Célian Ramis

Danse : Animées par le mouvement

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Rennes
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En quoi la pratique de la danse est-elle levier d'insertion et créatrice de lien social ? Décryptage d'un langage sociétal, personnel et universel.
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Cette phrase de Pina Bausch, danseuse et chorégraphe allemande, grande figure de la danse contemporaine, résonne en tout un chacun. « Dansez, sinon nous sommes perdus », comme une nécessité, une urgence, un besoin… Pourquoi ? Certainement parce que la danse n’a pas de parole. Chaque corps en mouvement est alors invité à inventer son propre langage, sa propre manière de s’exprimer et surtout à prendre conscience de cette enveloppe charnelle et osseuse et des possibilités offertes par cette dernière. Il est ainsi évident que cet art s’impose comme tisseur de lien social, levier d’insertion et créateur d’ouverture sur la société. Au croisement des genres et des cultures, la danse nous a transporté ce mois-ci dans une valse enivrante et bienveillante, libératrice, et parfois réparatrice de corps et esprits meurtris par les épreuves de la vie.

Les danses en couple, avec ou sans échange de partenaire, répondent à l’appellation de danses sociales, dites aussi danses de société. Un terme qui interpelle. À partir de là, la réflexion est lancée : la pratique de la danse serait un art social, levier d’insertion et créateur de lien entre les individus.

Dimanche 3 mai, de timides rayons de soleil percent les nuages flottant au dessus de la capitale bretonne. Cet après-midi là, l’ancien Champs de Mars est devenu l’esplanade dansante des pratiques amateures, entremêlées aux performances professionnelles. Cercles de danses urbaines, rondes bretonnes et celtiques, entrainements collectifs… Fous de danse, manifestation initiée par le Musée de la danse, a réussi son coup d’une main de maitre à l’occasion des Premiers dimanches aux Champs Libres, réunissant des milliers de Rennaises et de Rennais au cœur d’une piste de danse éphémère et fédératrice.

Quel attrait pour cette pratique artistique ? Quelles actions développer pour maintenir et susciter du lien et de l’échange entre les populations ? Décryptage d’un langage sociétal, personnel et universel.

PRENDRE CONSCIENCE DE SON CORPS

« Ces ateliers permettent d’avoir conscience de son corps, ce qui permet de reprendre confiance en soi, et au niveau social de rencontrer des gens, d’être plus à l’aise dans la relation avec les autres. », explique Sandra, entourée de Lucie et Ségolène, et rapidement rejointe par Stéphanie qui apprécie également de travailler « sur les sensations que l’on peut ressentir dans son corps alors que l’on avait pu se mettre en pilote automatique et que l’on ne prenait plus le temps de se poser, de ressentir notre corps. »

Ces ateliers, ce sont ceux proposés par l’association Danse à tous les étages – implantée à Rennes et à Brest - dans le cadre du programme Les Créatives (existant aussi à Brest, Morlaix et Guichen) à destination des femmes en situation de précarité et en recherche d’emploi. Ce matin du 9 avril, les participantes arrivent au compte goutte au Garage, prêtes à travailler sur le spectacle « Temps de pose » qu’elles dévoileront au public le 19 mai, au Triangle.

Deux fois par semaine, depuis le mois de mars, elles se réunissent et à travers les techniques artistiques de la danse contemporaine, enseignées et transmises par la chorégraphe Anne-Karine Lescop – en binôme avec le photographe Richard Louvet - pour cette 11e édition, composent des enchainements nourris par leurs émotions, leurs envies et leurs motivations diverses.

Au fil de cette expérience, elles prennent conscience de leurs capacités à créer un projet et à le faire aboutir.

« La notion d’engagement est importante. Participer aux Créatives permet de se dire que l’on est capables, de prendre confiance en nos capacités pour ensuite peut-être accéder à une formation ou à un boulot. En tout cas, cela nous remobilise autour d’un projet, c’est très intéressant »
concède volontairement Lucie.

Engagement et remobilisation, deux termes qui reviennent souvent dans la bouche de Malika Teneur, coordinatrice 35 au sein de Danse à tous les étages : « Les Créatives, c’est une étape pour continuer leurs parcours, un tremplin. Certaines lancent des projets, d’autres trouvent du travail, pour d’autres encore ce sont des souvenirs et des émotions. Il y en a qui abandonnent, ce n’était pas le bon moment pour elles. »

Des femmes de différents âges, milieux sociaux, avec des histoires diverses, accompagnées et orientées vers ces ateliers par des structures partenaires de l’association, que ce soit Pôle emploi, Fil Rouge, le CIDFF, le CCAS, ou encore le CDAS, pour n’en citer que quelques uns. En amont, des réunions d’informations sont organisées, et tout au long de l’expérience, les participantes sont régulièrement amenées à s’entretenir avec les référents associatifs, sociaux et professionnels.

L’ART DE L’EXIGENCE

Mettre la danse contemporaine au cœur d’un accompagnement socioprofessionnel n’est pas un hasard. Au-delà de la confiance acquise et de la valorisation éprouvée, c’est une reconstruction personnelle qui est engagée, basée sur un ressenti interne et intime, délayée dans un langage collectif et commun. Les participantes, pour certaines dubitatives au départ de l’approche contemporaine, parlent maintenant de « liberté », de « relâchement », de « moments d’échange ». Et apprécient l’exigence requise par la chorégraphe « qui sait bien ce qu’elle veut », sourit Ségolène, et « qui attache beaucoup d’importance à la dimension de sensation ».

Concentration, rigueur et dépassement de soi transparaissent lors de cette matinée de travail. Les danseuses avancent et reculent lentement, passant de la pénombre à la lumière, du regard fuyant au regard déterminé. Arrivées à quelques mètres des gradins, elles posent, dévoilent des figures travaillées, en constante évolution d’un aller à un autre, montant en intensité. « Le regard, il est où ? La pose, il faut la montrer… Tu poses pour un peintre, il y a une relation à l’autre ! Voilà, c’est bien, très bien. », commente Anne-Karine Lescop. Alice, à l’entrée remarquée pour son retard, s’agace de ne pas réussir à entreprendre ce qu’elle voudrait. Ramenée sur la scène par une autre danseuse, elle poursuit néanmoins l’exercice.

« Il faut qu’elles apprennent à concilier les ateliers à la vie quotidienne, à être à l’heure, à s’investir dans les projets pour lesquels elles s’engagent. En général, ça se passe bien, un noyau dur se forme lors des premiers ateliers et puis nous essayons de créer des groupes hétérogènes avec des personnalités qui peuvent s’entendre. On se demande principalement à qui cela sera le plus bénéfique, qui a envie de travailler sur son projet personnel, toujours dans l’idée d’une insertion professionnelle », détaille Malika Teneur.

L’AFFIRMATION DE SOI

Même discours du côté de Portraits en mouvement, autre initiative de Danse à tous les étages. Des ateliers proposés de novembre à fin mai – pour une représentation en juin - à Brest et à Rennes, à destination des 16-25 ans en situation de décrochage scolaire ou professionnel, toujours en partenariat avec des structures socio-professionnelles, telles que la Mission locale, la Mission d’insertion des jeunes de l’enseignement catholique de Rennes, l’Afpa, etc.

Un jeudi après-midi d’avril, 4 jeunes s’entrainent à la MJC Bréquigny avec le chorégraphe Fadil Kasri, co-fondateur en 2004 de la compagnie Eskemm (échange en breton) basée à Lorient, qui réunit danse contemporaine et danse hip-hop. « Avec Karine Le Bris, on développe nos créations autour d’échanges. Nous avons travaillé avec un comédien, fait un spectacle avec des marionnettes, intégré la Langue des Signes… Et nous travaillons quasiment toujours avec des publics amateurs. », explique ce Rennais d’origine qui a découvert le hip-hop à la télé en 1983.

Alors âgé de 14 ans, il suit les 42 leçons données par l’animateur Sydney. Il avait déjà eu un attrait pour la danse, sept ans auparavant avec la série Fame : « Il y avait des mecs qui dansaient et des gens de couleurs ! C’était fou. J’ai voulu faire de la danse jazz mais je ne m’y suis pas retrouvé. »

À cette époque, il fait des détours dans le quartier du Blosne pour aller suivre ses cours de danse, pour ne pas être vu par ses copains, qui eux font du foot. Un autre déclic aura lieu au lycée, il reprend le jazz, mais arrête à nouveau, puis lance un trio avec une connaissance et un camarade de classe et monte sur la scène du Triangle – qu’il a vu se construire lorsqu’il était gamin – et de là commencera à donner des leçons à la Cité de danse. Il oscillera ensuite entre son activité d’animateur, des stages de hip-hop, des groupes qu’il monte, des période sans danser, avant de décider en 1999 de se consacrer à la pratique artistique et de se sentir enfin légitime et reconnu.

« En dansant, on s’affirme. Et le hip-hop a la particularité d’être très accessible, il y a très vite des publics et des corps différents. Personnellement, quand je danse, je ne peux pas tricher. Quand j’ai décidé d’en faire mon métier, j’ai eu comme l’impression de renaitre », confie-t-il.

S’affirmer, se sentir libre et à l’aise dans son corps, décoincer le corps… Voilà ce qu’il veut transmettre aux jeunes qu’il encadre dans cet atelier. Avec la langue des signes, il opte pour une approche ludique des gestes et des mouvements. Une manière de démocratiser la danse « qui n’est pas uniquement spectaculaire pour le hip-hop ou élitiste pour la danse contemporaine ». Mélange de genres et de styles, accélération ou décélération des enchainements, présentation individuelle et collective signée, la palette d’outils de Fadil Kasri est large.

Et le groupe touche de plus en plus à son but avec des danseurs amateurs dont les bustes et mentons se relèvent, dont les langages corporels se personnalisent, s’affinent et se développent et dont les corps se libèrent, malgré quelques réticences passagères ou quelques tensions du quotidien. « Les voir s’affirmer, c’est fort. Dans ce que l’on construit ensemble, il y a une marche commune, des valeurs du vivre ensemble, des identités individuelles, et tout les relie à la fin. », s’émeut le chorégraphe, qui n’hésite pas à les encourager et féliciter ; chose qui n’est pas sans impact sur eux, décontenancés par les compliments et la confiance accordée.

DANS LES PAS DE LA DÉMOCRATISATION

Linda Claire, péruvienne d’origine, installée en France depuis plus de 10 ans, a dû se passer du soutien de sa famille, ne reconnaissant pas la danse comme un métier. Mais depuis son arrivée à Rennes – elle n’avait auparavant reçu qu’une initiation à la danse classique, dispensée par sa mère lorsqu’elle était enfant – elle persévère et puise dans toutes les danses qu’elle découvre, de la salsa au hip-hop, en passant par le flamenco, la samba et la danse contemporaine.

« J’ai fait des études pour rassurer mes parents et m’assurer un diplôme. », déclare-t-elle avant d’ajouter, convaincue, que sa vie réside dans les arts du spectacle. Aujourd’hui, elle navigue entre Rennes et Paris, et évolue principalement dans des compagnies spécialisées dans les danses latines. Mais elle avoue avoir un vrai coup de cœur pour la danse contemporaine, permettant le lien entre techniques, intériorité personnelle et mouvements du corps.

« On peut véritablement le vivre ! », s’enthousiasme-t-elle. Linda Claire est de nature pudique, réservée. Quand elle exécute des enchainements libres, son rapport à l’autre change. Elle incarne alors la passion qu’elle vit au quotidien et se livre sans timidité à l’exercice.

De son côté, Laina Fischbeck n’a jamais connu de réticence familiale face à son choix de vie professionnelle. Rien d’étonnant pour cette américaine de Philadelphie, fille de parents danseurs et fondateurs d’une compagnie en Allemagne, puis au Etats-Unis.

« Ma mère a dansé jusqu’à 7 mois de grossesse quand elle était enceinte de moi. J’ai donc toujours dansé, et même avant de naitre », plaisante-t-elle.

Elle apprend la danse à 4 ans, pratique cet art « à l’école publique, au milieu du ghetto », vit dans le théâtre avec la troupe et entre dans la compagnie de son père, avant de venir s’installer en France et de perpétuer la tradition de la danse en transmettant sa passion à son fils. Aujourd’hui, la danseuse et chorégraphe réunit au sein de sa danse expérimentale, dans la compagnie qu’elle a lancé en 2003 à l’Élaboratoire – D.E.A.D Company (Driving Evolutionary artistic dimensions) - le butô, le condomblé, la capoeira, la danse jazz, le yoga mais aussi la musique, le chant, la sculpture, la vidéo, le théâtre d’objets…

« J’ai toujours pensé que la danse et la musique allaient sauver le monde. C’est la plus vieille langue universelle ! », explique-t-elle, dans le hall du Triangle, structure dans laquelle elle enseigne. La danse est vitale et accessible, physique et spirituelle, outils d’expression inépuisable et inébranlable, langue unique et comprise de tous : « C’est très riche comme art, c’est plein d’échange entre les disciplines, de liberté. Y a pas de cadre, de règle. C’est pour ça que je n’aime pas la catégorie ‘Danse contemporaine’, ça fait chiant, pas accessible. On est trop dans la tête, le conceptuel, alors qu’il s’agit de l’expression du corps. Ça libère les gens, ça sort de la tête justement vers une sorte de transe. Personnellement, quand je suis malade, je danse pour me guérir. »

Plus qu’une pratique sportive et/ou artistique, elle s’en saisit comme un mode de vie. Une vie en communauté, que ce soit avec la troupe de ses parents, avec les gens qu’elle rencontre à l’Élabo – elle vit alors dans une caravane à Talensac – ou dans les stages qu’elle effectue chez l’habitant ou dans la nature. Tout est une histoire de rencontres et de partage, dont l’origine est la danse, et elle y ajoute et croise les disciplines.

Sa prochaine création, Shadows of light, visible le 8 mai au festival de l’Élabo, réunit ainsi la danse, la musique et la sculpture. Une manière de sans cesse enrichir son langage corporel et scénique, mais aussi personnel. « Dans les danses à 2 par exemple, on apprend à écouter l’autre, à donner, à recevoir, à lâcher prise, à faire confiance. Dans le kung-fu, avec le contact, on va apprendre à anticiper par le mouvement. », précise Laina Fischbeck.

UN LANGAGE PERSONNALISÉ

Ce que décrit cette dernière est précisément ce qui a séduit Marie Houdin, chorégraphe de la compagnie Engrenage depuis 2004, orientée hip-hop funkstyle. Elle pratique la danse depuis ses 8 ans mais découvre le hip-hop à la fin du collège, malgré « une pratique peu répandue à Laval. » Elle se passionne pour son histoire, mais aussi celle de la diaspora africaine, pour les danses afro-américaines et les claquettes.

Et continue encore aujourd’hui d’effectuer des recherches, « notamment sur les danses de la Nouvelle-Orléans, qui n’ont pas forcément de noms, d’étiquettes, mais qui continuent d’exister et de rassembler. » Celle qui s’est entrainé à danser au Colombier ou à la maison de quartier Villejean, en parallèle de ses études dans la capitale bretonne, est happée par l’énergie de la danse, sa spontanéité et surtout par son message :

« Peu importe qui tu es, tu dois t’inventer. Ta place, si tu la veux, il faut te la créer. Ça m’a interpelée. »

La liberté, l’expression, le rapport à la musique, le croisement des danses, l’esprit festif, traditionnel, les rites… Marie Houdin n’est pas avare d’arguments expliquant son épanouissement dans cet art dans lequel elle a inventé son propre langage. Mais surtout qui permet partages et rencontres. « Le spectacle est un prétexte pour les rencontres avec les publics. Le Soul Train ou le Bal funk par exemple ont une visée pédagogique. Et dans le processus de création, notre démarche implique toujours des actions culturelles et de médiation. », souligne la chorégraphe.

Ainsi, les écoles, centres sociaux, les prisons, les maisons de quartier, les MJC, etc. deviennent des laboratoires expérimentaux autour du déracinement, de l’identité et de l’enracinement, comme tel a été le cas avec la création de Roots.

Chaque public, chaque individu, apporte son propre langage, sa propre manière de penser et donc de s’exprimer à travers le corps. Les cultures se mélangent, offrant ainsi des danses métissées, en évolution constante, et ainsi susceptibles d’être accessible à toutes et à tous. À 50 ans, la chorégraphe de la compagnie Erébé Kouliballets, Morgane Rey, croit toujours en la force et la résonnance des rencontres humaines dans l’inspiration à la création.

Que ce soit pour Burkas Gurkkas ou encore Le solo d’amour, des témoignages ont été recueillis auprès de plusieurs femmes faisant état de leur enfermement physique et mental, « sans forcément porter le voile », pour le premier, et de leur histoires d’amour pour le second. « Le lien à l’autre est très fort et très présent dans notre danse. Par exemple, au sein de la compagnie, nous dansons toujours sans miroir. Cela oblige à être présent à soi, aux autres, aux sons… », explique la chorégraphe.

Originaire du Bénin, elle a toujours refusé de s’enfermer dans les danses traditionnelles, souhaitant développer une écriture, un vocabulaire propre à sa compagnie, liant comédiens, musiciens et danseurs. « Il ne faut pas être isolés dans notre tour d’ivoire. Nous faisons partis de l’éducation populaire, nous avons un rôle de citoyen à jouer. », conclut Morgane Rey, qui présentera sa prochaine création Notre terre qui êtes aux cieux, autour des rites funéraires en Afrique, le 9 mai au Garage, à Rennes.

UN LIEN INDÉFECTIBLE

Partir du témoignage pour énoncer un message universel, s’emparer de son rôle d’artiste pour briser les tabous, dénoncer, ou simplement faire parti de la cité, de la société, du monde… C’est aussi la démarche de Mireille Abaka, musicienne et danseuse, et Gladys Tchuimo, chorégraphe et fondatrice de la compagnie Poo-Lek.

Toutes les deux sont nées au Cameroun, se sont rencontrées à Yaoundé, la capitale, et ont décidé de créer le spectacle Plus femme que femme, « pour faire prendre conscience aux femmes du pouvoir qu’elles ont, les amener à comprendre la place qu’elles ont, que dans la douceur, on dépasse la guerre. Ainsi, le sexe fort, il se situe dans la douceur ! », selon Gladys.

En résidence au Triangle tout au long du mois d’avril, elles dévoileront leur création le 28 mai, initieront des training, tous les mercredis, et des spectacles courts hors les murs (principalement dans le quartier du Blosne mais aussi à République) et inviteront les habitant-e-s de Rennes à un temps d’échange intitulé « De Rennes à Yaoundé, le quotidien de femmes d’aujourd’hui », le 20 mai.

« On parle aussi de nous dans le spectacle. La danse permet de dire avec le corps ce que je ne peux pas dire avec la voix »
explique Mireille, qui vient pour la première fois en France.

Ainsi, elles ont rencontré les participantes des Créatives lors d’une discussion : « Elles se sont beaucoup intéressées à la démarche de notre pièce mais aussi aux femmes que nous sommes, c’était un très bon échange. » Les liens se tissent au fur et à mesure, entre les professionnelles, les danseuses amateures et le public, venu assister à un spectacle ou interpelé par des actions culturelles. La danse est un lien indéfectible entre les individus et à l’intérieur même de l’individu.

Emmanuelle Huynh, chorégraphe et fondatrice de la compagnie Mua, est à l’initiative de Cribles, pièce créée en 2009 sur le principe de la ronde. Elle adapte aujourd’hui cette création à Rennes, rebaptisée Cribles Gold, dans le cadre des ateliers Corps Sensibles – proposés par Danse à tous les étages – à destination des personnes âgées, retraitées isolées, rencontrant des difficultés sociales. Un mardi après-midi, fin avril, de nouvelles têtes se présentent au Centre de prévention Agirc-Arrco pour expérimenter l’atelier, lancé au début du mois, tandis que d’autres annoncent qu’elles ne pourront poursuivre les séances.

L’une d’entre elles s’étant foulée la cheville, une autre devant s’occuper de son mari, la prise en charge par une tierce personne entrainant des frais bien trop lourds. L’échauffement permet une détente globale du corps, les participant-e-s (un homme figure dans le groupe ce jour-là, au milieu d’une petite dizaine de femmes) étant invité-e-s à masser les différentes parties du ventre, de buste et du visage avant de se lier par les mains pendant plusieurs dizaines de minutes. La ronde dévoile ses vertus à mesure que le temps passe et que les rires se font entendre.

L’ambiance est sérieuse, studieuse, et se voit dynamisée par des instants de rigolade et d’échanges. Si certaines se font plus timides que d’autres, que l’une se plaint de douleurs chroniques aux jambes, tout le monde participe et persévère dans l’exercice d’un cercle fermé par les liens des mains, dans lequel l’écoute de son corps et de celui des autres prime, dans lequel les contraintes s’expriment avec force et dans lequel chaque individu doit prendre sa place et reconnaître ses responsabilités.

« Il y a de la solidarité, du vivre ensemble et de l’écoute. On doit écouter nos corps, c’est ce qui se passe dans la danse contemporaine », commente Emmanuelle Huynh, enthousiaste à l’idée de perpétuer cette ronde chorégraphique avec des personnes âgées de 60 ans et plus « qui ont d’autres aptitudes physiques, et surtout ce qui m’intéresse aussi c’est la question des corps. »

Claudine vient, invitée par une amie, pour la première fois. Sa motivation première : la danse. « Je ne suis pas là pour écouter les malheurs des autres. Je veux bien redonner de l’élan, que ce soit un tremplin pour bien repartir dans la vie, mais je ne veux pas porter. », confie-t-elle avec une grande franchise. Cette ancienne prof d’éducation physique, tout juste âgée de 60 ans, a déjà pratiqué à diverses reprises, à droite à gauche comme elle dit, et apprécie le côté « Bien vieillir » de l’atelier :

« Cela transcende les émotions, et permet de développer la créativité. Et dans retraite, j’entends re-traite. Se traiter de manière différente, prendre soin de soin dégager les émotions par le mouvement. »

Un principe qu’il serait bon d’adapter sans attendre. Vraiment, on insiste lourdement mais joyeusement : Dansez, sinon nous sommes perdus (Pina Bausch) !

 

 

Comédienne, metteure en scène, art-thérapeute et plasticienne, elle s'intéresse notamment dans son travail au rapport entre masculin et féminin. À travers les pratiques artistiques, elle développe, à Rennes, des pistes pour prendre conscience de soi, des autres et ainsi agir sur ce qui nous entoure.

YEGG : En 2013, vous avez monté, en tant que directrice artistique, le spectacle Alternatives avec 10 danseurs et danseuses amenés à réfléchir sur les relations hommes-femmes. D'où est venue cette idée ?

Véronique Durupt : Ce projet m'a été proposé par Jean-Luc Dussort, coordinateur du pôle jeunesse de la MJC Bréquigny et Benoît Bauchy, animateur, car ils travaillent depuis longtemps sur les questions de discriminations et du masculin-féminin. J'ai accompagné des jeunes danseurs hip-hop, avec leurs spécialités, sur le plan dramaturgique pour savoir ce qu'ils avaient envie de dire sur le sujet et comment les danses des uns et des autres pouvaient s'interpeller.

Je leur ai amené des univers chorégraphiques différents, comme Pina Bausch et Anna Teresa de Keersmaeker, issues de l'école allemande. Ils s'en sont emparés, parfois avec réticence. Les détours vers d’autres pratiques que la danse hip-hop sont très importants pour nourrir leurs univers. C'est bien d'aller voir complètement ailleurs, sans renier la genèse de son travail.

Qu'est-ce qui en est ressorti ?

C'est un spectacle sur l'altérité. Des fois, on est dans l'accueil, la défense ou l'observation. Tout ça fait qu'une relation est complexe mais riche car elle nous fait découvrir des choses. Il y a eu pour eux la découverte de travailler sur une thématique commune et de nourrir son propre langage gestuel.

Vous êtes principalement metteure en scène, pourquoi avoir choisi la danse hip-hop pour aborder ce sujet ?

Je viens du théâtre gestuel donc je m'intéresse énormément à la danse, comme toute autre forme de représentation. Il y a un investissement corporel fort. J'ai accepté la direction artistique d'Alternatives parce qu'il y a une complicité entre les porteurs du projet et moi sur ces questions sociétales engagées.

Et je m'intéresse beaucoup à la danse hip-hop, à son émergence et son arrivée en France. Quant à la rencontre avec les jeunes danseurs, c'est réjouissant de voir des artistes, amateurs et semi-professionnels, s'emparer d'une question comme ça et chercher à y répondre avec leurs univers, leurs imaginaires et même leurs peurs.

Est-ce que la danse permet de mieux prendre conscience de son corps ?

Oui, elle donne d'autres outils ! Sur scène, il y a un mouvement par rapport à l'espace. Ce  mécanisme d'impression sensorielle va nous permettre d'écrire avec notre corps. Donc automatiquement, on accueille des émotions, des énergies, des rythmes, des silences.

J'aime bien le mot de « vocabulaire » qui recherche, avec une syntaxe et une grammaire propres, une dramaturgie du geste et des tensions dramatiques pour porter quelque chose. Dans la genèse d'un spectacle, on doit toujours l'alimenter et le redécouvrir. En tant qu'artiste, c'est aussi notre travail.

En 2012, vous avez travaillé avec des élèves de l’Établissement Régional d'Enseignement Adapté (EREA) de Rennes sur les thèmes de la boxe et du respect. Comment cela s'est mis en place ?

Je travaille avec l'EREA depuis plus de six ans sur des projets artistiques autour du masculin-féminin. Le but est d'impulser un spectacle avec les jeunes, à travers des improvisations, des recherches et des thèmes. Nous avons beaucoup travaillé sur l'écriture gestuelle. Cela leur a permis de découvrir leurs corps comme moyen d'expression.

Pour ce spectacle, on s'est inspirés des cordes qui composent le ring et autour du masculin-féminin, de l'offensif et du défensif dans des duos composés d'un personnage fragile et l'autre plus fort. En mars dernier, j'ai fini un nouveau projet avec des élèves autour de la figure de l'acteur dans le cinéma muet. Les personnages, habillés et maquillés en noir et blanc, se rencontrent de façon positive, des fois négative, et explorent leur altérité.

Comment réagissent-ils face à ces questions de masculin-féminin, relations hommes-femmes ?

On discute beaucoup de ça ! Il y a de nombreux questionnements, de la pudeur, de la défense. C'est complexe de toute manière et c'est intéressant ! Au niveau de la question artistique, ils ne sont plus filles ou garçons, ils sont interprètes. On s'entraide comme une vraie équipe.

Ce sont des personnes dites en grande difficulté scolaire, est-ce que créer un spectacle sur le long terme leur permet d'avoir une cohésion ?

J'aime bien le mot cohésion. De partage, de confiance en eux-mêmes, dans les autres, d'affirmation, de ce qu'ils ont envie de faire et de quelle manière, leurs goûts, de travailler une curiosité. Ils se rendent compte également que tout est beaucoup plus compliqué qu'il n'y paraît et qu'ils ne sont pas les seuls à avoir des difficultés. La question du sensible est aussi importante. Tout ça, c'est à travers la création de ce spectacle. C'est ça qui est intéressant.

Vous êtes également plasticienne et art-thérapeute. Qu'est-ce l'art en général apporte dans sa recherche d'identité ?

Plein de choses ! Faire une pratique artistique, notamment pour des personnes en difficulté, permet de développer leur sensorialité, leur goût, leur style, leur conscience d'être, découvrir l'autre... C'est beau, bon, ça fait du bien ! (Sourire) Tout le monde a ce droit qui nous permet d'agir sur le monde. C'est important. Cela permet de se battre aussi contre des évidences, des préjugés, d'être ouverts sur l'autre et soi-même. C'est aussi pour ça que je fais ce métier-là. Tous ces publics m'apportent énormément. Mon travail en est enrichi.

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Dansez, sinon nous sommes perdus !
Femmes en mouvement, un art social
Développer la proximité universelle
Faciliter la création contemporaine
Dancefloor éphémère et fédérateur
Véronique Durupt, l'art comme révélateur

Célian Ramis

Adolescentes : Jeunes femmes en devenir

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Mais qui sont-elles ? À quoi rêvent-elles ? Quels sont leurs espoirs et leurs envies ? À qui se référent-elles ou s'identifient-elles ? Enquête sur les adolescentes d'aujourd'hui, qui deviendront les femmes de demain.
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Mais qui sont-elles ? À quoi rêvent-elles ? Quels sont leurs espoirs et leurs envies ? À qui se référent-elles ou s'identifient-elles ? Tout le monde aimerait pouvoir le savoir, résoudre cette énigme, ce grand fantasme qu'elles inspirent aux adultes. Pour cela, la tentation est forte de vouloir les cataloguer, de les faire entrer dans une seule et même case.

Or, reflet de notre société, les adolescentes ne sont pas une communauté homogène, ça serait trop simple. Néanmoins, certains traits propres à cette période de la vie - où les changements physiques viennent tout chambouler - certains codes, symptômes et questionnements permettent de les identifier comme groupe sociétal distinct.

C'est l'enjeu du Focus de YEGG ce mois-ci. Et pour ce faire, la rédaction est allée à la rencontre de jeunes filles, d'enseignantes, d'infirmières scolaires, de sociologues, de psychologues et de psychanalystes.

Souvent perçues comme une bande de midinettes en slim, fans de boys bands et accros à Facebook, les adolescentes sont bien plus complexes et profondes et ne constituent pas une confrérie homogène. Leurs attitudes et leurs maux n’ont pas changé, seul le monde dans lequel elles vivent a bougé.

« Qu’avez-vous fait de votre puberté ? », aimerait-on parfois demander à certains adultes. Ceux qui stigmatisent les adolescentes et font peu de cas de leurs opinions, leurs amours, leurs envies… C’est inévitable, on a toujours entendu, on entend et on entendra encore les « Quand j’étais jeune…», « De mon temps… », « Moi, à ton âge… », et autres discours sur l’inexpérience et l’immaturité de cette jeunesse, laquelle forcément, se brûlera les ailes.

Une vieille rengaine héritée de génération en génération, qui révèle finalement que rien ne bouge, les jeunes filles d’aujourd’hui ressemblent à celles d’hier. Pourtant, on continue de vouloir les classer dans une seule et même case. « Dans notre monde il n’y a pas d’écoute de la singularité, il faut tous marcher au même pas. Or, c’est à chacun de se fabriquer ses réponses, en se débarrassant des lieux communs et des discours des autres », indique la psychanalyste Laurence Ruas-Texier. Un sentiment partagé par sa consœur Emmanuelle Borgnis-Desbordes pour laquelle il est important de comprendre qui sont ces adolescentes et ce qu’elles veulent, de saisir leur spécificité et leur personnalité à part entière.

Et celles-ci ne sont jamais plus contentes que lorsqu’on les prend au sérieux. Ainsi, pour évoquer l’élaboration de la carte dite subjective sur leurs lieux ressources (lire encadré), Marie, 16 ans, en seconde ST2S (Sciences et Technologies de la Santé et du Social) au lycée Bréquigny l’a souligné : « Ce que l’on a dit là peut changer le point de vue des adultes sur notre intimité, leur donner des points de repères, et ça fait plaisir que l’on s’intéresse à ça. Pour une fois on ne parle pas à notre place ». De la même façon, à la question « Qu’aimeriez-vous dire aux adultes ? », Victoire et Emilie, 17 ans, élèves aux lycées Saint-Martin et Jean Macé, et Thiphaine, 18 ans, en terminale à Jeanne d’Arc, répondent en chœur :

« Qu’ils nous fassent plus confiance, parce qu’on doit toujours se justifier, prouver qu’on a bien fait les choses, en rajouter pour être crédibles ».

Les professionnels font tous le même constat : « Elles ne sont que le reflet de notre société. Si elles consomment plus d’alcool et de tabac, c’est parce que c’est une tendance sociétale. Mais, globalement, elles sont chouettes, elles ont des envies, des projets. Certes, des choses nous interpellent, c’est inévitable, c’est générationnel ! », sourit Soizic, l’une des trois infirmières du lycée Bréquigny.

Il ne faut pas pour autant nier l’existence d’écarts de plus en plus grands entre celles qui ont une sexualité plus précoce, qui jouent avec l’érotisation de leurs corps, notamment via Internet, et celles qui sont comme les adolescentes d’avant. Un état de fait remarqué par Laure Stalder, conseillère conjugale et familiale au Planning Familial. Cela dit, un marqueur fort en la matière reste stable : l’âge moyen du premier rapport sexuel, 17 ans.

« LA PLUS DÉLICATE DES TRANSITIONS »

Cette définition du psychanalyste et psychiatre Philippe Lacadée, auteur de L’éveil et l’exil, est sans doute la meilleure qui soit. Quitter l’enfance pour pénétrer un monde moins insouciant et apprendre à vivre avec les grandes transformations de son corps, les filles y sont plus rapidement confrontées : « Il y a un vrai décalage de puberté génitale entre les deux sexes, et c’est de plus en plus vrai que la puberté des filles est plus précoce, vers 10-12 ans. Elles font donc plus vite face aux questionnements liés au corps qui change, à leur identité, à leur rapport à la sexualité, elles s’interrogent sur leur capacité à être aimées, à aimer. Cela les renvoie à la construction de la personnalité », souligne Gilles Clainchard, psychologue au Centre d’Accueil et de Soins Spécialisés pour les Adolescents et Jeunes Adultes, à Beaulieu et à Villejean.

La puberté, passage confus, brutal et inéluctable, bouleverse beaucoup, « c’est le surgissement d’une étrangeté », selon Emmanuelle Borgnis-Desbordes. Et cette apparition physique de caractères sexuels secondaires a un impact sur le psychique et les comportements. « Avec l’entrée dans la vie amoureuse et sexuelle, la famille pose un autre regard sur l’adolescente et inversement : elle change de statut et cela peut être compliqué. C’est aussi pour cela qu’elle a besoin, qu’elle doit, prendre ses distances, passer par des expérimentations », note Gilles Clainchard.

Difficile donc de supporter l’âge pubertaire - ses premières règles, la naissance de sa poitrine et de sa pilosité - sans broncher, sans claquement de portes ni « Tu peux pas comprendre ! ». En outre, à cet âge, Laurence Ruas-Texier explique qu’au « réveil pulsionnel du corps, il faut ajouter l’apprentissage de sa propre construction ». Ardu. Pourtant, la plupart des jeunes filles passent ce cap difficile sans trop de remous ni de blessures. Et c’est parfois un miracle, quand on sait les pressions de notre époque moderne où l’image, l’apparence et la réputation sont omniprésentes, où la différence doit s’estomper au profit de l’uniformisation.

« À cette période de la vie, le rapport au corps est très prégnant, toujours. C’est grandir avec le souci du corps ostentatoire »
observe Caroline Moulin, docteure en sociologie, auteure de Féminités Adolescentes : itinéraires personnels et fabrication des identités sexuées aux Presses Universitaires de Rennes.

Or, les nouveaux modèles, sur lesquels les adolescentes peuvent se projeter, sont toujours plus maigres. Un constat alarmant qu’Emmanuelle Borgnis-Desbordes fait dans son cabinet : « Cette pression des idéaux contemporains de maigreur ajoutée à la puberté, poussent certaines à tenter de maîtriser l’immaîtrisable, à se façonner un corps sur lequel elles n’ont pas de prise ». Le corps cristallise donc toujours les troubles des jeunes filles.

LES MOTS CHANGENT, LES MAUX DEMEURENT

« Ce que j’entend en consultations depuis 25 ans n’a pas beaucoup changé. Les ados rêvent toujours du Prince Charmant, elles sont romantiques dans la confession, leurs interrogations existentielles sont les mêmes », confie Gilles Clainchard. En revanche, les modalités d’expressions diffèrent. Il y a moins de tabous, de pudeur et d’interdits dans notre société et les filles évoluent avec cela, à travers les réseaux sociaux, la sur-médiatisation et la présence plus forte du sexe dans le domaine public.

« Elles livrent aujourd’hui plus facilement leur désir, mais cela est sans doute en partie lié à l’évolution des conditions de la femme »
Gilles Clainchard, psychologue.

Selon Caroline Moulin, la tendance vers plus d’égalité des sexes encourage les filles à s’approprier les codes masculins en matière de sexualité. Laure Stalder tempère en indiquant que cela n’est notable que dans certains quartiers. Quoi qu’il en soit, le contexte actuel modifie la formulation des doutes et autres tourments juvéniles, le matériel à disposition des adolescentes les immerge dans l’ère de l’image prédominante et du tout Internet, « elles pensent y trouver toutes les réponses, c’est un leurre. Voilà ce qui pourrait expliquer qu’elles sont dans l’action et l’expérimentation. Elles essayent avant et réfléchissent après », suppose Laurence Ruas-Texier.

Aujourd’hui, on dit, on parle, on se montre. On peut s’en réjouir quand la lumière est mise sur des sujets graves comme le harcèlement ou les attouchements sexuels, desquels on ne parlait pas avant. Caroline Moulin parle, elle, de déplacement des zones d’intimité, influencé par les médias, la télé-réalité et le web. « Il y a une vraie érotisation du corps ces dernières années, c’est inquiétant », confie-t-elle. Ces nouveaux problèmes liés aux technologies modernes se traduisent par l’apparition de photos et de vidéos de filles dénudées ou ridiculisées, prises par le petit copain ou la bande de copines.

« Ça prend de l’ampleur. Elles se rêvent beaucoup dans le virtuel, elles ne perçoivent pas les conséquences de certaines conduites », signale l’infirmière scolaire. Aïssatou et Marie l’attestent : « N’importe quoi circule sur Facebook ! », même si leur établissement a mis en place un réseau sentinelle. De leur côté, Victoire, Emilie et Thiphaine se méfient : « il faut savoir gérer, ne pas trop s’exposer », précisent-elles. Un déferlement d’images, des verrous qui sautent emportant avec eux interdits, pudeur et intimité, les jeunes filles sont ainsi propulsées dans un tourbillon où il faut tout tester, et l’on est tenté d’y voir la cause de l’augmentation des IVG et des IST. Difficile de savoir.

Ce qu’on sait en revanche c’est qu’elles ont pris le pli d’aller chercher leur pilule du lendemain ou de demander systématiquement un test urinaire de grossesse à l’infirmerie scolaire comme au Planning Familial, où l’on s’inquiète aussi des fausses idées véhiculées : la pilule rend stérile ou provoque des cancers mais elle protège de tout, des grossesses comme du sida ! « Nous faisons du cas par cas, il est donc difficile de faire des généralités », met néanmoins en garde Laure Stalder. Une précaution valable aussi à Bréquigny : « Ce n’est pas ici le reflet de toutes les adolescentes, ces nouvelles donnes ne concernent qu’une minorité ».

12-16 ANS, CONFUSIONS ET TUMULTES

Dans le cadre de son travail auprès du service de pédiatrie de l’hôpital Sud, Emmanuelle Borgnis-Desbordes s’alarme de noter l’augmentation des pubertés précoces et l’explique ainsi :

« La question sexuelle n’étant plus tabou, on en parle ouvertement et partout, les petites filles savent très tôt tout sur le sujet. Elles sont donc prématurément confrontées à l’anxiété que cela implique chez elle ».

Parallèlement, la période la plus critique se déroule au collège. Une étape particulièrement sensible où les adolescentes sont en recherche de conformité. « Pour être accepté, il faut s’adapter au groupe », raconte Aïssatou. « C’est surtout vrai au collège, entre filles y’a de la concurrence et les critiques sont peut-être plus féminines. Au lycée on est plus libre, plus mature », renchérit Marie. La confusion peut alors être forte chez les plus jeunes et les plus fragiles tiraillées entre le besoin irrépressible de se démarquer de leur enfance et de leurs parents et l’envie farouche d’être comme leurs copines.

« C’est ce que Freud a décrit dans l’identification hystérique : l’histoire se situe dans un couvent où l’une des pensionnaires reçoit une lettre de rupture de son fiancé, alors toutes ses camarades sont prises de malaises, elles incorporent la souffrance de l’autre », rapporte Laurence Ruas-Texier. Ce souci de conformité s’accentue aujourd’hui avec la projection des jeunes filles sur les icônes modernes, lesquelles ne sont pas toujours de bons exemples… « Les filles composent avec de grands modèles orientés vers l’écoute inquiète du corps : celle de grossir, celle de vieillir, ce qui est très prématuré à l’adolescence ! », s’inquiète Caroline Moulin.

Rien de tel pour voir surgir de nouveaux troubles : scarifications et mutilations, phobie scolaire voire agoraphobie et rupture sociale, addictions aux substances alcooliques, tabagiques, chimiques, médicamenteuses (neuroleptiques, amphétamines). « Il y a augmentation et banalisation de ce type de conduites, comme les attaques contre le corps. On voit aussi de plus en plus d’adolescentes qui ne sortent plus de chez elles, cela s’est beaucoup développé chez les plus fragiles, les réseaux sociaux et les jeux vidéos étant un moyen de ne plus se confronter au monde extérieur, à la réalité », observe Gilles Clainchard.

L’archétype de la minceur a une incidence forte, il joue comme une injonction sur les jeunes filles. « L’inflation des troubles de l’oralité, des démarrages d’anorexie est alarmant. On le perçoit avec la volonté d’atteindre le fameux thigh gap, cet espace irréel entre les cuisses ! Ca débute par des restrictions alimentaires drastiques et la bascule dans l’anorexie est rapide », note Emmanuelle Borgnis-Desbordes. Dans cette détermination ferme et obsessionnelle de se ressembler et d’être mince, le groupe n’est pas innocent. Pourtant, il est une nécessité incontournable.

LA PASSION ADOLESCENTE ET LES LIAISONS EXCESSIVES

Il est rare de les voir autrement qu’en bande. Et quand elles se quittent enfin, elles s’appellent, s’envoient sms, snapchat, se croisent sur FB… Inséparables, à la vie à la mort, unies dans une amitié fusionnelle. Cette attitude agace souvent leurs parents, il est pourtant fondateur et essentiel. « Elles ont grand besoin des amitiés exclusives. Le phénomène de bande est nécessaire car la puberté favorise l’isolement, ce qui n’est pas structurant, le groupe, lui, permet de se sentir exister », explique Emmanuelle Borgnis-Desbordes.

Si cela a toujours existé, cet état de fait s’est sans doute amplifié ses dernières années, notamment via Facebook, avec parfois un effet pervers : « C’est bien, on a un tas d’amis, le revers de la médaille c’est que c’est « l’œil de Moscou », « Big Brother » et la dimension de confidence s’est perdue, les filles savent qu’en se confiant elles prennent le risque de voir leur propos exposés, leurs secrets révélés », note Laurence Ruas-Texier. De ces relations surinvesties naissent parfois des blessures profondément bouleversantes comme le rappelle Gilles Clainchard :

« C’est le temps des passions et pour les plus fragiles une rupture amicale peut être aussi douloureuse qu’une séparation amoureuse. C’est aussi une période d’incertitude et d’insécurité affectives, lesquelles se dévoilent dans la manière dont on vit ses relations. Certaines jeunes filles ne comprennent pas pourquoi elles réagissent aussi fortement à une rupture. Cela peut être révélateur de fragilités antérieures, comme la peur de perdre l’autre, qu’il nous échappe ».

ET SI LES PARENTS ÉTAIENT TROP INQUIETS ET INTRUSIFS ?

Sous la pression de la société et de la réalité économique, les parents sont angoissés pour leurs adolescentes dans la vie desquelles ils s’immiscent. « On les voit beaucoup plus en consultation. Ils sont démunis, en perte de repères », note Gilles Clainchard, lequel explique que, justement, l’arrivée de la sexualité dans la vie de l’adolescente est un processus de distanciation, que cela relève de l’ordre de l’intime, que le parent ne doit donc pas trop en dire ou trop poser de questions, au risque sinon d’être intrusif.

L’autre attitude extrême de ne rien vouloir formuler, de ne rien vouloir savoir, n’est pas bonne non plus. « Ces deux postures sont une façon de nier la différenciation, une façon de garder l’autre, en l’occurrence son enfant », précise-t-il. Pour Laurence Ruas-Texier, le problème de notre monde actuel est de croire, une fois un problème identifié ou un trouble repéré, qu’il y a un remède, une méthode, un médicament, qui va tout résoudre. « Et l’on voit de plus en plus de parents venir se soulager du trop de pression des institutions. Oui, l’adolescence est une période d’instabilité, et c’est énervant pour les parents, mais l’important est de ne pas rompre le lien », ponctue la psychanalyste.

Cette ère du « il faut tout dire » n’est donc pas bonne, on ne peut pas tout dire, tout partager. Or, leur inquiétude pousse les parents à être trop envahissants. « Les adolescentes que je vois se plaignent de cette intrusion. C’est d’autant plus vrai qu’elles se construisent avec une butée, en se confrontant à une limite symbolique, quelque chose de pas dit, par exemple, permet de s’inventer sa propre vie via son propre imaginaire », déclare Emmanuelle Borgnis-Desbordes. C’est aux adultes d’accepter de ne pas tout comprendre et de tout maîtriser, que leurs filles n’aient pas les mêmes envies, les mêmes avis, les mêmes goûts, les mêmes réactions qu’eux, sans croire qu’il s’agit là de pure provocation.

C’est l’histoire d’un conflit de générations. Une histoire sempiternelle. Les adolescentes d’aujourd’hui font comme elles peuvent avec ce qu’elles ont, ce qu’on leur offre, et souvent, elles font bien.

Isabelle Marchand et Anne-Sophie Joly, psychologues cliniciennes, assurent les permanences, gratuites et accessibles à tous parents sur rendez-vous, auprès du service Parents Ensemble (prochainement rebaptisé Service Parentalité), en collaboration avec l’UDAF 35, depuis 2003 et 2004.

Pourquoi avoir créé ce service ?

Anne-Sophie Joly : Pour un lieu neutre, d’accès, en dehors des réseaux libéraux et sociaux. Pour un lieu de ressources, de rencontres, de paroles, de questions.

Isabelle Marchand : Tout comme « être parent, c’est toute une aventure », « parent, ce n’est pas évident » ! Ici, l’objectif est de proposer quelque chose aux parents car la transmission, ce n’est pas si simple et à laisser croire que c’était simple on a culpabilisé les parents en difficulté.

Les difficultés éprouvées par les parents avec les adolescents sont-elles genrées ?

ASJ : Au moment de la rencontre, on prend en compte la question du parent et non du sexe de son enfant. Récemment on a ajouté le critère « Pour qui ? », à savoir s’il s’agit du fils ainé, de la fille ainée, etc. Mais nous n’avons rien de chiffré encore.

IM : Déjà, on peut dire que dans les cas de troubles, comme l’anorexie chez les jeunes filles par exemple, les parents s’adressent souvent à des professionnels du monde médical. Ils viennent en complément pour inscrire cela dans la durée, repérer le sens à ce trouble. Sinon je repense à des cas récents d’extrémisme, de fanatisme sur les réseaux sociaux…

ASJ : De sexualité aussi sur Internet. De ce que les jeunes filles donnent à montrer de leurs corps. Mais encore une fois, ce n’est pas chiffré, c’est une impression.

IM : J’ai aussi la sensation qu’il y a plus de filles entre filles. Ça va faire scout mais avant on pouvait partir avec son duvet chez les copains, en mixité (Rires). Maintenant, je trouve que c’est plus une bande de filles d’un côté et d’un autre une bande de garçons. Il y a peut-être l’enjeu de la sexualisation des relations garçons/filles.

ASJ : On note aussi l’évolution de la question vestimentaire. On expose davantage son corps. Avant, on masquait avec des vêtements amples au moment où le corps se transforme. Mais cela va avec les modèles que l’on propose dans la société, dans les médias. Il y a moins la fonction protectrice du vêtement, il vient sexualiser le corps de la femme. Enfin, c’est une hypothèse…

IM : Avec l’éducation des filles, la mise en valeur du corps, on accélère le cheminement de la jeune fille vers la jeune femme mais il n’y a pas de modifications de la maturité affective. Il y a donc un décalage.

Un décalage entre les générations aussi ?

ASJ : Les parents ont de nouveaux défis avec la question d’Internet, des réseaux sociaux, du corps. Sans oublier la pression scolaire qui est hyper forte ! Les outils sont encore peu connus, pas bien maitrisés. Et les parents n’ont pas forcément tous les repères.

IM : Et sur la question de la sexualité notamment, on voit une interprétation libre selon chaque parent. Le couple, aujourd’hui, arrive très tôt, 14 ou 15 ans et on demande à ce que le copain ou la copine vienne dormir à la maison. Certains refusent, d’autres préfèrent que cela se passe chez les parents de l’autre, ou chez eux, plutôt qu’à l’extérieur…

ASJ : On est de plus en plus dans le fait de protéger l’enfant de l’extérieur.

IM : Avec l’après Dolto, qui explique que l’enfant est une personne (et une petite personne, il faut préciser), on a eu la revendication des parents à ce que l’enfant devienne autonome. Et on finit par se dire « Dépêche toi de grandir ! ». Et plus le parent sera dans le « Débrouille toi », plus il y aura vertiges pour l’enfant. Là, il peut partir loin dans la provocation, pour faire réagir.

Les inquiétudes parentales peuvent-elles être genrées ? Avec l’implication des pères, dont on commence à parler, peut-être sont-ils plus nombreux à oser faire part de leurs difficultés ?

ASJ : L’an dernier, nous avions environ 30% de papas, venant seuls ou en couple. Et la part des pères ne cesse d’augmenter. Ils se saisissent de plus en plus de la question, et certainement qu’aujourd’hui, on leur fait plus de place aussi dans ce rôle là.

IM : Par contre, en entretien individuel, c’est toujours plus compliqué pour le papa de se libérer…  

ASJ : On remarque que sur les questions de sexe, il y a toujours ce réflexe de renvoyer la jeune fille vers sa mère et le jeune homme vers son père. Alors que ce qui est important, c’est justement la complémentarité et l’offre de faire différemment entre les individus participant à l’éducation de l’enfant. Ce qui est intéressant, c’est la pluralité des modèles, des valeurs, des façons de faire, les décalages de réaction… C’est ça la richesse finalement !

IM : Ce n’est pas une question de genre, en effet. Le parent doit être connecté avec qui il est, c’est ça l’important. Il doit maintenir son regard du côté de la curiosité. Il doit être chercheur de ce qu’est son enfant. Mais aussi de ce qu’il est lui-même.

ASJ : Être parent, ce n’est pas un métier, ça se tricote. Au fur et à mesure, en fonction des enfants que l’on a, qui évoluent et se transforment, tout comme l’adulte. Il n’y a pas de mode d’emploi, ce n’est pas figé pour nous, ni pour les enfants et tout sera différent avec chaque enfant, que ce soit le premier, deuxième, etc. J’ai des jumeaux et je vis une histoire différente avec les deux.

Quand on parle de parent chercheur, à quoi fait-on référence précisément ?

IM : Le parent doit être du côté de la bricole, du sur mesure, du dosage, de la complexité (ce qui n’interdit pas la contradiction). Tout en s’inscrivant dans un projet, un discours en fonction de ce que l’on veut pour l’enfant. Et de ce qu’il veut lui, car il sait dire ce qu’il veut. Ici, c’est un espace pour parler et pour penser sa place de parent. L’adulte doit être là, accompagner l’enfant dans ce qu’il a à vivre, améliorer leurs conditions de vie quand il peut, ne pas le laisser seul dans les expériences de la vie…

ASJ : Mais bien être conscient que ce sont ses expériences à lui.

IM : On ne choisit pas comment vont se présenter les épreuves de la vie. Chaque individu est différent, il faut savoir se laisser surprendre aussi. Même si on voudrait tout savoir à l’avance. (Rires)

Tab title: 
Adolescentes d'aujourd'hui, femmes de demain
À quoi rêvent les jeunes filles ?
Moins de troubles chez les jeunes filles ?
Icônes du 7ème art
Leurs lieux ressources
Être parent : du tricotage, du sur-mesure, de la complexité...

Célian Ramis

Journée des femmes : Des voix pour agir

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Rennes
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Prendre la parole, une action engagée pour celles qui osent ! Condensé de valeurs défendues par les unes et par les autres à Rennes pour les droits des femmes et l'égalité des sexes...
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« Prendre la parole et agir », c’est le thème défendu du 3 au 28 mars à Rennes à l’occasion de la journée internationale des femmes. Un thème défini, comme chaque année, par le comité consultatif d’habitants réuni au lendemain de l’édition précédente. Associations féministes, structures culturelles, collectifs engagés, femmes et hommes militant-e-s, professionnels et particuliers sensibilisés à la question, citoyennes et citoyens, se sont associé-e-s à la Ville de Rennes pour bâtir ensemble un programme autour de la condition féminine, avec un budget modeste de 16 000€ environ.

Par le biais des arts, de la réflexion, du débat, de la manifestation, elles prennent publiquement la parole et occupent l’espace pour transmettre, éduquer, dénoncer, partager. Et surtout agir pour l’évolution des droits des femmes, toujours pas acquis, voire même constamment en péril. Tour d’horizon non exhaustif des valeurs et des combats mis en lumière en ce mois de mars mais prônés toute l’année par les actrices et acteurs de ce programme.

  • Les jeux ont-ils un sexe ?

« Les jeux constituent une manière d’apprentissage. Jouer à la poupée n’apprend pas la même chose que jouer aux petites voitures. » Jessie Magana est éditrice, directrice de collection et auteure, entre autre, de Comment parler de l’égalité filles-garçons aux enfants ? ou de Les mots indispensables pour parler du sexisme, co-écrit avec Alexandre Messager (lire Focus - YEGG n°28 – Septembre 2014). Le 18 mars, elle est invitée par la Bibiothèque de Cleunay à animer un café-citoyen à la MJC Antipode de Rennes autour du sexisme dans les jeux et jouets.

« Les poupées, c’est pour les filles ! Les voitures c’est pour les garçons ! » promet d’être interactif, et les participant-e-s sont invités à apporter des catalogues et publicités pour alimenter les échanges : « Je tiens vraiment à faire participer la salle et je voudrais faire réagir les professionnelles de la ludothèque aussi. » Exit les publicités montrant une petite fille en salopette jouant avec des Lego, bienvenue aux jouets bleus et roses trônant fièrement sur les étals des supermarchés. Le « marketing genré » prend de l’ampleur depuis une vingtaine d’années, fait disparaître les jouets mixtes et/ou neutres, les féministes voient rouge et en dénoncent les conséquences.

« Avant, on avait des jouets de toutes les couleurs ! s’insurge l’auteure. Aujourd’hui, pour vendre, on se cache derrière les différences biologiques. Pas si nombreuses que ça en plus ! »

Et c’est cela même contre quoi se bat Jessie Magana, militante pour l’égalité des droits, ancienne « ado rebelle, contre l’ordre établi ». Un caractère qui lui permet de s’interroger sur la nature des discriminations et sur nos représentations individuelles et collectives. Les jeux dits physiques sont porteurs de stéréotypes, c’est un fait : « Et ils introduisent des comportements différents. Si on prend par exemple la cour d’école – et cela est très bien expliqué dans Espace – on voit que les garçons sont au centre avec les jeux de ballon, et les filles autour. La confiance en soi sera forcément différente, le rapport aux autres également. »

Jessie a à chœur de réfléchir et d’échanger autour de cette problématique, donner un accès à tous à l’éducation à l’égalité. « Car c’est simple pour nous, les bobos éduqués. Mais certains n’ont accès qu’au marketing genré », précise-t-elle. Un point important : proposer à l’enfant de jouer à des jeux variés ou avec des objets neutres, « les Kapla sont très bien, par exemple, mais il n’y a pas que ça…». Rien de pire, selon elle, que quelque chose qui va de soi. « Mais attention, il ne s’agit pas de lutter contre qui on est. Il est difficile pour un parent de s’affranchir de son sexe pour jouer avec l’enfant », souligne Jessie Magana.

Consciente du poids de la société, de l’environnement, du matraquage publicitaire, de la pression familiale, elle ne cesse de questionner petits et grands, par l’écrit ou l’oral, à propos de leurs représentations des femmes et des hommes, en espérant que l’évolution sera positive, certaine que cela doit passer par l’éducation à l’égalité.

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  • L’égalité, sur la table et sur les murs

Le 2 mars, la classe de 3e du collège rennais Les Ormeaux inaugurait l’exposition « Le féminisme rennais d’hier et d’aujourd’hui », visible au sein de l’établissement jusqu’au 27 mars. À l’initiative de Claire Mazet, Bruno Genton, professeurs de français et d’histoire, et l’association Histoire du féminisme à Rennes, elle a été réalisée en plusieurs étapes, au fil de l’année, afin de sensibiliser les élèves à l’égalité des sexes.

Après avoir suivi les traces des luttes féministes dans le Rennes des années 70 grâce à une visite guidée, ils ont reçu différents acteurs et actrices des combats pour les droits des femmes : Ghislaine Mesnage, ancienne caissière à Mammouth, ex-membre de la commission Femmes de la CFDT, Olivier Bernard, médecin ayant pratiqué des avortements illégaux à Rennes et Jocelyne Bougeard, ancienne élue aux droits des femmes et à l’égalité, membre du Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes.

« Ils ont été vraiment très intéressés, ils se posent des questions sur l’évolution des droits. J’ai insisté sur l’importance de l’autonomie financière pour les femmes. »
Ghislaine Mesnage, également adhérente d’Histoire du féminisme à Rennes.

Les collégiens et collégiennes ont travaillé en parallèle sur des phrases symboliques de l’égalité et des luttes passées, accrochées sur les murs du collège, à quelques mètres des visuels réalisés par Nelly Kerfanto, photographe et adhérente de l’association féministe. « Les filles faisaient les garçons et inversement. C’était ludique et ils ont pu bosser sur des attitudes assez stéréotypées, ce qui les a amenés à réfléchir », précise-t-elle.

Selon Nelly, l’objectif était de leur transmettre des informations afin de les pousser à la réflexion, de leur donner les moyens de discuter de sujets peu abordés en classe : « c’est casse-gueule, surtout depuis l’ABCD de l’égalité… Mais les gamins ne sont pas idiots, ils ont leur libre arbitre et peuvent agir pour changer les choses. Si aujourd’hui, ils ne saisissent pas toute la complexité du sujet, cela résonnera plus tard en eux. » L’association développe actuellement des outils à destination des scolaires.

  • Espace réduit, dès la cour d’école

La répartition femmes/hommes dans les espaces urbains, publics, privés, etc. démontre souvent les inégalités subsistant entre les sexes. À travers un croquis, Ni, 8 ans et demi (au moment du tournage en juin 2013), dessine sa cour d’école, investie principalement par les jeux de ballons, réservés quasi exclusivement aux garçons. « Ils colonisent la cour », explique la jeune fille dans le court-métrage Espace, réalisé par la grenobloise Éléonor Gilbert. Les petites filles sont alors invitées à occuper les quelques espaces libres, souvent peu aménagés pour prendre ses aises, et à jouer à la corde à sauter, plutôt qu’au football.

« C’est un très beau témoignage. Une parole spontanée qui raconte la géographie du genre et pose des questions essentielles : qu’est-ce qu’être une fille et un garçon ? Quelle représentation de l’espace avons-nous ? », explique Edith Maruejouls, militante féministe et géographe du genre à Bordeaux, à la suite de la diffusion du documentaire, aux Champs Libres en novembre dernier.

Pour la réalisatrice, le discours de Ni est révélateur du « positionnement de l’individu dans l’espace social ». Un positionnement qui s’infiltre dans les esprits dès la petite enfance et nous suit dans nos vies d’adulte. Le 7 mars, les Champs Libres diffuseront à nouveau Espace (en présence d’Éléonor Gilbert) dans le cadre de Documentaires au féminin, organisé par l’association Comptoir du Doc. D’autres moyens et longs métrages, autour de la condition féminine, seront projetés les 7 et 8 mars.

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  • Prendre la rue en mémoire des luttes

Le 25 février, une dizaine de femmes, et un homme, sont réuni-e-s autour des deux chorégraphes rennaises Anne-Karine Lescop et Pénélope Parrau, au centre social Ty Blosn, à proximité du Triangle. Ensemble, le groupe va apprendre et répéter les enchainements qui constitueront la marche chorégraphique dans la cité, à l’initiative du CIDFF 35 (Centre d’Information sur les Droits des Femmes et des Familles) et de l’association Danse à tous les étages.

En effet, le 7 mars, une soixantaine de Rennais-es investira la place de la Mairie, en descandant la rue Le Bastard, pour attirer l’attention des passant-e-s sur les droits des femmes. Mais surtout pour « faire signe », comme l’exprime Anne-karine Lescop, aux femmes qui se sont battues pour les droits d’aujourd’hui, « pour l’avortement, contre les violences, pour l’égalité des salaries, et j’en passe… » Ce soir-là, au Blosne, ça échange, ça discute et ça débat. De la manière dont elles marcheront, de la façon de se comporter, de la conclusion de l’événement…

Ce groupe restreint est un test, un pilote en quelque sorte. « Pour voir si ce que l’on a prévu avec Pénélope fonctionne ou non. Et ensuite, elles seront des « modèles » pour les autres, le jour-J, même si nous répéterons dès 12h30 au théâtre de verdure, dans le parc du Thabor avec tout le monde », explique Anne-Karine. À la file indienne, liées les unes aux autres par les mains, elles marchent lentement en silence, avec de s’enrouler en spirale, afin de former des cercles dans la salle. Puis doucement, elles commencent à chuchoter des phrases. Toutes différentes. « On ne nait pas femme, on le devient », « Mon corps m’appartient », « Femmes, égalité des droits » ou encore « Un esprit libre dans un corps libre » et « Le viol est un crime »…

La rumeur s’élève, le brouhaha s’amplifie, certains mots s’isolent et nous titillent les oreilles, attisent la curiosité, suscitent l’intérêt, les mains se détachent et chaque volontaire exécute des gestes chorégraphiés en lien avec leurs propos. C’est hypnotique, fort et prenant. « Quand tout le monde sera là, ça donnera l’impression d’une manifestation festive », espère Pénélope Parrau. La marche chorégraphique dans la cité relève de la performance artistique sur fond militant.

« Scander un slogan avec une chorégraphie, c’est une affirmation du corps, de sa façon d’être. Quand on fait le geste de s’exposer dans la rue, c’est vraiment affirmer quelque chose de soi. Et la rue appartient à tout le monde ! »
développe Anne-Karine Lescop.

Sans se désigner militantes féministes, les deux chorégraphes souhaitent saluer la mémoire des femmes qui se sont battues pour leurs droits, nos droits. Qui ont eu du caractère et la force d’affronter les luttes d’hier. « On ne les a pas vécu mais cela fait parti d’une mémoire collective. On a eu le droit à l’IVG, avec cette marche, je fais signe à Simone Veil, je la remercie ! », poursuit-elle.

De la reconnaissance tout d’abord mais aussi une mise en garde pour les générations futures. Les droits acquis sont fragiles et nos libertés sont à préserver. La marche aura donc plusieurs niveaux de lecture et d’interprétation et devrait résonner dans les esprits des ancien-ne-s comme dans ceux des plus jeunes qui sont de plus en plus invités à réfléchir autour de la répartition de l’espace public, mal partagé entre les hommes et les femmes.

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Les femmes osent-elles davantage prendre la parole en public ? Quel est le rôle de la parole dans le partage du pouvoir entre les femmes et les hommes ? Mercredi 18 mars, à la Maison Internationale de Rennes, l’association féministe rennaise Questions d’égalité organise une rencontre-débat, autour de temps d’échange et du slam – en partenariat avec Slam Connexion.

L’occasion également pour les membres de l’association de présenter les résultats de leurs observations quant à la répartition de la parole lors d’un conseil municipal en 2014. « Nous ne faisons pas ici de généralité, nous avons assisté à une séance ! », explique Rozenn Moro. Aussi, elles apporteront un éclairage plus large en rendant compte des recherches de Corinne Monnet, féministe ayant déjà consacré plusieurs études à ce sujet. « Nous avons pris le thème à la lettre, nous souhaitons encourager les prises de parole ce soir-là, pour justement trouver des solutions ensemble », conclut Rozenn.

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  • Entre chants partisans et en signes

On peut prendre la parole de différentes façons, sur différents rythmes… Et pourquoi pas, en chantant. C’est ainsi que MixCité a interprété le thème de ce mois-ci, et imaginé déambuler dans les rues de la ville en entonnant airs féministes et refrains revendicatifs. « Cette année, il y a un décalage avec les événements que l’on peut voir traditionnellement en mars. Notre idée, cette fois, est de prendre de la place dans la rue, dans le bon sens du terme, car c’est toucher plus de monde, et nous sommes à la base une association de rue, nous allons au contact des gens », confie Aude Le Bras chez MixCité.

Très vite, les membres du mouvement féministe ont eu envie de partager leur « Chorale Ambulante » avec 10 Doigts, la compagnie de créations artistiques bilingue langue des signes-français, avec laquelle ils avaient déjà collaboré au Printemps 2014 lors d’un café poussette autour de contes féministes pour enfants. « Intégrer tout le monde, et notamment les personnes avec un handicap, a toujours été une idée forte et très importante pour nous », révèle Aude. Il était par conséquent logique pour MixCité de proposer l’aventure à une minorité, en l’occurrence des femmes sourdes ou malentendantes.

Deux comédiennes se tiendront donc en tête du groupe et traduiront en langage des signes les cinq chansons choisies.

« Contribuer à la Chorale Ambulante Bilingue c’est rendre accessible aux sourd(e)s un événement local, c’est participer à la journée de la Femme – qui nous est chère puisque notre équipe est majoritairement féminine - c’est faire découvrir le chant-signe (chanter en langue des signes) et tout cela sur la place publique, qui, à notre sens, est le premier lieu de transmission et d’échanges pour toutes et tous »
explique Olivia de 10 Doigts.

Le parcours n’est pas défini au mètre prés et variera sans doute au gré des réactions des badauds. La chorale débutera à 10h30 au métro Sainte-Anne. Elle cheminera jusqu’au marché des Lices où elle fera une « halte en chansons » sans doute en haut des escaliers, avant de revenir sur ses pas et de prendre la direction de la place du Parlement pour s’arrêter au Thabor vers 12h où elle doit retrouver la Chorégraphie Ambulante.

Et que chantera-t-on ce 7 mars ? « L’Hymne des femmes, La Vaisselle et La Reine du Créneau d’Anne Sylvestre, Babette du Quartet Buccal (qui raconte un amour lesbien) et la chanson de MixCité, une composition maison un peu provocatrice aux paroles bien tranchantes, sur l’air de La Vie en Rose », sourit Aude.

  • Poésie, intime partage de nos émotions

« Ce n’est pas anodin de prendre la parole en public ». Aurélia Décordé, (sur)chargée - comme elle dit en rigolant - de projet et d’administration pour l’association Slam Connexion, sait bien de quoi elle parle. Quand on aborde le thème choisi cette année pour le 8 mars, elle répond naturellement : « Prendre la parole en public, c’est déjà une démarche engagée. » Et engagée, elle l’est. Pour les droits des femmes, l’égalité des sexes mais aussi pour la défense de l’art qu’est le slam, pour favoriser les échanges entre les individus et les accompagner dans leur expression, écrite ou orale.

« Ce que l’on remarque sur les scènes slam, c’est que certains se livrent, parlent de leur ressenti. Et ce qui marche bien, c’est l’auto-dérision souvent, faire rire de ses défauts… Et d’autres ne se livrent pas, parlent de la pluie, du beau temps. On tend malgré tout vers l’universel, que les paroles soient personnelles ou non. »

Jeudi 12 mars, l’association proposera un espace de partage et d’échanges au Pôle associatif Marbaudais, où se situe le local de Slam Connexion, après un atelier d’expression poétique, qui aura lieu le jour même. En non mixité, les 12 participantes seront invitées à partir des représentations que l’on a des femmes, des hommes, de l’égalité. En individuel et en collectif. Puisque le rapport à l’écriture est différent du rapport à l’oralité, même si tous deux font appel à l’intime. Et puisqu’en non mixité, « tout est possible. »

Aurélia souhaite animer un atelier sans jugement, sans réponse concrète, avec simplement des mots, « on construit des armes, car l’éducation populaire aide à se sentir mieux armée, et les mots sont le premier pouvoir ! » Les femmes pourront, à travers la poésie et l’écriture, exposer des situations d’égalité, de discriminations, de violences, etc. : « Elles seront libres. La thématique c’est « Paroles d’égalité ». Après ce sont elles qui définissent ce qu’elles veulent dire, ce qu’elles ne veulent pas dire, si elles font de la poésie ou non. L’association prône vraiment cette liberté de dire ce que l’on souhaite. »

Et concernant la répartition de la parole entre les femmes et les hommes, hors ateliers non mixtes, l’association balaye volontiers devant sa porte. Plus d’hommes se présentent lors des scènes slam pour déclamer leurs textes mais les femmes sont également présentes « pour dire des choses, ou simplement écouter ». Aurélia Décordé et sa collègue Charlotte Bonnin s’interrogent actuellement sur les raisons qui motivent les femmes à monter sur scène, ou à l’inverse, à rester spectatrices. « Nous souhaitons nous associer à Questions d’égalité qui cherche justement à recueillir des données chiffrées et à les analyser. C’est une vraie question, la question de la légitimité, que nous voulons porter ! », conclut Aurélia.

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  • Parlez-moi d’amour, redites-moi des choses tendres

Et si tout se jouait avec l’éducation et l’amour ? La journaliste et plasticienne Christine Barbedet, la photographe et vidéaste Stéphanie Priou et la dessinatrice Martine Sauvage, en semblent convaincues. Mues par ce postulat de départ, elles sont allées poser appareil photos, caméra et crayons au Blosne - un quartier qu’elles connaissent bien - depuis plusieurs semaines déjà, et comptent s’y installer un temps. « Le mois de la Femme est le point de départ du projet, lequel nécessitait que l’on prépare le terrain et s’inscrira dans la durée », explique Christine Barbedet.

Elle est l’initiatrice de «C’Elles du Blosne racontent», souhaitant, d’une part, pérenniser le travail effectué lors de sa résidence à La Paillette, « Objet qui compte et qui (ra)conte », (lire YEGG n° 24, avril 2014), et interpeller, d’autre part, les femmes sur la transmission faite aux garçons. Car, lors d’un reportage dans le quartier voilà quelques mois, un gamin de 11 ans lui a lancé « dégage, on ne parle pas aux femmes ici ».

Heurtée, elle a réfléchi à la responsabilité des femmes dans ce genre d’attitude. « En combinant les deux, j’ai imaginé le projet « Quel objet messager souhaitez-vous transmettre à votre fils de sang ou de cœur ? », l’idée étant de demander aux femmes du Blosne quel « objet messager » elles aimeraient leur léguer et par là même les interroger et les faire parler sur l’éducation faite aux garçons », explique-t-elle. Ensuite, elle prend des photos et écrit les textes qu’elle exposera.

Christine n’aime pas travailler seule, aussi a-t-elle ouvert sa réflexion à Stéphanie et Martine, dont elle apprécie le travail. La première s’est lancée dans un exercice vidéo sur l’amour, « Mesdames, parlez-nous d’amour », dans lequel elle donne la parole aux femmes afin qu’elles racontent une histoire personnelle, intime, ou plus générale, qu’elles ont vécu ou entendu. La seconde va dessiner « Ce qui nous origine » en captant certains propos recueillis dans le cadre du projet :

« D’habitude, je travaille sur mes racines au travers de dessins aux nombreuses ramifications, qui s’entremêlent. C’est très personnel et très intérieur. Cette fois, je vais m’inspirer des autres pour créer des paysages intérieurs et interroger de façon onirique les racines des femmes rencontrées », raconte Martine.

Les propos, photos et dessins devraient s’exposer sur de grandes bâches modulables et nomades d’1 mètre 20 sur 60 cm, l’idée étant que différents lieux l’abritent. « Nous travaillons avec beaucoup d’associations – Carrefour 18, Ty Blosne, le Centre culturel islamique…etc. – il faut que le dispositif soit visible dans plusieurs endroits, accessible au plus grand nombre », souligne Christine. Car si le projet démarre avec le mois de la Femme, il ira au-delà, il est ainsi envisagé que chaque 8 du mois (pour rappeler le 8 mars) un événement ait lieu.

« C’est un projet et un quartier qui ne s’improvisent pas et qui méritent qu’on prenne le temps, il faut aussi que cela essaime. L’idée est que les femmes se mettent au travail, on veut les inciter à la réflexion et à parler. Nous ne cherchons pas le nombre dans la participation, mais la qualité », ponctue la plasticienne. Les trois artistes croient à la synergie et à l’imbrication aujourd’hui nécessaire entre l’art et le social, en outre, elles sont convaincues que donner la parole aux femmes aujourd’hui n’est pas anodin… A suivre donc.

+ d’infos : http://femmesdublosne.wix.com/2015

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« Prendre la parole, agir », il n’y a pas si longtemps encore, les femmes se sont battues pour cela, rien que pour cela… C’est instantanément ce à quoi Anne-Françoise Taillard, Sophie Regnauld et Françoise Cognet du Collec’Actif Agence Zen Com,  plasticiennes et photographes, ont pensé. « Pour notre génération le combat des suffragettes est très important, nous l’avons toujours à l’esprit. Ce n’est pas évident pour les plus jeunes, elles l’ont oublié ! », précisent-elles en chœur. Navrant, car la conquête n’est pas si vieille, 70 ans cette année, seulement.

Nos trois artistes invitent donc le public à venir déposer dans une urne ses souhaits féminins ou féministes, les changements qu’il aimerait voir venir, ou simplement son regard sur les femmes… Ne se contentant pas de la laisser à disposition de chacun et d’attendre, elles accompagnent leur urne. Cela a débuté le 3 mars avec une lecture de textes féministes. Le lendemain, l’urne était installée à la maison de quartier de la Touche, elle y sera jusqu’au 10 mars.

Ce même jour aura lieu le vernissage d’une exposition mêlant six portraits de femmes dont les actions ont participé à l’émancipation des femmes – Hélène Boucher, Louise Weiss, Hubertine Auclert, Amélie Beaury-Sorel, Louise Bodin et Caroline Rémy dite Séverine – à des œuvres personnelles qui interpellent. Ainsi, Anne-Françoise Taillard a repris une affiche scolaire des années 1960 qui servait aux leçons de vocabulaire. On y voyait un papa lisant le journal dans son fauteuil, aux pieds duquel jouait un petit garçon pendant que sa mère faisait la cuisine et que sa sœur mettait le couvert.

« J’ai tout inversé ! et nommé cela « Le jeu des 7 différences, à vous de les trouver », j’attends de voir les réactions ! », ponctue-t-elle. Sophie Regnauld a choisi l’intime pour évoquer la cause féminine, en l’occurrence sa mère, dont elle expose des photos à plusieurs âges de la vie pour montrer l’effacement progressif d’une femme qui n’a jamais eu la parole. Françoise Cognet présente quant à elle deux montages photos sombres faits de morceaux de femmes repigmentés avec des produits de beauté, et une photo de femmes à la piscine Saint-Georges. On peut aussi y voir une photo d’Annette Miller.

 

Tab title: 
Armées de paroles, et plus encore...
Action n°1 : Grandir dans l'égalité
Action n°2 : Gagner du terrain
Action n°3 : Entretenir le dialogue

Célian Ramis

Nudité : Striptease, un art ?

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Rennes
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Reportage dans les fumées voluptueuses d'un monde de la nuit emprunt d'érotisme, où l'art du déshabillé se confond souvent avec l'amour de l'argent.
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Si les prémices et évolutions du striptease sont incertaines, en revanche la sulfureuse Mata Hari a parfaitement gravé sa légende dans l’Histoire, en partie à travers l’effeuillage. Reine de la Belle Époque grâce à la création d’une danse orientale qu’elle enrobe d’origines divines, elle est un archétype de la femme fatale et moderne, libérée dans une société puritaine, et lève le tabou sur la nudité. Plus d’un siècle plus tard, le striptease n’est plus seulement l’affaire de courtisanes et de danseuses de cabaret.

Discothèques, clubs de strip, enterrements de vie de garçon/jeune fille, salon de l’érotisme… on parle aujourd’hui de banalisation d’une profession entachée de clichés liant l’art du déshabillé à la vulgarité et la légèreté, et d’amalgames entre effeuillage et prostitution. Des stéréotypes qui ne semblent atteindre les danseuses qui envisagent la nudité de leurs corps comme un accessoire indispensable de leur business artistique. Elles sont au cœur du monde de la nuit et nous les avons rencontrées afin qu’elles nous livrent leur vision de leur condition.

Dévoiler son corps, lentement, sensuellement. Privilégier l’esthétique d’un corps au service de la création d’un show élaboré et travaillé. Pour susciter le désir des plaisirs charnels, sans y céder. Quand l’érotisme se met à nu, qu’il ne reste plus un seul bout de tissu pour cacher les soi-disant vertus, les réalités sont autres et se confondent avec les voluptés enivrantes de l’argent.

« On insiste beaucoup : on veut vraiment donner une autre image du striptease et du métier », explique Maya Cortes, chargée de la logistique et de l’animation sur la tournée Eropolis. Les 17 et 18 janvier, le salon célébrait l’érotisme au Parc expo de Rennes, avec une trentaine d’artistes stripteaseurs/stripteaseuses. L’autre image, c’est celle de pros qui élaborent des spectacles sur scène, principalement. Pour Little Priss, aujourd’hui :

« tout le monde peut prétendre être stripteaseuse, et il y a une sacrée concurrence. Il faut faire du show, faire primer le côté artistique, la beauté du corps, la sensualité. Et surtout toujours innover. »

À 21 ans, la jeune femme débute dans le milieu, côtoyant le monde de la nuit depuis plusieurs années. En 8 mois seulement, elle s’est initiée à l’art de l’effeuillage, vidéos et bases de modern-jazz à l’appui, et l’a pratiqué dans des boites de nuit, des clubs de strip, des clubs échangistes, des salons ou encore chez des particuliers. Et rapidement, son expérience lui a permis de comprendre « ce qui fonctionne, ce qui fait crier », loin des fantasmes ordinaires de la policière frivole ou de la candide écolière, plus appropriés aux enterrements de vie de garçon.

Ce jour-là, une trentaine de curieux principalement masculins s’agglutinent au pied de la scène. Ana-Lys fait son entrée, sourire aux lèvres, valisette à la main, vêtue d’un frou-frou blanc, d’une parure blanche et de talons hauts. Sur un air légèrement swing échappé de la bande originale de Mary Poppins, elle débute son show en dénouant sa chevelure rouge et en brandissant un sextoy assorti d’une moue malicieuse. Elle a tout d’une artiste burlesque, un art qu’elle pratique depuis 2 ans, pour le côté humoristique, vintage et rockabily. Elle dévoile au fil des tissus qui tombent sur le sol un tatouage floral courant le long de son bassin, de sa hanche et de sa cuisse.

La sulfureuse Ana-Lys est pétillante, pleine de grâce, dotée d’un corps harmonieusement charnel. « Le burlesque permet de s’assumer comme on est. J’en fais autant que du striptease, qui est plus hot en général. Si les shows ne sont pas les mêmes, on travaille dans les deux cas sur les costumes, la mise en scène, les musiques et sur l’art de l’effeuillage, avec un côté glamour et très sexy, analyse-t-elle, expliquant une différence entre les lieux de représentation. En soirée privée, en spectacle pour les comités d’entreprise, dans les conventions de tatouage ou de moto, on me demande du burlesque. Sinon, c’est du strip plus classique. » La jeune femme, engagée sur la tournée pour faire découvrir la particularité de cet art, termine sa prestation intégralement nue sur scène. Seuls les bouts de ses seins seront cachés par des nippies.

BANALISATION DE LA NUDITÉ

Pour de nombreuses artistes françaises et américaines notamment, le burlesque incarne un courant féministe, engagé. Le corps comme arme et symbole de pouvoir. Des femmes puissantes s’éclatant à montrer leur sensualité, s’affranchissant des codes de la domination masculine et détruisant les diktats de la mode des jeunes-minces-blanches, selon Louise de Ville – croisée en 2013 sur la scène du Grand Soufflet dans le spectacle « Porte-jarretelles et piano à bretelles ». Montrer son corps serait par conséquent une preuve d’indépendance. À noter que toutes les féministes ne s’accordent pas sur ce sujet. Niveau striptease, la tendance est plutôt à l’indifférence.

L’indifférence face aux critiques qui peuvent être formulées quant à son côté dégradant : se déshabiller pour vendre du rêve, pour agrémenter les fantasmes, pour satisfaire les désirs des spectateurs. Elles invoquent aujourd’hui la banalisation de la profession, avec une prolifération du nombre de danseuses – qui n’est pas recensé ou calculé clairement mais qui apparaît au vu du nombre de sites et d’annonces – qui se ressent à travers le regard de la population nocturne. « Avant, quand on se déshabillait dans les boites, tout le monde sortait son portable. Maintenant, ça paraît normal de voir des stripteaseuses et des gogos danseuses. Et puis, les clientes sont encore moins habillées que nous, parfois ! Enfin, elles finissent en soutif...», rigole Julie, alias Bambye.

DE L’INTERMITTENCE À L’AUTO-ENTREPRENARIAT

À 27 ans, elle bénéficie d’une expérience de 10 ans dans ce métier. À l’origine, elle est embauchée par une agence en tant que gogo danseuse et se contente de faire l’animation sur scène, en dansant, simplement. « J’aime danser, j’aime voyager, j’aime l’argent. Surtout l’argent », lâche-t-elle d’un ton franc et désinvolte. Elle avait, au départ, le statut d’intermittente du spectacle, statut auparavant adopté par toutes les artistes stripteaseuses : « Maintenant, on est obligées d’être auto-entrepreneures, financièrement c’est plus intéressant pour les établissements qui nous payent à la prestation. Si t’es intermittente, ils ne te prendront pas.»

Elle termine sa séance de sport quotidienne, a les yeux rivés sur son téléphone et se marre quand on lui demande comment elle prépare ses prestations :

« Je ne fais que de l’improvisation ! J’ai la chance de pouvoir danser sur toutes les musiques, en rythme et de manière sensuelle. »

Cette ancienne candidate de télé-réalité – aperçue dans Secret Story en 2011 – ne ressent aucune appréhension et aucun besoin de répéter ses chorégraphies.

« C’est simple, en discothèque, ils aiment les prestations qui sortent de l’ordinaire, genre Catwoman ou cow girl mais n’imposent pas de thèmes. Dès l’instant que tu te désapes et que tu montres ton cul, c’est tout ce qui leur importe. Comme en club de strip, même pas besoin d’ambiances et d’univers. Il n’y a que pour les enterrements de vie de garçon qu’il y a des critères imposés, et ce sont souvent les mêmes : policières, écolières, infirmières, militaires… », détaille la jeune femme qui, la journée, gère un centre équestre à Goven, fondé et ouvert depuis septembre 2014.

AU SOMMET DE LA BARRE

La nuit, en semaine comme le week-end, elle découpe son emploi du temps entre Nantes, Saint-Nazaire et Rennes. Principalement à l’Ile de Rhodes, derrière le centre Colombia, bordant le boulevard de la Tour d’Auvergne. Un mercredi soir de janvier, elle y arrive un peu après minuit. Cheveux noués, pas coiffés, jogging, baskets… Elle part se préparer dans les appartements alloués à cet effet, au dessus du plus vieux club de striptease de Rennes, ouvert depuis 53 ans, et revient moulée dans une robe longue, à la dentelle noire et au voile blanc transparent. Une tenue réalisée sur mesure par une couturière angevine. « Ça va entre 80 et 800 € pour les fringues. Et il y a aussi la lingerie à acheter, les porte-jarretelles, les bas. Faut que ce soit classe et élégant », précise-t-elle.

Elle entame une danse lascive autour de la barre, fixée au milieu de la piste de danse. Incontournable, elle est un accessoire primordial pour les artistes qui peuvent soit s’en servir comme appui, quasi un partenaire, soit pour exécuter quelques figures de Pole Dance : « Je n’en fais pas beaucoup. Ce ne sont pas celles qui montent à la barre qui gagnent le plus. Et moi, je suis bête et méchante, je vais là où il y a l’argent. Je fais des shows reptile par exemple, en boite de nuit. Ça chiffre bien, 2 fois plus que le strip de base qui est souvent facturé aux alentours de 250/300€. »

Mêmes tarifs pratiqués par la nantaise Priscilla Jones, régulièrement en pays rennais, qui confirme qu’en une nuit en boite, une stripteaseuse peut espérer récupérer un cachet de 700 € pour un show sensuel avec un serpent, et 300 € pour un effeuillage classique. Même efficacité en privé : 1h de présence dont 15 minutes de passage, « c’est bien payé, c’est peu de temps de travail mais il y a des inconvénients. On n’a peu de place pour danser et pas de liberté dans les personnages. » Car après 9 ans de métier, ce qui continue d’épanouir cette trentenaire déjà vue dans le télé-crochet À la recherche de la nouvelle star, c’est le spectacle, le côté artistique, le développement des chorégraphies.

Elle, qui joue des petits rôles dans certains films comme Bodybuilder de Roschdy Zem, aime incarner des personnages de cinéma, comme Jessica Rabbit, Maléfique ou encore les James Bond girls… « Que des personnages dark et sévères qui collent à ma personnalité », précise-t-elle. Pour Priscilla, le striptease ne se résume pas à l’exhibition de son corps. Ou plutôt, elle refuse d’y être réduite. Pas question de simplement « montrer cul et nichons à un mec en particulier », raison pour laquelle elle évite farouchement les clubs de strip, dans lesquels on pratique les shows privés.

AMOUR DE LA DANSE ET ARGENT

À l’Ile de Rhodes, ce soir-là, Bambye est entourée de 2 danseuses – 2 autres étant en train de « flyer » afin de rameuter des clients - et de Nadine, surnommée Nanou, responsable depuis 3 ans et employée du club depuis 23 ans. En attendant que les clients débarquent, au compte goutte, elles discutent frais kilométriques, remboursés selon les distances parcourues, et échangent leurs expériences. Magora, 21 ans, a débuté le striptease il y a 2 mois. Pour l’amour de la danse. Parce qu’après un bac hôtellerie et une expérience en restauration, elle ne supporte plus de se « faire traiter comme de la merde par les patrons et les clients ». Direction l’usine. Mais le boulot est contraignant, les horaires également. Elle entend parler d’un bar à hôtesse dans les Côtes d’Armor et enchaine avec le club rennais, dans lequel elle se forme sur le tas, en regardant les autres, et en utilisant ses compétences de Pole Dance.

Laurine, 27 ans, a mis les pieds dans le métier il y a 2 ans. Pour l’argent, très clairement. Après 8 ans à bosser dans une grande surface, elle teste le striptease en boite de nuit. Parce qu’elle y passe tout son temps. « J’avais plein d’idées reçues à ce sujet. J’ai vu que c’était propre et clean, je suis partie à l’aventure », lance-t-elle, amusée. Pour elle, avoir des horaires de nuit, dormir toute la matinée et profiter de son après-midi se résume en un mot : vacances.

Pourtant, elle n’aime pas danser, « ou alors sur du Rammstein, il faut que ça bouge, je suis un peu bourrine. Je n’arrive pas du tout à être sensuelle… De toute manière, quand les mecs prennent un strip, c’est pour voir mon corps, c’est ça qui séduit. Un sourire et c’est bon. Les hommes sont faibles. » D’où sa préférence pour, dès l’ouverture de l’établissement, s’afficher en tenue légère et affriolante, poitrine joliment mise en évidence. Autre détail marquant chez Laurine, elle parle, en référence à son lieu de travail, de « terrain », terme très spécifique et peu employé par les artistes rencontrées.

CONSOMMATION OBLIGATOIRE

Vers 1h du matin, les premiers clients arrivent dans le club, s’installent sur les banquettes en velours et commandent du champagne, à 250 € la bouteille. Ils reprendront la même dans l’heure. Les 3 danseuses enfilent alors leur casquette d’hôtesses et prennent place à la table des messieurs. Un rôle dans lequel Laurine se sent plus à l’aise. L’objectif étant alors de faire consommer le client, en boissons et shows privés, dans des salons intimistes avec rideaux transparents ou à la table.

« Mieux vaut qu’elles ne soient pas farouches pour le contact avec les clients, elles sont payées sur les ventes de champagne », rappelle Carly, 26 ans, gérante du bar à champagne et club de striptease, La Luna, situé à quelques pas du pont de Nantes. Ici, pas d’obligation de danser, si les filles ne le souhaitent pas. Le principe est le même chez elle qu’à l’Ile de Rhodes, à quelques détails près, comme celui du nu intégral conseillé dans ce dernier et proscrit à La Luna (string/topless). Ici, les filles doivent impérativement se munir d’une tenue de soirée et d’une tenue de prestation.

Dans les deux établissements, les danseuses/hôtesses répondent aux offres postées par les responsables ou sont envoyées par des agences. Souvent pour des contrats de 2 semaines, le renouvellement étant important pour les habitués. À cause des difficultés à obtenir des visas, les clubs ne peuvent désormais plus embaucher des femmes étrangères, principalement des russes, des ukrainiennes et des moldaves.

« C’est dommage, les hommes aiment bien les étrangères, les russes notamment, qui sont très belles », confie Carly. Il devient difficile aujourd’hui de dénicher de nouvelles recrues : « Elles sont plus prudes qu’avant, ont moins l’appât du gain. Elles n’ont plus autant la hargne qu’avant. Elles se contentent surtout de faire les hôtesses. Sachant que les clients veulent toujours plus, en payant moins parce que c’est la crise… » Prendre des billets sans trop se fatiguer.

CONTRÔLE DE SOI

Les femmes n’oseraient-elles plus se dénuder dans les clubs de striptease ? Les raisons restent obscures. Quand on aborde la nudité et le rapport au corps, elles s’accordent toutes sur l’obligation de ne pas être pudique. « Ce qui ne veut pas dire que l’on accepte nos corps…», précise Bambye, qui ne supporte plus la vision de graisse nichée dans certaines parties de son corps. Un point sur lequel la rejoint Laurine. Ainsi que Amira, inquiète du rendu de nos photographies. « Faudra retravailler, vous affinerez la taille, parce que je n’ai plus le corps de ma jeunesse, j’ai 33 ans et j’ai du ventre », nous glisse cette danseuse érotique, après son passage à La Luna.

Après avoir enchainé les grandes scènes parisiennes, avoir été chorégraphe pendant 7 ans dans une école d’afro-jazz et de danse contemporaine, avoir dansé dans des clips et des comédies musicales, elle pose ses valises à Rennes. « J’ai un enfant maintenant, et ça me convient mieux ce rythme-là. Tranquillement, au club, les soirs que je veux. », explique-t-elle. Elle aime le jeu de la séduction, de l’érotisme. Même si elle trouve qu’en France, la culture du « strip-club » n’est pas aussi développée qu’en Angleterre ou qu’aux Etats-Unis. « Certains clients jouent le jeu, d’autres non », évoque-t-elle, légèrement furtive.

La clientèle, Carly la décrit en souriant :

« Des hommes de 20 à 70 ans, qui viennent par curiosité ou parce que ce sont des habitués. Des hommes seuls ou mariés, qui s’emmerdent dans leur couple ou pas, qui n’ont pas trop de vie sociale. Il y a aussi les mecs qui viennent s’amuser… Il y a toute sorte de clients ! ».

Et du côté de l’Ile de Rhodes, même combat. On parle aussi bien de commerciaux, accompagnés de leurs clients pour signer des contrats, que d’hommes seuls ou de jeunes en bande.

Et concernant les dérapages, si les filles parlent parfois de « mains placées là où il faut pas », elles sont toutes sereines quant aux règles et aux limites à s’imposer et à imposer. « Perso, je suis très claire. Je suis assez froide de tempérament en plus. Je fais ma prestation, je prends mon chèque et je me casse. En club, pour les shows privés, le mec n’a pas intérêt à dépasser les limites, sinon il aura un show tout pourri et la nana rasera le mur… », signale Bambye, assurée d’avoir toujours l’ascendance sur le client.

Entre les murs de La Luna, on nous murmure en off qu’un des points intéressants à travailler dans ces lieux-là est très certainement de mieux se connaître, en tant que femme. « Ça apprend la manipulation, c’est fascinant », avoue une petite voix.

Graphisme : Clara Hébert

Graphisme : Clara Hébert

À 34 ans, Sébastien alias Yevan est stripteaseur - aussi appelé parfois chippendale - depuis cinq ans. L’un des deux seuls à pratiquer cette activité dans l’Ouest, il allie au quotidien effeuillage, travail et vie privée.

Comment êtes-vous arrivé au striptease ?

C’est vraiment un pur hasard. Je faisais déjà beaucoup de sport et entretenait mon corps. Un ami de Nantes qui faisait du strip s’est retrouvé en galère un soir et m’a demandé de l’aider pour un show James Bond en duo, alors que son partenaire avait eu un accident. Il s’agissait d’une prestation pour un comité d’entreprise, cela s’est bien passé, j’ai apprécié et je connaissais déjà le milieu, j’ai pu être engagé.

Quel est votre rapport au corps, au physique ?

Il ne faut pas être pudique, ça c’est certain. Cependant pour moi faire du striptease, c’était assez inopiné. Montrer mon corps n’était pas le problème, le plus compliqué c’est le show en lui-même ; les gestes, suivre la musique par exemple. Ce souci du physique est plus vis-à-vis des clients, notamment pour les shows privés, il faut être professionnel mais simple. À un anniversaire organisé par exemple, à la différence d’un enterrement de vie de jeune fille, le conjoint et/ou la famille seront présents. Il peut y avoir une certaine jalousie, il ne faut pas que ça déborde. Pour entretenir mon physique, je fais du sport toutes les semaines pour rester dessiné. Les gens ne cherchent pas à voir des bodybuilders mais plutôt des gens bien faits, quand c’est trop, cela peut presque effrayer.

En parlant de débordements, quelles limites fixez-vous dans vos shows ?

Contrairement à ce que l’on peut voir au Salon de l’érotisme par exemple, où on parle justement d’érotisme voire de X, dans les shows privés ou en discothèque, à aucun moment on ne voit mon sexe. Le drapeau est toujours devant moi et même lorsqu’une femme monte sur scène, tout est illusion, elle ne voit rien, ne touche rien.

Peut-on vivre du striptease ?

On peut en vivre oui mais c’est assez compliqué, il faut démarcher les bars, les professionnels. Ceux qui le peuvent ont monté leur société mais tout le monde ne peut pas le faire. Les budgets sont très serrés avec les frais kilométriques, les tenues, etc… Pour moi c’est un loisir et un plaisir, en dehors de cette activité je suis salarié d’une entreprise. Le striptease ce n’est que le week-end, tout au long de l’année mais plus particulièrement du printemps au mois de septembre où il y a beaucoup plus de demandes, notamment avec la saison des mariages. Vu que nous ne sommes que deux, moi près de Rennes et mon ami à Nantes, nous nous partageons le Grand Ouest. Pour ma part cela peut aller du Mans à Deauville en passant par le Finistère. C’est beaucoup de route.

Qu’en est-il de la rémunération d’un stripteaseur ?

Que ce soit pour des shows privés ou dans une discothèque, nous sommes payés à la prestation, entre 250 et 280 euros. En privé cela comprend une heure sur place dont quinze minutes de danse et striptease. En tant qu’auto-entrepreneur, j’ai le choix de mes prestations et limite de plus en plus celles en discothèque. Après, cela dépend beaucoup du réseau de chacun, il faut savoir être très réactif, surtout pour un homme, il y beaucoup plus de concurrence.

Quelle est la différence avec les shows en discothèque ?

En discothèque, la prestation est plus longue et on te paye un forfait peu importe ce que tu fais. On nous demande souvent de faire des shows de gogo danseur également, c’est-à-dire que l’on va danser en tenue, principalement pour vanter une marque, d’alcool par exemple, en partenariat avec la discothèque. Mais surtout, les horaires sont plus compliqués, ce qui n’est pas facile à concilier avec une vie privée. 

Même en tant qu’auto-entrepreneur, travaillez-vous avec des agences ?

Oui, mais la plupart des agences sont basées à Paris. Elles ont des contacts en région et vont nous appeler pour connaître nos disponibilités. Le problème avec les agences est que plus il y a d’intermédiaires, plus la commission de l’artiste sera réduite.

Comment conciliez-vous striptease et vie privée ?

J’ai la chance d’avoir une compagne très compréhensive et qui me fait énormément confiance. Mais le striptease me prend beaucoup de temps, j’ai maintenant 34 ans, je me laisse encore deux ans dans le milieu pour pouvoir profiter pleinement de mes fins de semaine avec elle.

Et qu’en est-il de l’image du striptease dans votre entourage ?

Dans mon entreprise, mes collègues ne sont pas au courant, notamment parce que je travaille au contact de clients. Ce qui est plus compliqué c’est de savoir gérer sa propre image auprès des personnes qui payent pour les shows privés en discutant avec eux, en restant souriant afin que les gens puissent sortir des a priori qu’ils pourraient avoir, comme l’homme à femmes par exemple. C’est toujours la différence entre les anniversaires et les enterrements de vie de jeune fille, pendant les anniversaires on peut se retrouver face à la grand-mère, voire des enfants. Les gens sont généralement assez curieux et me pose beaucoup de questions, je leur explique qu’un stripteaseur peut avoir une vie intime malgré son activité, si la personne avec qui il partage sa vie est prête à l’accepter.

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Célian Ramis

Famille : un concept en pleine mutation

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Rennes
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Les mutations des schémas familiaux fascinent, inquiètent, voire dérangent. Pourquoi ? Une certitude : les femmes sont au cœur de ces évolutions. Enquête.
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La famille, cette institution, a volé en éclats et ses fragments essaimés aux quatre coins de notre société moderne ont pris racine, donnant naissance à de multiples formes familiales. Bien qu’il reste majoritaire, le modèle nucléaire n’est plus la seule norme, car « faire famille » aujourd’hui c’est créer du lien, au-delà de celui du sang.

Certes, tout n’est pas rose, mais le champ des possibles est incroyable et ces changements, sûrement déstabilisants, ne sont pas si récents. Émancipation de la femme et parité, autorité parentale partagée, assouplissement des procédures de divorce, promotion de l’individu et valorisation de l’enfant, droit absolu à l’enfant et progrès médicaux, pacs et mariage pour tous, matronyme, emploi et chômage… On doit donc à présent parler de familles, au pluriel.

Elles passionnent tout le monde, psychanalystes, sociologues, législateurs, réacs et progressistes… Si les intellectuels s’accordent sur la libération de la femme comme cause essentielle des évolutions familiales, leurs avis diffèrent quant aux autres raisons. L’ensemble de leurs analyses constitue une vue d’ensemble fascinante et réaliste.

À 40 ans à peine, Marie a créé, libre ou contrainte, plusieurs familles. Mariée, elle a dû renoncer à sa brillante carrière à la naissance de ses deux premiers fils. Le père les a quittés et Marie est devenue mère célibataire à la tête d’une famille monoparentale de quatre enfants. Aujourd’hui, elle a un nouveau fiancé, Pierre, lui-même père d'un garçon et d'une fille :

« On expérimente constamment. Quand je me suis retrouvée seule avec les enfants, ça a été très dur même si cela génère une solidarité inouïe autour de soi. J’ai même pensé me mettre en colocation avec une amie et son fils ».

Avec les enfants de Marie, Pierre « en fait parfois plus que leur père » et la jeune femme croit que l’altérité – la reconnaissance de l’autre dans sa différence - permet de trouver le bon équilibre, « qu’un tiers soit là de temps en temps, pour former un triangle. Ce n’est pas une question de sexe, mais de rôle : un autre adulte à côté de soi, différent avec son identité propre qui permet un équilibre, en l’occurrence familial, une complémentarité », explique-t-elle.

Benoît, lui, malgré la séparation d’avec sa seconde femme, continue de voir régulièrement le fils de celle-ci. « Il avait 2 ans quand j’ai rencontré sa mère et il a été mon beau fils pendant 10 ans, nous avons créé des liens forts », raconte-t-il. Marie et Benoît sont typiques de l’évolution des liens parentaux.

DES ARBRES GÉNÉALOGIQUES AUX MULTIPLES RAMIFICATIONS

Au sein même de la famille nucléaire les lignes bougent, puisque plus de 60 % des enfants naissent hors mariage (à Rennes, 64 % des enfants nés en 2014 sont issus de parents non mariés) autre institution en déclin. On compte 8 millions de famille en France et l’idée élargie du foyer permet de définir plusieurs archétypes : nucléaire ; monoparentale (1 famille sur 5 en France soit 20 %, dont 14 % ont un père à leur tête. 2,4 millions d’enfants sont élevés par 1 seul parent) ; décomposées en garde alternée ; recomposées (1 famille sur 10) ; homoparentale (A Rennes, de juin 2013 à novembre 2014, 64 mariages de couples de même sexe ont été célébrés) ; célibataire ayant adopté ; couple ayant adopté ; couple sans désir d’enfant.

Il y a également les Tanguy et les Boomerang, ou encore les non couples cohabitants identifiés par le sociologue rennais Claude Martin, et ses homologues américains Andrew Cherlin et Caitlin Cross-Barnet dans leur article « Living together apart : Vivre ensemble séparés ». Ils ne s’aiment plus mais sont financièrement dans l’impossibilité d’une séparation résidentielle. Enfin, les progrès de la procréation médicalement assistée (PMA) donne de plus en plus naissance à des fratries de jumeaux et triplés, en 40 ans leur nombre a doublé.

UN PEU D’HISTOIRE

De la fin du 18ème siècle et jusqu’à la Première guerre mondiale, le père a toute autorité, il gère le patrimoine qu’il lègue à son fils, auquel il a donné son nom. En 1914, la famille va se fonder sur l’amour conjugal. À partir de cette époque l’éducation des enfants devient la priorité, elle est basée sur la morale et a pour but la réussite sociale. Enfin, en 1965, prélude à mai 68, on établit l’égalité juridique entre le père et la mère, offrant un rôle inédit à chacun dans l’éducation des enfants. Celle-ci place alors l’épanouissement au centre.

En 1968, l’appétit d’égalité entre les sexes va permettre l’amélioration de la condition féminine : émancipation, indépendance, accès au travail, contrôle des naissances, puis la loi de réforme du divorce en 1975 qui permet la procédure amiable… Les changements se précipitent.

L’ANTHROPOLOGIE, POSTULAT DE BASE

Dans Les métamorphoses de la parenté, Maurice Godelier, l’un des plus grands anthropologues contemporains, met en avant trois mouvements précurseurs des mutations de la famille : l’émancipation de l’individu et l’apparition du libre choix du partenaire, l’égalité entre les sexes et la fin de la « toute puissance paternelle », et la valorisation de l’enfant. Une évolution irréversible de la société. Il ajoute que, contrairement à ce qu’on a longtemps cru, la famille n’est pas le fondement de la société.

Elle joue certes un rôle capital dans le développement de l’identité et de la personnalité des individus, et devient en ces temps où sévissent altération des liens sociaux, chômage et précarité, une zone de repli, mais ce sont les rapports politiques et religieux, et les rapports sociaux, qui font la structure d’une société. Il en va de même pour la filiation, qui n’est pas limitée au couple, et la reproduction qui n’est pas la parenté. Car le mariage n’est plus la condition sine qua non à la création d’une famille, le divorce et les familles recomposées développent la parenté non biologique, ou parenté sociale. Le rôle du beau-parent.

L’autorité n’est plus uniquement incarnée par le père biologique, et la mère n’est plus uniquement la référence protectrice. Ainsi, avec la valorisation de l’enfance, les progrès médicaux d’aide à la procréation, mais aussi le fait que l’homosexualité n’est plus considéré comme anormale, il est normal que les homosexuels désirent vivre leur sexualité librement et avoir des enfants. L’anthropologue aspire aussi à ce que l’on admette le recours aux mères porteuses, pour peu que l’encadrement juridique soit strict et réfléchi. Il s’agirait de reconnaître et d’encadrer une pratique existante.

Voilà longtemps déjà que les Françaises vont faire leurs enfants en Belgique et aux Etats-Unis. Pour appuyer ses propos, Maurice Godelier rappelle que ce sont dans les familles hétérosexuelles, dites traditionnelles, que l’on rencontre le plus d’enfants abandonnés, de femmes battues…

LE TRAVAIL ET L’EMPLOI AU CŒUR DU CHANGEMENT

Selon le sociologue Claude Martin - directeur de recherches au CNRS, spécialiste des politiques de l’enfance, de la famille et de la vieillesse, et de l’Etat social, auteur d’Etre un bon parent. Une injonction contemporaine, paru le 18 décembre aux Presses de l’EHESP (École des hautes études en santé publique) - penser qu’au sein de la famille on puisse trouver ce qui fait qu’elle bouge est faux, « elle est le miroir du monde dans lequel elle vit ».

Il considère que « dans le rapport entre famille et transformations de la société, le principal générateur de changements est l’évolution du travail et de ses conditions horaires, et de l’emploi ». Il insiste sur l’accès des femmes au salariat, puis sur la modification des heures de travail. Devenues atypiques, elles bouleversent la famille, dont les choix sont fonction des contraintes que cela génère, d’où découle également un affaissement du temps conjugal.

La famille est pilotée par des pressions, elle est le résultat des conditions qui l’environnent.

« Il faut observer les tableaux de bord familiaux sur les frigos, des planning faits avec dextérité, qui réclament des compromis conjugaux et génèrent des frictions ».
Claude Martin, sociologue.

Il convient selon lui de prendre également en compte deux variables, la trajectoire et la succession de générations.

LA FAMILLE N’EST PAS INVARIABLE

On remarque alors que les femmes ne veulent pas reproduire ce que leurs mères ont vécu. Entre 1900 et 1940, contrairement à ce que l’on croit, les femmes étaient malthusiennes (restriction démographique). À partir de 1945, il y a le fameux baby boom et son taux de fécondité aussi massif qu’inattendu. On note ensuite un taux de fécondité en chute au moment où les enfants du baby boom étaient en âge de procréer. Puis, de nouveau, la fécondité des françaises a augmenté.

Les femmes font à chaque génération l’inverse de leurs mères. On ne peut donc pas penser la famille comme invariable. Claude Martin ajoute une troisième variable, les idéologies et notamment celles qu’on entend actuellement, rétrogrades. « Le mariage pour tous est une loi conquise de haute lutte. Symboliquement c’est bien, c’est vertueux, mais statistiquement c’est epsilon. Nous avons affaire à une fiction de la part des conservateurs, ils évoquent une menace pour la civilisation en parlant d’une chose qui concerne très peu de gens. En revanche cela cache les vrais problèmes actuels de la famille, comme les conditions de vie et notamment celles des 18-25 ans. Ce mouvement réactionnaire confisque ainsi le débat sur les questions familiales », affirme-t-il.

Quant à PMA, on doit selon lui en avoir une approche juridique, éthique et philosophique, en faire une question de société, car ce sujet important ne concerne pas que les homosexuels. Enfin, l’expert souligne que la question de la famille doit se poser en fonction des âges de l’enfant, et tout au long de sa vie :

« La dépendance des personnes âgées est une question familiale ! Une vision des âges de la vie, intergénérationnelle, s’impose. Particulièrement avec le gain d’espérance de vie ».

L’ENFANT AU CENTRE DE LA PHOTO DE FAMILLE

L’idée de trajectoire de vie et de cerner la famille par rapport à chaque membre, et notamment l’enfant, Emilie Potin - maître de conférence, docteure en sociologie spécialiste de la protection de l’enfance et des liens construits au sein du placement, à Rennes – la défend aussi. L’enfant fait famille et toute cette famille bouge autour de lui. Avant il fallait se marier, aujourd’hui il faut avoir un enfant.

« La particularité dans le « faire famille » ce sont tous les possibles qui s’offrent à nous, la palette de modèles que l’on a, des outils dans nos trajectoires individuelles, c’est une liberté. Le seul lien que l’on ne peut pas défaire est la filiation, pourtant, le rôle de parents n’est pas inné, ce sont des rôles sociaux. C’est toute la question de l’égalité des sexes et du droit à l’enfant qui se concentre là ».
Emilie Potin, spécialiste de la protection de l'enfance.

Ainsi, on se leurre sur bien des modèles familiaux, comme la famille monoparentale, « Il faut arrêter avec les clichés qui voudraient, par exemple, qu’une famille monoparentale soit forcément en difficulté », argue-t-elle. Car il y a bien plusieurs parentés, biologique, d’accueil, spirituelle… et l’on doit alléger le poids des responsabilités que l’on fait porter aux parents, « il n’y a pas qu’eux ! D’autant plus qu’aujourd’hui où nous avons des espaces où l’on peut déléguer nos tâches parentales », note-t-elle.

Un enfant qui fait famille donc et qui peut être mobile, appartenir à plusieurs lignages et foyers, plus rien n’est figé. Les liens se construisent et se déconstruisent continuellement. Dans cette diversité des références il n’y a pas de bon modèle. C’est juste une question d’appropriation différente des archétypes.

« Avec ce très large éventail, il y a forcément intolérances. Mais la question principale ici est celle du droit à l’enfant. Les droits sociaux de la femme (travail, protection sociale, divorce, contraception, formation…) d’une part, et la place de l’enfant d’autre part. J’entends par là le fait qu’aujourd’hui on a le droit à la maîtrise du moment où l’on va avoir un enfant, voilà un débat intéressant »,
lance Emilie Potin.

L’ENFANT N’EST PLUS UNE ÉVIDENCE MAIS UN CHOIX

Et quand on fait le choix de ne pas avoir d’enfant, on bouscule toute la société. C’est ce qu’a observé Charlotte Debest - docteure en sociologie, auteure de « Le choix d’une vie sans enfant » aux PUR (Presses Universitaires Rennaises). « Il y a une grande tension entre deux valeurs fortes de la société contemporaine : les libertés individuelles et la famille. Chez la femme, la tension est prépondérante dans l’articulation des sphères familiale, professionnelle et personnelle. Elle choisit d’en prioriser une au détriment des autres », note la sociologue.

Selon elle, l’enfant est au cœur des différences entre femmes et hommes, dans nos représentations, puisqu’avec la contraception on déresponsabilise les hommes, et que lorsque l’on parle fécondité, on pense uniquement à la femme, comme si les hommes n’étaient pas féconds et donc mis hors jeu de la parentalité dès le début. De ce fait, tous les fantasmes par rapport à l’enfant se cristallisent autour de la femme.

« La femme est plus investie par la grossesse, elle assure 80 % des tâches domestiques, elle met sa carrière entre parenthèse, voire l’abandonne, car, elle est fatalement associée à l’instinct maternel. Pas les hommes. Alors, celle qui ne veut pas d’enfant perturbe l’ordre social, l’ordre des genres »,
raisonne la chercheuse.

La norme actuelle, très forte dans nos sociétés, est celle d’être parent, de faire famille en ayant un enfant. Cette famille est forcément associée au bien être, or c’est aussi le lieu où il y a des violences : « On n’imagine jamais que la famille est une zone de malheur, dans l’inconscient collectif c’est toujours le refuge, le bonheur ». Voilà pourquoi 95 % des gens annoncent vouloir des enfants. Et les 5 % restant ne sont jamais interrogés, notamment sur leurs motivations. « On ne leur donne certes pas la parole, mais on ne les nomme pas non plus. Aux Etats-Unis, on les appelle les « Child Free » », poursuit-elle.

Elles sont en France 4,2 %, et 60 % d’entre elles sont en couple et ont plus de 30 ans. Charlotte Debest a constaté qu’on ne prend jamais au sérieux ce qu’elles disent parce qu’il n’est pas possible de ne pas vouloir d’enfant. D’autant plus que la nouveauté de notre époque est la sacralisation de l’enfant, le droit absolu et le choix d’en avoir, oblige à les aime, d’où l’émergence d’une responsabilité parentale très prégnante, surtout pour la mère.

« Ce sont donc souvent les femmes qui sont un plus dures avec les « sans enfant », car cela les renvoie à leur propre choix et les pousse à réfléchir sur le fait que l’enfant n’est pas une évidence, mais un choix »,
continue Charlotte Debest.

Si parmi les premières raisons dans le désir de ne pas avoir d’enfant, il y a un triptyque liberté (être parent ce sont des contraintes qui briment la liberté en terme d’horaires notamment) - responsabilité (il est donc très compliqué de prendre la responsabilité de brimer sa liberté en prenant la responsabilité d’avoir un enfant, il s’agit là d’une responsabilité existentielle) - motivation (en terme de question sur le pourquoi on fait des enfants ? N’est-ce pas très narcissique ?), ces femmes « sans » ont une très haute idée du « être parent », une très haute estime de ce rôle.

Elles sont très altruistes, et pensent beaucoup à l’enfant à ne pas naître. « Pour être parent, il faut quitter un instant la rationalité pure, comme l’explique le démographe Henri Leridon dans son livre « Les enfants du désir » », conclut la sociologue.

LA FAMILLE PSYCHANALYSÉE

Que les puristes ne se méprennent pas et que les anti ne se scandalisent pas, il s’agit juste ici de tenter de décrypter ce que la psychanalyse nous apprend de la famille. Pour ce faire, Laurent Ottavi, professeur de Psychopathologie, directeur du Laboratoire Universitaire de Recherche et co-responsable du colloque « La Névrose et la famille moderne » - organisé le 20 novembre dernier, à l’hôpital Pontchaillou - nous a ouvert les portes de son cabinet.

« Dans l’émergence de ces nouveaux modèles familiaux, la psychanalyse a une responsabilité particulière. La grande surprise de Freud a été de découvrir qu’il y avait un rapport entre les névroses et les conditions de vie familiale. Les parents ne sont pas dans une position équivalente. C’est ce qui l’a mené à la découverte de l’Œdipe. Le vertige de Freud a été de croire que l’Œdipe était universel, dans les rapports tissés de désir, d’amour et de haine entre parents et enfants. Jacques Lacan, le seul à avoir pris Freud très au sérieux, a constaté qu’Œdipe n’était pas la panacée et que le modèle nucléaire n’était ni unique ni une vérité scientifique, les formes sociales évoluent. Tout dément l’épanouissement par le modèle papa-maman, et on ne peut pas entériner cela avec l’Œdipe, il faut aller au-delà », introduit le psychanalyste.

Selon Lacan, l’enfant doit se confronter à la fonction paternelle, qui est symbolique et va au-delà des seuls et simples liens du sang. Procréer n’est pas créer un lien de filiation, encore moins participer à « l’élevage » des enfants. Cette fonction peut être occupée par quelque d’autre. C’est d’autant plus vrai aujourd’hui que la science permet d’imaginer toutes sortes de configurations familiales. Dans la relation mère-enfant, pour que l’enfant se dégage, il faut une coupure, des interdits, des limites.

Quand l’enfant constate que la mère peut désirer, ailleurs, autre chose que lui, il prend conscience qu’il ne peut pas la combler, et il se détache. Et ce, qu’il y ait père ou non, car l’interdit peut venir du discours et de l’attitude de la mère. En s’appuyant sur l’Œdipe, Lacan va donc plus loin, en déclarant que dans la relation mère-enfant il faut l’intervention d’un tiers, qui n’est pas forcément le père physique.

LE PLAISIR INDIVIDUEL

Laurent Ottavi évoque que, depuis 1900, il y a eu modification des modalités de bien-être, de plaisir individuel, qui se sont précipitées dans les années 1960 et notamment avec mai 68. « Dans le discours psychanalytique, depuis les années 1960-1980, il y a cette revendication au bonheur individuel, puis à la nécessaire reconnaissance par l’autre », précise-t-il. L’idée repose sur le fait qu’auparavant on vivait bien avec sa différence, on l’admettait, on se moquait et on défiait le regard de l’autre. On a aujourd’hui besoin de lui.

Vivre son bonheur et le vivre bien ne suffit plus, il faut que cela soit reconnu et admit par la société, on est en recherche de cette reconnaissance sociale pour assumer son statut. C’est notamment vrai pour les homosexuels, les mères célibataires, les gens qui adoptent seuls… La souffrance de se sentir différent ou d’être montrer tel quel n’est plus supportable.

« La légitimation du bien être personnel est un produit de la psychanalyse », ponctue Laurent Ottavi. Quant à savoir ce que la psychanalyse entrevoit sur ce que ces nouveaux types de vie familiale génère de bonheur et de malheur, Laurant Ottavi est très serein :

« On manque encore de recul pour le savoir. Il est certain, que comme avec le modèle traditionnel, de nouvelles souffrances, des cas cliniques, émergeront. Ces modèles seront sans doute étouffants, comme l’a été le modèle traditionnel. Les nouvelles formes familiales ne font que révéler que les anciennes formes étaient arbitraires ».

LA FAMILLE ET LA LOI

« C’est la société qui a fait que le législateur légifère. Le droit n’est pas le générateur des changements de la famille et de la société », nous dit Claude Martin. Le législateur serait donc une sorte de chef d’orchestre. « Tout ce que le législatif permet pour se sentir bien, va dans le bon sens, mais sans cesse, et notamment à chaque fois que l’on défriche de nouveaux modes d’existence, nous assistons au surgissement d’oppressions. Il faut être vigilant. Pour les réacs, l’idée de bonheur individuel est immorale. Ils ont en commun avec les progressistes, l’idée que leur modèle est le meilleur, le seul valable », note Laurent Ottavi.

Pour Claude Martin, le trait culturel de La France est d’être un pays pessimiste et râleur. Cela engendre la peur du lendemain, or

« le discours de restauration d’un modèle traditionnel s’appuie là-dessus. Cette vision binaire du bien et du mal repose sur la peur. Les idéologies réactionnaires jouent là dessus et cela fonctionne avec l’amnésie générale ».

OUVRIR LE DÉBAT

Ces nouveaux modèles familiaux ont ceci de formidable, ils ouvrent un débat pluridisciplinaires, souvent houleux, et en leur sein même. Les choix éthiques et philosophiques corrélatifs sont précieux, ils doivent être discutés et encadrés. Et il convient de rester attentif pour qu’aucun retour en arrière ne soit commis ni même possible. Car, la famille restera ce lieu très intime dans lequel la société intervient sans cesse.

N’en déplaise à la minorité d’intolérants sectaires qui s’en offusque, la famille paternelle du Code Civil Napoléonien de 1804 n’est plus, vive les familles du XXIème siècle ! Sans doute sont-ils perturbés par le constat que le Pater Familias, en déclin depuis la Révolution Française, n’est pas un idéal ni achevé, ni relatif. Voilà 50 ans que les modèles familiaux ont commencé à muter sans mettre en péril notre civilisation.

En couple depuis plus de 10 ans, pacsées depuis 2004-2005, Mathilde et Caroline sont les premières femmes homosexuelles à s’être unies à la mairie de Rennes en juillet 2013. Aujourd’hui, elles sont mères de 4 enfants, conçus grâce à la PMA en Belgique. Témoignage.

Pourquoi avoir opté pour la PMA, et non la GPA par exemple, à l’étranger ?

Nous habitions en Champagne Ardenne et nous nous sentions proches de la Belgique. Pour la méthode, nous n’avions pas envie d’un tiers pour la grossesse. C’est notre famille que l’on voulait concevoir. Nous faisons appel à un donneur anonyme.

Comment ça s’est passé au niveau des démarches ?

Nous avons absolument tenu à passer par l’hôpital public. Nous avons été sur liste d’attente pendant 2 ans, c’est une procédure spécifique pour les femmes en couple. Il y a un accompagnement psy obligatoire, tout à fait pertinent d’ailleurs. Les professionnels doivent donner leur avis sur la recevabilité de notre demande. La Belgique pratique cela depuis 20 ans, l’accueil est très bon. Et il fallait trouver un suivi médical en France. On a cherché des noms de gynéco pratiquant cela pour les couples homosexuels. Il y en avait seulement 2, et les 2 avaient des dépassements d’honoraires ! Mais nous avions besoin d’un intermédiaire, c’était une relation gagnant-gagnant.

Vous avez alterné les grossesses entre vous ?

Non, c’est Caroline qui a fait toutes les grossesses. Elle en avait très envie. La finalité, c’est le bébé.

Comment a réagi votre entourage ?

Pour l’ainée, on ne l’a pas dit au début. D’une part, c’était notre projet. Et d’autre part, on ne savait pas si ça allait marcher. Une fois que le bébé est en route, c’est plus facile de l’annoncer. Pendant les démarches, déjà éprouvantes, on n’avait pas envie de rendre des comptes. Quand le bébé est né, évidemment on l’a crié à tout le monde ! (Rires)

Avoir recours à la PMA à l’étranger a-t-il une incidence sur la nationalité des enfants ?

Non, ce n’est pas comme la GPA, ça n’a pas d’incidence. La grossesse a eu lieu en France, avec un suivi gynéco normal et naturel.

Il faut quand même adopter l’enfant pour celle qui ne l’a pas porté…

Oui. Au niveau de l’état civil, l’enfant n’a qu’un seul parent. C’est Mathilde qui est allée faire toutes les déclarations de naissance. J’ai fait une tutelle testamentaire pour dire qu’elle était responsable également. Et nous avons demandé, et obtenu, auprès du tribunal de grande instance, l’autorité parentale. Elle pouvait donc tout faire avec eux, sauf les emmener à l’étranger sans mon accord.

Les démarches d’adoption sont-elles longues ?

Non, cela va très vite. Nous n’avons pas eu d’enquête sociale ou policière. Il s’agissait simplement d’un dossier administratif avec des photos, des attestations… On a plus dû se justifier lors de la demande d’autorité parentale…

Comment avez-vous vécu la protestation de la Manif pour tous ?

Très très mal ! Cela reste comme une cicatrice. Je pensais que le Pacs avait amoindri les choses mais le mouvement s’est déchainé. Ça ne fait pas de différence dans notre quotidien mais ils ont réussi à trouver de la visibilité et une écoute forte. Nous attendions de la gauche plus de droits, d’égalité. C’est comme si le gouvernement n’était pas à l’aise et nous considérait comme des sous-citoyens.

Le fait que le gouvernement n’ouvre pas la PMA en France pour les familles homoparentales n’a pas dû aider…

On n’imaginait pas que ça passerait comme une lettre à La Poste mais pas à ce point-là ! Ça a été une claque ! Ils ont autorisé la Manif pour tous a débordé.

Vos enfants ont-ils souffert de certaines critiques ?

Nous n’avons jamais eu de retours négatifs pour la plus grande, elle a 6 ans. Les jumeaux – fille/garçon – ont 3 ans et le dernier a 4 mois. La grande, nous l’avons déjà sentie gênée qu’on se présente comme ses 2 mamans. Mais à la maternelle, on les suit beaucoup pour expliquer car mieux vaut que tout soit clair dès le début. Des fois, les petits posent des questions mais ils n’ont pas encore de schéma pré-conçu alors il n’y a aucun problème. Notre fille est contente de sa famille. Après, elle a ses problèmes de petite fille, comme tout le monde.

Est-ce que vous avez eu accès toutes les 2 à un congé post-accouchement ?

J’ai eu le congé maternité et Mathilde a eu le congé de paternité ! Oui, c’est écrit comme ça. C’est au bon vouloir de l’employeur mais il a toujours accepté. Ce n’est pas le cas de tous les couples. Pour le premier congé, elle ne l’avait pas demandé, elle avait posé pas mal de congés.

Individuellement, vous vouliez avoir des enfants depuis longtemps ?

Mathilde voulait absolument avoir des enfants. Au moins 3 ! Moi, fondamentalement, je voulais en avoir. Mais je me demandais si c’était préjudiciable ou non pour l’enfant. Après ça, je n’ai pas eu d’hésitations.

Les associations, comme Arc-en-ciel, vous ont-elles aidé dans votre réflexion et vos démarches ?

Oui, un peu. Sur les parcours et les retours d’expérience. On va à quelques rencontres, 1 ou 2 fois par an. C’est sympa, surtout pour les enfants. C’est important qu’ils voient qu’il existe plusieurs schémas familiaux. Différents du leur et similaires aussi. C’est aussi pour ça qu’on explique clairement notre schéma à l’école ou en dehors. Et ça se passe plutôt bien. Même si c’est parfois fatiguant et que l’on aimerait ne pas se justifier en quelque sorte. Maintenant, c’est un peu différent, on est très investies dans la vie de l’école et ils nous connaissent bien.

Quelle est votre conception de la famille ?

Pour nous, elle n’est pas basée sur le biologique. Ce qui est important, c’est l’affectif, la responsabilité des parents, l’éducation que l’on donne à ses enfants, les valeurs qu’on leur transmet. En tout cas, il n’y a pas que le sang qui compte. Et l’argument de la nature, ça me hérisse les poils !

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Le jeu des 7 familles, et plus si affinités...
Familles, je vous aime
Priorité mères isolées
Mariées, 4 enfants

Célian Ramis

Agriculture : Les femmes en milieu rural

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Ille-et-Vilaine
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Les mentalités ont-elles évolué dans le secteur de l'agriculture ? Quelle place pour les jeunes agricultrices en Ille-et-Vilaine ? Reportage.
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Bretagne, terre d’agriculteurs, devient aujourd’hui de plus en plus terre d’agricultrices. Si les chiffres restent faibles avec 27% de femmes cheffes d’exploitations (30% en Ille-et-Vilaine), il n’en demeure pas moins que ces dernières investissent pleinement les filières de l’agriculture. Et en Ille-et-Vilaine, elles ne font pas exception.

Le département, largement fourni en productions agricoles, comptabilise 33% de femmes actives sur les exploitations (au niveau régional, elles représentent 31%). Aujourd’hui, le secteur souffre pourtant d’un léger recul en terme d’installation ou de reprise d’établissements agricoles. Les jeunes agricultrices (- de 35 ans) témoignent dans ce Focus d’une véritable évolution des mentalités face à leur métier et leur condition.

Qu’elles perpétuent la tradition familiale ou non, elles prouvent toutes que seule la passion compte. Au delà de tous stéréotypes de genre, elles nous reçoivent dans leur environnement pour nous présenter leur quotidien et leur réalité.

6h, à 40 km au nord de Rennes, la nuit noire borde les champs de la campagne brétillienne. À côté de Rimou, petite commune de quelques centaines d’habitants, le lieu dit La Gérardais abrite l’exploitation de 110 hectares sur laquelle vit et travaille Elodie Texier, co-gérante du GAEC (Groupement Agricole d’Exploitation en Commun) qu’elle dirige avec son conjoint. Ensemble, ils procèdent à la traite des 90 vaches qu’ils possèdent.

Si la froideur de l’aube saisit les os et la peau, l’odeur du lait tout juste sorti des mamelles nous enrobe d’une délicieuse chaleur, rappelant l’enfance. Dix par dix, les Prim’Holstein stationnent à la file indienne dans une petite salle destinée à cet effet. Jusqu’à 7h, la jeune agricultrice de 26 ans, toujours suivie de sa chienne Blanca, s’attèle au nettoyage des trayons (les pis), à la pose des machines et à l’entretien régulier de la pièce après que les bêtes en aient foulé le sol.

Avant d’aller réveiller son petit garçon, âgé de 3 ans, et de le préparer pour l’école, elle se dirige avec une brouette vers le hangar des veaux et génisses à qui elle apporte des seaux de lait : « Ce qui me plait, c’est l’élevage, le contact avec les animaux et la gestion de l’entreprise. Sans oublier le contact avec la terre, et avec l’extérieur. C’est vraiment un mode de vie. »

Un mode de vie qu’elle a toujours connu puisque 6 ou 7 générations d’agriculteurs se sont transmis le flambeau avant elle :

« Chez nous, c’est un peu de mère en fille. Sauf que là, ce n’est pas ma mère qui m’a donné le goût de ce métier. Elle aurait plutôt été pour que je fasse autre chose… »

Après la 3e, elle se dirige vers un BEP puis effectue un Bac Pro, spécialisation en lait.

De retour auprès du troupeau aux alentours de 7h45, elle finit la traite et procède au nettoyage complet de la salle, avant de fermer le portail de l’étable dans laquelle les bêtes ont retrouvé leur paillage. « On va les amener dans le champ, où elles passent la journée avant la seconde traite, vers 16h30. Et jusque là, on effectue les travaux des champs, l’entretien des machines, les « bouennes » (bricoles) quoi ! », rigole-t-elle.

Ce mardi matin de novembre, la jeune femme doit se rendre à Rennes, pour une réunion entre membres du syndicat des Jeunes Agriculteurs 35 (- de 35 ans). Elle y est active depuis début 2014, en tant que 2e vice- présidente, et depuis 3 ans en tant que secrétaire du bureau au niveau local.

« Il s’agit de défendre notre passion, notre métier, nos idées, notre revenu. On est soumis au prix du lait… Avec tout cela, nous défendons aussi nos maisons, nos familles et nos modes de vie »,
explique-t-elle.

La promotion de son secteur d’activité l’anime particulièrement. Avec les départs en retraite de la génération du baby boom, un actif agricole sur trois ne serait plus remplacé à l’heure actuelle.

UN SECTEUR DYNAMIQUE ET OUVERT

Elle souhaite alors véhiculer une image positive et rafraichissante de ce métier, presque aussi vieux que le monde. « Notre image évolue, je trouve, précise Elodie. Je n’ai jamais eu de commentaires négatifs sur mon statut ou ma condition de femme agricultrice. C’est aussi pour ça que l’on a décidé entre filles de réaliser un calendrier avec les JA 35 ».

Si elles sont peu nombreuses au sein du syndicat, elles ont, au fil de leurs réseaux, embarqués 24 volontaires pour poser et figurer sur les pages du calendrier, dont une partie des revenus est reversée à la Ligue contre le cancer :

« Notre volonté était de montrer que nous sommes dans un secteur dynamique et ouvert. Aussi pour dire que les femmes dans l’agriculture sont aussi belles et entreprenantes que tout le monde. Et nous avons choisi la Ligue car nous sommes toutes concernées par le cancer du sein, en tant que femmes.»

Satisfaite du résultat, elle se moque des quelques commentaires sarcastiques circulant sur les réseaux sociaux insinuant que les femmes photographiées sont de « fausses agricultrices… C’est d’un niveau... ! »

Dans les pages du calendrier figure Mélodie Horvais, posant auprès de sa vache de concours. « Je suis passionnée par les vaches laitières et je suis dans une association, FAN, pour les passionnés de vaches normandes », explique-t-elle, en nous guidant à l’intérieur de la porcherie Crespel, située à Montauban de Bretagne, une des productions porcines les plus importantes du territoire, comptabilisant près de 900 porcs. Si la jeune femme vacille pour les bêtes aux robes blanches tachetées de marron, elle souhaitait apprendre les rudiments du métier auprès des éleveurs porcins.

« Mes parents ont une exploitation de vaches laitières à Combourg, mes grands-parents étaient aussi agriculteurs, je connais donc bien le milieu »,
précise la jeune femme.

À 24 ans, elle projette, plus tard, d’ouvrir sa propre exploitation, « avec des cochons et des vaches. Ça se fait bien aussi d’avoir les deux ». Après avoir obtenu son Bac Conduite et gestion d’exploitation agricole, et effectué plusieurs stages, elle passe rapidement par la case chômage avant de trouver cet emploi chez Crespel. Embauchée depuis 3 ans en tant que salariée agricole, Mélodie est séduite par le travail qu’elle effectue au rythme de 42h par semaine et d’un week-end sur 4.

UN MILIEU ÉGALITAIRE ?...

« Il me reste une insémination à faire avant d’aller voir les petits qui sont nés aujourd’hui », dit-elle en chaussant ses bottes. À l’intérieur, l’odeur est très forte, saisissante même, la chaleur étouffante. Quelques secondes suffisent à injecter la semence des mâles dans l’appareil génital de la cochette. La maternité se trouve dans le même couloir, à quelques mètres. Les cris sont moins stridents.

Dans des petits enclos, les truies sont allongées, leurs petits se pressant pour venir téter. Une portée est isolée au fond de la pièce. Mélodie saisit les porcelets d’une main, et coupe le cordon de l’autre. « J’aime ce boulot. Pour tout ce qui concerne l’animal, les mises bas, les soins, tout ! Il y a une relation qui se crée avec l’animal et j’aime m’en occuper. Sans oublier l’ambiance qui est très bonne ici. Je suis la seule femme et ça se passe très bien », exprime-t-elle, animée par la passion. Aucune difficulté pour elle à s’intégrer dans une équipe masculine.

Baignée dans le monde agricole depuis sa naissance – ses frères et sœurs se forment également à la profession – et habituée à se retrouver entourée par la gente masculine à l’école (« 3 ou 4 filles sur une promo de 40… »), elle ne ressent pas de différence entre les sexes. Exécutant tous les mêmes tâches et répondant aux mêmes exigences imposées par les travaux parfois physiques du métier, Mélodie Horvais n’a pas à rougir de son statut.

« Les femmes agricultrices n’ont plus du tout le même rapport avec les hommes aujourd’hui. Ça a beaucoup changé depuis 20 ans, ça évolue très très vite »,
commente Anne Philippe, directrice depuis un an de La Lande de la Rencontre (établissement composé d’un Centre de Formation pour Apprentis, d’un lycée agricole et d’une exploitation agricole) à Saint-Aubin du Cormier.

À 57 ans, elle se rappelle de sa formation viticole à Montpellier : 10% de filles pour 90% de garçons. « Elles sont maintenant 60%. Et à mon époque, nous n’étions pas les premières à ouvrir les portes, il y en avait eu d’autres à le faire avant nous », souligne-t-elle. Pourtant, elle se souvient des moqueries, des remarques désobligeantes :

« On était là pour trouver des maris, selon certains. Rien d’autre. Ou on nous disait qu’on ne serait jamais embauchées. »

Si aujourd’hui encore il lui arrive d’être surprise par certains dires (« en réunion l’autre jour, j’ai entendu dire que dans le secteur de l’élevage de porcs, les femmes étaient très recherchées. Je crains d’avoir compris que c’était pour le côté maternage. Ça m’a fait peur… »), elle a néanmoins le sentiment que l’égalité est quasiment acquise. Les filles investissent les diverses filières de l’agriculture, hormis l’agroéquipement qui reste encore essentiellement masculin.

Pourtant, dans les formations du lycée agricole, la gente féminine ne représente qu’un quart des effectifs en moyenne. La directrice souhaite tout de même mettre en avant la féminisation des métiers et afficher qu’il y a des filles, « et elles réussissent de la même manière ».

Julie Collin illustre parfaitement le sentiment décrit par cette viticultrice reconvertie. À 27 ans, la jeune femme est gérante depuis janvier 2012 du GAEC de Guimbert, avec 2 associés, installés sur cette exploitation de Bains-sur-Oust depuis de nombreuses années. « J’ai un profil un peu atypique car je ne suis pas du tout issue du secteur de l’agriculture », lance-t-elle lorsque nous la rencontrons.

Son père était couvreur, sa mère, femme au foyer. Elle grandit dans une commune normande, dans les environs de Caen, entourée d’exploitations agricoles. La jeune fille est séduite et se passionne pour les vaches laitières. Sans hésitation aucune, elle intègre le lycée agricole et enchaine sur un BTS en production animale. À sa sortie de formation, elle est embauchée au Contrôle Laitier d’Ille-et-Vilaine, une structure spécialisée dans le conseil. Ainsi, pendant 4 ans, elle va de ferme en ferme à la rencontre des agriculteurs-trices afin de réfléchir ensemble à l’amélioration des productions.

« J’ai fait ça jusqu’à ma première grossesse. J’adorais mon métier mais je savais que c’était incompatible avec ma vie de mère »,
explique-t-elle.

Elle se rappelle : « Cette année-là, j’ai eu 3 propositions de travail. Mais je voulais vraiment faire un essai ici. Voir si nos 3 profils allaient s’accorder. Et en effet, il n’y a aucun souci ! » Aucun problème pour collaborer avec les deux hommes. Au contraire. Ces derniers la prennent sous leurs ailes et lui enseignent toutes les tâches effectives afin qu’elle puisse maitriser chaque élément de l’exploitation : « Il faut tout connaître car 1 week-end sur 3 nous sommes seuls sur le terrain.»

Tous deux mariés et pères de famille, ils ont bien conscience selon elle des obligations de conciliation vie professionnelle et vie privée. Sa deuxième grossesse n’est donc pas une contrainte et la jeune femme est naturellement remplacée durant son congé maternité. « Il existe des services de remplacement, c’est très simple de prendre des vacances ou des congés », explique Mélodie Horvais, dont le compagnon est salarié dans un de ces services.

NATURES FÉMININES

Alimentation, soins, traite, insémination, vêlage, paillage… Durant la journée, Julie Collin travaille essentiellement auprès des animaux ; ses associés s’occupant de leur côté des champs et des engins agricoles. Sans oublier la gestion de l’entreprise et la comptabilité. Dans le champ, la terre gadoueuse s’enfonce sous ses pas, sa voix porte à quelques mètres et les bêtes se dirigent en direction du bâtiment le plus proche. Il est environ 16h et c’est l’heure de la seconde traite de la journée.

Casquette vissée sur la tête, la jeune agricultrice enfile son tablier. Sa passion et son investissement transparaissent sans artifices dans son regard et son discours. Ce qu’elle aime, c’est la vie d’agricultrice. La terre, la nature, les animaux. « Je suis tombée amoureuse de cette façon de penser ! », déclare-t-elle. Authenticité et simplicité. Tout comme il lui apparaît simple de conserver sa féminité au boulot :

« On veut être propres sur nous. Tous les midis, je vais chercher mes enfants, je fais une petite toilette avant de partir, je me change. Une fois de retour, je renfile mes bottes et la combinaison ! On peut tout à fait rester féminines, tout en étant agricultrices. »

De même pour Mélodie Horvais et Elodie Texier. Toutes les 3 prennent soin de se maquiller et de se coiffer avant de venir travailler, « comme n’importe quelle femme qui se maquille pour sortir ». Et affirment leur féminité à l’extérieur. « Parfois, quand je dis que je suis agricultrice, les gens ne me croient pas. Par curiosité, ils passent me voir sur l’exploitation quand je suis d’astreinte », rigole Julie Collin.

Mélodie partage également des anecdotes communes à ce sujet, « surtout quand on dit qu’on travaille dans une porcherie ». Mais toutes arborent avec fierté leur condition de femmes agricultrices. Peu importe les clichés.

DU CÔTÉ DU DÉPARTEMENT

En 2014, le Conseil Général d’Ille-et-Vilaine a alloué un budget de près de 2 millions d’euros à l’agriculture, soit 10 euros par habitant par an. 65 617 euros ont été attribués au soutien à l’installation des jeunes agriculteurs. Cette année fut celle de l’élaboration du Pacte d’Avenir pour la Bretagne dans lequel l’aide à l’établissement des jeunes est l’une des actions majeures. « Compte tenu de la configuration de la pyramide des âges, l’enjeu de la prochaine décennie pourrait être la transmission d’exploitations et le renouvellement des générations. (…) En 2013, le département reste en tête (de la région) avec 130 installations aidées contre 116 en 2012 ».

Très fluctuant, le taux d’installations de jeunes agricultrices en Ille-et-Vilaine chaque année est d’environ un tiers : 26 % en 2012 et 22 % en 2013 selon la Chambre d’Agriculture.

 

 

 

Infographie : Clara Hébert

Ses herbes et ses légumes bios sont les stars des pianos des meilleurs chefs du pays (Bras, Roellinger, Couillon, Guérin, Barbot, Etcheverry…). À Rennes, les gourmets éclairés se pressent autour de son petit étal le samedi aux Lices. Annie Bertin est une icône du bien cultiver et du bon manger. À son insu. Cette discrète, aux pieds bien enracinés dans sa terre de la Ferme de Blot, à Vendel, est une puriste. Depuis 34 ans, elle cultive la terre familiale avec abnégation :

« Je suis une passionnée, je suis mariée avec la nature, je travaille avec la couleur du ciel, à l’instinct, je ne programme rien. Pour faire du bon travail, il faut être en osmose avec la nature, ne pas calculer ses heures. Alors, pour concilier le travail, les clients, la vie privée, la vie sociale, c’est très dur ».

Cette pionnière a un regard un brin chagrin sur la nouvelle génération : « La plupart des néo-rurales, notamment les maraîchères, semblent moins attachées au travail traditionnel. Elles programment tout, à la minute près, elles ne font rien avec intuition, elles privilégient leur vie privée », juge-t-elle.

Si elle reconnaît la dureté physique du métier, elle rétorque qu’il faut travailler avec sa tête et ne pas hésiter à demander des coups de mains aux voisins, à ses salariés, « mais certaines ont plus d’endurance que des hommes ! », sourit la jardinière. Quant aux réflexions sexistes, Annie Bertin en entend depuis ses débuts, mais n’y prête pas attention, « ça me passe par dessus la tête, il ne faut pas s’arrêter aux remarques, mais faire ce qui plait ! ».

« On constate que de plus en plus d’agricultrices suivent la formation au machinisme. Une avancée ! », note Emmanuelle Tadier, chargée de la communication à la Chambre d’Agriculture d’Ille-et-Vilaine. Un constat confirmé par la lecture d’un récent édito de René Halopeau, membre du Bureau Exécutif du SEDIMA (Syndicat National des Entreprises de Services et Distribution du Machinisme Agricole).

Il y interpelle son lectorat sur la nécessité de promouvoir la mixité et de faire évoluer les mentalités : « Dans nos métiers, il y a des travaux tout à fait possibles pour une fille où la force physique n’est pas toujours nécessaire, et dans le cas où c’est nécessaire elle fait différemment, mais elle fait. (…) À défaut de rêver à l’égalité parfaite, nous devons nous mettre en condition d’accueillir des femmes si elles souhaitent librement venir vers nos métiers ».

Selon Pascale Gélin, les blocages masculins reposent sur un problème de représentation, comme ce fut le cas dans l’élevage. Les derniers a priori sont en passe de disparaître. Une bonne nouvelle.

Infographie : Clara Hébert

Nommée le 3 novembre dernier, cette Costarmoricaine, fille de paysans, attachée à sa terre natale et au monde rural, a débuté sa carrière à Paris et dans le Maine-et-Loire. Elle se rapproche aujourd’hui de ses racines et prend un poste aux projets ambitieux.

YEGG : Pouvez-vous dresser votre portrait ?

Pascale Gélin : J’ai 50 ans, je suis mariée et j’ai 3 filles de 22, 20 et 18 ans. J’ai été formée à l’Institut des Hautes Etudes de Droit Rural et d’Économie Agricole à Paris, puis je suis passée par le Centre National des Jeunes Agriculteurs. J’ai travaillé à l’Association pour l’Aménagement des Structures des Exploitants Agricoles, j’ai ensuite pris la tête de la Fdsea du Maine-et-Loire et de la société d’édition de son journal, l’Anjou Agricole. Je suis l’exemple de la grande réussite de l’agriculture bretonne, fille d’agriculteurs, j’ai fait des études.

Votre nomination est-elle la reconnaissance de ce parcours sans faute ?

Tous mes anciens collègues vous diront que j’ai toujours eu la tête en Bretagne ! Et donc l’envie d’y revenir. Depuis deux, trois ans l’idée d’être à un tournant de ma carrière me trottait dans la tête. Je suis une femme, j’ai 50 ans, mes enfants sont autonomes et mon mari me soutient activement, il est content pour moi.

J’ai porté un projet pendant 12 ans, j’avais envie de quelque chose de nouveau et de choisir le moment, d’être actrice, et non spectatrice, de ma mobilité. Je mets mon confort personnel en danger puisque ma famille est restée en Maine-et-Loire. C’est un effort plus important à 50 ans, mais à cet âge on a encore au moins 15 ans de travail devant soi ! J’ai donc fait savoir que j’étais la bonne personne pour le poste !

Comment avez-vous vu évoluer le métier ? Quelle place y ont pris les femmes ?

J’ai assisté à la reconnaissance des femmes dans leur métier. Je ne suis pas sûre qu’on puisse affirmer qu’il se féminise, même s’il y a plus de cheffes d’exploitations. Je les ai accompagnées en tant que collaboratrice de Christiane Lambert (première femme Vice Présidente de la FNSEA, elle fut la première présidente du CNJA), que j’ai beaucoup suivie dans son engagement. La place a toujours été laissée aux femmes, surtout en Bretagne, mais pas forcément acceptée à part entière.

Petite fille, j’ai été heurtée de voir ma mère écrire sur ma fiche d’école, à la rubrique « profession de la mère », ménagère. Participer à l’évolution de la condition des agricultrices doit m’aider à me réparer un peu ! Ma mère est de cette génération qui a travaillé dur sans jamais se plaindre, faisant passer la maison et les enfants après les champs ou les bêtes. Je les appelle « les besogneuses silencieuses », peut-être un peu sacrifiées. Je n’ai aucune nostalgie de cette vie agricole, j’ai envie d’écrire une nouvelle histoire. Ma mère avait à cœur que mes sœurs et moi puissions faire des études et je suis un pur produit de l’ascenseur social !

Avez-vous dû prouver plus pour vous imposer et parer certaines attitudes sexistes ?

Oui, j’ai travaillé plus, mais il s’agit là d’une logique personnelle, que l’on s’impose en tant que femme, je crois, un conditionnement inconscient. Je me sens toujours obligée d’en faire beaucoup pour être légitime. Sinon, je n’ai jamais souffert de sexisme. Au contraire, le monde agricole a été précurseur en terme de parité puisque dès 1975 il y a eu un mouvement syndical, via le CNJA, important pour les femmes.

Il a alors été obligatoire de nommer une femme vice-présidente dans les instances décisionnelles. C’est un univers double, réac et moderne à la fois. Un milieu solidaire, humain, où il y a une vraie réalité du collectif, de l’associatif. C’est un métier lié au vivant, scientifique par beaucoup d’aspects où l’aléa est intégré (mort d’une bête, intempéries…) ce qui rend ses gens très souples.

Et la parité, où en est-elle en Ille-et-Vilaine ?

Au sein des organisations de conseils et d’aides des agriculteurs, il y a beaucoup de femmes. Contrairement à une idée reçue, le métier offre plus de disponibilités et de proximité pour les enfants. L’indépendance et l’autonomie d’organisation de sa vie professionnelle et de sa vie privée sont appréciées.

Quels sont vos objectifs en la matière ?

Le monde est aujourd’hui beaucoup plus volatile et moins structuré, surtout celui du travail. Il faut trouver les moyens d’y vivre sereinement, et que les femmes y soient plus à l’aise. Dans la conduite de projets, si elles osent, elles seront plus moteur.

Je rejoins ici l’analyse d’Isaac Getz lorsqu’il évoque des « entreprises libérées, des salariés libres, la fin nécessaire de la hiérarchie pour une meilleure rentabilité » et qu’il dit que les femmes peuvent y apporter « plus d’amour et moins d’égo », c’est-à-dire des idées, de l’envie, beaucoup d’émotions exprimées, ce qui n’est pas une faiblesse, au contraire, cela permet de dire les choses.

Quelles ambitions avez-vous pour votre mandat ?

J’aimerais casser quelques codes afin que les gens osent. Notre institution a un système de validation auquel les salariés ne dérogent pas. Je voudrais qu’ils expérimentent, qu’ils innovent à la marge. Il ne s’agit pas d’être subversif et de mettre en danger cette entreprise consulaire, juste d’oser en trouvant le juste équilibre entre l’initiative, la prise de risques et le respect du cadre.

Plus largement, l’agriculture bretonne a pris en compte la préservation de la nature, il faut continuer dans ce sens et j’ai envie d’y participer. J’ai envie de réussir, à mon petit niveau, à expliquer l’agriculture d’aujourd’hui avec ses enjeux scientifiques, c’est complexe, ça prend du temps et demande de sortir des postures, il y a là un vrai enjeu de pédagogie.

 

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Vie de jeunes agricultrices
Déterminées à cultiver leur passion
Agriculture au féminin et Conseil Général
Le regard d'une pionnière, la terre à coeur
Machinisme, le dernier bastion tombe
Vétérinaires rurales, une profession qui se féminise aussi
Pascale Gélin, une femme à la direction de la Chambre de l'Agriculture

Célian Ramis

Contraception : Fiabilité limitée

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Rennes
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Enquête sur les méthodes contraceptives actuelles : scandale, manque de prévention, insouciance, hausse des IVG, méthodes naturelles... Quelles priorités aujourd'hui ?
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Une récente étude de l’Ined et de l’Inserm révèle une profonde évolution des pratiques contraceptives depuis le début des années 2000, et notamment un rejet de la pilule, celle-ci ayant, entre 2005 et 2010, reculé de 5 points (de 55% à 50%). Ce repli s’est accentué en 2013 avec la controverse sur les pilules de 3e et 4e génération – à la suite d’une plainte déposée en décembre 2012 par une victime d’AVC - passant de 50 % à 41 % entre 2010 et 2013, soit une baisse de 14 points en moins de 10 ans.

En Ille-et-Vilaine, 23 041 femmes utilisaient ces pilules entre octobre 2012 et septembre 2013. Elles n’étaient plus que 1 320 entre octobre 2013 et septembre 2014, soit une chute vertigineuse de 94 % en 1 an (source CPAM 35). Si la pilule inquiète, les femmes ont d’autres recours pour se prémunir de grossesses non désirées.

Pour autant, la crise du contraceptif le plus répandu soulève de nombreuses interrogations et souligne des graves conséquences collatérales. De quoi s’agit-il précisément ? YEGG a mené son enquête.

Rejet de la pilule, retour des méthodes naturelles, intérêt croissant pour le stérilet et la stérilisation, le rapport des femmes à la contraception a changé. Cette nouvelle donne a des effets positifs mais aussi des répercussions perverses sur l’IVG. 

Si les françaises continuent de se protéger des grossesses non désirées, elles le font autrement. L’étude de l’Ined et de l’Inserm révèle qu’elles se tournent vers le préservatif, qui sur la période gagne 3,2 points, vers les dispositifs intra-utérien ou DIU (stérilets) en hausse de près de 2 points, et vers les méthodes naturelles dont le retrait, ou coït interrompu (+3,4 points). La pilule ne serait donc plus la panacée et 40 ans après sa légalisation, sa remise en cause et les nouveaux usages contraceptifs ont pour première conséquence l’augmentation du nombre d’IVG.

LA PILULE EN CRISE

« Le problème s’est posé en Angleterre dans les années 90, à la suite d’une même controverse », confie Vincent Lavoué, gynécologue-obstétricien au CHU Sud, à Rennes. Rien d’étonnant pour lui. Il rappelle que les risques de phlébite et d’embolie pulmonaire liés à la pilule ont été reconnus et publiés, dès les années 60. « Il faut rappeler que la pilule est un médicament », ponctue-t-il. Le praticien précise que ces accidents restent rares et inférieurs aux risques observés pendant une grossesse.

Il partage avec sa consœur, Estelle Bauville, le sentiment d’être ici confronté à une erreur des pouvoirs publics et des médias, lesquels ont créé une panique générale. « Or, depuis 2004, les médecins doivent respecter les recommandations sur la pilule de 2e génération à prescrire en première intention. Si elle ne convient pas, alors seulement on peut proposer une 3e génération », précise le Dr. Bauville.

Les autorités de santé préconisent aussi un dépistage des femmes à risque lors d’une prescription de pilule et à chaque renouvellement.

« La Haute Autorité de Santé conseille d’orienter les patientes vers un contraceptif de longue durée en première intention, afin de faire face au problème d’observance (respect de la prise quotidienne et à heure fixe de la pilule, ndlr) et de risques cardio-vasculaires »,
ajoute Estelle Bauville.

Loin de nier l’existence des risques et la douleur des victimes, cette crise interpelle les deux praticiens. Manque d’autorité et champs d’action réduit des pouvoirs publics face à un lobby pharmaceutique trop puissant ? Praticiens négligents et en mal de formation continue ? Pré carré des gynécologues installés « en ville » qui ont dépossédé, depuis 25 ans, les généralistes de leurs prérogatives en matière de contraception et de contrôle gynécologique ? Femmes peu ou mal informées et donc inconséquentes ? Les causes sont multiples et les responsabilités partagées. Les effets sur la hausse des IVG, eux, sont alarmants.

FORTE PROGRESSION DES IVG

« En 2013, à Rennes, nous notons une hausse des IVG de 10 % »,
confie Vincent Lavoué.

En Ille-et-Vilaine, la hausse est de 13 %. Pour le praticien la réponse des pouvoirs publics à la crise - déremboursement des nouvelles pilules - a été une erreur entraînant plus d’IVG. Or, il ne conçoit pas qu’en 2014 on ne contrôle pas plus les grossesses, « en terme de santé publique c’est un bénéfice majeur, surtout pour les femmes », argue-t-il. Difficile aussi pour le Dr. Bauville de concevoir qu’avec le nombre de contraceptifs disponibles on puisse « se mettre ainsi en danger. L’IVG n’est pas une chose banale, il peut y avoir des infections, psychologiquement c’est dur ».

Elsa en a subi deux à la suite de deux grossesses non voulues sous pilule. « La première fois, à l’Hôtel Dieu, personne ne m’a alertée et parlé contraception, j’en ai un souvenir amer, glauque et froid », livre-t-elle. C’était il y a plus de 20 ans, mais le problème semble perdurer, Jean-Pierre Epaillard, médecin inspecteur de santé publique à l’Agence Régionale de Santé le confirme :

« Il n’y a pas, ou trop peu, d’examens et d’informations données aux femmes post-IVG».

Elsa est persuadée que de bons conseils auraient évité sa seconde IVG, 8 ans plus tard. Cette fois-là, on lui parle d’un contraceptif plus efficace pour elle, l’implant, lequel vient d’arriver en France. Elsa admet avoir « subi » les effets secondaires – prise de poids et cycles anarchiques - pour autant, l’important était ailleurs :

« Je ne voulais surtout pas revivre ça. Je crois malheureusement que tant qu’on n’a pas vécu une IVG on ne se doute pas de ce que c’est. C’est horrible »,
confesse-t-elle.

Pour le Dr. Bauville la contraception s’envisage au cas par cas, et cela parait facile au regard de l’arsenal contraceptif qui s’offre aux femmes. Certaines ne semblent pas avoir trouvé dans ce large dispositif « contraceptif à leur sexualité » et optent pour les méthodes naturelles.

LE RETOUR DES MÉTHODES NATURELLES

« L’indice de Pearl (il permet de mesurer l’efficacité d’un contraceptif, ndlr) prouve qu’il y a 30 à 40 femmes sur 100 qui tombent enceintes avec les méthodes naturelles : ça n’a pas de sens. Il faudrait savoir si tomber enceinte est un problème, ou pas, pour ces femmes. Se font-elles avorter ? », interroge le Dr. Lavoué. Difficile à savoir. D’autant plus qu’aux choix de ces méthodes pour raisons religieuses et culturelles, se sont ajoutés de nouveaux critères. L’étude Ined-Inserm indique que le recours à ces modes est orienté par des problèmes économiques, le niveau d’études et la catégorie socioprofessionnelle.

Les femmes sans aucun diplôme ont davantage délaissé les pilules récentes au profit de ces méthodes, tout comme celles en situation financière difficile. Une situation qui n’étonne pas le Dr. Epaillard, pour lequel il est évident qu’il existe des disparités sociales et des inégalités selon les territoires :

« On note que la prise de contraception d’urgence est plus importante en centre ouest Bretagne. Je ne suis pas étonné que la crise impacte la contraception. Lorsque l’on a des problèmes sociaux, la santé passe après, et la contraception en fait partie ».

L’étude parle aussi de certaines femmes qui rejettent tout contraceptif hormonal. Vincent Lavoué pense qu’il s’agit ici d’un mouvement plus global, écolo, avec l’allaitement exclusif, les couches lavables, l’alimentation bio, le recueil du cycle dans des dispositif de « coupe »…etc. « Ces suspicions à l’encontre des hormones ont été alimentées par la polémique. C’est juste une question d’appréciation des choses, car il n’y a pas de réalité physiologique, au contraire, outre le contrôle des grossesses, cela permet la diminution des risques d’infections sexuelles transmissibles (IST) et de cancer des ovaires. En revanche, il y a bien amplification des menaces de cancer du sein », précise-t-il.

Pour Anne et Bertrand Toutain, couple rennais qui pratique la méthode Billings depuis 20 ans, les contraceptions naturelles vont au-delà de toute mouvance et de tous milieux sociaux et présentent l’intérêt de bénéficier d’une excellente connaissance du corps féminin. Un savoir qui manque cruellement aux femmes et aux jeunes filles.

UN PROBLÈME RÉCURRENT DE SANTÉ PUBLIQUE

Aujourd’hui, Elsa pense à ses filles : « J’espère savoir trouver les mots pour qu’elles prennent conscience de l’enjeu. » Quant à son fils, elle envisage aussi de lui en parler sérieusement, considérant que la contraception ne doit plus être uniquement l’affaire des filles. Une initiative heureuse puisque de nombreuses méconnaissances sur la contraception circulent encore. Ainsi, certaines adolescentes pensent que le premier rapport sexuel n’est pas fertilisant.

« Il y a un gros problème auprès des jeunes filles, elles sont très mal informées. Depuis qu’on ne parle plus du Sida, elles ne se protègent plus et l’on voit plus d’IST, particulièrement le papillomavirus, responsable du cancer du col de l’utérus, et la chlamydia, cause de stérilité. Il n’y a pas assez de mise en garde, même si les infirmières scolaires font un énorme boulot »,
s’inquiète le Dr. Bauville.

Le problème persiste malgré la mesure de Marisol Touraine, ministre de la Santé, en 2013, de rendre la contraception pour les mineures gratuite et de réduire la TVA sur le prix des préservatifs. Pour ces derniers, se pose un souci de bon usage que les plus jeunes maîtriseraient mal. Néanmoins, l’étude Ined-Inserm révèle aussi que cette nouvelle donne contraceptive génère une plus grande diversité des pratiques, comme la pose de stérilets chez les 25-29 ans.

VERS UNE CONTRACEPTION LONGUE DURÉE

« Plus de stérilets et moins de pilules ? C’est un bénéfice réel ! Un effet positif de la polémique », assure Vincent Lavoué. Prôné par la Haute Autorité de Santé depuis 2004, le stérilet ne séduisait pas les jeunes, jusqu’en 2010. Depuis, il est passé de 2 à 5 % chez les 20-24 ans, et de 8 à 16 % chez les 25-29 ans. « Dans l’intervalle, un stérilet pour jeune fille, le short (petite taille, ndlr), a été mis sur le marché », note Estelle Bauville.

Longtemps victime d’un vieux dogme médical – disant les DIU responsables d’infections – il n’est donc plus réservé aux multipares. « Là encore, c’est un défaut de formation et de pratique qui poussent les praticiens à le refuser aux plus jeunes. Mais, ils ont l’obligation légale de les informer que d’autres collègues peuvent le faire », précise la gynécologue. Autre signe de ce tournant, l’attrait pour la stérilisation. Autorisée seulement depuis 2001, elle entre peu à peu dans les mœurs.

« On note une recrudescence des demandes de ligatures des trombes. Les profils sont très variés et nous procédons là aussi au cas par cas »,
confie le Dr. Bauville.

Elle s’alarme toutefois que cela ne devient un « nouveau jouet à la mode » sans que les femmes n’en mesurent vraiment les suites irréversibles, puisque une toute nouvelle méthode, Essure, se pratique par voie vaginale (la méthode initiale se fait par endoscopie, ndlr) et en 5 minutes seulement. « Je crains une banalisation de l’acte et un retour de manivelle dans peu de temps, surtout dans les DOM-TOM », concède-t-elle.

Car la contraception ne s’envisage pas avec légèreté, il en va du confort et de la liberté des femmes. À Rennes, depuis 2011, l’hôpital Sud a mis en place une formation au dépistage pour les généralistes. Les médecins traitants rennais reprennent donc en main la contraception et le contrôle gynécologique de leurs patientes, bon à savoir.

La plupart des pilules contiennent un œstrogène et un progestatif, des dérivés synthétiques de l’oestradiol et de la progestérone, deux hormones sécrétées naturellement chez la femme. Le progestatif fait fonction de contraception, l’œstrogène, hormone sexuelle, est là pour contrecarrer les effets du premier. La pilule de 1ère génération, celle des années 60, était riche en œstrogène, ce qui causait des effets secondaires importants (nausées, migraines).

La découverte de nouveaux progestatifs a permis de réduire le dosage d’œstrogène dans la pilule de 2ème génération, celle des années 70 et 80. Néanmoins les effets secondaires étaient toujours notables et les risques de thrombose veineuse toujours présents. Les pilules de 3e et 4e génération, arrivées dans les années 90, renferment plusieurs nouveaux progestatifs, censés réduire les effets secondaires (comme l’acné) et les risques d’accident thrombo-embolique. Mais, au contraire, ils les multiplient par 2.

« Depuis 40 ans, les risques de phlébite et d’embolie liés à la prise de la pilule – un médicament, rappelons-le – ont toujours existé, ils sont connus et publiés. Ils restent néanmoins faibles en fréquence. Les victimes ont souvent des antécédents familiaux »,
confie le Dr. Vincent Lavoué.

Le praticien précise qu’ici les responsabilités sont partagées par le lobby de l’industrie pharmaceutique, les pouvoirs publics ne jouant pas leur rôle de régulateur et les praticiens qui continuent de prescrire la 3e génération en première intention. Un récent rapport de l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament (ANSM) indique que les ventes des 3e et 4e génération ont chuté de 60 % entre janvier et avril 2014 par rapport à 2012. Parallèlement, les ventes de 1ère et 2e générations ont augmenté de 36 %.

« À 38 ans, mariée et mère de deux enfants, j’ai décidé de me faire ligaturer les trombes (stérilisation chirurgicale féminine). J’ai été opérée en mai dernier. Depuis, je suis ravie ! J’éprouve une sensation de tranquillité, de liberté, de confort », confie la jeune femme.

Un choix d’abord personnel, après plusieurs mois de réflexion guidée par une insatisfaction rencontrée avec d’autres moyens de contraception, « les hormones me rendaient malade et je n’ai pas supporté les stérilets (hormonal et au cuivre). Parallèlement l’idée de la stérilisation cheminait dans mon esprit », précise-t-elle.Un choix de couple ensuite. Si la démarche vient d’elle, son mari a entériné l’acte :

« Nous étions parfaitement d’accord sur le fait de ne plus vouloir d’enfants. J’ai alors pensé aux pires éventualités (perte d’un enfant, séparation), mais nous ne voulons pas avoir d’autres enfants, c’est notre choix ».

Décidée, Fanny s’est renseignée, notamment auprès de ses amies qui l’ont fait avant elle, puis elle a rencontré une gynécologue.

« Elle m’a posé beaucoup de questions, elle a testé ma motivation, car ce n’est pas anodin, c’est irréversible. Elle m’a aussi bien mise au fait des possibles retombées psychologiques par rapport à ma féminité, puis il y a eu les 4 mois de réflexion obligatoire »,
poursuit Fanny.

Elle avoue ne pas avoir vécu cela comme une remise en cause de sa féminité ou, pire, une mutilation, mais comme un acte médical banal, une étape dans leur vie de couple, une phase naturelle. « Subir l’ablation d’un sein à la suite d’un cancer est un acte mutilant, une ligature non », insiste-t-elle.

Anne et Bertrand Toutain pratiquent la méthode Billings depuis 20 ans et forment d'autres couples à la contraception naturelle, à Rennes. Témoignage.

YEGG : Pourquoi avez-vous choisi la méthode Billings ?

Bertrand : Nous avons commencé cette méthode au début de notre mariage, il y a 20 ans. Nous sommes plutôt bio et pas trop médicaments… Nous nous sommes intéressés à différentes méthodes. Et la méthode Billings a eu un aspect très positif sur notre couple. C’est un partage et un épanouissement pour nous deux. Accompagner les autres couples l’est également.

En quoi consiste l’accompagnement des couples ?

Bertrand : C’est une formation de couple à couple. Les personnes souhaitant se former à la méthode viennent à la maison pour une soirée qui dure en moyenne 2h / 2h30.

Anne : Ensuite, il y a un suivi de femme à femme. Une entrevue de 10 minutes, c’est très rapide, en face à face. En général, on se voit une fois par cycle (un cycle allant du début d’une menstruation à la fin de l’autre menstruation), pendant X cycles. Le temps qu’il faut. Au bout d’un moment on peut échanger par mail. Je tiens à ce que ce soit pratique pour les personnes qui se forment. Mais il faut savoir qu’on comprend généralement la méthode en un cycle. C’est très important de bien comprendre cela car la méthode Billings est très rigoureuse. Elle est aussi fiable qu’une pilule pour qui la suit rigoureusement.

Qu’est-ce qui les motive ?

Anne : Les personnes qui viennent nous voir, pour les femmes, sortent de pilule ou de stérilet, ressentent parfois une perte de libido. On rencontre tous les âges, tous les milieux sociaux… Les femmes peuvent aussi faire appel à nous au moment où elles souhaitent allaiter – pour savoir si cela est compatible avec la contraception naturelle – où lorsqu’elles sont en pré-ménopause.

Bertrand : Il faut savoir que la plupart des couples qui vient nous voir ne sont pas réticents aux grossesses et aux enfants. Il s’agit ici de réguler les naissances, pas de les éviter à tout prix. Pour cela, il faut bien comprendre le cycle féminin. Et cela aide par la suite pour avoir des enfants justement ! En connaissant son corps et son cycle, elle est rassurée et plus sereine. Ça crée un climat et une connaissance pour les femmes qui est très importante.

Anne : Il y a aussi des couples qui viennent nous voir alors qu’ils sont médecins, sage-femmes ou infirmières ! Ils connaissent bien le corps humain mais pas forcément dans la finesse de ce corps. Personnellement, je trouve que c’est une méthode féministe. Nous sommes fécondes entre quelques heures et quelques jours, tout dépend des femmes, par mois. Et on nous demande de prendre une pilule tous les jours ! Certes, il faut pratiquer l’abstinence pendant cette période de fécondation mais finalement ce n’est pas grand chose comparé à une prise de pilule chaque jour. Je trouve cela beaucoup plus contraignant.

Bertrand : Ce n’est vraiment pas très astreignant.

Anne : Sinon c’est 25 jours de liberté.

Bertrand : C’est une méthode très utilisée en Chine. Très rigoureuse. L’état chinois fait venir des moniteurs Billings. Pour illustrer, en France, nous sommes environ 600 moniteurs Billings. En Chine, dès le départ, ils ont formé 1000 moniteurs. Car ils voulaient se détacher des pays occidentaux et des méthodes de contraception. Et les statistiques sont très intéressantes. Il faut regarder sur le site de l’OMS.

Comment, concrètement, pratique-t-on la méthode Billings ?

Anne : La méthode consiste à sentir si l’on est humide ou sèche à la vulve. Il suffit de se poser la question plusieurs fois par jour pour acquérir le réflexe. C’est simple : la femme se demande comment elle se sent à la vulve pour déterminer le moment de fécondité. C’est une méthode « main dans les poches » ! En 20 ans, aucun couple venu nous voir n’a souhaité quitter la méthode. Souvent, ça booste le couple. L’homme est aussi impliqué.

Bertrand : Les femmes ont le même nombre de capteurs sur les grandes lèvres que sur les lèvres. Lors du premier cycle, elles doivent être attentives à ce qu’elles ressentent. Ensuite, avec l’entrainement, le cerveau sait reconnaitre. Au début, on fait sonner le portable pour y penser.

Anne : En 20 ans, il y a eu un seul bébé « non désiré » par un couple. Ce couple s’était bien planté dans la méthode !

Bertrand : La glaire cervicale est une substance qui s’écoule au niveau du col de l’utérus. Quand la femme la sent couler, c’est qu’elle est très féconde. En fait, cette substance aide les spermatozoïdes à remonter dans le corps. Souvent, les femmes ne connaissent pas toutes ces choses là. Et elles peuvent alors se sentir sales  à ce moment-là. Cela est dû au manque de relais entre les mères et les filles. Entre les pères et les fils. C’est dommage de passer à travers cette connaissance !

Anne : Et quand on ressent une sécheresse au niveau de la vulve, c’est que la substance est compacte comme un bouchon de liège. Impossible pour les spermatozoïdes de passer ! Avec cette méthode de contraception, l’union est tout à fait naturelle, et pour un couple, c’est tout à fait agréable.

Anne : Pour voir arriver cette humidité, il faut éviter certaines choses comme les collants, les jeans serrés… il faut favoriser les culottes en coton. Et une fois la période de fécondité passée, on peut alors s’habiller comme on veut à nouveau. Au-delà tout ça, l’important c’est qu’une femme puisse se comprendre en tant que femme. Elle comprend alors pourquoi elle a des changements d’humeur, de comportements et à quel moment en fonction de là où elle en est dans le cycle. Et c’est aussi très riche pour l’homme.

Bertrand : Au début de notre mariage, j’avais l’impression d’avoir épousé la seule femme qui change d’avis ! En fait, j’ai appris à découvrir les changements dus aux hormones et à repérer les signes (éclat de la peau, brillant des yeux, caractère…) Et pour un homme c’est primordial de comprendre la question hormonale sachant que nous n’avons pas de cycle. Et pour le couple, c’est très vivifiant. Une union, ça se prépare. Alors lors de la période d’abstinence, rien n’empêche d’avoir de petites attentions envers l’autre pour préparer justement l’union, quelques jours plus tard. On peut se courtiser.

Bertrand : L’homme s’associe à la fécondité car c’est lui qui tient le tableau. La femme ne doit pas porter seule la responsabilité de l’abstinence. On se doit en tant qu’homme de ne pas proposer d’union à la femme par exemple lors de la période d’abstinence. C’est enrichissant de respecter sa femme, d’apprendre à calmer ses besoins.

Anne : Sans oublier que lorsqu’on a fini la période de fécondité, on peut alors se lâcher complètement dans les unions car on se sent en confiance quand on n’est pas fécondes. La méthode Billings, c’est un art de vivre et c’est plus qu’une méthode puisque ça touche l’art de se comprendre à 2. Ça demande évidemment un effort, on ne nie pas du tout cette facette. Mais il faut bien savoir que les couples Billings ne sont pas des couples de frustrés ! Bien au contraire, aux Etats-Unis par exemple, des chiffres ont révélé que seulement 1 à 2% des couples Billings se séparent. Quand on sait qu’aujourd’hui c’est presque 1/3 voir la moitié des couples qui se séparent…

Mais, sans pouvoir établir de corrélation directe avec les contraceptions naturelles, l’augmentation des IVG laisse penser qu’un lien peut être établit…

Anne : Oui, je comprends. Beaucoup de couple qui viennent nous voir ont déjà subi une IVG avant. Et là, parce que la femme était sous pilule ou autre contraceptif, ça a été vécu comme un échec. La méthode Billings met en confiance et permet également d’avoir des enfants puisque le couple saura exactement à quel moment concevoir l’enfant. Personnellement, les couples que nous avons formés n’ont pas eu recours à l’IVG depuis l’utilisation de la contraception naturelle. Je crois que cela ouvre aussi sur la vie.

Bertrand : Le problème quand on pense aux contraceptions naturelles, c’est que beaucoup pensent à Ogino. Mais c’est une catastrophe cette méthode car elle se base sur des suppositions. On suppose que le cycle est complètement régulier. C’est trop dangereux de faire des hypothèses !

Anne : L’abstinence laisse respirer le corps de la femme et le couple. L’union peut se préparer sur plusieurs jours. C’est une très belle richesse les unions et elles apportent beaucoup au couple.

On parle d’une mouvance écolo-bobo, vous êtes d’accord avec cette image ?

Bertrand : Oui c’est vrai mais écolo dans le sens positif. Sans oublier que c’est une méthode gratuite qui permet à la femme de s’écouter, d’écouter son corps. C’est une démarche réfléchie. Souvent les couples qui viennent nous voir ne sont pas heureux avec les contraceptifs dont ils disposent.

Anne : Et puis c’est une vraie liberté pour les femmes. Ce n’est pas agréable de se sentir aimé que dans sa sexualité. Là, c’est une méthode de couple à couple, pas besoin d’être médecin pour la pratiquer ou pour former d’autres couples. Car le problème dans la contraception, c’est le manque de transmission sur les corps féminins. Sans parler du fait que les femmes n’écoutent pas leur corps !

Vous avez parlé d’un tableau que l’homme remplit. Comment fonctionne-t-il ?

Anne : L’homme doit le remplir tous les soirs. Avec un stylo rouge, un stylo vert et un stylo blanc (respectivement pour les menstruations, la sécheresse et l’humidité à la vulve).

Bertrand : C’est une richesse pour l’homme de tenir ce tableau. Cela permet de regarder de manière encore plus belle sa femme. La féminité ne doit pas être source de blessure.

 

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Contraceptions naturelles : comment les appliquer au quotidien ?

Célian Ramis

Sport : Carton rouge pour l'égalité

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Rennes
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Femmes et sportives, c'est possible. Ce qui compte pour elles : les valeurs véhiculées dans les sports pratiqués.
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Dans le manuel de bonnes pratiques N°2 sur l’égalité homme-femme dans le sport, son auteure Clotilde Talleu choisit de citer, pour commencer son introduction, la résolution du Parlement européen « Femmes et sports », adoptée le 5 juin 2003 : « Le sport féminin est l’expression du droit à l’égalité et à la liberté de toutes les femmes de disposer de leur corps et de s’inscrire dans l’espace public, indépendamment de la nationalité, de l’âge, du handicap, de l’orientation sexuelle, de la religion ». Voilà qui est dit mais pas acquis.

Si le sport féminin gagne du terrain dans les mentalités, à travers la diffusion restreinte des matchs – que ce soit à Roland Garros, aux Jeux Olympiques ou lors des Mondiaux de foot ou de rugby – et récemment de divers documentaires sur les sportives (ou de campagne publicitaire telle que la dernière d’Always qui a créé un véritable buzz sur la toile), les stéréotypes et idées reçues subsistent. L’égalité des sexes a donc la vie dure, le sport n’étant pas une exception à Rennes et en France comme ailleurs, et les femmes pâtissent d’un manque de reconnaissance et de visibilité dans les médias.

Pourtant, elles véhiculent fièrement des valeurs identiques à celles des hommes, que ce soit en loisirs ou à haut niveau. Les valeurs de respect, d’entraide et d’esprit collectif. Reportages croisés dans le milieu féminin rennais du handball, du rugby, du tennis et du volley.

« Allez les roses », crie le speaker du club Saint-Grégoire Rennes Métropole Handball. Ce dimanche 21 septembre, l’équipe de Nationale 1 rencontre Bergerac, à domicile, salle de la Ricoquais. À l’appel de leur nom, elles entrent sur le terrain, se tapent dans les mains et saluent leur public. D’une capacité de 600 places assises, la structure est quasiment remplie, les handballeuses disputant leur premier match de la saison.

« On a repris la préparation sur le terrain, cet été, dès le 4 août. Depuis on s’entraine 4 fois par semaine et dès maintenant on joue les matchs de Coupe de France tous les week-ends »,
explique Morgane Loirat, lors d’un entrainement quelques jours plus tôt.

Les enceintes crachent les notes hérissées de « The final countdown », célèbre chanson d’Europe, et la pression monte pour les spectateurs, invités à fortement soutenir son équipe. Doucement mais assurément, les bretonnes avancent au rythme des tambours qui secouent les gradins et vibrent dans la salle. Les échanges se font de plus en plus rapides et les tentatives pour percer la défense s’enchainent. Bergerac ouvre le score. Cartons jaunes, penaltys, temps morts, minutes de pénalité, score serré… le match est cadencé par un jeu stratégique et combattif.

L’intensité du suspens explose les dix dernières minutes. Le public s’emballe, encourage les bretonnes, tape des pieds et des mains, maintient sa respiration jusqu’au coup de sifflet final. Le SGRMH s’impose 24 à 22, et ouvre ainsi la saison sur une victoire méritée. « On est super contentes ! Il y avait un bel état d’esprit au sein de l’équipe, beaucoup de rigueur et de dialogue. », commente Mélina Rolland, capitaine, après avoir félicité son homologue bergeracoise.

Les sportives se congratulent, s’enlacent, s’allongent et s’étirent pour certaines. Pour d’autres, c’est l’heure des autographes. À l’entrée de la salle, des cartes postales de chaque joueuse sont à disposition des spectateurs. Ainsi, filles et garçons, d’un très jeune âge pour la plupart, descendent des tribunes pour approcher les handballeuses.

RESPECT & FAIR-PLAY

Cartes des joueuses, affiches placardées dans les abribus, calendriers, soirée de présentation de l’équipe le 10 septembre dernier, les filles de Nationale 1 sont volontairement érigées au premier plan puisqu’elles évoluent à niveau élevé, fruit d’une réelle volonté du club. En 2006, Rennes Métropole Handball fusionne avec l’US Acigné Handball pour renforcer équipes et compétences. Six ans plus tard, le RMH rejoint Saint-Grégoire et prend ses quartiers à la Ricoquais, un équipement sportif de qualité.

« C’est la première fois que je me sens aussi « starisée ». Le club investit beaucoup pour nous mettre en avant »,
ressent Morgane Loirat, 24 ans et handballeuse depuis 17 ans.

À ses côtés, Elise Delorme, 18 ans, joue depuis 6 ans. Ensemble, elles partagent leur passion pour ce sport qui enseigne « le respect des coéquipières, des adversaires, des arbitres, et le fair-play ». Collectivité et combattivité en sont les maitres mots.

Des notions que l’on retrouve également sur le terrain de la salle Courtemanche à Rennes. C’est ici qu’est implanté le REC Volley, dont une équipe féminine évolue en Nationale 2. Le premier week-end de septembre est réservé au tournoi amical de rentrée, pour une reprise en douceur. Rennes face à Nantes.

Ici, le public est en nombre restreint et les gradins, qui ont à peine un tiers de la capacité de la Ricoquais, sont désertés. Mais les sportives n’y prêtent pas attention. Les échanges se prolongent, les effluves de joie se font entendre à chaque point marqué, les accolades et les encouragements au sein de l’équipe sont systématiques, symboliques d’un esprit fort bâti à raison de 3 entrainements par semaine et d’un match par week-end. Floriane Prévert a goûté au volley à l’âge de 17 ans et n’en a pas démordu depuis :

« Je suis arrivée au REC depuis 8 ans, à l’époque nous étions en N3. Ce qui me plait, c’est l’esprit d’équipe et la stratégie de défense ».

La communication intense est exigée. « On discute pour savoir qui réceptionne, puis on se replace. Tout de suite les filles, tout de suite. Go go go go ! », scande l’entraineur de l’équipe nantaise, qui trépigne sur le banc en voyant Rennes creuser l’écart lors de la seconde période.  

À l’autre bout de la ville, le stade Alain Crubillé accueille l’entrainement des sportives du Stade Rennais Rugby. Un jeudi soir de septembre, 3 équipes se partagent le même terrain. Parmi elles, les joueuses du Top 8, plus haut niveau national du rugby féminin. « Sport co », « respect » et « fair-play » sortent de toutes les bouches des interviewées.

Qu’il s’agisse de la capitaine, la doyenne du club ou de la fraichement arrivée, elles évoquent toute une aventure humaine. Un épanouissement qu’elles puisent dans l’ambiance conviviale offerte par les sports d’équipe.

« Quand je suis arrivée à Rennes, j’ai commencé à faire du foot. Je ne m’y retrouvais pas. Avec le SRR, j’ai compris qu’il y avait de vraies relations humaines à construire et à découvrir. Je voulais absolument monter dans le bateau ! »,
s’émerveille Anne-Sophie Demoulin, arrivée en 2000, soit un an après la naissance du club, actuellement présidente du bureau.

Mêmes propos, à quelques mots près, de la part d’Anne Berville, nouvelle capitaine. Pour cette ingénieure-animatrice de formations en élevage, le rugby permet d’exprimer son dynamisme. « Je suis assez calme dans ma vie. Quand je suis sur le terrain, on me dit que je transforme », rigole-t-elle. 

MUTATION SUR LE TERRAIN 

Et ce n’est pas la seule à évoquer ce phénomène. Blanka Szeberenyi, nouvelle recrue du SGRMH en contrat pro, est une des meilleures buteuses de sa catégorie : « Le hand, c’est du combat, c’est physique, c’est la défense du territoire. Quand on est sur le terrain, on change complètement. ». Pour elle, la comparaison avec ses homologues masculins n’a pas lieu d’être et semble n’avoir aucun mal à passer outre les commentaires sexistes.

Toutes évoquent la différence de potentiel physique. Les hommes sont reconnus pour leur force de frappes. Sans faire abstraction des caractéristiques de chaque sport, le hand féminin serait « plus subtil » pour Elise Delorme, « plus dans la créativité » pour Morgane Loirat. Le volley, « plus dans l’échange », selon Floriane Prévert. Maryse Scarfo joue au tennis depuis 20 ans, « pour le plaisir de faire des beaux coups ». Elle a rejoint en tant que licenciée le pôle tennis du Cercle Paul Bert il y a 2 ans.

De l’autre côté du filet, Amélie Murie, présidente de la section tennis féminin, lui renvoie la balle. L’objectif de l’exercice étant de forcer l’adversaire à attaquer. Si ce sport de raquette paraît moins piqué par les réflexions misogynes, les sportives ne sont néanmoins pas exemptes de certaines maladresses et lourdeurs.

« Ce n’est pas propre au tennis, et tous les hommes ne sont pas comme ça, mais on entend souvent des compliments sur le physique des joueuses. Les commentateurs et médias parlent de la belle Sharapova par exemple. On ne dit pas des hommes qu’ils sont beaux, mais qu’ils sont forts… »,
souligne Amélie Murie.

Pour leur entraineur, Nicolas Civadier, la qualité du jeu ne réside pas dans la force et il est important de ne créer aucune distinction sexuée : « Ce que l’on demande aux joueuses, on le demande aussi aux joueurs : assiduité, respect, écoute, rigueur et envie ! Et le dimanche quand il faut jouer – championnat départemental - on joue ! »

L’état d’esprit semble identique sur la pelouse du stade Alain Crubillé. Les premières minutes de l’entrainement sont houleuses. « Je dis des choses précises. Tu as le droit de te tromper une fois mais pas deux fois », crie l’entraineur, très méticuleux sur les indications et consignes à suivre. « Super, tu l’as », lance-t-il l’instant suivant.

Toutefois, les filles sont envoyées aux exercices physiques, le temps de se mettre en condition. Sans pression palpable, les joueuses du Top 8 s’exécutent dans les rires et la sueur. « Il y a une bonne ambiance dans l’équipe, c’est un peu une famille sportive. Le rugby apprend ça aussi : on n’est rien les unes sans les autres », explique la présidente du SRR. Et elles gardent le sourire quand on aborde les clichés vicieusement ancrés dans les mentalités sur les représentations viriles des femmes sportives.

« Les monstrozaures… On entend dire qu’on est des bonhommes. Le sport modifie nos gabarits mais notre demande est de rester féminine. Et dans la société, en dehors du terrain, on montre que l’on est femmes. L’essentiel, c’est d’être bien dans notre corps »,
s’esclaffe Anne Berville.

Un discours en parfait accord avec celui des handballeuses, qui expliquent de moins en moins pâtir des stéréotypes autour de leur condition. « C’est surtout quand on est jeune qu’on a des commentaires. Il y a moins de jugement je trouve », conclut Morgane Loirat. À force d’entrainement, de séances de musculation et de critiques essuyées, elles apprennent à accepter que leur corps ne s’aligne pas tous sur la norme imposée par l’actuel dictat de la minceur.

Venue d’Italie pour ses études, Marta Ferrari arrive à toute allure sur le terrain. Elle était avec le kiné du club pour une tension à l’épaule. « Vous avez toutes les épaules en avant, comme les mecs », lui dit-il, en la caricaturant, avant de préconiser des rotations latérales et des exercices de stretching. La mine empreinte de bonne humeur, la joueuse enfile son tee-shirt « Peroni, la birra del rugby » :

« En Italie, le cliché de la fille qui ne peut pas faire de sport de combat est encore plus fort. Il faut être réaliste, on fait des mêlées, on plaque, on court sur la même superficie de terrain. On doit accepter de travailler nos corps et modifier nos gabarits pour les besoins du sport ».

À 23 ans, Marta Ferrari se moque des critiques adressées aux sportives : « On travaille pour nous, parce qu’on aime ça – et heureusement parce qu’on est pas payées - pour la reconnaissance de l’effort ».

LES MANQUES PERSISTENT

Et au SRR, la valeur du travail et de l’effort est capitale. Dans cette équipe de haut niveau, seule la motivation compte. La rémunération n’étant pas au rendez-vous, tout comme la médiatisation, malgré la présence de plusieurs joueuses recrutées par le XV de France féminin, qui a disputé la Coupe du monde de rugby cet été. « Cet événement a fait du bien à notre discipline. Les gens s’y sont intéressés », se réjouit la capitaine.

Et pourtant des zones d’ombre les tracassent comme la baisse de leurs subventions « à cause d’une réévaluation des critères d’attribution de subventions », précise Anne-Sophie Demoulin dont la mission va être prochainement de se plonger dans les dossiers. Ou encore l’absence de structure, de club house.

« Nous sommes des SDF de terrains et de structures d’accueil », plaisante Anne Berville, sur fond de vérité puisque le stade du Vélodrôme connaît actuellement quelques travaux. Le SRR doit alors composer avec les disponibilités des terrains et des salles de muscu, à partager avec plusieurs associations et clubs de la ville de Rennes.

Le REC Volley regrette aussi de son côté le manque de visibilité accordée à la pratique féminine.

« Déjà que le volley masculin n’attire pas les foules… Alors les filles ! C’est très difficile de trouver des partenaires pour elles dans des villes telles que Rennes. Le gros tissu économique est favorable aux hommes mais les femmes, ce n’est pas vendeur. Quel dommage ! »,
commente l’entraineur, Gildas Thanguy.

Le club, conscient de la réalité du milieu, souhaite développer sa communication à destination des publics et des potentiels financeurs. « Nous essayons de faire des affiches, des calendriers », précise Floriane Prévert à la fin du tournoi. Idem pour le SRR qui pratique la parution des calendriers depuis plusieurs années maintenant ! « Nous nous rapprochons également du SGRMH qui ont une forte communication », dévoile la présidente du SRR.

Côté handball, l’ambition a été affichée clairement avec la fusion des équipes et le recrutement de 3 nouvelles joueuses, réputées « gros calibres », comme Blanka Szeberenyi, citées précédemment. Flirter avec le haut du tableau ne devrait donc bientôt plus être un idéal mais une réalité afin de progresser en 2e division et accéder au haut-niveau dans un futur proche.

Les volleyeuses, elles, ont l’ambition de figurer en N1 d’ici 3 ans. « Nos résultats doivent devenir plus attractifs et pour cela nous devons réaliser une saison plus régulière.», confie Gildas Thanguy. Concernant les rouges et noires du SRR, déjà à haut niveau, l’exigence est à la stabilisation des performances.

« Ces dernières années ont été difficiles. L’objectif de l’an dernier était le maintien dans le Top 8. Pareil cette année, match par match », explique la capitaine de l’équipe qui va devoir redoubler d’effort, la saison ayant commencé sur des défaites. Heureusement, Anne-Sophie Demoulin se rattache à sa philosophie :

« L’important, c’est les amitiés qu’on garde, les choses qu’on vit avec ces personnes là. Je préfère être championne de France avec des amies qu’avec des connasses ».

Si l’ouverture des esprits progresse sur le terrain de l’égalité, des disparités subsistent. Une fois crampons et tenues rangés, les sportives ne semblent pas compter les points d’un match qui n’est pas prêt de prendre fin tant les stéréotypes sexistes sont imprégnés dans les mentalités.

Passionnées, elles le sont tout autant que les hommes, parfois plus. Drapées dans des écharpes rouges et noires, elles encouragent le Stade Rennais Football Club depuis les tribunes. Les supportrices du club des Socios ont chacune leur caractère, leur histoire, leur avis. Mais toutes ont la passion du football chevillée au corps et vibrent avec leur équipe favorite. YEGG les a suivi lors du match Rennes – Toulouse, le 23 septembre dernier.

Femmes de supporters elles le sont parfois, mais leur dénominateur commun c'est d'être des supportrices avant tout. Les membres du club des Socios arrivent bien avant le match dans le bungalow qui leur est attribué sur le parking du stade. Un petit préfabriqué qui côtoie ceux des autres clubs de supporters. Face au stade qui se dresse tel une proue d'un immense paquebot dans la lumière descendante du début de soirée, il paraît minuscule.

L'intérieur est chaleureux : un bar, quelques bancs et surtout des hommes et des femmes venus partager une passion. Le coup d'envoi est prévu à 21h. Dès 19h les supporters affluent par petits groupes. Parmi la majorité d'hommes, quelques femmes sont là. La volubile Marie-Hélène Delfosse fait partie du bureau de l'association depuis deux ans. Elle est derrière le bar à servir les arrivants. Coca ou jus d'orange, bière ou mousseux, les bouteilles s'ouvrent, les bulles pétillent et les yeux aussi. Toulouse est moins bien classée que Rennes qui joue à domicile.

L'espoir d'une victoire gonfle les cœurs. L'ambiance est joyeuse, détendue. Certaines évoquent la défaite, 3 à 0 contre Marseille du week-end précédent à demi-voix :

« On a pris une sacrée raclée quand même... »

Le club des Socios fait partie des 3 principaux clubs de supporters du SRFC. Créé en 1992, ses valeurs sont axées autour d'une ambiance conviviale et familiale. Il peine un peu à attirer des jeunes, mais dénombre un public nettement plus féminin que celui du Roahzon Celtic Kop, par exemple. Elles ont chacune leur histoire. Les plus âgées sont souvent arrivées au foot par leur conjoint ou leur fils. C'est le cas de Ginette Porée qui vient de Saint Lo, en Normandie. Elle explique :

« Quand j'ai rencontré mon mari, à 18 ans, il était supporter du Stade Rennais. La première sortie que nous avons faite ensemble c'était pour aller voir un match au stade. »

Betty Pitnain, elle, a récupéré l'abonnement de son fils lorsqu'il a eu des jumeaux et qu'il ne pouvait plus se déplacer. Les plus jeunes, ont souvent un parcours un peu différent. Audrey Desisles a entrainé sa mère dans les tribunes ce soir là. Elle explique: « Je voulais découvrir l'ambiance d'un stade. Ma tante avait une place et je me suis prise au jeu. Dans ma famille il y avait déjà des supporters, mon cousin, ma cousine, mon oncle et ma tante. Maintenant, c'est moi qui amène ma mère. »

D'autres ont remporté des places à la radio et ont attrapé le virus du football.

DE PLUS EN PLUS DE FEMMES

Un constat émerge quant au nombre de femmes parmi les supporters : minoritaires mais de plus en plus nombreuses. Dans le bungalow elles sont présentes, boivent un verre et parlent de tout, foot ou pas. Plus tard, dans les tribunes, des femmes de tout âge et de toute condition sociale assistent au match. Elles râlent contre l'état du terrain et au fur et à mesure que le temps file, contre l'équipe de Rennes : « Mais ils ne jouent pas là ! », s'énervent-elles.

Elles ne connaissent pas encore tous les joueurs de la nouvelle équipe, onze changements ont eu lieu à la rentrée de la saison 2014. Elles s'insurgent tout de même : « C'est qui celui là ? Il ne peut pas faire ça ! » Score final : 3-0 pour Toulouse, Marie-Thérèse Lahaye nous glisse mi-triste, mi-amusée : « Faudra pas leur annoncer le score dans votre article... »

Après le match, un détour par le bungalow s'impose pour tous les sympathisants du club, inscrits ou non. « Ils ne vont pas rester longtemps ce soir », analyse Marie-Hélène Delfosse. Les soirs de défaite, les gens repartent plus rapidement. Accoudée au bar avec son mari, Yaelle Pertuisel boit un café avant de reprendre la route.

Avant le match elle était toute sourire; maintenant, elle tourne de grands yeux tristes vers nous : « Ah on est déçus quand même, mais on reviendra pour le prochain match à domicile. »

FOOTBALL FÉMININ

Le Stade Rennais n'a pas d'équipe féminine, contrairement à l'Olympique Lyonnais ou au Paris- Saint-Germain. Les femmes sont donc reléguées au rang de supportrices de l'équipe masculine à défaut de pouvoir exercer leurs talents sur le terrain. Une situation que déplore Sylvie Joly, supportrice depuis dix ans :

« Ce serait bien que Rennes aille puiser dans les talents féminins. »

Elle apprécie le foot féminin qu'elle trouve « plus fin, plus technique ». Toutes ne partagent pas ce constat. Marie-Hélène Delfosse s'en veut un peu de son discours : « Oh la la ça ne va pas vous plaire si je dis ça ! » Mais elle renchérit : « Je pense que les femmes devraient laisser le foot aux hommes. Au basket et au hand, d'accord, elles ont leur place, mais le foot, non, c'est plus viril. »

DElle a déjà regardé des matchs de foot féminin et critique leur lourdeur sur le terrain. Betty Pitnain, retraitée, a été pendant 18 ans responsable du bar des Socios. Elle regarde beaucoup le foot féminin à la télévision et supporte l'équipe de France féminine notamment « parce qu'il y a deux bretonnes ».

Toutes font néanmoins le même constat : l'absence de barrières entre les supporters masculins et féminins. Une bonne nouvelle pour un sport régulièrement entaché de scandales sexistes.

 

Arrivée dans le tennis sur le tard, après en avoir longtemps rêvé, Danielle Autin est vice-présidente de la ligue de tennis de Bretagne et présidente de la commission au tennis féminin. Elle livre bataille depuis quelques années afin d'attirer plus de filles et de femmes dans les clubs. Rencontre.

Pourquoi avoir eu besoin de créer une commission au tennis féminin ?

En tennis, on compte 1 femme pour 2 hommes et seulement 1 fille pour 4 garçons. Pourtant le tennis a énormément d'atouts pour séduire les femmes. Avant elles n'avaient pas beaucoup de place. Les règles du jeu étaient faites en fonction des pratiquants masculins.

Aujourd'hui les choses sont en train de changer.La création d'une commission répond à une demande de représentation de la part des femmes. La ligue de Bretagne est assez réactive sur cette question. C'est d'ailleurs l'une des seules ligues avec une présidente et une vice-présidente.

Quelles sont les actions de la commission ?

Premièrement, il y a des actions fédérales qui sont déclinées sur un plan régional. Par exemple les « raquettes FFT » sont une compétition qui s'adresse à des femmes avec des petits niveaux. Elles jouent par équipe de 4. Deuxièmement, j'ai mis en place des actions spécifiques à la Bretagne afin d'amener des petites-filles ou des ados vers ce sport. « J'amène ma copine » est une action sur une journée.

C'est un moment festif où des jeunes pratiquantes peuvent amener une proche afin de leur faire découvrir le tennis. J'ai aussi travaillé avec des éducateurs afin d'aller vers des gens qui n'ont pas accès au sport. J'ai vu des femmes qui n'avaient jamais pratiqué prendre rapidement plaisir au tennis. J'essaye d'ouvrir à d'autres sports : on a fait des animations de tennis-zumba ou de tennis-fitness. Il ne faut pas attendre qu'elles viennent au club mais il faut organiser des actions pour les faire venir.

Le tennis est-il paritaire ?

L'équitation est loin devant tous les sports, mais le tennis est très féminin aussi. Pourtant les femmes ne cessent de devoir se bagarrer. À ce titre, les médias jouent un rôle : au moment de Roland Garros, il est rare de voir un match féminin retransmis. Mais ça bouge. Le fait qu'Amélie Mauresmo soit l'entraineur des meilleures joueuses françaises a montré qu'il n'y avait pas que les hommes qui pouvaient entrainer.

Il faut aller voir les femmes et montrer ce que le tennis peut leur apporter en bien-être et en plaisir. Ce que j'aime dans ce sport c'est qu'il est transgénérationnel et que c'est une bonne école de la vie, où l'on apprend à se respecter.

 

 

 

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Les sportives, pas sur la touche !
Le match sans fin ?
Rouge et noir au féminin
Danielle Autin, le tennis par passion

Célian Ramis

Éducation à l'égalité : L'enjeu de la transmission

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Rennes
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L'éducation à l'égalité, un enjeu majeur dans la question du rapport féminin/masculin.
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Rumeurs, journées de retrait de l’école, récupération politique, enterrement de l’ABCD de l’égalité fin juin – qui renaitra de ses cendres, début juillet, sous le nom de Plan d’action pour l’égalité entre les filles et les garçons à l’école – et on en passe… Côté éducation, le thème de l’égalité a été secoué au fil des différentes actualités qui ont bouleversé le 1er semestre 2014. La question du genre fait frémir quelques partisans de la Manif pour tous, emportés par Farida Belghoul et le sms terrifiant – qui ferait un bon titre de bouquin pour la littérature jeunesse – prédisant des cours de masturbation enseignés directement par les professeurs de l’Éducation nationale.

On aurait pu penser que le léger réaménagement des rythmes scolaires mis en place dès cette rentrée prendrait la relève, niveau polémique. Mais c’était sans compter les nouvelles péripéties de la fin août qui bousculent le gouvernement, qui nomme Najat Vallaud-Belkacem, jusqu’alors ministre des Droits des femmes, de la Ville, de la Jeunesse et des Sports, au ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.

Au royaume de l’Éducation, la nouvelle reine imposera-t-elle l’égalité comme priorité ? Une chose est sûre, les professionnels de la question n’ont pas attendu pour potasser leurs leçons et tenter de les appliquer concrètement au quotidien. Mais la prise de conscience, elle, est loin d’être généralisée. 

Finies les représentations de la petite fille en princesse esseulée et du petit garçon en sauveur de ces demoiselles en détresse. La cloche a sonné et avec elle, le temps de la prise de conscience concernant l’impérative éducation à l’égalité des sexes dès le plus jeune âge.

Les filles seraient plus littéraires et les garçons plus scientifiques. Les filles seraient guidées par leur intuition, les garçons par leur sens de l’orientation. Les filles seraient plus douées pour la gestion du foyer et des tâches ménagères, les garçons pour la vie professionnelle et les postes à responsabilité. C’est du moins ce que nous dictent l’Histoire et la Science. Foutaises ! Le cerveau n’a pas de sexe. C’est ce que démontre et défend la neurobiologiste et directrice de recherche de l’Institut Pasteur, Catherine Vidal, dans sa conférence « Le cerveau a-t-il un sexe ? ».

« Le bébé nait avec 100 milliards de neurones qui ne vont pas cesser de se multiplier. Mais il faut savoir qu’à la naissance, seulement 10% des neurones sont connectés entre eux », nous expliquait la neurobiologiste le 16 mai dernier, lors de la Biennale de l’égalité femmes-hommes organisée à Lorient. Ainsi, les 90% restants se fabriqueraient durant la petite enfance et tout au long de notre existence. Elle est catégorique :

« Hormis l’hypothalamus qui active chaque mois des neurones afin de déclencher l’ovulation chez la femme, il n’y a pas de différence entre les sexes pour les fonctions cognitives. »

Les connexions s’effectuent alors intrinsèquement en fonction de l’environnement, social et culturel, fréquenté. « Jusqu’à 2 ans et demi, l’enfant n’est pas capable de s’identifier au masculin ou au féminin. Il n’a pas conscience de son sexe », affirme Catherine Vidal. Dans ces années-là, l’enfant est donc inconsciemment formaté par les éléments qui l’entourent, que ce soit la décoration de sa chambre, les couleurs de ses habits ou encore les jouets qu’il manipule.

La neurobiologiste conclut alors sur l’importance de l’éducation et de l’apprentissage, ainsi que sur la nécessité pour les biologistes de s’engager auprès des sciences sociales « pour diffuser la culture de l’égalité entre les femmes et les hommes ».

NOURRIS AUX INÉGALITÉS

Les stéréotypes et les idées reçues sont donc ingérés par les tout-petits, avant même qu’ils n’aient conscience de leur sexe. « Entre 5 et 7 ans, on comprend la norme, et cela devient invariable », met en garde Rozenn Moro, co-formatrice, spécialiste techniques d’animation et éducation populaire auprès de l’association féministe Questions d’égalité, à Rennes.

La structure entre dans le vif du sujet et propose une formation « Mettre en place l’égalité filles-garçons dans le secteur de la petite enfance : pourquoi ? Comment ? », dont la première sera organisée les 8 et 9 décembre. La session de juin ayant été reportée faute de participants suffisamment nombreux : « Les professionnel-le-s de la petite enfance n’ont pas forcément connaissance de cette possibilité, n’ont pas conscience de véhiculer des inégalités ou encore sont formé-e-s par leurs employeur-e-s (lire notre encadré La ville forme ses agents) – et là c’est une bonne chose ».

Pourtant, nombreux sont les discours établissant la corrélation entre les adultes travaillant au contact des petits et la transmission de certaines idées reçues à l’enfant. L’objectif de l’association est alors de dresser un état des lieux des inégalités distinguées, de comprendre la reconstruction des rôles « traditionnellement masculins et féminins » dans les interactions adultes-enfants et d’établir des actions éducatives concrètes à mettre en place.

« On recueille les représentations que les un-e-s et les autres ont, on travaille sur les stéréotypes qui sont véhiculés dans l’univers de la petite enfance et on pointe du doigt les différences qui se révèlent très tôt et qui se nichent dans l’inconscient »,
Rozenn Moro, membre de l'association rennaise Questions d'égalité.

Sans chercher à culpabiliser les pros ou les familles, des phases d’observations, d’échanges et de travail sur divers supports vont s’alterner afin de comprendre la nature de ce qui nous conditionne en tant que femmes et hommes. La représentation de la figure maternelle, allouée aux tâches domestiques et quotidiennes, et de la figure paternelle, orientée vers le jeu et l’autorité, la construction de l’environnement avant la naissance du nourrisson, la manière de s’adresser aux petites filles et aux petits garçons… Les comportements diffèrent selon le sexe de l’individu.

Mi-mai, Questions d’égalité invitait Elsa Arvanitis et Sophie Collard, sociologues de formation qui ont fondé Artémisia à Toulouse dans l’optique d’analyser ces problématiques auprès des structures dédiées à la petite enfance et de sensibiliser les professionnel-le-s. « Elles sont parties d’un constat très parlant : Les petites filles sont souvent encouragées sur leur apparence, tandis que les petits garçons sont encouragés sur leurs performances, sachant qu’on leur accorde plus d’importance, on les réprimande davantage », résume Rozenn.

Lors de la Biennale, Nicole Abar, ancienne footballeuse internationale, chargée de l’animation de l’expérimentation ABCD de l’égalité en 2013/2014, orientait son discours dans la même direction :

« En me rendant dans les écoles, j’affichais une grande feuille blanche contre le mur et je demandais aux enfants d’aller dessiner ce qu’ils voulaient. Ce que je voyais était effarant. Les garçons se jetaient sur la feuille et prenaient un grand espace pour leurs dessins tandis que les filles attendaient qu’on les pousse à aller griffonner une toute petite fleur. C’est très révélateur. »

L’heure n’est donc plus au bilan mais bel et bien à la prise de conscience et à l’action.

LUTTER CONTRE LE SEXISME

Chez Questions d’égalité, on regrette qu’aucune crèche pilote en terme d’égalité des sexes n’existe. Une structure comme celle qui se développe à Saint-Ouen (93) depuis 2009, la crèche Bourdarias - établit sur le modèle suédois - qui lutte contre les stéréotypes de genre en adoptant une méthode éducative non-différenciée. Les enfants sont amenés à participer à des jeux, ateliers, lectures, etc. sans attribuer de sexe à l’objet ou à l’animation.

Pour remédier au manque de lieux expérimentaux et progressistes - qui sont pourtant recommandés par l’Inspection Générale des Affaires Sociales - l’association rennaise, qui serait alors formatrice et accompagnatrice, lance un appel à projets pour lancer une crèche pilote, la fiche informative étant à leur soumettre avant le 15 novembre.

De son côté, l’association féministe rennaise Mix-Cité dénonce le sexisme des jouets, dans un mini-catalogue intitulé « Pas de cadeaux pour le sexisme », et y décrypte les comportements forgés par les objets de loisirs. D’une part, des outils de bricolage, armes, jeux de guerre ou expériences scientifiques ; les garçons sont influencés par la virilité, la violence et la réflexion. De l’autre, des Barbies, des déguisements de princesse, des dinettes, des poupons et des tables de repassage ; les filles sont alors formées à la passivité et au rôle de femmes au foyer.

« Les jouets en eux-mêmes ne sont pas sexistes, ce sont leur utilisation et les représentations auxquelles nous les faisons correspondre qui sont sexistes », informe le dépliant, qui invite à être attentif à nos propres préjugés que l’on véhicule à nos petites têtes blondes. Des alternatives sont alors proposées sur les choix de jeux collectifs, de construction, de découverte et d’éveil ou encore de lectures. Ces dernières étant particulièrement décriées à l’heure actuelle par les spécialistes de la littérature jeunesse (lire notre interview).

Dans le même esprit, le 25 juin, à l’occasion de la conférence de l’auteure Jessie Magana à la MJC Bréquigny, la bibli Clôteaux-Bréquigny proposait une sélection d’albums, documentaires, romans et BD – empruntables dans toutes les bibliothèques de Rennes – recommandée en terme d’égalité filles-garçons. Un fascicule permettant ainsi de s’orienter vers des ouvrages ou supports qui bousculent les représentations de genre dans un domaine très impacté par le sexisme.

Un élément fondamental selon les spécialistes qui établissent indéniablement un lien entre ses fameuses représentations de genre – maman aux fourneaux, papa aux activités ludiques et pédagogiques, ou encore maman au foyer, papa médecin, pompier, directeur, etc. – et les orientations scolaires choisies selon le sexe, les filles osant moins se destiner à des carrières « prestigieuses », les laissant inconsciemment aux hommes.

OBJECTIF FORMATION ET APPRENTISSAGE

Nombreux sont celles et ceux qui prônent l’éducation à l’égalité. À tort ou à raison, le rôle de l’école et de l’apprentissage serait donc fondamental. Que ce soit au cours du premier ou du second degré, les alertes se sont multipliées pour sonner l’alarme et l’urgence de la mission, et le gouvernement s’est emparé du dossier. Tout d’abord, avec Najat Vallaud-Belkacem, ministre des Droits des femmes de mai 2012 à août 2014, qui avait alors fait de ce sujet un cheval de bataille en instaurant l’ABCD de l’égalité en expérimentation dans 10 académies françaises, soit 247 écoles, à la rentrée 2013.

Début 2014, les événements s’enchainent et se bousculent, le sms de Farida Belghoul embrasent les esprits échauffés et terrifiés à l’idée de soi-disants cours de masturbation dès 4 ans et autres rumeurs qui poussent certains parents à retirer leurs enfants des établissements scolaires à l’occasion des Journées de retrait de l’école. La machine est en route et la ministre, en lien avec Benoit Hamon, alors ministre de l’Éducation nationale, décident d’enterrer cet outil.

Ce dernier ne disparaît pas tout à fait et revient sous le nom de Plan d’action pour l’égalité entre les filles et les garçons à l’école. 4 axes se sont dégagés de l’ABCD de l’égalité, salué par l’inspection générale de l’Éducation nationale (IGEN), à la suite de son évaluation. Dans les mesures principales du Plan figurent la formation du personnel éducatif inscrite dorénavant dans les écoles supérieures du professorat - et du personnel déjà en activité - la mise en place d’une mallette pédagogique à destination des enseignants, l’information aux parents ou encore l’intégration de séquences pédagogiques dans les programmes (EPS, éducation morale et civique, français, géographie et histoire).

Un point qui ne devrait pas déplaire à Nicole Lucas, agrégée et docteure en histoire, licenciée en histoire de l’art, membre associée du laboratoire CERHIO/CNRS/UMR 6258 – Université Rennes 2, qui a orienté ses études, depuis plusieurs années, sur les manuels scolaires, l’enseignement de l’histoire et la place des femmes dans l’Histoire.

« Elles ne sont pas totalement absentes mais leur place est minime. En 2008, les manuels scolaires ont intégré les femmes médiévales, Emilie de Chatelet et les femmes dans la Première guerre mondiale. Sinon rien n’a bougé », scande-t-elle.

Mentionner Olympe de Gouges ou Simone Weil en quelques lignes dans les textes est bien loin d’être satisfaisant. Selon la spécialiste, l’espace accordé à la gente féminine dans les livres scolaires est dramatique. Quatre ou cinq textes de femmes sur une centaine, « c’est pire que de ne pas les voir apparaître ! » Indignée, elle nous montre les chiffres publiés, sous forme d’un tableau, dans son ouvrage Éducation des femmes – Héritages, expériences, identités, co-écrit avec Danielle Ohana : pour exemples, dans un manuel édité chez Magnard en 2010, pour une classe de 2nde, sur 20 auteurs, seulement 3 femmes ! Ou encore dans un manuel édité chez Hachette, la même année pour le même public, aucune bio de femmes sur 48.

« Pour que ce soit vendeur, les femmes se trouvent en couverture de livres. Mais pas trop dans les textes… Ou alors on fait un dossier sur elles. Ce n’est pas bon, il faut les intégrer dans le continuum de l’Histoire. Il y a plein de femmes dans l’Histoire ! », précise-t-elle. Le sujet est terrifiant, la conversation passionnante. Car c’est une passionnée Nicole Lucas, qui nous liste les femmes oubliées – volontairement ?! - des manuels : celles l’Antiquité, du Moyen-âge, les aristos, les abbesses (« qui avaient autant de pouvoir que les hommes »), les paysannes…

« Toutes avaient un rôle dans la société. On fait comme si elles n’apparaissaient qu’au XXe siècle ! Les manuels nous enseignent une histoire d’hommes… Ma formule, c’est : Une histoire mixte et équilibrée », rigole-t-elle.

L’auteure de Dire l’histoire des femmes à l’école reconnaît alors les défaillances des manuels scolaires, soumis à des programmes, les problèmes de formation des enseignant-e-s et la frilosité des professeur-e-s et des familles à s’attaquer à ce sujet. Toutefois, elle se ravit de voir que la question interroge et attise la curiosité des professionnel-le-s – Magali Hardouin, de l’Université Rennes 2 également, loin d’être la seule,  a publié, en 2012, un rapport sur la représentation des femmes dans les manuels de géographie – mais aussi des élèves.

La preuve avec la pétition d’Ariane Baillon, 17 ans, envoyée à Benoit Hamon – aujourd’hui sur le bureau de Najat Vallaud-Belkacem, par conséquent – s’indignant de constater qu’une seule femme figurait au programme de philosophie en terminale : Hannah Arendt. Mi-août, elle avait déjà récolté plus de 12 000 signatures.

Elle précise également, dans un article écrit pour Rue89 Bordeaux, son indignation face à la présentation des femmes, en lettres par exemple : à travers leurs liaisons avec les « grands hommes », et prend pour exemple George Sand, abordé dans sa relation avec Alfred de Musset seulement. La prise de conscience est initiée. Espérons qu’elle ne se perde pas en chemin. Une certitude pour Nicole Lucas :

« Il faut des outils multipolaires à l’école, pour les professeur-e-s et les élèves. Les manuels restent un support pour l’enseignant comme pour l’enfant. Des femmes, il faut en parler à tous les âges ! »

Parce que l’égalité des sexes n’est pas que dans les livres…

Quelle est la politique de la ville en matière d’égalité filles-garçons, femmes-hommes ? Quels sont les outils mis à disposition des fonctionnaires municipaux ? Quels sont les programmes établis par la ville ? Des interrogations que la rédaction de YEGG est allée soumettre aux élues de la ville de Rennes, en charge de ces questions, Lénaïc Briéro, adjointe déléguée à l’éducation et aux politiques mémorielles, et Geneviève Letourneux, chargée des droits des femmes et de l’égalité.

Récemment élues (début avril), elles n’avaient pas encore eu le temps, mi-juillet, de prendre pleinement connaissance de leurs nouveaux dossiers. De surcroît, leurs agendas ne leur laissent que peu de temps pour répondre aux journalistes. Néanmoins, elles ont rapidement rappelé que cette préoccupation n’est pas récente à Rennes, que l’égalité s’inscrit « dans l’ADN de la ville » et que la nouvelle municipalité « poursuit la dynamique impulsée il y a plusieurs années ».

Concrètement ? Côté éducation, Lénaïc Briéro annonce que :

« Nous commencerons par une sensibilisation de notre personnel dans les écoles aux luttes contre les discriminations filles-garçons. Cela devrait se poursuivre par des formations ».

Quand ? Bientôt sans doute… Côté droits des femmes, Geneviève Letourneux signale que « Pour ainsi dire, il y a la dimension de la formation du personnel d’accueil, qui est importante ». Elle ajoute « Nous avons entrepris un gros travail institutionnel, qui est fondamental pour faire la preuve par l’exemple, de sensibilisation des employés municipaux ». Un bon début. La promesse la plus notable concerne le personnel municipal de la Petite Enfance.

Ainsi, en mars dernier, lors de la journée pédagogique qui lui est consacrée, a été mise en place une formation continue sur l’égalité filles-garçons. « Cela devrait permettre de donner des habitudes de travail qui irriguent le quotidien », se félicite Geneviève Letourneux. Encourageant, certes. Reste à savoir si cela sera pérennisé et suivi d’effets.

 

 

En février dernier, la rédaction de YEGG contactait l’Inspection Académique dans le cadre d’un Décryptage sur l’ABCD de l’Égalité. À l’époque, de vilaines rumeurs se diffusaient via sms, prétendant que cet ABCD n’était rien d’autre qu’une théorie du genre, que les enseignants allaient dispenser des cours de masturbation aux enfants et faire d’eux des homosexuels… etc, et incitant les parents à des journées de retrait de l’école.

La droite extrême et la droite dure se sont empressées d’envenimer les choses. Face à cela, l’Inspection Académique a choisi de pratiquer la politique de l’autruche, pensant que moins on parlerait de l’ABCD de l’Egalité, plus les parents d’élèves oublieraient la rumeur. Elle a donc refusé de répondre à nos questions. Or, on sait que la communication sur des sujets aussi sensibles est toujours meilleure que le silence.

En outre, ce programme n’avait rien de révolutionnaire (cf. Décryptage – N°23) et il aurait été intelligent de mettre les points sur les « i » une bonne foi pour toutes. L’ABCD de l’Egalité abandonné par le ministre de l’Education Benoît Hamon en juin dernier, la rédaction a fait une nouvelle demande d’entretien à l’Académie, pour évoquer plus largement l’éducation à l’égalité à Rennes, connaître les dispositifs déjà mis en place dans la ville. Nouveau refus. Sans explication. Une attitude navrante dont les esprits malveillants à l’origine des rumeurs sur les conséquences potentielles de la théorie du genre se délectent et se réjouissent.

« Nous n’avons que très peu de temps pour faire de nos élèves des citoyens intelligents humainement », explique Ronan Chérel, professeur d’histoire-géographie au collège Rosa Parks, à Rennes. L’an dernier, il a participé avec un groupe 8 élèves – 6 filles et 2 garçons - de 3e, aux Olympes de la parole, un concours annuel organisé par l’Association françaises des femmes diplômées des universités, sur le thème suivant : « De nos jours, le sport est-il un facteur d'émancipation des filles et des femmes dans la société ? Tous les sports individuels ou collectifs sont-ils ouverts aux filles et aux femmes ? »

Pour le professeur rennais, le programme scolaire permet de canaliser les énergies vers du positif. C’est ensuite la sensibilité de l’enseignant qui mène à traiter le thème de l’égalité, dont l’égalité des sexes. Se saisir des opportunités offertes par l’Institution, comme le concours d’éloquence, est alors capital pour leur donner matière à « plaider des choses civiquement, démontrer une réflexion, une implication, un militantisme naissant, peu importe. Pour construire leur humanisme. »

Il reviendra plus tard dans la discussion sur les programmes scolaires :

« La présence des femmes y est encore sous évaluée. Personnellement, je suis pour saisir les situations exemplaires dans l’Histoire, à travers les hommes ou les femmes. Celui ou celle qui illustre le mieux notre propos. »

Il conclut alors sur la situation actuelle, celle d’une démarche personnelle de la part des enseignants qui souhaitent en apprendre davantage sur les sujets. « Nous n’avons pas une connaissance universelle des choses, les manuels n’enseignent pas tout. C’est donc à nous de nous renseigner. Mais notre enseignement mériterait que l’on nous y aide », précise-t-il.  

Rennaise d’adoption, éditrice et auteure, Jessie Magana a fait de l’égalité filles-garçons son cheval de bataille. Dans ses ouvrages – Comment parler de l’égalité filles/garçons aux enfants, Editions du Baron Perché et Les mots indispensables pour parler du sexisme aux Editions Syros, co-écrit avec Alexandre Messager - elle livre des pistes éducatives pour y parvenir. Rencontre.

YEGG : Pourquoi l’éducation à l’égalité vous tient-elle tant à cœur ?

Jessie Magana: Tout le monde pense que l’égalité des sexes est réalisée, mais non ! Elle n’existe pas dans les esprits. Et les chiffres le prouvent - 80 % des tâches ménagères exécutées par les femmes, 16 à 20 % d’écart de salaires, 14% de femmes maires en France…etc.

Depuis Olympe de Gouges et les suffragettes, les choses ont bougé. Il y a eu de gros jalons historiques, 1945, les années 1970, et ce qui en a découlé est fort. Juridiquement, il y a eu des leviers puissants, comme la loi sur la parité, mais ça n’a pas été suffisant pour que les mentalités évoluent. Les femmes elles-mêmes sont conditionnées.

Comment peut-on faire évoluer les mentalités ?

La société projette des rôles avant même la naissance, il faut donc commencer à travailler avec les parents et les professionnels de la petite enfance sur les représentations, en s’affranchissant des stéréotypes notamment, sans pour autant tomber dans la neutralité.

Mon travail consiste à clarifier les choses de façon raisonnée, expliquer que le sexe biologique, le sexe culturel et l’orientation sexuelle sont trois choses bien différentes. Et toutes les combinaisons sont possibles ! On peut être très féminine et chef de chantier. On peut être très féminin et hétéro !

Le débat dépassionné est donc essentiel ?

Oui ! La confusion totale liée à l’ignorance et la crainte pose problème aujourd’hui. Nous sommes là pour discuter, mettre en perspective les choses, mais c’est très dur dans ce monde de l’immédiateté où les médias jouent sur les effets d’annonce. Il faut donc faire un travail pédagogique, malheureusement contré par les groupuscules anti-genre (Alliance Vita…etc.) qui jouent sur l’affect et la passion, eux.

Le but ?

Aboutir à une société plus juste où chacun se respecte, s’épanouit indépendamment de son orientation sexuée, accepte l’autre, est ouvert. Cela permettrait aussi de faire baisser les violences faites aux femmes. Si on continue de voir la sexualité de l’homme comme un besoin que la femme doit assouvir, alors il y aura toujours autant de viols et d’agressions.

Quel est le meilleur âge pour cela ?

Tous ! C’est mieux si on intervient tôt. Jusqu’à 2 ans, l’enfant ne sait pas s’il est fille ou garçon. C’est son entourage qui agit en fonction de son sexe. Il faut alors déconditionner les adultes. De 2 à 5 ans, les enfants construisent leur identité sexuée, en imitant l’adulte. On doit les laisser faire, les laisser jouer ensemble, favoriser la mixité. À 6-7 ans, ils restent entre sexes, et entrent dans la représentation. Là, il faut travailler sur les images, répondre à leurs interrogations.

C’est l’âge où l’on prend conscience du jugement des autres. Les adultes ont alors peur du regard de la société sur l’enfant, il ne faut pas, il faut laisser ouvert le champ des possibles. C’est plus facile pour les filles, car elles sont déjà dévalorisées. Les revaloriser est primordial afin que les garçons acceptent et accèdent à leurs jeux, sans se sentir pour autant rabaissés, voire humiliés. Ils n’ont pas le droit de jouer à la poupée, de pleurer, d’être faible… Quelle ânerie !

Enfin, chez les adolescents, le sexe est la question centrale. Or l’éducation sexuelle n’est pas faite. À l’école, on n’évoque que la prévention et la reproduction, et les parents ont du mal à discuter sur le sujet. Jamais on ne parle aux ados du sexe sous son aspect plaisir, relation avec l’autre. Résultat, ils filent vers le porno. L’âge moyen du visionnage du premier film porno est 13 ans !

Quel est l’âge le plus critique ?

L’adolescence. S’il n’y a pas d’ouverture maximale, les ados restent sur le modèle ancestral qui prétend que le sexe est un besoin physique de l’homme comblé par la femme. On a noté que dès la classe de 3e les filles s’imposent elles-mêmes des limites. Elles choisissent, spontanément, des domaines d’études en sciences humaines, psycho… Se disant, à tort, que les matières scientifiques ne sont pas pour elles.

Comment détruit-on les stéréotypes ?

Je fais des parallèles avec le racisme ou je demande « tu n’as jamais été confronté à une injustice dans ta vie ? » Il faut aussi inverser les rôles, parler aux gens de leur enfance, faire émerger des choses de cette période, qu’ils se souviennent de ce qu’ils ont vécu, ressenti alors. Il faut questionner leurs représentations. Mais aborder l’identité sexuée c’est toucher au très intime, c’est donc très complexe.

Que pensez-vous de l’abandon de l’ABCD de l’Egalité ?

Quel dommage ! Car il y a là du boulot, les enseignants sont inconsciemment conditionnés, comme nous tous. ABCD ou pas, ce qui m’importe c’est la prise de conscience de l’égalité à tous les niveaux, de la crèche à la fac, qu’elle soit au cœur de l’éducation, de la société, des mentalités. Que tous les intervenants soient formés, que l’on travaille sur les stéréotypes, à des jeux sur les métiers avec les enfants, des jouets mixtes.

On doit former les enseignants et leur fournir des outils afin que cela fasse partie de leur quotidien, soit au centre de leur enseignement. Les manuels scolaires doivent être revus, mais aussi la littérature jeunesse, et toute la culture. L’effort doit être fait pour mettre en valeur des figures féminines en littérature, en histoire. Cette année, au brevet des collèges, les élèves ont eu un texte de Charlotte Delbo ! Ce sont les enseignants qui l’ont choisi, ce qui prouve qu’ils sont des têtes de pont. L’égalité des sexes est une fragile révolution, balbutiante et remise en cause. Il faut y travailler à tous les niveaux de la société, à tout instant.

Tab title: 
L'égalité, sur les bancs de l'éducation
Zéro pointé : la copie est à revoir
La ville forme ses agents
L'inspection académique fait l'autruche
L'égalité, pas que dans les livres
Jessie Magana, l'égalité à tout prix

Célian Ramis

Harcèlement sexuel : Un fléau difficile à cerner

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Rennes
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Harcèlement sexuel : un fléau bien mal connu et très peu dénoncé. Pourquoi ?
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Harcèlement sexuel. Une notion que chacun-e a dans la tête avec une définition plus ou moins précise. Une notion dont tout le monde parle. Dont de nombreuses femmes sont victimes - souvent sans en être conscientes – mais que peu dénoncent. Qu’il s’agisse de harcèlement sexuel au travail, de harcèlement moral au sein du couple ou de harcèlement de rue, les appellations – officielles ou officieuses – différent mais désignent toutes une forme de violence à l’encontre des femmes. Symbole de domination, peur de l’abandon, besoin d’asseoir une emprise sur l’autre…le harcèlement, qu’il soit moral ou sexuel, s’instaure souvent de manière progressive, pour des raisons diverses et multiples, laissant les femmes victimes à leurs sentiments de honte, de culpabilité, d’humiliation. Une violence psychologique inouïe se dégage de ce fléau terriblement difficile et délicat à percer à jour, y compris dans les structures spécialisées. La loi du 6 août 2012 réactualise le délit de harcèlement sexuel, puni par le code pénal depuis 1992, et le défini dans les articles 222-33-I, II et III :

« I. ― Le harcèlement sexuel est le fait d'imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou comportements à connotation sexuelle qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante. II. ― Est assimilé au harcèlement sexuel le fait, même non répété, d'user de toute forme de pression grave dans le but réel ou apparent d'obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l'auteur des faits ou au profit d'un tiers. III. ― Les faits mentionnés aux I et II sont punis de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 € d'amende. » Mais le harcèlement sexuel est pernicieux en cela qu’il résulte de l’intimité d’une personne et qu’il en va de la subjectivité de chacun. Où placer l’intolérable ? Peut-on attribuer une norme à la sexualité d’un individu ou d’un couple ? Comment repérer le harcèlement et se prémunir de ce fléau ? YEGG a enquêté sur le territoire rennais.

Si le harcèlement sexuel au travail semble être de plus en plus connu, il est malgré tout tabou et incarne une des formes de violence des plus délicates à dénoncer. Souvent tétanisées face à ce fléau, les femmes ressentent honte et culpabilité. Comment identifier le harcèlement sexuel dans le cadre du travail et vers qui peut-on se tourner pour agir et réagir ?

Allusions sexistes, blagues potaches un peu lourdes, tentatives de drague... Lorsque ces faits deviennent répétitifs et portent atteinte à la dignité et à la bonne santé d’une personne, cela relève d’un délit puni par la loi. Les femmes sont de plus en plus nombreuses à oser en parler. En 2013, près de 37% des femmes qui témoignent auprès de l'AVFT (Association européenne contre les Violences faites aux Femmes au Travail) sont confrontées au harcèlement sexuel. Pire encore, selon les résultats de l'enquête établie par le Défenseur des Droits en février 2014, ce fléau touche encore 1 femme sur 5. Le 24 mars dernier, un communiqué de l’AVFT annonçait ne plus pouvoir recevoir de dossier en raison de la saturation des demandes, jusqu'à ce que l’association le puisse à nouveau; « le problème n’étant pas que nous ne soyons pas assez nombreuses pour répondre à toutes les sollicitations mais qu’il y a trop d’agresseurs et donc trop de victimes ».

Seule association spécialisée dans la lutte contre les violences sexistes et sexuelles au travail en France – qui en 1999 était l’un des pays où le taux des violences sexistes ou sexuelles sur le lieu de travail est le plus élevé, selon une étude du Bureau International du Travail - elle se mobilise également dans le Grand Ouest et peut intervenir aux côtés du CIDFF de Rennes.

Pourtant, « elles ont encore beaucoup de mal à expliquer la cause de leur détresse psychologique », explique Frédérique Chartier, psychologue du travail formée au CNAM (Conservatoire National des Arts et Métiers) de Paris en clinique du travail, installée à Rennes et proposant une consultation spécialisée « santé et souffrance au travail ».

« Ces femmes vont consulter car elles se trouvent dans un tel état de souffrance qu’elles souhaitent en sortir le plus rapidement possible, mais ne pensent pas forcément être victimes de harcèlement sexuel. »

En effet, à la difficulté d’analyser une situation qui leur est anxiogène voire insoutenable, s’ajoute parfois la honte et la culpabilité, leur faisant se sentir - à tort – en partie responsables. « Les victimes peinent à garder leurs repères, car le harceleur joue beaucoup sur la déstabilisation», ajoute t-elle.

Mais qu’est-ce que le harcèlement sexuel exactement ? L’article L1153-1 du code du travail le définit et interdit les « agissements de harcèlement de toute personne dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle à son profit ou au profit d’un tiers ». Et précise dans l’article L1153-2 qu’«aucun salarié, aucun candidat à un recrutement, à un stage ou à une période de formation en entreprise ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements de harcèlement sexuel ».

EMPÊCHER LA VICTIME DE BÉNÉFICIER DU SOUTIEN DES AUTRES

Les mêmes situations reviennent fréquemment, comme des plaisanteries sexistes ou des questions très intrusives sur la vie personnelle et sur le conjoint… Il peut y avoir des regards malsains, une présence insistante, des gestes déplacés ou des attitudes qui jouent sur la proximité physique. Le/la harceleur-euse peut très bien être le/la patron-ne, un-e supérieur-e ou un-e collègue de bureau. Les sources sont multiples, rendant la situation encore plus complexe.

« On retrouve très souvent un processus d’isolement social, physique associé à un processus  de déstabilisation dans quasiment chaque situation. Le harceleur tente de couper la victime du soutien du collectif de travail, ce qui l’amène à se replier socialement »
Frédérique Chartier, psychologue.

Une telle pression crée rapidement un environnement de travail cauchemardesque. Quel autre recours que de se faire arrêter par le médecin traitant afin de préserver sa santé mentale ? Et cela peut parfois aller plus loin et mener à l’inaptitude professionnelle et au licenciement. Un véritable cercle vicieux ! « Attention. Si le licenciement est lié à la base au harcèlement sexuel, on peut saisir le tribunal des Prud’hommes pour licenciement abusif, puisqu’il est sans cause réelle et sérieuse, » précise Maître Lara Bakhos, avocat au barreau de Rennes, experte en droit du travail.

DÉPRESSION, STRESS, HONTE, INSOMNIES...

Dépression, crises d’angoisse, honte, autant de symptômes auxquels s’ajoutent d’autres troubles psychosomatiques tels que les insomnies ou les pertes de mémoire... Ces derniers doivent alerter la personne concernée ou son entourage proche, afin de trouver une échappatoire à cette situation qui peut paraître sans issue. « Il est nécessaire pour la victime de trouver un espace d’écoute à son vécu et de l’aider à comprendre ce qui s’est passé pour elle dans cette situation, afin de l’aider à en sortir puis de restaurer ce qui a été cassé », explique Frédérique Chartier qui reçoit régulièrement des patientes confrontées au harcèlement sexuel.

« Une part du processus d’accompagnement psychologique va consister à identifier la situation de harcèlement, notamment sexuel, en repérant le processus à l’œuvre, le nommant pour le mettre progressivement à distance. Mon rôle est aussi de crédibiliser la parole des victimes. »
Frédérique Chartier, psychologue.

Elle insiste sur l'importance de retrouver des repères, de déculpabiliser et de retrouver confiance afin qu’elles puissent reprendre la main et se projeter dans un devenir différent, y compris à l’extérieur de l’entreprise. Il est nécessaire de protéger la victime en la sortant de la situation délétère, avec l’appui d’autres professionnels, notamment le médecin du travail et le médecin traitant. Aucune sphère professionnelle n’est épargnée. Même si certains milieux sont identifiés comme potentiellement plus propices au harcèlement sexuel, comme les environnements où la proportion femmes/hommes est très inégalitaire et où la référence à la virilité peut faire partie de certaines cultures de métier, auxquelles il est difficile de ne pas adhérer sous peine de rejet.

Néanmoins, la professionnelle nous précise que la majorité des femmes qui viennent la consulter ont généralement des postes à responsabilité et se trouvent à des niveaux hiérarchiques aussi élevés. Plusieurs psychologues travaillent à Rennes sur cette même problématique, apportant à ces femmes un véritable recours à leur traumatisme.

NÉGOCIER UNE RUPTURE CONVENTIONNELLE

S’il est bénéfique pour les victimes de harcèlement sexuel de se faire aider psychologiquement, celles-ci ne vont que très rarement devant les Prud’hommes. Ne se sentant pas toujours capables de faire face au long processus juridique qui les attend, souhaitant sortir au plus vite de cette situation. Mais souvent aussi pour manque de preuves inexistantes, comme le déplore Lara Bakhos, les témoins ne voulant pas se prononcer, préférant nier la situation plutôt que risquer de perdre leur emploi.

« Les situations parfois ambigües sur le lieu de travail peuvent peser en la défaveur de la victime ».
Lara Bakhos, avocat au barreau de Rennes

Les pré-supposés jeux de séduction n’ont en effet pas de traces écrites et lorsque les seules preuves de harcèlement sont orales, elles sont non recevables devant un tribunal. 

Valérie Kerauffret, membre de la CGT (Confédération Générale du Travail) de Rennes, regrette elle aussi la longue procédure. « La plupart préfère négocier une rupture conventionnelle, quant elles n’ont pas déjà démissionné, car elles sont tellement traumatisées qu’elles ne peuvent pas continuer. On pousse beaucoup sur l'indemnisation pour réparer le préjudice, même si ce n’est pas ce que l’on aimerait, mais pour l’instant on fait avec », explique t-elle.

Il est impératif que l’employeur ainsi que les délégués du personnel en soient avertis le plus vite possible. « Parfois, cela suffit à arrêter le harceleur, ajoute Lara Bakhos, surtout dans de grosses structures. J’ai eu le cas d’une hôtesse d’accueil qui recevait des sms salaces sur son portable. Elle a alerté son patron qui a réussi à identifier le harceleur grâce au numéro de téléphone d’où provenaient les sms. » Le CHSCT (Comité d’Hygiène, de Sécurité et des Conditions de Travail), le CE ou encore les élus du personnel peuvent également être alertés.

Si, malgré tout l’employeur ne semble pas agir pour faire cesser les faits dénoncés, la victime peut se retourner contre lui pour manquement à son devoir de protection envers elle, en référence à la circulaire du 4 mars 2014, qui rappelle « les obligations des employeurs et leur nécessaire mobilisation dans la mise en place des mesures préventives à l’encontre des faits de harcèlement ».

Il est tout de même nécessaire de savoir que les juridictions compétentes à saisir en cas de harcèlement sexuel au travail sont soit le tribunal des Prud’hommes, au quel cas la victime attaque l’entreprise pour faire respecter les conditions de travail et demande des dommages et intérêts; soit le tribunal correctionnel qui oppose la victime à l’auteur, le coupable encourant une peine de prison de 2 ans et le versement d’une amende de 30 000€.

Malgré la recrudescence importante de cas de harcèlement sexuel dans le cadre du travail, les compétences juridictionnelles sont encore bien sourdes face aux victimes.

« Les salariés en parlent de plus en plus, c’est un fait, un peu comme un effet de mode »
conclu Lara Bakhos.

À  la différence que ce fléau n’a rien d’éphémère ou de ponctuel. Pourtant, dans la plupart des cas, les victimes préfèrent démissionner plutôt que de se lancer dans des procédures juridictionnelles à n’en plus finir. Certaines doutent de la recevabilité de leur plainte, ayant souvent ce réflexe infondé de se demander si elles ne l’ont pas cherché. « Elles en viennent quelquefois à se demander ce qu’elles ont bien pu faire pour attirer cette situation, si elles ne sont pas en partie responsables ou consentantes », observe Frédérique Chartier, insistant sur la nécessité de se défaire de cette culpabilité et de l’emprise psychologique du processus à l’œuvre.

La psychologue constate par ailleurs que le harcèlement sexuel est souvent englobé dans d’autres formes de violence ou situations délétères. Un processus de harcèlement moral peut s’enclencher aussi après un refus à des sollicitations plus directes.

Bien que les femmes trouvent plus ou moins des parades, appelées stratégies d’évitement, en évitant les conflits au sein de leur entreprise, ce n'est aujourd'hui plus suffisant pour combattre ce mal. L’hyper-sensibilisation et la prévention à outrance seraient-ils les seuls moyens de casser le système de domination qui infuse à tous les niveaux de la société ?

À Rennes, comme ailleurs, la mobilisation se poursuit – mise en place du site stop-harcelement-sexuel.gouv.fr par le ministère des Droits des femmes et actions quotidiennes des structures et organismes compétents en matière de droits des femmes - mais avec un visible manque de moyens visant à inciter les femmes à dénoncer les violences subies.

La question du harcèlement sexuel dans le couple est certainement la plus complexe et la plus épineuse à cerner et à dénoncer. D’une part puisqu’elle touche à l’intimité profonde d’une personne, et d’autre part car elle se confronte alors au problème de la norme concernant la sexualité d’un couple. Concrètement, comment agir ?

Les voies de lutte contre le harcèlement sexuel au sein d’un couple sont tumultueuses, voire obscures. Il semble même que la problématique se heurte au mutisme des femmes qui en sont victimes soit parce qu’elles n’en ont pas conscience, soit parce qu’elles se trouvent démunies de solutions et de recours. « Souvent la femme n’identifie pas le harcèlement sexuel mais elle emploie beaucoup d’énergie à éviter l’acte sexuel », explique Solen Degabriel, juriste au Centre d’Information sur les Droits des Femmes et des Familles (CIDFF) depuis 6 ans. Et pour éviter l’acte sexuel non consenti, les femmes mettent en place des stratégies d’évitement :

« Ne pas aller se coucher en même temps, ne pas se retrouver seule avec lui, attendre qu’il se soit assoupi pour aller au lit si jamais il boit, faire chambre à part… Tout dépend du niveau de contrôle de sa vie, de ses actes. Il se peut même qu’elle s’enferme à clé dans sa chambre car elle a pu déjà être réveillée par une relation sexuelle forcée. »

Bien souvent, le processus de harcèlement est lent et évolutif. Difficile à repérer car le conjoint, pacsé, concubin ou compagnon passe par des phases dans lesquelles il se montre attentionné, aimant et à l’écoute. Outre le fait qu’il soit extrêmement complexe de dénoncer son partenaire, il est déjà compliqué de le formuler et de l’intégrer. « Quand les femmes viennent nous voir pour nous parler, notre rôle est de voir où elles en sont à ce moment précis et quels sont leurs freins. Mais nous avons très peu de cas de femmes qui viennent nous parler d’un problème de harcèlement sexuel. C’est une infime minorité de femmes qui en parlent », précise la juriste.

Et les cas ne sont quasiment pas chiffrés ou chiffrables. Même son de cloches du côté de l’Asfad, association rennaise spécialisée contre les violences faites aux femmes, qui a inauguré fin novembre 2013 son accueil de jour, ouvert les lundis et mercredis après-midi ainsi que les jeudis. Virginie Thoby, éducatrice employée par la structure, comptabilise deux situations de harcèlement sexuel sur une centaine de femmes reçue depuis l’ouverture du lieu. « La qualification du fait est compliquée. Le harcèlement sexuel ne figure même pas dans les fiches que nous remplissons après chaque entretien. Il faut cocher la case Autres », dit-elle en examinant de près cette fameuse fiche.

IDENTIFIER LE PROBLÈME

« C’est la forme de violence dont les femmes ont le plus de mal à parler et pourtant elle est très souvent présente. La violence sexuelle comprend un spectre très large allant du harcèlement sexuel à l’exploitation sexuelle, en passant par le viol conjugal ». C’est ainsi qu’est définie la violence sexuelle dans l’ouvrage Femmes sous emprise – les ressorts de la violence dans le couple, écrit par la psychiatre et docteur en médecine Marie-France Hirigoyen.

Le harcèlement sexuel a la spécificité de ne pas inclure l’agression sexuelle dans ce délit. C’est aussi pour cette raison qu’il n’est pas immédiatement identifié et reconnaissable : « Souvent, elles vont dire « Il ne va pas me lâcher jusqu’à la relation sexuelle » ou alors « il revient constamment à la charge » », déclare Solen Degabriel. Et la compagne va céder pour éviter la crise, apaiser le conflit et espérer une paix temporaire, un répit.

« c’est un mode de règlement de crise. Refuser la sexualité de son conjoint, c’est prendre le risque qu’une crise éclate, explose »
Virginie Thoby, éducatrice employée par l'Asfad Rennes.

Un moyen donc de se sortir d’une situation de harcèlement. Un harcèlement qui prend des formes diverses selon la personne qui peut exiger de regarder à deux des films pornographiques, alimenter la relation d’objets, vouloir que sa compagne porte des tenues spéciales, etc. Rien de choquant pour qui consent et s’épanouit librement dans la relation. « Cela peut se jouer dans l’attitude, les paroles, les gestes, il peut aussi simplement la frôler pour exercer une forme de pression tout en faisant croire qu’il s’agit d’un jeu de séduction », ajoute Solen Degabriel.

Tout cela, va alors peser sur la femme qui, elle, ne s’épanouit pas dans la sexualité imposée par son partenaire. Dans son livre, Marie-France Hirigoyen explique que la « relation sexuelle imposée est souvent passée sous silence parce qu’elle fait partie du « devoir conjugal », considéré aujourd’hui comme un droit pour l’homme et une obligation pour la femme. Beaucoup de femmes acceptent des rapports sexuels qu’elles ne désirent pas, simplement pour que le partenaire cesse de les harceler ». Car en 2005, au moment de la parution du livre, le devoir conjugal est toujours inscrit dans le code civil. Depuis, en 2006, la mention a été retirée. Mais elle n’en est pas moins gravée dans les mémoires.

« Si on a retiré la notion de devoir conjugal pour la notion de respect, il n’en reste pas moins que les femmes ont du mal à parler de violence sexuelle à cause de ça. C’est très ancré dans les idées, alors qu’aujourd’hui il n’y a plus d’obligation de dire oui ».
Solenn Degabriel, juriste au CIDFF.

Dans un témoignage que relate la psychiatre, elle décrit une situation dans laquelle Sophie manquait de confiance en elle et était en incapacité de poser des limites aux demandes sexuelles de son compagnon : « Il exige que, le soir, elle mette des tenues sexy (porte-jarretelles, bas fins, chaussures à talons très hauts…). « Au début, je le faisais pour lui faire plaisir, maintenant je le fais pour avoir la paix car, sinon, il finit par être violent. » »

LA QUESTION DE LA NORME SEXUELLE

L’obligation de ne pas dire oui signifie donc pouvoir dire non. Et non, c’est non. Une évidence malgré tout bien difficile à mettre en place lorsque l’on subit un telle menace au sein de son couple. « Quand une femme vient parler de harcèlement sexuel, c’est vraiment que c’est insupportable, intolérable ! », déclare Virginie Thoby, qui insiste sur le caractère subjectif du ressenti.

« Ce qui est invivable pour l’une ne l’est pas nécessairement pour l’autre ».
Virginie Thoby

Et c’est malheureusement là que se niche le problème. Comment définir, aux yeux de la loi et dans les consciences, le harcèlement sexuel si ce n’est en imposant une norme visant à contraindre la sexualité des couples à des conventions acceptables ou non ? Et comment définir l’épanouissement sexuel d’une femme ? Si elle est dans le partage ou non de la sexualité de son conjoint ? L’atteinte à l’intégrité et à la dignité n’est alors pas perçue de la même manière et la sonnette d’alarme ne peut venir que de celle qui la subit.

« C’est une expression très personnelle et très personnalisée. Dans mon travail, je ne suis pas dans le domaine juridique mais dans l’échange, le ressenti. Certaines femmes ont l’esprit très marqué par la violence. Il n’y a pas de marques physiques, elles n’ont pas été agressées physiquement mais ont des traumatismes bien plus profonds qui ne se guérissent pas comme une blessure sur le corps », détaille-t-elle. Honte, culpabilité, perte de confiance… les signaux et symptômes sont identiques à ceux du harcèlement moral.

Et c’est d’ailleurs en harcèlement moral que qualifie le code pénal de cette violence conjugale, dans l’article 222-33-2-1 : « Le fait de harceler son conjoint, son partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou son concubin par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de vie se traduisant par une altération de sa santé physique ou mentale ». Un délit passible de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 € d'amende lorsque ces faits ont causé une incapacité totale de travail inférieure ou égale à huit jours ou n'ont entraîné aucune incapacité de travail et de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 € d'amende lorsqu'ils ont causé une incapacité totale de travail supérieure à huit jours.

« S’il y a agression sexuelle, c’est le fait le plus grave qui sera retenu devant un tribunal. Je pense que ça doit être très très rare d’ailleurs qu’une femme aille devant le tribunal pour harcèlement sexuel, en général, il y a eu agression ou viol conjugal », précise Solenn Degabriel.

FEMME, OBJET SEXUEL

L’objectif des structures spécialisées dans les violences à l’encontre des femmes est alors de déculpabiliser la victime, de les aider à identifier qu’il s’agit de violence conjugale et les aider à se reconnecter avec leurs émotions. « Quand on impose une sexualité à quelqu’un, qu’on l’oblige à parler d’une manière particulière, souvent crue, qu’on lui parle de sexe de manière pornographique, etc. on réduit la personne à un objet. Nous sommes là pour écouter la personne, mettre des mots sur ce qu’elle subit et l’aider à se réattribuer le droit de dire non », explique Solen Degabriel.

« Toute violence sexuelle constitue un traumatisme majeur. Il peut se faire qu’une personne à qui l’on a imposé une violence sexuelle vive désormais avec la conviction qu’elle est méprisable et qu’aucun partenaire désormais ne l’acceptera », indique et alerte la psychiatre dans son chapitre sur la violence sexuelle. Définir la situation sans mettre la femme dans une situation dangereuse, lui apprendre à se protéger et à redevenir maitresse et actrice de sa vie. Les structures proposant également des suivis psychologiques ou des groupes de parole dans certains cas.

« Je reçois la personne pour une premier entretien et je la revois quelques temps plus tard. Je peux parfois orienter vers ma collègue psychologue, selon les cas. Après pour les groupes de parole, c’est délicat d’intégrer une nouvelle personne à un groupe qui travaille ensemble. Mais ça arrive. Après, le groupe n’est pas spécifique au harcèlement sexuel mais plus largement aux violences »
précise Virginie Thoby.

Des séances importantes et délicates pour ces femmes qui même des années après la fin des actes de violences restent encore profondément émues. Aucune des participantes à l’espace de paroles du CIDFF n’a été en mesure de répondre à nos questions pour cette raison. Au Planning Familial de Rennes, une psychologue (contactée, elle n’a pas souhaité s’exprimer sur son travail) et une conseillère conjugale animent également un groupe de paroles sur les problèmes de violences.

« On fait un entretien individuel et ensuite on peut choisir de les intégrer au groupe. Pour le harcèlement sexuel, c’est très compliqué, nous avons peu d’informations là-dessus et peu de femmes qui en parlent », nous confie Brigitte Rocher, directrice du Planning Familial 35, qui précise : « Ici, nous recevons toutes les personnes qui passent la porte et ensuite si cela dépasse nos compétences et si nous ne pouvons pas les prendre en charge, nous les orientons vers un partenaire de la plateforme violence ».

LE DÉPÔT DE PLAINTE : UNE DIFFICULTÉ SUPPLÉMENTAIRE

Le harcèlement sexuel a donc quelque chose de pernicieux, infiltrant la plus grande intimité du couple, maintenant le partenaire harcelé dans une spirale cauchemardesque, la séparation n’étant pas une solution pour toutes les femmes. N’osant pas dans un premier temps en parler et encore moins le dénoncer devant un officier de police et un tribunal. Selon Solen Degabriel, « elles ont parfois peur des représailles. Ou parfois, elles veulent juste que ça s’arrête. Elles souhaitent alors se séparer mais ne pas attaquer leur conjoint ou ex-conjoint puisque le harcèlement ne s’arrête pas forcément lors de la séparation – et cela est également condamné par le code pénal. »

La procédure judiciaire n’est donc pas une volonté de toutes les victimes, préférant tourner la page au plus vite, souvent après plusieurs années de harcèlement. « Et puis, on en entend des belles nous aussi sur l’accueil à l’Hôtel de police… Ce n’est pas évident d’aller porter plainte mais alors en plus quand on arrive dans un hall avec une vitre pour parler au policier d’accueil, à qui il faut crier la raison de notre venue et que tout le monde peut nous entendre ! », s’indigne Virginie Thoby. Un accueil déshumanisé, un manque de proximité et un manque de confidentialité. Sans compter que l’on ne sait jamais si notre plainte est comprise ou non.

L’Asfad emploie un assistant social, Dominique Boitard, pour pallier la difficulté de l’exercice. « Il retrace les éléments qui montrent de la violence. Cela permet d’être plus claire et précise lorsque la femme se présente devant l’agent chargé de recueillir sa plainte », nous explique Hubert Lemonnier, chef de service à l’Asfad. Mais même une fois cette étape franchie, l’apport de preuves sera une autre paire de manches. Si l’objectif du ministère aux Droits des femmes est d’amener la victime à déposer plainte, l’institution est bien consciente que c’est un travail de très longue haleine, qui se heurte au final « aux limites du droit, du harcèlement moral à l’agression sexuelle en passant par des faits de harcèlement aggravés, toujours avec des preuves quasi impossibles à apporter ».

Sans oublier que les langues ne sont pas prêtes à se délier même dans l’intimité d’un espace sécurisé et convivial comme l’accueil de jour.

L’espoir des politiques publiques repose alors sur les collectivités locales, les structures spécialisées et la plateforme téléphonique, 3919, permettant de parler et d’être orientées vers des professionnels. Un système qui existe également au niveau local – 02 99 54 44 88 – et qui représente un premier pas vers la prise de conscience et l’accompagnement personnalisé pour se sortir d’une situation dont personne n’arrive encore à parler librement.

Sur la voie publique, ce que l’on nomme harcèlement de rue fait rage. Témoignages, coups de gueule et actions se multiplient pour faire front face à cette calamité qui peut engendrer de sérieux traumatismes chez celles qui subissent réflexions, remarques et menaces d’ordre sexuel. À l’échelle d’une ville comme Rennes, comment lutter contre ce phénomène ?

Infographie : © Sophie Barel

« Se pose forcément la question de la domination d’un sexe sur l’autre. C’est le reflet de l’inégalité des sexes. Travailler l’égalité, c’est désamorcer les formes de domination », explique Geneviève Letourneux, conseillère municipale à Rennes, déléguée aux droits des femmes et à l’égalité.

Elles ont le goût amer de l’humiliation, résonnent comme des atteintes à la dignité et engendrent une peur de la rue, ces remarques faites dans la rue. Destinées à séduire, à draguer, à importuner ou encore à effrayer… il est indéniable que les supposés effets sont nombreux et variables selon la personne qui contraint l’autre à la relation. Qui ramènent les femmes à un statut d’objet. Et d’objet sexuel qui plus est puisque la nature de la réflexion est uniquement basée sur le physique et se rapporte souvent à l’acte sexuel.

Si les atteintes sont portées sur l’espace public, c’est souvent sur Internet que les langues se délient, comme sur le tumblr Paye ta schnek ou comme le témoignage de Jack Parker à la suite de son agression – à caractère sexuel – dans le métro, rapportant ainsi les propos et les faits subis qu’ils soient de l’ordre du quotidien ou ponctuels. Le traumatisme s’établissant selon la fréquence et/ou selon la gravité de l’acte. Si certains crient à la psychose naissante, on ne peut pourtant nié qu’une prise de conscience éclot au même moment de la part des femmes et des hommes.

ACTIONS, RÉACTIONS ?

Un ras-le-bol général souffle sur la condition féminine qui souhaite que le vent prenne enfin une direction différente. Sans dire que le vent tourne et ne s’abatte dans la figure de ceux pour qui une réflexion faite à une femme dans la rue est un compliment. Et que l’absence de réponse à ce compliment les autorise à proférer une ou toute une série d’insultes nauséabondes.

Ainsi, les medium pour dénoncer ce fléau et faire comprendre l’impact qu’il peut avoir sur les femmes affluent. Éléonore Pourriat, en 2010, réinvente l’Histoire dans le film court Majorité opprimée en imaginant une société dans laquelle les hommes sont victimes de la domination féminine. Deux ans plus tard, une étudiante belge, Sofie Peeters, réalise un documentaire en caméra cachée, Femmes de la rue, pour démontrer la férocité et l’agressivité de ces interpellations, le machisme et le sexisme ambiants dans son quartier, à Bruxelles.

Plus récemment, les internautes se sont épris du blog de l’illustratrice Diglee, qui explique avec ferveur et humour ce qu’éprouvent les femmes victimes de harcèlement de rue. Entre honte, culpabilité et peur de rétorquer… Épris aussi du Projet Crocodile dans lequel Thomas Mathieu illustre des situations vécues par les femmes en BD. La toile est florissante mais l’objectif est unique : viser la prise de conscience en sensibilisant à cette problématique rébarbative qui, au delà de l’exaspération et de la lassitude exprimée par la gente féminine, a de lourdes conséquences sur l’espace public, vidé à certains endroits et certaines heures, des femmes éprouvant un sentiment d’angoisse et d’insécurité.

ELLES DISENT NON

Du « T’es charmante » au « Hey mademoiselle, tu me fais une petite gâterie ? » en passant par « Grosse salope, t’as des grosses cuisses, j’aime bien. Ça te dirait que j’t’encule ?! », ce n’est pas l’inspiration qui manque, comme le souligne Bérangère Krief dans son sketch Cours de répartie anti-relous, ou Noémie de Lattre dans sa chronique du 23 juin sur France Inter, Cons des rues. Mais du côté des outils de lutte, il semblerait qu’il y ait une panne sèche à première vue. Pas tout à fait en réalité.

Traitée dans la rue de « viande à viol », Laura fonde en mai dernier l’association Colère : nom féminin, à Nantes, et lance une collection de sacs à mains et de débardeurs sur lesquels figurent l’inscription : Ta main sur mon cul, ma main sur ta gueule. « Moi, c’est quand je me suis fait cracher sur les jambes, dans un bus bondé et que personne n’a réagi que j’ai eu envie de faire quelque chose », nous précise Alexia Giannerini. Début juin, elle lance, avec Maud Renusson, le collectif Stop au harcèlement de rue Rennes, reprenant la ligne de conduite du collectif éponyme parisien. Leur objectif :

« Qu’on ait en France une loi contre le harcèlement de rue, sur le modèle de celle qu’ils ont en Belgique ».

En effet, dans le pays frontalier, le maire de Bruxelles a instauré en 2012 des amendes pour insultes sexistes allant de 75 à 250€. Le dépôt de plainte ou le flagrant délit étant évidemment obligatoires. Le ministère aux Droits des femmes rappelle, outre l’absence de définition officielle du harcèlement de rue, qu’en France, la loi prévoit également des sanctions en cas d’injure publique (invective, expression outrageante ou méprisante, non précédée d'une provocation et qui n'impute aucun fait précis à la victime).

Une législation spécifique n’est donc pas à l’ordre du jour dans l’Hexagone, la ministre Najat Vallaud-Belkacem insistant sur l’importance de « s’interroger sur les causes et mettre l’accent sur l’éducation. Son outil ? L’ABCD de l’égalité », écrit-elle le 22 avril dernier sur son site officiel. Un outil enterré début juillet par le ministre de l’Éducation mais une ligne de conduite qui semble rester intacte, celle de l’éducation au respect.

C’est d’ailleurs ce que prône l’association rennaise Liberté Couleurs, en organisant chaque année Le printemps de la jupe et du respect auprès des 13-25 ans afin de leur permettre d’exprimer « leurs indignations, leur volonté de faire évoluer les mentalités ainsi qu’un ensemble de valeurs de respect dans les relations aux autres ».

Pour le collectif Stop au harcèlement de rue Rennes, les actions devraient débuter à la rentrée 2014 avec une expo photo dans les bars rennais.

« Je souhaite prendre en photo des femmes, de toutes les nationalités, de toutes les tailles, de tous les âges, en jupe. Les femmes ont honte de porter des jupes à cause du harcèlement de rue ».
Alexia Giannerini, co-fondatrice du collectif Stop au harcèlement de rue Rennes.

Pour les deux initiatrices du mouvement, il est capital d’en parler pour que les victimes n’aient plus honte et que les témoins ne soient plus passifs. Sans oublier l’importance du dépôt de plainte : « Pour la prise de conscience. Pour libérer la culpabilité des femmes. Qu’un maximum de femmes portent plainte contre X ».

Les actions devraient également être semblables à celles du collectif parisien, à savoir la création temporaire de zones sans relous et la distribution de prospectus visant à informer les habitant-e-s. « Notre but n’est pas de pousser les filles à chercher les emmerdes. Il faut savoir s’adapter aux situations selon le moment, le contexte, le gabarit de la personne… », conclut-elle. C’est ce qu’enseigne l’association nantaise La trousse à outils, en partenariat avec l’association féministe rennaise Questions d’égalité, à travers des stages d’auto-défense féministe donnés à Rennes depuis 2013, adaptés aux femmes de différentes tranches d’âge (2 stages seront proposés les 14 et 21 septembre pour les adultes et le 28 septembre pour les 12-14 ans).

« Il s’agit de trouver des attitudes et des stratégies qui permettent de s’extraire d’une situation dangereuse que ce soit au niveau psychologique ou physique. Le but est aussi de partager les vécus et de travailler sur ces expériences »
explique Isabelle Pineau, coordinatrice de Questions d’égalité.

Car si la plupart des femmes craignent l’agression physique – et sexuelle notamment – elles sont nombreuses à garder un violent traumatisme psychologique. Face au harcèlement de rue, l’humiliation et le sentiment d’impuissance, de domination, marquent profondément et s’ancrent dans la mémoire de chaque personne qui en est ou en a été victime. L’auto-défense semble alors être un remède approprié et cohérent. (Re)prendre confiance. Ne plus, ou moins, craindre la rue.

Depuis le 1er juillet, l’association teste à titre expérimental des stages d’auto-défense intellectuelle « pour un sens de la répartie et la construction d’un argumentaire contre les valeurs et discours sexistes, anti-féministes ». Six séances de travail sont organisées durant le second semestre 2014, avec une petite dizaine de femmes, sensibilisées à la question. L’objectif étant de raconter l’expérience dans un blog et un livret mais aussi de rendre compte de l’ampleur du travail à l’occasion du 8 mars 2015. « On voudrait faire une scène slam avec Slam Connexion pour raconter ce qui s’est passé durant les ateliers », dévoile Isabelle Pineau.

MARCHES POUR LA DIGNITÉ

L’association, attentive aux problématiques liées à la condition des femmes, avait en janvier 2011 évoqué le sujet du harcèlement de rue dans une conférence intitulée « Comment mettre fin aux violences contre les femmes dans les espaces publics ? », animée par la sociologue Dominique Poggi, également formatrice et animatrice de marches exploratoires de femmes. Des marches exploratoires qui ne sont généralisées en France que maintenant – au Québec, les marches sont préconisées depuis les années 90.

Le ministère aux Droits des femmes – et de la Ville - devant prochainement annoncer son calendrier concernant la mise en place de ces marches dans une dizaine de villes prioritaires. Rennes figurera-t-elle dans la liste ? Rien n’est encore officiellement défini. Mais on sait déjà que la capitale bretonne projette d’en organiser, cela figurant dans le plan d’actions, validé en juillet 2013 par le conseil municipal de Rennes, qui lui-même découle de la Charte européenne pour l’égalité des femmes et des hommes.

« On est bien conscient qu’il y a des femmes qui ressentent un sentiment d’insécurité. Et on sait qu’il y a moins de femmes sur l’espace public. Mais l’espace public est à tout le monde ! »
s’indigne Elisabeth Malaurie, chargée de mission aux droits des femmes et à l’égalité.

Jamais expérimentées à Rennes, elles consistent à identifier les zones d’insécurité en présence des femmes du quartier qui souhaitent participer. « La méthode préconise un groupe de 10 à 15 femmes environ et de faire les marches à un horaire dans lequel elles ont déjà vécu des situations insécurisantes. C’est de l’ordre de l’observation et du diagnostic sur l’aménagement du quartier ou encore sur l’éclairage des rues par exemple », précise Elisabeth Malaurie.

En attendant, les femmes s’emparent de l’espace urbain, à travers des marches non-mixtes nocturnes – la dernière en date remonte au 18 mars - afin de se réapproprier la rue. Encore plus percutant et marquant, les Slutwalk (Marches des salopes) pour lutter contre le sexisme et la culpabilisation de toutes les victimes. À l’heure où nous écrivons ces lignes, le collectif est en concertation avec les différents responsables régionaux pour définir de la prochaine date de la marche.

Et Rennes ne sera pas exemptée d’un défilé de salopes, vêtues comme elles l’entendent et fières de marcher dans les rues de la capitale bretonne, main dans la main pour dire STOP au harcèlement de rue.

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Libérer la parole face au harcèlement sexuel
Figure n°1 : Pression au travail
Figure n°2 : La spirale infernale au sein du couple
Figure n°3 : Humiliation sur l'espace public

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