un soutien juridique. Elle pourra éventuellement être orientée vers l’association SOS Victimes. Si elle le souhaite, elle pourra suivre les mesures conservatoires et/ou disciplinaires avec l’établissement.

Autre initiative en faveur de l’égalité femmes-hommes : l’inauguration en octobre 2019 de l’amphithéâtre Maryam Mirzakhani, pemière et seule mathématicienne à avoir obtenu la médaille Fields en 2014. Une exposition sur la vie et le travail de Maryam Mirzakhani a eu lieu au Diapason, à la Bibliothèque universitaire ainsi qu’à la MIR et deux tables rondes ont été organisées en 2019 et en 2020, dans le cadre du 8 mars à Rennes, sur la place des femmes dans les sciences, et notamment en mathématiques.

L’université Rennes 1 engage une politique de lutte contre les violences sexuelles, pour la visibilité des femmes scientifiques et œuvre plus largement contre toutes les formes de violences sexistes, dont celles qui concernent la grossesse des post-doctorantes, en soutenant financièrement les pertes éventuelles de rémunération (du contrat de recherche) pendant leur congé maternité. 

Un projet est à l’étude en ce moment concernant le congé pour recherche ou conversions thématique (CRCT) – qui permet une période de recherche à plein temps et dispense de l’enseignement et des activités administratives pendant six mois à un an – afin que celui-ci soit accordé de droit aux enseignantes-chercheuses de l’université Rennes 1 qui en font la demande au retour de leur congé maternité.

En 2021, ce sont des actions innovantes. Les mentalités évoluent. Lentement. Trop lentement. Mais les politiques en faveur de l’égalité femmes-hommes, à l’instar de toutes les politiques en faveur de la lutte contre les discriminations, doit être encouragée. Afin que ce soit les filles et les femmes qui en bénéficient. Dans leurs orientations scolaires, choix de métier, évolutions de carrières, possibilité d’articuler vie professionnelle et vie personnelle sans sacrifices visant toujours les mêmes individus.

 

Célian Ramis

Les luttes féministes en voix et en mots

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Organisée par le collectif Nous Toutes 35 le 21 novembre dernier, la mobilisation contre les violences sexistes et sexuelles a rassemblé plus d’un millier de personnes sur l’esplanade Charles de Gaulle.
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Depuis plusieurs dizaines d’années, le 25 novembre est la journée internationale de lutte contre les violences faites aux personnes sexisées, en référence à l’assassinat, ce jour-là de 1960, des sœurs Mirabal commandité par le dictateur de la République dominicaine, Rafael Trujillo. Organisée par le collectif Nous Toutes 35 le 21 novembre dernier, la mobilisation contre les violences sexistes et sexuelles a rassemblé plus d’un millier de personnes sur l’esplanade Charles de Gaulle. 

Au sol sont placardés des messages. « Jessica, travailleureuse du sexe, écrasée volontairement au Bois de Boulogne à Paris ». « Manon, 19 ans, poignardée par son compagnon ». « Magdalena, 33 ans, poignardée par son ex compagnon, confinement ». « Korotoune, 30 ans, poignardée par son mari ». « Célène, 55 ans, tuée et dissimulée 4 mois par son conjoint ». « France, 56 ans, tuée par son ex ». « Lucette, 78 ans, abattue par son compagnon, 2econfinement ». 

Le 19 novembre, le compte du Collectif Féminicides par compagnons ou ex recensait, depuis le 1erjanvier 2020, 87 assassinats de femmes. Des meurtres perpétrés par leur conjoint ou ex conjoint. Deux jours plus tard, le 21 novembre, le procès de Jonathann Daval – assassin de Alexia Fouillot, son épouse au moment des faits en 2017 - se concluait sur la condamnation de ce dernier à 25 ans de réclusion. Le 20 novembre, à l’occasion du Jour du Souvenir Trans, les associations militantes listaient les 350 prénoms de personnes trans assassinées ou poussées au suicide. 

Dans la lutte conte les violences sexistes et sexuelles, pas de trêve. Les périodes de confinement exacerbent les violences patriarcales. L’isolement renforce les dangers, dans l’espace privé principalement, mais également dans l’espace public. Au sein de la foule masquée, des cartons sur lesquels sont écrits une lettre sont brandis, formant ainsi la phrase : « Covid à l’extérieur, violences à l’intérieur ».

OCCUPER L’ESPACE PUBLIC

Ce jour-là, la distanciation physique est exigée. Heureusement, elle n’empêche pas de « crier notre colère, de faire du bruit, de dénoncer les rouages du système patriarcal », comme le soulignent les membres de Nous Toutes 35 qui rappellent qu’occuper l’espace public est indispensable pour être vu-e-s et entendu-e-s. Dans le mégaphone, un slogan retentit : « Le silence ne nous protégera pas, on sera dans la rue tant qu’il le faudra. »

Un endroit depuis lequel on peut également interpeler les pouvoirs publics et le gouvernement qui multiplie les effets d’annonce – l’égalité femmes-hommes « grande cause du quinquennat »… - mais qui s’apprête à créer un marché public pour mettre en concurrence le numéro national gratuit et anonyme d’écoute des femmes victimes de violences sexistes et sexuelles (géré depuis 1992 par le 3919). 

Des moyens supplémentaires sont revendiqués. Pas du bla bla. Des hébergements alternatifs en nombre suffisant pour les personnes victimes de violences au sein de leur foyer, des formations pour les forces de l’ordre, les professionnel-le-s de la santé, du social, de l’éducation, etc., ainsi que des moyens financiers et humains pour toutes les structures accueillant et accompagnant les personnes sexisées.

REPRENDRE NOTRE SOUFFLE, DANS LA SORORITÉ

Militer peut être épuisant tant le combat et les souffrances infligées sont colossales. La mobilisation vient regonfler les motivations, renforcer les esprits et les envies, insuffler une énergie puissante et libératrice en soulignant l’importance du collectif. Durant plusieurs dizaines de secondes, les participant-e-s crient ensemble, lèvent les poings en l’air, dansent en reprenant l’hymne féministe créé par les militantes chiliennes de Las Tesis « Un violador en tu camino » (« Un violeur sur ton chemin »).

« Islamophobie et misogynoir, ne fuyons plus du regard », « Notre colère est dans la rue, riposte féministe », « Violeurs au pouvoir, police criminelle, révolution féministe », « + de meufs, - de keufs », « Real men are feminists », « Où est notre liberté ? », « Quand c’est non, c’est non », « Transwomen are women » ou encore « Dans 32 féminicides, c’est Noël ».

Les mots sont forts. Les mots sont justes. Ils sont écrits, brandis, lus, commentés. Ils sont aussi scandés, hurlés, étouffés, repris en chœur : « Femmes handis, face aux violences, tou-te-s uni-e-s ! », « Agresseur ! Violeur ! A ton tour d’avoir peur ! », « La rue elle est à qui ? Elle est à nous ! De jour comme de nuit, elle est à nous ! Avec ou sans voile, elle est à nous ! Avec ou sans poussette, elle est à nous ! », « Assez ! Assez ! Assez de cette société qui ne respecte pas les trans, les gouines et les pédés ! », « Ni patrie, ni patriarcat, solidaires, au-delà des frontières ! »

PRENDRE LA PAROLE

Et puis, il y a les discours. Les témoignages. Déclamés sur la scène ou enregistrés au préalable et transmis lors de la mobilisation. Les vécus sont poignants. Leur partage, émouvants. Ils démontrent l’ampleur des violences qui prennent des formes diverses et multiples et intègrent toutes les sphères de la société.

Le collectif Les dévalideuses dénoncent le validisme qui s’exerce au quotidien contre les personnes handicapées à qui l’accès à l’espace public est quasiment interdit :

« La question des violences qui s’accroit pendant le confinement touchait déjà majoritairement les femmes handicapées. Elles sont les grandes oubliées des campagnes de prévention. Le validisme existait avant le coronavirus, il n’a fait que s’amplifier par un phénomène de banalisation du mal. Le validisme existera sans doute encore après la crise mais nous, personnes handicapées, femmes, militantes, dévalideuses, nous nous battrons contre ce virus avec le féminisme comme meilleur remède. »

BRISER LE SILENCE

Plusieurs témoignages de femmes exilées en France sont diffusés. Leurs parcours sont différents mais ils sont tous jonchés de violences. Elles prennent la parole pour briser le silence et l’isolement dans lesquels on les enferme, en fermant les yeux sur leurs situations.

L’une (identité non diffusée) a fait le constat qu’elle avait épousé un homme violent, après le mariage. Elle a subi des violences pendant 4 ans : « Il me demandait pardon et je devais revenir car je n’avais nulle part où aller. À un moment, j’ai été hébergée 15 jours dans la famille et puis je me suis retrouvée dehors. D’abord dans un hôtel, puis dans un foyer. Avec mes deux enfants. Les enfants me disaient que c’était de ma faute, ça me faisait de la peine, je me sentais coupable car je m’étais mariée avec lui. »

Elle a ensuite été maltraitée et brutalisée par un homme qu’elle pensait être son ami. En échange d’une aide, il voulait de l’argent ou des faveurs sexuelles : « Il n’y avait pas de solution selon l’assistante sociale. Je devais retourner alors que je savais qu’il y avait des violences et du chantage. » Aujourd’hui, elle attend sa régularisation et sa santé se dégrade.

Une autre (identité non diffusée) parle en anglais et est traduite en français. Sa parole est retransmise à la 3epersonne : « Elle a vécu un mois dans la rue dans des endroits pas à l’abri, elle a appelé plusieurs fois le 115 mais ils n’ont jamais répondu. Maintenant, en ce moment, elle est dans un foyer avec des personnes âgées mais elle n’a pas beaucoup d’aide. Quand elle raconte son histoire, ils veulent profiter d’elle, lui disent de venir avec eux, de leur donner de l’argent mais elle n’en a pas, ou son corps. C’est vraiment difficile pour les femmes. »

DE LA DÉTRESSE AFFECTIVE À LA DÉTRESSE MATÉRIELLE

Régine Komokoli a 39 ans et élève seule ses trois filles. Elle est la co-fondatrice de Kune, un collectif de femmes de Villejean, à Rennes. Elle vient de la République centrafricaine et livre un témoignage poignant autour de son parcours, ses convictions et des raisons pour lesquelles la lutte contre les violences sexistes et sexuelles lui tient à cœur.

« Chaque histoire de vie est différente. Je vous livre mon témoignage. Je viens d’un pays où règne le chaos depuis plusieurs décennies. Je suis née en 1981, élevée dans une famille de tailleurs. J’ai vécu la brutalité économique, physique et psychologique dans mon enfance et adolescence. L’insécurité règne de jour comme de nuit. Violences sur les filles, le risque est permanent. Le viol est un moyen pour les milices de dominer les populations. J’ai payé cher ma condition de jeune adolescente. J’ai pris le chemin d’un exil sans retour. Je me suis sauvée dans tous les sens du terme. A 20 ans, je suis partie vers la France. »

Elle poursuit : « A l’issue d’un long parcours, j’ai acquis la nationalité française. J’ai été confrontée à la violence conjugale. Je suis actuellement en logement provisoire pour fuir les coups du père de ma 3efille. Je bénéficie d’une mesure de protection judiciaire grâce à une mesure d’éloignement de mon ancien conjoint violent. Les violences faites aux femmes ne s’arrêtent pas aux portes de l’Europe et de la France. Je connais la détresse des femmes. Je connais aussi l’angoisse terrible de devoir faire une valise avec les choses les plus importantes en quelques minutes. »

Elle détaille ensuite les diverses formes de détresses que les violences entrainent. Il y a la détresse affective, « faire comme si tout allait bien mais vivre l’angoisse des violences au jour le jour. »La détresse psychologique, « fuir le domicile conjugal est un saut dans l’inconnu et annonce des jours, des semaines et des mois difficiles. » La détresse familiale « car bien souvent les enfants sont témoins des violences et durablement marqués. » La détresse sociale « car fuir un conjoint violent c’est voir l’ensemble de sa vie bouleversée. Certains ont des difficultés de compréhension de l’administration, confrontés à un univers juridique qu’on ne connaît pas. » Et puis aussi la détresse matérielle, « c’est fuir avec le minimum pour soi et ses enfants, c’est régler une urgence l’une après l’autre et quand on a pensé avoir tout réglé, d’autres apparaissent. » 

Et la pire des détresses selon elle : « L’impossibilité d’expliquer une situation. Comment trouver les mots qui doivent être dits dans une langue qui est étrangère ? Il manque un travail de proximité, une maison des femmes comme à Saint-Denis. Un lieu sécurisé, un lieu où il existe un réel accueil, un lieu de paroles pour la mère et pour les enfants. Les coups ne blessent pas que le corps mais aussi les âmes. Il faut que les femmes issues de cultures différentes puissent être écoutées par des femmes issues de la même culture. »

Régine Komokoli conclut par des chiffres : « Entre 120 et 150 femmes se font tuer chaque année par leur conjoint ou ex conjoint, 220 000 sont victimes de violences. C’est une maladie sociale qui touche tous les milieux. C’est aussi le signe que la France reste un pays profondément patriarcal. Cela démontre aussi une chose : c’est à nous les femmes de prendre en main notre destin, c’est à nous de lutter pour nos droits ! »

LA TRANSPHOBIE TUE

La transphobie est également dénoncée lors des discours à travers une prise de parole d’Iskis – centre LGBT de Rennes. La veille, le 20 novembre, avait lieu comme chaque année la journée internationale du Souvenir Trans. Une occasion pour les personnes transgenres et leurs allié-e-s de célébrer la mémoire des personnes assassinées à cause de la transphobie. En un an, les associations ont recensé la mort de 350 personnes transgenres et non binaires.

« Cette année encore, les personnes exilées et les travailleureuses du sexe constituent la majorité des victimes qui ont été signalées. La transphobie trouve ses racines dans le sexisme. Quasi presque toutes les personnes victimes recensées sont des femmes transgenres ou des personnes féminines. Ce que les transphobes détestent ce sont les femmes, la féminité, la remise en question de la hiérarchie de genre. 

Si en France les meurtres sont moins nombreux que dans d’autres régions du monde, les violences à l’égard des personnes transgenres sont omniprésentes. Agressions, insultes sont monnaie courante. Mais la transphobie est parfois plus insidieuse. Les discriminations à l’embauche, l’accès au logement et l’accès à la santé. 

Les procédures légales de changement de prénom et de changement de mention de sexe sont longues, pénibles, parfois refusées sans raison. Les travailleureuses du sexe sont toujours laissé-e-s pour compte sans protection juridique. 

Cette transphobie systémique, étatique, tue partout dans le monde. Tue en France aussi. En 2020, en France, comme chaque année, on déplore dans notre pays le suicide de nombreuses personnes transgenres et notamment de jeunes femmes précaires, travailleuses du sexe, que l’Etat a laissé mourir dans le silence. 

Face à l’abandon des institutions, nous sommes obligé-e-s de compter sur le soutien communautaire. Avec la crise sanitaire, les demandes d’aide auprès des associations et des collectifs ont explosé. Soulignons la vulnérabilité de notre communauté. Certaines initiatives nous ont aussi montré à l’inverse sa résilience et sa force. 

Si nous ne pouvons pas compter sur le soutien de l’Etat, nous pouvons compter sur le soutien et l’entraide mutuelle. Stop aux violences sexistes ! Stop aux violences transphobes ! »

VALORISER LES PREMIÈRES DE CORVÉE

La commission Femmes de Solidaires 35 axe son discours sur « les premières de corvée ». Celles qui occupent des postes dévalorisés et pourtant essentiels, comme le prouvent les périodes de confinement : « La crise a eu un mérite, celui de révéler des métiers qui la plupart du temps sont invisibilisés parce qu’ils sont exercés par des femmes. Ces métiers ce sont ceux qu’on appelle les métiers du soin et des services à la personne. 

Quand on regarde les chiffres, ils sont assez parlants. À l’hôpital, les infirmières, à 87%, ce sont des femmes. Les aides soignantes, à 91%, ce sont des femmes. Dans les supermarchés, en caisse, à 76%, ce sont des femmes. Dans les métiers des services à la personne, les assistantes sociales, les aides à domicile, encore des femmes, à 97%. Ces métiers féminins sont des métiers parfois précaires, souvent sous-payés, très mal payés et très pénibles. 

Les métiers qui sont indispensables sont complètement dévalorisés, sous-payés. On se dit pourquoi ? On s’est trop habitué-e-s à ce que les femmes travaillent gratuitement. Gratuitement pour s’occuper des enfants. Gratuitement pour s’occuper des malades. Gratuitement pour s’occuper des personnes âgées. Ces métiers doivent être aujourd’hui reconnus à leur juste valeur. »

LES FEMMES KURDES COMBATTANTES POUR UNE SOCIÉTÉ LIBRE

Au tour des militantes de l’association des femmes kurdes à Rennes, Zin 35, de prendre la parole. Depuis la capitale bretonne, elles dénoncent la situation en Turquie et dans plusieurs villes du Kurdistan : « De plus en plus de femmes sont violées et massacrées. Des exécutions extra judiciaires ciblées ont même été effectuées contre des femmes ainsi même que des enfants et des familles entières. Une grande partie de ces massacres ont eu lieu au moyen d’attaques de drones utilisés à des fins militaires. Les incidents de violences policières, de tortures, d’harcèlements, de menaces de mort ou d’enlèvements qui servent également à détenir des militantes prouvent qu’une politique de guerre spéciale est appliquée à l’encontre des femmes. »

Elles rappellent que le nombre de femmes « qui ont été interdites de la sphère politique, de la vie publique ou du travail, uniquement pour des délits d’opinion et qui sont maintenant retenues en otage dans les prisons est d’environ 10 000. »

Les militantes revendiquent la justice contre les défenseurs des régimes fascistes qui commettent, comme elles le soulignent, systématiquement des massacres : « Nous déclarons que nous poursuivons notre résistance contre les féminicides par des campagnes de protestation. Il ne fait aucun doute qu’Erdogan a commis et continue de commettre non pas 100 mais des milliers de crime au cours de ces 18 années de pouvoir, c’est pourquoi nous allons régler nos comptes avec Erdogan, un des plus gros auteurs de féminicides avec notre campagne « 100 raisons pour le procès du dictateur ». » 

En tant que femmes kurdes, elles exigent « de l’ONU que les meurtres de femmes soient reconnus comme des féminicides génocides. Nous demandons que les féminicides soient officiellement reconnus comme un crime contre l’humanité au niveau international. En effet, les Nations Unies ont longtemps échoué à le faire encourageant les dictateurs comme Erdogan. Avec cette campagne, nous demandons justice et qu’Erdogan soit jugé. 

Nous accueillons la journée du 25 novembre sous la devise de l’auto-défense de la société libre contre les féminicides. Nous défendons un modèle de société libre contre les formes de violences envers les femmes. Du Kurdistan au Chili, de la Pologne au Soudan, des Etats-Unis à l’Iran, de l’Inde à l’Europe et en Turquie, unissons-nous pour mettre fin à l’ignorance, à l’oppression, aux harcèlements, aux violences sexuelles et sexistes, aux féminicides partout dans le monde. Les femmes, la vie, la liberté ! »

APPELS À LA SOLIDARITÉ CONTRE LES VIOLENCES POLICIÈRES ET CONTRE LES VIOLENCES FAITES AUX PERSONNES EXILÉES SANS PAPIERS

Le 25 novembre et le 8 mars ne constituent pas les deux seules dates durant lesquelles les militant-e-s se mobilisent et s’unissent pour protester contre les injustices. Lors des discours, deux appels au rassemblement et à la solidarité sont effectués. Le premier par Awa Gueye, fondatrice du collectif Justice et vérité pour Babacar Gueye, le 5 décembre 2020 à 14h, à Maurepas, à Rennes. Le rendez-vous est donné devant l’arrêt de bus Gast.

Elle lutte depuis 5 ans, avec et aux côtés d’autres familles de victimes « mutilées, assassinées par la police », comme l’a été son frère, Babacar. « En tant que femme noire, en tant que femme militante, je suis là avec vous, pour mener le combat ensemble. Depuis l’année dernière, depuis novembre dernier, je lutte avec Nous Toutes 35, avec le collectif Justice et Vérité pour Babacar et avec beaucoup d’autres collectifs un peu partout en France. Aujourd’hui, je ne me sens plus seule. Aujourd’hui, je vois que ma fille est là devant moi. Je ne me sens plus seule grâce à vous ! »

Le second par le groupe Femmes de la Marche des Solidarités, le 18 décembre 2020, à Paris, pour l’Acte IV des Sans-Papiers. En tant que combattantes, venues de différents pays, elles appellent toutes les femmes en exil en France à sortir de l’invisibilité et en tant que féministes portent les revendications pour la régularisation de tous et de tous sans conditions, pour la fermeture des prisons administratives, les CRA (centres de rétention adminstrative), qui les menacent, leur font peur et les obligent au silence et pour le droit de tou-te-s de vivre dans un endroit digne.

« Nous les femmes du monde entier subissons les violences patriarcales. Sur tous les continents, dans le monde entier. Celles d’entre nous qui parcourons le monde sans le droit de le faire à cause du préjudice de notre naissance, du lieu, de notre genre ou de notre sexe, nous sommes parties pour un monde meilleur au risque de nos vies. 

Une femme violentée administrativement mise à genoux est une femme affaiblie pour mieux l’abattre. Nous appelons à la sororité. Nous vous appelons nos sœurs à rejoindre notre combat pour la dignité. Ici en France, à la merci des hébergements contre services sexuels, des violeurs, des profiteurs de notre vulnérabilité administrative, du silence imposé par la situation d’illégalité. 

Nous dénonçons la violence institutionnelle qui construit notre misère et nous enferme dans la voix du silence. La honte doit changer de camp ! Soyons unies ! »

Rassemblons-nous. Mobilisons-nous. L’actualité démontre au quotidien la brutalité d’un système oppresseur aux multiples facettes. Croisons les vécus, écoutons nos adelphes, respectons les individus. Féministes tant qu’il le faudra.

Célian Ramis

Que sea ley, pour que comptent les voix et les corps des femmes en Argentine (et pas que)

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28 septembre. Journée internationale pour le droit à l’avortement. Un droit toujours refusé aux Argentines. Retour sur leur combat historique et puissant en 2018 à travers le film "Que sea ley", diffusé au cinéma L'Arvor, à Rennes.
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28 septembre. Journée internationale pour le droit à l’avortement. Un droit toujours refusé aux Argentines. On se souvient de leur combat historique et puissant en 2018 alors que le 7projet de loi visant la légalisation de l’IVG était étudié par les parlementaires. Le réalisateur Juan Solanas rend compte de la marée verte dans son film Que sea ley – traduit en français par Femmes d’Argentine – présenté le 28 septembre 2020 au cinéma L’Arvor, à Rennes. 

En juin 2018, le monde braque ses yeux sur l’Argentine qui s’embrase dans les mobilisations féministes pour le droit de disposer de son propre corps - et donc de choisir de mener une grossesse à terme ou non - et retient son souffle lorsque le 8 août, le Sénat est amené à voter le projet de loi concernant la légalisation de l’avortement présenté pour la septième fois.

Pas de suspens, évidemment, nous connaissons depuis deux ans l’issue du vote. Le projet de loi est rejeté à 38 voix contre 31 voix en faveur de la légalisation. Une actualité en chasse une autre et petit à petit, le monde médiatique délaisse l’Argentine et son combat.

La soirée organisée au cinéma L’Arvor, en partenariat avec le Planning Familial 35 et Amnesty International, à l’occasion de la Journée internationale pour le droit à l’avortement, agit non seulement comme une piqure de rappel mais également comme une sonnette d’alarme.

Parce que plus de 3000 argentines sont décédées des suites d’un avortement clandestin. Parce qu’elles sont toujours plus nombreuses à être rendues coupables d’agir contre une grossesse non désirée. Parce qu’elles sont sévèrement punies de ne pas vouloir mener cette grossesse à terme. Parfois – souvent - au prix de leur vie.

Aussi parce que la loi permettant l’avortement en cas de viol et/ou de danger pour la vie de la femme concernée n’est pas appliquée. Parce qu’en Argentine, les femmes qui ont de l’argent réussissent à avorter dans des « conditions plus acceptables », tandis que les plus pauvres – 36% de la population vit sous le seuil de pauvreté et 48% des mineur-e-s – risquent leur vie parce que l’Etat ne prend sa responsabilité face à l’Eglise.

On se rappelle donc ce mouvement argentin mais sans le connaître réellement. De loin. Ce lundi soir, on se le prend en pleine gueule. L’engouement, la révolte, la détermination. Les témoignages de femmes qui ont avorté clandestinement. Les parcours de combattantes rendues coupables par avance.

Les familles qui ont vécu et vivent encore le drame de leur-s fille-s décédée-s à la suite d’un avortement clandestin et d’une mauvaise prise en charge ensuite à l’hôpital dans le but de les punir. Les enfants, rendus orphelins de leurs mères.

Toutes ces paroles s’entremêlent aux sons et aux rythmes des batucadas qui rythment les manifestations et les mobilisations de milliers de femmes réunies dans l’espace public. Elles le disent, elles le savent, le combat se gagnera dans la rue. Alors, elles la prennent cette rue. Elles l’envahissent, crient leur colère, leur désarroi, chantent leur rage et prônent leur droit. Leur droit à disposer de leur propre corps. Leur droit à choisir si oui ou non, elles veulent mener la grossesse à terme et garder l’enfant.

Mais le poids du discours catholique et des évangélistes est encore trop lourd dans cette Argentine qui doit mener de front la lutte pour les droits des femmes et la séparation de l’Eglise et de l’Etat. Le couperet tombe, les larmes coulent. En août 2018, le projet de loi visant à légaliser l’avortement est rejeté. Mais le mouvement n’est pas figé, pas stoppé, pas affaibli.

LES ARGENTINES MÈNENT PLUSIEURS COMBATS DE FRONT

Après la projection, un temps d’échange est organisé. La présence de Marie Audran est une aubaine. Elle a vécu en Argentine pendant trois ans et notamment durant cette période. Son expérience et ses connaissances permettent ainsi de situer ce combat dans un contexte politique plus global.

Elle explique la symbolique du foulard vert qui s’inscrit dans « une tradition de luttes ». Elles rendent hommage (femmage, devrait-on dire) aux foulards blancs « des mères et des grands-mères qui se réunissaient pendant la dictature en Argentine, place de mai à Buenos Aires, et qui réclamaient la vérité et la justice pour leurs enfants disparus. »

« Elles ont repris le symbole du foulard blanc sur le foulard vert et établissent un lien entre le corps des femmes et l’État. Elles dénoncent la souveraineté de l’Etat sur le corps. Il y a aussi un foulard orange pour la lutte pour l’état laïc. Beaucoup de combats sont menés de front. Elles croient en l’importance de déconstruire le lien avec l’église.»
souligne Marie Audran.

Elle était sur place avant ce mois de juin 2018. Elle raconte : « Les anti avortements se sont mis à occuper la place à partir du moment où le congrès a voté le projet de loi. Avant, devant le congrès et partout ailleurs, c’était le vert qui était présent. »

Tous les mardis, les militantes au foulard vert se rassemblaient dans l’espace public, le lieu changeait en fonction des dates, et organisaient un débat. Marie Audran se souvient de « ce gros bouillonnement de mobilisation », impressionnée justement par la capacité de mobilisation et d’organisation des Argentines. 

En 2015 déjà, elles se soulevaient contre les féminicides et les violences machistes avec la naissance du mouvement Ni una menos. Le film le rappelle : en Argentine, une femme meurt toutes les 26h. Parce qu’elle est femme.

« À cette époque, arrive un président de droite libérale, après plusieurs mandats de centre gauche. Les femmes poussent un cri de rage avec Ni una menos. Et ce mouvement a essaimé dans différents pays d’Amérique du Sud. Dans un contexte d’explosion sociale, les militantes féministes luttent contre le néo-libéralisme. Elles vont prendre un grand protagonisme contre le néo-libéralisme. Ici, on assiste à une vraie révolution des consciences. Comme une des femmes le dit dans le film, une fois qu’on commence à regarder les choses sous l’angle féministe, on ne peut plus revenir en arrière. », commente Marie Audran. 

UNE LUTTE INSPIRANTE ET PUISSANTE

Marie-Françoise Barboux, membre de l’antenne rennaise d’Amnesty International ajoute : « C’est la 7fois que le projet était présenté mais c’était la 1èrefois qu’il prenait cette ampleur. Première fois que les femmes ont convaincu autant de député-e-s de tout bord politique. Espérons que le 8eprojet soit présenté en 2020. »

L’ampleur est colossale. Non seulement pour l’Argentine mais également pour l’Amérique du Sud. Dans le public, une spectatrice intervient à ce propos :

« Grâce aux Argentines, nous au Chili, on a pu lutter. La couleur verte, on l’utilise nous aussi maintenant. On a eu notre mai féministe. On a fait la grève contre le harcèlement des professeurs. Pour une éducation non sexiste. On veut toutes être vivantes ! Au Brésil ou au Mexique par exemple, le patriarcat est très très fort. Mais les femmes sont organisées. Elles utilisent des performances, grâce aux Argentines et à Las Tesis. Les luttes sont les mêmes. C’est très important et ça a commencé par l’Argentine. Que sea ley ! »

Que ce soit loi ! Que le droit de disposer de son propre corps soit le même pour tou-te-s, partout, peu importe le genre, le sexe, le milieu social, la province ou le pays dans laquelle / lequel on vit, son orientation sexuelle, son identité de genre, sa couleur de peau, etc. Que ce droit à l’avortement soit libre et gratuit. Sans condition. Que les femmes disposent de leur corps et accèdent à la santé. Que ce soit loi !

« L’avortement est légal lorsqu’il y a danger pour la vie de la femme. Mais en réalité, les recours en justice sont plutôt faits contre les médecins qui pratiquent des avortements clandestins. Il y a un poids très lourd qui pèse sur les médecins et les gynécos. La Cour Suprême a pourtant redit en 2012 qu’une femme n’a pas besoin de prouver le viol subi ou la mise en danger sur sa santé pour avorter. Mais dans les faits, les autorités n’appliquent pas la loi. », poursuit Marie-Françoise Barboux.

Marie Audran précise : « En 2019, deux filles de 11 et 12 ans ont été obligées d’accoucher à la suite des viols qu’elles ont subis. La loi n’est pas appliquée. »

Il faut se battre et il ne faut rien lâcher. Et surtout, s’informer. Si on le peut. Car on le sait, l’absence d’information, la problématique de l’accès à l’information et la mauvaise information constituent souvent la base des inégalités.

INFORMATIONS ET SOLIDARITÉ AVEC LES FEMMES DU MONDE ENTIER

Entre le discours prôné par les conservateurs qui utilisent l’argument de « la vie » (pro-life), l’absence d’éducation à la vie sexuelle et affective, l’accumulation des tabous autour de la sexualité et de la contraception (dont l’information ne circule pas toujours correctement) et les idées reçues sur la contraception et l’avortement, le débat est loin d’être apaisé.

Sans oublier le traitement médiatique réservé à ces thématiques qui véhicule bien souvent des clichés. Depuis quelques jours en France, la presse s’affole avec des titres chocs concernant le taux de recours à l’IVG qui en 2019 a atteint son chiffre le plus élevé. Depuis 2001, entre 215 000 et 230 000 avortements étaient pratiqués. L’an dernier, le chiffre était de 232 000.

Evidemment, la plupart des articles établissent ensuite un lien entre le recours à l’IVG et l’évolution des modes de vie de la société. Mais on crée un mouvement de panique, une gêne - par rapport à ce chiffre qui a légèrement augmenté – incitant au malaise, au pointage du doigt de ces jeunes filles qui auraient recours à l’IVG comme un moyen de contraception et à toutes ces femmes qui prendraient cette interruption volontaire de grossesse à la légère (oui, nous sommes dans une société où si une femme n’est pas traumatisée par un avortement, c’est qu’elle est certainement un être monstrueux).

Lundi soir, Lydie Porée du Planning Familial 35 le rappelle : « 72% des personnes qui ont recours à l’IVG avaient une contraception. » Voilà qui casse d’emblée un stéréotype visant à toujours rendre irresponsables les femmes et à justifier qu’on les infantilise, par conséquent.

En 2020, il faut le rabâcher encore et encore : les femmes ont le droit de disposer de leur propre corps. Ce droit, elles l’ont conquis. Ce droit, elles se battent pour le conserver. Face à la double clause de conscience des professionnel-le-s de la santé, face aux fermetures des centres d’IVG, face à une période de crise sanitaire (et économique par la même occasion) qui comme toujours retombe de plein fouet sur les femmes.

En France, l’avortement a été légalisé en 1975 mais la loi n’a pas toujours été ce qu’elle est aujourd’hui. Au départ, elle était votée pour 5 ans. Avec certaines conditions. Les militantes se sont battues, ardemment, pour faire progresser la loi et les mentalités. Elles se battent toujours et revendiquent aujourd’hui son accès libre et gratuit, pour tou-te-s, et l’allongement du délai légal à 14 semaines au lieu de 12 actuellement.

En Équateur, le président refuse aujourd’hui encore la dépénalisation de l’avortement, même en cas d’urgence médicale, alors que les Parlementaires avaient voté le projet de loi le 25 septembre dernier.

En Irlande, les Irlandaises peuvent choisir d’interrompre volontairement et légalement leur grossesse depuis le 1erjanvier 2019. En décembre dernier, seulement 10% des médecins acceptaient de pratiquer l’avortement là-bas. 

En Italie, l’accès à l’IVG se dégrade et les polémiques se multiplient quant à l’avortement médicamenteux, notamment.

Le droit à l’IVG, qui implique le droit à disposer de son propre corps, le droit à choisir d’avoir un enfant quand on veut, si on veut, est un combat du quotidien. Il souligne des inégalités profondes entre les hommes et les femmes d’un côté et entre les femmes du monde entier d’un autre.

Lundi 28 septembre, au cinéma L’Arvor, les trois intervenantes, Marie Audran, Marie-Françoise Barboux et Lydie Porée, prônent la solidarité et la circulation de l’information. Qu’uni-e-s, nous fassions bloc. Parce que nos voix comptent. Parce que nos corps comptent. Que sea ley.