Célian Ramis

Harcèlement de rue : combattre le fléau

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Alors que la loi Schiappa inscrit désormais le harcèlement de rue comme un délit, les mentalités, elles, ne changent que trop peu et trop lentement. Pourquoi et comment instaurer une profonde transformation de la société ?
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Du « Vous êtes charmante » au « Réponds moi sale pute ! », en passant par le « T’as les yeux qui puent le cul », « Je baise ta grosse chatte » et « Attention, tu vas te faire violer », les sollicitations subtiles et poétiques adressées aux femmes qui passent dans la rue, s’installent en terrasse ou utilisent les transports en commun sont répétitives et quotidiennes. Et caractérisent le harcèlement de rue.

Parfois accompagnées de menaces, tentatives ou d’actions d’agressions physiques et de violences sexuelles, elles constituent à chaque fois une humiliation à laquelle s’ajoute le regard accusateur de la société qui réclame justification : « T’étais habillée comment ? », « C’était où ? Ah mais pourquoi tu passes par là ?! Tu sais bien que c’est dangereux… », « Oh tu prends tout mal, il t’a fait un compliment, ça va quoi ! ».

Non, ça ne va pas. Symptôme d’un système sexiste, le harcèlement de rue rappelle les femmes à l’ordre : Mesdames, vous n’êtes pas les bienvenues dans l’espace public sinon gare à vos fesses.

Le feu est rouge. Ça y est, le bonhomme vert indique que les piétons peuvent traverser. Pour aller de la rue Jules Simon à la rue Vasselot pour rejoindre plus loin le quai Emile Zola et enfin croiser l’avenue Jean Janvier. En ville comme en grammaire, le masculin l’emporte. Et cela n’est pas propre à la capitale bretonne, loin de là. Les villes sont pensées et conçues par et pour les hommes et les femmes y sont admises le temps de leur trajet, un temps durant lequel elles seront importunées, voire agressées, potentiellement à plusieurs reprises.

Le harcèlement de rue sonne comme un rappel à l’ordre : les femmes sont des objets – dont on peut librement commenter l’apparence – menacées d’un grand danger, dès lors qu’elles quittent la sphère privée. Pour de nombreuses personnes, ce discours paraît insensé, et pourtant, l’espace public est révélateur d’une multitude d’inégalités entre les hommes et les femmes, et ces dernières en font quotidiennement les frais. 

« Bonsoir mademoiselle, j’ai l’impression que vous avez un très beau périnée, je peux toucher ? », rue Saint-Malo, Rennes / « Moi aussi je voudrais mettre la tête entre vos jambes », un vieux monsieur à l’arrêt de bus, en regardant le fils (de la femme à qui il s’adresse) âgé de deux ans qui a la tête posée sur les cuisses de sa maman, Rennes / « Toi tu vas te faire violer. »,un homme à vélo qui lance ça à une passante sans même ralentir, Rennes / « Toi tu baisses les yeux, t’es qu’une femme et j’te baise. », une femme a le malheur de croiser le regard d’un inconnu dans la rue, Rennes / « T’as raison, ça t’irait bien coquine », dans le centre ville, par une nuit déserte, à 23h, une femme vient de s’arrêter devant une boutique de lingerie, Rennes.

Ce florilège de poésie patriarcale, recensé sur le tumblr Paye Ta Shnek, n’est qu’un aperçu – déjà bien mastoc - de ce que peuvent vivre les femmes dans l’espace urbain. Selon les données INED 2017, chaque année en France, trois millions de femmes de 20 à 69 ans se font siffler, insulter, interpeler, ou suivre dans un espace public.

Pour Manon Carbonnel, présidente de Stop harcèlement de rue Rennes, « le harcèlement de rue est pluri-formes. Pour moi, c’est le fait d’avoir un comportement sexiste et/ou sexuel inapproprié et non consenti envers une personne. » 

Et dans cette problématique entre également les LGBTIphobies, le racisme, l’handiphobie et la grossophobie. Elle poursuit : « Les femmes sont méfiantes dans la rue à cause des harceleurs. Ce n’est pas un problème de drague, honnêtement, on le sent quand la drague est sincère et là ce n’est pas le cas, il s’agit uniquement d’une attirance basée sur le physique. Ils arrivent avec leurs phrases toutes faites… C’est un rappel à l’ordre – il n’y a pas que des « compliments » - par rapport aux jupes « trop courtes », aux formes des corps. Aux normes en fait.

On considère une femme comme une belle plante et donc ça donne aux harceleurs le droit de valider ou d’invalider sa tenue, son corps. On a le sentiment d’être observée tout le temps et qu’il va sans cesse nous arriver quelque chose. Pour ça, on met en place toutes les stratégies d’évitement qu’on connaît… », se désole Manon, usée de la visée du harcèlement de rue, à savoir : ramener les passantes à leur condition de femmes. « Le harcèlement de rue est le haut de l’iceberg du sexisme : il touche au poids, à la tenue, au maquillage, à toute l’apparence, au corps… », précise-t-elle.  

L’ENJEU DU CORPS FÉMININ

Partout dans les médias, les publicités, les films et dans l’imaginaire collectif – construit au fil de plusieurs siècles de domination masculine – les femmes sont minces, avec la silhouette affinée par une paire de talons hauts, sensuelles, blanches, hétérosexuelles, plutôt jeunes, souriantes, disponibles et accessibles. Prêtes à l’abnégation absolue pour l’amour d’un homme et de ses enfants. La vision est archaïque et évolue peu. Lentement, au mieux.

Il semblerait normal, encore en 2018, d’alpaguer une femme qui se déplace d’un point A à un point B, sans son consentement, pour commenter son physique. Et celle qui ose s’en plaindre « un peu trop » se verra répondre qu’elle exagère, qu’elle est rabat-joie, qu’elle devrait plutôt le prendre comme un compliment. Parce que « c’est ça d’être jolie »…

En réalité, pourquoi ? Parce qu’on vit dans un système patriarcal dans lequel est largement diffusée la culture du viol, visant à culpabiliser les femmes des actes de violences morales, physiques et sexuelles dont elles sont victimes.

Mona Chollet, dans son nouvel ouvrage Sorcières, la puissance invaincue des femmes, reprend une phrase de Virginie Despentes, dans un passage dédié au tabou régnant autour du vieillissement des femmes :

« « Les hommes n’ont pas de corps. » : c’est une phrase de Virginie Despentes que, à mon avis, il faut prendre tout à fait au sérieux. Occuper une position dominante dans l’économie, la politique, les relations amoureuses et familiales, mais aussi dans la création littéraire, leur permet d’être des sujets absolus et de faire des femmes des objets absolus. La culture occidentale a décidé très tôt que le corps était répugnant et que le corps, c’était la femme (et vice-versa). Théologiens et philosophes projetaient sur les femmes leur horreur du corps, feignant ainsi d’en être eux-mêmes dépourvus. Saint-Augustin explique que, chez l’homme, le corps reflète l’âme, mais pas chez la femme. (…) Cette défiance et cet archaïsme restent bien vivaces. Dans les images artistiques, médiatiques et publicitaires qui nous entourent, comme autrefois « il n’est pratiquement de corps que de femmes », observe David Le Breton. Et le goût des plastiques parfaites n’empêche pas – au contraire – la répulsion pour le corps féminin. »

Le corps est un enjeu de pouvoir et le harcèlement de rue vient rappeler qui le détient. La journaliste poursuit quelques lignes plus loin : « Les hommes ont beau « incarner l’esprit », ils sont tout aussi « proches de la matière » que les femmes, et leur dépérissement n’est ni moins rapide ni moins visible. Ils ont seulement le pouvoir de faire en sorte que cela ne compte pas. Dans la sphère privée, dans la rue, au travail, à l’Assemblée nationale…, ils peuvent faire connaître bruyamment aux femmes le plaisir ou le déplaisir que leur procure le spectacle de leur corps ou de leur tenue, leur reprocher leurs poids ou leur âge, sans que jamais leur propre corps ou leur propre tenue, leur propre poids ou leur propre âge entrent en ligne de compte. »

DIFFICILE DE LE DÉFINIR

Du « Bonjour Mademoiselle » au « Vas-y répond sale pute » (parfois agrémenté d’un « j’m’en fous, j’en veux même pas de ta grosse chatte » ou autre phrase du style), en passant par « Vous êtes charmante, je vous offre un verre ? » ou « T’as des grosses cuisses j’adore, j’peux t’enculer ? », les remarques et sollicitations ne sont pas toutes du même acabit et ne sont pas toutes interprétées de la même manière selon la personne qui les reçoit.

« C’est très compliqué, le curseur varie d’une femme à l’autre et d’un homme à l’autre. Et comme les femmes sont habituées à ces comportements, ça devient la norme. En tant que femme, on a parfois du mal à identifier le harcèlement de rue alors l’expliquer et le faire comprendre... !!! »
souligne Manon Carbonnel.

Pour Gaëlle Marinthe, doctorante au LP3C (Laboratoire de Psychologie : Cognition, Comportement, Communication) à l’université Rennes 2, on ne peut parler de harcèlement au singulier : « Il existe différents type de harcèlement. Mais ce que l’on constate, c’est que la question du genre revient à chaque fois, même quand il n’est pas le point de départ de la situation. On cherche alors à interroger la continuité des harcèlements. »

Un sujet aux multiples problématiques qui sera mis sur la table de l’événement « Tous harcelés, tous harceleurs ? Les Sciences Humaines face au(x) harcèlement(s) », les 21 et 22 septembre sur le campus de Villejean (lire l'encadré). Entourée de Marie Leblanc et Quentin Dumoulin, tous deux doctorants Recherches en Psychopathologie (deuxième laboratoire intégré au laboratoire inter-disciplinaire LaRASH – à l’initiative de ces journées transversales – avec également le Centre de Recherche sur l’Éducation les Apprentissages et la Didactique), elle explique que la manifestation aura pour intérêt de réunir et confronter les définitions, mouvantes en fonction des actualités :

« Il y a la définition législative mais il y a aussi la question du ressenti, le côté subjectif, selon les enjeux, selon les domaines. »

SUJET À POLÉMIQUE

Le harcèlement de rue, comme l’indique le site de l’association nationale Stop harcèlement de rue, ce sont les comportements adressés aux personnes dans les espaces publics et semi-publics, verbalement ou non, leur envoyant des messages intimidants, insistants, irrespectueux, humiliants, menaçants, insultants en raison de leur sexe, leur genre, leur couleur de peau ou leur orientation sexuelle.

Des comportements humiliants et rabaissants que la personne entendra peut-être plusieurs fois dans la journée, la semaine, le mois, etc. Pourtant, le sujet est loin de faire consensus comme en a témoigné la tribune « Nous défendons une liberté d’importuner, indispensable à la liberté sexuelle », rédigée par un collectif de 100 femmes dont Catherine Millet et Catherine Deneuve et publiée dans Le Monde, le 9 janvier dernier.

Mais ce n’est pas la seule actualité qui met le feu aux poudres. En mars 2018, c’est la campagne de lutte contre le harcèlement dans les transports franciliens, lancée par la région Ile-de-France, la SNCF et la RATP, qui fait débat. Parce que les affiches ont pris le parti de représenter les harceleurs/agresseurs en animaux (requin, ours, loup), appuyant ainsi la thèse du prédateur sexuel.

Avant cela, c’était le rapport du Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes - établissant que 100% des femmes utilisant les transports en commun avait été victimes au moins une fois dans leur vie de harcèlement - qui était visé par les suspicions.

Seuls cas qui ne font pas polémique : les vidéos démontrant la régularité des réflexions et sollicitations (bien que l’on discutera tout de même le choix du quartier, de l’heure ou de la tenue choisi-e-s par la personne) ou témoignant de violences physiques (on notera alors que ces dernières arrivent en cas de non réponse tout comme en cas de réaction au(x) commentaire(s)).

Toutefois, sur les réseaux sociaux, les femmes initiatrices de ces vidéos – tout comme celles qui osent témoigner du harcèlement de rue ou d’agressions et viols sur Facebook - seront la cible de jugements tranchants et décomplexés. 

SEXISME INTÉRIORISÉ, CONSENTEMENT NÉGLIGÉ…

Régulièrement, les polémiques supplantent le fond du problème renvoyé à une simple préoccupation de féministes souhaitant uniquement répandre leur haine envers les hommes. 

« On cherche toujours à décrédibiliser le ressenti des femmes sur qui on met toujours la responsabilité. C’est le principe du « slutshaming ». Parfois, même ton entourage ne te soutient pas… Le sexisme est intériorisé. »
explique Manon Carbonnel.

Écouter les récits des femmes, sans les juger, c’est prendre le risque de creuser le pourquoi du comment et d’en comprendre les tenants et les aboutissants. Et de découvrir l’ampleur des inégalités qui subsistent entre les femmes et les hommes puisqu’elles s’inscrivent dès le plus jeune âge.

En effet, les filles sont éduquées à la peur de l’extérieur, aux dangers qu’elles encourent dès lors qu’elles mettent le pied dehors, tout particulièrement le soir et la nuit, tandis que les garçons grandissent dans l’injonction à la virilité, synonyme d’hétérosexualité. Les deux sexes baignent néanmoins dans une culture similaire : la culture du viol, dans laquelle les notions de respect et de consentement sont absentes, voire inexistantes.

Le « non » de la part d’une femme est un signal pour l’homme qui l’aborde : « Insiste encore un peu, je vais finir par dire oui ». Un jeu de séduction, en somme, dans lequel la femme est une allumeuse que l’on s’amusera à soumettre aux désirs et envies des participants. La rue est le plateau de jeu. Les femmes sont les pions et les hommes ont les cartes en main.

Pour d’autres, la métaphore sera plus animale. Pour appuyer le mythe du prédateur qui se tapit dans la végétation, observe, avant de sauter sur sa proie. Et ce ne sont pas les forces de l’ordre qui diront le contraire. Le 24 avril 2018, lors d’une interview avec Catherine Jaunâtre, responsable de la brigade des mœurs au commissariat de la Tour d’Auvergne, à Rennes, autour de l’accueil des femmes victimes de violences sexuelles, on découvrait ce que dans le métier les agent-e-s nomment « la théorie du bison blessé ».

Quand on pense naïvement que les femmes sont libres de leurs gestes et mouvements, et donc déplacements, voilà ce que le commandant chargé de la communication nous répond :

« Ah mais c’est la théorie du bison blessé, chère Madame. C’est-à-dire qu’on est dans un monde et dans une société, le soir, où tous les chats ne sont pas gris et que vous avez des prédateurs, entre guillemets. (…) En centre ville quand vous êtes une personne seule, encore plus une femme alcoolisée, vous êtes une cible. C’est ce qu’on appelle nous la théorie du bison blessé. C’est-à-dire que un jeune, homme / femme, alcoolisé, il a plus de chance de se faire agresser ou embêter on va dire globalement que s’il était en groupe, malheureusement. Bienvenue dans la vraie vie.»

(Extrait de l’entretien retransmis en encadré)

ÉVITER LES CONFRONTATIONS

De par le martèlement de ces discours et la fréquence d’épisodes - pouvant être traumatisants – de harcèlement de rue, les femmes développent des stratégies d’évitement. Changer de tenue pour sortir le soir et opter pour des vêtements confortables, permettant d’accélérer le pas ou de courir en cas de problème.

Dévier leur trajectoire en fonction des individus, et particulièrement des groupes d’individus, qui leur font face. Emprunter un autre trajet que celui qu’elles prennent le jour car celui-ci sera moins éclairé la nuit. Ne pas mettre une robe ou une jupe pour ne pas envoyer « le mauvais signal ». Demander à être raccompagnée.

Ainsi, par contrainte, elles délaissent leur droit à l’autonomie, à l’indépendance, à la liberté de mouvements et de déplacements dans l’espace public. Dans certains cas, elles abandonnent l’utilisation des transports en commun, préférant la tranquillité de leur voiture, là où personne ne les fixe avec insistance, ne les aborde ou les touche sans consentement ou ne les écarte de leur siège à cause de jambes bien ouvertes et étalées (manspreading). Le sexisme est ordinaire, intégré et intériorisé. Et provoque à chaque remarque un sentiment d’impuissance.

TRANSFORMER LA SOCIÉTÉ

Début août, le Parlement a adopté la loi sur les violences sexistes et sexuelles, portée par la secrétaire d’État en charge de l’Égalité entre les femmes et les hommes, Marlène Schiappa. Le harcèlement de rue sera désormais puni d’une amende de classe 4, allant de 90 à 750 euros.

Pour cela, l’auteur devra être pris en flagrant délit. Autant dire que l’impunité continue. Parce que selon Marlène Schiappa, en effet, on ne peut pas mettre un policier « derrière chaque femme ». Derrière chaque femme ? Une fois encore, le discours de celle qui entend par là envoyer « un interdit social clair » - malgré la faille qu’elle reconnaît - n’est pas clair. Qui punit-on avec cette loi ? Pour Stop harcèlement de rue, c’est une déception :

« Notre association déplore une occasion manquée et se déclare extrêmement déçue de ce projet qui ne changera rien dans le quotidien des femmes victimes de harcèlement dans l’espace public. » La présidente de l’antenne rennaise s’inquiète également de l’impact d’une telle mesure dans un système sexiste et raciste. Pas de doute pour elle, il y aura davantage de fichage racial.

« Mettons plutôt de l’argent dans la formation des agents de police ! Dans la formation sur ces sujets dès l’école ! Il y a des études, des chiffres, il faut aller plus loin maintenant, s’emparer de ce sujet-là pour effectuer un changement profond des mœurs car le harcèlement de rue impacte plein de choses, le sexisme, le racisme, les LGBTIphobies, l’handiphobie, etc. La loi propose de la répression mais pas de formation. Que l’on pénalise l’upskirting (le fait de filmer sous les jupes), c’est bien. Que l’on définisse le harcèlement et que l’on inscrive que cela ne doit pas se faire, c’est bien.

Mais nous avons besoin d’une transformation profonde de la société. Qui se demande ce qu’est le consentement, comment agir en tant que témoin de harcèlement, en tant que victime, en tant que personne dans le même groupe que celui qui harcèle… Qui se demande pourquoi l’alcool et les drogues favorisent ces comportements-là chez les hommes. Pourquoi quand c’est la fête, on se lâche et que « on se lâche », ça veut dire qu’on se lâche sur les femmes ?... Le gouvernement se sert des associations comme tampons pour ses actions, comme une marque déposée, alors qu’on devrait travailler main dans la main. Une loi c’est bien mais le problème c’est que les assos sont freinées par le manque de moyens humains et financiers. », s’insurge Manon Carbonnel. 

REPRENDRE LE CONTRÔLE

Nombreuses sont les militantes à prôner les sports comme la boxe ou les cours d’auto-défense pour prendre de l’assurance, se sentir en confiance. « Je fais aussi de la muscu. Ça participe à la dynamique d’empowerment, pour apprendre à me défendre. Mais du coup, j’ai peur aussi de l’effet inverse. Avec la muscu, je sculpte mon corps et je deviens plus proche des canons de beauté, de la norme. Je sais pas, si ça peut augmenter le nombre de remarques… Tu vois ? C’est quand même fou qu’on se pose toujours des questions ! », réagit Manon qui met le doigt sur la question fondamentale au changement :

« On doit repenser les codes de féminité et de masculinité. Comment on va redéfinir les choses ? »

Conseillère municipale en charge de l’Égalité entre les femmes et les hommes, à Rennes, Geneviève Letourneux croit également en la puissance de l’auto-défense féministe et avait organisé un stage Riposte, proposé par l’association belge Garance, fondée par Irène Zeilinger, formatrice dans ce secteur depuis 20 ans et auteure de Non c’est non ! Manuel d’autodéfense à l’usage de toutes les femmes qui en ont marre de se faire emmerder sans rien dire(à lire en libre accès sur le site editions-zones.fr) :

« On a fait chou blanc mais je crois qu’un stage Riposte a été organisé en juin à la demande des femmes du centre social du gros Chêne et là c’était plein. Nous allons en proposer un nouveau dans le cadre du 25 novembre. »

Elle pointe également, comme Manon Carbonnel, cette nécessité à déconstruire les assignations de genre. Et cela passe par l’arrêt de la banalisation et du silence autour des actes de violences sexistes et sexuelles. Mais aussi par la déconstruction de la virilité telle qu’on la pense aujourd’hui :

« Beaucoup d’hommes sont mal à l’aise de se dire qu’ils peuvent être assimilés à ce comportement de harceleur. Parce que dans la construction de la virilité, il y a la capacité d’emprise à l’encontre des femmes. Les choses ne sont pas neutres du tout. On manque de paroles, de recherches, sur ‘qu’est-ce qu’un homme dont la virilité n’est pas atrophiée par sa revendication de l’égalité ?’. S’affranchir des assignations, c’est libérateur pour tout le monde. »

L’éducation doit jouer un rôle essentiel, tout le monde est d’accord (excepté la poignée de réacs qui crient aux loups, paniquant à l’idée des fameux cours de masturbation, totalement inventés…). Et cela doit passer par les temps de classe mais aussi les temps de récréation. En 2014, Eleonor Gilbert marquait les consciences avec son court-métrage Espace– diffusé à plusieurs reprises à Rennes – filmant une enfant en train de dessiner sa cour d’école afin de lui en expliquer la répartition filles-garçons.

Une répartition, sans surprise, inégalitaire. Quatre ans plus tard, rien n’a changé quasiment dans les établissements scolaires. Les garçons prennent l’espace avec les jeux de ballon. Les filles prennent l’espace restant. Hors les murs de l’école, la rue garde cette même typicité, les jeux de ballon en moins.

« Pourquoi n’a-t-on pas plus de rues avec des noms de femmes (moins de 10% ndlr) ? Ça s’appelle la domination masculine tout simplement. », questionne et répond Christine Bard, historienne et spécialiste de l’histoire des femmes. Et il en est de même avec les équipements urbains comme les city-stades ou les skateparcs. 

REPENSER LA VILLE

On cite toujours dans la réflexion autour du genre et des villes, le géographe du genre Yves Raibaud qui établit le constat que la construction des villes est pensée par et pour les hommes. Cela étant dit, il faut agir. Et les marches exploratoires, développées au Canada dans les années 90 et importées en France depuis 2014, participent à la réappropriation de l’espace public. C’est en 2015 qu’a eu lieu la première marche exploratoire, à Rennes.

« C’est un objet qui permet d’appréhender les questions femmes/hommes et de former les personnes qui participent tout autant que les personnes qui accompagnent. »
explique Geneviève Letourneux.

Les participantes : un groupe de femmes vivant dans le quartier Maurepas. Les accompagnant-e-s : élu-e-s et agents des services technique de la ville. La sociologue Dominique Poggi, à l’initiative du développement des marches dans l’hexagone, est d’ailleurs venue aiguiller le groupe de femmes ayant réalisé un projet à Bréquigny. Une autre marche exploratoire a eu lieu dans le quartier de Villejean. Pour l’élue, il s’agit de « marches sensibles avec une carte subjective. »

Concrètement, « elles se réunissent dans un premier temps pour discuter, elles abordent par exemple leurs stratégies d’évitement et avec un système de couleur, elles pointent sur une carte les endroits où elles ont volontiers et les endroits qu’elles évitent. Ainsi, elles construisent un parcours de manière collective. Le parcours va se faire plusieurs fois, à différentes heures de la journée. Pour faire un travail d’observation mais aussi de qualification de ce qui fait qu’elles sont bien ou pas bien dans les différents espaces. La soirée de restitution est faite par les participantes pour les services de la ville pour présenter les choses qui devraient être modifiées ou repensées. Ensuite, cela passe par les commissions aménagement, souvent dans les conseils de quartier. Ce qu’il faut bien se dire, c’est qu’il faut toujours penser ça comme un sas, une parenthèse pour aller vers une dynamique de participation ordinaire. Les femmes participent en général moins que les hommes aux instances de décision. »

En venant aux marches exploratoires, elles sortent de l’isolement si tel était le cas, en tout cas, elles sortent du silence, prennent conscience qu’elles vivent des choses similaires, conséquence du système et non de leur fait, et s’impliquent dans un éventuel réaménagement de leur territoire. Non seulement elles se réapproprient l’espace public qu’elles foulent au quotidien mais en plus elles prennent confiance en elles et osent davantage pousser les portes des conseils de quartier et autres.

Si on s’interroge sur la stigmatisation des territoires choisis, la Ville pointe l’attention particulière apportée aux quartiers prioritaires intégrée aux contrats de ville. « Je reconnais qu’on peut se dire que c’est stigmatisant mais le problème ne se réduit pas à ces quartiers. C’est un nouvel outil, il faut l’essayer et nous avons fait le choix de prioriser ces endroits. », précise Geneviève Letourneux. 

POUR UNE PRISE DE CONSCIENCE GLOBALE

Dans une politique transversale, est aussi apparue la nécessité de travailler sur le harcèlement dans les transports en commun. Le Comité consultatif à l’Égalité entre les femmes et les hommes compte dans ses membres, l’association Stop harcèlement de rue Rennes et Keolis.

Armelle Billard, chargée de communication au sein de l’opérateur privé de transport public, y participe. « En 2015, et même avant, le gouvernement avait demandé à ce que les opérateurs de transport puissent décliner les campagnes de sensibilisation. La difficulté était d’identifier d’où venait cette problématique visant les femmes. On n’en avait jamais rien entendu à ce sujet à Rennes, et nos collègues d’autres villes, comme bordeaux par exemple, non plus. C’est ça qui était positif : ça permettait de sensibiliser tout le monde. », explique-t-elle.

Un groupe spécifique au harcèlement de rue et dans les transports se crée au sein du Comité consultatif et du côté de Keolis, Anne Strugeon, directrice qualité et satisfaction clients, constitue une équipe dont Armelle Billard fait partie. En avril 2018, une enquête est réalisée auprès d’un panel de 456 personnes utilisatrices des transports.

« L’étude est encore dans les mains de Rennes Métropole mais ce que l’on peut dire, c’est que globalement, ce phénomène dans les bus et le métro n’est pas très qualifié. Il n’y a pas vraiment de sentiment d’insécurité mais il y a évidemment des choses à faire, notamment sur les regards appuyés, les attitudes de contournement, etc. Une partie des femmes ne prend pas les transports après 21h par exemple. En fait, ce qui est intéressant dans cette étude, c’est que les femmes, en général, disent qu’elles ne ressentent pas d’insécurité ou de harcèlement mais quand on creuse, on trouve des choses. »
souligne la chargée de communication.

En parallèle, des séquences de formation auprès des agent-e-s de contrôle ont eu lieu : « On a été aidé-e-s par Stop harcèlement de rue Rennes qui ne pouvait pas être là ce jour-là mais nous a fait un document très complet de tous les témoignages recueillis sur leur page Facebook ou lors de leurs actions sur le terrain. Forcément, le document fait mention des transports en commun ou de situations lorsque les gens attendent aux arrêts. Les contrôleurs n’avaient pas forcément pris conscience de tout ça, l’échange a été enrichissant et ils ont pu faire des propositions pour mieux prévenir des comportements sexistes, recueillir la parole des femmes et faire des rappels à la loi. Ils ont fait des jeux de rôle et les retours ont été bons. » Ainsi une soixantaine de contrôleurs a participé à la séquence de formation, ce qui n’est pas le cas pour les conductrices et conducteurs de bus. « Il y en a 600, c’est compliqué. Mais eux ont des formations obligatoires concernant la sécurité et la réglementation. », précise-t-elle.

Elle poursuit : « Tout ça est en cours, c’est un sujet que nous avons pris à bras le corps. Même si à Rennes, ça se passe plutôt bien, quand on compare avec d’autres villes, on ne veut rien minimiser. On doit être un réseau accessible à tout le monde. Vraiment tout le monde. Vous avez raison, certaines femmes délaissent les transports en commun, ce n’est pas normal, elles devraient pouvoir y accéder sans avoir peur. Et cela passe par un travail de profondeur. Et par une sensibilisation au sexisme ordinaire en interne. On a du mal à recruter des femmes : nous avons 20% de femmes conductrices et 5% de contrôleuses… On doit vraiment aller en profondeur. »

Les actions doivent être transversales et parallèles. Pour que la parole des femmes soient écoutées, entendues et comprises. Et que cette parole soit intégrée à une prise de conscience globale de la dimension systémique du sexisme et du racisme qui se loge dans le harcèlement de rue, qui prétend qu’un profil type de harceleur existe. C’est faux.

Au même titre que les femmes qu’elles soient en jupe, maquillées, en jean moulant ou débardeur, etc. ne cherchent pas à être importunées. Des marches exploratoires à la formation des professionnel-le-s, en passant par l’éducation des enfants et la valorisation du matrimoine, la société doit avancer ensemble vers la déconstruction des assignations de genre afin d’aménager des territoires pensés et bâtis pour accueillir aussi bien les hommes que les femmes. À égalité et en mixité.

Le 24 avril 2018, la rédaction avait obtenu un entretien avec Catherine Jaunâtre, responsable de la brigade des mœurs à l’Hôtel de Police de Rennes, en présence du commandant Yannick Trottoux, en charge de la communication. Après une heure d’interview autour de l’accueil et la prise en charge par les forces de l’ordre des femmes victimes de violences sexuelles, l’aspect prévention a été abordé, à travers la théorie du bison blessé.

YEGG : Avez-vous des choses à ajouter ? 

Catherine Jaunâtre :  On veut faire passer un message de prévention, c’est hyper important. La prévention, ça va être quoi ? Malheureusement, à Rennes, il y a l’alcoolisation… Que les femmes s’alcoolisent, ça ne pose aucun problème mais qu’elles gardent les idées claires ! 

YEGG : C’est aux femmes de garder les idées claires ou aux hommes de ne pas les agresser ?

Catherine Jaunâtre : Non mais les hommes s’ils s’alcoolisent ou qu’ils font les cons, ils seront mis en cause. Prévenir les hommes que c’est pas bien, faut pas violer, ça je veux dire c’est évident.

YEGG : C’est évident mais pourtant on ne leur dit pas souvent alors qu’on dit plus souvent aux femmes de faire attention dans l’espace public. 

Yannick Trottoux : On leur dit surtout de rester en groupe, de ne pas s’isoler. Le groupe est plus sécurisant que de rester une femme seule en centre ville.

YEGG : Mais une femme doit pouvoir être libre de ces gestes et mouvements sans forcément être raccompagnée par des gens. Elle doit pouvoir se dire qu’elle n’est pas juste une pauvre chose qui va se faire agresser. 

Yannick Trottoux : Ah mais c’est la théorie du bison blessé, chère Madame. C’est-à-dire qu’on est dans un monde et dans une société le soir où tous les chats ne sont pas gris et que vous avez des prédateurs, entre guillemets.

YEGG : On sait quand même que les viols, etc. c’est 80% de l’entourage…

Yannick Trottoux : Ouais certes mais malgré tout en centre ville quand vous êtes une personne seule, encore plus une femme alcoolisée, vous êtes une cible. C’est ce qu’on appelle nous la théorie du bison blessé. C’est-à-dire que un jeune, homme, femme, alcoolisé-e, a plus de chance de se faire agresser ou embêter on va dire globalement que s’il était en groupe, malheureusement. Bienvenue dans la vraie vie.

(Rires)

Yannick Trottoux : C’est pour ça que les messages de prévention, avec Catherine, on en parle régulièrement. Au niveau de la comm’, on fait des salons de l’étudiant pour parler de ce que l’on appelle « les dangers de la vie nocturne ». Alors agresser une femme alcoolisée, c’est pas bien du tout mais il faut être conscient qu’il y a des risques et que le groupe c’est une protection. Oui tout le monde a le droit de faire la fête, de profiter de la vie, d’être libre de ces mouvements, évidemment, bien sûr.

Catherine Jaunâtre : En restant lucide.

Yannick Trottoux : On est confrontés à la réalité, où on sait qui gravite au centre ville, on sait ce qui s’y passe. Après chacun est libre de prendre les conseils. C’est la liberté de chacun, effectivement.

 

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Des violences au quotidien
Reprendre la rue pour sortir du système sexiste
Tous harcelés, tous harceleurs ?
La théorie du bison blessé

Célian Ramis

PMA pour tou-te-s : Mon choix de famille

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Revendication phare de la Marche des Fiertés 2018, l'ouverture de la PMA pour tou-te-s fait encore débat en 2018. Pourquoi ?
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La famille pour tou-te-s, ce n’est pas une injonction à fonder une famille, comme l’a souligné la présidente d’Iskis (association anciennement nommée Centre Gay Lesbien Bi et Trans) de Rennes, Selene Tonon, lors de la Marche des Fiertés 2018, qui a défilé le 16 juin dans les rues de la capitale bretonne.

C’est un droit qui doit (devrait déjà) être accordé à toutes les personnes souhaitant avoir un ou plusieurs enfants. Ce ne doit plus être une hypocrisie, un secret de polichinelle dont il faut discrétion garder parce qu’on est une femme lesbienne, obligée d’aller à l’étranger pour espérer avoir un bébé via la Procréation Médicalement Assistée.

Peu importe l’orientation sexuelle, Selene le rappelle, « c’est l’amour inconditionnel qui fait une famille ». On est bien d’accord, comme plus de la moitié de la population selon le dernier sondage IFOP. Alors, pourquoi l’accès à la PMA pour tou-te-s s’intègre-t-elle à la nouvelle loi bioéthique ? Et pourquoi a-t-on encore ce débat en 2018 ?

Ce n’est pas une question d’éthique mais une question d’égalité des droits. Égalité dans le choix de fonder une famille, d’élever un enfant au sein d’un foyer, si on le souhaite. Pourtant, aujourd’hui encore la PMA n’est autorisée, en France, qu’aux couples hétérosexuels. Par lâcheté politique, l’accès à la PMA pour tou-te-s a été sacrifié en 2013, lors de la loi sur le Mariage pour tous. Mais la lutte continue. L’Hexagone s’apprête-t-elle à revivre la même déception qu’il y a 5 ans alors que le candidat Macron promettait l’an dernier de faire face à cette discrimination ? Si l’optimisme prime, il a néanmoins un goût amèrement acide… 

De l’avenue Janvier à la place de la Mairie, en passant par le boulevard Laennec et le quai Chateaubriand, le 16 juin dernier, les rues de Rennes se sont égayées aux couleurs de l’arc-en-ciel. Manifestation festive, la Marche des Fiertés n’en oublie pas de porter avec détermination les revendications pour lesquelles les associations LGBTIQ+ se battent au quotidien.

Arrêt des mutilations sur les personnes intersexuées, changement de la mention du sexe et du prénom libre et gratuit à l’état civil sur simple déclaration en mairie (sans expertises et sans stérilisations forcées), éducation populaire à l’égalité et la diversité des sexes, identités de genre et relations amoureuses dès l’école, accord systématique du droit d’asile aux personnes LGBTI migrant-e-s fuyant leur pays à raison de leur orientation sexuelle ou identité de genre ou encore campagnes régulières et adaptées sur les différents moyens de prévention des IST en direction des populations LGBTI… la liste est longue tant les inégalités et discriminations sont nombreuses. 

Si aucune hiérarchie n’est établie au sein des revendications, cette journée des Fiertés met en lumière chaque année un sujet sur lequel il y a particulièrement urgence. Ainsi, en juin, les différentes Marches ont scandé haut et fort le droit à la PMA pour tou-te-s en clamant à l’unisson : « PMA, on veut une loi, on veut des droits ! » ou encore « Mon papa est pour la PMA et ma maman, elle veut des petits-enfants ! ». 

PAS HOMOPHOBE MAIS…

Un sujet qui fait consensus auprès de la population, excepté pour une minorité qui s’oppose farouchement à une évolution qui ne devrait pas faire débat. « Ce soir, au conseil municipal de Rennes, je fais partie des élus qui refusent de voter l'une des deux subventions destinées au centre LGBT de Rennes, à savoir celle fléchée pour l'organisation de la marche des fiertés 2018. Cette édition a en effet été l'occasion de mettre en avant, dans les discours et les banderoles officielles, la revendication spécifique de l'extension de la procréation médicalement assistée (PMA) aux couples de même sexe. 

La lutte contre les discriminations, et notamment les discriminations fondées sur l'orientation sexuelle, est un objectif louable qui fait consensus. Ce n'est pas le cas de l'extension de la PMA. Je ne pense pas que les impôts des Rennais aient vocation à financer une manifestation en ce sens. Je le réaffirme ici : je suis opposé à l'extension de la PMA aux couples de même sexe. Cautionner une mesure qui aurait pour conséquence de priver de père des enfants à venir, non pas du fait d’un quelconque accident de la vie, mais par un choix volontaire effectué sciemment, voilà l'obscurantisme. », écrit le conseiller municipal du groupe Rennes Alternance 2020, Gurval Guiguen sur sa page Facebook. Un commentaire terrifiant que l’on pourrait ajouter à la sordide catégorie « Je ne suis pas homophobe mais… / Je ne suis pas sexiste mais… ». 

Heureusement, le 16 juin, la Marche des Fiertés a réuni plus de 4500 personnes dans la capitale bretonne, là où les années précédentes en comptabilisaient environ 3000. Lors de la prise de parole, Selene Tonon, militante chevronnée du CGLBT, devenu Iskis (Queer en breton), envoie valdinguer ces idées reçues conservatrices en exigeant, à juste titre, que les populations LGBTI soient libres de maitriser leurs vies, de choisir leurs familles et que soient respecter toutes les familles, dans toutes leurs formes : « C’est le mot d’ordre sur les affiches. N’en déplaise à ceux qui ont milité contre nos droits ! » Après tout,« ce sont nos vies, nos amours, nos corps, nos identités et nos familles. »

RAPPEL DES FAITS

Le mariage pour tous figure en janvier 2012 parmi les engagements du candidat Hollande qui, une fois élu, concrétise par l’élaboration d’un projet de loi, porté par Christiane Taubira, alors Garde des Sceaux. Un projet de loi adopté par le Parlement le 23 avril 2013.

« Avec la loi du 17 mai 2013 sur le mariage pour tous, la France est devenue le 9epays européen et le 14epays au monde à autoriser le mariage homosexuel. Cette loi a ouvert de nouveaux droits pour le mariage, l’adoption et la succession, au nom des principes d’égalité et de partage des libertés. », peut-on lire sur le site Gouvernement.fr. Une introduction suivie d’une citation de la ministre de la Justice de l’époque :

« Oui, c’est bien le mariage, avec toute sa charge symbolique et toutes ses règles d’ordre public, que le Gouvernement ouvre aux couples de même sexe, dans les mêmes conditions d’âge et de consentement de la part de chacun des conjoints, avec les mêmes interdits (…) avec les mêmes obligations pour chaque conjoint vis-à-vis l’un de l’autre, les mêmes devoirs des enfants vis-à-vis de leurs parents et des parents vis-à-vis de leurs enfants. Oui, c’est bien ce mariage que nous ouvrons aux couples de même sexe. »

En revanche, au nom de l’opposition réunie sous le drapeau de la manif pour tous - qui prend alors le monopole d’un non-débat et qui décomplexe majoritairement l’homophobie et la lesbophobie - on range au placard les prétendus « principes d’égalité et de partage des libertés. » D’un revers de la main, on balaie ce qui aurait dû découler de fait du mariage pour tous : la PMA pour tou-te-s et la filiation automatique, sans discrimination. 

QU’EST-CE QUI CLOCHE ? 

La technique de la PMA serait-elle différente selon que la femme est hétéro ou homo ? Non, bien évidemment que non et encore non. La problématique n’est donc pas médicale. Elle serait soi-disant éthique. D’où l’arrivée du sujet au sein des États généraux de la bioéthique, organisés par le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) de janvier à avril 2018, en guise de phase préalable à la révision de la loi de bioéthique prévue pour la fin de l’année.

Pourquoi y intégrer l’ouverture de la PMA pour tou-te-s ? Et qu’attend-on puisque le candidat Macron en avril 2017 se disait « favorable à une loi qui ouvrira la procréation médicalement assistée aux couples de lesbiennes et aux femmes célibataires » ? Un avis positif de la part de la CCNE ? C’est chose faite depuis bientôt un an. Le Comité juge que « L’ouverture de la PMA à des personnes sans stérilité pathologique peut se concevoir pour pallier une souffrance induite par une infécondité résultant d’orientations personnelles. »

Pourtant, depuis, aucun projet de loi n’a été déposé par le gouvernement en place. Au contraire, il semble même reculer ou au moins essayer de gagner du temps... Un temps qui laisse place aux LGBTIphobies dans toute leur ignominie. 

LE COLLECTIF, CONTRE L’HYPOCRISIE

C’est pourquoi en décembre 2017, à l’approche des Etats généraux, 5 associations LGBTI et/ou féministes – CGLBT Rennes, SOS Homophobie Bretagne, Commune Vision, Les Effronté-e-s Rennes et Le Planning Familial 35 – ont fondé le Collectif breton pour la PMA, « afin de se rassembler autour d’un avis commun, en local », souligne Véronique Madre, co-déléguée territoriale de SOS Homophobie Bretagne.

Ainsi, le Collectif a au fil des mois informé des actualités et des événements liés au Etats généraux et à la consultation du Comité, essayant de faire en sorte que les débats ne soient pas monopolisés par les opposant-e-s, organisé une manifestation le 21 avril pour revendiquer l’ouverture de la PMA pour tou-te-s (femmes lesbiennes, femmes célibataires, personnes trans, personnes non binaires) et s’est saisi de la fête des mères pour distribuer des cartes postales Faites des mères, envoyées également aux élu-e-s, députés, ministres et au Président de la République.

« J’aimerais être optimiste sur la future loi et le vote mais les signes montrent qu’il faut être prudent. Le résultat des Etats généraux fait craindre pour la suite, à cause de la mobilisation des opposant-e-s qui représentent pourtant qu’une minorité de la population, qui était la même à protester contre le mariage pour tous, l’ABCD de l’égalité, etc. mais qui est bruyante et fermée. Surtout que le gouvernement n’appuie pas totalement. Il se dit favorable dans son ensemble mais certains ministres s’affichent contre. », souligne Véronique Madre, mitigée face au rapport de synthèse publié début juin par le CCNE, qui rendra son avis complet et définitif à la rentrée.

A l’argument des « lois naturelles » visant à se baser uniquement sur le fait que pour procréer il faut l’accouplement d’un homme et d’une femme, s’oppose l’évolution des schémas familiaux, de plus en plus divers et réalistes. Contraindre les femmes lesbiennes à aller à l’étranger pour avoir le droit à la PMA puis à déposer une demande d’adoption – rendue possible uniquement si le couple est marié - auprès du Tribunal de Grande Instance – pour celle qui n’a pas porté physiquement l’enfant, définie comme la « mère sociale » – est hypocrite :

« Ce n’est pas une question d’éthique, c’est une question d’égalité. En quoi la société a son mot à dire sur nos vies ? En quoi la population devrait avoir une opinion sur les couples que l’on reconnaît ou pas, les familles que l’on reconnaît ou pas ? Les familles homoparentales existent déjà, c’est la réalité. Des études montrent que les enfants sont aussi heureux que dans des familles hétéros. C’est une hypocrisie de leur interdire l’accès à la PMA puis de reconnaître les familles, en autorisant les adoptions par les conjointes. Nous demandons l’ouverture de la PMA à toutes les personnes ayant un utérus, dans les mêmes conditions de couple et dans les mêmes conditions de remboursement. »

PARCOURS DES COMBATTANTES

Adeline et sa femme se sont rendues en Belgique, dans une clinique à Liège, pour avoir recours à la PMA et avoir leurs deux filles : « Ma compagne a porté la première et moi la deuxième. Ce sont globalement les mêmes procédures sauf que la deuxième fois nous n’avons pas eu l’entretien visant à expliquer notre projet. À la clinique, ils nous connaissaient déjà, on n’a pas refait le premier rendez-vous. »

Un premier rendez-vous suivi d’un délai légal de réflexion de deux mois. Puis vient le deuxième rendez-vous dédié aux examens médicaux. Jusque là, outre les déplacements à l’étranger, pas trop de difficultés. Les choses se compliquent lorsqu’il faut trouver un médecin qui accepte de suivre les couples lesbiens dans ce type de démarche.

« Ce n’est pas évident, certains disent non, il faut prendre le temps de trouver les bons médecins. Surtout que nous étions à Paris pour la première et que pour la deuxième nous avions déménagé en Bretagne, il fallait donc retrouver quelqu’un… Quelqu’un qui accepte de faire une prescription pour le traitement de stimulation ovarienne qui se fait par piqures. Certains médecins acceptent mais signalent « non remboursé » sur l’ordonnance. C’est une centaine d’euros, qu’il faut renouveler à chaque essai ! Et puis c’est important d’obtenir la compréhension médicale pour qu’on nous explique bien comment bien faire les piqures. Ce n’est pas très compliqué mais on le fait nous-mêmes et ce qui n’est pas évident, c’est que si on manque d’informations, on n’ose pas tellement demander par peur de la situation. », précise Adeline.

En parallèle, un donneur doit être choisi. Il peut être anonyme ou semi anonyme, signifiant que l’enfant pourra s’il le désire connaître l’identité du donneur, qui signe une convention pour renoncer à la reconnaissance de l’enfant. Les deux femmes ont fait ce choix-là : un donneur semi anonyme, dans une banque de sperme au Danemark. « On achète les paillettes (le terme utilisé pour le sperme) et la banque envoie directement à la clinique en Belgique. », souligne-t-elle.

Dernière étape avant de pouvoir réaliser l’insémination : trouver un laboratoire qui puisse définir un rendez-vous pour le matin d’une date précise – dépend évidemment du cycle - et qui accepte de donner les résultats avant midi pour les envoyer à la clinique, qui appelle ensuite les personnes :

« En fonction des ovocytes, ils te disent qu’il faut encore attendre un peu ou alors ils te disent de venir le lendemain pour procéder à l’insémination des paillettes dans l’utérus. C’est un-e gynéco qui le fait par cathéter, pas comme la PMA artisanale qui se fait avec une seringue… ça dure 10-15 minutes et puis on rentre à la maison. À partir de là, si ça fonctionne, la prise en charge de la grossesse se fait en France et là ce n’est plus du tout la même chose, on est cocoonées comme les autres, les infirmières et sages-femmes ne posent pas de questions intrusives, sont bienveillantes et sans jugement. » 

AVOIR UN « ENFANT LÉGITIME »

Malheureusement, le parcours de la combattante ne s’arrête pas à la naissance de l’enfant dont la filiation avec la mère sociale n’est pas automatique. Une demande d’adoption doit être déposée auprès du Tribunal de Grande Instance. Une demande qui ne peut se faire que si les femmes sont mariées.

« Quand j’ai fait mes enfants, je ne pouvais pas me marier en France. Maintenant, c’est devenu normal que les couples homos puissent se marier. Le problème, c’est que le mariage n’est pas un droit pour les lesbiennes, c’est un devoir. Nous sommes obligées de nous marier pour déposer un dossier d’adoption au tribunal. Tout le monde n’a pas envie de se marier ! »

s’insurge Céline Cester, présidente de l’association Les enfants d’arc-en-ciel, créée il y a 11 ans par un couple de femmes militant pour l’instauration du congé d’accueil de l’enfant, mis en place en 2012 pour le père ou la personne mariée à la mère biologique.

Pour Adeline, les 3 jours à la naissance et les 11 jours de congé ont été obtenus sans obstacle. Pas comme sa demande de congé parental à 80%, d’abord refusée par son employeur :

« Il m’a dit qu’il l’accorderait quand j’aurais reçu l’accord du tribunal pour l’adoption. Sauf que ça prend un an et demi – la durée du traitement des dossiers, comme la procédure de demande d’adoption (on peut par exemple être convoquées à la gendarmerie, au tribunal, pour une enquête de mœurs, une enquête sociale) dépend de chaque tribunal – et que la CAF donne l’allocation uniquement la première année de naissance de l’enfant. Je n’aurais donc pas pu l’obtenir si j’avais du attendre la décision du tribunal.

En fait, il jouait sur les termes de la loi qui sont assez flous et qui parlent des « enfants légitimes ». Mais c’est quoi un enfant légitime ? Bref, il a fini par accepter car on a réussi à faire valoir que l’adoption prend effet à la date du dépôt de la requête. Il a vraiment eu une posture discriminatoire ! Et surtout il m’a dit des choses ridicules disant que c’était comme donner un congé parental à une femme qui vit en colocation avec quelqu’un qui a des enfants… Ridicule ! »

Des situations complexes et douloureuses, il y en a un paquet à cause de la PMA non accessible aux couples lesbiens et de la non filiation automatique. Le blog de l’association Les enfants d’arc-en-ciel en témoigne, permettant ainsi de donner une visibilité à tous les parcours vécus et subis. 

SITUATIONS COMPLEXES ET DOULOUREUSES

« Le parcours de PMA est très lourd, y compris pour les hétéros. Mais pour les homos, il faut aller à l’étranger, sans pouvoir expliquer les raisons de son absence puisque c’est hors du cadre légal, il n’y a pas le droit aux congés médicaux. Sachant qu’en plus, on vous appelle un jour à 14h pour le lendemain 8h. C’est toute une organisation, selon là où on habite, c’est très compliqué. Et puis, il faut avoir les moyens financiers d’aller en Belgique ou en Espagne. Plusieurs fois. Surtout si ça ne marche pas au premier essai. Il y a aussi des différences de dosage pour le traitement entre la France et l’Espagne par exemple, ça peut créer des situations très difficiles. C’est compliqué au-delà des difficultés physiques et psychologiques de la PMA. », explique Céline Cester.

Des expériences dramatiques, on lui en a rendu compte à la pelle depuis 2 ans qu’elle est présidente de la structure. À cause du cadre légal qui aujourd’hui en France ne protège pas les liens familiaux en dehors de ceux du sang. En cas de séparation, lorsqu’elles ne sont pas mariées, les mères sociales n’ont pas de droits sur les enfants qu’elles pourront continuer à voir selon la volonté des mères biologiques.

« J’ai l’exemple d’une maman sociale de jumelles de 11 mois. Elle vient de se séparer de sa compagne qui ne veut plus lui laisser voir ses filles. Elle n’a pas de recours parce qu’elles n’étaient pas mariées, elle n’a donc pas pu adopter. Ce statut de hors-la-loi laisse des marques… », regrette Céline.

On sent dans les arguments adverses l’exigence de la famille parfaite. Parce qu’elles sont homosexuelles, elles devraient redoubler d’effort pour incarner cet idéal alors même que ce modèle hypocrite s’effondre depuis plusieurs décennies chez les hétéros. Obligation de se marier, obligation d’adopter l’enfant, obligation de s’aimer à vie…

« Ce n’est pas parce qu’on est homos qu’on est des couples parfaits. Ce n’est pas parce qu’on est homos qu’on doit s’aimer toute la vie ! Déjà quand tout se passe bien, cette sensation de manque de légitimité à fonder une famille laisse des traces alors vous imaginez quand ça se passe mal ?! », s’indigne la présidente.

Adeline pointe également l’appréhension de l’échec de l’insémination (sans parler des grossesses qui n’arriveront pas à terme, comme tel est le sujet de la bande-dessinée Écumes, d’Ingrid Chabbert et Carole Maurel). Ce qui a été son cas lors de son premier essai.

« C’est toute une organisation. Il y a les contraintes géographiques, financières, se rendre aux consultations, payer les soins non remboursés, le train, l’hôtel… Il faut s’absenter de son travail. Nous sommes toujours aller à 2 avec ma compagne donc il faut aussi que l’autre s’absente de son travail. Personnellement, je n’ai pas ressenti de découragement extrême mais c’était difficile. Je savais que j’avais l’énergie pour le faire mais je n’aurais peut-être pas tenu une 3e, 4e, 5etentative… Après, en Belgique, nous avons été très bien reçues. On avait préparé notre premier rendez-vous comme un entretien d’embauche et en fait nous avons simplement dit qu’on voulait fonder une famille. On nous répondu « Bienvenues ! ». C’est leur quotidien là-bas donc ça ne leur pose aucun souci. C’est très différent en France. », commente-t-elle. 

TRANSPARENCE ET ENTOURAGE

Au-delà de l’incompréhension face à la lâcheté politique et la souffrance endurée à cause de la contestation LGBTIphobe, elle s’inquiète de ce que peuvent entendre les enfants de familles homoparentales. Tout comme Céline Cester, Adeline prône la transparence, expliquant le schéma familial dès l’entrée à la crèche, aux adultes comme aux enfants :

« Et il n’y a aucun souci. Mais ça dépend toujours des gens sur qui on tombe. On doit encore un peu prouver qu’on est une famille « normale » alors qu’on ne devrait pas avoir à le faire, même si ce n’est pas une famille « normale » dans le sens où nous avons dû nous rendre à l’étranger pour la PMA et adopter nos enfants ensuite. Mais on sort, on se montre. »

Ne pas rester cachées. Ne pas rester isolées. Même si l’entourage est présent, Adeline et sa compagne se sont orientées vers l’association Les enfants d’arc-en-ciel pour obtenir des renseignements sur les démarches, les vécus et expériences, et pour partager des informations et des moments conviviaux. C’est là le cœur des actions de la structure : l’accompagnement des couples et des familles, l’accessibilité aux informations et le conseil adapté à chaque parcours.

« Lorsque l’on organise des rencontres – qui sont ouvertes à tout le monde – l’idée est de pouvoir échanger, dans un espace sécurisé et sans jugement, autour des situations et voir comment on peut les traiter. Et souvent, on se rend compte que tout n’est pas lié à l’homoparentalité. Loin de là. Ce sont des questions qui concernent le développement de l’enfant, la parentalité, etc. Ce sont des questions plus larges de société. », analyse Céline Cester qui prône la mise en avant des éléments positifs dans le débat public :

« Oui, c’est difficile. Oui, il y a des situations dramatiques. Oui, avec une loi, ça irait beaucoup mieux c’est vrai. Mais il faut aussi dire que nos enfants grandissent. Qu’ils grandissent bien, que ça va bien ! On vit des choses très positives avec nos familles. C’est important aussi de le voir sous cet angle-là. D’être maitre de sa vie et de ses choix. »

Dans toutes les paroles des concernées, que ce soit dans les discours militants, les débats, les témoignages ou sur le blog de l’association (qui a également un site fourni et complet en informations), il y a l’immense regret du manque de courage politique qui a autorisé un mariage au rabais, sacrifiant l’accès à la PMA et la reconnaissance de la filiation, « laissant ainsi des familles sur le bord du chemin » et menant dans certaines situations à des inséminations artisanales « non par choix mais bien par défaut ».

Mais il y a aussi et surtout une détermination à se battre jusqu’au bout pour faire reconnaître leurs droits. Leurs droits d’avoir des enfants si elles le désirent, quand elles le désirent et avec qui elles le désirent, de se marier uniquement par choix, d’être libres de vivre leurs vies et leurs désirs sans justification permanente. Comme le dit Adeline :

« Ça ne devrait pas être une question de chance de tomber sur les bonnes personnes, ça devrait juste être possible pour tout le monde ! »

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Un enfant, si je veux, quand je veux, AVEC QUI je veux !
Fonder une famille : Quand la société s’emmêle…
La PMA, pour qui, pour quoi ?

Barbara Mai

Femmes réfugiées : Lutter ensemble

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Fin mai, Kubra Khademi, performeuse féministe afghane, animait un atelier auprès des femmes réfugiées de Rennes. Pour affirmer leur place, leur identité et leur liberté.
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« Nous, femmes, nous sommes toutes liées, toutes pareilles, toutes victimes (du patriarcat). Nous avons le droit de parler contre ça, pour arrêter ça. Pour éduquer la société, les pays, le monde. Nous avons le droit à la sécurité, nous avons le droit de nous exprimer. »

De passage à Rennes du 22 au 26 mai dernier, Kubra Khademi, performeuse féministe afghane, animait un atelier auprès des femmes réfugiées, hébergées au Centre Coallia Guy Houist de Rennes (service social classifié Centre d’Accueil de Demandeurs d’Asile). L’occasion d’affirmer que l’union fait la force et que c’est ensemble, à travers le mouvement préalablement déconstruit par rapport à la norme, que l’on pourra avancer. En terme de droits. En terme de liberté.

« C’est notre force qui fait notre exil. Parce qu’on n’accepte pas. On dit non. Que ce n’est pas juste. On se rebelle pour ne pas subir, pour ne plus subir. Il y a une grosse énergie chez les femmes que je vois ici. », souligne Djeny, hébergée au CADA de Rennes depuis mars dernier, venue découvrir l’atelier mené par Kubra Khademi du 23 au 25 mai, dans le cadre du programme « Déplaces – Danser sans frontières » proposé par Danse à tous les étages. Autour de ce qu’elles ont vécu dans les pays qu’elles ont fui, la performeuse a souhaité dérouler le fil de leurs parcours et trajectoires jusqu’à retrouver leurs âmes d’enfants, pour déconstruire les oppressions subies en grandissant à force d’injonctions, de menaces, de rappels à l’ordre, de violences physiques, morales et/ou sexuelles. Pour tendre ensuite vers une performance finale dans laquelle l’objectif serait, selon Kubra, de « demander notre liberté dans notre corps et dans l’espace public ». 

Toute de noir vêtue, elle court doucement en arc de cercle. D’un point A à un point B, elle va et elle vient. Sans cesse. Ses pieds nus foulent à petit pas la pelouse et s’emballent follement, au même titre que son souffle ébranlé qui se fait de plus en plus court, de plus en plus rapide et de plus en plus bruyant. Le regard apeuré, elle cherche à échapper à la laisse qui la retient.

Prisonnière du jardin du Musée de la danse, ce mardi 22 mai, Kubra Khademi délivre une performance viscérale, intitulée Qanchiq, qui dérange et qui remue les méninges des un-e-s et des autres, paradoxalement bien installé-e-s dans le confort de l’herbe et bercé-e-s par les rayons déclinants du soleil.

« C’est insoutenable », murmure une spectatrice à sa voisine qui approuve, tandis que deux femmes ne parviennent pas à retenir leurs rires, surprises de cette proposition aux gestes répétitifs qui peuvent susciter l’incompréhension et mettre mal à l’aise. Au point que certaines personnes quittent l’assistance et que d’autres regardent ailleurs. 

Mais peu importe l’endroit où nos yeux se posent, la respiration haletante et les gémissements de l’artiste heurtent et hantent notre esprit. Parce qu’au fil des minutes et de ses allers-retours, elle s’épuise et s’étrangle. Parce qu’elle veut se défaire de cet enfer. Parce qu’elle veut aller au-delà de son cadre fixé par la laisse. Elle manque de tomber à plusieurs reprises. Ralentit puis repart, plus vite. Ferme les yeux sur plusieurs mètres avant de les rouvrir, paniquée, quasi tétanisée mais incapable de se stopper.

Elle manque de s’étouffer et finit par abandonner la partie. À bout de souffle, après 20 minutes de bataille, elle s’étale face contre terre, vomit et crache. Quelques secondes plus tard, Kubra se relève, s’essuie la bouche et les yeux, salue et s’en va. Sa performance interroge particulièrement notre capacité à rester là, sans rien faire. Pendant 20 longues minutes, on la regarde souffrir, sans agir.

L’action s’effectue dans un cadre artistique, certes, mais démontre un état inerte, symptomatique d’une réalité sociale. Si Qanchiq relate le questionnement de Kubra Khademi face à son éducation, sa condition de femme, d’Afghane et de réfugiée, la proposition en dit long sur les comportements humains, éduqués à rejeter l’inconnu, particulièrement quand celui-ci est diabolisé par les médias et les pouvoirs en place. 

CONSERVER LES HISTOIRES

« Quand Annie (Bégot, directrice de Danse à tous les étages, ndlr) m’a montré Rennes, les différents espaces et le musée de la danse, j’ai réfléchi à ce dernier endroit qui est très important pour la danse et le corps. Un musée, ça garde les histoires. Je voulais qu’ici soit conservée l’histoire d’être enchainée comme un chien. », souligne l’artiste.

Elle veut, selon ses mots, être enregistrée là. Que l’on garde trace de son passage. De son étranglement, de la bataille de son souffle symbolisant son combat intérieur et extérieur, sa force. Tout ce qui l’a enchainé, tout ce qui l’a fait se débattre, poussée au niveau extrême de tomber.

« Ça a valeur de mosquée, pour moi. Dans ma manière d’être éduquée. Ma mère priait trop, à l’extrême. Pour elle, quand on vit dans une ville qui a une mosquée, on ne prie pas chez soi. On devait faire la marche tous les jours, plusieurs fois par jour, jusqu’à la mosquée et retourner à la maison. J’étais forcée. Les femmes, on ne travaille pas mais on prie. Dans une prière, on demande à trouver un mari, à le garder. Voilà à quoi nous sert ce geste humiliant. On parle à Dieu en lui demandant de nous donner des choses. Et on demande beaucoup dans les prières. Je veux donner cette valeur au musée et à demander à être enregistrée dans cet espace-là. », analyse l’artiste qui demande également à travers chacune de ses performances son droit à la liberté :

« On a besoin de sortir la voix. Dans les villes, on ne peut pas crier. Crier notre liberté. »

PARLER, DÉNONCER, DIRE NON

Elle explore pour la première fois la performance publique à Lahore, au Pakistan, où elle intègre la Beaconhouse National University, après avoir étudié les Beaux Arts à Kaboul.

C’est en revenant en Afghanistan qu’elle créeArmure, consistant à marcher dans un quartier très fréquenté de la capitale en portant, par dessus ses habits, une armure de fer recouvrant sa poitrine, son ventre et ses fesses. En quelques minutes, les regards sont braqués sur elle et les langues se délient. Sur elle, s’abat une pluie d’insultes et de cailloux.

Elle doit rapidement tenter de disparaître, aidée par quelques personnes et des journalistes présent-e-s ce jour-là, et saute dans un taxi, rouée de coups de poings et de pieds par ses assaillants qui iront jusqu’à la menacer de mort à son domicile. Kubra Khademi, cachée par des proches, quitte son pays et s’installe en France, à Paris précisément, où elle obtient le statut de réfugiée politique.

« Combien d’heures dans une journée ? Combien de jours dans une semaine ? Combien de semaine dans un mois ? Et combien de mois dans une année ? Combien de moments là dedans où je n’ai pas eu peur dans la rue ? J’ai 29 ans et je réponds « Tous les jours depuis 29 ans ». On vit avec la peur, avec les répressions, avec les violences. C’est quoi l’histoire des femmes ? C’est de la violence. Toutes les mères afghanes disent à leurs filles de ne pas sortir seules dans la rue, sinon elles seront violées. En même temps, les petites filles, les filles, les femmes sont violées par les membres de la famille, de l’entourage. Qui va sauver les femmes ? On grandit avec la menace sur la sexualité. Ici, je n’ai jamais été harcelée mais je vis autre chose par rapport à mon statut de réfugiée, à mon homosexualité. Ce n’est jamais fini et les violences ne viennent pas que des hommes. Notre silence y contribue car on les perpétue. », s’insurge l’artiste qui voit dans l’utilisation du mot « Femme » une sorte  d’humiliation sociétale. 

Parce que dans sa propre histoire, elle a toujours ressenti la réprobation par rapport à son identité de femme, par rapport à sa sexualité de femme. « C’est un sujet que j’utilise dans mon art parce que je suis très concernée par les questions autour des femmes, parce que c’est partout. », précise-t-elle.

En 2015, Kubra dénonçait publiquement le harcèlement de rue à Kaboul, les violences physiques et sexuelles que subissent constamment les femmes dans la rue, qui se font pincer, insulter, toucher. Pour punir, pour soumettre, pour exercer une supériorité masculine sur la gent féminine. Elle refuse de courber l’échine, d’avoir honte de qui elle est. Du sexe qu’elle a. Et refuse de se victimiser sans réagir :

« Nous ne sommes pas toutes seules, il faut interroger ces questions-là partout. Il y a des histoires fortes ici au CADA. Beaucoup d’histoires fortes. Mais les femmes ne parlent pas entre elles. Il faut parler pour changer et faire changer. Quand une fille commence à parler, souvent, 5 autres vont parler, puis 25. On parle, on critique, on dit non. Les mères, les grands-mères, se taisent. Mais il ne faut pas, il faut dire et dénoncer ce qui nous arrive et dire non à ça, sinon les violences ne seront jamais arrêtées. » 

TRANSFORMER LA SITUATION

Briser le cercle du silence. Puiser dans son passé pour trouver force et fierté. « À cause de la guerre en Afghanistan, on est allés en Iran avec ma famille. On détestait le mot « Réfugiés ». Aujourd’hui, je veux défendre ce statut. Parce que c’est une vie sauvée.

La vie de quelqu’un-e qui a réussi à survivre à des choses très dures. Je travaille beaucoup sur la question de mon identité et être une réfugiée en fait partie. Nous, les déraciné-e-s, c’est à nous de faire changer les choses. Nous devons faire notre chemin. C’est parce que je suis une exilée que je suis là aujourd’hui. », affirme Kubra, enthousiaste à l’idée de mêler les récits de vie et les arts à l’occasion de l’atelier proposé du 23 au 25 mai.

Pour Annie Bégot, directrice de Danse à tous les étages, l’art a capacité de transformer la situation des personnes. Depuis 20 ans, l’association développe des projets artistiques visant à atteindre des personnes en situation d’isolement, de précarité, de handicap « pour que la pratique chorégraphique et la pratique artistique soient des éléments de réinsertion dans la cité. »

Ou d’insertion tout court en ce qui concerne les migrant-e-s. « On ne sait pas ce qui va se passer au départ. On propose un projet pour des rencontres, une prise de repères. Avec le groupe, ils vont voir des spectacles, cela permet de baliser la culture à Rennes puis on espère qu’ils continuent de leur côté. », précise Annie. 

DÉPLACES, DANSER SANS FRONTIÈRES

Un premier accès à la culture. Mais aussi à l’échange. Entre des personnes en situation de migration et habitant-e-s issu-e-s des autres projets de la structure, réuni-e-s une fois par semaine durant 4 mois, avec les artistes associé-e-s (cette année : Léa Rault, chorégraphe, Arnaud Stephan, metteur en scène, Maëlle de Coux, dessinatrice, Gaël Desbois, musicien – le travail avec le groupe a été restitué lors de la représentation du 22 mai au Musée de la danse, à la suite de la performance de Kubra Khademi).

L’essence du projet de l’édition 2018, tel qu’elle est décrite sur le site de Danse à tous les étages, est claire : « Danse, photo, musique… seront autant de supports pour permettre l’échange et le tissage de liens au sein du groupe. À partir de la poésie de ces corps métissés, « Déplaces » saura se nourrir des matières, des paroles, des gestes échangés pour construire un propos chorégraphique. "Pour le projet Déplaces, nous proposons de nous rencontrer autour des rituels du quotidien. La cuisine, les repas, la toilette, les soins du corps, l'investissement de l'espace public, le repos, etc..., mais aussi les rituels qui rythment une année tels que les anniversaires, les célébrations diverses, les évènements comme la mort, ou la naissance. À travers eux, nous chercherons à trouver ce qui est commun, et ce qui est spécifique à chacun (…)." »

UN ESPACE DÉDIÉ AUX FEMMES EXILÉES

 « Autour de nous il n’y a que des corps. Et ces corps sont en écho les uns avec les autres. Il s’agit de se reconnaître comme faisant partie d’une même communauté, d’une même humanité. Pour redonner une place de responsabilité vis-à-vis de soi-même et vis-à-vis de l’autre, nous chercherons à créer du collectif et de l’interdépendance. Comme un passage de relai, notre démarche deviendrait celle des participants et continuerait de s’inventer, même après la fin des ateliers. », disaient l’an dernier Marine Mane et Julie Nioche, les deux chorégraphes affiliées au programme « Déplaces ».

Rapidement, artistes et professionnel-le-s du secteur établissent que rares sont les propositions à destination des femmes en situation de migration, qui représentent pourtant désormais près de la moitié de la population migrante. Ainsi, au sein de ce projet, Danse à tous les étages a choisi de lancer en 2018 un espace qui leur est dédié.

« Parce qu’elles viennent moins. L’an dernier, dans le groupe, il y avait 2 femmes seulement. Certaines ont des enfants et en général, s’occuper de soi n’est pas leur priorité. », commente la directrice, qui invite alors la performeuse afghane Kubra Khademi pour son engagement militant féministe, « son travail sur la parole des femmes là où elle n’est pas publique ».

Sur le modèle des « Créatives » – programme qui depuis 12 ans se développe sur 4 territoires (Brest, Morlaix, Saint-Malo et Rennes) visant l’insertion professionnelle des femmes – le partenariat avec le Centre Collia Guy Houist de Rennes a pour but de provoquer la rencontre et de voir ce que cela suscite :

« Se dévoiler, parler, faire un travail de présence, exister avec différents états. C’est tout ce que l’on travaille dans la danse et c’est ce que la participante travaille ensuite dans sa vie privée comme dans sa vie professionnelle. Mais c’est aussi une manière de créer du lien social, d’exister dans une ville, d’utiliser les différentes ressources culturelles peu utilisées par ces différentes populations. C’est important de pouvoir être à l’aise dans ces lieux que l’on pense réservés aux autres. » 

PARTAGER, ÉCOUTER ET CONSTRUIRE ENSEMBLE

Pour Kubra Khademi, il est essentiel de créer une force entre les femmes, leur faire prendre conscience de la richesse de leurs vécus, du courage dont elles font preuve au quotidien. Avant tout, elle doit obtenir leur confiance. Pour créer un lien de proximité et les amener à livrer ce qu’elles ont au plus profond d’elles-mêmes.

« Je comprends ces femmes et je suis certaine qu’elles me comprennent aussi. », souligne-t-elle, sourire aux lèvres, le premier jour de l’atelier. Lors de la pause méridienne, elle repense à la matinée qui vient de passer. Aux discussions du groupe, composé la première matinée de 7 femmes :

« Je leur ai raconté mon enfance, ma culture, mon histoire, ma sœur, ma mère, moi… Pour établir un lien de confiance. On a parlé des violences envers les femmes en Afghanistan et très vite, on a parlé ensemble des violences sexuelles. Elles peuvent être traumatisées par des mariages forcés, des viols du mari (avec le père qui le sait mais ne dit rien, ne fait rien), par la peur tous les jours, la répression, mais elles parlent. J’ai montré des images de mon travail, on a bien échangé. Maintenant, l’idée va être d’oublier qu’on est des femmes adultes et redevenir des enfants. »

En début d’atelier, Kubra souhaite les faire revenir à un état d’insouciance, de légèreté. Un état durant lequel les petites filles n’ont pas encore conscience des assignations et des injonctions de genre. Dessiner, chercher des cailloux dans l’herbe, bouger son corps, écarter les jambes.

« Ouvrir ce que l’on est. Se sentir libres. Parce qu’on est plus libres quand on est des toutes petites filles. Après en grandissant, on oublie ça. Dans mon pays, les filles sont très vite des jeunes adultes. Nous sommes éduquées comme ça. », s’écrie l’artiste qui passe du regard pétillant d’un enfant candide au regard sombre de celle qui est poursuivie par l’ombre de sa condition.

Si l’atelier est déserté au fur et à mesure des séances, les dessins sont une réussite pour Kubra qui voit là beaucoup d’énergie et de puissance. Les créations montrant souvent des habitations. Inoccupées ou non, elles sont généralement le signe de leurs racines et de leur déracinement. Elles crayonnent leur passé mais aussi leur futur. Leurs aspirations. L’espoir de retourner dans leurs pays d’origine et d’y construire de nouvelles ressources. Pour soigner, éduquer, vivre et faire vivre.

« J’apprends beaucoup de ces femmes, pleines de talents, de courage et de grandes histoires. », s’enthousiasme la performeuse. 

SE DIRE QUE C’EST POSSIBLE

Parmi ces femmes, Djeny a créé sur papier une longue robe de soirée. Elle a 27 ans et vient du Mali, en passant par la Tunisie et Saint-Brieuc. Le 25 mai, dans l’après-midi, elle est la seule participante :

« Quand l’assistante sociale m’a parlé de l’activité, je me suis dit que la danse ce n’était pas pour moi. À cause d’une opération mal faite en Tunisie (prothèse totale de hanche), j’ai des béquilles depuis l’an dernier. Et puis Kubra m’a expliqué que je pouvais bouger seulement le haut du corps, je me suis donc dit que c’était possible. C’est agréable d’avoir un espace pour nous les femmes, pour partager nos histoires et pour exprimer des trucs qu’on ne peut pas exprimer ailleurs. Ça donne envie de se libérer et de dire à l’autre de s’ouvrir. Forcément, son parcours résonne beaucoup en moi. Tout de suite, on se sent accueillie, comprise, en sécurité. Et puis l’histoire d’une femme partie de rien, c’est de l’espoir ! Elle a une ouverture d’esprit qui donne du courage. »

Elle n’est certainement pas la seule à avoir pensé que l’atelier ne lui était pas accessible. Ce jour-là, elle ne regrette pas sa présence. Elle parle avec aplomb de ce à quoi elle aspire plus tard :

« Au Mali, lors de la fashion week, je ne voyais jamais de mannequins handicapées défiler. Parce qu’on pense les femmes handicapées comme « pas normales », alors que pour défiler, il faut être parfaite.  Nous, on n’est pas parfaites mais est-ce que ça veut dire qu’on n’a pas le droit à des collections dédiées ? Je veux poser et défiler en tant que mannequin handicapée. Montrer que nous aussi, on est belles, féminines, parfaites à notre manière. J’espère un jour pouvoir poser la question à Lagerfeld : les femmes handicapées sont aussi consommatrices de mode alors pourquoi en faire un tabou dans les défilés ? Quelle est la définition de la femme parfaite ? Pour moi, c’est la femme qui s’accepte et se met en valeur avec ses défauts. » 

REFUSER LA DOMINATION

Djeny le dit et le répète : son projet, elle veut le concrétiser, vraiment et profondément. Elle refuse de s’attarder sur le regard des gens, sur ce que pensent les autres.

« Chez moi, quand on est une femme, il faut se couvrir, se cacher mais je ne veux pas me cacher. Regarde ailleurs si ça te dérange, je ne vais pas changer parce que ça te dérange toi. Quand on est handicapées et que l’on ne se cache pas, on est étranges. Moi je sens les regards sur moi mais je m’en fous. Le regard des autres ne va pas m’empêcher d’être moi. », déclare la jeune femme qui, au fil de ses propos, impressionne Kubra dont le visage s’illumine pleinement, à la fois d’espoir et à la fois d’horreur, découvrant comme pour la première fois que ce qu’elle a connu en Afghanistan, en terme de violences contre les femmes, existe dans d’autres pays.

Son discours fait écho au sien. Parce que toutes les deux s’insurgent contre la domination patriarcale et ont choisi de briser la loi du silence. Djeny livre bataille contre les mariages forcés « qui ont lieu dans beaucoup de pays musulmans. Récemment (le 10 mai dernier, ndlr), une fille de 19 ans (Noura Hussein Hamad, ndlr)a été condamnée à mort au Soudan. Elle a été mariée de force et violée par son mari(avec l’aide de ses deux frères et de son cousin, selon l’organisation de défense des droits de l’Homme Amnesty International, ndlr). Quand il a voulu recommencer, elle a pris un couteau et l’a poignardé. Elle s’est défendue et on la condamne à mort. C’est ça qui nous attendait si on n’avait pas fui. »

Elle raconte les femmes qui partent du Mali et traversent ce « processus très difficile ». Quitter sa famille, venir seule, effectuer sa demande d’asile, affronter l’attente et la réponse. Elle a fait son choix : « Je ne suis pas condamnée à me voiler, à rester à la maison, à vivre pour mon mari. C’est une sorte d’esclavage ! Tes parents te donnent pour la dot. Ton mari va te frapper, te violer. Il a le droit, il a tous les droits. Personne ne doit vivre ça. Entre « sœurs » (en réalité, il s’agit de mes cousines), on en parlait. Personne ne veut de ça mais tout le monde n’a pas la chance de s’enfuir. Parce que malgré ce que l’on vit pour venir ici, c’est une chance. C’est ma force qui parle, ma part de féminisme. C’est une fierté. Je souhaite à aucune femme de vivre ça. »

Son témoignage est intense. Percutant. Elle est déterminée et combattive. Portée par l’envie « de pouvoir vivre pleinement ma vie de femme. » Pour elle, c’est « la quête de liberté qui pousse à tout »,celle-là même qui lui a permis d’oser fuir son pays et qui la fera sans doute enfoncer les portes du mannequinat pour femmes handicapées. Celle-là même qui lui fait dire qu’aujourd’hui, elle est libre : 

« Pas à 100% certes mais libre quand même ! »

ÉCHANGER ENTRE CONCERNÉES

Ce vendredi 25 mai, alors qu’était envisagée une performance menant les participantes du CADA jusqu’au centre ville, le programme est bouleversé par l’absence des femmes, peut-être réticentes à l’idée de défiler au milieu des rues. Peut-être pas assez préparées du moins à cette idée, qui leur a été soumise deux jours avant seulement.

Si Kubra Khademi affiche une triste mine face à cet objectif non atteint, elle ne peut que dresser un bilan positif sur les trois jours passés au contact des femmes hébergées au Coallia Guy Houist :

« On a partagé nos idées, eu des discussions très riches. Cela permet d’imaginer que oui, un meilleur futur est possible. On a fait des mouvements ensemble, on a bien travaillé avec le corps. Les femmes venaient d’Afrique, d’Europe de l’Est, moi d’Afghanistan, nous sommes réfugiées à cause des guerres pour certaines (et vous savez, on dit à certains endroits que la guerre est finie mais elle n’est jamais finie, chez nous il y a « talibans » et « talibans ») et nous avons beaucoup de choses en commun. Nous avons énormément parlé du harcèlement sexuel et des violences sexuelles. Il y a eu des moments difficiles et tristes. Et puis, les dessins nous ont permis de nous projeter dans le futur. Dans un futur positif. Nous sommes ici actuellement mais nous pensons au positif pour là-bas. Nous cherchons nos racines que nous avons perdues, nous sommes toutes déracinées. »

NE PAS OUBLIER QUE LES FEMMES DU MONDE ENTIER SONT FORTES

Son refuge à elle : l’état de l’enfance. Parce que petite fille, elle peut effectuer tous les gestes qu’elle veut. C’est ainsi qu’elle réfléchit pour la création de chaque performance car « si je pense que je suis une adulte, je suis alors dans le cadre fermé de ce que peuvent faire les femmes et ce n’est pas bon. »

C’est le message qu’elle délivre à toutes celles qu’elle rencontre, en résidence, à l’occasion de workshop, au hasard d’une discussion suscitée par une performance publique.

« Les femmes ne doivent pas oubliées qu’elles sont fortes. J’encourage mes sœurs, les femmes du monde entier, à ne pas oublier que les femmes sont très fortes. Elles ont déjà fait tout ce chemin ! Après, on est confrontées aux mêmes problèmes : dans la construction de l’identité, de la sexualité, etc. Il faut demander nos droits, prendre nos droits. Courage ! Soyez sures de vous, ayez confiance. Aujourd’hui, je peux tout faire, je suis plus libre ! » 

À travers les pratiques et les questionnements d’une petite fille – qu’elle présentera dans (Re)performanceà l’automne prochain dans le cadre du festival du TNB, à Rennes, pour lequel elle sera en résidence dès cet été - elle déconstruit les mécanismes d’oppression et s’émancipe de la norme de son sexe et de son genre, construisant son identité de femme, afghane, féministe, artiste, réfugiée, parisienne. Toujours avec l’idée d’interroger nos représentations et accompagner les femmes chez qui son parcours résonne comme un écho. Une sororité. 

 

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Femmes en exil et en mouvement
Faire corps, pour défendre sa liberté
Autonomie et indépendance

Célian Ramis

Santé : reconnaitre l'endométriose

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Mal connue et peu reconnue, l'endométriose est pensée comme une "maladie de bonne femme". Les femmes se mobilisent et militent pour une meilleure diffusion de l'information, l'accès aux examens et aux professionnel-le-s, sans remise en question de leurs souffrances.
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Ça y est. Tu, puis murmuré, le terme « endométriose » commence enfin à être prononcé à voix haute. Mais reste encore pour la plupart de la population une vaste inconnue. Une maladie de bonnes femmes un peu douillettes. Pourtant, les personnes atteintes d’endométriose – entre 1 femme sur 7 et 1 femme sur 10 – sont loin d’être ces « petites natures » dépeintes dès les premières expressions de douleurs, qui surviennent en général dès les premières règles.

Hélas, leurs souffrances sont souvent ignorées, voire méprisées, par le corps médical. Pour que leurs paroles ne se confrontent plus à l’avenir à une maltraitance, que l’auteur et ancien médecin généraliste Martin Winckler qualifie de « systémique », des associations et initiatives militantes luttent pour diffuser l’information auprès du grand public, permettre aux femmes atteintes de la maladie de se réunir pour échanger entre elles et pour faire progresser la recherche, laissée jusqu’ici sur la touche par les pouvoirs publics. 

« Lorsqu’on les interroge, la plupart des femmes atteintes sévèrement par cette maladie se plaignent d’avoir souffert depuis la puberté de douleurs gynécologiques violentes sans que le médecin ait évoqué une possible endométriose », peut-on lire sur le site d’EndoFrance, association française de lutte contre l’endométriose. Pourquoi ? Parce que la maladie est encore trop mal connue et que très peu reconnue. À nouveau, la question se pose : pourquoi ? Parce qu’elle concerne les personnes ayant un utérus. Soit la moitié de la population, en fait… Alors finalement, pourquoi ?

Depuis quelques années seulement se lève (doucement) le voile du tabou autour des règles. On ose davantage parler des difficultés du cycle. Le Syndrome Prémenstruel (SPM), les douleurs plus ou moins fortes lorsque surviennent les menstruations, le choix des protections hygiéniques et leurs compositions mystères, l’appréhension du syndrome du choc toxique, etc. On découvre des termes que l’on ignorait jusque là – même en ayant plus vécu réglées que le contraire – comme ménorragie, aménorrhée ou encore ménarche.

Si on sait que certains cycles sont réguliers et que d’autres ne le sont pas, que toutes les femmes ne ressentent pas les douleurs – quand l’utérus se contracte – de la même manière, on apprend en revanche qu’il n’est pas normal de s’entendre répondre « C’est normal » lorsque l’on exprime la souffrance provoquée par les règles. Car cette dernière peut être une conséquence directe de l’endométriose, souvent peu envisagée par les professionnel-le-s de la santé.

Le Dr Chrysoula Zacharopoulou, gynécologue chirurgienne, spécialiste de l’endométriose et co-créatrice avec Julie Gayet de l’association Info-Endométriose, explique, dans une interview accordée au magazine Psychologies :

« La société ne comprend pas la souffrance et le caractère handicapant de l’endométriose car elle ne connaît pas cette maladie. Elle est « cachée » avant tout par les patientes elles-mêmes car cela touche leur sphère intime, leurs règles et leur sexualité. Le regard de notre société sur le sujet de la douleur liée aux règles reste un tabou dont on évite déjà de parler entre femmes et davantage encore de manière publique. Et ce regard n’a jamais changé au cours des siècles, ni dans les différentes cultures. Dans une époque où l’image de la « femme parfaite » existe partout, à la télévision ou dans les magazines, parler de souffrance féminine liée aux règles n’est pas un sujet très intéressant, « ça casse l’ambiance ». La conséquence est que les femmes atteintes ne s’expriment pas, ne trouvent pas le courage de parler de leur maladie, d’être reconnues comme malades et vivent leurs souffrances en silence. Incomprises de tous. »

MULTIPLES ATTEINTES ET SYMPTOMES

La maladie est complexe. Pour les raisons évoquées par Chrysoula Zacharopoulou mais aussi parce qu’elle est multiple. En effet, elle peut prendre différentes formes et s’exprimer à travers plusieurs symptômes. D’où l’indispensable diffusion de l’information auprès du grand public, l’exigence d’une meilleure formation des professionnel-le-s de la santé et le besoin d’une écoute bienveillante des patientes.

Comme le souligne le Dr Estelle Bauville, gynécologue, obstétricienne et chirurgienne à l’Hôpital Sud de Rennes, lors d’une réunion organisée le 18 avril par l’antenne bretonne de l’association EndoFrance, « beaucoup de choses sont repérées à l’interrogatoire. C’est un peu policier, un peu cru parfois, mais ça nous aide. »

Malheureusement, aujourd’hui encore, tous les médecins ne détectent pas les signaux, souvent par méconnaissance de la maladie qui se révèle dans les « 5D » : dysménorrhée, dyspareunie, dysurie, douleurs pelviennes, dyschésie. Comprendre alors : règles douloureuses, rapports sexuels douloureux, difficultés à uriner, douleurs dans la zone du bas ventre et de la zone génitale, gêne à la défécation. « Ce n’est pas obligé d’avoir les 5 symptômes pour être atteinte d’une endométriose », précise le Dr Bauville, qui poursuit :

« Il faut savoir chercher les zones anormales, qui sont des petites tâches bleues. Bien regarder et bien chercher. Aller titiller. On doit rechercher toutes les anomalies, au niveau des trompes, des ovaires, voir s’ils sont collés ou s’ils sont figés alors qu’ils sont semi libres normalement. Lors de l’examen clinique, on regarde tous les organes avant de passer par voie vaginale. Et en effet, je le dis aux patientes quand je le fais : je vais rechercher les sensations douloureuses pour voir si les tissus bougent et trouver où se logent les anomalies. »

Clairement, qu’est-ce que c’est ? L’endométriose provient de l’endomètre, le tissu qui tapisse l’utérus et qui s’épaissit au fil du cycle pour accueillir une éventuelle grossesse. Sans fécondation, il s’évacue, par le vagin, au moment des règles. Mais il arrive que des cellules du tissu endométrial se développent en dehors de l’utérus, en remontant et migrant via les trompes. Ce qui provoque des lésions, des adhérences et des kystes ovariens – appelés endométriomes – dans les zones atteintes, qui peuvent dépasser le cadre génital et se loger dans l’appareil urinaire, l’appareil digestif ou même parfois dans les poumons.

« C’est la seule maladie bénigne qui métastase. C’est le même principe que le cancer mais l’endométriose ne tue pas, enfin pas la maladie en elle-même mais il peut y avoir des complications. », explique Manon Carbonnel, militante pour les droits des femmes, atteinte de la maladie. Accompagnée de Marianne Flahou, avec qui elle a fondé un premier groupe de paroles, à Rennes, début avril, à destination des personnes atteintes de l’endométriose, les deux femmes insistent : les symptômes peuvent différer d’une femme à une autre.

Vomissements, évanouissements, paralysie périodique du bas du dos… la maladie est handicapante. Et peut être silencieuse, également. « Tu peux avoir des grosses douleurs et être à un stade 1 et tu peux ne pas avoir de douleurs et être au stade 4 », précise Manon. D’où le fait que certaines femmes ne le découvrent que tardivement (voire pas du tout), notamment en arrêtant la pilule par exemple – puisque celle-ci peut masquer les symptômes – ou encore dans les cas de difficultés à concevoir un enfant. En effet, une grande proportion de patientes endométriotiques présente des signes d’infertilité.

« C’est très difficile pour les femmes qui sont dépistées très tardivement et apprennent en même temps qu’elles ne peuvent pas avoir d’enfants. Il y a beaucoup de colère à cause du diagnostic, long à établir, et de la prise en charge tardive. »
commente Corine, représentante d’EndoFrance en Bretagne.

Parce qu’avant de passer une échographie et une IRM avec un-e professionnel-le spécialiste de la question et dont l’unique objectif est de déceler des anomalies révélatrices de la maladie, il va falloir franchir un grand nombre d’étapes, dont la principale est la plus compliquée : la prise en compte de la parole de la patiente.

UN DIAGNOSTIC TROP LONG À ÉTABLIR

« Pendant plus de 20 ans, j’ai souffert de cette maladie. Je ne savais pas ce que c’était, les médecins non plus. À 12 ans, je me roulais par terre et ma mère me disait que ça irait mieux quand j’aurais un enfant… Mais ce n’est pas normal de se rouler par terre ou de ne pas réussir à marcher à cause de douleurs gynécologiques… Les seuls, en 2009, qui ont su me renseigner, étaient les membres d’EndoFrance. Vraiment, ça m’a sauvé la vie. J’ai pu savoir ce que j’avais, j’ai été opérée par un spécialiste et j’ai pu avoir des enfants. », signale Corine.

Pour Manon Carbonnel, il aura fallu presque 12 ans pour que la maladie soit diagnostiquée. Entre temps, elle a subi des humiliations et des violences gynécologiques : « J’ai payé bien cher des psys pour savoir si j’étais tarée ou pas. Qu’on arrête de me dire que j’étais hystérique, que c’était dans ma tête. » Une phrase entendue par un grand nombre de patientes souffrant de douleurs intenses que ce soit en consultation, après une échographie ou une IRM « normales ».

« J’ai eu de la chance que mon médecin traitant demande une 2e lecture de mon IRM à l’Hôpital Sud (où elle est désormais suivie, ndlr). Sinon on n’aurait pas trouvé. Ce n’est pas simple du tout même ensuite. Les rendez-vous durent 20 minutes, les médecins n’ont pas le temps et tu ne peux pas avoir toutes les infos. », s’insurge-t-elle.

De son côté, Marianne Flahou ressent également le manque d’écoute. Pour diagnostiquer sa maladie, il faudra 10 ans. Pourtant, sa mère en est atteinte également. Elle parle d’errance médicale, liée à la façon dont les médecins reçoivent la parole des femmes. Et décrit un parcours de longue haleine particulièrement fluctuant, entre recherches infructueuses, fatigue morale, douleurs assourdissantes et besoin de trouver la cause du mal :

« Tu as tellement mal qu’il faut trouver ce que c’est. Il faut être dans la persistance. On te dit que c’est dans ta tête, c’est un combat permanent. Moi, j’ai quand même entendu : ‘De toute manière, ça sert à rien, y a pas de traitement’… »

L'IMPORTANCE DE L'ÉCOUTE

Pour le Dr Bauville, « le traitement dépend des symptômes et de la volonté des patientes ». En général, elles sont orientées vers des traitements hormonaux (la pilule en continu, afin de provoquer une aménorrhée) ou une opération chirugicale (la cœlioscopie, par exemple, mais tout dépend de l’atteinte). Celle-ci est « diagnostique et thérapeutique car elle permet de voir l’étendue de la maladie et de traiter directement. »

Sans remettre en doute la bonne foi de l’équipe spécialisée de l’Hôpital Sud, les femmes sont nombreuses à se sentir insuffisamment informées et insuffisamment prises en compte pour décider de la suite ou pour faire confiance aux médecins, qui parfois déshumanisent la patiente. « En tant que malade, tu as le droit d’avoir le choix. De savoir ce qu’on te propose et ce que ça va te faire. », déclare Marianne.

Elle a un kyste logé entre le vagin et le rectum. Une intervention chirurgicale aurait nécessité l’usage d’une poche durant deux mois, lui a-t-on expliqué, et cela sans prendre en compte les éventuelles complications. Elle n’a pas souhaité s’orienter vers ce type de traitement et la prise de pilule a entrainé, chez elle, un état de dépression. Elle se rend auprès d’un spécialiste, à la Sagesse – qui dispose d’une équipe pluridisciplinaire :

« J’ai expliqué que je faisais une dépression et lui m’a demandé si j’avais des sécheresses vaginales. Je lui ai dit que non. Il était devant moi, il dictait le compte-rendu et a noté que je voulais arrêter parce que j’avais de la sécheresse vaginale. Je me suis sentie pas écoutée du tout. » Difficile de ne pas toujours revenir sur le manque, voire l’absence, d’écoute. Pourtant, comme le souligne le Dr Chrysoula Zacharopoulou, elle est essentielle :

« L’endométriose m’a rapidement intéressée car la relation, le dialogue et l’écoute des patientes sont au centre de la prise en charge. C’est le cas pour beaucoup de maladies pas forcément graves – dans le sens où la vie des patientes n’est qu’exceptionnellement en danger – mais qui entrainent néanmoins des douleurs chroniques avec toutes les conséquences que cela comporte : personnelles, sociales et professionnelles. »

Un point sur lequel la rejoint sans conteste l’auteur et ancien médecin Martin Winckler qui, en plus d’avoir abordé le rapport médecins/femmes dans Le chœur des femmes, dénonce la maltraitance médicale dans Les brutes en blanc. Il explique, dans une interview accordée à 20 Minutes :

« En France, on n’enseigne pas aux médecins qu’ils doivent partager leur savoir et que c’est au patient de décider. Mon objectif c’est de dire au grand public qu’il peut se défendre contre les médecins maltraitants. » Par là, il n’entend pas qu’il existe une poignée de « médecins méchants » mais parle justement d’une maltraitance systémique. Le médecin sait, le patient non. Surtout si le patient est une patiente.

Il faut « sortir de l’idéologie paternaliste » et diffuser les informations. « Les femmes doivent savoir qu’il est interdit de leur imposer une épisiotomie ou une péridurale, de faire une infiltration ou une ligature des trompes sans leur consentement. Ce sont ces témoignages de patientes qui m’ont motivé à écrire ce bouquin. Le mal que je ferai à la profession n’égalera pas le 100e des souffrances de ces patients maltraités. », conclut-il dans l’entretien, après avoir balayé d’un revers de la main l’argument du manque de temps :

« Aucun médecin n’a jamais eu le temps. Ce n’est pas une excuse pour se comporter comme un malpropre. La médecine, c’est 80% de relationnel. Or en France, on valorise le geste technique. »

PROBLÈME DE COMPRÉHENSION

Ce dialogue s’avère véritablement difficile à établir. D’un côté, les médecins se sentent jugés. Remis en question. De l’autre, les patientes pas écoutées. Pas prises au sérieux. Et le ton peut monter rapidement. C’était le cas lors de la dernière réunion organisée par EndoFrance à l’Hôpital Sud, le 18 avril dernier.

Une femme exprime la douleur ressentie à l’introduction de la sonde vaginale, une autre s’interroge sur le fait que lors de son parcours PMA – Procréation Médicalement Assistée – elle n’ait pas pu choisir entre des injections ou la prise du médicament Synarel. Les échanges restent cordiaux, même si des gênes, basées sur des incompréhensions mutuelles, se font ressentir.

« La parole se libère, on ne fait plus la médecine d’hier. L’industrie pharmaceutique essaye de faire des améliorations mais on ne nous propose rien de mieux pour faire notre métier. », finit par rétorquer le Dr Bauville. Quelques femmes présentes dans l’assemblée tentent d’expliquer leur point de vue : « Des petits choix peuvent nous aider. Mais on ne nous explique pas les choses. » Réponse instantanée de la gynécologue : « On n’est pas des robots ». En face, les patientes répliquent : « Nous, on le devient, surtout en PMA. »

Si la conférence se poursuit autour des différents types d’atteintes, les parcours de diagnostic et de prise en charge, l’ambiance n’est pas plus détendue. Au contraire. Une des personnes présentes témoigne de sa colère. Parce qu’en 2011, on lui détecte un stade 4, elle est alertée sur l’urgence à concevoir un enfant, si tel est son souhait. Elle a désormais des jumeaux mais a énormément souffert :

« Après 2 ans de FIV (Fécondation In Vitro), la maladie a proliféré. J’ai 42 ans et les conséquences sont graves. Ma vessie ne fonctionne plus correctement et si j’ai bien compris, je vais devoir subir l’auto-sondage a priori jusqu’à la fin de ma vie. Je suis en colère. Après un parcours de FIV, on doit nous suivre et je n’ai pas été suivie. »

Pour le Dr Jean Lévêque, du service gynécologie de l’Hôpital Sud, elle aurait dû d’elle-même recontacter les spécialistes. La discussion prend un air de confrontation. Parce qu’il renvoie aussitôt un sentiment de culpabilité et la sensation de ne pas écouter le vécu et le ressenti de ces femmes démunies face à un parcours de santé extrêmement long, douloureux et pénible, physiquement et moralement.

« Vous êtes dans une position défensive. On vous demande d’écouter, on est des patientes, on souffre, on a des situations différentes, on a des questions. Ce n’est pas votre métier que l’on critique ou que l’on accuse. Ne soyez pas agressif. », signifient-elles clairement au médecin, visiblement braqué.

Quelques jours plus tard, Corine le dit en toute honnêteté : « C’est la première fois que je le voyais comme ça. Ça m’a un peu refroidie. Je regrette que ce soit parti en confrontation. Après, il y a dans l’équipe de très bons gynécologues et je ne veux pas arrêter de travailler avec l’équipe de l’Hôpital Sud parce que ce à quoi vous avez assisté le 18 avril n’est pas représentatif. Ce qu’il faut comprendre, c’est que c’est très compliqué. Il y a toujours une phase de colère dans l’endométriose et le ton des femmes peut être agressif. Pour les filles qui étaient présentes la dernière fois, il faut savoir qu’elles ont peur. Il y en a une qui a une poche, une avec des problèmes de vessie et une qui n’arrive toujours pas à avoir d’enfant. C’est normal d’être énervée et d’avoir peur dans ce type de situation. Moi, je suis moins énervée aujourd’hui, parce que j’ai pu avoir des enfants et que j’ai trouvé un très bon gynéco. »

C’est là encore une difficulté dont parlent Manon Carbonnel et Marianne Flahou. Pas facile, disent-elles, de pouvoir établir un annuaire des « bon-ne-s praticien-ne-s ». Tout d’abord, pour des raisons de feeling qui diffère selon chaque personne. Ensuite, parce que tou-te-s, y compris les « médecins safe » (réputé-e-s bienveillant-e-s) ne connaissent pas forcément spécifiquement l’endométriose.

Changer régulièrement de médecin, de gynéco, voire de sage-femme, jusqu’à trouver la personne bienveillante et compétente. Qui donne les informations, explique le pourquoi du comment, pour que la patiente comprenne bien. Qui permet une relation de confiance parce qu’elle écoute, sans jugement, et parce qu’elle demande le consentement de la patiente avant de procéder à un examen.

« Moi, la pilule m’a coupé un long moment dans ma sexualité. Va expliquer ton intimité au médecin qui n’écoute pas ! Il faut y aller en mode warrior et c’est fatiguant de douter de ton médecin. Mon médecin traitant a dû me faire une fois un toucher vaginal. Déjà, il m’a proposé et pas imposé et m’a expliqué que j’allais certainement avoir des douleurs près des ovaires. Il a attendu que je lui dise si j’étais ok ou pas avant de le faire. »
explique Manon.

Elles est rejointe par Marianne : « Lorsque j’ai fait ma dernière échographie de contrôle, la professionnelle ne me regardait pas. Je pense qu’elle n’avait pas l’intention d’être malveillante mais j’ai dû insister pour capter son regard. Quand tu es au cœur de la maladie, que t’en chie, c’est dur. » Se sentir prise en compte dans sa globalité, dans sa parole, son corps, son vécu et son ressenti.

Les trois femmes sont d’accord : aujourd’hui, on parle davantage des règles et davantage de l’endométriose. On sait désormais que la maladie - connue depuis 1860, rappelle Manon – est réelle. Et non une histoire de bonnes femmes douillettes. Le Dr Jerry Coiffic, gynécologue-obstétricien à l’Hôpital Sud, le confirme :

« C’est un fardeau que vous portez. Ce n’est pas juste une lésion, ce sont des gênes, des douleurs. À nous, médecins, d’utiliser tous les mots/maux de la patiente pour la diagnostiquer. Souvent, ça arrive dès les premières règles. Et la femme va entendre dire « C’est normal » de la part de son entourage. Et le médecin va dire aussi « C’est normal ». On fera le diagnostic 10 ans plus tard. Pourquoi un délai si long ? Parce que ce n’est pas aussi simple… Il y a un mélange de chose qui fait qu’on a du mal à établir le diagnostic. »

Il prend le cas d’une patiente à lui : « Elle souffre de douleurs dans les rapports sexuels, de fatigue, de douleurs déclenchées dès qu’elle pratique une activité sportive… On a fait une batterie d’examens, ils sont normaux. Pour autant, est-ce qu’elle n’a pas une endométriose ? Dans 50% des cas de douleurs, les femmes ont une endométriose (…). Prenons l’exemple maintenant des personnes qui souffrent de migraines. Souvent, les IRM ne révèlent rien. Pourtant, ça ne veut pas dire que c’est une maladie imaginaire. »

La maladie est sortie de l’ombre mais elle reste encore une inconnue autant pour les professionnel-le-s de la santé que pour le grand public. On sait que les douleurs, particulièrement au moment des règles, sont intenses. Qu’elles sont handicapantes pour les femmes atteintes de l’endométriose, dans la vie privée (pas seulement dans le cadre du couple ou de la famille mais aussi dans les relations amicales) comme professionnelle.

On sait également que le diagnostic est long à établir, le traitement difficile à trouver et la guérison inexistante. « On n’en guérit pas, c’est un gros boulet. Comme la fibromyalgie. », précise Corine. La maladie peut évoluer ou stagner.

En revanche, on connaît moins les conséquences des traitements et des actes chirurgicaux, qui peuvent mener à des situations dramatiques en raison des complications. Et on connaît encore moins les origines de la maladie. Des hypothèses tendent à orienter vers des prédispositions génétiques – l’hérédité n’est pas encore reconnue – et vers des problématiques environnementales.

Une nouvelle hypothèse pourrait être celle des produits hygiéniques, mais le lien n’a pas été établi scientifiquement pour le moment. Sur le site de l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale), rien de sûr : « Des facteurs de susceptibilité individuelle doivent donc intervenir dans le développement de cette maladie. Ces facteurs pourraient être génétiques. Les chercheurs soupçonnent par ailleurs l’impact de certaines expositions environnementales. »

À l’heure actuelle, la recherche peine. Par manque de financement, ce qui souligne par conséquent un manque d’intérêt pour le sujet. « Je me suis orientée vers EndoFrance parce que l’association co-finance six projets de recherche, à hauteur de 58 000 euros (le projet Endoprint est d’ailleurs à l’initiative du Dr Jean Vialard et de son équipe à la clinique de la Sagesse, à Rennes, ndlr). », précise la représentante bretonne de la structure.

Elle insiste : il est urgent et indispensable de se tourner vers les pouvoirs publics. Pour renforcer les moyens dans les centres antidouleurs, « parents pauvres des financements alors que les patientes ne manquent pas », pour sensibiliser les CPAM « aux problématiques du non remboursement de certaines pilules très chères » mais aussi au fait que certaines formes d’endométriose entrainent un arrêt maladie de longue durée et pour former également les infirmières scolaires et sensibiliser plus largement toutes les personnes en contact avec les jeunes filles.

« Plus tôt elles sont informées, mieux c’est pour elles. Chaque femme a le droit de savoir si elle a une endométriose parce que ça peut tout changer pour concevoir un enfant. Je sais que l’on est dans une société qui voudrait penser « Un enfant si je veux, quand je veux » et je suis totalement d’accord avec cette idée mais il faut comprendre que ce n’est pas tellement applicable à une femme atteinte d’endométriose. Moi, j’agis activement pour que les femmes ne souffrent pas et pour qu’elles puissent avoir des enfants si elles le souhaitent. Et ça, ce n’est pas possible quand elles le découvrent trop tard. Et c’est très difficile quand elles l’apprennent au moment où elles essayent de concevoir. Elles ont le droit de savoir, de se préparer. », s’exclame Corine.

Tout cela rejoint l’idée de l’importance de l’information. Et de sa diffusion. Pour que les femmes n’aient plus à avoir honte d’être physiquement diminuées à cause des douleurs. Que les professeurs puissent prendre en compte que des collégiennes ou lycéennes souffrent de maux intenses et qu’elles ont peut-être besoin de s’allonger.

Aujourd’hui, des avancées s’opèrent. Parce que les personnes atteintes de la maladie ouvrent la voie vers des remèdes alternatifs, susceptibles d’atténuer la douleur. Comme les douches chaudes, la bouillotte sur le ventre, l’alliance d’un anti-inflammatoire avec un antispasmodique, des changements alimentaires, etc. Marianne Flahou l’explique :

« Comme l’endométriose prend des formes différentes, on souffre différemment. Moi j’ai cherché mes soins avec l’acuponcture, l’homéopathie, les changements alimentaires (il est recommandé de privilégier les aliments anti-inflammatoires, ndlr) et puis je travaille aussi sur mon hygiène de vie. Par exemple, je reste au lit quand j’ai mes règles. Mais ça, c’est parce que j’ai la chance de pouvoir le faire. »

Ce qui n’est pas le cas de toutes les femmes, comme le souligne Manon : « J’imagine même pas les caissières ou les serveuses par exemple. Comme Marianne le dit, on essaye de changer des choses dans nos vies. Moi, j’étais déjà végétarienne, je suis passée végétalienne. Changer des choses, c’est pour avoir moins mal mais la maladie est omniprésente. Sans oublier qu’on n’a pas d’accompagnement par des psychologues ou des sexologues, parce qu’il faut pas oublier la chute de libido. »

Pour Corine, il est également important de noter qu’une nouvelle génération de professionnel-le-s de la santé arrive petit à petit. Une génération parée à mieux chercher. Et surtout prête à prendre en compte la dimension humaine du rapport médecin/patient-e :

« Certain-e-s gynécos ne connaissent pas l’endométriose mais savent travailler avec des spécialistes. Les médecins ne doivent pas se sentir coupables de ne pas tout savoir. Ils ont le droit de dire « Je ne sais pas » et d’orienter vers un confrère ou une consœur. » Pourtant, les bonnes volontés se révèlent aujourd’hui encore insuffisantes et on se demande encore pourquoi le cycle menstruel reste survolé lors de la formation des médecins, gynécologues, infirmier-e-s scolaires (un plan du ministère de l’Éducation Nationale prévu en 2016 est toujours en attente…), etc.

Le monde de la santé n’étant pas exempt des préjugés et des tabous sexistes qui régissent la société, il est important que la parole se libère mais surtout que l’écoute soit active et bienveillante. Sans jugement face aux récits des femmes qui souffrent de la maladie et qui se confrontent à l’image permanente de la femme moderne, dont les alliées « Always », « Nana », « Vania » et autres, permettent même au moment des règles de vivre plusieurs journées dans une journée. Dans laquelle il n’y a pas de place pour les douleurs. Toutefois pas pour l’expression de ces douleurs.

Heureusement, des voix connues s’élèvent, comme celles, entre autres, de Lena Dunham, Imany ou encore Laëtitia Millot pour faire sortir l’endométriose de l’ombre et lutter avec les « endogirls » pour diffuser l’information, sensibiliser un large public, agir sur les pouvoirs publics, et soutenir les femmes en souffrance, désireuses d’échanger, de partager et de s’entraider. 

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Endométriose : Faire (re)connaitre la maladie
Prendre en compte la parole des femmes
S'engager pour faire bouger les institutions
Pour favoriser la parole des femmes

Célian Ramis

Féminicides : Visibiliser les femmes tuées

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Qu'est-ce qu'un féminicide ? Et quels mécanismes de domination se trament sous ces violences barbares et patriarcales ? Les Effronté-e-s Rennes et Osez Le Féminisme 35 décryptent ces faits de société, dont il faut absolument prendre conscience.
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« Féminicides ? Mais c’est quoi ça encore ? » Les assassinats de femmes parce qu’elles sont femmes. « Ah bon ? Ça existe ? Mais c’est marrant y a pas la même chose pour les hommes… » Oui marrant, c’est le mot. Ou alors c’est inquiétant parce qu’on ne s’interroge pas sur le sens et la cause de ses meurtres.

Crime passionnel, drame familial, acte de jalousie… On peut aussi aller jusqu’à l’accident domestique, tiens ! Par le langage et le traitement des faits, on minimise, on refuse de voir la partie immergée de l’iceberg qu’est la domination masculine et son amas de violences contre les femmes et on invisibilise les victimes. Ce mois-ci, les militant-e-s féministes s’expriment sur le sujet. 

Elle est omniprésente, comme une insupportable ritournelle que l’on a en tête. La mécanique des violences sexistes poursuit son petit bonhomme de chemin en sifflotant gaiment, tuant des centaines de femmes chaque année en France. Pas parce qu’elles l’ont bien cherché. Non. Parce qu’elles sont femmes. Plus précisément parce qu’elles ont un sexe féminin.

Qu’en dit la société ? Pas grand chose. Peu utilisé, le terme « féminicide » est pourtant essentiel à la compréhension d’un problème systémique, valorisant le principe de virilité et tout ce qui l’accompagne, à savoir le contrôle, la domination, la possession… Enlever alors un des jouets au tout-puissant, c’est prendre le risque de se frotter à sa grosse colère et ce n’est pas une gueulante qui décoiffe à laquelle on s’expose. Non. Ni à la crise de larmes qui va finir par vous taper royalement sur le système. 

Mais c’est plutôt lui qui va finir par vous taper la tête contre les murs. L’image est exagérée ? Non. C’est violent ? Oui. Réalité brute, trop souvent banalisée, ramenée au rang de faits divers, rarement assimilée à sa vérité. Celle des féminicides. Décryptage.

Dans la nuit du 27 au 28 octobre, Alexia Daval est assassinée à Gray-la-Ville. Le scénario de la joggeuse assassinée par un prédateur qui rode dans les parages fait froid dans le dos. On compatit. Mais quand son mari, Jonathann Daval passe aux aveux quelques mois plus tard, confessant qu’en réalité c’est lui qui a tué son épouse, la machine s’emballe. « Étranglée par accident ».

L’avocat de Monsieur n’a peur de rien, allant jusqu’à dépeindre le portrait d’une femme qui écrase son conjoint, l’étouffe. La vilaine castratrice, en somme. Pourquoi la défense s’autorise-t-elle un coup si bas et mesquin ? Parce qu’elle sait qu’on minimisera les faits. Qu’on les banalisera et qu’on finira par compatir avec le meurtrier. Surtout en insistant bien, les semaines suivantes, sur l’état psychologique virevoltant de l’accusé depuis ses aveux et son incarcération.

En parallèle, l’idolâtré Johnny Hallyday décède. Médiatisation absolue, forcément. Des histoires passées ou en cours, qu’il s’agisse de gros sous ou de violences sexuelles, (re)surgissent. Que dit-on à ce moment-là ? Que l’on salit la mémoire du défunt. Que l’on pourrait au moins attendre quelques temps avant de (re)mettre tout ça sur le tapis, respecter un délai de courtoisie, en gros. On s’étonne que personne ne propose d’en faire de même avec les victime de féminicide…

Les victimes d’un système qui refuse de reconnaître les faits à la hauteur de leur gravité. Il ne s’agit pas d’un fait divers mais d’un fait de société. Une société sclérosée par la domination patriarcale qui légitime les violences par les stéréotypes de sexe et de genre.

LE SENS DU MOT

On distingue le féminicide de l’homicide. Le meurtre d’une femme n’est pas toujours associé à ce terme - qui pourrait avoir du sens en l’état – utilisé pour désigner « les crimes qui touchent spécifiquement les femmes, pour montrer qu’elles sont spécifiquement des cibles. »

Une manière de visibiliser les femmes tuées en raison de leur sexe, poursuit Laélia, membre des Effronté-e-s Rennes : « Ce n’est pas un fait divers, c’est un fait de société. C’est structurel. »

Pour beaucoup, la notion est floue. Parce qu’elle n’est pas évidente à déceler, en surface. Des meurtres comme ceux perpétrés en 1989 à l’École Polytechnique de Montréal – un homme de 25 ans, armé, avait, dans une classe, séparé les garçons et les filles et avait ouvert le feu sur ces dernières en criant « je hais les féministes » tuant six étudiantes et blessant trois autres – il n’y en a pas tous les jours à la Une. 

Souvent, ils ne démontrent pas nécessairement une haine aussi claire et limpide envers le sexe féminin. Mais la majorité de ces crimes se déroulent dans le cadre conjugal. Principalement dans le cas d’un séparation. « C’est vrai que ça peut arriver dans la rue mais c’est très rare. C’est plutôt lié en effet au couple car derrière les féminicides se jouent les mécanismes de la possession, de la domination. », commente Manuela Spinelli, présidente d’Osez Le Féminisme 35.

Le passage à l’acte est alors motivé, de manière inconsciente ou non, par le fait « que l’homme n’accepte pas la liberté de la femme. Il essaye de l’encadrer, il y a une volonté de contrôle. »

REPRÉSENTATION ERRONÉE…

En septembre 2017, le rapport de la délégation aux victimes – commune à la police et à la gendarmerie nationales, qui vise à recenser pour le ministère de l’Intérieur les morts violentes au sein du couple – révélait 123 meurtres de femmes, décédées sous les coups du conjoint, concubin, pacsé, ex, petit ami, amant ou autre statut figurant dans les catégories « couples officiels » et « couples non officiels ».

On parle de morts violentes, de décès sous les coups. C’est là que la représentation du féminicide est vicieuse. Car elle sous-entend dans l’imagerie populaire une violence préalable à l’action qui porte le coup final. Un constat établi par Alexia Delbreil, médecin légiste et psychiatre au CHU de Poitiers qui explique à Rue89 (propos repris dans L’Obs en date du 22 janvier 2018 « ‘Elle le quitte, il la tue’, scénario typique du féminicide ») :

« On dit ‘une femme meurt tous les trois jours sous les coups de son conjoint’. Cela sous-entend des coups, une violence physique. »

On s’attend à ce que l’auteur des faits est une longue liste d’agressions morales et/ou physiques à son actif. Mais pour la professionnelle, qui a longuement analysé et étudié les cas d’homicides conjugaux, ajoute : « Dans mes dossiers, il y a peu de violence physique préalable au passage à l’acte. » C’est à ce moment-là que la frontière entre l’homicide et le féminicide se brouille.

Car on a tendance à minimiser et ne pas penser aux mécanismes de violences spécifiques à l’encontre des femmes. Jérôme Peltan, membre d’OLF 35, y voit là un message clair : « C’est important ce que ça dit de la société, quand on qualifie cela de « drame familial », de « crime passionnel », d’acte dû à la jalousie. On ne parle jamais de meurtre. Sans parler ensuite de comment on retourne ça contre la victime. Alexia Daval, au début, c’était la joggeuse qui a disparu. On était triste pour elle, on avait de l’empathie. Il s’avère qu’elle est morte assassinée par son mari. On dit qu’elle l’étouffait, lui marchait dessus. Ça devient une salope ! Marie Trintignant, c’était une alcoolique, une trainée, elle l’a bien cherché ! Et Cantat est un homme tourmenté. C’est terrible ! »

BANALISATION DES FAITS

On retrouve les mêmes ficelles que dans les plaintes pour harcèlement sexuel, agressions sexuelles et viols : la victime devient la coupable et une solidarité se crée avec l’agresseur. Le fait que ce soit un acte ponctuel d’extrême violence est réduit à un coup de sang, un coup de folie. Avant, ce n’était pas un homme violent. Qu’est-ce qu’il s’est passé ? Elle a dû le pousser à bout. Voilà le raisonnement simpliste qui en découle, soutenu par des médias qui minimisent, relayant l’information dans les faits divers.

« Le fait que ces crimes ne soient pas reconnus comme des meurtres mais des histoires de couples poussent à la déresponsabilisation de la personne. Du mari d’Alexia Daval par exemple. Alors qu’étrangler quelqu’un, a priori, c’est dur, et c’est long. Mais non, c’est un drame familial, on ne va pas plus loin. Les médias prennent souvent des détails sordides, voire parfois humoristiques pour parler de ça. Genre « elle faisait trop de bruit en faisant la vaisselle », non mais je vous jure, c’est scandaleux. Et on se met dans la logique de l’agresseur. On prend un prétexte qui redonne la logique que la faute vient de la victime. Ils excluent totalement les mécanismes de la violence conjugale. », scande Elodie, membre des Effronté-e-s Rennes.

À travers la banalisation des faits et la grande impunité des agresseurs, l’image renvoyée est celle de l’association amour/violence. Une relation peut mal tourner, c’est un risque à prendre. De qui se moque-t-on ?

« C’est vraiment dangereux cette idée de la relation entre un homme et une femme. Ce qui est dangereux là-dedans, ce sont les stéréotypes qu’on renvoie et qu’on entretient. Aux hommes, on inculque l’image de la virilité. Il y a être un homme et être un vrai homme. Un vrai homme, il contrôle, il travaille, il gère sa femme. C’est normal qu’il soit jaloux, il a le droit. Dans la virilité, il y a 3 piliers : le monde du travail, la reconnaissance de ses pairs et son rapport à sa femme. Si un ou deux maillons viennent à manquer, cela déclenche souvent une remise en question, une incapacité à gérer la déconstruction de sa virilité. »
explique Manuela.

Elle pointe là le dysfonctionnement du système dans son ensemble le plus large : le manque d’éducation à l’égalité, la reproduction de modèles anciens stéréotypés inconsciemment transmis dès le plus jeune âge des enfants et le manque de représentations fortes de la différence et de la diversité. Et regrette sincèrement le manque de travail de la part des intellectuels. En même temps, Jérôme soulève un point important :

« Le problème, c’est que les intellectuels reçus dans les médias, ce sont des hommes vieux, blancs, hétéros… que l’on autorise à cracher sur les gens et à juger tout le monde. En face, ils n’ont quasiment pas de contradicteurs. »

Si ce n’est des pointures du militantisme féministe comme Fatima Ezzahra Benomar ou Caroline de Haas, toutefois largement moins invitées (et plus intentionnellement décrédibilisées) que les Zemmour et autres fanfarons du patriarcat.

ANALYSE EN SURFACE…

Chacun-e y va de son commentaire et de son analyse, en oubliant précisément ce à quoi la militante fait référence : le pouvoir du patriarcat. Mi-mars, la magistrate Michèle Bernard-Requin publie sa réflexion autour des affaires Maëlys et Alexia Daval, « Au-delà des faits divers », dans un article du Point. Elle s’interroge : les médias accordent-ils trop d’importance aux affaires criminelles ?

« Les affaires se multiplient. Mais il faut savoir raison garder. Il y aura toujours hélas d’innocentes victimes et des prédateurs en liberté. », énonce-t-elle. Il est surprenant de parler de prédateur, alors que l’on sait que la plupart de ces agresseurs et meurtriers sont des personnes de l’entourage.

« Aujourd’hui, deux affaires sont en pleine lumière : une petite fille qui n’avait pas encore dix ans fut tuée dans des circonstances encore mal connues, et une jeune femme au joli sourire est morte elle aussi brutalement du fait de son mari. Dans les deux cas, pour l’instant, les auteurs mis en examen évoquent, semble-t-il, soit un accident, soit une atteinte involontaire, sans jusqu’ici avoir pu dire exactement comment selon eux les choses se sont passées. », poursuit-elle.

On ne sait pas ce que le joli sourire d’Alexia vient faire là mais on continue de suivre la pensée de la magistrate qui défend l’idée que dans un pays où la parole est libre, il est important et même bon que les avocats « osent s’exprimer, voire se combattre ouvertement ».

D’accord mais il serait bon également d’analyser les faits en profondeur et ne pas se contenter d’invoquer la liberté d’expression à tout va, avant de conclure ainsi : « Voilà pourquoi, en dépit des colères et des indignations, en dépit des excès et des turbulences, il me semble que ce qui se passe autour de ces deux faits divers témoigne de la réalité de notre véritable démocratie. » Une véritable démocratie où seuls les hommes s’expriment, leurs femmes ne pouvant se défendre…

LA DÉCRÉDIBILISATION DES FÉMINISTES

Et celles qui dénoncent sont des hystériques enragées. Récemment, c’est l’actualité Cantat qui cristallise toute cette vaste et complexe controverse. Le postulat de départ est plutôt simple : il a frappé et tué une femme. Il a été incarcéré. Il a été libéré. Les choses se compliquent avec son statut : l’ex-leader de Noir Désir n’est pas seulement une personnalité publique, il est aussi un symbole, une idole.

Mais puisqu’il a purgé sa peine, ne peut-il pas revenir tranquillement sous les feux des projecteurs ? Droit à l’oubli, droit à la réinsertion. Une hypocrisie sans limite tant tout le monde est conscient que s’il s’agissait d’une personne racisée, du même âge et non starifiée, celle-ci ramerait de toutes ses forces pour trouver un travail qu’aucun employeur ne daignerait lui accorder en raison de son passé.

Bertrand Cantat figure donc parmi les personnes qui peuvent surfer sur la nostalgie d’une époque et d’un groupe mythique pour revenir au même endroit qu’avant le meurtre, faire la Une des journaux (octobre 2017, Les Inrocks) et passer pour une victime de ces énervées de féministes.

« Il a fait toute sa communication sur le crime passionnel durant le procès en créant la mise en scène du mec torturé et aujourd’hui il continue d’avoir ce discours-là. Et il parle de « violences », de « pluie de coups » qu’il subit ? C’est hallucinant ! », lance Laélia qui fait allusion ici aux propos tenus par Cantat, à la suite de son concert à Grenoble, après lequel il est volontairement allé se confronter aux manifestant-e-s qui tenaient à rappeler que derrière l’artiste adulé et applaudi se dissimule l’ombre du cadavre de Marie Trintignant, suivi de près par celle des circonstances étranges qui entourent le suicide de son ex-femme, sans oublier les plaintes de harcèlement à l’encontre de cet homme, depuis sa sortie de prison.

Si Bertrand Cantat a annoncé officiellement son retrait des affiches des festivals de l’été, il sera néanmoins sous le Cabaret botanique dressé dans le Thabor à l’occasion du festival Mythos, à Rennes. Le 16 avril, précisément. Sur les réseaux, il se murmure que plusieurs forces féministes de la capitale bretonne, potentiellement OLF 35 et Les Effronté-e-s – mais rien n’est officiel au moment où nous écrivons ces lignes et rien ne nous a été confirmé, si ce n’est la volonté de se fédérer autour de cet événement – souhaiteraient manifester leur mécontentement.

La machine s’emballe et on lit dans la presse que la Ville de Rennes refuse la censure. Ah liberté d’expression, quand tu tiens (et quand tu nous viens d’hommes politiques…) ! Manuela Spinelli clarifie la situation :

« Dans le cas de la venue de Cantat, il est urgent de nous fédérer. Parce qu’il est un symbole des violences faites aux femmes et que cela participe à l’invisibilisation de la souffrance des victimes et des familles des victimes. Ce n’est pas Cantat en lui-même que l’on cible. On n’a pas appelé au boycott et on n’empêchera personne d’aller voir son concert. On n’a pas non plus demandé l’annulation du concert. Mais on veut interpeler l’opinion. Il est une icône, il faut quand même réfléchir à l’impact que ça a sur les plus jeunes.

Il est important de souligner ce qu’il a fait ! Ne pas oublier ! Il a purgé sa peine, ok, mais on ne peut pas oublier. Alors oui, c’est difficile de se dire « je prends mon billet pour aller écouter un meurtrier » mais on a aussi un devoir de mémoire. Mais dans son cas, on ne parle que de réinsertion et d’oubli. Elle, on l’oublie. Vous imaginez les enfants de Marie Trintignant à chaque fois qu’il le voit à la télévision ? Il provoque, il se met en scène, il surjoue. Il est temps de remettre les choses à plat. Mais à chaque fois qu’on l’ouvre à propos de lui, les réactions sont très très virulentes de la part de ses fans. »

STOPPER L’HYPOCRISIE

Si les militant-e-s féministes ont conscience que répondre à cette polémique participe à accroitre la notoriété du chanteur, elles ne peuvent se résoudre à cautionner la loi du silence. Et l’hypocrisie qui protège l’homme blanc, de gauche, engagé, adoré. « C’est difficile de se dire qu’il a commis des actes horribles. », souligne Elodie, rejointe par Laélia :

« Selon moi, faut assumer. C’est dur, mais faut assumer. Quand tu es féministe dans ta vie de tous les jours, même si tu aimes la musique de Cantat, tu te prives de ce plaisir. On a du mal avec ça dans le militantisme de gauche. Et c’est le problème avec les hommes de pouvoir, les hommes idolâtrés. Avec Cantat, personne ne s’est jamais demandé s’il avait une religion. Avec une personne racisée, la question se serait posée. C’est obligé. »

Parce que, dans les mentalités, quand il s’agit d’une personne racisée, le problème devient culturel. Parce que quand il s’agit d’une personne croyante (et surtout de confession musulmane), là, on se saisit de l’affaire qui devient un fait de société, servant de caution à une laïcité radicale.

Mais quand la victime est une personne non-blanche ? une prostituée ? une ancienne détenue ? On en parle encore moins, voire pas du tout. Certainement une affaire de famille, un règlement de compte, une garce qui cherche les ennuis. Leurs vies n’ont pas de valeur et là encore on ignore les mécanismes d’un système sexiste, raciste, LGBTIphobe, etc.

RENDRE L’INVISIBLE VISIBLE

De manière générale, les femmes victimes de féminicides sont invisibilisées. À Rennes, on ne peut que saluer les initiatives féministes, à l’instar de l’exposition en novembre 2016 de 122 tenues symbolisant les femmes tuées à la suite de violences conjugales (chiffre 2015) et du rassemblement « Stop aux féminicides : on ne tue jamais par amour » organisé le 14 février 2018, à chaque fois sur la place de la Mairie.

Les associations continuent d’agir, de sensibiliser à la large problématique des violences à l’encontre des femmes. Malheureusement pas épaulées par le gouvernement qui multiplie les effets d’annonce au lieu de former les forces de l’ordre et les professionnel-le-s de la Justice.

Si en 2016, la violence conjugale est entrée dans le code pénal comme circonstance aggravante, le féminicide – terme encore mal compris et pas prêt de faire l’unanimité - est loin d’y parvenir pour le moment. Une étape cruciale pour Jérôme, d’Osez Le Féminisme 35 :

« il faut l’inscrire, absolument, comme circonstance aggravante. »

TOUT EST IMBRIQUÉ

En parallèle, la lutte est quotidienne. Remettre les femmes dans l’Histoire, faire place à une vraie littérature féministe, valoriser les modèles dans les différents domaines de la société, arrêter de cantonner la gent féminine à la beauté et l’apparence… Se battre pour l’égalité et la diversité. Toutes les femmes ne sont pas blanches, minces, hétéros, douces, maternelles, etc.  

« Les dominations sont croisées, tout est imbriqué : la lutte contre le sexisme, contre le racisme, contre l’homophobie. », précise à deux voix les Effronté-e-s Rennes, convaincues du bien fondé de la sensibilisation et de la pédagogie. « Perso, j’adore aller en boite. Et je parle souvent à mes amis de tous les relous qui m’ont fait chier. Ça leur permet aussi de se rendre compte de cette réalité. », dit Elodie.

Et Laélia d’ajouter : « C’est vrai, quand tu n’es pas une personne concernée et que tu n’as pas été sensibilisé, tu ne te rends pas compte de ce qui se passe autour de toi. Plus on va libérer la parole, plus on va parler de nos expériences et plus les gens vont réaliser. Il suffit de libérer la parole une fois, quelqu’un ose et ça déverse. C’est important, même s’il y a des retours de bâtons, c’est important. »

La révélation de l’affaire Weinstein marque un tournant dans l’histoire des luttes pour les droits des femmes. Si on est loin d’être arrivées au bout du chemin, la militante note tout de même que le journal L’Équipe s’intéresse de plus en plus aux sportives, à la place qu’on leur accorde dans le milieu et au traitement que l’on en fait.

Le 26 mars, le célèbre média n’hésitait pas à titrer sur le témoignage de Miriam, battue par son ex-compagnon, footballeur professionnel. La parole se libère doucement. Qu’en est-il à présent de l’écoute et de la prise en compte de cette parole ?

 

 

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Les mécanismes de la domination
Ne pas minimiser les violences
Marielle Franco, féminicide intersectionnel
Faut-il tout modifier ?

Célian Ramis

Mécanique : En route vers l'autonomie

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Longtemps, les femmes ont été écartées de l'accès à l'automobile. Si les clichés autour des femmes au volant perdurent, elles se retroussent les manches et mettent les mains dans le cambouis. Pour elles. Pour leur autonomie. Pour leur émancipation.
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Y a-t-il une raison pour que les femmes ne puissent pas réparer des voitures ou des camions ? Qu’elles aient moins de capacité à comprendre ce qu’il y a sous le capot ? Moins de capacité à changer une roue ? « Aucune », répond catégoriquement Sophie Croullebois.

Elle fait partie de la centaine d’adhérentes de la Ferme de la harpe et son atelier mécanique, dans lequel nous sommes allé-e-s en reportage ce mois-ci. Il y a fort à parier que si on posait la même question aux 99 autres femmes, elles auraient toutes cette même réponse. Et pourtant, vous connaissez beaucoup de femmes garagistes ?

Les noms de Louise Sarazin, Marie-Adrienne de Rochechouart de Mortemart, Camille du Gast ou encore Hélène Zuylen Von Nyevelt ne vous évoquent rien ou pas grand chose ? Pas étonnant. Et pourtant, elles sont des pionnières, à la Belle Époque, en tant qu’industrielles du monde automobile, conductrices ou pilotes.

Minoritaires au début du XXe siècle à s’engager dans ce secteur, contre les préjugés de la société, l’évolution est loin d’être mirobolante et l’industrie automobile a de quoi rougir. Aujourd’hui si bien plus d’une femme sur deux détient le permis de conduire, elles restent victimes des clichés sexistes dont se nourrissent les publicitaires. À l’atelier mécanique de la Ferme de la Harpe, à Rennes, les adhérentes entendent bien casser les stéréotypes.

« Quand tu as le temps, tu fais le plein de liquide de frein et après on purge », lance Johan Coïc, animateur de l’atelier mécanique depuis deux ans, à Sophie Bocquillon, 36 ans, venue changer le câble de frein à main et les cylindres de freins de son camion.

Cet après-midi de février, le garage associatif de la Ferme de la Harpe démontre qu’en mécanique, l’égalité entre les sexes est possible. Six véhicules occupent l’espace. Trois hommes et trois femmes s’attèlent à la réparation de leurs moyens de transport.

Ouvert du mercredi au samedi, il suffit d’adhérer à l’association (20 euros/an), d’accepter le règlement intérieur de l’atelier et de réserver en amont l’emplacement (7 euros/heure au sol et 9 euros/heure sur pont élévateur). Il sera aussi demandé une participation à la taxe solidaire de 1 euro par passage au titre du recyclage des huiles et du liquide de refroidissement.

OSER SE LANCER

« Le côté financier n’est pas négligeable ! Et puis l’ambiance est vraiment sympa, ça aide à y rester et à y revenir. Il y a des échanges entre adhérent-e-s et puis Johan peut nous conseiller ou nous aider au diagnostic quand on a des doutes. », commente Sophie qui fréquente le lieu depuis un an : « Nous avons à nous deux, avec mon copain, quatre véhicules. On est venus ensemble mais je viens aussi toute seule. J’avais vraiment envie de savoir me débrouiller et d’avoir des bases. D’être autonome en fait pour réparer mon véhicule. »

Car ici, ce sont les adhérent-e-s qui bossent. Avec l’aide et l’appui de Johan Coïc. La semaine précédente, Saharah Kaouane, une amie de Sophie Bocquillon, était à l’atelier pour refaire sa vidange de boite auto et pour changer sa batterie, son filtre à air et ses bougies. « On achète les pièces détachées. Johan peut nous conseiller mais ce n’est pas lui qui va chercher les pièces pour nous. Il peut nous aider au diagnostic et nous filer un coup de main mais il ne fait pas à notre place, sauf si c’est une manipulation dangereuse pour la sécurité. On peut discuter ensemble du problème et chercher des solutions. », souligne Saharah, 27 ans.

Sa première séance a fini de la convaincre des bienfaits de ce garage associatif qu’elle avait repéré depuis un an mais dont elle n’osait pas franchir la porte. Avec deux autres amies, elle décide de passer le cap :

« Ça fait longtemps que je veux savoir faire de la mécanique. Ça m’énerve de ne pas savoir faire, de ne pas avoir confiance quand le garagiste me file une facture trop élevée, etc. Je veux pouvoir être autonome. Je fais des road trips en camion, je veux pouvoir bidouiller si besoin. S’il y a une panne, je veux comprendre d’où elle vient et comprendre comment la réparer. »

PAS DE RAISON QUE LES FEMMES N’Y ARRIVENT PAS…

Ainsi, l’atelier mécanique permet d’acquérir des bases, à travers le libre accès au garage mais aussi des stages, tous les mardis soirs, sur un semestre. Pour apprendre, pour comprendre. Comme le dit Sophie, la mécanique est une histoire de techniques et de logique. Et non de physique, comme cela a été pensé pendant des années, prétextant que les femmes n’avaient pas les conditions musculaires nécessaires pour la conduite et les manœuvres. Alors pour les manipulations, pas question... « Aucune raison que les femmes n’y arrivent pas. », insiste-t-elle.

Et pourtant, elles sont largement minoritaires à mettre les mains dans le cambouis. Sur 620 adhérents, Johan Coïc compte « une centaine de femmes ». Tout en précisant qu’elles sont de plus en plus nombreuses à fréquenter l’atelier. Néanmoins, plus largement, on constate un manque de présence féminine dans les garages, tout comme dans le reste de la branche automobile. Elles ne seraient pas plus de 23%, tous secteurs de services de l’automobile confondus (Données sociales de la branche des services de l’automobile, édition 2014).

À la rentrée 2016, Chantal Jouanno et Christiane Hummel, à la demande de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les femmes et les hommes, présentaient au Sénat un rapport sur « Les femmes et l’automobile : un enjeu de lutte contre la précarité, d’orientation professionnelle et de déconstruction des stéréotypes ». Les co-rapporteures identifient trois thématiques majeures au sein de la problématique.

MAIS ALORS POURQUOI SONT-ELLES MINORITAIRES ?

La première analyse les clichés associés aux femmes au volant, avec le fameux proverbe « Femme au volant, mort au tournant » qui nous vient de Gaston Labadie-Lagrave, qui en 1906 déclare (sans déconner) : « Les imperfections naturelles des femmes les rendront toujours inaptes à conduire. » Et en rajoute une couche :

« Au lieu de regarder devant elle si la route est libre, elle s’égarera dans une rêverie sans fin. (…) Il est trop tard pour éviter la catastrophe… sa main droite se trompe de levier et ses pieds, empêtrés dans le pli de sa robe, ne retrouvent pas la pédale qui interrompt la transmission du pouvoir moteur… En résumé, il est très probable que l’art de conduire un (ce n’est pas une erreur, le terme était masculin jusqu’aux années 1920, ndlr) automobile ne deviendra jamais un métier de femme. »

Aujourd’hui, les mentalités ont évolué et les femmes étaient plus de 75% à détenir leur permis en 2007, alors qu’elles n’étaient que 50% en 1981 ou encore 22% en 1967. Elles sont aussi moins nombreuses à être à l’origine d’accidents de la route. Paradoxalement, leur image reste stéréotypée et on associe l’automobile à la virilité, à la masculinité. Et la publicité ne manque pas une occasion de diffuser ces clichés, faisant des femmes des objets et des faire valoir.

La deuxième décortique les raisons pouvant expliquer le faible nombre de jeunes femmes qui s’orientent vers les filières scientifiques et techniques du secteur de l’automobile. L’information y est essentielle. Pour valoriser et réhabiliter les parcours de celles qui ont percé, à force de détermination et opiniâtreté, dans le domaine de la conduite ou de l’industrie, mais aussi pour transmettre aux jeunes filles, au-delà des opportunités professionnelles auxquelles elles pourraient aspirer, l’envie et le goût de s’investir dans un secteur nullement réservé aux hommes.

Enfin, la troisième thématique s’attache à comprendre l’écart de dix points entre les femmes et les hommes concernant la réussite de l’épreuve pratique du permis B. En effet, en 2015, le taux de réussite des femmes était de 55,5%, contre 65,5% pour les hommes. Ce qui peut représenter un frein à l’autonomie, l’intégration professionnelle et l’insertion sociale des femmes, qui on le sait sont davantage touchées par la précarité que leurs homologues masculins.

Les explications sont peu satisfaisantes : il s’agirait d’une question d’intérêt inférieur chez les femmes pour la voiture, tandis qu’elles réussissent parfaitement les permis « passions » comme le permis moto ou le permis camion. Le Délégué à la sécurité et à la circulation routières souligne alors :

« Il faudrait lancer une étude à ce point. Il me semble que les femmes rencontrent davantage de difficultés parce qu’elles n’ont jamais été initiées à la conduite. Toutefois, j’ignore comment améliorer ce résultat. »

Autre piste à creuser qui pourrait indiquer que la gent féminine se présente à l’examen parée de moins de confiance que la gent masculine.

L’EMPOWERMENT AVANT TOUT

« À mon époque, à l’auto-école, on ne nous apprenait pas à changer une roue ! Les filles ne sont pas du tout formées à ça. Apprendre à faire soi-même, c’est un peu une revanche sur notre éducation. », déclare Mélanie, 38 ans. 

Assise sur son pneu, elle tente de dévisser des boulons, visiblement bien accrochés. Sophie lui vient en aide, à plusieurs reprises. Elle est adhérente à la Ferme de la Harpe depuis 4 ans, pour les cours de jazz, et est venue à l’atelier pour la première fois il y a deux mois. Pour un conseil. Et a décidé de revenir en février, pour une véritable session :

« Il y a un gros souffle au démarrage de la voiture, alors je cherche la nature du problème. Elle n’est pas récente… Elle est de 97… Il y a vraiment un intérêt financier à venir là parce que ce sont des prix très bas par rapport à ce que l’on peut trouver ailleurs mais vraiment ce que je trouve bien, c’est l’ambiance, le fait de s’entraider et de savoir faire, être autonome. Mon beau-père m’aide mais je trouve ça embêtant de tout le temps demander à quelqu’un. Vous connaissez le concept d’empowerment ? Bah voilà, c’est exactement ça ! » 

Et ce n’est pas sa voisine de gauche qui dira le contraire. Capucine, 28 ans, fréquente l’atelier depuis environ 3 ans, pour les mêmes raisons que les autres adhérentes interrogées. Elle avait déjà quelques bases, comme faire une vidange ou changer une roue. Elle avait fait une initiation à la mécanique dans un lieu autogéré de la rue de Nantes. Et elle a fait un stage à l’atelier mécanique, pour apprendre à changer les plaquettes de frein.

« Sur 6 personnes, on était 3 meufs, c’est cool comme équilibre ! Ici, on peut voir directement sur la voiture, il y a tous les outils et c’est une satisfaction de ouf de faire soi-même, c’est la réappropriation d’un savoir pas orienté. J’ai trop la pêche quand je repars d’ici ! »
s’enthousiasme-t-elle.

Comme Sahara, elle est fière.

LE CONSTAT DES INÉGALITÉS

Et comme elle, elle a pu constater les inégalités hommes/femmes dans le secteur de la mécanique. « En faisant la formation, je me disais que je pourrais peut-être bosser dans ce domaine. J’ai demandé à un garagiste et il m’a expliqué qu’il ne prenait pas de femme parce qu’embaucher une femme ça oblige à construire un vestiaire pour elle. Je pense juste que c’était une excuse pour ne pas prendre une femme ! », se souvient Capucine.

Pour Sahara, l’expérience a été différente mais tout aussi révélatrice du sexisme ambiant. Alors qu’elle travaille dans un camping en Grèce, elle souhaite aider son patron à réparer les pick up et 4L qu’il affectionne particulièrement. La réponse est non. En revanche pour son collègue, c’est oui. De retour au camping l’année suivante, elle réitère sa demande. Acceptée.

« Et ça s’est très bien passé ! Il me donnait les indications et je faisais. Je pense que, parce que je suis une fille, il attendait que je fasse mes preuves. Cette année-là, j’ai aussi eu le droit de conduire le pick up alors que mon collègue avait pu le conduire l’année d’avant, lui. », commente-t-elle. Pour elle, ce sont les clichés en lien avec la féminité qui sont à blâmer. Ceux-là même qui l’ont empêchée plus jeune de jouer au rugby :

« Je me suis privée de plein de choses à cause de ça ! Maintenant que je fais de la mécanique, je ne me vois pas moins féminine. Au contraire, je suis hyper fière. Ça permet d’apprendre à se faire confiance à soi et à son véhicule, à ne pas paniquer au moindre bruit et à savoir quoi faire. »

NE PAS BRISER L’ÉMANCIPATION

Il est temps de changer les mentalités. D’en finir avec les idées vieillottes de la femme d’intérieur. Dans le rapport présenté au Sénat, le lien est établi clairement avec l’émancipation et les clichés sur les femmes au volant.

D’après l’historien Alexandre Buisseret, « la société masculine se sent agressée par les femmes qui ont osé transcender leur condition pour prendre le volant. En effet, une femme sur une automobile représente symboliquement un danger. C’est une femme qui n’est plus sous le contrôle d’un homme et donc de la société, c’est une femme qui échappe au cercle familial et donc à un des fondements présumés de la société. »

Là où les femmes voient de l’autonomie et de la liberté, la société craint une remise en cause du système patriarcal. Si aujourd’hui, voir une femme conduire n’est pas – en France – source d’étonnement, il n’est pas encore acquis qu’elle puisse, au même titre qu’un homme, accédait au métier de garagiste ou de constructrice automobile.

« En arrivant à l’atelier, on a posé les bases. On a été claires sur le fait que nous étions là pour apprendre. Ce qui ne veut pas dire nous prendre les outils des mains ou nous couper la parole. Mais nous montrer, partager. Certains gars rigolent en nous voyant arriver mais on les remballe ! Bah ouais je me vante de tout ce que je sais faire. Moi aussi ! Mais en général, quand je dis que je fais de la mécanique, les gars sont plutôt épatés. », conclue Capucine.

Exit les attitudes paternalistes, il faut se mettre à la page : les femmes conduisent des voitures, des camions, font du vélo et de la moto, et n’ont pas peur de se salir les mains pour les réparer.

Les adhérentes rencontrées sont unanimes, elles conseillent toutes sans réserve le garage associatif. Pour l’aspect économique mais aussi et surtout pour apprendre et comprendre. Parce que la mécanique n’est absolument pas une affaire d’hommes, les femmes en ont aussi largement sous le capot et sont évidemment tout aussi capables que ces messieurs !

« Je trouve aussi qu’on gagne en respect. Ici, je pense que les gars aiment aussi voir qu’il y a des nanas qui apprennent la mécanique, tout comme eux peuvent s’intéresser à des disciplines dites féminines. Il est temps d’élargir les mentalités. »
lance joyeusement Mélanie.

Apprendre à réparer par elles-mêmes pourraient ainsi leur donner une confiance que la société leur a amputé en définissant des activités genrées et en véhiculant des stéréotypes sexistes, creusant encore davantage les inégalités.

 

 

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La mécanique de l'autonomie
Contre les idées reçues, la réappropriation des savoirs

Célian Ramis

Danse indienne : au coeur d'une tradition

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Le Triangle, Rennes
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Art traditionnel du Kérala, au sud de l'Inde, le Kathakali est une forme de théâtre dansé utilisée pour raconter les grandes épopées classiques. Pratique essentiellement masculine, quelques femmes y font tout de même leur place.
Text: 

Ce qui en Inde dure traditionnellement toute une nuit a été adapté pour le public français à un spectacle de 2h mais aussi à un atelier de sensibilisation, une conférence-performée et une exposition. Fin janvier, la compagnie Prana, basée à Rennes, et le Triangle invitaient le public à la découverte d’un art traditionnel de la région du Kerala, au sud de l’Inde, le Kathakali.

Théâtre dansé, hérité de l’ancien théâtre Sanskrit et de rituels de transe des temples hindous, il raconte les grandes épopées classiques. L’occasion de s’ouvrir à une partie de la culture indienne à travers cette pratique essentiellement masculine – et comprendre pourquoi les femmes y sont minoritaires - et de s’intéresser à ses codes très particuliers pour les novices. Mais aussi plus largement une opportunité pour interroger nos représentations occidentales. 

C’est une expérience inédite qui se déroule sur la scène du Triangle, ce mardi 30 janvier. Aux alentours de 18h, la cité de la danse ouvre les portes de l’auditorium aux curieux-ieuses. Sur une tringle, prenant la largeur du plateau, sont étendus des accessoires et des parures brillantes et étincelantes. Sur une natte, un homme allongé se fait maquiller. Le travail est minutieux. Méticuleux.

À base de pigments naturels de couleur, de pâte de riz et de chaux, les peintures faciales peuvent demander plusieurs heures de préparation. Parce qu’il en va là de la symbolique des personnages. Sur le tapis tressé voisin, la chorégraphe Brigitte Chataignier, assise en tailleur, écouteurs fixés aux oreilles, se concentre sur les mouvements qu’elle va devoir effectuer.

Et à quelques mètres d’elle, sa fille, Djeya Lestrehan se pare de son costume, aidée par d’autres acteurs-danseurs, qui effectueront eux des seconds rôles ou feront de la figuration, ne nécessitant ainsi pas de vêtir les mêmes tenues imposantes que les protagonistes principaux.

Tout s’opère dans le calme alors que quelques instants plus tard le rideau se fermera. Divisant ainsi le plateau en deux parties sous les yeux des nombreux-euses spectateurs-trices : les loges et la scène. Celle qui accueillera dès 20h le théâtre dansé venu tout droit du Kérala, région au Sud de l’Inde, le Kathakali, un spectacle pour lequel la compagnie Prana, fondée à Rennes depuis 1995 par Brigitte Chataignier et Michel Lestrehan, a convié des spécialistes indiens, qu’ils soient acteurs-danseurs, maquilleurs ou musiciens.

L’ESSENCE DU KATHAKALI

La veille, une conférence-performée était organisée au Tambour, sur le campus de Villejean, pour sensibiliser le grand public à cet art traditionnel, dit art classique. « Katha signifie l’histoire et kali le jeu. Lié aux grands mythes de l’hindouisme, il est là pour mettre en scène le triomphe du bien sur le mal. », commente Michel Lestrehan, danseur et chorégraphe, formé au Kathakali depuis plus de 30 ans, directement au Kérala qui a vu au 17e siècle évoluer cette pratique, dérivée et imprégnée de l’ancien théâtre Sanskrit (kutiyattam), d’un art martial local (kalarippayatt) et de chants védiques.

À cela s’ajoute la maitrise des mudras, le langage des mains, des expressions du visage et de l’intention du regard. Et tous ces éléments servent le propos : transmettre les grandes épopées mettant en scène les héros, les dieux et les démons, issues de Ramayana et Mahabharata.

« Le Kathakali connaît une longue longue évolution. Dans les costumes, les apports de percussion, etc. Il y a peu de traces écrites. C’est de l’ordre de la tradition orale, de la transmission avant le 17e siècle. Les 17e, 18e et 19e en sont les grandes périodes mais l’influence des colonies anglaises a poussé l’élite à délaisser le Kathakali et ses troupes privées. Les artistes ne pouvaient alors plus en vivre. Ce n’est que plus tard que cet art a été repris et retransmis à des acteurs. En 1930, l’académie du Kalamandalam est créée et devient une grande école ! », poursuit le spécialiste.

ÉVOLUTION PERMANENTE

Aujourd’hui encore, il connaît des mutations. Parce que la TV et Internet sont arrivés dans les foyers. Parce que les rythmes de travail ne sont plus les mêmes. Si une partie de la population reste attachée à cette tradition, il n’est plus toujours possible de la pratiquer « à l’ancienne », soit dans les temples, de la tombée de la nuit à l’aube.

Les formes ont été adaptées à de nouveaux lieux plus institutionnalisés, raccourcies, sans toutefois en perdre l’essence et l’esthétique, et jouées en journée ou en soirée :

« Ça reste encore très vivant, avec beaucoup de public. Parce que les artistes font des conférences performées dans les écoles ou encore grâce à la création des Kathakali Clubs, qui sont des associations privées, on assiste à une renaissance depuis 10 ou 12 ans. L’État aide financièrement certaines écoles. Sinon, de riches mécènes organisent aussi des cours de 3 ou 4h. Pas forcément toute la nuit. C’est vrai que toute une nuit de Kathakali, c’est contraignant et très dur s’il faut aller travailler le lendemain – mais s’endormir à des moments fait aussi partie de l’expérience – mais c’est très intéressant de passer de la nuit au jour sous cet angle-là, de sentir cette relation au cosmique, à la Nature et de s’imprégner entièrement de cette culture. »

Autre nouveauté également à souligner aussi infime soit-elle : l’arrivée de quelques femmes dans cette discipline exclusivement masculine à l’origine, les hommes interprétant eux-mêmes les rôles féminins. Malgré la création d’une troupe féminine au Kérala, elles restent encore très minoritaires à s’y former, n’ayant pas le droit d’accès aux écoles :

« Les filles indiennes peuvent étudier le Kathakali mais uniquement avec des maitres privés. »

Exceptions faites pour les femmes étrangères, comme nous le dira Brigitte Chataignier lors de l’atelier qu’elle animait avec Djeya Lestrehan, au Triangle, dans l’après-midi du 27 janvier.

UN LONG APPRENTISSAGE

Face à une vingtaine de participant-e-s, qui paradoxalement sont majoritairement des femmes, les deux danseuses vont transmettre, trois heures durant, une petite partie de la culture qu’elles ont elles-mêmes apprises en Inde. Ou du moins un aperçu. Car l’entrainement des artistes requiert des années et des années de répétitions, rigoureuses et minutieuses.

« Il faut beaucoup de patience, beaucoup de persévérance. En Inde, tant qu’on n’y arrive pas, on reste, on prend son temps, on se concentre, on travaille. », signale la chorégraphe.

C’est ce que le danseur nous délivre, au Tambour, exécutant la salutation avant de passer aux frappes de pied, mouvements importants permettant aux danseurs de se préparer au massage qu’ils recevront après quelques exercices au rythme soutenu, afin d’assouplir le corps - en particulier le bassin, les jambes et les genoux – nécessaire pour pouvoir bien ouvrir les articulations. Nécessaire aussi pour ensuite pouvoir aborder la technique, l’enracinement des pieds, le travail des mains, la coordination avec le regard et le travail expressif.

« En moyenne, on dit qu’il faut entre 8 et 12 ans pour former les acteurs-danseurs (qui sont environ 200 au total avec les musiciens et maquilleurs) qui au début commenceront par simplement accompagner leurs maitres qui eux jouent les grands rôles. Ça peut durer longtemps avant que ce soit leur tour ! Mais comme ils vont danser jusqu’à 80 ans, ils ne sont pas pressés. Ils font parfois de la figuration mais c’est dans l’ordre des choses, ils l’acceptent. », précise Michel Lestrehan.

UN LANGAGE CODIFIÉ ET SYMBOLIQUE

Ils apprennent le répertoire classique, sans l’accompagnement des musiciens (excepté quelques jours avant la représentation), l’enseignement traditionnel voulant que le rythme soit simplement donné par des frappés de bâtons et par les syllabes rythmiques. Si ce sont les chanteurs qui racontent les histoires à travers les védas, les acteurs possèdent un langage symbolique et très codifié, basé sur les expressions des mains, dont l’origine est très ancienne.

Aux 24 mudras, ils combinent des mouvements bien spécifiques, multipliant ainsi les termes : « Avec 5 ou 6 mudras, on compte environ 500 mots déjà. On peut utiliser le même mudra avec des mouvements différents, cela ne signifiera pas la même chose. On peut représenter un roi, la terre, un lion, un éléphant par exemple. Ou encore un démon, une divinité, une belle femme, une mère… »

Ils y ajouteront ensuite les expressions des yeux, codifiées également, en 9 sentiments de base : « Le sentiment amoureux/la beauté, la moquerie/le mépris, la tristesse, la colère, l’héroïsme, la peur, le dégoût, la surprise et la sérénité. Tout cela va se moduler selon la qualité des personnages et des situations. Les nobles n’ouvrent pas la bouche tandis que les démons ouvrent grand la bouche, poussent des cris. En tout cas, le sentiment amoureux, de la beauté, prédomine tous les autres. Toujours dans cette optique du bien sur le mal.

À l’opposé de la conception chrétienne, le rasa (en Sanskrit, cela désigne la « saveur » générale de l’œuvre littéraire, dramatique ou musicale) partagé entre le public et les artistes prend sa dimension dans la beauté et l’amour. Dans l’identification au divin. Comme une expérience transcendantale. On chante la beauté des dieux. Les védas n’ont d’ailleurs de valeur que s’ils sont chantés. C’est là l’importance de la transmission orale parce qu’ils s’agit là de textes rédigés entre 3600 et 2500 ans en arrière. Ce sont des chants d’invocation aux divinités, dont la technique vient des temples du Kérala, et qui souligne la relation du dévot à la divinité. »

Autre code qui sert de référence au public : le maquillage. On reconnaitra la valeur d’un personnage à la couleur prédominante de son visage. Le vert pour les personnages nobles et vertueux, le vert et le rouge pour les personnages ambivalents (héroïques mais avec un ego surdimensionné), le noir pour les chasseurs cruels et sauvages, le rouge pour les démons, le jaune pour les personnages féminins.

Mais tout n’est pas si simple puisqu’à cela peut s’ajouter trois types de barbes (blanche, rouge ou noire) et que les cinq éléments de base peuvent être remaniés, comme tel est le cas pour le dieu-singe Hanuman. « On peut faire le parallèle avec l’opéra. Les types de voix correspondent aux bons, aux ambivalents ou aux méchants. Dans le Kathakali, ce sont les types de maquillage. », précise Michel Lestrehan.

UNE ÉPOPÉE DIVINE ET GRANDIOSE

Difficile pour nous alors de tout intégrer rapidement et de comprendre tous les codes, issus de traditions et d’arts savants ancestraux. C’est pourquoi, au Triangle, le spectacle était sur-titré, permettant ainsi à chacun-e de saisir le récit de Torana Yudha (La guerre du portail), une des premières histoires écrites par Kottarakkara Tampuran – deuxième moitié du 16e siècle – tirée du Ramayana.

On assiste ici à l’épopée d’Hanuman, qui bondit au dessus de l’océan, en direction de l’île de Lanka, pour porter un message à Sita – fille de la déesse Terre retenue prisonnière par le roi démon Ravana – de la part de son époux, le prince Rama : elle sera bientôt délivrée. En chemin, il affronte des créatures marines, des démons ivres qui gardent la cité et une terrible démone, maudite par Brahma qui ne pourra reprendre sa forme divine qu’en recevant la gifle d’un singe.

Dans les jardins du Lanka, il observe Ravana, qui une fois seul, sans son épouse Mandadori, courtise Sita, lui offrant bijoux et tissus. Celle-ci refuse, prête à mourir de l’épée de Ravana plutôt que d’accepter ses avances et ainsi trahir Rama, son bien-aimé. Alors qu’Hanuman vient la consoler, il se laisse capturer par les soldats du roi démon et sa queue est brûlée, lui servant ainsi de torche pour incendier Lanka. Sauf le jardin dans lequel se trouve Sita.

Les scènes sont grandioses. Entre les moments de chants très intenses et chargés d’émotions, l’accompagnement sans relâche des tambours maddalam et chenda – appuyant les intentions des acteurs-danseurs et la dimension magique des représentations – et la beauté et la splendeur des costumes et des maquillages, le spectacle est impressionnant. De par tous les savoirs ancestraux qu’il transmet et de par la découverte à laquelle il nous invite.

Toutefois, on ne peut s’empêcher de rester sceptiques face au message délivré : les hommes se battent pour sauver les femmes, en danger et sans défense, dont les rôles sont quasiment de la figuration. En résumé.

PAS DE PLACE POUR LES FEMMES ?

« Le Kathakali est de style tandava, dynamique, avec des mouvements virils – ce n’est pas péjoratif – avec les frappes de pied, les caractères assez fiers… Ils se battent, ils sont énergiques, un peu machos sur les bords. À l’encontre du lasya qui correspond à une expression des sentiments plus douce. C’est ce que l’on va trouver dans la danse féminine du Mohini Attam. C’est un peu la petite sœur du Kathakali, mais c’est moins narratif, plus basé sur des sentiments, sur des poèmes adressés au bien-aimé. Plus en souplesse. »

C'est ce qu'explique Brigitte Chataignier qui s’est formée à ces deux arts entre 1987 et 1993, au Kérala, dans une grande académie, avant d’y retourner une année supplémentaire pour suivre un enseignement avec des maitres privés, auquel assistait également sa fille, née en Inde.

« Bien que nous soyons des femmes, nous avons été introduites dans le Kathakali. Quand on est étrangères, on a plus d’accès. Les indiennes peuvent le faire mais c’est quand même dur d’avoir accès aux enseignements. Moi, j’étais mariée, installée « familialement » donc on me foutait la paix. »
précise-t-elle.

Pouvoir pratiquer les deux, et convoquer ainsi l’énergie masculine et l’énergie féminine, est une grande opportunité pour la chorégraphe qui avoue que le Kathakali est toutefois un challenge physique. Elle fait alors en fonction de son état, de ses humeurs, sans se forcer ou se contraindre. Mais une femme pourrait-elle interpréter les grands rôles de cet art classique ?

« Ça demande beaucoup de force mais si elle arrive à un certain niveau, oui, c’est possible. Mais il y en a très peu. On peut accéder à tout si on assume ce que l’on fait. Si on sert l’art, il n’y aura pas de problème. Les femmes en Inde sont très respectées dans ce milieu-là mais après, il faut avoir envie de se retrouver seule au milieu uniquement d’hommes. Faut être bien dans ces baskets, ce n’est pas évident… »

UNE VISION CARICATURALE…

Quand on cherche à aborder avec elle la condition des femmes là-bas, on sent une certaine crispation. Le sujet est complexe. Parce que les cultures se confrontent. L’Occident dépeint un tableau caricatural de la situation des femmes indiennes. On ne les voit que comme des objets, des victimes de viol ou victimes d’un jet de vitriol au visage lorsqu’elles refusent un mariage arrangé. D’un autre côté, on ne peut nier cette réalité.

« L’Inde a beaucoup changé entre les années 80 et maintenant. La condition féminine s’est affirmée mais d’un autre côté, la violence à l’encontre des femmes s’est accentuée. À un moment donné, je me sentais plus indienne que les indiennes. Mais au fond, je suis occidentale. Les rapports sont plus égaux entre les hommes et les femmes ici que là-bas. Mais en fait, la notion d’égalité nous apparaît à nous mais pas forcément à eux. Il y a chez certaines une totale acceptation du mode de vie, les mariages arrangés, elles en sont fières. La plupart des femmes que j’ai pu observer quand j’étais là-bas sont plutôt heureuses et vivent bien. », commente Brigitte.

Même discours du côté de Léna Hagel, rencontrée à la Maison de quartier de Villejean à l’occasion de sa conférence gesticulée « Mon corps, une arme de résistance massive » (lire le Celle qui, p.2 et 3) qui a passé sa 23ème année en Inde :

« C’est très très caricatural ce que l’on entend sur l’Inde. Pour moi, ça a été un déclic d’aller là-bas. Je m’y suis sentie très très bien et ça a été un révélateur de ma féminité. J’ai assumé, affirmé et posé ma féminité. Les Indiennes sont magnifiques avec leurs regards de braise, leur jasmin dans les cheveux, la manière de se tenir droite lorsqu’elles sont en sari… »

Dur de ne pas sourciller quand seule l’apparence physique de ces femmes est mise en avant. Dans le milieu de l’art, Brigitte Chataignier nous l’assure, « il faut un sacré bagout pour être danseuse ». Elle a d’ailleurs, il y a plusieurs années, fait venir un groupe de danseuses traditionnelles en France afin de travailler la question du droit des femmes et de l’égalité. Pour observer, en douceur précise-t-elle, l’idée n’étant pas de bouleverser, et de juger, leur éducation et leur culture, comme souvent les Occidentaux-ales peuvent avoir tendance à le faire :

« Elles ont noté des choses qu’elles trouvaient intéressantes mais ont aussi constaté que sur certains plans, elles préféraient la manière dont cela se passe dans leur pays. J’ai mené également un autre projet sur le fleuve que l’on a comparé à une femme, pour alerter sur la Nature. Le vrai problème est celui du respect… Le fleuve est comparé à une femme mais paradoxalement il est terriblement pollué. Ce spectacle a tourné en Inde, avec, autour des actions de sensibilisation auprès des filles. »

LIBERTÉ ET TRANSMISSION

Pour elle aujourd’hui, l’important est de transmettre. De passer le flambeau des savoirs ancestraux conservés dans les traditions, comme elle l’a fait avec sa fille et comme le fait en cours ou lors d’actions de sensibilisation. Notion primordiale également dans la culture indienne.

« À des événements comme l’atelier de découverte du Kathakali, la conférence-performée et même le spectacle, on ne fournit que quelques éléments de cette culture. En apprenant vraiment tous les savoirs et en pratiquant ces formes d’art classique, je trouve que c’est extrêmement formateur et ça permet de s’ouvrir sur soi-même, sur les autres, sur le monde. Et puis, chacun est libre après d’en faire ce qu’il veut. Quand on prend de l’âge, on prend aussi des libertés. On s’affranchit de ses maitres et on transmet à notre tour. », conclut la chorégraphe qui résume bien là le droit à la liberté individuelle et au libre arbitre.

 

Tab title: 
Voyage au coeur d'une tradition indienne
À la découverte du kathakali
Au sein de la compagnie Prana

Célian Ramis

Les arts du sexe : Libres de ne pas se cacher !

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Location: 
Diapason, Rennes 1, campus Beaulieu
List image: 
Summary: 
Sommes-nous totalement libéré-e-s niveau sexualité(s) ? Pas vraiment. Pas encore. Mais le sexe est un art à cultiver, à partager et à cajoler. Heureusement, Sexlame ! et ses partenaires sont là pour nous décomplexer !
Text: 

« Nos libidos ont peut-être chaviré, mais elles n’ont pas sombré. La majorité d’entre nous est contente de passer au lit, l’orgasme fait toujours du bien. Ouf. Et pourtant… nous pourrions aller encore mieux. En prolongeant les enseignements de 2017, nous pourrions même nous assurer des lendemains qui ahanent. Chiche ? » Défi relevé chère Maïa Mazaurette !

La chroniqueuse de « La Matinale du Monde », lanceuse du savoureux et vibrant appel « Clitoridiennes de tous les pays, unissez-vous ! », nous ravit et nous redonne espoir à chaque article qu’elle publie. Parce qu’avec elle, la sexualité, c’est beau, c’est sain et ça fait du bien. Quand elle est libre et consentie, en solitaire ou à plusieurs.

C’est le même esprit qui a soufflé sur la ND4J dédiée aux genres et aux sexualités, le 14 décembre dernier au Diapason (campus Beaulieu, à Rennes) organisée pour l’occasion par l’association rennaise Sexclame ! 

Finie la diabolisation du clitoris et du plaisir féminin ? Pas tout à fait… Mais cette année, l’organe du plaisir – correctement représenté – a fait son entrée dans un manuel scolaire de SVT, le manifeste pour s’affranchir des diktats sexuels Libres ! – signé Ovidie et Diglee – trône fièrement en tête de gondole dans les librairies, tout comme la BD militante de Liv Strömquist, L’origine du monde, et la Ville de Rennes se saisit de la question des sexualités, en confiant une soirée de son dispositif ND4J à l’association rennaise Sexclame !, le 14 décembre dernier au Diapason.

« On n’a pas pensé consciemment par le prisme de l’art et de la culture pour la soirée, mais on a pensé festif, dans l’esprit de la ND4J. Avec des propositions qui font réfléchir, tout en restant dans le divertissement. Pour que ce soit léger et décomplexé ! », explique Margo, co-fondatrice de l’association Sexclame !, jeune structure rennaise, tout aussi capable d’organiser une soirée Amours à l’Élaboratoire – en octobre dernier – qu’une soirée plus institutionnelle au Diapason :

« On ne brasse pas le même public dans les différents lieux, et ça, ça nous intéresse aussi, de passer du milieu underground à un plus grand public. Ça permet aussi de se rappeler qu’on n’est pas tou-te-s déconstruit-e-s (des clichés, des injonctions et des mythes régissant la sexualité, mais pas que, ndlr) de la même manière. Selon là où on en est, selon les vécus, il peut y avoir des propos qui ne plaisent pas à tout le monde. Une programmation 100% safe et inclusive, c’est bien de tendre vers ce sens-là et de prendre en compte toutes les discriminations mais on prend toujours un risque en organisant une soirée. »

En tout cas, c’est un pari joliment réussi pour les bénévoles qui ont ce soir-là transformé le hall de l’établissement en pieuvre de l’amour, du désir et du plaisir, qui nous mène de part et d’autre de ses tentacules vers une sexposition, un bar aphrodisiaque, une sexothèque, des lectures érotico-décalées, des associations, une conférence performée, des massages shiatsu ou encore un concert délirant.

RÉAPPROPRIATION DES SAVOIRS

Sans oublier à l’étage, dans une salle de réunion, un atelier « Hacke ton vibreur », animé par Antoine. Il est alors 18h30 et la soirée vient juste d’ouvrir ses portes. L’atelier donne tout de suite le ton. Outre le fait que le titre évoque les sextoys, il est question ici de l’esprit Do It Yourself.

« C’est toi qui le fait, toi qui décide des matériaux. Le DIY est un courant qui rassemble tout un tas de chose. Pour moi, il s’agit de la réappropriation des savoirs. On ne comprend pas toujours ce qu’il y a à l’intérieur des objets autour de nous. Le Do It Yourself propose de donner accès à ces données-là, il y a vraiment la notion de partage. On ne donne pas le gâteau tout seul, on donne le gâteau avec la recette. », souligne l’animateur.

L’idée alors n’est pas de fabriquer sur place son sextoy personnalisé mais d’en comprendre le mécanisme, « afin de démystifier les moteurs qui vibrent ». De voir si les compétences des un-e-s et des autres peuvent se croiser et si à l’avenir il serait envisageable de poursuivre l’expérience.

C’est surtout une belle entrée en matière qui suggère la réappropriation de la sexualité qui heureusement ne peut être unique mais bel et bien personnelle, à partir du moment où l’on (s’)autorise à se détacher des diktats de la société et sa morale. Il est alors nécessaire de pouvoir avoir accès aux savoirs, de pouvoir choisir et de pouvoir composer et vivre ses expériences, selon chacun-e. D’appeler un chat un chat, ou pas.

Puisqu’on pourrait aussi dire « Andouille à col roulé, Berlingo, Chatte, Dard, Extincteur, Foune, Garage à bite, Hochet de Vénus, Instrument, Joystick, Kiki, Levier de vitesse, Minou, Nénuphar, Ouverture, Pine, Quéquette, Radis, Salle des fêtes, Tarte aux poils, Urne, Verger de Cypris, Willy, Xiphoïde, Youka, Zob. »

Cet abécédaire des petits noms donnés au sexe féminin et au sexe masculin, c’est la compagnie Les Becs Verseurs qui la dresse à l’occasion de ces lectures érotico-décalées. Des Frères Jacques à l’abbé de Lattaignant, en passant par Colette Renard, Juliette et Le Petit Robert, les trois comédien-ne-s nous invitent à (re)découvrir des textes autour des plaisirs et des sexualités.

On sent bien là la patte des Becs Verseurs qui allient humour et poésie et manient avec subtilité les jeux de mots, les sous-entendus et le langage cru. Parfait mélange, auquel le trio ajoute un œil frétillant, un sourire en coin et un déshabillé coquin.

À travers le Kamasutra, des paroles de chanson, des recettes de cuisine ou encore des écrits romancés et romantiques, on croise des personnages aux fesses petites, grosses, basses ou déprimées, on entend claquer de doux baisers, on découvre une version érotique de la comptine « Au clair de la lune », on écoute le coming out d’un jeune homme natif de Lutèce et on réinterprète la condition d’Eve, de Pénéloppe ou de Jeanne d’Arc, loin d’être pucelles effarouchées et passives succombant aux plaisirs coupables, comme le dit Juliette dans sa chanson « Il n’est pas de plaisir superflu », déclamée en cette soirée :

« Profitons de l’instant, saisissons le présent / Osons, ne restons pas inertes / Quand le Monde court à sa perte / Il n’est pas de plaisir superflu ! / En été, en automne, en hiver, au printemps / Entrons si la porte est ouverte / Quand le Monde court à sa perte / Il n’est pas de plaisir superflu ! »

À CHACUN-E SON SEXE, À CHACUN-E SON EXPRESSION

Le sexe se décline de multiples façons. Sujet inépuisable, il fait fantasmer autant que frémir et, dans tous les cas, il inspire énormément. Preuve en est avec les larges rayons de la sexothèque, constituée et remplie par Sexclame ! depuis sa création. Mais aussi la sexposition, réunissant une dizaine d’artistes, dont Lis Peronti et ses serviettes hygiéniques aux lettres brodées en rouge.

Au centre de la salle, ses créations sont entourées de celles de Leslip – cofondatrice de l’association avec Margo – de Diane Grenier, de Laura Zylberyng, Claire Grosbois ou encore Stéphane Vivier et Marylise Navarro. Sans oublier les gaufrages de Salomé Marine qui présente des gravures, sans encre, de photos de vulves de femmes souhaitant se faire opérer des lèvres.

Du porno en photo au moulage de tétons, en passant par la contraception d’urgence, les œuvres, qui varient dans les matières, les couleurs et les manières d’aborder ce vaste sujet, sont à regarder, observer, toucher, caresser et même à écouter :

« Il lèche mal mais il baise bien. Je garde comme règle de ne pas simuler, j’exagère parfois ma respiration pour encourager. Je lui bidonne que je suis plus vaginale que clitoridienne. »

On se le répète en sortant de la pièce, il n’y a pas qu’une sexualité. Heureusement. Pas qu’une seule manière d’en parler et la soirée va encore nous prouver que tout peut être exploré et interprété, selon les goûts, les préférences, les courants de pensée mais aussi selon qui fait l’Histoire.

« La pornographie c’est bien mais c’est un peu scolaire. Ce que l’on préfère, c’est ce qui est plus masqué, ce qui doit être dévoilé. Pas parce que c’est plus ludique mais parce que c’est plus pervers. Bienvenue dans l’histoire de la perversité ! » Ce soir-là, Hortense Belhôte, comédienne et professeure d’Histoire de l’art, fait un carton dans la salle de spectacle du Diapason avec sa conférence performée « Les arts du sexe » ou le sexe dans l’art classique. C’est drôle, percutant et passionnant.

CACHÉ OU PAS CACHÉ, LE SEXE ?

En une heure et une multitude de diapos proposant un voyage dans la peinture classique et la mythologie, celle qui a été repérée cet été par Margo - au Festival du Film de Fesses, à Paris - qui sort de quatre jours de bronchite et qui douille parce que c’est le premier jour de ses règles, s’amuse des représentations sexuelles, sexuées et genrées. D’abord avec la Vénus pudica qui, debout, accroupie ou allongée, a toujours le sexe caché.

« Peut-être qu’elle vient de faire l’amour avec son mari, de se faire un plaisir solitaire ou bien a-t-elle une mycose, on ne sait pas ! », plaisante Hortense, qui poursuit ses savoureuses interprétations personnelles : « Zeus est le dieu archétypal de la conquête sexuelle et amoureuse. Il est marié, mais intéressé par d’autres. Alors il se métamorphose pour arriver à ses fins. En nuage pour faire un baiser à une femme, en aigle pour séduire un jeune éphèbe pré-pubert ou encore en cygne une autre fois. Est-ce que Zeus ne serait pas le dieu tutélaire du sextoy ? C’est une piste à creuser… »

Elle passe en revue les représentations de l’amour lesbien, de la virilité, jusqu’à l’apparition de la question du genre, lorsqu’Hercule est fait prisonnier par la reine Omphale, celle ci prend les affaires et lui, porte les siennes.

« On voit alors Hercule en robe rose à paillette, il coud pendant qu’elle, elle tape avec sa massue. C’est l’inversion des genres dans les tableaux, avant que survienne la superposition des attributs. Aujourd’hui, les Hercule et Omphale modernes pourraient être les sculptures des stars trans, Buck Angel et Allanah Starr ! Après, la question à laquelle on n’a jamais répondu, c’est est-ce que c’est Hercule qui enfile ou Omphale qui encule ? Ça reste ouvert… », lâche Hortense Belhôte, qui passe des mythes et légendes à la valeur ajoutée par la chrétienté, à savoir la morale.

Tandis qu’elle retire son pantalon, elle démontre comment la religion a introduit la naissance du textile, faisant de la nudité quelque chose de choquant. Pourtant, dans le tableau de Rubens « Suzanne au bain », on voit la jeune femme, de dos, faire sa toilette intime, « et des vieillards la matent et qui derrière vont faire croire que c’est elle qui les a aguichés, machin, machin… Parce qu’une fois déshabillé-e, qu’est-ce qu’on a envie de faire ? De toucher ! »

Du consentement bafoué à l’assignation réductrice des femmes dans la cuisine – avec les peintures de Vermeer et sa célèbre Laitière – les œuvres se veulent des allégories de la jeunesse, de la chasteté et de la mise en danger. Celles-ci sont restées, devenant peu à peu des références indiscutables dans l’Histoire de l’art, tandis qu’on a fini par oublier, ou négliger, les représentations de la déesse Baubo, dont le visage se situe dans le bas ventre.

On lui attribue pourtant une belle victoire, puisque c’est elle qui a fait rire Démeter, déesse de l’agriculture et des moissons, lorsque celle-ci succombait à la dépression, à la suite de l’enlèvement de sa fille Perséphone. On raconte qu’en quelques blagues grivoises « la déesse de la vulgarité féminine aurait sauvé le monde. En faisant rire Démeter dont l’humeur a fait mourir la Nature, elle a permis le renouveau. »

Simplement vêtue d’une culotte, en position de Vénus alanguie, Hortense conclut alors, se tournant dos au public et révélant ainsi la célèbre marque de Batman sur ses fesses : « Peut-être que nous aussi, ce soir, nous venons de changer le monde. »

LA SEXUALITÉ, C’EST LUDIQUE ?! OUI, OUI, PROMIS !

« J’ai jamais autant rigolé à une conférence. Et en plus, j’ai appris des trucs ! », s’enthousiasme une participante, en quittant les gradins, la mine enjouée. Tout comme ce curieux qui se balade de stand en stand, avant de s’arrêter devant celui du Centre Gay Lesbien Bi et Trans de Rennes (CGLBT) pour jouer au Jeu des lois :

« On pose des questions sur les connaissances autour de la transidentité. Quand on a une bonne réponse, on avance et on peut tomber sur des cartes Chance ou Malchance. Cela permet de connaître le quotidien des personnes trans. »

Comment doit-on parler à un homme trans : au masculin / au féminin / ça dépend de son apparence ? Quelle est la cause de la transidentité : une surexposition à des personnages de série homos / une alimentation trop riche en oligotrans / On ne sait pas et on s’en fout ? En France, le changement de sexe est interdit par la loi : Vrai ou Faux ? Papy vous accepte comme vous êtes, bravo, rejouez !

L’instant est ludique et joyeux. Sans jugement. Se tromper n’est pas grave, le tout étant de comprendre les réponses et informations données. Une manière légère d’établir un premier contact, pour ensuite pouvoir éventuellement aller plus loin. Comme c’est le cas pour les voisin-e-s du CGLBT, entouré de Diane, animatrice de prévention bénévole dans une association de lutte contre le VIH et fondatrice du « Gougle du cul », le site Sexy Soucis, et du Planning Familial 35.

« Je pense que le public de la soirée était majoritairement un public averti, avec pas mal de gens de notre réseau mais je sais qu’il y a aussi eu un public varié. Diane a rencontré et discuté avec une travailleuse du sexe par exemple, qui lui a dit qu’elle n’avait avant jamais mis les pieds dans une soirée comme ça. C’est un moment très fort et c’est une victoire pour nous. C’est important de pouvoir se sentir en confiance quand on n’est pas dans la norme. », souligne Margo.

De son côté, Lydie Porée, présidente du PF 35, note une grande mixité dans les personnes présentes et rencontrées. L’association a placé sur la table le slip chauffant, confectionné par l’association Thomas Bouloù (pour la responsabilisation des hommes dans la prise en charge des risques et conséquences de leurs sexualités). En guise d’appât. Parce qu’il attire l’œil et les passant-e-s :

« C’est notre produit d’appel on va dire. C’est sur la contraception mais ça permet de parler de ça et d’élargir à la vie affective et sexuelle. On est là pour que les un-e-s et les autres puissent poser leurs questions. Tout est posable, tout est entendable. La réponse n’est pas toujours évidente mais le but est d’échanger sur les questions de sexualité. »

SORTIR DU JUGEMENT ET DE LA MORALE

Elle constate que les discussions tournent beaucoup autour du préservatif externe et de ses contraintes. Le mettre au bon moment sans casser le rythme ou l’envie, trouver la bonne taille, la peur des infections sexuellement transmissibles… Tout cela mène directement au sujet du dépistage. Le jour même, le Service inter-universitaire de médecine préventive et de promotion de la santé de Rennes proposait un après-midi de dépistage sur le campus Beaulieu.

« Certain-e-s sont venu-e-s à la soirée en cherchant justement à avoir accès à un dépistage immédiat et étaient surpris-es qu’il n’y en ait pas à ce moment-là. C’est très intéressant car d’une part, on s’aperçoit que le dépistage fait parti du scénario d’une vie affective et sexuelle, c’est rassurant, et d’autre part, ça montre qu’il y a de la demande dans ce genre d’événement. Car ce n’est pas toujours simple d’aller au CeGIDD (Centre de dépistage, CHU de Rennes, ndlr) et ça montre que c’est à nous assos d’aller vers le public. », analyse Lydie.

Son bilan nous interroge. Pourquoi, si le dépistage fait parti du scénario, attend-on l’organisation d’événements ? La peur du jugement, venant de certain-e-s professionnel-le-s de la santé ?

« Je pense que le jugement et la morale pèsent certainement. Ce n’est pas en faisant la morale que l’on va changer les choses. Qui n’a jamais pris de risque ? C’est illusoire de se dire qu’on est observant-e-s et réglos toute une vie sexuelle durant. La vie, c’est des oublis, c’est des ‘c’est pas le moment’ ou des ‘c’est pas venu’. Prendre soin de soi est contraignant, alors quand en plus on rajoute un-e partenaire dans l’équation… J’ai fait une formation volontaire à Aides sur la réduction des risques qui consiste à adapter la prévention à la pratique, en fonction de la situation. Ça veut dire qu’on doit être en mesure d’entendre que le préservatif, c’est chiant. On a vraiment intérêt à se détendre ! En tout cas, cette soirée m’a ouvert les yeux sur la nécessité d’aller vers les gens, avec des outils rapides. », répond-elle.

DISCOURS ET SUPPORTS DÉCULPABILISANTS !

Au service culturel de l’université Rennes 1, ce 14 décembre, ça grouille de propositions, de curieux-ses, de questions et de réponses, d’informations en tout genre et pour tous les genres. On peut d’ailleurs, avant ou après s’être fait masser (non obligatoire, on précise), avant le concert des Banquettes Arrières ou pendant que l’on prête une oreille attentive aux contes coquins de Quentin Foureau, composer sa pochette surprise, avec des préservatifs, des stickers Sexclame ! décorés de clitoris, une planche dessinée par Laurier The Fox sur le coming out d’une personne trans, la roue du consentement ou encore de la documentation sur « Le viol, c’est quoi ? », « 10 conseils pour éviter le viol » (adressés aux hommes, pour une fois) ou des slogans tels que « Le viol concerne la violence pas le sexe, si tu te prends un coup de pelle, t’appelles pas ça du jardinage » et « La vie est trop courte pour s’épiler la chatte ».

Au fur et à mesure, les complexes s’estompent. Le fascicule « Tomber la culotte ! Coups de pouce pour s’affirmer, s’amuser et prendre soin de soi – Pour les lesbiennes, bies, et autres curieuses » a raison :

« Les filles, détendons notre string !!!! Qu’on se le dise, la masturbation est une source de plaisir, de découverte de soi, de désinhibition, de développement de l’imaginaire sexuel, et… j’en passe et des meilleures. Chacune a sa façon bien à elle de s’y adonner et toutes n’y ont pas recours non plus. Là encore, nous ne sommes pas toutes faites sur le (là !) même moule, et c’est tant mieux. Mais si ça vous tente, ne boudez pas vos envies ! »

Tout comme on peut se pencher également sur la brochure « BDSM, jouez safe » au slogan croquant : « Fais-moi mal mais fais le bien ! » ou sur la brochure « Choisir sa contraception », éloignée de tout jugement et injonction. C’est ce que réussit à faire l’association Sexclame ! lors de la soirée : proposer de nombreuses facettes de la sexualité, sans orienter les participant-e-s vers une vision imposée mais en participant certainement à un processus de déculpabilisation.

Parce que l’objectif de la structure est d’interroger les sexualités dans leur diversité. Briser le discours sur une sexualité unique, « imprégnée de sexisme et de tabous », afin de « libérer les paroles et susciter la réflexion à ces sujets. »

ENCORE DES RÉSISTANCES !

Parler librement de sexualité n’est pas tâche aisée. Encore aujourd’hui, dans notre société, les tabous et les mythes, teintés de valeurs morales et religieuses, régissent nos sexualités qui ont bien du mal à se détacher du rôle de procréation pour tendre vers celui du plaisir et du désir. L’exemple le plus significatif est celui du clitoris.

Seul organe destiné uniquement au plaisir, il est étiqueté ennemi public n°1, voué à rester dans l’ombre du vagin et de la fécondité des siècles et des siècles durant. Représenté de manière schématique depuis peu de temps, il reste - malgré les tentatives, comme le chouette court-métrage de Lori Malépart-Traversy, Le clitoris, dont la vidéo est à voir sur Internet – un élément de crispation.

« La communication avec la mairie a été un peu compliquée. Pour l’affiche, le dispositif reprend toujours les 4 lettres ND4J mais on met ce que l’on veut dedans. Nous, on a choisi des mains, des bouches, des tétons et des clitoris. On a reçu un mail nous demandant si on n’avait pas autre chose à mettre à la place des clitoris… Ce n’était pas dit « On refuse les clitoris », c’était un peu glissé entre deux phrases… », explique Margo.

Elle poursuit : « On a réfléchi et pour nous, il était très important de parler du clito, du plaisir féminin, etc. Et c’est ce que l’on a répondu clairement. On était prêt-e-s à annuler la soirée si les images de clitoris étaient refusées. Finalement, c’est passé. Je pense que la personne en charge de l’affiche a eu peur de prendre la responsabilité, peur de créer un problème et finalement ça en a créé un. C’est remonté jusqu’au cabinet de Nathalie Appéré. Aussi, certains termes ne sont pas passés sur l’affiche : érotico-décalée, aphrodisiaque, Soirée genres et plaisirs… ça a un peu crispé les relations. »

Difficile en effet de se figurer que fin 2017 on s’effraie autour de la représentation d’un clitoris et qu’on censure certains mots qui pourraient choquer le tout venant lors de sa promenade dans le centre ville de la capitale bretonne. Si la co-fondatrice - et l’équipe de l’association - ne souhaite pas dissimuler les complications survenues, elle prend le recul nécessaire à l’analyse de ces événements :

« Au final, c’est très intéressant de voir les questions que ça a soulevé. On est content-e-s que ça ait un peu remué la mairie, c’était une expérience intéressante et il ne faut pas oublier que nous avons eu une vraie liberté de programmation. Ça nous y tenons pour cette soirée passée, comme pour les prochaines à venir. Nous avons été très bien accompagné-e-s par la mairie, notamment par Elodie Coquart, en charge du dispositif. Après les crispations, on a pu en parler avec elle et ça, ça m’a fait du bien, d’avoir au bout du fil un être humain qui explique que ça a soulevé des questions auxquelles les services de la Ville ne s’attendaient pas. »

Et parce que pour l’association le clitoris représente bien plus que le plaisir féminin, Sexclame ! prépare son logo aux formes de cet organe du plaisir.

Combien de temps faudra-t-il encore attendre avant que les tensions autour de la sexualité ne s’évaporent ? Et y parviendra-t-on un jour ? Combien de temps devrons-nous subir les fléaux et conséquences des violences sexistes et sexuelles à cause des réticences, des tabous et des pressions conservatrices ?

On ne sait pas mais on mise sur l’avenir. Sur la faculté des individus, grâce à des événements bienveillants et décomplexants comme celui de Sexclame ! par exemple, à suivre leur curiosité, à oser découvrir et à s’encanailler, à s’aventurer main la première dans l’exploration de leurs corps et de leurs désirs.

Pour s’affirmer et se réapproprier leur sexualité. C’est tout le bonheur que l’on vous souhaite pour cette nouvelle année.

 

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La sexualité, un art à caresser dans le sens que vous voulez !
La nuit de toutes les sexualités
Les jeunes, la sexualité et Internet
Terrifiante éducation à la sexualité

Célian Ramis

Violences sexuelles : # Ne plus se taire !

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Véritable fléau, les violences sexuelles sont les conséquences d'une société patriarcale qui véhicule encore aujourd'hui la culture du viol. Si les mentalités évoluent lentement, la prise de conscience passe par la libération de la parole.
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Au cours de leur vie, on estime à 14,5% des femmes, âgées entre 20 et 69 ans, qui sont ou seront victimes de violences sexuelles (à savoir viols, tentatives de viols, attouchements du sexe, des seins, des fesses, baisers forcés, etc.). Un pourcentage qui sous-estime la réalité puisqu’il ne prend pas en compte les violences survenues avant la majorité, que l’on sait extrêmement nombreuses.

Sans oublier que toutes les femmes n’osent pas dénoncer ce qu’elles ont subi. Ou ne mettent pas encore de mots dessus. Ces derniers mois, les #Balancetonporc et #Moiaussi ont permis de révéler sur les réseaux sociaux l’ampleur des violences faites aux femmes et de démontrer que dans une société régie par le patriarcat tout le monde devait être concerné par le sujet. À la lecture des multiples témoignages, nous oscillions entre colère et tristesse.

Si les deux sentiments sont encore présents, les militant-e-s interrogé-e-s ce mois-ci nous ont montré la voix : celle de la combattivité, de la persévérance et de l’engagement. Voilà qui redonne force et espoir. 

La grande majorité des victimes de violences sexuelles (comme dans toute situation de violence) culpabilisent. Parce que la société leur dit qu’elles sont responsables. À cause de leurs tenues, de leurs comportements, de leur présence dans l’espace public…Fin 2017, obtenir le consentement de l’autre n’est pas en tête de liste des priorités… La culture du viol, entretenue par les médias, infuse encore dans tous les secteurs de la société. Sous couvert d’humour, on minimise et on banalise les violences faites aux femmes. 

Pourtant, la honte, elle, assène quasiment toutes les victimes qui préfèrent alors se taire, ne pas faire de vague. Si certaines réussissent à briser le silence, elles restent minoritaires à oser dénoncer les violences vécues. À la suite de l’affaire Weinstein, les langues se sont déliées, sur les réseaux sociaux dans un premier temps, et dans la rue, dans un second temps. Des témoignages qui confortent les associations et collectifs féministes – agissant depuis des mois, des années et des décennies – dans leur militantisme et qui placent leur travail au cœur d’une problématique sociétale colossale.

Depuis 5 ans se tient chaque année à l’hôtel de Rennes Métropole un colloque organisé par l’École Nationale de la Magistrature, dans le cadre du 25 novembre, journée dédiée à l’élimination des violences faites aux femmes. Le 1er décembre dernier, l’événement s’intitulait « Du sexisme aux violences sexuelles ».

Et en préambule, Christophe Mirmand, préfet de Bretagne, était invité à introduire le sujet. Il a alors rappelé que les droits des femmes et l’égalité entre les sexes était une priorité du mandat d’Emmanuel Macron. Depuis plusieurs mois, c’est ce que l’on entend. La grande cause du quinquennat. Que nenni !

Faut-il rappeler que le 8 mars dernier, le candidat LREM annonçait nommer une femme en qualité de Première ministre s’il était élu ? Faut-il rappeler également que celui qui se veut féministe n’a pas souhaité créer un ministère des Droits des Femmes mais a relégué la question à un secrétariat d’État (c’est-à-dire sous la tutelle du Premier Ministre, qui lui ne fait pas semblant d’être macho) ? Ou encore que le 8 juillet dernier, il lâchait sans vergogne – en marge du G20 à Hambourg – que « Quand des pays ont encore sept ou huit enfants par femme, vous pouvez décider d’y dépenser des milliards d’euros, vous ne stabiliserez rien » ?

En France, il n’a d’ailleurs pas hésité à couper drastiquement le budget alloué à l’égalité entre les sexes. Alors que la secrétaire d’État, Marlène Schiappa – dont le service presse a totalement ignoré notre demande d’interview et nos nombreuses relances ce mois-ci – tentait cet été de démentir les rumeurs, en parlant de « fake news », le décret n°2017-1182 inscrivait au Journal Officiel du 21 juillet 2017 :

« Enfin s'agissant de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » sont annulés 7,5 M€ en AE et en CP sur le programme 137 « Egalité entre les femmes et les hommes ». »

TROP PEU DE MOYENS FINANCIERS

Il faut bien avouer cependant qu’une hausse du budget de Marlène Schiappa est prévue pour 2018. Les féministes, comme Caroline de Haas, qui avaient alors crié au mensonge concernant cette information, ont présenté un mea culpa un brin piquant, début décembre :

« Après quelques recherches force est de constater que nous nous sommes trompées. Le budget va passer de 29 772 326 € en 2017 à 29 779 727 € en 2018. Il va donc bien augmenter. De 7401€. Soit 0,0002 euros par femme (oui, vous avez bien lu). Cela ressemble à une mauvaise plaisanterie. Sans moyens, aucune possibilité de mettre en œuvre les annonces du président. Pas plus que d'en finir avec toutes les violences contre les femmes. »

Le 25 novembre dernier, le Président de la République était attendu au tournant puisqu’il dévoilait ce jour-là les mesures phares de son plan de « sécurité sexuelle », à mener sur cinq ans, en parallèle du 5e plan de mobilisation et de lutte contre toutes les violences faites aux femmes (2017 – 2019) et des suivants.

Si des points essentiels comme l’allongement du délai de prescription pour les crimes sexuels sur mineur-e-s ou la création d’une présomption de non-consentement pour les mineur-e-s (âgées de moins de 15 ans, selon la dernière proposition) y figurent, les associations féministes déplorent que les moyens financiers ne soient #PasAuRDV.

« Les associations à Rennes font un travail incroyable, qui est très précieux. Elles font ce que le gouvernement ne fait pas. Il faut les aider, les soutenir, pour qu’elles puissent continuer d’être présentes sur le territoire. Pour les contrats aidés, on a essayé de protester mais ça n’a rien donné. Ce n’est pas facile de se positionner face à ce gouvernement. Le Président s’affiche en tant que féministe mais ne fait rien de concret. On parle de la vie des femmes là, c’est concret ! »
signale Manuela Spinelli, secrétaire générale d’Osez le Féminisme 35.

Le gouvernement multiplie les effets d’annonce et les beaux discours ou non. Parce que tout en dénonçant les violences faites aux femmes, Emmanuel Macron n’oublie pas de s’inquiéter que l’on ne tombe pas « dans un quotidien de la délation » ou que « chaque rapport homme-femme soit suspect de domination, comme interdit. » Quelques jours avant, c’est le Premier ministre qui s’inquiétait de devoir « s’interdire une forme de séduction intellectuelle ».

Que faut-il comprendre à travers ces phrases ? Et à qui s’adressent-ils avec leur mise en garde ? Aux femmes. Encore une fois, ce sont à elles de faire attention. Faire attention de bien distinguer la drague du harcèlement, puis bien distinguer le rapport sexuel consenti d’une violence sexuelle (qui selon la définition s’effectue sous la contrainte, menace ou la surprise).

Pour Laélia, membre des Effronté-e-s Rennes, « c’est Edouard Philippe qui aurait besoin d’une formation sur le consentement ! On se disait bien qu’ils n’allaient pas trop nous aider mais de là à imaginer qu’ils casseraient notre boulot ! Le 25 novembre, Marianne – à l’origine de l’antenne rennaise des Effronté-e-s – a fait une prise de parole vraiment bien faite car elle a mis en lumière le lien entre les violences faites aux femmes et les violences économiques. Il faut donner des moyens économiques pour agir contre ce système sexiste. Des moyens pour la formation des agents de police, pour les professionnel-le-s de la Justice, de la Santé : tout ça, c’est un choix des pouvoirs publics. Mais il faut aussi donner des moyens aux associations et non pas réduire leurs aides, parce qu’aujourd’hui des Planning Familiaux ferment par exemple ! Il faut dépasser les discours et agir. Aux Effronté-e-s, nous tenons vraiment beaucoup à l’aspect systémique des violences mais aussi à l’aspect économique. C’est très important ! »

LES FEMMES NE SONT PAS DES OBJETS

Parmi les axes de son plan, Emmanuel Macron entent étendre les pouvoirs du CSA aux vidéos numériques et aux jeux vidéos afin d’identifier et lutter contre les contenus pouvant entrainer à de la violence contre les femmes. Il espère ainsi réguler l’accès des jeunes à la pornographie.

On ne peut critiquer cette idée, en revanche, on peut se demander si avant cela il ne serait pas utile de redéfinir clairement les missions du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel. Ou de lui rappeler qu’il est censé être le garant du « respect de la dignité de la personne humaine » (selon le site du CSA lui-même) et doit veiller, depuis la loi Egalité et citoyenneté de janvier 2017, à l’image des femmes dans la publicité.

Il a d’ailleurs rendu son rapport à ce sujet, fin octobre, mettant en lumière que les expert-e-s sont majoritairement des hommes (82% contre 18% d’expertes), que deux tiers des publicités présentant des personnages à connotation sexuelle mettent en scène des femmes (67% contre 33% des hommes) et que les stéréotypes de genre se retrouvent dans les catégories de produits (les hommes parlent d’automobile et les femmes de l’entretien de leur corps).

La conclusion du président du CSA ? « Le CSA attend de l’ensemble des acteurs concernés un débat approfondi et constant sur cette question et ne doute pas que ce document y contribuera utilement. » Tremblez Messieurs les publicitaires et directeurs des programmes, on vous menace d’un débat !

Approfondi et constant, certes, mais largement insuffisant pour déconstruire les clichés sexistes, racistes et LGBTIphobes que la télévision véhicule au quotidien. Parce que ce type de propos n’est pas réservé à Hanouna et ses chroniqueurs/queuses…

« L’iceberg du sexisme montre que les formes les plus graves du sexisme – les violences sont la partie émergée de l’iceberg – prennent leur ancrage dans le sexisme quotidien et banal  - les remarques que l’on pense anodines, les stéréotypes de genre, les blagues graveleuses. Les médias et les publicités légitiment ces comportements. »
souligne Sonia Magalhaes, déléguée départementale chargée des Droits des Femmes et de l’Égalité femmes-hommes, lors du colloque, le 1er décembre.

Dans la publicité, comme dans la plupart des émissions (de NRJ12 mais pas que), séries (de TF1 mais pas que) ou films, les femmes sont presque constamment présentées – quand elles ne sont pas réduites aux tâches ménagères, à l’assistance à la personne ou à la famille - comme des objets sexuels.

Elles sont passives et dépossédées de leur sexualité. Embrasser la poitrine d’une femme sur un plateau, tenter de relever la jupe d’une chanteuse lors d’une émission (récemment, c’est à un homme en kilt que cela est arrivé, de la part d’une femme, dans un télé-crochet), se concentrer uniquement sur le physique sexy d’une chroniqueuse ou invitée, ou sur son orientation sexuelle, ou sur son origine (et son exotisme…), puis ensuite minimiser et en rigoler constitue une série de violences à l’encontre des femmes et de la dignité humaine.

« La Télévision ne réagit pas à ça. On se pose vraiment la question de qui détient le pouvoir à la télé. La pub est construite à travers le regard des hommes et on voit bien les idées imprégnées dans les mentalités. », commente Manuela Spinelli.

STOP À LA CULTURE DU VIOL

Concrètement, selon le terme que l’on doit aux féministes américaines, il s’agit là de la culture du viol. En janvier 2016, Muriel Salmona, psychiatre, psychotraumatologue et présidente de l’association Mémoire Traumatique et Victimologie publiait un article intitulait « Pour en finir avec le déni et la culture du viol en 12 points ».

Sans détailler les 12 points, la docteure nous éclaire de sa définition : « De fait, nous sommes dans une société  où le déni du viol – « et si ce n’était pas un viol ? » - et la mise en cause de la victime – « et si la victime n’en était pas une ? » -  sont encore très répandus, trop de personnes y adhèrent et diffusent des idées fausses qui nuisent gravement aux victimes et garantissent l’impunité aux agresseurs. Ce système organisant le déni et la mise en cause des victimes, on le nomme « culture du viol ». La culture du viol est définie par l’adhésion d’une société à de nombreux mythes sur le viol. Lonsway et Fitzgerald (1994) ont défini les mythes sur le viol comme étant des : « Attitudes et croyances généralement fausses, mais répandues et persistantes, permettant de nier et de justifier l’agression sexuelle masculine contre les femmes » mais c’est valable pour toutes les victimes : femmes et hommes, adultes et enfants. »

Aujourd’hui, on véhicule encore l’idée que « non » peut être synonyme de « oui ». Et qu’une femme qui accepte d’aller chez un homme ou qui l’invite chez elle ne peut pas avoir subi un viol ou une agression sexuelle. Qu’une femme que l’on violente un peu dans l’idée d’avoir un rapport sexuel aime ça en fait. Que si elle s’habille de manière « sexy », c’est parce qu’elle veut séduire, voire aguicher, et par conséquent, qu’elle l’a un peu cherché.

Peu importe les motivations, rien n’excuse les violences. Que l’on ait envie de plaire, que l’on engage un flirt ou plus, que l’on fasse la fête à un endroit ou que l’on soit de passage, le consentement de toutes les personnes impliquées doivent obligatoirement être pris en compte. Pourtant, s’assurer que la relation ou le contact est consenti est loin d’être un réflexe. Et Muriel Salmona le confirme :

« Dans un univers où la très grande majorité des victimes des violences sexuelles – 83% dans notre enquête (enquête IVSEA 2015) – n’ont jamais été ni protégées, ni reconnues, le peu de victimes qui révèlent ce qu’elles ont subi courent le risque d’être mises en cause et maltraitées. Dans un retournement pervers, le projecteur est braqué avant tout sur les victimes au lieu de l’être sur les agresseurs. Nous assistons à des raisonnements organisant un déni généralisé des violences sexuelles. »

En 2011, lorsque Nafissatou Diallo accuse Dominique Strauss-Kahn d’agression sexuelle, tentative de viol et de séquestration, dans la chambre du directeur du FMI - qui s’apprête à être le candidat PS à la présidentielle de 2012 – ses propos sont remis en question, malgré la mise en détention de l’agresseur présumé. Quelques mois plus tard, les charges sont abandonnées. Il est un homme blanc de pouvoir, elle est une femme de ménage d’origine guinéenne.

Quand le racisme croise le sexisme et les a priori sur la condition sociale, c’est la triple peine. Les jeux sont faits. L’accord financier qui aurait eu lieu ensuite entre eux finit de confirmer, et ce malgré tout ce que l’on sait sur la sexualité et les abus de pouvoir de DSK, ce que la majorité pense : elle aurait menti pour de l’argent. L’affaire du Sofitel révèle alors le peu de considération accordée à la parole de la victime et l’impunité totale de celui qui est accusé.

COLLECTIVEMENT, FAIRE CHANGER LES LOIS

Cinq ans plus tard, c’est le député écologiste Denis Baupin qui est accusé par huit collaboratrices de harcèlement sexuel, au départ (d’autres femmes se joindront ensuite à la plainte, également pour agressions sexuelles). Une affaire classée sans suite en raison de la prescription des faits, la durée étant alors établie à trois ans. Si l’élu se satisfait que son innocence soit reconnue, il n’en est rien.

Il aura simplement bénéficié du long silence de ses victimes, sans doute tapies dans la honte et la peur de parler au moment où elles pensent être isolées dans leur calvaire. Et bénéficié également d’une loi peu adaptée aux circonstances. Début 2017, la durée des délais de prescription pénale est adoptée à l’Assemblée Nationale, passant ainsi de 3 à 6 ans pour les délits de droit commun et de 10 à 20 ans pour les crimes.

Une petite victoire que l’on doit au courage et combat acharné de ces femmes et des soutiens qu’elles ont pu obtenir. Car rien ne s’obtient sans douleur extrême dans l’Histoire des droits des femmes, comme l’a rappelé le téléfilm Le viol d’Alain Tasma, adapté du livre Et le viol devint un crime (écrit par les historien-ne-s Jean-Yves Le Naour et Catherine Valenti) et diffusé le 19 septembre dernier sur France 3.

En 1974, deux touristes belges sont agressées et violées dans les calanques par trois hommes. Le couple va porter plainte et, défendu par Gisèle Halimi, va se battre pour que le tribunal correctionnel se déclare incompétent et que l’affaire soit alors renvoyée devant la cour d’assises, en 1978. Si les noms ont été changés, c’est bien l’affaire Tonglet Castellano qui est portée à l’écran. Celle-là même qui a marqué un tournant important dans la prise de conscience collective de la gravité du viol et de ses conséquences sur les victimes.

Le procès révèle tous les mythes de la culture du viol, prétendant que les deux jeunes femmes, qui assument pourtant leur homosexualité, sont consentantes et ont pris du plaisir. Parce que les militantes et intellectuelles féministes s’emparent de l’affaire pour dénoncer le sexisme d’une société patriarcale, les trois hommes sont condamnés à 6 ans de prison pour l’un et 4 ans pour les deux autres. En 1980, le viol devient un crime puni de 15 ans de réclusion criminelle.

En décembre 2015, les trois filles de Jacqueline Sauvage – incarcérée pour le meurtre de son mari, après avoir enduré durant plusieurs années des violences physiques et sexuelles sur elle et ses filles – demandent à François Hollande d’accorder une grâce présidentielle à leur mère. L’affaire révèle là encore la difficulté à parler, dénoncer et témoigner des situations de violences, surtout dans le cadre d’une relation conjugale et familiale.

Et engendre des débats houleux sur la légitime défense et l’éventualité de l’application d’une légitime défense préméditée dans le cas des violences conjugales, comme tel est le cas dans certains pays, comme le Canada. Il faudra un an de bras de fer entre les trois filles et leur avocate et le Président, ainsi que de très nombreuses signatures d’une pétition lancée par Karine Plassard sur Change.org, pour que François Hollande accorde la grâce totale.

UNE LUTTE 3.0 MAIS SURTOUT SUR LE TERRAIN

On voit alors l’apparition de nouveaux moyens de lutte : les pétitions et les réseaux sociaux. La multiplication des outils d’information et de diffusion des messages sert l’action des militant-e-s féministes qui ne cessent depuis des années et des années de dénoncer les mécanismes de la domination masculine – et on ne peut alors pas manquer l’occasion de saluer la mémoire de l’anthropologue Françoise Héritier dont les nombreux travaux ont permis une évolution de la réflexion à ce sujet.

« Les conseillères du Planning Familial ont toujours entendu des histoires de violences dans le cadre des entretiens. La demande initiale n’est pas toujours sur les violences mais régulièrement la personne finit par en parler. »
explique Laure Stalder, conseillère conjugale et familiale au Planning Familial 35, à Rennes.

En Ille-et-Vilaine, en 2016, les chiffres de la délinquance ont fait apparaître une hausse de 22,1% des faits de violences sexuelles.

« La prise de conscience d’aujourd’hui est le résultat d’un ras-le-bol. Est-ce qu’il y a plus de faits qu’avant ? Je n’en suis pas convaincue. Mais je pense que les femmes ont pu s’exprimer davantage ces derniers mois. », poursuit-elle. En effet, si on parle depuis octobre et l’affaire Weinstein de libération de la parole, on peut également penser qu’à l’échelle locale, la plateforme départementale contre les violences faites aux femmes y est pour quelque chose.

À partir d’un numéro, les associations (Asfad, CIDFF 35, Planning Familial 35, SOS Victimes, UAIR) effectuent un travail en réseau afin de proposer et apporter accueil, écoute et hébergement, en fonction des situations et des besoins. Des associations également très présentes sur le terrain rennais lors des événements en lien avec les journées internationales des droits des femmes, de l’élimination des violences faites aux femmes, de la contraception, de l’avortement, de lutte contre le sida, etc.

EFFET COCOTTE-MINUTE

Les mentalités progressent. Lentement. Trop lentement. Grâce aux actions militantes, au travail de fond des structures féministes et au développement des nouvelles technologies et des réseaux sociaux, la parole tend à se libérer.

« Ça se fait petit à petit et ça a fini par exploser. Je pense que la campagne de Stop au harcèlement de rue a servi. En disant que 100% des femmes étaient concernées, ça a été vraiment marquant. C’est une problématique systémique. Avec l’affaire Weinstein et le lancement des #BalanceTonPorc et #MoiAussi sur les réseaux sociaux, ça a permis aux femmes, et à des hommes aussi, de mettre simplement un # ou alors de développer ce qu’elles avaient vécu. Elles étaient libres de s’affirmer tout en se protégeant. », analyse Laélia, du collectif Les Effronté-e-s Rennes.

Un avis que partage la secrétaire générale d’OLF 35, Manuela Spinelli : « Ça a commencé par le milieu du cinéma puis ça s’est élargi. Les femmes ne sont plus isolées, il y a un effet de groupe, de soutien. Toute la société est concernée, c’est un problème sociétal et non pas un « problème de femmes ». Ça a donné la possibilité de parler sans que la parole soit remise en cause. »

L’explosion de ce mouvement de grande ampleur prend sa source le 5 octobre avec les révélations sur le producteur américain Harvey Weinstein. Puis c’est l’effet boule de neige. C’est au tour de l’acteur Kevin Spacey d’être accusé, par des hommes, d’agressions sexuelles.

En France, huit femmes accusent Thierry Marchal-Beck, ancien président du Mouvement des Jeunes Socialistes, de faits de harcèlement sexuel et d’agressions sexuelles (dans un article sur le sujet, le quotidien Libération relate avoir recensé également quatre autres victimes).

Le scandale éclate également du côté de l’UNEF : 83 adhérentes dénoncent en signant une tribune dans Le Monde « le ‘’véritable contrôle du corps des femmes’’ qu’ont imposé plusieurs dirigeants du syndicat étudiant pendant de nombreuses années. » La surprise n’est totale que pour une partie du grand public qui prend conscience qu’aucun milieu, qu’aucun parti, qu’aucune organisation syndicale ne sont épargnés.

S’en suit alors de nombreuses affaires similaires, parmi lesquelles on retrouve les noms du théologien Tariq Ramadan, du journaliste Frédéric Haziza ou encore du chorégraphe Daniel Dobbels.

Et les polémiques pleuvent, visant soit à cibler l’Islam et l’islamophobie de gauche, soit à remettre en cause la parole des femmes qui les accusent (comme cela a été le cas pour Flavie Flament lorsqu’elle a révélé les nombreux abus sexuels et viols que lui a fait subir le photographe David Hamilton). Merci Finkielkrault et BHL, on se passe aisément de vos commentaires et analyses.

RÉACTIONS NON DÉSIRABLES ET NON DÉSIRÉES

On ne peut alors que constater, malheureusement, qu’en parallèle, « une parole misogyne s’est libérée également, avec des commentaires et des affirmations d’hommes politiques par exemple, pas empathiques, avec des messages agressifs. Et là aussi, ça concerne tout le monde : du Premier ministre à l’homme dans la rue. Deux groupes se sont confrontés et on ne sait pas encore qui va l’emporter. », précise Manuela.

Les réactions sont terrifiantes. À l’horreur des propos énoncés par Eric Zemmour (et pas que…) établissant un parallèle entre les # et la délation des juifs lors de la Seconde guerre mondiale, se rajoutent ceux d’anonymes sur Facebook par exemple :

« OSEZ LE MASCULINISME : Je lance aujourd’hui en ce mercredi 23 novembre mon mouvement « Osez le Masculinisme » car en tant qu’homme, célibataire, ouvertement gay je ne me retrouve absolument pas dans les propos qui nous pourrissent la vie chaque jour dans les médias et ce depuis 2 mois à propos des hommes qui sont tous des harceleurs, des violeurs, bref accusés et balancés sans preuves de tous les maux de la Terre, et tout çà entretenu par des mouvements politiques d’extrêmes gauches où l’on retrouve toujours sur les plateaux ces mêmes femmes idéologues et militantes de « osez le féministe » (on notera l’usage des minuscules, ndlr) qui ne sont qu’un ramassis d’intellectuelles qui veulent prendre le pouvoir dans tous les millefeuilles de la société. »

Le post est largement plus long mais on vous épargne la suite, qui ne mentionne pas, à tort, que les plateaux ont été très occupés par les hommes, politiques ou philosophes, invités dans les matinales à s’exprimer sur le sujet des violences sexuelles. Et pas que sur les plateaux, comme le prouve Le Parisien qui le 25 octobre placardait en Une 16 visages d’hommes qui « s’engagent » contre le harcèlement sexuel.

Bizarrement, aucune Une similaire n’a été fait avec des visages de femmes engagées. Pourtant, on ne manque pas de militantes… Comme de journalistes et présentatrices télé (ah si, peut-être qu’on en manque, mais elles existent) absentes de la campagne contre les violences faites aux femmes. Autre exemple de réaction gerbante avec le tweet (retweetant le #balancetapetasse), le 17 octobre, du conseiller régional breton FN, Christian Lechevalier à propos de Clothilde Courau :

« Prude jeune fille, prête à signer un contrat dans la CHAMBRE de #Walstein » (Non, ce n’est pas une erreur de notre part, ndlr). Le collectif Les Effronté-e-s Rennes a d’ailleurs réagi, à juste titre, et a décidé de porter plainte contre X, visant l’auteur du tweet derrière le compte de Christian Lechevalier.

EN FINIR AVEC L’IDÉE DE LA MAUVAISE VICTIME

Manuela Spinelli insiste : « Certains essayent d’en faire une guerre des sexes mais il faut comprendre que ce ne sont pas les femmes contre les hommes. Il s’agit des victimes face aux agresseurs. Ça implique la notion de choix, de responsabilités. Les femmes ne sont pas forcément des victimes et les hommes ne sont pas forcément des agresseurs. Ce n’est pas une guerre des sexes mais des mentalités. »

Déconstruire les mythes et croyances qui régissent la culture du viol est un travail de longue haleine. Car la culpabilité, la honte et le doute peuvent constituer des facteurs de violences psychologiques à la suite de l’agression.

« Pour le harcèlement de rue par exemple, on se sent mal de ne pas avoir réagi sur le coup. Alors pour le viol, c’est puissance 10 000. Il faut qu’on se forme à ce qu’est une agression sexuelle, un fait de harcèlement, un viol, etc. Connaître précisément les définitions pour pouvoir mettre des mots sur les vécus. Cela permet de se rendre compte et ensuite de pouvoir réagir. On doit se former, sans culpabiliser les victimes, s’éduquer aux mots mais aussi éduquer les garçons. »
explique Laélia qui souligne également l’importance de déconstruire l’idée de la « victime faible », sans toutefois nier l’impact et la violence du traumatisme.

Être victime de violences, sexuelles, physiques et/ou morales, n’est pas synonyme de faiblesse d’esprit ou physique. Laure Stalder l’affirme : « Selon qui on est, on ne réagit pas de la même façon qu’une autre personne. On ne peut absolument pas dire que tout le monde réagit de la même façon face à la violence. Il faut évidemment prendre en compte l’état psychique de la personne. Certaines ont besoin d’en parler tout de suite, d’autres ont besoin de temps. On a déjà vu des femmes vivre une vie tout à fait normale et à un moment de leur vie, un événement crée un déclic, tout ressurgit et c’est la dégringolade. Parce qu’elles avaient occulté, elles avaient tout enfouit. Ça dépend vraiment des personnes. »

PEUR DE SE CONFRONTER AUX FORCES DE L’ORDRE…

Aujourd’hui, la prise en charge des victimes au niveau judiciaire est vivement critiquée et largement critiquable. Moins de 10% des victimes de viol portent plainte. Encore moins aboutissent à un procès. Encore moins à la condamnation de l’auteur des violences. Pousser la porte d’un commissariat est compliqué. Les femmes appréhendent. Parce qu’elles savent qu’elles pourraient être tenues responsables de ce qu’elles ont vécu.

Souvent, elles vont devoir justifier la tenue qu’elles portaient ce jour-là ou ce soir-là. Justifier le moindre de leurs comportements à l’égard de cet homme. Justifier qu’elles n’ont peut-être pas réagi physiquement au moment de l’agression parce qu’elles étaient surprises, choquées, terrorisées ou paralysées, en incapacité de bouger ou de crier.

Et parce qu’on crée un tabou autour des violences sexuelles, que l’on minimise et banalise, on manque de connaissances sur les réactions du corps. Un corps qui peut donner une réponse mécanique à l’acte sexuel forcé, provoquant le doute dans l’esprit de la victime déstabilisée à la fois par le traumatisme et à la fois par des marques qui pourraient s’apparenter à celles du désir et du plaisir mais qui n’en sont toutefois pas.

D’où l’importance de l’information autour du consentement et de l’éducation aux sexualités. Ainsi qu’à la formation des agents des forces de l’ordre comme aux professionnel-le-s de la Justice. Malheureusement, notre demande d’interview auprès des services de police du commissariat de Rennes n’a pas abouti :

« Comme suite à votre demande, j'ai l'honneur de vous informer que notre DDSP ADJT a émis un avis défavorable à votre demande en raison des contraintes opérationnelles des enquêteurs de police concernés. » Un honneur non partagé.

Si au niveau national, le nombre de plaintes enregistrées par la gendarmerie a augmenté de 30% en octobre 2017 (par rapport à la même période en 2016) et de 23% pour la police, nous avons eu l’honneur de ne pas recevoir de réponse à notre demande concernant le territoire rennais et brétillien.

Toutefois, dans la capitale bretonne, un travailleur social, missionné par l’Asfad, permet aux victimes de se préparer à l’entretien et d’établir un contact avec les forces de l’ordre. Aussi, l’association SOS Victimes, qui connaît bien les recours juridiques et les difficultés à se confronter à l’appareil judiciaire, travaille en réseau avec les agents du commissariat.

QUELLE ÉVOLUTION DES LOIS ?

« Les lois accompagnent la question des mentalités mais l’application des lois n’est pas sans difficulté. Il y a un problème de moyens, de matériels, qui engendrent parfois des problèmes de preuves et qui se heurtent aux préjugés, qui sont encore très féroces. Et quand il y a un problème de preuves, le doute profite à l’accusé. Sans compter que les témoins ne veulent pas toujours témoigner, les victimes ne veulent pas toujours porter plainte… Et il y a aussi l’instrumentalisation des plaintes qui nous oblige à rester vigilant-e-s lors des enquêtes. Dans le cadre de violences conjugales, sans témoin, c’est très dur d’enquêter car on entre dans l’intimité d’un couple et c’est la parole de l’un contre la parole de l’autre. », développe Magali Pauthier, vice-procureure au Tribunal de Grande Instance de Vannes, le 1er décembre à l’hôtel de Rennes Métropole.

Elle met en évidence que l’arsenal législatif évolue. Mais là aussi très lentement : « Au XIXe siècle, il fallait réunir 4 critères pour définir un viol : une résistance constante et égale durant toute la durée de l’acte, l’inégalité des forces, les cris et les traces de violences sur la femme. Aujourd’hui, on a conscience heureusement qu’il peut y avoir de la sidération, que le cri peut être impossible, etc. Mais il y a encore de gros préjugés. Mais depuis 2006, les directives sont différentes. Avant, là où on nous demandait dans le cadre de violences conjugales d’insister à les rabibocher avec des médiations, on a commencé à considérer que le viol entre époux était possible, qu’il fallait être d’accord pour avoir un rapport sexuel et on a renforcé les mesures d’éloignement du conjoint violent. »

Si elle espère une évolution positive des lois et des moyens pour les rendre efficaces, insistant sur un protocole d’accueil des victimes systématisant la plainte et non la main courante ainsi que sur une prise en charge des auteurs, il faut se rendre à l’évidence : les lois ne sont pas suffisantes face aux blocages des mentalités.

La Garde des Sceaux, Nicole Belloubet, a alors proposer d’étendre le système de pré-plainte en ligne, déjà en vigueur pour les atteintes aux biens, aux « questions d’infractions sexuelles ». L’idée est de pouvoir ensuite être accueilli-e-s au commissariat par des personnes ayant déjà connaissance du motif de la plainte et étant formées spécialement à cette écoute. « C’est une bonne idée, souligne Magali Pauthier. Mais encore faut-il être sûr de pouvoir répondre aux demandes derrière… » Fin de l’optimisme.

PARLER ET ÊTRE ÉCOUTÉE

Autre alternative à l’étape directe du commissariat : l’adresse suisjeseule@gmail.com mise en place par l’association Parler, fondée et dirigée par Sandrine Rousseau, femme politique affiliée au parti EELV et auteure du livre Parler. Parce qu’elle fait partie de celles qui ont dénoncé les agissements, non réprimés, de Denis Baupin, elle a conscience de la complexité de la situation et des difficultés que l’on rencontre à témoigner dans un premier temps et porter plainte dans un second temps.

Son idée : permettre aux personnes victimes de violences sexuelles d’envoyer un mail relatant les faits et dénonçant l’agresseur. À partir de 5 signalements sur une même personne, l’association propose aux expéditrices-teurs des mails de se mettre en contact pour envisager la possibilité d’engager une procédure collective.

Mais il arrive d’être seule, de ne pas vouloir ou pouvoir porter plainte au commissariat (on peut aussi saisir par courrier le Procureur de la République, qui peut alors demander l’ouverture d’une enquête) et il arrive également que la procédure mène à un non lieu.

Concernant les chiffres, là encore, notre demande est restée sans réponse. Comment alors obtenir une écoute nécessaire à sa reconstruction ? Être niée dans la reconnaissance de son vécu peut être tout aussi violent que l’agression en elle-même. Les violences s’accumulent dans ces cas-là et il est parfois difficile de savoir vers qui se tourner. Le Planning Familial 35 a depuis longtemps mis en place des groupes de paroles pour les femmes victimes de violences sexuelles : un à Saint-Malo et un à Rennes.

« Les femmes qui font la demande d’intégrer le groupe sont reçues lors d’un entretien préalable par le psychologue de l’association, Glenn Le Gal et moi-même. On cherche à savoir à ce moment-là si elles sont en capacité d’en parler avec d’autres femmes, où est-ce qu’elles en sont, si elles sont en capacité d’entendre la parole des autres et de partager. Elles s’engagent à venir au moins 6 mois, mais souvent elles restent plus longtemps. En parallèle, on leur conseille de faire un travail personnel. Elles ne sont pas obligées de le faire au Planning Familial mais c’est important qu’elles fassent un travail psy à côté. », explique Laure Stalder.

Elles sont dans des démarches judiciaires ou non, leurs demandes n’ont pas forcément abouti, ce qui importe dans le groupe, c’est l’accompagnement de la parole. Et l’écoute. Primordial ! « Croire en ce que la personne nous dit et l’écouter, c’est très important. Le temps d’accueil, d’écoute, le non-jugement… Il faut être très disponible pour recevoir ces personnes. Favoriser la verbalisation, travailler sur les résistances, rassurer, sécuriser, tout ça est important. Il faut que la personne soit sujet et surtout que l’on ne mette pas de jugement. », poursuit-elle.

SE POSITIONNER EN TANT QUE SUJET

Être sujet. Un élément essentiel à l’émancipation des femmes et à l’égalité entre les sexes. « C’est que demandaient les femmes dans les années 70 ! Pouvoir se positionner en tant que sujet et pas en tant qu’objet. Dans l’action politique, économique, sociétale, etc. Les femmes prennent plus confiance, il y a un petit changement dans les consciences, on commence à parler de ce qu’on a vécu et à s’affirmer. J’aime cet effet de groupe qu’il y a en ce moment. Surtout parce que ce n’est pas un homme qui en est à l’origine, il ne s’agit pas d’un héro qui vient sauver le monde. Ça vient d’un groupe, d’une communauté. », constate Manuela Spinelli.

Prendre part à cette communauté peut participer à la réappropriation individuelle de sa vie, de l’espace et de son environnement. Et la demande se fait sentir. D’une part, les associations féministes constatent un besoin : OLF 35 accueille de plus en plus de bénévoles, femmes et hommes, tout comme Les Effronté-e-s qui ont lancé l’antenne rennaise sur les volontés fortes de plusieurs militant-e-s.

D’autre part, il a rapidement été ressenti que les femmes éprouvaient l’envie de se rassembler dans l’espace public. De concrétiser l’élan numérique de libération de la parole. Certaines ont scandé des slogans lors de la manifestation « #MeToo dans la vraie vie », le 25 octobre à Rennes, d’autres ont écrit leurs témoignages sur des panneaux, place de la Mairie, le même jour, et d’autres encore sont allées à la rencontre des militantes associatives pour partager leurs expériences, dans un cadre plus intime.

« La manifestation était mixte et ça s’est bien passé. Parce que la tête de cortège était composée de femmes cis et trans, homos et hétéros. Il y avait de la mixité et de l’humilité. On peut soutenir de manière humble, c’est la bonne solution. », commente Laélia, à propos du 2e rassemblement, organisé le 25 novembre, passant du #MeToo au #WeToogether, soulignant l’importance d’un mouvement inclusif.

« C’est vrai que les médias relaient principalement les témoignages des femmes cis et hétéros. Mais la communauté LGBTI s’est elle-aussi emparée du sujet. Dans la problématique des violences faites aux femmes par les hommes, j’ai vu les femmes trans, les bis, les lesbiennes, se sentir concernées. Par contre, dans les médias en général, elles ne sont pas entendues. »
explique Antonin Le Mée, vice-président du CGLBT de Rennes.

Parce que les viols et agressions sexuelles constituent des actes punitifs ou des tentatives de correction, les personnes LGBTI sont tout aussi légitimes à accéder à la libération de la parole et à la médiatisation des violences subies, par les agresseurs, puis très souvent par les forces de l’ordre quand ils/elles osent pousser la porte du commissariat.

« Il faut éduquer sur l’existence de ces violences, qui sont partout dans la société. Et faire un gros travail d’éducation populaire auprès des personnes concernées mais aussi auprès des décideurs au sens large : les élu-e-s, le monde professionnel, le milieu associatif, etc. », souligne Antonin, qui précise que le Centre Gay Lesbien Bi et Trans de Rennes travaille également en réseau avec des associations féministes et LGBTIQ+ locales mais aussi nationales.

Sans oublier que la structure propose également de nombreuses permanences, au local situé à Villejean, durant lesquelles l’accueil et l’écoute, dans la bienveillance et le non-jugement, sont les maitres mots avec évidemment la convivialité et la discrétion.

FORMATIONS ET ÉDUCATION

Aujourd’hui, la plupart des associations féministes dispense des formations en interne, comme en externe. « Aux Effronté-e-s, on a un rythme de réunions et de formations entre nous. Sur l’intersectionnalité, sur l’incarcération, et j’aimerais en faire une sur la self-défense. C’est une manière de prendre une autre conscience de son corps. On apprend à éviter, on apprend à assumer son malaise si quelqu’un est trop proche de nous, à verbaliser et expliquer son ressenti – ce qui désamorcer parfois des situations compliquées et ça fait vachement du bien – et ça forme aussi les garçons. », s’enthousiasme Laélia.

L’empowerment des femmes par les femmes et l’éducation des garçons sont deux points sur lesquels Manuela Spinelli la rejoint : « En décembre, Osez le Féminisme ! lance une campagne « Marre du rose » contre les jouets sexistes. Parce que ça commence à partir de là : les filles sont sages et restent à la maison, les garçons sont des explorateurs et sont donc plus agressifs. Il est important que les femmes accèdent à l’autonomie mais il est important aussi que les hommes prennent part au combat, il faut qu’il y ait une prise de conscience de leur part, qu’ils prennent leurs responsabilités, leur part aussi dans l’éducation des enfants, etc. »

Former à l’égalité filles-garçons doit commencer dès la petite enfance pour éviter l’intégration des injonctions de genre. Pour éviter que les enfants intègrent les inégalités au fil de leur construction sociale. Que les filles ne soient plus cantonnées et réduites aux valeurs familiales et que les garçons ne soient plus soumis aux diktats de la virilité. Qu’on en finisse avec les rapports de force et les mécanismes de domination, qui se traduisent par toutes ces violences.

Qu’on brise le tabou des sexualités, en axant davantage sur le plaisir des femmes et des hommes, plutôt que sur l’aspect sécuritaire. Délivrer une information complète, pour que chacun-e ait le choix, la liberté de s’assumer sans être jugé-e. Une éducation aux sexualités censée être obligatoire dans les établissements scolaires…

Malheureusement, toutes les écoles, tous les collèges et lycées n’applique la mesure. Là encore, en toute impunité.

FÉMINISTES, TANT QU’IL LE FAUDRA

Heureusement, les féministes ne lâchent rien et associations et collectifs occupent les espaces de prévention, en ville, notamment avec les Noz’ambules et Prév’en Ville. On ne s’en cache pas, on croit en l’action militante des structures féministes, anti-racistes et LGBTI confondues, nationales comme locales. Dans la capitale bretonne, le terreau y est particulièrement fertile et le travail accompli à l’année par les féministes est indiscutable et colossal.

Et on reconnaît une volonté politique – au niveau municipal comme départemental et régional – plus forte et prononcée que dans d’autres villes, y compris des villes de même taille, voire de plus grande taille. C’est parce que les militant-e-s portent le combat au quotidien, que les mentalités évoluent. Que le sentiment de colère, face à l’injustice des inégalités, des unes et des autres a pu s’exprimer collectivement, dans la rue, main dans la main avec les hommes, se transformant petit à petit en force.

La vigilance est désormais plus essentielle que jamais. Pour qu’aucun retour en arrière ne soit possible. Pour ne plus avoir à avoir honte. Pour ne plus se taire. Pour ne plus subir. La honte doit changer de camp.

 

 

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Violences sexuelles : La lutte pour la prise de conscience
La honte doit changer de camp
Les violences sexuelles, c'est quoi ?
Banales et ordinaires les violences ?

Célian Ramis

Football : égalité sur le terrain ?

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Alors que l'on se figure que, côté football, les femmes sont de plus en plus médiatisées, qu'en est-il réellement de la place et de l'image des femmes dans ce sport ? Sur les terrains rennais, comment les joueuses vivent-elles leur pratique ?
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En débutant nos recherches, on a tapé « footballeuses » sur Google. Plein-e-s d’espoir au départ, on a rapidement déchanté en voyant les multiples pages de liens vers des articles type « TOP 25 : Les footballeuses les plus belles de 2016 » ou des vidéos YouTube « Les footballeuses les plus belles du monde », montrant une femme en brassière, une partie de la poitrine à l’air et le ballon entre ses seins refaits.

Et quand on cherche les présidents de clubs impliqués pour des sections féminines, on tombe là encore sur des pages classant physiquement les filles de présidents de clubs. Mais qu’est-ce qui ne tourne pas rond ? On a enquêté sur les terrains rennais, pour voir et comprendre quelles sont les réalités actuelles du monde du football lorsque le ballon est aux pieds des joueuses. 

En 2019, la France accueillera la Coupe du Monde Féminine de la FIFA, dont plusieurs matchs seront disputés dans la capitale bretonne. Un événement important pour la promotion des femmes dans le sport mais qui apparaît néanmoins comme incohérent, le Roazhon Park étant rarement foulé par les crampons féminins. Peinant à investir dans une section féminine, on peut alors se demander quel exemple renvoie le Stade Rennais ? L’occasion de s’intéresser à l’évolution du milieu du football, en terme d’égalité entre les hommes et les femmes.

« FOOTBALL – Une petite révolution. Petite, parce qu’il s’agit de la Norvège et que les prix des joueurs sont bien moins élevés que dans les grandes nations du football. Révolution tout de même, parce qu’il a fallu doubler le salaire des joueuses pour qu’il atteigne le niveau de leurs homologues masculins. Et aussi parce que c’est le second pays qui tente le coup, après les États-Unis. », peut-on lire sur le site du HuffingtonPost, le 9 octobre dernier.

Et de leur côté, les footballeurs norvégiens ont accepté de baisser leurs salaires. La bonne nouvelle est sidérante - preuve que l’on part de loin - bien que les pays d’Europe du nord soient réputés pour leur exemplarité en terme d’égalité entre les sexes. La suite de l’article est encore plus stupéfiante :

« Les footballeuses norvégiennes ont un palmarès conséquent avec notamment un titre de championnes du monde (1995), deux championnats d’Europe (1987 et 1993) et une médaille d’or olympique (2000). Les hommes, eux, n’ont jamais remporté aucune grande compétition internationale. Ils occupent actuellement la 73e place du classement de la Fifa tandis que les femmes sont 14e. »

De meilleures performances donc pour de moindres salaires. La preuve d’une inégalité profonde qui, si elle tend à disparaître en Norvège ou aux Etats-Unis (où les joueuses ont dû menacer de grève pour obtenir des conditions financières similaires à leurs homologues masculins), perdure dans la majorité des pays du monde. Et malheureusement, la France ne figure pas au tableau des exceptions.

DES INÉGALITÉS IMPORTANTES

Cet été, les équipes féminines de football jouaient pour l’Euro, aux Pays-Bas. Le site des Échos en profite alors pour s’intéresser aux chiffres. Des chiffres qui révèlent que dans le domaine du football, les femmes gagnent en moyenne 96% de moins que les hommes, là où dans la plupart des autres secteurs, l’écart est estimé à environ 23%.

« Selon la Fédération française de football, les footballeuses professionnelles évoluant dans les plus grands clubs (PSG, OM, OL, Montpellier…) touchent en moyenne 4000 euros par mois. Les autres, issues de clubs moins prestigieux, peuvent prétendre à un salaire allant de 1500 euros à 3000 euros mensuels. Une misère au regard des salaires des footballeurs de première ligue qui touchent en moyenne 75000 euros par mois. », indique le journal économique.

Deux mois plus tard, c’est au tour de l’association sportive et militante Les Dégommeuses d’établir un constat bien glaçant à travers la réalisation de la première étude concernant la place réservée aux footballeuses dans la presse écrite française : sur un mois d’enquête (permettant d’éplucher 188 journaux – presse spécialisée et Presse Quotidienne Régionale), 1327 pages ont été consacrées au foot dont 28 seulement dédiées aux sections féminines. Soit 2,1%.

Le collectif, luttant contre les discriminations notamment sexistes et les LGBTI-phobies, passe les écrits et les visuels à la loupe. Quand on parle du foot féminin dans les médias, ce sont les entraineurs, dirigeants de club et présidents de fédération qui sont valorisés, tandis que les joueuses sont montrées en second plan et souvent de dos. Un phénomène encore plus flagrant au moment où plusieurs villes françaises lancent la Coupe du Monde Féminine 2019.

ÉCARTER LES FEMMES DES TERRAINS

Alors que la plupart des clubs ayant créé des sections féminines voient le nombre de leurs licenciées augmenter, les mentalités ne semblent évoluer que trop lentement. La place des filles et des femmes ne serait pas sur le terrain ! Ni même sur le bord du terrain (preuve en est avec les nombreuses interviews et remarques sexistes à propos de la nouvelle sélectionneuse des Bleues, Corinne Diacre)…

Ni dans les gradins d’ailleurs puisque selon le bon vieux stéréotype, elles seraient plutôt sur la touche au moment des matchs, leurs hommes les délaissant cruellement pour le sport national le plus populaire qui soit. C’est sur ce cliché que s’est empressé de jouer le déodorant Axe en 2010 lors de la Coupe du Monde masculine. Trois affiches, trois femmes sexy et trois phrases d’accroche : « Mon portable n’a pas sonné depuis le 11 juin », « J’ai une bien meilleure façon de passer 90 minutes » et « Y a-t-il un mec célibataire qui ne regarde pas le foot ? ».

Une campagne déplorable basée sur le peu d’intérêt que la gent féminine accorderait au football. Pourtant, la pratique n’est pas réservée aux hommes et les femmes y jouent depuis la fin du XIXe siècle pour les pays britanniques et début du XXe siècle pour la France. Mais rapidement, les voix mâles vont s’élever, entrainant en 1941 l’interdiction aux femmes de jouer.

Parce qu’ils étaient (et sont toujours) nombreux les Messieurs à penser comme Pierre de Coubertin, fondateur des Jeux Olympiques, estimant que le rôle des femmes « devrait être avant tout de couronner les vainqueurs. » Les argumentaires des médecins vont alors aller dans le sens des misogynes, déconseillant la pratique sportive à toutes celles qui possèdent le kit « vagin – utérus – ovaires » sous prétexte que celle-ci pourrait endommager l’appareil reproducteur.

Et là, difficile de se séparer d’une telle image, ancrée profondément dans les mentalités : biologiquement différent-e-s, hommes et femmes ne sont pas capables des mêmes choses. Comprendre ici : les mecs sont faits pour réaliser des prouesses, des performances spectaculaires, les nanas, non. Ce qui légitimerait donc les salaires mirobolants, pour ne pas dire indécents, et la bien plus forte médiatisation dont découlent ensuite les phénomènes de visibilisation et par conséquent d’identification.

À LEURS DÉBUTS

Heureusement, toutes les petites filles n’ont pas été irradiées par les rayons puissants des stéréotypes du genre et certaines rêvent, si ce n’est de devenir professionnelles, de jouer au football. « Je n’ai pas envisagé d’en faire mon métier parce que ça n’existait pas les professionnelles quand j’étais plus jeune. », souligne Lucile Nicolas, 28 ans, joueuse au Cercle Paul Bert Bréquigny.

Elle a 6 ans quand elle commence à jouer, à Quiberon. Avec les garçons d’abord, comme toutes celles qui commencent dès le plus âge (sans oublier que dans les années 90, rares sont les sections féminines qui existent), comme cela a été le cas pour ses coéquipières Maude Corfmat, 18 ans, et Marion Darcel, 21 ans, ou ses adversaires de l’ASPTT Rennes, Amandine Bézard, 24 ans, et Emelyne Fava, 22 ans.

« Mon père et mon frère jouaient et ma mère suivait tous les matchs. Je ne me suis jamais sentie à l’écart parce qu’ils étaient là aussi quand moi je jouais. Mais en grandissant, j’ai senti que ce n’était pas normal pour tout le monde. J’ai mis beaucoup de temps à trouver un établissement scolaire qui proposait sport-études pour les filles. J’ai commencé à Vannes puis je suis venue au lycée Bréquigny qui a un pôle Espoir. À Quiberon, quand j’étais plus jeune, je me souviens d’une fille qui jouait super bien mais elle a dû arrêter après ses 14 ans parce qu’elle ne pouvait plus jouer avec les gars et qu’il fallait qu’elle fasse 1h de route pour aller jouer à Lorient avec une équipe féminine. C’est vraiment dommage. Mais je pense qu’aujourd’hui, ça, ça n’existe quasiment plus, heureusement. », explique Lucile.

Pour Emelyne, les réflexions ont été compliquées à gérer au départ « parce qu’il y a le cliché du garçon manqué et encore aujourd’hui si les mentalités évoluent, ça reste encore stéréotypé, on pense que les filles jouent moins bien. » Sans éducation à l’égalité, les filles et les garçons intègrent dès la petite enfance les stéréotypes de genre. Dans le sport, notamment.

Et Nicole Abar, ancienne footballeuse professionnelle, aujourd’hui très investie dans la lutte contre le sexisme et le racisme (lire « 8 mars : Sur le terrain de l’égalité », daté du 6 mars 2017 sur yeggmag.fr) le confirme, constatant qu’avec les garçons, on lance le ballon avec le pied tandis qu’avec les filles, le lancé s’effectue avec les mains. Sans oublier que dans la cour de récré, l’espace sportif est encore principalement occupé par la gent masculine et ses jeux de ballons.

« Le foot, c’était le sport de la récré et je jouais avec les gars. J’ai souvent entendu que ce n’était pas un sport de filles, et encore aujourd’hui on fait ce genre de réflexion. Alors, on se vexe, on se met dans notre coin et personnellement, j’ai vraiment failli arrêter le foot quand il a fallu s’entrainer qu’avec les filles. », précise Amandine qui avoue qu’elle aurait aimé en faire sa carrière : « Maintenant, c’est trop tard, je suis trop vieille. »

Maude, elle, ne désespère pas d’être remarquée pour ses qualités sur le terrain. « Petite, on m’a dit que le foot, c’était pour les garçons et pas pour les chochottes. J’ai fait sport-études pendant 3 ans à Pontivy et j’ai pu prouver que j’étais capable ! J’aimerais vraiment évoluer à plus haut niveau et pour ça il faut soit passer des tests dans les clubs, soit être repérée par des dirigeants. Aujourd’hui, je ne suis pas dans l’échec, j’ai déjà eu des demandes mais pour jouer au même niveau. J’ai envie de prouver que je peux y arriver, de me donner à fond. N’écoutons pas les remarques et prouvons que les garçons ne sont pas les meilleurs ! », s’enthousiasme-t-elle.

PROFILS ET ENVIES DIFFÉRENT-E-S

Elle évolue, avec Lucile Nicolas et Marion Darcel, dans l’équipe A du CPB Bréquigny, réputé pour son niveau – l’équipe évolue en R1, plus haut niveau régional – et pour sa section féminine amateure, comptabilisant environ 150 licenciées, une des plus importantes de Bretagne.

Leur investissement est de taille : 3 entrainements par semaine et les matchs le dimanche. « J’aime la compétition, ça demande du dépassement de soi. Avec Bréquigny, j’ai envie d’aller en D2 – je n’étais pas encore dans le club quand elles y étaient – et de voir ce qu’on est capables de faire ensemble. On est une bonne équipe et j’aime vraiment ça. J’aimerais bien travailler dans le domaine du foot, comme community manager ou chargée d’une section féminine mais je n’ai aucune envie d’être footballeuse, parce qu’on ne peut pas en vivre et parce que je n’ai pas envie de faire autant de sacrifices. », explique Marion, diplômée d’une licence en management du sport.

Même son de cloches du côté de Lucile, secrétaire comptable et ambulancière : « On n’a pas de vacances, pas de temps pour soi, avec un régime alimentaire drastique… Non, je crois que j’aime un peu trop la fête ! » Toutes jouent au foot depuis l’enfance quasiment. Toutes accrochent à l’esprit d’équipe et parlent d’un sport intelligent parce que tactique et stratégique. Toutes n’ont pas les mêmes profils, ni les mêmes envies.

Emelyne Fava, professeure d’EPS, et Amandine Bézard, cariste, ont toutes les deux quitté le CPB Bréquigny pour l’ASPTT Rennes, qui compte nettement moins de licenciées, mais dont l’équipe A séniors évolue également en R1. Elles dénoncent du côté de Bréquigny une mauvaise ambiance et des rivalités entre joueuses, appréciant davantage la convivialité de l’APSTT.

« Je trouve qu’ici, c’est plus collectif, on ne se marchera pas dessus pour briller. Moi mon but n’est pas d’aller à plus haut niveau, l’investissement qu’il a fallu donner au CPB m’a énormément fatiguée. », déclare Emelyne, en accord avec sa coéquipière Amandine :

« Là-bas, créer sa place est compliqué. J’ai envie de jouer les hauts de tableau et les barrages mais pas comme ça. »

Des critiques que réfutent les joueuses du CPB Bréquigny : « Perso, l’an dernier, je ne m’entendais pas très très bien avec l’ancien coach et je n’ai pas beaucoup joué mais je ne le ressens pas comme ça. Je crois que c’est une question de choix, peut-être qu’elles n’ont pas eu beaucoup de temps de jeu et ça leur a déplu. »

Quoi qu’il en soit, les deux équipes jouent à bon niveau et parlent chacune de vie « extra-entrainement », avant ou après les matchs du dimanche. Et se consacrent sur le terrain au jeu et à leur progression.

PAS TOUS CONVAINCUS…

Pour Richard Roc, entraineur de la section féminine de l’ASPTT Rennes, les conditions d’entrainements et le traitement en terme d’infrastructures diffèrent clairement de celles du CPB Bréquigny (lire l’encadré). En attendant la fin des travaux effectués sur leurs terrains, l’ASPTT se voit jouer à Cleunay (complexe Ferdinand Lesseps) qui semble en effet moins entretenu et dont les équipements type vestiaires, douches et sanitaires, sont un peu vétustes :

« Il a fallu batailler avec la Ville de Rennes pour qu’ils mettent des algecos parce qu’il n’y avait rien pour se changer et se laver. Ce n’est pas normal ! Les joueuses, elles sont incroyables parce qu’elles ne râlent pas tant que ça, elles se battent. »

Mais il déplore surtout le manque d’intérêt général pour le foot féminin, de la part du président du club, de certains de ses collègues entraineurs et des clubs :

« C’est une bataille permanente. Je me bats pour le foot féminin mais c’est loin d’être gagné. Quand j’entends, en formation, certains entraineurs me dirent « Tu dois être content d’entrainer les filles, surtout dans les vestiaires », c’est lamentable. Je me dis que tout le monde ne peut pas coacher les filles qui sont pourtant très fortes mentalement et qui aiment se surpasser ! Mais vous savez, pour la plupart des dirigeants, ce n’est pas rentable. Ça marcherait s’il y avait du pognon ! Enfin, dans la mesure où les filles ne dépassent pas les garçons. Parce que là, ce ne sera pas accepté du tout ! On tolère les footballeuses tant qu’elles ne font pas d’ombre aux hommes… »

QUELLES DIFFÉRENCES ?

Et elles pourraient bien leur faire de l’ombre. Peut-être le font-elles déjà d’ailleurs. Et sans avoir les mêmes moyens que leurs homologues. « On dit que les filles sont plus lentes, c’est peut-être vrai, on est moins rapides. Mais on est beaucoup plus basées sur la technique. Je trouve que l’on se rapproche plus d’un foot des années Platini. », précise Lucile Nicolas. Moins sensationnel mais plus agréable, en somme.

Pour Mélissa Plaza, ancienne joueuse internationale – passée par Montpellier, Lyon, Guingamp, elle a fini sa carrière à Saint-Malo et s’est aujourd’hui installée à Rennes pour co-fonder une entreprise de conseils en matière d’égalité femmes-hommes (lire son interview, en fin de dossier) – la différence réside dans les moyens que l’on attribue aux femmes et aux hommes.

Parce que pour elle, les règles, la taille des terrains et des cages, les ballons, etc. sont identiques pour elles comme pour eux. Et s’agace d’ailleurs d’entendre parler de « foot féminin », comme s’il s’agissait d’une autre discipline. Rien ne devrait donc distinguer la pratique des hommes à celle des femmes. Sauf que ce sport, comme bien d’autres également, est encore pensé au masculin.

Plus d’argent, plus de visibilité, plus de médiatisation, plus de spectateurs-trices dans les tribunes et devant les écrans. Le match d’ailleurs qui opposa l’équipe de France à l’équipe de Grèce en juin 2016 au Roazhon Park reste gravé dans les mémoires, non pas pour les performances sportives mais pour le record d’affluence qu’il a généré. Que plus de 24 000 personnes se soient réunies pour supporter les footballeuses est encore de l’ordre de l’exceptionnel.

Même après 15 – 20 ans de développement des sections féminines, on sent toujours la réticence des mentalités. Et quand la Fédération Française de Football secoue ses troupes, nombreuses sont les voix qui protestent. Comme en Normandie, où Paul Hellouin râlait en 2015 :

« Si on a une équipe de filles, cela implique d’avoir des vestiaires dédiés, des frais liés aux déplacements, c’est tout un coût humain et matériel à mettre en place. »

TOUJOURS AU SECOND PLAN

Autre cas de figure avec le Stade Rennais, un des derniers clubs à très haut niveau à ne pas avoir constitué d’équipe féminine. Pourtant, l’Histoire a prouvé que c’était possible puisqu’entre les deux guerres puis à nouveau dans les années 70, les femmes jouaient sous les couleurs rouges et noires. L’absence de section à destination des joueuses laisse le milieu rennais dubitatif et provoque l’incompréhension.

« Je peux concevoir qu’on n’aime pas le foot en général mais pas qu’on n’engage pas d’équipe féminine. Et franchement, vu les résultats des gars, ce serait une bien plus belle vitrine pour le SRFC. Vraiment, ça attire pas mal de monde ! Je ne comprends pas… Comme Lorient qui a une section féminine mais n’en fait rien. », soulève Lucile, loin d’être la seule à le penser et à le dire.

Pour l’instant, rien n’est officiel mais depuis un an, le Stade Rennais a annoncé y réfléchir et avoir même un projet dans les cartons. Le rapprochement, scellé par un partenariat à l’heure actuelle avec le CPB Bréquigny, serait peut-être une manière de le concrétiser, c’est en tout cas ce que laisse entendre le quotidien 20 Minutes Rennes, dans un article daté du 26 septembre 2017. Aucune confirmation ne nous sera donnée par le club.

« C’est encore en négociation. Il n’y a rien de nouveau à déclarer depuis l’année dernière. La direction refusera de vous répondre à ce sujet. », va-t-on nous répéter par téléphone du côté du Stade Rennais.

Pour Maude Corfmat, c’est la preuve « que l’on croit moins en les filles. » Les inégalités infusent donc dans tous les secteurs de la société et doivent être brisés. Nécessairement par la formation des professionnel-le-s et l’éducation à l’égalité mais aussi par l’exemple et les volontés politiques des dirigeant-e-s.

« On se pose toujours la question de pourquoi on passe après. », confie Maude. Elle fait ici référence à un dysfonctionnement constaté lors de notre venue à l’entrainement. Un mardi soir, le terrain est occupé par les hommes qui n’ont pas terminé de disputer leur match. Il est presque 20h et l’entrainement des joueuses va commencer sur le bord du terrain.

C’est derrière les cages qu’elles passeront les 20 minutes d’échauffement avant de pouvoir poursuivre sur le terrain qu’elles partagent avec l’équipe B. Quelques jours plus tard, le dimanche 22 octobre précisément, l’équipe A a rendez-vous à 13h30 pour le coup d’envoi contre Brest. Dans la semaine, l’horaire change. Elles joueront à 12h30.

Cela pourrait rester banale et de l’ordre de l’anecdotique, mais la raison invoquée nous fait tiquer : « Les garçons jouent juste après et si on n’avance pas d’une heure, ils devront s’entrainer sur un terrain plus petit, c’est moins pratique. » Laisser les joueuses débuter sur le bord du terrain ne serait donc pas grave, en tout cas, pas autant que faire s’échauffer les joueurs sur un terrain pas à la taille standard ? On a du mal à comprendre.

Et encore plus de en observant que les stands et la musique sont installés seulement à partir de la deuxième mi-temps. Ou alors est-ce que parce qu’ils le sont simplement en vue du match des hommes ? Pour Marion Darcel, il n’y a pas lieu d’y voir là le signe d’une quelconque disparité. Pas convaincue, elle tente tout de même de nous expliquer :

« Je crois que c’est parce que c’était dans le cadre de la coupe de France, il faut un donc un minimum de temps et de conditions pour se préparer. Ça aurait l’inverse, ils auraient fait la même chose pour nous. Et puis, ça ne nous change rien de commencer une heure plus tôt. Sauf pour les filles de Brest qui ont dû partir une heure plus tôt… On peut toujours faire mieux mais à Bréquigny, on a quand même de la chance, au niveau communication, infrastructures, en visibilité en étant en ouverture des gars… »

On est moins optimistes qu’elle. Surement parce qu’on a du mal à sentir les encouragements de l’équipe masculine pour leurs homologues féminines. Du mal à sentir l’engouement du peu de public pour le jeu qui se déroule sous nos yeux, alors que le CPB Bréquigny se fait dominer lors de la première mi-temps et remonte peu à peu jusqu’à finir par s’imposer 1 – 0.

« Ce sont nos familles et ami-e-s principalement qui viennent nous voir et nous soutenir. Je pense que pour les garçons, on peut plus facilement aller voir le match sans connaître quelqu’un, tandis qu’on ne le fera pas pour les filles. »
pointe Lucile Nicolas.

SEXISME ORDINAIRE POUR LES FOOTBALLEUSES

Moins médiatisées parce que soi-disant moins spectaculaires, elles sont donc moins visibilisées et moins reconnues pour leurs qualités et compétences de joueuses que les hommes. Pour les deux footballeuses à l’US Saint-Malo (équipe en D2), Arianna Criscione (ancienne joueuse internationale), 32 ans, et Romane Enguehard, 18 ans, le sexisme est omniprésent dans le milieu du ballon rond. 

« Quand tu commences à jouer et que tu es une fille dans une équipe de garçons, tu as forcément la remarque des adversaires disant « ah il y a une fille en face, ça va être facile » ! Une fois sur le terrain, tu leur remets les idées en place ! », rigole Romane, non sans une pointe d’amertume. Et de fierté, aussi. Pour Arianna, ce qui la surprend à chaque fois, c’est cette façon qu’ont les hommes de vouloir sans cesse se mesurer aux femmes.

« Dès que tu dis que tu fais du foot, forcément, ils veulent jouer contre toi. Pour se rassurer et se dire qu’ils sont meilleurs, même quand ils ont un niveau déplorable. Tu te dis qu’ils ne feraient jamais ça avec un joueur du Stade Rennais ! En plus, comme je suis gardienne, ils veulent toujours faire le penalty contre moi. Je ne comprends pas ! », explique-t-elle, stupéfaite.

« C’est la culture dominante, c’est très long pour changer les mentalités. Il faut continuer à se battre et faire attention aux remarques, encore nombreuses, faites par les commentateurs à la télé sur le physique des footballeuses. », commente Camille Collet, animatrice sportive au Cercle Paul Bert. Si vers l’âge de 12 ans, elle commence le foot, elle se voit contrainte d’arrêter à cause d’une tendinite au genou.

« J’ai repris du côté de l’arbitrage, ça m’a énormément appris mais deux ans à côtoyer les terrains, ça m’a vraiment donné envie de m’y remettre. », sourit-elle. Plusieurs années durant, quatre exactement, elle joue auprès de l’équipe A du CPB Bréquigny mais l’investissement requis n’est finalement pas compatible avec le temps qu’elle a, effectuant à ce moment-là sa thèse sur le socio-sport en territoire rennais.

Ainsi, elle remarque que les équipements sportifs urbains ne sont pas adaptés aux femmes : « Qui dit foot, dit hommes et jeunes garçons. Les structures ne sont pas faites pour accueillir un public féminin. Encore moins du côté des adolescentes. Encore encore moins dans les quartiers. Il faut des équipements sportifs ouverts mais il faut réfléchir, comme c’est le cas me semble-t-il à Bordeaux, à les aménager autrement. Moi-même sur un stade où il y a 30 mecs, j’aurais du mal à y aller… »

ÉLOIGNÉES DE LA PRATIQUE SPORTIVE

Elle n’est pas la seule à constater que les jeunes femmes, à l’âge de l’adolescence, s’éloignent de la pratique sportive. Sans doute parce que la puberté intervient, faisant d’elles physiquement des femmes, par conséquent écartées de tout ce que l’on considère comme réservé aux hommes. Mais les femmes plus âgées sont nombreuses à préférer les sports individuels et à ne pas oser se lancer dans un sport collectif.

À plusieurs, entre amies, elles s’entrainent et se motivent, mais seules, les choses sont plus compliquées. Alors, avec quelques unes de ses coéquipières de Bréquigny, elles fondent le collectif Le Ballon aux Filles et organisent chaque année – le dernier week-end de mai 2018 célèbrera la 5e édition - un tournoi gratuit et réservé aux femmes, licenciées ou non, dans un quartier prioritaire de Rennes (Blosne, Maurepas, Cleunay, Bréquigny, Villejean).

L’idée étant de faire découvrir le football via cet événement qui propose certes une compétition mais surtout un moment de partage et de loisirs. Pour démocratiser et valoriser la pratique féminine, en cassant les stéréotypes sexués de la société.

« On organise des actions de sensibilisation en parallèle. La première année, on a travaillé avec Liberté Couleurs. On avait fait une initiation au foot pour les filles non licenciées et elles sont restées pour le débat ensuite qui leur a permis de parler des inégalités entre les filles et les garçons dans le sport et la société en général. On a eu envie de lancer ça parce que bien que Bréquigny soit une des plus grosses sections, il n’y avait pas tellement de tournois féminins. Mais on ne voulait pas d’un tournoi classique, on voulait aller plus loin dans la démarche, parce que certaines licenciées également étaient confrontées à des freins. », analyse Camille.

L’objectif est multiple : amener les filles et les femmes à chausser les crampons et prendre du plaisir d’avoir osé et d’avoir jouer ensemble. Et faire prendre conscience aux garçons et aux hommes – qui arbitrent les matchs afin de les impliquer - que le sexe féminin n’est en rien un obstacle à la pratique sportive.

Au fil des années, les joueuses de l’association ont développé des actions en amont du tournoi. Des actions qui favorisent la découverte du football, la création du lien social et la lutte contre les préjugés sexistes. Et étant conscientes que dans les quartiers prioritaires comme en zone rurale, les filles sont peu nombreuses à pratiquer un sport à l’instar de la répartition filles/garçons dans l’espace public, elles ont la volonté forte d’amener le sport jusqu’à elles.

Une initiative qui affiche un bilan positif avec l’inscription de 80 à 150 filles par an en club, le versement des recettes reversées au projet Amahoro – projet humanitaire et solidaire en direction de Madagascar – ainsi que l’engagement participatif d’une vingtaine de bénévoles sur chaque tournoi et l’investissement des garçons au coude-à-coude avec les filles qui foulent le terrain. Ainsi, elles investissent les pelouses mais aussi les espaces de débat et les établissements scolaires à Rennes.

« J’ai rejoint le collectif parce qu’il donne la parole aux femmes et qu’il organise un événement qui permet à tout le monde de se sentir concerné-e. Et c’est important aussi parce que le sport féminin manque vraiment de promotion. Au foot, on est davantage mises en avant que dans d’autres sports. On a la « chance » d’être plus médiatisées mais ce n’est pas suffisant. », insiste Marion Darcel.

QUELLES REPRÉSENTATIONS DES JOUEUSES ?

Pas suffisant, en effet. Et surtout, que montre la médiatisation ? Une image caricaturale de la femme sportive. Celle qui adopte tous les comportements masculins pour être acceptée. Phénomène nouveau, on assiste maintenant à l’ascension de la « sportive féminine ».

Celle qui répond sur le terrain aux injonctions de la société quant à l’idéal de beauté. En mars dernier, à l’occasion de son passage à Rennes, Catherine Louveau, sociologue et professeure en STAPS à l’université de Paris Sud, soulignait que depuis plusieurs années les membres de l’équipe de France apparaissaient sur le terrain, bien apprêtées, maquillées et coiffées. Comme obligées de justifier qu’elles sont des femmes.

« Parce qu’elles ont compris que c’était comme ça qu’elles allaient être médiatisées », déplore-t-elle. Les médias et commentateurs doivent également prendre part à l’évolution des mentalités. Par exemple, ne plus faire de distinction, en presse régionale, entre les hommes à qui l’on attribue les pages Sport (pour les journalistes et pour les sujets) et les femmes à qui on laisse un espace restreint dans les pages locales.

Hiérarchiser l’information selon les performances sportives et non selon le sexe de l’athlète. Ou encore arrêter de parler « de nos petites Françaises » lorsque l’on est payé-e-s à commenter un match. Et surtout, arrêter de mentionner leurs physiques à la place de leur manière de jouer.

Sans surprise, on manque de représentations réelles et réalistes. Et les femmes ne s’y retrouvent pas. C’est bien là le propos des Dégommeuses :

« D’une part, différents clichés et fantasmes ont encore cours sur les équipes de sport collectif féminin comme possible lieu de conversion à l’homosexualité. D’autre part, pour promouvoir le foot féminin, les clubs et fédérations ont tendance à axer leur communication sur une image univoque de la sportive conforme aux normes de genre (féminine, sexy, ayant forcément une vie de mère de famille en dehors du foot) et à dévaloriser toutes celles (lesbiennes, bi, trans mais aussi hétéro) qui ne se retrouvent pas dans ce modèle. La volonté de séduire et rassurer à tout prix les spectateurs et les parents des jeunes joueuses instaure en outre des formes d’injonction au silence pour les joueuses lesbiennes et de déni face aux comportements lesbophobes qui existent pourtant tout autant dans le foot féminin que masculin. D’où la nécessité de créer des espaces permettant de faire évoluer les représentations et d’engager un dialogue autour du respect de la diversité et des bienfaits de l’inclusivité. »

UNE AUTRE MANIÈRE D’ENVISAGER LE FOOT

Et la dernière phrase fait parfaitement écho aux actions du collectif Le Ballon aux Filles. Et à ce qui en découle. À savoir l’accès à toutes les filles et femmes, notamment dans les endroits où elles en sont le plus éloignées. Mais le tournoi a également donné lieu à la création d’un créneau loisirs de futsal dans le quartier du Blosne.

« Lors de la 2e édition, une femme de 38 ans est venue parce qu’elle avait envie de jouer. Depuis elle vient chaque année et c’est elle qui m’a parlé de développer le futsal ici. L’an dernier, il y avait 24 filles entre 15 et 40 ans et cette année, j’en ai 20. On n’est pas du tout sur de la compétition mais vraiment sur de la découverte, de l’initiation et du plaisir. Et ça brasse large ! Des mamans, des lycéennes, des étudiantes, des femmes qui travaillent ou non, des femmes voilées, des habitantes du quartier ou non. », souligne Camille Collet.

Cette femme de 38 ans - maintenant de 40 ans - c’est Aïcha El Aissaoui. Passionnée de foot depuis toujours, elle n’a jamais joué dans un club. « J’ai toujours été à fond. Petite, je dormais avec le ballon, je ne pensais qu’à ça. Et j’ai failli en faire, au collège, on m’avait remarquée. Mais pour ma mère, une fille, ça ne faisait pas de foot, ça faisait la cuisine, la couture, etc. Le mercredi après-midi, je baratinais pour aller aux rencontres sportives et mon frère me couvrait. », se souvient en rigolant l’aide auxiliaire puéricultrice.

Aujourd’hui, elle a transmis sa passion à son fils et à sa fille et encourage « toutes les jeunes femmes, de toutes les cultures, de toutes les religions à faire du foot. » Ici, pas de jugement, seulement des femmes qui s’éclatent 2h par semaine : « Ensemble, on va voir les matchs du Stade Rennais, on a été voir le match France – Grèce, c’est génial, c’est que du bonheur. C’est convivial, on joue pour le plaisir et pas pour la gagne. »

Même discours du côté de Soraya (prénom modifié à sa demande), 25 ans, mère au foyer :

« Au Maroc, je jouais avec tout le monde. Avec les filles, avec les garçons, on passait notre temps à ça après l’école ! J’aime jouer et entre femmes ici, c’est très bien aussi. »

SE SENTIR À L’AISE

Le futsal se pratique dans un gymnase, à l’abri des regards, et c’est ce qui a plu à Julie Shaban, 16 ans. Auparavant, elle a joué au CPB Blosne, dans une équipe mixte.

« Ma sœur est fan de foot et elle m’a transmis cette passion. Je suis plus à l’aise dans un gymnase, parce que je n’aime pas qu’on me regarde, et dans une équipe de filles, je préfère. J’ai eu quelques réactions de la part de mes parents qui m’ont dit « t’es une fille, comporte toi comme une fille », je les écoute, ce sont mes parents mais ça n’enlèvera pas le fait que c’est ma passion et que si je peux, ça me plairait bien d’être coach, comme Camille. Mais je ne pense pas en faire mon métier, elles ont des vies compliquées les footballeuses, j’aime que ça reste une passion. », explique la lycéenne en 1ère STMG, incapable de garder son sérieux dès lors qu’elle regarde sa copine, avec qui elle vient tous les vendredis soirs.

L’ambiance est légère et joyeuse. Entre exercices techniques, petits matchs par équipe de 3 sur moitié de terrain, puis matchs par équipe de 5 sur l’intégralité de la surface, elles ne chôment pas pour autant. Et c’est bien ce que recherche Claire Serres, 33 ans, qui n’avait jamais fait de foot avant le mois de septembre.

« J’ai eu deux enfants coup sur coup et je voulais un sport qui me défoule ! Et en effet, on sort de là lessivées. Même si peu de gens savent que les filles jouent au foot, et encore moins au futsal, pour moi, ça redore le blason des sports collectifs en général parce qu’il y a un très bon esprit. »
sourit cette assistante commerciale.

Et ce n’est pas Pauline Meyer, 29 ans, assistante d’éducation, ou Yasmine Degirmenci, 21 ans, étudiante en BTS assistante manager, qui la contrediront. Toutes les deux jouent ou s’intéressent au foot depuis qu’elles sont enfants. Et toutes les deux s’émerveillent de toutes les belles choses que l’on peut faire avec un ballon aux pieds.

« Je trouve ça vraiment bien qu’on soit de plus en plus nombreuses à faire du foot. C’est une bonne chose de le promouvoir et de dire que tout le monde peut le faire », s’exclame la première, rejointe par la seconde : « J’aime beaucoup regarder les footballeuses de l’équipe de France, j’aime leur esprit d’équipe, je trouve qu’il est plus flagrant que celui des hommes. Ça donne envie de jouer comme elles ! »

En quelques années, le football a évolué. Dans le sens où de nombreuses sections féminines sont apparues, offrant la possibilité aux filles, adolescentes, jeunes femmes et femmes de pratiquer ce sport à côté de chez elles. Dans un cadre de compétition, de haut niveau ou de loisirs, il est vecteur de lien social et d’émancipation.

Mais les représentations stéréotypées, gravées profondément dans l’inconscient collectif, pèsent encore trop lourd dans la balance. Subsistent encore de nombreuses inégalités, notamment en terme d’équipements sportifs, de matériel, de traitements ou financiers. Fruits d’un système encore dicté par les mécanismes du sexisme…

 

Enfant, son rêve était de devenir footballeuse professionnelle. Non seulement Mélissa Plaza l’a réalisé, en jouant le milieu de terrain avec le Montpellier Hérault Sport Club, l’Olympique Lyonnais, l’En Avant Guingamp ou encore l’équipe de France, mais elle a aussi obtenu sa thèse en parallèle, axée sur les stéréotypes sexués dans le sport. À 29 ans, cette docteure en psychologie sociale a co-fondé – en décembre 2016 – le cabinet de conseils sur l’égalité femmes-hommes Queo Improve, à Saint-Grégoire, pour lequel elle dispense formations, conférences et séminaires.

Enfant, on vous dit que footballeuse professionnelle, ça n’existe pas, mais faire du foot, ça, c’est possible… 

Oui enfin il y avait quand même quelques réfractaires dans ma famille, ma mère ne voulait pas trop que je joue au foot. Comme mon beau-père aimait bien, c’est lui qui m’accompagnait et il était content que je joue.

À 8 ans quand vous commencez le foot, vous êtes dans une équipe mixte ?

J’avais une équipe de filles à côté de chez moi donc j’ai tout de suite joué avec elles. Mais c’est vrai qu’à l’époque, on avait souvent tendance à jouer avec les garçons car il y avait très peu d’équipes féminines. Par contre, on jouait dans un championnat de garçons, uniquement contre des garçons.

Y avait-il des réactions de leur part ?

Oui, il y avait le côté « ahhh, on joue contre des filles ». Mais en fait dès qu’on leur mettait une pâtée, ils se la bouclaient, ils avaient plutôt honte. C’était rigolo pour nous de leur mettre des branlées.

Vous avez longtemps vécu ce sexisme ambiant ?

C’est toujours d’actualité, c’est sociétal, ce n’est pas juste lié au foot. En réalité, dans le foot, toutes les inégalités sociales, tous les comportements discriminatoires que l’on peut observer en société, sont juste décuplés. Si on prend ce qui est sorti récemment sur les violences faites aux femmes, ces questions n’ont pas beaucoup été soulevées dans le contexte sportif. Les violences sexuelles, pas qu’aux femmes mais entre athlètes, les bizutages dont on ne parle jamais, ces traditions qui autorisent des dérives comportementales assez hallucinantes…

Qu’est-ce qui explique selon vous que l’on n’en parle encore moins ?

C’est un vase close. Et dans le contexte sportif, le corps est mis au service de la performance. J’ai du mal à expliquer ça mais je crois qu’on a longtemps fermé les yeux sur ces phénomènes là. C’est difficile dans certains sports, comme en gymnastique par exemple, de dire à quel moment l’entraineur dépasse la limite.

Parce qu’il peut se permettre de corriger le mouvement en touchant le bassin, en touchant les fesses, en modifiant la posture, etc. Alors à quel moment on peut dire qu’un coach, qui touche les fesses de ses joueurs ou de ses joueuses avant d’entrer sur le terrain, a quelque chose de malsain ou n’a pas d’intention derrière ? C’est assez difficile le rapport au corps que l’on peut avoir dans le domaine sportif en général. Les entraineurs ne sont pas formés à ça.

Et puis il y a des enjeux de pouvoir. Effectivement, quand on est gamins et qu’on a un entraineur qu’on adule, qu’on adore, parce qu’on veut performer et qu’on veut devenir le meilleur ou la meilleure, forcément ça peut mener à des dérives je pense. Si on fait #balancetonporc dans le contexte sportif, il y a au moins toutes les sportives qui ont vécu une situation comme ça, et les sportifs au moins une situation de bizutage. Je ne pense pas que ce soit quelque chose de l’ordre du fait divers. C’est vraiment quelque chose de courant.

Toutes les sportives ont vécu ce type de situation, vous aussi par conséquent ?

Oui, je sais qu’avec certains de mes entraineurs, je pense qu’il y a des choses qui n’étaient pas claires, que des choses n’auraient pas du avoir lieu de cette manière-là. En particulier avec les histoires de poids, on peut vite mettre la pression outre mesure sur des jeunes filles, des jeunes femmes.

Dans le milieu du sport, il y a justement un contrôle important du corps féminin.

Oui, en effet. On est vraiment dans des injonctions paradoxales. On nous demande d’être performantes. Pour cela, il faut avoir des corps musclés, prêts à l’effort, prêts à l’impact, prêts à être rapides et endurants. Et on nous demande aussi, en tout cas la société nous demande, de correspondre aussi à l’idéal de beauté féminin, c’est-à-dire sveltes mais pas trop musclées, plutôt fines.

Ça crée beaucoup de conflit chez les athlètes. Surtout à l’adolescence. Autour de moi, j’ai connu beaucoup de filles qui ont eu des périodes d’anorexie ou de boulimie. Les troubles du comportement alimentaire, chez les garçons je ne sais pas, mais chez les athlètes femmes et particulièrement les footballeuses, j’en ai connu plein.

Concernant l’idéal de beauté féminin, Catherine Louveau – qui était venue à Rennes pour une conférence en mars sur ces fameuses injonctions paradoxales – expliquait qu’aujourd’hui on voit une équipe de France de foot féminin qui entre sur le terrain maquillée, coiffée, etc.

Dans les vestiaires, il y a beaucoup de filles qui se maquillent beaucoup avant le match, qui se lissent les cheveux avant le match alors qu’il pleut dehors et qu’elles vont probablement friser en 5 minutes. Ça pose question, oui, en effet ! On est en train de prendre tous les artifices de la féminité pour dire « ok on fait un sport masculin mais on reste des femmes ».

Comme si on avait besoin de se justifier ! Alors qu’en réalité, on peut pratiquer le sport qu’on a envie, de la manière dont on a envie, et se définir comme des femmes à part entière sans se justifier auprès de qui que ce soit. Mais je connaissais beaucoup de filles, oui, qui avant les matchs se maquillaient, se coiffaient…

À votre avis, est-ce inconscient ou se disent-elles qu’il faut absolument affirmer leur féminité ?

Parfois, c’est conscientisé, parfois pas. Je ne pense pas qu’elles maitrisent tous les mécanismes sous-jacents. Mais effectivement, il y a une volonté de répondre aux injonctions faites par la société.

Et inconsciemment, elles se rendent compte que plus elles vont correspondre à ce que l’on attend de la féminité, plus elles vont être médiatisées…

Aussi, oui, bien sûr. D’ailleurs, celles qui sont médiatisées sont souvent celles qui sont les plus jolies, les plus apprêtées. Il y a des filles qui mériteraient d’être beaucoup plus médiatisées qu’elles ne le sont. Parce qu’elles ne correspondent pas forcément à l’idéal de beauté féminin.

C’est un sujet qui préoccupe les joueuses ?

Non, je ne pense pas. Je pense qu’il n’y a pas encore de prise de conscience. Pour l’instant, on est contentes d’être médiatisées. Peu importe la raison. Ça c’est dérangeant.

C’est quelque chose qui vous a souvent interrogé au fil de votre carrière ou c’est en abordant votre thèse que la prise de conscience a eu lieu ?

En faisant cette thèse, j’ai mis des mots et j’ai compris les mécanismes du sexisme et des discriminations liées au sexe, etc. Mais j’ai aussi fait des erreurs. Quand je repense à ma campagne pour le Montpellier Hérault quand j’avais 21 ans, j’ai fait une erreur parce que je ne pensais pas que poser à moitié nue sans savoir le slogan de la banderole (« Samedi soir marquer à la culotte ») pouvait être préjudiciable personnellement mais aussi à titre collectif.

Parce que finalement on n’allait pas parler de nos performances mais juste des trois nanas qui ont posé à poil, qui sont jolies et qu’on va aller voir jouer le dimanche. Ce sont des erreurs qu’on ne réalise pas sur le moment, on pense qu’enfin on s’intéresse à nous donc il faut saisir l’opportunité.

Mais quand ma photo a été affichée en 4x3 dans tous les abribus de Montpellier, ça m’a fait bizarre. J’ai commencé ma thèse à Montpellier et mon poster était affiché dans la cafétéria où je faisais ma thèse sur les stéréotypes sexués. Volontairement, j’ai laissé ça sur le net parce que je veux aussi me souvenir que c’est par ces erreurs-là aussi que j’avance.

J’étais gamine, et on l’impression qu’enfin on s’intéresse un peu à nous, c’était piégeur parce qu’en réalité, le but c’était de vendre des abonnements pour la Mosson (Stade de la Mosson). C’était pour aller voir les garçons, ils en avaient rien à carrer de nous en fait.

Est-ce que vous voyez une évolution depuis que vous avez commencé ?

Il y a eu une évolution, c’est certain. Parce qu’il y a certains clubs professionnels, où les filles gagnent très bien leur vie. Il y a eu une évolution médiatique également mais on ne voit que les strass et les paillettes. On voit Paris, Montpellier, Lyon. Partout ailleurs la réalité est autre. Il y a des filles qui ne sont pas payées du tout, il y a des filles qui gagnent 200 euros brut par mois et qui font autant d’entrainements, qui font plus de déplacements parce qu’on n’a pas les moyens de leur payer le jet privé.

Au final, si on a avancé dans certains clubs, dans beaucoup d’autres ce n’est pas le cas. Aussi parce que comme toute situation pointée du doigt, elle doit être objectivée, avec des chiffres. Si on prend le championnat de France des garçons on est à peu près tous en mesure de dire en fonction du transfert ce que untel ou untel touche. Si on fait ça pour les filles, on ne trouve pas de salaires.

On sait à peu près, en moyenne, les salaires des filles de l’Olympique Lyonnais, mais cela ne correspond pas du tout à la réalité. Allons mettre sur la place publique un petit peu ce que ces filles touchent par mois. Il y a des filles qui ont 0 pour s’entrainer 6 à 8 fois par semaine et faire 30h de bus le week-end. Mettons un peu sur la place publique les salaires et comment sont traitées les filles parce que ce n’est pas seulement financier, c’est aussi en terme d’équipements.

Il y a des clubs qui filent 2 shorts et 2 maillots pour s’entrainer 2 fois par jour. Mais c’est bien connu les femmes aiment faire la lessive donc ce n’est pas grave, elles laveront leurs équipements ! Il y a aussi des clubs où les hommes ne veulent pas prendre le bus, donc ils prennent l’avion, mais comme il y a des sponsors, bon bah les filles elles vont prendre le bus, « c’est pas grave si vous faites 36h de bus dans le week-end, vous prendrez un jour de congé sur votre deuxième boulot qui vous permet d’atteindre péniblement les 800 euros net par mois ! ». C’est la réalité !

Et tant qu’on ne parlera pas de ce qui se passe ailleurs, effectivement on aura l’impression qu’on aura avancé. Et que de toute façon, dans notre devise c’est marqué égalité, alors on est naturellement égalitaires. Ce qui n’est pas du tout le cas ! On parle enfin des violences sexuelles faites aux femmes, des inégalités salariales, etc. Mais on en parle parce qu’on a enfin mis des chiffres et que ces chiffres sont enfin exposés et visibles.

A-t-on une idée d’où vient la responsabilité ?

Je pense que ce sont surtout des volontés politiques au sein des clubs. Il y a des dirigeants et des instances dirigeantes qui sont volontairement investi-e-s. Depuis une quinzaine d’années, voire une vingtaine, le président Aulas (président de l’OL) a choisi d’investir dans les féminines, au départ surement à perte, mais parce qu’il croyait en ces filles.

Aujourd’hui, c’est probablement la plus belle vitrine du club et il reçoit beaucoup en retour. Ça doit être des volontés politiques et pas seulement pour répondre à des quotas ou éviter de prendre des amendes. Parce qu’il y a aussi aujourd’hui encore des clubs qui préfèrent payer l’amende que d’avoir une section féminine.

On a le cas à Rennes avec le Stade Rennais.

Exactement ! Ce n’est pas un mythe, il y a encore des réfractaires, des gens qui vous disent ouvertement que les filles n’ont rien à faire sur un terrain de foot. En 2017, on entend encore ça ! C’est le quotidien.

Quand vous dites que vous avez été footballeuse professionnelle, est-ce que l’on avance dans les réactions, dans les mentalités ?

Vous savez, le problème de ces « femmes d’exception » comme on les appelle, c’est qu’elles viennent juste confirmer la règle. On les voit comme des extraterrestres finalement, on se dit que c’est un peu loin de nous tout ça et je pense que potentiellement, ça peut renforcer le stéréotype. Malheureusement.

Maintenant, c’est aussi des rencontres, des témoignages. Je sais que quand je parle de ce que j’ai vécu ou de ce que je peux vivre par moment, ça marque les gens. Certains en formation me disent « je ne pensais pas que ça pouvait être aussi violent ». Ça contribue à changer les mentalités mais ça va prendre du temps, ce n’est pas suffisant pour changer les comportements de façon durable.

C’est difficile de changer des siècles et des siècles de domination masculine. Où même les femmes peinent à reconnaître qu’elles sont dominées. C’est vraiment le combat de toutes et tous.

Ça rejoint ce que vous dites dans votre TED à propos de « garçon manqué »…

Oui, quand on me disait ça étant petite, je me disais que c’était un compliment. C’était valorisant d’être appelée comme ça alors qu’un garçon qu’on traitait de fille manquée ou d’homosexuel, parce que c’est ça qu’on dit, ce n’est pas le même statut. C’est plus tard que j’ai compris que finalement non, ce n’était pas un compliment mais une manière de rabaisser les femmes à leur rang d’inférieures et d’incapables.

La plupart des joueuses interviewées le disent encore qu’elles ont été ou sont des garçons manqués…

Et bien il faudra leur dire que ce sont des femmes réussies ! En fait, on a internalisé la domination masculine au fond de nous-même.

À propos du salaire, vous dites que vous avez commencé à 400 euros par mois…

Oui, 400 euros brut par mois. Mon premier salaire en tant que joueuse pro, à Montpellier.

Et à la fin de votre carrière ?

J’ai fini à 1500 euros net, à Guingamp. En faisant ma thèse en même temps. Une carrière qui permet de se mettre à l’abri, quoi. Qui permet de cotiser…

En tant que joueuse, que retenez-vous de votre carrière ?

Je retiens de choses positives quand même, des bons moments, des choses exceptionnelles que j’ai pu vivre, que d’aucun sur la terre pourrait vivre. Mais disons qu’il y a toujours des émotions qui sont diamétralement opposées, qui sont extrêmes. Des extrêmes déceptions, des extrêmes joies, des moments d’euphorie qu’on ne pourrait vivre dans aucun autre contexte.

Il n’y a que la victoire dans une compétition qui peut procurer autant de joie. Et en même temps, la retombée est rude. J’ai terminé ma carrière un peu contre mon gré et ça aura toujours un goût d’inachevé et d’injustice. Ce sont des émotions énormes. Je ne crois pas qu’un autre événement dans ma vie un jour puisse me procurer autant d’émotion que d’avoir gagné les jeux olympiques universitaires. Même la naissance d’un enfant sera moindre à côté.

Peut-être que je me trompe mais je pense que rien ne peut procurer autant d’émotion que le sport. La preuve en est que des gens vivent cette émotion par procuration. Ils ne vivent pas l’entrainement intense, la compétition, les efforts que ça demande mais arrivent à exulter au moment de la victoire. Vous pouvez imaginer ce qui se passe dans nos têtes. Enfin je ne sais pas si ça s’imagine…

Ça se voit en tout cas…

Oui, ça se voit. C’est juste dément. Et il n’y a rien qui puisse procurer ça ailleurs. Enfin, je ne pense pas.

Qu’est-ce que vous voulez dire aux jeunes filles, jeunes femmes, femmes qui n’osent pas ?

Je leur dirais de faire du sport en général parce que c’est important pour la santé et tant qu’on n’aura pas un égal accès au sport entre les femmes et les hommes, on n’aura pas un égal accès à la santé. C’est très important pour moi. La deuxième chose, c’est l’accès à la confiance en soi. Aujourd’hui, les filles et les femmes ont beaucoup moins confiance en elles que les garçons et les hommes.

Pour moi, le sport est un vecteur de confiance en soi, un vecteur d’émancipation et je pense que c’est un vecteur indispensable pour permettre aux femmes de se sentir épanouies et de ne pas avoir peur de faire des choses, de ne pas avoir peur de rebondir après un échec, etc. Je pense que le sport est une clé. On en parle souvent de manière générale pour les jeunes dans les quartiers mais on n’en parle pas assez pour les femmes.

Ça rejoint un peu le travail de Nicole Abar.

Tout à fait.

Quand avez-vous co-fondé votre entreprise Queo Improve ?

Fin décembre 2016. L’objectif, c’est de faire des conférences, des formations sur l’égalité, dans toutes les structures qui souhaitent s’améliorer sur ce plan là. Ou ce sont des entreprises qui sont contraintes législativement, ou des entreprises qui ont envie de s’investir dans le sujet, ou des collectivités territoriales, des collèges, des lycées…

Partout où il y a des gens qui ont la volonté de faire bouger les choses. Il y en a, tout comme il y en a qui ne réalisent pas l’importance de l’égalité et de la mixité au sein de leur structure et qui là en prennent conscience donc c’est bien. D’autres ne sont pas prêts à se faire ouvrir les chakras. Ça prendra du temps parce que toute la société évolue parallèlement.

Comment vous vous y prenez justement ? Par le démarchage ?

Oui, on démarche mais c’est aussi beaucoup par le bouche à bouche. A la suite d’une conférence, les gens se disent « Tiens j’ai déjà vu cette nana là, elle est super, elle aborde les choses différemment, tu devrais la voir ». Il y a du démarchage mais c’est beaucoup les gens qui viennent me chercher parce qu’ils ont vu mon TED, pour me faire intervenir sur l’égalité, sur la motivation, sur comment booster ces équipes, comment manager une équipe.

Vous avez des clients dans le milieu sportif ?

J’ai pas mal de collectivités qui veulent se lancer dans le sujet des violences dans le sport, la prévention des stéréotypes. À l’heure actuelle, je n’ai pas encore de clubs mais pour moi, ce qui m’apparaît essentiel, ce serait d’intégrer un module lié à l’égalité dans les diplômes d’état. Ce qui n’existe pas à l’heure actuelle.

Tant que l’on n’aura pas ça et que l’on n’aura pas des gens en mesure de donner ces formations, faire comprendre à ceux qui vont former et qui vont entrainer plus tard les gens que c’est incontournable, on n’avancera pas. On ne peut plus parler des filles comme on le faisait avant. Dire le « foot féminin », c’est faux. C’est du foot.

Le football au féminin n’est pas différent du football au masculin. Ce sont les mêmes règles, les mêmes buts, les mêmes ballons (des gens me demandent encore si on joue avec les mêmes ballons), les mêmes distances, la même longueur de but ! Informer les gens que, putain, c’est le même sport ! On part juste avec 50 – 60 ans de retard.

Donc oui aujourd’hui ça paraît plus lent mais pensez qu’aujourd’hui on a 40 caméras de moins, beaucoup plus de retard parce qu’on a commencé il y a moins longtemps, parce qu’on n’a pas d’école, pas d’entraineur, pas de staff compétent, pas d’équipement, faut penser à tout ça.

Donnons aux femmes et aux hommes les mêmes chances et ensuite on pourra éventuellement calculer par les différences biologiques les différences dans les performances. Faisons ça déjà !

 

 

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