Célian Ramis

Laura Georges : « Mes modèles dans le football ont toujours été des hommes »

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Ancienne footballeuse professionnelle, elle a raccroché les crampons mais poursuit sa passion différemment. L’occasion de réaliser le troisième volet de notre série sur la Coupe du Monde de football : la secrétaire générale de la Fédération Française de Football.
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Elle a joué à l’Olympique Lyonnais, au Paris Saint Germaine et au Bayern de Munich. Aujourd’hui, Laura Georges a raccroché les crampons mais reste accrochée à sa passion. Avant d’assister au match France – Nigéria à Rennes, elle participait le 17 juin dernier au déjeuner organisé par le réseau Forces Femmes aux Champs Libres, autour de la thématique de l’audace. L’occasion de réaliser le troisième volet de notre série sur la Coupe du Monde de football : la secrétaire générale de la Fédération Française de Football. 

« Mon quotidien, c’est de partager qui je suis. J’ai 34 ans et j’ai le privilège d’être secrétaire générale de la FFF. », sourit l’ancienne footballeuse internationale lors de son introduction. Elle le dit d’entrée de jeu, elle n’a pas rencontré de difficulté au début de sa carrière. Elle a grandi à Versailles, son père l’a toujours soutenue dans sa décision et même lors des entrainements avec les garçons, elle n’a pas vécu de discriminations liées au sexisme. 

C’est son entraineur à l’OL qui lui a mis des bâtons dans les roues : « Il m’a dit qu’il ne voulait pas que je continue dans le club parce qu’il voulait prendre une autre fille meilleure que moi. » Premier coup dur. Elle réfléchit, consulte sa famille, veut partir jouer ailleurs mais sur les conseils de son entourage, elle reste, elle ne lâche rien. 

« Alors j’ai bossé, je me suis concentrée sur moi. J’ai mieux bossé et j’ai travaillé sans relâche avec mon sélectionneur national. C’est la meilleure saison que j’ai faite ! À la fin de la saison, on a fait le bilan avec le coach de l’OL. Il m’a dit que j’avais été meilleure mais qu’il ne voulait pas me garder. J’ai pleuré. »
commente-t-elle. 

Deuxième coup dur. Mais Laura Georges encaisse. Elle va même jusqu’à remercier celui qui la met à la porte. La mise en difficulté la rendue meilleure, elle décide de prendre cela comme un cadeau. Elle poursuit sa carrière au PSG. Son ancien coach aussi… Troisième coup dur puisque la même chose se reproduit. Elle part pour le Bayern de Munich avant de raccrocher les crampons.

SAISIR L’OPPORTUNITÉ

« J’ai du tempérament, souligne Laura Georges, en rigolant. Et c’est pour ça qu’on m’a proposé le poste à la Fédération. Moi, je me suis demandée si j’étais pas trop jeune, si j’étais à la hauteur ou s’ils me prenaient pour le quota de femmes de couleur… Parfois, dans la vie, il ne faut pas hésiter. Je me suis dit « Allez, faut y aller, je vais apporter qui je suis » ! »

Son rôle ne consiste pas exactement à apporter la vision stratégique et économique de la Fédération. Elle l’explique : « Je représente le président de la FFF. Et j’œuvre aussi pour la promotion et le développement de l’arbitrage au féminin. »

Interrogée à la fin du déjeuner sur l’audace, elle nous précise, comme Frédérique Jossinet, que pour elle, la notion n’est pas genrée. Qu’il s’agit simplement de la capacité ou des opportunités à sortir des sentiers battus :

« C’est une question de responsabilité, de courage de faire des choses différentes. Mais tout dépend de ce que l’on met derrière le terme audace. La volonté, la combattivité, l’audace de changer de club, de vivre quelque chose ! »

Vivre quelque chose et surtout oser le vivre. Ne pas présupposer que l’on n’a pas les armes pour le faire. Dépasser les stéréotypes inculqués par notre éducation et ne pas se remettre en cause avant même d’avoir essayé. C’est ce qu’elle a fait de son côté pour jouer au football, elle qui n’avait pourtant pas de rôles modèles à cette époque :

« J’avais des modèles mais c’était toujours des hommes. Celui qui m’a inspiré, c’est surtout Thuram ! »

PROMOUVOIR L’ARBITRAGE DU CÔTÉ DES FILLES ET DES FEMMES

L’évolution est en marche mais elle est lente. Très lente. Si aujourd’hui, on commence à médiatiser les matchs des footballeuses, on est loin de l’égalité avec les footballeurs. Non seulement en terme de salaires mais également en terme de partenariats, de publicités, de sponsors, d’équipements sportifs, de promotion et de diffusion.

L’intérêt dans cette Coupe du Monde de Football 2019 repose principalement sur les joueuses. Mais qu’en est-il de toutes les autres femmes qui évoluent dans le secteur du football ? Dans sa mission, Laura Georges œuvre pour le développement et la médiatisation des femmes arbitres.

« Arbitre, c’est une fonction noble. C’est un métier qui apprend l’autorité et surtout la gestion des crises. Et puis ça apprend aussi à savoir prendre des décisions ! On a réuni il y a pas longtemps les meilleurs espoirs de l’arbitrage de ligue 1 et de ligue 2. Et à cette occasion, il y avait la première arbitre française. 84 ans ! On a maintenant plusieurs générations pour inspirer les jeunes filles ! », conclut Laura Georges, qui le répète : 

« C’est une belle et noble fonction l’arbitrage ! Il faut oser aller chercher le haut niveau, ça existe, ce n'est pas impossible ! »

Quand on regarde les matchs de cette Coupe du Monde, on n’en doute pas et on les soutient. 

 

 

Célian Ramis

Frédérique Jossinet : "Les filles et les femmes ont besoin de rôles modèles dans le football"

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Ancienne championne de judo, Frédérique Jossinet était à Rennes le 17 juin. L’occasion de réaliser le deuxième volet de notre série sur la Coupe du Monde de football : la directrice Foot féminin de la Fédération Française de Football.
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Multi médaillée pour ses performances en judo, la sportive de haut niveau Frédérique Jossinet était de passage à Rennes lundi 17 juin à l’occasion du match France – Nigéria. Avant cela, elle participait au déjeuner organisé par le réseau Forces Femmes aux Champs Libres, autour de la thématique de l’audace. L’occasion de réaliser le deuxième volet de notre série sur la Coupe du Monde de football : la directrice Foot féminin de la Fédération Française de Football. 

Elle a pratiqué un sport de combat et un art martial qui diffuse des valeurs de mixité. Ça, Frédérique Jossinet en a bien conscience : « Quand on regarde le judo à la télé, on voit aussi bien les filles que les garçons. C’est une vraie force et opportunité. Malgré tout, je voyais bien qu’il y avait une différence sur le rayonnement, sur l’implication des partenaires et des sponsors. » 

Au cours de sa carrière, elle a pris conscience d’un élément essentiel selon elle pour atteindre le haut niveau : l’entourage. Elle en parle précisément comme un besoin. Un énorme besoin. « Ça compte énormément. J’ai fait plein de rencontres qui m’ont donnée de la confiance et qui m’ont accompagnée. La confiance, c’est ce qui te permet d’oser, d’avoir de l’audace. Le succès des performances, c’est l’enfant de l’audace ! », souligne-t-elle.

En aparté, elle développe sa réflexion. L’audace n’est pas genrée. C’est uniquement une question de comment les femmes s’approprient l’audace. Et c’est bien là que se niche le problème. Le système éducatif global instaure des stéréotypes, dès la petite enfance : la performance et la réussite sociale seraient quasiment innées chez les garçons.

« Il faut alors déconstruire auprès des femmes les stéréotypes qu’on leur a inculquées dès le plus jeune âge pour construire de nouvelles images qui les emmènent vers le succès, qui je le dis souvent, est l’enfant de l’audace. Ça ne se fait pas tout seul. Il y a des freins à identifier et à casser pour être décomplexées. »
analyse Frédérique Jossinet. 

Elle a grandi avec deux frères, elle a fait du sport entourée de garçons. Devenir championne, rafler les grands titres, ça a toujours été une évidence pour elle. Après avoir définitivement quitté le tatami, elle entame des études de commerce à l’ESSEC. Désormais médaillée et diplômé, elle veut entrainer.

LE SEXISME, DANS LE SPORT COMME AILLEURS

Elle s’aperçoit alors qu’on préfère donner cette fonction à un jeune athlète, qui n’a pas son palmarès à elle. Loin de là : « J’ai été voir ma fédération et je leur ai demandé ce que c’était le problème ! En posant la question, je me suis dit « Ah mais c’est parce que je suis une fille ». Eux aussi l’ont entendu, même s’ils m’ont dit que c’était pas ça. J’ai été rappelée quelques temps plus tard pour entrainer à l’INSEP… J’ai compris qu’il y avait là un vrai sujet. »

Un vrai sujet. Un sujet vaste. Qui dépasse largement les frontières du football et les frontières du monde sportif en général. Puisqu’elle pointe là les stéréotypes appris dès l’enfance, qui finissent par se transformer en discriminations. Partout, on retrouve le plafond de verre, partout on retrouve le sentiment d’illégitimité et d’estime de soi en majorité chez les femmes.

« Quand je nomme des présidents de commission, ils me disent tout de suite oui. Parfois même sans savoir de quoi il s’agit exactement. Quand je nomme des présidentes de commission, elles me répondent qu’elles doivent réfléchir, voir avec leurs maris, voir avec leurs enfants, etc. Ça fait 5 ans que je suis à la Fédération, ça fait 5 ans que ça dure. Parce que c’est ancré dans les mentalités depuis le plus jeune âge. », commente la présidente du foot féminin au sein de la FFF. 

CONSTRUIRE DE NOUVELLES IMAGES DE SPORTIVES

Elle croit en la puissance du monde scolaire, en la puissance du monde éditorial. Ces deux grands pôles doivent jouer un rôle fondamental dans l’évolution des mentalités. Et cela passe par la diffusion et la valorisation des rôles modèles. Pour elle, il est essentiel d’en avoir dans tous les domaines. Essentiel également de se débarrasser de l’image que Pierre de Coubertin a laissé concernant les femmes dans le sport.

Il y en a eu des arguments pour éloigner la gent féminine de la pratique sportive. Notamment sanitaires, prétextant que certaines disciplines pourraient déplacer l’utérus, rendre stériles. Pendant longtemps, les JO ne leur étaient pas accessibles, les activités étaient parfois interdites aux femmes. Et puis, les tâches ménagères, l’éducation des enfants… Quel temps leur reste-t-il pour s’adonner ne serait-ce qu’à un loisirs ?

Elles ont été écartées des activités, évincées de l’Histoire. Comment se projeter en tant que sportives quand on n’en voit jamais dans les médias et à la télé ?

« Les filles et les femmes ont besoin de rôles modèles pour déconstruire les stéréotypes. Le rêve, la projection, doivent aussi faire partie de la construction des filles. Dans n’importe quel domaine ! Le foot, l’astronomie, dans tout ! »
poursuit Frédérique Jossinet. 

ENCOURAGÉES À OSER

A la Fédération, la féminisation des métiers est un des objectifs fixés. Du côté des arbitres et des entraineuses notamment. En janvier dernier, la FFF organisait à ce titre-là le premier séminaire du Club des 100 femmes dirigeantes. Pour encourager les femmes à prendre plus de responsabilités. À oser franchir la barrière invisible, le sentiment d’illégitimité, le manque de confiance.

« On les forme et on les accompagne pour qu’elles prennent confiance, qu’elles s’investissent et qu’elles s’engagent. On organise des espaces pour qu’elles échangent entre elles sur les bonnes pratiques mais aussi sur leurs ressentis, leurs difficultés, leurs freins. En 5 ans, il y a déjà eu une explosion du nombre de licences féminines mais on peut encore aller plus loin. », souligne la directrice. 

Aux rôles modèles, on y arrive. Plus tôt, il y a déjà eu Nicole Abar, Marinette Pichon, Mélissa Plaza. Elles, elles ont œuvré pour rompre le silence. Pour dénoncer les inégalités. Pour assurer de meilleures conditions d’accueil aux nouvelles. Aujourd’hui sur les terrains, Eugénie Le Sommer, Wendie Renard, Kadidiatou Diani, Amandine Henry, Marta, Ada Hegerberg et de nombreuses autres footballeuses font vibrer les stades et rêver les enfants :

« Les joueuses des 24 équipes sélectionnées sont les actrices de cette Coupe du Monde. Elles sont devenues les rôles modèles de toute une génération de petites filles. Les garçons aujourd’hui, ils vont assister à des matchs où ils voient des footballeuses et se rendent comptent que c’est un jeu performant aussi, qu’elles jouent super bien et qu’elles n’ont rien à envier aux garçons ! »

PRÉVOIR L’HÉRITAGE DE DEMAIN

Rien à envier aux garçons, sauf peut-être les salaires, la médiatisation, la qualité des équipements sportifs et le fait qu’ils ne vivent pas le sexisme dans le regard des gens, dans les jugements et les commentaires des matchs. Après tout, on ne demande pas au ballon d’or s’il sait twerker. Mais à la ballon d’or, si (Ada Hegerberg).

Aller plus loin, comme le mentionne Frédérique Jossinet, c’est ne pas laisser l’engouement suscité par la Coupe du Monde de Football 2019 retomber comme un soufflet. Qui sait la tournure que prendront les choses si les Bleues venaient malheureusement à être éliminées en quart de finale…

Comme le dit Brigitte Henriques, vice présidente déléguée de la FFF et vice présidente du Comité d’Organisation de la Coupe du Monde Féminine de Football de la FIFA, France 2019 :

« La réussite de cette compétition se mesurera à l’aune de l’héritage qu’elle laissera à notre football féminin à l’horizon 2020 avec des objectifs ambitieux : 250 000 licenciées, 8000 équipes 100% féminines, 1500 écoles féminines de football. »

C’est pour cela que la candidature de la France dans l’organisation du Mondial a choisi de se bâtir autour du plan Héritage 2019. Soit une enveloppe de 14 millions d’euros à destination des clubs amateurs. Le site dédié à ce plan (heritage2019.fff.fr) désigne trois niveaux d’actions : la structuration des clubs à vocation féminine, l’investissement pour les infrastructures et la formation à destination des futures dirigeantes, éducatrices et arbitres.

« Les enjeux sont là : le foot féminin est le fer de lance du sport féminin. Beaucoup de filles vont vouloir jouer au football à la rentrée prochaine. Alors, on ne pourra pas atteindre et on ne pourra pas accueillir 2 millions de licenciées (il y a déjà 2 millions de licenciés). Mais on doit pouvoir garantir l’accès des filles au football, dans des bonnes conditions. Ensuite, c’est à nous aussi de faire en sorte qu’elles restent avec nous, qu’elles encadrent, qu’elles dirigent, qu’elles arbitrent, etc. On doit penser en 360 pour le post Coupe du monde. », conclut Frédérique Jossinet.

Célian Ramis

À Rennes, toutes avec les Bleues !

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Roazhon Park
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Près de 30 000 personnes étaient au Roazhon Park lundi 17 juin pour encourager et acclamer les Bleues. L’occasion de réaliser le premier volet de notre série sur la Coupe du Monde de Football, organisée en France du 7 juin au 7 juillet : les supportrices.
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Près de 30 000 personnes étaient au Roazhon Park lundi 17 juin pour encourager et acclamer les Bleues qui ont remporté la victoire, non sans difficulté, face au Nigéria (1 – 0), leur permettant ainsi de se qualifier officiellement pour les 8ede finale. L’occasion de réaliser le premier volet de notre série sur la Coupe du Monde de Football, organisée en France du 7 juin au 7 juillet : les supportrices.

« C’est la Coupe du Monde et ce sont des femmes qui jouent ! Je dis enfin !!! », s’exclame Clémence, 25 ans. Aux alentours de 19h45, elle se dirige vers le stade, en passant par le mail François Mitterand et le village des animations de la Fifa.

À quelques mètres de là, dans la fan zone, le Roazone Crew, un collectif rennais de jeunes danseuses-seurs hip hop et breakdance, a revêtit les maillots de l’équipe de France et présente - devant le public, la secrétaire générale de la fifa Fatma Samoura, la ministre des Sports Roxana Maracineanu et la maire de Rennes Nathalie Appéré – un extrait de son savoir-faire, délivrant une partie de l’étendue de son potentiel. Et ça envoie.

Clémence a déjà vu l’équipe de France jouer contre la Grèce en 2016 au Roahzon Park - un match qui avait battu le record d’affluence – et a assisté également au match Allemagne / Chine le 15 juin dernier, à l’occasion de la Coupe du monde :

« J’aime l’ambiance dans les tribunes, le fait qu’on chante tous ensemble des hymnes, etc. Et puis, c’est une fierté que la ville de Rennes accueille des matchs de la Coupe du Monde, c’est un sacré événement ! »

Elle est accompagnée de Marjorie, 33 ans, en accord avec ses propos. Ça fait 21 ans qu’elle s’engage en tant que bénévole dans le milieu du football. La victoire de 98 a provoqué en elle un déclic. Depuis, elle ne lâche plus et aime regarder la discipline, pratiquée par les hommes comme par les femmes.

« Techniquement, elles sont très bonnes. Vraiment, les femmes ont leur place dans le foot ! Les gens aiment regarder les footballeuses jouer parce qu’elles sont douées. Même si c’est un long parcours, je suis certaine que ça va faire venir des filles au foot. », s’enthousiasme-t-elle. 

Pareil pour Clémence qui voit dans cette Coupe du Monde l’occasion d’un impact positif et constructif sur l’égalité entre les femmes et les hommes.

« Le regard va changer sur les femmes. Je pense qu’un événement comme celui-là participe à l’évolution des mentalités sur la place des femmes dans la société. On ne reste plus à la maison à s’occuper des enfants… Il y a encore beaucoup à faire mais cette Coupe du Monde reflète l’évolution des mentalités. »
conclut la jeune femme, aux couleurs tricolores.

Vers 20h, le bagad s’élance dans une marche pour les Bleues, en direction de la route de Lorient, en passant le long de la Vilaine. Sur le chemin, on croise Gabrielle, 24 ans, et Laura, 28 ans, ferventes supportrices du football.

« On vient très souvent voir des matchs. Que ce soit pour la ligue 1, l’Europa League, etc. Et c’est la première fois qu’on va voir les femmes jouer ! C’est une fierté d’avoir un événement comme celui-là dans la ville de Rennes ! », s’exclament-elles. 

Elles ont déjà regardé les Bleues à la télé et pointent une meilleure visibilité de leurs matchs désormais mieux diffusés. Sans oublier la publicité qui commence à compter sur l’image des footballeuses !

Les deux amies, sur le trajet, discutent de la féminisation du football, de l’engouement suscité cette année et qui l’équipe de France devra affronter après le match du 17 juin. Les Etats-Unis, certainement… « Ça fait peur, c’est pas une très bonne nouvelle mais bon, on va le faire et puis comme ça, ce sera fait ! », rigole Laura, parée du drapeau français et d’un t-shirt tagué « #meufdefoot », lancé par Emilie Ros sur Twitter. 

Elle aime la ferveur que procure ce sport au sein du stade et le rassemblement que cela provoque : « Je vois plein de familles venir ! Et au-delà de l’image que ça donne du foot, il y a le rassemblement et la bonne humeur ! C’est cool ! »

Pour Gabrielle, même topo :

« On peut chanter, on peut crier. C’est vachement bien ce qui se passe autour des filles. C’est une très bonne équipe ! »

Enjouées, elles – qui ont pris leurs places plusieurs mois en avance - se préparent à faire la fête durant le spectacle qui finira par offrir la victoire aux Bleues.

À l’entrée du stade, devant la tribune Vilaine, on rencontre Sonia, 40 ans, venue d’Angers pour assister au match avec son frère qui vit à Rennes et des ami-e-s. Elle joue au football, en équipe féminine, depuis qu’elle est toute petite.

« J’ai toujours baigné dans le foot. J’aime l’ambiance, l’esprit d’équipe. Mes enfants aussi jouent au foot. », souligne-t-elle. 

Sa première fois au Roazhon Park, c’est aussi sa première fois face à des joueuses professionnelles : « Je les regarde à la télé, c’est une très bonne équipe, avec de très bonnes joueuses. Dommage qu’elles ne soient pas assez diffusées à la télé ! »

Il est 21h, le coup d’envoi retentit. Le Stade de la capitale bretonne affiche complet et arbore fièrement les couleurs tricolores. Pendant plus d’une heure et demie, hymnes, applaudissements, encouragements des joueuses – en particulièrement pour Eugénie Le Sommer, même bien avant son entrée en deuxième période – s’enchainent.

Les difficultés aussi et les Bleues, bien que dominantes durant la majorité du jeu, ont bien du mal à percer la défense nigériane et les filets de la gardienne Chiamaka Nnadozie. Il faudra alors compter, après un premier penalty manqué par la talentueuse Wendie Renard, sur la VAR (vidéo) et le nouveau règlement de la Fifa quant au positionnement des pieds sur la ligne de la cage, pour que la défenseuse française tire à nouveau le penalty, qui place l’équipe de France première de son groupe, direction les 8ede finale. 

Si le Roazhon Park n’a pas vu ce soir-là le plus beau match de la Coupe du Monde (et heureusement…), il a encore regroupé des milliers de femmes, d’hommes, de filles et de garçons dans les tribunes, tou-te-s bien enclin-e-s à encourager les Bleues et par moment à les tacler d’un « Allez les filles, c’est le bordel là ».

La ferveur nous a emporté, nous aussi, au sein de la rédaction. Mais ne nous a empêché de constater que malgré l’engouement, les joueuses sont acclamées par leurs prénoms, a contrario des joueurs qui eux sont sollicités par leurs noms de famille. Comme quoi, tout n’est pas encore gagné et la vigilance doit être de mise. Le sexisme se logeant également et principalement dans les détails que l’on voudrait penser pas importants, pas prioritaires.

  • D’autres femmes, professionnel-le-s du foot, décrypteront les avancées et les freins à l’égalité entre les femmes et les hommes, dans notre série sur la Coupe du Monde de Football. Et c’est à Rennes que ça se passe !

 

 

Célian Ramis

"Restituer leur humanité aux personnes noires"

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À travers une perspective intersectionnelle, Djamila Ribeiro, chercheuse et maitre en philosophie, prône l’importance du débat et de la connaissance des questions et conditions de vie des féministes noires.
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À travers une perspective intersectionnelle, Djamila Ribeiro, chercheuse et maitre en philosophie, prône l’importance du débat et de la connaissance des questions et conditions de vie des féministes noires. Deux de ses ouvrages La place de la parole noire et Chroniques sur le féminisme noir ont été traduits en français par les éditions Anacaona avec qui elle effectue une tournée de promotion et de sensibilisation. Le 15 mai, l’autrice militante était à Rennes, notamment au local de l’association déCONSTRUIRE, en partenariat avec le collectif Brésil Rennes. 

« En nommant les oppressions de race, de classe, de genre, on comprend la nécessité de ne pas hiérarchiser les oppressions, de ne pas crier comme l’a dit Angela Davis dans son discours Les femmes noires dans la construction d’une nouvelle utopie,« la primauté d’une oppression sur d’autres ». », peut-on lire dans l’introduction de La place de la parole noire

Elle est pour un débat « sain, honnête et de qualité ». Et, au sein de ses deux livres, elle parvient à y participer de plusieurs manières et surtout ne le fait pas seule puisqu’elle s’appuie sur la production littéraire et intellectuelle de femmes noires, souvent ignorées, méprisées et oubliées de l’Histoire afin de provoquer en elles, et plus largement à toute une population, un sentiment d’illégitimité. 

Ainsi, elle s’entoure dans ses écrits de chercheuses et penseuses noires dont elle dresse une courte liste, à titre d’exemple, dans ses chroniques : Sueli Carneiro, Jurema Werneck, Nubia Moreira, Lelia Gonzalez, Beatriz Nascimento, Luiza Bairros Cristiano Rodrigues, Audre Lorde, Patricia Hill Collins, bell hooks. 

Djamila Ribeiro prend soin également de contextualiser ses propos, toujours mis dans une perspective de conscientisation. Conscientisation de l’hypocrisie brésilienne quant à sa démocratie raciale, conscientisation d’un racisme systémique instauré depuis longtemps et qui perdure dans un État qui chaque année comptabilise 30 000 jeunes victimes d’homicides dont 77% sont noirs (des morts que très peu de personnes pleurent, les médias en parlant à peine, voire pas du tout), conscientisation des privilèges des blanc-he-s et conscientisation des multiples oppressions dont sont victimes les personnes noires, en particulier les femmes. 

Son discours est franc et honnête, toujours très clair, l’activiste ayant à cœur de rendre ses paroles accessibles à tou-te-s. « Il faut en finir avec le syndrome du privilégié où l’individu juge qu’il peut parler de tout sur tout. Il peut parler, certes. Mais dans certains cas, la question à se poser est : « Dois-je parler ? » » / « En tant que noire je ne veux plus être l’objet de l’étude, je veux en être le sujet. » / « Alors que les femmes blanches luttent pour le droit de vote et le droit de travailler sans l’autorisation du mari, les femmes noires se battent pour être reconnues en tant que personne. »

Si son sujet d’études et de recherches s’ancre au Brésil, on note néanmoins, comme le souligne à la fin de la conférence Aurélia Décordé Gonzalez, fondatrice et directrice de l’association déCONSTRUIRE, des similitudes avec la situation des personnes noires en France. L’universalité révélée ici n’est pas celle des féministes universalistes blanches mais bien celle des oppressions et discriminations vécues par toute une population ciblée en la seule raison de sa couleur de peau. 

« Le Brésil est un pays extrêmement raciste. C’est le pays n°1 sur les assassinats de personnes trans et cela a un impact sur la population LGBTI en général. C’est un pays libéral dans l’image mais très conservateur sur ces questions. Il est important que les féministes noires soient connues. Depuis les années 70, elles réfléchissent à comment combattre le sexisme, le racisme, les LGBTIphobies, etc. de manière croisée. Le Brésil a une production venue des féministes noires qui ont été invisibilisées dans leur propre pays ! C’est un épistémicide. », souligne-t-elle, mentionnant également : 

« Le Brésil est dans le mythe de la démocratie raciale. 54% de la population est noire et c’est le dernier pays à avoir aboli l’esclavage. Le pays a longtemps nié l’existence du racisme et pourtant, le racisme structure toutes les relations sociales là-bas. Le genre et la couleur de la peau informent de la classe sociale. »

Comme dans l’hexagone, les espaces de pouvoir sont occupés par des hommes blancs, hétéros et riches. Le monde de l’édition n’est donc pas exempt de cette norme non représentative de la société et à l’instar des autrices afrobrésiliennes Conceiçao Evaristo et Jarid Arraes, Djamila Ribeiro dénonce le racisme dans ce secteur : « Seulement 10% des livres publiés ces 10 dernières années au Brésil ont été écrits par des auteurs noirs. »

Pendant ces études, jamais elle n’a étudié de femmes philosophes, encore moins de philosophes noir-e-s : « On me disait qu’ils n’existaient pas. » Alors, lorsqu’elle publie La place de la parole noire, son livre crée la polémique : 

« Les blancs étaient gênés et disaient « On ne peut plus parler ! » alors qu’historiquement ils ont toujours eu le droit de parler. Les personnes blanches ont du mal à parler de la blanchité et des privilèges. Moi, je suis pour encourager le débat au Brésil, surtout avec ce nouveau président qui nous attaque. Il est important de nommer les réalités parce que sinon on ne peut pas trouver de solution. »

Une des réalités sur laquelle elle insiste, c’est l’absence de connaissances, l’absence d’histoires, le silence autour de la culture afrobrésilienne et africaine, qui mènent au « génocide du noir brésilien ». Parce qu’on tue sa culture mais aussi on le tue. En toute impunité. Toutes les 23 minutes, un jeune noir est assassiné par la police au Brésil. À l’international, peu de ces meurtres agitent l’opinion publique. 

Comme elle le dit dans ses chroniques, le Brésil s’est ému de l’attentat contre Charlie Hebdo puis au Bataclan en France en janvier et novembre 2015, à raison précise-t-elle, mais qui s’indigne « devant l’assassinat de ces cinq jeunes de Costa Barros, devant l’assassinat de Claudia Ferreira, devant celui d’Amarildo ? » 

Seul le meurtre de Marielle Franco a suscité l’émoi ici, oubliant que c’est monnaie courante au Brésil, et fermant les yeux sur la situation assez similaire au niveau des violences policières en France (une personne noire meurt tous les mois sous les balles de la police, précise Aurélia Décordé Gonzalez, « ce qui est bien sûr déjà beaucoup trop. »).

Lorsqu’elle était secrétaire adjointe aux droits humains à la mairie de Sao Paulo, Djamila Ribeiro œuvrait pour une politique à destination de la jeunesse noire mais aussi pour accompagner les femmes, notamment les mères dont les enfants ont été tués.

« La plupart de ces politiques sont aujourd’hui détruites par le nouveau gouvernement. »
souligne-t-elle.

La municipalité a basculé côté conservateurs. La problématique est encore plus large que la déconstruction pure et dure de politiques mises en place avant l’arrivée au pouvoir de Jair Bolsonaro. En 2003, une loi oblige que l’enseignement dispensé aux élèves leur apprenne l’histoire afrobrésilienne et africaine. Mais tout comme la loi française de 2001 concernant les cycles à l’école sur la vie affective et sexuelle, son application dépend de la bonne volonté des directeurs d’établissement. « Ou de la bonne volonté des autorités municipales. », précise la militante, pointant le vice qui grignote peu à peu les esprits. 

« Malgré tout, on a avancé ces dernières années et certains manuels scolaires ont été refaits. Grâce à ça, des écoles se sont mises à raconter ces histoires et c’est important. Mais le problème est que cela dépend des gouvernements locaux. Après 2016, les fondamentalistes chrétiens ont inventé « l’idéologie du genre » et ont raconté qu’il s’agissait d’apprendre aux enfants à être gays. A l’Assemblée nationale, ce groupe de fondamentalistes est important et c’est ce débat qui a fait gagner Bolsonaro, qui croit beaucoup en cette idéologie du genre. », explique Djamila Ribeiro. 

Un témoignage qui n’est pas sans rappeler les discours de Civitas et de la Manif pour tous dans l’Hexagone qui s’insurgeaient contre l’ABCD de l’égalité qui aurait soi-disant appris aux enfants à se masturber et contre la diffusion du film de Céline Sciamma, Tomboy, beaucoup trop trouble en terme de genre… Des inepties.

Ainsi, au Brésil, les professeur-e-s qui parlent des féminismes et de l’histoire afrobrésilienne sont sanctionné-e-s, attaqué-e-s. Et ce n’est pas ce gouvernement qui va réhabiliter les autrices noires. C’est pourquoi un collectif dont fait partie Djamila participe à l’instauration de ce débat sur la scène publique nationale, publiant des ouvrages sur l’invisibilisation historique de ces femmes, sur l’incarcération de masse de la population noire, sur le racisme en tant que structure étatique mais aussi sur l’intersectionnalité, les lesbiennes ou encore le transféminisme. 

« On a besoin d’autres constructions pour restituer son humanité aux personnes noires. Cela marque notre estime personnelle. Il y a une vraie importance dans le fait d’étudier les auteur-e-s noir-e-s. Est-ce bien réaliste dans un pays comme le notre composé à 54% de personnes noires de ne pas étudier la production noire ? »

insiste l’autrice, qui tient également à pointer une autre aberration : 

« Au Brésil, on parle aussi du racisme écologique. Par rapport aux populations autochtones qui avaient conscience de l’environnement et qui ont été complètement décimées. Tout comme les religions afrobrésiliennes ont cette conscience également mais sont diabolisées et discriminées. Ces peuples qui ont conscience de l’importance de la préservation de l’environnement ne sont pas écoutés. Mais aujourd’hui le capitalisme blanc du nord récupère ces thématiques et vont expliquer aux groupes qui restent comment préserver l’environnement ! »

Elle prône la restitution de leur humanité à tous ces groupes attaqués pour que leur existence ne soit plus marquée quotidiennement par la violence. Et pour avancer, le débat doit avoir lieu : 

« Il est important de voir dans l’histoire comment la lutte contre l’oppression de genre et la lutte contre l’oppression de race sont imbriquées. Tous les mouvements de femmes ne sont pas féministes car certaines ont la vision du féminisme comme étant quelque chose d’européen. Je ne partage pas cette vision mais il est important de maintenir le dialogue avec tous les groupes. »

Et pour que le débat ne soit pas stérile, il est important de s’informer et d’écouter la parole des concerné-e-s. À Rennes, l’association déCONSTRUIRE agite notre curiosité, l’enrichit et la renforce avec sa bibliothèque qui compte dans sa base un grand nombre d’ouvrages, tous genres littéraires confondus, dont ceux désormais de Djamila Ribeiro, traduits et publiés aux éditions Anacaona (du nom de la fondatrice mais aussi de L’insurgée des caraïbes). 

Célian Ramis

Précarité menstruelle : la couleur de la réalité

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Mais qu’est-ce qui horrifie tant quand on parle des règles ? Il semblerait que le fait de savoir qu’une femme en face de nous est en train de saigner soit perturbant. Voire dégoûtant si elle ose le dire ouvertement. « J’ai mes règles », ça glace le sang.
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Les médias en parlent beaucoup en ce moment. Quasiment depuis un an. Le concept de précarité menstruelle vise à dénoncer la charge financière qui émane de l’achat de protections périodiques et qui incombe uniquement aux personnes ayant leurs règles. La revendication est claire : l’accès gratuit pour tou-te-s à ces produits de première nécessité, et non de confort.

Mais en pointant seulement l’aspect économique, on en oublierait presque que la précarité menstruelle dépasse largement le côté pécunier qui finalement est une conséquence du tabou engendré et entretenu par le patriarcat…

Au cours du transport des kits Virilité, l’accessoire « poche de sang » a certainement dû être bien secoué… Parce que les bonhommes, ils ont le cœur bien accroché pour faire la guerre, dépecer les animaux tués à la chasse, opérer des êtres vivants, jouer à des jeux vidéos bien belliqueux ou encore pour ne pas détourner le regard pendant un épisode de Game of Thrones. Mais paradoxalement, on leur attribue la grande capacité à tourner de l’œil à la vue du sang, que ce soit pour une prise de sang ou un accouchement. Pas étonnant donc qu’ils aient un petit haut-le-cœur dès qu’on mentionne que tous les mois, nous les femmes, on saigne, phénomène créé par la non fécondation de l’ovule qui s’évacue avec une partie de notre endomètre via notre vagin, pour finir absorbé par un tampon ou une éponge, récupéré par une coupe menstruelle ou une serviette hygiénique ou encore évacué aux toilettes ou dans le bain ?! Peu importe, ça sort. C’est cyclique. Point barre. 

Mais qu’est-ce qui horrifie tant – les hommes et les femmes - quand on parle des règles ? Il semblerait que le fait de savoir qu’une femme saigne au moment même où elle se tient debout juste en face de nous à la machine à café et discute de manière tout à fait normale soit perturbant. Voire dégoûtant si elle ose le dire ouvertement. « J’ai mes règles », ça glace le sang. Cette image implicite d’un ovule non fécondé qui vient s’écraser par filets et caillots de sang dans la culotte, ça répugne… 

ZUT À LA FIN !

Ras-la-culotte de tous ces mythes oppressants autour des menstruations ! Ras-la-serviette de voir les visages se crisper quand le mot « règles » vient à être prononcé ! Ras-le-tampon de la vieille réflexion disant de se mettre aux abris pour ne pas essuyer le courroux de la harpie menstruée ! La coupe est pleine, évidemment.

Peut-être que cette soi-disant bande d’hystériques mal lunées l’est à cause des fortes douleurs ressenties avant, pendant et après ce fameux moment du cycle ou à cause des milliers d’euros dépensés pour s’acheter des produits hygiéniques imbibés pour la plupart de pesticides et de composés chimiques…

Ou tout simplement parce qu’elle a été éduquée dans la peur de la tâche et de l’odeur du sang et qu’elle a intégré depuis l’adolescence que « règles » équivaut à « impure ». Le cycle des femmes inquiète et dégoute. Nous, forcément on voit rouge et on milite pour que tout le monde se sente concerné, pas directement par nos vagins ensanglantés mais par tous les à côté.

Actuellement, nombreuses sont les publicités qui nous sollicitent au fil de la journée, sur les réseaux sociaux principalement, pour nous filer LA solution pour vivre paisiblement nos règles et sauter de joie à la première coulée… Chouette des nouvelles culottes de règles méga absorbantes ! Aussi écolos soient-elles, ça interpelle. Vivre sereinement nos règles n’est pas qu’une histoire de culotte tâchée ou pas tâchée, de vulve au sec ou à la fraiche ! Non, c’est bien plus complexe et complet que ça.

#ERROR

On touche ici à un système global de connaissance du corps des femmes et son fonctionnement cyclique. Souvent, on le connaît peu, on le connaît mal. En France, en 2016, le Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes (HCEfh) a révélé qu’une fille de 15 ans sur quatre ignore qu’elle possède un clitoris et 83% ne connaissent pas son unique fonction érogène.

On l’appelle « minou », « chatte », « zezette », « abricot », « moule », etc. On les nomme « ragnagnas », « trucs » ou carrément « les anglais débarquent ». On pense qu’au moment des règles, les femmes ratent la mayonnaise (en Argentine, c’est la crème fouettée, au japon, les sushis et en Italie, l’ensemble des plats) et sont énervées sans raison aucune pendant leur durée entière.

Si la majorité de la population a tendance à minimiser, il serait une erreur de penser que l’utilisation des termes exacts est à négliger. Pire, à penser que cela constitue un danger ! Car apprendre aux enfants que les petites filles ont entre les jambes à l’extérieur un pubis, un clitoris et une vulve et à l’intérieur, un vagin et un utérus, c’est déjà briser le tabou visant à laisser croire que là où les garçons ont un pénis bien apparent, elles n’ont « rien ».

Les premières menstruations déboulent dans la culotte, c’est la panique et l’incompréhension. Ce passage que tout le monde imagine comme un symbole de l’évolution de fille à femme peut être un véritable séisme pour qui n’y est pas préparé-e et un moment de solitude si aucun espace de parole libre et d’écoute bienveillante n’a été créé que ce soit au sein de la famille, de l’entourage et/ou de l’école.

On passe de l’innocence enfantine à la femme potentiellement active sexuellement. Sans information anatomique. On passe du « rien » à la possibilité d’avoir un enfant, et cela même sans comprendre comment notre cycle fonctionne. Et quand à cela on ajoute des complications type fortes douleurs au moment des règles pour lesquelles on nous explique qu’avoir mal, c’est normal, on apprend à souffrir en silence, à serrer la mâchoire et à redoubler d’effort pour faire taire la douleur.

Peut-être sera-t-on diagnostiquées plus tard d’une endométriose, du syndrome des ovaires polykystiques, du Syndrome PréMenstruel et même de trouble dysphorique prémenstruel. Heureusement, les combats féministes permettent de faire avancer la cause et des personnalités issues des milieux artistiques – actrices, chanteuses, etc. – témoignent de leurs vécus et des parcours chaotiques qu’elles ont enduré de nombreuses années durant afin de faire reconnaître les maladies et les conséquences physiques et psychologiques que cela inclut.

Aussi, de supers ouvrages existent pour en apprendre plus au sujet des règles comme Sang tabou de Camille Emmanuelle, Le grand mystère des règles de Jack Parker, Cycle féminin et contraceptions naturelles de Audrey Guillemaud et Kiffe ton cycle de Gaëlle Baldassari (les deux derniers étant écrit par des Rennaises – lire l’encadré).

Sans oublier le livre Les règles… Quelle aventure ! d’Elise Thiebaut et Mirion Malle à destination des préados et ados, filles et garçons. Cela participe à la découverte de soi et de l’autre, car comme le disent Elise Thiebaut et Mirion Malle à juste titre « rendre les règles invisibles, c’est rendre les femmes invisibles. »

SUR LE FIL DE L’EXPÉRIENCE

Lis Peronti est une artiste-chercheuse installée à Rennes depuis plusieurs années. Elle y a notamment fait un mémoire autour des menstruations et des performances durant lesquelles elle a laissé le sang de ses règles couler sur une robe blanche ou un pantalon (lire le focus « Menstruations : ne plus avoir honte de ses règles » - yeggmag.fr – août 2017).

Aujourd’hui, elle continue son travail de recherches et de restitution sous forme artistique, mêlant savoirs théoriques et vécus personnels, autour du sexe féminin. Quand on lui demande ce qu’est pour elle la précarité menstruelle, elle répond :

« Comme ça, je pense au prix des protections hygiéniques. J’en ai beaucoup acheté avant la cup. Mais en fait, c’est plus que ça. C’est le fait que les règles soient considérées comme dégueu, tabou, comme quelque chose à cacher. La précarité menstruelle n’est pas juste liée au prix des tampons et des serviettes mais aussi au manque d’informations qu’on a sur les règles si on ne fait pas la démarche d’aller chercher plus loin. »

Sa démarche au départ, elle le dit, n’était pas consciemment féministe. En commençant à travailler sur le sujet « de façon intuitive », elle a fait des choix pas forcément réfléchis mais qui l’ont mené à mieux comprendre le fonctionnement de son corps, de son cycle et aussi à mieux protéger sa santé. Plus tard, elle a fait des liens avec sa recherche académique :

« C’était une porte d’entrée vers toutes les études féministes et vers la connaissance de mon corps aussi. Par exemple, c’est au moment où j’ai commencé à faire une performance à chaque menstruation, performance qui était censée fonctionner selon mon cycle naturel, que j’ai arrêté la pilule pour retrouver le temps décidé par mon corps pour l’arrivée des règles, et aussi parce que j’avais entendu que la pilule provoquait des maladies. À ce moment-là, j’ai commencé à me rendre compte de quand est-ce que les règles arrivaient. Le fait de les laisser couler sur un tissu ou sur la terre m’a permis de me rendre compte de la quantité de sang versée, qui était d’ailleurs beaucoup moins importante que ce que je croyais. »

Aujourd’hui, elle connaît mieux son cycle et s’étonne d’autant plus de tous les tabous liés aux règles : « On a d’autres pertes au cours du cycle et ça ne choque personne. » Pour elle, en tout cas, le mémoire et les performances l’ont amenée à de nombreuses lectures et réflexions sur le sujet mais aussi à apprécier la beauté de la couleur du sang menstruel et de son mouvement lorsqu’il se dissout dans l’eau. Voilà pourquoi elle a choisi la coupe menstruelle, bien avant le scandale autour de la composition des tampons et des serviettes.

À ce propos, elle nous livre son opinion : « Les fabricants ont toujours su que c’était de la merde à l’intérieur mais on en parle aujourd’hui parce qu’il y a un nouveau marché à prendre. On en voit partout maintenant des culottes menstruelles, des tampons bios, des serviettes lavables, etc. C’est bien mais ce n’est pas nouveau. »

Ce que Lis Peronti retient particulièrement de tout cet apprentissage menstruel, c’est que « travailler sur les règles m’a aussi fait prendre l’habitude d’échanger sur ses sujets avec différentes personnes, que ça soit des bio ou techno femmes ou desbio ou techno hommes(termes utilisés par Beatriz Preciado dans Testo Junkie. Sexe, drogue et biopolitique). Et connaître le vécu ou l’opinion des autres est la chose la plus enrichissante dans cette recherche artistique. »

Et même sans démarche artistique, on la rejoint : échanger et partager les vécus et opinions, en prenant soin d’écouter en premier lieu les personnes concernées, est enrichissant et nécessaire à la déconstruction du tabou et des stéréotypes autant autour des règles que du genre. 

SOURCE DE SOUFFRANCES

Car ce tabou autour des règles peut être une source de violence à l’encontre de celles à qui on ne permet pas l’expression de leurs souffrances et à qui on dit que la douleur est uniquement dans leur tête. Mais aussi à l’encontre de celles qui n’osent pas l’exprimer et qui demandent, en chuchotant à l’oreille de leurs copines, si elles n’ont pas un tampon et qui le cachent ensuite dans le revers de leur manche ou encore de celles qui intègrent malgré elles un sentiment de honte et de peur.

Le silence et la méconnaissance qui règnent autour de cette thématique sont également à la base de la lenteur du diagnostic de l’endométriose, qui touche entre 1 femme sur 7 et 1 femme sur 10. Il faut en moyenne 7 ans pour diagnostiquer l’endométriose. Pourquoi ? Parce que le corps médical est mal informé, mal formé. Parce qu’une femme expliquant que tous les mois elle est handicapée par son cycle (transit perturbé, gênes urinaires, gênes ou douleurs lors des rapports sexuels, fortes douleurs utérines, incapacité à marcher au moment des règles, etc.) ne sera pas réellement écoutée et prise en charge, encore aujourd’hui, en 2019.

L’alliance des charges symboliques, émotionnelles et physiques qui s’ajoutent et s’imbriquent provoque une première forme de précarité, dans le sens de fragilité, contre laquelle les femmes luttent, bien conscientes qu’au premier signe de « faiblesse », elles seront renvoyées à la thèse essentialiste, c’est-à-dire à leur prétendue nature et fonction première : celle d’enfanter et de s’occuper du foyer.

Aujourd’hui, et cela est d’autant plus vrai avec le développement de l’image (fausse) de la Wonder Woman, une femme doit pouvoir affronter sans ciller et sans transpirer une double, voire une triple journée. La charge mentale s’accumule et pourtant, elle reste toujours suspectée de ne pas pouvoir y parvenir. De ne pas être assez forte, de ne pas pouvoir garder son sang froid et de ne pas avoir les épaules assez solides.

Alors, en plus des taches domestiques et de son travail, elle doit aussi penser à la contraception et aux protections hygiéniques, sans oublier les multiples remèdes de grand-mère ou les médicaments à prendre en cas de douleurs.

LES INÉGALITÉS SE CREUSENT

« Le tabou des règles est l’un des stéréotypes sexistes qui affecte la quasi-totalité des filles et des femmes dans le monde. », signale l’ONG internationale CARE. Si la majorité des femmes éprouvent de la honte concernant leurs règles, il existe aussi une partie de la population féminine touchée par l’isolement social, voire l’exil menstruel.

Au Népal, notamment, avec la pratique du chhapaudi, un rituel pourtant interdit visant à exiler les femmes du domicile familial pendant leurs règles, une brutalité à laquelle elles sont confrontées en raison de leurs menstruations encore pensées comme signe d’impureté et source de malheurs.

Selon les pays, les croyances diffèrent : dans certains coins d’Amérique du Sud, on pensera que côtoyer des femmes réglées peut provoquer des maladies, tandis qu’ailleurs, on pensera que le sang qui souille la terre la rend stérile. Elles seront alors tenues à l’écart de leur maison mais aussi de leur travail si celui-ci par exemple consiste à la culture et aux récoltes dans les champs. Dans la religion juive également, l’exil menstruel peut être appliqué, un rituel sera alors à suivre pour réintégrer le foyer. Afin de se laver et de redevenir pure.

Au-delà de la précarité sociale imposée par cette exclusion et de l’humiliation engendrée par celle-ci – et des morts fréquentes des exilées asphyxiées par les fumées du feu qu’elles ont allumé pour se réchauffer, mordues par des serpents, agressées, etc. – leur quotidien est affecté depuis très longtemps.

Ce n’est que depuis le 2 janvier que des femmes ont pu se rendre dans le temple d’Ayyappa à Sabarimala (dans la région du Kerala en Inde), après que la Cour suprême indienne ait levé l’interdiction, pour les femmes menstruées, d’accéder aux lieux sacrés hindous. Malgré tout, elles n’ont pas pu franchir les marches du temple, obligées d’emprunter l’entrée du personnel pour se protéger des réactions hostiles de certains croyants. 

ISOLEMENT ET DÉSCOLARISATION

Malheureusement, en Inde, la population féminine est habituée dès le plus jeune âge à être rejetée à cause des règles, comme le montre le documentaire Les règles de notre liberté (en anglais Period. End of sentence) diffusé en France, en février 2019, sur Netflix.

Dans le village de Kathikhera, située en zone rurale, avoir ses menstruations est véritablement synonyme de précarité. Ce qui apparaît dans les silences filmés par la réalisatrice Rayka Zehtabchi lorsque le mot « règles » est prononcé. Les femmes du village n’ont pas accès aux protections hygiéniques, trop chères, qu’elles ne connaissent que de « réputation », comme une légende urbaine.

Elles, elles se tapissent le fond des sous-vêtements avec du papier journal ou des tissus usagés. Comme le font en France les femmes SDF, les détenues n’ayant pas l’argent nécessaire pour cantiner ou encore les personnes les plus précaires, étudiantes comprises dans le lot.

Selon l’ONG Care, elles sont environ 500 millions de filles et de femmes dans le monde à ne pas avoir accès aux protections hygiéniques. Autre problématique mondiale qui en découle : la déscolarisation des jeunes filles. En Afrique, 1 fille sur 10 manque l’école lors de ses menstruations.

En Inde, 23 millions de filles arrêtent l’école à cause de leurs règles. Soit par manque d’accès aux produits d’hygiène, soit parce que les toilettes ne sont pas séparées dans les établissements. Dans tous les cas, la honte l’emporte. 

Les femmes de tous les pays ne vivent pas à la même échelle le même degré d’exclusion face aux stéréotypes et au tabou des règles. Si on revient à notre propre plan national, on ne peut pas parler de déscolarisation des jeunes filles mais certaines ont des absences répétées au fil de leur cursus justifiées par le début de leur cycle, que ce soit à cause des complications physiques – nausées, douleurs, diarrhées, fatigue… - ou en raison de l’hygiène.

Mais aussi de cette fameuse peur qui rend les adolescentes « indisposées » pendant les cours de natation. On voit aussi dans l’Hexagone une certaine réticence à réfléchir à la mise en place du congé menstruel, comme cela s’applique dans d’autres pays, comme l’Italie ou le Japon. Parce qu’on craint des abus, nous répond-on régulièrement.

En clair, des abus de la part des femmes qui profiteraient de l’occasion pour prendre des jours de congé alors qu’elles n’ont pas leurs règles ou qu’elles n’ont aucune difficulté avec celles-ci. Certainement un abus justifié par une soudaine envie de faire les boutiques... C’est croire en la frivolité des femmes et en un manque de cadre législatif qui viendrait entourer la loi.

C’est surtout ne pas considérer que les règles puissent entrainer de vraies difficultés et constituer un handicap dans le quotidien d’une partie des femmes dont on profit e qu’elles ont intégré le risque de précarité dans laquelle cela les mettrait si elles se permettaient des absences répétées au travail, aussi justifiées soient-elles.

LA SITUATION DES FEMMES EN GRANDE PRÉCARITÉ

Parler des règles, montrer un vêtement tâché par les menstruations, ça choque. Là où une porte s’ouvre en direction de la prise de conscience, c’est sur l’accès aux protections hygiéniques pour les plus démuni-e-s. Et elle ne s’opère pas en un claquement de doigts.

Il a fallu le concours de plusieurs actions, notamment associatives et médiatiques, et un film grand public Les invisibles de Louis-Julien Petit (lire notre critique dans YEGG#77 – Février 2019) pour que l’on commence à ouvrir les yeux sur une réalité jusqu’ici très peu prise en compte.

Une réalité que relate le sondage IFOP publié le 19 mars dernier et réalisé pour Dons solidaires : 8% des Françaises, soit 1,7 million de femmes, ne disposent pas suffisamment de protections hygiéniques et 39% des femmes bénéficiaires d’associations sont concernées.

Conséquence : 1 femme sur 3 (sur ce pourcentage) « ne change pas suffisamment de protection ou à recours à l’utilisation de protections de fortune. », souligne le communiqué. Là encore, on recroise la précarité sociale puisque, selon le sondage toujours, 17% des femmes en grande précarité renoncent à sortir à l’extérieur durant la période des règles et se retrouvent parfois en incapacité de se rendre à un entretien d’embauche ou un rendez-vous professionnel, par manque de protections hygiéniques. Un fait que l’on sait dangereux pour la santé et propice au Syndrome du Choc Toxique. 

Trop souvent, on oublie les exclues du débat dont font parties les détenues et les femmes SDF. Elles ont rarement voix au chapitre parce que par confort, on oublie celles qui n’en disposent pas et parce qu’elles pâtissent d’une image stéréotypée due à leur condition. Et pourtant, elles aussi ont leurs règles, et elles aussi ont le droit à la dignité.

Le 19 mars, L’Obs et Rue89 révèlent la précarité sanitaire que subissent les femmes incarcérées qui selon les établissements disposent de protections périodiques de mauvaise qualité souvent à des prix trop élevés, particulièrement pour celles qui ne cantinent pas.

« De nombreuses détenues utilisaient des tissus, des draps ou encore des serviettes de bain qu’elles mettaient dans leurs culottes », témoigne une ancienne détenue tandis que d’autres fabriquent des coupes menstruelles artisanales : « Elles utilisent une bouteille en plastique qu’elles découpent afin de n’en garder que la partie supérieure. Pour éviter de s’arracher les parois internes, la cup de fortune doit être lissée contre un mur. »

Le système débrouille côtoie alors le facteur risque sanitaire. Et s’applique également aux femmes SDF. Corinne Masiero, comédienne dans Les invisibles notamment, a vécu elle aussi dans la rue et dit au média Brut :

« Tout est dix fois plus problématique quand t’es une gonzesse, dix fois plus. Un truc tout con : quand t’as tes règles et que t’as pas de quoi t’acheter des trucs, alors tu vas chouraver des serviettes, des machins et tout. Mais des fois t’as pas eu le temps ou t’as pas pu, comment tu fais ? Tu te mets des journaux, des machins… on en parle jamais de ça. Pourquoi ces trucs là, c’est pas remboursé par la Sécu par exemple ? » 

AGIR POUR LES AIDER

Lors de notre reportage au Salon bien-être solidaire fin novembre à Vitré, organisé par l’association brétillienne Bulles Solidaires, Anaëlle Giraurdeau, alors stagiaire au sein de la structure, expliquait que l’impact de la sensibilisation des passantes à ce propos était important lors des collectes effectuées à l’entrée des supermarchés.

La majorité de la société ne réalise pas qu’être une femme dormant à la rue signifie également ne pas avoir de quoi s’acheter des protections hygiéniques. D’où la mobilisation de Bulles Solidaires, créée en septembre 2017 par Laure-Anna Galeandro-Diamant afin de récolter des échantillons et produits d’hygiène corporelle (non entamés et non périmés) pour tou-te-s lors de collectes, via le bouche à oreille, le démarcharge des pharmacies, instituts de beauté et hôtels ou encore grâce aux points de collecte disposés dans certains magasins du centre ville, à l’Ecole des Hautes Etudes de la Santé Publique de Rennes, ou encore dans des commerces vitréens.

Ces produits sont ensuite redistribués aux occupant-e-s des établissements avec lesquels l’association travaille comme le Secours populaire, le foyer Saint Benoit de Labbre à Rennes, Le Puzzle, etc. Mais aussi à l’occasion des maraudes organisées dans la ville. Collecter serviettes, tampons et coupes menstruelles est alors essentiel pour les femmes en grande précarité car à l’heure actuelle, les associations venant en aide aux personnes sans abris sont principalement spécifiques à la question du logement et à celle de l’alimentation.

Bulles Solidaires réalise donc une mission particulière sur un terrain presque vierge à ce niveau-là, à l’échelle locale, et n’en oublie pas les besoins des femmes. Sur le plan national, Règles élémentaires est la première association depuis 2015 à collecter des produits d’hygiène intime à destination des femmes sans abris et mal logées. Initiée par Tara Heuzé-Sarmini, la structure a réussi à organiser plus de 150 collectes en France et à redistribuer plus de 200 000 tampons et serviettes à plus de 20 000 femmes bénéficiaires.

La dynamique crée des émules. Le 16 mai prochain, une soirée autour de la précarité menstruelle est organisée à Askoria, à Rennes, par Aux règles citoyen-ne-s, un collectif de travailleurs-euses sociaux en formation dans l’école.

« Les femmes en situation de précarité sont les premières victimes. Elles sont déjà vulnérables et en plus, elles doivent se cacher à cause des tâches et c’est très difficile d’aller demander une protection hygiénique à quelqu’un dans la rue, c’est tellement tabou dans notre société actuelle… »
signale les membres du collectif.

En creusant le sujet, ielles ont l’idée d’une collecte mais rapidement se pose la question de la forme : « Une collecte c’est bien mais si en plus on peut sensibiliser autour de ça, c’est mieux ! On a donc fixé le prix de la soirée à une boite de tampons ou de serviettes qui seront ensuite données à Bulles Solidaires. »

Si le collectif souhaite provoquer des rencontres, des échanges et des débats entre professionnel-le-s du secteur social, futur-e-s professionnel-le-s, associations féministes (ou pas), il tient à ce que le grand public, hommes comme femmes donc, soit convié, intéressé et concerné. Ainsi, le débat sera précédé de la diffusion du film Les invisiblespour faire le pont avec la précarité menstruelle, un sujet large qui touche un grand nombre de femmes.

RENDRE LES PROTECTIONS HYGIÉNIQUES ACCESSIBLES

Et parmi les plus impactées, on trouve également la population étudiante dont les revenus sont souvent faibles voire inexistants. Pour une boite de tampons ou de serviettes, il faut compter entre 3 et 8 euros. Pendant une période de règles, les femmes peuvent utiliser les deux sortes de protection, pour ne pas dormir avec un tampon ou une coupe menstruelle, et ainsi réduire le risque d’infection.

Aussi, il faudra certainement prévoir l’achat de boites d’anti-inflammatoires ou autres médicaments, l’investissement dans une bouillote, etc. Et rien dans la liste ne peut être répertorié comme produit de confort. C’est pourquoi en janvier, l’université de Lille, sur les conseils de Sandrine Rousseau, fondatrice de l’association Parler, ancienne élue EELV et actuellement professeure d’économie à la fac, a décidé au début de l’année 2019 de distribuer gratuitement 30 000 kits de protections hygiéniques, contenant tampons, serviettes et coupes menstruelles réutilisables.

Une idée qui a été inspirée par le modèle écossais. En effet, le pays qui avait déjà investi pour lutter contre la « period poverty » auprès des femmes en grande précarité réitère son action auprès des étudiantes à présent, en levant 5,7 millions d’euros afin de fournir aux 395 000 élèves d’Ecosse des protections hygiéniques gratuites. Dans les écoles, collèges et universités sont, depuis la rentrée scolaire, accessibles tampons, serviettes, serviettes lavables et coupes menstruelles.

La réforme crée des émules là encore puisque début mars, la newsletter pour adolescentes « Les petites Glo » - la petite sœur des « Glorieuses » – lançait le mouvement #StopPrécaritéMenstruelle afin de demander la gratuité des protections hygiéniques dans tous les établissements scolaires français. 

Johanna Courtel est étudiante à l’université Rennes 2. Début avril, son projet de protections périodiques en accès libre – co-piloté avec une autre étudiante – figurait parmi les 10 lauréats qui seront financés par le budget participatif de la faculté.

« Il existait déjà un projet de l’Armée de Dumbledore, une organisation politique de Rennes 2, pour installer 3 distributeurs de protections hygiéniques. C’est bien mais c’était limité. Là, l’idée est d’installer des meubles avec des tampons, des serviettes, des cups, en libre accès. Et que les produits soient le moins toxiques possible. On veut privilégier le bio et la qualité, des produits respectueux pour nous et pour la nature. », explique-t-elle, précisant qu’elle ne connaît pas encore la date de mise en fonction des installations et du premier ravitaillement.

« Peut-être que beaucoup vont hésiter à en prendre au début mais l’objectif est vraiment que les personnes s’habituent à ce que ce soit gratuit. À ce que ce soit normal que ce soit gratuit,poursuit-elle. En tant que femmes, depuis qu’on a nos règles, on sait que c’est la galère. Dès la naissance, on sait qu’on va être précaires. En plus de ça, on doit payer plus de choses avec un moindre salaire… Etudiante, je me suis déjà retrouvée à la fin du mois avec du sopalin dans la culotte car j’ai préféré m’acheter à manger qu’acheter des protections. » 

UNE BATAILLE À POURSUIVRE

Mais avant même d’être contrainte à tester le « dépannage menstruel » que de nombreuses femmes connaissent au cours de leur vie, Johanna Courtel avait déjà conscience de la problématique, notamment grâce à la campagne médiatisée du collectif Georgette Sand qui a ardemment lutté contre la taxe tampon et obtenu gain de cause en décembre 2015 lorsque l’Assemblée nationale a voté l’abaissement de la taxe de 20% à 5,5%, reclassant ainsi les protections hygiéniques injustement qualifiées de « produits de luxe » à la catégorie « produits de première nécessité ».

Bonne nouvelle donc ! Pas tant que ça en fait, indique le collectif Georgette Sand dans un article paru dans Ouest France : « Malheureusement, l’abaissement de la TVA n’a pas été répercuté sur les produits des grandes marques. Maintenant que nous avons pu constater que la baisse de la TVA n’est qu’un cadeau pour les marques qui leur permet d’augmenter leurs marges sans faire monter leurs prix, nous avons conscience que cette taxe n’est plus la question. Il faut prendre conscience que le sujet est une question de santé publique. Des décisions comme celle prise par la LMDE d’allouer une somme de son forfait étudiant au remboursement des protections hygiéniques est un progrès que nous saluons. »

Dans le fait que la parole se libère petit à petit et que les exemples d’actions concrètes se développent, l’étudiante rennaise y sent le vent tourner et saisit l’occasion du budget participatif pour apporter sa pierre à l’édifice. Pour elle, le vote des étudiant-e-s en faveur de son projet marque l’importance de répondre désormais à un besoin bien réel de lutte contre la précarité.

Tout comme sur le campus, on trouve une épicerie solidaire, on trouvera prochainement des protections périodiques en libre service : « C’était important aussi de ne pas mettre un moment spécifique durant lequel les gens viennent se servir. Parce qu’en faisant ça, je pense que plus de gens vont s’autoriser à en prendre alors que si ça se faisait devant tout le monde pendant une permanence, beaucoup de personnes n’oseraient pas. Et quand on a pas une bonne protection hygiénique ou qu’on a oublié d’en prendre d’autres, on n’est pas à l’aise, on est moins aptes à écouter, à se concentrer. On pourrait parfaitement ne pas être dans cet état si justement on savait que, même si on oublie d’en mettre dans son sac ou qu’on n’a pas les moyens d’en acheter, on va pouvoir en trouver sur place. Dans les toilettes par exemple, pour que ce soit un lieu plus intime. »

L’ESPACE PUBLIC, ENCORE ET TOUJOURS GENRÉ…

Les toilettes, c’est encore un autre sujet dans le sujet. Mais là, on ne parle plus de l’université mais de l’espace public. À Rennes, tandis que la municipalité installe des urinoirs en forme de kiwi, de pastèque et autres fruits pour que ces messieurs arrêtent de pisser où bon leur semble lors des soirées arrosées du jeudi au samedi, personne ne s’inquiète du devenir de nos abricots qui marinent dans la sauce airelles chaque jour de nos règles.

Et ça ne me passe pas inaperçu dans les médias, avec en tête de fil le site Alter1fo qui par deux fois interpelle sur la question. En janvier, d’abord, on peut lire l’article « Précarité menstruelle : Rennes manque une occasion de « régler » la question » dans lequel le rédacteur Politistution dévoile qu’un projet concernant l’augmentation du nombre de toilettes pour femmes n’a pas pu être mis au vote du budget participatif de la ville car entre autre « la ville de Rennes dispose déjà de sanitaires publiques et aucun emplacement n’a pu être trouvé pour en construire de nouvelles. »

Il revient dessus en mai se saisissant de l’actualité chaude des urinoirs mobiles pour souligner, à juste titre, qu’il s’agit là encore d’un privilège de mâles. Il conclut son article :

« Les toilettes publiques restent finalement révélateurs des inégalités entre les sexes et ne doivent pas accentuer l’hégémonie masculine dans la ville. »

De par cette phrase, il pointe une nouvelle problématique qui enfonce encore davantage les femmes dans la précarité menstruelle. Les villes pensées par et pour les hommes permettant uniquement aux femmes de se déplacer dans l’espace public mais pas de l’occuper comme les hommes le font.

Encore moins quand elles ont leurs règles et qu’elles n’ont pas d’autres choix pour changer leurs protections que d’aller dans un bar ou rentrer chez elle, si leur domicile n’est pas trop éloigné. Alors des urinoirs en forme de fruits, c’est bien joli mais c’est quand même discriminatoire, même si on est équipé-e-s d’un pisse-debout, c’est ce que développe Virginie Enée, journaliste pour Ouest France, dans son billet d’humeur daté du 6 mai :

« Alors oui, une cabine de toilette mixte ne coûte certainement pas le même prix. Probablement que cela prend plus de place dans l’espace public et que c’est moins ludique qu’un urinoir déguisé en pastèque ou en kiwi. Mais justifier une inégalité par l’incivilité de certains, c’est ni plus ni moins qu’une discrimination. Réclamons des cabines de toilettes publiques dans une citrouille, type carrosse de Cendrillon. (Sinon nous aussi, on se soulagera sur ses roues.) »

LES TOILES D’ARAIGNÉE, C’EST SALE… 

De nombreux facteurs convergent, créant ainsi une précarité menstruelle qui pourrait s’apparenter à une toile d’araignée, tissée autour du tabou des règles pour coincer les femmes dans leur émancipation. Comme le souligne Lis Peronti, les règles ne sont qu’une partie du cycle, et non l’entièreté et surtout pas la fin comme on vise souvent à le penser. Bien au contraire même puisqu’en réalité l’arrivée des règles marque le début du cycle.

Elles ne sont pas donc pas synonymes de la fin, dans le sens de l’échec de la femme dans son soi-disant rôle premier et majeur de procréatrice, mais le début, le renouveau, l’instant de tous les possibles. La possibilité de choisir son mode de vie, son mode de contraception, son corps.

De plus en plus de comptes, comme Dans Ma culotte, SPM ta mère ou encore Mes règles et moi, se créent sur les réseaux sociaux, utilisant la toile non pour nous coller à une matière et se faire dévorer ensuite mais pour dénoncer la précarité menstruelle, briser le tabou et dévoiler la couleur de la réalité, parce que non ce qui coule dans nos culottes n’est pas bleu comme le montre la publicité, mais bel et bien rouge.

Montrer le sang - comme l’a fait la youtubeuse Shera Kirienski en posant en pantalon blanc tâché et comme l’a fait auparavant Lis Peronti - participe à ne plus cautionner les mythes et les mensonges qui entretiennent la précarité menstruelle dans sa globalité. Les initiatives fleurissent. Au Canada, par exemple, au musée de Kitchener, en Ontario, a dévoilé l’exposition Flow pour démystifier les règles et aider les femmes qui se sentent stigmatisées à cause de ça à s’émanciper.

Sinon, sans prendre l’avion plusieurs heures durant, on peut de chez nous, en toute intimité si on a honte (en espérant ensuite qu’on aura le courage d’en parler avec d’autres, au café, puis dans le bus, puis au milieu d’une foule ou mieux, à table) regarder le super documentaire d’Angèle Marrey, Justine Courtot et Myriam Attia, 28 jours, disponible sur YouTube.

Ou encore on peut participer à la campagne Ulule de financement participatif afin d’aider Leslye Granaud pour la réalisation et diffusion de son documentaire SPM ta mèrequi interroge hommes et femmes sur leur rapport aux menstruations. 

Mise en garde (qui arrive bien trop tard, tant pis) : après tout ça, vous ne penserez plus que les règles, c’est dégueu et vous prônerez le choix pour toutes les femmes d’en parler librement ou de garder ça pour elles. Car si cela ne doit pas virer à l’injonction au témoignage, il est urgent de se libérer des sentiments de honte et d’humiliation qui entourent toutes les personnes ayant leurs règles.

De garantir l’accès aux protections hygiéniques à toutes les personnes ayant leurs règles, sans conditions. D’apprendre à toutes les filles et à tous les garçons l’anatomie des un-e-s des autres et d’ouvrir la voix aux personnes désireuses de connaître davantage leur cycle que l’écoféminisme met en parallèle du cycle de la Nature. Mais ça, c’est un autre sujet. Et c’est pour bientôt.

 

 

Tab title: 
Les règles de la précarité
La précarité menstruelle : pas qu'une affaire de femmes
Aimer son cycle, c'est possible ?
Alerte : vulves et vagin pollué-e-s

Célian Ramis

À qui appartient la ville ?

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Rennes
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C’est une question qui ne laisse jamais les sceptiques indifférents… Et par sceptiques, on entend celles et ceux qui pensent l’égalité acquise ou quasi acquise mais la question de la ville et du genre révèle de profondes inégalités encore très actuelles.
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C’est une question qui ne laisse jamais les sceptiques indifférents… Et par sceptiques, on entend celles et ceux qui pensent l’égalité acquise ou quasi acquise mais la question de la ville et du genre révèle de profondes inégalités encore très actuelles. 

En 2019, Françoise Heritier, Paulette Nardal, Hubertine Auclert, Alice Guy-Blaché ou encore Rosa Luxembourg rejoindront Marguerite Yourcenar, Louise Bourgeois, Aurélie Nemours, Clara Zetkin ou encore Christine de Pisan dans les 12,67% des rues qui portent à Rennes des noms de femmes.

Lorsque la compagnie KF les énonce toutes, lors du café citoyen organisé par les quartiers « Les Suds » à la conciergerie Au P’tit Blosneur le 19 mars dernier, ça réagit dans l’assemblée : « Y a pas beaucoup de boulevard avec un nom de femmes ! », souligne une habitante, avant que sa voisine ne signale à son tour qu’au départ l’hôpital sud de Rennes était baptisé Anne de Bretagne « mais personne ne l’a jamais appelé comme ça ». 

La soirée s’anime autour de la question de la place des femmes dans l’espace urbain. À l’occasion de son master de sociologie, Cynthia Nadarajah a, en 2016, mené une enquête sur la répartition femmes – hommes dans l’espace public rennais, auprès d’un échantillon âgé de 18 à 29 ans.

UN CONSTAT QUI NE CHANGE PAS

Ainsi, elle constate chez les femmes une adaptation des comportements, le soir et la nuit, dans les zones qu’elles ne connaissent pas bien et dans les lieux majoritairement occupés par les hommes. On appelle cela les stratégies d’évitement.

« Il y a un couvre feu virtuel, elles ont dans leurs sacs des bombes lacrymos, des matraques, elles mettent leurs écouteurs, regardent leurs téléphones, font tout pour ne pas paraître disponibles, changent de tenue pour rentrer, etc. Ce qui apparaît, c’est qu’il y a un décalage entre les violences ressenties et les violences effectives car la plupart des violences contre les femmes se font dans la sphère privée. Mais depuis le plus jeune âge, les femmes intègrent l’insécurité de l’extérieur. On leur dit de ne pas faire du stop, de ne pas rentrer seule, on leur donne moins de liberté que leurs frères. », souligne-t-elle avant de conclure : 

« Cela se traduit par un usage plus utilitaire de l’espace urbain pour les femmes. Les hommes occupent l’espace, les femmes s’y occupent. ». 

De la cour d’école dans laquelle les garçons prennent le centre pour jouer au ballon aux rues devenues le théâtre d’un harcèlement de rue quotidien, les violences sont banalisées et entretenues par le déni d’un système patriarcal sexiste qui s’affiche dans les noms de rues, d’établissements publics et privés et les équipements sportifs.

Une observation et une analyse que l’on retrouve aussi du côté d’Edith Maruéjouls, géographe du genre qui au sein de Genre et ville a créé le bureau d’études L’ARObE (L’Atelier Recherche OBservatoire Egalité) et de Yves Raibaud, également géographe du genre et auteur du livre La ville faite par et pour les hommes : dans l’espace urbain, une mixité en trompe-l’œil. Sans oublier la réalisatrice Eléonor Gilbert qui met l’accent dans son documentaireEspacesur la répartition genrée de la cour de récré, les inégalités et les injustices que cela crée. 

FAIRE BOUGER LES POLITIQUES PUBLIQUES…

En 2015, les deux dernières personnes citées sont invitées par la Ville de Rennes à intervenir, séparément, sur le sujet. C’est un véritable déclic pour la municipalité, même si la question interpelle depuis longtemps les militantes féministes rennaises – par exemple, l’association Questions d’égalité avait invité en janvier 2011 la sociologue, formatrice et animatrice de marches exploratoires Dominique Poggi pour une conférence sur « Comment mettre fin aux violences contre les femmes dans les espaces publics » et avait invité en novembre 2015 la sociologue et auteure de l’ouvrage Genre, violences et espaces publics, la vulnérabilité des femmes en question, Maylène Lieber pour une conférence sur « Harcèlement de rue – Quelles conséquences pour les femmes ? Comment agir ? » - et le Conseil consultatif à l’égalité entre les femmes et les hommes. 

La libération de la parole, la multiplication des preuves et la mise en mot du harcèlement de rue semblent enfin avoir réussi à atteindre les politiques publiques mais pas toutes les politiques publiques, seulement les plus volontaires en terme d’égalité entre les sexes, à l’instar de Rennes qui ne fait pas figure d’exception mais se positionne tout de même sur une thématique quasiment vierge de toute avancée.

Dans les villes de France, la moyenne des rues portant des noms de femmes s’élève à 6%. La capitale bretonne en compte le double mais cela reste encore largement insuffisant. Depuis quelques années (2015, également), ont été instaurées sur le territoire – pour l’instant, uniquement dans les quartiers prioritaires et stigmatisés – des marches exploratoires réalisées par des groupes exclusivement composés de femmes.

Parce qu’il a été remarqué « que les femmes étaient moins nombreuses dans les espaces de consultations de tous les quartiers et que leurs paroles sont souvent déconsidérées », explique Geneviève Letourneux, conseillère municipale déléguée aux Droits des femmes et à l’égalité. Elle poursuit :

« Les marches exploratoires sont vues comme un sas avant de revenir dans les commissions traditionnelles. »

En empruntant un parcours sur plusieurs temps – en journée et en soirée – les participantes développent leurs ressentis aussi bien sur les aspects et lieux positifs que les aspects et lieux négatifs. Elles abordent alors les stratégies d’évitement mises en place et révèlent le non partage de l’espace public.

COMBATTRE LE SEXISME LATENT

Pour Geneviève Letourneux, « il ne faut pas s’en tenir à l’aspect sécurité / insécurité. Il faut dépasser ça pour parler de la ville fonctionnelle, la ville des usages, etc. Que chacune prenne sa place plutôt que d’apprendre à rester à sa place. Et pour cela, il faut trouver des manières nouvelles de faire. »

Inviter les femmes à prendre l’espace comme à l’occasion du 8 mars ou du 25 novembre, développer des parcours dans la ville comme le fait Histoire du féminisme à Rennes, valoriser le matrimoine (lors des journées du matrimoine, organisées par HF Bretagne mais aussi à l’année en donnant leurs noms à des rues, équipements sportifs, établissements, etc.).

Proposer des stages Riposte, de self-défense physique et orale, ou encore des stages d’apprentissage du vélo. Développer la médiation, à destination des jeunes filles puisque celles ci n’osent pas s’y rendre (parce qu’ils sont principalement occupés par des garçons), autour des city stades.

Compter, mesurer, étudier l’impact de ces actions en terme d’égalité, « ce n’est pas suffisamment fait ». Voilà pourquoi du 15 avril au 31 mai, la Ville de Rennes lance pour la première fois une enquête sur le ressenti discriminatoire. Chacun-e est libre d’y participer puisque le questionnaire sera publié sur Internet. 

En pleine actualité sur les urinoirs installés du jeudi au samedi pour que ces Messieurs évitent de pisser n’importe où dans la rue, les Rennaises pourraient bien dénoncer un sexisme latent puisqu’elles, sont priées de se retenir dans l’espace public, les toilettes publiques dédiées aux femmes, avec accès à des protections hygiéniques ayant été radiées des possibilités.

DANS L’ESPACE PUBLIC, LES FEMMES DÉRANGENT

Le ressenti discriminatoire, Morgane Rey, danseuse et chorégraphe de la compagnie Erébé Kouliballets, peut en parler pendant des heures. Lors du café citoyen, elle entre sans détour dans le vif du sujet :

« Depuis 30 ans, on danse en rue. On se fait systématiquement insulter dans la rue. Et pas que dans les quartiers stigmatisés ! »

Quand les percussionnistes se joignent à elles, elles sont moins agressées. Mais dès qu’elles ressortent seules, « c’est reparti comme en 14 ! Là je rigole mais je rigole pas quand ça m’arrive avec les danseuses. ». Elle poursuit : 

« Avant, le 8 mars, à 8h, on dansait en culotte, soutif, porte-jarretelles ! On oserait jamais faire ça maintenant. On a fait un trio par exemple sur la burqa, on ne le referait pas maintenant, ce serait impensable. Aujourd’hui, on demande systématiquement à des gens qu’on connaît de nous accompagner pour parer quand on danse en rue. Le corps de la femme dérange. Comme si c’était trop pour les gens qu’une femme prenne l’espace public. Avec mes danseuses, on a fait un cercle de paroles, elles m’ont demandé si on pouvait pas aller dans des endroits plus « doux » comme des parcs ou des plages… Moi, je les comprends et puis je veux pas les mettre en danger. Mais c’est fou d’en arriver là ! »

Pour la maitresse de conférences en sociologie Isabelle Danic, « la revendication à l’égalité peut être vue comme transgressive… » Mais pour la chorégraphe, il ne s’agit nullement d’une transgression. Certes, la compagnie a toujours été engagée mais danser dans la rue, au-delà d’un acte militant, est un acte artistique. Seulement, « on a vite compris qu’on n’avait pas notre place dans l’espace public. Il y a un vrai souci à travers une place, une rue, etc. Les femmes n’ont pas envie de se faire remarquer par les hommes qui sont en plein centre de l’espace. »

L’EMPOWERMENT COLLECTIF

La solution, pour l’instant, qu’elle a trouvé et à laquelle elle a recours : la sororité. Et justement, dans le public, une femme témoigne. Elle habite le quartier et connaît bien les cafés du coin. Non par addiction à l’excitant mais parce que régulièrement, elles sont toute une bande à y aller en même temps pour boire leur jus. Et par la même occasion, pour montrer que les femmes sont là et qu’elles comptent bien y rester.

Son témoignage, qui prône l’empowerment collectif, est joyeux et militant. Mais il souligne bien la problématique actuelle : il est nécessaire de se réunir à plusieurs pour « affronter » l’espace public urbain et se le réapproprier. Les femmes sont aujourd’hui obligées de crier haut et fort qu’elles ne sont pas cantonnées à la sphère privée. La ville doit se construire ensemble, pour tout le monde. Le chemin est encore long et prend bel et bien le nom de toutes les femmes désireuses d’une égalité réelle au sein de la cité.

Célian Ramis

Un (Jean Dujardin) + Une (Elsa Zylberstein) = le nouveau film de Claude Lelouch

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Cinéma Gaumont, Rennes
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Elsa Zylbertstein et Jean Dujardin, duo incompatible pour jouer les amoureux ? Le réalisateur Claude Lelouch en décide autrement dans Un + Une, sur les écrans le 9 décembre prochain.
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Elsa Zylbertstein et Jean Dujardin, duo incompatible pour jouer les amoureux ? C’est ce que pense le réalisateur Claude Lelouch, séduit par l’idée de réunir ces deux acteurs « pas faits l’un pour l’autre » à l’affiche de son dernier film, Un + Une, qui sortira sur les écrans le 9 décembre prochain.

À l’occasion de l’avant-première de Un + Une le 26 octobre dernier au cinéma Gaumont, le réalisateur Claude Lelouch, entouré de ses deux acteurs principaux, Jean Dujardin et Elsa Zylberstein, étaient de passage à Rennes.

« Elsa et Jean ont fait un voyage en avion tous les deux et ont abordé ensemble l’envie de tourner avec moi. Ils ne sont vraiment pas faits l’un pour l’autre, le couple m’a inspiré », se souvient le réalisateur qui compte déjà 45 films à son actif, sourire aux lèvres.

L’Inde sera le décor d’une comédie qui a pour volonté de filmer l’invisible. Une évidence qui apparaît rapidement à Claude Lelouch : « L’irrationnel y est omniprésent. Ce n’est pas le pays des religions mais le pays de LA religion. Pour eux, la mort n’existe pas, cela change complètement le raisonnement. Là-bas, la souffrance est une école, un apprentissage. Et je partage l’intime conviction que l’idée de la mort est tellement idiote ! »

ROAD-TRIP SPIRITUEL

L’amour sera le sujet principal. Une évidence limpide également, une histoire d’amour étant la plus belle métaphore de la vie, selon lui. Pour Jean Dujardin, il s’agirait plus simplement « de la rencontre entre un sceptique et une tarée. »

Et les deux acteurs, non dénués de talents, vont expérimenter sans artifices ni figurants la vie indienne, confrontant « le divin à l’escroquerie, des tricheurs à des gens profondément sincères », souligne Claude Lelouch, rejoint par son acteur principal : « Et la misère ! ».

Sans oublier la philosophie particulière de l’Inde, partant du principe qu’une vie vécue n’est que le brouillon de la vie suivante. Une philosophie qui va devenir le fil conducteur du film et que le réalisateur va intelligemment mettre en exergue avec l’histoire d’Antoine et Anna.

Lui, incarne un compositeur de musiques de film, séjournant en Inde pour une version moderne de Roméo et Juliette, réalisée par un metteur en scène issu de la nouvelle vague indienne. Elle, est la femme de l’ambassadeur de France (interprété par Christophe Lambert), passionnée par la question de la spiritualité, et éminemment séduite par Antoine, dès le premier regard.

MACHISME ET SEXISME BIENVEILLANT

Ensemble, ils vont partager un voyage initiatique à travers l’Inde spirituelle mais aussi au travers d’une rencontre inattendue. Tous les deux bien installés dans leurs couples respectifs, ils vont s’offrir une parenthèse entre attirance et résistance. Entre non-dits et franchise déroutante.

Anna est amoureuse, fonceuse, « allumée, spirituelle, premier degré », souligne Elsa Zylbertstein, encore éprise du rôle qu’elle a joué.

« Avant d’arriver en Inde et de rencontrer son mari, c’était une aventurière. Il la rebranche avec ce qu’elle était. Il la révèle à elle-même. », poursuit-elle.

Antoine, de son côté, est pragmatique, amoureux de l’amour en premier, amoureux de lui-même en second. Il prend la vie avec humour et légèreté et s’embarque dans l’aventure pour fuir quelques démons, notamment une demande impromptue en mariage par sa compagne pianiste (interprétée par Alice Pol) et un caillot logé dans sa tête, lui provoquant des maux de tête.

« C’est un homme. Comme tous les hommes, il a peur des scanners, des maladies. Il préfère tout tenter sauf la médecine. Et puis, il y a pas forcément de raison. Perso, je ferais la même chose, partir sur un coup de tête avec l’ambassadrice, voir ce que ça peut donner. », plaisante Jean Dujardin.

Pas tant que ça. Pour le réalisateur, le film aurait pu s’appeler « Portrait du dernier macho ». Le clown qui s’assagit. L’enfant gesticulant qui devient homme. Un schéma classique propre à la gent masculine, selon Claude Lelouch qui mesure ses propos : « En tout cas, plus que les femmes. Il y a toujours un événement qui fait que l’on devient un homme. »

Il semblerait qu’une femme, à l’inverse, naisse femme et se révèle à travers un homme, venu briser son évolution lisse et stagnante quand elle n’est pas le double – au détail près qu’elle a une poitrine - de l’homme (d’Antoine en l’occurrence), comprendre alors « qui ne fait pas chier, on ne s’embête pas l’un l’autre ».

La femme est naïve, l’homme archaïque. Elle l’aime depuis le début de leur rencontre. Il l’aime peut-être parce qu’elle l’aime. La course poursuite prend des allures de déjà vu, sans modernité, et agace sur la longueur.

Sans oublier plusieurs réflexions illustrant un certain sexisme bienveillant sur les femmes, « qu’il faut mettre en avant » dans le titre Juliette et Roméo, exemple flagrant de grande modernité (le scénario : un voleur de bijou renverse une jeune et belle femme à vélo mais préfère se faire arrêter par les forces de l’ordre pour l’amener à l’hôpital afin de lui sauver la vie. Les deux jeunes vont alors tomber amoureux.).

Si on veut chercher un point positif, on pourrait accorder l’absence de morale et de jugement. En revanche, l’absence de modernité et les déjà vus nous rendent hermétiques au déroulé de l’histoire.

Célian Ramis

Nathalie Appéré, "le cap et la boussole" vers l'égalité des sexes ?

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Rennes
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Un an de mandat pour Nathalie Appéré, première femme maire de Rennes. L’occasion de faire le bilan et d’évoquer les actions et priorités pour les années à venir en matière d’égalité femmes-hommes.
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Le 30 mars 2014, Nathalie Appéré devient la première femme à accéder au poste de maire de Rennes. Un an de mandat – le conseil municipal a été constitué le 4 avril 2014 - l’occasion de faire le bilan et d’évoquer les actions et priorités pour les années à venir en matière d’égalité femmes-hommes.

YEGG : Avec du recul, comment avez-vous vécu la campagne électorale, en tant que femme, quand on sait que 13,9% seulement des maires de France étaient des femmes ?

Nathalie Appéré : Je ne l’ai jamais vécu comme un obstacle. En 2001, quand j’étais adjointe d’Edmond Hervé, il y avait un contexte de parité nouvelle dans les équipes municipales, et où à l’échelon local qui est le notre, il y avait à la fois 50% de femmes élues mais aussi la volonté d’aller plus loin avec déjà des exécutifs paritaires. Les évolutions naturelles sont à ce point lentes qu’il faut à un moment donné que des lois et des dispositifs s’attaquent véritablement à cette question de la parité en politique. Je dois dire que j’en ai peut-être bénéficié.

Alors après comment est-ce que l’on franchit d’autres marches dans la prise de responsabilités ? C’est peut-être sans doute plus par son propre travail et la capacité à convaincre mais s’agissant particulièrement de la campagne municipale, je n’ai pas eu l’impression que pour être désignée par les militants du Parti, le fait d’avoir été une femme ait été un obstacle. Parce que justement il y a une telle identité à la ville de Rennes et sur le territoire rennais, et une telle affirmation de l’égalité femmes-hommes comme un enjeu politique, que ça fait parti des choses totalement intégrées.

Lorsque nous vous interrogions en janvier 2014 sur la parité en politique et dans les instances politiques, vous disiez être un produit de la parité. N’est-ce pas jouer le jeu de l’égalité déjà acquise, qu’on sait dangereux ?

Je n’ai pas changé d’avis (Rires). J’évoquais là strictement et uniquement la question de la place des femmes dans les équipes municipales. Ce qui ne veut absolument pas dire que l’égalité est déjà acquise. Il n’y a jamais d’acquis, il y a un combat permanent, et moi je situe ce combat pour l’égalité femmes-hommes dans un combat pour l’égalité. Le combat féministe se situe dans cette démarche progressiste en faveur de l’égalité en général.

Au delà de la question du sexe…

C’est une question dans une action politique qui revendique que le cap et la boussole soient en permanence l’égalité.

Vous évoluez au niveau municipal mais aussi national, à l’Assemblée nationale, en tant que députée. En tant que femme, s’imposer sur le terrain rennais, dans la salle du conseil municipal et dans l’hémicycle, c’est le même combat ? Se positionne-t-on de la même manière ?

Non, je pense que les choses sont assez différentes effectivement. D’abord parce que numériquement les rapports hommes-femmes ne sont pas les mêmes dans un conseil municipal ou à l’Assemblée nationale. Parce que l’Assemblée nationale a ses codes, ses modes de fonctionnement et c’est sans doute moi les premières fois que j’ai ressenti ce que pouvait être le machisme, que je n’avais pas forcément vécu à Rennes.

Les anecdotes sont connues : la robe de Cécile Duflot (juillet 2012), le caquètement de Philippe Le Ray, député du Morbihan, quand Véronique Massonneau s’exprime (octobre 2013)… Et puis ce moment particulier que sont les questions au gouvernement où l’on n’est pas à l’abri des décharges de testostérone et d’un rapport ancien et viril à la question politique. Je ne ressens pas du tout ça dans un conseil municipal où aujourd’hui j’ai le sentiment, mais peut-être à tort, que l’autorité nécessaire à la fonction de maire n’est pas une question de genre.

Pendant la campagne, chaque candidat évoquait une femme à l’urbanisme et un homme à l’éducation. Un exemple récurrent quand on aborde les évolutions en terme d’égalité des sexes. Le 4 avril dernier, vous avez nommé un homme à l’urbanisme et une femme à l’éducation. Est-ce qu’on aurait pu faire bouger les lignes à ce moment-là ?

Ça n’a rien d’une volonté ! Une femme maire c’est déjà une affirmation en tant que tel. Ensuite dans la composition d’un exécutif paritaire, c’est une adéquation entre les compétences, les envies et les taches à assumer. Je ne lie pas telles ou telles responsabilités au sexe de la personne qui l’occupe, je pense que c’est la même capacité à exercer des fonctions.

Après, c’est un casting, le mot n’est peut-être pas heureux mais en tout cas c’est la volonté de faire en sorte que chacun soit le plus efficace possible là où il est. Ce qui n’a rien à voir avec une quelconque prédisposition liée aux ovaires. Je m’intéresse beaucoup à la question urbaine autant qu’à la question financière, et je ne suis pas sûre qu’il me faille me contraindre au champ social, qui est d’ailleurs une responsabilité assumée par un homme à Rennes.

Au niveau de la ville de Rennes, est-ce qu’un diagnostic local a été réalisé très précisément, comme il en est question dans la loi du 4 août 2014 ? Dans les enjeux sur les égalités femmes-hommes, Rennes et Rennes Métropole souhaitent des statistiques genrées sur chaque thème… Un diagnostic local, public, est-il prévu ?

On s’inscrit dans une continuité d’actions, de convictions et l’objectif d’une nouvelle équipe municipale n’est pas de forcément tout remettre à plat mais de s’appuyer sur ce qui fonctionne pour réinterroger, toujours aller plus loin et être fidèle à ce qui a pu être fait. Il en est de la politique égalité femmes-hommes comme d’un certain nombre de politiques, où des outils sont mis en place depuis les outils de participation - comme les comités consultatifs - depuis des politiques publiques particulières, depuis la labellisation (de l’égalité professionnelle) qui a été l’occasion d’un nouveau diagnostic, de nouvelles priorités d’actions.

Pareil pour la question de l’égalité dans la politique éducative et dans l’accompagnement que ce soit dans le temps périscolaire ou bien dans l’Éducation nationale sur le temps scolaire, sur la question de la lutte contre les clichés : cela a été réaffirmé avec de nouvelles orientations (convention avec l’Académie, signée fin 2014, entre autre ndlr). Mais je ne peux pas dire qu’il y ait eu une mise à plat spécifique et particulière sur ces questions.

Une volonté dans les prochaines années ou faut-il continuer d’évoluer sur chaque champ spécifique ?

Quand je vous dis que moi je situe cette question d’égalité femmes-hommes dans le champ plus global de l’égalité en général, ça veut dire qu’effectivement, toutes nos politiques publiques sont passées au peigne fin sur cette dimension : « En quoi est-ce que l’action publique doit toujours et en tout lieu favoriser l’égalité, l’égalité des chances en particulier ? » Et c’est vrai que ça se décline dans une philosophie et des convictions politiques plus larges.

Après, il y a des outils plus particuliers et les statistiques genrées en font parties, on est encore au balbutiement de ce type d’observations. On le fait par exemple vis-à-vis des  partenaires que l’on subventionne, que ce soit au niveau des partenaires culturels ou associatifs, dans les équipements de quartier, pour voir comment est-ce que les filles et les garçons se retrouvent de la même manière.

On le fait avec les partenaires du monde sportif au sein de l’Office des Sports pour regarder la place des filles dans les activités sportives qui sont proposées sur les quartiers. On le fait, toujours dans le champ du sport, avec nos éducateurs sportifs, pour une diversification des propositions pour que les filles s’y retrouvent. On le fait bien sûr sur ce champ singulier de l’égalité professionnelle. Ça se décline à tous les niveaux…

Discriminations, lutte contre les clichés, contre les violences, égalité professionnelle… Concrètement, comment travaille-t-on sur ces questions à l’échelle d’une ville, puisque tout n’est pas du ressort de la Ville ?

J’emploie souvent cette formule qui est de considérer que la responsabilité d’un maire, c’est à la fois de donner un cap, une orientation, de rappeler des valeurs, de mettre en œuvre un programme. Mais au delà de ce cap à rappeler, c’est de mettre autour de la table les acteurs. Et quand on est dans le champ de l’égalité professionnelle, il va de soi que le travail avec les syndicats, avec les employeurs, est un facteur sur lequel il nous faut agir.

Lorsque l’on parle égalité à l’école, c’est bien dans notre projet éducatif territorial qui implique les associations, les parents, l’Éducation nationale, que les choses peuvent se faire. Quand on travaille sur les clichés filles-garçons dans les crèches, c’est avec les professionnels, mais aussi avec les parents, avec les associations, qu’on y travaille.

Et je pense que notre responsabilité est celle-là, de considérer que notre action ne se limite pas strictement aux services publics municipaux, c’est toute l’histoire des manifestations autour du 8 mars à Rennes, où la ville n’est que d’une certaine manière le facilitateur d’un grand nombre d’initiatives.

En terme de santé, IVG, contraception, etc. on se rend compte aujourd’hui que le public « jeunes filles /jeunes adultes » est très mal informé, très mal orienté. Quel rôle avez-vous à jouer dans l’information, la prévention, de ce public en particulier, mais au delà, de tous les Rennais ?

La Ville est engagée dans un contrat local de santé, ce qui n’est pas une évidence car peu de villes ont contractualisé sur ce champ là, où on peut se dire que ce n’est pas vraiment une compétence municipale. On a une action ancienne en matière de santé, à tous les niveaux, et la prévention des conduites à risques fait partie par exemple des priorités de ce contrat local de santé.

Dans la prévention des conduites à risques, il y a bien sûr ce qui relève du champ des addictions mais peut aussi relever des pratiques sexuelles, des risques particuliers, et là dans le soutien aux associations, je pense à ce que fait le CRIJ, le 4 Bis, sur le volet prévention avec une présence d’animateurs de santé dans les grandes manifestations, voilà un exemple concret de ce qui peut être mené sur le champ de la santé.

On n’est par contre moins dans le champ du soin. Là, le lien se fait que ce soit avec le Conseil général sur le volet prévention publique ou avec le monde de l’hôpital ou de la médecine libérale sur l’organisation des réseaux de soins. Mais quand on soutient des associations comme Liberté couleurs, il y a dans leur action certes une dimension égalité filles-garçons mais il y a aussi des choses très particulières sur la protection, la prévention, l’accès à la contraception…

Et au niveau du Planning familial ? Plusieurs PF en France sont en difficulté et ont du mal à survivre. Quelle est la position de Rennes, qui a des employés dans cette structure, ce qui n’est pas le cas de toutes les autres ?

C’est essentiel qu’on les accompagne à la fois dans leur recherche de lieux de permanence, dans les quartiers, et dans le soutien à l’action qui est la leur.

Je rebondis puisqu’on est dans le champ santé, il y a aussi notre responsabilité en matière de sécurité publique, qui pour moi fait partie de l’action que peut conduire la municipalité en matière d’égalité femmes-hommes. C’est à la fois dans les engagements particuliers en matière de lutte contre les violences faites aux femmes, le numéro vert, le lien avec le travail social mais aussi avec la justice, la police, le soutien aux associations, le CIDF en particulier.

Puis globalement, j’affirme toujours une politique de sécurité comme étant au service des plus fragiles et quand je mesure ce que vivent particulièrement les femmes, notamment dans le rapport à l’espace public quand il y a une dégradation de la sécurité publique, je me dis que tout ce que nous faisons aussi non seulement en matière de prévention mais y compris pour le renforcement d’une présence de police de proximité, c’est aussi une politique d’égalité femmes-hommes.

Quand je vois les jeunes femmes victimes d’agressions sexuelles, notamment sur fond de soirées festives, je me dis que ça doit être une priorité, je souhaite que nous nous engagions dans la démarche de marches exploratoires sur l’espace public. C’est aussi parce que pour un certain nombre de filles, de femmes, traverser une place en jupe est plus compliqué aujourd’hui s’il n’y a pas cette volonté d’assurer que l’espace public est à chacune et à chacun et qu’il y a à travailler en permanence sur cette question de partage de l’espace public, de la tranquillité et du respect des règles communes.

On va revenir sur les marches exploratoires mais tout d’abord on a l’impression que peu de Rennaises et de Rennais connaissent les actions de la ville de Rennes en matière d’égalité femmes-hommes. Doit-on voir un manque d’intérêt dans ce déficit de communication autour de ces questions ?

On fait mais on a un peu de mal à faire connaitre l’action de la Ville, qui est à tous les niveaux, ce n’est pas propre à l’égalité femmes-hommes. Quand on reçoit Pascale Boistard et que l’on présente tout ce qui est fait, c’est parce que l’on pense que c’est important. Lorsqu’à Rennes, la journée des droits des femmes dure un mois avec une visibilité, un affichage sur l’espace public, c’est aussi parce que l’on pense que c’est important. Dans le Rennais s’il y a régulièrement des articles là dessus c’est parce qu’on pense que c’est important. Maintenant on n’est pas toujours les meilleurs pour faire des belles plaquettes et mieux faire connaître nos actions, mais ce n’est pas spécifique à cette politique publique.

On prend l’exemple du 8 mars, c’est la première fois que la presse était conviée à une conférence de presse pour cet événement, à 2 jours de l’événement…

(Manuel Contin, son directeur adjoint de cabinet, intervient : il y a eu une tradition de conférence de presse pendant des années et des années, mais ce que vous décrivez là c’est aussi le manque d’intérêt de vos confrères sur la question, qui a conduit à ne plus organiser systématiquement de conférence de presse, parce que personne n’y venait. Ce qu’on nous renvoyait c’est : « On ne comprend pas, la journée des femmes c’est le 8 mars mais vous ça dure un mois » et « On ne comprend pas qui fait quoi, parce que c’est un mouvement associatif »… On a beaucoup de mal à intéresser les journalistes locaux à ces problématiques là. Et c’est valable sur l’ensemble du champ de la solidarité.)

Pour avoir été première adjointe en charge de la solidarité, je vois bien comment lorsqu’on cherchait à faire connaître ce qu’on faisait, on avait beaucoup de mal à faire venir du monde. On a plus facilement des gens dès qu’il s’agit de présenter une opération urbaine.

Et pourtant : Rennes, ville numéro 1 de l’égalité femmes-hommes, c’est le classement du média national Les Nouvelles News, en mars 2015. 12 réponses sur 50, Rennes est en tête de classement mais…

Et les premiers à répondre ! ça veut bien dire qu’il y a une mobilisation particulière !

Mais on se demande s’il faut se réjouir ou s’il faut s’inquiéter pour le reste de l’Hexagone…

Je fais partie de ceux qui sont résolument optimistes et qui voient toujours le fait que ça progresse. Je pense qu’en étant exemplaire, en communiquant sur le fait que l’on est exemplaire, en montrant comment une ville a des leviers, pas tous les leviers mais des leviers, en participant aux colloques, en étant présents dans les associations d’élu-e-s, en étant présent dans l’association des maires des grandes villes - où on n’est pas beaucoup de femmes - c’est aussi une manière de sensibiliser, d’amener à réfléchir. On est investis dans des réseaux et plutôt que de décrier ce qui n’est pas fait ailleurs, je préfère avoir la fierté de ce qu’on fait et penser que ça peut aussi servir d’aiguillon ou d’inspiration.

Encore une fois, là dessus, il n’y a pas eu grande communication…

Si à chaque fois qu’on était bien placé dans un classement, on faisait un communiqué de presse, les colonnes de vos journaux seraient envahies de nos communiqués de presse (Rires). Mais j’ai relayé l’information sur mon compte Twitter, sur les réseaux sociaux.

(Manuel Contin : c’est un média aussi qui fait le palmarès, c’est toujours délicat de communiquer là dessus auprès des autres médias. Mais l’information a été envoyée aux journalistes locaux, personne n’a traité le sujet.)

Que pensez des propos d’Isabelle Germain, rédactrice en chef des Nouvelles News, pendant le colloque, qui explique : « à Rennes, les associations font plus pression sur les politiques pour ces sujets. » ?

Je pense qu’il y a un tissu associatif plus développé qu’ailleurs et qu’il y a une pratique du dialogue ancien entre les associations et les élu-e-s. Que si elles font pression, c’est tant mieux et c’est leur rôle. Je pense aussi qu’elles font pression mais qu’elles trouvent en nous des interlocuteurs et interlocutrices attentifs et attentives, et qu’il n’y a peut-être pas besoin de trop de pression pour que l’on chemine et que l’on avance ensemble.

Dans les points positifs du classement, il y avait le budget. À combien s’élève-t-il précisément ?

On est incapable de le dire. Il y a effectivement ce qui relève des crédits d’intervention de la mission Droits des femmes et où on va trouver le soutien aux associations, où on va trouver le budget des manifestations du 8 mars, où on va trouver le financement du poste d’assistante sociale au poste de police… Par définition, comme c’est une politique transversale, on ne trouvera pas dans le budget ce qui est fait dans le cadre du périscolaire, sur la lutte contre les clichés, le déterminisme garçons-filles, l’action qui est menée dans les crèches, sur la communication autour de ces questions.

Je ne suis même pas sûre que la marche exploratoire que l’on va mener soit identifiée dans le budget. Donc on n’a pas, objectivement, cette clé de lecture là. Il y en a d’autres des clés de lecture mais celle là n’existe pas dans le budget municipal. Je ne voudrais pas que l’on résume cela en tout cas aux crédits de soutien aux associations. Parce que l’égalité professionnelle, la volonté de promouvoir les femmes à tous les postes de responsabilité ou la garantie de salaires égaux à compétences égales, par exemple, ça ne se chiffre pas.

Dans le questionnaire que vous avez rempli, il y a un chiffre de 85 091 euros…

Ce sont les crédits d’intervention. Uniquement les crédits d’intervention. Mais c’est très en deca de tout ce qui est fait.

On parlait des marches exploratoires, spécifiquement pour les femmes. On en parle depuis très longtemps, au Québec, c’est une pratique courante depuis plus de 20 ans, une conférence organisée par Questions d’égalité avait abordé le sujet en 2012, Najat Vallaud-Belkacem en parlait aussi juste avant de quitter ses fonctions de ministre aux Droits des femmes. Pourquoi attendre si longtemps pour mettre cette marche en place ? Car à Rennes, des marches exploratoires existent déjà…

Oui, les marches existent. On a eu des marches dans les quartiers sur la dimension nocturne par exemple et temps de la ville, ce qui était l’occasion de relever des questions spécifiques pour les femmes. On travaille à des marches exploratoires dans les quartiers pour parler sécurité, éclairage public, capacité des uns et des autres à se sentir bien sur l’espace public.

On parle sans vouloir, et ce ne sera jamais ma tentation, résumer la femme à la mère de famille, n’empêche que c’est plus fréquemment elles qui poussent les poussettes et quand on parle accessibilité, on parle aussi de cette question de l’égalité. C’est vrai que l’on n’avait pas jusqu’alors mis en place de marche exploratoire avec cet unique objet, on va voir comment ça prend. On va expérimenter, en lien avec le ministère des Droits des femmes, ce type de démarche.

Est-ce que vous avez une date ? Puisque ça fait presque un an que l’on nous dit que ça va bientôt arriver…

Non. Il y a peut-être déjà une date mais je n’en ai pas connaissance.

(Manuel Contin : il y a des échanges actuellement avec le ministère. On avait évoqué le premier semestre. Il y a des échanges depuis l’automne en tout cas.)

On termine sur les priorités de demain. Vous avez parlez dans le courrier envoyé à Isabelle Germain, à l’occasion du colloque, d’un « discours anti-féministe auquel on assiste aujourd’hui ». Quelles priorités pour demain, pour justement combattre ce discours anti-féministe ?

Dans un contexte où l’on sait que les choses sont fragiles, en particulier sur cette question du droit des femmes, je n’oublie pas avoir manifesté, ici, place de la Mairie, pour réaffirmer le droit des femmes à disposer de leur corps, en solidarité aux femmes espagnoles mais aussi parce que des leaders de la droite locale déposaient à l’Assemblée nationale des amendements pour le déremboursement de l’IVG. Ils voulaient réintroduire la notion d’IVG de confort. Et ça je considère que ces batailles idéologiques là, il faut les mener, par exemple.

On ne peut pas faire abstraction d’un contexte politique général qui peut être celui d’une défiance vis-à-vis des valeurs républicaines ou de la progression de toutes les idéologies rétrogrades, celles du Front National avec quelques fois des limites qui ne sont pas très claires entre la droite dite classique, même si je ne mets pas tout le monde dans le même panier, et le Front National. Et vraiment sur cette question du droit des femmes, sur la place des femmes, on a vite fait de lire une démarche politique.

Merci beaucoup.

Merci à vous.

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