Célian Ramis

Planning Familial, un rôle essentiel en péril

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Réunissant hommes et femmes depuis 60 ans, bien décidés à faire changer les lois et les mentalités pour l'avortement et l'émancipation sexuelle, l'actualité du Planning Familial reste aujourd'hui, empreinte de doutes.
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L'année 2016 marque l'anniversaire de la création du Planning Familial en France, fondé en 1960 sous le nom complet de « Mouvement Français pour le Planning Familial ». Cinq ans plus tard, le Planning Familial 35 verra à son tour le jour. Réunissant hommes et femmes, bien décidés à faire changer les lois et les mentalités pour l'avortement et l'émancipation sexuelle, l'actualité du Planning Familial reste aujourd'hui, empreinte de doutes.

Sont mises à l'honneur pour cet anniversaire, trois grandes figures féminines, combattantes et militantes du siècle dernier, en faveur des droits des femmes : Simone Veil, Simone de Beauvoir et Simone Iff (1). Désormais, à l'heure où Internet et les réseaux sociaux remplacent les outils de communication et de diffusion de l'information, l'avenir du Planning Familial (PF) laisse amèrement à désirer.

En effet, ces 60 ans qui sonnent comme l'heure du bilan, mettent en lumière non seulement les victoires de cette association, mais également les menaces à venir. Menaces qui se renforcent en raison d'un contexte social, politique mais aussi économique qui favorise le repli identitaire sur des valeurs traditionnelles, qui ont représenté dans les années 70 notamment, des obstacles majeurs aux luttes menées par le Planning Familial.

Lieu d'écoute et de prévention, féministe et protagoniste de l'éducation sexuelle auprès de toutes les populations, le Planning Familial défend depuis ses débuts mouvementés, le droit à la contraception, à l'Interruption Volontaire de Grossesse (IVG), ainsi que l'égalité des sexes. Cependant, ses valeurs ne sont guère partagées par les politiques en pleine ascension, tel que le Front National qui, à la suite de son programme de suppressions de subventions versées à des associations comme le PF, a bien failli réussir à remporter les élections régionales en décembre 2015.

Ces versements financiers, précieux pour la bonne continuation de l'association, restent toutefois précaires au fil des années, certaines étant obligés de mettre la clé sous la porte, à l’instar de celle de Toulon, qui a fermé ses portes en septembre 2015 (sachant que l'avenir de celui de Toulouse et de Bayonne sont depuis janvier 2016 encore en suspens).

Et ce, en toute discrétion, sans que les médias n'en touchent un mot. Cette discrétion caractérise aussi la suppression du Pass Contraception (2) en avril 2016, au conseil régional d'Ile de France présidé par Valérie Pécresse, et montre bien que le combat pour la survie du PF est loin d'être terminé.

Pour le PF 35, créé le 12 octobre 1965, de nombreuses questions se posent. En particulier, sur les combats à initier et à protéger, mais aussi comment faire face à ces menaces à venir, notamment à un an des élections présidentielles de 2017.

Accueillant en grande majorité des personnes âgées de moins de 30 ans (95% du public selon Élisa Quémeneur, directrice du Planning Familial, à Rennes), la place du PF dans le langage courant est toutefois malgré les apparences, relativement importante : « ce qui représente un point positif malgré le fait que beaucoup confondent Planning Familial et Centre de Planification », selon la directrice.

«Le fait qu'on soit une association indépendante, nous permet d'être plus libres malgré notre budget, et nous pouvons monter des projets. Le tout est d'être innovant en permanence, de remettre en cause nos pratiques et de s'améliorer. Mais cela demande beaucoup d'énergie, de temps et aussi d'argent » constate cette dernière. Des innovations qui passent par le principe de l'égalité des sexes, credo de l'association.

Contraception masculine en avant

Pour citer un exemple concret : Aborder une question encore relativement taboue en France, celle de la contraception masculine. Cette démarche, que l'on pense trop souvent réservée aux femmes, peut aussi être accessible aux hommes, et ce depuis quelques années déjà (3). Trois moyens de contraceptions existent à ce jour, la méthode hormonale, thermique et la plus radicale, la vasectomie.

Peu abordée dans les médias, la contraception masculine est prescrite seulement par deux médecins en France (Toulouse et Paris), et ne représente que très peu d'adhérents à ces pratiques, faute de communication, et pour des raisons de notoriété sociale, sur la virilité de l'homme remise en question.

L'association ARDECOM, Association pour la Recherche et le Développement de la Contraception Masculine, fondée dans la mouvance des années 70, prône l'accès à la contraception des hommes depuis ses débuts, réfutant le rôle de l'homme imposé par une société patriarcale, qui affirme encore subtilement de nos jours, sa mission de « mâle reproducteur ».

Cette question qui pourrait être perçue comme futuriste, s'inscrit dans l'air du temps. En effet, le PF 35 débute depuis l'année dernière, une collaboration avec ARDECOM pour rendre visible cette contraception masculine. Et comme le confirme par la suite Élisa Quémeneur, « ce projet répondrait à une véritable demande, car il y a aussi des hommes qui viennent se renseigner auprès du Planning Familial, et qui souhaitent  s'investir pleinement dans leur relation ».

Une conférence, intitulée "Contraception : où (en) sont les hommes ?", a d'ailleurs été organisée dans le cadre de la journée internationale pour les droits des femmes à Rennes, le 11 mars dernier sur le thème de la contraception masculine (4).

L'IVG, un droit encore tabou en France

Autre combat qui nourrit les débats depuis son apparition dans les textes de lois à partir de  1975, le droit à l'IVG divise toujours la société française. Mais aussi l'Europe, comme en Espagne ou en Pologne, où ce droit est remis en question et connaît de nombreuses restrictions morales et éthiques.

En France, bien que défendu par la ministre de la Santé de l’époque, Simone Veil, le but de la manœuvre était de limiter le nombre croissant d'avortements clandestins, source patente de mortalité chez les femmes, et de permettre à certaines d'entre elles, en situation précaire et dites « désespérées », d'interrompre volontairement une grossesse par le biais du corps médical.

Aujourd'hui ce droit, s'étant démocratisé et étant perçu comme une liberté à disposer librement de son corps et de son choix de devenir oui ou non mère, n'évolue guère au niveau des débats. En effet, les arguments aussi bien du côté pro-vie que pro-IVG, ne changent pas de position et stagnent le débat dans un perpétuel dialogue de sourds, comme l'a prouvé le débat de l’émission Droit de suite, IVG: un combat sans fin ? diffusé sur LCP le 8 mars 2016.

La violence de certaines réactions du bastion catholique se manifeste par ailleurs par une infiltration perverse et manipulatrice via les réseaux sociaux, nourrissant un discours où se mêlent culpabilité et mépris, visant les femmes de tout âge et de toute catégorie sociale souhaitant avorter. Les moyens financiers et l'excellente maîtrise informatique dont disposent certains groupuscules religieux pour éviter les IVG, remettent en cause les propres moyens financiers et de communication du Planning Familial.

Ce dernier doit alors se frotter à un ennemi de longue date, le département d'Ille-et-Vilaine étant principalement dans les années 70-80, la poudrière catholique par excellence, comme le raconte le livre Les femmes s'en vont en lutte ! Histoire et mémoire du féminisme à Rennes (1965-1985) de Patricia Godard et Lydie Porée (présidente du Planning Familial 35), initiatrices de l'association Histoire du féminisme à Rennes en 2012.  Malgré tout, le Planning Familial reçoit chaque jour de nombreuses femmes venant pratiquer une interruption de grossesse, loin de tout jugement.

Ce recours à l'IVG étant stable depuis plusieurs années (environ 200 000 IVG par an sont pratiqués en France selon l'INED – Institut National d'Études Démographiques), il n'est toutefois pas encore totalement intégré dans les mentalités comme une intervention chirurgicale classique et demande encore, du temps et de l'argent pour faire déculpabiliser les femmes ayant eu recours à ce type d'opération.

«  L'IVG est un droit où l'on défend le choix de continuer ou non une grossesse qui démarre, rappelle Élisa Quémeneur, mais certains médecins militants des années 70 prennent leur retraite. L'avenir de cette pratique est donc mise en veille car on ne sait pas comment elle va être reprise par la nouvelle génération ».

Continuer le combat

Un droit encore menacé par ces débats d'éthique, où un film est d'ailleurs mis à l'honneur dans ce combat, Quand je veux, si je veux, réalisé par Susana Arbizu, Henri Belin, Nicolas Drouet et Mickaël Foucault, militants-es engagés pour l'avortement. Une soirée de soutien et de présentation du film, actuellement encore en tournage, s'est déroulée à l'Institut Pasteur le jeudi 26 mai 2016 à Rennes, avec la présence du Planning Familial 35 et de l'Histoire du Féminisme à Rennes.

Un film basé sur des témoignages de femmes aux parcours et aux âges différents, qui assument leur liberté et le fait de ne pas avoir été traumatisées par leur acte, le considérant comme naturel, basé uniquement sur leur propre choix et non, par l'image traumatique souvent présente dans l'esprit des gens et dictée par la société. Le but du film et de ses témoignages étant de démocratiser ce droit par la parole et de préconiser une campagne de déculpabilisation.

L'année 2016 se révèle donc riche en défis pour faire survivre ce mouvement. Mais les changements passent aussi par les populations, notamment les professionnels et leurs formations, qui méritent d'être revisitées.

Comme le dit si bien Élisa Quémeneur, le but n'est pas « d'inverser la balance. On parle beaucoup d'égalité mais on ne travaille pas sur les origines du mal qui régissent la société. Le rapport social est inégalitaire, et ça fait 2000 ans que le rapport de domination de l'Homme existe. On est encore loin d'être dans une parfaite égalité. Pour moi, on y est pas du tout ».

Malgré le pessimisme de ce discours, Élisa Quémeneur tient toutefois à souligner les réelles avancées qui sont relatées en ce moment dans les médias, sur le harcèlement de rue et les dénonciations faites dans le milieu politique sur le harcèlement sexuel. « On dénonce, donc on avance », comme le dit si bien la jeune femme.

Un bilan lourd en conséquences, lorsque l'on sait que pour l'heure, le constat sur les violences faites aux femmes, qu'elles soient d'ordre physiques, sexuelles ou psychologiques, reste encore à travailler. Le chemin pour le respect et l'égalité est encore long.

 

(1) Militante féministe, elle a défendu le droit à l'avortement, instigatrice du Manifeste Les 343 salopes, ainsi que première présidente du Mouvement Français du Planning Familial de 1973 à 1981.

(2) Imaginé par Ségolène Royal en 2010, le Pass Contraception est présenté sous la forme d'un chéquier, accessible pour les 14-25 ans, filles et garçons permettant grâce à un système de coupons, d'avoir un accès gratuit et anonyme à des consultations médicales, des dépistages IST et à des moyens de contraception pour une durée moyenne d'un an. Le Pass Contraception est géré par les conseils généraux et n'est pas présent dans toutes les régions, dont la Bretagne.

(3) Lire l'article La contraception ne se conjugue pas qu'au féminin !, publié le 26 avril 2016 sur le site d'Alter1fo.

(4) Lire l'article Contraception masculine, ça existe !, publié le 26 mars 2016 sur le site de Breizh Femmes.

Célian Ramis

Annie Ernaux, femme au-delà de son temps

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Librairie Le Failler
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Auteure de récits autobiographiques, Annie Ernaux a publié le 1er avril dernier un nouvel ouvrage, Mémoire de fille, aussi bouleversant que transcendant. Le 26 mai, elle en parlait à Rennes, à la librairie Le Failler.
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Auteure de récits autobiographiques, Annie Ernaux a publié le 1er avril dernier un nouvel ouvrage, Mémoire de fille, aussi bouleversant que transcendant. Le 26 mai, c’est au premier étage de la librairie rennaise Le Failler qu’elle a livré son rapport à l’écriture et son rapport à la fille qu’elle a été à la fin des années 50, celle sur qui elle se penche au long des 150 pages de son livre.

Elle est de celle qui n’a pas besoin d’écrire des pavés pour vous émouvoir, qui n’a pas besoin de hausser la voix pour vous transpercer l’âme et qui n’a pas besoin d’être qualifiée d’exceptionnelle par les autres pour remplir ses bouquins. Elle secoue, Annie Ernaux. De par la simplicité de son écriture pleine de sens, d’élégance et de vérités plus ou moins simples à dire ou à lire. De par la manière sérieuse et légère qu’elle emploie pour s’adresser aux autres dans ses œuvres ou lors d’une rencontre.

Pourtant, Mémoire de fille est le témoignage de quelque chose qui a pu être douloureux à sortir, à coucher sur des papiers destinés à la publication. Car les deux années dépeintes dans son récit (1958-1959) ont déjà été écrites, simultanément. De cette époque, elle conserve des archives internes et des archives externes, comme elle le dit elle-même le 26 mai, de passage à Rennes, rapprochant sa démarche à celle d’une historienne.

« J’ai mis beaucoup de temps à écrire ce livre car il m’a été difficile d’en trouver la forme. Cette histoire n’était pas réductible à une nuit. Je fais part ici d’un événement d’une banalité extrême, la « première fois ». La première fois au lit ou pas au lit d’ailleurs avec quelqu’un, avec l’Autre. Mais ce n’est pas seulement ça, parce que ça a été un événement singulier qui n’est pas soluble dans ma vie, dans ce qui suivra dans ma vie sentimentale et dans ma vie sexuelle. On n’est plus pareil-le après. Sur le coup, on ne comprend pas ce qui est arrivé. Pourquoi « elle » s’est conduite avec ce consentement et ce qui va suivre qui n’est pas d’une logique romanesque. « Elle », c’est une étrangère qui m’a légué sa mémoire. », se lance l’auteure, dans une tirade à vous faire repenser le cours de votre vie différemment.

RETROUVER LA FILLE DE 58

Née en 1940, la Normande qui grandit à Yvetot souhaite à 70 ans passés retrouver la fille qu’elle a été en 1958 et celle qu’elle a été avant l’été, celui de la colonie à S. dans l’Orne durant laquelle elle va croiser le chemin du moniteur chef qui l’invite à danser, éteint la lumière, l’embrasse, « et les choses s’enchainent, sans aller jusqu’au bout pour raisons techniques ou physiologiques. »

La question qu’elle se pose, c’est qui était « je » à ce moment-là. Ce « je » qui aujourd’hui est « elle » puisque plus de 50 années se sont écoulées entre temps.

À cette époque, juste avant de devenir monitrice, cette jeune fille élevée dans un milieu modeste, entre les étals de l’épicerie parentale, est dans l’attente de choses formidables, du désir et de toute forme de jouissance. En 2010, son amie avec qui elle a correspondu pendant environ 7 ans, à partir de l’âge de 16 ans, lui restitue les lettres.

Annie Ernaux est troublée. Depuis des années, elle écrit des instants de sa vie, des événements marquants comme la mort de sa grande sœur avant sa naissance, son avortement clandestin à 23 ans, la jalousie ressentie en apprenant la nouvelle relation d’un ex, la passion exprimée avec un amant de passage dans sa vie, son éducation, etc. En filigrane de ces textes se dissimule l’histoire de l’été 58. Sans jamais parvenir à l’exprimer aussi clairement que dans Mémoire de fille.

Si elle avoue n’avoir aucun intérêt pour le roman ou l’autofiction, elle confesse son envie profonde de redescendre dans « les choses qui me donnent la mémoire, et celle-ci était la plus dure à explorer ». Dans la correspondance et dans les notes indélébiles de son carnet et vaguement floutés de sa mémoire, elle replonge dans un langage qui la surprend parce qu’il est marqué par une époque – « avec des adjectifs ou des expressions comme « à la page », des naïvetés… » - qu’elle va tenter de situer par les mots employés, les ambiances décrites de « surprise party » ou contextualisée par la guerre d’Algérie. Et de ce retour dans le passé, elle éprouve le désir d’aller de la femme âgée qu’elle est à l’ado qu’elle a été, qui ne sait alors pas à quoi ressemble un homme nu.

« Pour voir un homme nu dans un journal, fallait se lever de bonne heure ! Ils étaient nus en peinture mais pas en photo. Le monde de la mixité n’existait pas ! »

DES EXPÉRIENCES BANALES ET MARQUANTES

Mémoire de fille marque l’avènement de cette jeune fille dans sa vie de femme. Pas uniquement pour les actes sexuels répertoriés au fil des pages. Aussi pour son émancipation du cadre familial et son entrée dans le monde : « La colo, le lycée, le foyer de jeunes filles, l’école normale d’institutrice, le départ en Angleterre, la famille anglaise… C’est une éducation, une expérience du monde ! »

Elle fait alors vivre éternellement la fille de 58, celle qui tombe éperdument amoureuse du moniteur chef au moment où il la quitte et qui va passer de garçon en garçon « alors qu’elle ne voulait pas se donner à quelqu’un qu’elle n’aimait pas » et pour cela elle éprouvera plus tard de la honte. Elle la ressuscite dans une forme d’inconsistance, d’intrépidité et la situe dans le monde de cette époque. Qui n’est pas une époque de libération sexuelle :  

« C’était 10 ans trop tôt, en 68 la liberté sexuelle était admissible et même recommandée, je n’aurais pas vécu les choses de la même manière ».

Elle poursuit : « Je devais aller au bout de ses deux années marquées : elles m’ont fait frissonner d’horreur de les avoir vécues. Mon corps s’était transformé, je n’avais plus de règles – et c’est important les règles quand on est une fille – je souffrais de dérèglement alimentaire, j’avais tout le temps faim, je mangeais à l’extrême. Vingt ans après j’ai appris que ça s’appelait de la boulimie. Le résultat d’une passion dégradante dont j’avais honte… J’aurais pu être accablée définitivement par l’intensité de ces deux années mais j’ai trouvé une issue. Pas que dans l’écriture mais dans un ensemble de bons hasards. »

Elle fait état de cette honte qui lui collera longtemps à la peau. Une honte sexuelle mais aussi une honte sociale. La philosophie l’aidera. Simone de Beauvoir également. Avec la lecture de Deuxième sexe qu’elle dévore avec avidité, elle entrevoit les clés du comportement des garçons, de la domination (« qui n’est pas un terme de Simone de Beauvoir mais de Bourdieu »), de la supériorité dans les faits, des « hommes supposés avoir la transcendance. »

EXPIER LA HONTE PAR L’ÉCRITURE

Annie Ernaux est touchée de plein fouet. Ne pas être l’objet de sa propre vie mais bel et bien le sujet. Dans Mémoire de fille, elle décrypte son rapport à l’écriture, pas simplement comme échappatoire mais aussi comme expérience : « J’ai commencé à faire de moi-même un être littéraire, quelqu’un qui vit les choses comme si elles devaient être écrites un jour. » (p.143) Dernière raison invoquée : rétablir une forme de « justice » à la fille de 18 ans avide de liberté, pleine d’orgueil, bonne élève, fille unique, pas à l’aise socialement, ballotée dans un amour déraisonnable qui lui fait honte.

En 2002, elle publie L’occupation. Sur une jalousie dévorante dont elle va subir les effets néfastes et dangereux. À l’instar de Passion simple, elle raconte sans vergogne, de manière très factuelle – ce qui la caractérise dans l’ensemble de son œuvre – l’instantanée, le ressenti. Le vécu d’une femme jalouse ou éprise sexuellement de son amant. D’une femme dont la vie va quasiment se mettre sur pause pour ne vivre plus que ce qui lui trotte dans l’esprit et la hante. Et tout comme elle parle de banalité extrême en racontant « une première fois », ses bouquins sont les récits de la banalité humaine non-dite, presque taboue si ce n’est honteuse de l’éprouver.

Telle est la force d’Annie Ernaux qui bouleverse, transcende et chamboule nos corps et âmes. Elle marque à vie de par la banalité qu’elle rompt avec honnêteté et authenticité, dans une démarche sociologique, historique, quasi scientifique de l’âme humaine. Dans L’occupation, elle écrit :

« L’exposition que je fais ici, en écrivant, de mon obsession et de ma souffrance, n’a rien à voir avec celle que je redoutais si je m’étais rendue avenue Rapp. Écrire, c’est d’abord ne pas être vu. Autant il me paraissait inconcevable, atroce, d’offrir mon visage, mon corps, ma voix, tout ce qui fait la singularité de ma personne, au regard de quiconque dans l’état de dévoration et d’abandon qui était le mien, autant je n’éprouve aujourd’hui aucune gêne – pas davantage de défi – à exposer et explorer mon obsession. À vrai dire, je n’éprouve absolument rien. Je m’efforce seulement de décrire l’imaginaire et les comportements de cette jalousie dont j’ai été le siège, de transformer l’individuel et l’intime en substance sensible et intelligible que des inconnus, immatériels au moment où j’écris, s’approprieront peut-être. Ce n’est plus mon désir, ma jalousie, qui sont dans ces pages, c’est du désir, de la jalousie, et je travaille dans l’invisible. » (p.45-46)

PARTAGER L’INTIME

Et ce thème de l’intime universel lui apparaît dans Mémoire de fille. Quand en 1958, Violette Leduc rencontre René Gallet et découvre alors son premier orgasme à 50 ans mais brusquement la relation s’arrête et l’auteure fait état de son désespoir et de sa douleur dans ces correspondances à Simone de Beauvoir jusqu’en 1959. Annie Ernaux établit un parallèle et met cette expérience en perspective avec la sienne :

« Étrange douceur de la consolation rétrospective d’un imaginaire qui vient réconforter la mémoire, briser la singularité et la solitude de ce qu’on a vécu par la ressemblance, plus ou moins juste, avec ce que d’autres ont vécu au même moment. » (p.91)

Par l’écriture, elle transforme la honte et diminue celle de celles et ceux qui se reconnaissent dans le sentiment éprouvé. Lors de la rencontre à Rennes, elle parle de « devoir ». Et face à l’épaisse foule dispersée dans les rayons de la librairie venue l’écouter, elle montre sa grande humilité.

Elle écrit sur elle, sur l’être littéraire qu’elle s’est fixée de devenir en parallèle de son métier de professeure de lettres – elle a renoncé à devenir institutrice par manque de vocation – et s’adresse à toutes et tous de par la capacité qu’elle a de proposer des œuvres désireuses d’exister en dehors de soi.

Une révélation survenue à partir du moment où elle a voulu parler de son père. « J’ai pris conscience avec La place que les mots faisaient partie intégrante de la vision que l’on peut avoir du monde social. Dire que l’on est issue d’un milieu modeste, c’est déjà accepter les hiérarchies. Faire de ce qui m’arrive un objet littéraire, je pense que ça m’a aidé. Dans la vie, les conséquences de la honte sociale demeurent. Comme si on n’y échappait pas dans certaines conditions. Le fait de ne pas se sentir à l’aise dans certaines situations… Les hiérarchies sociales, les dominations sociales, sont évidentes. », explique-t-elle en conclusion de son intervention.

Annie Ernaux est de celles qui réussissent à parler vrai, à écrire des vérités accablantes, une fois écloses de leur banalité, sans toutefois rendre les auditrices-teurs et les lectrices-teurs moroses. Au contraire, elle rend le quotidien plus clair, plus simple, plus limpide. Elle bouleverse de sa vie de femme affirmée, pas toujours avertie, ni toujours assouvie.

Elle a quelque chose de touchant, dans sa naïveté dérobée jeune mais conservée par cette envie de vivre des expériences, de les vivre pleinement. De ses mots, elle nous perturbe et nous conforte dans nos voies non tracées, loin des sentiers battus de la norme genrée qui cherche par tous les moyens à s’imposer à nous. Elle nous fait du bien et nous donne l’espoir de pouvoir nous réaliser en tant que sujet de nos vies, et non comme objet.

« Aujourd’hui, j’ai le sentiment d’avoir enfin fait ce livre, d’être allée au bout de l’entreprise. Ça n’a pas toujours été simple, c’était un défi qui me rendait triste qu’il ne soit pas relevé. Aujourd’hui, j’éprouve quelque chose du fait accompli, même si je me disais que je n’y arriverais pas. »
poursuit Annie Ernaux.

Et si Mémoire de fille sonne comme l’œuvre qui manquait à sa collection avant de raccrocher les stylos et claviers, son regard perçant et convaincu et son sourire fin et enfantin laissent entrevoir que ses mots résonneront dans nos pensées, dans nos bibliothèques, dans les ouvrages de Marie Darrieussecq, Colombe Schneck et bien d’autres encore et à venir, aussi longtemps qu’elle sera une femme de tous les temps.

Célian Ramis

Mythos 2016 : Un récit de l'intime, tragique, sensible et essentiel

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TNB, Rennes
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Paloma Fernandez Sobrino réussit à nouveau à nous bousculer à travers un récit de l’intime brut et poétique. La metteure en scène dévoilait sa création Trouvé dans l’oubli, au TNB les 22 et 23 avril.
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Paloma Fernandez Sobrino réussit à nouveau à nous bousculer à travers un récit de l’intime brut et poétique. À l’occasion du festival Mythos, la metteure en scène, artiste associée à L’âge de la tortue, proposait deux représentations de sa nouvelle création, Trouvé dans l’oubli, au TNB les 22 et 23 avril.

En découvrant l’ouvrage d’Alberto Méndez, Les tournesols aveugles, Paloma Fernandez Sobrino est immédiatement séduite par la nouvelle Deuxième déroute : 1940, intitulée également Manuscrit trouvé dans l’oubli. Et décide d’en créer une adaptation théâtrale, avec la complicité de trois professionnels sur scène : Benoit Hattet, comédien de la compagnie du Fomenteur, Pere Martinez, chanteur flamenco et Nathalie Elain, comédienne.

La pièce anime les mots de l’auteur espagnol qui livre un récit poignant et saisissant. L’histoire d’un poète qui fuit son pays avec sa femme, qui meurt en couche. Caché dans un pâturage en montagne, il vient de perdre sa raison de vivre, et face au cadavre de son épouse, git le corps bien vivant du nouveau-né, son fils. Il va alors narrer leurs mois de vie commune, entre la mort qui rode et la force de la vie.

D’une grande beauté et d’une intense pureté, l’écriture est délicieuse. Et chaque mot résonne dans la bouche de Benoit Hattet. Chaque mot se perd dans son regard vide et fixe. On ne peut détourner les yeux du comédien tant la tension dramatique émane de son jeu et de son âme.

On confond alors le comédien et le protagoniste, on se prend au jeu, sans résistance aucune. La voix de Nathalie Elain nous tient en haleine et vient comme un souffle léger apporter des compléments d’information figurant sur le cahier tenu par le poète, comme des didascalies.

À côté d’elle est assis le chanteur Pere Martinez. Son chant flamenco, « el cante jondo », ne laisse pas de place au vagabondage de l’esprit fuyant les silences. Au contraire, il magnifie ces silences et les accompagne d’une voix à laquelle on se suspend. A capella, elle traverse nos entrailles, cristallise l’expression d’une souffrance profonde, d’une douleur perçante.

Et tout cela dans une ambiance hivernale, jouant sur un clair-obscur qui invite à la confidence, à l’intime. La création graphique, constituée de photographies atmosphériques mouvantes projetées au mur, et la création sonore, évocatrice d’une nature tourmentée, soignent l’impeccable esthétique de la pièce et alimentent l’intensité du drame qui s’annonce.

L’émotion qui nous traverse est quasiment indescriptible. Elle nous habite, nous plonge dans les journées de cet homme et de son enfant qui va manquer de tout, y compris d’un prénom. Mais qui va s’accrocher à la vie et s’installer dans celle de son père.

La réflexion sur la mort que tous deux regardent bien en face et sur la vie qui se bat pour subsister est bouleversante et percutante. La désillusion, le désespoir, ne sont ici pas bordés de fatalité. Mourir oui, mais pas sans lutter et pas sans choisir sa mort.

Le récit est un voyage sensible dans l’âme humaine et l’esprit. Capables de se remettre en question, de s’adapter, d’aimer comme de rejeter ou encore d’oublier et de s’oublier. Si le sujet est tragique, le spectacle Trouvé dans l’oubli est pourtant une ode à la vie, composée de questionnements existentialistes, divers et récurrents. Ici, le protagoniste se livre avec franchise et sans fioritures malhonnêtes visant à valoriser les derniers instants d’un homme meurtri qui s’abandonne à soi et à l’écriture.

L’adaptation de la nouvelle est une véritable réussite qui transcende notre quotidien vers une déroute essentielle pour continuer à s’interroger et prendre la mesure de la signification de notre vie. Toujours dans la pureté esthétique, la justesse des textes et la tension des voix sensibles et passionnées, propres aux créations singulières de l’association rennaise L’âge de la tortue.

Célian Ramis

Mythos 2016 : Quand les ouvrières prennent la parole

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Théâtre de la Paillette, Rennes
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Impossible de passer à côté du spectacle de Mohamed El Khatib, Moi, Corinne Dadat, au théâtre La Paillette les 20 et 21 avril. Un ballet pour une femme de ménage et une danseuse.
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Impossible de passer à côté du spectacle de Mohamed El Khatib, Moi, Corinne Dadat, joué au théâtre La Paillette les 20 et 21 avril, à l’occasion du festival Mythos. Un ballet pour une femme de ménage et une danseuse, dont les corps sont leur principal outil de travail.

Blouse de travail, sac poubelle à la main, Corinne Dadat, femme de ménage, trône déjà au milieu de la scène, accompagnée de Mohamed El Khatib, metteur en scène, et Elodie Guezou, danseuse et contorsionniste, lorsque le public entre dans la salle. Sur l’écran, des phrases défilent, provoquant déjà quelques rires des spectatrices et spectateurs :

« Le « capital sympathie » de Corinne Dadat s’élève à 164 / Le « capital talent » de Corinne Dadat s’élève à 42 / Le « capital souplesse » de Corinne Dadat s’élève à 7 / Le « capital lexical » de Corinne Dadat s’élève à 8 / Le « capital capillaire » de Corinne Dadat s’élève à 25,8 / La capacité de Corinne Dadat à sublimer son quotidien : élevée. »

Et précise enfin que la protagoniste « n’a pas été maltraitée pendant son exploitation ». Elle mesure 1m68, pèse 70kg, aura 54 ans la semaine prochaine, a 4 enfants, gagne le SMIC – en conjuguant des ménages dans un lycée à Bourges mais aussi chez des particuliers, notaires, magistrats, etc. ainsi que des baby-sitting en guise d’extras – a un physique pas facile, fume 1 paquet / 1 paquet et demi par jour.

Elle ne dit pas bonjour quand Mohamed El Khatib la croise dans l’enceinte du lycée, lors d’une édition du Printemps de Bourges. Quand il lui demande pourquoi, elle lui répond qu’il ne peut pas imaginer le nombre de fois où les gens ne lui ont pas rendu la politesse. C’est le départ de cette création. Une rencontre qui va donner lieu à un spectacle insolite, un portrait documentaire et une critique sociale.

L’idée est de transmettre au public le quotidien et le vécu de cette femme de ménage désillusionnée.

« Je me lève à 5h du matin, c’est pour tenir un balai dès 6h, jusqu’à 19h/19h30. Ça m’arrive d’y penser en dehors, d’en rêver. »
confie-t-elle en interview.

Mais ce qu’on ne peut pas lui enlever, c’est son piquant, son répondant, son humour et son auto-dérision.

Et sa capacité à monter sur scène, sans trembler : « Quand Mohamed m’a parlé de son idée, j’ai dit ok on y va. Ça marche, ça marche, ça ne marche pas, ça ne marche pas ! Je n’ai pas peur du côté voyeuriste. Vous savez les femmes de ménage, on est les femmes de l’ombre. On sait qu’on est là mais on ne nous connaît pas. »

Elle n’a pas sa langue dans sa poche, un caractère bien trempé, et est bien décidée à parcourir les villes de France, mais aussi d’Angleterre et de Belgique, pour jouer la pièce. Même si elle ne se souvient pas toujours de son texte ou qu’elle n’arrive plus à faire certains mouvements, son corps la tiraillant. Et ce point-là, le metteur en scène s’en saisit pour délivrer un témoignage percutant autour de la condition ouvrière et prolétaire.

Il établit alors une comparaison avec le corps d’une danseuse. Les mouvements répétitifs de la femme de ménage résonnant comme une chorégraphie. C’est ainsi qu’Elodie Guezou intègre le spectacle. Elle a 24 ans, pèse 47kg, danse depuis ses 7 ans, n’a pas d’enfant, n’en aura surement jamais à cause de son activité physique, n’a pas de crédit revolving, pas de plan de reconversion non plus. Elle livre cet autoportrait poitrine au sol, fesses en l’air et pieds au dessus la tête. En off, elle précise avoir été malmenée par sa professeure à l’école de cirque qui tirait sur son corps.

Elles vont toutes les deux se livrer à des démonstrations aussi cyniques que drôles, l’humour s’intégrant à la partition avec tendresse et ironie. C’est là que le spectacle interpelle. Cette frontière entre esprit décapant et bienveillance est troublante. On rit. Mais pourquoi ?

Parce que Corinne Dadat est comparée à une danseuse mais quand « je nettoie les chiottes, personne ne m’applaudit à la fin » ? Parce qu’elle avoue ne pas être favorable à l’entrée de la Turquie dans l’Union Européenne parce qu’ils ont une autre mentalité que nous et qu’ils vont nous piquer du travail quand on n’a pas ? Parce qu’elle n’a pas « encore » voté FN ? Ou parce qu’elle préfère la musique de Schubert à celle de Sardou ?

Parce qu’Elodie Guezou avoue qu’elle n’a pas « encore » été sodomisée ? Ou parce qu’elle passe la serpillière avec ses cheveux et son corps ? Ou encore parce qu’elle bouscule le metteur en scène, talent émergent des auteurs issus de l’immigration ?

Après l’instant trop court de délectation d’un spectacle humoristique en surface, le fond de la pièce glace le sang. Et mérite son ovation, son succès. Comme l’analyse la danseuse contorsionniste, Mohamed El Khatib ne réduit pas les deux personnages à leurs corps meurtris par des professions physiques et ingrates :

« On a la parole dans ce spectacle qui cherche à voir comment mon corps peut parler avec le vécu et la pratique de Corinne. »

On est pris entre le manque d’espoir évident, la fatalité d’un lendemain morne et sombre et les sourires des deux femmes sur scène. Leur manière d’accepter leur quotidien. Leurs conditions. Entre courage ou lâcheté, on hésite. Mais ce n’est peut-être pas là la finalité du propos. Peut-être faut-il se libérer de tous nos jugements pour n’y voir qu’une simple réalité et un spectacle inspirant.

Aujourd’hui, Corinne Dadat rêve à nouveau. Jouer la pièce sur l’île de la Réunion. Là où habite son fils. Là où elle veut s’établir une fois à la retraite. « Mais bon, la retraite, je sais même pas quand c’est. Ça fait 37 ans que je travaille, c’est tout c’que j’sais. Tu sais toi à quel âge j’aurais la retraite ? », lance-t-elle à la chargée de production. On ne pose pas la question à Elodie Guezou qui pour l’instant n’est « même pas assez connue pour jouer ses productions ».

Célian Ramis

La création, à la base de la passion

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Festival Mythos, Rennes
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L'auteure autrichienne Elfriede Jelinek n’épargne pas les femmes, ne les place pas en victimes. Elle les somme de se réveiller. Le duo de la Compagnie KF s'empare de cette énergie pour leur nouvelle création, Les Amantes.
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Actuellement en pleine création de leur prochain spectacle, Les amantes, inspiré du roman d’Elfrielde Jelinek, Camille Kerdellant et Rozenn Fournier, toutes deux fondatrices de la compagnie KF, en présenteront une lecture lors du festival Mythos, le 21 avril à la Péniche Spectacle.

Elles se sont rencontrées en 1998. Et ont monté leur premier spectacle Quelques fois je suis la pluie en 1999. Entourées de Christophe Lemoine à l’écriture, elles ont eu envie d’un conte sur le désir féminin, de parler du rapport au père et à la mère. Rozenn Fournier à la mise en scène, Camille Kerdellant sur le plateau. « Nous avons composé, tricoté, fabriqué avec ce que Christophe écrivait. Nous ne voulons pas utiliser des textes de théâtre mais des matières textuelles à aller chercher ailleurs. », explique Camille Kerdellant. C’est l’essence même de la compagnie KF. Un laboratoire de recherches basé sur l’envie du duo d’être libre avec leurs désirs et leurs pensées.

Et sur cette nécessité qu’elles ont à s’approprier les formes d’écriture, de narration, et d’en faire des pièces singulières, leur travail ne ressemble à aucun autre. En plus de 15 ans, elles ont fait leurs armes et expérimenté diverses formes de spectacle à travers Qui exprime ma pensée, Dans la cendre du ciel, ou encore Homme. Toujours entourées d’autres artistes professionnel-le-s, elles portent à bout de bras des propositions hybrides, souvent à visée sociale.

NE PAS SE PERDRE EN ROUTE

Mais la fatigue se fait ressentir. Rozenn Fournier et Camille Kerdellant, pour ne pas s’enchainer à un processus de production et diffusion incessant et insensé, ont besoin de respirer. Les bouffées d’air frais, elles les prennent dans divers projets avec d’autres compagnies.

« Ce n’est pas facile de tenir une compagnie quand on a peu de moyens, souligne Camille. On ne trouve pas forcément de plaisir dans la production. Nous avons surfé sur cette énergie pendant 3-4 ans mais on a accumulé beaucoup de fatigue, nous avons préféré avoir d’autres expériences et se retrouver ensuite ! ».

Rozenn Fournier acquiesce. S’éloigner du plateau creuse un fossé avec l’esprit qui les anime : la conception, la confrontation au public, le partage. C’est en 2009 à l’occasion du festival rennais Les Scriludes, autour de la correspondance, que Camille Kerdellant fait renaitre la relation épistolaire entre Grisélidis Réal, prostituée, et Jean-Luc Hennig, journaliste. Puis poursuit cette liaison dans une forme plus aboutie. La création est auto-produite, le budget inexistant, les dates pleuvent et le spectacle Grisélidis ou la Passe Imaginaire sillonne les routes de France : « C’est extra : faire son travail, jouer, rencontrer le public ! »

PLAISIR DANS LA CRÉATION

Les deux artistes renouent alors avec l’envie de simplicité et montent ensemble Ma famille, qui rencontre un franc succès et prend son envol. La pièce, qui aborde la place de l’enfant dans le monde d’adulte avec cynisme et clairvoyance, continue d’ailleurs à être jouée, que ce soit sur des scènes nationales ou chez l’habitant-e. La compagnie KF poursuit son chemin libertaire et ambitieux.

Depuis un an, elle œuvre à la conception d’une nouvelle création, Les amantes, qu’elles présenteront en 2017. Parmi leurs lectures et envies, elles ont sélectionné le roman d’Elfriede Jelinek, dont la pièce porte le nom. Elles l’ont lu et relu ensemble. Sur 5h, il faut maintenant ne conserver qu’1h environ. « Tout en gardant l’écriture et la substance riche de l’œuvre ! », tient à rappeler Camille Kerdellant.

Car évidemment, l’ouvrage de l’artiste autrichienne recèle de particularités littéraires. Une force et une singularité dans l’écriture. L’écrivaine, féministe, s’inscrit dans la contre culture de l’après guerre. Elle décide de rester dans son pays mais d’inventer une langue à elle.

Ce qui envoute Camille, c’est sa façon de fabriquer des mots chocs. De juxtaposer « des choses sirupeuses avec un langage très cru, elle peut parfois être vulgaire ». Ce qui séduit Rozenn, c’est le manque de ponctuation et de repères dans la typographie. Le fait de passer de l’auteure, au narrateur à un personnage périphérique sans s’y attendre. « Le passage du récit à l’incarnation du personnage est excitant. C’est très stimulant pour nous ! », s’enthousiasme-t-elle.

RETOUR À LA PASSION

Alors qu’elles débutent une semaine de travail au théâtre de Poche à Hédé, où elles liront une version des Amantes le 21 mai lors du week-end « Plumes et goudrons », elles pourraient parler sans s’interrompre de l’œuvre qu’elles décortiquent et analysent afin de saisir des bribes de formes potentielles.

Elles travailleront cela également avec Marine Bachelot, dramaturge (dont on pourra découvrir la création Le fils, sous forme de lecture, le 20 avril à 11h15 au théâtre de la Parcheminerie à Rennes, à l’occasion du festival Mythos), Gaëlle Héraut, chorégraphe, ou encore David Manceau, compositeur. En attendant, elles retroussent les manches de leurs méninges et se lancent à bras le corps dans le fond de l’ouvrage qui met en lumière le destin de 2 jeunes femmes reliées par une usine de sous-vêtements. 

Animées par la rage d’échapper à leur destin, elles vont faire preuve de force, ténacité et de pugnacité pour obtenir ce qu’elles veulent : trouver un homme, se marier et faire des enfants. Si l’histoire se déroule en Autriche dans les années 70, le duo KF ne conservera toutefois pas les références historiques « si ce n’est l’idéal qu’elles se projettent avec la cuisine aménagée et l’électroménager », précise Rozenn Fournier. La finalité de leurs luttes relate un idéal, précisément, qui ne semble plus d’actualité. Qui choque aujourd’hui. Et pourtant…

Mais l’intérêt n’est pas là. Rozenn l’affirme :

« Cet idéal, on ne le comprend pas. Mais on est interpellées par leur façon de se battre. Elles sont capables d’être humiliées, se trainer dans la boue, devenir pire que des carpettes. C’est très cynique de la part de l’auteure ! Elle met un gros coup de pied au cul ! »

Elfriede Jelinek n’épargne pas les femmes, ne les place pas en victimes. Elle les somme de se réveiller. « J’aime son angle de vue pour nous alerter, éviter ce genre de glissement. Même si ça me heurte car c’est violent. J’aime son énergie et la force avec laquelle elle réveille les femmes. », conclut Camille Kerdellant.

Premières sonneries prévues le 31 mars à l’ADEC, Maison du théâtre amateur de Rennes, et le 21 avril à la Péniche Spectacle pour la 20e édition du festival des arts de la parole, Mythos.

Célian Ramis

Porte-parole des dominé(e)s par l'Occident

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La chorégraphe ivoirienne Nadia Beugré dénonce l'exploitation des Africain-e-s par des multinationales dans son spectacle en création, Tapis rouge, prévu pour 2017.
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En résidence au Musée de la danse en février, la chorégraphe ivoirienne Nadia Beugré a travaillé avec le musicien Seb Martel sur son spectacle Tapis rouge prévu pour 2017, qui dénonce l'exploitation des Africain-e-s par des multinationales.

Mettre les invisibles sur le devant de la scène. La chorégraphe Nadia Beugré en ressent la nécessité, en tant que « personne qui questionne », qui dénonce les injustices pour « contribuer au changement ». Dans son nouveau spectacle Tapis rouge, encore au stade expérimental, elle s'attaque aux conditions des personnes exploitées, femmes et enfants, dans les mines d'or et les champs de cacao en Afrique.

Elle a pris conscience de cette réalité lors de vacances au Burkina Faso, il y a deux ans. Pendant une fête, Nadia remarque des blessures sur les bras de femmes mineures. « Elles se coupent car le sang fait remonter l'or », raconte la danseuse d'origine ivoirienne, installée en France.

SOUS LES PAILLETTES

À son retour en France, où elle vit depuis sept ans, elle se sent obligée d'en parler lors de sa résidence « Sujets à Vif » proposée par le festival d'Avignon, la même année. « C'est un luxe, il y a du public ! », constate Nadia. Et ce public, c'est l'élite intellectuelle, celle qui décide, sacralisée sur un tapis rouge.

Le moment lui semble opportun pour « parler de ce qui se passe en dessous du tapis, des paillettes », des petites mains qui contribuent à la richesse des puissants vénérés.

Celle qui reconnaît elle-même faire partie de ce système le sait bien. Et la danseuse se fait porte-parole de ces Africain-e-s victimes d'une économie basée sur les intérêts financiers, avec la complicité des États :

« Nous ne sommes pas différent-e-s, aucun individu n'est plus important qu'un autre. »

RAPPORTS DE FORCE

Durant une semaine au Musée de la danse en février, le duo qu'elle forme pour ce projet depuis 2014 avec le guitariste Seb Martel, a exploré des sensations, des états intérieurs en improvisant avec un tas de terre. Lors des répétitions, « on ne cherche pas des mouvements ni des chorégraphies précises. Peu importe la forme, c'est ce qui ressort. Durant les répétitions, il y a des moments où on improvise pendant une heure, des rapports de force se créent entre nous et se modifient. On ne s'installe jamais dans un rôle précis », développe le musicien.

Tous les deux se sont focalisés sur les contraintes que subissent les travailleurs dans les mines : le manque d'oxygène lorsqu'ils se hissent au fond du puits, la terre qu'ils grattent sans s'arrêter, les bouts d'or qu'ils coincent entre leurs dents.

« Comment trouver la bonne manière d'en parler ? » Nadia Beugré a ce souci continu, afin d'essayer de se mettre à leur place et rapporter au plus près leurs vécus. Prochaine étape du projet  : partir travailler seule quelques semaines avec ces mineur-e-s au Congo ou au Burkina Faso.

« J'ai envie de prendre des risques, admet-t-elle. Ces jeunes qui ont besoin de manger en prennent. »

DOMINATION BLANCHE

Tapis rouge est aussi l'espace dans lequel la chorégraphe interroge les rapports de force entre Blanc-he-s et Noir-e-s, qu'elle vit toujours aujourd'hui. « Lorsque j'ai voulu passer les frontières américaines il y a un an, on m'a demandé mon passeport alors que toutes les autres personnes qui m'accompagnaient sont passées. Ce n'est pas moi qui ai crée ça, le racisme. Même si ce n'est pas de votre faute », se rappelle-t-elle, encore affectée, en s'adressant aux personnes de couleur blanche. Et toute cette colère, la chorégraphe l'utilise pour nourrir ce spectacle qui sera présenté en 2017.

Célian Ramis

Image de soi : Se fondre dans la masse ?

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Rennes
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Dans une société d'apparence, l'image de soi peut être tout aussi honorifique que tyrannique. Quelles places pour les différences ? Enquête sur l'image et l'estime de soi chez les femmes d'aujourd'hui.
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Depuis trois ans maintenant, YEGG rencontre chaque mois des femmes qui contribuent au maintien et l’avancée des droits des femmes, vers l’égalité des sexes. La rédaction a pu noter au fil du temps et des rencontres que la remise en question, de leur part, de leur légitimité à parler d’un sujet revient régulièrement sur le tapis.

Et quand vient le moment de la photo, les visages se crispent. « Vous êtes sûrs que c’est bien de mettre ma tête dans votre magazine ? », « Roh, je n’aime pas les photos, je ne suis pas photogénique » ou « Vous me retoucherez sur Photoshop hein ?! » sont des phrases que l’on a pris l’habitude d’entendre et auxquelles on a pris l’habitude de répondre.

Impossible pour nous donc de passer à côté de cette problématique récurrente convergeant vers le souci de l’image de soi et le rapport à l’estime de soi. Et force est de constater qu’enfermées par des normes physiques et des assignations de genre, les femmes développent des techniques d’évitement et de protection afin d’essayer d’assumer leurs différences.

La problématique n’est pas seulement épineuse, elle est complexe et délicate. L’estime de soi, processus consistant à se percevoir à travers le regard de la société et/ou de son groupe d’appartenance, est intrinsèquement liée à l’image de soi, dans le sens d’apparence physique, régie par une série de normes, elles-mêmes constituées de tout un tas de stéréotypes et d’assignations genrées.

Ainsi, soigner son apparence est une manière de prendre soin de son soi intérieur. Un geste qui peut être aussi bien source de bonheur que de souffrance. Car les discriminations en raison d’un physique ne correspondant pas à la norme de la femme blanche, jeune et mince constituent une réalité bien triste et minorée de sa gravité.

Très récemment, courant février, une étude de France Stratégie confirme que les hommes sans ascendance migratoire ou d’origine européenne sont privilégiés à l’emploi, et notamment pour l’obtention d’un CDI à temps plein, par rapport aux personnes originaires des DOM et du continent africain.

Difficile de trouver un travail dans ces conditions, d’autant plus quand on est une femme noire. À la même période, le Défenseur des droits et l’Organisation Internationale du Travail publient la 9e édition du Baromètre sur la perception des discriminations dans l’emploi, intitulée « Le physique de l’emploi ». L’étude, réalisée en octobre et novembre 2014, est portée sur 998 demandeur-e-s d’emplois (500 hommes, 498 femmes) entre 18 et 65 ans.

« Avoir un style non conforme aux codes de l’entreprise (cité à 85% par les femmes et 78% par les hommes) et le fait d’être obèse (cité à 79% par les femmes et 73% par les hommes) font partie des situations les plus pénalisantes (au même titre que le fait d’avoir plus de 55 ans, d’être enceinte et d’avoir un handicap visible). Corrélativement, le fait d’avoir un physique attractif est vu comme un avantage par 66% des femmes et 65% des hommes. Les normes d’attractivité physique et de corpulence admises en France, valorisant la minceur pour les femmes, semblent s’étendre jusqu’aux conditions de recrutement. », souligne le rapport.

Ainsi, les femmes obèses rapportent 8 fois plus souvent avoir été discriminées à cause de leur apparence physique que les femmes d’IMC « normal » (les hommes obèses parlent de 3 fois plus) et les femmes en surpoids rapportent 4 fois plus souvent avoir été discriminées pour la même raison que citée précédemment que les femmes d’IMC « normal » (pas d’effet spécifique sur les hommes).

Alors la marque de savon Dove peut toujours nous chanter la beauté de tous les corps et des rondeurs dans ses campagnes publicitaires, il semblerait qu’au-delà de la salle de bain, la non minceur ne soit pas considérée comme facteur de beauté. Sauf que tout cela est subjectif, se dit-on. Et pourtant, philosophiquement parlant, la beauté est objective. Tout comme la laideur.

QUELLE OBJECTIVITÉ ?

À l’occasion du cycle « Image de soi », proposé par la Bibliothèque des Champs Libres et porté par la conservatrice Bénédicte Gornouvel de janvier à mai 2016, et du festival rennais Zanzan « Cinéma et Arts des différences », un café philo interroge les participant-e-s autour de la notion de laideur, le 10 mars au café des Champs Libres. Dominique Paquet, comédienne, auteure dramatique et philosophe, anime la conférence (et reviendra sur ce sujet le 7 avril dans la salle de conférence des CL).

Selon elle, la laideur serait moins traitée que la beauté. Car cette dernière procure un sentiment de plaisir. Elle réjouit, calme, apaise. « Elle est beaucoup plus mise en avant philosophiquement. Pour des raisons qui relèvent de l’érotisme mais aussi du marché. », explique Dominique Paquet. A contrario, la laideur provoque répulsion, malaise, tristesse et épuisement. Si la norme change selon la période de l’Histoire, la beauté elle ne change pas, elle est objective :

« Il s’agit de la proportion harmonieuse d’un visage, d’un corps. Ce qui est laid, c’est la dysmorphose (anomalie de la formation d’un organe ou d’une partie du corps, ndlr), l’hypertrophie (développement trop important d’une partie du corps ou d’un organe, ndlr) ou encore la dystrophie (dégénérescence ou développement défectueux d’un organe ou d’une partie du corps, ndlr). Et ça en général, on ne veut pas regarder, ça nous effraie car ces cas échappent à la norme. »

Ce sont les critères de beauté qui changent. À travers les images que l’on nous assène de voir - dans les publicités, les médias, le cinéma grand public, etc. – on encourage la course à la beauté et le culte de l’apparence. « Sauf qu’il y a plein de moyens de rendre un visage beau. Quand à la Une de ELLE, Claire Chazal a le cou lissé, il faut être naïf pour penser que les femmes sont comme ça ! », lâche la philosophe qui reconnaît que pour certaines femmes la beauté serait un passeport social. Grâce auquel on accorde son regard, sa courtoisie. Toutefois, elle précise : « Le regard de l’autre peut aussi être le regard qui tue. »

FORTE PRESSION

Mais qu’en est-il quand on ne voit pas ce fameux regard ? Est-on à l’abri de la pression ? Loin de là, nous répond Sylvie Ganche, qui travaille à la mission accessibilité aux Champs Libres. Elle a grandi malvoyante et depuis une quinzaine d’années est aveugle. « C’est difficile l’image de soi quand on ne se voit pas. On ne se voit que dans le discours des autres et ce dernier est très variable selon l’interlocuteur. », explique-t-elle d’emblée.

Au lycée, elle prend conscience de sa différence et du poids de l’image aussi bien de la part des élèves que des adultes : « Jusqu’en 3e, je fréquentais des écoles spécialisées, je ne connaissais que des déficients visuels. J’ai compris ensuite que j’étais différente, et c’est devenu une obsession car j’ai eu l’impression que mes pensées étaient visibles. » Elle l’affirme : plus elle perd la vue, plus elle se fixe sur des détails. Les aveugles auraient la réputation d’être sales, souillons.

Elle refuse de coller à ce cliché. Dans sa manière de s’habiller, elle prend toujours une base noire et ajoute ensuite d’autres vêtements, sobres. Elle s’en remet aux professionnel-le-s pour le vernis, la coiffure, etc. « J’essaye de me distinguer par la sobriété avec un petit truc qui sort de l’ordinaire. Mais il faut mes habits soient assortis. J’ai peur de la faute de goût et je m’interdis beaucoup l’erreur. Je suis très embêtée si on signale quelque chose, comme un trou dans un vêtement ou autre. », confie Sylvie.

Elle ne se maquille pas, elle considère cet artifice comme une perte de temps. Comme elle aime à le dire, elle alterne entre sa différence « et je vous emmerde », et la pression de son image. Qui va jusque dans sa canne qu’elle considère comme un objet moche qui n’a jamais été développé niveau esthétique mais qui participe à l’idée que l’on peut se faire sur une personne : « Y a des bigleux qui ont des cannes toutes tordues, toutes moches. Ça véhicule une image quand même ! C’est important de ne pas paraître crado ! »

Sans le voir, le poids de l’apparence est ressenti, subi. Et pour Sylvie, la difficulté réside aussi dans le rapport aux hommes. « Ils ont besoin de briller à travers leurs femmes. Moi, femme handicapée, je ne suis pas celle que l’on attend, pas celle que l’on cherche. À part peut-être pour une nuit… Mais séduire quand tu n’as pas les codes visuels, c’est compliqué. J’ai eu plusieurs expériences, avec un aveugle notamment. La pression était différente. On faisait attention aux sons, aux odeurs, etc. Mais surtout on est évalué par l’entourage et là c’est difficile. Même les hommes aveugles veulent briller par leurs femmes. Ils ont les mêmes exigences ! », déplore-t-elle.

Et le couple, hétérosexuel principalement, fait aussi partie intégrante de la norme. Dès l’enfance, filles et garçons intègrent ce diktat. Pour Dominique Paquet, ce serait « plus gratifiant ». Mais lorsque la jeunesse s’évapore du visage d’une femme laissant apparaître des signes d’âge avancé, comme les rides et les cheveux blancs, le regard de la gent masculine change, mais aussi celui de la gent féminine, la société réfutant la vieillesse.

« Vers 50 ans, on n’est plus bonnes pour la reproduction. Après avoir eu des enfants, le corps s’alourdit. Puis il encaisse les kilos de la ménopause. La femme vit dans son corps des étapes très douloureuses depuis l’adolescence. Socialement, dans le regard des autres, on sent qu’en vieillissant on prend la place d’une autre femme, plus jeune. On a alors un désir de rester belles car ce n’est pas agréable de se voir vieillir. On veut boire des élixirs, avoir une cure de jouvence ! », soutient la philosophe.

CHIRURGIE ESTHÉTIQUE ET PLASTIQUE : LA CONFUSION

Mais la chirurgie esthétique n’a pas bonne presse. Avoir recours au bistouri ? Artificiel ! Et cher en plus de ça ! Se maquiller tous les matins, se refaire une beauté à mi-journée, choisir ses habits en fonction de la mode et autres apparats comme l’épilation des jambes, des aisselles et du maillot par exemple et autre tartinage de crèmes en tout genre, ok, mais faire appel aux technologies chirurgicales d’aujourd’hui, jamais de la vie ?! La confusion règne.

Et surtout se forge à partir d’images étalées dans la presse people montrant des stars addicts de la piqûre et du lifting. Mathilde Robert et Marion Gérard sont toutes les deux chirurgiennes plasticiennes. Elles exercent leur profession au sein de deux établissements rennais : le CHU (Hôpital Sud) et le centre Eugène Marquis (centre régional de lutte contre le cancer). « On touche à toutes les parties du corps. On peut faire des chirurgies de la main, de la face, du pied, des zones intimes… C’est très varié. On a une fausse image de notre profession. », débute Marion Gérard.

En consultation, elles rencontrent tout type de patient-e-s, venu-e-s pour tout type d’opération. Des séquelles d’un amaigrissement ou d’accouchements à une gêne due à une forte poitrine, en passant par la volonté de paraître moins fatiguée, plus jeune, Mathilde et Marion répondent à des demandes diverses qui peuvent être purement esthétiques comme reconstructrices et médicales. La différence étant expliquée concrètement par Mathilde : avec le médical, la reconstruction, on passe du pathologique au normal – en essayant de rendre le normal beau – et avec l’esthétique, on passe du normal au beau.

Un exemple simple et parlant : « Pour des seins qui tombent, c’est esthétique, on passe du normal au beau. Pour une hypertrophie mammaire, on passe du pathologique à du normal, dès l’instant où on enlève minimum 3O0 grammes par sein. » Et aussi étonnant que cela puisse paraître, les opérations de réduction mammaire sont bien plus courantes que l’on ne le pense.

« Dans le secteur public, la première consultation est prise en charge. Cela permet de qualifier si la demande est médicale ou esthétique. Quand il s’agit d’une opération esthétique, celle ci est à la charge du patient. Si l’opération est médicale, elle est prise en charge. Nous avons des critères qui nous permettent de définir cela. », explique Marion Gérard. Et quand il y a ambigüité, une demande d’entente est envoyée à la Sécurité sociale.

La gratuité pourrait-elle alors amener les femmes à se laisser tenter ? Pas forcément, les délais étant souvent très longs en ce qui concerne le CHU. Lennie – son prénom a été changé pour conserver l’anonymat – a éprouvé le parcours de la chirurgie. Pour une réduction mammaire dans le cadre d’une hypertrophie. En fin d’année dernière, elle est passée d’un 90 F à un 90 C, la norme. Elle avait toujours rêvé de le faire, depuis que sa poitrine s’était développée au début du lycée.

« C’est en 2013 quand je suis allée en Indonésie que j’ai vraiment ressenti dans le regard des autres que j’avais une grosse poitrine. Ma mère connaissait quelqu’un qui s’était fait opérer. J’ai alors passé un coup de fil et un mois plus tard j’avais rendez-vous pour la consultation. », déclare-t-elle. Au quotidien, Lennie se sent bien dans son corps et tient au discours sur l’acceptation de soi. 

« Je me suis dit que c’était un peu contradictoire alors de se faire opérer. Mais j’étais tellement décidée que je l’ai fait. Ce n’est pas que de l’esthétisme, c’est un confort général. Avant j’avais tendance à me tasser, j’avais mal au dos. Aujourd’hui, je me sens plus légère, je me tiens plus droite. Je me suis quand même réveillée avec 700 g en moins ! », s’enthousiasme-t-elle.

Le revers de la médaille : les cicatrices très visibles, la brassière de contention à porter pendant plusieurs mois. Mais Lennie ne regrette rien. Sa poitrine n’est pas parfaite, selon ses dires, mais elle en est satisfaite. Avant, elle avait l’impression de porter une étiquette, celle de ‘la fille aux gros seins’. Aujourd’hui, elle a jeté cette étiquette « et je n’en ai pas remis depuis ! »

Pour Mathilde Robert, ce qui compte avant tout, c’est « de peser le rapport bénéfices/risques. Si c’est trop risquer, c’est à nous de les amener à revoir leurs jugements sur elles. Ou si je ne vois pas le problème, je ne pourrais pas traiter quelque chose que je ne vois pas. » Pour le reste, quel mal y a-t-il à réparer des parties de son corps, que ce soit pour raisons médicales ou pour raisons esthétiques ?

Pourtant, un bémol persiste : l’image occupe une telle importance dans la vie des femmes que certaines peuvent formuler des demandes surprenantes. À l’instar des réductions des petites lèvres en hausse ces dernières années. « Beaucoup de photos circulent sur Internet et les jeunes femmes, car ce sont surtout elles qui sont touchées, ont l’impression que la norme est de ne pas avoir de petites lèvres. Mais c’est faux. Elles servent à quelque chose, et on ne pourra jamais les supprimer ! », assure la chirurgienne plasticienne.

Les deux professionnelles sont unanimes, les clichés autour de leur pratique s’accumulent et sont souvent erronés. Elles ne nient pas les demandes d’opérations à visée esthétique mais expliquent que le maitre mot des patientes est ‘discrétion’. Une injection pour sembler plus fraiche, moins fatiguée, mais surtout pas plus pour ne pas éveiller les soupçons des autres.

PAS DANS LA BONNE CASE ?

Et comment agir et réagir lorsqu’on ne se sent jamais dans les bonnes cases ? Se sentir obligée de coller à un certain nombre de critères physiques, Roxane Gervais comprend et vit cette injonction de manière très forte. Femme trans, elle a débuté sa transition sociale depuis un an et sa transition hormonale depuis l’été dernier.

« Quand je sors, je suis obligée de faire très attention à être rasée, faire attention à ma coiffure, mon maquillage, ma tenue. Mon image est capitale dès que je sors de chez moi, c’est extrêmement important. », insiste-t-elle. Capitale car elle s’expose dans l’espace public à une mise en danger réelle, passant par des moqueries, des regards, des insultes, mais aussi des agressions physiques.

Depuis petite, Roxane se pose des questions par rapport aux filles et aux garçons, pourquoi les copines ont des seins et pas moi ?, pourquoi j’irais jouer au foot alors que je n’ai pas envie ?, etc. Et avoue être allée loin dans les clichés masculins à l’époque de sa scolarité. « Mais il y a des choses comme l’astronomie, les sciences, la mécanique, la navigation, des secteurs dits très masculins, dans lesquels je m’éclate ! L’un n’empêche pas l’autre. Le problème, c’est qu’on nous fait tout le temps sentir que quelque chose cloche. Faut avoir une grosse confiance en soi pour s’en foutre ! », souligne-t-elle.

Peu importe l’apparence, le caractère, les actions, le parcours qu’une femme qu’empruntera, elle sera toujours le sexe inférieur.

Consciente des enjeux, Roxane découvre en même temps le bonheur de se faire appeler Madame, d’être reconnue comme femme, et en même temps le sexisme qui va avec le statut. « Le féminisme est très important pour moi depuis très longtemps mais socialement parlant, je ne le connaissais pas de ce côté là de la barrière. Quand on me voyait comme un mec, on m’écoutait parler de ça. Maintenant, je vois bien que mon avis n’a plus de valeur. Pourtant, je parle exactement comme avant. Avant, on disait que j’étais sanguin. Maintenant, on dit que je suis agressive. », note-t-elle.

Pour elle, la transition n’était pas un choix mais une obligation. Pour survivre. Pour vivre tout court. Car elle n’a jamais été dans les bonnes cases. C’est le cas de toute personne qui décide de ne s’établir simplement en fonction de la norme. Et Roxane est inspirante, et la preuve que la transsexualité n’a aucunement sa place sur la liste des maladies mentales (retirée depuis 2005 mais le parcours reste un combat impensable) :

« Je me sentais toujours à côté, là, je peux me sentir moi. Je commence à avoir de la poitrine et de moins en moins de poils, je remonte dans l’estime de moi-même, je revis. Je vis tout court ! Mais je ne suis pas que ça. Je fais du derby, des bijoux, de l’informatique, de la navigation, j’ai une compagne, des enfants… La transidentité impacte beaucoup d’aspect de ma vie mais n’est pas ma vie entière. »

Roxane Gervais avoue traverser des moments difficiles et l’apparence joue un rôle primordial. Aussi positif que négatif. Car la dysphorie existe et se vit violemment. « C’est le fait de se voir dans le miroir, ne pas se reconnaître et voir son apparence de base. Ça donne un côté ‘je ne suis pas une vraie femme’, moi je sais que c’est faux mais c’est ce qui arrive quand on fait des crises de dysphorie. C’est alors une vraie haine de soi et de son corps que l’on ressent. On peut se blesser, se faire du mal. », livre-t-elle.

Pour elle, ce n’est pas qu’une question de physique car elle sait profondément qui elle est. Mais les regards peuvent être insistants et gênants. Ainsi, dès qu’elle se sait identifiée, elle accumule du mal-être : « On nous renvoie l’image de travelo. Mais ce n’est pas vrai, c’est mensonger, une fausse image. » Elle est une femme et souffre également des assignations très fortes qui sont associées à son sexe avec une certaine obligation d’y répondre. « Quand je suis en pantalon, on me demande alors pourquoi je veux changer de sexe ?! », confie-t-elle. Comme si ne pas porter de jupe ou de robe faisait de nous des hommes…

MARCHERAIT-ON SUR LA TÊTE ?

Le témoignage de Roxane Gervais met en lumière la pression qui s’abat sur l’apparence et le physique, en particulier des femmes. Et la tyrannie de l’image va plus loin et les jugements s’accumulent. Leïla ne le sait que trop et en témoigne dans une conférence gesticulée « J’avais tout CAF’ter : le RSA, un droit qui fonctionne à l’envers », présentée à Rennes le 11 mars à l’occasion du festival Le Contrepried dans le plat, à la maison de quartier de Villejean.

Le propos n’est pas celui de l’image et de l’estime de soi mais elle l’aborde malgré tout. Parce qu’elle est issue de l’immigration, on lui renvoie une image de précarité. Parce qu’elle a des origines marocaines, elle devrait être secrétaire ou chômeuse. « J’ai fait Sciences Po et mon père m’offrait des fringues car à cause de mon nom j’allais être freinée à l’embauche. Voilà ce que ça renvoie socialement d’être issue de l’immigration. J’avais tout le temps le sentiment de ne pas avoir le niveau. », dévoile-t-elle, sous pseudo, pour raisons professionnelles.

Aujourd’hui, elle occupe un poste important, intellectuel et influent, que l’on taira par respect de sa demande. Dans son conférence gesticulée, elle met en avant les difficultés de s’associer à une culture dévalorisée, qui renvoie sans cesse à un statut de dominée, celui de la jeune femme fille d’immigré. Et elle souhaite également parler de la condition des femmes au Maroc : « Quand je vais là-bas, ma famille veut me marier. Il y a un gros décalage, moi je fais des blagues de cul, je suis assez libérée. Et finalement, on ne correspond jamais aux normes voulues par la France et aux normes voulues par le Maroc. » Elle en a marre, elle veut donner une autre image de l’immigration, ne pas s’enfermer dans des cases et des stéréotypes.

Mais la société marche sur la tête. Et dans cette logique de changer les regards, elle se retrouve prise au piège. Victime de violences physiques, infligées par son ex-compagnon – français, faut-il le préciser ? – Leïla a porté plainte en 2007. Elle n’en a parlé qu’à peu de ses ami-e-s. Par honte. Par conscience que ce n’est pas un fait valorisant.

Pourtant, lorsqu’elle prépare sa conférence, l’organisme formateur pose la question : « Contre quoi êtes-vous en colère et contre quoi voulez-vous vous battre ? » Elle prend conscience qu’elle souhaite expliquer comment on se sent lorsque l’on est victime de violence : « Je me rends compte que j’avais honte. Forcément, les violences, c’est chez les pauvres et les étrangers. Et puis, je l’ai vu par le volet politique, féministe : notre honte, c’est leur impunité. La honte, c’est à eux de la porter ! Socialement, je suis bien placée. Je dois alors assumer cette question-là et ne pas l’aborder comme une faiblesse. »

La violence, elle a longtemps été en contact avec. Sa sœur et sa mère en ayant subi. Mais elle ne le dira pas lors de la représentation. Pourquoi ? Tout simplement pour éviter l’amalgame entre violence et immigration. Voilà pourquoi la société marche sur la tête. Une femme sur 4 est victime d’agression durant sa vie et on n’ose pas identifier un agresseur en raison de son origine ? Les clichés sont douloureux et provoquent tout un tas de complexités en lien avec l’image que l’on peut renvoyer. Et avec ce que la société va penser. Tout ça à cause d’une histoire de physique.

L’ESTIME DE SOI EN CONSTRUCTION

Si on constate que l’estime de soi résiste à la pression du battage médiatique, publicitaire, artistique et autre, elle ne peut toutefois s’affranchir complètement de l’image de soi. Se sentir bien à l’extérieur permet de conserver une bonne estime de soi, tout comme se sentir utile et compétente dans un ou plusieurs domaines nous rend épanouies et souvent plus à l’aise dans notre corps.

« Enfants, on intériorise les jugements des proches comme les parents, principalement, les enseignants et les camarades. Cela participe à la construction de l’image de soi et l’estime de soi. Au fil du temps, on se socialise, on apprend les normes des groupes sociaux. Puis on prend en compte l’avis des autres et les canons de beauté en vigueur dans les groupes socio-culturels. À  ceux-là sont associés des croyances, des stéréotypes, des caractéristiques associées au sexe de l’individu. On intègre à l’image de soi ces critères stéréotypés. », explique Sophie Brunot, maitre de conférence au département de psycho sociale à Rennes 2.

Ce que l’on estime, c’est ce que l’on imagine que l’autre pense de nous. L’autre pouvant être un individu proche de nous, source importante comme la famille (qui devient moindre lorsque l’on quitte le nid), les ami-e-s, les collègues, etc., ou un groupe social auquel on appartient ou bien encore l’ensemble de la société. On intériorise donc le jugement des autres. En toute subjectivité puisque l’esprit de l’autre est impénétrable. Plus on se sent apprécié et approuvé par nos sources, plus on s’accorde de la valeur.

Mais l’estime de soi est tout aussi complexe que la relation qui la lie à l’image de soi, dans le sens d’apparence. Et pour maintenir cette estime de soi, relativement bonne en moyenne, la mauvaise estime de soi conduisant à la dépression, l’individu use de stratégies d’évitement, comme les diverses comparaisons ou le désengagement par exemple. Celui-ci consistant à ne pas accorder d’importance au domaine qui mettrait l’estime de soi en péril. Ou à baisser nos exigences dans un secteur.

« On distingue le soi réel et le soi idéal. Plus la distance entre les deux est grande, moins l’estime de soi est grande. Le moyen de réguler cette distance, c’est alors de baisser nos prétentions dans ce domaine. », explique Sophie Brunot qui précise également que l’on distingue l’estime de soi globale et l’estime de soi spécifique : « On ne s’accorde par les mêmes valeurs partout. L’estime de soi spécifique consiste à s’évaluer par rapport à des domaines précis. Si on prend l’école, l’institution est un tout mais on peut prendre des secteurs précis, il y a école à maths à géométrie, par exemple. », explique la maitre de conférence.

Elle n’est pas spécialisée dans l’étude genrée de l’estime de soi mais en connaît parfaitement les ressors et la courbe moyenne d’estime de soi des femmes s’explique sociologiquement. Plusieurs études ont permis d’effectuer en 2007 une courbe moyenne de l’estime de soi des hommes et des femmes, tout au long de leur vie. Pour les deux sexes, la même ligne se profile. Seule différence : celle des femmes est toujours inférieure à celle des hommes.

« Une des raisons peut être qu’il y a une plus grande valorisation du sexe masculin. Les courbes reflètent le pouvoir relatif aux hommes et aux femmes dans nos sociétés. », analyse Sophie Brunot. La gent féminine éduquée à la modestie, aux tâches sociales, à la discrétion, à la beauté inaccessible via des standards inatteignables, vont se détacher de certaines orientations qu’elles pensent inadaptées à leur condition intellectuelle ou leur condition physique. Comme le domaine des sciences par exemple que l’on sait faible en représentation féminine.

« On explique davantage les choses aux garçons tandis qu’on décrit les choses aux filles. Le stéréotype va ensuite se révéler réalité puisque les filles vont penser qu’elles ne sont pas douées pour certaines choses. », confirme Sophie. Cela va avoir une incidence sur la manière dont on s’évalue et l’intérêt que l’on va porter à un domaine. Et les femmes intègrent, intériorisent, ses préjugés fondés sur une société ancrée dans la domination patriarcale.

Sans oublier que l’individu, et notamment féminin, a beaucoup de mal à de désengager de l’apparence physique. « C’est très insidieux, conclut Sophie Brunot. Car la valeur que l’on s’accorde est polluée par notre désirabilité sociale. »

Comment s’en sortir sans être assaillies par les normes, bordées de clichés, et d’images inatteignables ? Clarence Edgard-Rosa, journaliste entre autre pour les magazines Causette et ELLE, travaille au quotidien sur ces questions. Pour elle, l’important dans sa démarche journalistique est d’aller à l’encontre de la culpabilisation qui pèse sur les femmes. Comprendre les normes, comprendre d’où elles viennent.

Que l’on y cède ou non, il est essentiel de ne pas se blâmer les unes et les autres. Car on le sait, le jugement ne vient pas uniquement des hommes mais aussi des femmes qui intègrent depuis la petite enfance la série d’injonctions contradictoires et paradoxales qui leur sont faites.

« Ce qui m’a aidé, personnellement, c’est de ne pas me demander de quoi j’ai l’air mais comment je me sens. Quand je vois une image qui me fait me sentir mal parce que c’est juste violent et beaucoup trop anxiogène pour moi, je lis des bouquins intéressants, je regarde des images qui me font du bien (comme celles publiées sur son blog Poulet Rotique, lire l’encadré « Médias : plumes de l’empowerment », ndlr) », conclut la journaliste. Pas mieux pour terminer en beauté… !

Du 8 au 18 mars, les Céméa Bretagne – association qui forme les acteurs-trices du monde éducatif – organisent une série de manifestations autour des Jeunes femmes en errance, à l’Hôtel Pasteur de Rennes. Stéphane Cassagnou, salarié de la structure, a réalisé le documentaire L’errance (au féminin), projeté le 8 mars, dévoilant les témoignages de quatre personnes, dont Nadège et Lina, présentes lors de la diffusion.

YEGG : Le sous-titre de l’événement évoque le changement des regards sur ces « invisibles ». Pourquoi ?

Stéphane Cassagnou : Je suis un militant engagé dans une action politique. Je travaille avec une association qui intervient dans le champ politique à travers des valeurs, que je partage également dans ma production de reportages. Il est important de s’affirmer en tant qu’acteurs politiques. Pas la politique à proprement parler, nous ne sommes pas affiliés à un parti. C’est dans le sens où nous avons la volonté de faire changer les choses. Et je suis avant tout un militant de l’éducation populaire et cette association défend cela.

Quel regard avons-nous en règle générale sur les personnes en errance ?

Qu’elles sont feignantes, qu’elles ont choisi d’être en errance et qu’elles ne veulent pas travailler. Pour les femmes, en fonction de leurs habits, elles sont jugées comme ayant des mœurs légères. On pense aussi que ce sont des alcooliques, des drogué-e-s. Alors que ce n’est pas le cas de tout le monde. Il y a autant de parcours et de pratiques que de personnes en errance.

Et le terme « invisibles » ?

C’est provocateur. Ceux qui sont en errance occupent la rue et sont donc visibles. Ils ont des pratiques qui s’affichent aux yeux de tout le monde mais on ne connaît qu’1% de leur quotidien. Il n’y a pas que ce que l’on voit ! Ils veulent faire société et y participer, peut-être pas comme on l’entend mais ce sont des citoyens et à ce titre-là ils ont aussi voix au chapitre. Ils sont invisibles car ils ont un accès aux médias très réduit. Nous souhaitons construire un espace pour l’expression. C’est du travail, des rencontres, sur le long terme. Pour établir une relation de confiance. La légitimité des Céméa a aidé.

Donc cette invisibilité n’est pas propre aux femmes en errance ?

Non. Mais elles ont des particularités. Dans la façon de s’habiller, elles seront moins « genrées ». Dans la manière d’être, l’attitude, elles cherchent à être moins féminisées pour se rendre invisibles. Pour se protéger.

Se protéger de quoi précisément ?

De la rue. Car c’est un espace de droits mais aussi de non droits. Et les jeunes femmes sont considérées comme des proies. Alors quand elles sont en errance, c’est pire. Certaines se voient proposer des logements contre des faveurs sexuelles par exemple. Et les hommes en errance sont aussi parfois dans une misère affective, le regard qu’ils portent sur les femmes n’est pas désintéressé.

Les jeunes femmes parlent-elles de viols ?

Elles en parlent oui. Je crois qu’il n’y a pas une personne que j’ai interrogée qui ne m’en ait pas parlé. Soit viols, soit agressions physiques à caractère sexuel. Dans le documentaire, Lina parle d’un mec qui un jour lui a touché les seins et a voulu profiter d’elle. Elle a répondu par un coup de poing dans la figure. On pense alors que cette réaction est plutôt masculine. Et c’est ça en fait, les femmes adoptent des comportements dits masculins pour se protéger.

Est-ce qu’elles se regroupent entre elles pour éviter les difficultés ?

Il n’y a pas de communautés de femmes à proprement parler. Plutôt des groupes hommes-femmes qui se font et se défont en fonction des liens affectifs. Je dirais plutôt que les personnes en errance se regroupent par tranches d’âge.

Quelle est la tranche d’âge des jeunes femmes ?

Ce sont les 18-24 ans. On a groupé comme ça car les conditions de ressources sont différentes à partir de 25 ans (accès au RSA, ndlr). Et il y a aussi des mineures. Des 16-18 ans. Celles-là sont complètement invisibles.

Le 10 mars est organisé un Forum autour de l’image de soi et la construction de l’estime de soi au-delà des stéréotypes. Quels regards portent-elles sur elles-mêmes ?

C’est un sujet qui a peu été abordé lors de nos rencontres et interviews. Car c’est une question très intime. Et je voulais que ce soit à elles de choisir les thèmes dont elles voulaient parler. Je ne voulais rien manipuler. Pour l’estime de soi, c’est une vie rude, donc il en prend un coup. Surtout après les agressions sexuelles. Elles ont la sensation de ne plus être considérées et n’arrivent plus à se considérer. Déjà que pour une femme il est difficile d’aller porter plainte, en France, l’effectivité des droits étant compliquée pour toutes les populations discriminées, imaginez un peu pour celles qui sont en errance. Mais ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas de vengeance. Seulement, c’est hors institution.

Et comment vivent-elles le regard de la société sur elles ?

C’est difficile à dire car leurs habits enlèvent le genre. Mais une fois j’étais avec une jeune femme qui était en jupe. Elle a été plusieurs fois agressée verbalement, en ma présence. Par des mecs zonards, en errance aussi. Il y a des jugements entre eux également à cause de la misère affective et du manque de relation. Mais pour beaucoup, l’errance est vue comme un passage. Nadège a travaillé avant d’être dans la rue et veut retravailler.

Envisager de travailler souligne qu’elle n’a pas perdu confiance en ses capacités. L’errance n’a pas détruit son estime de soi…

Parler de projet et d’avenir est justement ce qui leur permet de maintenir l’estime de soi. Elles veulent s’en sortir ! Lina par exemple veut être maitre chiens et effectuer une formation. Mais elle rencontre des obstacles car elle n’a pas de logement.

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S'aimer au-delà des normes
Miroirs, Ô mes beaux miroirs...
La maigreur ne fait pas le bonheur
Médias : plumes de l'empowerment
Être naturelle : une injonction paradoxale
Femmes en errance : quels regards ?

Célian Ramis

New Burlesque : La beauté des corps

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Rennes
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Dans les coulisses de l'univers new burlesque, les performeuses racontent leur rapport à cet art. Un art qui prône la beauté des corps, la liberté et l'émancipation des femmes.
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Paillettes, frou-frous, plumes… Univers cabaret, ambiance chic & glamour… Tatouages, esprit rock’n roll, attitude pin-up… Danse, théâtre, comédie, cirque… Bienvenue là où tout est permis. Le new burlesque est une discipline à part entière qui allie performance artistique et émancipation des individu-e-s. Les corps se dénudent - jamais intégralement - dévoilant ainsi leurs courbes, leurs atouts charnels et sensuels, leurs particularités, leurs imperfections. Parce que hors normes.

Loin des conventions, les performeuses assument et affirment leur féminité exacerbée et exagérée. En tout cas, telle qu’elles l’entendent. Avec panache et fierté. Avec sensualité et esthétisme. Le message : tous les corps sont beaux. Un discours féministe ? Utopique ? Commercial ? YEGG a sondé artistes renommées et novices en la matière pour comprendre l’univers du burlesque et l’engouement actuel pour cet art underground. Showtime !

Wilkommen, Bienvenue, Welcome. Im Cabaret, au Cabaret, to Cabaret. 1931, Berlin, au Kit Kat Club, la fête bat son plein et Sally Bowles incarne la féminité, la frivolité, la légèreté, la liberté. Interprétée par Liza Minelli en 1972 dans le film de Bob Fosse, Cabaret, la jeune femme se montre ambitieuse, émancipée et affranchie du jugement social dans un contexte de tension et de radicalisation. Prémices du new burlesque ? À n’en pas douter.

La discipline puisant dans les époques de la fin XIXe jusqu’aux années 50, dans les codes du cabaret, festif et humoristique, et voyageant dans les milieux underground de l’Allemagne, des Etats-Unis ou encore dans les salles mythiques du Paris de la Belle époque aux années folles. Et même au-delà.

À Rennes, pas de cabaret. Mais des espaces inattendus transformés pour recevoir des grands noms du burlesque. En 2011, puis en 2013, la scène du chapiteau du Grand Soufflet, alors installée sur la place du Parlement, accueille le spectacle « Porte-jarretelles et piano à bretelles », créé sous la direction artistique d’Etienne Grandjean. À la manière de Tournée, de Mathieu Amalric en 2010, qui met en scène les talents du Cabaret New Burlesque, une troupe d’artistes américain-e-s débarque en France, menée par le déluré Francky O’Right, meneur de revue mafieux et cocaïnomane.

Louise de Ville, Miss Vibi, Miss Anne Thropy, Loolaloo des Bois et Jasmine Vegas assurent le show. En 2013 toujours, quatre artistes internationales reconnues, Miss Anne Thropy, Lada Redstar, Loulou D’Vil et Lolly Wish, accompagnées de Charly Voodoo, foulent les planches du Ponant, à Pacé, pour le Breizh Burlesque festival – orchestré par Frédérique Doré, présidente de l’association Binic Burlesque festival – à l’occasion d’Octobre rose.

Fin 2015, le 12 décembre précisément, c’est le 1988 Live Club de Rennes qui prend des airs de cabaret burlesque et lance un rendez-vous mensuel incontournable : Les lapins voient rose.

AMBIANCE FEUTRÉE ET CONVIVIALE

Minuit largement passé, le public entre au compte goutte dans le club. Les spectateurs sont majoritairement des spectatrices, enthousiastes et curieuses. C’est Cherry Lyly Darling qui inaugure le show, dans une robe noire, soyeuse et voluptueuse. Comédienne et danseuse de formation, elle découvre le new burlesque il y a 7 ans, avec Juliette Dragon, fondatrice de l’école des Filles de Joie, à Paris, elle se documente, regarde des vidéos et apprend les techniques sur le tas, attirée par l’univers et l’imagerie des pin-up ainsi que par les arts du cabaret.

Elle effectue ses chorégraphies avec finesse, grâce et humour – habillée en Mexicaine, rincée à la Tequila, elle prend le contrepied de la femme sage et élégante - le regard intense et l’œil brillant. À l’instar de celle qui lui succède sur la scène, Maud‘Amour, jeune artiste qui exerce son art depuis 3 ans. Vêtue de plumes flamboyantes, elle dévoile un corps pulpeux et une attitude de femme fatale. Toutes les deux pratiquent leur effeuillage sur des airs jazzy, où sensualité et érotisme sont de mise et sont accentués par les artifices lumineux dont elles se parent.

Stress, paillettes, corsets perlés, nippies en forme de tête de mort, plumes et frou-frous… Les numéros s’enchainent dans une ambiance feutrée et conviviale à laquelle le public est invité à participer.

Car dans les spectacles burlesques, on peut crier, applaudir, siffler, à la manière loufoque du loup dans les Tex Avery. Et là dessus, Louise de Ville est intraitable. La pétillante américaine débarquée à Paris il y a une dizaine d’années a bien fait de mettre de côté son rêve de devenir diplomate pour se concentrer sur son engagement féministe.

Tantôt femme aux fourneaux, tantôt secrétaire sexy aux fesses à l’air, elle joue des stéréotypes affiliés à la féminité et manie l’art de casser le rythme de ces numéros par des invasions musicales très rock, voire psychédéliques, sur lesquelles elle s’abandonne dans des danses lascives et suggestives, mimant strangulation ou pratiquant le bondage.

DIVERSITÉ DES PARCOURS

« Je suis une artiste, performeuse contemporaine, qui a choisi le burlesque comme moyen d’expression. Je m’identifie comme une activiste féministe. Ici, je sais que ce n’est pas le même public qui viendra à des débats féministes. C’est grand public grâce à la connotation d’entertainment. », explique Louise de Ville.

Diplômée d’arts dramatiques, elle pratique le théâtre depuis ses 14 ans et a un attrait certain pour le théâtre engagé avec la création de Betty speaks, la mise en scène des Monologues du vagin ou encore l’instauration des soirées Pretty Propaganda (scène pour les effeuilleuses / effeuilleurs burlesques).

« Je pensais avoir une carrière dans une ONG, j’ai étudié la médiation et la résolution des conflits. Je ne voulais pas être serveuse à New-York pour vivre. Je suis venue en France et j’ai passé un casting pour un petit cabaret. L’occasion de rencontrer des français. Ensuite, je me suis dit qu’il y avait trop de photos de mes seins nus pour devenir diplomate. », s’amuse la pionnière du néo-burlesque qui prône le positivisme, la liberté sexuelle, et qui joue avec les genres aussi bien en explorant sa féminité et sa sexualité que sa part masculine grâce à son alter ego drag king.

Son parcours est atypique. Maud’Amour, elle, souhaitait être danseuse. À l’école, on lui fait comprendre que son physique n’est pas taillé pour : « Je ne suis pas grande, blonde, élancée… Je ne rentrais pas dans les cases. Je suis fofolle, j’aime faire rire, j’ai un physique pulpeux, un corps de femme des années 50 ! » En cherchant à danser en solo, elle découvre l’art de l’effeuillage, qu’elle considère comme la mise en valeur de la Femme comme elle aime.

Celle qui peut s’affirmer, sortir de la tradition, qui peut danser, chanter, jouer la comédie, marier les arts du cabaret, music-hall et du cirque, en illuminant les yeux et suscitant l’admiration des spectatrices ébahies. Dans le documentaire Burlesque, l’art et le jeu de la séduction – Episode 2 : Du froufrou dans les veines (documentaire en 3 épisodes et 6 villes), le journaliste Fabien Déglise s’accorde à tenir un discours similaire. Il parle alors de redonner le pouvoir de séduction aux femmes qui s’inscrivent contre les conventions et se libèrent du poids des conventions.

Avec panache et esthétisme, dans un contexte festif plutôt que commercial. Loin du striptease, par conséquent. Le burlesque, « c’est la Femme », selon la divine Lada Redstar. « L’acceptation de son corps, le girl power », pour Cherry Lyly Darling. Leur leitmotiv : tout le monde sait que la performeuse va se déshabiller, sans être jamais entièrement nue toutefois, la finalité réside non pas dans la nudité mais dans la manière d’y arriver.

« Nous ne sommes pas payées en billets qu’on nous fourre dans la culotte. Les gens payent pour les strass, les paillettes, pour avoir des émotions, rire, pleurer, qu’ils soient hommes, femmes, hétéros, homos… C’est du spectacle ! À l’artiste de choisir comment elle ou il enlève ses vêtements, quand et où. », souligne Cherry, fondatrice de l’école la Tassel Tease Company.

POUR LA LIBERTÉ

Chaque artiste possède donc une grande liberté. Liberté de création, le numéro étant pensé du début à la fin par la performeuse, et liberté d’action, la démarche artistique restant propre à chaque femme ou homme. À 34 ans, Cherry Lyly Darling sait ce qu’elle veut ou ne veut pas :

« Il y a des choses que je ne ferais pas, tout ce qui est burlesque trash ou gore, religion ou politique… Par contre, je n’ai pas d’enfants mais si j’étais enceinte, je voudrais performer avec mon bébé dans le ventre. C’est magnifique une femme enceinte, pas besoin de le cacher ! Après une fois que l’on est maman, ce n’est pas un souci de continuer l’effeuillage, dès l’instant où on sait ce que l’on met sur scène et que l’on est claire avec soi. »

Car pour cette dernière, son personnage, c’est l’accentuation, la continuité, de sa propre personne. Inspirée par des dessins animés de son enfance, comme Les Cités d’or, ou des films humoristiques comme ceux des Monty Python, elle s’immerge de tout ce qu’elle aime pour donner vie aux personnalités qu’elle incarne sur scène avec beaucoup de sensualité. Maud’Amour arbore la même démarche, celle de s’inspirer des femmes qu’elle admire que ce soit Marilyn Monroe, Rita Hayworth, Michèle Mercier ou encore la fantasque Jessica Rabbit.

À l’inverse, d’autres, comme Clea Cutthroat, « séduire est le cadet de mes soucis. Je peux être sexy mais ce n’est pas ma priorité. » Sur scène, elle est un prêtre transgenre en cuir qui se marie avec lui-même et se verse du lait. Ou elle apparaît sur des visuels, tâchée de sang. Louise de Ville, elle, navigue entre les thématiques féministes, liées à la sexualité, jouant de la double personnalité habillée – dénudée ou de l’évolution d’une femme qui se découvre.

Ainsi dans le spectacle Betty speaks, la protagoniste se rapproche au départ d’une Bree Van de Kamp qui se libère au fil du temps et au fil des connaissances autour de son propre corps, de ses désirs et de ses envies. On pourrait penser à l’œuvre du temps et des combats féministes, partant de la femme des années 50, en cuisine, toute apprêtée, parée de son tablier et de son plus beau sourire, mais Louise nous le dit, ce n’est pas un cliché historique mais une réalité encore présente.

Notamment « dans le fin fond du Kentucky », là d’où elle vient : « Il y a plusieurs lectures de Betty que l’on peut considérer d’une autre époque. Mais de là où je viens, une petite ville dans une région très croyante, l’expérience de la femme, c’est celle de se marier, acheter une maison, s’endetter pour 2 voitures et 5 enfants. Elle était taboue pour moi cette femme au foyer. En tant que féministe, on est censée la dénigrer, presque la haïr. Ici, elle dérape entre la Madonne, une femme au foyer parfaite et une « dégénérée » sexuelle. C’est le complexe entre la mère et la pute ! »

RAS-LE-BOL DES CODES

Le new burlesque n’a donc pas de codes, hormis les règles artistiques comme la manière de marcher, de se tenir, d’ôter ses gants ou son soutien-gorge, etc. Pas d’obligations non plus d’un numéro carré, archi répété et recraché, parfaitement orchestré. Les performeuses connaissent souvent sur le bout des doigts leur musique, ont pensé leur personnage et leur histoire, et fonctionnent ainsi par instinct et improvisation, perfectionnant la performance au fil des scènes. Car ici, ras-le-bol des codes !

On peut être mince, ronde, obèse comme la célèbre Dirty Martini – qui fait de son surpoids un message politique – avec de grandes jambes, de petits seins, un ventre plat, de la cellulite en bas des fesses et des vergetures sur les cuisses. Louise de Ville, Cherry Lyly Darling et Maud’Amour sont intarissables sur le sujet : toutes les morphologies, toutes les sortes de physique, toutes les femmes sont acceptées et bienvenues (en majorité, des femmes blanches de ce que l’on a pu voir et découvrir). L’idée étant de se réapproprier son corps.

Néanmoins, pas de secrets, l’effeuillage néo-burlesque est un métier qui demande du travail, le sens du rythme et une certaine créativité artistique. « Ne devient pas performeuse qui veut malgré ce que l’on pourrait penser ! Des femmes ne savent pas se mouvoir sur scène. C’est un métier, pas un délire. Quand je donne des cours, pour des enterrements de vie de jeune fille par exemple, elles réalisent à quel point c’est un art de s’effeuiller et que ce n’est pas si facile que ça », précise Maud’Amour. Il faut pratiquer plusieurs années avant de pouvoir s’estimer professionnelle.

ÉTUDIER SA FÉMINITÉ

Lada Redstard évoque un point essentiel : la féminité doit être étudiée car elle ne peut pas être naturelle. L’occasion de s’interroger (à nouveau) sur la nature féminine, si toutefois elle existe, sur les diktats de la mode et les conséquences des normes et pressions sociales. Le new burlesque permet de casser tous les dogmes de la beauté et de la féminité parfois décriée par les mouvements féministes.

Se connaître, rire de ses défauts… « ça s’apprend ! Et ça permet de retrouver confiance en soi. Ce n’est pas utile que pour la scène mais aussi pour le quotidien. Rompre avec la routine, le métro, boulot, dodo ou avec l’image actuelle de Wonder Woman. » Cherry Lyly Darling n’a pas sa langue dans sa poche, et son franc parler n’est pas pour nous déplaire. Pour elle, il faut « arrêter de se regarder la cellulite ! Les femmes ont plein de choses à montrer, elles sont belles. Il faut être soi et arrêter de se regarder dans le regard des autres. Une femme qui est bien dans sa peau a souvent des formes ! Arrêtons avec les diktats de la minceur… »

Un discours que ne contredira pas Louise de Ville qui voit dans le burlesque « l’exploration d’un érotisme fait par les femmes, pour un public à ¾ féminin, loin de la femme objet des magazines et des pubs. » C’est ainsi qu’elle définit alors ses personnages : des exemples de jouissance et de puissance de femmes qui expriment leurs désirs. À 24 ans, Maud’Amour se dit clairement féministe et considère toutes les femmes féministes dès l’instant où elles défendent « la liberté, la libération, la création ».

Pourtant, aucune ne prend la responsabilité de qualifier le néo-burlesque d’art féministe, laissant à chaque artiste la liberté d’interpréter et de militer comme elle/il l’entend. Pétillantes, sensuelles, engagées, charnelles, sensuelles, féminines, masculines, érotiques, poétiques, fanfaronnes, animales, frivoles ou autre, loin d’une question de définition et d’étiquette, le burlesque serait l’art de renouer avec son corps, l’accepter, l’assumer et le porter avec fierté, strass et paillettes. Glamour, élégance, ou pas.  

Musicien et directeur artistique du Grand Soufflet à Rennes, il a dirigé en 2011 pour le festival d’accordéon, le spectacle « Porte-jarretelles et piano à bretelles » dont le succès a été fulgurant, permettant une programmation pendant 2 ans, à Paris, au théâtre de l’Alhambra. Aujourd’hui, il est le programmateur du rendez-vous mensuel donné au 1988 Live Club, « Les lapins voient rose ».

YEGG : Qu’est-ce qui vous a donné envie d’être directeur artistique de shows burlesques ?

Etienne Grandjean : Directeur artistique, c’est mon métier. Ça m’intéresse de toucher à des univers très particuliers. Ça peut aussi bien être un match de catch de lucha libre qu’un spectacle burlesque ! J’ai créé beaucoup de spectacles autour de la fête foraine du début XXe. Je suis passionné par le cirque, c’est mon enfance. Et puis, j’ai vu le film de Mathieu Amalric, Tournée, et je me suis dit : ça je veux le faire ! Je me suis vu approcher un univers comme celui là.

C’est quoi justement l’univers du burlesque ?

C’est quelque chose qui vient de loin. Au départ, des stripteaseuses des boites parisiennes qui sont parties aux Etats-Unis. C’est par exemple l’époque du french cancan dans les saloons. Et ça revient par les Etats-Unis dans les années 50 avec des troupes de femmes autour de l’univers rockabily, des tatouages. Des femmes qui revendiquent être capables de monter sur une scène, de faire un show. Pas besoin des canons de beauté pour faire un spectacle, pour transmettre de l’émotion. Il y a un côté très militant. Et en France, ça revient vraiment avec Tournée. D’ailleurs Almaric a créé le film en voyant un spectacle à Nantes. Il a lui aussi un flash.

Un côté très militant… ?

Je n’ai rencontré que des performeuses ultra féministes, très militantes, qui revendiquent leur art. Je me suis intéressée à différents spectacles, il y a tous les niveaux de qualité. Certaines maitrisent très bien leur art et l’histoire de cet art.

Le burlesque se différencie du striptease. Comment différenciez-vous les artistes, que jugez vous ?

Déjà, si on a l’impression que c’est un strip, c’est raté. Personnellement, je ne juge pas les performances. Je veux qu’on me raconte une histoire, même sur un effeuillage de 3-4 minutes. Qu’à la fin, il y ait un message. Chez Louise (Deville), c’est très clair. Chez Cherry (Lyly Darling), aussi. Ça peut être drôle, décalé, dans la tradition de l’effeuillage très pêchu, punchy. J’aime que la performance soit claire. Et ça, ça dépend de l’expérience, de l’âge, de l’envie. Il faut qu’il y ait une démarche artistique.

Êtes-vous attentif à la diversité des typicités des corps lorsque vous programmez un spectacle dans le cadre des Lapins voient rose ?

Oui, c’est certain. J’aimerais également qu’il y ait rapidement des hommes. Mais vous savez, dans un réseau français, il n’y a pas non plus 50 artistes…

Ce n’est pas un peu risqué alors d’organiser un rendez-vous mensuel ?

Si, c’est risqué. L’idée, c’est de faire en sorte que les artistes travaillent. De ce que j’ai vu dans les cabarets ou dans des vidéos, il y a parfois des choses bien trash, très rock. Une qui simule un accouchement, une fausse couche, avec du sang… par exemple, ou des performances plus « glamour ». J’espère que ça fera travailler des artistes ! Ce que je veux surtout pour ce rendez-vous, c’est de présenter au public des choses de qualité. Et que cela touche un large public. Il y a beaucoup de femmes en général, et des gens du milieu gay, hommes et femmes. J’aimerais aussi travailler l’aspect queer.

Vous vous focalisez uniquement sur la scène française ?

Non, pas forcément. Je sais qu’il y a une vraie scène burlesque à Bruxelles, il va falloir que j’aille y faire un tour.

On ne voit pas beaucoup d’événements burlesques à Rennes…

Il y en a dans les événements privés. Parfois, elles ne font pas que du burlesque. Elles sont comédiennes, danseuses, circassiennes. Moi, je suis rentré là dedans via le challenge du Grand Soufflet, de « Porte-jarretelles et piano à bretelles ». J’ai dû montrer patte blanche, faire mes preuves. Montrer un regard artistique, un regard clair.

Elles se méfiaient ?

Une femme se méfie toujours. Encore plus une femme qui s’effeuille. Mais elles ont de la bouteille à ce niveau-là. Elles n’ont pas froid aux yeux. Et dans ce métier, il ne faut pas être timide, coincée, il faut une force de tempérament. C’est pour cela que selon moi, sans l’aspect militant, il n’y a pas de sens.

L’objectif est-il de démocratiser cet art à Rennes ?

Démocratiser, je ne sais pas si c’est l’objectif…

En tout cas, amener cet art à Rennes où il manque…

Oui, il y a beaucoup de propositions artistiques à Rennes mais pas au niveau burlesque. L’idée est de sortir le burlesque des boites à paillettes. Ce n’est pas pour se rincer l’œil ! Ici, le public est appelé à participer, à crier, dans un esprit bon enfant.
Ce que j’ai envie, c’est que le public se prenne au jeu, qu’il y ait une très forte participation des spectateurs-trices. Ça peut être dans la manière de se vêtir en venant, une manière d’être. On peut arriver en jouant le jeu ! Je veux créer un groupe de personnes pour développer le projet, créer un engouement autour de ça. Il y a à Rennes une école de Pole Dance, des comédiennes, des femmes qui travaillent dans le milieu de la lingerie, des gens de la photo… Je voudrais une impulsion autour de ce mouvement !

Certain-e-s critiquent le burlesque autant que le striptease partant du principe que pour les deux on paye pour voir des corps de femmes…

(Silence) Je n’y avais même pas pensé. Quand c’est bien fait, la qualité enlève le doute. Si la performance est forte, professionnelle, bien construite alors il n’y a aucune ambiguïté entre le burlesque et le striptease. Ça peut être fait avec humour, avec sérieux, c’est l’artiste qui choisit la forme de sa performance. Quand on va voir un spectacle burlesque, on sait ce que l’on va voir. Si c’est vulgaire, c’est raté.
Ça peut être hot, chaud, oui, il y a des femmes qui ont envie de ça. Les performeuses le font sans pistolet sur la tempe. C’est une démarche personnelle.

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Sublimer les corps féminins
La féminité sous toutes les coutures
Inspirée par l'art burlesque
L'accomplissement personnel et professionnel
"Je veux qu'on me raconte une histoire"

Célian Ramis

Femmes du monde, militantes de la paix

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« Je suis fatiguée d’être dans la lutte depuis 30 ans. Mais que faire ? Laisser tout ça ? Ce n’est pas responsable. Nous devons lutter. » Un appel à la solidarité et au combat pour la paix et l’égalité, lancé le 23 mars dernier.
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« Je suis fatiguée d’être dans la lutte depuis 30 ans. Mais que faire ? Laisser tout ça ? Ce n’est pas responsable. Nous devons lutter. » Shura Dumanic, journaliste d’origine bosniaque et militante pacifiste pour les droits des femmes, lance un appel à la solidarité et au combat pour la paix et l’égalité. Le 23 mars dernier, elle figurait parmi les intervenantes, féministes et citoyennes du monde, venues défendre des espaces publics de paix et de non-violence, lors d’une conférence organisée par Mouvement de la Paix, à la Maison des Associations de Rennes.

Au mois de mars, les luttes des femmes pour l’accès aux droits et à l’égalité des sexes sont chaque année mises en avant dans la capitale bretonne. En 2016, le contexte de tensions internationales résonne dans la programmation et les diverses conférences destinées à aborder la condition des femmes à l’étranger et rompre les tabous et stéréotypes alimentés par les Occidentaux-tales.

Plusieurs voyages en cultures connues et/ou inconnues nous ont mené en Inde, en Afrique, au Proche et au Moyen Orient, au Maghreb, au Mexique ou encore au Québec, multipliant les visions et les points de vue autour des femmes dans le monde et démontrant l’importance de la lutte pour les droits des femmes et l’égalité des sexes. La conférence du 23 mars venait alors comme une synthèse à tous les événements organisés durant ce mois de mars. Loin d’une conclusion, elle brise les frontières et ouvre la réflexion sur tous les aspects des féminismes.

FEMMES KURDES ET TURQUES CONTRE LA RÉPRESSION

En France depuis 2 mois, Miral souhaite apprendre le français. À la Maison des Associations, elle parle en turc, traduite par son amie, Hayral. Elle milite au sein du parti pro kurde et au congrès des femmes libres, et dénonce la politique répressive d’Erdogan président de la République de Turquie, qui a récemment rappelé – à l’occasion de la journée internationale pour les droits des femmes – que les femmes restent avant tout des mères.

Pour elle, la situation en Turquie est alarmante. La mentalité islamiste et répressive atteint tous les mécanismes de l’état turc et la place au même niveau que la pratique terroriste de Daesh.

« Erdogan tient des propos sexistes et empêche l’émancipation des femmes donnant lieu à des réalités atroces. »
scande-t-elle.

Et ces réalités, elle les liste : recrudescence des violences faites aux femmes, culpabilisation des femmes en cas de viol, augmentation des mariages forcés d’enfants et d’adolescentes… « Une femme enceinte ne peut pas se promener dehors, une femme ne peut pas rigoler sans risquer de donner envie à un homme, un père a le droit d’avoir envie de sa fille. Sans oublier la réduction de peine dans un cas de violence sexuelle si le coupable a éjaculé rapidement ou si sa victime est une femme handicapée… Récemment, il y a eu une affaire de viols sur 45 enfants. Le gouvernement ne veut pas en parler, minimisant les faits car ‘’les viols n’ont été faits qu’une seule fois’’. »

Mais la militante transmet aussi dans son discours la volonté, détermination et force des femmes kurdes et turques, qui manifestent main dans la main le 8 mars dans les rues d’Istanbul. « Elles ne se laissent pas faire, elles n’acceptent pas, elles se battent et elles résistent. », affirme Miral qui rappelle toutefois que les guerres, comme celle qui oppose les kurdes aux turques ou comme celles que mènent Daesh, notamment envers les femmes, kidnappant les femmes yézidies, les forçant à se marier et à se convertir à l’Islam, font des enfants et des femmes leurs premières victimes.

« Nous demandons à l’état turc de cesser les violences envers les femmes. Il est important de comprendre le rôle attribué aux femmes, la situation des kurdes, et de comprendre que la paix ne pourra s’obtenir qu’en libérant les femmes dans tous les domaines de la vie. »
insiste Miral.

FEMMES MEXICAINES CONTRE LES FÉMINICIDES

De son côté, la militante mexicaine Elena Espinosa attire l’attention sur les féminicides en Amérique latine. « Quand je suis arrivée en France, je me suis intéressée à l’image que les gens avaient concernant le Mexique. J’ai entendu « narco, pauvre, tequila, fajitas, machos… » mais personne ne parlait des féminicides. », déplore-t-elle avant de donner des chiffres effarants sur la situation mexicaine : 6 femmes sont assassinées chaque jour, 1014 féminicides ont eu lieu ces dix dernières années, toutes les 9 minutes une femme est victime de violences sexuelles.

Au Mexique, l’Observatoire National Citoyen des Féminicides reconnaît l’horreur de la situation et la dénonce. Tout comme les Argentin-e-s se mobilisent contre ce crime, consistant à assassiner des femmes en raison de leur sexe. Une lutte qui a suscité la curiosité de l’auteure Selva Almada qui a mené une enquête sur 3 meurtres de jeunes femmes, survenus dans les années 80 dans la province Argentine et jamais élucidés. En octobre 2015, son livre Les jeunes mortes est un coup de poing engagé et nécessaire au réveil des consciences.

« Motivés par la misogynie, les violences extrêmes, ils ont recours à l’humiliation, l’abandon, les abus sexuels, les incestes, le harcèlement… Cela révèle un rapport inégal entre les hommes et les femmes dans tous les domaines. »
rappelle Elena.

Pour elle, une des solutions réside dans la dénonciation des faits par le biais des arts et de l’humour. « Avec le collectif Les Puta, on identifie les éléments culturels et on réfléchit ensemble à comment le mettre en scène dans une pièce de théâtre par exemple. Avortement, diversité culturelle, homosexualité, violences de genre… Il faut ouvrir des espaces publics pour créer la paix. », conclut-elle.

FEMMES SOLIDAIRES POUR LA PAIX

Shura Dumanic, militante pacifiste et journaliste bosniaque, réfugiée en Croatie, et Fathia Saidi, militante féministe et présentatrice radio et télé en Tunisie, insistent sur la solidarité internationale. Encore marquée par les guerres des Balkans, Shura Dumanic explique : « La guerre divise les gens et empêche la reconstruction et le développement d’un pays. Il n’y a plus d’esprit de construction, de confiance, plus de volonté de reconstruire la vie. »

Pour elle, sans la solidarité de la France et de l’Italie, la situation n’aurait pas été supportable. « Les femmes témoignent d’une grande force, d’une force terrible, qui doit vivre ! Entre nous et à l’extérieur. Avec le réseau des femmes de la Croatie, nous avons réussi à changer 3 lois sur les violences, sur la participation des femmes à la vie politique et sur la famille. Ça nous a pris 15 ans mais c’est possible ! Nous devons changer notre culture, changer la culture de la violence et aller vers la culture de la non-violence. Interdire la guerre, liée à la violence domestique, et surtout résister contre la division ! », scande-t-elle, fatiguée mais emprise d’espoir.

Fathia Saidi revient sur l’importance de la lutte contre la culture patriarcale du père, du mari, du frère et du fils. Casser la représentation de la femme objet. Voir enfin la femme comme un sujet. Dans le monde arabe, la Tunisie figure comme une exception, un symbole de la lutte féministe acharnée et qui ne lâche rien. Les lois pour les droits des femmes se multiplient, mais ne s’appliquent pas forcément. Les femmes manifestent, luttent, défilent, aident à l’avancée du pays en temps de révoltes et de révolutions, puis disparaissent de la circulation.

« Dans la Constitution, l’article 21 stipule la non discrimination entre les sexes mais le combat reste permanent et doit se faire davantage. », souligne-t-elle. Pour la militante tunisienne, l’avancée des droits des femmes est le meilleur indicateur d’une société en progrès :

« L’avenir de la Tunisie, ce sont les femmes. Et elles se battent contre la régression des mentalités. »

La solidarité doit alors servir à créer des réseaux au sein d’un même pays mais également entre les pays, comme tel est déjà le cas entre les pays du Maghreb par exemple : « Il faut combattre les violences pour changer les mentalités, faire participer les femmes aux politiques publiques, éduquer nos jeunes à la culture de la paix et apprendre le respect de la différence. Et là peut-être qu’on arrivera à des sociétés moins violentes. » Le chemin est long mais pas impraticable. Aux femmes de prendre leur liberté, comme le conseillait Nadia Aït-Zaï, à la MIR le 15 mars dernier.

Célian Ramis

Que les femmes arabes arrachent leur liberté !

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Les femmes doivent arracher leur liberté ! C’est ce que prônait l’avocate Nadia Aït Zaï, le 15 mars dernier, à la MIR, à l’occasion d’une conférence sur les formes de libération des femmes en Algérie.
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Les femmes doivent arracher leur liberté ! C’est ce que prône l’avocate Nadia Aït Zaï, également professeure à la faculté de droit d’Alger et présidente du Ciddef – Centre d’information et de documentation sur les droits de l’enfant et de la femme. Le 15 mars dernier, à la MIR, la militante pour les droits des femmes abordait les conditions de vie des femmes algériennes mais aussi tunisiennes et marocaines, à l’occasion d’une conférence sur les formes de libération des femmes en Algérie, organisée par l’association de jumelage Rennes-Sétif.

« Les images qui vous viennent en France, de par les faits divers, les journaux, les journalistes, etc. donnent une image de la femme algérienne sans aucun droit. La situation est encore inégalitaire et discriminatoire mais elle évolue favorablement. Je fais partie d’un mouvement féminin, je ne sais pas si je suis féministe mais il faut toujours essayer de défendre les droits des femmes, considérer la femme comme un individu, un sujet de droit. Car tout tourne autour de ça. », lance Nadia Aït Zaï au commencement de sa conférence.

Tout comme le précise Fatimata Warou, présidente de l’association Mata, à Rennes, dans le documentaire de Karine Hannedouche, Pour que l’oiseau s’envole, « on considère souvent que la femme n’a pas de valeur, elle est chosifiée ». Et cette image colle à la peau des femmes du continent africain, du Moyen Orient et du Proche Orient. En témoignent toutes les intervenantes invitées à s’exprimer dans le cadre de la programmation du 8 mars à Rennes. Une explication pour l’avocate algérienne : les guerres d’indépendance et les périodes post libération.

BAISSER LES ARMES

Pourtant, les femmes du monde arabe – Maghreb et Egypte – ont participé à ces luttes. « Elles ont bravé la tradition pour la guerre d’indépendance (1954 à 1962, en Algérie, ndlr), certaines ont fait le maquis, ont pris les armes, ont brisé la digue des interdits ! », scande Nadia Aït Zaï. Mais, poursuit-elle, une fois l’indépendance déclarée, la digue a été refermée sur les femmes, lâchées par les hommes :

« Elles ont été éloignées du vrai combat, de la vie politique. C’est à partir de là que va se nourrir l’image qu’ont les politiques, les sociétés sur nous. »

Malgré le droit de vote (droit d’être éligibles et électrices) obtenu en 1944, elles n’ont pourtant pas un réel accès à la représentativité, une petite dizaine d’élues seulement accédant au Parlement dans les années 60 et 70. Le droit au travail n’est pas non plus saisi comme élément libérateur, seul 18% de la population féminine travaillant en Algérie.

« C’est le taux le plus bas du Maghreb. Il a été libérateur à un moment mais il n’est plus considéré tel quel. Selon une enquête de 2013, 18% des célibataires travaillent, 11% des femmes mariées, 30% des femmes divorcées et 6% des veuves. En fait, quand les femmes trouvent des maris, elles quittent leur emploi. Elles travaillent pour se faire un trousseau comme on dit ! Pour le jour du mariage…, ironise Nadia Aït Zaï. Il y a eu tout un travail insidieux de la part des islamistes dans les années 90. »

En effet, quelques années plus tôt, le Code de la famille est voté. En 1984, précisément. Et sur ce point, les femmes n’ont pas voix au chapitre, malgré les manifestations et contestations de la part des féministes, y compris de Zohra Drif, sénatrice et épouse de Rabah Drif, alors président de l’Assemblée populaire nationale. Le Code de la famille réinstaure des éléments de la charia, instaure une tutelle pour diminuer les droits juridiques des femmes, maintenues sous la coupe masculine et patriarcale, et légalise entre autre la polygamie. Sans oublier qu’il vient contredire et rompre les articles et principes de la Constitution de 1976 signifiant l’égalité de tous les citoyens.

Une double dualité s’instaure : être des citoyennes dans la sphère publique et être considérées comme mineures dans la sphère privée.

50 ANS DE MOBILISATION

« Pourtant, il y a 50 ans déjà, la liberté et l’émancipation semblaient promises aux femmes arabes. Alors que leurs pays accédaient à l’indépendance, certaines d’entre elles, comme les actrices et danseuses égyptiennes exposaient fièrement un corps libre et sensuel. Et les leaders politiques de l’époque, libérateurs des peuples, déclaraient tous aussi vouloir libérer les femmes. 50 ans plus tard, les femmes arabes doivent pourtant lutter plus que jamais pour conquérir ou défendre leurs droits chèrement acquis. Et leur condition ne s’est pas vraiment améliorée. Ou si peu. Que s’est-il passé ? Et comment les femmes arabes parviendront-elles à bousculer des sociétés cadenassées par le sexisme et le patriarcat ? »

C’est l’introduction et les questions que pose la réalisatrice Feriel Ben Mahmoud en 2014 dans le documentaire La révolution des femmes – Un siècle de féminisme arabe. Un film qui raconte leurs luttes et leur histoire. Et montre surtout la détermination de ces femmes à acquérir leur liberté et l’égalité des sexes. Pour la présidente du Ciddef, « l’égalité est virtuelle, elle est à construire. Mais des efforts ont été faits. »

Dès le début du XXe siècle, des hommes, comme le penseur tunisien Tahar Haddad, et des femmes, comme la militante égyptienne Huda Sharawi – désignée dans le documentaire comme la première femme féministe arabe, elle a retiré son voile en public en 1923, créé l’Union féministe égyptienne et lutté pour la coopération entre militantes arabes et militantes européennes – se mobilisent pour défendre les droits des femmes et affirmer l’idée que la libération des pays arabo-musulmans ne peut passer que par l’acquisition de l’égalité des sexes, la modernité d’une société se mesurant sur ce point-là, comme le précise l’historienne Sophie Bessis en parlant de « pensées réformistes, modernistes », concernant l’Egypte, le Liban, la Syrie et la Tunisie.

Un discours que tiendra également la présentatrice radio et télé, et militante féministe Fathia Saidi, le 23 mars lors de son intervention à la conférence "La lutte des femmes à travers le monde pour un espace public de paix et de non-violence", organisée à la Maison des Associations de Rennes : "C'est à travers les droits des femmes que l'on mesure les progrès d'une société. L'avenir pour la Tunisie, ce sont les femmes. Et elles se battent contre la régression des mentalités."

C’est dans cet esprit que le penseur égyptien Kassem Amin, en 1899, affronte l’idéologie religieuse interprétée par des hommes. Il ne s’oppose pas à l’Islam mais bel et bien à l’interprétation des traditions et des textes, considérant que la libération des femmes permettrait de lutter contre le déclin d’un pays. « Imposer le voile à la femme est la plus dure et la plus horrible forme d’esclavage. C’est quand même étonnant, pourquoi ne demande-t-on pas aux hommes de porter le voile, de dérober leur visage au regard des femmes s’ils craignent de les séduire ? La volonté masculine serait-elle inférieure à celle de la femme ? », s’interroge-t-il.

L’INSPIRATION DE LA TUNISIE

Habib Bourguiba, en 1956, devient le premier Président de la république en Tunisie. Il proclame le Code du statut personnel, qui abolit la polygamie et la répudiation, instaure le divorce et fixe l’âge légal du mariage à 17 ans. Il dévoilera même plusieurs femmes en public et, sans aller jusqu’à l’égalité entre les femmes et les hommes, inaugurera le féminisme d’Etat. Education gratuite, droit au travail, création du planning familial, accès à la contraception dès la deuxième moitié des années 60, légalisation de l’avortement, sans condition et pour toutes les tunisiennes, en 1973… La Tunisie est et reste une exception au sein du monde arabe.

Car si certains pays ont essayé de promouvoir une autre image de la femme, notamment en Egypte, qui dans les années 50 sera le centre du cinéma arabe et montrera des figures féminines modernes, le colonel Nasser, au pouvoir depuis 1956, ne pourra s’opposer très longtemps aux conservateurs que sont les membres de la Société des frères musulmans.

Malgré la marginalisation du combat des femmes dans la plupart des pays arabes après l’obtention de leur indépendance, les mouvements féministes ne vont pas se contenter des quelques droits obtenus et vont créer une cohésion entre pays maghrébins. Pour l’Algérie, ce sont de longues années de lutte profonde qui voient le jour dans les années 90.

CHANGER LES LOIS ET LES MENTALITÉS

Le Ciddef, créé en 2002, ne lâche rien et travaille constamment sur des actions et des plaidoyers permettant de faire évoluer les lois. Pendant 12 ans, la structure a lutté pour obtenir une loi instaurant des quotas (2012), permettant ainsi aux femmes d’accéder aux fonctions électives et administratives. Ainsi, 147 femmes ont été élues au Parlement lors des dernières élections législatives.

Mais si les lois évoluent, les mentalités sont quant à elles extrêmement difficiles à changer. Et les femmes que Charlotte Bienaimé, auteure de documentaires sur France Culture et Arte Radio, a rencontrées et interviewées - en sillonnant à partir de 2011 divers pays arabes – l’affirment. Elles s’insurgent, critiquent, analysent, décryptent, observent et témoignent de leurs vécus dans le livre de la journaliste, Féministes du monde arabe, publié aux éditions Les Arènes en janvier 2016.

Madja est algérienne. Elle a 27 ans au moment de l’échange avec Charlotte Bienaimé et vit à Alger. Elle explique, page 76 : « Les gens estiment que pour que les femmes sortent, il faut qu’elles aient une bonne raison. Et après 18h, il n’y a plus de bonnes raisons. On n’est pas censées travailler, ni avoir cours. Pour eux, le soir, si les femmes sont dehors, c’est qu’elles veulent être agressées ou c’est qu’elles se prostituent. La nuit, tout est permis. Les mecs, on dirait des loups-garous. Ça devient très agressif. Les agressions sont verbales et physiques. »

LES LUTTES RÉCENTES ET EN COURS

Actuellement, les militantes œuvrent pour l’égalité sur l’héritage. « Nous y travaillons depuis 2010 et nous n’avons pas encore eu de réactions violentes… Il faut savoir qu’il y a des discriminations sur l’héritage, les femmes n’ont pas les mêmes parts. Et il y a des familles avec que des filles. Là, un cousin mâle éloigné peut se pointer pour hériter avec elles. C’est injuste. La Tunisie a déjà exclu cette possibilité et nous souhaitons l’exclure également. », explique Nadia Aït Zai.  

Si le gouvernement a abrogé la notion du chef de famille en Algérie (un combat actuellement mené par les tunisiennes et les marocaines) et par conséquent le devoir d’obéissance au chef de famille, la tutelle est, elle, toujours effective lors de la conclusion du contrat de mariage. Un point devant lequel le président algérien, Abdelaziz Bouteflika, n’a pas voulu fléchir en 2005 lors de la réforme du Code de la famille. Il impose néanmoins le consentement comme élément essentiel de l’acte matrimonial, notamment en ce qui concerne la polygamie.

Côté divorce, l’homme peut toujours répudier sa femme. « Elles en souffrent depuis 1985 ! Et le ministère ne donne pas les vrais chiffres de la répudiation », précise la présidente du Ciddef. Pour les femmes, le divorce par compensation financière est autorisé. L’ex-épouse doit alors restituer la dot.

« Elles utilisent toutes ça ! Pendant un temps, la pension alimentaire était dérisoire, voire pas versée du tout. Aujourd’hui, on vient juste de créer un fonds de pension, une garantie pour la pension. », souligne-t-elle.

Autres avancées récentes en faveur des femmes : la transmission de la nationalité de la mère à son enfant et la garde prioritaire de l’enfant à sa mère en cas de divorce. Rien n’est à noter cependant concernant le fait que l’homme conserve tous les biens matrimoniaux, comme le logement conjugal par exemple, après la séparation. Mais si des progrès permettent à la société d’évoluer vers des conditions de vie moins critiquables, les féministes algériennes réclament l’abolition complète et totale du Code de la famille.

CONTRE LES VIOLENCES FAITES AUX FEMMES

En mars 2015, les députés votent une nouvelle loi contre les violences faites aux femmes, durcissant les peines de réclusion mais permettant aussi à l’auteur du crime de s’en sortir indemne si son épouse lui pardonne. Les élus islamistes s’insurgent contre cette nouvelle mesure. Disant que cela déstructure la famille :

« Pour eux, il ne faut pas toucher à ce qui se passe dans l’espace privé. Mais c’est là que les violences ont lieu. C’est bien la preuve que la femme ne peut pas être libre. »

Dans son enquête, Charlotte Bienaimé aborde la question des violences sexuelles dans un sous-chapitre intitulé « Terrorisme sexuel ». Tandis que les tentatives d’explications se multiplient, la plus avancée nous informe-t-elle subsiste celle de la frustration due à l’interdiction des relations sexuelles avant le mariage. Amina, militante en Algérie, s’offusque, pages 98 et 99 :

« Nous aussi, les femmes, nous sommes frustrées et on n’agit pas comme ça. Alors, on se dit que c’est peut-être l’âge, mais les gamins et les vieux le font aussi. Ou alors, ce sont les vêtements qu’on porte, mais les filles voilées aussi sont agressées. Ce n’est pas non plus le milieu social parce qu’il y a des hommes aisés harceleurs alors qu’ils ont fait de grandes études. C’est pour ça que maintenant, on identifie le patriarcat en tant que tel comme cause principale. »

Elle explique alors que c’est le terrorisme qui a amené le pays à parler des viols, en reconnaissant aux femmes violées le statut de victime du terrorisme. De là, le ministère de la Santé a souhaité lancer une enquête sur les violences conjugales.

« Il en va de la responsabilité de l’Etat de protéger les femmes de la violence conjugale. Mais c’est une question de contrôle du corps de la femme aussi. »
interpelle Nadia Aït-Zaï.

Pour la militante, les politiques publiques doivent redoubler d’effort et donner aux femmes, depuis trop longtemps enfermées dans des carcans traditionnalistes, le droit de prendre part au développement économique du pays.

« Les textes ont suivi dans le Code civil, le Code du travail, la Constitution avec le principe de l’égalité, l’accès à la santé et à l’éducation. Aujourd’hui, 62% de filles sortent de l’université, c’est plus que les hommes. On atteint presque la parité en matière de scolarisation. Pareil pour la santé. Avec une politique de planning familial repensant le nombre d’enfants par famille à 3 ou 4. Le Planning familial travaille actuellement à la dépénalisation de l’IVG. Il y a la possibilité de l’avortement thérapeutique mais certains médecins refusent de le faire. Les Algériennes vont en Tunisie pour avorter. Tout prend du temps car il faut que les politiques publiques se mettent en place. Mais les droits, nous les arrachons ! », développe-t-elle.

ARRACHER LEURS DROITS, LEUR LIBERTÉ

Son leitmotiv : la liberté, c’est à la femme de s’en saisir, de la prendre. « Mais certaines n’ont pas le courage de faire une rupture avec la tradition. Elles se disent modernes mais en public elles parlent de Dieu », regrette-t-elle. La question du voile ressurgit. La liberté serait-elle acquise par le voile ? Serait-ce une forme de libération ? Ce n’est pas un débat qu’elle souhaite avoir. Néanmoins, elle se permet de donner son point de vue, sans s’étaler :

«  Le foulard ne libère pas mais celles qui le portent pensent que ça libère. Car il les libère d’une interdiction. Celle d’aller dans l’espace public. Elles le pensent alors comme une protection. À Alger, j’ai constaté qu’elles l’enlevaient de plus en plus. Mais à l’intérieur du pays, toutes les femmes sont voilées. » Pour elle, pas de secret. C’est l’indépendance économique qui permettra la libération des femmes.

En décembre 2013, comme dans tous les numéros de la revue, elle signe l’édito du magazine du Ciddef et termine ainsi : « Ne soyons pas en dehors de cette histoire qui doit se faire avec nous. Sans nous il n’y aura pas de société saine et équilibrée ni de politique appropriée. » Elle le répète jusqu’à la fin de la conférence :

« C’est la femme qui doit arracher sa liberté ! ».

Un discours qui concorde avec celui de l’ancienne journaliste algérienne Irane, révélé dans l’enquête et ouvrage Féministes du monde arabe. Charlotte Bienaimé met en perspective la révolte, lutte du quotidien, à travers l’expérience d’Irane, dans une société de communication, page 39.

« On parle souvent des femmes victimes, des femmes violées, des femmes battues, du harcèlement sexuel dans la rue, etc. Mais on ne parle jamais de ces femmes algériennes actives qui sont violentées, mais extrêmement violentées tous les jours à la maison, au travail, parce qu’elles sont tout simplement des femmes. Si les femmes reprennent la parole, si elles disent ce qu’elles pensent, si elles le balancent comme ça, ça va choquer, mais ça va faire, disons, un équilibre, un contre-pouvoir. Les femmes doivent avoir accès à la parole. » (…)

« Chaque fois, on me renvoie à ma position de femme. ‘’Tu es une femme, on devrait pas t’écouter, d’ailleurs tu ne sais pas.’’ Donc, quand je fais des réunions, je dis, ‘’écoutez, vous la bande de machos là-bas’’, je dis ça comme ça, ouvertement, je les secoue, et je leur dis : ‘’Je sais, ça vous fait très mal parce que je suis une femme mais vous devez changer votre mentalité, le monde ne marche plus comme ça, il faudra se remettre en cause. Je sais, vous n’êtes pas d’accord parce que je suis une femme et ce n’est pas ma place, mais malheureusement, je suis là et c’est ma place et je suis votre responsable et vous devez m’écouter.’’ Donc, quand on voit que je suis assez forte, je le dis d’une manière assez directe, je leur laisse pas trop le choix, ça marche. Pas tout le temps, mais ça marche. »

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