Célian Ramis

Maison des naissances : liberté de choisir

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Dans l'obstétrique française, quelle place accordons-nous au respect de la physiologie et à la liberté des femmes à disposer de leurs corps ? À Rennes, la clinique de la Sagesse ouvre le premier pôle physiologique de la capitale bretonne.
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Les progrès de la médecine sont fascinants et incontestables. Et le secteur de l’obstétrique, visant l’étude et la prise en charge de la grossesse et de l’accouchement, ne fait pas exception. Depuis la deuxième moitié du XXe siècle, techniques et connaissances se sont multipliées et développées. En parallèle, les années 60 et 70 ont vu les combats féministes faire avancer les droits des femmes et évoluer vers une libération des corps de la gent féminine.

Mais concernant les questions qui régissent la grossesse, l’accouchement et la maternité, rien n’est jamais acquis. Alors qu’on parle aujourd’hui de surmédicalisation, qu’en est-il du choix ? et de l’écoute de son propre corps ? du respect de la physiologie ? À l’heure où certaines villes françaises se dotent de Maisons de naissances dans le cadre d’une expérimentation, un « Pôle physiologique » ouvre ses portes à Rennes, à la Clinique de la Sagesse.

La grossesse rendrait les femmes rayonnantes, l’accouchement serait un calvaire insurmontable sans péridurale et les kilos pris les derniers mois avant la délivrance seraient compliqués à perdre… Bon nombre d’idées reçues, d’angoisses et d’injonctions planent autour du trio grossesse-accouchement-post partum. Pour pallier aux inquiétudes, la réponse est (trop) souvent médicale.  Si les 60 dernières années ont été révolutionnaires pour l’obstétrique en France, quelle place accordons-nous à la physiologie et à la liberté des femmes à choisir et à disposer de leurs corps ?

« J’augmenterai la souffrance de tes grossesses, tu enfanteras avec douleur… » Voilà un programme réjouissant ! Si les interprétations du texte sacré sont multiples, l’enfantement dans la douleur reste gravé dans les esprits. Tout comme l’idée que l’essence même de la Femme résiderait dans sa vocation à donner la vie et élever sa future progéniture, assurant ainsi la survie de l’espèce humaine.

Pourtant, à l’aube des années 1950 survient sur la scène de l’obstétrique « l’accouchement sans douleur », une méthode visant à allier respiration et contractions, avant que ne soit créée l’anesthésie péridurale - controversée dans les années 80 car elle serait alors trop dosée, ne laissant pas la possibilité aux femmes de ressentir le processus. En 2010, 77% des accouchements ont été effectués sous péridurale, selon la Direction de la recherche, de l’évaluation et de la statistique.

Entre temps, les féministes se sont battues pour que les femmes disposent librement de leurs corps. Et pour que les femmes ne subissent plus la doctrine de l’enfantement avec douleur. Pourtant, depuis plusieurs années, certaines futures ou jeunes mères dénoncent parfois la surmédicalisation du parcours et des violences obstétricales subies, le plus souvent, au moment de l’accouchement.

Créé en 2003, le Collectif interassociatif autour de la naissance (Ciane) veille particulièrement à la parole et aux ressentis des femmes, tout en maintenant la volonté forte de dialoguer avec les professionnel-le-s de la santé – qui ne sont pas à blâmer en toutes circonstances, précise la structure – afin de faire évoluer les pratiques et diminuer la souffrance de celles qui viennent d’accoucher.

Une souffrance qui relève davantage de l’ordre du psychologique que du physique, même si l’enquête réalisée en novembre 2013 sur « Episiotomie : état des lieux et vécu des femmes » révèle des douleurs corporelles non négligeables. Cette étude apporte un éclairage important et significatif sur la gestion médicale de l’accouchement.

INFORMATIONS ET CONSENTEMENT

Le Collectif a recueilli les réponses de plus de 10 000 femmes ayant alors accouché dans les dix dernières années. L’épisiotomie, depuis le début des années 2000, fait l’objet de fortes interrogations. En 2005, le Collège national des gynécologues obstétriciens français publie ses recommandations sur la question, « dans lesquelles il prend acte qu’il n’y a pas d’indications prouvées à l’épisiotomie systématique et définit un objectif de 30% de taux national, au lieu de 47% à l’époque (2002-2003). Le Ciane était en désaccord avec ce taux objectif qui n’était étayé par aucune étude scientifique : au même moment, en Suède et en Grande-Bretagne, les taux d’épisiotomie étaient respectivement de 6% et de 13%. »

L’enquête montre plusieurs points d’évolution des pratiques, comme la liberté de déplacement pendant le travail, dont la proportion de femmes concernées a augmenté aux alentours de 50% (mais serait en stagnation depuis 2007), la possibilité de choisir sa position pendant le travail, dont bénéficient 6 femmes sur 10 ainsi que la liberté de choisir sa position pendant l’expulsion.

Toutefois, ce dernier point ne concerne qu’un tiers des femmes et stagne également depuis 2007. Dans l’ensemble, le choix est davantage donné aux « multipares » - terme qui désigne celles qui ont déjà eu un ou plusieurs enfants – qu’aux « primipares » - désignant ici celles qui donnent la vie pour la première fois. Les chiffres de l’étude démontrent alors que le recours à l’épisiotomie sera moindre dans les cas où les femmes ont été libres de se déplacer, choisir leurs positions lors du travail et de la délivrance.

Des libertés que les équipes médicales doivent parfois bafouer de par l’urgence et/ou les complications pouvant survenir lors de l’accouchement. Néanmoins, le Ciane conclut à ce niveau : « Il y a de nombreux facteurs qui peuvent interférer avec ce lien : une maternité qui a une politique tournée vers le respect de la physiologie pourra favoriser à la fois la liberté de mouvement et la restriction des épisiotomies. Cependant, il semble raisonnable au vu des résultats contrastés que nous présentons d’encourager au maximum la liberté de position et de mouvement tout au long de l’accouchement. »

Autre élément mis en lumière dans le document, et dont les témoignages peuvent bouleverser la sensibilité : 85% des épisiotomies sont réalisées sans le consentement de la femme concernée. Un chiffre qui n’a pas évolué depuis 2005. Chez les multipares, il est demandé à au moins un quart des femmes, tandis que chez les primipares, il n’est demandé qu’une fois sur 7 ou 8.

« Les femmes sont de mieux en mieux informées sur l’épisiotomie par les professionnels de santé. Seule 1/3 d’entre elles avant 2005 estimaient avoir reçu assez d’information, contre 59% en 2010-2013. Malgré ce progrès, elles sont encore 12% à estimer avoir reçu insuffisamment d’information et 29% à ne pas en avoir reçu. Une très petite proportion dit avoir reçu trop d’informations. », souligne le rapport qui signale également un lien intrinsèque entre l’information et la demande de consentement, les femmes les plus avisées étant généralement celles à qui on demande le plus souvent l’autorisation d’agir.

Enfin, le Ciane établit un lien entre la souffrance déclarée de 75% des femmes (ayant subi une épisiotomie) et l’absence de demande de consentement. « Il y a au moins deux explications à envisager : le ressenti de souffrance dépend de la manière dont la femme a été traitée, et la demande de consentement fait partie des bons traitements ; les équipes plus respectueuses du consentement seraient aussi celles qui seraient les plus attentives aux suites de l’épisiotomie. »

En parallèle, les mêmes questions ont été posées à des femmes « qui ont démarré (le travail) dans un espace particulier de l’établissement (espace / pôle physiologique, maison / pavillon de naissance). » Résultat : « Le taux d’épisiotomie est de 31% pour les primipares (contre 47% pour la moyenne des établissements), et de 13% pour les multipares au lieu de 16%. »

RECONNAITRE LES VIOLENCES

Malgré de nombreux témoignages concordant vers le constat de réelles violences obstétricales, le Ciane nuance : les violences volontaires seraient extrêmement rares. Les cas révélés relèvent davantage d’une violence dite ordinaire, qu’il est important de porter à la connaissance du grand public, via les réseaux sociaux et la presse, pour une prise de conscience générale.

Et l’affaire du « point du mari » en est la preuve (affreuse et) incontestable ! Et le Collectif propose, au titre d’une évolution efficace, des formations afin de décrypter, analyser et déconstruire ces faits, auprès des professionnel-le-s de la santé. Ancienne psychomotricienne, Christiane David est sage-femme à la Clinique mutualiste de La Sagesse, à Rennes, depuis 1992. Si elle n’a jamais entendu de la bouche des femmes le terme formel de « violence », elle est convaincue que des situations peuvent être ressenties comme tel.

« Par exemple, dans les cas de césarienne non prévue, des femmes vont trouver ça violent, d’autres non. L’accompagnement qu’on leur donne peut modifier ce vécu. Parfois, on ne se rend pas compte mais les mots que l’on emploie sont terriblement violents pour ces femmes. Notre rôle est de transformer cette expérience en quelque chose d’humain, de partageable. Il est important que celle qui le formule soit reconnue dans le fait que c’était difficile. On va pouvoir être à ses côtés. Mais pour cela, il faut du temps et le temps fait défaut dans le milieu hospitalier. Et c’est ça, véritablement, qui forme la violence. Quand quelque chose nous fait violence, il ne faut pas se laisser faire, il faut le dire, merde ! », se passionne-t-elle.

Lors des dix dernières années, elle a lutté, aux côtés d’autres sages-femmes, de parents et de futurs parents, pour la création d’une Maison de Naissance, à Rennes. C’est pour cela qu’a eu lieu en 2003 la création de l’association MAISoùnaitON ?.

POUR QUI, POUR QUOI ?

En réaction à la surmédicalisation de la grossesse et de l’accouchement, plusieurs femmes et sages-femmes ont souhaité, dans les années 70, reprendre le contrôle sur cet aspect-là de leurs vies (et bien d’autres, par ailleurs) et se les réapproprier. La maison de naissance se base sur l’écoute et le respect de la physiologie, proposant un espace autonome et indépendant intégralement dirigé par des sages-femmes.

Les femmes sont alors suivies par une ou plusieurs professionnel-le-s de la structure du début de leur grossesse au post-partum, en passant par l’accouchement naturel. « Les femmes qui sont intéressées par ce système-là sentent que la médicalisation aliène leurs corps. Il ne s’agit pas d’opposer « l’accouchement sans douleur » et « l’accouchement avec douleur », pas du tout, ce n’est pas la question. Elles ne revendiquent pas de souffrir mais de vivre ce qu’elles ont à vivre. Elles veulent avoir le choix, ne pas s’en remettre à une surmédicalisation quand il n’y en a pas besoin. Parce qu’évidemment, on ne crache pas dans le bénitier, il y a parfois besoin de passer par là en cas de pathologie. », explique Christiane David.

Rencontrer les professionnel-le-s (présent-e-s le jour de l’accouchement), tisser des liens, construire une relation de confiance et aboutir à un accouchement simple, tel est le souhait formulé par les futurs parents.

OUI, MAIS…

Depuis 1975, les Maisons de Naissance se sont développées aux États-Unis. Ainsi, le Collège américain des gynéco-obstétriciens se penche régulièrement sur la question de la physiologie et en février 2017 publie, dans le magazine Obstetrics and Gynecology, son Plaidoyer pour un accouchement physiologique :

« L'équipe obstétricale peut aider les patientes à accoucher de manière physiologique en ne faisant appel qu'à un nombre limité d'interventions, ce qui a toutes les chances d'augmenter la satisfaction des parturientes. De nombreuses pratiques passées dans la surveillance de routine ne présentent qu'un bénéfice limité ou incertain pour les femmes en travail spontané et sans risque particulier, et les décisions devraient être le plus souvent partagées entre la patiente et les professionnels. »

L’article liste alors certaines interventions inutiles, comme l’admission trop précoce en salle d’accouchement, l’utilisation du monitorage en continu ou encore la perfusion intraveineuse en continu et recommande à « l'équipe obstétricale qui entoure les parturientes en travail spontané à terme sans risque particulier (de) s'interroger sur la pertinence de ses interventions et les choisir avec discernement en tenant compte du bien fondé de celles-ci ainsi que de l'avis de la patiente, et s'habituer à une approche moins interventionnelle de l'accouchement. »

Dans les années 80, plusieurs pays en Europe, à l’instar de la Suisse, l’Allemagne, la Belgique ou encore la Grande-Bretagne, vont s’équiper également de Maisons de Naissance, allant même jusqu’à créer un réseau européen. Au Québec aussi, il en existe et une dizaine de nouvelles structures est en cours d’installation selon un plan de périnatalité 2008 – 2018.

Pour la France, c’est une autre paire de manches. Les modes « alternatifs » d’accouchement, comme les Maisons de Naissance ou l’accouchement à domicile, étant régulièrement décriés ou discrédités, à coups d’arguments sécuritaires et sanitaires. Des arguments rapidement démontés par les sages-femmes et les structures déjà existantes montrant que les suivis de grossesse et les accouchements concernés ne se font pas sans un maximum d’indicateurs positifs et de solutions en cas de complications.

Pourtant, les mentalités évoluent doucement et ce n’est que très récemment qu’une loi a autorisé l’expérimentation de 9 Maisons de naissance en France (lire encadré), dont la structure rennaise ne fait pas partie. « Les Maisons de Naissance doivent avoir un statut particulier. Et clairement, elles doivent être encadrées par des sages-femmes libérales. Sauf que les consultations de suivi de grossesse et d’accouchement ne suffisent pas à les faire vivre, ce qui les oblige à faire des dépassements d’honoraires, regrette Christiane David, loin de jeter la pierre à ses collègues en libéral. Nous, dès le départ, on a souhaité se mettre à l’écart de ce fonctionnement car nous tenons à ce que ce projet soit accessible à tou-te-s. Et avec des dépassements d’honoraires, ce n’est pas possible. Les familles nous ont soutenues pour que l’on puisse rester sur la ligne intra hospitalière. »

Depuis 2004, l’association MAISounaitON ? organise, en collaboration parfois avec Liber’Naitre, des conférences, des ateliers et des réunions d’informations. Sur les Maisons de Naissance mais aussi sur toutes les questions concernant l’accompagnement global, la liberté de choisir, la liberté de mettre son enfant au monde là où on le souhaite et comme on le souhaite, sur la langue des signes pour les bébés ou encore sur la question très importante de la gestion de la douleur, sujet tabou et angoissant pour un certain nombre de femmes.

Il a fallu batailler pour défendre le projet, rencontrer les élu-es – « Nous avons rencontré des élues qui étaient des femmes issues de 68 et qui ne comprenaient pas cette histoire d’accouchement sans péridurale car elles s’étaient battues pour la libération du corps des femmes et contre le « tu accoucheras dans la douleur », se souvient la sage-femme qui livre cette anecdote avec un grand sourire aux lèvres. On a discuté et échangé. Même si on ne partage pas la même vision, on a pu partagé nos points de vue. » - et convaincre l’institution de s’engager. Le combat a été long et éprouvant : « On a cru que ça allait s’arrêter. On a failli jeter l’éponge. »

Mais l’association n’a rien lâché et la direction de la Clinique mutualiste de La Sagesse a suivi leur engouement et engagement. Depuis décembre 2016, les femmes peuvent s’inscrire pour un accompagnement global auprès du Pôle physiologique de La Sagesse. « Comme on ne fait pas parti de l’expérimentation et que nous avons quelques différences avec les Maisons de Naissance, nous ne pouvons pas prendre la dénomination Maison de Naissance. », précise Hélène Billot, sage-femme exerçant dans cet établissement depuis 2006, impliquée dans l’association et désormais investie parmi les 8 professionnelles gérant le Pôle physiologique.

TOURNANT DE L’OBSTÉTRIQUE EN FRANCE

Intégrer cet espace à un établissement hospitalier est novateur et purge l’espoir que son principe tisse sa toile. Pour Christiane, les arguments, pour se parer d’un pôle tel que celui qui se lance à La Sagesse, ne manquent pas. Bien au contraire.

« La maternité est le phare d’un hôpital. Souvent, c’est là où on accouche que l’on reviendra pour soi ou ses enfants. C’est une vitrine. Et à un moment où la natalité diminue, c’est ceux qui seront novateurs qui verront une incidence sur l’évolution de leur structure. »
analyse-t-elle, à juste titre.

Mais surtout, ce qui elle lui tient particulièrement à cœur est d’interroger l’obstétrique en France. Où en est-on et comment évoluer ? Comment concilier la pratique, toujours plus pointue, des professionnel-le-s de la santé, au respect des envies et besoins des patient-e-s ?

Multiplier les interlocuteurs/trices augmente souvent les risques de perte des informations et donc d’erreur. « On n’est pas rationnel dans le système de soin, dans l’organisation du parcours. Et les pros sont épuisé-e-s. Il faut maintenant penser à répartir l’organisation des soins, rationnaliser les coûts et répartir les moyens. », poursuit-elle.

L’intérêt d’intégrer une structure telle que le pôle physiologique à un établissement est que son fonctionnement d’accompagnement – démultiplier les intervenant-e-s si la grossesse ne présente aucune pathologie particulière, accompagnement global, etc. – se diffuse au-delà du service, allant jusqu’à infuser dans les autres branches de la clinique et plus largement dans les autres secteurs du milieu hospitalier et médical :

« Le pôle physiologique travaille avec un réseau de professionnel-le-s et est en lien avec la maternité évidemment. Cela permet de modifier les représentations car les autres voient que le suivi est rigoureux et carré. Les femmes qui s’y rendent sont extrêmement suivies. C’est d’ailleurs aberrant de voir à quel point les exigences sont bien plus grandes. »

Elle salue alors le courage de la direction, qui a engagé des travaux au rez-de-chaussée de la Clinique (jusqu’en avril, le pôle physiologique est installé temporairement au 2e étage, espace Bréhat, pour les consultations) pour y installer deux salles de consultation, deux chambres de naissance et une grande pièce de vie comprenant cuisine, salle à manger et salon convivial. Ainsi, 150 m2 seront destinés à ce nouveau pôle.

« Et vous voyez, ça fonctionne. En s’intéressant à ce projet, le directeur, le directeur financier, les gars du bâtiment se le sont appropriés. Ils ont changé de regard sur le sujet. C’était super chouette de voir les gars du BTP nous dire « si vous voulez quelque chose dans tel ou tel esprit, alors il vaut mieux aménager ça ici, mettre cette couleur là, etc. », vraiment chouette ! », raconte Christiane David.

ENTOURÉ-E-S ET ÉCOUTÉ-E-S

L’esprit de la Maison de Naissance est donc présent dès la création de l’espace concerné, mêlant échange, partage et respect de l’Autre. Mais pas n’importe comment. Comme le précise la sage-femme, le suivi est rigoureux et encadré. « Pour pouvoir en bénéficier, il faut être en santé comme ils disent au Québec. Quand un couple est intéressé, il s’inscrit auprès du pôle physiologique. Le premier rendez-vous, le plus tôt possible dans la grossesse, est une consultation « d’éligibilité » au cours de laquelle on reprend tous les antécédents médicaux. », justifie Hélène Billot.

Ainsi sont admises uniquement les femmes présentant une grossesse à faible risque, puisque le risque 0 n’existe pas. Le dossier de présentation explique : « Certaines conditions médicales rendront  ou non un tel accompagnement possible. Si au cours de ce processus, votre condition ou celle de votre bébé requiert des soins, l’avis d’un médecin sera alors sollicité. Et si besoin, une orientation vers le service général de la maternité pour avis et/ou transfert sera organisée. Pour votre bien-être, nos deux équipes se connaissent et travaillent ensemble. Ainsi, une réorientation pourra être envisagée tout au long de votre suivi. Soit : pour des raisons médicales concernant la mère ou le bébé. Suite à un souhait de votre part. »

Fin février, l’équipe a déjà rencontré plus de 70 couples à la consultation d’éligibilité. Au moins une soixantaine est inscrite au Pôle physiologique pour des termes allant de mi mai à mi septembre. L’objectif étant d’accueillir dans les années à venir 300 mamans.

Si toutes les conditions sont réunies, la femme - ou le couple - sera suivie par une sage-femme référente en consultation une fois par mois jusqu’au 7e mois, puis tous les quinze jours dès le 8e mois et toutes les semaines le 9e mois si les femmes le souhaitent. Et à partir du 6e mois, une deuxième sage-femme les recevra en consultation, en alternance avec la professionnelle référente. Et lorsque la future mère commencera les préparations à la naissance, elle rencontrera deux sages-femmes également. « Une des quatre professionnelles sera présente à l’accouchement. », garantit Hélène Billot.

« Ça me tranquilise de savoir que le jour J une personne professionnelle que je connais, qui connaît mes craintes et mes souhaits, sera là. »
avoue Marion, 29 ans, en attendant l’heure de son rendez-vous.

Elle entamera bientôt son 6e mois et intégrera prochainement les préparations à la naissance. « Dans ma famille, il y a eu pas mal de problèmes à l’accouchement. Ça m’a apaisée de venir ici par rapport aux perspectives de ma grossesse. », poursuit-elle. Pour cette post doctorante en anthropologie maritime, rattachée au Museum de Paris, l’accompagnement global correspond à ce qu’elle recherchait, elle qui confesse quelques angoisses en pensant à la péridurale et souhaite s’orienter plutôt vers la gestion de la douleur.

« Je ne me sens pas malade mais enceinte ! », dit-elle en rigolant. Mais sa phrase est pleine de sens. Au cours des face-à-face – ainsi que des appels si besoin de conseils ou en cas de doute, de questionnement – tous les sujets pourront être abordés. Maëlys, 24 ans, et Mathieu, 26 ans, apprécient cette globalité.

« On est très contents. Il n’est pas question que de l’utérus mais aussi du couple, de la mère, du père, de nos émotions, de notre environnement, etc. », explique l’étudiante en ostéopathie animale. Son compagnon, agent de circulation à la SNCF, se sent écouté et rassuré :

« On voulait limiter le médical. Surtout pour un accouchement, ça se pratiquait avant que la médecine existe ! Ici, on connaît les sages-femmes, on dialogue, on échange sur l’émotionnel. Ce ne sont pas que des blouses blanches, c’est bien plus que ça ! »

Tous les deux affichent un sourire contagieux. Ils devraient en mai devenir les parents d’un des premiers bébés à naitre au pôle physiologique.  

UN CADRE CONFIDENTIEL ET INTIME

Toutes les questions peuvent être posées. Toutes les angoisses peuvent être livrées. Toutes les émotions dévoilées. Tous les désirs explicités. Les sages-femmes seront présentes pour accompagner, guider, conseiller si besoin. « Une femme qui se sent écoutée tout au long de sa grossesse va généralement mieux accoucher. Si elle est en confiance, elle va fabriquer ce qui lui faut en ocytocine et endorphine pour réagir à la douleur par exemple, mais pas seulement. Si elle est en stress, ne connaît pas les gens qui l’entourent, se sent frustrée de ne pas avoir exprimé ce qu’elle voulait, elle va fabriquer l’hormone du stress et peut avoir un blocage pendant le travail. Ici, l’objectif est d’arriver zen dans le travail et de faire au mieux si des péripéties surviennent. », commente Hélène Billot.

Les professionnelles sont là, oui, mais pour guider et soutenir. Faire de la prévention tout au long de la grossesse pour rester en santé avec une alimentation saine et de l’activité physique. Et surtout pour rendre les couples autonomes et acteurs de l’accueil de leur bébé et les femmes confiantes en leurs capacités. Elle insiste sur ce point :

« Ce n’est pas nous qui accouchons, c’est la femme et elle sait faire. »

La relation de confiance qui s’est créée au fil des consultations permet à la sage-femme de détecter rapidement si un indicateur passe au orange. De dépister et anticiper une éventuelle complication. Elle demandera alors un examen complémentaire ou l’avis d’un-e autre professionnel-le. Elle pourra donner aux futures mamans des outils pour la préparation à la naissance, comme des postures, des massages, des notions sur la respiration, la relaxation, etc. Mais c’est la maman qui choisira sur le moment pour le travail et pour l’accouchement.

« Le moment venu, on intervient le moins possible. On fait le moins de bruit possible. La maman peut se mettre dans l’eau chaude, il y a une baignoire dans la chambre de naissance, se servir d’un système de suspension, marcher, peu importe, elle fait ce qu’elle veut. La maman se laisse guider par son corps. Nous sommes là pour la rassurer sur ses compétences, pour leur donner confiance dans leurs compétences de parents. La maman se met dans la position qui lui fait du bien. Il n’y a pas de technique qui fait qu’une femme accouchera mieux qu’une autre ou des exercices qui remplaceront le pouvoir de l’échange. », souligne la sage-femme.

Les personnes présentes peuvent toutefois moduler, selon leurs attitudes, la douleur de la maman au travail et à l’accouchement. D’où l’intérêt de privilégier au maximum le calme et les lumières tamisées. Un cadre serein. Et notamment un cadre qui laissera travailler le « cerveau primitif ». « Par contre, il est important de signaler que si une femme se dit au moment de l’accouchement qu’elle souhaite avoir une péridurale, ce qui peut arriver, elle sera transférée à la maternité et ne pourra plus bénéficier du suivi global après. », ajoute Hélène.

GÉRER L’APRÈS

Les femmes, ainsi que leurs compagnes ou compagnons, pourront rester dans la chambre de naissance entre 6 et 12h après l’accouchement. Puis seront invité-e-s à rentrer au domicile, ou si le souhait est formulé pourront rejoindre la maternité de la Sagesse.

« La sage-femme se rend au domicile le lendemain de la naissance pour examiner le bébé et la maman, donner des conseils sur l’alimentation, le bain, l’allaitement si besoin, etc. On viendra le 1er, le 2e, le 3e et 5e jour à domicile (il est nécessaire que le domicile se situe dans un périmètre de 35 kms ou si ce n’est pas le cas de se faire loger chez des proches habitant dans cette zone), on sera joignables 24h/24 sur la ligne d’astreinte et on reverra les parents à 3 et 6 semaines, pour savoir comment ils vont. », précise Hélène Billot.

Là encore, la relation de proximité et de confiance jouera un rôle primordial. Christiane David rappelle à ce sujet qu’en France le suivi post accouchement est loin d’être efficace. Les dépressions sont importantes et la pression que l’on met sur une mère n’est pas à négliger. Un cocktail qui peut s’avérer dangereux sur la santé physique et psychologique de la nouvelle maman, à qui on conseille dans les premiers jours d’être entourée de sa compagne, de son compagnon ou d’une tierce personne, « pour qu’elle puisse penser uniquement à elle et son bébé et pas à toute l’intendance autour. »

Le suivi permettra donc là encore d’aborder tous les sujets, de la fatigue à la baisse de moral, en passant par la sexualité par exemple. Selon les ressentis et les vécus, elles pourront être orientées vers des spécialistes ou poursuivre leur chemin vers la parentalité.

Elles pourront également revenir au pôle physiologique qui devrait accueillir une permanence hebdomadaire de l’association MAISoùnaitON ? afin de faire du lien et partager les expériences entre les parents et futurs parents.

« On aimerait aussi qu’il y ait des ateliers, de portage par exemple, de créer une bibliothèque. L’important étant qu’il y ait un lieu de vie, de partage, d’échange. Les gens sont demandeurs car après la grossesse et l’accouchement, il peut y avoir un vide. Il faut éviter que les femmes soient isolées dans un coin avec leur bébé. »
conclut la sage-femme.

L’association continue, pour informer la population, répondre aux questions et toujours aller plus loin sur les connaissances autour de ce sujet, de proposer des réunions chaque deuxième lundi du mois.

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Au tournant de l'obstétrique française ?
À l'écoute de ses désirs et besoins
La France s'y met !

Célian Ramis

Artisanat : portraits de passionnées

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Portrait de quatre artisanes rennaises qui partagent leur passion pour leurs arts créatifs, le fait main et le fait à la maison, et intègrent dans leur démarche de fabrication certains objets de récup'.
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Si l’artisanat breton, tous secteurs confondus, note une baisse du salariat, les petites entreprises se plaisent plutôt à chantonner un air bien connu d’Alain Bashung et les micro-entreprises ont le vent en poupe. Une nouvelle tendance se dessine depuis quelques années, celle du Do It Yourself et du système Débrouille, survenant comme une alternative à l’asphyxiant consumérisme provoqué par la mondialisation.

Entre les conditions déplorables de travail des marques et enseignes qui délocalisent leur fabrication, les scandales sanitaires de certaines matières néfastes et l’effet désastreux d’une production à outrance sur l’environnement, une partie de la population opte pour une nouvelle manière de consommer et de fabriquer.

Pour ce focus, la rédaction de YEGG a rencontré quatre créatrices rennaises, investies dans le secteur de l’artisanat comme activité principale ou non. Elles partagent leurs parcours, passions, savoir-faire et difficultés.

Artisanes à temps complet ou non, créatrices dans des secteurs différents, elles partagent néanmoins des points communs, dont le fait-main et le fait à la maison. Sans oublier qu’elles intègrent toutes dans leur démarche de fabrication la réflexion autour de secondes vies à donner à des objets. Tour d’horizon de leurs univers créatifs et portraits de passionnées.

Depuis trois ans, elle retape entièrement sa maison avec son mari. Elle aime le bricolage et en fait depuis longtemps avec ses deux filles. À 46 ans, Elsa Chaderat est infirmière scolaire au lycée Jeanne d’Arc, à Rennes. À mi-temps. Et elle est également, depuis un an et demi environ, la créatrice des Demoiselles. Des sculptures féminines vêtues d’une robe blanche et d’une ou plusieurs roses, fabriquées en papier mâché et fil de fer.

C’est en participant à un atelier animé par l’artiste plasticienne et art-thérapeute, Emilie Réan, à Bourg-des-Comptes (35) que le déclic survient. « Pendant 3h, il s’est passé un truc. J’ai fait la première Demoiselle. Qui ne ressemble pas à ce que je fais maintenant mais c’est la toute première. Après, pendant 15 jours, j’ai peu dormi, j’avais plein d’idées qui fourmillaient. J’ai pris des notes dans des carnets, fait des dessins, il y en a pour 20 ans d’exploitation ! », rigole Elsa.

Très rapidement, elle se met à l’ouvrage, inspirée par la blancheur, les robes qui volent et flottent dans l’air, soufflées et gonflées par le vent. « On a fabriqué un petit atelier car je ne voulais pas plonger ma famille dans le bordel. », précise-t-elle. Une petite pièce, au rez-de-chaussée de sa maison, est aménagée en guise d’atelier, là où une table est installée, face à la fenêtre et à la rue, et où les Demoiselles trônent fièrement sur les étagères. Et sur les murs, quelques affiches dont l’une bien fleurie attire l’œil, de par la citation de Matisse qui s’illustre en son centre : « La créativité demande du courage ».

Et quand des ami-e-s de La petite mécanique – espace de partage autour des arts et de la nature situé dans le quartier du Sacré Cœur à Rennes – lui proposent d’exposer ses sculptures, elle n’hésite pas à se lancer dans le bouillon des expos-ventes et des marchés de créateurs/trices :

« J’ai été très surprise des retours, ça m’a donné plein d’énergie. J’ai particulièrement apprécié le contact avec les gens, ça m’a vraiment donné des idées et surtout l’envie de continuer. »

LIEUX DE PARTAGE

Depuis moins d’un an, elle a également intégré l’atelier galerie L’Ombre Blanche, lancé en mai dernier par Sarah Estellé. Un lieu de partage proposant des expositions éphémères ainsi que des ateliers pour enfants et adultes autour de la sculpture, le dessin d’observation, la peinture et les arts créatifs.

« C’est très agréable de se regrouper et de partager comme ça. Je donne peu de cours mais quand j’en fais, c’est super. Les enfants ont plein d’idées. Ils/elles veulent faire des Demoiselles et ce qui est formidable, c’est que ça ne donne jamais la même chose que celles que je fabrique. », s’enthousiasme la sculptrice.

Elle en parle avec émerveillement et plaisir, sans cacher les bémols que l’artisanat contient. La création, dans son étape pure de fabrication, demande investissement en terme de nombre d’heures passées dans l’atelier et s’accompagne d’une certaine solitude, ou tout du moins à un isolement. « Je découvre que quand on est comme ça dans son monde, dans son univers, quand on en sort, on ne fait pas très sociable. », souligne-t-elle.

Toutefois, elle reste positive, gonflée à bloc par l’énergie procurée par les rencontres : « Je suis tombée en amour et je suis tombée dedans par hasard et cette découverte a pris un tournant surprenant menant à des rencontres qui donnent de l’énergie ! » Ce qui lui permet de fortement s’investir durant les périodes de Noël, aboutissant à une création importante et par conséquent à du stock pour les mois suivants, et de lancer de nouveaux projets.

Comme celui d’une exposition dans le cloître de la maison St Cyr, assorti d’un atelier en direction des personnes âgées de la maison de retraite en mars 2018. « J’attends des réponses pour d’autres lieux d’exposition. Il faut faire pas mal d’œuvres et avoir pas mal de temps. », explique Elsa Chaderat. Ainsi, elle alterne les instants de travail sur ces Demoiselles, qu’elle voudrait bientôt voir grandir en terme de taille, son métier d’infirmière scolaire et sa vie personnelle.

BIDOUILLE ET FORMATION

De son côté, Elisabeth De Abreu, 48 ans, s’est établie depuis quatre ans bientôt, en septembre 2013, en tant que mosaïste professionnelle. Elle aussi s’est saisie d’une annexe de sa maison, à Vern-sur-Seiche, pour en faire un atelier.

Un atelier coloré, composé d’une multitude de tableaux accrochés aux murs et de bocaux en verre remplis de mosaïques et de tesselles. À côté de son tabouret de travail, un tranchet. Sur lequel elle place sa matière, qu’elle coupe d’un bon coup de marteline.

« Ça pèse un kilo ! Vous imaginez le poids dans le bras à la fin de la journée ?! », s’exclame-t-elle, en positionnant la pièce sur un coussin en marbre et en mosaïque, qu’elle réalise à la manière des coussins en crochet.

Sa rencontre avec la mosaïque date d’il y a 15 ans. Elle habite alors en Corse et ramasse des bouts de verres polis sur la plage, se disant qu’un jour, elle les utiliserait. Probablement. Pourquoi faire ? Elle ne sait pas encore. Une amie lui parle de cet art qui l’attire rapidement.

« J’ai commencé par faire du collage à la main, de la bidouille, mais ça ne tenait pas. Et je ne trouvais pas de cours. À Angers, il y a un peu plus de 4 ans, mon mari m’a offert un stage de bricolage, puis j’ai trouvé une association, à Chantepie, de femmes qui faisaient de la mosaïque entre elles. Ça ne m’a pas suffit, j’ai alors pris des cours particuliers auprès d’une mosaïste, à Rennes. C’est elle qui m’a encouragée à ouvrir mon atelier. », explique Elisabeth.

Elle va ainsi effectuer une formation privée de 8 mois dans un atelier privé. « Pour être maitre mosaïste, il faut aller suivre une formation de 3 ans en Italie. Il n’y en a pas en France. Ce n’était pas possible pour moi de faire ça avec ma vie de famille. », précise-t-elle.

De temps en temps, elle s’en va effectuer des stages à Tours auprès des deux Meilleures Ouvrières de France, toutes deux maitres mosaïstes, pour évoluer et se perfectionner.

SE DIVERSIFIER

Ce qui lui plait, c’est la diversité. Des formes, des matières, des couleurs, des supports. Décorer un sol, un buste de femme, une salle de bain, un bâtiment, un tableau… Avec du marbre, des pierres, des tesselles, etc. « On ne peut pas se lasser ! », dit-elle d’un ton enjoué.

Mais c’est aussi un moment de détente autour d’un projet artistique. Quand elle planche sur une œuvre personnelle, elle s’évade. Elle parle véritablement de thérapie en soi.

« Quand on passe du temps à tailler une tesselle, on ne pense pas aux problèmes. J’ai commencé la mosaïque il y a 15 ans, c’était à la naissance de mon aînée qui est porteuse de handicap. Une psychiatre m’a dit que ça avait peut-être un lien. Je ne sais pas si c’est ça en réalité mais la mosaïque consiste à casser des pièces pour reconstruire quelque chose. », analyse l’artisane.

Et c’est à la fin de son congé parental, qui a duré cinq ans, qu’elle a fait le choix de s’installer en micro-entreprise et de s’enregistrer auprès de la maison des artistes.

« Soit je faisais une formation pro, soit je retournais bosser dans un bureau. Ça a été un choix familial. C’est ma passion, je suis une artiste, une maman, mon mari travaille beaucoup et créer mon atelier à la maison permettait réellement de concilier vie professionnelle et vie privée. Pour mon aînée handicapée, il faut avoir des disponibilités plus importantes. Mais ce n’est pas seulement pour elle. Là par exemple ma fille a la mononucléose, je peux être à côté d’elle tout en travaillant. », précise-t-elle.

Pour pouvoir en vivre, elle a tout mis en place pour diversifier un maximum son activité et ne pas se baser uniquement sur la vente de ses œuvres. Ainsi, elle anime cours et stages dans son atelier, en direction des enfants et des adultes, « de 5 à 84 ans, porteurs de handicaps moteurs, de handicaps mentaux, ou non, la mosaïque, c’est pour tout le monde. »

Et passe également du temps à l’extérieur proposant de l’art-thérapie avec une musicothérapeute, des ateliers dans 3 écoles différentes sur le temps périscolaire, dans des EHPAD, dans des centres de loisirs pour enfants valides et enfants handicapés.

Elle peut aussi intervenir pour décorer des panneaux communaux et participera prochainement à une session de team building – concept qui a pour vocation de fédérer une équipe autour d’une activité collective – dans une grande entreprise rennaise et travaille sur un projet d’atelier dans une école avec des adolescents en difficultés, voire échecs, scolaires. Elle justifie :

« Comme mon atelier est à la maison, déjà, je n’ai pas de loyer. Mais il est impératif de se diversifier car les ventes ne suffisent pas pour moi. J’ai vraiment du mal à vendre les œuvres que je crée, à donner une valeur en prix à mon travail. Ça me sert plus de vitrine. Quand des personnes les voient et me les demandent, je leur vends mais en général, c’est vrai que j’aime bien les garder. Après, il y a aussi des commandes, et là c’est dur car il faut se mettre à la place de la personne et se demander si ça va lui plaire. »

Elisabeth De Abreu, comme Elsa Chaderat, est particulièrement friande du contact et des rencontres. C’est ce qu’elle aime par dessus tout lors de l’événement L’art et la main, dont la 9e édition a eu lieu les 28 et 29 janvier à la Ferme de la harpe, à Rennes.

« On ne fait pas de ventes. On est là pour travailler devant le public, partager les expériences et échanger avec les gens. C’est vraiment ce que je préfère, les ateliers de démonstration », signale-t-elle, tout en élaborant la liste des manifestations auxquelles elle participe (lire encadré).

TROUVER SA VOIE

Pourtant, les places sont chères pour trouver une place sur les marchés. C’est le constat auquel Sonia Driot a été obligée de se confronter. Que ce soit sur la place Hoche, sur la dalle du Colombier ou ailleurs, tout est complet. Depuis, elle a décidé d’assurer ses arrières, en trouvant un boulot de baby-sitter, le matin et le soir, en parallèle de sa création de bijoux qu’elle a commencé à toucher en 2012, lors de son voyage en Amérique du Sud.

Elle découvre le travail de l’« alambre » - fil en espagnol – de tout type : argent, cuivre, laiton… « J’ai vu ça dans la rue, car là-bas, on peut facilement vendre comme ça. Ici, on doit avoir des autorisations spécifiques, à part dans des endroits autorisés comme j’ai déjà fait à Beaubourg au Centre Pompidou à Paris. Maintenant, je me suis mise en micro-entreprise pour faire les marchés. Bref, j’ai trouvé ça magnifique et l’artisan m’a appris quelques formes. Je m’y suis mise. Je n’avais pas de revenus à part la musique, donc c’est une forte motivation, car il faut bien manger et se loger. », livre-t-elle, poursuivant :

« C’était dur au début de mettre un prix sur les créations, je me suis renseignée auprès des personnes, des autres artisans. On peut très facilement faire des rencontres là-bas. Je suis tombée sur un couple française/péruvien, on a discuté et il m’a tout de suite dit de venir le voir le lendemain pour m’apprendre à faire des bagues. »

Quelques années après son retour en France, elle souhaite intégrer l’école Tané, de bijouterie et orfèvrerie, à Ploërmel mais ne sera pas retenue.

« J’ai encore du chemin à faire et des choses à apprendre. », reconnaît Sonia. Il est difficile de trouver un emploi en tant que salariée d’une entreprise pratiquant l’artisanat et le réseau est un travail intense, de tous les jours, qui met du temps à se mettre en place. Pour autant, elle ne désespère pas et ne se démotive pas.

Au contraire, elle apparaît bien consciente de ses points faibles, comme la communication à travers les réseaux sociaux et la présence qu’elle voudrait augmenter sur les plateformes de vente de créations faites-main comme Little market ou Etsy, et semble bien disposée à développer ce côté un brin obligatoire, mais pas n’importe comment.

PASSIONNÉE PAR LES HISTOIRES

Elle s’intéresse, se renseigne, cherche à glaner des conseils en terme de techniques photos pour présenter au mieux ses créations. Des créations joliment présentées dans sa chambre, là où se trouve son atelier bidouillé d’une porte comme planche de bureaux, d’une deuxième table sur laquelle elle travaille, et de plusieurs mallettes entreposant ses matériaux, des objets de récup’ et ses bijoux entre boucles d’oreille, bagues, bracelets et colliers. Mais aussi ses pierres.

Car si elle est passionnée par le travail des fils d’argent, de laiton, de cuivre et autre, elle est également fascinée par les vertus et propriétés des pierres. « Elles ont toutes une histoire et c’est vraiment un puits sans fond », s’exclame-t-elle, en nous présentant leurs différences, leurs textures et leur attrait.

À 29 ans, Sonia Driot est incontestablement en amour pour son travail. Pour elle, c’est un métier des plus méditatifs. Le fait de se concentrer des heures durant sur des petites pièces, qu’elle pince et tord pour amener le fil à la forme qu’elle veut établir, lui permet de se relaxer. Mais aussi elle apprécie tout particulièrement le contact qui s’établit entre la créatrice et le public.

« Avec une amie parisienne qui travaille dans le secteur de l’artisanat également, on a bossé deux mois ensemble. On a pu constater que les gens se tournent vers l’artisanat pour les pièces uniques que nous produisons. Et au-delà de ça, il y a aussi le rêve qu’on leur vend. On est toutes les deux des voyageuses et on partage l’histoire de chaque pièce. L’argent est une monnaie d’échange pour vivre mais le travail de la matière et le rapport aux gens n’a pas de prix. », souligne-t-elle. D’où le fait qu’elle adapte le prix de ses créations :

« Je me suis mise à 8 / 8,50 euros de l’heure. En général, sur la somme globale, je réduis le prix. Je ne suis pas prête à dépasser un seuil de prix. Si j’ai en face de moi quelqu’un qui a les moyens, je laisse le prix fixé. Si j’ai en face de moi quelqu’un qui n’a pas les moyens et qui a flashé sur une pièce, je vais baisser le prix, sans y perdre, il faut que ça aille dans les deux sens tout de même. »

CONNECTÉE ET BRANCHÉE

L’accessibilité est un enjeu majeur dans l’artisanat, devant trouver l’équilibre entre la valeur des matières utilisées, du travail produit par l’humain et un prix abordable pour être non seulement rentable mais bénéfique. « Au début, mes portefeuilles étaient moins chers, j’ai vu qu’ils partaient vraiment très vite. Je me suis permise d’augmenter les tarifs, en incluant les frais de port dedans, car sinon ils sont gratuits sur internet. Mais il faut rester accessible et ne pas être au-dessus des prix du marché non plus. », explique Anne-Cécile Le Guevel.

À 42 ans, elle est professeure de techno au collège. Et depuis 2 ans et demi a lancé sa boutique en ligne Anne-Cécile Création, fabriquant ainsi sacs à main, portefeuilles et blagues à tabac, très tendances actuellement. Il y a 15 ans, elle a commencé la couture et a choisi de faire ces propres vêtements. Un loisirs créatif et utile qui lui a permis de s’occuper les mains durant un arrêt de travail de trois mois.

« J’ai acheté une jupe en cuir dans une braderie et j’en ai fait un sac. Au début, une copine m’a prêté un patron, puis je me suis mise à faire mes propres patrons. », se souvient-elle. Elle fabrique donc ses sacs à main, puis les offre à des amies, participe à une expo-vente organisée par une amie et, grâce au succès du lancement, va jusqu’à ouvrir une boutique sur Little market et une autre sur Etsy, pour finalement créer sa marque avec un site personnel, en prenant un statut d’auto-entrepreneure.

Sa démarche, elle l’avait intégrée avant de se lancer à son compte, en parallèle de son activité de professeure. « J’aime beaucoup chiner, aller dans les friperies, dans les braderies, les relais. Parmi mon entourage, certain-e-s me donnent aussi des cuirs qu’ils/elles n’utilisent plus. Je ne prends pas forcément tout parce que le but n’est pas d’accumuler non plus ! », précise Anne-Cécile. Par exemple, elle ne prend pas le cuir noir.

« C’est la couleur qui m’intéresse !, répète-t-elle. Quand les couleurs ne m’inspirent pas, j’ai moins envie de créer, il faut alors que j’achète de nouveaux cuirs. » Elle se rend parfois en boutique pour acheter des chutes de cuir mais surtout écume les magasins de tissus, qu’elle prend à motifs pour les associer au cuir uni choisi.

Sur son bureau-atelier, au rez-de-chaussée de sa maison, les tissus s’empilent et côtoient, non loin de la machine à coudre, une multitude de valisettes que l’on a envie d’ouvrir, par curiosité, les yeux remplis d’espoir d’y déceler 1001 trésors. Il y a des boutons, des fils, des outils. Le tout, parfaitement ordonné et rangé.

Et derrière la créatrice, mais aussi sur les côtés de la pièce, des créations quasiment terminées, qui attendent d’être envoyées à leur commanditaire ou de recevoir en gravure les initiales de l’artisane. « Ça prend beaucoup de temps, entre la création, les photos que je fais sur ma terrasse en général, la mise en ligne, l’envoi. Il y a des périodes où je n’ai pas envie du tout. Et puis, je m’y remets et c’est parti. Je ne fais jamais deux fois la même pièce et si on me fait une commande, je refuse de reproduire un objet repéré dans une boutique. Ça peut m’inspirer mais je ne suis pas là pour recopier. », insiste-t-elle.

Sa marque de fabrique, c’est justement son association tissus à motifs et cuir récupéré sur des fringues. Elle privilégie ainsi le recyclage et aime l’idée de pouvoir donner une seconde vie aux vêtements : « On aime beaucoup faire les braderies avec mon mari. On a très peu de choses neuves chez nous. À quoi ça sert de consommer à outrance ? Quand on en a trop, on revend. Ma démarche dans ma création, je l’explique quand je fais les marchés de créateurs/trices. Je mets une pancarte avec des photos des différentes étapes de fabrication. »

À RECYCLER

La récup’, c’est dans l’ère du temps, comme le dit Anne-Cécile Le Guevel. Surtout quand l’activité se veut déjà du système Débrouille, avec un atelier à domicile et la création d’une boutique en ligne, faisant avec les moyens et techniques du bord. Même si aujourd’hui, les formations et ateliers concernant la communication via les réseaux sociaux et l’investissement du temps passé à actualiser sa boutique en ligne, se développent de plus en plus.

Ainsi, les quatre artisanes rencontrées utilisent toutes dans leurs créations des objets ou matériaux ayant déjà vécu. Elsa Chaderat réutilise fils de fer et journaux pour établir la base et les cheveux de ces Demoiselles et leur recouvrir le corps et les hanches avant de construire les robes en papier mâché, qu’elle peindra ensuite pour les rendre blanches. « En hiver, je les fais sécher sur le poêle, c’est très pratique. », dit-elle d’un air malicieux.

Travailler avec ce que l’on a sous la main est aussi judicieux pour économiser que pour se renouveler. Friande de nouvelles matières, Elisabeth De Abreu aime varier les supports et les pièces qu’elle utilise. Ainsi, quand elle aperçoit près de chez elle une vitre d’abribus brisée en mille éclats de verre, elle n’hésite pas à s’en saisir, tout comme la vieille vaisselle qu’il suffit de briser pour s’en servir de substrat.

« En se baladant sur la plage, on peut trouver plein de choses ! Avec les enfants, on s’amuse beaucoup avec les coquillages, les coraux (uniquement ramassés sur la plage), mais aussi les capsules de café, de sodas ou même des graines. », énumère-t-elle, en farfouillant les étagères d’un placard qui recèle de créations faites en ateliers. Les graines naturelles sont également utilisées sur certains bijoux de Sonia Driot. Tout comme les plumes ramassées, avec autorisation des agents municipaux, par la jeune femme dans la volière du parc du Thabor.

« Au départ, j’avais pensé à faire quelque chose 100% naturel et récup’. Ça m’a fait me pencher vers la réutilisation de briques de lait et de jus de fruit pour faire des porte-monnaies. Puis, j’ai commencé à faire des bijoux, et là aussi j’avais pensé à faire quelque chose avec des bouts de bois mais j’ai vu qu’il y avait encore trop de réticences du côté du public à acheter des créations entièrement fabriquées en récup’ »
souligne Sonia.

Le savoir-faire des matières s’allie alors à la créativité des artisanes, qui font également preuve d’imagination pour mêler matériaux et objets de récupération. Leurs parcours témoignent, non seulement de la diversité des profils, mais aussi des ressources nécessaires et indispensables au secteur de l’artisanat, qui invoque aujourd’hui amour de la pièce unique, de la minutie, de la rencontre et du rapport humain, et consommation alternative et moderne.

 

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Fait à la main et à la maison
Passion, savoir-faire et système débrouille
L'artisanat se manifeste

Célian Ramis

Prendre soin : à l'écoute de son corps

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Les pratiques somatiques s'invitent à la table des outils fondamentaux pour développer la créativité des danseuses/seurs et chorégraphes. Mais pas que... puisque ce courant prône la bienveillance et l'écoute afin que consolider le rapport à son propre corps et l'affirmation de soi.
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Quelle relation entretient-on avec son propre corps ? Aussi intime soit-il, il apparaît comme un terrain bien mal connu et peu compris, voire ignoré. On peut en ressentir les tensions nerveuses, les douleurs articulaires, les blessures musculaires, les traumatismes osseux, etc. Et on peut leur attribuer parfois des états et humeurs spécifiques. Le corps et l’esprit semblent intrinsèquement liés et pourtant l’affirmation ne fait pas l’unanimité.

À partir de là, que fait-on ? Les pratiques somatiques explorent le ressenti du corps vivant, à travers l’observation, le relâchement et le mouvement. Et deviennent de plus en plus un lieu de ressources au service de la créativité pour les chorégraphes et danseuses/seurs. Mais pas que.

Outil quotidien de travail, le corps d’un-e danseur/seuse se met au service d’une émotion, d’un état, d’une histoire… et constitue un véritable moyen d’expression. Mais l’appât de la performance et du dépassement de soi pousse souvent à le maltraiter et à passer outre certains signaux de souffrance. Toutefois, une autre manière d’envisager la danse apparaît et convie les pratiques somatiques à la table des outils permettant d’alimenter la créativité de l’artiste qui s’en saisit et de développer avec bienveillance des gestes inédits et des mouvements nouveaux.

Dans la salle, environ 12 danseuses/seurs sont allongé-e-s sur le dos, sur un tapis de sol, un plaid sur les jambes pour la plupart. La voix de Nathalie Schulmann, danseuse contemporaine, professeure de danse et analyste du corps dans les mouvements dansés, les guide pour les inviter à s’intéresser au poids de la tête se déposant sur le ballon placé à l’arrière de leur crâne. Mais aussi à s’aider de leur respiration et de la sonorisation du souffle.

Caresser le sternum, bouger les bras pour sentir l’ouverture des épaules, relier les mouvements de la tête à la pression des pieds, suivre la continuité des fascias dans le corps, essayer de ressentir le plus simplement possible la liaison entre le haut et le bas du corps, « le plus simple étant toujours très compliqué à obtenir ».

Ce vendredi 9 décembre, le ‘workshop pour danseurs interprètes’ – initié le 5 décembre au musée de la danse de Rennes - touche presque à sa fin. Il s’inscrit dans le cadre de l’événement Prendre soin, rassemblant ateliers, table ronde, spectacles et échauffement public, les 10 et 11 janvier au Garage.

DÉVELOPPER SA CRÉATIVITÉ

Dans la matinée du vendredi, les participant-e-s travaillent sur les temps d’entrainement précédant une répétition ou une représentation. L’échauffement, passage obligé de l’artiste, peut représenter « un moment fatidique de la journée, parfois ressenti comme une dépendance à l’enseignant et aux traditions pesantes de l’entrainement. La pratique des méthodes somatiques, de l’atelier, ouvre la palette des choix pour le ‘’training’’ journalier. L’état d’esprit n’est pas le même dans le cours technique et l’atelier : habituellement la technique a pour but essentiel l’apprentissage ou l’amélioration des coordinations indispensables à la réalisation du geste dansé, mettant en valeur le ‘’savoir-faire’’ du danseur. Peter Goss, lui pratique plus dans le cours technique la pensée propre à l’atelier : il donne des outils pour garder un corps plein d’aptitudes, ouvert et disponible et permet de prendre en compte la personne autant que sa danse, en s’intéressant autant à son processus d’investigation qu’à la réalisation d’un geste ‘’parfait’’. », comme l’écrit Dominique Praud dans son article « Danse contemporaine et pratiques somatiques : l’enseignement de Peter Goss », paru dans la revue Nouvelles de danse, en 2001.

Lors du workshop, un cocon chaleureux entoure la pièce. La notion de temps se distend, l’attention est centrée sur le ressenti du corps dans son espace et ses multiples dimensions. On parle de relation avec les organes, du sens du poids de certaines parties du corps, comme le bassin par exemple, ou encore des états de la pliure. Le corps devient un terrain de jeu et une source d’imagination. Nathalie Schulmann met les participant-e-s en garde :

« Vérifiez que la tête ne s’est pas figée entre temps. Parce que vous penseriez trop. Dans le somatique, on est tellement dans une forme de concentration que des choses se figent. »

Puis attire l’attention sur l’endroit où pourrait démarrer le mouvement : « Où est-ce que ça m’amène ? Avec quelle respiration ? Est-ce que ma tête est figée ? »

Explorer le champ des pratiques somatiques comme lieu de ressources pour développer sa créativité n’est pas phénomène nouveau mais reste en marge de la démarche artistique. Néanmoins, Julie Nioche, danseuse et chorégraphe, souligne que cela « prendre de la force, émerge. La recherche autour de la question de la création à partir des pratiques somatiques est en train de se vivre actuellement. » Fondatrice d’A.I.M.E (Association d’Individus en Mouvements Engagés) en 2007 avec une équipe de chercheurs-enseignants, acteurs du monde associatif et praticiens du corps, elle a contribué à la programmation du week-end Prendre soin.

« C’était une demande du musée de la danse qui a su s’éloigner du risque de tomber dans un catalogue des pratiques somatiques. Là on était vraiment sur la réflexion autour de la créativité et de comment celle ci et les pratiques somatiques se nourrissent l’une de l’autre. C’est très fort comme événement car il répond à un besoin de rassemblement entre nous. C’est un endroit qui nous manque car nous avons peu de moyen de nous retrouver ensemble. », explique Julie Nioche avant de rebondir sur l’intitulé de la manifestation.

MALTRAITANCE DES CORPS

Pour elle, prendre soin est un acte fort aujourd’hui. Car cela n’est pas dans la culture des professionnel-le-s de la danse. « Le danseur prend soin de son corps quand il est cassé ou vieux. Le besoin d’équilibre, de se recentrer, de trouver des moteurs autrement, de se mettre en disponibilité émerge cependant chez les danseurs. Ce ne sera jamais tout le monde mais c’est de plus en plus présent. », souligne-t-elle.

Elle pour qui, depuis l’enfance, la danse est un espace de liberté et qui après plusieurs années de travail en tant qu’interprète, chorégraphe et co-directrice artistique a souhaité reprendre des études de psycho et une formation en ostéopathie, « pour la complémentarité » et pour pouvoir envisager la « relation entre le corps et l’imaginaire, la modulation du corps avec les pensées et le croisement entre la danse et la santé ». Sans jamais parler de visée thérapeutique. Mais bel et bien pour et dans l’accompagnement des danseuses/seurs et chorégraphes.

Mélanie Perrier, chorégraphe présente également lors de l’événement, va plus loin dans la maltraitance des corps dans le domaine de la danse : « Avec l’art contemporain, on a vu le retour du corps performant, de la physicalité. On revient à des machines de guerre qui trainent un modèle de ce qu’est le spectacle chorégraphique. Avec la réflexion autour des pratiques somatiques, on se situe à un tournant. Une voie alternative, qui n’est pas en opposition à ce qui se fait aujourd’hui, mais qui requestionne justement ce qu’est un spectacle chorégraphique pour sortir de l’impératif du spectaculaire. Ce courant là, si on doit le nommer, est une forme de réponse face au spectaculaire. Certains danseurs se font très très mal, c’est abominable. Et très très rétrograde. Ce serait il y a un siècle ok mais des choses se sont passées entre temps dans l’histoire de la danse. »

Et selon elle, ce phénomène serait similaire à ce qui se passe dans la société. Les pratiques somatiques – et plus largement l’esprit du prendre soin - pourraient donc être une réponse aux rythmes effrénés imposés par une demande de productivité permanente. « Il y a peu de bienveillance dans le travail et les corps ne sont pas du tout pris en compte. On connaît moins la méthode Feldenkrais ou Alexander (lire l’encadré) mais il y a un bon en avant du yoga et du pilate. Les individus cherchent à trouver des stratégies pour s’en sortir. C’est un moyen pour le corps de reprendre sa place, sa puissance. Il y a une vraie visée politique. », souligne Mélanie Perrier. Une manière par conséquent de concilier force et souplesse, dans le corps et dans la tête, liés sans aucun doute.

L’EXPÉRIENCE SENSORIELLE

La chorégraphe travaille depuis un an et demi à sa création To care. Et se saisit de la notion philosophique et éthique de care, développée aux Etats-Unis depuis plusieurs décennies déjà, « réévaluant la manière dont on peut se mettre en relation avec les autres. » Pas étonnant de sa part puisque son parcours est jalonné de cette envie de mettre les gens en rapport. Et la danse lui apparaît évidemment comme un langage et s’intéresse alors de près à la fabrique de cet art et sur la vérité qui en émane.

La recherche absolue de la performance et de la perfection délivrera un spectacle beau et techniquement irréprochable mais l’intention ne sera pas forcément juste, peu sincère. Elle se pose alors, tout comme Julie Nioche et Nathalie Schulmann, à la croisée de la pratique, des connaissances et de la recherche, travaillant sur l’analyse fonctionnelle du mouvement dansé.

« Il s’agit de trouver des choses bienveillantes pour le corps et de porter son attention sur la justesse. C’est un vrai parti pris artistique. On réinterroge ce qu’est un mouvement, ce que ça veut dire deux personnes sur un plateau, ce qu’est un objet spectaculaire et ce qu’on donne à voir. »
explique-t-elle.

C’est pour ces raisons qu’elle ne s’attache pas à uniquement se focaliser sur la danse pure. Mais fait intervenir la lumière également comme élément fondamental de la pièce. Pour ainsi délivrer « une vraie expérience visuelle et perceptive ».

L’expérience sensorielle est poussée par Anne Juren, danseuse, chorégraphe et praticienne Feldenkrais, dans ses Séances chorégraphiques, parmi lesquelles figurent Comma, déclinée le 10 janvier en version « Cannibale » et en version « Cage thoracique ».

Depuis deux ans, elle construit ses séances « en fonction des images de corps que j’emprunte à mes patients et aussi celles issues de mes propres fantasmes et de mon imaginaire. Comma veut dire virgule en anglais et en français fait penser au mot coma. Il correspond à l’idée de rentrer dans un univers qui s’invente au fur et à mesure et qui en appelle à l’imaginaire de chacun. » Ainsi, allongé-e-s sur un tapis de sol, les participant-e-s se laissent guider par la voix de l’artiste qui proposent alors un voyage à l’intérieur du corps anatomique.

Entre l’apaisement et le tortueux, la douceur et la violence, il en ressort quelque chose de l’ordre de l’appropriation de son propre corps grâce à une personne qui en est extérieure. « À chaque fois que je fais cette pièce, une sorte de transposition s’opère. Pour toucher, animer les corps inconnus des spectateurs et inventer une intimité possible sans les toucher vraiment, j’utilise des objets transferts et le lieu même, les odeurs, toutes les textures disponibles. Ce corps-espace devient le corps du spectateur étendu à l’infini et à inventer sur le présent. C’est une découverte à chaque fois. C’est une surprise de découvrir le talon de ces corps inconnus dans un coin de la salle ou des foies étendus sur le sol. Le corps est alors une fiction. L’idée même du corps comme nous avons appris à l’imaginer devient une fiction. », répond Anne Juren qui propose volontairement dans ce voyage corporel d’entrer à un moment par le vagin.

Elle poursuit : « J’aime proposer un autre corps que le sien. Parce que ces séances sont collectives, la femme peut penser à son vagin mais va aussi se projeter dans le corps d’un homme présent dans la salle. On est entre des corps. Cette transposition des corps m’intéresse davantage que les codifications du corps féminin et masculin, qui n’est qu’une catégorisation comme une autre. J’ai aussi construit une séance chorégraphique où on passait des organes sexuels féminins aux organes sexuels masculins constamment, au point d’en perdre la notion du masculin et du féminin, on est alors obligé d’inventer un autre corps qui n’existe pas encore. » Et finalement, le corps n’a jamais été aussi réel que lorsque cette fiction nous a permis de le ressentir, de l’imaginer et de l’envisager.

SE PLACER DANS LA RELATION À L’AUTRE, DANS L’INSTANT À VIVRE

Le corps, loin d’être uniquement mécanique et musculaire, est organique, vivant, et par conséquent multiple. « C’est dingue et c’est ça ce courant en fait ! », se passionne Mélanie Perrier. Elle s’élargit à une philosophie de vie. Et parle d’écologie de travail. Car si le modèle actuel de productivité est remis en question par cette réflexion et ses pratiques, il est à éviter de le reproduire dans sa manière de fonctionner. Prendre soin demande du temps et de l’énergie.

Pour réinventer un cadre de travail : « Prendre en compte la relation aux autres est très important. On part 9/10/12 semaines dans l’année et les équipes vivent dans le même lieu. C’est très particulier de vivre avec ses collègues ! Mais je tiens à faire attention à ce que j’apporte et ce que j’investis. Dans la technique de direction, le cadre de travail, le cadre d’hébergement, etc. je suis très exigeante. Cela me prend du temps mais c’est le prix de l’intégrité. »

Ainsi, elle réfléchit actuellement à des extensions de Care pour proposer des temps avec le public en amont des spectacles. Comme un protocole de discussion 1h30 environ avant la représentation et des siestes sonores pour décompresser. À l’image en somme des SAS proposés par Nathalie Salmon au Triangle (lire l’article « Dans le SAS, un instant privilégié » - 11 octobre 2016 – yeggmag.fr). Mélanie Perrier milite pour que le spectacle vu et vécu procure du bien-être.

« Au Garage, je n’avais jamais vu un public aussi attentif ! La majorité du public avait passé l’après-midi à faire des pratiques somatiques. Alors des fois, on ne ressort pas en bon état d’une proposition artistique, et tout n’est pas fait pour être beau. Mais la spécificité ici est que cela impacte le corps de celui qui le regarde. », explique-t-elle, faisant alors référence à la puissance de l’empathie kinesthésique, phénomène durant lequel le/la spectateur/trice ressent dans son corps le mouvement du danseur ou de la danseuse.

Un phénomène que l’on retrouve en quelque sorte dans Sensationnel, création développée par Julie Nioche et Isabelle Ginot, professeure au département danse de Paris 8 et responsable du parcours « Danse, éducation somatique et publics fragiles » dans cette même université. Le principe est simple : 6 participant-e-s sont assis-e-s en ligne sur des chaises et assistent à l’improvisation chorégraphique d’un-e danseur/seuse.

Durant toute la durée du spectacle, ils/elles sont touché-e-s, massé-e-s, manipulé-e-s par les sensationneurs/seuses. « Sensationnel est née de l’envie de travailler sur comment on peut faire ressentir la danse. On accompagne le danseur à travers le corps des spectateurs. », signale Julie Nioche.

L’ÉMANCIPATION, PAR SOI ET POUR SOI

Au sein de A.I.M.E, les professionnel-le-s de la danse, les praticiens somatiques et les artistes du toucher croisent leurs expériences et réflexions vers un objectif commun : « L’idée est de renvoyer à sa propre sensation, comme lieu de ressource. C’est un endroit d’éducation par le mouvement. Le but est de rendre les personnes en lien avec qui elles sont en tant qu’être unique. En général, on a tendance à se couper de nos émotions et les mettre sous le tapis. C’est une culture, une question d’éducation. Pour moi, être à l’écoute de soi, de ses émotions et les communiquer est aussi une question de responsabilisation générale. Et il est important de rendre les personnes responsables et autonomes. Tout ça est en train de s’ouvrir, des choses extras ont lieu ! »

Elle finit par lâcher le mot : ces pratiques sont émancipatrices. Explorer le rapport à son corps, considérer son corps qui souvent est délaissé ou du moins n’est pas défini comme une priorité et le connecter à son imaginaire permet de se rendre ouvert, disponible et donc moins autocentré, plus enclin à la bienveillance, à la solidarité et au partage. Anne Juren, qui de son côté s’emploie plus volontairement à employer le terme résistance plutôt qu’émancipation, est convaincue du potentiel puissant de cette ouverture à d’autres pratiques, basées sur l’écoute et la bienveillance dans l’objectif de délier ces résistances et s’affirmer.

Et quand on lui demande si ces méthodes pourraient constituer des outils pour les féminismes, dans le sens où le corps des femmes figure comme un des enjeux principaux à l’égalité femmes-hommes, elle répond avec simplicité et efficacité : « Bien sûr, ces méthodes entraînent un sorte de conscience individuelle et collective qui permet d’inventer un autre imaginaire, de fait un autre monde. » On n’en pense pas moins.

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Investir son corps sensible
La bienveillance, au service de la créativité
L'expérience de notre intérieur

Célian Ramis

Arts engagés : Lumière sur les opprimé-e-s

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Enquête sur les artistes engagé-e-s et leurs créations, qui ont pour vocation de susciter l'échange et le débat, de participer à la réflexion collective et de rendre visible la richesse de la diversité.
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« La question de l’universalisme dans les arts est occidentale. Ils sont gérés par des mecs, blancs, hétéros, qui se pensent objectifs et neutres. Alors qu’en réalité, ils produisent des choses qui racontent précisément où se situe le pouvoir. Quand on parle de « minorités », on désigne tout ce qui n’a pas le pouvoir, qui n’est pas dans la norme. », explique Marine Bachelot Nguyen, auteure et metteure en scène, présidente de HF Bretagne et membre de l’association Décoloniser les arts.

Théâtre, danse, cinéma, musique, littérature, arts plastiques, etc., femmes et/ou hommes s’engagent pour briser le système oppressé-e-s/oppresseurs à travers de nouvelles formes, dans lesquelles l’artistique cotoit le politique. Comment faire bouger les lignes des normes sociales et sociétales à travers les arts ? Et qu’advient-il de celle et de celui qui s’en empare pour faire la lumière sur des sujets ou des groupes de personnes minoré-e-s et invisibilisé-e-s ?

On a souvent tendance à penser qu’un-e artiste, par nature, est engagé-e. Dans la démarche de création, c’est le cas. Le processus même résulte d’un engagement qui peut être purement artistique. L’engagement, et certain-e-s s’en défendent avec ferveur, n’est donc pas toujours social ou politique. À cela, on peut arguer la limite de l’intime, ce dernier étant politique malgré tout, dès l’instant où il devient public. Les artistes rencontré-e-s ce mois-ci témoignent tou-te-s d’une démarche commune : participer à travers leurs œuvres à l’avancée des débats et des réflexions sur les sociétés actuelles, en rendant visibles minorités et opprimé-e-s et en brisant les barrières des normes, des tabous ainsi que celle des arts. Pour s’en affranchir et ainsi se diriger vers un avenir plus égalitaire.

Mercredi 23 janvier, une voiture stationne devant la maison de quartier Rennes Nord, La Maison Bleue. À l’avant, un homme, visiblement irrité par l’attente de sa femme. À l’arrière, leurs trois enfants. De retour du marché, leur mère s’installe dans le véhicule, ravie d’avoir acheté quelques friandises et une jolie robe. Mais son mari ne voit pas cette allégresse d’un très bon œil et laisse éclater, de manière crescendo, sa jalousie jusqu’à insulter son épouse en prenant les enfants à parti. Le moment de démarrer le moteur signe la fin de la scène. Mais pas de l’asphyxie et de l’angoisse ressenties.

Le couple est un duo de comédiens, les enfants des spectatrices/teurs. Sept minutes suffisent à nous plonger dans la violence d’une situation que l’on pourrait imaginer banale. Une querelle d’amoureux nourrie par la jalousie de l’homme. Sauf que les termes employés au cours de la conversation tendent à nous indiquer qu’il ne s’agit pas de la première dispute du genre. Lui l’accuse, l’agresse. Elle, tente d’apaiser les choses, de le rassurer avec légèreté. L’étau se resserre, l’homme fait de sa femme sa propriété et n’hésite pas à employer des mots forts de conséquence. Dévalorisants.

Dans le cadre du programme rennais Non aux violences faites aux femmes, la compagnie Quidam Théâtre a préparé Tu te prends pour qui ?, pièce pour 3 spectateurs/trices basée sur une scène de violence conjugale ordinaire, inspirée du témoignage de Rachel Jouvet. Cette dernière est à l’origine de la création Je te veux impeccable, le cri d’une femme. Loïc Choneau, metteur en scène de la compagnie, rencontre la comédienne qui finit par lui confier son histoire à elle, victime de violences conjugales il y a environ 20 ans (lire YEGG#19 – Novembre 2013).

L’expérience livrée le 23 novembre dernier découle donc de l’idée de décliner un moment de violence vécu par Rachel Jouvet et de le confronter à l’universel. « Car ce qu’elle vit devient un discours universel. Si vous enlevez le contexte et que vous gardez la question de fond, cela peut se passer n’importe quand et n’importe où. C’est pour cette raison que les personnages n’ont pas de nom dans la scène. C’est Il et c’est Elle. », souligne Loïc Choneau qui a conçu cette mise en situation avec la conscience que le moindre détail compte, « les silences sont importants, les mots renferment une violence extrême, de l’amertume et l’aller retour du ‘je t’aime, je te déteste’ est très significatif ».

Si il est à l’affut de toutes ces subtilités qui font le réalisme et la véracité du propos, c’est parce qu’il a passé du temps toutes les semaines pendant deux mois à récolter la parole de Rachel Jouvet. Et en parallèle, à se renseigner sur le point de vue de son ex-compagnon, en lisant les PV du tribunal par exemple : « L’idée n’est pas de faire une pièce qui les montre simplement l’un contre l’autre mais de montrer l’emprise qu’il exerce sur elle. »

CASSER LE MUR ENTRE LE THÉÂTRE ET LA RÉALITÉ

Loïc Choneau se dit « écriveur ». Un écriveur de spectacles de société. Tout le travail de Quidam Théâtre se nourrit des vécus des personnes rencontrées au hasard du quotidien ou sur demande d’intervention lors de conférences décalées – « des conférences loufoques pour lesquelles deux comédiennes interviennent, sur des sujets précis. Mais ce qu’elles disent est toujours vrai. » - ou de recueil des paroles retranscrites en livret.

En 10 ans, la compagnie a délié les langues et permis d’aborder des sujets intimes et/ou confidentiels, peu médiatisés ou peu traités dans les arts, ou réservés à une catégorie d’initié-e-s. Conditions de travail en abattoir, précarité sociale, droits de l’enfant, violences conjugales, vieillissement pour les créations. Numérique, anorexie ou encore suicide pour les conférences décalées. « C’est un module de proximité au format adaptable, qui facilite la parole et concentre le propos. C’est très efficace pour engager les débats. », explique-t-il.

Il parle d’écriture rapide, éphémère, qui n’a pas vocation à rester dans le temps mais a pour objectif de mettre en mouvement, être accessible et faire réfléchir en parlant du peuple, du quotidien. C’est là toute l’âme de l’éducation populaire à laquelle il a été élevé.

« J’ai ajouté l’artistique au politique ! Mais attention, ce n’est pas du théâtre miroir, on ne participe pas aux débats qui suivent nos interventions. »
précise-t-il.

Actuellement, la compagnie travaille, en lien avec l’association Déclic Femmes, au livret de paroles composé de 12 témoignages de femmes issues de tous les continents autour des « Langues en exil, féminin pluriel » : « Des femmes mexicaines, kurdes, marocaines, sénégalaises… ont réfléchi autour de ‘qu’est-ce que c’est que d’avoir sa langue lorsque l’on est en exil ?’ et ‘comment ça se tient ensemble avec le français ?’. Pour chaque texte, un extrait sera traduit dans la langue d’origine. »

Ce travail s’inscrit dans cette volonté de valoriser la parole, et dans le livret, cela passe par la confection d’un bel objet réalisé en micro-édition pour ne pas photocopier les écrits. Autour de ce projet se croiseront plusieurs disciplines artistiques en mars prochain, à l’occasion du programme rennais de la journée internationale pour les droits des femmes : « Une lecture se fera ici à La Maison Bleue avec une musicienne, une danseuse, une comédienne et les femmes en exil. »

Sur ce point, Loïc Choneau insiste : il n’y a aucune proposition nue. Le but est toujours de créer un échange par la suite. Et c’était précisément l’exigence de La Maison Bleue quant à la scène de violences conjugales. En effet, la maison de quartier a souhaité inviter Rachel Jouvet à un café citoyen qui a suivi la mise en situation.

« On est toujours intégrés à une démarche, on est un moment de la démarche. Une intervention ludique qui évite de tomber dans le pathos ou dans la tristesse. On est très attachés au sein de la compagnie à la dignité et à la solidarité. Et on aime travailler sur la porosité du vrai et du faux. », conclut-il. Pour casser le mur entre théâtre et réalité.

AGIR ENSEMBLE CONTRE LES DISCRIMINATIONS

La compagnie Quidam Théâtre se rapproche dans son essence et sa colonne vertébrale du théâtre forum et du théâtre de l’opprimé. Une forme permettant, à travers une interactivité entre les acteurs/trices et le public, de faire émerger la parole autour de sujets souvent complexes ou matières à polémique et à division de l’opinion publique.

Le 26 novembre dernier, c’est dans l’ancien EHPAD du square Ludovic Trarieux, dans le quartier de La Poterie, que la Cimade a donné rendez-vous aux Rennais-es dans le cadre du festival Migrant’Scène, voué à informer et sensibiliser les populations aux questions de racisme et de flux migratoire. Et cet après-midi là, c’est l’association Un toit c’est un droit qui prend la parole en ouverture de l’événement.

Pour expliquer que le lieu investi pour le festival est un squat qui regroupe à l’heure actuelle près de 160 personnes, enfants compris qui devraient bénéficier d’une occupation gratuite pendant un an mais qui manquent d’électricité et donc de chauffage, des démarches étant entamées mais pour l’instant pas réglées.

Des membres de l’association La Cimade, dont Aurélie Budor (lire YEGG#52 – Novembre 2016), sont intervenues plusieurs semaines durant pour organiser avec des migrant-e-s volontaires les trois scènes qui ont été présentées lors du festival. Pour recueillir  « leur point de vue en tant qu’opprimé-e-s et essayer de bouleverser l’oppression ». Ce sont leurs histoires qui se racontent sur la piste. Des situations qu’ils et elles ont vécues, ont livré et qui ont été mises en scène puis interprétées par d’autres personnes, comédiennes ou non.

Le principe est simple : les tableaux sont joués une première fois au public qui assiste alors à une série d’injustices aujourd’hui banalisées. Le racisme ordinaire sous sa forme la plus primaire. Qui se traduit par une méfiance des passager-e-s d’un bus vis-à-vis de deux hommes noirs, par des contrôles au faciès répétés et insistants ou encore par de la discrimination au logement basée sur le nom et l’accent de la personne.

Dans un deuxième temps, une des scènes est mise en forum, c’est-à-dire que les spectateurs/trices peuvent à tout moment intervenir pour modifier le cours des choses. La personne se placera alors du côté de l’opprimé-e, à sa place ou en soutien. L’exercice est difficile mais brillant. Permettant de faire sauter certains stéréotypes communs et profondément ancrés, on cherche ensemble des solutions pour agir et non pas seulement pour théoriser.

Chacun-e apporte sa pierre à l’édifice et révèle la complexité de ces situations. Sans trouver la « bonne réponse », l’expérience provoque un déclic et pousse à réfléchir en se responsabilisant davantage. Une forme efficace puisque ludique et collective qui se décline autour de n’importe quel thème sociétal et citoyen et qui peut s’appliquer à toutes les tranches d’âge et milieux sociaux et dans les endroits, notamment en milieu scolaire pour agir et réagir dès le plus jeune âge. Et qui complète les conférences gesticulées, issues de l’éducation populaire, qui apportent des connaissances théoriques autour d’un vécu personnel.

QUE LES MINORITÉS INTÉGRENT LA MAJORITÉ

De cela résulte un écho universel. Et s’il n’y a pas de propriétaire de l’universel comme le dit la metteure en scène et auteure Marine Bachelot Nguyen, elle s’attache dans tout son théâtre à mettre en lumière « ces voix minoritaires qui luttent pour être incluses dans l’universel ». La co-fondatrice du collectif Lumière d’août reste très attentive à ce que l’on qualifie d’universel et de minoritaire :

« La question de l’universalisme dans les arts est occidentale. Ils sont gérés par des mecs, blancs, hétéros qui se pensent objectifs et neutres. Alors qu’en réalité, ils produisent des choses qui racontent précisément où se situe le pouvoir. Quand on parle de « minorités », on désigne tout ce qui n’a pas le pouvoir, qui n’est pas dans la norme. »

Depuis bientôt 15 ans, elle participe à l’évolution du théâtre contemporain et s’intéresse de près à la dimension politique de cet art en effectuant des recherches universitaires sur le théâtre militant, dans la lignée du dramaturge Dario Fo, dont elle se revendique faire partie. « J’ai toujours assumé cette dimension politique et militante et je revendique les savoirs même si je m’expose à la critique de « tu parles d’un sujet qui te concerne donc tu n’as pas le recul ». Oui ça me concerne et ça te concerne aussi en tant qu’être humain ! »

AU CROISEMENT DES LUTTES

Le travail de Marine Bachelot Nguyen est imprégné de ces valeurs personnelles et de son vécu. Et surtout de l’intersectionnalité des luttes en laquelle elle croit fermement. Féminismes, racismes, lutte des classes, sexualités… Elle croise les divers systèmes de domination et d’oppression à travers une écriture très sensible et complète.

C’est un coup de poing dans la gueule que l’on recevait en avril dernier, à l’occasion du festival Mythos, à la lecture de son texte écrit pour la pièce mise en scène par David Gauchard, Le fils. L’histoire d’une mère qui livre ses pensées et ses réflexions autour de sa foi catholique, de son métier de pharmacienne, et qui va s’épanouir en prenant part à la Manif pour tous. Du 10 au 12 janvier prochain, elle présentera au TNB de Rennes sa nouvelle création, Les ombres et les lèvres, pour laquelle elle est partie au Viêtnam en 2014 afin d’y effectuer des recherches sur la communauté LGBT.

« Outre le militantisme collectif, c’est aussi l’intimité politique des jeunes gays, lesbiennes, bi et trans vietnamien-ne-s que j’ai souhaité approcher, à travers de nombreux entretiens menés sur place. Quel est leur quotidien, leur vécu, quelles sont leurs pratiques de visibilité ou d’invisibilité (dans la rue, la famille, au travail), leurs stratégies face à l’homophobie, leurs sexualités, leurs aspirations ? (…) Mon propre vécu de lesbienne française, née d’une mère vietnamienne, entre évidemment en ligne de compte, comme impulseur intime de cette recherche, comme zone de résonance avec les réalités et les altérités rencontrées. », écrit-elle dans sa note d’intention.

Son leitmotiv : donner à comprendre, à sentir, les féminismes et, au-delà, les visions du monde. Par la fiction, le jeu et le théâtre, « tu brasses autrement les idées et les choses, c’est une stratégie militante, et du plaisir, de passer par le sensible. » Elle poursuit :

« Je m’éclate à parler de tout ça. Je me revendique féministe, militante et j’ai la volonté de m’inscrire dans une histoire. Avoir la conscience des représentations minoritaires, c’est faire entrer ces minorités dans la majorité. »

Une manière donc de briser le système de domination et de se débarrasser de tous les carcans et normes qui régissent nos sociétés.

Pour cela, elle se heurte à la résistance des professionnels et au jugement du monde de la culture et des arts : « Si on parle de théâtre forum, de conférence gesticulée, etc., il faut bien voir que c’est minoritaire et minorisé. Décrédibilisé par le monde de la culture. Dévalorisé car ce n’est pas noble dans l’imaginaire. Lorsqu’un spectacle est social, engagé, il porte le soupçon de ne pas être esthétique. Moi, je me situe à un endroit où il me semble qu’esthétique et politique doivent se rencontrer. »

Elle rejoint les interrogations de Bertolt Brecht, dramaturge et metteur en scène : comment le politique vient faire bouger les lignes de l’esthétique ? Et finalement, qu’est-ce qui objectise l’esthétique ? Elle qui base son théâtre sur la notion essentielle de décolonisation de la pensée apprécie au contraire tous les champs des possibles qui s’offrent aux artistes qui s’affranchissent des codes de l’art « conventionnel ».

« Le décolonial donne quelque chose de touffu, de complexe, d’hybride. Pour moi, l’enjeu se situe sur la manière de représenter les minorités. On n’est pas à l’abri de la victimisation. Le minoré, c’est d’abord un corps invisible qui va devenir un corps victime, en souffrance, que le bon blanc va pouvoir aider. Mais quand ça va devenir un corps furieux, ça va devenir un corps que l’on repousse. Il faut créer d’autres modèles ! », souligne-t-elle.

Elle n’a pas peur de le dire : tout comme l’histoire est écrite par des hommes blancs, que les moyens de production diffèrent entre les hommes et les femmes, le public de théâtre est très blanc, et étonnamment féminin. Elle va plus loin : « Je n’ai jamais vu autant de personnes racisées qu’au théâtre de la Main d’or. Pareil pour le stand-up chez Jamel Debbouze. Le monde théâtral a intérêt à se secouer les puces ! »

MOINS DE PLACE POUR LES ARTISTES ENGAGÉ-E-S ?

Les décideurs culturels, les programmateurs, sont prévenus. Il est nécessaire de laisser sa frilosité de côté et d’oser proposer de nouvelles formes au public : « Je le vois bien, ils sont plus séduits par des histoires d’amour, des histoires de famille. Ce n’est pas compréhensible quand on entend dire que son spectacle ne pourra pas être programmé cette saison car il y a déjà un spectacle coréen par exemple. Les ombres et les lèvres, ça parle des LGBT mais aussi plus largement de la quête des origines et du deuil de la mère. Et je suis convaincue que le public a une soif d’entendre des histoires qui parlent des complexités de la vie. Je suis pour aller vers une pensée complexe mais accessible. C’est aussi ça le divertissement et la question du plaisir est extrêmement importante. »

Le prix à payer dans les arts engagés est l’éternelle étiquette de l’alternatif. Qui n’accède que très peu aux grandes salles et grandes scènes, à l’exception de quelques structures culturelles prêtes à bouleverser l’ordre établi, au moins une fois dans la saison. Le travail de réseau est permanent. Il est impératif, comme le confirme Loïc Choneau, mais aussi par la suite Clémence Colin et Olivia Divelec de la compagnie rennaise 10 doigts, de sans cesse renouveler son réseau, de faire des rencontres et de profiter de ces dernières pour participer au retournement des stigmates.

Ainsi que de savoir adapter ses partenaires à ses créations, comme le fait la compagnie rennaise 10 doigts. « Nous n'avons pas de diffuseur, et les salles de spectacles ne connaissent pas vraiment notre travail. », expliquent Clémence Colin et Olivia Divelec. La structure passe alors par des réseaux d’associations de sourds mais aussi par des lieux liés au livre et au corps : « Cela dépend du spectacle : Demoiselle au grand manteau est spécifique à la petite enfance donc concerne réseau des crèches, haltes garderie, ce qui ne sera pas le cas de la prochaine création Sedruos, dédiée à des structures culturelles plus grandes. »

Et si jouer dans une grande salle permet de toucher le grand public et d’intégrer le cercle restreint de celles et ceux qui seront ensuite programmé-e-s dans toute la France, l’objectif des arts engagés et des artistes militant-e-s ne réside pas là. Au contraire, pour faire bouger les lignes, un des moyens les plus efficaces est de se rendre directement sur place, au cœur de la réalité, au cœur du terrain.

Comme Migrant’Scène qui investi un squat pour son théâtre de l’opprimé ou comme Marine Bachelot Nguyen et la compagnie Quidam théâtre, et plus globalement pour les actrices et acteurs de l’éducation populaire, qui souhaitent tourner dans les centres sociaux, les maisons de quartier et tous les lieux qui drainent les populations concernées et surtout les populations les plus éloignées de la culture et des arts. Mais aussi l’Éducation Nationale afin de pouvoir sensibiliser les plus jeunes et leur donner l’opportunité de trouver des clés par eux/elles-mêmes.

DÉCLOISONNEMENT DES ARTS IMPÉRATIF

S’il est un impératif que l’on retient de ses rencontres, c’est l’urgence à décloisonner les arts et à les décoloniser. C’est ce que prône la danseuse et chorégraphe Latifa Laâbissi (lire encadré) mais aussi Marie-Christine Courtès qui a réalisé en 2014 le court-métrage d’animation Sous tes doigts. Elle réunit ici l’esthétique et le politique. Elle révèle une partie oubliée de l’Histoire, en l’occurrence celle de la guerre d’Indochine et du rapatriement de certains locaux qui seront isolés et délaissés dans un camp de transit.

Elle aborde ce récit tragique à travers trois générations de femmes, de la grand-mère vietnamienne à la petite-fille française, en mal de repères et en recherche d’identité. L’Hexagone n’a pas digéré son histoire coloniale et n’a pas géré l’accueil, de celles et ceux qu’elle a colonisé, à leur arrivée sur notre territoire. Et aujourd’hui, elle se détourne d’une jeunesse tiraillée et déboussolée.

L’histoire de cette famille va trouver une issue dans une danse virevoltante et sublime, liant arts traditionnels asiatiques et hip hop dans une danse et une musique contemporaines prenantes et bouleversantes, liant par conséquent la petite-fille à toutes les femmes de sa lignée. Décoloniser les arts est donc primordial. La thématique est parlante et fédératrice.

Au point de constituer une association nationale – dont Marine Bachelot Nguyen fait partie - composée de comédien-ne-s, d’auteur-e-s, de metteur-e-s en scène, de chorégraphes, de professionnel-le-s de l’audiovisuel, de journalistes culturels issu-e-s des minorités ou encore de plasticien-ne-s, réuni-e-s dans le but commun d’interroger les structures artistiques et culturelles sur leurs propositions plus que restreintes en terme de représentativités des minorités.

Mais il s’agit aussi de rendre l’invisible visible. Et une multitude d’artistes s’y attèlent au fil de leurs parcours ou tout au long de leurs travaux. À l’instar du photographe breton Vincent Gouriou qui présentait à la Maison des associations, du 3 au 25 novembre dernier l’exposition GENRE(S), à l’occasion des 15 ans du CGLBT Rennes.

Les clichés, saisis de douceur et d’amour, dévoilent l’intimité de couples homosexuels et lesbiens ainsi que de personnes transgenres. Les photographies accrochées contre les murs racontent l’histoire de Monsieur et Madame Tout le monde, dans son quotidien, son couple, son corps. Une manière de montrer la beauté de tous les êtres humains.

LA DIVERSITÉ, AU SERVICE DE LA CRÉATION

Rendre l’invisible visible donc mais aussi accepter la diversité comme une richesse et arrêter de l’envisager comme une menace. Rendre les arts accessibles et révéler toutes les possibilités que ces derniers fournissent, pour vivre et réfléchir ensemble. C’est la base de la compagnie 10 doigts qui propose systématiquement spectacles et ateliers en version bilingue, soit en français oral et en Langue des Signes Française.

Une idée de la comédienne Olivia Divelec, maman d’une enfant sourde, qui avait créé à Tours la compagnie 100 voix, sur le même fondement, cette même volonté de réunir les sourd-e-s et les entendant-e-s et interpeller la rencontre de ces deux langues sur un plateau. En arrivant sur Rennes il y a 4 ans, la comédienne décide de relancer l’aventure en pays breton et fonde une compagnie constituée d’une équipe mixte de sourd-e-s et d’entendant-e-s.

« Les gens ont toujours en tête des clichés sur les minorités... en faisant un atelier, une vidéo en langue des signes ou un spectacle​ même si le thème n'est pas toujours engagé nous laissons une trace donnant une autre vision​. Dans les histoires en doigts et voix (des lectures publiques) nous avons dans notre liste le livre A poil. Normalement ce n'est pas censé être politique mais visiblement pour certains oui. », répondent Clémence Colin, artiste sourde, et Olivia Divelec, à quatre mains dans un mail.

Et quand on leur pose la question de leur engagement, elles ne prennent aucun détour :

« Bien sûr, le militantisme est présent quand on crée. Le fait d'êtres femmes, sourdes ou mamans d'enfant sourd ... Quand on monte sur scène on s'engage. Nos thèmes sont ceux du grandir mais aussi celui des femmes dans nos langues respectives. Nous militons avec nos moyens : chansigne; danse; théâtre... »

La question de l’accessibilité est importante pour la compagnie, qui partage également leurs féminismes. Mais la priorité réside dans la création. Une création pluridisciplinaire qui se saisit du bilinguisme pour compléter une œuvre déjà diversifiée en matière d’arts déployés. Les deux artistes expliquent :

« À la création, cela permet d’avoir des visions artistiques avec des prismes différents. Mais aussi d’aller plus loin dans le son par exemple : Dans Peau de bête(s) le son est projeté au mur, celui-ci est créé par des vibrations dans de l’eau. Sur scène, lors de moments musicaux, il y a de la danse, des vibrations, de la voix, des signes. Tout devient un champ vaste de recherche non pas pour rendre accessible mais bien pour créer. »

La langue des signes ne se suffit pas en elle-même pour bâtir un spectacle et n’est pas un motif pour les entendant-e-s de s’en détourner, pensant qu’il n’est pas concerné. « Ce n’est pas de la danse, à moins que ce soit le choix de l’artiste ; elle peut être comme n’importe quelle langue, vulgaire, mal « prononcée », poétique, quotidienne, lyrique… Il y a autant de comédiens utilisant la langue des signes que de styles. Après à chacun son goût concernant les spectacles et les interprétations ! Si un chanteur anglais ne chantait que pour ceux qui comprennent, la face du monde musical serait bien changée ! D’autres sensibilités sont en jeu. », précisent-elles, conscientes que si le public adhère majoritairement à leurs propositions, certaines personnes peuvent encore associer leur univers à une gène visuelle ou un outil pour aider les sourd-e-s. D’autres encore tombent dans une bienveillance contraire, réduisant la langue des signes à une simple danse.

CONTES D'AUJOURD'HUI ET DE DEMAIN

Pour se faire sa propre idée, les occasions de découvrir la compagnie ne manqueront pas prochainement. Actuellement en création, Sedruos, devrait réhabiliter les femmes sourdes que l’Histoire néglige et dissimule, à travers des témoignages récoltés aux quatre coins de la France. Aussi, la compagnie investira du 9 au 13 janvier, l’Hôtel Pasteur, à Rennes, pour nous guider Sur les traces du petit Chaperon rouge, « une installation sensorielle pour plonger dans l’histoire. (…) L’occasion d’aller à la rencontre d’un nouveau monde pour les entendants : le monde sourd, un monde de vibrations, de signes et d’images ».

Une manière aussi de revisiter les contes en valorisant tout ce que ces derniers laissent de côté dans leur version originale, soit la diversité. C’est pour cette raison que Apsara Flamenco a choisi de reprendre l’histoire de Cendrillon. La jeune demoiselle est une gitane employée de maison sur la Côte d’Azur et la marrain, une juive marocaine élevée dans une communauté gitane. Voilà qui fera certainement tousser et pâlir certain-e-s intégristes du répertoire classique, blanc, chrétien, etc.

« Nous abordons les thématiques telles que l’esclavagisme moderne, la migration et la discrimination et par là même, les questions bien présentes de pluralisme, féminisme et fraternité. L’occasion pour nous d’évoquer notre propre parcours, notre relation au flamenco et ses différentes expressions sous un angle nouveau, percutant, engagé et comique. », explique la note d’intention sur le site de la structure présentant Oma la « trop » merveilleuse histoire de Cendrillon qui sera dévoilée aux Rennais-es le 15 janvier, à la Maison des associations, à l’occasion de l’événement Conte moi la liberté.

Le conte enchantera donc le début de l’année 2017 de par son renouvellement et sa modernité. C’est d’ailleurs un des nouveaux projets des éditions Goater qui lancent un appel à textes, en lien avec le CGLBT Rennes et les Bookonautes. Novices, amateur-e-s ou professionnel-le-s peuvent envoyer leurs contes et histoires arc-en-ciel, pour ados et adultes, avant le 3 janvier prochain.

Aucune contrainte du côté du genre littéraire employé mais obligation de faire découvrir des personnages LGBTI et de casser les clichés et stéréotypes liés au genre, à la sexualité, aux orientations sexuelles, aux comportements. « Que se passerait-il si les histoires d’amour, les farces, la morale, ne reflétaient plus le monde idéal de la famille traditionnelle, mais venaient parler de nos vies, de nos peurs et de nos amours, quels que soient nos désirs, nos orientations sexuelles et nos identités de genre ou même nos cultures ? », s’interrogent les protagonistes de cette initiative.

Une question pertinente et déclinable à tous les domaines de la société. Arts et monde de la culture compris.

Tab title: 
La diversité, à la base de leurs créations
Briser les chaines de l'oppression
Bousculer les frontières de l'art et de l'histoire
Des réalités sur grand écran

Célian Ramis

Corps des femmes : ras-le-bol des injonctions !

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En 2016, en France, la libre disposition du corps des femmes n'est toujours pas acquise, encore moins admise. Elles témoignent de leurs vécus, ressentis et expériences. Et surtout de leur manière de dire non aux injonctions !
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« Non, monsieur Sarkozy, les femmes n’ont pas toujours été libres… » C’est ainsi que le quotidien Libération titrait le 23 octobre dernier la tribune de Helena Noguerra, actrice et féministe, répondant aux propos de l’ancien président de la République qui déclarait le 9 octobre au Zénith : « La femme n’est soumise à aucune pression vestimentaire parce que chez nous, en France, la femme est libre depuis toujours. » Et voilà comment on banalise et on occulte une partie de l’Histoire et les combats féministes.

Car non, les femmes n’ont pas toujours été libres et ne le sont toujours pas. LES femmes, et non LA femme, subissent des pressions vestimentaires, et plus globalement subissent des pressions sur tout ce qui attrait au corps, non pas que de la part des religions mais sous prétexte d’une morale établit par les sociétés patriarcales. En 2016, les femmes ne disposent toujours pas librement de leurs propres corps. Le maitre mot de ce dossier : foutez nous la paix !

« Mon corps est une cage qu’on lui a fabriquée, il a dit amen sans jamais pardonner / Je suis toujours à l’âge où je m’entends crier, je raisonne même quand ma bouche est fermée. Mon corps est une cage qui m’empêche de danser avec l’homme que j’aime / Et moi seule ai la clé. »

Impossible de ne pas entendre raisonner la voix de Jeanne Cherhal lorsque se pose la question du rapport au corps et à son appartenance. La symbolique du corps et de la cage est parlante. Et si le corps des femmes est une cage, ce sont bel et bien elles qui en ont la clé. Mais en briser les verrous n’est pas tâche aisée. Et encore faut-il réaliser la charge qui incombe les femmes. Car le discours ambiant peut se révéler insidieux et vicieux. Les années 50 sont révolues, les années 60 et 70 sont passées par là et avec elles, la libération sexuelle, l’accès à la contraception, le droit à l’avortement, l’espoir d’une émancipation complète est en vue.

Aujourd’hui, les femmes portent des pantalons, jouent au foot, sont aviatrices, militaires ou encore agents de sécurité, n’attendent plus de trouver un mari pour quitter le domicile familial, peuvent ouvrir un compte en banque sans l’autorisation de l’époux. Des lois en attestent.

Bref, les femmes sont libres, clament les bonimenteurs ! Libres de ressembler à un modèle unique défini par la publicité et repris par les médias : blanche, jeune, mince, le corps sculpté, les fesses galbées et la poitrine rebondie. Sans poil qui lui court sur les jambes ou sous les aisselles, le teint frais et maquillé.

Elle voudra sans hésiter être mère et allaiter sans discuter, avant de disparaître de la circulation… En sous-marin, elle apprendra à son fils à devenir un homme fort et à sa fille à être jolie et souriante. La caricature est à peine poussée. Alors, la libre du disposition du corps : un leurre ou un idéal à atteindre ?

QUELQUES PROGRÈS

« J’ai eu la chance de tomber dans la période où la contraception était légale. Et je pense que j’ai pris conscience de ça parce que je suis allée à Paris. Si j’étais restée à Audierne (Finistère), ça n’aurait certainement pas été la même chose. », explique Jeanne Le Berre*. Âgée de 60 ans, elle se souvient n’avoir eu aucune information sur le corps et la sexualité durant sa scolarité ou auprès de ses parents.

« On ne parlait pas de ça à la maison. Jeunes, on entendait simplement dire « il l’a mise enceinte, ils sont obligés de se marier. » Le reste ne se disait pas. », poursuit-elle. Un peu avant ses 20 ans, elle part à Paris et travaille aux PTT. La révolution sexuelle a bien eu lieu mais le poids des idées persistait. Chez elle, à Audierne, on ne parle pas féminisme mais sa mère se bat farouchement pour l’éducation de sa fille et surtout son indépendance plus tard.

« C’était son féminisme à elle. Elle qui adorait apprendre mais qu’on n’a pas laissé faire des études, elle voulait vraiment que moi je réussisse, elle était exigeante et peut-être même un peu trop parce que j’étais sa fille, il m’aurait peut-être fallu moins de pression mais bon. Après, elle ne le disait pas comme ça, c’était juste une évidence. Mais sur les femmes, elle ne disait rien sinon. Même pendant ma grossesse, elle me posait parfois des questions sur ma santé, mais c’est tout. Elle ne m’a même pas dit qu’elle avait accouché d’un enfant mort à la naissance, je l’ai découvert dans le livret de famille. Quand je lui ai posé des questions, elle m’a juste fait comprendre qu’elle était énervée contre la sage femme, arrivée trop tard à la maison pour aider l’enfant qui devait avoir le cordon autour du cou je crois. », se souvient-elle.

Et en vivant à Paris, elle gagne son indépendance. Ne pratique pas le métier qu’elle aurait voulu mais elle travaille et vit sa propre vie. S’implique dans un syndicat, rencontre pas mal de jeunes et vend pendant un an le magazine Antoinette, édité par la CGT entre 1955 et 1989. Un média qui soulevait les problèmes rencontrés par les femmes au travail mais aussi au quotidien, en abordant la question de l’égalité, de la répartition des tâches domestiques, etc.

Mais les langues ne se délient pas tout à fait, particulièrement dans le rapport au corps : « On parlait plus ouvertement que dans les familles. Surtout en venant de la campagne. Mais bon on ne parlait pas de tout. À cette époque, l’IVG était devenue légale mais dans les mentalités, ce n’est pas pour autant que ça avait changé. Pourtant quelle chance d’avoir cette possibilité si on ne peut pas ou si on ne désire pas le gamin ! Moi, je sais que quand j’ai fait mon avortement même si c’était pour raison médicale, il y avait peut-être quand même un peu de culpabilité. En tout cas, on ne le clame pas sur les toits. ».

PAS TOUT À FAIT LIBRES...

Les avancées sont indéniables. Les femmes, au fil des années et des combats féministes, ont gagné en liberté. C’est certain, on aurait du mal à vivre dans les années 70, comme le dit Lydie Porée, présidente du Planning Familial 35 et co-fondatrice de l’association Histoire du féminisme Rennes.

« Mais notre liberté est une liberté concédée, autorisée. Elle n’est pas acquise, ni égalitaire. Le recadrage se fait très vite, on nous renvoie souvent l’idée de « vous êtes libres, mais faites attention quand même… ». Quand on dénonce ou que l’on dit les choses, on reçoit de mauvais commentaires en retour. »
déclare-t-elle.

Elle fait ici référence à la blogueuse et chroniqueuse Klaire Fait Grr dont les dessins et vidéos suscitent souvent des réactions. L’an dernier, elle avait superbement répondu à Marion Maréchal Le Pen, candidate à l’élection régionale en PACA, qui prône la (dangereuse) diminution, voire l’arrêt total des subventions aux associations féministes, et particulièrement celles versées au Planning Familial. La vidéo lui a valu une tonne de commentaires haineux de la part des anti-IVG.

L’auteure de bande-dessinées engagées a alors l’idée de les regrouper dans un livret, dont les bénéfices – 14 004 euros - ont été reversés au Planning Familial. Récemment, le blog Les efFRONTé-e-s a relayé un communiqué réalisé par les associations féministes marseillaises, à la suite de l’agression par balle de Marguerite Stern à son domicile dans la nuit du 19 au 20 octobre. Connue pour être une ancienne militante du groupe FEMEN, elle recevait depuis son installation dans le quartier des menaces de viols.

Pourquoi ? Parce qu’elle milite pour l’égalité des sexes ? Parce qu’elle refuse de se taire face au harcèlement de rue et d’être un objet dans l’espace public ? Entre autre. Le viol est alors brandi comme un acte de sanction, de punition. Pour remettre certaines femmes dans le droit chemin, pardi ! Malgré les menaces qui planent au dessus de sa tête et l’agression par balle, Marguerite Stern a choisi de ne pas se taire, de ne pas céder à la terreur.

De porter plainte – et par conséquent de se confronter à des remarques sur sa manière de s’habiller et sur son comportement qu’on lui conseille de se faire discret, en faisant « profil bas » - et de témoigner. Pour elle et pour les autres, qui n’osent briser la loi du silence qui les restreint à la honte et la culpabilité.

« Je n’ai pas porté plainte parce que je n’ai pas compris tout de suite ce qui s’était passé. Je ne mettais pas de mots dessus. Sur le coup, je me sentais coupable. Puis j’ai éprouvé de la honte et de la haine, après avoir pris 10 douches d’affilée. J’avais la sensation que si j’en parlais aux gens qui étaient dans la soirée, ils allaient me dire « On t’avait dit de ne pas y aller. ». Puis j’ai commencé à mettre des mots, à en parler avec le mec avec qui je suis sortie après, ça m’a permis de déculpabiliser mais j’en parlais avec détachement. », confie Charlotte Monge*, 26 ans.

Cela va bientôt faire 10 ans qu’une nuit en Allemagne son agresseur l’a violée. À deux reprises. Ce soir-là, elle est sortie avec des ami-e-s, a croisé un homme et l’a invité à se joindre à eux/elles. Il lui a proposé de fumer un joint chez lui, elle a accepté. Le consentement s’arrête à ce niveau-là. Mais pas pour lui. Le lendemain, avant de partir travailler, il lui a tendu sa carte pour qu’elle le rappelle.

« Le mec n’a même pas réalisé ce qu’il avait fait. Je pense qu’aujourd’hui encore il se dit qu’il n’a jamais violé personne. Je n’ai rien dit en rentrant en France, je voulais oublier. Quand j’y ai repensé, je me suis dit que rien n’irait dans mon sens dans cette affaire. J’ai accepté d’aller chez lui. »
poursuit Charlotte.

C’est là, la preuve d’un problème sociétal. Femmes, hommes, homosexuel-le-s, trans, queer, qu’importe la couleur de peau, l’âge, le comportement, la tenue ou l’attitude, le degré d’alcool, rien ne justifie une agression qu’elle soit morale, physique ou sexuelle. Pourtant, statistiquement, les femmes sont bien plus nombreuses que les hommes à en être victimes. Selon les chiffres publiés sur le site du Collectif Féministe Contre le Viol, 86 000 femmes sont victimes de viol ou de tentative de viol, chaque année en France.

Et l’enquête « Cadre de vie et sécurité », réalisée par l’INSEE entre 2010 et 2015, donne des chiffres effarants : 90% de ces femmes connaissent leur agresseur, 37% sont des conjoints vivant avec elles au moment des faits, 36% sont des agresseurs connus ne faisant pas partie du ménage de la victime, 17% des agresseurs vivent avec la victime sans être leur conjoint, 10% sont inconnus.

Mais tous les cas révélés – peu de femmes osent franchir la porte du commissariat pour porter plainte - de viols ou d’agressions sexuelles ne sont pas condamnés. La plupart des agresseurs ne seront pas inquiétés. D’autres seront excusés. Parce que la ligne du consentement serait difficile à définir. En clair, la parole des femmes n’a pas le même poids que celle des hommes.

INVERSION DES RÔLES

Aurait-on la même réaction si les rôles étaient inversés ? Sur Facebook, le témoignage d’une femme québécoise circule : « Y’a plusieurs années, je suis sortie dans un bar avec un gars. On a bu. On a flirté. On s’est frenché. Il m’a demandé si je voulais qu’on se prenne une chambre dans un hôtel pas loin. Pis j’ai dit oui. Pis c’est comme ça que je me suis retrouvée dans une chambre miteuse, profond dans Laval avec des miroirs au plafond pis du print fleuri mur à mur. On a repris les choses où on les avait laissées au bar.

On en était à se déshabiller quand il a reçu un message texte. C’était sa blonde, dont j’ignorais l’existence. La conscience du gars l’a rattrapé – un peu tard, me diras-tu. Il a changé d’idée. Il ne voulait plus aller plus loin. J’étais en crise. De me retrouver loin de chez moi, au milieu de la nuit, les hormones dans le tapis, soûle avec un gars qui m’a caché qu’il était en couple. Pis je l’ai pas violé. Pourtant, il l’a quand même cherché un peu… come on. Il se soule avec moi alors qu’il me connaît à peine, accepte de monter dans une chambre d’hôtel, m’embrasse, me dit explicitement qu’il veut qu’on couche ensemble. J’aurais pu décider que c’était trop tard pour reculer. Y’aura beau dire… Y’avait clairement le goût, t’sais.

Ça sonne con, dit de même. Ça sonne con jusqu’à ce qu’on inverse les rôles. (…) Si les rôles étaient inversés et que c’est moi qui subissais l’agression, tout à coup, ça ne sonne pas fou la théorie de la négligence. On me dira que j’étais inconsciente de monter dans la chambre d’hôtel d’un étranger, on me demandera ce que je portais, combien j’avais bu, si j’avais laissé entendre que j’étais intéressée, si j’ai dit non assez fort ou si je me suis débattue longtemps.

C’est ça, la culture du viol. Une culture pour qui le sexe est le droit des hommes et le devoir des femmes. Où les hommes sont des bêtes dénuées de libre arbitre et les femmes, des objets de convoitise qu’il convient de prendre à son gré. »

L’inversion des rôles est révélatrice. Pourquoi les femmes sont-elles plus exposées ? Pourquoi quasiment toutes les femmes expérimentent à un moment donné de leur vie, de manière plus ou moins répétitive, le harcèlement de rue ?

« Tout est dans l’éducation, répond Lydie Porée. Nous sommes élevé-e-s dans l’idée que les femmes sont disponibles. Hommes et femmes intègrent ça. Et pour nous, il est très difficile de savoir ce que l’on veut et où se trouve notre propre désir ?! Est-ce que je fais les choses par envie ou est-ce que je réponds aux injonctions ? On gère tout, de notre manière de s’habiller à notre comportement. C’est une gestion permanente du potentiel danger. Pour moi, la libre disposition de notre corps est encore une conquête à faire. Par les femmes c’est certain, mais ça ne pourra se faire sans changement d’éducation. Car nous, seules, sans changement des mentalités, n’avons pas beaucoup de marge de manœuvre. »

Collectivement et individuellement, tout le monde est concerné et doit participer à cet avènement. Néanmoins, la prise de conscience est lente et difficile.

« Il y a beaucoup de privilèges à être dominant. Quand vous savez que potentiellement quelqu’un va faire les courses et les tâches ménagères pour vous, que vous serez mieux payé, mieux considéré… Accepter d’y renoncer, ce n’est pas facile. Pour nous, c’est cramé mais c’est pour les générations futures qu’il faut agir. Par l’éducation. L’émancipation, je ne nous y vois pas. Car ce n’est pas non plus facile d’admettre qu’on n’est pas aussi bien loties qu’on veut bien nous le faire croire. Casser le mythe du Prince Charmant, par exemple, c’est tout un monde qui s’écroule. L’émancipation ne pourra pas se faire non plus sans alliance avec la lutte contre le racisme, contre l’islamophobie, contre les LGBTIphobies, et je pense aussi avec les discours sur l’écologie. », avoue la présidente du Planning Familial.

LIBÉRER LA PAROLE

Un autre point est à prendre en compte selon elle. Celui du rôle du collectif et de l’individuel. En comparaison avec les groupes Femmes existant dans les années 60/70, elle a le sentiment que l’on a perdu de l’espace concernant la livraison de témoignages du quotidien.

« Je ressens, mais c’est très personnel et peut-être pas général, que sur les féministes pèse la pression d’être déjà émancipées. On a aujourd’hui les savoirs, les chiffres, les arguments. Mais les féministes peuvent aussi tomber dans les processus d’un pervers narcissique par exemple ou dans des problématiques de violences domestiques. J’ai l’impression qu’elles ne vont pas oser en parler car ça fait mauvais genre pour une féministe. Elle est censée savoir ! Il n’y a pas beaucoup d’espace pour lier l’intime et le politique. On a les ressources et on peut parler des droits à disposer de nos corps mais par exemple, je n’ai jamais entendu beaucoup de témoignages personnels d’avortement. », souligne-t-elle.

Certaines langues se délient et des personnalités comme les auteures Annie Ernaux ou Colombe Schnek en font état. Plus récemment, c’est l’animatrice Flavie Flament qui a révélé au grand public son viol. Mais la révélation fait polémique. Faut-il étaler sa vie privée dans les médias demandent certains, tandis que d’autres s’épanchent sur l’agression sexuelle présumée (« agression ou pas agression ? parce que quand même elle avait un sacré décolleté… ») d’une jeune femme dans une émission à forte audience sur la chaine C8. Des débats sans fin symptomatiques du manque d’information et de sensibilisation aux libertés individuelles et à la responsabilité collective d’actes barbares non réprimés, tus et banalisés.

RÉSISTER ET SE DÉFENDRE

Car trop souvent, les violences envers les femmes sont banalisées. Selon Charlotte Monge, « se dire que les femmes disposent librement de leur corps et dire que l’égalité des sexes est acquise, c’est ce que les gens ont envie de voir. C’est ce que l’on aimerait se dire mais il y a un gros déni dans ce discours. » Si dix années se sont presque écoulées depuis la nuit de ses viols, elle n’en a pas pour le moins un souvenir flou.

La reconstruction a été longue. Il y a eu de la part des personnes à qui elle s’est confiée des réactions d’empathie, de colère, des non réactions, des maladresses. Il a fallu admettre que ce qui s’était passé était réel, déconstruire l’idée qu’elle en était responsable, se débarrasser du sentiment de saleté qui lui a collé à la peau après l’acte, affronter la peur de la pénétration et passer par des séances de sophrologie pour se libérer petit à petit de la honte et de la culpabilité.

Aujourd’hui, ce qui l’attriste, « c’est de devoir être tout le temps blindée. Mettre les limites avant même de connaître les gens pour qu’il n’y ait pas d’ambigüité, je ne m’y fais pas. » Sa façon d’affronter, c’est de ne pas céder aux injonctions et de ne pas accepter le rôle que l’on assigne aux femmes.

« Je n’ai pas envie de ne pas m’autoriser à aimer plaire. Je sais qu’il faut faire attention, mais dans un monde idéal on devrait pouvoir. Dans le respect. On devrait avoir le droit d’aimer le rapport social, que ce soit avec les filles ou que ce soit avec les garçons, dans l’amitié, les rencontres tout simplement. Aujourd’hui, quand je vois que l’autre interprète autre chose, je mets les barrières plus rapidement. »
explique-t-elle.

Mais voilà, souvent ça dérape. L’autre veut plus. Et pense qu’il peut exiger davantage. Victime d’une agression dans un bar par un vigile qui la pousse et la coince dans les toilettes pour une fellation, elle s’est défendue et s’en félicite à présent : « J’avais accepté de discuter avec lui mais c’est tout. Je me dis « Fait chier de se mettre dans ce genre de situation ». À cause de ce qui m’est arrivé en Allemagne, j’ai su réagir et me défendre pour que ça ne se reproduise pas. C’est un sentiment de fierté d’y être arrivé, même si après j’en ai pleuré. Je fais confiance aux gens et je veux continuer de faire confiance. C’est une angoisse après un viol mais je ne veux pas faire un blocage ni une généralité sur les hommes. »

Une attitude que Lauriane Mordellet rejoint complètement. Elle s’insurge contre les images transmises dans les films, les séries, les médias et les publicités véhiculant un modèle unique de femme, plein de stéréotypes. Des images qui inconsciemment orientent les femmes vers leurs assignations d’objets sexuels et de marchandises mais qui créent aussi selon Lauriane de la haine chez les femmes envers les autres femmes.

« On doit toujours se défendre et on se hait car on veut nous faire croire qu’on est en position de faiblesse. Perso, j’ai la chance d’avoir évolué dans un milieu où on m’a laissé ma place de femme. Oui, je dispose de mon corps parce que c’est mon souhait. Et cela implique de ne pas prendre les réflexions des autres en compte. », dit-elle, déterminée. Oublier le regard de la société et s’affranchir de ce que pensent les autres, une belle théorie souvent difficile à mettre en pratique. Mais pour cette artiste plasticienne de 26 ans, le combat n’est pas perdu. Il se joue au quotidien.

« La difficulté, c’est que même quand on est fortes et battantes, on peut être pétrifiées par des remarques. Ça m’arrive. Je sors beaucoup, j’aime mes formes, je les assume et je les montre. Je prends des réflexions et des mains au cul et ça ce n’est pas normal. Parce qu’en plus ça nous pousse parfois dans des situations de violence. Une fois, je me suis énervée, j’ai chopé le type par le col et je lui ai dit que sa mère - ou son père ou les deux - ne l’avait certainement pas éduqué comme ça ! Jamais je ne me permettrais d’attraper des couilles, des fesses ou même des seins. Dans ce geste, on oublie les frontières du privé et de l’intime. Perso, moi je ne veux pas lâcher ce combat et je ne lâcherais pas ! », s’indigne-t-elle.  

LA LIBERTÉ À JOUIR

Une des plus grandes révélations, pour Lauriane, dans l’acceptation du corps est celle de la jouissance. Le droit à jouir. Lorsqu’une femme est capable de se dire que oui des fois elle jouit et des fois elle ne jouit pas : « Quand tu assumes ça, on te traite de salope. Non, c’est juste un droit. Un partage mutuel entre une femme et une femme, une femme et un homme, un homme et un homme. »

Elle en parle librement et ne s’embarrasse pas, à juste titre, des qu’en dira-t-on. La libération de la gent féminine doit passer par là. Franchir le cap d’une libre sexualité, soit apprendre à se connaître personnellement et à poser ses propres limites, en fonction de son libre arbitre. Et ça, ça peut déranger certains de ses partenaires.

« L’autre prend conscience que ton corps t’appartient. Il n’est pas le maitre de ton corps. Il n’est plus l’animal dominant. Ça a déjà créé de la violence dans mes rapports. Une fois, je me suis faite étrangler car il avait besoin de reprendre le dessus. Je n’étais pas consentante à cet étranglement, c’était simplement de la maltraitance. Ça a été sa réaction face à la peur de ne pas dominer. D’autres vont arrêter de bander. Et d’autres vont se laisser guider pour aller ensemble vers une jouissance mutuelle. Tout le monde n’est pas à mettre dans le même panier. », souligne-t-elle.

Si il lui est arrivé parfois de rester un peu figée, sans réaction, elle a désormais choisi de raisonner d’une autre manière : ne plus se sentir redevable. Se détacher de ce sentiment qui assaille souvent les femmes. « On se dit que parce qu’on est allée chez le gars, bah on est un peu obligée d’aller au bout. Mais non, pas du tout. Si on veut se barrer, on se barre. On peut avoir eu envie, on peut avoir commencé quelque chose, si à un moment on n’accepte plus ou on ne veut plus, il faut bien se dire qu’on est redevable de rien du tout. Ce n’est pas parce que le gars aura payer un verre qu’on lui est redevable. Et pareil pour lui. Mais c’est sûr, ce sont des situations qui amènent de l’appréhension. », poursuit Lauriane.

Directrice de séjours pour jeune et formatrice BAFA auprès de l’association Aroeven Bretagne, elle milite pour la transmission des savoirs, à travers des jeux de rôle par exemple. Une manière de faire dont parle également Charlotte Monge, sensible à l’outil pédagogique du théâtre forum.

PARTAGER ET TRANSMETTRE

La transmission, le partage d’expériences, le dialogue… C’est ce que prône Agnès Galle, actuellement en reconversion dans les médias, rencontrée sur le canapé des Brétilliennes (émission présentée par Christine Zazial, sur TVR 35). À 32 ans, elle est la mère de deux petites filles et se préoccupe de la manière dont elles vivront plus tard leur corps :

« À la naissance, j’ai été surprise de voir à quel point elles pouvaient avoir une carrure différente. On n’est pas tou-te-s pareil-le-s, on a des morphologies différentes, des couleurs de peau différentes, mes filles sont métisses, ma famille est multicolore. Quelque soit leur carrure maintenant et en grandissant, j’espère qu’elles se sentent et se sentiront bien, qu’elles s’aiment et s’aimeront comme ça. J’aimerais qu’on leur inculque l’acceptation de soi pour que le monde leur appartienne ! »

Le corps comme outil de force et non comme source de complexe. Transformer le cercle vicieux en cercle vertueux. Car la réussite de toute l’image publicitaire autour du corps des femmes est de parvenir à créer des conflits permanents entre la gent féminine et leur corps.

« On est dans une société schizophrène qui dit tout et son contraire pour mettre les femmes tout le temps en position de consommatrices. Et même quand on sait que les photos sont retouchées, on intègre tout de même les injonctions et les complexes. On est complètement fous avec tout et on ne voit qu’à travers le prisme du poids, de l’âge, des signes du temps qui passe. Et on cherche en permanence à tout gommer au lieu de montrer les beautés de chaque âge, etc. On cache le réel, mais il faut montrer la vie ! Je rêve de voir sur les panneaux publicitaires des femmes de 40 ans, sans masquer les rides, etc. Des femmes bien dans leur peau et épanouies ! Des femmes qui existent et non pas le faux modèle après lequel les femmes courent ! », s’enthousiasme-t-elle.

Agnès, c’est le sourire quasiment en permanence. Parce qu’elle y croit au pouvoir du sourire et de la bonne humeur, qui transmettent un message positif et rempli d’espoir. Lorsqu’elle est victime de harcèlement de rue, elle essaye de toujours répondre poliment, de dialoguer, de ne pas perdre la face et masquer son appréhension si elle sent que la situation se tend.

TROUVER L'ÉQUILIBRE

Pour autant, elle démontre une certaine fermeté. Agir avec souplesse ne rime pas avec se faire marcher sur les pieds et écraser. Elle s’affirme dans l’intégralité de sa personne : « Il faut du respect. Pour tout. C’est important de prendre soin de soi. Le physique et le moral sont très liés. J’ai fait un burn out et récemment une dépression, j’ai pris du poids. Maintenant, je veux faire attention à moi, être dans la douceur avec mon corps. Il a tellement éprouvé ces dernières années que je ne supporte pas du tout qu’on l’insulte en me parlant de mon poids. »

Quand elle parle de ses grossesses, elle évoque un tsunami émotionnel, une expérience extrême, avec ses bonheurs et ses diffcultés. Un bouleversement sur tous les plans. À chaque fois elle aura pris 18 kilos. Puis elle a accouché. Sans perdre la totalité du poids, forcément.« Enceinte, tu es la grâce incarnée, tu es majestueuse. Le bébé nait et l’attention se focalise sur lui. Tu passes de la 8e merveille du monde à la grosse qui doit perdre ses kilos. », pointe-t-elle.

Mais la peau est différente, la grossesse laisse des marques « sur l’enveloppe extérieure et sur l’enveloppe intérieure ». La jeune femme ne regrette pas l’expérience mais livre son ressenti sur l’aventure vécue. Une aventure qui peut être troublante et douloureuse dans certaines situations et conditions.

Elle évoque le manque d’informations qu’elle n’a pas personnellement vécu mais dont plusieurs ami-e-s lui ont parlé, et surtout constate qu’une fois le bébé né, la maman est en quelque sorte délaissée. Moins écoutée et accompagnée. Peut-être plus considérée comme simplement mère et moins considérée en tant que femme. Alors que le processus de réappropriation du corps sera, selon les femmes, plus ou moins long.

« C’est très éprouvant physiquement, j’ai mis beaucoup de temps à me le réapproprier, à reprendre possession de moi et retrouver également l’envie d’une sexualité. J’avais l’impression que c’était de devoir me reconstruire physiquement, contrainte dans ma chair. »
explique-t-elle, sans tabou.

C’est certain, il faut du temps pour rééquilibrer les repères corporels. Pour Agnès, le plus insupportable réside dans les injonctions et les dictats que l’on met autour des femmes et précisément autour des femmes enceintes et des mères : « En Une, tu vois « Enceinte et sexy », « Au travail et sexy », « Maman maternelle et maman sexy », putain faut être sexy partout ? J’ai sans cesse l’impression que je dois choisir entre ma vie de maman et ma vie de working girl. Mais je veux pas choisir, je voudrais être les deux ! J’ai du mal à trouver l’équilibre. »

RETROUVER NOTRE CORPS

Trouver l'équilibre. Exercice périlleux en cette période. Prises entre une multitude d’injonctions à être disponibles, désirables, séduisantes, pas faciles mais pas farouches non plus, etc. Comment s’apaiser lorsque des scandales éclatent laissant présager de hauts risques en matière de santé par rapport à la pilule, aux produits hygiéniques, aux violences gynécologiques (en hôpital également, rappelons-nous le fameux point du mari…), que l’on propose aux pharmaciens de voter pour une clause de conscience face à la pilule d’urgence, que l’on est culpabilisées si on décide de ne pas allaiter, que nous ne sommes pas informées sur les différentes techniques d’accouchement dont nous pourrions bénéficier, et on en passe ?

Le processus médical manque de temps, on le sait. Mais aussi de tact. Et participe au processus de culpabilisation des femmes qui encore une fois manquent l’occasion de découvrir entièrement leurs corps et tous les choix qui s’offrent à elles. « Il faut certainement aller vers la démédicalisation. Pas sur tout, je ne dis surtout pas de renier toute la médecine et les connaissances, mais il y a des choses que l’on peut gérer nous-mêmes, comme le palpé des seins ou même l’avortement, avec évidemment une bonne connaissance de la méthode. On a laissé beaucoup de marge aux médecins sur la prise en charge des femmes et ce rapport des médecins aux corps des femmes nous laissent très peu de libertés. Il faut nous écouter davantage, écouter nos corps pour nous les réapproprier et nous réapproprier notre santé. », déclare Lydie Porée.

La lutte doit continuer. Se battre pour garder nos libertés tant menacées, comme on le voit dans nos pays voisins qui remettent en cause le droit à l’avortement. Pour maintenir l’interdiction des mariages forcés, de l’excision, pour protéger les travailleuses/eurs du sexe. Mais aussi pour plus généralement arrêter de souffrir d’une morale tordue visant à stigmatiser les femmes qui portent un voile d’un côté et les femmes qui ne portent qu’une culotte de bain à la plage de l’autre.

En ayant toujours à l’esprit : nos corps, nos choix. Une phrase qui met souvent tout le monde d’accord dans les discours mais qui visiblement ne pourraient s’appliquer lorsqu’une femme marche dans la rue ou pire parle à un homme dans l’espace public et encore moins quand il s’agit d’une personne trans ou intersexe.

Plusieurs manifestations ont eu lieu à Rennes pour s’ériger contre les menaces et les injonctions faites aux femmes, le 3 octobre en soutien aux femmes polonaises face à la loi anti-avortement, et le 15 octobre en réaction à la polémique estivale concernant le burkini. À chaque fois, le slogan qui en ai ressorti rejoint les témoignages des femmes interviewées : Foutez-nous la paix ! Voilà.

 

* Les prénoms ont été modifiés

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Corps des femmes : entre tabous et injonctions
Disposer librement de son corps, c'est possible ?
Sortir les squelettes du placard
Halte à l'objetisation !
La réappropriation du corps 2.0

Célian Ramis

Environnement : Voir la vie en bio

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Ile-et-Vilaine
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La filière bio est actuellement en plein développement. La prise de conscience est lente, les modes de consommation difficiles à modifier et pourtant, 2016 est une année record. Pourquoi un soudain essor ? Rencontre avec celles qui ont décidé d'en faire leur mode de vie.
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À l’heure où Bayer rachète Monsanto, à l’heure où 3 millions de décès par an sont dus à la pollution atmosphérique, à l’heure où les articles, reportages et enquêtes se multiplient sur la mauvaise qualité d’une grande quantité d’aliments que l’on ingère quasi quotidiennement, à l’heure où les scandales autour des cosmétiques, bourrés de perturbateurs endocriniens, pleuvent, que faire ?

Tirer la sonnette d’alarme pour annoncer une catastrophe écologique ? Pour prévenir des problèmes de santé publique ? C’est fait. C’est en train de se faire. La prise de conscience est lente, les mentalités difficiles à changer, les modes de consommation complexes à modifier.

Sans se revendiquer militantes ou activistes du bio, les femmes rencontrées ce mois-ci ne baissent pas les bras et s’engagent dans une filière correspondant à leur mode de pensées et d’actions. Vers un environnement respectueux de la nature, du territoire et de soi.

La filière du bio s’apprête à battre son record de croissance d’ici la fin de l’année 2016. Selon les estimations de l’Agence BIO, le marché devrait rapporter 6,9 milliards d’euros en France. Une augmentation significative (1 milliard supplémentaire par rapport à 2015) qui confirme l’envol du secteur qui ne cesse d’attirer et de fidéliser un grand nombre de consommatrices et de consommateurs. Dans l’Hexagone, seul 11% de la population ne consommerait pas encore - d’aucune façon – des produits issus de l’agriculture biologique. 

Le dernier Baromètre Agence BIO / CSA, réalisé en 2015, montre que 9 français-es sur 10 consomment bio. Occasionnellement, en tout cas. Contre environ 5 français-es sur 10 en 2003. L’étude révèle également que 65% en consomment régulièrement – au moins une fois par mois – soit 28% de plus qu’il y a 13 ans.

Les magasins spécialisés se multiplient, la grande distribution s’embarque dans l’aventure en y dédiant plusieurs rayons plus par peur de perdre ses client-e-s que par éthique et les producteurs-trices s’engagent de plus en plus vers la filière bio. Ainsi, en juin 2016, la France comptait 31 880 producteurs-trices (plus de 2 000 sont en Bretagne, plaçant la région en 6e position sur 14) avec l’installation de 21 nouvelles fermes bio par jour au cours des six premiers mois de l’année. Et recensait au total 46 218 entreprises bio sur le territoire.

Le phénomène n’est pas récent, les premières boutiques bio datant du milieu du XXe siècle. Mais les comportements sont lents et difficiles à changer. Qu’est-ce qui précipite soudainement ces bouleversements ? Les raisons pour douter des produits vendus dans le commerce ne manquent pas.

Les produits laitiers ne sont pas nos amis pour la vie, la règlementation en terme d’abattage des animaux ne sont quasiment respectées, les conditions d’élevage des volailles font froid dans le dos, manger 5 fruits et légumes gorgés de pesticides et d’engrais n’atteint pas vraiment l’objectif d’une alimentation saine, les composants des cosmétiques plein de perturbateurs endocriniens sont pour certains nocifs pour la santé, les produits d’entretien remplis d’éléments chimiques…

LA PRISE DE CONSCIENCE

À la télé, à la radio, dans les journaux, articles, enquêtes, reportages et documentaires sont accablants et unanimes : il y a urgence. Urgence en matière de santé publique mais aussi en matière d’environnement. Ce sont là les deux motivations principales des consommatrices-teurs bio, qui sont pour la plupart des femmes. Pourquoi ?Certainement parce que ce sont encore les femmes majoritairement qui sont chargées des courses, de l’alimentation du foyer et des tâches ménagères. Certainement parce que ce sont les femmes qui consomment le plus de cosmétiques.

Ou encore parce que ce sont les femmes qui font l’objet d’un marketing ardu et disposent – puisqu’elles sont identifiées comme responsables des achats, mais les hommes commencent aussi à être de plus en plus visés et assiégés par la consommation à outrance - d’un large choix de produits, plus toxiques les uns que les autres (dissolvant, couleurs de cheveux, vernis, déodorant, gels douche, shampooings…).

Si les étiquettes pleuvent aujourd’hui pour signaler l’absence de paraben, d’aluminium, de parfum de synthèse, d’OGM ou garantir l’élevage en plein air, etc., la confiance est brisée. Ras-le-bol de ne pas savoir précisément d’où vient le produit que l’on achète et ingère. Le respect des client-e-s doit primer, tout comme le respect de la planète et les valeurs portées par les producteurs-trices de l’agriculture biologique.

Tout en maintenant une forme de vigilance vis-à-vis de la mention bio, que les grandes marques souhaitent coller partout sans véritable gage ni caution d’une véritable origine naturelle. Les modes de consommation évoluent et glissent doucement vers un « mieux consommé ». Les questions ont besoin d’être posées quant à la composition d’un produit et le rapport de proximité devient vite une nécessité. On s’intéresse alors aux circuits courts, on prête attention à l’origine du produit, à la saison d’un fruit ou d’un légume, du territoire et de ses richesses végétales, animales, etc. Comme avant.

Si ce n’est qu’avant, il en allait d’une évidence. Le capitalisme et le consumérisme n’étant pas encore passés par là. Aujourd’hui, « y a plus de saison ! » Une phrase qui résume bien les attentes et les réflexes. On doit pouvoir trouver de tout, tout le temps, partout. Sur les étals des marchés et des hypermarchés, les mêmes fruits et légumes viennent de partout, à l’année. Les saisons évoluent - à qui la faute ?! - mais notre capacité d’adaptation, elle, semble figée.

Les chiffres croissants de la filière bio démontrent que la dernière partie de cette affirmation est erronée. L’adaptation est lente, mais pas figée. C’est le discours que tou-te-s les acteurs-trices du secteur assènent au cours des interviews ou des événements, de plus en plus nombreux, autour du bio.

En septembre, le réseau Scarabée Biocoop organisait la 2e édition du Scarabio Festival à Rennes, en octobre (les 8 et 9), c’est au tour du salon Ille & Bio de s’installer à Guichen pour fêter ses 25 ans et en novembre, démarrent à Paris les 9e Assises nationales de la Bio pour réunir les membres du secteur, les nouveaux-velles porteurs-teuses de projets ainsi que les financeurs, et on en passe.

Des marchés bio fleurissent, comme tel est le cas le mercredi après-midi dans la capitale bretonne, au début du mail François Mitterand, les restaurateurs-trices optent désormais pour la démocratisation du bio dans les assiettes et les parents d’élèves réclament que cela en soi ainsi dans les cantines scolaires.

Là encore, la machine est difficile à huiler mais elle est en marche. Les enfants devenant un public important à sensibiliser.

UN ENGAGEMENT PERSO ET PRO

C’est en partie parce qu’elles sont devenues mamans qu’elles se sont intéressées aux plantes, aux huiles essentielles et à leurs vertus. Depuis octobre 2010, Delphine Ferrari commercialise ses savons, qu’elle fabrique de manière artisanale dans son atelier à Laillé. Cinq ans plus tard, le même mois, Emilie Briot lance son entreprise, Cosmétiques en cuisine, devenant animatrice en cosmétiques et produits d’entretien bio et proposant des ateliers à domicile ou à son local, à Gévezé.

Toutes les deux partagent un point commun. Avant de lancer la savonnerie La Dryade, cela faisait plus de 4 ans que Delphine avait commencé à créer ses propres produits. « J’avais une peau particulière et c’était dur de trouver un savon efficace dans le commerce. J’ai fait alors mes cosmétiques avec des produits naturels, pas forcément en bio. C’était d’abord un loisir créatif. », explique-t-elle.

À ce moment-là, elle est juriste, responsable formation en ressources humaines. Elle tombe dans « la savonite aigue », comme elle le dit en plaisantant. Elle aime assembler les composants, découvrir leurs effets et apprécier leurs qualités hygiéniques, réparatrices et protectrices. La jeune femme, alors âgée d’une trentaine d’années à peine, met en place une procédure rigoureuse pour limiter les dangers liés à la manipulation de la soude caustique (le produit liant qui permet aux huiles de se transformer en savon).

« On a déménagé en Bretagne, mon fils était déjà né et en arrivant ici, je ne voulais pas poursuivre mon métier. Je me posais des questions quant à la nourriture et aux soins pour un enfant et je voulais vivre responsable. Puis je me suis intéressée à la question du « consommer local » et sain. »
poursuit-elle.

Emilie Briot est venue elle aussi au bio par l’entrée personnelle, tout d’abord. Pour ses enfants, puis pour sa famille plus largement. Après avoir utilisé des huiles essentielles pendant plusieurs années, elle se forme aromathérapie familiale, commence à tester et fabriquer ses propres produits cosmétiques et ménagers. Assistante commerciale à l’époque, elle entame une reconversion professionnelle et repart en formation pour cette fois pouvoir animer des ateliers.

« Aujourd’hui, les gens s’alarment davantage et s’inquiètent de ce qu’ils mangent et de ce qu’ils se mettent sur la peau, de ce qu’ils mettent sur la peau de leurs enfants. Ils viennent dans les ateliers pour le côté « C’est sympa de fabriquer son produit ». Et c’est vrai, mais le but est aussi de parler des produits naturels. J’en parle beaucoup avec les enfants car j’interviens 3 jours par semaine dans les écoles, sur le temps périscolaire. », précise Emilie, 36 ans.

D’un métier prenant à un autre, les deux professionnelles affichent pourtant un soulagement et une autre manière d’envisager le travail. Une manière de penser qui relève de l’ordre de la passion et de l’engagement et moins du labeur contraignant. Comme si elles avaient été replacées au centre de leur vie professionnelle.

LE BIO, UNE ÉVIDENCE

C’est ce qu’évoque Sophie Persehais, agricultrice en plantes aromatiques et médicinales, implantée à Baulon. Cheffe de l’exploitation Le champ de l’air depuis 2009, elle a adhéré à l’agriculture biodynamique il y a 3 ans.

« C’est un courant agricole que l’on ne peut pas résumer en 3 phrases dans un article mais en gros il place l’agriculteur au cœur d’un système agricole vu comme un organisme vivant. On travaille avec tous les éléments, comme la lune par exemple. Je ne vais pas entrer dans les détails mais ce qui est important, c’est que c’est une agriculture qui repose beaucoup sur l’observation. On prend le temps de faire, on prend le temps de se poser et de regarder nos plantes. Et ça définit le boulot qu’on a car on voit des choses que l’on n’aurait pas vu dans l’urgence. », analyse Sophie.

Pour elle, le bio était une évidence lors de son lancement. Ses parents travaillent en agriculture conventionnelle et possèdent les valeurs agricoles, les valeurs de la terre et du respect de l’environnement. Elles sont trois sœurs mais elle est la seule à vouloir reprendre des parcelles agricoles. « Une volonté politique de conserver les petites exploitations. », surenchérit-elle.

Pourtant, elle exercera dans un premier temps la profession de professeure en communication avant de se former dans le domaine de l’agriculture et d’enseigner la biologie végétale er l’agronomie :

« J’adore la biologie ! J’ai vite pu constater les effets de synthèse, des éléments chimiques et autres. Je voulais revenir sur les terres familiales, travailler en micro-ferme, être tout le temps dehors dans mon champ. C’était logique pour moi d’aller vers le bio, je ne me suis pas posée la question. »

Même discours du côté de la créatrice de jardins biologiques et écologiques Pauline Beunaiche. Elle étudie les Arts appliqués au lycée, en Mayenne, et le design aux Beaux-Arts de Rennes. Son intérêt pour la conception de l’espace l’oriente vers les jardins et vers son premier coup de cœur pour le Domaine de Chaumont-sur-Loire, qui organise chaque année le Festival international des jardins auquel elle participe avec d’autres étudiant-e-s des Beaux-Arts.

« Nous n’avons pas gagné mais j’ai découvert quelque chose de très riche. Le jardin est un espace de liberté et de création, je ne l’avais jamais pensé comme ça. Pourtant, je suis issue de la campagne, mes parents et mes grands-parents jardinent… », se souvient-elle.

Pauline se lance alors dans un BTS en aménagement paysager, effectue plusieurs stages auprès de différents paysagistes et part 6 mois vivre à Berlin et travailler dans un bureau d’études dont la démarche artistique influencera particulièrement la jeune créatrice, de retour en France il y a 6 ans, qui s’établit à son compte en fondant La Racinais.

« Je ne me suis jamais dit que j’allais faire du bio, j’ai juste fait comme ça, naturellement. La plupart des paysagistes agissent de cette façon. »
souligne-t-elle.  

UNE SENSIBILITÉ AU SAVOIR-FAIRE ARTISANAL

Toutes les quatre agissent à leur échelle, selon leurs savoir-faire. Des savoir-faire qui s’acquièrent au fil du temps, sur le terrain. La fabrication des cosmétiques répond évidemment à une réglementation quant au procédé, à la recette et aux ingrédients pour l’obtention d’une certification bio.

La saponification à froid demande un respect minutieux des consignes, du dosage et des températures. Le séchage des plantes aromatiques requiert l’absence de lumière. Et la création des jardins exige des compétences en terme de conception de plans, par exemple. Mais chacune se forme essentiellement dans la pratique. Une pratique artisanale et manuelle. Sans oublier, par conséquent, très physique.

Par les tests qu’elles effectuent, les ratés qu’elles ont déjà essuyé de nombreuses fois, le soin qu’elles mettent dans le quotidien et par la curiosité qu’elles accordent à leurs domaines. C’est en échangeant avec les collègues, en se documentant, en posant des questions aux herboristes, aux pharmacien-ne-s, en lisant et en prêtant attention aux retours des client-e-s qu’elles apprennent, se renouvellent, se perfectionnent. Et qu’elles se différencient, avec une signature propre.

Aujourd’hui, nombreuses sont les personnes qui se lancent dans la filière. Il n’y a qu’à voir les chiffres. La conversion des éleveurs de vaches laitières est fluctuante et un développement de l’ordre de 30% est attendu d’ici 2018 dans le secteur du lait bio.

Plusieurs centaines de domaines viticoles s’engagent également depuis le début de l’année et les ventes de vin bio enregistrent une hausse de 10% sur le premier semestre, du côté des grandes surfaces.

Delphine Ferrari et Sophie Persehais le confirment, toutes deux installées dans des domaines peu développés jusqu’il y a peu. « Quand j’ai fait mon premier marché en 2010 à Cesson-Sévigné, les gens découvraient la saponification à froid. Je devais expliquer à chaque fois le procédé. J’étais quasiment la seule savonnière sur le territoire. Peut-être que La Cancalaise existait déjà… Mais on a dû faire beaucoup de pédagogie, et ça fait aussi partie de notre objectif d’expliquer l’intérêt de ce procédé (qui conserve la glycérine, permettant de protéger la peau, partie souvent retirée des savons industriels, ndlr). Maintenant c’est le boom ! Tout le monde s’installe. Sept savonneries se sont créées à Rennes et aux environs. Il faut beaucoup de temps et de pratique pour établir une formule qui fonctionne. Moi je me suis laissée le temps. », signale Delphine.

Pour Sophie, même son de cloches : « Quand je me suis installée, j’étais une des premières fermes en plantes médicinales. Il y avait peu de producteurs en Bretagne. Maintenant on est une cinquantaine en France, dont 5 en Ille-et-Vilaine. Depuis 10 ans, ça intéresse plein de gens ! »

LES CIRCUITS COURTS ET LOCAUX

Une obligation, désormais ? Presque. C’est en tout cas une nouvelle attente, un nouveau besoin réclamé par les consommateurs-trices. Pour le bien-être personnel, pour l’environnement. Mais aussi pour la production territoriale. Savoir ce que l’on mange, savoir ce que l’on consomme dans l’assiette, dans les crèmes, dans les verres ou dans les produits ménagers, c’est aussi savoir à qui on les achète.

Comme les AMAP permettent d’assurer un revenu plus juste à la personne qui produit ce qu’elle met dans les paniers, on tend aujourd’hui à se tourner vers les regroupements de producteurs-trices, pour plus de visibilité et de proximité. Delphine Ferrari tient particulièrement à ce que ces matières premières soient issues de l’agriculture biologique et tant que possible proviennent du coin pour fabriquer ces savons sans huile de palme, sans conservateur, sans colorant, ni parfum de synthèse, sans huile minérale ou animale.

« Je tiens vraiment à travailler cette solidarité en impliquant les acteurs locaux dans ma démarche. En arrivant ici, j’ai vu tout le tissu bio qui existait et il est vraiment très riche. Ce qui est intéressant, c’est que je me servais par exemple de l’huile de colza, de l’huile de chanvre, du miel, que j’achète dans un périmètre proche de chez moi, pour l’alimentaire. Et je m’en sers pour les savons. C’est aussi une manière de faire découvrir des produits du quotidien utilisés différemment et qui sont faits ici, chez nous. Pour les matières premières qui viennent de loin, j’essaye de limiter et de faire en sorte qu’au moins, elles soient issues du commerce équitable. Je sous-traite également l’emballage des savons, une fois qu’ils ont séché (une pièce est dédiée au séchage après la coupe, ndlr). Toutes les semaines, je les amène à l’ESAT de Bruz qui rassemblent des travailleurs handicapés. », s’enthousiasme-t-elle.

Et fan de légendes celtiques, elle marque son attachement au territoire dans les 13 formules qu’elle a développées (ainsi que dans les 2 inédites de Noël) mais aussi dans les noms qu’elle donne à ses savons : Avalon, Lancelot, Beltane, Fée Morgane ou encore Brocéliande…

Cette manière de travailler se retrouve chez Pauline Beunaiche, qui entreprend des jardins pour des particuliers, des coopératives – comme tel est le cas actuellement avec le potager installé devant le magasin Biocoop de Bruz dont elle entretien le suivi – ou par exemple d’une maison de retraite. Des missions stimulantes puisqu’il lui faut répondre à une commande, des exigences mais aussi des adaptations selon les profils.

« Parfois, j’ai des demandes pour simplement dessiner et élaborer un plan de jardin. Mais quand je réalise, je travaille en local. Avec un créateur de rosiers ou une productrice de graines et plantes sauvages. Ce que j’aime bien faire aussi, c’est de travailler avec les semis. Les gens ont envie de mettre la main à la patte, on garde donc des coins pour les récupérer les graines et les replanter. Les gens demandent des jardins vivants avec un éco-système qui va intégrer les insectes, etc. », déclare-t-elle. Le geste écologique est donc important et se développe petit à petit, à des échelles différentes.

« Ça peut être des échanges de pieds de plante par exemple, je leur propose quand ils sont dans un rayon de 30 kms autour de Rennes. Ou alors ils sont en quête de solution pour limiter l’arrosage, le désherbage. Ça demande moins d’entretien et ça répond à une démarche écologique en même temps. », poursuit Pauline qui a à cœur également de développer des animations autour du potager de la Biocoop de Bruz.

Voilà peut-être les raisons d’un engouement lent mais solide et créateur de liens sociaux et solidaires. L’essor du bio prend un tournant, délaissant quelque peu les réticences d’un prix trop élevé des produits. D’où l’importance d’un changement des modes de comportement, vers une consommation plus raisonnable, certes plus chère mais peut-être aussi plus juste dans la rémunération du producteur ou de la productrice.

« Pour en vivre, ça prend du temps. Moi, je travaille en manuel, avec une seule cuve et je suis toute seule. Faut pas compter ses heures ! J’ai choisi de ne pas pratiquer des prix trop élevés, 5 euros pour un savon, ça va. Il faut trouver le juste prix en fonction du juste travail. », livre Delphine Ferrari, rejointe par Emilie Briot : « Il faut relativiser, moi mes ateliers ne sont pas très chers (19 euros pour un atelier dans lequel on réalisera un produit cosmétique type crème de jour, huile sèche pailletée, stick à lèvres, lait pour le corps, ndlr) mais ce qu’il faut voir, c’est surtout que l’on paye très cher les cosmétiques bio et non bio dans le commerce. Il faut donc trouver un équilibre pour être rentable mais pas hors de prix par rapport à ce que coûtent les matières premières. »

ET LES FEMMES DANS LE SECTEUR DU BIO ?

Sans se laisser porter par l’utopie d’un système alternatif qui romprait totalement avec le capitalisme et le patriarcat, la filière bio serait-elle plus égalitaire ? Pas de chiffres probants sur le nombre de femmes et d’hommes dans le secteur. Soit la marque d’un avenir qui cesse de réfléchir en terme de sexe et de genre. Soit un désintérêt total pour la répartition au sein de la production.

Quoi qu’il en soit, Sophie Persehais conclut sur une note positive et optimiste : « Je ne sais pas ce qu’il en est en règle générale mais je vois qu’on est pas mal de femmes dans le secteur. En tout cas, je pense que les petites exploitations et micro-fermes en bio facilitent l’intégration des femmes. Alors certes, en réunion, je vois bien qu’on est parfois 2 femmes pour 10 hommes mais je n’ai jamais ressenti que je n’avais pas ma place ici. Je dirais plutôt que l’on ressent qui fait du bio, qui fait du conventionnel. Qui fait du lait, qui n’en fait pas. Car dans le coin, y a pas de mal de productions laitières. C’est donc plus en terme de techniques que ça se joue qu’en terme femmes/hommes. Et autour de moi, je vois que nombreuses sont les femmes qui sont cheffes d’exploitation. À côté, j’ai une copine boulangère en bio, c’est elle qui fait le pain, c’est son mari qui vend. Ici, je suis cheffe d’exploitation, je suis tout le temps dans le champ ou à bosser la production, mon compagnon est salarié, c’est lui qui fait les livraisons et j’ai deux autres salariés. On est tous d’origines différentes et tout se passe bien. Parce qu’on communique. J’ai fait une formation sur la communication non violente. », dit-elle en rigolant. Voilà qui donne à réfléchir.

Depuis décembre 2015, Priscilla Zamord et Julie Orhant ont créé La Belle Déchette, projet de ressourcerie intégré au réseau national des ressourceries. La structure répond aux 4 fonctions du label : la collecte et le tri, la valorisation des objets de seconde main, la vente à moindre coût et la sensibilisation à l’environnement. Du 2 septembre au 29 octobre, ateliers, causeries et étude-action ont été menés à l’occasion d’une résidence à l’Hôtel Pasteur, à Rennes. En parallèle, pour alimenter la matériothèque et se procurer un camion, La Belle Déchette cherche à lever des fonds sur la plateforme de crowdfunding, helloasso.com.

YEGG : Comment est venue l’idée de ce projet ?

Julie : J’ai une formation Gestion de l’environnement et je travaille dans la gestion des déchets. Après un an passé à Madagascar pour une ONG, à travailler sur la sensibilisation à l’environnement et la gestion des déchets, ce projet a muri dans ma tête et j’ai écrit un projet très synthétique. J’en ai parlé à mon entourage. Une personne que nous avons en commun avec Priscilla nous a mis en relation.

Priscilla : Je viens plutôt du milieu culturel et j’ai glissé vers le secteur de l’insertion sociale par la culture puis l’insertion professionnelle. J’ai été responsable de l’ancienne friperie solidaire à Rennes Chez Rita Love. Après un Master en politique sociale et insertion, j’ai été embauchée à Bruxelles, dans une ressourcerie, sous forme de boutique.

Je suis revenue ici et j’ai travaillé à Rennes Métropole au service insertion et emploi et j’ai rencontré une personne qui m’a mise en lien avec Julie. Moi, j’avais l’idée de créer une structure mais je ne savais pas trop sous quelle forme, sachant que j’étais très très inspirée par le modèle belge et qu’on est à Rennes…

Qu’est-ce qui change ?

Priscilla : Ce n’est pas le même territoire, ce n’est pas la même culture du réemploi. Les pays nordiques sont très en avance, ça fait partie des pratiques quotidiennes. Avec Julie, on a un intérêt fort pour ce genre d’activité et en même temps une envie de faire quelque chose de local. Sans oublier la volonté de décloisonner les pratiques, c’est-à-dire qu’on est aussi dans un système très franco-français.

Tout le monde est mis dans une case. Ici on est dans un projet d’économie sociale et solidaire qui a des ambitions à la fois économiques, culturelles, environnementales et sociales. Il nous faut donc mettre tous ces acteurs là autour de la table et leur dire « on peut créer des éco-systèmes ensemble ».

Julie : Se faire rencontrer des élu-e-s de différents domaines et leur dire que ce serait bien de concilier les atouts des uns et des autres pour créer un projet, ce n’est pas si évident que ça ici. Ça bouscule.

Qu’est-ce qui n’est pas si évident ?

Julie : Je pense qu’il n’y a pas d’interrogations. Dans les mentalités, les déchets, l’environnement et la culture, ce n’est pas évident de les lier.

Priscilla : C’est culturel. Je pense que c’est aux porteurs de projet de secouer un peu les choses. C’est une mentalité liée à un système bureaucratique, pas simple, qui a des injonctions fortes. Mais globalement, on arrive tout de même à avoir des soutiens des collectivités territoriales sur chacun des volets et ça c’est une entrée positive.

Maintenant notre enjeu c’est de mettre les gens autour de la table pour créer des passerelles. C’est ce qu’on essaye de faire avec La Belle Déchette et notamment l’étude-action que l’on a lancé début septembre. Au premier comité de pilotage, il y avait autour de la table les partenaires et les financeurs de tous les domaines. C’était très innovant. C’est de la co-construction.

Qu’est-ce qui ressort des ateliers de la résidence ?

Priscilla : C’est intéressant de voir comment les ateliers de réemploi sont une entrée possible pour travailler la sensibilisation à l’environnement, l’artisanat, le bricolage. De manière valorisante. Pas dans la contrainte de la réparation mais la joie de la création. Et ça, sans distinction de genre. C’est une entrée hyper chouette d’un point de vue social pour travailler sur les modes de consommation.

On a commencé à réfléchir à un partenariat avec le CCAS. Pour proposer des ateliers aux bénéficiaires du RSA, montrer comment sans avoir beaucoup de sous on peut vivre en toute dignité, en ayant accès à des objets moins chers mais aussi en redonnant une seconde vie à leurs objets et en étant sur des modes de consommation plus économiques. Et puis les gens se rencontrent, c’est du lien social. Toujours dans la bienveillance et la générosité.

Vous avez étudié, Priscilla, la place des femmes dans l’ESS, qu’en est-il ?

Julie : Les entrepreneurs sont majoritairement des hommes. Dans le monde du déchet, ce sont des hommes. Ça détonne un peu que l’on soit 2 femmes à l’origine de ce projet.

Priscilla : Les gros postes, c’est toujours les mecs. Y a plein de nanas mais elles ne sont pas à des postes à responsabilité. Dans l’ESS, c’est pareil, les décisionnaires sont des hommes. L’ESS, il y a beaucoup de branche. Le care, services à la personne, oui c’est très genré. L’insertion par le recyclage, c’est plus masculin.

L’insertion sur de la vente textile, ça va être plus féminin. On est toujours dans les mêmes lectures. De temps en temps on peut nous prendre un peu de haut, il y a parfois une certaine forme de paternalisme.

Julie : Après, à nous de faire nos preuves.

Priscilla : Je pense qu’on doit faire encore plus nos preuves parce qu’on est des nanas.

Julie : Je suis d’accord avec toi.  

Priscilla : Je trouve ça assez scandaleux dans le secteur de l’ESS. C’est mon point de vue. L’économie sociale et solidaire est fondée sur des principes d’égalité et c’est un modèle opposable à l’économie capitaliste classique où il y a une forme d’accès aux droits à l’entreprenariat, l’égalité des salaires, etc.

Il faut toujours avoir une forme de vigilance pour qu’on ne reproduise pas les mêmes schémas que dans l’économie classique. Après c’est quand même un mouvement qui aujourd’hui prend beaucoup d’ampleur…

Il y a de quoi être optimistes alors !?

Priscilla : Oui, Rennes, ça bouge ! Plein de choses émergent, dans l’économie sociale ou  classique. Ça met du temps pour faire bouger les mentalités décisionnaires. Mais c’est une posture politique aussi que la Ville de Rennes doit prendre. On est très soutenues par l’ADEME et Rennes Métropole. La Ville est un peu plus timide. Ce n’est pas financier mais dans les échanges…

La plus value d’un projet comme ça, ça a un impact économique en terme de création d’emplois, ça a un impact en terme de marketing territorial, Nantes l’a compris il y a 10 ans, et ça a un impact social parce que Rennes est une ville forte qui a développé la carte Sortir, qui a permis à des gens qui n’ont pas de sous d’avoir un accès équitable à pas mal de choses. On peut être utiles socialement dans la ville. Ça a aussi un impact environnemental et politique.

Aujourd’hui, certes la Ville nous aide indirectement parce qu’on est à Pasteur. Mais on demande une prise de position, une écoute. C’est ce qu’on attend de la Ville.

Julie : Après, on va vite aussi. Et on sait que pour les politiques ça prend du temps. À nous de leur insuffler ce potentiel. Pas uniquement pour La Belle Déchette.

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Le respect, notion phare du bio
Reconversion des modes de consommation et d'actions
Vous prendrez bien une p'tite coupe ?
La belle déchette, le nouveau visage de l'ESS rennais

Célian Ramis

Crèche parentale : Une alternative propice à l'éveil

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Rennes
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Alors que les places en crèches municipales ne suffisent plus à satisfaire toutes les demandes, des solutions alternatives existent. Parmi elles, la crèche parentale, un modèle associatif décrypté à travers l'exemple de Ty Bugale.
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Pallier le manque de places en crèche est un enjeu de l’actuel mandat présidentiel. Mais si le gouvernement œuvre depuis 2013 à la mise en place d’une nouvelle réforme de politique familiale, prévoyant entre autre l’augmentation du nombre de places, la pénurie reste avérée et problématique.

Des modes de garde alternatifs existent et se développent. Parmi lesquels les établissement à gestion parentale, communément nommées crèches parentales. Un type de structure qui a particulièrement interpelé la rédaction de YEGG à travers l’exemple de la crèche Ty Bugale, qui a fêté cette année ces 30 ans.

En 2015, 2 296 demandes d’inscription en crèches municipales ont été soumises à la Ville de Rennes qui dispose de 17 structures (accueil collectif et accueil familial). Près de 42% environ, soit 962 demandes, ont été satisfaites. Quelles solutions s’offrent à celles et ceux qui n’obtiennent pas de réponse favorable ? Plusieurs alternatives leur sont proposées par le centre d’information petite enfance L’Étoile, chargée d’orienter les parents vers d’autres modes de garde. Parmi eux, on trouve les crèches parentales, établissement associatif géré par les génitrices et géniteurs, alors employeuses-eurs des professionnel-le-s de la petite enfance.

Obtenir une place en crèche est une problématique loin d’être nouvelle. Si le plan gouvernemental prévoit l’augmentation du nombre de places au cours du mandat présidentiel actuel, l’objectif de 100 000 places supplémentaires semble compromis pour ce quinquennat qui semble seulement avoir réalisé un tiers de cette mission, selon les chiffres indiqués en 2015. Rennes ne fait pas exception, malgré la création de nouvelles crèches prévues jusqu’en 2017.

Pour les futurs parents, l’inscription de l’enfant qui va arriver peut s’avérer angoissante, la pénurie de places étant avérée. Les solutions alternatives sont de plus en plus mises en lumière. Parmi les plus connues, on cite les assistantes maternelles, les crèches d’entreprise ou encore les haltes garderies qui offrent une aide d’urgence temporaire.

Plus confidentielles dans leur notoriété auprès du grand public, les crèches parentales se développent, trouvant un équilibre dans l’esprit « comme à la maison » puisque le parent fait partie intégrante de la vie quotidienne de la crèche, bénéficiant ainsi d’un accès privilégié à l’équipe éducative et au projet pédagogique. C’est ce que souligne l’exemple de la structure Ty Bugale, fondée en 1986 à Rennes.

ASSOCIATION PARENTALE

La particularité de ce type d’établissement réside principalement dans la gestion parentale. En effet, créé sous la forme associative, ce sont les parents qui en investissent le bureau et le conseil d’administration. Par conséquent, ils sont les employeurs directs des professionnel-le-s de la petite enfance et participent activement à la vie de la crèche.

« Nous sommes très investi-e-s au sein de l’association puisque chacun-e a un poste dans la structure. Et que nous devons remplir 4h30 de permanence par semaine. », explique Yohanna Millet, présidente de Ty Bugale depuis septembre 2015. Concrètement, le parent intervient durant les heures d’accueil, souvent à la demi journée, comme tel est le cas dans la majorité des crèches parentales, au nombre de 6 à Rennes (selon les structures, la durée de la permanence varie).

Et aide au bon fonctionnement de la journée en gérant plus spécifiquement les tâches domestiques comme mettre la table, débarrasser, aider au lever de la sieste, au goûter, ranger, etc.

« Il faut avoir le temps et l’envie de s’investir sinon ça ne peut pas fonctionner. Faut être conscient-e de ça car on ne peut pas entrer dans l’association si on ne peut pas assurer les 4h30 de permanence. »
précise la présidente, infirmière de métier.

Un point sur lequel insiste également Emilie Paillot, qui exerce la fonction de secrétaire au sein de l’établissement. « Je suis enseignante à temps partiel donc ça ne me posait pas de problème de donner une demi journée par semaine. Et ça ne me dérangeait pas d’entrer dans le bureau. Avant cela, j’étais au poste « Approvisionnement », ça tourne. Ma fille a terminé la crèche mais je suis enceinte de mon 3e enfant et je demanderais une place ici pour la rentrée 2017. Ça m’embêterait d’être moins investie en revenant. », s’enthousiasme-t-elle.

À la crèche parentale, elle a pris goût. Arrivée de Paris en 2012, elle pose ses valises à Rennes avec son compagnon et son fils. En cherchant un mode de garde, sans préférence particulière, ils apprennent qu’une place s’est libérée à Ty Bugale, alors implantée rue de l’Alma, avant de déménager dans les locaux temporaires du boulevard Albert 1er de Belgique (en octobre, la crèche déménagera à nouveau dans des locaux plus grands, rue Mauconseil). Rapidement, ils adhèrent à l’état d’esprit de l’établissement, qui accueillera par la suite leur fille.

Agréée par la Direction des Affaires Sociales du conseil départemental d’Ille-et-Vilaine, la crèche est une association de loi 1901 accueillant jusqu’en octobre prochain 16 enfants, les nouveaux locaux permettant de demander un agrément pour 4 enfants supplémentaires.

Les critères sont semblables aux autres crèches : accueil de 8h à 18h30 d’enfants rennais âgés de 2 mois ½ à 4 ans, d’1 à 5 journées par semaine, dispositif d’accueil d’urgence (à partir de 18 mois et en fonction des places disponibles), tarif établi selon les revenus du foyer.

Entre le bureau et les différents rôles (gestion des salaires, inscriptions, bricolage/jardinage, moyens généraux, informatique, archivage, planning, hygiène et sécurité, formation, remplacement, etc.), les parents des enfants inscrits se répartissent les rôles et tournent d’une année sur l’autre.

« On essaie de ne pas être toujours au même poste. On voit par rapport aux intérêts des un-e-s et des autres. Et puis on fait en sorte de ne pas mettre à la trésorerie par exemple quelqu’un qui arrive car ce n’est pas forcément évident au départ. Et puis rien n’est figé car il y a des gens qui sont là pour 6 mois, d’autres pour plusieurs années. On participe également au projet pédagogique puisqu’il faut instaurer un règlement intérieur à faire valider par le conseil général. Avec le déménagement, il devra être revu, signé et voté par le CA. Le projet éducatif, lui, évolue et est construit par les salariés, à qui on fait confiance. », indique Yohanna Millet.

UNE GRANDE FAMILLE

Ce qui lui plait : la possibilité pour les parents d’être acteurs de la crèche sans empiéter sur le territoire des professionnel-le-s. Ici, ils sont au nombre de 2 éducateurs de jeunes enfants à mi-temps, une femme et un homme, et de deux aides EJE. Si ils et elles se côtoient durant les permanences hebdomadaires, des temps plus formels sont organisés pour échanger à travers une réunion mensuelle dont une partie seulement se déroule en compagnie de l’équipe éducative.

« Ce qui est bien dans la formule, c’est qu’on peut avoir le côté parental en s’investissant dans la vie de la structure et en faisant les permanences. Mais c’est aussi que de cette manière, en aidant aux tâches ménagères, les salarié-e-s s’occupent exclusivement des enfants. »
poursuit la présidente.

Et avec un taux d’encadrement plus important que dans une crèche municipale - la législation prévoyant pour cette dernière 1 adulte pour 5 enfants « non marcheurs » et 1 adulte pour 8 enfants « marcheurs » et pour la crèche parentale 1 adulte pour 4 enfants « non marcheurs » - « les enfants ne sont pas du tout délaissés », signale Emilie Paillot.

Avec Yohanna, elles parlent de grande famille. Passer du temps au sein de la crèche, auprès des enfants, de l’équipe éducative, effectuer des réunions entre parents, organiser des événements avec tout le monde (à l’instar d’un moment convivial en juin dernier pour fêter les 30 ans de la structure) ou encore participer à des sorties avec les petit-e-s, tout cela représente « un chouette moyen de s’intégrer et de développer une grande solidarité entre les parents. »

Et Emilie d’ajouter : « J’apprécie cette opportunité de connaître tout le monde et que les enfants nous connaissent bien, qu’ils nous appellent par nos prénoms. »

TROUVER L’ÉQUILIBRE

Néanmoins une difficulté subsiste et les deux femmes ne s’en cachent pas. L’enfant doit apprendre à « partager » son parent présent lors de la permanence.

Ce à quoi les petit-es établi-e-s dans les autres modes de garde ne sont pas confronté-e-s, la distinction entre le cadre familial et le collectif « pédagogique » s’opérant de manière évidente.

Ici, ils/elles apprennent à voir leurs parents interagir avec le reste du groupe, faire des va-et-vient, déplacer leur centre d’attention sur l’ensemble de la crèche et non pas uniquement sur eux/elles comme cela pourrait être le cas à la maison. Emilie Paillot confie :

« Ce n’est pas toujours facile. Tilda était bébé en arrivant et très vite ça a été naturel mais il y a toujours des moments ou des phases où ils peuvent être pénibles car ils ne comprennent pas trop pourquoi on est là à s’occuper d’autres enfants ou la plupart du temps à faire les tâches ménagères au lieu d’être avec eux. »

Mais c’est aussi un challenge pour celles et ceux qui tiennent la permanence. Sans interférer avec les professionnel-le-s, il leur faut trouver un équilibre dans cette formule intégrant le parent à une garde extérieure au foyer. L’attention ne peut pas uniquement se porter sur son enfant mais doit être portée sur la globalité du groupe. Même si Yohanna et Emilie le confirment : chacun-e garde sa personnalité.

Pour Loïc Bernier, éducateur de jeunes enfants à Ty Bugale, « on accueille l’enfant et sa famille. Ce n’est pas évident de se confronter aux regards des parents, on n’est pas toujours très très à l’aise d’agir devant eux. Mais c’est une réelle richesse de travailler avec eux. En les voyant lors des permanences, on apprend à les connaître et donc à les comprendre plus facilement. Et ce qui est avantageux, c’est aussi qu’ils peuvent s’inspirer des pratiques des professionnel-le-s. »

Après avoir effectué sa formation à l’école Askoria de Rennes, il a toujours travaillé en crèche parentale. Pas forcément un choix mais son parcours, entre stages et remplacements, l’a mené à ce type de structure. L’expérience lui permet de ne plus appréhender de la même manière la présence du parent et la réaction de l’enfant.

Car lui, ainsi que l’ensemble de l’équipe éducative, est présent pour appliquer le projet pédagogique et éducatif, à savoir transmettre les valeurs et règles de vie définies avec le CA et selon les capacités et objectifs d’éveil cohérents à la petite enfance.

VALEURS PARTAGÉES

Et ce qu’il pointe en priorité – les parents également – c’est le respect. Respect des règles, respect des autres au sein de la collectivité et respect de son environnement.

À travers la socialisation de l’enfant, la vie en société, la politesse, etc. Ainsi que son éveil sur l’extérieur.

« On essaye de profiter de ce qui nous entoure, de faire des sorties. Au parc, au marché, à la gare, chez les pompiers, à l’aéroport… Et de ce que le quartier de l’Alma propose en terme de spectacles, etc. Par exemple, juste à côté de la crèche, il y a la structure Terre des arts qui les accueille pour des activités, pour l’éveil musical. Et puis si les parents ont des compétences particulières, ils peuvent aussi proposer des ateliers, s’ils en ont envie évidemment… », liste rapidement Yohanna Millet, sourire aux lèvres. Toujours en gardant la volonté de mélanger le groupe, sans le ciseler en petits comités établis par les catégories d’âge.

« Que les petit-e-s soient avec les grand-e-s et inversement provoquent une émulation entre eux/elles et plein de choses intéressantes se passent dans ces moments-là. Dans un climat serein et sécurisant. »
ajoute l’éducateur qui rappelle aussi l’importance du suivi personnel.

Au cours de la journée, l’équipe se veut donc attentive au développement de l’enfant en tant qu’individu en fonction de son propre rythme et ses besoins. En terme de sommeil, par exemple. Mais pas seulement.

ÉVEIL À L'ÉGALITÉ DES SEXES

Et c’est ce qui va éveiller le/la tout-e petit-e. La confrontation entre soi et les autres. L’équipe professionnelle couplée au turn over parental permet alors de conjuguer diversité des profils, des cultures et des approches.

Et c’est à ce moment-là que va se jouer, dans la petite enfance, l’intégration des assignations genrées. En observant et imitant les adultes référents, l’enfant développe inconsciemment les codes de la société selon son sexe.

Pas de raison a priori que la crèche parentale échappe à ce processus d’identification, tant le marketing genré est force d’accroissement et que les formations des professionnel-le-s résistent encore à inscrire de manière obligatoire des modules sur l’égalité des sexes. Du côté de Ty Bugale, rien à ce sujet n’est mentionné dans les projets pédagogique et éducatif, si ce n’est le principe global d’égalité. Néanmoins, Yohanna Millet et Emilie Paillot s’en défendent.

« Ici, nous avons tous les cas de figure mais en règle générale la parité est plutôt bien respectée. Que ce soit au niveau des enfants filles et enfants garçons. Ou que ce soit au niveau de la répartition des tâches entre les parents. Il n’y a pas a priori plus de femmes qui s’investissent que d’hommes. Après, évidemment, tout dépend du travail. Le papa de mes enfants est beaucoup en déplacement donc là c’est plus moi qui interviens mais pour notre fils il faisait les CA. », justifie la secrétaire.

Même son de cloche pour la présidente qui confirme qu’en prenant la liste des rôles et des personnes missionnées à chaque poste, on ne trouvera pas de différence significative entre l’implication des femmes et celle des hommes. Idem pour les permanences. Un argument important puisqu’il permet aux enfants de ne pas cataloguer la mère comme la préposée à l’éducation et aux tâches ménagères et ne pas associer le père au travail et au divertissement. Concrètement la femme gérant le foyer et l’homme le reste du monde.

Toutefois, Emilie aurait souhaité aller plus loin dans la réflexion en faisant intervenir une personne de l’association Questions d’égalité lors d’une réunion mensuelle.

« J’ai une amie qui était là-bas mais nous n’avons pas réussi à trouver de disponibilités communes et depuis elle a quitté son boulot. Mais je pense que c’est intéressant de pouvoir développer ces questions « philosophiques » et d’être aidé-e-s par des référents. Nous ne sommes pas des professionnel-le-s de la petite enfance, ni de l’égalité des sexes. Nous sommes des bénévoles, des parents, mais nous avons nos limites. Les temps de CA servent aussi à ça. On a déjà fait venir par exemple un médecin pour parler du sommeil des petit-e-s. Aborder l’égalité entre les filles et les garçons, ça me botte vraiment ! », explique Emilie Paillot qui avoue malgré tout qu’avec le déménagement prochain, il fallait bien établir des priorités.

LA DIVERSITÉ AVANT TOUT

Loïc Bernier, qui assurera dès octobre le poste de référent technique à mi-temps, en plus de son travail d’éducateur, apporte de son point de vue une autre approche.

Déjà, en tant qu’homme dans un secteur destiné très longtemps aux femmes de par la supposée fibre maternelle innée qu’elles possèderaient, il est conscient du regard que l’on peut porter sur ce type de stéréotype.

« Dans ma promo, sur 20 personnes, on était 2 garçons. Mais j’ai toujours été super bien accueilli, que ce soit à l’école ou sur le terrain. Aujourd’hui, la mixité est de plus en plus recherchée dans les équipes. », souligne-t-il.

Une avancée positive qui permet aux enfants d’être confrontés aux deux sexes. Loïc poursuit :

« C’est bien de sortir des grands clichés, des rôles attribués. Un homme peut être maternant aussi. Et je crois qu’il y a plein de façons d’être un homme et plein de façons d’être une femme. Et c’est bon pour le développement de l’enfant d’être face à des relations différentes, des imitations différentes, des références différentes. »

Il prône avant tout la diversité et l’humain dans son ensemble, dans ses complexités et nuances. Mais toujours en proposant les mêmes activités aux enfants sans le critère du sexe et surtout sans les orienter. « On ne joue pas qu’à un seul jeu, il n’y a pas qu’une seule lecture. C’est le mélange qui compte. Que les petits puissent jouer aux voitures tout comme aux poupées avec des présences masculines et des présences féminines. », conclut-il.

Sans revendiquer un modèle exemplaire, la crèche parentale offre une formule conviviale qui ne dissimule pas un côté contraignant pour celles et ceux qui ne pourraient adapter, selon leur travail et envies (sans jugement ou culpabilisation), leurs emplois du temps. Mais qui propose une alternative et peut-être une autre réflexion autour de la parentalité associée à l’éducation promue par les professionnel-le-s de la petite enfance et inversement.

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Crèche parentale, mode de garde alternatif
Une alternative familiale et participative
Faire autrement

Célian Ramis

LGBTI : La lutte pour la liberté

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Face à une homophobie décomplexée et des vies en état d'urgence, la communauté LGBTI poursuit le combat et entend bien ne rien lâcher. Pour une évolution des mentalités.
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Juin 2016. Deux hommes qui s’aiment, c’est dégueux. Deux femmes qui s’aiment, c’est deux hétéros mal baisées. Un-e bisexuel-le, c’est un pd ou une gouine qui ne s’assume pas. Une personne transgenre, c’est un-e malade mental-e. Un-e enfant intersexe, c’est inconnu au bataillon quasiment.

Juin 2016, la parole LGBTIphobe est décomplexée, ordinaire, virulente. Juin 2016. Il y a encore des lesbiennes, homosexuels, bisexuels, trans, intersexe, qui souffrent de rejet, de violences physiques et/ou verbales, se suicident ou meurent sous les balles d’Omar Mateen dans la nuit du 11 au 12 juin, aux Etats-Unis, dans une boite gay d’Orlando.

Juin 2016. La Marche des Fiertés défile dans plusieurs villes françaises, dont la capitale bretonne, et l’affirme haut et fort : des vies sont en état d’urgence, le combat continue.  

Drapeaux arc-en-ciel, trans et bretons se sont côtoyés le 4 juin dernier dans un centre ville rennais pas librement accessible, à l’occasion de la Marche des fiertés, inaugurée dans la capitale bretonne en 1994. Manifestation festive et colorée, elle permet de mettre en lumière la communauté LGBTI (lesbienne, gay, bi, trans, intersexe) qui porte, à l’année, des revendications fortes et essentielles à l’avancée d’une société encore trop inégalitaire, aux libertés individuelles et à la survie des un-e-s et des autres.

Parti de l’esplanade Charles de Gaulle, le cortège fait masse boulevard de la Liberté, samedi 4 juin. Plus de 2000 personnes marchent, chantent et dansent pour ce que l’on appelait communément la gay pride, qui rapidement à Rennes – une des premières villes à arborer cet intitulé avec Marseille - se nommera la Gay & Lesbian pride avant de devenir la Marche des fiertés.

Les slogans scandés - « Qu’est-ce qu’on veut ? L’égalité des sexes. Pour qui ? Pour tous ! », « Hollande, Hollande, t’as perdu les pédales ! », « Y en a assez de cette société qui ne respecte pas les trans, les gouines et les pédés ! » - se mêlent aux pancartes brandies – « Retirez votre sexe de mon état civil », « La bite ne fait pas le genre », « Je veux des papiers sans être mutilé-e », « On veut des droits, pas ton avis » - et à l’ambiance joyeuse qui émane des manifestant-e-s qui bougent au rythme de La Yegros et sa chanson entrainante « Viene de mi ».

En tête de manif’, Selene Tonon, vice-présidente du CGLBT de Rennes, et Roxane Gervais, membre de l’association également, se relaient au mégaphone à s’en casser la voix. Mais tant pis, elles ne lâchent rien. « Au début de la Marche, un mec m’a traitée de travelo. Je lui ai lancé : « On vous fait des bisous » ! Il est devenu tout rouge… », rigole Roxane dont la réplique bien sentie sera reprise par la foule.

« Je me suis permise aujourd’hui parce qu’aujourd’hui je peux lui répondre sans avoir peur ! », poursuit-elle, aux bras de sa compagne. Parce qu’aujourd’hui, Julien Fleurence, président du CGLBT de Rennes, le réaffirme du haut du bus stationné à République pour les discours : « Nous sommes fièr-e-s de qui nous sommes et de ce que l’on a acquis ! » Mais précise qu’à présent le goût de l’amertume et de la désillusion prend le pas sur la satisfaction des avancées sociales, dont aucune en revanche n’est à noter cette année.

Que l’espace public est toujours le « théâtre des discriminations et des violences ». Que la société stagne concernant les revendications LGBTI et que la haine perdure. Et pour de conclure, que des « vies sont en état d’urgence ». Le thème de cette édition étant : « Debout face aux discriminations. Nos vies sont en état d’urgence ».

REVENDICATIONS PRIORITAIRES

Dans les grandes lignes, le combat s’oriente vers la lutte globale contre les LGBTIphobies, la sérophobie et toutes les formes de discriminations. Ainsi que la lutte pour le droit à disposer de son corps et le droit de vivre sa vie sociale, sentimentale et sexuelle. Mais est-ce seulement envisageable quand la mutilation génitale est l’unique réponse à la naissance d’un enfant intersexe ? Quand le changement d’état civil ne tient qu’à la seule appréciation d’un juge et non de la personne concernée ?

À cette question, le député PS Erwann Binet répond clairement : « On n’est pas propriétaire de son état civil en France », ce principe d’indisponibilité provenant droit de l’époque napoléonienne. Pas propriétaire de son corps non plus, visiblement. Avec la socialiste Pascale Crozon, ils ont proposé un amendement – au projet de loi « justice pour le XXIe siècle » - visant à faciliter le changement d’état civil pour les personnes trans.

Un engagement que le président Hollande avait pris lors de sa campagne électorale en 2011/2012. Pourtant, début 2016, une femme trans – suivant un traitement hormonal depuis plusieurs années et ayant eu recours à plusieurs reprises à des opérations chirurgicales - se voit refuser sa demande car elle ne peut prouver son « impossibilité définitive de procréer dans son sexe d’origine », le tribunal de grande instance de Montpellier ayant jugé qu’il en allait là de la seule condition capable « d’entrainer le caractère irréversible de la transformation exigé par la jurisprudence ».

Résultant d’une condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’Hommes (CEDH), la jurisprudence évoquée fait état de l’arrêt de la Cour de Cassation du 11 décembre 1992 indiquant :

« Lorsque, à la suite d’un traitement médico-chirurgical, subi dans un but thérapeutique, une personne présentant le syndrome du transsexualisme ne possède plus tous les caractères de son sexe d’origine et a pris une apparence physique le rapprochant de l’autre sexe, auquel correspond son comportement social, le principe du respect dû à la vie privée justifie que son état civil indique désormais le sexe dont elle a l’apparence. »

Une avancée certes, mais qui suppose la transidentité comme une maladie mentale et impose des expertises médicales et psychiatriques douloureuses et humiliantes. Selene Tonon, femme trans, le confirme : « Beaucoup pensent que c’est une maladie mentale (jusqu’en 2010, la transidentité figurait sur la liste des maladies mentales, ndlr). Nous ne sommes pas reconnu-e-s comme légitimes par notre cadre culturel. Ce n’est pas envisageable de socialement passer d’un sexe à l’autre. »

Ainsi en mai 2010, une circulaire émise par Michèle Alliot-Marie, alors ministre de la Justice, préconise que les magistrats « pourront donner un avis favorable à la demande de changement d’état civil dès lors que les traitements hormonaux ayant pour effet une transformation physique ou physiologique définitive, associés, le cas échéant, à des opérations de chirurgie plastique (prothèses ou ablation des glandes mammaires, chirurgie esthétique du visage…) ont entrainé un changement de sexe irréversible, sans exiger pour autant l’ablation des organes génitaux. » Et par changement de sexe irréversible, il faut comprendre stérilisation.

L’amendement proposé par les députés socialistes est adopté le 19 mai par l’Assemblée Nationale après avoir subi la modification du texte à travers 3 sous-amendements. Pour obtenir le changement de sexe de son état civil, une personne transgenre devra apporter, devant le tribunal de grande instance, tous les éléments dont elle dispose pour prouver qu’elle vit et est reconnue dans une identité de genre qui ne correspond pas à son sexe biologique.

Révolutionnaire selon Erwann Binet, ce dernier se félicite d’abaisser la procédure de 3 ans à 3 mois, d’avoir démédicaliser le processus (pourtant, certificats et attestations médicaux restent dans la liste des pièces pouvant être présentés) et d’avoir légèrement déjudiciarisé la démarche.

Pour les associations LGBTI, « c’est un pas en arrière, très hypocrite en plus puisque cela a été mis en place avant l’été afin d’éviter une nouvelle condamnation de la CEDH », selon Chloé M., co-présidente de l’association nantaise TRANS INTER action, rejointe par Antonin Le Mée, porte-parole de la Fédération nationale LGBT qui considère cet amendement « pourri par rapport aux autres pays européens » comme « un couteau dans le dos, un retour en arrière », motivé par l’agenda politique.

Ce qui le conforte dans l’idée que les thématiques LGBT ont été abandonnées par les politiques publiques, même s’il admet que niveau santé, certaines avancées – dues au « travail acharné des associations et à une vraie volonté de la ministre de la Santé, qui tranche avec le reste du gouvernement » - sont à souligner, malgré la lenteur des petits progrès (comme par exemple l’ouverture du don de sang aux hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes, à condition qu’ils n’aient eu aucun rapport au cours des 12 derniers mois…).

Ce que les structures, militant-e-s et individu-e-s demandent : le changement d’état civil libre et gratuit sur simple déclaration de la personne concernée à un officier d’état civil, comme l’a obtenu la Norvège en juin dernier.

ÉLOIGNEMENT À LA CITOYENNETÉ

Pourquoi ? Parce que leurs vies sont en état d’urgence.

« La manifestation Existrans existe depuis plus de 20 ans à Paris et les revendications n’ont quasiment pas bougé. On ne lâche pas le morceau. C’est une question de vie ou de mort. Il faut une prise de conscience politique mais aussi une prise de courage. Le manque de courage, on l’a vu lors du mariage pour tous. Le gouvernement n’a pas eu le courage de dire aux défenseurs de la Manif pour tous qu’ils/elles étaient homophobes, clairement. »
explique Selene Tonon.

En France, les personnes transgenres représenteraient entre 10 000 et 15 000 habitant-e-s. Le chiffre est vague. Au moins, il existe. Et donne une idée de ce que l’on sait des femmes et hommes trans. Soit pas grand chose. Si ce n’est qu’ils/elles s’opposent à la norme cisgenre (personne dont le genre vécu correspond au genre assigné à la naissance).

Concernant le quotidien ? L’imagerie populaire voudrait y voir un public fragilisé, instable psychologiquement. Et concrètement ? La difficulté à vivre sa transidentité est indéniable. Pas dans la difficulté à assumer sa différence vis-à-vis de la norme mais dans l’éloignement à la citoyenneté, aux droits fondamentaux et à la liberté d’être soi sans se justifier. Chloé M. le rappelle : « Ce n’est pas un choix, ce n’est pas une orientation sexuelle et ce n’est pas une pathologie. »

Toutefois, les humiliations et les discriminations quasi permanentes laissent à penser qu’ils et elles sont considéré-e-s comme une population de seconde zone. « On peut souffrir de discrimination à l’emploi, à la Caf, face à l’administration, ou quand on va retirer un recommandé à La Poste, quand on subit un contrôle policier. », précise-t-elle.

Cela parce que leur apparence physique ne sera pas cohérente à la mention du sexe sur les papiers d’identité ou au chiffre sur la carte vitale (1 pour les hommes, 2 pour les femmes). Parce que le prénom ne sera pas en adéquation avec ce qui est écrit sur les documents d’état civil.

« Sur ma boite aux lettres, je ne mets que mon nom de famille. Mais très concrètement, on est obligé-e-s de se dévoiler tous les jours. C’est vraiment du quotidien. », souligne le porte parole de la Fédération LGBT. À partir de là, certaines démarches et certains lieux provoquent l’insécurité. À des endroits, il faudra se justifier et, dans la plupart des cas, observer en face des regards critiques et jugeants, quand ils ne sont pas dubitatifs et soupçonneux.

À d’autres, la transidentité sera révélée de force. Sans que cela vienne de la personne concernée. « Quand on se rend au bureau de vote, les accesseurs peuvent être des voisin-e-s. Au quotidien, ils ne savent pas. Leur donner sa carte, c’est un outing forcé auprès de potentiel-le-s voisin-e-s ou ami-e-s qui ne savent pas. Et au moment de voter, le règlement veut que l’accesseur donne l’identité civile à voix haute. », explique Selene Tonon.

LIMITES DU GENRE

Méconnaissance, ignorance, clichés et représentations fausses s’accumulent autour de ce sujet. Les médias se focalisent sur la transition et la diversité des exemples, la pluralité des personnes transgenres, n’est que trop rare. La vice-présidente du CGLBT se base par exemple sur le film The danish girl, réalisé par Tom Hooper, sorti en 2015, racontant l’histoire de Lili Elbe, artiste danoise, connue pour être la première personne avoir eu recours à une opération chirurgicale :

« L’histoire est mal racontée. Le film la montre moins épanouie après sa transition. C’est un contresens ! La transition est instrumentalisée. »

Elle décrit alors une préférence pour la série Sense8, réalisée par Lana et Lily Wachowski et J. Michael Straczynski, qui suit 8 personnages, dont une femme transgenre, interprétée par une actrice transgenre. Sa seule présence ne suffit pas à séduire Selene Tonon, c’est aussi parce que « la transidentité fait partie des qualificatifs de cette personne mais ne la définit pas. Elle est aussi hackeuse, activiste, bloggeuse, informaticienne. Elle est dépeinte de manière réaliste et dans une dimension intéressante puisqu’on la voit évoluer socialement et qu’on ne parle pas d’elle qu’à travers sa transition et du fait qu’elle soit une femme trans. Dans Orange is the new black, j’adore Sophia Burset mais elle n’est montrée qu’à travers la problématique trans. On ne la voit jamais pour autre chose, tout tourne autour de ça, c’est dommage. »

Pour Antonin Le Mée, les représentations et possibilités de visibilité représentent des moyens de lutte contre les mentalités conservatrices. Mais il ne peut que constater que rare sont les personnes trans à être connues.

« On en voit, elles sont bien intégrées dans les milieux dans lesquels elles évoluent mais en effet, il n’y a pas beaucoup de représentation. La difficulté réside dans la situation précaire qui entoure souvent les personnes transgenres. Moi, je sais que j’ai mon employeur derrière moi, sinon je ne prendrais pas le risque de dire que je suis un homme transgenre. »
affirme-t-il.

Et les hommes, justement, sont encore moins présents dans les images, articles, témoignages, postes à responsabilité, etc. Dans l’opinion publique, « la transidentité égratigne la virilité. Et un homme trans, c’est quelqu’un qui s’élève au dessus de sa condition de femme, analyse Selene Tonon. Tout ce qui dévie des normes de genre provoque des hostilités. »

À la naissance, deux possibilités. Posséder un sexe féminin ou un sexe masculin. En fonction de cela, l’injonction sera de correspondre au plus près des assignations de genre attribuées à chaque sexe. Des assignations qui conditionneront des comportements, des tempéraments, des orientations scolaires et professionnelles et même des orientations sexuelles, la norme étant l’hétérosexualité, supposée ou avérée (si tant est que l’on puisse avérer un type de sexualité).

Et ces sexes de naissance définiront également une hiérarchisation : le masculin prévalant automatiquement sur le féminin. D’où le problème pour l’évolution des mentalités. Le conditionnement et le cadre culturel et éducatif actuel, inconsciemment, ne permettant pas aisément de comprendre le mal-être d’une personne non cisgenre.

Et ne permettant pas de comprendre la motivation d’un homme, supérieur par définition, à devenir une femme, inférieure par définition. Et ne permettant pas, surtout, d’admettre l’inverse. C’est par là penser qu’il s’agit d’un choix et non d’un besoin vital. C’est nier la violence véritable à naitre dans un corps biologique qui ne correspond pas à ce que l’on ressent.

L’IMPACT DE LA BINARITÉ

C’est nier également la possibilité de naitre avec les deux sexes, comme tel est le cas d’un enfant intersexe. Quand on parle de représentation, les personnes intersexuées figurent certainement parmi les plus invisibilisées.

« Les médecins estiment avoir le savoir. Le savoir c’est qu’on ne peut pas bien vivre avec les deux sexes. À la naissance, on choisit donc un sexe, pour l’enfant, sans son consentement, évidemment. On mutile un enfant. »
explique la co-présidente de TRANS INTER action.

Un acte barbare que l’on pense dans l’intérêt de l’individu-e, sans jamais tenir compte de la manière dont ils/elles vont grandir et ressentir ce vécu. « Ce serait plus sain de les laisser grandir puis choisir eux-mêmes. Surtout que la différence entre les filles et les garçons n’existe que sur les organes génitaux avant l’adolescence. Hormonalement, à 8 ans, il n’y a pas de différence. On voit une différence à la coupe de cheveux seulement (puisque dans l’idée stéréotypée, une fille a les cheveux longs et un garçon les cheveux courts, ndlr). C’est donc possible de le faire évoluer comme n’importe quel gosse. », signale Selene Tonon qui précise que l’acte de mutilation génitale sur un enfant intersexe est conforme à l’idée que l’on a de la binarité : « Et à cause de ça, on leur crée du dommage. »

Le mot est lâché, la binarité est problématique. Être homme ou être femme. Être hétéro ou être homo. La rigidité du système se reflète dans tous les aspects de la société. Et est flagrante au niveau administratif. Les formulaires ne donnent pas le choix : homme ou femme. 1 ou 2. Pas de place pour la nuance. Pas de place pour la complexité. Pas de place pour la liberté.

La liberté de ne pas vouloir se définir dans un langage binaire. La liberté de ne pas vouloir des cases et de leurs assignations sexuées. Antonin Le Mée l’explique parfaitement : « Il y a un blocage sur le genre, une dichotomie genre et sexe dont découle la répartition des rôles. Les formulaires ne donnent pas des droits mais ils participent à la construction de la société. Tout le monde est confronté à des problèmes de binarité. Mais on s’habitue car on évolue dans ce système et on finit par ne plus le voir. »

SEXISME ORDINAIRE ET DÉCOMPLEXÉ

La binarité découle d’un fait biologique, récupéré ensuite par une société rigide, préférant simplifier les données et les catégories, plutôt que d’être moralement attentive aux besoins des un-e-s et des autres. « Trop compliqué », dira la majorité de la population (blanche, hétéro, cis) qui se dira pourtant ouverte et favorable à la liberté sexuelle et à l’égalité des sexes.

Le sexisme, ordinaire et intégré, se greffe à la norme. Conservé et conforté sans remise en question, il peut en résulter alors les LGBTIphobies. En 2012/2013, le mariage pour tous verra naitre un mouvement d’opposition important, la Manif pour tous. Et verra les langues se délier. Le cadre politique laxiste entrainera les relents homophobes à exploser, sans complexe.

On tolérait les couples de même sexe mais on ne pourra accepter qu’ils obtiennent les mêmes droits que les couples de sexe opposé, ayant accès au mariage, à l’adoption et à la PMA. Voilà le discours que diffuse librement les opposant-e-s à l’union des couples homosexuels, hommes ou femmes. Un discours violent, agressif, insultant et humiliant qui amènera également une recrudescence d’agressions physiques ou verbales, comme le souligne chaque année le rapport de SOS Homophobie.

L’actualité récente est encore marquée de barbarie. Le massacre, à Orlando, d’une cinquantaine de personnes fréquentant dans la nuit du 11 au 12 juin la boite LGBT « Pulse » a fait trembler une partie de la population mondiale. La tuerie a ému, c’est certain. Mais finalement a beaucoup moins intéressé la presse que d’autres attentats survenus en 2015 et en 2016. Le 13 juin, place de la Mairie à Rennes, un rassemblement est organisé en hommage aux victimes et en soutien aux proches.

La vice-présidente du CLGBT prononce un discours et l’affirme : ce n’est pas une surprise. « Dans le sens où vu les tensions à l’échelle mondiale, on savait depuis un moment que ça nous pendait au nez un massacre LGBT. On a rapproché ça d’un acte terroriste, pour moi, c’est plus un problème de LGBTphobies. Et le fait que le tueur fréquentait la boite ne veut pas dire que ce n’est pas de l’homophobie. L’homophobie intériorisée existe et c’est tout aussi homophobe. », explique-t-elle.

Et si le mois de juin a vu un retour de la Manif pour tous à Rennes, autour de la famille et de la GPA, elle ne s’inquiète pas, le mouvement est mort dans l’œuf : « Il ne faut pas baisser nos gardes, les réac’ ne lâchent pas, et on ne peut pas les laisser parler comme ça dans le centre ville mais ils sont hyper minoritaires. À République, ils étaient quelques dizaines. En s’organisant la veille, les militant-e-s LGBT étaient 3 fois plus nombreux/euses. »

FAIRE BOUGER LES LIGNES

La Manif pour tous ne serait plus une menace a priori. Mais les LGBTIphobies décomplexées font toujours rage. La vice-présidente du CGLBT, le porte parole de la Fédération LGBT et la co-présidente de TRANS INTER action sont convaincu-e-s et unanimes : pour désarmorcer les phobies, cela doit passer par l’éducation. Pas n’importe laquelle. L’éducation populaire.

C’est à ce titre-là que l’association Aroeven Bretagne (Association Régionale des Œuvres Éducatives et des Vacances de l’Éducation Nationale) a créé le projet « X,Y,Z… », à la suite d’un constat porté par un groupe de militant-e-s souhaitant réfléchir aux nouvelles problématiques auxquelles ils/elles étaient confronté-e-s sur le terrain ou dans leur posture de formateurs/trices et intervenant-e-s en milieu éducatif et scolaire.

Les questions de genre apparaissent très rapidement, avec l’envie de prendre le temps d’explorer ce qui se fait sur le terrain, ce qui se fait ailleurs, avec en parallèle des recherches individuelles visant à l’apport de connaissances et la mise en perspective des problématiques. L’objectif : sensibiliser et éduquer aux discriminations sexistes.

Développé à Rennes, ce projet, visant un public de 13 à 18 ans mais aussi les acteurs éducatifs, prendra une dimension européenne, réunissant en octobre prochain 7 pays ayant répondu à l’appel à candidatures (l’Italie, Malte, la Turquie, l’Espagne, la Bulgarie, la Croatie et la Pologne). « L’idée pendant la formation européenne est d’échanger autour des bonnes pratiques, des réalités de chacun, des politiques nationales, locales, de partager des ateliers et des outils. », explique Geoffrey Vigour, coordinateur de projets et formateur à l’Aroeven.

Parmi les sujets proposés et retenus pour octobre : Les difficultés rencontrées par la communauté LGBTI, l’impact des images et de la presse, les rôles et les genres, l’impact de la culture et de l’Histoire sur les représentations ou encore la construction de la virilité et de la féminité. Conscient des discriminations liées au sexe, le groupe souhaite :

« ne pas s’enfermer dans l’égalité filles/garçons mais vraiment orienter le projet sur les discriminations liées à l’identité sexuelle, au genre. Ne pas s’arrêter à ce que la biologie définit, tout en étant prudents sur les questions que l’on ne connaît pas, que l’on ne maitrise pas. »

C’est pourquoi l’association d’éducation populaire ne compte pas œuvrer seule mais avec un tissu de partenaires spécialisés sur ces questions comme Liberté Couleurs, Questions d’égalité, le Planning Familial 35, l’académie de Rennes, la délégation Droits des femmes et égalité des sexes de la Ville de Rennes, pour n’en citer que quelques uns.

À la suite de la formation européenne, un plan d’actions devrait être mis en place. Viendront alors les temps d’échange avec les jeunes rencontrés lors de séjours éducatifs, d’interventions scolaires ou de BAFA. La volonté de l’Aroeven étant de discuter et donner la parole aux différents publics afin de réfléchir et s’organiser ensemble autour des solutions à apporter, à envisager.

« On pourra aussi à notre échelle sensibiliser et former les militant-e-s de l’Aroeven, qui peuvent être formateurs/trices BAFA, ou directeurs/trices, et ainsi faire des passerelles. », explique Geoffrey Vigour.

Antonin Le Mée en est convaincu également, la formation des professionnel-le-s, la sensibilisation d’un public, etc. participent à la déconstruction des petits mécanismes. « Au TEDex, j’ai fait une intervention sur la binarité. Les gens comprennent quand on leur explique. Ensuite, il y a l’effet ricochet : en changeant les choses autour de soi, la culture de l’égalité infuse. À petite échelle, je sensibilise les clients de ma boite, les gens de ma boite, les gens de la French tech qui me connaissent, les stagiaires, etc. ça touche du monde et c’est en éduquant que l’on fait bouger les choses. », dit-il.

Le message est clair : le combat est long, la confusion forte, la haine néfaste. Mais la lutte continue et ne s’essouffle pas. « Il ne faut rien lâcher. C’est l’opiniâtreté de certain-e-s qui fait que ça évolue. Les règles s’assouplissent car les plaintes s’accumulent, que la sensibilisation agit et que ça se diffuse dans les cercles de l’entourage de chacun. C’est long mais ça fonctionne. », conclut-il.

 

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Célian Ramis

Football gaélique : Un sport en plein essor

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Rennes
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Méconnu en France, le football gaélique se développe aux quatre coins de l'Hexagone et s'affiche comme un sport complet, accessible à tou-te-s. Rencontre avec l'équipe féminine de Rennes, première du classement national.
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Sport collectif à part entière, emprunt de foot, hand, rugby ou encore volley, le football gaélique est une véritable institution en Irlande. Pourtant, dans l’Hexagone, cette discipline est quasiment inconnue. En tout cas, bien trop méconnue. En France, 23 clubs, principalement dans l’Ouest mais pas seulement, développent activement ce sport et 12 clubs sont en création, majoritairement dans le Sud Est.

Parmi toutes les associations sportives de la Fédération de Football Gaélique, toutes n’ont pas encore d’équipe féminine. La capitale bretonne peut se vanter de son côté d’en avoir une. Et pas des moindres ! Championnes de Bretagne et doubles championnes de France, les joueuses rennaises sont en passe d’être sacrées triples championnes, la finale se déroulant le 11 juin à Clermont-Ferrand.

Ce jour-là, certaines d’entre elles seront sélectionnées pour les championnats du monde, le stage de pré-selection ayant eu lieu le 28 mai à Rennes. Rencontre avec l’équipe et découverte d’un sport aussi varié que les profils des joueuses.

C’est en 1994 que des expatriés irlandais fondent le premier club de football gaélique, dans la capitale française. Quatre ans plus tard, les Celtes du nord ont l’idée d’en faire de même à Rennes, créant ainsi Ar Gwazi Guez. Les Oies Sauvages ont depuis fait des émules, dans la Bretagne historique qui compte une Ligue spécifique à la région, mais aussi dans le reste de la France, pays à la particularité de fonctionner pour certains clubs avec des équipes mixtes pour cause de manque de joueuses. Pourtant, la capitale bretonne détient une équipe féminine, au top du classement. Comment s’est développé le football gaélique et qu’est-ce en fait la force ?

Au mois de mai, les averses et les ciels menaçants n’auront pas raison de leur envie d’en découdre avec le ballon rond.

Un mercredi soir, alors que la fraicheur et l’humidité se font sentir, elles arrivent un peu avant 20h au compte goutte sur le terrain de rugby de Beauregard, qu’elles partagent chaque semaine avec leurs homologues masculins.

Au nombre de 7, elles démarrent l’entrainement avec des exercices de répétition : le ballon dans les mains, elles s’élancent tour à tour, vers un premier plot, y effectuent une reprise au pied (le solo, le fait de lâcher le ballon tenu dans les mains sur le pied avant de le reprendre dans les mains pour pouvoir poursuivre sa progression, ndlr), tournent autour de ce plot avant de shooter au pied. D’autres plots sont disposés à distance plus éloignée, permettant ainsi de multiplier les solos.

En deux équipes opposées, elles s’encouragent les unes et les autres, se motivent conjointement, jurent sans vergogne lorsque la trajectoire du ballon n’atteint pas l’espace entre les deux poteaux de l’en but (but en H) et rigolent beaucoup. Tout en maintenant sérieux et rigueur, imposés par leur détermination à progresser et leur coach, Yves Le Priol.

Découvrir ce sport est souvent le fruit d’un heureux hasard. Parce qu’on connaît un-e ami-e ou un-e collègue qui le pratique. Ou parce qu’on connaît ou qu’on est un-e Irlandais-e. Il y a quatre ans, Fanny Jaffres, alors âgée de 20 ans, effectuait sa 3e année de Sciences Po à Pékin.

C’est son maitre de stage qui lui a alors conseillé le football gaélique : « Il y a pas mal d’expat’ irlandais dans les villes asiatiques. Quand je suis rentrée à Rennes, après un an en Chine, j’ai voulu reprendre le basket que j’avais laissé en partant, mais je ne m’y suis pas retrouvée. J’ai donc poursuivi le football gaélique. » Depuis, elle n’a jamais arrêté, et très rapidement est devenue la capitaine de l’équipe féminine du club Ar Gwazi Guez, qui compte 17 joueuses dont Jessica Chapel, 26 ans, la présidente intégrée depuis 2 ans.

« Je suis cheffe de projet dans une banque et je travaille avec le coach, c’est comme ça que j’en ai entendu parler. », explique-t-elle, précisant en plaisantant qu’aujourd’hui elle recrute des joueuses dans les bars. Boutade qui n’en est pas une puisque les soirées dans les pubs installés en France à parler football gaélique entre expatriés sont à l’origine des premiers clubs hexagonaux. Cependant, aujourd’hui, ils ne sont plus en majorité dans les équipes, preuve d’un développement et d’une appropriation du jeu qui tend vers un brassage des cultures, celtes ou non.

RACINES CELTES ET BONNE AMBIANCE

Anna Marie O’Rourke, elle, fait partie de celles qui n’ont pas découvert le football gaélique au détour d’un bistrot. Elle a véritablement baigné dedans depuis sa naissance et a commencé à taper dans le ballon dès l’âge de 7 ans, à Coolkenno, au sud de Dublin. En Irlande, c’est le sport national, une institution incontournable.

« On joue pour le club de la commune puis celui du ‘comté’. On n’a pas le droit de jouer ailleurs, sauf avec une dérogation. On nait dans un club, on meurt dans ce club. C’est très familial, centralisé autour des pubs, et continuer ici en France, c’est conserver mes racines. »
s’enthousiasme la doyenne qu’elle est du haut de ses 42 ans.

Plus jeune, elle a joué dans la même équipe que ses 3 sœurs et a intégré avec l’une d’elles l’équipe du comté. Elle se souvient des heures quotidiennes passées sur le terrain mais aussi en dehors. Une passion qu’elle ne met pas de côté en arrivant en France il y a 13 ans et dont elle puise les ressources pour trouver l’énergie d’être responsable bien-être des joueurs en Europe, formatrice d’entraineurs-euses, arbitre et joueuse.

Infirmière en parallèle, elle a à cœur « d’être autant impliquée ici qu’en Irlande. » Elle est affirmative : « Plus qu’un sport, c’est ma vie. Je fais des études en soins palliatifs, je travaille au quotidien avec la mort et quand je viens sur le terrain, je trouve la vie. C’est ça mon équilibre ! »

Ses coéquipières ne sont pas aussi catégoriques mais leur motivation vibre à l’unisson. Elles apprécient toutes, sans exception, l’ambiance qui règne dans et autour de ce sport, bordé de convivialité et d’esprit d’équipe, généralement très prégnant dans les sports collectifs. Même son de cloches du côté des autres équipes, présentes à Rennes le 30 avril dernier pour la troisième manche de la coupe de France (lire encadré).

En raison du faible nombre de joueuses ce jour-là pour certaines villes, comme ce fut le cas par exemple pour Angers et Niort, des ententes se forment afin que toutes puissent jouer et ne pas rester sur le banc en spectatrices. « On reste toujours solidaires, il n’y a pas vraiment de compétition. », déclare alors Kaleigh O’Suilivam, qui après avoir joué à Rennes, puis à Niort, a fondé le club d’Angers dont elle est devenue l’entraineuse, avec Sinead Riordan.

« Clermont-Ferrand n’a pas encore assez de monde, l’équipe vient de se lancer cette saison, du coup, on prête parfois des joueuses comme nous on est 17 et que sur le terrain, il faut être 7 ou 9, ça dépend des compétitions, ça permet à tout le monde de participer. », complète fièrement Jessica.

Pour Emilie Pasquet, ingénieure qualité dans l’industrie automobile à Vitré, licenciés et licenciées de football gaélique forment une grande famille. Il y a les entrainements, les réunions, les week-ends de match, les soirées, comme celle du 3 juin qui à Liffré accueille les sportifs venus disputer un tournoi jeunes.

À 25 ans, Emilie partage sa première année de football gaélique entre deux équipes. Liffré donc et Rennes. La première n’ayant pas d’équipe féminine comme tel est le cas dans la majorité des clubs, dont le nombre tend à se réduire de par la féminisation grandissante de ce sport en France. « L’ambiance est super dans les deux villes », se réjouit-elle, rejointe par Laura Andrieu, capitaine de l’équipe de Clermont-Ferrand :

« On est une jeune équipe. On a connu ce sport par le biais des copains qui en jouaient, on a donc suivi le mouvement. Et on a créé une équipe en septembre. On était venu pour essayer, par curiosité et on s’est rendu compte qu’on pouvait faire plein de choses, qu’il y avait une grande liberté de jeu grâce à toutes les techniques. On est avec les copains, l’ambiance est bonne, et il y a aussi une grande solidarité. Les entraînements ont lieu deux fois par semaine. Mais ce sont surtout les tournois qui demandent de l’énergie au final, car il y a des déplacements, ce qui est assez prenant. »

Et Fanny Jaffres ne peut qu’approuver, elle, qui en tant que capitaine, se doit de porter le moral de son équipe au sommet. Calmer les esprits qui s’échauffent parfois par perfectionnisme, motiver les troupes, rappeler qu’elles sont les meilleures et qu’elles vont gagner, tout en donnant le bon exemple, tel est le rôle qu’elle assume sans pression. « C’est plaisant ! Et puis l’équipe est super, sans prise de tête, on n’est pas là pour la compétition mais pour se faire plaisir. »

Et se défouler rajouteront certaines joueuses lors du tournoi, le 30 avril, ou de faire des rencontres intéressantes. À l’instar des Lorientaises qui témoignent de la diversité générationnelle de leur équipe, permettant des échanges riches entre elles et la constitution, en entrainements, « d’équipes rigolotes ».

UN SPORT COMPLET ET COMPLET

Au-delà de cette ambiance chaleureuse et conviviale, argument majeur des sports collectifs, le football gaélique a un avantage non négligeable pour les joueuses de l’Ar Gwazi Guez.

Elles sont unanimes, c’est un sport complet. Qui allie aussi bien du football, du handball, du volley, du basket ou encore du rugby. En résumé, il se joue à la main comme aux pieds, avec des manchettes, des buts en H (valant 1 point) et des buts avec filet sous la transversale (valant 3 points).

Les pratiquant-e-s peuvent traverser le terrain en se faisant des passes, en avant comme en arrière, ou en utilisant des techniques – le rebond au sol (dribble) ou le solo - tous les quatre pas. Si les règles peuvent paraître complexes, il suffit de quelques dizaines de minutes sur le terrain pour les intégrer.

« Ça peut paraître étrange mais c’est très libre comme sport. En jouant, on comprend facilement. Il n’y a pas de hors jeu ni d’en-avant. On n’a pas le droit non plus aux tacles du foot ou aux plaquages du rugby. On doit jouer de notre corps mais il n’est pas question d’impact. », précise Fanny.

Un point qui séduit de nombreuses joueuses, comme Claire Bonnal dans l’équipe féminine depuis 2 ans. Après 10 ans au Stade Rennais Rugby, en équipe 1, elle a envie de changer d’air : « Les années se suivaient et se ressembler. Et avec l’âge (35 ans, ndlr), j’étais de moins en moins chaude pour plaquer et pour les contacts. Sans compter qu’il y a également beaucoup moins de matchs, c’est plus souple et il y a un très bon état d’esprit. » Le compliment revient souvent. La souplesse et l’accessibilité, également.

DES DIFFÉRENCES : UNE QUESTION DE SEXE ?

« On mélange plusieurs sports et des techniques différentes. Suffit d’être dégourdie avec les mains et/ou les pieds. Ce n’est pas comme au hand ou au foot où là si on est moyenne, c’est difficile d’être intégrée. Le foot gaélique est un sport accessible à tou-te-s et surtout pas excluant. Au contraire, je trouve qu’il y a de la place pour tout le monde au sein du collectif. », livre Estelle Roche, 23 ans, employée chez Suez, dans le recyclage des déchets.

Toutefois, si les plaquages et les tacles ne sont pas autorisés sur un terrain de football gaélique, les contacts sont possibles, limités à un duel d’épaule contre épaule. Pour les hommes seulement. Les femmes répondant à des règles spécifiques à leur sexe, établies par une fédération féminine distincte de celle masculine en Irlande. Comme le poids du ballon rond, semblable en apparence à celui utilisé en volley, ou le fait de pouvoir récupérer un ballon au sol avec les mains tandis que les hommes doivent, pour se faire, se lever avec le pied (le pick-up).

« On n’a pas le droit non plus de jurer sur le terrain, on peut avoir un avertissement ! », se plaint Fanny, en rigolant. Yves Le Priol, coach des rouges et noires, nuance la remarque. « Les hommes non plus n’ont pas le droit aux injures !, souligne-t-il. Il y a des contacts pour les équipes masculines, mais encadrés, on ne fait pas n’importe quoi. Ce n’est ni un sport de combat, ni un sport violent. Il y a une image de sport barbare à cause de la méconnaissance qu’il y a autour. »

Clichés mis à part, certaines sportives évoquent un léger regret au fait de ne pouvoir aller au contact, qui semble parfois dépendre de l’arbitrage qui sifflera la faute plus ou moins rapidement. Mais en règle générale, elles avouent un soulagement à exercer une discipline limitant les risques de coups et de blessures.

Autre différence notable : la taille du terrain, réduit pour les femmes. Ce qui s’explique par le nombre de joueurs et de joueuses. Les hommes jouant à 11 contre 11 en Europe – en dehors de l’Irlande où ils sont 15 contre 15 – et les femmes à 7 contre 7, voire 9 contre 9 dans certains cas. Ce qui ne choque pas les filles, qui parlent également de différences physiques naturelles pour expliquer l’écart technique existant entre un football gaélique masculin et un football gaélique féminin.

Même si Kaleigh O’Suilivam ne veut y voir « ni un sport pour les filles, ni un sport pour les garçons, mais un sport irlandais avant tout. » Un point qui met tout le monde d’accord. Néanmoins, une spécificité française subsiste : la mixité. Là aussi, due au faible nombre, pour le moment, des joueuses.

PROGRESSER EN MIXITÉ ET EN NON-MIXITÉ

Certaines préfèrent s’entrainer avec les hommes, d’autres aspirent à la non-mixité pour une meilleure progression. Si les discours sont discordants, ils se rejoignent sur les avantages et les inconvénients qu’il y a des deux côtés. À Liffré par exemple, Emilie s’entraine avec les hommes et regrette qu’il n’y ait pas d’équipe féminine, d’où sa présence à l’entrainement des Rennaises. Jouer entre filles est plus confortable niveau physique. Jouer avec les hommes permet le dépassement de soi.

« Les règles françaises prévoient la mixité en compétition. Quand je joue un tournoi avec les gars, on adapte à moi le règlement féminin. C’est un équilibrage pour ne pas que les filles soient « un handicap », j’aime pas ce terme, parce que ce n’est pas ça précisément… »
justifie Emilie Pasquet.

Si une équipe non-mixte conçoit un espace confiné dans lequel chaque sportive peut développer sereinement ses capacités physiques et stratégiques, sans la pression d’être « un poids », et prouve son efficacité par des constats de progression fulgurante, la complémentarité des entrainements est appréciée par un grand nombre, dont Lisa Hamon, 25 ans, service civique pour l’association rennaise Electroni-k, fait partie.

Aux côtés des Oies Sauvages depuis janvier 2016, elle aime se mesurer aux sportifs. Depuis petite, elle pratique des sports de ballon, du handball pendant très longtemps auprès d’une équipe du Saint-Grégoire Rennes Métropole Handball, ainsi que du football avec des ami-e-s. Elle est plutôt du genre douée qui impressionne les garçons.

« C’est comme ça que je me faisais respecter d’eux. J’aime bien foutre des raclées aux mecs, c’est mon côté féministe ! Quand on s’entraine avec eux – quand on n’est pas suffisamment nombreuses pour faire un entrainement entre filles – je trouve que ça casse la fracture filles/garçons, c’est bien aussi. Ça permet de se confronter à meilleur que soi et c’est toujours mieux de jouer contre plus fort, aussi bien des gars que des filles d’ailleurs. Mais les mecs, c’est certain, courent plus vite, et moi je reste dans le même état d’esprit que quand j’étais petite, alors je fonce ! », lance-t-elle, d’une voix enjouée.

Pour Claire Bonnal, un point est à soulever impérativement dans ce débat autour des dissensions – qui ont l’air de rester minimes et ne pas créer la polémique - : le fait que l’équipe, dans sa globalité, au-delà des sexes donc, se soutient et s’encourage.

« Je me souviens d’une journée de tournoi, où les gars ont été éliminés, et nous on avait encore des matchs. Ils sont venus sur le bord du terrain pour nous soutenir. Ils étaient très fiers de nous, et on sait qu’ils sont pour le développement des équipes féminines. C’était très fort et intense. », dit-elle, la gorge nouée : « Oui, j’en suis encore émue en en parlant. »

DE LA DIVERSITÉ ET DE LA MOTIVATION AVANT TOUT

Dans l’ensemble, les joueuses démontrent des « caractères ». À la fois souples et rigoureuses, elles affichent des profils divers mais un enthousiasme commun. Elles sont toutes assez sportives, mais pas forcément issues des mêmes disciplines. Fanny a fait beaucoup de basket, Jessica de la boxe, du tennis et du judo, Estelle de l’athlétisme, de la course à pied, du futsal – qui peut se rapprocher du soccer – et du hand, Claire du rugby, tout comme Emilie, Lisa du hand et du foot, et Anna Marie du football gaélique. Sans oublier l’entraineur, Yves, qui a pratiqué pas mal de foot et de rugby avant de découvrir le football gaélique en 2000.

Pour de multiples raisons, les joueuses ont cessé leurs activités respectives et trouvent aujourd’hui un véritable plaisir à contribuer à la réussite de leur équipe. La force qui fait leur palmarès ? C’est à n’en pas douter. Individuellement, elles ont toutes des qualités techniques. Débutantes ou non, elles ont encore toutes des points à travailler et toutes ont fait des progrès, certaines démontrant immédiatement des capacités et une aisance, que ce soit avec les pieds ou les mains, ou même les deux.

Mais ce qui prime pour Yves Le Priol, c’est leur motivation. Elles sont championnes de Bretagne cette année et doubles championnes de France. Le 11 juin, elles confirmeront ce titre, à Clermont-Ferrand, pour la troisième année. De quoi être fières et s’en vanter. Mais l’équipe est modeste et lucide.

L’entraineur précise cela dans le contexte : c’est parce que les autres équipes féminines ne sont pas très développées que Rennes est première. La capitaine l’affirme quand on évoque l’écart de point entre son équipe et les autres du classement : « On n’a pas de concurrence. Franchement, on est bien meilleures que les autres équipes. » Et si ça fait réagir Lisa au moment où elle exprime ce positionnement, Fanny a raison.

Et poursuit : « Mais faut pas croire que c’est plaisant, parce que finalement les meilleures victoires sont celles que l’on va chercher ! On a été malmenées lors du championnat de Bretagne, on a eu peur et finalement on a mis pile les points qu’il fallait. Ça, c’était chouette ! » Yves ne peut qu’approuver, convaincu du potentiel des joueuses qu’il entraine. S’il ne souhaite pas établir de comparaison entre le palmarès des féminines et celui des masculins, il voit toutefois des différences à l’entrainement :

« Je ne veux pas tomber dans les clichés mais les filles sont plus à l’écoute, plus en demande conseils. Alors oui, parfois faut les recadrer lors des exercices, mais elles sont quand même assez concentrées. Je pense que la grande différence est là : les filles sont plus intéressées à progresser. »

DES AMBITIONS POUR DE NOUVEAUX DÉFIS

Pour lui, leur niveau se mesurera fin septembre en Irlande lors d’une semaine de rencontre inter clubs européens. Mais avant cela, plusieurs rennaises devraient s’envoler pour la terre mère du football gaélique lors des World Games qui se dérouleront à Dublin du 7 au 14 août. La pré-sélection a eu lieu à Rennes, le 28 mai dernier.

Dix joueuses de l’Ar Gwazi Guez étaient pressenties pour l’équipe de France qui sera constituée le 11 juin. C’est à Clermont-Ferrand, à l’occasion de la finale de la coupe de France, qu’elles seront fixées et qu’elles sauront si elles participent au stage de formation début juillet. Jessica Chapel ne cache pas sa joie :

« On est une équipe soudée qui compte de vraies machines de guerre ! Moi, je viens plutôt de sports individuels mais elles sont nombreuses à être issues des sports collectifs et ça se voit. Elles ont vraiment quelque chose que je n’ai pas, elles ont une vision générale du jeu et repèrent très vite les stratégies à adopter, là où moi je mets plus de temps à comprendre ce que je dois faire. »

Les « machines de guerre », Claire Bonnal les qualifie, elle, d’intouchables. Et a conscience d’en faire partie. « J’ai vécu avec le Stade Rennais Rugby des moments sportifs avec beaucoup de tensions, beaucoup de matchs durant la saison. Là, on en a moins, et je ne me suis pas mise la pression le 28 mai. », explique-t-elle. Estelle Roche, de son côté, n’était pas aussi sereine : « J’aimerais vraiment y participer, vivre cette expérience. Je sais que ma place n’est pas acquise, je suis nouvelle dans l’équipe, mais je fais tout pour me mettre à niveau. »

Ce qui les anime par dessus tout, c’est de partir en Irlande, disputer des matchs face à d’autres joueuses partageant la même passion. Si toutes ne partageront pas l’expérience au mois d’août, elles se rattraperont en septembre. Pour Claire, c’est ce qui compte :

« Il y a le côté sportif mais aussi découverte. Aller en Irlande entre copines, on s’entend tellement bien, c’est vraiment bien. Ce qui sera plus difficile au niveau d’une équipe de France, ce sera de réussir à s’ouvrir aux autres, créer de l’interaction avec les autres joueuses. »

Sans aucun doute, l’équipe féminine a à cœur de défendre les couleurs rouges et noires, tout comme les couleurs bleues, blanches et rouges, et de participer aux entrainements, à hauteur de l’investissement qu’elles peuvent y mettre. Lisa Hamon le dit elle-même :

« Quand je jouais au hand, c’était plus intense en terme d’engagement. Et j’ai sacrifié pas mal de ma vie perso. Je veux maintenant faire la part des choses et si je ne peux aller à un entrainement, ce n’est pas grave même si plus je fais de sport, mieux je me porte. Je ne peux pas aller en Irlande en août parce que je travaille mais j’espère vraiment être présente en septembre. On m’a dit il n’y a pas longtemps que choisir, c’est renoncer. J’essaye de l’appliquer. »

UN DÉVELOPPEMENT À VENIR ET À TRAVAILLER

Si la pratique est amateure et résulte d’un loisirs, les sportives ne lâchent rien et s’engagent pour le développement de cette discipline trop méconnue encore en France, même si Yves relativise quant à sa faible portée : « En 2000, il y avait 2 ou 3 clubs seulement. Aujourd’hui, on en compte plus d’une vingtaine. »

Si le football gaélique est sous-médiatisé, l’espoir persiste grâce à cette rapide évolution. L’aspect atypique attise de plus en plus la curiosité et séduit. L’attention du club de Rennes, ainsi que dans les autres villes bretonnes ou non, le Sud Est de la France tendant également à composer de nouvelles équipes, est au développement du sport importé d’Irlande. Anna Marie est intarissable sur le sujet, le jeu est beau et il en vaut la chandelle :

« C’est un vrai bonheur de voir son évolution en France. Nous sommes très impliqué-e-s pour le faire grandir davantage, aller dans les écoles, les collèges et les lycées pour en parler, pour faire découvrir le foot gaélique. Et nous organisons aussi des initiations à Rennes, ça fonctionne bien, et on aime bien faire ça. »

Claire, professeure des écoles à Orgères, n’a pas pu faire de cycle football gaélique avec sa classe de CE2-CM1 cette année, mais projette néanmoins de faire découvrir aux élèves une après-midi durant les bases de ce sport qu’elle chérit.

Les jeunes ne sont pas, actuellement, assez nombreux à se signaler intéressé-e-s pour constituer une équipe pour les moins de 16 ans. A contrario du club de Liffré qui comptabilise trois groupes jeunesse parmi les 80 adhérent-e-s. Les objectifs sont clairs : amener les filles et les garçons de tout âge au football gaélique.

Et sans se décourager, à force d’enthousiasme, d’initiations, de sensibilisation, de communication et de victoires vitrines d’une qualité d’entrainements, joueurs et joueuses en prennent le chemin.

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Football gaélique : Unies dans un sport en développement
La diversité, force de l'équipe rennaise
Une bonne entente en Coupe de France

Célian Ramis

E-sport : Mixité aux manettes ?

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Les jeux vidéo seraient-ils réservés aux hommes ou à une certaine catégorie de personnes ? Assurément, non. Et pourtant, les femmes sont encore une minorité. L'e-sport serait une ouverture vers une mixité plus égalitaire.
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A l'occasion de la 12e édition du Stunfest, festival vidéo-ludique qui se tient du 20 au 22 mai prochain à Rennes, YEGG s'est intéressé à la partie la plus médiatisée du jeu vidéo, l'e-sport. Petit à petit, cette jeune discipline, hybride de domaines majoritairement masculins, les jeux vidéo et le sport, évolue. Les femmes s'y intéressent de plus en plus, grâce à l'aspect ludique.

Dans la capitale bretonne, le Stunfest et l'unique bar e-sport, le WarpZone, tiennent ce rôle de lien social. Quelques freins subsistent néanmoins : l'éducation genrée et le manque de représentation. Selene Tonon, vice-présidente du Centre gay lesbien bi et trans (CGLBT) de la ville, est pourtant confiante. Dans les décennies à venir, l'univers du gaming se diversifiera. Être homme, femme, cisgenre, transgenre, hétérosexuel ou homosexuel ne seront plus des données à prendre en compte, à terme.

Les joueuses se sont faites une place dans le domaine de l’e-sport, appelé en français « sport électronique ». Mais dans ces compétitions de jeux vidéo multi-joueurs où les codes restent largement masculins, elles sont souvent mises sur le devant de la scène pour l'unique raison d'être femmes. Lassées, toutes celles que nous avons rencontrées sont claires : l'e-sport est un milieu convivial, qui les ont accueillies à bras ouverts.

Comme tous les mardis, Elodie Cagnat et Elsa Delanoue se retrouvent au bar rennais le WarpZone, situé 92 mail François Mitterrand, à l'angle de la rue Louis Guilloux. Ce 15 mars, vers 20 heures, les jeunes femmes de 23 et 28 ans discutent au comptoir avec Nicos, l'un des serveurs. Après avoir bu un premier verre, elles commandent à manger. Elodie a invité deux de ses amies pour leur faire découvrir l'endroit.

Car le WarpZone a la particularité d'être le premier bar rennais « e-sport », ouvert depuis janvier 2015. L'intérieur a été conçu uniquement pour les jeux vidéo, seul ou à plusieurs : sept ordinateurs et deux bornes d'arcade dans la salle principale, vingt consoles dans la pièce au sous-sol.

Ce soir-là, tous les postes d'ordinateur sont occupés par des joueurs. Un tournoi d'Hearthstone, un jeu de cartes en ligne issu de l'univers médiéval-fantastique de Warcraft, a commencé une heure auparavant. Elsa et Elodie, elles, descendent dans l'endroit consacré au « retrogaming ». Tout ce qui y est proposé date d'au moins 20 ans. Elles s'installent au fond et allument la console pour une partie de Mario Kart. Depuis l'ouverture du lieu, ces deux amies, qui se sont rencontrées dans la même entreprise, font partie des habituées de la clientèle du bar.

« La première fois que nous sommes venues il y a un an, tout le monde était installé sur les PCs et il n'y avait que des hommes », se souvient Elsa. Pas de quoi les dissuader pour autant. Elles se lancent à l'époque dans une partie de Just Dance et un membre de l'équipe WarpZone les rejoint. « On s'est directement senties à l'aise, normales », rajoute Elodie, presque pour se justifier. Avant de franchir le pas de la porte, les deux jeunes femmes avaient des préjugés sur les personnes qu'elles allaient y croiser.

Des hommes, forcément, les yeux rivés sur leur écran, qui n'allaient pas leur adresser un mot. La réalité est bien différente. Grâce à ces évènements organisés tous les soirs, comme des tournois de jeux vidéo ou des soirées à thème, le WarpZone s'adresse à un large public.

« De plus en plus de filles viennent au bar, l'ambiance fait changer la donne. Le WarpZone veut casser cette image de gros geeks, se félicite Nicos, l'un des quatre co-fondateurs. On démocratise le jeu vidéo. »

Et ce n'est ni Elsa ni Elodie qui diront le contraire. Ces dernières qui assumaient mal le fait d'être des gameuses, ont trouvé un endroit où elles pouvaient à la fois se retrouver, s'amuser et en discuter. « Je n'ai jamais été dans un groupe qui jouait, alors être deux, ça change tout », confirme Elodie.

CONQUIS PAR LES HOMMES

C'est un fait : l'e-sport, traduit par « sport électronique » en français, a d'abord été conquis par les hommes. Ces compétitions de jeux vidéo multijoueurs ont à peine une vingtaine d’années. Le tout premier tournoi, considéré comme celui qui a lancé la discipline, date de 1997. S'y jouait Quake, un jeu de tir, à l'Electronics Entertainment Expo (E3) aux Etats-Unis.

À ses origines, seul les férus d'informatique s'y intéressaient, c'est-à-dire une poignée de personnes qui maîtrisaient les compétences techniques et avaient les moyens de se payer une connexion Internet. À l'aide de câbles, leurs ordinateurs étaient connectés entre eux et une Lan, « local area network », était créée.

En France, la dynamique se situait principalement dans le vivier estudiantin parisien et en Bretagne, région dans laquelle les télécommunications ont toujours été fortement implantées. Sorte d'hybride, l'univers rassemble désormais à la fois les milieux du jeu vidéo et de l'informatique. Le profil de celles et ceux qui pratiquent l'e-sport ressemble à celui d'autres sportifs. Puisque l'e-sport s'est très fortement inspiré des autres pratiques compétitives : chaque équipe comprend cinq membres, un coach et parfois des sponsors.

La combinaison de ces deux univers principalement masculins, le sport et l'informatique, n'a pas encouragé les femmes à se sentir concernées. Pourtant, Philippe Mora, sociologue de l'e-sport au laboratoire d'anthropologie et de sociologie (LAS) de l'université Rennes 2, tient à le préciser : « Il y en avait peu mais elles étaient déjà présentes. » Difficile cependant de dire précisément combien. Lors de ses recherches sociologiques commencées en 2002, il a estimé le pourcentage à 2,2% : « Cela correspondait à ce que je voyais sur le terrain. » Et l'évolution depuis n'a pas été flagrante.

En parallèle, les ligues d'e-sport, notamment féminines, sont de plus en plus visibles. L'année dernière, fin octobre, un tournoi féminin League of Legends, le jeu e-sport le plus mondialement joué, a été organisé pour la première fois dans le pays, à la Paris Games Week, par l'Esports World Convention, la compétition mondiale du sport électronique.

Acte symbolique pour un événement d'envergure internationale qui donne un coup de projecteur aux femmes derrière les manettes. Puisque, dans ce jeu, elles sont loin d'atteindre la majorité. En 2012, selon son développeur Riot Games, sur 100 joueurs, moins de 10 personnes étaient des femmes.

Aurore, dite « Vaelstraz », âgée de 23 ans, est allée à Paris pour l'évènement. Et déception lorsqu'elle a voulu regarder le tournoi. « C'était dans un petit coin du salon. Il n'y avait pas d'écrans géants comme pour les hommes et nulle part où s'asseoir », regrette l'étudiante en agro-alimentaire, membre de l'équipe « We are victorious ! » sur League of Legends, auquel elle s'entraîne deux fois par semaine avec ses coéquipiers masculins.

Fortement médiatisées et peu considérées ? Les femmes restent l'appât des organisateurs dans le but de se faire de la « visibilité gratuite », considère Arnaud Rogerie, tête pensante du site In e-sport we trust, qui écrit actuellement un ouvrage avec Philippe Mora sur l'e-sport en France depuis ses débuts.

« C'est un peu de l'opportunisme. Malheureusement, c'est ce qui se passe depuis longtemps avec le marketing. Les filles, c'est plus vendeur », estime-t-il. Les médias s'y intéressent plus facilement. Les sponsors également.

ÉDUCATION STÉRÉOTYPÉE

À cause de cette mise en avant, pour certain-e-s, être une fille leur semble être clairement un avantage dans l'e-sport. Cette remarque revient souvent dans les critiques adressées aux joueuses. Marion, alias « Michi », 27 ans, l'a vécu lorsqu'elle a joué pendant un an et demi dans une team féminine League of Legends sponsorisée par la structure Imaginary Gaming. D'après elle, c'est l'insulte facile, celle qui ne nécessite aucune réflexion argumentée :

« Ils peuvent dire quoi sinon ? Il y a énormément de jalousie autant de la part de garçons que de filles puisque tu as des aides financières pour les évènements, le matériel. Et on était une équipe qui tenait la route ! »

Être sponsorisée est une chance, d'après elle, et qu'importe si c'est lié au genre : « Il faut profiter de son aventure. Je me débrouille comme je peux. » Le sociologue Philippe Mora y voit également une opportunité à saisir pour les gameuses d'enfin pouvoir sortir de l'ombre : « Il y a plein de joueuses qu'on ne verra jamais, elles vont se fondre dans la masse et ne pas chercher à se montrer alors qu'il y a tellement de potentialité et de sponsoring pour elles ».

Or faut-il faire des femmes une exception ? A priori, les joueuses devraient être des joueurs comme les autres. S'il existe un domaine où les femmes n'ont pas à se préoccuper de leurs capacités physiques, c'est bel et bien dans les jeux vidéo. Rien ne nécessite une force particulière pour appuyer sur des manettes ou des claviers. L'association parisienne Pink Ward, qui promeut la mixité dans les jeux vidéo depuis 2012, défend cette idée semblant aller de soi.

Et pourtant, certaines réactions sont loin d'être bienveillantes. « Quand tu es une fille dans une équipe de mecs, tu dois démontrer que tu sais mieux faire. Psychologiquement, je sais personnellement que c'est difficile », atteste Julie Gaascht, dont le pseudo est « Nama », gameuse et nouvelle présidente de l'association depuis six mois.

À bien y regarder, une seule différence sépare les hommes des femmes. Elle se joue au niveau de l'éducation. Aucune ne semble autant investie que leurs homologues masculins. Et ce problème remonte à l'enfance où les stéréotypes de genre sont déterminants.

Dans l'inconscient, la fille doit être calme et jolie. Si elle s'intéresse aux jeux vidéo, c'est aux Sims, pour s'occuper du foyer, dans l'optique de créer une famille. Les garçons, eux, seront orientés vers les jeux de combat. Les conséquences se retrouvent à l'adolescence où elles auront moins l'esprit de compétition et seront moins persévérantes.

PROMOUVOIR OU EFFACER SON GENRE

Les gameuses partent avec un double handicap puisqu'elles découvrent ce loisir sur le tard. « Je me suis mise à League of Legends en 2013, trois ans après sa sortie. C'est mon ex qui m'a fait connaître ce jeu », explique Floriane, 21 ans, qui a commencé à s'y intéresser car son copain se passionnait pour World of Warcraft et cela « l'agaçait ».

À force d'y jouer, l’étudiante en sociologie et en administration économique et sociale (AES) à l’université Rennes 2 est rapidement devenue « accro » à son tour.

Ces nombreuses années d'entraînement à rattraper peuvent expliquer le moins bon niveau des joueuses par rapport aux hommes. Pour cette raison, elles ne finissent pas dans les championnats de haut niveau. Or, les compétitions sont de base ouvertes à tou-te-s. Mais dans les faits, le nombre de femmes se compte sur les doigts d'une main. Julie de Pink Ward réplique que pour « 100 garçons très bons, il y a seulement 10 filles et les garçons vont forcément être meilleurs ».

Les joueuses vont passer à la trappe et donc rester aux niveaux intermédiaires. Alors, comment faire ? L'association Pink Ward se montre favorable aux tournois féminins afin de briser ce cercle vicieux :

« Cela permet aux filles de sortir de leur coquille, de se montrer et d'évoluer ensemble. »

Un coup de pouce pour atteindre un niveau égal aux hommes et les rejoindre ensuite sur les tournois.

Cependant, toutes les joueuses rencontrées ne souhaitent surtout pas faire de leur genre une carte de visite. Elles préfèrent se fondre dans la masse, ou même refusent de se définir comme une femme qui joue. Contactée par YEGG, Julie Sérisé, présidente de l'InsaLan, événement d'e-sport qui a accueilli sur le campus de Beaulieu plus de 400 joueurs lors de sa 11e édition en février dernier, a refusé de nous rencontrer pour cette raison.

Dans un mail, elle nous explique pourquoi. « J'aimerais que l'on me voie au-delà de mon sexe, et plus comme une exception ou une minorité. Qu'on me demande d'aller représenter mon école auprès de lycéens et plus de lycéennes  parce que j'ai un parcours intéressant ou parce que j'ai un parcours associatif et pas à cause de mon sexe », écrit-elle.

Le sujet est sensible. Dans cet univers où tous les codes sont masculins par défaut, le rejet du féminin est courant. « Je n'ai pas un avis représentatif puisque je suis un garçon manqué », fait remarquer Aurore, avant le début de l'entretien. Floriane explique, elle, qu'elle n'est « pas très fille de base ».

Comprendre : dans son cercle d'amis gameurs, il n'y a aucune personne de la gent féminine. Ce processus d'intériorisation est normal, analyse la présidente de Pink Ward : « Quand on ne traîne qu'avec des garçons, on essaie de s'intégrer au groupe en ayant la même façon de se comporter qu'eux, en rabaissant tout ce qui touche aux femmes. »

Aucune ne considère avoir été mal accueillie à cause de son genre dans ces évènements. Les remarques – comme, par exemple, « Tu joues bien pour une fille ! » - et les comportements déplacés qu'elles ont parfois subis ne seraient pas du tout représentatifs des communautés dans lesquelles elles évoluent, d'après les joueuses rencontrées.

NOUVEL ENJEU, LE CÔTÉ FESTIF

Le jeu, même dans un contexte de compétition, reste une sphère conviviale où l’on retrouve des amis et on s’amuse. Marianne ne conçoit pas le jeu vidéo comme une activité solitaire, chez elle :

« On croit souvent que quand on joue, on est tout seul chez soi mais moi, c'est tout l'inverse : j'ai rencontré plein de gens grâce à cela ! »

Et son intérêt pour les jeux vidéo s’est intensifié grâce à une rencontre, lors du festival vidéo-ludique Stunfest en 2009. Elle découvre Pop'n music, un jeu d'arcade rythmique qui se joue avec des boutons. Nicolas, un bénévole de l'association rennaise organisatrice, 3 Hit Combo, lui montre pendant une heure comment y jouer.

L'atmosphère décontractée lui plaît. La jeune femme de 24 ans décide alors de devenir bénévole. Depuis, elle fait partie du conseil d'administration et passe souvent « voir les copains » aux évènements, même lorsqu'elle n'a pas forcément le temps de jouer.

Consacrée uniquement aux jeux d'arcades et aux consoles, l'association créée à Rennes en 2005 représente le virage que prend l'e-sport depuis quelques années. « La discipline a vraiment un enjeu à s'orienter vers le côté festif et culturel comme le fait 3 Hit Combo », affirme Philippe Mora.

Une fois par mois, des rencontres de sport électronique, les « Rankings battles », sont organisées à la maison de quartier La Touche. Les inscrits s'affrontent tout un après-midi dans plusieurs jeux comme Street Fighter, Soulcalibur, Tekken ou Mario Kart 8.

En soi, tout jeu qui nécessite un dépassement de soi ou classe la performance des joueurs, fait partie de l'e-sport. Un argument difficile à entendre pour les personnes qui ne voient que par les jeux sur ordinateur MOBA et FPS, dominant largement la scène e-sportive actuelle. Ce phénomène se voit pourtant à l'échelle internationale.

Super Smash Bros Melee, qui réunit tout l'univers de Nintendo de Mario Kart à Pokémon dans un seul jeu sur la console GameCube, a été rajouté en 2013 aux compétitions e-sport Evolution Championship Series (EVO). Ces jeux sont facilement accessibles et s'adressent à un public plus large, notamment les femmes. Et l'industrie de l'e-sport se développera encore plus si les jeux créés ne privilégient pas uniquement les combats à l'intrigue.

Marie Moreau, étudiante à la France Business School, l'a remarqué en réalisant une étude en 2013 pour son mémoire, « Gameuses et jeux on line, un nouveau marché ? ». Sur les 293 réponses à son questionnaire, elle a calculé que 53% des femmes interrogées aimaient la compétition mais y jouaient, pour la plupart, occasionnellement. Elles recherchent autre chose, un scénario, un univers particulier.

Dans ses recommandations finales, la jeune femme insiste sur un point auprès des développeurs de jeu : la représentation féminine des personnages. « (…) les femmes ne veulent pas leur propre jeu vidéo réservé que pour elles. Elles désirent être complètement intégrées dans l'univers du jeu vidéo existant. Pour cela il suffit d'adapter certaines règles des jeux comme des scénarios variés et bien construits ou encore la possibilité de choisir un personnage féminin qui représentera la joueuse », développe l'étudiante en commerce.

Cet aspect est essentiel. Petite, l'une des seules joueuses semi-professionnelles féminines d'e-sport en France, Kayane, s'identifiait très fortement aux personnages qu'elle choisissait lors des compétitions. Son pseudo vient d'ailleurs de la contraction de Kasumi et Ayane, ses deux figures préférées de l'époque.

Celle qui est devenue à 9 ans vice-championne du jeu de combat Dead or Alive le raconte dans son livre Kayane : parcours d'une e-combattante, paru le 7 avril dernier. L'ambassadrice d'Acer et première « athlète électronique » de Redbull retrace tout son parcours semé d'embûches dans un milieu qui a bien changé depuis 15 ans. Et pour celles qui souhaitent se lancer dans l'aventure, l'e-joueuse de 24 ans ne leur donne qu'un seul conseil : « Ne te laisse pas arrêter par les idées reçues. Fonce ! »

(1) Cette structure n'existe plus depuis juillet 2015.

(2) « MOBA » désigne les arènes de bataille en ligne multi-joueurs et « First Play Shooter », les jeux de tir à la première personne.

(3) En 2015, les jeux sur ordinateur dominaient largement la scène e-sportive : Dota 2, League of Legends, Counter-Strike, SMITE et Call Of Duty : Advanced Warfare. (Source : SuperData : Playable media & games market research, 2015-2016)

 

Joueuse et femme trans, Selene Tonon sait de quoi elle parle lorsqu'il s'agit des problématiques d'identité de genre dans les jeux vidéos. Le 21 mai, la vice-présidente du Centre gay lesbien bi et trans (CGLBT) de Rennes participera à la table-ronde « Les visages du patriarcat : les jeux font-ils mieux que les autres arts et médias ? », lors du festival vidéo-ludique Stunfest, organisé par l'association 3 Hit Combo.

YEGG : Les jeux vidéos mettent en général en avant uniquement deux genres, l'homme et la femme ainsi qu'une seule sexualité, l'hétérosexualité. Comment se positionner en tant que joueur-se LGBT face à cela ?

Selene Tonon : Il n'existe pas de recette miracle, chaque personne a sa stratégie de survie. Quand on allume un jeu vidéo, il est demandé à chaque fois le genre ou le sexe. De base, nous ne sommes ni respecté-e-s ni considéré-e-s. Une des solutions est d'en choisir un par défaut.

Si la question n'est pas posée, nous pouvons inventer une histoire qui nous arrange pour coller à son ressenti. C'est ce que j'ai fait petite quand je jouais à Final Fantasy VII, avec le personnage principal Cloud. Il se travestissait en tant que femme pour tromper l'ennemi. Je me suis raccrochée à ça. D'autres se rabattent sur Mass Effect ou Dragon Age, où l'orientation sexuelle et l'identité de genre ne sont pas un problème.

Le jeu vidéo a-t-il été un refuge pour vous ?

Oui clairement, avec les jeux de rôles. Ils ont été un palliatif pendant de nombreuses années. Je me suis créée une vie virtuelle où je pouvais être qui j'étais alors qu'au quotidien, ce n'était pas envisageable. Je me suis convaincue que puisque j'étais née avec un tel corps, cela voulait dire que j'étais un petit garçon. Au final, je me suis rendue compte que je pouvais me définir comme je voulais et l'imposer aux autres.

Dans quel sens ont évolué les problématiques LGBT ?

Le jeu vidéo gagne en maturité et donc s'empare de questions politiques. Le genre et les sexualités en font partie. Avant les années 90, personne ne se préoccupait de la transidentité ou de l'orientation sexuelle. Quand c'était le cas, ces dernières étaient tournées en dérision dans les scénarios.

Pendant une période, être trans ou homosexuel était une caractéristique supplémentaire pour montrer la méchanceté. Depuis les années 2000, soit toutes les intolérances qui existent sont montrées : les personnages souffrent et la quête du héros cis* et hétérosexuel est de les aider. Soit tout le monde vit dans un monde dans lequel les discriminations n'existent pas. Beaucoup de travail reste à faire sur les personnages trans.

Est-ce qu'en dehors d'un milieu d'initiés, cela touche le grand public ?

Une cristallisation se forme très rapidement dès que ces problématiques sont abordées de la part d'une certaine catégorie de joueurs, issus des milieux réactionnaires et anti-féministes. Dernier exemple en date : l'extension d’un jeu médiéval fantastique Baldur's Gate, sortie en mars dernier, dans lequel un nouveau personnage se révèle être trans.

Juste à cause de cela, les créateurs du jeu, les studios Beamdog, ont été harcelés en ligne. Les menaces se sont en particulier adressées à la développeuse Amber Scott qui a conçu Mizhena.

Accusé de tous les maux, le jeu vidéo rend-il vraiment sexiste, homophobe ou transphobe ?

Individuellement non. Ce n'est pas possible puisque tout le monde l'est déjà par défaut. Nous baignons dans un environnement sexiste, que ce soit à travers les films, les livres, les bande-dessinées et donc les jeux vidéos. Or ceux qui remettent en cause cet ordre établi, ces normes, ça, c'est un signe de progrès ! Et les réactionnaires ont peur de remettre en question les idées reçues.

Les concepteurs et développeurs de jeux vidéos sont en général des hommes. Est-ce qu'inclure plus de personnes LGBT permettrait une meilleure représentation des personnages ?

C'est une évidence. Pour en connaître personnellement, ils admettent être incapables de se mettre à la place de personnes qui ont une identité de genre ou une sexualité différentes de la leur. Et là je parle de ceux qui sont intéressés par le sujet, une minorité. Je ne dis pas qu'il faut que tous les développeurs hommes arrêtent de créer. Ce qui est souhaitable par contre, c'est de permettre à d'autres de le faire à leur tour. Un enjeu énorme se joue en terme de créativité.

Les critiques réactionnaires reprochent aux féministes de brider l'imagination et d'imposer une pensée unique. Mais tous les jeux se ressemblent déjà et sont adressés au même public, avec les mêmes esthétiques et les mêmes normes ! Dans la plupart des jeux vidéos, les personnages masculins sont bruns, la trentaine, assez musclés et mal rasés. Ce « soi » sublimé s'adresse spécifiquement aux hommes.

Et les femmes ?

Les femmes, très souvent, sont présentées pour attirer leur attention. Alors qu'on gagnerait à avoir plus que deux types de modèles. De bonnes représentations commencent à apparaître et pas uniquement dans les jeux. Cela va créer un cercle vertueux. Les personnes s'acceptent de plus en plus tôt comme elles sont, que ce soit pour leur identité de genre ou orientation sexuelle. Les séries télé, par exemple, commencent à s'y mettre.

Sense 8 met en scène des personnes trans, ce qui peut sûrement donner envie de commencer une transition car la représentation permet de se sentir valides et légitimes d'exister. Et non de voir comme seule solution le suicide. Notre génération est plus sensibilisée à ces questions-là et dans dix, vingt ans, elle va à son tour se mettre à créer. Bientôt, nous serons dans une société qui acceptera plus facilement les autres et leurs différences. Et cela se ressentira dans notre culture toute entière.

 

* Cisgenre : personne dont le genre vécu correspond au genre assigné à la naissance, à la différence d'une personne transgenre.

 

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