Célian Ramis

1939-1945 : Oui, il y avait des lesbiennes !

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Champs Libres, Rennes
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Elles ont été oubliées de l’Histoire. Queer Code répertorie, sur Internet, un grand nombre des ressources culturelles, historiques ou sociologiques concernant les femmes qui aimaient les femmes et le site Constellations brisées propose des cartographies de leurs parcours.
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Déportées, résistantes ou collabos, lors de la Seconde guerre mondiale, elles étaient des femmes et aimaient les femmes. Pourtant, elles ont été oubliées de l’Histoire. Queer Code répertorie, sur Internet, un grand nombre des ressources culturelles, historiques ou sociologiques les concernant et le site Constellations brisées propose des cartographies de leurs parcours.

Le 18 avril dernier, des militantes rennaises et Queer Code se réunissaient autour d’un atelier « Nos histoires féministes et LGBTI sont numériques », aux Champs Libres. Rencontre avec Isabelle Sentis, membre de Queer Code et coordinatrice du projet Constellations brisées.

YEGG : Qu’est-ce que le projet Queer code ?

Isabelle Sentis : C’est un projet d’équipe créé il y a 3 ans, issu d’une association qui s’appelle Mémoires en chantier. L’idée, c’était de créer une plateforme numérique et des projets numériques pour faire connaître l’histoire des femmes et particulièrement des femmes qui ont aimé des femmes pendant la seconde guerre mondiale.

On a lancé la plateforme à l’occasion de l’anniversaire des 75 ans de la libération des camps de concentration. C’était en fait un temps qui était issu de tout un cheminement des unes et des autres de plusieurs années. Chacune et chacun, car il y a aussi des hommes avec nous, se sont mobilisé-e-s, à des périodes différentes.

Mais c’est issu d’une longue mobilisation pour certain-e-s. L’idée c’est justement de créer collectivement et d’apprendre collectivement. Par exemple, Lydie est ingénieure dans tout ce qui est sciences de l’information et de la documentation de l’informatique. Moi je n’y connais strictement rien à l’informatique.

Ça a permis à des personnes déjà mobilisées de rencontrer d’autres femmes qui venaient plutôt de pratiques numériques, notamment les jeunes femmes qui viennent de l’univers de la création des jeux vidéo. Queer Code, c’est vraiment pour se retrouver et permettre à d’autres personnes de nous rejoindre parce qu’on utilise les outils numériques.

Concernant le cheminement dont vous parlez, c’est parce que vous avez constaté l’absence des femmes, et notamment des lesbiennes, dans les parcours relatés dans l’histoire de la Seconde guerre mondiale ?

Isabelle : L’Histoire est une construction sociale. Tout ce qui est mémoriel c’est la même chose, ce sont des combats pour que certains groupes accèdent à ce travail-là. Il y a toute une mobilisation de groupes LGBT, depuis plus de 20 ans, pour la reconnaissance de la déportation pour homosexualité. Masculine parce que les nazis ont pénalisé l’homosexualité masculine.

Les lesbiennes ont également été persécutées mais il n’y avait pas de législation à proprement parler parce que comme dans beaucoup de régimes oppressifs, on ne nommait pas pour ne que ça n’existe pas. Ça n’existe pas, on n’a donc pas besoin de faire une loi là dessus.

Mais elles ont été persécutées là où il y avait la législation nazie. Dans les pays occupés, dans les zones occupées. La France a eu des statuts différents selon les moments de la guerre, avec une législation différente. Donc il y a eu des persécutions différentes selon les moments de la guerre et selon les endroits.

C’est complexe. Parfois, des femmes ont fui en France ou des françaises ont fui dans d’autres pays. Des femmes sont aussi allées aider d’autres femmes et d’autres hommes dans d’autres pays. Comme c’est le cas pour des femmes suisses qui sont allées avec la Croix Rouge en Espagne pendant la Guerre Civile.

Il y a beaucoup, tout comme il y en a encore aujourd’hui, de mouvements de populations et de mouvements de personnes pour différentes raisons. D’autres n’accèdent pas toujours aux autres pays, les Etats-Unis avaient par exemple à un moment fermé leurs frontières.

Là on est en train de préparer la cartographie d’une jeune femme juive autrichienne qui a été déportée à Auschwitz parce qu’elle était juive mais elle était également lesbienne - elle n’aurait pas utilisé ce mot parce que ce n’était pas ce mot qu’on employait à l’époque mais en tout cas elle a aimé une jeune femme norvégienne - et elle attendait un visa pour l’Angleterre où une partie de sa famille avait réussi à s’échapper.

Voilà toute la complexité de l’attente comme des personnes en France ont attendu des visas pour les Etats-Unis, le Mexique, etc. Et qui ont été bloquées parce que sans visas. Certaines ont fui par d’autres chemins et se sont retrouvées bloquées parce que les frontières ont été fermées. Mais on peut encore trouver ça de nos jours…

Il y avait plusieurs enjeux par rapport à Queer Code : montrer que oui il y a des travaux d’historien-ne-s mais aussi de citoyen-ne-s pour faire connaître ces parcours de vie. Le numérique est un espace de combat pour y être visible. Il y a beaucoup de négationnistes, de racistes, d’homophobes, présents sur ces espaces.

L’idée c’est d’être présent dans un espace pour montrer cette histoire et pour montrer surtout qu’on est capables de la partager et de réfléchir ensemble. Si on reprend des slogans féministes des années 70 il y avait vraiment le fait que la construction des femmes, et des hommes bien sûr, c’est un fait social, un fait culturel, qui ne se fait pas tout seul.

Il faut se mobiliser. Tout le monde peut y contribuer. L’idée, c’est ça : ne pas hiérarchiser les savoirs mais les faire dialoguer et aussi bien valoriser les articles d’historiennes que des personnes comme récemment des jeunes qui ont écrit une pièce de théâtre, que de militantes qui aident des familles à transmettre leur histoire.

Montrer que toutes ces démarches, tous ces savoirs sont importants. Et qu’on peut tou-te-s apprendre, c’est ça qui est passionnant, autant les technologies numériques que d’autres techniques. Lydie fait beaucoup de traduction pour nous, de l’anglais vers le français ou du français vers l’anglais. Elle fait aussi une veille qui est très précieuse.

Ce qui est passionnant avec les savoirs c’est que tout bouge très vite, notamment dans cette ère du numérique. On peut avoir l’impression que l’Histoire, ça va lentement et en fait on se rend compte que c’est étonnant. Il y a par exemple des féministes américaines qui étudient les mouvements féministes français.

Si on ne vérifie pas ce qui se passe dans les universités américaines, on peut passer à côté car ils ne vont pas être traduits en français, on ne va pas les voir dans nos librairies. Montrer que c’est en constant mouvement et qu’il y a des enjeux différents dans la mobilisation selon les générations.

Pour notre génération (quadras), ce travail de revendication de la Seconde guerre mondiale en tant que lesbiennes, c’est constructif, c’est un vrai combat. Pour des jeunes femmes comme Emilie, avec nous dans l’équipe, qui sont jeunes, qui ont une vingtaine d’années, c’est complètement une autre histoire de construction identitaire parce que pour elle en fait c’est quelque chose qui est déjà acté donc ce n’est pas la même histoire.

C’est intéressant de voir comment les générations ont des histoires différentes, d’autres cheminements. Passionnant ce dialogue intergénérationnel. Montrer que c’est un travail de médiation sur ce qui existe comme savoirs et de reconstruction de nouveaux savoirs.

Est-ce que ce qui lie les générations entre elles, c’est qu’aujourd’hui encore les femmes lesbiennes sont invisibilisées, tout comme le sont encore les personnes racisées ? Parce qu’on voit bien que Queer Code rassemble un grand nombre de ressources, ce n’est donc pas qu’il n’y a rien sur ce sujet mais plutôt que leur diffusion ne se fait pas comme elle devrait…

Isabelle : C’est passionnant tout ça et un jour on fera nos propres constellations, nos propres parcours, de comment on a eu l’information. Comment on a eu telles ressources, comment telle personne a cheminé, a réfléchi aux enjeux. Ce qui est sûr, c’est que les manières de transmettre et d’accéder aux informations selon les générations sont différentes.

Et puis ce qui est intéressant, c’est d’essayer de partager ça - et pas que sur la Seconde guerre mondiale - pour se rendre compte que tout est en perpétuel mouvement. J’ai 43 ans, il faut aussi que je me mobilise, rien n’est acquis, que ce soit sur la santé de mon corps, sur les droits, on voit que tout est en évolution, que des choses s’améliorent, qu’il y a de nouvelles avancées scientifiques. C’est aussi un mécanisme.

Lydie (membre de Queer Code) : c’est compliqué de se servir de l’expérience des anciennes, c’est compliqué de transmettre, nous, nous sommes la génération entre les deux. C’est un vrai travail.

Isabelle : On peut transmettre à des femmes de 70 ans, des femmes plus jeunes peuvent nous transmettre à nous. On montre que ça part dans tous les sens, on essaye d’apprendre à travers ces expériences, d’apprendre de nous-mêmes, avec les autres. S’autoriser à apprendre autrement, à essayer, on peut se tromper. C’est un dialogue parfois étonnant. On ne répond pas du tout à votre question.

Comment est reçu Queer Code ? Essayez-vous d’aller vers un public moins sensibilisé à ces thématiques-là pour que le grand public se rende compte que des femmes lesbiennes ont été déportées, ont été dans la résistance ou ont collaboré ?

Isabelle : C’est très complexe parce que nous on va mettre des mots alors que la personne aura vécu quelque chose de différent. On essaye de ne pas être dans le jugement mais on est des êtres humains donc on s’identifie à telle ou telle figure. Faut bien montrer toute la complexité de ces histoires-là en particulier.

Oui, on essaye de toucher un large public. Comme aujourd’hui, en venant aux Champs Libres pour le rendez-vous des 4C. Et puis passer par le numérique nous permet d’atteindre des groupes qui vont être intéressés par notre démarche numérique mais pas forcément par notre démarche féministe et lesbienne.

Bien sûr ils vont être intéressés sinon ils ne viendraient pas du tout mais l’accroche va porter plutôt sur le côté technique. L’idée c’est de toucher de plus en plus de musées pour qu’ils s’essayent à cette médiation numérique.

Il y a encore des tabous, donc on va venir par notre côté médiation numérique pour parler du fond ensuite : des femmes qui aiment des femmes. Ça nous permet de laisser ouvert, avec plein de façons de venir à nous et de dialoguer avec nous.

Heureusement, les choses vont de mieux en mieux dans le dialogue entre les associations d’anciens déportés, les structures mémorielles, il y a quand même une grosse évolution vers un dialogue.

Lydie : Dans mon milieu professionnel, je le montre à des collègues en leur disant d’aller voir et de me dire ce qu’ils-elles en pensent. Mine de rien, ils/elles regardent un peu techniquement mais ils/elles voient le fond, qu’ils/elles ne seraient pas forcément allés chercher d’eux/elles-mêmes. Pas par hostilité mais parce que ce n’est pas leur centre d’intérêt. C’est rigolo d’amener comme ça différentes personnes à différentes choses.

Isabelle : On apprend beaucoup. On revient d’Angleterre, où il y a un vrai travail fait par les associations LGBT pour aller vers les professeurs, pour leur amener du matériel pédagogique pour leurs cours, pas que d’Histoire mais aussi de toutes les disciplines scolaires. On apprend beaucoup de leur façon de travailler, de collaborer.

Peut-être qu’un jour il y aura tout ce travail, qui permettra tous ces apports pédagogiques, les passerelles se font petit à petit. Le numérique va nous permettre ça. Une façon de les amener à inclure petit à petit. On s’auto-censure tous beaucoup.

Là on va faire une cartographie de Marguerite Chabiron, une pharmacienne qui a été déportée pour actes de résistance, qui a aidé des résistantes dont une qu’elle connaissait parce qu’elle était lesbienne. Elles ont été arrêtées à Bordeaux, puis ont été à la prison de Rennes puis déportées à Ravensbruck.

Et c’est un monsieur qui a maintenant plus de 75 ans qui transmet son histoire, qui a écrit un livre numérique. On lui a écrit en lui disant qu’on allait faire une cartographie, il était tout content, tout ému. Il a trouvé formidable Queer Code, il nous a donné l’autorisation d’utiliser des extraits du journal de sa tante.

C’est vraiment un dialogue avec des personnes qui elles-mêmes ont cherché à transmettre leur histoire par le numérique. Le numérique, c’est de l’auto-édition. Et ces personnes sont ravies. Maintenant, on va aider ce monsieur à transmettre l’archive réelle. Avec lui, en dialoguant aussi avec des chercheuses, des archivistes.

On apprend avec lui, en même temps que lui, à transmettre cet objet, ce journal intime. C’est une belle histoire et je pense qu’il y a de plus en plus de personnes qui ont cette envie-là. Des fois il y a de la pudeur, des temporalités, ça on s’en rend bien compte, des temporalités.

Notamment les femmes et particulièrement les lesbiennes, les personnes minorisées et racisées, ce sont des temporalités différentes. Ça arrive, c’est une patience, une patience active.

Qu’est-ce qui vous a amené à mettre Thérèse Pierre en première dans les Constellations brisées ?

Isabelle : Ça fait une dizaine d’années qu’on chemine avec son histoire. On a découvert, il y a une dizaine d’années, le documentaire fait par Robin Hunzinger. On a été très très touchées. C’était la première fois qu’il y avait un documentaire qui évoquait le destin de deux femmes qui s’étaient aimées dans les années 30.

On a écrit au réalisateur pour le remercier et il nous a mis en contact avec sa maman qui était en train d’écrire un livre et on a dialogué avec elle par internet. Le numérique, on voit que ça facilite, ça accélère les choses.

On a échangé avec Claudie Hunzinger, on s’est retrouvé-e-s à l’accompagner dans la recherche d’un éditeur, dans comment dire les choses. On aurait aimé que son texte s’accompagne d’une préface d’une historienne peut-être. Mais elle, elle avait vraiment envie de faire une œuvre littéraire, ce que l’on comprend.

Lydie : Passer par le biais de la fiction permet - pour ceux qui n’ont pas envie d’entendre dans la famille - de se dire que ce n’est pas vrai puisque c’est une fiction.

Isabelle : On est pour que chacun-e s’exprime comme elle/il le souhaite. Robin a fait un documentaire, sa mère une fiction et puis nous on fait un site Internet, des quizz numériques. Chacun-e sa manière de faire.

On est venues aux Champs Libres faire des recherches sur Thérèse Pierre et on a cheminé. On est allées à Fougères, aux archives municipales, aux Champs Libres. Puis après on a fait Queer Code, la plateforme et on s’est dit qu’on allait faire des cartographies, parce que c’est une autre manière de visualiser les parcours, en étant ludiques, une manière de se situer dans des territoires, de se situer dans une démarche de plus en plus citoyenne.

On a tout de suite penser à elle parce qu’on a un chemin tout particulier avec elle, dans une région que nous aimons beaucoup (la Bretagne). Et pour plein de raisons ! Moi, je l’aime dans ces idées politiques, dans son engagement, elle me touche particulièrement. On a tou-te-s des personnes qui nous touchent plus ou moins.

Après, on ne s’est pas arrêté-e-s à Thérèse Pierre dans nos recherches. Mais j’ai trouvé effectivement la personne que je voulais avoir dans mon Panthéon féministe à moi. J’aurais pu m’arrêter là mais c’est intéressant de montrer la diversité.

Marguerite Chabiron c’est une autre classe sociale, un autre parcours de vie et elle est tout aussi passionnante, on apprend d’elle comme de Ruth Meyer, une jeune fille qui va être déportée dans la vingtaine d’années. C’est un autre moment de vie.

Thérèse Pierre forcément à un moment j’avais quasiment le même âge qu’elle. C’était très marquant. On doit un peu se bagarrer aussi avec des arguments qui ne sont pas bons. On va nous dire « les femmes n’ont pas été cheffes de réseau », bah voilà là on a une cheffe de réseau, « les femmes n’ont pas porté des armes », si.

On essaye de ne pas être là-dedans car notre idée est de montrer que tout est résistance. Qu’on soit une jeune fille juive et qu’on commence à être dans le désir d’une autre femme, c’est une résistance. Au patriarcat, à l’hétéronormativité.

Etre une femme prostituée pour différentes raisons et qui se bat pour pouvoir vivre ses amours lesbiens, c’est aussi de la résistance. Des jeunes filles qui vont aller dans tel cabaret pour rencontrer d’autres femmes, c’est de la résistance.

Etre une cheffe de réseau, bien sûr c’est de la résistance. L’idée n’est pas de hiérarchiser. Ce qui a été le cas par certains hommes qui ont hiérarchisé certains faits de résistance. On essaie de ne pas être là-dedans justement. Ne pas hiérarchiser non plus l’horreur.

Thérèse Pierre nous touche particulièrement parce qu’elle a été exemplaire dans toute la complexité de la vie, dans toute la complexité de ce qu’elle était. Ce qui est intéressant par le travail de Robin, le travail de Claudie et notre travail, parce que c’est quelqu’un qui a été célébrée à Fougères, et que c’est aussi toute la dimension de ce qu’elle était, et je crois que c’est important.

Il y a une école qui porte son nom, et c’est important que les enfants, quels qu’ils soient, pas seulement les homosexuels, pas forcément les filles, mais que l’on puisse appréhender le fait qu’elle avait une identité complexe, comme toute personne. Avec effectivement une orientation sexuelle, avec une histoire de vie.

Elle n’était pas bretonne mais elle a fait beaucoup de choses pour la Bretagne, avec des bretons et des bretonnes. Elle venait d’ailleurs mais c’est passionnant. Elle était admirée et chérie. Des personnes chérissent son souvenir. On a été en correspondance avec une dame qui a travaillé dans son réseau et qui à la fin de la guerre a beaucoup œuvré pour transmettre l’histoire de Thérèse Pierre.

Ce sont des témoignages très émouvants. En étant là à toutes les journées du souvenir, en faisant des discours, en transmettant à sa façon dans sa commune. Et nous, nous faisons autrement, à 1000 kms de là, on a pu dialoguer avec différentes générations et différents points de vue. C’est là aussi l’intérêt. C’est très riche.

Car on rencontre des personnes que l’on n’aurait jamais rencontrées autrement, ni dans nos entourages professionnels, ou dans nos familles ou nos familles de cœur. Ça met aussi d’avoir un autre lien avec la Bretagne, parce qu’il y a plein de choses qui nous touchent dans l’histoire et la culture bretonne et là ça nous relie aussi.

Sur le dialogue avec les générations et avec la Bretagne, comment avez-vous établi les échanges avec les militantes féministes et LGBTI de Rennes ?

Isabelle : Il y a différents réseaux. Il y a des militantes des droits des femmes que l’on connaît via nos engagements féministes, notamment via le Planning Familial, par aussi des personnes que l’on a pu rencontrer via les archives féministes, parce que nous sommes allées plusieurs fois à des colloques à Angers et on a rencontré des militantes rennaises là-bas.

En allant aussi faire des recherches à Nantes, en étant dans d’autres combats pour les personnes LGBT, on a rencontré des Rennais et des Rennaises. Et puis en cherchant ce que l’on fait d’autres, apprendre et s’inspirer d’autres, c’est vraiment notre démarche donc là on va rencontrer pour la première fois tout à l’heure Anne-Lise et Lou qui font un travail de cartographie.

On avait vraiment envie d’apprendre avec les Rennais et les Rennaises notamment via ce rendez-vous des 4C, qui est vraiment une démarche passionnante. Dans notre état d’esprit. Et puis on va rencontrer d’autres personnes que l’on ne connaît pas et c’est ça qui est intéressant. Le numérique, c’est bien, ça nous permet d’être en contact mais c’est bien d’avoir des temps de rencontre.

L’idée c’est de s’inspirer, de découvrir les centres d’intérêts des un-e-s et des autres, les projets. Et évoquer Thérèse Pierre, parce qu’on y tenait. À 15 jours de la journée du souvenir des victimes et des héros/héroïnes de la déportation, on voulait particulièrement avoir un moment symbolique pour toutes les femmes qui sont parties de la prison Jacques Cartier à Rennes pour la déportation, quels que soient leur statut.

Et celles aussi qui ne sont pas parties, parce que Thérèse Pierre, elle, est morte ici, à Rennes. Elle aurait été éventuellement soit fusillée, soit déportée mais bon son destin s’arrêtait là. Il était brisé pour une partie parce qu’il faut voir l’espoir qu’elle nous transmet. D’espoir et de mobilisation. De voir que dans les heures les plus sombres, il y a toujours de l’espoir et des choix.

Car elle a aussi fait des choix, pour les personnes de Fougères, pour les personnes qui étaient sous ses ordres. Pour ses idéaux. C’est porteur d’espoir même si c’est douloureux. Montrer aussi que les engagements sont importants. C’est ça que l’on veut faire passer je crois.

Souvent, on a l’impression qu’on ne peut rien faire. C’est ça que l’on veut démontrer, en apprenant ensemble à Queer Code, c’est montrer que l’on peut agir. On montre qu’il y a des choses, concernant l’histoire des femmes, l’histoire des lesbiennes, et que l’on peut faire des choses.

Chacun-e a sa façon, avec ses moyens tout est possible et c’est ça qui est passionnant. Toutes les mobilisations sont possibles et sont importantes.

 

Célian Ramis

Larguées, les femmes ? Pas tellement... au contraire !

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Cinéma Gaumont, Rennes
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Le 13 avril, la réalisatrice Eloïse Lang venait présenter son deuxième long-métrage, Larguées, en avant-première au cinéma Gaumont de Rennes, accompagnée de Miou Miou, Camille Chamoux, Olivia Côte et Youssef Hajdi.
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Après avoir longuement travaillé sur la pastille Connasse et le film Connasse princesse des cœurs, Eloïse Lang passe à la réalisation de son deuxième long-métrage Larguées. Le 13 avril, elle venait le présenter en avant-première au cinéma Gaumont de Rennes, accompagnée de Miou Miou, Camille Chamoux, Olivia Côte et Youssef Hajdi.

Six mois plus tôt, le mari de Françoise est parti avec une infirmière de 30 ans sa cadette. Alice et Rose, leurs filles, décident alors de tenter une opération « Sauver maman » en l’emmenant se ressourcer dans un club de vacances, à La Réunion. Et pour y parvenir, elles vont devoir mettre de côté les différences de caractère qui les opposent.

C’est le film All inclusive, de la réalisatrice et humoriste danoise Hella Joof, qui a d’abord inspiré Eloïse Lang qui a ensuite puisé dans sa propre vie et dans l’observation de ses sœurs et de ses amies. Si Miou Miou serait d’avis qu’on ne mentionne même pas l’idée originale, en revanche Camille Chamoux remet les choses en perspective :

« Les deux films n’ont rien à voir. All inclusive est chouette mais on ne peut pas comparer car Larguées est une comédie extrêmement personnelle pour Eloïse, qui a une maman et deux sœurs. Ça a servi de prétexte mais on peut parler d’un film original. »

Et l’originalité provient de la manière dont le trio principal, comme les personnages secondaires, sont portés à l’écran. Parce que parler des femmes à travers le genre de la comédie est un jeu dangereux et périlleux. Souvent casse gueule. Pratiquement tout le temps raté, à quelques exceptions près.

Dans Larguées, c’est différent. C’est rafraichissant. La réalisatrice trouve l’équilibre fragile entre les codes de la comédie nécessaires pour provoquer le rire et la complexité des protagonistes qui jamais ne sombrent dans la caricature d’elles-mêmes.

« C’est vrai que nous sommes habitué-e-s à un certain type de personnages pour les femmes, réduites à une facette, à une fonction. Vous connaissez le test de Bechdel (du nom de Alison Bechdel, il vise à démontrer par trois questions que les œuvres artistiques - type cinéma, littérature, théâtre – sont centrées sur le genre masculin, ndlr) ? Bah il le passe carrément pour une fois ! Là, elles ont une grosse évolution, chacune un prénom et ne se définissent pas que par un homme ! », souligne l’humoriste et comédienne, Camille Chamoux.

Pour Eloïse Lang, de manière générale, la « caricature vient du fantasme, qui n’est en plus pas bien maitrisé. Moi je ne fantasme pas les femmes, je les connais, j’en suis une. Ce que je raconte est incarné. »

Cela donne un trio brillant, réunissant Miou Miou dans le rôle de la mère et Camille Chamoux et Camille Cottin, dans les rôles des deux sœurs. Trois actrices marquantes de par l’esprit de liberté et d’émancipation qu’elles insufflent. Elles ne laissent rien au hasard et apportent de leurs personnalités et de leurs envies. Celles de ne pas être des clichés de femmes à contremploi.

Elles se servent des ficelles des stéréotypes pour les déconstruire intelligemment, jouant sur les subtilités du scénario qui s’affaire tout au long du film à casser les tabous autour de la vieillesse, des sexualités, des paradoxes d’une femme rock n’roll choquée par le désir encore présent de sa mère pour les hommes, de la surcharge mentale d’une mère de famille qu’elle doit en partie à elle-même.

Même les rôles que l’on pourrait définir comme secondaires sont essentiels à l’intrigue et au propos développé dans Larguées. « Rien ne doit être gratuit. J’aime que ce soit organique par rapport aux personnages, je passe beaucoup de temps à imaginer les back stories des personnages (d’où elles viennent, ce qui leur est arrivé avant l’histoire montrée, tout ce que l’on ne voit pas à l’écran en fait). Je passe beaucoup de temps, jusqu’à ce que ça semble fluide, naturel et juste. », précise la réalisatrice.

C’est ce qui fait dire à Miou Miou qu’elle aurait été folle de refuser un tel scénario. Parce que c’est « rarissime de voir un tel ton de comédie si intelligemment drôle, avec des répliques comme je n’avais jamais entendu avant ! »

Elle s’avoue même séduite par la vision proposée par Eloïse sur les clubs de vacances. Elle qui avait une image plutôt négative de ces structures les regarde désormais avec un œil nouveau. Et elle n’a pas tort. La réalisatrice propose un point de vue très simple sur le sujet. Un lieu de villégiature dans lequel tout est à portée de main et grâce auquel on peut aussi s’évader. Où est le mal ?

Et surtout, elle s’attache, sans forcer le trait, à dévoiler des animateurs et animatrices au-delà de leur image simpliste de Gentils Organisateurs. Le barman séducteur, l’animateur sportif drogué, la gentille naïve ou encore l’exotique à l’accent créole nous renvoient à nos propres stéréotypes. Eloïse Lang - ainsi que chaque comédien-ne d’une incroyable justesse - sait les mettre en relief et exploiter des personnalités plus profondes.

C’est appréciable, une comédie qui ne prend pas les personnages et le public (le film a d’ailleurs remporté le prix du public au festival de l’Alpe d’Huez en janvier dernier) pour des con-ne-s. Qui amène une évolution de chaque protagoniste en douceur et qui fait réfléchir aux situations présentées et à leur résonnance dans nos vies personnelles. Une vraie bouffée délirante d’air frais !

Au cinéma le 18 avril 2018. 

Célian Ramis

8 mars : Quelle réalité des mesures prises contre les violences sexuelles au travail ?

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Laure Ignace témoigne du parcours des combattantes imposé aux femmes victimes de violences sexuelles, notamment au travail, et dénonce le manque de moyens mis en place par les pouvoirs publics pour y répondre.
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« À cette prise de conscience collective, il n’y a pas de réponse institutionnelle pour répondre à ce cataclysme. Il y a un phénomène de masse, les femmes parlent, hurlent, mais rien n’est mis en place. Il faudrait un plan d’urgence. Ça concernerait les accidents de la route, on aurait tout de suite eu une grosse campagne. Pour les femmes, non. Rien. » Laure Ignace est juriste au sein de l’Association européenne contre les Violences faites aux Femmes au Travail (AVFT). Invitée à Rennes le 8 mars à la MIR par Questions d’égalité, en partenariat avec la CFDT, elle témoigne du parcours des combattantes imposé aux femmes victimes de violences sexuelles, notamment au travail, et dénonce le manque de moyens mis en place par les pouvoirs publics pour y répondre.

Octobre 2017. Affaire Weinstein. Le choc, l’incompréhension, la colère, la gronde, la prise de conscience. Soi-disant. On parle d’une libération massive de la parole des femmes. Certaines militantes, comme la dessinatrice féministe Emma, recadrent les choses : les femmes ont toujours parlé mais elles n’ont pas été écoutées, il serait donc plus juste de parler de libération de l’écoute.

Laure Ignace, juriste au sein de l’AVFT, précise également : « On parle du contexte de ces derniers mois mais on pourrait dire de ces dernières années. Avec l’affaire Baupin et d’autres. Moi, j’interviens sur l’ampleur que ça a depuis octobre et sur le constat de ce que cela a entrainé en bien et en moins bien pour les femmes et pour l’AVFT. »

Parce qu’elles sont de plus en plus nombreuses à oser franchir la porte des commissariats et des gendarmeries pour porter plainte. Pour dénoncer des actes de violences sexuelles. En novembre 2017, on notait une augmentation d’environ 30% des dépôts de plainte en gendarmerie et quasiment le même pourcentage dans les commissariats.

LÂCHETÉ GOUVERNEMENTALE…

Une avancée positive qui n’est pas sans conséquence puisqu’en parallèle forces de l’ordre, système judiciaire et associations ne voient pas leurs moyens, humains et financiers, renforcés.

« 14 ans que la subvention à l’AVFT n’a pas augmenté ! Il faut un renfort des politiques de prévention et de la politique pénale. Ça a été le cas pour les violences conjugales, spécifiquement mais on n’observe pas la même tendance pour les violences sexuelles, au travail notamment. Dans ces conditions, l’État peut difficilement se prévaloir de défendre et de lutter pour les droits des femmes. », rétorque-t-elle quand on ironise sur « la priorité du quinquennat ».

Elle tire la sonnette d’alarme : il est temps que le gouvernement sursaute et se réveille ! Temps qu’il accomplisse et assume son rôle. Qu’il arrête de compter sur les associations, au bord de l’asphyxie, et le Défenseur des droits, qui a par exemple lancé une campagne contre le harcèlement sexuel :

« Ce n’est pas l’Etat qui s’en est chargé. Sans dire que, au niveau de l’inspection du travail, de la médecine du travail, c’est la catastrophe ! Pas de moyens, trop de boulot. On assiste à un cumul de professionnels surchargés qui de fait défaillent souvent. Mais on ne renforce pas les acteurs… On ne peut pas dire qu’on lutte contre les violences. »

Les chiffres sont effarants : 1 femme sur 3 déclare subir ou avoir subi du harcèlement sexuel ou une agression sexuelle sur son lieu de travail. Et pourtant, plus de 80% des employeurs n’ont toujours pas mis en place de plan de prévention. Une réalité que le site 8mars15h40.fr souhaite mettre en lumière à travers sa grande enquête sur les violences au travail.

LES CONSÉQUENCES DU MANQUE DE MOYENS

Ainsi les associations, seules, ne peuvent décemment répondre à toutes les demandes et tous les besoins. En novembre dernier, dans le cadre de la préparation de notre dossier sur les violences sexuelles, SOS Victimes 35 répondait à notre demande que personne ne pouvait assurer la réponse à notre interview, en raison d’une surcharge de travail.

Le 31 janvier 2018, l’AVFT a annoncé la fermeture de son accueil téléphonique en raison d’une incapacité à y répondre tant la demande était forte. Actuellement, 150 femmes sont soutenues par l’association de manière extrêmement poussée, « cela veut dire qu’on les reçoit en entretien puis que l’on intervient dans les procédures, avec les Parquets, les employeurs, les conseils des Prud’Hommes, que l’on se constitue partie civile, etc. »

En parallèle, une centaine de femmes est accompagnée de près. « Elles n’ont pas été reçues en entretien mais on les soutient, on les conseille. On va écrire pour savoir où en est l’enquête, contacter les médecins pour leur demander d’écrire un certificat médical décrivant les symptômes constatés, les aider à saisir le Défenseur des droits, corriger les courriers qu’elles vont envoyer à leurs employeurs parce qu’en fonction des femmes, elles n’ont pas toutes le même rapport à l’écriture. Ce sont des choses qui prennent du temps. Saisir le Défenseur des droits, ça peut demander une demi journée de travail. Cela prend énormément de temps. », précise la juriste.

Au total, les 5 professionnel-le-s de l’AVFT (4 CDI et 1 CDD) accompagnent 250 femmes. Comptabilisant dans ce chiffre des dossiers ouverts depuis 10, voire presque 15 ans. Parce que les procédures sont longues, compliquées et pleines de rebondissements, « parce que parfois les agresseurs attaquent en diffamation, parce que parfois y a l’instance, l’appel et le pourvoi en cassation… » Et depuis l’affaire Weinstein, c’est entre 2 et 3 nouvelles victimes par jour qui font appel à la structure.

LOIN DE S’ARRANGER

Et le contexte économique et politique ne va pas arranger les choses. Loin de là. Laure Ignace dénonce à ce titre les ordonnances qui vont précariser les parcours des femmes, faciliter les licenciements et renforcer les moyens de pression des harceleurs, profitant de la dépendance financière des femmes.

Elle le répète, le gouvernement n’est absolument pas dans une volonté de lutte contre le harcèlement sexuel : « Il faut mener des enquêtes sérieuses au sein des entreprises et aucune circulaire n’a été donnée dans ce sens. Pour 24 millions de salarié-e-s en France, il y a 2000 agents de contrôle ! Imaginez… Pas simple ! Et puis, ça dure des années les enquêtes tellement les agents ont du boulot ! C’est un travail conséquent. Et quels moyens sont donnés au sein de gendarmeries ? des commissariats de police ? des parquets ? Il n’y a aucun effectif spécifique de prévu sur ces enquêtes là. Alors les plaintes augmentent mais elles sont très souvent classées sans suite. »

Pourtant, quand une accusation vise un ministre, les procédures s’accélèrent et on assiste à des affaires éclairs, comme tel a été le cas pour Gérald Darmanin. Laure Ignace y voit là un message parlant, envoyé de la part du gouvernement, celui d’une justice de classe. Avec deux poids, deux mesures.

LE PARCOURS DES COMBATTANTES

Dans le cas d’une accusation envers un homme de pouvoir, le crédit de bonne foi est accordé à celui qui est accusé plutôt qu’à la victime. Pour les femmes accompagnées par l’AVFT, « c’est plutôt l’inverse, on les soupçonne en première intention et cela se traduit par des poncifs tels que « Pourquoi dénoncer que maintenant ? », qui montrent qu’on n’a toujours pas compris le mécanisme des violences, toujours pas compris que c’est un risque qu’elles prennent en parlant enfin, toujours par rapport à cette fameuse dépendance financière. Pourquoi n’ont-elles pas mis une claque à leur agresseur ? Pourquoi ne l’ont-elles pas dit à leur supérieur ? Elles doivent se justifier sur toutes les réactions qu’elles ont pu avoir ou ne pas avoir. Le classique ! Et puis ensuite, viennent les remarques sur leurs attitudes avec les hommes, leurs habillements, etc. Une jupe courte une fois et c’est une fois de trop. »

Aussi, les enquêtes vont-elles venir insidieusement interroger les capacités professionnelles de la plaignante. On va alors se demander si elle ne chercherait pas en accusant un collègue ou un supérieur à dissimuler un squelette dans le placard. Pour la juriste, le fait même d’enquêter sur les compétences de la salariée incite les autres à se positionner, à se braquer.

Et si les employeurs ont en règle générale bien intégré leur obligation de mener des enquêtes, elle précise que celles-ci sont souvent mal menées ou que la réponse finale consistera simplement à muter la plaignante, ou les deux personnes concernées. Une sanction injuste qui camoufle le problème mais ne le résout pas.

« Pour beaucoup, c’est quand elles sont extraites du travail, parce qu’elles sont en arrêt maladie, qu’elles se rendent compte qu’elles ne peuvent plus y retourner. Elles réalisent la gravité des faits et des conséquences. La reprise du travail et les conditions de reprise surtout sont très anxiogènes. », précise Laure Ignace.

Elle ne mâche pas ses mots en parlant de parcours de la combattante. Ce n’est pas une exagération. Mais la réalité des démarches et des procédures n’est que trop peu connue. Voire ignorée. La phase pré-contentieuse, déjà saturée de courriers à rédiger et de démarches, coûte cher et n’est pas prise en compte par l’aide juridictionnelle.

DÉMARCHES LONGUES, COÛTEUSES, ÉNERGIVORES

Le 27 février dernier, Libération publiait d’ailleurs un article sur le sujet : « Aller au procès, une montagne financière pour les femmes victimes de violences ». Laure Bretton et Soizic Rousseau expliquent alors que si le coût financier ne dissuade pas au premier abord les plaignantes, cela devient tout de même vite un frein, voire une contrainte trop forte pour aller jusqu’au bout.

Sans compter qu’il n’y aura pas seulement les honoraires d’avocat-e-s mais aussi potentiellement des consultations médicales, des accompagnements psychologiques, des frais de déplacements aux procès (l’affaire peut passer devant plusieurs juridictions : tribunal administratif, conseil des Prud’Hommes, tribunal correctionnel…).

Les enquêtes seront longues, pénibles, parfois injustes, souvent retournées contre celles qui osent rompre le silence et briser l’omerta. Les démarches requièrent donc du temps, de l’énergie, de l’argent. À long terme.

RENFORCER LES BUDGETS, LES MOYENS HUMAINS, LES FORMATIONS ET LA PRÉVENTION

Sans moyens supplémentaires, les associations suffoquent. Et ce sont les plaignantes qui trinquent. Pour l’AVFT, il n’y a pas de détours à prendre, les solutions sont claires, on ne peut plus reculer face aux mesures qui s’imposent, mais n’arrivent pas. L’affichage d’une politique de lutte contre les violences sexuelles doit être clair.

« Tous les parquets doivent orienter leurs priorités contre les violences. Il faut défendre une politique pénale de lutte contre les violences sexuelles au travail, au même titre que l’on met en place une politique de lutte contre le travail illégal, contre le terrorisme, etc. Et évidemment, il faut un renforcement du personnel en charge de ces politiques de lutte. Donc des moyens humains. Nous avons bien conscience que les parquets sont débordés, submergés de plaintes de tout ordre, des dossiers sont même perdus… Leurs moyens doivent être renforcés, qu’ils aient des formations sur comment on rapporte la preuve, avoir un pôle spécialisé sur les violences sexuelles. », scande Laure Ignace.

Les budgets des forces de l’ordre doivent être augmentés, des formations sont nécessaires autour du harcèlement sexuel, des violences, des agressions sexuelles et des viols, pareil du côté de l’inspection du travail et de manière plus largement du côté de tous les acteurs concernés. Mais surtout que le message passe : les violences sont graves, elles doivent être l’objet de répression sur le plan pénal et les victimes doivent être indemnisées à hauteur du préjudice.

« Il faut faire de la prévention dans tous les sens car pour l’instant, c’est un message d’impunité qui est répandu. Tant qu’on ne se dit pas que commettre ces actes va coûter cher, on n’a pas d’intérêt à prendre le problème à bras le corps. Aujourd’hui, les agresseurs ne risquent pas grand chose, les entreprises ne risquent pas grand chose, les femmes risquent gros. », soupire-t-elle.

NE RIEN LÂCHER

Difficile de se montrer optimiste dans une situation sclérosée par manque de volonté politique claire en faveur des droits des femmes. La juriste peine à trouver des éléments positifs auxquels raccrocher nos espoirs. Elle souligne tout de même son admiration pour toutes celles qui s’engagent dans la bataille : « Des femmes parviennent à obtenir justice et à franchir toutes les barrières. Elles font preuve d’une combattivité extrême pour aller au bout de tout ça. Je suis admirative de la longévité de leur combattivité. »

Elle se réjouit, tout comme Muriel Salmona, psychiatre et présidente de l’association Mémoire traumatique et victimologie, de l’ouverture prochaine de centres spécialisés pour la prise en charge psychotraumatique des victimes de violences, pour lesquels le gouvernement a donné son feu vert le 25 novembre dernier. Toutefois, elle nuance, persiste et signe :

« C’est positif car c’est extrêmement important de donner accès aux soins médicaux à toutes les femmes abimées par ces violences mais attendons de voir dans quelles conditions cela va fonctionner. En tout cas, ce n’est pas suffisant vu l’ampleur du problème. On attend d’autres réponses de la part du gouvernement. Les discours restent des discours. Nous, on attend la transformation en actes. »

Célian Ramis

L’affirmation d’un désir sexuel au féminin

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Triangle, Rennes
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Dans sa pièce Une Femme au soleil, jouée le 22 février au Triangle à Rennes, Perrine Valli, danseuse et chorégraphe, met en mouvement le désir sexuel au féminin.
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Sur scène, deux femmes et deux hommes dansent dans une géométrie parfaite. Les corps s'appréhendent et se désirent, s’imbriquent et se passionnent. Dans sa pièce Une Femme au soleil, jouée le 22 février au Triangle à Rennes, Perrine Valli, danseuse et chorégraphe, met en mouvement le désir sexuel au féminin.

Tout commence avec deux femmes, Perrine Valli et Marthe Krummenacher. La musique instrumentale se rythme de plus en plus. Puis deux hommes, Gilles Viandier et Sylvère Lamotte, s’ajoutent à cette danse angulaire, évoluant entre narration et abstraction. S’inspirant de peintures éponymes d’Edward Hopper, peintre réaliste du 20ème siècle, la chorégraphe franco-suisse Perrine Valli concrétise l’idée qu’une femme se désire et désire l’autre dans sa pièce Une femme au soleil :

« La posture est très claire dans ce tableau. Une femme est seule au centre, elle est nue, elle fume une cigarette. On a l’impression qu’elle est détendue. Il y a un lit un peu défait, ses talons, du soleil [...] Puis elle regarde par la fenêtre, on peut imaginer qu’il y a eu un homme avant, après, dans son imaginaire, ou pas, décrit-elle. En tout cas, j’aimais bien que ce soit fantasmatique à partir de son point de vue à elle. »

LE DÉSIR DE L'AUTRE

Le spectacle s’articule autour de deux fantasmes. Celui indéterminé de la femme nue peinte par Hopper et celui de Perrine Valli. Sans oublier que le désir peut avoir plusieurs facettes, la chorégraphe fait un choix :

« Une Femme au Soleil est un spectacle sur le désir féminin hétérosexuel. J’ai créé mon propre imaginaire. Ca ne m’intéressait pas d’ouvrir sur toutes les sexualités. Quelque part, pour moi on sait, et ce n’est pas toujours ultime de rappeler qu’il peut y avoir deux hommes ou deux femmes. J’ai intégré les hommes pour satisfaire le fantasme. »

Et même si cette hétérosexualité est assumée sur les planches, Perrine Valli parvient à s'extirper du schéma classique de la relation entre un homme et une femme. Malgré les physiques imposants des deux danseurs, ils n’éclipsent pas leurs collègues. Au contraire, tous se complètent et la femme désire autant que l’homme.

« Au départ, lorsque le spectacle n’était pas encore fait et que l’on répétait, les gens disaient que Marthe et moi écrasions totalement les hommes. J’ai dû les renforcer, leur donner plus de place parce que même si on était toute petite, quelque part, on avait un truc assez puissant », s’amuse Perrine.

« Et ça, c’était très révélateur d’une masculinité qu’il faut, aujourd’hui, aussi redéfinir. Pendant la danse, il y a quand même deux trois gestes où les hommes prennent les femmes par les cheveux, des gestes qui vont être presque pornographiques. Mais l’homme et la femme peuvent avoir aussi envie ça. » Une réflexion qui casse les préjugés où chacun devrait avoir un rôle. Ici il n’est plus question de masculinité ou de féminité mais d’individus qui se désirent.

LE SEIN MIS À NU

L’ambiance se réchauffe sur la scène du Triangle, ce 22 février à Rennes. Le quatuor se touche peu à peu. Puis un duo se met torse nu. Si la nudité de l’homme ne choque plus, le sein féminin dérange encore, conséquence de son hypersexualisation. Exposée des années 70 aux années 90, la poitrine reste, aujourd’hui encore, dans l’ombre. 

Un phénomène qui n’a pas échappé à la Franco-Suisse : « Pour moi c’est vraiment banal, d’autant que j’ai grandi à Aix-en-Provence. Quand j’étais adolescente, tout le monde faisait seins nus sur les plages. Mais il y a un changement, qui est grave je pense. [...] Ça m’a vraiment marqué quand j’étais en Corse il y a quelques années. Pour moi il était clair que j’allais faire seins nus. Je n’aime pas avoir les marques et le maillot mouillé sur moi. Et puis au fur et à mesure des jours, je me sentais de moins en moins à l’aise, il y a comme une autocensure qui s’est mise en place [...] Pour nous les danseurs, ce n’est rien, mais en fait voilà, d’un coup cette expérience à la plage m’a fait dire que c’est peut-être important qu’on continue à dire que ça devrait être rien. »

Ainsi, sur scène, elle assume sa semi nudité, qui au départ partait d’une autre réflexion : « Ça c’est porté comme ça parce que j’avais envie de travailler sur la peau. C’était plutôt le dos qui m’intéressait que la poitrine. J’avais envie de montrer du féminin un peu musclé, et une égalité entre l’homme et la femme. Il s’avère que j’ai une poitrine mais en fait ce n’était pas ça l’essentiel. Et c’était aussi important que le geste d’enlever le tee-shirt soit le mien, pas celui de l’homme », constate Perrine.

LE DÉSIR EN SOLITAIRE

Ainsi, la femme se réapproprie son corps, un besoin individuel qui passe aussi par la masturbation : « Je n’en ai pas directement traité dans cette pièce mais en effet par rapport au tableau, cette question fait sens. En tout cas, dans une perspective plus large, la masturbation me parait essentielle dans le désir féminin. Si cette découverte corporelle et ce rapport à soi sont évidents chez les hommes (la masturbation est banale, extériorisée, voire parfois partagée en groupe), ils restent chez le féminin beaucoup plus tabous et secrets. » s’attriste Perrine. Alors finalement, dans une courte parenthèse interprétée par la compagnie suisse Sam-Hester créée en 2005, le désir sexuel de la femme trouve sa place au soleil. 

Célian Ramis

Les arts du sexe : Libres de ne pas se cacher !

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Diapason, Rennes 1, campus Beaulieu
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Sommes-nous totalement libéré-e-s niveau sexualité(s) ? Pas vraiment. Pas encore. Mais le sexe est un art à cultiver, à partager et à cajoler. Heureusement, Sexlame ! et ses partenaires sont là pour nous décomplexer !
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« Nos libidos ont peut-être chaviré, mais elles n’ont pas sombré. La majorité d’entre nous est contente de passer au lit, l’orgasme fait toujours du bien. Ouf. Et pourtant… nous pourrions aller encore mieux. En prolongeant les enseignements de 2017, nous pourrions même nous assurer des lendemains qui ahanent. Chiche ? » Défi relevé chère Maïa Mazaurette !

La chroniqueuse de « La Matinale du Monde », lanceuse du savoureux et vibrant appel « Clitoridiennes de tous les pays, unissez-vous ! », nous ravit et nous redonne espoir à chaque article qu’elle publie. Parce qu’avec elle, la sexualité, c’est beau, c’est sain et ça fait du bien. Quand elle est libre et consentie, en solitaire ou à plusieurs.

C’est le même esprit qui a soufflé sur la ND4J dédiée aux genres et aux sexualités, le 14 décembre dernier au Diapason (campus Beaulieu, à Rennes) organisée pour l’occasion par l’association rennaise Sexclame ! 

Finie la diabolisation du clitoris et du plaisir féminin ? Pas tout à fait… Mais cette année, l’organe du plaisir – correctement représenté – a fait son entrée dans un manuel scolaire de SVT, le manifeste pour s’affranchir des diktats sexuels Libres ! – signé Ovidie et Diglee – trône fièrement en tête de gondole dans les librairies, tout comme la BD militante de Liv Strömquist, L’origine du monde, et la Ville de Rennes se saisit de la question des sexualités, en confiant une soirée de son dispositif ND4J à l’association rennaise Sexclame !, le 14 décembre dernier au Diapason.

« On n’a pas pensé consciemment par le prisme de l’art et de la culture pour la soirée, mais on a pensé festif, dans l’esprit de la ND4J. Avec des propositions qui font réfléchir, tout en restant dans le divertissement. Pour que ce soit léger et décomplexé ! », explique Margo, co-fondatrice de l’association Sexclame !, jeune structure rennaise, tout aussi capable d’organiser une soirée Amours à l’Élaboratoire – en octobre dernier – qu’une soirée plus institutionnelle au Diapason :

« On ne brasse pas le même public dans les différents lieux, et ça, ça nous intéresse aussi, de passer du milieu underground à un plus grand public. Ça permet aussi de se rappeler qu’on n’est pas tou-te-s déconstruit-e-s (des clichés, des injonctions et des mythes régissant la sexualité, mais pas que, ndlr) de la même manière. Selon là où on en est, selon les vécus, il peut y avoir des propos qui ne plaisent pas à tout le monde. Une programmation 100% safe et inclusive, c’est bien de tendre vers ce sens-là et de prendre en compte toutes les discriminations mais on prend toujours un risque en organisant une soirée. »

En tout cas, c’est un pari joliment réussi pour les bénévoles qui ont ce soir-là transformé le hall de l’établissement en pieuvre de l’amour, du désir et du plaisir, qui nous mène de part et d’autre de ses tentacules vers une sexposition, un bar aphrodisiaque, une sexothèque, des lectures érotico-décalées, des associations, une conférence performée, des massages shiatsu ou encore un concert délirant.

RÉAPPROPRIATION DES SAVOIRS

Sans oublier à l’étage, dans une salle de réunion, un atelier « Hacke ton vibreur », animé par Antoine. Il est alors 18h30 et la soirée vient juste d’ouvrir ses portes. L’atelier donne tout de suite le ton. Outre le fait que le titre évoque les sextoys, il est question ici de l’esprit Do It Yourself.

« C’est toi qui le fait, toi qui décide des matériaux. Le DIY est un courant qui rassemble tout un tas de chose. Pour moi, il s’agit de la réappropriation des savoirs. On ne comprend pas toujours ce qu’il y a à l’intérieur des objets autour de nous. Le Do It Yourself propose de donner accès à ces données-là, il y a vraiment la notion de partage. On ne donne pas le gâteau tout seul, on donne le gâteau avec la recette. », souligne l’animateur.

L’idée alors n’est pas de fabriquer sur place son sextoy personnalisé mais d’en comprendre le mécanisme, « afin de démystifier les moteurs qui vibrent ». De voir si les compétences des un-e-s et des autres peuvent se croiser et si à l’avenir il serait envisageable de poursuivre l’expérience.

C’est surtout une belle entrée en matière qui suggère la réappropriation de la sexualité qui heureusement ne peut être unique mais bel et bien personnelle, à partir du moment où l’on (s’)autorise à se détacher des diktats de la société et sa morale. Il est alors nécessaire de pouvoir avoir accès aux savoirs, de pouvoir choisir et de pouvoir composer et vivre ses expériences, selon chacun-e. D’appeler un chat un chat, ou pas.

Puisqu’on pourrait aussi dire « Andouille à col roulé, Berlingo, Chatte, Dard, Extincteur, Foune, Garage à bite, Hochet de Vénus, Instrument, Joystick, Kiki, Levier de vitesse, Minou, Nénuphar, Ouverture, Pine, Quéquette, Radis, Salle des fêtes, Tarte aux poils, Urne, Verger de Cypris, Willy, Xiphoïde, Youka, Zob. »

Cet abécédaire des petits noms donnés au sexe féminin et au sexe masculin, c’est la compagnie Les Becs Verseurs qui la dresse à l’occasion de ces lectures érotico-décalées. Des Frères Jacques à l’abbé de Lattaignant, en passant par Colette Renard, Juliette et Le Petit Robert, les trois comédien-ne-s nous invitent à (re)découvrir des textes autour des plaisirs et des sexualités.

On sent bien là la patte des Becs Verseurs qui allient humour et poésie et manient avec subtilité les jeux de mots, les sous-entendus et le langage cru. Parfait mélange, auquel le trio ajoute un œil frétillant, un sourire en coin et un déshabillé coquin.

À travers le Kamasutra, des paroles de chanson, des recettes de cuisine ou encore des écrits romancés et romantiques, on croise des personnages aux fesses petites, grosses, basses ou déprimées, on entend claquer de doux baisers, on découvre une version érotique de la comptine « Au clair de la lune », on écoute le coming out d’un jeune homme natif de Lutèce et on réinterprète la condition d’Eve, de Pénéloppe ou de Jeanne d’Arc, loin d’être pucelles effarouchées et passives succombant aux plaisirs coupables, comme le dit Juliette dans sa chanson « Il n’est pas de plaisir superflu », déclamée en cette soirée :

« Profitons de l’instant, saisissons le présent / Osons, ne restons pas inertes / Quand le Monde court à sa perte / Il n’est pas de plaisir superflu ! / En été, en automne, en hiver, au printemps / Entrons si la porte est ouverte / Quand le Monde court à sa perte / Il n’est pas de plaisir superflu ! »

À CHACUN-E SON SEXE, À CHACUN-E SON EXPRESSION

Le sexe se décline de multiples façons. Sujet inépuisable, il fait fantasmer autant que frémir et, dans tous les cas, il inspire énormément. Preuve en est avec les larges rayons de la sexothèque, constituée et remplie par Sexclame ! depuis sa création. Mais aussi la sexposition, réunissant une dizaine d’artistes, dont Lis Peronti et ses serviettes hygiéniques aux lettres brodées en rouge.

Au centre de la salle, ses créations sont entourées de celles de Leslip – cofondatrice de l’association avec Margo – de Diane Grenier, de Laura Zylberyng, Claire Grosbois ou encore Stéphane Vivier et Marylise Navarro. Sans oublier les gaufrages de Salomé Marine qui présente des gravures, sans encre, de photos de vulves de femmes souhaitant se faire opérer des lèvres.

Du porno en photo au moulage de tétons, en passant par la contraception d’urgence, les œuvres, qui varient dans les matières, les couleurs et les manières d’aborder ce vaste sujet, sont à regarder, observer, toucher, caresser et même à écouter :

« Il lèche mal mais il baise bien. Je garde comme règle de ne pas simuler, j’exagère parfois ma respiration pour encourager. Je lui bidonne que je suis plus vaginale que clitoridienne. »

On se le répète en sortant de la pièce, il n’y a pas qu’une sexualité. Heureusement. Pas qu’une seule manière d’en parler et la soirée va encore nous prouver que tout peut être exploré et interprété, selon les goûts, les préférences, les courants de pensée mais aussi selon qui fait l’Histoire.

« La pornographie c’est bien mais c’est un peu scolaire. Ce que l’on préfère, c’est ce qui est plus masqué, ce qui doit être dévoilé. Pas parce que c’est plus ludique mais parce que c’est plus pervers. Bienvenue dans l’histoire de la perversité ! » Ce soir-là, Hortense Belhôte, comédienne et professeure d’Histoire de l’art, fait un carton dans la salle de spectacle du Diapason avec sa conférence performée « Les arts du sexe » ou le sexe dans l’art classique. C’est drôle, percutant et passionnant.

CACHÉ OU PAS CACHÉ, LE SEXE ?

En une heure et une multitude de diapos proposant un voyage dans la peinture classique et la mythologie, celle qui a été repérée cet été par Margo - au Festival du Film de Fesses, à Paris - qui sort de quatre jours de bronchite et qui douille parce que c’est le premier jour de ses règles, s’amuse des représentations sexuelles, sexuées et genrées. D’abord avec la Vénus pudica qui, debout, accroupie ou allongée, a toujours le sexe caché.

« Peut-être qu’elle vient de faire l’amour avec son mari, de se faire un plaisir solitaire ou bien a-t-elle une mycose, on ne sait pas ! », plaisante Hortense, qui poursuit ses savoureuses interprétations personnelles : « Zeus est le dieu archétypal de la conquête sexuelle et amoureuse. Il est marié, mais intéressé par d’autres. Alors il se métamorphose pour arriver à ses fins. En nuage pour faire un baiser à une femme, en aigle pour séduire un jeune éphèbe pré-pubert ou encore en cygne une autre fois. Est-ce que Zeus ne serait pas le dieu tutélaire du sextoy ? C’est une piste à creuser… »

Elle passe en revue les représentations de l’amour lesbien, de la virilité, jusqu’à l’apparition de la question du genre, lorsqu’Hercule est fait prisonnier par la reine Omphale, celle ci prend les affaires et lui, porte les siennes.

« On voit alors Hercule en robe rose à paillette, il coud pendant qu’elle, elle tape avec sa massue. C’est l’inversion des genres dans les tableaux, avant que survienne la superposition des attributs. Aujourd’hui, les Hercule et Omphale modernes pourraient être les sculptures des stars trans, Buck Angel et Allanah Starr ! Après, la question à laquelle on n’a jamais répondu, c’est est-ce que c’est Hercule qui enfile ou Omphale qui encule ? Ça reste ouvert… », lâche Hortense Belhôte, qui passe des mythes et légendes à la valeur ajoutée par la chrétienté, à savoir la morale.

Tandis qu’elle retire son pantalon, elle démontre comment la religion a introduit la naissance du textile, faisant de la nudité quelque chose de choquant. Pourtant, dans le tableau de Rubens « Suzanne au bain », on voit la jeune femme, de dos, faire sa toilette intime, « et des vieillards la matent et qui derrière vont faire croire que c’est elle qui les a aguichés, machin, machin… Parce qu’une fois déshabillé-e, qu’est-ce qu’on a envie de faire ? De toucher ! »

Du consentement bafoué à l’assignation réductrice des femmes dans la cuisine – avec les peintures de Vermeer et sa célèbre Laitière – les œuvres se veulent des allégories de la jeunesse, de la chasteté et de la mise en danger. Celles-ci sont restées, devenant peu à peu des références indiscutables dans l’Histoire de l’art, tandis qu’on a fini par oublier, ou négliger, les représentations de la déesse Baubo, dont le visage se situe dans le bas ventre.

On lui attribue pourtant une belle victoire, puisque c’est elle qui a fait rire Démeter, déesse de l’agriculture et des moissons, lorsque celle-ci succombait à la dépression, à la suite de l’enlèvement de sa fille Perséphone. On raconte qu’en quelques blagues grivoises « la déesse de la vulgarité féminine aurait sauvé le monde. En faisant rire Démeter dont l’humeur a fait mourir la Nature, elle a permis le renouveau. »

Simplement vêtue d’une culotte, en position de Vénus alanguie, Hortense conclut alors, se tournant dos au public et révélant ainsi la célèbre marque de Batman sur ses fesses : « Peut-être que nous aussi, ce soir, nous venons de changer le monde. »

LA SEXUALITÉ, C’EST LUDIQUE ?! OUI, OUI, PROMIS !

« J’ai jamais autant rigolé à une conférence. Et en plus, j’ai appris des trucs ! », s’enthousiasme une participante, en quittant les gradins, la mine enjouée. Tout comme ce curieux qui se balade de stand en stand, avant de s’arrêter devant celui du Centre Gay Lesbien Bi et Trans de Rennes (CGLBT) pour jouer au Jeu des lois :

« On pose des questions sur les connaissances autour de la transidentité. Quand on a une bonne réponse, on avance et on peut tomber sur des cartes Chance ou Malchance. Cela permet de connaître le quotidien des personnes trans. »

Comment doit-on parler à un homme trans : au masculin / au féminin / ça dépend de son apparence ? Quelle est la cause de la transidentité : une surexposition à des personnages de série homos / une alimentation trop riche en oligotrans / On ne sait pas et on s’en fout ? En France, le changement de sexe est interdit par la loi : Vrai ou Faux ? Papy vous accepte comme vous êtes, bravo, rejouez !

L’instant est ludique et joyeux. Sans jugement. Se tromper n’est pas grave, le tout étant de comprendre les réponses et informations données. Une manière légère d’établir un premier contact, pour ensuite pouvoir éventuellement aller plus loin. Comme c’est le cas pour les voisin-e-s du CGLBT, entouré de Diane, animatrice de prévention bénévole dans une association de lutte contre le VIH et fondatrice du « Gougle du cul », le site Sexy Soucis, et du Planning Familial 35.

« Je pense que le public de la soirée était majoritairement un public averti, avec pas mal de gens de notre réseau mais je sais qu’il y a aussi eu un public varié. Diane a rencontré et discuté avec une travailleuse du sexe par exemple, qui lui a dit qu’elle n’avait avant jamais mis les pieds dans une soirée comme ça. C’est un moment très fort et c’est une victoire pour nous. C’est important de pouvoir se sentir en confiance quand on n’est pas dans la norme. », souligne Margo.

De son côté, Lydie Porée, présidente du PF 35, note une grande mixité dans les personnes présentes et rencontrées. L’association a placé sur la table le slip chauffant, confectionné par l’association Thomas Bouloù (pour la responsabilisation des hommes dans la prise en charge des risques et conséquences de leurs sexualités). En guise d’appât. Parce qu’il attire l’œil et les passant-e-s :

« C’est notre produit d’appel on va dire. C’est sur la contraception mais ça permet de parler de ça et d’élargir à la vie affective et sexuelle. On est là pour que les un-e-s et les autres puissent poser leurs questions. Tout est posable, tout est entendable. La réponse n’est pas toujours évidente mais le but est d’échanger sur les questions de sexualité. »

SORTIR DU JUGEMENT ET DE LA MORALE

Elle constate que les discussions tournent beaucoup autour du préservatif externe et de ses contraintes. Le mettre au bon moment sans casser le rythme ou l’envie, trouver la bonne taille, la peur des infections sexuellement transmissibles… Tout cela mène directement au sujet du dépistage. Le jour même, le Service inter-universitaire de médecine préventive et de promotion de la santé de Rennes proposait un après-midi de dépistage sur le campus Beaulieu.

« Certain-e-s sont venu-e-s à la soirée en cherchant justement à avoir accès à un dépistage immédiat et étaient surpris-es qu’il n’y en ait pas à ce moment-là. C’est très intéressant car d’une part, on s’aperçoit que le dépistage fait parti du scénario d’une vie affective et sexuelle, c’est rassurant, et d’autre part, ça montre qu’il y a de la demande dans ce genre d’événement. Car ce n’est pas toujours simple d’aller au CeGIDD (Centre de dépistage, CHU de Rennes, ndlr) et ça montre que c’est à nous assos d’aller vers le public. », analyse Lydie.

Son bilan nous interroge. Pourquoi, si le dépistage fait parti du scénario, attend-on l’organisation d’événements ? La peur du jugement, venant de certain-e-s professionnel-le-s de la santé ?

« Je pense que le jugement et la morale pèsent certainement. Ce n’est pas en faisant la morale que l’on va changer les choses. Qui n’a jamais pris de risque ? C’est illusoire de se dire qu’on est observant-e-s et réglos toute une vie sexuelle durant. La vie, c’est des oublis, c’est des ‘c’est pas le moment’ ou des ‘c’est pas venu’. Prendre soin de soi est contraignant, alors quand en plus on rajoute un-e partenaire dans l’équation… J’ai fait une formation volontaire à Aides sur la réduction des risques qui consiste à adapter la prévention à la pratique, en fonction de la situation. Ça veut dire qu’on doit être en mesure d’entendre que le préservatif, c’est chiant. On a vraiment intérêt à se détendre ! En tout cas, cette soirée m’a ouvert les yeux sur la nécessité d’aller vers les gens, avec des outils rapides. », répond-elle.

DISCOURS ET SUPPORTS DÉCULPABILISANTS !

Au service culturel de l’université Rennes 1, ce 14 décembre, ça grouille de propositions, de curieux-ses, de questions et de réponses, d’informations en tout genre et pour tous les genres. On peut d’ailleurs, avant ou après s’être fait masser (non obligatoire, on précise), avant le concert des Banquettes Arrières ou pendant que l’on prête une oreille attentive aux contes coquins de Quentin Foureau, composer sa pochette surprise, avec des préservatifs, des stickers Sexclame ! décorés de clitoris, une planche dessinée par Laurier The Fox sur le coming out d’une personne trans, la roue du consentement ou encore de la documentation sur « Le viol, c’est quoi ? », « 10 conseils pour éviter le viol » (adressés aux hommes, pour une fois) ou des slogans tels que « Le viol concerne la violence pas le sexe, si tu te prends un coup de pelle, t’appelles pas ça du jardinage » et « La vie est trop courte pour s’épiler la chatte ».

Au fur et à mesure, les complexes s’estompent. Le fascicule « Tomber la culotte ! Coups de pouce pour s’affirmer, s’amuser et prendre soin de soi – Pour les lesbiennes, bies, et autres curieuses » a raison :

« Les filles, détendons notre string !!!! Qu’on se le dise, la masturbation est une source de plaisir, de découverte de soi, de désinhibition, de développement de l’imaginaire sexuel, et… j’en passe et des meilleures. Chacune a sa façon bien à elle de s’y adonner et toutes n’y ont pas recours non plus. Là encore, nous ne sommes pas toutes faites sur le (là !) même moule, et c’est tant mieux. Mais si ça vous tente, ne boudez pas vos envies ! »

Tout comme on peut se pencher également sur la brochure « BDSM, jouez safe » au slogan croquant : « Fais-moi mal mais fais le bien ! » ou sur la brochure « Choisir sa contraception », éloignée de tout jugement et injonction. C’est ce que réussit à faire l’association Sexclame ! lors de la soirée : proposer de nombreuses facettes de la sexualité, sans orienter les participant-e-s vers une vision imposée mais en participant certainement à un processus de déculpabilisation.

Parce que l’objectif de la structure est d’interroger les sexualités dans leur diversité. Briser le discours sur une sexualité unique, « imprégnée de sexisme et de tabous », afin de « libérer les paroles et susciter la réflexion à ces sujets. »

ENCORE DES RÉSISTANCES !

Parler librement de sexualité n’est pas tâche aisée. Encore aujourd’hui, dans notre société, les tabous et les mythes, teintés de valeurs morales et religieuses, régissent nos sexualités qui ont bien du mal à se détacher du rôle de procréation pour tendre vers celui du plaisir et du désir. L’exemple le plus significatif est celui du clitoris.

Seul organe destiné uniquement au plaisir, il est étiqueté ennemi public n°1, voué à rester dans l’ombre du vagin et de la fécondité des siècles et des siècles durant. Représenté de manière schématique depuis peu de temps, il reste - malgré les tentatives, comme le chouette court-métrage de Lori Malépart-Traversy, Le clitoris, dont la vidéo est à voir sur Internet – un élément de crispation.

« La communication avec la mairie a été un peu compliquée. Pour l’affiche, le dispositif reprend toujours les 4 lettres ND4J mais on met ce que l’on veut dedans. Nous, on a choisi des mains, des bouches, des tétons et des clitoris. On a reçu un mail nous demandant si on n’avait pas autre chose à mettre à la place des clitoris… Ce n’était pas dit « On refuse les clitoris », c’était un peu glissé entre deux phrases… », explique Margo.

Elle poursuit : « On a réfléchi et pour nous, il était très important de parler du clito, du plaisir féminin, etc. Et c’est ce que l’on a répondu clairement. On était prêt-e-s à annuler la soirée si les images de clitoris étaient refusées. Finalement, c’est passé. Je pense que la personne en charge de l’affiche a eu peur de prendre la responsabilité, peur de créer un problème et finalement ça en a créé un. C’est remonté jusqu’au cabinet de Nathalie Appéré. Aussi, certains termes ne sont pas passés sur l’affiche : érotico-décalée, aphrodisiaque, Soirée genres et plaisirs… ça a un peu crispé les relations. »

Difficile en effet de se figurer que fin 2017 on s’effraie autour de la représentation d’un clitoris et qu’on censure certains mots qui pourraient choquer le tout venant lors de sa promenade dans le centre ville de la capitale bretonne. Si la co-fondatrice - et l’équipe de l’association - ne souhaite pas dissimuler les complications survenues, elle prend le recul nécessaire à l’analyse de ces événements :

« Au final, c’est très intéressant de voir les questions que ça a soulevé. On est content-e-s que ça ait un peu remué la mairie, c’était une expérience intéressante et il ne faut pas oublier que nous avons eu une vraie liberté de programmation. Ça nous y tenons pour cette soirée passée, comme pour les prochaines à venir. Nous avons été très bien accompagné-e-s par la mairie, notamment par Elodie Coquart, en charge du dispositif. Après les crispations, on a pu en parler avec elle et ça, ça m’a fait du bien, d’avoir au bout du fil un être humain qui explique que ça a soulevé des questions auxquelles les services de la Ville ne s’attendaient pas. »

Et parce que pour l’association le clitoris représente bien plus que le plaisir féminin, Sexclame ! prépare son logo aux formes de cet organe du plaisir.

Combien de temps faudra-t-il encore attendre avant que les tensions autour de la sexualité ne s’évaporent ? Et y parviendra-t-on un jour ? Combien de temps devrons-nous subir les fléaux et conséquences des violences sexistes et sexuelles à cause des réticences, des tabous et des pressions conservatrices ?

On ne sait pas mais on mise sur l’avenir. Sur la faculté des individus, grâce à des événements bienveillants et décomplexants comme celui de Sexclame ! par exemple, à suivre leur curiosité, à oser découvrir et à s’encanailler, à s’aventurer main la première dans l’exploration de leurs corps et de leurs désirs.

Pour s’affirmer et se réapproprier leur sexualité. C’est tout le bonheur que l’on vous souhaite pour cette nouvelle année.

 

Tab title: 
La sexualité, un art à caresser dans le sens que vous voulez !
La nuit de toutes les sexualités
Les jeunes, la sexualité et Internet
Terrifiante éducation à la sexualité

Célian Ramis

Inspiration Riot Grrrls

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De Buenos Aires à Rennes, en passant par Olympia et Washington DC, le Jardin Moderne proposait en juin et juillet un tour d’horizon, non exhaustif, dans le féminisme underground et DIY, des années 90 à aujourd’hui.
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De Buenos Aires à Rennes, en passant par Olympia et Washington DC, le Jardin Moderne proposait en juin et juillet un tour d’horizon, non exhaustif, dans le féminisme underground et DIY, des années 90 à aujourd’hui.

Au début des années 90, Internet n’existe pas. Le grunge s’apprête à exploser mais il n’est pas encore délimité. Sur la côte Ouest des Etats-Unis, la ville d’Olympia est en pleine émanation musicale. Et les femmes sont partie prenante de la production.

« Elles vont se rendre compte que le personnel est politique, que ce qu’elles ressentent est politique, qu’elles ont envie de prendre des instruments et faire de la musique : elles s’interrogent alors sur la place des femmes dans la société underground et plus largement dans la société. », explique Manon Labry, docteure en civilisation nord-américaine, dont la thèse a porté sur les relations entre culture mainstream et sous-cultures underground, à travers l’étude du cas de la sous-culture punk-féministe.

FAIRE ENTENDRE LEURS VOIX ET LEURS IDÉES

Le 28 juin dernier, au Jardin moderne, elle racontait la naissance du mouvement Riot Grrrls. Un récit qu’elle publie en avril 2016 dans son ouvrage Riot Grrrls, chronique d’une révolution punk-féministe. Newsletters, fanzines féministes, concerts, esprit DIY, la création est en pleine ébullition. Et prend d’autant plus d’ampleur quand la scène olympienne rencontre la scène washingtonienne, « plus politique, plus organisée ».

Les musiciennes féministes de l’underground étatsunien vont révolutionner le paysage musical punk et porter des revendications encore tristement d’actualité en 2017. Les groupes emblématiques tels que Bikini Kill (qui comptabilise dans ses rangs Kathleen Hanna et Toby Vail), Bratmobile ou encore Heavens To Betsy font entendre leurs voix et dénoncent des pratiques qu’elles trouvent inacceptables.

« Les féministes s’emparent de la scène underground et produisent des choses qui n’ont encore jamais été entendues, même si le terrain avait déjà été tâté par L7 », précise Manon Labry. En effet, L7 abordait déjà la question du plaisir féminin et de la masturbation, entre autres. Pourtant, elles ne prendront pas part au mouvement.

« Pour autant, elles ont beaucoup influencé les Riot Grrrls, ont collaboré et se sont entraidées. Elles étaient, si on peut dire ça comme ça, des collègues de lutte. Les Riot Grrrls ont continué sur la lancée, en ajoutant les violences faites aux femmes, les viols, les incestes. », souligne-t-elle.

SUR LE DEVANT DE LA SCÈNE

Entre 1990 et 1995 – période sur laquelle Manon Labry focalise son récit, correspondant alors à la naissance du courant – les groupes émergent, tout comme les fanzines féministes se répandent, comme Jigsaw ou Riot Grrrls. On prône alors l’esprit DIY, l’émancipation (sans jalousie entre meufs) mais aussi le retour aux idéaux premiers du punk :

« À cette époque, on déchante un peu du punk qui se veut horizontal mais les scènes masculines sont majoritaires et les comportements machos sont pléthores. « Girls to the front » (réclamer que les femmes accèdent aux devants des scènes et faire reculer les hommes) est alors une stratégie, que Bikini Kill explique lors des concerts mais aussi sur des tracts, pour que l’espace ne soit pas dominé par des hommes. »

Le mouvement est inspirant, puissant, contagieux. Et controversé. Pas au goût de tout le monde. Elles sont régulièrement la cible des médias mainstream qui les décrédibilise, les faisant passer pour des hystériques criant dans leurs micros. Dans son ouvrage, la spécialiste détaille l’ampleur que prendra cette médiatisation de la haine, allant des menaces (de viol, de mort…) jusqu’à l’exécution de ces dernières.

Si le mouvement a disparu de sa forme originelle, il a fait des émules – comme par exemple avec l’ovni Le Tigre, groupe dans lequel on retrouve Kathleen Hanna - et a poursuivi son chemin en souterrain.

À l’instar du collectif dont les dessins, manifestes et photos étaient à découvrir au Jardin Moderne jusqu’au 31 juillet dans l’exposition « Desde Buenos Aires, Contra Ataque Femininja Mutante » mais aussi du groupe punk féministe Nanda Devi (trio rennais), « qui compte parmi les 12% du Jardin moderne », qui jouait le 28 juin, après la conférence, et portrait fièrement l’inscription « No, no, no »  (du nom d’une de leurs chansons) sur leurs t-shirt :

« Parce que c’est important de se positionner en tant que meufs et de savoir dire non ! »

Célian Ramis

Menstruations : Ne plus avoir honte de ses règles

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En 2017, les règles constituent encore un tabou. Dans l'inconscient, elles restent impures, symboles de l'échec de la fécondité. Comment ne plus être gênées par les menstruations ? En disant merde aux préjugés !
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Parler des menstruations, c’est un exercice compliqué. Passionnant, mais compliqué. Car le sujet est vaste. Il touche à la complexité du corps des femmes, à leur intimité également, aux croyances religieuses, à des mythes, des interprétations, et à l’évolution des mentalités dans les sociétés contemporaines.

Mais s’il est un sujet complexe, il ne doit pas pour autant nous faire complexer, nous les personnes munies de tout l’équipement génital féminin : utérus, trompes de Fallope, ovaires, vagin. En résumé. Toutes ces personnes-là vivent leur cycle différemment. L’intensité des douleurs, l’abondance, la régularité varient, sans parler du choix des protections hygiéniques, de la contraception ou non, etc. Mais toutes quasiment ont déjà été traversées par la honte du sang qui coule dans leurs culottes.

Alors, voici le pari que la rédaction a choisi de faire pour ce dossier : que vous ne puissiez plus jamais penser (si tel est le cas), après la lecture du focus, que les règles, c’est dégueu et que plus jamais vous ne songiez à penser d’une femme énervée « Mais qu’est-ce qu’elle a, elle a ses règles ? » ! Que vous acceptiez ou non ce défi, nous, on vous fait confiance.

Les ragnagnas, les anglais qui débarquent, les trucs de filles (avec petit coup de tête indiquant la zone dont on ne doit pas dire le nom apparemment…), les lunes et autres appellations douteuses désignent toutes les règles, les menstruations, les menstrues. Soit le début du cycle féminin durant lequel l’utérus se contracte pour évacuer une partie de l’endomètre, muqueuse utérine qui se développe pour accueillir l’ovule, lorsque ce dernier n’est pas fécondé.

Aucune raison a priori d’être embarrassée par ce mélange de muqueuse et de sang qui s’amasse dans nos culottes. Mais voilà, les choses ne sont pas si simples. Pourquoi ? Les arguments se multiplient mais finalement, on a choisi notre camp : c’est simple, c’est naturel, c’est comme ça. Comme la coupe est pleine de tabous, on la verse dans les toilettes de la honte et on tire la chasse une bonne fois pour toute !  

« Pendant mon adolescence, (…) il fallait être extrêmement discrète pour emprunter ou prêter une serviette hygiénique dans la classe. On ne mettait jamais un pantalon blanc quand on avait nos règles et dès qu’il y avait une tache sur nos vêtements cela causait une énorme gêne. Mais cela créait en même temps une grande complicité entre les filles car dès que l’une d’entre nous avait une tache, on se mobilisait toutes pour trouver un pull autour de sa taille. Une amie, Déia, m’a raconté une situation qu’elle a vécue quand elle était au lycée. Son sang avait tellement fui que lorsqu’elle a voulu sortir de la classe pendant la pause il y avait du sang qui goutait sur sa chaise. Ayant prévenu une copine, elle a attendu que tout le monde sorte de la classe et, pendant qu’elle était assise, sa copine faisait des allers-retours aux toilettes avec du papier mouillé pour nettoyer le sang. »

Ce que relate l’artiste-chercheuse brésilienne, installée à Rennes depuis plusieurs années, Lis Peronti dans son mémoire Sangre pour les vautours, a été vécu par à peu près toutes les femmes en France ou par des copines. Pas forcément jusqu’au point que ça goutte sur la chaise mais la peur de la tache. Souvent accompagnée de la peur de l’odeur. Une double honte qui révèle sérieusement un tabou et un manque d’informations sur le sujet auprès des jeunes femmes, certes, mais plus globalement de l’ensemble de la population.

Et révèle également un paradoxe. Avant la ménarche – les premières règles – le regard sur les menstruations est positif, car associé, de manière erronée, à la féminité, au pouvoir de la femme réglée de procréer et donner la vie. Dès lors que la jeune fille devient, dans l’imaginaire collectif, une femme, on lui apprend, inconsciemment, à taire les douleurs, cacher les protections hygiéniques – souvent cantonnées à la salle de bain ou aux toilettes – et éviter de se répandre à ce propos. Parce que c’est intime.

Ça c’est l’excuse première. Mais vient très rapidement la seconde : c’est dégueu ! Pourquoi les femmes doivent-elles se sentir gênées ? Parce que le cycle féminin commence par l’évacuation d’une muqueuse, l’endomètre, mélangée à du sang et que le sang, ça fait peur ? Parce que cela indique que l’ovule n’a pas été fécondé et par conséquent que sa propriétaire à manquer à son rôle de reproduction ? Parce que selon le mythe, elle risquerait de faire tourner la mayonnaise ? Ou parce que selon certaines croyances les règles seraient synonymes d’impureté ?

Balivernes pour la plupart de ces propositions ! Heureusement, les femmes se rebiffent contre les tabous qui régissent les menstruations, en font un combat, les transforment en arts ou encore s’en tamponnent le vagin !

BESOIN D'EXPLICATIONS ?

« Elle veut manger de la viande rouge. Elle n’aime pas ça mais elle est convaincue d’en avoir besoin, une fois par mois, pour le fer, juste après ses règles. Elle perd tellement de sang, on dirait qu’elle se vide pendant les huit jours que ça dure. Cycles de vingt et un jours. Un cauchemar. Elle évite de s’asseoir chez les autres, elle a déjà démoli plusieurs canapés. Troisième millénaire, et elle porte les mêmes serviettes hygiéniques que sa mère mettait à son âge. Ça colle, on a l’impression de se balader avec une couche mal mise entre les cuisses, mais vu les performances des tampons, elle n’a pas le choix, elle doit porter les deux. De toute façon, les tampons, elle sera ménopausée avant d’avoir compris comment ça se met correctement. De la même façon qu’elle est incapable de coller une serviette hygiénique en visant juste – il faut toujours que ça saigne à côté. Si les mecs avaient leurs règles, l’industrie aurait inventé depuis longtemps une façon de se protéger high-tech, quelque chose de digne, qu’on se fixerait le premier jour et qu’on expulserait le dernier, un truc clean et qui aurait de l’allure. Et on aurait élaboré une drogue adéquate, pour les douleurs prémenstruelles. On ne les laisserait pas tous seuls patauger dans cette merde, c’est évident. On pollue l’espace intersidéral de satellites de reconnaissance, mais pour les symptômes d’avant règle, que dalle. »

On reconnaît bien là le style dont on aime se délecter de Virginie Despentes, ici extrait de Vernon Subutex 2. Ce paragraphe pointe la solitude d’une femme face à ses règles, prise entre la peur de la tache et l’absence de communication. Sans oublier que le tabou n’en serait pas un s’il s’agissait de la gent masculine, on est bien d’accord. « Il y a globalement un manque d’information », souligne Cloé Guicheteau.

Elle est médecin généraliste, avec une spécialisation gynécologie, en poste au Planning Familial de Rennes et au centre IVG de l’Hôpital Sud. Bien qu’il n’y ait aucune limite d’âge et que la patientèle soit diversifiée, les femmes consultant au Planning Familial ont majoritairement entre 15 et 35 ans.

« Pour certaines, les cours de bio sont lointains et puis elles n’ont pas toutes forcément été marquées par ces cours. On a régulièrement des questions sur le fonctionnement du cycle, et pas que de la part des plus jeunes. On entend souvent ‘’merci de m’avoir réexpliqué’’, ‘’ce n’était pas clair avant’’.  Avant de consulter un-e gynéco, elles sont souvent suivies par le médecin généraliste et n’ont pas forcément osé poser des questions. On leur prescrit la pilule mais elles ne comprennent pas ce qu’est un cycle ‘normal’, ce qu’est un cycle sous contraception et elles manquent d’informations sur la physiologie, sur ce qu’est la normalité en terme d’abondance, de régularité, de douleurs… », analyse-t-elle.

PAS LES MÊMES RÈGLES

Ces derniers points se manifestent différemment d’une femme à l’autre. Certaines souffrent plus que d’autres du syndrome prémenstruel (SPM). Ce dernier étant composé de symptômes physiques et émotionnels intervenant quelques jours avant les menstrues. « Je le vis à fond. Le corps enfle, j’ai envie de gras, de sucre, je suis irascible, fatiguée, sensible. », explique Morgane, 43 ans, réglée depuis ses 10 ans ½.

« Moi, j’ai pas mal au ventre mais qu’est-ce que je chiale ! À ce moment-là, j’ai les seins fermes et le ventre plat, c’est clair que chaque nana est différente ! Je deviens hyper émotive et je crois en fait qu’avant les règles les points qui nous caractérisent sont exagérés. Mais physiquement, je ne suis pas touchée par ça. Plus jeune, j’ai vu ma pote devoir s’allonger, tellement elle avait mal. Elle me disait que c’était parce qu’elle avait ses règles, je ne comprenais pas. », commente Anne, 37 ans, réglée depuis ses 15 ans.

« J’ai des règles régulières, relativement abondantes – mais pas ouf non plus – et elles durent 6 jours. Elles sont non douloureuses actuellement mais j’ai eu par le passé des périodes très compliquées en lien avec un trouble hormonal. C’est aujourd’hui stabilisé. », précise quant à elle Marion, 33 ans, réglée depuis ses 12 ans.

Autre cas de figure, celui de Lis, réglée « tardivement » : « J’étais la dernière de mes copines et je n’étais plus tellement acceptée dans le groupe, je n’étais pas une « vraie » femme. C’est pour ça que c’est quelque chose qui a été très attendu dans mon adolescence. J’ai pris la pilule quasiment sans avoir déjà eu mes règles. C’est en arrêtant ma contraception que j’ai découvert mes crampes. Maintenant, j’ai appris à faire de plus en plus attention à mon corps, donc même en étant relativement « déréglée », je sais à peu près quand elles vont arriver et quand j’ovule. »

En s’intéressant de près à ce sujet lors de ces études en Arts du spectacle au Brésil – qu’elle poursuivra ensuite à Rennes en master Arts plastiques – elle a beaucoup parlé avec les femmes de sa famille : « Ma grand-mère m’a raconté qu’un jour, elle se baladait dans la vallée et est tombée. Le soir, quand elle a vu du sang dans sa culotte, elle l’a associé à sa chute et a pensé qu’elle allait mourir. Mais elle n’en a pas parlé. Ma tante, elle, au contraire, a fait une fête autour du blanc et du rouge, mais sans dire qu’elle avait ses règles. Souvent ça ne se disait pas. Et c’est encore vrai aujourd’hui. En discutant avec des femmes de mon âge et des jeunes filles, pour savoir comment elles avaient vécu les premières règles, etc. je m’aperçois que certaines ont leurs règles avant même d’en avoir entendu parlé. À l’école, les cours là dessus arrivent trop tard et ça peut être un choc d’apprendre ce qui se passe après l’avoir vu dans sa culotte. »

TRANSMISSION OU PAS...

Les générations se succèdent et semblent se ressembler quant à l’absence de transmission d’informations. Une absence dans la plupart des cas mais évidemment pas vraie et vécue par tout le monde, comme le signale Marion qui ne se souvient pas avoir eu de discussion directe avec ses parents mais avoir entendu des conversations entre sa mère et sa grande sœur et qui n’a pas ressenti les règles comme un élément à dissimuler, les protections hygiéniques n’étant pas cachées chez elle. Morgane et Anne se rappellent de leur côté avoir dû se débrouiller seules dans cette étape.

Pour la première, ce devrait être un devoir d’en parler dans les familles car la génétique ne doit pas être passée sous silence : « Moi je le dis à mon mec que notre fille, qui a 4 ans pour l’instant, sera certainement réglée tôt. Et je lui parlerais à elle également à propos de ça, mais aussi à propos du fait qu’elle aura peut-être des difficultés à concevoir, comme moi. Je suis très fertile mais j’ai fait beaucoup de fausses couches. On commence à dire que les tampons pourraient y être pour quelque chose. Ça me fait du bien d’avoir des informations comme celles du documentaire (d’Audrey Gloaguen, Tampon, notre ennemi intime, diffusé le 25 avril sur France 5, ndlr) ou celles du bouquin de Camille Emmanuelle, Sang tabou. Pour ma fille, je voudrais qu’on en parle ensemble, lui dire d’éviter les tampons, et que l’on cherche ensemble des solutions. Lui dire aussi que si elle en a envie elle peut prévenir son père et son frère qu’elle a ses règles. Je veux qu’elle ait le choix et que ce choix dépende d’elle. »

Briser le tabou devient alors essentiel pour se sentir libre de parler, être écoutée, comprise et acceptée. Et ce rôle revient en priorité à la famille. Dans le silence qui régit ce sujet, Anne y voit un élément révélateur de la relation vécue entre parents et enfants.

« De toute manière, tout ce qui touche au sexe est vachement tabou, et pourtant je trouve que c’est un des points les plus essentiels à communiquer. »

QUAND VIENT LA GÊNE

La plupart des femmes interrogées se disent pourtant libérées au sujet des règles. Certaines aiment même provoquer ces discussions que l’on sait encore sensibles, à tort. Car il subsiste bel et bien une vraie gêne lorsqu’au détour d’une conversation à laquelle les hommes sont conviés, on aborde les menstruations. Pour ce focus, nous n’avons pas eu besoin de plus de deux tests – en plus des constats antérieurs - pour en être convaincu-e-s.

À chaque fois, nous avons introduit le sujet en expliquant le thème du dossier du mois de juin. Dans chacun des cas, nous avons constaté que sur trois hommes, deux détournent le regard ou essayent de modifier le cours de la discussion « parce qu’on va pas parler de trucs gores » ou encore que « j’ai pas envie de savoir si ce qui se passe à l’intérieur ». Sans oublier « que ce sont nos ennemies quelques jours par mois ».

Dire alors que c’est naturel, qu’il n’y a rien de sale, que les relations sexuelles peuvent avoir lieu quand même dès lors que les deux y consentent (comme à chaque fois, me direz-vous !), qu’en parler et écouter ce que vivent les femmes en période de règles est important et participe à la libération des femmes, ne suffisent pas à effacer la pointe de dégout qui se lit dans leurs yeux.

Pourquoi en 2017 est-il encore mal vu de dire ouvertement que nous avons nos règles ? Pourquoi la majorité des femmes ont honte de demander, sans chuchoter ou envoyer un texto / mail, à une copine ou une collègue si celle-ci n’a pas un tampon ou une serviette ? Pourquoi se penche-t-on discrètement pour farfouiller dans notre sac, pour en sortir un tampon délicatement caché dans notre manche ou notre poche de pantalon ?

Camille Emmanuelle, au micro de La matinale de Canal b le 19 avril dernier, prend un exemple révélateur de ce tabou. À table, on peut parler de régime sans gluten mais pas des règles. Le premier étant pourtant lié à des problèmes de digestion. De transit par conséquent. Surprenant, non ?

« La ménarche est considérée comme symbolique. Elle devient une « vraie » femme. Mais quand cela s’installe dans le quotidien, ça devient inconfortable. C’est honteux, dégoutant. Vient alors l’histoire de la douleur, de la gêne, de la tache qui hante toutes les femmes, pas seulement les ados. J’ai attendu très longtemps d’avoir mes règles et quand elles sont arrivées, c’est devenu gênant. Et remarquez que dans le vocabulaire, ce n’est jamais dit réellement. On parle de « ça ». Et le « ça » évoque les effets collatéraux comme les crampes, la tache, etc. », souligne Lis Peronti.

« Ça » n’évoque pas le fonctionnement du cycle, qu’il soit naturel ou sous contraception, et pas non plus le ressenti des femmes en tant que tel. On rigole souvent de leur potentielle émotivité avec la fameuse, et si crispante, phrase : « T’as tes règles ? », dès lors qu’une femme est énervée, à fleur de peau.

FÉCONDITÉ OU FÉMINITÉ ?

Dans son mémoire, l’artiste-chercheuse s’interroge : « Le sang est-il inévitablement symbole de mort ? (…) L’exemple du film (elle fait allusion au film Carrie, dont une scène montre les femmes se moquant de la jeune adolescente de 17 ans qui vient d’avoir ses premières règles, ndlr) et de ce qu’il implique montrent comment les croyances religieuses peuvent avoir une influence sur comment est vu le sans et surtout le sang menstruel qui dans ces cas est souvent considéré comme substance dangereuse et sale. Dans le Lévitique de l’Ancien Testament de la Bible il est dit : « La femme qui aura un flux, un flux de sang en sa chair, restera sept jours dans son impureté. » Suivent des phrases disant que tout ce qu’elle touche et tous ceux qui la touchent seront impurs jusqu’au soir. (…) De ces légendes, le sang menstruel hérite du caractère dégoûtant et repoussant qui lui est traditionnellement accordé dans les sociétés occidentales, les règles sont associées à la souillure et au déchet biologique qu’il nous faut cacher et faire disparaître discrètement. »

En résumé, les menstrues sont le symbole de l’échec cuisant de la fécondité. La muqueuse, alliée au sang, qui coule le long des parois du vagin pour atterrir dans la culotte désigne dans l’imaginaire collectif ce qui n’a plus lieu d’être, ce qui est inutile puisque l’ovule n’a pas été fécondé. Le paradoxe est entier : les premières règles transforment la jeune fille en femme, appareillée pour donner la vie, mais les suivantes rappellent qu’elle n’est toujours pas enceinte.

La confusion est d’autant plus importante que l’on associe les règles à la féminité, soit la révélation du raccourci que l’on fait bien trop souvent entre fécondité et féminité. « À mes yeux, cela dépend du rapport à soi, à la féminité. La société, je crois, se rassure en faisant le lien et surtout en faisant entrer la femme dans un case assez détestable de ce que pourrait être une femme. Ainsi, me concernant, je n’ai pas du tout senti ma féminité à cette époque-là. J’en étais loin. J’ai donc accommodé comme j’ai pu mon besoin de le sentir sans être lié à un genre et le fait que j’avais mes règles. J’avoue que encore aujourd’hui, je ne fais pas le lien entre mes règles et mon sentiment d’être femme. », déclare Marion.

Même discours du côté de Lis :

« Plus j’ai étudié le sujet et plus j’ai eu un intérêt pour les personnes trans, plus je m’aperçois que la notion de féminité est fabriquée. Parce que qu’est-ce que c’est ? C’est une caractéristique utilisée par la société pour mettre les femmes dans leur case. »

Dans la case des personnes inférieures car fragiles. Fragiles car émotives. Emotives car en proie à leurs hormones. Et tout ça n’est supportable que si elle accomplit sa mission : que son ovule soit fécondé, que le fœtus soit mené à son terme, que l’enfant soit élevé et éduqué. En 2017, si la société évolue à ce sujet, dans l’inconscient se nichent encore des idées saugrenues telles que la souillure et l’impureté.

LES FEMMES VOIENT ROUGE, PAS VOUS ?

Mais les menstruations restent cachées. A-t-on déjà vu du sang dans les publicités pour les protections hygiéniques ? Non, jamais. Le liquide utilisé pour les serviettes est bleu. Pas rouge, bleu. Et ce ne peut pas être parce qu’on ne montre pas de sang à la télévision française, sinon une grande partie des films et séries seraient interdit-e-s sur les écrans. Mais sans demander aux publicitaires d’utiliser du vrai sang, de vraies règles, il serait tout de même cohérent et pertinent de ne pas emprunter une autre couleur…

Tout comme il serait bon de rétablir la vérité sur les produits qui composent les tampons. C’est là toute l’enquête d’Audrey Gloaguen dans le documentaire Tampon, notre ennemi intime qui débute par les témoignages de deux jeunes femmes, atteintes du Syndrome du Choc Toxique, à cause de ce petit tube faussement cotonneux qui de prime abord semble totalement inoffensif, fait pour que les femmes soient libres de leur mouvement, ne craignant plus les fuites, et sereines durant les multiples journées qu’elles vivent intensément au cours d’une seule et même journée (en étant working girls, sportives, mamans et épouses/amantes).

Aujourd’hui, les fabricants ne sont toujours pas obligés de signaler sur les boites la composition de leurs produits. Si scientifiques et élu-e-s politiques – majoritairement des femmes pour cette dernière catégorie – se battent pour faire avancer la recherche et la reconnaissance de cette problématique dans les hautes sphères des institutions, notamment européennes, le chemin est long et la bataille acharnée. Car les puissants résistent, malgré les scandales qui éclatent.

En 2017, la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, dans son enquête sur la sécurité des produits d’hygiène féminine, confirme l’étude Alerte sur les tampons, publiée par 60 millions de consommateurs, en mars 2016. Des substances chimiques ont bien été retrouvées dans les protections hygiéniques, dont des traces de dioxines ou des résidus de pesticide interdit en France.

Pour l’instant, la DGCCRF signale qu’il n’y aurait « aucun danger grave et immédiat », soit pas de conséquence sur le long terme sur la santé des femmes. Il faudra alors attendre la fin de l’année, période à laquelle l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail devrait remettre son rapport à ce sujet.

Mais entre la polémique autour de la baisse de la TVA pour les protections hygiéniques qui n’aura pas été une mince affaire, les propos effarants de certains politiques ramenant serviettes et tampons à des produits de confort alors qu’ils sont de l’ordre de la première nécessité pour la gent féminine et l’idée de se glisser Monsanto dans le vagin, les femmes ont de quoi se sentir à fleur de peau, au-delà du syndrome prémenstruel.

Parce qu’avec toutes ces informations, on fait quoi ? On retourne aux méthodes ancestrales des aînées de nos grands-mères ? Non, on informe des risques mais surtout on informe des possibilités qui s’offrent à nous. Comme opter pour des tampons pas trop absorbants, à changer régulièrement, ou opter pour la coupe menstruelle, qui cela dit ne protège pas du Syndrome du Choc Toxique. Mais qui pour certaines femmes offre une véritable libération à propos des menstruations.

« Je suis passée à la Moon Cup, j’adore. On est en lien avec le liquide, le sang. Ça change le rapport. », explique Lis. Parce que sa démarche artistique, dans le cadre de son mémoire, est partie de là. En voyant une image de ce sang qui ne coagule pas, qui tombe dans les toilettes en un seul bloc avant de se disloquer et d’effectuer une chorégraphie hypnotisante. La cup s’insère dans le vagin pliée en deux et vient se poser contre les parois vaginales, récupérant ainsi le sang qui s’écoulent dedans.

Comme le tampon, la coupe est composée, non d’un fil mais d’une tige en silicone que l’on utilise comme un guide pour nous permettre de remonter jusqu’aux fesses du réservoir – si l’on considère que c’est par la tête qu’arrive le sang – que l’on pince, comme une ventouse, afin de la retirer du vagin. Le contact avec la zone intime, avec les muqueuses et avec le sang est incontournable et l’utilisation de la coupe apprend à toucher, observer, sentir et couper court à cette idée de saleté, de souillure et d’impureté.

Néanmoins, outre l’argument écologique, ce processus libérateur pour les unes n’opère pas chez les autres. Et le choix de la protection hygiénique doit rester justement un choix, comme le rappelle Camille Emmanuelle dans Sang Tabou : « D’autres femmes vont trouver inconfortable le fait d’avoir, pour vider la coupe, les mains pleines de sang et donc de devoir trouver des toilettes avec un lavabo privé, du savon, un sèche-mains. C’est mon cas. Les coupes ont beau avoir des noms trop mignons (Lunela, Yuuki, Fleurcup, Mooncup), je dois avoir trop trainé dans ma vie dans les bars et cafés aux toilettes dégueus, sans lumière, avec des lavabos communs, et qui mettent à disposition un sèche-main en tissu, en panne depuis une semaine, avec son vieux tissu, humide et gris. » Chacune sa protection hygiénique !

SAVOIR QUE L'ON A LE CHOIX

C’est également le discours que tient Cloé Guicheteau, médecin au Planning Familial de Rennes, quant au choix de la contraception. Chacune doit pouvoir choisir son moyen de contraception, en son âme et conscience, mais surtout avec toutes les informations concernant l’ensemble des possibilités.

« C’est d’abord le rôle de la famille, des parents, d’informer sur les règles mais tout le monde n’a pas cette chance. Ensuite, c’est le rôle de l’Éducation nationale et puis le rôle du médecin de famille, le médecin traitant. Car lors des premières douleurs, c’est chez le médecin traitant en général que l’on emmène la jeune fille. Il doit prendre un temps avec elle pour parler. Le rendez-vous gynéco intervient souvent dans un second temps, pour la contraception. Il est de notre rôle de s’assurer alors qu’elle a bien compris le cycle, les règles, qu’on lui fournisse bien toutes les informations sur tous les moyens de contraception et lui expliquer ce que sont les règles sous contraception. Car même si c’est artificiel, la contraception est quand même faite pour recréer ce que la femme connaît. On doit empêcher l’ovulation, que les hormones mettent les ovaires au repos. Elles vont alors faire gonfler la muqueuse de l’endomètre et en arrêtant leur prise, les chutes d’hormones déclenchent le message au cerveau. », souligne-t-elle, n’oubliant pas de préciser que selon la contraception choisie, le dosage, les hormones, etc. les règles peuvent apparaître de manière irrégulière, tout à fait régulière ou cesser totalement, avec quelques saignements. Tout dépend.

Certaines vont enchainer les plaquettes et ne pas avoir leurs règles et d’autres vont préférer avoir un temps de repos entre deux plaquettes, afin de rassurer avec l’arrivée de leurs menstruations « artificielles ». Aussi, « Enlever l’ovulation peut diminuer la libido chez certaines mais il n’y a pas que des effets néfastes. La pilule peut être un protecteur contre le cancer de l’ovaire, de l’utérus ou encore du colon. Mais les effets dépendent des femmes. Ce qu’il faut surtout, c’est en discuter, les écouter, les prévenir, voir comment elles se sentent, comment elles sentent leur corps, voir si cela leur convient ou pas, et voir comment on peut ensemble améliorer les choses. C’est le rôle du professionnel de la santé : informer sur toutes les contraceptions et dire aux femmes qu’elles ont le choix. C’est hyper important que ce soit elles qui choisissent pour elles. Pas le professionnel, pas la mère, pas la copine. Et pour cela, il faut une information complète avec les avantages et les inconvénients, il faut dissiper les mythes, délivrer une information objective, appropriée à la demande. », poursuit-elle. Tous les médecins généralistes et gynécologues ne fonctionnent pas de la même manière.

ÉCOUTER ET INFORMER

Et le temps d’une consultation peut être restreint par rapport à la multitude de questions qu’une femme peut se poser sur son cycle, ses règles, sa contraception, ses choix et ses libertés. Mais pour Cloé Guicheteau, il est important que les professionnels de la santé soient dans une démarche d’écoute et que les jeunes filles, jeunes femmes, femmes, trans – peu importe où l’on se situe – se sentent en confiance, suffisamment à l’aise pour oser aborder les différentes interrogations :

« Pour moi, il faut poser la question au médecin généraliste qui peut renvoyer vers quelqu’un qu’il sait plus compétent dans ce domaine-là, puisque nous avons tous des spécialisations et qu’aujourd’hui, les médecins se regroupent en cabinet. Il faut avoir l’honnêteté de le dire et recommander un-e collègue. Tout le monde n’est pas fait pour être compatible en plus. Les personnes trans font souvent partie de réseaux et savent vers qui aller pour être à l’aise et ne pas être face à des gens maladroits. Et je pense que c’est ça qu’il faut chercher : être face à des personnes bienveillantes et à l’écoute. On aimerait qu’il n’y ait plus de jugements sur l’IVG, les personnes trans, etc. mais on n’en est pas encore là malheureusement. »

Pourtant, l’information doit être délivrée dès le plus jeune âge. Et les établissements scolaires se doivent, en principe, de dispenser « trois séances annuelles et par groupes d’âge homogène » sur la santé et la sexualité, selon la loi de 2001, relative à la contraception et l’interruption volontaire de grossesse (Section 9, Art. L. 312-16).

Mais en juin 2016, le Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes, dans son rapport « Éducation à la sexualité : Répondre aux attentes des jeunes, construire une société d’égalité femmes-hommes », rappelle que c’est encore trop faible. Sans oublier que tous les établissements scolaires, en particulier dans le secteur privé, ne s’y plient pas. Quelles sont alors les chances que l’ensemble des élèves français reçoivent une information équivalente au sujet des règles ? Que toutes les jeunes femmes aient un espace de parole et d’écoute ?

Que toutes les femmes soient enfin décomplexées de tous les tabous qui régissent les menstruations : qu’il s’agisse de la tache (ça arrive, c’est naturel après tout), de la peur de l’odeur (le sang des règles ne sent que lors de l’oxygénation, par conséquent autour de vous, personne ne le sent), de l’idée de saleté ou d’impureté (encore une invention et une interprétation bidon pour faire de nous des êtres inférieures), rien ne doit nous empêcher de vivre notre cycle comme nous l’entendons.

Avec les protections que nous choisissons – en réclamant et en se battant pour qu’elles soient TOUTES sans pesticides, sans produits chimiques, avec la transparence de la composition et de la fabrication, et sans augmentation de la TVA – et avec la contraception de notre choix (ou le choix de la non contraception, tout dépend). Et avec tout le ressenti et les émotions que le cycle implique.

Chacune est libre d’écouter, de comprendre et d’interpréter les messages de son corps. D’accepter que les émotions soient décuplées, chamboulées, ou pas. Que les douleurs s’il y en a nous obligent à nous poser et ne nous permettent pas de vivre la journée à fond (si les douleurs sont insoutenables, il est vivement recommandé de consulter, lire notre encadré sur l’endométriose). Parce que le contraire provoque des situations de violence et de souffrance. De culpabilité et de peur de dire « je ne peux pas parce que j’ai mes règles. »

Si le débat autour du congé menstruel divise l’opinion, il a au moins l’avantage de mettre en lumière que le syndrome prémenstruel et les règles peuvent être des étapes énergivores et éprouvantes pour certaines femmes. Qui n’ont pas à s’excuser ou à se considérer comme « la preuve que les femmes sont plus faibles que les hommes ».

La fragilité, Lis Peronti l’a ressentie lors de l’une de ses performances artistiques. En 2011, lorsqu’elle reprend ses recherches sur les règles, elle entreprend de réaliser une série d’actions durant cinq mois. À chaque fois que ses menstruations surviennent. Sans toutes les citer, on retient Sangre, dans laquelle elle a essayé de teindre un tissu blanc  en rouge avec son écoulement menstruel, Sangre para os Urubus, une émanation de l’action antérieure ou encore Te incommoda, a mim incomodou, dans laquelle elle a passé une journée sans protection hygiénique.

Elle raconte : « Ce jour-là, j’ai eu tellement peur de la tache, alors que c’était le but quand même que je n’ai pas eu mes règles de la journée, sauf quand j’étais aux toilettes. Comme quoi, c’est incroyable ce que le corps est capable de faire. Mais la fois où j’ai senti ma fragilité, c’est quand dans un arbre, avec une robe blanche sur laquelle je laissais écouler mes règles, j’ai vu les vautours me tourner autour parce que le sang les attirait. »

RÉUNIES EN ISOLEMENT

Le sang attire les animaux. C’est la raison pour laquelle dans certaines communautés on pense que les femmes aient été réunies entre elles, et exclues par conséquent des tribus. Pour s’écarter du danger. Comme on s’écarte de la femme réglée pour ne pas souiller de son impureté. Ces réunions de femmes, la journaliste Anita Diamant s’en inspire dans son roman La tente rouge, dans lequel elle retrace l’histoire du personnage biblique de Dina, la fille de Jacob.

« Ça part de l’idée des peuples nomades dans lesquels les femmes se réunissaient quand elles avaient leurs règles, elles devaient se reposer, être servies par les jeunes filles pas encore réglées. Elles en profitaient pour se raconter leurs secrets et partager les secrets de guérison… Au début, je me suis dit que c’était ça que je voulais ! J’ai lu plein de choses sur les méthodes d’isolement, sur la tradition juive qui évoque des bains après les règles pour se purifier, sur le fait de ne pas toucher les choses en période de menstruation, et en fait, j’ai commencé à me méfier un peu des tentes rouges parce qu’elles font quand même référence à quelque chose qui excluait les femmes pour se protéger des malheurs que les femmes réglées provoquent », explique Lis.

Voilà pourquoi elle a souhaité expérimenter une tente rouge : « C’est vraiment très bien, ça permet de parler mais le principe même reste lié à cette impureté. » À 29 ans, Laura Couëpel est naturopathe, monitrice de portage, animatrice d’atelier toucher / massage bébé, praticienne de la réflexologie plantaire et également doula, depuis l’année dernière. La doula étant une accompagnante à la naissance.

« Lors d’un week-end organisé par les Doulas de France, j’ai participé à une tente rouge. J’avais déjà fait des cercles de femmes mais là c’est très cocon. On est assises sur des coussins, dans un univers rouge, c’est très intime et il y a vraiment une relation de confiance. C’est beaucoup plus chaleureux qu’un cercle quelconque parce qu’il y a un environnement qui permet de se livrer. », décrit Laura, aujourd’hui devenue facilitatrice de tente rouge, la dernière ayant eu lieu le 23 mai dernier.

L'ADAPTATION DES TENTES ROUGES

Evidemment, aucune obligation d’avoir ses menstruations pour participer. Et aucune obligation également de parler. Les femmes doivent simplement accepter les règles posées par l’esprit des tentes rouges : respect, confidentialité, écoute, liberté de partager ou non un vécu, un ressenti, non jugement et bienveillance.

« Ce n’est pas une séance psy ou une discussion avec des ami-e-s, conjoint-e-s, membres de la famille qui souvent donnent des conseils, même quand on ne leur demande pas. Ici, chaque femme est libre de déposer ce dont elle a envie mais on ne donne pas des conseils. », souligne-t-elle.

Si chaque facilitatrice organise sa tente rouge comme elle le souhaite – pas obligatoirement de manière régulière, par exemple – elle, a choisi de ne pas imposer de thèmes précis. Les femmes présentes, de la ménarche (avant les premières règles, il existe la tente rose) à la femme ménopausée (acceptée à la tente rouge, elle peut aussi s’orienter vers la tente orange), abordent les sujets qu’elles désirent, en lien avec le féminin, la féminité, le cycle, la condition des femmes.

Les règles ne sont pas au centre des discussions mais peuvent être un sujet posé par une ou des participant-e-s : « Elles évoquent la liberté, la contraception, le lien avec le cycle féminin, le lien entre les règles et les émotions, les humeurs. Certaines sont très attentives à leur cycle. En tout cas, le principe est qu’il n’y ait aucun tabou. Qu’elles soient féministes, partisanes, ou pas. L’objectif est d’apporter une liberté de parole. Des femmes sont vraiment sensibles au niveau des règles et c’est important qu’elles puissent l’exprimer si elles le souhaitent. Pouvoir le dire sans se sentir jugées. Parce que parfois dans le quotidien, on n’ose pas le dire à cause du fameux « t’as tes règles ? » ».

Une tente rouge offre donc un espace réservé aux femmes de paroles et d’écoute qui permet de mettre des mots sur des expériences, des ressentis, des vécus, ne pas se sentir seules dans ce que l’on vit, ne pas se sentir jugées. Au contraire, se sentir comprises.

« Ça ne veut pas dire que ça résout les problèmes. Mais ça peut libérer d’un poids déjà. »

poursuit Laura Couëpel qui organise une tente rouge une fois par mois environ, en fonction de son emploi du temps, à son domicile à Guichen, sur une durée de 2 heures : « On pourrait parler encore des heures et des heures mais faut bien mettre une durée. On peut faire une tente rouge entre 3 et 10 participantes. Je fais ça bénévolement et gratuitement. Je mets simplement une boite à la sortie de la tente, en participation libre, pour le thé, chocolat, gâteaux, etc. »

Une manière conviviale donc d’évoquer tout ce qui nous tient à cœur et de se délester d’émotions et ondes négatives. Le 11 juin, Karine Louin, facilitatrice à Betton – qui avait proposé en fin d’année 2016 et début d’année 2017 des tentes rouges à l’Hôtel pasteur de Rennes – propose une « Journée de cérémonie et de transmission dans la tente rouge » pour s’informer et pourquoi pas créer à votre tour une tente rouge dans votre quartier.

Dans une tente, sur des coussins, dans un lit, à la terrasse du bistrot, dans le jardin avec des ami-e-s, en famille, en couple, au travail, dans la salle de consultation face au médecin, chez le/la gynéco, sur les bancs de l’école, dans la cour de récré, peu importe, les règles ne doivent être un tabou nulle part. Même pas dans nos téléphones !

Et oui, à l’occasion de la Journée de l’hygiène menstruelle (Menstrual Hygiene Day), le 28 mai, l’ONG Plan International a lancé une campagne pour intégrer des emojis sur les règles. Parmi 5 dessins – calendrier avec des gouttes de sang, culotte avec des gouttes de sang, gouttes de sang avec des smileys contents / moyen contents / pas contents, serviette hygiénique tachée (en rouge, et non pas en bleu !) et organe génital féminin – les internautes sont invité-e-s à choisir via la page facebook de la structure.

Le dessin sélectionné sera présenté ensuite au Unicode Consortium, en charge du choix des emojis. Nous, on milite les cinq propositions, à mettre partout ! Pas uniquement dans les toilettes, les salles d’attente et les salles de SVT. Partout on vous dit ! Jusqu’aux quatre colonnes de l’Assemblée Nationale, pour une petite piqure menstruelle…

 

Tab title: 
Les règles : l'heure de ne plus en être gênées
Menstruellement décomplexées
Endométriose : en parler pour la diagnostiquer
L'absence de règles, ça arrive
Briser le tabou par les mots et l'humour

Célian Ramis

Girls, une exposition déculottée

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Hôtel Pasteur, Rennes
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L'exposition Girls qui a dévoilé les dessous d'une autre image des femmes, grâce à de jeunes artistes en devenir, aussi cru-e-s qu'intimistes, se termine à l'Hôtel Pasteur de Rennes, le 10 février.
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Jusqu'au 10 février prochain, l'exposition Girls mise en scène par le collectif Runbyfeu, dévoile, à l'Hôtel Pasteur de Rennes, les dessous de la véritable image des femmes de notre société contemporaine, grâce à de jeunes artistes en devenir, aussi cru-e-s qu'intimistes.

Alors que l'Hôtel Pasteur est en pleine rénovation intérieure, l'exposition Girls s'est invitée dans la cage d'escaliers du bâtiment. Suspendues aux rampes, des jupes se soulèvent sous les yeux des visiteur-e-s, dévoilant une intimité souvent mystifiée par la société actuelle. Sous l'effet artistique, le sexe féminin se désigne entre autre par une pilosité abondante, une lingerie en dentelle ensanglantée, ou encore par un miroir brisé, chaque buste racontant une histoire, un tabou.

Les interprétations concernant chaque buste peuvent ainsi diverger selon les vécus, les ressentis des visiteur-e-s, placé-e-s malgré eux/elles en position du voyeur. « Tout le monde regarde sous les jupes des filles », sourit Morgane Curt, co-fondatrice du collectif Runbyfeu face à certains regards surpris des spectateurs/trices.

Créé en janvier 2016 avec Alice Delauney, présidente de l'association, le collectif vise à promouvoir de jeunes artistes en devenir et à dynamiser la création artistique. « On cherche surtout à promouvoir des artistes sans critères particuliers, en étant ouvert à tous les styles, aussi bien l'écriture, la sculpture, ou encore la musique», explique Charlotte Velter, également co-fondatrice.

Girls est leur quatrième exposition, « cette dernière étant beaucoup plus officielle grâce au cadre dans lequel on l'expose, rajoute Charlotte en parlant de l'Hôtel Pasteur, car on avait l'habitude d'exposer dans des bars à Rennes au départ». « C'est notre plus grosse exposition, termine Morgane, et comme à chaque exposition, on choisit un thème selon les envies et inspirations de chacun. Et celui de la féminité s'est imposé naturellement ».

Un choix que partage Charlotte, qui expose actuellement ses photographies, représentant différents portraits de jeunes femmes :

« Ce que j'ai envie de capter dans mon travail, c'est un moment dans la vie de quelqu'un, qui appartient à son quotidien. Et avec cette exposition, l'idée était de rencontrer d'autres points de vues que les miens sur la féminité et les femmes en général ».

Un thème dont de nombreux jeunes artistes réuni-e-s pour l'occasion, se sont inspiré-e-s pour leurs œuvres, mêlant différents médiums artistiques, comme la peinture, la photographie ou encore le moulage. Face à cette première performance artistique dans la cage d'escaliers par le collectif Sans Titre, la suite de l'exposition s'annonce cependant plus classique, l'image de la nudité féminine devenant le fil conducteur, attirant le regard et quelques froncements de sourcils.

UN ENGAGEMENT FÉMINISTE IMPLICITE

C'est dans une ambiance baignée d'une certaine quiétude que l'artiste Charlotte V. nous montre à travers son objectif, des jeunes femmes modernes, fumeuses, pensives, portant des lunettes, des piercings, et fixant l'objectif avec détermination ou au contraire, le fuyant. Les couleurs sont à la fois vives et douces, les protagonistes en mouvement ou dans l'attente de quelque chose, observatrices d'une société en pleine stagnation tout en prônant le changement.

Loin de ces photographies intimistes, le corps féminin est revisité par certains artistes, à travers des poèmes à l'érotisme explicite mais aussi, par des tableaux, comme l’œuvre pop et décalée de l'artiste Misst1guett, qui donne sa vision tout en forme des femmes, comme maîtresses de la Vie et de la Mort.

Maîtresses aussi d'un corps leur appartenant de droit, et dont l'usage ne peut être monopolisé par la société, l'interprétation du tableau laissant envisager une possible vision autour de l'avortement et du choix de la fécondité.

Cette volonté de montrer les femmes sous un autre angle est affirmé également dans les œuvres de l'artiste suivante, Émilie Aunay, qui expose près de ses peintures, une œuvre particulière, celle d'un corps de femme moulée dans le plâtre. À partir de différentes parties du corps de plusieurs femmes, toutes générations confondues, l'artiste a reconstitué un corps féminin à l'apparence harmonieuse et bien proportionnée.

Une silhouette qui laisse perplexe quelques visiteur-e-s, dont Rémi, étudiant infirmier, qui ressent une certaine incompréhension concernant l'interprétation de certaines œuvres. « Je ne vois pas en quoi cette création est féministe, dit-il en désignant le mannequin de plâtre, pour moi elle représente juste l'image de la femme conforme aux canons habituels ». Laissé indifférent par l'exposition, ce visiteur souligne inconsciemment le manque d'engagement de l'exposition Girls.

Se désignant comme une exposition féministe mais sans parti pris, les jeunes femmes tenaient avant tout à se démarquer dans le milieu associatif, où le sexisme ordinaire est un réel problème au quotidien.

« Il n'est pas rare que l'on nous fasse la réflexion du genre, mais vous y arrivez toutes seules ?, explique Morgane. Du coup, on avait envie de surprendre en créant cette exposition, de prouver qu’on était capable de monter ce genre de projet, et ça marche », sourit la jeune femme.

PRÊTER ATTENTION AUX RECOINS DU FÉMININ

Pourtant, Girls cherche à montrer à travers ces œuvres les moindres recoins du corps féminin, allant jusqu'à effacer les limites du genre et développer l'imaginaire des spectateurs/trices, comme le démontre les œuvres de Jlacastagne. Ses peintures donnent l'impression d'être une fois de plus dans une situation de voyeurisme, véritable phénomène sociétale dans la réalité du quotidien.

Un effet accentué face à cette œuvre, poussant le visiteur à l'étudier de plus près pour tenter de comprendre ce qu'il voit. En peignant les moindres replis et recoins du corps des femmes, le peintre marque à l'état brut la beauté d'un corps nu, avec ses plis et les défauts que peuvent lui prêter la société, tout en démontrant  par exemple, que le sexe féminin imaginé est en réalité une paupière close.

Et prouver par la même occasion qu'un corps plissé par endroit ne peut être laid, contrairement aux normes de beauté habituelles. Frontière entre l'imaginaire et la réalité du sexe des femmes se dessine enfin à travers l’œuvre.

Une scène érotique très explicite est d'ailleurs mise en exposition, du même auteur, faisant disparaître les idées reçues sur le genre et la domination dans l'acte sexuel. La scène en devient par la suite, presque ordinaire et sans étiquette quant à savoir qui domine qui, l'acte devenant un plaisir partagé et non une consommation rapide et une soumission.

L'érotisme est aussi mis en évidence avec l'exposition d'un fanzine, Galante, mis en consultation libre avec sa consœur de papier, Citad'elles. Le premier, connu « pour aborder l'image des femmes à travers la notion de l'érotisme de manière très crue » se détache de Citad'elles, écrit par et pour les femmes incarcérées à la prison de Rennes. L'exposition permet ainsi de présenter un véritable panel de portraits et de situations de femmes, « où chacune d'entre elles sont représentées », rajoute Morgane.

UNE EXPOSITION POUR TOUS LES PUBLICS

La sexualité des femmes est donc abordée en toute légèreté, avec sa pilosité, sa lingerie, son sexe et ses règles, des sujets encore relativement tabous. Ces dernières sont croquées dans tous leurs états, par exemple sous forme de dessins aux traits simples sur un ton humoristique comme pour expliquer aux enfants qu'une femme boit du vin, fait la fête, crie, danse, saigne, s'arrondit et parfois, rugit.

Rugit contre une société qui impose beaucoup trop souvent une image encore biaisée, de l'image d'une femme conventionnée à des normes absurdes concernant son attitude en société mais aussi, sur son apparence.

« On espère qu'il y aura des enfants parmi les visiteur-e-s, nous confie Charlotte, c'est important pour eux de se retrouver face à ces images, dans le sens où il ne faut pas les éduquer dans le mysticisme du corps féminin comme on a l'habitude de faire encore aujourd'hui. Parce que nous sommes tou-te-s confronté-e-s à la question de la féminité dans sa vie ».

« C’est pour cela que l’exposition doit forcément passer par le nu », rajoute Camille Pommier, bénévole au sein de l’association. Ce qui amène à entraîner d'autres visiteur-e-s un peu perdus par cette audace assumée, à venir se rendre compte de cette nudité.

« Il y a des réfugié-e-s qui viennent prendre des cours de français à l'Hôtel Pasteur, alors quand ils/elles commencent à monter la cage d'escaliers, on va dire qu'ils/elles sont quelque peu surpris-es et on assiste à un sacré choc des cultures », raconte Morgane, amusée.

Une nudité plurielle qui ne devrait plus être aujourd'hui un tabou. Pourtant, la diffusion d'un modèle unique perdure encore. L’œuvre étrange de Polygon dénonce l’image d'une femme fantasmée et ultra sexualisée par les médias.

En utilisant des outils datant des années 80-90, l'artiste met en scène une version burlesque et visuellement agressive sur l'industrie musicale, montrant une image corrompue par le fantasme de corps démesurément maigres, épilés et maquillés à l'extrême. Une énième dénonciation qui ne manque pas de piquer l’œil désormais averti du visiteur.

Girls laissera sûrement indifférent-es certain-e-s mais en fera sourire d'autres, par le culot de quelques œuvres, par la douceur de ces regards volés, et donnera peut être l'envie de poser son épilateur et d'aller se promener en petite robe sans avoir honte des recoins d'un corps qu'il faut apprendre à aimer, contre une société qui nous empêche de le faire correctement. 

Célian Ramis

LGBTI : La lutte pour la liberté

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Rennes
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Face à une homophobie décomplexée et des vies en état d'urgence, la communauté LGBTI poursuit le combat et entend bien ne rien lâcher. Pour une évolution des mentalités.
Text: 

Juin 2016. Deux hommes qui s’aiment, c’est dégueux. Deux femmes qui s’aiment, c’est deux hétéros mal baisées. Un-e bisexuel-le, c’est un pd ou une gouine qui ne s’assume pas. Une personne transgenre, c’est un-e malade mental-e. Un-e enfant intersexe, c’est inconnu au bataillon quasiment.

Juin 2016, la parole LGBTIphobe est décomplexée, ordinaire, virulente. Juin 2016. Il y a encore des lesbiennes, homosexuels, bisexuels, trans, intersexe, qui souffrent de rejet, de violences physiques et/ou verbales, se suicident ou meurent sous les balles d’Omar Mateen dans la nuit du 11 au 12 juin, aux Etats-Unis, dans une boite gay d’Orlando.

Juin 2016. La Marche des Fiertés défile dans plusieurs villes françaises, dont la capitale bretonne, et l’affirme haut et fort : des vies sont en état d’urgence, le combat continue.  

Drapeaux arc-en-ciel, trans et bretons se sont côtoyés le 4 juin dernier dans un centre ville rennais pas librement accessible, à l’occasion de la Marche des fiertés, inaugurée dans la capitale bretonne en 1994. Manifestation festive et colorée, elle permet de mettre en lumière la communauté LGBTI (lesbienne, gay, bi, trans, intersexe) qui porte, à l’année, des revendications fortes et essentielles à l’avancée d’une société encore trop inégalitaire, aux libertés individuelles et à la survie des un-e-s et des autres.

Parti de l’esplanade Charles de Gaulle, le cortège fait masse boulevard de la Liberté, samedi 4 juin. Plus de 2000 personnes marchent, chantent et dansent pour ce que l’on appelait communément la gay pride, qui rapidement à Rennes – une des premières villes à arborer cet intitulé avec Marseille - se nommera la Gay & Lesbian pride avant de devenir la Marche des fiertés.

Les slogans scandés - « Qu’est-ce qu’on veut ? L’égalité des sexes. Pour qui ? Pour tous ! », « Hollande, Hollande, t’as perdu les pédales ! », « Y en a assez de cette société qui ne respecte pas les trans, les gouines et les pédés ! » - se mêlent aux pancartes brandies – « Retirez votre sexe de mon état civil », « La bite ne fait pas le genre », « Je veux des papiers sans être mutilé-e », « On veut des droits, pas ton avis » - et à l’ambiance joyeuse qui émane des manifestant-e-s qui bougent au rythme de La Yegros et sa chanson entrainante « Viene de mi ».

En tête de manif’, Selene Tonon, vice-présidente du CGLBT de Rennes, et Roxane Gervais, membre de l’association également, se relaient au mégaphone à s’en casser la voix. Mais tant pis, elles ne lâchent rien. « Au début de la Marche, un mec m’a traitée de travelo. Je lui ai lancé : « On vous fait des bisous » ! Il est devenu tout rouge… », rigole Roxane dont la réplique bien sentie sera reprise par la foule.

« Je me suis permise aujourd’hui parce qu’aujourd’hui je peux lui répondre sans avoir peur ! », poursuit-elle, aux bras de sa compagne. Parce qu’aujourd’hui, Julien Fleurence, président du CGLBT de Rennes, le réaffirme du haut du bus stationné à République pour les discours : « Nous sommes fièr-e-s de qui nous sommes et de ce que l’on a acquis ! » Mais précise qu’à présent le goût de l’amertume et de la désillusion prend le pas sur la satisfaction des avancées sociales, dont aucune en revanche n’est à noter cette année.

Que l’espace public est toujours le « théâtre des discriminations et des violences ». Que la société stagne concernant les revendications LGBTI et que la haine perdure. Et pour de conclure, que des « vies sont en état d’urgence ». Le thème de cette édition étant : « Debout face aux discriminations. Nos vies sont en état d’urgence ».

REVENDICATIONS PRIORITAIRES

Dans les grandes lignes, le combat s’oriente vers la lutte globale contre les LGBTIphobies, la sérophobie et toutes les formes de discriminations. Ainsi que la lutte pour le droit à disposer de son corps et le droit de vivre sa vie sociale, sentimentale et sexuelle. Mais est-ce seulement envisageable quand la mutilation génitale est l’unique réponse à la naissance d’un enfant intersexe ? Quand le changement d’état civil ne tient qu’à la seule appréciation d’un juge et non de la personne concernée ?

À cette question, le député PS Erwann Binet répond clairement : « On n’est pas propriétaire de son état civil en France », ce principe d’indisponibilité provenant droit de l’époque napoléonienne. Pas propriétaire de son corps non plus, visiblement. Avec la socialiste Pascale Crozon, ils ont proposé un amendement – au projet de loi « justice pour le XXIe siècle » - visant à faciliter le changement d’état civil pour les personnes trans.

Un engagement que le président Hollande avait pris lors de sa campagne électorale en 2011/2012. Pourtant, début 2016, une femme trans – suivant un traitement hormonal depuis plusieurs années et ayant eu recours à plusieurs reprises à des opérations chirurgicales - se voit refuser sa demande car elle ne peut prouver son « impossibilité définitive de procréer dans son sexe d’origine », le tribunal de grande instance de Montpellier ayant jugé qu’il en allait là de la seule condition capable « d’entrainer le caractère irréversible de la transformation exigé par la jurisprudence ».

Résultant d’une condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’Hommes (CEDH), la jurisprudence évoquée fait état de l’arrêt de la Cour de Cassation du 11 décembre 1992 indiquant :

« Lorsque, à la suite d’un traitement médico-chirurgical, subi dans un but thérapeutique, une personne présentant le syndrome du transsexualisme ne possède plus tous les caractères de son sexe d’origine et a pris une apparence physique le rapprochant de l’autre sexe, auquel correspond son comportement social, le principe du respect dû à la vie privée justifie que son état civil indique désormais le sexe dont elle a l’apparence. »

Une avancée certes, mais qui suppose la transidentité comme une maladie mentale et impose des expertises médicales et psychiatriques douloureuses et humiliantes. Selene Tonon, femme trans, le confirme : « Beaucoup pensent que c’est une maladie mentale (jusqu’en 2010, la transidentité figurait sur la liste des maladies mentales, ndlr). Nous ne sommes pas reconnu-e-s comme légitimes par notre cadre culturel. Ce n’est pas envisageable de socialement passer d’un sexe à l’autre. »

Ainsi en mai 2010, une circulaire émise par Michèle Alliot-Marie, alors ministre de la Justice, préconise que les magistrats « pourront donner un avis favorable à la demande de changement d’état civil dès lors que les traitements hormonaux ayant pour effet une transformation physique ou physiologique définitive, associés, le cas échéant, à des opérations de chirurgie plastique (prothèses ou ablation des glandes mammaires, chirurgie esthétique du visage…) ont entrainé un changement de sexe irréversible, sans exiger pour autant l’ablation des organes génitaux. » Et par changement de sexe irréversible, il faut comprendre stérilisation.

L’amendement proposé par les députés socialistes est adopté le 19 mai par l’Assemblée Nationale après avoir subi la modification du texte à travers 3 sous-amendements. Pour obtenir le changement de sexe de son état civil, une personne transgenre devra apporter, devant le tribunal de grande instance, tous les éléments dont elle dispose pour prouver qu’elle vit et est reconnue dans une identité de genre qui ne correspond pas à son sexe biologique.

Révolutionnaire selon Erwann Binet, ce dernier se félicite d’abaisser la procédure de 3 ans à 3 mois, d’avoir démédicaliser le processus (pourtant, certificats et attestations médicaux restent dans la liste des pièces pouvant être présentés) et d’avoir légèrement déjudiciarisé la démarche.

Pour les associations LGBTI, « c’est un pas en arrière, très hypocrite en plus puisque cela a été mis en place avant l’été afin d’éviter une nouvelle condamnation de la CEDH », selon Chloé M., co-présidente de l’association nantaise TRANS INTER action, rejointe par Antonin Le Mée, porte-parole de la Fédération nationale LGBT qui considère cet amendement « pourri par rapport aux autres pays européens » comme « un couteau dans le dos, un retour en arrière », motivé par l’agenda politique.

Ce qui le conforte dans l’idée que les thématiques LGBT ont été abandonnées par les politiques publiques, même s’il admet que niveau santé, certaines avancées – dues au « travail acharné des associations et à une vraie volonté de la ministre de la Santé, qui tranche avec le reste du gouvernement » - sont à souligner, malgré la lenteur des petits progrès (comme par exemple l’ouverture du don de sang aux hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes, à condition qu’ils n’aient eu aucun rapport au cours des 12 derniers mois…).

Ce que les structures, militant-e-s et individu-e-s demandent : le changement d’état civil libre et gratuit sur simple déclaration de la personne concernée à un officier d’état civil, comme l’a obtenu la Norvège en juin dernier.

ÉLOIGNEMENT À LA CITOYENNETÉ

Pourquoi ? Parce que leurs vies sont en état d’urgence.

« La manifestation Existrans existe depuis plus de 20 ans à Paris et les revendications n’ont quasiment pas bougé. On ne lâche pas le morceau. C’est une question de vie ou de mort. Il faut une prise de conscience politique mais aussi une prise de courage. Le manque de courage, on l’a vu lors du mariage pour tous. Le gouvernement n’a pas eu le courage de dire aux défenseurs de la Manif pour tous qu’ils/elles étaient homophobes, clairement. »
explique Selene Tonon.

En France, les personnes transgenres représenteraient entre 10 000 et 15 000 habitant-e-s. Le chiffre est vague. Au moins, il existe. Et donne une idée de ce que l’on sait des femmes et hommes trans. Soit pas grand chose. Si ce n’est qu’ils/elles s’opposent à la norme cisgenre (personne dont le genre vécu correspond au genre assigné à la naissance).

Concernant le quotidien ? L’imagerie populaire voudrait y voir un public fragilisé, instable psychologiquement. Et concrètement ? La difficulté à vivre sa transidentité est indéniable. Pas dans la difficulté à assumer sa différence vis-à-vis de la norme mais dans l’éloignement à la citoyenneté, aux droits fondamentaux et à la liberté d’être soi sans se justifier. Chloé M. le rappelle : « Ce n’est pas un choix, ce n’est pas une orientation sexuelle et ce n’est pas une pathologie. »

Toutefois, les humiliations et les discriminations quasi permanentes laissent à penser qu’ils et elles sont considéré-e-s comme une population de seconde zone. « On peut souffrir de discrimination à l’emploi, à la Caf, face à l’administration, ou quand on va retirer un recommandé à La Poste, quand on subit un contrôle policier. », précise-t-elle.

Cela parce que leur apparence physique ne sera pas cohérente à la mention du sexe sur les papiers d’identité ou au chiffre sur la carte vitale (1 pour les hommes, 2 pour les femmes). Parce que le prénom ne sera pas en adéquation avec ce qui est écrit sur les documents d’état civil.

« Sur ma boite aux lettres, je ne mets que mon nom de famille. Mais très concrètement, on est obligé-e-s de se dévoiler tous les jours. C’est vraiment du quotidien. », souligne le porte parole de la Fédération LGBT. À partir de là, certaines démarches et certains lieux provoquent l’insécurité. À des endroits, il faudra se justifier et, dans la plupart des cas, observer en face des regards critiques et jugeants, quand ils ne sont pas dubitatifs et soupçonneux.

À d’autres, la transidentité sera révélée de force. Sans que cela vienne de la personne concernée. « Quand on se rend au bureau de vote, les accesseurs peuvent être des voisin-e-s. Au quotidien, ils ne savent pas. Leur donner sa carte, c’est un outing forcé auprès de potentiel-le-s voisin-e-s ou ami-e-s qui ne savent pas. Et au moment de voter, le règlement veut que l’accesseur donne l’identité civile à voix haute. », explique Selene Tonon.

LIMITES DU GENRE

Méconnaissance, ignorance, clichés et représentations fausses s’accumulent autour de ce sujet. Les médias se focalisent sur la transition et la diversité des exemples, la pluralité des personnes transgenres, n’est que trop rare. La vice-présidente du CGLBT se base par exemple sur le film The danish girl, réalisé par Tom Hooper, sorti en 2015, racontant l’histoire de Lili Elbe, artiste danoise, connue pour être la première personne avoir eu recours à une opération chirurgicale :

« L’histoire est mal racontée. Le film la montre moins épanouie après sa transition. C’est un contresens ! La transition est instrumentalisée. »

Elle décrit alors une préférence pour la série Sense8, réalisée par Lana et Lily Wachowski et J. Michael Straczynski, qui suit 8 personnages, dont une femme transgenre, interprétée par une actrice transgenre. Sa seule présence ne suffit pas à séduire Selene Tonon, c’est aussi parce que « la transidentité fait partie des qualificatifs de cette personne mais ne la définit pas. Elle est aussi hackeuse, activiste, bloggeuse, informaticienne. Elle est dépeinte de manière réaliste et dans une dimension intéressante puisqu’on la voit évoluer socialement et qu’on ne parle pas d’elle qu’à travers sa transition et du fait qu’elle soit une femme trans. Dans Orange is the new black, j’adore Sophia Burset mais elle n’est montrée qu’à travers la problématique trans. On ne la voit jamais pour autre chose, tout tourne autour de ça, c’est dommage. »

Pour Antonin Le Mée, les représentations et possibilités de visibilité représentent des moyens de lutte contre les mentalités conservatrices. Mais il ne peut que constater que rare sont les personnes trans à être connues.

« On en voit, elles sont bien intégrées dans les milieux dans lesquels elles évoluent mais en effet, il n’y a pas beaucoup de représentation. La difficulté réside dans la situation précaire qui entoure souvent les personnes transgenres. Moi, je sais que j’ai mon employeur derrière moi, sinon je ne prendrais pas le risque de dire que je suis un homme transgenre. »
affirme-t-il.

Et les hommes, justement, sont encore moins présents dans les images, articles, témoignages, postes à responsabilité, etc. Dans l’opinion publique, « la transidentité égratigne la virilité. Et un homme trans, c’est quelqu’un qui s’élève au dessus de sa condition de femme, analyse Selene Tonon. Tout ce qui dévie des normes de genre provoque des hostilités. »

À la naissance, deux possibilités. Posséder un sexe féminin ou un sexe masculin. En fonction de cela, l’injonction sera de correspondre au plus près des assignations de genre attribuées à chaque sexe. Des assignations qui conditionneront des comportements, des tempéraments, des orientations scolaires et professionnelles et même des orientations sexuelles, la norme étant l’hétérosexualité, supposée ou avérée (si tant est que l’on puisse avérer un type de sexualité).

Et ces sexes de naissance définiront également une hiérarchisation : le masculin prévalant automatiquement sur le féminin. D’où le problème pour l’évolution des mentalités. Le conditionnement et le cadre culturel et éducatif actuel, inconsciemment, ne permettant pas aisément de comprendre le mal-être d’une personne non cisgenre.

Et ne permettant pas de comprendre la motivation d’un homme, supérieur par définition, à devenir une femme, inférieure par définition. Et ne permettant pas, surtout, d’admettre l’inverse. C’est par là penser qu’il s’agit d’un choix et non d’un besoin vital. C’est nier la violence véritable à naitre dans un corps biologique qui ne correspond pas à ce que l’on ressent.

L’IMPACT DE LA BINARITÉ

C’est nier également la possibilité de naitre avec les deux sexes, comme tel est le cas d’un enfant intersexe. Quand on parle de représentation, les personnes intersexuées figurent certainement parmi les plus invisibilisées.

« Les médecins estiment avoir le savoir. Le savoir c’est qu’on ne peut pas bien vivre avec les deux sexes. À la naissance, on choisit donc un sexe, pour l’enfant, sans son consentement, évidemment. On mutile un enfant. »
explique la co-présidente de TRANS INTER action.

Un acte barbare que l’on pense dans l’intérêt de l’individu-e, sans jamais tenir compte de la manière dont ils/elles vont grandir et ressentir ce vécu. « Ce serait plus sain de les laisser grandir puis choisir eux-mêmes. Surtout que la différence entre les filles et les garçons n’existe que sur les organes génitaux avant l’adolescence. Hormonalement, à 8 ans, il n’y a pas de différence. On voit une différence à la coupe de cheveux seulement (puisque dans l’idée stéréotypée, une fille a les cheveux longs et un garçon les cheveux courts, ndlr). C’est donc possible de le faire évoluer comme n’importe quel gosse. », signale Selene Tonon qui précise que l’acte de mutilation génitale sur un enfant intersexe est conforme à l’idée que l’on a de la binarité : « Et à cause de ça, on leur crée du dommage. »

Le mot est lâché, la binarité est problématique. Être homme ou être femme. Être hétéro ou être homo. La rigidité du système se reflète dans tous les aspects de la société. Et est flagrante au niveau administratif. Les formulaires ne donnent pas le choix : homme ou femme. 1 ou 2. Pas de place pour la nuance. Pas de place pour la complexité. Pas de place pour la liberté.

La liberté de ne pas vouloir se définir dans un langage binaire. La liberté de ne pas vouloir des cases et de leurs assignations sexuées. Antonin Le Mée l’explique parfaitement : « Il y a un blocage sur le genre, une dichotomie genre et sexe dont découle la répartition des rôles. Les formulaires ne donnent pas des droits mais ils participent à la construction de la société. Tout le monde est confronté à des problèmes de binarité. Mais on s’habitue car on évolue dans ce système et on finit par ne plus le voir. »

SEXISME ORDINAIRE ET DÉCOMPLEXÉ

La binarité découle d’un fait biologique, récupéré ensuite par une société rigide, préférant simplifier les données et les catégories, plutôt que d’être moralement attentive aux besoins des un-e-s et des autres. « Trop compliqué », dira la majorité de la population (blanche, hétéro, cis) qui se dira pourtant ouverte et favorable à la liberté sexuelle et à l’égalité des sexes.

Le sexisme, ordinaire et intégré, se greffe à la norme. Conservé et conforté sans remise en question, il peut en résulter alors les LGBTIphobies. En 2012/2013, le mariage pour tous verra naitre un mouvement d’opposition important, la Manif pour tous. Et verra les langues se délier. Le cadre politique laxiste entrainera les relents homophobes à exploser, sans complexe.

On tolérait les couples de même sexe mais on ne pourra accepter qu’ils obtiennent les mêmes droits que les couples de sexe opposé, ayant accès au mariage, à l’adoption et à la PMA. Voilà le discours que diffuse librement les opposant-e-s à l’union des couples homosexuels, hommes ou femmes. Un discours violent, agressif, insultant et humiliant qui amènera également une recrudescence d’agressions physiques ou verbales, comme le souligne chaque année le rapport de SOS Homophobie.

L’actualité récente est encore marquée de barbarie. Le massacre, à Orlando, d’une cinquantaine de personnes fréquentant dans la nuit du 11 au 12 juin la boite LGBT « Pulse » a fait trembler une partie de la population mondiale. La tuerie a ému, c’est certain. Mais finalement a beaucoup moins intéressé la presse que d’autres attentats survenus en 2015 et en 2016. Le 13 juin, place de la Mairie à Rennes, un rassemblement est organisé en hommage aux victimes et en soutien aux proches.

La vice-présidente du CLGBT prononce un discours et l’affirme : ce n’est pas une surprise. « Dans le sens où vu les tensions à l’échelle mondiale, on savait depuis un moment que ça nous pendait au nez un massacre LGBT. On a rapproché ça d’un acte terroriste, pour moi, c’est plus un problème de LGBTphobies. Et le fait que le tueur fréquentait la boite ne veut pas dire que ce n’est pas de l’homophobie. L’homophobie intériorisée existe et c’est tout aussi homophobe. », explique-t-elle.

Et si le mois de juin a vu un retour de la Manif pour tous à Rennes, autour de la famille et de la GPA, elle ne s’inquiète pas, le mouvement est mort dans l’œuf : « Il ne faut pas baisser nos gardes, les réac’ ne lâchent pas, et on ne peut pas les laisser parler comme ça dans le centre ville mais ils sont hyper minoritaires. À République, ils étaient quelques dizaines. En s’organisant la veille, les militant-e-s LGBT étaient 3 fois plus nombreux/euses. »

FAIRE BOUGER LES LIGNES

La Manif pour tous ne serait plus une menace a priori. Mais les LGBTIphobies décomplexées font toujours rage. La vice-présidente du CGLBT, le porte parole de la Fédération LGBT et la co-présidente de TRANS INTER action sont convaincu-e-s et unanimes : pour désarmorcer les phobies, cela doit passer par l’éducation. Pas n’importe laquelle. L’éducation populaire.

C’est à ce titre-là que l’association Aroeven Bretagne (Association Régionale des Œuvres Éducatives et des Vacances de l’Éducation Nationale) a créé le projet « X,Y,Z… », à la suite d’un constat porté par un groupe de militant-e-s souhaitant réfléchir aux nouvelles problématiques auxquelles ils/elles étaient confronté-e-s sur le terrain ou dans leur posture de formateurs/trices et intervenant-e-s en milieu éducatif et scolaire.

Les questions de genre apparaissent très rapidement, avec l’envie de prendre le temps d’explorer ce qui se fait sur le terrain, ce qui se fait ailleurs, avec en parallèle des recherches individuelles visant à l’apport de connaissances et la mise en perspective des problématiques. L’objectif : sensibiliser et éduquer aux discriminations sexistes.

Développé à Rennes, ce projet, visant un public de 13 à 18 ans mais aussi les acteurs éducatifs, prendra une dimension européenne, réunissant en octobre prochain 7 pays ayant répondu à l’appel à candidatures (l’Italie, Malte, la Turquie, l’Espagne, la Bulgarie, la Croatie et la Pologne). « L’idée pendant la formation européenne est d’échanger autour des bonnes pratiques, des réalités de chacun, des politiques nationales, locales, de partager des ateliers et des outils. », explique Geoffrey Vigour, coordinateur de projets et formateur à l’Aroeven.

Parmi les sujets proposés et retenus pour octobre : Les difficultés rencontrées par la communauté LGBTI, l’impact des images et de la presse, les rôles et les genres, l’impact de la culture et de l’Histoire sur les représentations ou encore la construction de la virilité et de la féminité. Conscient des discriminations liées au sexe, le groupe souhaite :

« ne pas s’enfermer dans l’égalité filles/garçons mais vraiment orienter le projet sur les discriminations liées à l’identité sexuelle, au genre. Ne pas s’arrêter à ce que la biologie définit, tout en étant prudents sur les questions que l’on ne connaît pas, que l’on ne maitrise pas. »

C’est pourquoi l’association d’éducation populaire ne compte pas œuvrer seule mais avec un tissu de partenaires spécialisés sur ces questions comme Liberté Couleurs, Questions d’égalité, le Planning Familial 35, l’académie de Rennes, la délégation Droits des femmes et égalité des sexes de la Ville de Rennes, pour n’en citer que quelques uns.

À la suite de la formation européenne, un plan d’actions devrait être mis en place. Viendront alors les temps d’échange avec les jeunes rencontrés lors de séjours éducatifs, d’interventions scolaires ou de BAFA. La volonté de l’Aroeven étant de discuter et donner la parole aux différents publics afin de réfléchir et s’organiser ensemble autour des solutions à apporter, à envisager.

« On pourra aussi à notre échelle sensibiliser et former les militant-e-s de l’Aroeven, qui peuvent être formateurs/trices BAFA, ou directeurs/trices, et ainsi faire des passerelles. », explique Geoffrey Vigour.

Antonin Le Mée en est convaincu également, la formation des professionnel-le-s, la sensibilisation d’un public, etc. participent à la déconstruction des petits mécanismes. « Au TEDex, j’ai fait une intervention sur la binarité. Les gens comprennent quand on leur explique. Ensuite, il y a l’effet ricochet : en changeant les choses autour de soi, la culture de l’égalité infuse. À petite échelle, je sensibilise les clients de ma boite, les gens de ma boite, les gens de la French tech qui me connaissent, les stagiaires, etc. ça touche du monde et c’est en éduquant que l’on fait bouger les choses. », dit-il.

Le message est clair : le combat est long, la confusion forte, la haine néfaste. Mais la lutte continue et ne s’essouffle pas. « Il ne faut rien lâcher. C’est l’opiniâtreté de certain-e-s qui fait que ça évolue. Les règles s’assouplissent car les plaintes s’accumulent, que la sensibilisation agit et que ça se diffuse dans les cercles de l’entourage de chacun. C’est long mais ça fonctionne. », conclut-il.

 

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LGBTI : Des vies en état d'urgence
Contre les LGBTphobies : ne rien lâcher !
Marine Bachelot Nguyen, l'intersectionnalité des luttes
Charte de l'AJL : "Les médias contre l'homophobie"
Coming-out : l'intime est politique

Célian Ramis

#Trans2016 : Convocation d’artistes engagé-e-s

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Parc expo, Rennes
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La légende des Trans Musicales voudrait que le vendredi soit le meilleur soir du Parc expo. C’est pourtant la programmation de ce samedi 3 décembre qui a révélé les sensations les plus puissantes.
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La légende des Trans Musicales voudrait que le vendredi soit le meilleur soir du Parc expo. Pour la rédaction, c’est pourtant la programmation de ce samedi 3 décembre qui a révélé les sensations les plus puissantes.

AISHA DEVI – HALL 9 – 23H

Après une dizaine d’années à se produire sous le nom de Kate Wax, la voilà de retour sous son vrai nom, Aïsha Devi. Dans le hall 9, devant ses platines et son ordinateur, elle est plongée dans le noir. Seul un grand écran l’éclaire, diffusant images et vidéos à l’esthétique psychédélique subjuguante.

La programmation parle même de « créations psychédéliques et transhumanistes du photographe et vidéaste Emile Barret ». On ne savait pas réellement à quoi s’attendre, on se réservait la surprise pour le live. À l’écran, ce sont des images détourées de statuettes égyptiennes et incas et des gravures bibliques qui défilent avec en fond un homme au visage entièrement maquillé et au look tribal, qui danse une sorte de trans.

Au fur et à mesure du concert, les clips évoluent. On voit alors passer des têtes de mort, des dessins d’hommes éventrés, des dessins anatomiques ou encore des formes démultipliées à la manière d’un kaléidoscope. Aucun doute, l’œil est accroché.

Il est même fait prisonnier de cet étrange dispositif qui tend à dévoiler des images de plus en plus trash, laissant apparaître des scènes de domination, d’asservissement, quasiment de torture, ainsi que des corps déchiquetés et mangés par des humains avant de laisser place à des images de nains indiens.

Et malgré la violence de certains visuels, il est difficile d’en détourner le regard. Comme s’il s’agissait là d’un acte volontaire pour se laisser guider vers une hypnose certaine, clef d’un état de transe à venir. Car la musique que produit Aïsha Devi est plus qu’une incantation. Elle est un rite initiatique au chant chamanique.

Ces influences népalaises et orientales, qu’elle puise dans ses origines, résonnent dans les percussions mais aussi dans sa voix. Une belle voix amplifiée qui inonde par vagues récurrentes le hall 9. Ce sont surtout des vocalises qu’elle développe et qu’elle enveloppe de quelques paroles qui sonnent comme une langue ancienne et morte.  

Les modulations de sa voix impressionnent. Et viennent se fondre dans les sonorités techno et robotiques. Aïsha Devi nous plonge dans un univers plutôt angoissant dans lequel on avance très lentement, prudemment, face à une lumière aveuglante. On est comme happé-e-s par ce halo imaginaire hypnotisant et intriguant.

On est pris-es dans la toile de cette chimère envoutante. Notre esprit voudrait changer d’air mais notre corps s’y refuse. Il faut affronter les notes stridentes qui déraillent comme des cris. Des sons insupportables et intenables, comme si on nous cisaillait les tympans. Mais le hall 9, pas encore bondé, semble suspendu. En attente d’une explosion électro et post dubstep, qui arrive sans trop languir.

La foule se met doucement en mouvement, synchronisé et cadencé. Elle répond présente et partante à l’univers infernal et chaotique d’Aïsha Devi qui finit ces morceaux en atteignant le sublime à travers des a cappella surnaturels et purs, bruts. L’artiste soprano crée la déroute et on accepte rapidement cette expérience insolite.

Sa voix puissante et magnifiée nous hisse au sommet d’une chaine de montagnes népalaise, où la neige et la roche, divines, s’entrelacent, comme les mandalas et les dessins d’enfants qui s’enlacent sur le grand écran qui trône sur la scène du hall 9.

 

REYKJAVIKURDAETUR – HALL 8 – 2h10

On les attendait avec impatience depuis la découverte de la programmation. Les filles de Reykjavik – traduction littérale de Reykjavikurdaetur – sont nombreuses. Plus d’une dizaine foulent la scène du hall 8 pour y mettre le feu nourri de leur talent de rappeuses et leur féminisme exacerbé.

Elles arrivent vêtues chacune d’une chemise blanche et d’un dessous type body ou t-shirt et shorty et donnent le ton d’entrée de jeu. Elles assument tout. Elles ont la pêche, des choses à dire, des messages à faire passer et du plaisir à (se) procurer. Et surtout, elles affichent une véritable envie de faire ce que bon leur semble.

S’allonger, vapoter, danser ou autre, tout est permis pour ces Islandaises qui alternent entre l’anglais et leur langue maternelle. Leur rap est métissé. À la fois tranchant, il peut être également langoureux comme festif et joyeux, bestial comme combattif et cru.

Si elles chantent en solo, en duo ou en trio, les autres restent présentes. Ensemble, elles font poids, elles font corps, et cette unité massive donne la sensation que les membres du collectif possèdent la scène et la maitrisent.

Autant que les discours qu’elles diffusent. « Cette chanson parlait de moi et mon mec, qui est un naze. Donc appelez-moi ! », lance l’une à la fin d’une chanson. « Celle-là est dédiée à mon ex : FUCK YOU ! », scande une autre quelques minutes plus tard, ajoutant en conclusion : « Il va brûler en enfer, je vous le jure. »

Armées de leurs voix et de leurs textes cinglants, elles optent également pour une attitude terriblement rafraichissante. Une attitude rap parée de grands sourires qu’elles conserveront jusqu’au bout du concert. Sans oublier la fraicheur de leur jeunesse revigorante qui claque sur leurs visages enjoués.

Elles font rapidement tomber la chemise, mais pas forcément la serviette que certaines ont sur leurs épaules, telles des boxeuses prêtes à mettre leurs adversaires KO, à coups de palabres bien senties. Elles assument leur corps, leurs formes, leur féminité, leur masculinité, leur humanité, leur sensualité, etc. Elles sont inspirantes.

La musique, travaillée par la DJ derrière ses platines au fond de la scène, est rythmée, puissante, changeante et évolutive. Elle peut être déstructurée par moments, ronde sur d’autres temps mais toujours pleine de vibrations et de profondeurs. À cela s’ajoute une diversité des voix qui tirent parfois sur de la soul et du r’n’b.

Elles s’affichent libérées, n’hésitent pas à mimer des branlettes, faire des gros doigts d’honneur, se mettre la main sur le sexe ou encore à onduler le corps. Affranchies des assignations qu’elles combattent dans leurs chansons, elles se font du bien et nous font du bien. Nous donnent la hargne tout en nous apaisant l’esprit.

Et quand elles demandent qui a envie d’un doigt dans le cul, tout en interprétant une chorégraphie lascive en mode « chevaucheuses », le public s’emballe. Leurs sourires ne les quittent pas. Au contraire, ils s’agrandissent. Tout comme leur énergie mordante et enthousiaste. Elles parlent de sexualité, de sodomie, de plaisir. Car le droit de parler de sexe n’est pas l’apanage des hommes.

« Nous pouvons faire ce que nous voulons. Je peux porter ce que je veux porter, boire autant que je veux et ne pas demander l’autorisation. », lâchent-elles vers la fin du set. Reykjavikurdaetur a quelque chose de contagieux. Et on espère que le message girl power, d’émancipation, pour le droit à disposer de nos corps et de nos vies, sera entendu de tou-te-s.

 

SAUROPOD – HALL 3 – 2H30

C’est sur les chapeaux de roue donc que l’on déboule dans le hall 3, pour la deuxième moitié du concert de Sauropod. Le trio norvégien a déjà bien réchauffé le public de son rock saisissant qui nous embarque instantanément dans son univers, qui n’est pas sans rappeler celui de Nirvana.

Ou du moins le temps d’une chanson. Car lorsque Jonas Royeng (guitare et chant) et Kamilla Waal Larsen (basse et chant) donnent de la voix en chœur, l’ensemble fait davantage écho aux Pixies. Leurs influences rock alternatif des années 90 ne sont pas dissimulées.

Elles planent au dessus du groupe, sans toutefois tomber dans des imitations caricaturales ou lassantes. Au contraire, Sauropod propose une énergie nouvelle, renforcée par un jeu de batterie puissant et la rapidité du guitariste dans l’exécution des notes et accords, produisant un rock déjanté.

Les chansons passent comme des éclairs. L’effet est fulgurant. On n’en a jamais assez et on ne s’ennuie pas une seconde.

Le trio fait naitre un sentiment d’urgence. De celui que l’on aime voir aux Trans Musicales. De celui qui puise dans des guitares saturées et des chants viscéraux.

On se laisse alors complètement subjuguer par les créations de Sauropod, qui nous bringuebalent à toute berzingue dans des courses poursuites psychotiques. Lui a la mâchoire serrée, une voix nasale et la gorge striée de veines prêtes à éclater. Elle, a une voix aérienne, sécurisante et marquée de simplicité. Sans artifices.

Et quand ils allient leurs voix, l’osmose de leurs contrastes est sublime. Le trio renvoie le sentiment d’un besoin vital de s’exprimer. Une nécessité à être là et envoyer ce rock acidulé, qui ne manque pas de piquant, et s’emplit au fil des chansons d’émotions authentiques et communicatives.

C’est une évidence. Un plaisir qu’ils partagent entre la scène et le public et qui se voit sur leurs visages. Dans un bien autre style que les rappeuses islandaises, les punks rockeurs norvégiens apportent une touche rafraichissante à la musique et à la soirée, à travers une proposition forte et joviale.

L’opportunité de terminer la 38e édition des Trans Musicales par deux véritables coups de cœur. Dommage que les deux projets aient été superposés dans la programmation. Quoi qu’il en soit, on retiendra ces artistes parmi les révélations du cru 2016.  

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