Célian Ramis

8 mars : Dénoncer les discriminations envers les femmes dans le sport

Posts section: 
Location: 
Champs Libres, Rennes
List image: 
Summary: 
Catherine Louveau, sociologue et professeure en STAPS à l’université de Paris Sud, répondait aux questions de l’animateur Arnaud Wassmer, le 18 mars aux Champs Libres.
Text: 

Si les femmes sont davantage présentes dans les différentes disciplines sportives, les inégalités entre les hommes et les femmes subsistent, et le traitement médiatique révèle de nombreuses discriminations et injustices. Et l’évolution vers un changement de mentalité se fait lente. Trop lente, selon Catherine Louveau, sociologue et professeure en STAPS à l’université de Paris Sud, qui répondait aux questions de l’animateur Arnaud Wassmer, le 18 mars aux Champs Libres.

On ne compte plus le nombre d’ouvrages et de publications auxquels Catherine Louveau a participé. Son domaine d’expertise : le sport et les inégalités entre les femmes et les hommes. C’est d’ailleurs elle qui signe la première biographie du Dictionnaire des féministes – ouvrage collectif dirigé par l’historienne Christine Bard – avec la lettre A comme Abar (Nicole), l’ancienne footballeuse, aujourd’hui très investie dans l’éducation à l’égalité à travers le sport (lire notre article ici).

« En théorie, dans la réglementation, les hommes et les femmes peuvent faire les mêmes sports. Mais en vérité, il y a toujours des enjeux et il n’y a toujours pas de similitude entre les hommes et les femmes. Le sport moderne – c’est-à-dire depuis le milieu du XIXe siècle – reste encore l’école de la virilité. », entame-t-elle en guise d’introduction.

Les bases sont posées. Catherine Louveau n’a pas sa langue dans sa poche et pour elle, les constats ne doivent pas être nuancés de faux espoirs ou de faits exceptionnels. Si les femmes sont de plus en plus nombreuses à intégrer des sports, la pratique n’est pas la même, les tendances dites « lourdes » montrant qu’elles se dirigent vers les pratiques auto-organisées, visant à l’esthétisation du corps (footing, fitness, etc.) là où les hommes s’orientent vers des pratiques en club, en équipe et en compétition.

Pour la sociologue, les hommes ont créé des normes de pratique. Si en moyenne, sur 100 licenciés, seul un tiers des membres sont des femmes, cela s’explique par le regard que porte la société sur le genre féminin. Disputer des matchs, à haut niveau, en short, en sueur, devant un parterre de spectateurs va à l’encontre des assignations de genre.

« Quand Florence Arthaud remporte la Route du Rhum (en 1990, ndlr), Le Parisien titre « Flo, t’es un vrai mec » ! Elle vient de gagner la Route du Rhum et on écrit ça ?! »
s’indigne la conférencière.

Un exemple illustrant parfaitement la différence de traitement, médiatique en l’occurrence, que l’on réserve aux femmes dans le sport.

L’ENJEU DU CORPS

Le corps des femmes est un enjeu crucial dans les rapports de domination entre les sexes. Et dans le domaine sportif, il est brandi comme une excuse scientifique et légitime pour interdire son accès à la gent féminine :

« Les médecins sont généralement très conservateurs sur les attentes qu’ils ont de la féminité et utilisent des arguments du XIXe siècle ! Pour le saut à la perche, certains diront qu’il existe un risque de descente des organes pour les femmes. Et pour le saut à ski, d’autres diront que c’est dangereux pour elles car elles sont destinées à être mères ! Pardon ? Nous ne sommes pas destinées à être mères, nous avons simplement les organes pour l’être. Il y a une différence importante !!! »

Dans les années 1920, le football et le rugby deviennent des disciplines uniquement masculines. Et quand en 1928, on autorise enfin les sportives à participer aux courses en athlétisme, dont les 800 mètres, on constate qu’à l’arrivée, elles sont fatiguées et certaines s’effondrent. « Les journalistes commenteront que ce n’était pas beau à voir. Moralité ? On interdit le 800 mètres jusqu’en 1964 ! », trépigne Catherine Louveau.

Aujourd’hui encore, on constate les disciplines choisies dès la petite enfance sont les reflets des assignations genrées. Si le sport représente dans la majorité des familles françaises un moyen socio-éducatif privilégié, on reste retranché-e-s derrière les clichés : la danse et la gymnastique pour les filles, le football et le judo pour les garçons.

On retrouvera la même correspondance dans les métiers, où les activités « dures, de force, qui demandent du corps à corps, comportent des risques et des dangers » sont encore réservées, dans les mentalités, aux hommes.

« Aujourd’hui, 80% du temps de sport sur les chaines hertziennes - je dis bien chaines hertziennes, je ne parle pas du câble et du satellite – est réservé aux hommes ! Comment voulez-vous avoir envie de quelque chose quand on ne le voit pas ? », s’interroge la sociologue. Les filles ne voient pas, ou si peu, de femmes dans les métiers pensés au masculin, pareil pour le sport (hors Jeux olympiques, précise-t-elle).

Elle qui enseigne à l’UFR STAPS de l’université Paris Sud en a la preuve au fil des années : les étudiantes sont de moins en moins nombreuses.

« En 1ère année, il y a 25% de filles. C’est très peu. Et sur l’ensemble des L1, L2 et L3, on est passé, en peu de temps, de 32 à 28% de filles. »
précise-t-elle.

Elle met les choses au clair : femmes et hommes sont peut-être différents, néanmoins, cela n’empêche en rien l’égalité des droits, dont celui d’être traité-e-s de la même manière. « Il y a une loi contre les discriminations ! Nicole Abar est la seule à avoir saisir le tribunal pour faire condamner le club dans lequel elle entrainait des filles et qui priorisait toujours les garçons. Ce qui a d’ailleurs fait une jurisprudence. C’est la seule affaire !!! », s’insurge Catherine Louveau.

L’APPARENCE AVANT TOUT

Et quand les femmes passent outre les assignations en s’investissant dans une pratique sportive, rares sont celles qui sont médiatisées et reconnues. Car pour être sous les feux des projecteurs, les performances ne sont pas les seuls critères. Arnaud Wassmer évoquera notamment les nombreuses heures de diffusion des équipes féminines de Beach volley à Rio et Catherine Louveau saisira la perche pour poursuivre et renchérir sur les plans fréquents sur les fessiers des joueuses, au tennis notamment :

« Faut-il être sexy et glamour pour être médiatisée ? La réponse est oui. De nombreuses injonctions pèsent sur les sportives avec comme condition de la médiatisation d’être sexy, belles à regarder, voire susceptibles de susciter du désir. »

Elle se désole d’entendre encore des commentaires sexistes sur France Télévisions, notamment de la part de Nelson Monfort ou encore de Philippe Candeloro – « mais celui là devrait être véritablement sorti de France TV » - qui évoquent en premier lieu l’apparence, le charme, le sourire des sportives, avant de parler de ce qu’elles viennent de réaliser.

Mais elle regrette également que les femmes acceptent de revêtir les jupes imposées par certaines fédérations, à l’exception des joueuses de badminton « qui se sont rebiffées contre les jupettes ! » Une pression sociale et culturelle s’exerce sur la plupart des sportives, de qui on attend une certaine féminité. Pour ne plus entendre dire qu’elles sont des garçons manqués, elles ont dû intégrer les codes de l’imposée féminité, à l’instar du maquillage, des cheveux longs ou encore du vernis à ongle.

LES VRAIES FEMMES

« C’est une violence terrible de devoir se justifier sans cesse ! Prenez l’exemple du rugby. Les premières lignes doivent être costaudes et les personnes à l’arrière, plus légères, pour courir. Les filles dans les premières lignes, il faudrait qu’elles soient comme les gymnastes ou les danseuses ? C’est insensé ! On ne pense pas à la pluralité des corps et des morphologies. Il y a des morphotypes et il y a des féminités différentes. Comme il y a des jeunes, des grands, des petits, des plus âgés… Mais c’est discriminatoire car cela ne s’adresse qu’aux femmes, surtout si elles sont médiatisées. », signale la sociologue.

Un exemple frappant pour elle : Serena et Venus Williams d’un côté, Amélie Mauresmo de l’autre. Toutes les trois sont ou ont été des grandes joueuses de tennis. Toutes les trois très musclées. Les deux premières disputent leurs sets parées d’une robe ou d’une jupette et apparaissent souvent maquillées, signes de parures associées au féminin. La troisième joue les matchs sur le cour en short et débardeur. Et le grand public sait qu’elle est homosexuelle.

« Du jour au lendemain, des joueuses, comme Hingis et Davenport, ont commencé à dire, en parlant de Mauresmo, qu’elles avaient l’impression de jouer contre un homme. Vous voyez comment se font les glissements ? On a commencé à dire qu’elle n’était plus une vraie femme, et même, qu’elle serait peut-être un homme. Qu’est-ce que ça veut dire ? C’est quoi une vraie femme ? », interpelle Catherine Louveau.

Autre cas, toujours dans le tennis, celui de Marion Bartoli. En 2013, elle gagne Wimbledon. Un journaliste anglais commente son physique : la joueuse de tennis n’est pas « canon » car elle est costaude. Ce à quoi elle répondra qu’elle n’a pas rêvé de devenir mannequin mais de remporter ce tournoi. « Voilà. Point. Elles ne sont pas là pour être jolies. Ni pour faire joli. », scande la conférencière.

Elle conclut sur un bilan peu reluisant. Les salaires sont, comme dans le reste de la société, inégaux, obligeant la majorité des sportives à poursuivre un autre travail en parallèle. Idem pour les subventions, obligeant alors les équipes féminines à payer leurs déplacements pour aller disputer les matchs extérieurs. Moins de dix femmes dirigent des fédérations sportives ou entrainent des équipes de haut niveau.

Et quand on observe l’éducation des petites filles et des petits garçons, on s’aperçoit clairement que seuls ces derniers sont rapidement éduqués à la motricité – ce que déclare Nicole Abar depuis de nombreuses années - grâce aux jeux de ballons, qu’on leur envoie au pied, tandis qu’on l’enverra à la main pour les filles.

De plus, les contrôles de féminité sont toujours en vigueur avec une batterie de tests visant à confirmer que la personne - dont on doute de l’identité sexuée, en raison de sa morphologie ou de ses performances – est bien un homme ou une femme.

« Le problème, c’est que les joueuses ne râlent pas et ne dénoncent pas les injustices et discriminations. Généralement, elles ne veulent pas se revendiquer féministes car elles doivent passer leur temps à dire et prouver qu’elles sont des « vraies femmes » ! »
regrette Catherine Louveau.

Pour elle, la loi Vallaud Belkacem, datant de 2014 et obligeant les instances à la parité, doit être prise au sérieux et respectée. En imposant des quotas, les mentalités devraient changer. Et surtout, du côté des femmes qui prendront alors confiance en elles :

« Le gros problème des femmes, c’est l’estime de soi, la confiance en soi. Mais on est tout autant capables que les hommes. Les compétences n’ont pas de sexe. »

 

Mille et une films

Sur les traces de la civilisation d'Islam

Posts section: 
Location: 
Ciné TNB, Rennes
List image: 
Summary: 
Le long-métrage documentaire de Bénédicte Pagnot, Islam pour mémoire, sort au cinéma le 22 mars, au ciné-TNB à Rennes. La réalisatrice rennaise nous emmène à la découverte de l’Islam et ses arts, sa poésie et son altérité.
Text: 

Présenté en avant-première le 4 décembre dernier au ciné TNB, le long-métrage documentaire de Bénédicte Pagnot, Islam pour mémoire, sort au cinéma le 22 mars. La réalisatrice rennaise nous emmène à la découverte de l’Islam et ses arts, sa poésie et son altérité.

« Vous parlez à la radio / Je vous entends sans vous écouter / Vous parlez à la radio / Je vous écoute sans vous comprendre / Vous parlez à la radio / Je vous écoute et je prends conscience de mon ignorance de l’islam et surtout de l’ignorance de mon ignorance de l’islam / Je décide de vous lire / je vous lis parfois avec difficultés souvent / Je vous lis souvent avec difficultés parfois / Je comprends que votre islam est avec un grand I / S’ouvre à moi un champ immense / Infini (…)

Je m’endors en trouvant enfin le mot juste pour vous définir dans mon film « éclaireur » / Je me réveille en entendant des nouvelles affreuses de Jérusalem / Puis j’apprends votre mort / Pendant la nuit, mon éclaireur s’est éteint ».

Ce sont les mots empreints de tendresse que Bénédicte Pagnot a écrit en novembre 2014, sur son blog, dans une lettre adressée à Abdelwahab Meddeb. L’écrivain, poète et animateur radio franco-tunisien est à l’origine du nouveau long-métrage de la réalisatrice des Lendemains (2012).

Elle, explique-t-elle au début du documentaire, est française, athée, née en 1970 et sait à propos de l’Islam ce que tout le monde sait ou presque, soit le fait d’avoir les pieds nus dans une mosquée et la tête couverte si l’on est une femme. Elle, qui s’interrogeait sur la différence entre un niqab et une burqa, sur ce que sont l’Orient et l’Occident et sur l’intérêt que Dieu aurait à semer une telle pagaille sur terre, va plonger dans un voyage en Islam, d’abord aux côtés de l’intellectuel qui la fascine et qui contait à l’époque de son vivant les Cultures d’Islam sur France Culture, réfutant l’Islam des « assassins de l’altérité ».

LA DÉCOUVERTE D'UN HOMME

Il y a 6 ans en écoutant la radio, Bénédicte Pagnot est intriguée par cet homme dont elle aime la voix et la façon de parler. Elle tend l’oreille et s’interroge. Abdelwahab Meddeb évoque les cultures d’Islam, sans parler religion. Elle se met alors à lire ses livres, compliqués à comprendre, néanmoins, elle s’y attèle avec une soif de découverte. Et finit par lui écrire un courrier lui expliquant son envie de faire un film avec lui.

« Il a téléphoné, je lui ai envoyé les films que j’avais déjà fait et il a dit ok. Je suis allée assister à un cours qu’il donnait à l’université de Nanterre, avec une classe de Licence 3, sur les Mille et une nuits. C’était impressionnant, sa classe était super métissée. On a tourné des choses dès 2011 car il allait arrêter d’enseigner. On s’est vus de temps en temps et on parlait par mail et téléphone. Puis j’ai tourné Les lendemains donc le projet a été suspendu pendant environ un an et demi avant de reprendre. », se remémore la réalisatrice.

Ainsi, en 2013, ils se rendent ensemble en Israël et en Palestine, avant de poursuivre son chemin, seule, après le décès du poète. Elle qui dans sa jeunesse n’était pas une grande voyageuse et qui gardait quelques mauvais souvenirs de certaines escapades a repris goût à l’aventure. Sans jamais préparer sa venue, au niveau des rencontres.

« Cela se faisait complètement par hasard. En me baladant, je rencontrais des gens, j’expliquais ce que je faisais et ils me faisaient découvrir des endroits ou d’autres personnes. Tout était hyper simple, bien plus que pour vendre le projet, même pour filmer, c’était plus facile qu’en France. », explique-t-elle.

Elle note que dans les pays musulmans parler de l’Islam est bien plus évident et serein que dans l’Hexagone : « Forcément, c’est leur quotidien. Ils n’imaginent pas qu’ici on est arrivés à en faire un tel problème. »

De ses rencontres, de ses voyages et des écrits et dires d’Abdelwahab Meddeb, elle pioche citations, témoignages et paysages. Pour construire un film documentaire pensé de manière composite et non linéaire.

LA DÉCOUVERTE D'UNE CIVILISATION

Pour donner à voir, sentir, saisir, proposer un avant-goût de l’étendue de la civilisation islamique. De son immensité, tout comme de sa complexité. Ce qui rend un long-métrage pas toujours aisé à suivre mais qui tend à nous intéresser à l’essence et à la vitalité de cette civilisation que l’on ignore, voire que l’on méprend en raison des nombreux amalgames et raccourcis que l’on en fait. Sans occulter les conséquences des pensées extrémistes, soi-disant au nom de la religion.

En Tunisie, en Iran, en Cisjordanie, en Espagne, aux Emirats Arabes ou encore en Israël, Bénédicte Pagnot poursuit la thèse du poète franco-tunisien, pour qui « une des façons de lutter contre l’intégrisme est de reconnaître à l’Islam ses complexités et ses apports à l’universalité.» Pour cela, « il faut en effet l’approcher comme civilisation et comme religion. »

Et poursuivre, dans une démarche collective et globale, l’étude des ouvrages exhumés qui sans cesse réinterrogent les interprétations diverses et les quelques vérités que l’on pense détenir à ce sujet.

Bénédicte Pagnot se souvient : « Abdelwahab Meddeb était pris entre espoir et fatigue à la fin de sa vie. Il voyait tout ce qui se passait, à quel point lui et plein d’autres se battaient pour souligner l’importance de l’urgence à lutter contre l’intégrisme et favoriser la prise de conscience. Il a été très optimiste lors de la Révolution tunisienne, il s’est tout de suite rendu sur place car il a trouvé ça très beau, c’était un vrai mouvement populaire. Il était super optimiste quant à la jeunesse et moi aussi, j’ai été épatée par la curiosité et l’entrain des jeunes gens rencontrés. »

Elle, qui auparavant ignorait absolument tout de la civilisation islamique, selon ses propres mots, a maintenant la nette certitude qu’il faut plus que jamais combattre nos préjugés et qu’il est fondamental de s’intéresser et d’être informé-e-s que d’autres civilisations – pas uniquement les grecs et les latins – existent et perdurent. Pour enfin accepter.

« Les ennemis ne sont pas là où on nous dit qu’ils sont. Le djihadisme se place du côté de la mort. Mais c’est une minorité qui n’a rien à voir. Sans être du genre à catégoriser les gens ou à être d’accord avec l’idée qu’il y aurait un choc des cultures et des civilisations, on en est malheureusement imprégné-e-s. Ça pénètre en nous, c’est tordu, s’exclame-t-elle. Ce que j’ai éprouvé, c’est que c’est archi faux et qu’il faut qu’on apprenne vraiment à s’écouter pour que tous les stigmates et clichés disparaissent de nos cerveaux. On est tous pareils ! C’est ridicule de dire ça comme ça, mais c’est la vérité. On a exactement les mêmes envies, les mêmes motivations humanistes. Nous sommes, en majorité, du côté de la vie. »

Voilà pourquoi dans Islam pour mémoire, poésies, musiques, citations et témoignages se mêlent aux milles paysages de cet Islam dépassionné présenté par la réalisatrice qui le replace ainsi dans son entièreté et son contexte global.

A découvrir dès le 22 mars, au Ciné-TNB à Rennes, tous les jours à 15h30 et 19h30.

Célian Ramis

Mythos 2017 : Le fils, création militante et bouleversante

Posts section: 
Location: 
Théâtre de l'Aire Libre
List image: 
Summary: 
Emmanuelle Hiron joue une femme, mère, catho et bourgeoise qui s'engage et se radicalise, dans la création Le fils, écrite par Marine Bachelot Nguyen et mise en scène par David Gauchard, à découvrir les 6 et 7 avril, à l'Aire Libre.
Text: 

L’an dernier, elle s’engageait dans la Manif pour tous et des groupes anti-avortement et ressentait l’exaltation de l’accomplissement et de l’ascension sociale. Depuis, qu’est devenue cette femme, mère de famille, pharmacienne, bourgeoise, catholique et nouvellement militante ?

Écrite par Marine Bachelot Nguyen et mise en scène par David Gauchard, la pièce Le fils avait dévoilé sa première partie à travers une lecture – réalisée par la comédienne Emmanuelle Hiron – lors de l’édition 2016 de Mythos. Cette année, l’intégralité de la création sera présentée les 6 et 7 avril, au théâtre de l’Aire libre, à St Jacques de la Lande, lors du festival des arts de la parole.

David Gauchard, metteur en scène, collabore pour la première fois avec l’auteure et metteuse en scène Marine Bachelot Nguyen. Et l’avant-goût qu’ils nous ont proposé l’an dernier à la Parcheminerie était délicieux. Poignant, criant de vérités, original et intelligent. Avec une écriture franche et sincère, teintée d’humour et d’émotions. Basée sur un fait d’actualité aussi terrible qu’intéressant, sociologiquement parlant, cette première partie nous emportait dans une histoire qu’on voudrait être inventée de toute part.

Cette histoire, David Gauchard en est à l’initiative dans le processus de création. En 2011, en allant chercher sa fille à l’école, il est marqué par un événement. Dans la rue St Hélier à Rennes, l’accès est bloqué. Et pour cause, le 10 novembre se joue une pièce de Castellucci jugée blasphématoire par le mouvement Civitas qui manifeste son mécontentement de la place de Bretagne au TNB.

« De ce mouvement jusqu’à la Manif pour tous, j’avais envie de raconter ça. On discute donc avec Marine depuis 6-7 mois. La fin est encore à inventer. Mais on voudrait le présenter avant mai 2017 et les élections. », avait-il expliqué avant de laisser la parole à Marine Bachelot Nguyen, elle-même marquée par l’événement en question et engagée pour les droits des femmes et des LGBTI :

« Je suis intéressée par la socio-politique, le documentaire et la fiction. Et ça m’intéresse aussi la question du glissement idéologique et de la radicalisation dans les milieux de droite. Voir comment on raconte ça ensuite. »

LA CRÉATION DANS SON INTÉGRALITÉ

Depuis, la pièce a fait son chemin. La première partie a été lue au festival d’Avignon, des résidences ont eu lieu, de nombreuses conversations ont réunies David Gauchard, Marine Bachelot Nguyen et Emmanuelle Hiron et la création, dont la version finale a été aboutie en octobre 2016 et a vu s’imbriquer les partitions d’Olivier Mellano jouées par un enfant claveciniste, a été dévoilée entièrement à Limoges en février dernier.

À présent, la comédienne ne lit plus. Elle s’est rendue avec l’auteure à la messe pour s’imprégner du vocabulaire religieux et jouer cette mère de famille qui se raconte et qui livre en deuxième partie le drame qu’elle a vécu.

« C’est une partie plus tendue, presque au présent. Elle évoque la raison pour laquelle elle se raconte. Elle revit les événements. C’est une partie plus violente. La première était déjà violente mais là c’est dans les mots et dans ce que ça provoque chez elle et les spectateurs. », confie Emmanuelle Hiron.

Pour la créatrice des Résidents – pièce jouée à l’occasion de l’édition 2014 de Mythos – pas évident d’incarner cette figure aux convictions diamétralement opposées aux siennes :

« C’est assez éprouvant de jouer ce personnage, qui est un personnage de théâtre inspiré de plein de faits réels, car l’histoire est éprouvante et que ce personnage nous a demandé de nous déplacer dans nos convictions personnelles. Et d’entrer en empathie avec cette femme. »

BOULEVERSEMENT ET QUESTIONNEMENT

En effet, Marine Bachelot Nguyen, de sa plume, fait émerger une personnalité complexe, composée de petites lâchetés ordinaires, prise d’émoi pour l’ascension sociale au nom de laquelle elle va s’engager dans la Manif pour tous et des groupes anti-avortement. Au fil du récit, elle s’accomplit et s’épanouit jusqu’à vivre la dramatique perte d’un de ses deux fils.

La pièce amène au bouleversement intérieur. Et au questionnement. « Est-ce qu’on va vers elle ? Est-ce avant tout une mère ? Une militante ? Quel impact le combat militant a sur les autres ? Est-ce qu’elle est responsable ? Quel est le poids de l’engagement ? Ce qu’elle vit est tragique mais ça reste une mère, les événements en plus sont proches, on est proches des élections et on voit bien les programmes proposés par Fillon ou Le Pen. Quand est-ce que tu décides que ton militantisme ou ton ascension sociale prend le pas sur ton rôle de mère ? Mais est-ce qu’elle se rend compte qu’elle prône la haine ? À cet instant, pour elle, c’est positif. Mais dans la réalité, quand tu empêches les autres d’être dans leurs bons droits, ça commence à être de l’extrémisme. », interpelle la comédienne.

Le rôle est éprouvant pour elle mais elle est fière de porter le texte « très beau, très écrit, facile à comprendre et très digeste » de l’artiste engagée qu’est Marine Bachelot Nguyen. Fière de toutes les interrogations que l’histoire racontée soulève. Remuée aussi. Car il en va de la responsabilité individuelle face à nos engagements. La pièce parle des rencontres que l’on fait, des choix aussi que l’on fait, du fait de se réaliser ou pas, des libertés.

OUVRIR LE DÉBAT

Jouer cette création avant et pendant les élections présidentielles est une volonté du metteur en scène : « On est dans une période déjà super décomplexée mais à l’approche des élections, les tensions sont vives et les gens sortent du bois. Ça l’intéressait beaucoup. Entendre résonner ça dans un théâtre, ça choque, on se dit qu’elle est folle. Mais David avait vraiment aussi cette volonté de prendre un personnage à contrepied de quelqu’un qu’on aurait envie de défendre. Ça pousse le spectateur à se poser des questions. », argumente Emmanuelle Hiron.

D’autant plus que l’auteure ne tombe pas dans la caricature. Elle explore une partie de la vie de cette femme, la dévoile, creuse dans son intimité et son engagement, sa vision d’elle en tant que mère, commerçante, épouse, femme d’un milieu bourgeois, etc. Elle donne l’occasion à son personnage de se raconter et aux spectateurs de ressentir de l’empathie, sans toutefois la déresponsabiliser ou l’excuser de son glissement idéologique.

Elle nous prend aux tripes de notre humanité pour nous interroger les un-e-s et les autres. Montrer les rouages de la radicalisation. Et susciter le débat et l’échange. Comme tel sera le cas lors de leurs représentations à la Maison des Métallos à Paris (où Emmanuelle Hiron jouera Les résidents du 21 au 26 mars) du 28 mars au 2 avril. Une rencontre aura lieu avec l’équipe artistique du spectacle le 30 mars et une autre avec Marine Bachelot Nguyen, David Gauchard et les membres du mouvement homosexuel chrétien David et Jonathan, le 1er avril.

 

Lire « Mythos 2016 : Fascinante figure de mère, bourgeoise et catho » sur yeggmag.fr

Célian Ramis

8 mars : D'ici ou d'ailleurs, les voix des femmes en exil

Posts section: 
Location: 
Maison Internationale de Rennes
List image: 
Summary: 
Le 10 mars, à la MIR, l’ethnologue et docteure en sciences de l’éducation Françoise Sérandour contait la conception de l’ouvrage Femmes voix de libertés d’ici et Ailleurs, né de plusieurs ateliers d’écriture collective.
Text: 

Vendredi 10 mars,  à la Maison internationale de Rennes, l’ethnologue et docteure en sciences de l’éducation Françoise Sérandour contait la conception de l’ouvrage Femmes voix de libertés d’ici et Ailleurs, né de plusieurs ateliers d’écriture collective.

Évoquer les femmes, leurs souffrances, leurs droits et leurs désirs de libertés à travers un livre de littérature et de poésie, objet de plaisir, de jouissance, d’interrogations et de bouleversements personnels, c’est de cette volonté que Françoise Sérandour s’est parée pour construire son ouvrage, publié aux éditions L’Harmattan, en juillet 2016.

Ethnologue, docteure en sciences de l’éducation, enseignante, conteuse, elle évoque les deux raisons principales qui lui ont donné envie de le faire publier : la promesse de transmission et la passion de l’écriture. Pour partager les sentiments des sœurs en lutte, continuer la lutte pour les droits des femmes et « transmettre la force extraordinaire, inouïe, des femmes – et d’un homme dans le livre – pour moi mais aussi pour elles-mêmes. »

Au fil des ateliers d’écriture collective, que ce soit à Agadir avec des femmes analphabètes et une sociologue ou à la MIR (d’où sortira Femmes sans frontières, voix en exil, en 2013) à l’occasion du projet Marrainage – porté par Eva Roué dans l’objectif d’accompagner des personnes étrangères ou se sentant comme étrangères dans l’aboutissement de leurs projets – il en ressort des récits de vie dans lesquels s’imbriquent réalité, poésie, langues d’ici et d’ailleurs et fiction.

Elles sont de différentes nationalités, de différents continents, ont été contraintes ou non à l’exil – un exil plus ou moins proche -, explorent leur(s) identités et leurs voix résonnent dans les mots qu’elles ont pris le temps et le soin de penser, dans le silence dans un premier temps, puis d’écrire, voire de lire par la suite. Elles y couchent leurs mémoires, souvenirs, ressentis et sentiments. Et au son de leur prose, on voyage, on frissonne, on sourit et on en ressort bouleversé-e-s.

Les textes livrent des vécus et pénètrent l’intimité de toutes les créatrices qui ouvrent la porte de leur lieu. Comme Virginia Woolf parle d’Une chambre à soi et Marie Darrieussecq d’Un lieu à soi (traduction d’un livre de Virginia Woolf), Françoise Sérandour appelle cela « la chambre de lumière. »

L’écrivaine conte la construction de Femmes voix de libertés d’ici ou Ailleurs comme une aventure en soi, qu’elle entrecoupe de flash back, de lecture d’extraits et d’explications autour de la méthode.

« On part de la réalité et on travaille avec son imaginaire. Pour en arriver à la symbolique, la nuance, le sensible, la distance. Les images aident aussi car il est difficile de travailler un texte en français alors qu’on parle une langue différente. Moi je ne travaille jamais seule, je suis toujours entourée d’auteur-e-s, poète-sse-s, écrivain-e-s, musicien-ne-s…»
souligne-t-elle.

Pour encadrer les récits collectifs poétiques et les récits de vie entrecroisés, Françoise Sérandour relate une légende et une nouvelle qu’elle affectionne particulièrement, La fille du grand serpent et la nuit et Parfum de jasmin blanc. Elle convoque Roland Barthes, quand ce n’est pas Virginia Woolf, pour expliquer le sens des paroles et l’importance de l’oralité qui, toujours, disent une réalité ou livrent une compréhension du monde.

Et parce que la liberté est chantée par les poètes depuis la nuit des temps, comme l’écrira Ghania Bouccekine, présidente de la MIR, dans la préface du bouquin, la conteuse a choisi d’y inscrire la légende de La fille au grand serpent et la nuit. Une légende de sagesse, selon elle, « qui est le premier texte où il est dit et montré que les femmes savent autant s’adapter. Quand elles doivent ou décident de partir, elles retrouvent leur capacité d’adaptation et de création ».

Une histoire qui ne peut qu’illustrer parfaitement les propos suivants à mesure que l’on tourne les pages jusqu’à saisir l’introspection finale. Et rien de mieux pour clôturer cette soirée, aussi bien que le bouquin, qu’avec la lecture d’un témoignage du seul homme participant au projet de la MIR, de certains poèmes sensibles et émouvants et de chants arméniens.

 

Célian Ramis

8 mars : Le féminisme de la frontière contre le maternalisme politique

Posts section: 
Location: 
Maison Internationale de Rennes
List image: 
Summary: 
Soumaya Mestiri, philosophe à l’université de Tunis, présentait son ouvrage "Décoloniser le féminisme, une approche transculturelle", aux côtés de l’anthropologue et historienne Jocelyne Dakhlia, le 8 mars à la MIR.
Text: 

Elle appelle à en finir avec l’hégémonie du féminisme majoritaire, blanc et occidental, et à questionner les traditions orientales pour tendre vers un féminisme de la frontière, plus solidaire et horizontal.

Soumaya Mestiri, philosophe et professeure de philosophie à l’université de Tunis, était l’invitée de la librairie Planète Io pour présenter son ouvrage Décoloniser le féminisme, une approche transculturelle, aux côtés de l’anthropologue et historienne franco-tunisienne Jocelyne Dakhlia, le 8 mars dernier à la Maison internationale de Rennes.

« Ne me libère pas, je m’en charge ». Elle ne le dira pas durant ce temps d’échanges mais l’esprit de ce slogan, emprunt d’émancipation, résonnera dans les esprits au fil de son discours. Pour Soumaya Mestiri, exit le féminisme universaliste d’Elisabeth Badinter ou Caroline Fourest.

Elle pose le diagnostic qu’il existe un féminisme majoritaire, blanc, occidentalo-centré, « qui défend un certain mode de vie et qui tente de l’imposer à toutes les femmes en dépit de leur diversité. C’est une vision bien particulière de la liberté. Celles et ceux qui établissent ce diagnostic sont souvent stigmatisé-e-s. »

DÉCOLONISER LE FÉMINISME 

Décoloniser – terme qu’elle estime galvaudé, souvent vidé de sa substance et de son potentiel subversif et qui attise la rancœur – revient pour la philosophe à déconstruire, soit repérer les non dits, les hiatus, exhiber les préjugés inhérents au féminisme majoritaire blanc.

« Il faut déconstruire les discours et approches féministes appréhendés comme voulant être inclusifs alors qu’ils ne le sont pas. Il s’agit là de critiquer aussi bien le caractère colonial de ce féminisme mais aussi de critiquer sa propre tradition orientale. »
souligne-t-elle.

La pensée décoloniale, qui se distingue des études postcoloniales, ne nie ni ne rejette l’Occident. Mais il s’agit de lutter contre la verticalité des relations, qui revient souvent à engendrer un nouveau rapport de domination. Et dans les féminismes, qu’il provienne de l’Occident ou non, on reprochera souvent le « maternalisme politique, souvent vertical et élitiste, qui se donne pour mission de prendre en charge les femmes et leur faire comprendre ce qu’elles n’ont soi-disant pas compris. »

Pour Jocelyne Dakhlia, « nous sommes à un tournant. Durant le XXe siècle, on a fonctionné de manière convergente. Tous les Suds étaient dans la catégorie Tiers monde et devaient agir comme l’Occident pour avancer, en suivant la logique émancipatrice (par le haut, par les lois, par les interdits). En Occident, on continue de penser qu’on est le modèle tandis que les autres réfléchissent à d’autres moyens. »

La sociologue Zahra Ali, auteure de l’essai Féminismes islamiques, défend également l’idée d’un féminisme décolonial pour tendre vers un féminisme international et pluriel. Lors d’un entretien à la revue Ballast, elle définit ce concept :

« Décoloniser le féminisme veut dire reconnaître les dimensions de classe et de race dans la pensée féministe hégémonique, et mettre à l’égalité les différentes expressions de la lutte contre le patriarcat, sans supposer une forme linéaire d’évolution des formes de luttes sociales et politiques. »

ACCEPTER LA PLURALITÉ

Elle prône, dans cette même interview, l’intersectionnnalité des luttes, la reconnaissance de la pluralité des expressions de l’émancipation des femmes et des hommes, la prise en compte des différentes dimensions de l’oppression et des inégalités.

« J’aime cette idée de Chandra Talpade Mohanty qui dit qu’être féministe, c’est reste « au plus près » des réalités – et donc les analyser telles qu’elles émergent, et non à partir d’un schéma idéologique ou politique préétabli. Il faut écouter et être attentif à la souffrance pour ce qu’elle est, et non pas uniquement à partir de notre manière personnelle et située de la vivre et de la définir. Commencer par se situer soi-même est essentiel. Situer sa parole, situer d’où l’on parle, plutôt que d’universaliser ses énoncés, est une première étape. Tout le monde est situé socialement, économiquement, politiquement, etc. », explique Zahra Ali.

Et comme dans les féminismes occidentaux laïcs, les féminismes religieux sont pluriels. En Tunisie, Soumaya Mestiri distingue le féminisme islamique du féminisme musulman. Le premier serait issu de la diaspora islamique : « C’est un parti de femmes islamiques. Elles n’essayent pas de faire avancer les choses ou à promouvoir la cause des femmes musulmanes à la manière du féminisme musulman qui essaye lui de déconstruire les lectures et interprétations du Coran et à en comprendre le patriarcat. »

Si le second lui apparaît comme plus propice à l’émancipation, elle ne lui voit pas un avenir prospère. Au contraire de Jocelyne Dakhlia qui, elle, voit en ce féminisme un mouvement positif.

« Le problème, c’est que l’on envisage le féminisme comme le dernier refuge anti-colonial. Tout le blocage n’est pas dans la religion musulmane. Si on regarde la France, voyez la Manif pour tous, si on regarde la Pologne et sa tentative de recul sur l’IVG… Moi, je pense qu’il y a aussi des bonnes choses, le féminisme religieux compte aussi, on peut prendre l’exemple du travail anglican, des femmes ordonnées rabbins, évêques, etc. En Tunisie, le féminisme musulman est un mouvement embryonnaire. Mais il est important de mettre en lumière le dynamisme de ce mouvement qui montre que l’on peut interpréter les textes et qui montre qu’il y a des générations pour qui on peut être homosexuel-le-s et musulman-e-s, prier ensemble et que les femmes peuvent diriger la prière devant les hommes. Cela aide à faire bouger les lignes. Il existe des mosquées inclusives LGBT mais on n’en parle pas. L’Islam peut être new age, écolo… On se dit que ce n’est pas l’Islam mais si. », souligne-t-elle.

Sans oublier que le danger réside dans la récupération politique que certains partis effectuent sans vergogne. En ligne de mire, le Front National, qui instrumentalise actuellement le féminisme, un point que le réalisateur Lucas Belvaux ne manque pas de mettre en perspective dans son dernier film, Chez nous (lire Chez nous, les rouages néfastes d’un parti extrémiste – 20/02/2017 – yeggmag.fr).

« Lorsque les politiques disent dans leurs discours « Nous, nos femmes sont libres », ils insinuent clairement les autres, les orientales en autre, ne le sont pas. »
précise l’anthropologue.

L’OCCIDENT CONTRE L’ISLAM

Deux exemples illustrent leurs propos. Tout d’abord, la manière dont les banlieues ont été pensées en France. Non pas en tant que monde en soi mais comme marge avec un dysfonctionnement structurel. « D’emblée, on a pensé que les femmes des banlieues étaient les bons éléments à extraire. Une étude sur « la beurrette » l’a montrée comme une fille docile qi ne demande qu’à s’intégrer. Mais la réalité est que les mêmes problèmes se posent pour les filles et les garçons. Cela a provoqué un rejet massif des banlieues et des filles qui ont eu le culot de se voiler. », analyse Jocelyne Dakhlia.

Et la création de Ni putes, ni soumises n’y changera rien. Loin de là, souligne-t-elle en précisant que l’association a été « parachutée par le politique, dans une logique de stigmatisation des gens qu’ils ont prétendus aider. »

Autre exemple plus récent, celui des agressions survenues la nuit de la Saint Sylvestre, en 2015, à Cologne en Allemagne. Ou plutôt celui des réactions à cette affaire. Bon nombre de polémiques divisant sur le sexisme ou le racisme qu’il en ressortait. Et ce qui a particulièrement choqué Jocelyne : l’article de Kamel Daoud, écrivain algérien, publié dans le journal Le Monde, qui se plaçait selon elle dans une perspective coloniale :

« Il disait clairement aux Occidentaux que s’ils accueillaient des orientaux, il fallait les rééduquer. Cela a créé un malaise profond. »

Elle remet les choses dans leur contexte. La France est choquée des attentats du 13 novembre et se défoule, après que la population se soit vue interdite de manifestation, à cause de l’état d’urgence. Au même moment, un million de réfugiés étaient en train d’être accueillis en Allemagne « alors que personne en Europe n’en voulait. » L’affaire devient alors l’occasion de brandir la haine contre les musulmans.

« La femme blanche contre l’homme de couleur. On ne parle que des femmes allemandes. Où étaient les hommes allemands ? Qu’en est-il des femmes réfugiées ? À cette période, un foyer de femmes réfugiées a porté plainte contre les gardiens qui les ont filmées sous la douche ou en train d’allaiter. Et a aussi porté plainte pour harcèlement. Ça, on n’en a pas parlé. On aborde le sujet quand les victimes sont des femmes blanches et les bourreaux des réfugiés. Mais quand les victimes sont des réfugiées contre des bourreaux blancs, non. On instrumentalise le corps des femmes blanches et la cause féministe contre l’accueil des réfugiés et contre le politique d’accueil d’Angela Merkel. », commente-t-elle.

L’ALTERNATIVE : LE FÉMINISME DE LA FRONTIÈRE

Les deux expertes se rejoignent : la morale du Nord en direction du Sud doit cesser. Soumaya Mestiri insiste, le féminisme de la frontière peut permettre une cohabitation harmonieuse entre les Nords et les Suds. Elle établit une distinction entre « à la frontière » et « de la frontière ».

La première notion prétend hypocritement prendre en compte la différence et la diversité. Mais, à l’instar du féminisme majoritaire occidentalo-centré et du féminisme islamique, elle « reproduit généralement la dichotomie qu’elle dit vouloir dépasser. Si c’était le cas, chacun opérerait une double critique comme on le fait ici mais chacun ne fait au moins qu’une seule critique. »

La seconde notion, celle qu’elle prône, propose d’habiter la frontière.

« Comme on dit « je suis de Rennes », on dirait « je suis de la frontière », sans gommer les frontières et sans les reconstruire de manière figée et manichéenne.»
souligne-t-elle.

Pour Soumaya, les vécus, expériences et narrations sont incommensurables.

Le féminisme de la frontière ne revendique pas la compréhension mais l’acceptation, pour vivre ensemble. « On n’a pas besoin de nous retrouver les unes dans les autres mais de nous trouver dans notre diversité. Pour moi, il est important d’essayer de remplacer l’égalité par la réciprocité, qui est une manière de penser la solidarité au plus juste et de penser horizontal. Il faut casser la verticalité : les élites qui s’adressent à des peuples qui ne connaitraient soi-disant pas leurs droits. En finir avec le maternalisme politique visant à sauver les femmes d’elles-mêmes et de leurs males basanés. », conclut Soumaya Mestiri.

Elle le sait, son constat peut s’avérer violent et paraître agressif. En tout cas, il suscite interrogations et débats. Voire vives contestations. Pourtant, il est essentiel de l’entendre. Pour interroger ses propres pratiques et tendre vers une remise en question essentielle pour envisager les féminismes avec une approche plus inclusive et davantage orientée vers l’intersectionnalité des luttes.

Célian Ramis

Encrages, l'art solidaire

Posts section: 
Location: 
Hôtel Pasteur, Rennes
List image: 
Summary: 
L'association Encrages organisera ce dimanche 12 mars à l'Hôtel Pasteur, une expo-vente solidaire au profit des réfugiés. Une action citoyenne naissante dont nous parle Andrée Prigent, illustratrice à l'initiative de l'événement.
Main images: 
Text: 

L'association Encrages organisera ce dimanche 12 mars à l'Hôtel Pasteur, une expo-vente solidaire au profit des réfugiés. Parmi les organisatrices de cet événement à Rennes, l'illustratrice Andrée Prigent, que nous avons rencontrée pour l'occasion, témoigne de cette action citoyenne naissante.

Face à une actualité de plus en plus préoccupante concernant les réfugiés en France, plusieurs initiatives citoyennes se mettent en place pour préparer leur accueil. C'est le cas de l'association Encrages, créée en novembre 2016 à Paris, par l'actuelle Présidente Judith Gueyfier.

Réunissant de nombreux illustrateur-trice-s et bénévoles, l'association organise des ventes d'illustrations solidaires, au profit de l'accueil des réfugiés, les sommes récoltées étant redistribuées aux associations locales. À Rennes, cette initiative a été reprise par l'illustratrice Andrée Prigent, désireuse de faire avancer les choses concernant l'accueil des réfugiés, qu'elle juge « catastrophique » à Paris.

« J'ai été confrontée à des choses qui n'existent pas à Rennes, comme par exemple des femmes et des gamins seul-e-s  qui dorment à même le sol. Ici [à Rennes], tout le monde est logé, décrit-elle. J'ai eu envie de reprendre l'idée des expo-ventes pour participer au mouvement»
explique Andrée Prigent.

Au départ seule organisatrice du projet, elle est rapidement rejointe par Laurence Coste, programmatrice culturelle, Katell Merrien, animatrice socio-linguistique auprès des réfugiés et Jessie Magana, auteure. Avec l'appui de l'association Encrages, près de 80 artistes ont répondu à l'appel en faisant don d'une ou plusieurs œuvres, qui seront vendues lors de cette journée.

L'expo-vente sera aussi animée par plusieurs ateliers artistiques, avec la présence des associations rennaises comme la Cimade, qui informeront les visiteurs de leurs actions. De plus, l’événement est soutenu par de nombreux partenaires, dont la librairie jeunesse, La Courte Échelle, qui s'occupe de réaliser la vente.

Souhaitant créer une forme d'entraide citoyenne, les quatre jeunes femmes veulent avant tout permettre un moment de partage et de rencontres, avec la présence de réfugiés accueillis à Rennes, et ainsi, créer du dialogue avec les habitants de Rennes. Des expo-ventes qui se développent de plus en plus, comme à Lyon ou Angoulême, et qui permettent d'insuffler un vent de résistance face à l'inertie de l’État français.

Célian Ramis

8 mars : Sur le terrain de l'égalité

Posts section: 
Location: 
Maison Internationale de Rennes
List image: 
Summary: 
Ancienne footballeuse, championne de France multi sélectionnée dans l'équipe nationale, Nicole Abar s'engage depuis plusieurs années pour lutter contre les discriminations sexistes et éduquer filles et garçons à l'égalité, à travers le sport.
Text: 

En moins de dix ans, elle a remporté 8 titres en Championnat de France de football féminin, est devenue meilleure buteuse et a été sélectionnée en équipe de France. Depuis, elle défend le sport comme outils d’égalité entre les filles et les garçons, a monté le projet d’éducation « Passe la balle » et s’est vue confier la mission au sein du ministère de l’Education Nationale de mettre en place l’ABCD de l’égalité. Entre autre. Nicole Abar était l’invitée de Questions d’égalité, le 3 mars dernier, à la Maison Internationale de Rennes. Une conférence orale et en langue des signes.

Depuis qu’elle a chaussé les crampons dans sa jeunesse, elle n’a cessé de lutter contre les stéréotypes sur les terrains mais aussi en dehors. Un père algérien, une mère italienne, et elle, de sexe féminin, osant jouer au football, un sport que l’on pense (trop) souvent au masculin.

« Quand on est différent-e, on est mis à l’écart et on intériorise. Je me suis tue toute ma vie avec le racisme. Le sexisme, c’est la même chose, ce sont les mêmes mécanismes. C’est un regard que l’on pose sur vous, tout petit, quand on ne peut pas décrypter, que l’on n’est pas armé-e. Et enfant, on considère que c’est la norme. Et c’est stigmatisant ! », déclare-t-elle.

Elle se tient debout dans l’auditorium de la MIR et ne peut s’empêcher de bouger. Elle prend l’espace et nous tient à son discours. Elle connaît le milieu du sport, connaît les rouages du sexisme et du racisme et s’engage avec force et optimisme dans l’égal accès aux terrains, salles de sports, équipements, etc. des filles et des garçons.

SE METTRE EN COLÈRE

En 1998, le club dans lequel elle entraine refuse de faire évoluer les filles, qu’ils excluent, au profit des garçons. Pour Nicole Abar, il est temps de se révolter et de se mettre en colère : « Moi, j’avais déjà fait mon parcours mais les petites filles du club, qu’est-ce qu’elles allaient penser ? Elles allaient intérioriser, se dire que c’est normal qu’elles ne puissent pas jouer. Et là, pour la première fois, je me suis mise en colère. Les parents ont dit « Ok, on se bat ! » et on a fait en sorte que le club soit sanctionné au niveau des droits. »

Il faudra engager cinq années de procédures pour aboutira une jurisprudence condamnant le club, non pas au motif de la discrimination mais d’un refus de prestation au sein d’une association.

« Ce n’est pas si facile de se mettre en colère et de faire gagner un procès ! Les unes sont éduquées pour subir et les autres pour être des dominateurs. Les deux doivent progresser ensemble. », commente-t-elle.

Un discours qui rejoint celui de Chimamanda Ngozi Adichie prononcé en décembre 2012 et retranscrit dans l’ouvrage Nous sommes tous des féministes : « De nos jours, le déterminisme de genre est d’une injustice criante. Je suis en colère. Nous devons tous être en colère. L’histoire de la colère comme matrice d’un changement positif est longue. Outre la colère je ressens de l’espoir parce que je crois profondément en la perfectibilité de l’être humain. »

AGIR DÈS LA PETITE ENFANCE

Pareil pour Nicole Abar. C’est alors qu’elle réalise que pour changer les mentalités et déjouer la construction des stéréotypes de genre, il est fondamental de se tourner vers les petits, « quand ils sont encore tendres et que l’on peut faire passer des messages dans le jeu, le plaisir et le sourire. » Elle bâti à partir de là un projet basé sur la motricité, l’espace, les jeux, la verbalisation et le dessin afin « de les faire parler et leur faire prendre conscience de leurs propres représentations. »

Un programme qui existe toujours à Toulouse, et qui deviendra quelques années plus tard, le socle de la construction de l’ABCD de l’égalité, malheureusement renvoyé au tapis, sous la menace de certains parents – affiliés à la Manif pour tous – dénonçant « l’enseignement de la théorie du genre ».

Dans la salle, elle se place dans un coin, statique, et fixe ses pieds, illustrant ainsi le comportement d’une petite fille de 3 ans dans la cour de récréation. « Là, je ne vous vois plus, dit-elle, avant de traverser la pièce jusqu’en haut des escaliers de l’auditorium. Les petits garçons ont tout le reste ! Voyez comme j’embrasse le monde là ?! Comment je suis stimulée ?! Forcément, ma capacité cérébrale est stimulée d’une autre manière… » L’expérience est parlante et concluante.

SEXISME, RACISME… EN DÉJOUER LES ROUAGES

À l’instar de la vidéo qu’elle diffusera quelques minutes plus tard sur une classe de CE2, aux Etats-Unis qui expérimente la discrimination, en séparant les yeux bleus et les yeux marrons. Les uns bénéficiant de tous les droits, les autres d’aucun.

En terme de sexisme, elle l’illustre par un exercice de dessin avec les maternelles. Avec une fresque délibérément trop petite. Elle constate que les petits garçons font des grands dessins et les petites filles, des petits. « À 4 ans, elle a déjà compris que sa place était petite. », martèle-t-elle, face à une salle qui semble assommée. Et si son discours prend aux tripes, c’est parce qu’il est parlant et criant de vérités effarantes. Elle poursuit :

« Depuis 2003, j’en ai vu une seule prendre une chaise, monter dessus et faire un grand trait en disant : « ça, c’est ma place ! » ! Une seule ! »

Les stéréotypes, intégrés depuis le plus jeune âge et ponctués de « c’est pas si grave, on n’en meurt pas », nous handicapent et gâchent « des millions de talents », selon Nicole Abar, qui ajoute que les enfants ne sont pas ce qu’ils devraient être dans la mesure où nos idées reçues étant tellement prégnantes qu’ils font nos choix et non les leurs.

Un exemple révélateur de l’influence de notre regard est pour elle celui de la poupée : « Un petit garçon se dit que jouer à la poupée c’est nul. Les poupées, elles sont nulles. Lui, il préfère jouer avec son Action Man, vous savez, le soldat ?! Mais Action Man, c’est quoi ? C’est une poupée aussi. »

Ainsi, avec le programme Passe la balle, elle agit pour qu’aucun enfant, qu’il/elle se sente garçon ou fille, n’intègre les stéréotypes de genre. Une petite fille peut jouer au ballon et un petit garçon peut pleurer. Tou-te-s doivent être encouragé-e-s de la même manière et comprendre que l’échec fait parti de l’apprentissage.

« Quand on nait, on apprend à parler et à marcher. Quand on tombe, personne n’a l’idée de nous engueuler. Mais pour le reste, on a tendance à accabler. Ne pas réussir, ça fait parti de la réussite, c’est comme ça qu’on grandit. »
souligne l’ancienne championne de France.

Elle insiste dans son projet pour que jeux s’effectuent sur des grands espaces, pour qu’il y ait des courses, dans le but de développer la motricité des participant-e-s et leur faire prendre conscience de leurs corps dans l’espace.

Son objectif, elle le répète, persiste et signe : « Qu’ils courent tous, qu’ils tombent tous, qu’ils aient des boss tous, qu’ils pleurent tous, qu’ils se relèvent tous ! » Filles et garçons ensemble doivent combattre les discriminations. Exactement comme le font les footballeuses rennaises qui ont fondé l’association Le ballon aux filles.

LE BALLON À TOUTES LES FILLES !

Chaque année, elles organisent un tournoi de foot féminin, dans un quartier prioritaire de la ville, pour les licenciées et non licenciées. Les matchs étaient jusqu’alors arbitrés par des hommes, afin de les impliquer dans le projet. L’objectif est double : amener les filles et les femmes à chausser les crampons et prendre du plaisir à jouer ensemble et d’avoir osé. Et faire prendre conscience aux garçons et aux hommes que le sexe féminin n’est en rien un obstacle à la pratique sportive.

Au fil des années, les joueuses de l’association ont développé des actions en amont du tournoi. Des actions qui favorisent la découverte du football, la création du lien social et la lutte contre les préjugés sexistes. Et étant conscientes que dans les quartiers prioritaires comme en zone rurale, les filles sont peu nombreuses à pratiquer un sport à l’instar de la répartition filles/garçons dans l’espace public, elles ont la volonté forte d’amener le sport jusqu’à elles.

Une initiative qui affiche un bilan positif avec l’inscription de 80 à 150 filles par an en club, le versement des recettes reversées au projet Amahoro – projet humanitaire et solidaire en direction de Madagascar – ainsi que l’engagement participatif d’une vingtaine de bénévoles sur chaque tournoi et l’investissement des garçons au coude-à-coude avec les filles qui foulent le terrain.

Ainsi, elles investissent les pelouses mais aussi les espaces de débat et les établissements scolaires à Rennes, avec l’aide et le soutien de l’association Liberté couleurs. Le prochain tournoi aura lieu à Cleunay, le 27 mai prochain.

Célian Ramis

Mr & Mme Adelman, une question de point de vue

Posts section: 
Location: 
Cinéma Gaumont Rennes
List image: 
Summary: 
Nicolas Bedos et Doria Tillier sont Monsieur & Madame Adelman à l'écran, dans le premier film de l’écrivain-acteur lui-même, présenté mardi 21 février en avant-première, au cinéma Gaumont de Rennes.
Main images: 
Text: 

Nicolas Bedos et Doria Tillier sont Monsieur & Madame Adelman à l'écran, dans le premier film de l’écrivain-acteur lui-même. Le long-métrage a été présenté mardi 21 février en avant-première, au cinéma Gaumont de Rennes.

Victor est un écrivain à succès. Le jour où il meurt, Sarah, son épouse, livre à un journaliste leurs 45 ans de vie commune basée sur l’intellect, l’estime, l’admiration, le rire, la lumière pour l’un et l’ombre pour l’autre. Monsieur et Madame Adelman vont traverser années et difficultés ensemble, déceptions et ambitions, trahisons et pardons.

Nicolas Bedos signe ici son premier long-métrage et se rêve en « grandécrivain », comme il le dit. Il s’entoure alors de Doria Tillier, ancienne miss Météo de Canal +, à qui il offre son premier rôle au cinéma.

« Ce n’est pas parce que nous sommes ensemble dans la vie que nous avons fait un film de couple. J’ai travaillé aux côtés de Doria Tillier sur ce projet, pas de ma copine. J’ai choisi l’actrice que je supputais en elle depuis longtemps, parce qu’elle a un potentiel émotionnel et comique. C’est vrai que cela réduit les inhibitions de jouer avec quelqu’un avec qui on est dans la vie. On ne se pose pas la question du regard de l’autre. Et puis, tout seul, je ne me serais peut-être pas autorisé un scénario aussi ambitieux. », explique le réalisateur. 

Ils ont ainsi co-écrit le scénario. Ou plutôt ont imaginé les scènes et l’intrigue ensemble. « Ça venait comme ça, on buvait un verre et on délirait autour de certaines séquences. », précise Doria Tillier, rejointe par Nicolas Bedos : « C’est venu comme un rêve éveillé. Ensuite, je me suis emparé du film. Même si j’ai été très nourrie par Doria et sa voix dans ma tête, on ne peut pas tout diviser par deux. L’auteur principal harmonise le tout. Je tenais le guidon de l’écriture mais il fallait que ce soit notre film. »

Pas de doute, le film est une satire. Sous des airs de comédie romantique, Nicolas Bedos dresse le portrait d’un couple qui s’embourgeoise. Il va même jusqu’à parler de déflagration idéologique. Qu’il a souvent constaté chez des ami-e-s de ses parents. « Ils levaient le poing dans les années 70, maintenant ils lèvent le coude. C’est le portrait d’un embourgeoisement. », souligne-t-il.

Si l’on reconnaît la touche Bedos dans le langage – parfois pompeux – et l’amour de la littérature – et du name dropping – et la touche Tillier dans la subtilité et la veine avec laquelle elle mêle franc parler – parfois trash - et élégance, on est soulagé de ne pas assister à deux heures de cynisme absolu autour de l’amour.

Sarah Adelman nous plonge au cœur des époques vécues avec son mari qui exerce une forme de pouvoir sur elle, la rend dépendante. Avant que la situation s’inverse. Que la vieillesse le saisisse et que les années passées ternissent son existence. Tandis que son épouse déploie sa beauté et s’épanouit au-delà de lui.

« C’est un couple qui réussit, qui se croit intelligent, à l’abri de tout, parce que tout leur réussit. Ils s’attendent à avoir un enfant trop mignon et à la place ils ont un autiste. Là dessus on est allés loin, volontairement. Parce que quand tout nous réussit on a vraiment tendance à croire que rien de mauvais ne peut nous arriver. », commente l’ancienne miss Météo.

Alors que le réalisateur avoir dû s’enfoncer dans la mélancolie et la dépression pour « pour une fois être un acteur rigoureux », Doria Tillier, elle, a particulièrement apprécié de vieillir avec son personnage. « On pense toujours à l’homme très beau de 40 ans et à la femme qui au contraire se dégrade. Mais non ! Là c’est le contraire, on inverse les rôles ! », s’insurge Nicolas Bedos en riant.

Et l’inversion des rôles transparaitra tout au long du film, à la croisée du machisme et du féminisme, mais surtout de par le regard que l’on porte à une histoire. Pour Doria Tillier, c’est là le propos du film et spécialement de Sarah : « C’est l’art et le plaisir de raconter une histoire. La narratrice, Sarah, prend des libertés par rapport à la vérité. Elle est plus proche de sa réalité à elle, d’une histoire qu’elle trouve plus intéressante. »

Le récit construit à la manière d’un roman fonctionne de son écriture léchée et bien ficelée. Et le duo ne cesse de brouiller les pistes : « C’est peut-être Victor qui fantasme ce qui se passerait après sa mort. Peut-être que c’est un livre qu’il écrit. On ne sait pas. »

Célian Ramis

Chez nous, les rouages néfastes d'un parti extrémiste

Posts section: 
Location: 
Cinéma Gaumont Rennes
List image: 
Summary: 
Lucas Belvaux s’intéresse aux rouages insidieux d’un parti d’extrême droite bien installé dans le Nord de la France, dans son nouveau film Chez nous, présenté à l’occasion du festival Travelling.
Text: 

Lucas Belvaux s’intéresse aux rouages insidieux d’un parti d’extrême droite bien installé dans le Nord de la France, dans son nouveau film Chez nous, présenté en avant-première au cinéma Gaumont de Rennes, le 14 février dernier, à l’occasion du festival Travelling.

Pas même encore sorti en salles – 22 février prochain – le nouveau long-métrage de Lucas Belvaux suscite déjà sur les réseaux sociaux de nombreuses réactions houleuses du côté du Front National. « Ce n’est pas étonnant, c’est un parti totalitaire qui dit à ces sympathisants de ne pas aller voir le film. Ils sont extrêmement actifs sur Internet, c’est un outil d’ouverture sur le monde et ils s’en servent pour se conforter dans leurs idées. », précise le réalisateur.

Une analyse qui rejoint celle présentée par François Durpaire, historien, et Farid Boudjellal, dessinateur, dans la BD La présidente. Mais chez Belvaux, il ne s’agit pas d’anticipation. Chez nous ne se situe pas dans un futur proche. Mais bel et bien au cœur d’un système politique populiste agissant dans un passé et un présent confondant qui ne cesse de gagner du terrain.

L’idée d’une histoire centrée sur la montée de l’extrême droite lui vient du tournage de son film précédent, Pas son genre (lire notre critique sur yeggmag.fr) dont l’action se déroule à Arras. Emilie Dequenne y incarne alors une jeune coiffeuse dynamique et spontanée.

« C’est un personnage qui a beaucoup de qualités et pour qui j’ai beaucoup de respect. On était en pleine période électorale, en 2014, pour les municipales, et je me suis alors posé des questions sur cette coiffeuse que j’appréciais beaucoup. Il y avait 3 chances sur 4 pour qu’elle vote FN. », explique Lucas Belvaux.

UNE SITUATION BANALE ?

Il le dit alors, Chez nous aurait pu être la suite de Pas son genre. Finalement, l’intrigue est placée à Hénard, ville fictive du Nord de la France, et son personnage principal, formidablement campé par Emilie Dequenne, est infirmière libérale. Fille de communiste, séparée du père de ses enfants, elle est très impliquée dans son travail et préoccupée par les réalités du terrain et du quotidien.

Quand un médecin (interprété par André Dussolier) investi dans la vie du parti du Rassemblement National Populaire - dirigé par Agnès Dorgelle (interprétée par Catherine Jacob), fille de l’ancien chef de file du Bloc Patriotique - lui propose de devenir candidate aux élections municipales, Pauline accepte, après réflexion, désireuse de faire changer les choses.

« Pour moi, le lieu est important et doit être précis. Il raconte le territoire, l’histoire du pays où on est, l’histoire de ses habitants. Le Nord, en 150 ans, a vécu plusieurs crises industrielles, la lutte des classes, les deux guerres mondiales… Et le FN du Nord est paradoxal. Il y a une forte population issue de l’immigration qui vote pour le FN. », commente le réalisateur.

LA FACE VICIEUSE DE L’ICEBERG

Ainsi, pour écrire et construire son long-métrage, il travaille à l’analyse des « grosses ficelles » que tire le parti d’extrême droite. Un exercice qu’il trouve plutôt amusant et simple malgré tout : « C’est gros et répétitif donc pas très difficile de déceler leur manière d’agir ! Je me suis basé sur des témoignages, sur l’actualité et pour le discours d’Agnès Dorgelle, j’ai utilisé le livre de Cécile Alduy, Marine Le Pen prise aux mots, qui décrypte ses discours. Le FN utilise beaucoup de messages subliminaux, retourne les mots, etc. »

Et tout cela est montré avec finesse et subtilité, s’intéressant particulièrement à l’équipe de campagne, moderne et représentative de la diversité. Une équipe qui donne des consignes strictes : marquer et marteler la différence du parti d’Agnès Dorgelle qui tient à se séparer de celui du patriarche. Un parti qui attache une grande importance à l’image de blancheur et de transparence de ses candidat-e-s. Pas de bavure, pas de squelettes dans le placard.

Une caractéristique qui fera - doucement - sourire les spectateurs/trices au vu des actualités (désastreuses) du moment. Doucement puisqu’en profondeur, cette hypocrisie agit tel du venin et convainc une partie de la population, dont Pauline, de se radicaliser.  

LES FEMMES, DES PIONS SUR L’ÉCHIQUIER POLITIQUE

« Quand on regarde l’extrême droite en Europe, on se rend compte de l’importance des femmes dans ces partis populistes. C’est un missile à deux têtes ! En France, c’est très prégnant, outre le fait qu’il s’agisse d’une dynastie, nous sommes dans une société encore sexiste qui voit les femmes comme des êtres rassurants, maternels, doux. Ils ont besoin de cette image car en réalité c’est un parti extrêmement dur et violent. Ils placent des femmes en numéro 1, numéro 2, numéro 3 et font en sorte qu’elles soient souriantes et souvent blondes. », déclare Lucas Belvaux.

Il poursuit : « Le deuxième objectif est plus de l’ordre du message subliminal. Il s’agit d’un message anti-Islam. Montrer qu’ils valorisent les femmes eux, tandis que d’autres les voilent. Et c’est très dangereux car avec un tel discours entre les lignes, ils arrivent à embarquer des féministes ! »

QUELS COMBATS ?

Et c’est ce qu’il distille en filigrane, dépeignant le portrait d’une femme intelligente, plutôt indépendante, travailleuse, socialement intégrée, dynamique, empathique et sensible. La journée, auprès des patient-e-s, elle entend leurs plaintes et leurs craintes quant à la société qui les entoure et quant à l’avenir. Avec ses ami-e-s, elle parle politique et ne s’offusque pas du racisme ordinaire.

Tout comme le sexisme, il est insidieux et s’installe bien profondément à travers des petites réflexions et des prétendues blagues : « Le racisme ordinaire insinue qu’il y aurait un racisme raisonnable. Pauline veut changer les choses et s’engage dans un parti parce qu’elle souhaite faire plus que ce qu’elle fait au quotidien. Il y a une part de déni chez elle pour ne pas voir la réalité de ce parti. Et elle est aussi victime du trou dans la transmission. »

Le réalisateur entend par là que la génération des années 80/90 a grandi dans un monde où une partie importante des luttes a déjà été effectuée. « Le plus symbolique a été la chute du mur qu’on a vu comme la fin de l’idéologie. », poursuit-il. L’engagement ne serait-il pas transmis dans l’ADN de cette génération ?

Lucas Belvaux ne donne pas de réponse mais s’intéresse à la complexité de l’être humain. Notamment à travers la figure de Stanko – Guillaume Gouix interprète le rôle avec précision et justesse – son amour de jeunesse au passé hyper violent et pas tout à fait révolu. « Il cherche un sens à sa violence, devient militaire, entre dans la milice, etc. Quand il repart dans l’histoire d’amour, il fait retomber sa violence, il est prêt à renoncer à son engagement. », commente-t-il.

NE PAS BAISSER LES BRAS

 Ce qui anime le réalisateur belge, c’est l’envie de poser des questions. Et la manière de le faire. Pour lui, son long-métrage n’est pas militant. Il appartient davantage à une initiative citoyenne. « Forcément, on s’engage quand on fait un film sur la société. Mais c’est aux spectateurs de trouver ses réponses et de se faire une opinion. », explique-t-il, soulignant que Chez nous s’attache à démontrer les mécaniques d’un parti d’extrême droite, à montrer « les tactiques du FN pour aller chercher les candidat-e-s, la manipulation. »

Pour éviter une vision manichéenne de la machine politique, le cinéaste s’appuie sur des chiffres révélant qu’en 2014, à la suite des élections municipales, près d’un tiers des élu-e-s FN ont démissionné. « Près de 400 sur 1500 ! C’est une situation inédite. Parce qu’ils se rendent compte après de la réalité qu’on leur a caché et/ou qu’ils n’ont pas voulu voir. », insiste-t-il.

Cette réalité que Lucas Belvaux nous invite à découvrir - avant qu’il ne soit trop tard, si l’on part du postulat qu’il n’est pas déjà trop tard – est ahurissante et effrayante. Et hyper médiatisée. Trop (mal) médiatisée. Mais sous l’œil de la fiction, il réussit à proposer une nouvelle approche, certainement plus humaine et touchante.

Une approche revigorante qui donne envie de combattre ce glissement sournois, de la colère désabusée d’un système politique global à l’engagement pour un parti populiste, extrémiste et contre-productif. Une approche qui appelle à rester vigilant-e-s face à la morosité ambiante et à s’interroger sur l’investissement individuel et collectif quant aux lendemains que nous visualisons.

Célian Ramis

Orpheline, l'identité complexe et discontinue

Posts section: 
Location: 
Ciné TNB, Rennes
List image: 
Summary: 
À l’occasion du festival Travelling, le réalisateur Arnaud des Paillères et la scénariste Christelle Berthevas ont présenté leur nouveau film, Orpheline, au ciné TNB de Rennes, vendredi 10 février.
Text: 

À l’occasion du festival Travelling, le réalisateur Arnaud des Paillères et la scénariste Christelle Berthevas ont présenté leur nouveau film, Orpheline, au ciné TNB de Rennes, vendredi 10 février.

Une directrice d’école est rattrapée par son passé, une jeune femme intègre le milieu des courses hippiques et des paris, une jeune fille découche et flirte avec une sexualité interdite, une enfant ne termine pas sa partie de cache cache. Pour incarner ces quatre moments de vie, Arnaud des Paillères réunit Adèle Haenel, Adèle Exarchopoulos, Solène Rigot et Vega Cuzytek.

De la trentaine à l’enfance, Orpheline remonte le cours de l’histoire d’une seule et même personne, jouée par quatre actrices loin de se ressembler. « Je voulais partager une émotion forte et préserver cette émotion particulière. Et pour préserver ces précipités – dans le sens chimique du terme – d’émotion, je devais choisir 4 actrices différentes. », explique le réalisateur.

VOYAGE DANS LE TEMPS

Cette émotion dont il parle tant est celle qu’il a ressenti à chaque fois que Christelle Berthevas lui a livré des bribes de son histoire personnelle. Une histoire qu’il qualifie d’exotique, « dans le sens où il s’agit de l’histoire d’une femme et ça je ne pourrais jamais savoir ce que c’est mais aussi dans le sens où elle parle également d’un milieu que je ne connais pas, celui du monde rural. Je suis tout le contraire, un homme, issu de la bourgeoisie, élevé en ville. Je suis très admiratif du parcours de Christelle, de qui elle était, et qui elle est. J’ai voulu explorer cet espace intime à travers son point de vue à elle, uniquement le sien. »

La scénariste s’est appuyée sur des textes déjà écrits par ses soins et des éléments de sa mémoire. Les plus proches en terme de temps mais aussi les moins douloureux, confie-t-elle. De là est né l’ensemble des personnalités incarnées dans le film. « Quand on raconte sa vie, ce n’est jamais linéaire. On se livre par bribe. Et on circule dans le temps. Sur la manière dont on a articulé le récit, on l’a fait à l’intuition et ainsi on a remonté le temps en laissant des trous plutôt que de démarrer de l’enfance. », précise Christelle Berthevas.

C’est là la base du long métrage qui s’émancipe ensuite de sa créatrice pour construire une histoire autonome et universelle. Le duo aborde alors la question de l’existence et de son mouvement perpétuel. Des changements qui s’opèrent constamment chez les individus. Produit brut et émouvant, la force d’Orpheline réside dans la faculté à placer et à définir chacune des femmes – qui ne partagent pas même leur prénom – dans l’instant présent. Il n’y a qu’en les mettant bout à bout qu’elles forment un ensemble.  

LA QUESTIONS DE L’IDENTITÉ

L’identité est au centre du film, visant à montrer toutes les complexités de l’être humain et toutes ses discontinuités. « Ça nous interroge sur ce que c’est un bon personnage. En faisant des bons dans le temps, sans expliquer les causes de la violence mais en montrant uniquement les conséquences, on laisse le spectateur se faire le film et imaginer les explications. Pas un spectateur n’a le même imaginaire et c’est ça qui est intéressant. Qu’est-ce qui fait l’identité d’un être ? C’est une histoire que l’on ne raconte pas souvent au cinéma. », interpelle le cinéaste.

Mais il ne s’agit pas uniquement de laisser place à l’imagination. De la laisser combler les trous. Orpheline permet subtilement d’éprouver le vécu d’une femme. Car au-delà des sauts dans le temps, le spectateur ne bénéficie que des informations détenues par Renée, Sandra, Karine et Kiki qui nous les partagent, à travers leurs yeux, souvent filmés en gros plan. Un moyen pour le duo Berthevas / Des Paillères de nous glisser dans la peau du personnage.

L’ENVIE D’ÉPROUVER

Le réalisateur y voit là un double objectif : « En partageant cette histoire, cela permet de réconcilier certaines femmes avec elles-mêmes. Il n’y a pas que de la violence dans le parcours. Cette femme, elle assume ses désirs, se trompe, se relève, éprouve, fait des expériences. Cela permet aussi de montrer aux hommes ce que c’est que d’être une femme. Je crois que c’est très important, surtout dans cette période de régression et d’oubli de ces inégalités dans lesquelles les femmes sont prises. »

Christelle Berthevas, lors de l’écriture, ne s’imaginait pas déclencher ce sentiment fort chez ses collaborateurs, majoritairement masculins, y compris du côté des producteurs. « J’ai également travaillé sur les personnages masculins. Je voulais montrer leurs aliénations. Eux aussi sont dans des prisons qui les empêchent tout autant dans leurs relations aux femmes que dans leurs relations aux autres. », souligne la scénariste.

Et le tout nous embarque dans un voyage psychologique bouleversant dont l’intrigue nous tient en éveil grâce aux réflexions dégagés par chacun des personnages, tou-te-s incarné-e-s par des acteurs/trices talentueux/euses et justes.

 

Sortie le 29 mars.

 

Pages