Célian Ramis

Permaculture : enfin, on respire !

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La permaculture s'attache à être au plus proche de la Nature, dans un esprit de respect et de soin envers l'environnement et l'être humain. Rencontre avec celles qui investissent la "culture de la permanence".
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S’intéresser à la permaculture, c’est mettre le doigt dans l’engrenage. Un engrenage positif et responsable reposant sur le respect de la Nature, le respect de l’Humain et la répartition équitable des richesses. Et surtout qui questionne notre manière de produire, consommer et penser notre société.

Si elle ne se réduit pas à la culture de la Terre, la « culture de la permanence » est très vaste puisqu’elle n’est pas simplement une technique mais nous invite plus largement à l’envisager comme une philosophie qui impacte une multitude d’aspects de la vie, allant de l’habitat, à l’environnement, en passant également par les modes de gouvernance et d’éducation. Ce mois-ci, la rédaction a couru à la recherche des femmes investies en permaculture.

Officiellement née dans les années 70, la permaculture est actuellement aux prémices de ce qu’elle sera, espérons le, dans les dizaines d’années à venir. Dans un esprit écolo et humain, elle encourage à renouer avec les savoirs ancestraux de la Terre, l’accessibilité pour tou-te-s à un mode de vie sain et durable ainsi que l’entraide et la solidarité. Alors, qu’est-ce qu’on attend pour s’y mettre ?

À une trentaine de kilomètres au Nord-Ouest de Rennes, non loin du centre bourg d’Irodouër, la maison d’Anne Guillet est entourée de plusieurs étables à l’abandon et de terrains laissés à l’état naturel. Elle habite Varsovie mais bâtit son projet d’avenir dans la campagne brétillienne.

« La première chose : je suis une femme, j’ai 50 ans, je vis seule et j’ai 4 enfants. J’avais envie de trouver un endroit où je me sente bien. Dans lequel je puisse être autonome au niveau alimentaire mais aussi énergétique, avec la possibilité de développer une activité économique pour avoir des revenus ou un complément de revenus. La deuxième chose : je suis très engagée, militante et citoyenne avec la conscience qu’il faut faire très attention à l’environnement. Et je suis pessimiste sur la tendance politique en Europe et la crise économique. Je cherchais donc un lieu pour être bien et en autarcie si ça va mal. La troisième chose : je suis très active et entourée de gens issus du milieu du théâtre, du spectacle vivant, de la musique, des arts, de l’écriture… Et j’aime particulièrement les ateliers scientifiques avec les enfants. », explique Anne Guillet.

De son étendue boisée et de verdure, elle envisage d’entreprendre la réhabilitation des lieux vivables en gites ou chambres d’hôte, également en capacité de recevoir des résidences d’artistes, et l’aménagement des zones naturelles, en partage avec des agriculteurs/trices du coin, des animations et des habitats suspendus dans les arbres. Elle fourmille d’idées encore en friche, tout comme ses terrains grouillent de potentialités.

« C’est la première fois que j’ai autant d’espace et là je m’entoure de professionnel-le-s pour m’aider à hiérarchiser l’ordre des choses à faire parce que j’ai plein d’envies. Je privilégie particulièrement les femmes qui se lancent, ça fait vraiment partie de mes critères pour des collaborations. », souligne-t-elle. Ainsi, un après-midi du mois d’avril, Akasha effectue une deuxième visite des lieux, la première ayant eu lieu à l’automne.

Elle avance doucement, observe les bordures d’arbustes autant que les herbes qui se plient sous nos pas. Elle constate la présence massive de plantain, souvent définie comme de la mauvaise herbe, et de joncs. Des bio-indicateurs signalant la typologie des sols : « Le plantain indique souvent un sol assez compacté et les joncs se trouvent généralement dans les prairies humides ou avec des problèmes d’infiltration. »

Avec attention, elle poursuit son chemin entre les ronces, orties, brins de menthe sauvage, vergers abandonnés, violettes lactées, chèvrefeuille, etc. De la prairie au sous-bois, tout est passé au peigne fin de son observation et de ses dégustations multiples de plantes comestibles qu’elle nous fait partager.

 S’IDENTIFIER À L’ESPRIT PERMACULTURE

« 80% d’un projet en permaculture est de l’observation. Il ne faut jamais se précipiter. Quand je viens observer des terrains, si la personne n’est pas sur les lieux depuis longtemps et n’a pas trop de connaissances de tous les éléments naturels, je vais attendre un an avant de valider les aménagements. Pendant cette année, je viens une fois par saison, voir comment réagit la nature selon le rythme des saisons, sentir les expositions au soleil, au vent, observer la présence des insectes, des animaux, des herbes, des plantes, etc. », commente Akasha.

Originaire de la région parisienne, elle s’installe à Rennes il y a 7 ans, avant de trouver une maison en colocation du côté de Bruz. Attirée par la nature, elle a été ouvrière paysagiste, a entretenu les espaces naturels et a passé un brevet professionnel aménagement paysager avec une spécialisation en écojardinage. Mais elle ne trouve pas la pleine satisfaction :

« Ça a ses limites. Même dans ces domaines, on reste dans le contrôle avec des idées de « il faut couper les arbres comme çi, comme ça, il faut désherber »… Alors qu’on pourrait manger certaines herbes ! »

Akasha cherche d’autres formes d’accomplissement. À travers les livres, la documentation, les vidéos et surtout les expériences qu’elle fait dans son jardin, elle acquière des connaissances et se rapproche de la permaculture auprès de Steve Read, dans les Côtes d’Armor.

« J’ai suivi les Cours Certifiés de Permaculture et j’ai eu une mini-révélation. J’ai su que j’étais dans la bonne voie et que je voulais en faire mon métier. J’ai ensuite passé 10 jours en immersion totale, on fait des cours, des ateliers, on vit ensemble, le soir, on débat, c’est vraiment le côté très humain de la permaculture. », souligne-t-elle, actuellement en préparation du diplôme de permaculture appliquée, à l’université populaire de permaculture. Elle poursuit :

« J’avais depuis un moment fait le constat que nous sommes déraciné-e-s de cette Nature qui nous apprend tout mais fallait que ça s’emboite dans mon cerveau ! »

SE CONNECTER À SES ENVIES ET BESOINS

À 30 ans, Marie Ménard formule ce même constat : « Je regrette vraiment qu’on nous élève loin de la Nature. C’est tellement bien de connaître tout ça ! » Plus jeune, elle a été assistante manager et attaque aujourd’hui sa reconversion au sein du Centre de formation professionnel et de promotion agricole (CFPPA) du Rheu pour obtenir son Brevet professionnel de responsable d’exploitation agricole.

« Je suis une femme, jeune et noire, le chemin n’est pas simple pour le maraichage. Regardez sur le marché, déjà, il y a rarement des personnes issues de la diversité… », sourit Marie, qui ne se démonte pas pour autant. Au fil des 9 mois de formation, elle a affiné son projet futur, initialement basé sur la volonté de produire de la courge éponge – luffa cylindrica – utilisée comme éponge exfoliante, notamment dans les hammams et spas « mais on m’a expliqué que je ne pourrais pas en vivre donc j’ai eu l’idée du maraichage. »

En effectuant plusieurs stages, d’abord dans un jardin d’insertion du Breuil, puis chez un couple de maraichers et enfin à Perma G’Rennes, situé en face de l’éco-centre de la Taupinais (à la Prévalaye), elle a adhéré, comme Akasha, à la permaculture.

« C’est ce que j’ai envie de construire. Dans ma promo, on est une trentaine, la moitié veut faire du salariat et l’autre moitié veut s’installer. Je suis dans la deuxième catégorie. C’est en passant par la Ville de Rennes en tant que porteur de projet que je suis entrée dans le réseau des Amis de la Prévalaye – qui développe un projet d’installation dans le coin – et que j’ai rencontré Mika (Mikaël Hardy, permaculteur fondateur de Perma G’Rennes, ndlr) et ça m’est monté à la tête ! Dans le bon sens du terme ! », rigole Marie.

Elle regrette que la formation qu’elle suit insiste sur l’investissement dans le matériel et la volonté de rapidement s’engager sur une rémunération équivalente à 1500 euros par mois, « des contraintes auxquelles je n’ai pas envie de m’aliéner car ce que j’aime, c’est ce qui fait la permaculture : être naturelle, authentique, s’inscrire dans le rythme des saisons. On veut tou-te-s un salaire, certes, mais je crois que c’est important de comprendre ce que la nature nous offre et ce qui nous environne. On s’inscrit à la suite de mère Nature. Avec la permaculture, je suis beaucoup moins stressée aujourd’hui, je procède étape par étape. Ce n’est pas une histoire de carburer absolument, on peut aussi prendre le temps de présenter des produits qui nous ressemblent, faits avec les valeurs de la nature. »

REPENSER NOTRE MODE DE VIE

Quelques heures passées aux côtés d’Akasha et de Marie et Mikaël suffisent à ressentir cet apaisement. Il y a quelque chose qui relève de l’ordre de la simplicité et de la bouffée d’air frais. L’Homme remis à sa place. Tout petit par rapport à cette puissante Nature. Pourtant, il ne faut pas s’y tromper, les aménagements et les principes, appelés design, ne sont pas le fruit du hasard, mais bel et bien celui des connaissances, des partages de savoir-faire, d’expériences et d’expérimentations et de labeur.

Ce sont les australiens Bill Mollison et David Holmgren qui ont théorisé officiellement la permaculture dans le sens de « culture de la permanence » dans leur ouvrage, paru en 1978. « Ils se sont inspirés de choses fondamentales pour comprendre l’écosystème, du biomimétisme, des méthodes primitives et de l’écologie moderne. Ils ont réussi à créer une éthique forte, avec des outils performants. », explique Akasha.

La permaculture se formalise en réponse à l’industrialisation de l’agriculture, détériorant non seulement les sols et les eaux mais aussi toute la biodiversité qui découle des cultures et des éléments naturels. Aujourd’hui, à cela, on ajoute les pesticides, insecticides, injonction à la sur-production, pression de la rentabilité, gaspillage alimentaire mais également gaspillage des énergies fossiles… La liste des choses néfastes à l’environnement et à la santé est longue. Très longue. Trop longue.

Si l’agriculture biologique contribue à améliorer les conditions de vie des un-e-s et des autres, la bataille financière finit toujours par l’emporter ou au moins à en gâcher le fruit et l’espoir, laissant toujours de côté les éternels perdants : l’état de santé de la planète et l’être humain.

La permaculture invite alors à repenser notre mode de vie et de consommation, pas uniquement dans son aspect alimentaire ou sanitaire, mais dans une dimension bien plus globale, passant aussi par la question de l’habitat autonome et durable, l’utilisation des énergies, l’éducation des enfants, la manière de consommer, la monnaie, les modes de gouvernances, etc.

En résumé, il s’agit de prendre nos responsabilités pour nous, pour les autres et pour les générations futures. En prenant soin de la Nature et des êtres humains, en créant l’abondance et en la partageant.

S’INSPIRER DE LA NATURE

« On crée des lieux d’exploration qui reproduisent des écosystèmes les plus naturels possibles. On prend le temps d’observer, de ressentir l’environnement et on s’inspire de la Nature. », explique Marie Ménard. Les exploitations ou jardins permacoles ne ressemblent pas les uns aux autres, même s’ils peuvent présenter des similitudes, et ne sont pas présenté-e-s dans l’esthétique traditionnelle.

Au contraire, ils peuvent paraître bordéliques, parce que les herbes seront hautes à certains endroits, que des cultures pousseront autour d’un arbre à un autre, ou encore qu’on cherchera en vain à trouver les lignes bien droites de légumes à perte de vue. Bordélique. C’est bien la remarque que fera un samedi en fin de matinée, un passant s’attardant sur son chemin dans les jardins partagés du parc du Landry.

Dans le cadre du mouvement des villes en transition, initié en Grande-Bretagne, l’association Jardins (Ou) Verts, présidée par Laurent Petremant, œuvre depuis plusieurs années à l’aménagement d’une partie du terrain en permaculture dans laquelle se mêle des habitant-e-s du quartier mais aussi des forces vives désireuses de s’impliquer dans le projet, de jardiner et d’apprendre de la Nature. Pour Cathy, il est important de préciser :

« C’est un espace expérimental, il ne faut pas attendre de la productivité. Mais avec cet exemple, on montre qu’il existe un autre moyen de faire, sans polluer. On est à Rennes, dans une grande ville relativement végétale. Je trouve qu’il est important d’avoir des savoirs et de l’expérience, de combiner la notre et celle des autres. »

Suzanne la rejoint parfaitement sur ce point. Le jardin est ouvert à tout le monde, y compris ceux qui n’y travaillent pas sur le créneau du samedi matin. « Je ne fais pas ça pour manger, mais je fais ça pour le plaisir. Et les choses prennent forme. Il faut du temps, il faut accepter que ça prenne du temps. On a fait un travail de dingue, c’est très physique et manuel. Je ne sais pas si ça, il faut le dire… », sourit-elle.

Les adhérent-e-s ont suivi des formations pour se lancer et peuvent participer à des sessions s’ils/elles en éprouvent le besoin ou l’envie. Mathilde se plait à penser qu’ils/elles sont des petits thérapeutes du sol, comme le dit Pierre Rabhi, fondateur du mouvement Colibris, souvent cité par les permaculteurs/trices.

« Nos sols sont gravement malades. Avec la permaculture, il n’y a pas de déchet. Le déchet est une ressource alors ici on invite vivement les gens à composter. Le compost est un levain qui redonne à la terre une vie microbienne. Ça commence par les bactéries, les champignons, puis on étend aux plantes en comprenant qu’il s’agit d’un organisme vivant qui a tout un tas de capacité, qui sécrète des produits qui nourrissent des bactéries spécifiques qui elles renvoient des minéraux spécifiques. Tout est vivant et c’est magique ! Mais il faut impérativement que le sol soit vivant ! », souligne-t-elle. Il y a dans sa manière de faire visiter le jardin un mélange d’enthousiasme et d’alarmisme.

DÉCOUVRIR LES MULTIPLES POTENTIALITÉS

La permaculture semble pour elle une évidence. Une évidence pour panser les blessures trop longtemps infligées à l’environnement et peut-être espérer guérir la folie qui nous entoure, pour trouver un apaisement collectif, une sérénité pérenne et respectueuse.

Mais en attendant de pouvoir atteindre cet état de grâce, on en revient toujours au même : l’association manque d’argent pour aller encore plus loin et lance un appel aux dons via un crowdfunding et aux bonnes volontés lors de la réunion publique du 12 mai prochain. Si elle nous glisse les infos entre les pissenlits et les topinambours, le besoin financier n’entache pas son enthousiasme et sa motivation.

Elle parle de jardin en trou de serrure, d’espace de multiplication, de baissière ou encore de modèle spirale aromatique et de plate-bande en fer à cheval. Tout est pensé dans le détail et tout a fonction particulière. Les poules mangent la vermine et pondent des œufs. Le compost crée de l’humidité. Les zones en creux récupèrent l’eau, qui nourrie de broussailles, se met à composter. Les espaces semblant en friche offrent en réalité un tas de plantes nourricières.

La spirale en pierre qui abrite différentes sortes de matériaux, du plus drainant en bas au moins drainant, s’offre la chance de composer avec toutes les expositions, toutes les orientations et tous les régimes hydriques. Le faux plat bordé d’une petite butte permet de multiplier les climats. Tout peut servir, donc.

Il s’agit alors d’un véritable apprentissage, partant des potentialités de la Terre, composée de sa faune et de sa flore, pour aménager des écosystèmes des plus naturels et des plus respectueux de l’environnement. Comprenant les interactions entre les sols et les végétaux mais aussi les insectes, les climats, les énergies, etc. sans tenter de dompter la Nature mais en composant avec elle.

Pour Akasha, « l’idée est de pouvoir aménager le lieu avec un minimum de contraintes. Et de pouvoir le faire quoi qu’il arrive. Par exemple, quand on est proche d’une zone pas terrible parce qu’il y a beaucoup de voitures qui passent ou qu’il y a un risque d’exposition à certains produits toxiques, on trouve des systèmes dépolluants naturels, on trouve des parades sans aller contre la Nature. »

C’est pour cela que les savoirs sont utiles mais que les expérimentations sont également essentielles. Pour mélanger les cultures, établir des rotations de culture, sauver et faire perdurer des cultures que l’on croyait perdues, créer des protections naturelles, par exemple avec des haies pour le vent, des herbes hautes pours les auxiliaires ou des parades naturelles contre les polluants. Mikaël Hardy en sait quelque chose. Il aménage sa micro-ferme en permaculture depuis l’été 2016 :

« On a fait beaucoup de promenade pour s’inspirer et pour comprendre. Il a fallu remettre la prairie en état. J’étais naturaliste avant, donc je sais bien comment ça fonctionne, les plantes utiles, les insectes utiles, les animaux utiles. Et la permaculture, ça fait 15 ans que je m’y intéresse. J’expérimente sur le tas. »

Tout est utile a priori. Les soucis plantés autour du mandala qui accueille la pousse des pommes de terre, la paille qui maintient la fraicheur et l’humidité du sol qui commence à manquer de pluie, comme le seigle qui pourra servir à fabriquer des chapeaux et des paniers. Impossible après ça de parler de bordel. Ni même de bordel organisé.

Au contraire, on respire et la biodiversité, la vie qui fourmille dans tous les recoins des terrains, donnent un côté, comme le dit Mathilde, magique. « Il y a un côté créatif, poétique et sensible là-dedans, c’est une part très agréable, c’est la part de plaisir. L’esthétisme, c’est le produit du bien-être. », confie Mikaël.

BASE DU LIEN SOCIAL

Si la permaculture part d’un point individuel pour évoluer en spirale et s’étendre à la communauté, son ciment de respect de son environnement pose les fondations d’un lien social essentiel à la dynamique quotidienne.

Au Landry, Suzanne confirme : « Ici, le jardin est partagé d’une part et ouvert d’autre part. Donc entre nous, on discute, on échange, alors qu’on ne l’aurait pas forcément fait, même si on habite le quartier. Chacun-e est dans sa maison, dans sa vie, on se salue poliment mais c’est tout. Là, on peut partager autre chose et faire connaissance autour d’un projet commun. Et c’est pareil pour les passant-e-s qui nous voient bosser dans le jardin, ils posent des questions, on parle des plantes, de la permaculture. Autrement, on n’aurait jamais discuté avec ces gens-là. »

La notion de partage et de transmission se veut omniprésente. Marie Ménard en a bénéficié à Perm G’Rennes. Elle qui apprécie la discussion, le fait de faire circuler l’information et de sensibiliser à cette éthique mais aussi plus largement à la diversité en général se nourrit beaucoup de la pratique de son maitre de stage.

« Je ne fais que démarrer moi mais c’est très enrichissant d’écouter Mika et d’échanger avec lui. Il y a beaucoup de monde qui passe sur l’exploitation, à chaque fois il passe du temps à faire visiter, à expliquer les principes, les valeurs, etc. de la permaculture. Et quand j’aurais mon terrain, il viendra avec moi comprendre il est composé pour pouvoir créer les écosystèmes. Tout comme lui a fait intervenir d’autres expert-e-s. Cette démarche me parle, ces énergies qui circulent et le fait que tu produis quelque chose qui te ressemble ! », explique-t-elle.

S’installer en permaculture, Marie semble sûre de son choix. Et avec cette perspective, mise en relief avec son histoire personnelle, elle s’interroge sur la manière de rendre accessible ses productions, de ne pas reproduire un schéma injuste, discriminant et stigmatisant selon les classes sociales ou autres critères écrasants d’injonctions arbitraires et sociétaux. Et la question est légitime.

Alors que la culture commence son expansion auprès du grand public, on pourrait imaginer une pratique tarifaire déraisonnable, à l’instar de la plupart des produits naturels et encore non démocratisés. Ce qui irait à l’encontre de ses valeurs. Mikaël Hardy compte sur l’entraide, en mettant une partie de son terrain à disposition à un petit groupe de personnes désireuses de se lancer et d’apprendre, et a fixé l’adhésion à sa structure à 1 euro l’année pour bénéficier de ses cours en permaculture.

TRANSMISSION DES SAVOIRS

Akasha, de son côté, s’envisage formatrice avant tout et se positionne dans le domaine de la conception – à travers les observations et les design qu’elle effectue pour le moment à titre bénévole au sein de sa structure, Permabiose – et de la pédagogie.

Régulièrement, elle anime des ateliers – à prix libre - et des chantiers participatifs, autour des plantes sauvages comestibles, de la culture de champignons, des mares naturelles, du zéro déchet, du compost, des toilettes sèches, de la fabrication de mangeoires pour oiseaux ou d’hôtels à insectes.

« Souvent, les participant-e-s viennent pour l’aspect et la sensibilisation permaculture et écolo. Beaucoup de gens font de la permaculture sans le savoir. Oui, il faut avoir des bonnes connaissances en écologie, en écosystèmes, en botanique, en eau, en interaction naturelle. Mais on apprend beaucoup sur le terrain, en observant. En observant les types de sol, les vents dominants, la flore spontanée, les expositions selon les saisons, la faune, les bordures, etc. Et quand on sait pas, ça arrive parfois quand je suis en observation, on prend des bouquins pour faire des recherches, sinon on prend des photos et puis on cherchera ensuite. », détaille-t-elle.

Une fois son diplôme obtenu, elle souhaite à 37 ans poursuivre dans le sillon de la transmission et pourquoi pas se spécialiser dans les systèmes de culture avec les arbres et les forêts comestibles, à l’instar de l’association brétillienne de Franck Nathié, La forêt nourricière. « Je ne vis pas de ça pour le moment, comme beaucoup, mais c’est un milieu vachement ouvert. », positive-t-elle.

PETIT BÉMOL ?

Seule ombre au tableau : l’absence des femmes… Enfin, pas totalement. Une membre de l’association Les incroyables comestibles, ayant travaillé cette année sur un projet d’études imaginant une application permettant de développer numériquement les designs permacoles, nous le confie :

« Dans l’association, comme dans le mouvement Colibris, il y a une majorité de femmes. Je fais partie également d’une ONG qui organise des cafés-débats autour de ces sujets et c’est pareil, il y a beaucoup de femmes qui sont intéressées. Pour le projet, nous avons rencontré beaucoup de permaculteurs et en effet, il y a très peu de femmes. Quand il s’agit d’un loisir, elles sont nombreuses, mais quand ça se professionnalise, elles disparaissent. »

Comme quasiment dans tous les domaines. Elle poursuit : « Dans l’agriculture, il y a moins de femmes en règle générale. La permaculture n’étant pas encore très connue, ça explique peut-être qu’elles ne soient pas très présentes ?! » Beaucoup avanceront le même début d’explication. Pour Marie Ménard, pas question de se laisser décourager par les injonctions de sexe et de genre, aboutissant à des discours alambiqués sous-entendant que les femmes ne seraient pas capables de prendre une exploitation en charge.

« Dans ma promo, il y a 15 filles et 15 gars, ça va de 22 à 40 ans. Et je remarque que quand les filles évoquent la possibilité de s’installer, elles raisonnent en terme de couple. Elles ne se lanceraient pas seules mais forcément en couple. Ça questionne vraiment le couple. »
exprime-t-elle.

Mère d’une jeune fille de 13 ans, elle sait que le travail qu’elle va devoir entreprendre sera colossal et sait que le chemin sera semé d’embuches « mais c’est mon projet et je ferais en sorte de le lancer ». Cette force de caractère, elle en est consciente. On pense alors à son contact à l’écoféminisme, ce mouvement né aux Etats-Unis dans les années 70, à la période et dans la même veine que la permaculture.

Dans une interview accordée au média Reporterre, en octobre 2016, Emilie hache, maitresse de conférences, spécialiste en philosophie pragmatique et en écologie pragmatique, développe une réflexion aussi captivante qu’importante :

« L’articulation de la destruction de la nature et de l’oppression des femmes ressemble à un ruban de Möbius : les femmes sont inférieures parce qu’elles font partie de la nature, et on peut maltraiter la nature parce qu’elle est féminine. Les écoféministes ont donc une réflexion critique à l’égard de l’idée de nature telle qu’elle a été élaborée dans la modernité ainsi que sur la façon de concevoir la féminité à cette même période. Mais, pour ces femmes, il ne s’agissait que d’une étape. Elles ont proposé ensuite de se réapproprier aussi bien l’idée de nature que ce qui relève de la féminité. Ce geste de réappropriation/réhabilitation/réinvention peut se traduire par reclaim, qui est le concept majeur des écoféministes. Comment ? Par exemple, en renouant avec une nature vivant, que certaines considèrent comme sacrée. Si l’on cherchait le type de pensée qui hérite le plus de l’écoféminisme, c’est la permaculture. Une grande partie des écoféministes sont engagées dans la permaculture, réarticulant les humaines à leur milieu, sortant du dualisme nature/culture, en s’appuyant sur l’intelligence du vivant. Starhawk, par exemple, une grande figure de l’écoféminisme des années 1980, anime aujourd’hui des ateliers de permaculture sociale. » Une idée à faire germer et à récolter (vite !).

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Permaculture : au plus proche de la nature
Un accomplissement naturel et humain
La permaculture, rentable ?

Célian Ramis

Maison des naissances : liberté de choisir

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Dans l'obstétrique française, quelle place accordons-nous au respect de la physiologie et à la liberté des femmes à disposer de leurs corps ? À Rennes, la clinique de la Sagesse ouvre le premier pôle physiologique de la capitale bretonne.
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Les progrès de la médecine sont fascinants et incontestables. Et le secteur de l’obstétrique, visant l’étude et la prise en charge de la grossesse et de l’accouchement, ne fait pas exception. Depuis la deuxième moitié du XXe siècle, techniques et connaissances se sont multipliées et développées. En parallèle, les années 60 et 70 ont vu les combats féministes faire avancer les droits des femmes et évoluer vers une libération des corps de la gent féminine.

Mais concernant les questions qui régissent la grossesse, l’accouchement et la maternité, rien n’est jamais acquis. Alors qu’on parle aujourd’hui de surmédicalisation, qu’en est-il du choix ? et de l’écoute de son propre corps ? du respect de la physiologie ? À l’heure où certaines villes françaises se dotent de Maisons de naissances dans le cadre d’une expérimentation, un « Pôle physiologique » ouvre ses portes à Rennes, à la Clinique de la Sagesse.

La grossesse rendrait les femmes rayonnantes, l’accouchement serait un calvaire insurmontable sans péridurale et les kilos pris les derniers mois avant la délivrance seraient compliqués à perdre… Bon nombre d’idées reçues, d’angoisses et d’injonctions planent autour du trio grossesse-accouchement-post partum. Pour pallier aux inquiétudes, la réponse est (trop) souvent médicale.  Si les 60 dernières années ont été révolutionnaires pour l’obstétrique en France, quelle place accordons-nous à la physiologie et à la liberté des femmes à choisir et à disposer de leurs corps ?

« J’augmenterai la souffrance de tes grossesses, tu enfanteras avec douleur… » Voilà un programme réjouissant ! Si les interprétations du texte sacré sont multiples, l’enfantement dans la douleur reste gravé dans les esprits. Tout comme l’idée que l’essence même de la Femme résiderait dans sa vocation à donner la vie et élever sa future progéniture, assurant ainsi la survie de l’espèce humaine.

Pourtant, à l’aube des années 1950 survient sur la scène de l’obstétrique « l’accouchement sans douleur », une méthode visant à allier respiration et contractions, avant que ne soit créée l’anesthésie péridurale - controversée dans les années 80 car elle serait alors trop dosée, ne laissant pas la possibilité aux femmes de ressentir le processus. En 2010, 77% des accouchements ont été effectués sous péridurale, selon la Direction de la recherche, de l’évaluation et de la statistique.

Entre temps, les féministes se sont battues pour que les femmes disposent librement de leurs corps. Et pour que les femmes ne subissent plus la doctrine de l’enfantement avec douleur. Pourtant, depuis plusieurs années, certaines futures ou jeunes mères dénoncent parfois la surmédicalisation du parcours et des violences obstétricales subies, le plus souvent, au moment de l’accouchement.

Créé en 2003, le Collectif interassociatif autour de la naissance (Ciane) veille particulièrement à la parole et aux ressentis des femmes, tout en maintenant la volonté forte de dialoguer avec les professionnel-le-s de la santé – qui ne sont pas à blâmer en toutes circonstances, précise la structure – afin de faire évoluer les pratiques et diminuer la souffrance de celles qui viennent d’accoucher.

Une souffrance qui relève davantage de l’ordre du psychologique que du physique, même si l’enquête réalisée en novembre 2013 sur « Episiotomie : état des lieux et vécu des femmes » révèle des douleurs corporelles non négligeables. Cette étude apporte un éclairage important et significatif sur la gestion médicale de l’accouchement.

INFORMATIONS ET CONSENTEMENT

Le Collectif a recueilli les réponses de plus de 10 000 femmes ayant alors accouché dans les dix dernières années. L’épisiotomie, depuis le début des années 2000, fait l’objet de fortes interrogations. En 2005, le Collège national des gynécologues obstétriciens français publie ses recommandations sur la question, « dans lesquelles il prend acte qu’il n’y a pas d’indications prouvées à l’épisiotomie systématique et définit un objectif de 30% de taux national, au lieu de 47% à l’époque (2002-2003). Le Ciane était en désaccord avec ce taux objectif qui n’était étayé par aucune étude scientifique : au même moment, en Suède et en Grande-Bretagne, les taux d’épisiotomie étaient respectivement de 6% et de 13%. »

L’enquête montre plusieurs points d’évolution des pratiques, comme la liberté de déplacement pendant le travail, dont la proportion de femmes concernées a augmenté aux alentours de 50% (mais serait en stagnation depuis 2007), la possibilité de choisir sa position pendant le travail, dont bénéficient 6 femmes sur 10 ainsi que la liberté de choisir sa position pendant l’expulsion.

Toutefois, ce dernier point ne concerne qu’un tiers des femmes et stagne également depuis 2007. Dans l’ensemble, le choix est davantage donné aux « multipares » - terme qui désigne celles qui ont déjà eu un ou plusieurs enfants – qu’aux « primipares » - désignant ici celles qui donnent la vie pour la première fois. Les chiffres de l’étude démontrent alors que le recours à l’épisiotomie sera moindre dans les cas où les femmes ont été libres de se déplacer, choisir leurs positions lors du travail et de la délivrance.

Des libertés que les équipes médicales doivent parfois bafouer de par l’urgence et/ou les complications pouvant survenir lors de l’accouchement. Néanmoins, le Ciane conclut à ce niveau : « Il y a de nombreux facteurs qui peuvent interférer avec ce lien : une maternité qui a une politique tournée vers le respect de la physiologie pourra favoriser à la fois la liberté de mouvement et la restriction des épisiotomies. Cependant, il semble raisonnable au vu des résultats contrastés que nous présentons d’encourager au maximum la liberté de position et de mouvement tout au long de l’accouchement. »

Autre élément mis en lumière dans le document, et dont les témoignages peuvent bouleverser la sensibilité : 85% des épisiotomies sont réalisées sans le consentement de la femme concernée. Un chiffre qui n’a pas évolué depuis 2005. Chez les multipares, il est demandé à au moins un quart des femmes, tandis que chez les primipares, il n’est demandé qu’une fois sur 7 ou 8.

« Les femmes sont de mieux en mieux informées sur l’épisiotomie par les professionnels de santé. Seule 1/3 d’entre elles avant 2005 estimaient avoir reçu assez d’information, contre 59% en 2010-2013. Malgré ce progrès, elles sont encore 12% à estimer avoir reçu insuffisamment d’information et 29% à ne pas en avoir reçu. Une très petite proportion dit avoir reçu trop d’informations. », souligne le rapport qui signale également un lien intrinsèque entre l’information et la demande de consentement, les femmes les plus avisées étant généralement celles à qui on demande le plus souvent l’autorisation d’agir.

Enfin, le Ciane établit un lien entre la souffrance déclarée de 75% des femmes (ayant subi une épisiotomie) et l’absence de demande de consentement. « Il y a au moins deux explications à envisager : le ressenti de souffrance dépend de la manière dont la femme a été traitée, et la demande de consentement fait partie des bons traitements ; les équipes plus respectueuses du consentement seraient aussi celles qui seraient les plus attentives aux suites de l’épisiotomie. »

En parallèle, les mêmes questions ont été posées à des femmes « qui ont démarré (le travail) dans un espace particulier de l’établissement (espace / pôle physiologique, maison / pavillon de naissance). » Résultat : « Le taux d’épisiotomie est de 31% pour les primipares (contre 47% pour la moyenne des établissements), et de 13% pour les multipares au lieu de 16%. »

RECONNAITRE LES VIOLENCES

Malgré de nombreux témoignages concordant vers le constat de réelles violences obstétricales, le Ciane nuance : les violences volontaires seraient extrêmement rares. Les cas révélés relèvent davantage d’une violence dite ordinaire, qu’il est important de porter à la connaissance du grand public, via les réseaux sociaux et la presse, pour une prise de conscience générale.

Et l’affaire du « point du mari » en est la preuve (affreuse et) incontestable ! Et le Collectif propose, au titre d’une évolution efficace, des formations afin de décrypter, analyser et déconstruire ces faits, auprès des professionnel-le-s de la santé. Ancienne psychomotricienne, Christiane David est sage-femme à la Clinique mutualiste de La Sagesse, à Rennes, depuis 1992. Si elle n’a jamais entendu de la bouche des femmes le terme formel de « violence », elle est convaincue que des situations peuvent être ressenties comme tel.

« Par exemple, dans les cas de césarienne non prévue, des femmes vont trouver ça violent, d’autres non. L’accompagnement qu’on leur donne peut modifier ce vécu. Parfois, on ne se rend pas compte mais les mots que l’on emploie sont terriblement violents pour ces femmes. Notre rôle est de transformer cette expérience en quelque chose d’humain, de partageable. Il est important que celle qui le formule soit reconnue dans le fait que c’était difficile. On va pouvoir être à ses côtés. Mais pour cela, il faut du temps et le temps fait défaut dans le milieu hospitalier. Et c’est ça, véritablement, qui forme la violence. Quand quelque chose nous fait violence, il ne faut pas se laisser faire, il faut le dire, merde ! », se passionne-t-elle.

Lors des dix dernières années, elle a lutté, aux côtés d’autres sages-femmes, de parents et de futurs parents, pour la création d’une Maison de Naissance, à Rennes. C’est pour cela qu’a eu lieu en 2003 la création de l’association MAISoùnaitON ?.

POUR QUI, POUR QUOI ?

En réaction à la surmédicalisation de la grossesse et de l’accouchement, plusieurs femmes et sages-femmes ont souhaité, dans les années 70, reprendre le contrôle sur cet aspect-là de leurs vies (et bien d’autres, par ailleurs) et se les réapproprier. La maison de naissance se base sur l’écoute et le respect de la physiologie, proposant un espace autonome et indépendant intégralement dirigé par des sages-femmes.

Les femmes sont alors suivies par une ou plusieurs professionnel-le-s de la structure du début de leur grossesse au post-partum, en passant par l’accouchement naturel. « Les femmes qui sont intéressées par ce système-là sentent que la médicalisation aliène leurs corps. Il ne s’agit pas d’opposer « l’accouchement sans douleur » et « l’accouchement avec douleur », pas du tout, ce n’est pas la question. Elles ne revendiquent pas de souffrir mais de vivre ce qu’elles ont à vivre. Elles veulent avoir le choix, ne pas s’en remettre à une surmédicalisation quand il n’y en a pas besoin. Parce qu’évidemment, on ne crache pas dans le bénitier, il y a parfois besoin de passer par là en cas de pathologie. », explique Christiane David.

Rencontrer les professionnel-le-s (présent-e-s le jour de l’accouchement), tisser des liens, construire une relation de confiance et aboutir à un accouchement simple, tel est le souhait formulé par les futurs parents.

OUI, MAIS…

Depuis 1975, les Maisons de Naissance se sont développées aux États-Unis. Ainsi, le Collège américain des gynéco-obstétriciens se penche régulièrement sur la question de la physiologie et en février 2017 publie, dans le magazine Obstetrics and Gynecology, son Plaidoyer pour un accouchement physiologique :

« L'équipe obstétricale peut aider les patientes à accoucher de manière physiologique en ne faisant appel qu'à un nombre limité d'interventions, ce qui a toutes les chances d'augmenter la satisfaction des parturientes. De nombreuses pratiques passées dans la surveillance de routine ne présentent qu'un bénéfice limité ou incertain pour les femmes en travail spontané et sans risque particulier, et les décisions devraient être le plus souvent partagées entre la patiente et les professionnels. »

L’article liste alors certaines interventions inutiles, comme l’admission trop précoce en salle d’accouchement, l’utilisation du monitorage en continu ou encore la perfusion intraveineuse en continu et recommande à « l'équipe obstétricale qui entoure les parturientes en travail spontané à terme sans risque particulier (de) s'interroger sur la pertinence de ses interventions et les choisir avec discernement en tenant compte du bien fondé de celles-ci ainsi que de l'avis de la patiente, et s'habituer à une approche moins interventionnelle de l'accouchement. »

Dans les années 80, plusieurs pays en Europe, à l’instar de la Suisse, l’Allemagne, la Belgique ou encore la Grande-Bretagne, vont s’équiper également de Maisons de Naissance, allant même jusqu’à créer un réseau européen. Au Québec aussi, il en existe et une dizaine de nouvelles structures est en cours d’installation selon un plan de périnatalité 2008 – 2018.

Pour la France, c’est une autre paire de manches. Les modes « alternatifs » d’accouchement, comme les Maisons de Naissance ou l’accouchement à domicile, étant régulièrement décriés ou discrédités, à coups d’arguments sécuritaires et sanitaires. Des arguments rapidement démontés par les sages-femmes et les structures déjà existantes montrant que les suivis de grossesse et les accouchements concernés ne se font pas sans un maximum d’indicateurs positifs et de solutions en cas de complications.

Pourtant, les mentalités évoluent doucement et ce n’est que très récemment qu’une loi a autorisé l’expérimentation de 9 Maisons de naissance en France (lire encadré), dont la structure rennaise ne fait pas partie. « Les Maisons de Naissance doivent avoir un statut particulier. Et clairement, elles doivent être encadrées par des sages-femmes libérales. Sauf que les consultations de suivi de grossesse et d’accouchement ne suffisent pas à les faire vivre, ce qui les oblige à faire des dépassements d’honoraires, regrette Christiane David, loin de jeter la pierre à ses collègues en libéral. Nous, dès le départ, on a souhaité se mettre à l’écart de ce fonctionnement car nous tenons à ce que ce projet soit accessible à tou-te-s. Et avec des dépassements d’honoraires, ce n’est pas possible. Les familles nous ont soutenues pour que l’on puisse rester sur la ligne intra hospitalière. »

Depuis 2004, l’association MAISounaitON ? organise, en collaboration parfois avec Liber’Naitre, des conférences, des ateliers et des réunions d’informations. Sur les Maisons de Naissance mais aussi sur toutes les questions concernant l’accompagnement global, la liberté de choisir, la liberté de mettre son enfant au monde là où on le souhaite et comme on le souhaite, sur la langue des signes pour les bébés ou encore sur la question très importante de la gestion de la douleur, sujet tabou et angoissant pour un certain nombre de femmes.

Il a fallu batailler pour défendre le projet, rencontrer les élu-es – « Nous avons rencontré des élues qui étaient des femmes issues de 68 et qui ne comprenaient pas cette histoire d’accouchement sans péridurale car elles s’étaient battues pour la libération du corps des femmes et contre le « tu accoucheras dans la douleur », se souvient la sage-femme qui livre cette anecdote avec un grand sourire aux lèvres. On a discuté et échangé. Même si on ne partage pas la même vision, on a pu partagé nos points de vue. » - et convaincre l’institution de s’engager. Le combat a été long et éprouvant : « On a cru que ça allait s’arrêter. On a failli jeter l’éponge. »

Mais l’association n’a rien lâché et la direction de la Clinique mutualiste de La Sagesse a suivi leur engouement et engagement. Depuis décembre 2016, les femmes peuvent s’inscrire pour un accompagnement global auprès du Pôle physiologique de La Sagesse. « Comme on ne fait pas parti de l’expérimentation et que nous avons quelques différences avec les Maisons de Naissance, nous ne pouvons pas prendre la dénomination Maison de Naissance. », précise Hélène Billot, sage-femme exerçant dans cet établissement depuis 2006, impliquée dans l’association et désormais investie parmi les 8 professionnelles gérant le Pôle physiologique.

TOURNANT DE L’OBSTÉTRIQUE EN FRANCE

Intégrer cet espace à un établissement hospitalier est novateur et purge l’espoir que son principe tisse sa toile. Pour Christiane, les arguments, pour se parer d’un pôle tel que celui qui se lance à La Sagesse, ne manquent pas. Bien au contraire.

« La maternité est le phare d’un hôpital. Souvent, c’est là où on accouche que l’on reviendra pour soi ou ses enfants. C’est une vitrine. Et à un moment où la natalité diminue, c’est ceux qui seront novateurs qui verront une incidence sur l’évolution de leur structure. »
analyse-t-elle, à juste titre.

Mais surtout, ce qui elle lui tient particulièrement à cœur est d’interroger l’obstétrique en France. Où en est-on et comment évoluer ? Comment concilier la pratique, toujours plus pointue, des professionnel-le-s de la santé, au respect des envies et besoins des patient-e-s ?

Multiplier les interlocuteurs/trices augmente souvent les risques de perte des informations et donc d’erreur. « On n’est pas rationnel dans le système de soin, dans l’organisation du parcours. Et les pros sont épuisé-e-s. Il faut maintenant penser à répartir l’organisation des soins, rationnaliser les coûts et répartir les moyens. », poursuit-elle.

L’intérêt d’intégrer une structure telle que le pôle physiologique à un établissement est que son fonctionnement d’accompagnement – démultiplier les intervenant-e-s si la grossesse ne présente aucune pathologie particulière, accompagnement global, etc. – se diffuse au-delà du service, allant jusqu’à infuser dans les autres branches de la clinique et plus largement dans les autres secteurs du milieu hospitalier et médical :

« Le pôle physiologique travaille avec un réseau de professionnel-le-s et est en lien avec la maternité évidemment. Cela permet de modifier les représentations car les autres voient que le suivi est rigoureux et carré. Les femmes qui s’y rendent sont extrêmement suivies. C’est d’ailleurs aberrant de voir à quel point les exigences sont bien plus grandes. »

Elle salue alors le courage de la direction, qui a engagé des travaux au rez-de-chaussée de la Clinique (jusqu’en avril, le pôle physiologique est installé temporairement au 2e étage, espace Bréhat, pour les consultations) pour y installer deux salles de consultation, deux chambres de naissance et une grande pièce de vie comprenant cuisine, salle à manger et salon convivial. Ainsi, 150 m2 seront destinés à ce nouveau pôle.

« Et vous voyez, ça fonctionne. En s’intéressant à ce projet, le directeur, le directeur financier, les gars du bâtiment se le sont appropriés. Ils ont changé de regard sur le sujet. C’était super chouette de voir les gars du BTP nous dire « si vous voulez quelque chose dans tel ou tel esprit, alors il vaut mieux aménager ça ici, mettre cette couleur là, etc. », vraiment chouette ! », raconte Christiane David.

ENTOURÉ-E-S ET ÉCOUTÉ-E-S

L’esprit de la Maison de Naissance est donc présent dès la création de l’espace concerné, mêlant échange, partage et respect de l’Autre. Mais pas n’importe comment. Comme le précise la sage-femme, le suivi est rigoureux et encadré. « Pour pouvoir en bénéficier, il faut être en santé comme ils disent au Québec. Quand un couple est intéressé, il s’inscrit auprès du pôle physiologique. Le premier rendez-vous, le plus tôt possible dans la grossesse, est une consultation « d’éligibilité » au cours de laquelle on reprend tous les antécédents médicaux. », justifie Hélène Billot.

Ainsi sont admises uniquement les femmes présentant une grossesse à faible risque, puisque le risque 0 n’existe pas. Le dossier de présentation explique : « Certaines conditions médicales rendront  ou non un tel accompagnement possible. Si au cours de ce processus, votre condition ou celle de votre bébé requiert des soins, l’avis d’un médecin sera alors sollicité. Et si besoin, une orientation vers le service général de la maternité pour avis et/ou transfert sera organisée. Pour votre bien-être, nos deux équipes se connaissent et travaillent ensemble. Ainsi, une réorientation pourra être envisagée tout au long de votre suivi. Soit : pour des raisons médicales concernant la mère ou le bébé. Suite à un souhait de votre part. »

Fin février, l’équipe a déjà rencontré plus de 70 couples à la consultation d’éligibilité. Au moins une soixantaine est inscrite au Pôle physiologique pour des termes allant de mi mai à mi septembre. L’objectif étant d’accueillir dans les années à venir 300 mamans.

Si toutes les conditions sont réunies, la femme - ou le couple - sera suivie par une sage-femme référente en consultation une fois par mois jusqu’au 7e mois, puis tous les quinze jours dès le 8e mois et toutes les semaines le 9e mois si les femmes le souhaitent. Et à partir du 6e mois, une deuxième sage-femme les recevra en consultation, en alternance avec la professionnelle référente. Et lorsque la future mère commencera les préparations à la naissance, elle rencontrera deux sages-femmes également. « Une des quatre professionnelles sera présente à l’accouchement. », garantit Hélène Billot.

« Ça me tranquilise de savoir que le jour J une personne professionnelle que je connais, qui connaît mes craintes et mes souhaits, sera là. »
avoue Marion, 29 ans, en attendant l’heure de son rendez-vous.

Elle entamera bientôt son 6e mois et intégrera prochainement les préparations à la naissance. « Dans ma famille, il y a eu pas mal de problèmes à l’accouchement. Ça m’a apaisée de venir ici par rapport aux perspectives de ma grossesse. », poursuit-elle. Pour cette post doctorante en anthropologie maritime, rattachée au Museum de Paris, l’accompagnement global correspond à ce qu’elle recherchait, elle qui confesse quelques angoisses en pensant à la péridurale et souhaite s’orienter plutôt vers la gestion de la douleur.

« Je ne me sens pas malade mais enceinte ! », dit-elle en rigolant. Mais sa phrase est pleine de sens. Au cours des face-à-face – ainsi que des appels si besoin de conseils ou en cas de doute, de questionnement – tous les sujets pourront être abordés. Maëlys, 24 ans, et Mathieu, 26 ans, apprécient cette globalité.

« On est très contents. Il n’est pas question que de l’utérus mais aussi du couple, de la mère, du père, de nos émotions, de notre environnement, etc. », explique l’étudiante en ostéopathie animale. Son compagnon, agent de circulation à la SNCF, se sent écouté et rassuré :

« On voulait limiter le médical. Surtout pour un accouchement, ça se pratiquait avant que la médecine existe ! Ici, on connaît les sages-femmes, on dialogue, on échange sur l’émotionnel. Ce ne sont pas que des blouses blanches, c’est bien plus que ça ! »

Tous les deux affichent un sourire contagieux. Ils devraient en mai devenir les parents d’un des premiers bébés à naitre au pôle physiologique.  

UN CADRE CONFIDENTIEL ET INTIME

Toutes les questions peuvent être posées. Toutes les angoisses peuvent être livrées. Toutes les émotions dévoilées. Tous les désirs explicités. Les sages-femmes seront présentes pour accompagner, guider, conseiller si besoin. « Une femme qui se sent écoutée tout au long de sa grossesse va généralement mieux accoucher. Si elle est en confiance, elle va fabriquer ce qui lui faut en ocytocine et endorphine pour réagir à la douleur par exemple, mais pas seulement. Si elle est en stress, ne connaît pas les gens qui l’entourent, se sent frustrée de ne pas avoir exprimé ce qu’elle voulait, elle va fabriquer l’hormone du stress et peut avoir un blocage pendant le travail. Ici, l’objectif est d’arriver zen dans le travail et de faire au mieux si des péripéties surviennent. », commente Hélène Billot.

Les professionnelles sont là, oui, mais pour guider et soutenir. Faire de la prévention tout au long de la grossesse pour rester en santé avec une alimentation saine et de l’activité physique. Et surtout pour rendre les couples autonomes et acteurs de l’accueil de leur bébé et les femmes confiantes en leurs capacités. Elle insiste sur ce point :

« Ce n’est pas nous qui accouchons, c’est la femme et elle sait faire. »

La relation de confiance qui s’est créée au fil des consultations permet à la sage-femme de détecter rapidement si un indicateur passe au orange. De dépister et anticiper une éventuelle complication. Elle demandera alors un examen complémentaire ou l’avis d’un-e autre professionnel-le. Elle pourra donner aux futures mamans des outils pour la préparation à la naissance, comme des postures, des massages, des notions sur la respiration, la relaxation, etc. Mais c’est la maman qui choisira sur le moment pour le travail et pour l’accouchement.

« Le moment venu, on intervient le moins possible. On fait le moins de bruit possible. La maman peut se mettre dans l’eau chaude, il y a une baignoire dans la chambre de naissance, se servir d’un système de suspension, marcher, peu importe, elle fait ce qu’elle veut. La maman se laisse guider par son corps. Nous sommes là pour la rassurer sur ses compétences, pour leur donner confiance dans leurs compétences de parents. La maman se met dans la position qui lui fait du bien. Il n’y a pas de technique qui fait qu’une femme accouchera mieux qu’une autre ou des exercices qui remplaceront le pouvoir de l’échange. », souligne la sage-femme.

Les personnes présentes peuvent toutefois moduler, selon leurs attitudes, la douleur de la maman au travail et à l’accouchement. D’où l’intérêt de privilégier au maximum le calme et les lumières tamisées. Un cadre serein. Et notamment un cadre qui laissera travailler le « cerveau primitif ». « Par contre, il est important de signaler que si une femme se dit au moment de l’accouchement qu’elle souhaite avoir une péridurale, ce qui peut arriver, elle sera transférée à la maternité et ne pourra plus bénéficier du suivi global après. », ajoute Hélène.

GÉRER L’APRÈS

Les femmes, ainsi que leurs compagnes ou compagnons, pourront rester dans la chambre de naissance entre 6 et 12h après l’accouchement. Puis seront invité-e-s à rentrer au domicile, ou si le souhait est formulé pourront rejoindre la maternité de la Sagesse.

« La sage-femme se rend au domicile le lendemain de la naissance pour examiner le bébé et la maman, donner des conseils sur l’alimentation, le bain, l’allaitement si besoin, etc. On viendra le 1er, le 2e, le 3e et 5e jour à domicile (il est nécessaire que le domicile se situe dans un périmètre de 35 kms ou si ce n’est pas le cas de se faire loger chez des proches habitant dans cette zone), on sera joignables 24h/24 sur la ligne d’astreinte et on reverra les parents à 3 et 6 semaines, pour savoir comment ils vont. », précise Hélène Billot.

Là encore, la relation de proximité et de confiance jouera un rôle primordial. Christiane David rappelle à ce sujet qu’en France le suivi post accouchement est loin d’être efficace. Les dépressions sont importantes et la pression que l’on met sur une mère n’est pas à négliger. Un cocktail qui peut s’avérer dangereux sur la santé physique et psychologique de la nouvelle maman, à qui on conseille dans les premiers jours d’être entourée de sa compagne, de son compagnon ou d’une tierce personne, « pour qu’elle puisse penser uniquement à elle et son bébé et pas à toute l’intendance autour. »

Le suivi permettra donc là encore d’aborder tous les sujets, de la fatigue à la baisse de moral, en passant par la sexualité par exemple. Selon les ressentis et les vécus, elles pourront être orientées vers des spécialistes ou poursuivre leur chemin vers la parentalité.

Elles pourront également revenir au pôle physiologique qui devrait accueillir une permanence hebdomadaire de l’association MAISoùnaitON ? afin de faire du lien et partager les expériences entre les parents et futurs parents.

« On aimerait aussi qu’il y ait des ateliers, de portage par exemple, de créer une bibliothèque. L’important étant qu’il y ait un lieu de vie, de partage, d’échange. Les gens sont demandeurs car après la grossesse et l’accouchement, il peut y avoir un vide. Il faut éviter que les femmes soient isolées dans un coin avec leur bébé. »
conclut la sage-femme.

L’association continue, pour informer la population, répondre aux questions et toujours aller plus loin sur les connaissances autour de ce sujet, de proposer des réunions chaque deuxième lundi du mois.

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Au tournant de l'obstétrique française ?
À l'écoute de ses désirs et besoins
La France s'y met !

Célian Ramis

Artisanat : portraits de passionnées

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Portrait de quatre artisanes rennaises qui partagent leur passion pour leurs arts créatifs, le fait main et le fait à la maison, et intègrent dans leur démarche de fabrication certains objets de récup'.
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Si l’artisanat breton, tous secteurs confondus, note une baisse du salariat, les petites entreprises se plaisent plutôt à chantonner un air bien connu d’Alain Bashung et les micro-entreprises ont le vent en poupe. Une nouvelle tendance se dessine depuis quelques années, celle du Do It Yourself et du système Débrouille, survenant comme une alternative à l’asphyxiant consumérisme provoqué par la mondialisation.

Entre les conditions déplorables de travail des marques et enseignes qui délocalisent leur fabrication, les scandales sanitaires de certaines matières néfastes et l’effet désastreux d’une production à outrance sur l’environnement, une partie de la population opte pour une nouvelle manière de consommer et de fabriquer.

Pour ce focus, la rédaction de YEGG a rencontré quatre créatrices rennaises, investies dans le secteur de l’artisanat comme activité principale ou non. Elles partagent leurs parcours, passions, savoir-faire et difficultés.

Artisanes à temps complet ou non, créatrices dans des secteurs différents, elles partagent néanmoins des points communs, dont le fait-main et le fait à la maison. Sans oublier qu’elles intègrent toutes dans leur démarche de fabrication la réflexion autour de secondes vies à donner à des objets. Tour d’horizon de leurs univers créatifs et portraits de passionnées.

Depuis trois ans, elle retape entièrement sa maison avec son mari. Elle aime le bricolage et en fait depuis longtemps avec ses deux filles. À 46 ans, Elsa Chaderat est infirmière scolaire au lycée Jeanne d’Arc, à Rennes. À mi-temps. Et elle est également, depuis un an et demi environ, la créatrice des Demoiselles. Des sculptures féminines vêtues d’une robe blanche et d’une ou plusieurs roses, fabriquées en papier mâché et fil de fer.

C’est en participant à un atelier animé par l’artiste plasticienne et art-thérapeute, Emilie Réan, à Bourg-des-Comptes (35) que le déclic survient. « Pendant 3h, il s’est passé un truc. J’ai fait la première Demoiselle. Qui ne ressemble pas à ce que je fais maintenant mais c’est la toute première. Après, pendant 15 jours, j’ai peu dormi, j’avais plein d’idées qui fourmillaient. J’ai pris des notes dans des carnets, fait des dessins, il y en a pour 20 ans d’exploitation ! », rigole Elsa.

Très rapidement, elle se met à l’ouvrage, inspirée par la blancheur, les robes qui volent et flottent dans l’air, soufflées et gonflées par le vent. « On a fabriqué un petit atelier car je ne voulais pas plonger ma famille dans le bordel. », précise-t-elle. Une petite pièce, au rez-de-chaussée de sa maison, est aménagée en guise d’atelier, là où une table est installée, face à la fenêtre et à la rue, et où les Demoiselles trônent fièrement sur les étagères. Et sur les murs, quelques affiches dont l’une bien fleurie attire l’œil, de par la citation de Matisse qui s’illustre en son centre : « La créativité demande du courage ».

Et quand des ami-e-s de La petite mécanique – espace de partage autour des arts et de la nature situé dans le quartier du Sacré Cœur à Rennes – lui proposent d’exposer ses sculptures, elle n’hésite pas à se lancer dans le bouillon des expos-ventes et des marchés de créateurs/trices :

« J’ai été très surprise des retours, ça m’a donné plein d’énergie. J’ai particulièrement apprécié le contact avec les gens, ça m’a vraiment donné des idées et surtout l’envie de continuer. »

LIEUX DE PARTAGE

Depuis moins d’un an, elle a également intégré l’atelier galerie L’Ombre Blanche, lancé en mai dernier par Sarah Estellé. Un lieu de partage proposant des expositions éphémères ainsi que des ateliers pour enfants et adultes autour de la sculpture, le dessin d’observation, la peinture et les arts créatifs.

« C’est très agréable de se regrouper et de partager comme ça. Je donne peu de cours mais quand j’en fais, c’est super. Les enfants ont plein d’idées. Ils/elles veulent faire des Demoiselles et ce qui est formidable, c’est que ça ne donne jamais la même chose que celles que je fabrique. », s’enthousiasme la sculptrice.

Elle en parle avec émerveillement et plaisir, sans cacher les bémols que l’artisanat contient. La création, dans son étape pure de fabrication, demande investissement en terme de nombre d’heures passées dans l’atelier et s’accompagne d’une certaine solitude, ou tout du moins à un isolement. « Je découvre que quand on est comme ça dans son monde, dans son univers, quand on en sort, on ne fait pas très sociable. », souligne-t-elle.

Toutefois, elle reste positive, gonflée à bloc par l’énergie procurée par les rencontres : « Je suis tombée en amour et je suis tombée dedans par hasard et cette découverte a pris un tournant surprenant menant à des rencontres qui donnent de l’énergie ! » Ce qui lui permet de fortement s’investir durant les périodes de Noël, aboutissant à une création importante et par conséquent à du stock pour les mois suivants, et de lancer de nouveaux projets.

Comme celui d’une exposition dans le cloître de la maison St Cyr, assorti d’un atelier en direction des personnes âgées de la maison de retraite en mars 2018. « J’attends des réponses pour d’autres lieux d’exposition. Il faut faire pas mal d’œuvres et avoir pas mal de temps. », explique Elsa Chaderat. Ainsi, elle alterne les instants de travail sur ces Demoiselles, qu’elle voudrait bientôt voir grandir en terme de taille, son métier d’infirmière scolaire et sa vie personnelle.

BIDOUILLE ET FORMATION

De son côté, Elisabeth De Abreu, 48 ans, s’est établie depuis quatre ans bientôt, en septembre 2013, en tant que mosaïste professionnelle. Elle aussi s’est saisie d’une annexe de sa maison, à Vern-sur-Seiche, pour en faire un atelier.

Un atelier coloré, composé d’une multitude de tableaux accrochés aux murs et de bocaux en verre remplis de mosaïques et de tesselles. À côté de son tabouret de travail, un tranchet. Sur lequel elle place sa matière, qu’elle coupe d’un bon coup de marteline.

« Ça pèse un kilo ! Vous imaginez le poids dans le bras à la fin de la journée ?! », s’exclame-t-elle, en positionnant la pièce sur un coussin en marbre et en mosaïque, qu’elle réalise à la manière des coussins en crochet.

Sa rencontre avec la mosaïque date d’il y a 15 ans. Elle habite alors en Corse et ramasse des bouts de verres polis sur la plage, se disant qu’un jour, elle les utiliserait. Probablement. Pourquoi faire ? Elle ne sait pas encore. Une amie lui parle de cet art qui l’attire rapidement.

« J’ai commencé par faire du collage à la main, de la bidouille, mais ça ne tenait pas. Et je ne trouvais pas de cours. À Angers, il y a un peu plus de 4 ans, mon mari m’a offert un stage de bricolage, puis j’ai trouvé une association, à Chantepie, de femmes qui faisaient de la mosaïque entre elles. Ça ne m’a pas suffit, j’ai alors pris des cours particuliers auprès d’une mosaïste, à Rennes. C’est elle qui m’a encouragée à ouvrir mon atelier. », explique Elisabeth.

Elle va ainsi effectuer une formation privée de 8 mois dans un atelier privé. « Pour être maitre mosaïste, il faut aller suivre une formation de 3 ans en Italie. Il n’y en a pas en France. Ce n’était pas possible pour moi de faire ça avec ma vie de famille. », précise-t-elle.

De temps en temps, elle s’en va effectuer des stages à Tours auprès des deux Meilleures Ouvrières de France, toutes deux maitres mosaïstes, pour évoluer et se perfectionner.

SE DIVERSIFIER

Ce qui lui plait, c’est la diversité. Des formes, des matières, des couleurs, des supports. Décorer un sol, un buste de femme, une salle de bain, un bâtiment, un tableau… Avec du marbre, des pierres, des tesselles, etc. « On ne peut pas se lasser ! », dit-elle d’un ton enjoué.

Mais c’est aussi un moment de détente autour d’un projet artistique. Quand elle planche sur une œuvre personnelle, elle s’évade. Elle parle véritablement de thérapie en soi.

« Quand on passe du temps à tailler une tesselle, on ne pense pas aux problèmes. J’ai commencé la mosaïque il y a 15 ans, c’était à la naissance de mon aînée qui est porteuse de handicap. Une psychiatre m’a dit que ça avait peut-être un lien. Je ne sais pas si c’est ça en réalité mais la mosaïque consiste à casser des pièces pour reconstruire quelque chose. », analyse l’artisane.

Et c’est à la fin de son congé parental, qui a duré cinq ans, qu’elle a fait le choix de s’installer en micro-entreprise et de s’enregistrer auprès de la maison des artistes.

« Soit je faisais une formation pro, soit je retournais bosser dans un bureau. Ça a été un choix familial. C’est ma passion, je suis une artiste, une maman, mon mari travaille beaucoup et créer mon atelier à la maison permettait réellement de concilier vie professionnelle et vie privée. Pour mon aînée handicapée, il faut avoir des disponibilités plus importantes. Mais ce n’est pas seulement pour elle. Là par exemple ma fille a la mononucléose, je peux être à côté d’elle tout en travaillant. », précise-t-elle.

Pour pouvoir en vivre, elle a tout mis en place pour diversifier un maximum son activité et ne pas se baser uniquement sur la vente de ses œuvres. Ainsi, elle anime cours et stages dans son atelier, en direction des enfants et des adultes, « de 5 à 84 ans, porteurs de handicaps moteurs, de handicaps mentaux, ou non, la mosaïque, c’est pour tout le monde. »

Et passe également du temps à l’extérieur proposant de l’art-thérapie avec une musicothérapeute, des ateliers dans 3 écoles différentes sur le temps périscolaire, dans des EHPAD, dans des centres de loisirs pour enfants valides et enfants handicapés.

Elle peut aussi intervenir pour décorer des panneaux communaux et participera prochainement à une session de team building – concept qui a pour vocation de fédérer une équipe autour d’une activité collective – dans une grande entreprise rennaise et travaille sur un projet d’atelier dans une école avec des adolescents en difficultés, voire échecs, scolaires. Elle justifie :

« Comme mon atelier est à la maison, déjà, je n’ai pas de loyer. Mais il est impératif de se diversifier car les ventes ne suffisent pas pour moi. J’ai vraiment du mal à vendre les œuvres que je crée, à donner une valeur en prix à mon travail. Ça me sert plus de vitrine. Quand des personnes les voient et me les demandent, je leur vends mais en général, c’est vrai que j’aime bien les garder. Après, il y a aussi des commandes, et là c’est dur car il faut se mettre à la place de la personne et se demander si ça va lui plaire. »

Elisabeth De Abreu, comme Elsa Chaderat, est particulièrement friande du contact et des rencontres. C’est ce qu’elle aime par dessus tout lors de l’événement L’art et la main, dont la 9e édition a eu lieu les 28 et 29 janvier à la Ferme de la harpe, à Rennes.

« On ne fait pas de ventes. On est là pour travailler devant le public, partager les expériences et échanger avec les gens. C’est vraiment ce que je préfère, les ateliers de démonstration », signale-t-elle, tout en élaborant la liste des manifestations auxquelles elle participe (lire encadré).

TROUVER SA VOIE

Pourtant, les places sont chères pour trouver une place sur les marchés. C’est le constat auquel Sonia Driot a été obligée de se confronter. Que ce soit sur la place Hoche, sur la dalle du Colombier ou ailleurs, tout est complet. Depuis, elle a décidé d’assurer ses arrières, en trouvant un boulot de baby-sitter, le matin et le soir, en parallèle de sa création de bijoux qu’elle a commencé à toucher en 2012, lors de son voyage en Amérique du Sud.

Elle découvre le travail de l’« alambre » - fil en espagnol – de tout type : argent, cuivre, laiton… « J’ai vu ça dans la rue, car là-bas, on peut facilement vendre comme ça. Ici, on doit avoir des autorisations spécifiques, à part dans des endroits autorisés comme j’ai déjà fait à Beaubourg au Centre Pompidou à Paris. Maintenant, je me suis mise en micro-entreprise pour faire les marchés. Bref, j’ai trouvé ça magnifique et l’artisan m’a appris quelques formes. Je m’y suis mise. Je n’avais pas de revenus à part la musique, donc c’est une forte motivation, car il faut bien manger et se loger. », livre-t-elle, poursuivant :

« C’était dur au début de mettre un prix sur les créations, je me suis renseignée auprès des personnes, des autres artisans. On peut très facilement faire des rencontres là-bas. Je suis tombée sur un couple française/péruvien, on a discuté et il m’a tout de suite dit de venir le voir le lendemain pour m’apprendre à faire des bagues. »

Quelques années après son retour en France, elle souhaite intégrer l’école Tané, de bijouterie et orfèvrerie, à Ploërmel mais ne sera pas retenue.

« J’ai encore du chemin à faire et des choses à apprendre. », reconnaît Sonia. Il est difficile de trouver un emploi en tant que salariée d’une entreprise pratiquant l’artisanat et le réseau est un travail intense, de tous les jours, qui met du temps à se mettre en place. Pour autant, elle ne désespère pas et ne se démotive pas.

Au contraire, elle apparaît bien consciente de ses points faibles, comme la communication à travers les réseaux sociaux et la présence qu’elle voudrait augmenter sur les plateformes de vente de créations faites-main comme Little market ou Etsy, et semble bien disposée à développer ce côté un brin obligatoire, mais pas n’importe comment.

PASSIONNÉE PAR LES HISTOIRES

Elle s’intéresse, se renseigne, cherche à glaner des conseils en terme de techniques photos pour présenter au mieux ses créations. Des créations joliment présentées dans sa chambre, là où se trouve son atelier bidouillé d’une porte comme planche de bureaux, d’une deuxième table sur laquelle elle travaille, et de plusieurs mallettes entreposant ses matériaux, des objets de récup’ et ses bijoux entre boucles d’oreille, bagues, bracelets et colliers. Mais aussi ses pierres.

Car si elle est passionnée par le travail des fils d’argent, de laiton, de cuivre et autre, elle est également fascinée par les vertus et propriétés des pierres. « Elles ont toutes une histoire et c’est vraiment un puits sans fond », s’exclame-t-elle, en nous présentant leurs différences, leurs textures et leur attrait.

À 29 ans, Sonia Driot est incontestablement en amour pour son travail. Pour elle, c’est un métier des plus méditatifs. Le fait de se concentrer des heures durant sur des petites pièces, qu’elle pince et tord pour amener le fil à la forme qu’elle veut établir, lui permet de se relaxer. Mais aussi elle apprécie tout particulièrement le contact qui s’établit entre la créatrice et le public.

« Avec une amie parisienne qui travaille dans le secteur de l’artisanat également, on a bossé deux mois ensemble. On a pu constater que les gens se tournent vers l’artisanat pour les pièces uniques que nous produisons. Et au-delà de ça, il y a aussi le rêve qu’on leur vend. On est toutes les deux des voyageuses et on partage l’histoire de chaque pièce. L’argent est une monnaie d’échange pour vivre mais le travail de la matière et le rapport aux gens n’a pas de prix. », souligne-t-elle. D’où le fait qu’elle adapte le prix de ses créations :

« Je me suis mise à 8 / 8,50 euros de l’heure. En général, sur la somme globale, je réduis le prix. Je ne suis pas prête à dépasser un seuil de prix. Si j’ai en face de moi quelqu’un qui a les moyens, je laisse le prix fixé. Si j’ai en face de moi quelqu’un qui n’a pas les moyens et qui a flashé sur une pièce, je vais baisser le prix, sans y perdre, il faut que ça aille dans les deux sens tout de même. »

CONNECTÉE ET BRANCHÉE

L’accessibilité est un enjeu majeur dans l’artisanat, devant trouver l’équilibre entre la valeur des matières utilisées, du travail produit par l’humain et un prix abordable pour être non seulement rentable mais bénéfique. « Au début, mes portefeuilles étaient moins chers, j’ai vu qu’ils partaient vraiment très vite. Je me suis permise d’augmenter les tarifs, en incluant les frais de port dedans, car sinon ils sont gratuits sur internet. Mais il faut rester accessible et ne pas être au-dessus des prix du marché non plus. », explique Anne-Cécile Le Guevel.

À 42 ans, elle est professeure de techno au collège. Et depuis 2 ans et demi a lancé sa boutique en ligne Anne-Cécile Création, fabriquant ainsi sacs à main, portefeuilles et blagues à tabac, très tendances actuellement. Il y a 15 ans, elle a commencé la couture et a choisi de faire ces propres vêtements. Un loisirs créatif et utile qui lui a permis de s’occuper les mains durant un arrêt de travail de trois mois.

« J’ai acheté une jupe en cuir dans une braderie et j’en ai fait un sac. Au début, une copine m’a prêté un patron, puis je me suis mise à faire mes propres patrons. », se souvient-elle. Elle fabrique donc ses sacs à main, puis les offre à des amies, participe à une expo-vente organisée par une amie et, grâce au succès du lancement, va jusqu’à ouvrir une boutique sur Little market et une autre sur Etsy, pour finalement créer sa marque avec un site personnel, en prenant un statut d’auto-entrepreneure.

Sa démarche, elle l’avait intégrée avant de se lancer à son compte, en parallèle de son activité de professeure. « J’aime beaucoup chiner, aller dans les friperies, dans les braderies, les relais. Parmi mon entourage, certain-e-s me donnent aussi des cuirs qu’ils/elles n’utilisent plus. Je ne prends pas forcément tout parce que le but n’est pas d’accumuler non plus ! », précise Anne-Cécile. Par exemple, elle ne prend pas le cuir noir.

« C’est la couleur qui m’intéresse !, répète-t-elle. Quand les couleurs ne m’inspirent pas, j’ai moins envie de créer, il faut alors que j’achète de nouveaux cuirs. » Elle se rend parfois en boutique pour acheter des chutes de cuir mais surtout écume les magasins de tissus, qu’elle prend à motifs pour les associer au cuir uni choisi.

Sur son bureau-atelier, au rez-de-chaussée de sa maison, les tissus s’empilent et côtoient, non loin de la machine à coudre, une multitude de valisettes que l’on a envie d’ouvrir, par curiosité, les yeux remplis d’espoir d’y déceler 1001 trésors. Il y a des boutons, des fils, des outils. Le tout, parfaitement ordonné et rangé.

Et derrière la créatrice, mais aussi sur les côtés de la pièce, des créations quasiment terminées, qui attendent d’être envoyées à leur commanditaire ou de recevoir en gravure les initiales de l’artisane. « Ça prend beaucoup de temps, entre la création, les photos que je fais sur ma terrasse en général, la mise en ligne, l’envoi. Il y a des périodes où je n’ai pas envie du tout. Et puis, je m’y remets et c’est parti. Je ne fais jamais deux fois la même pièce et si on me fait une commande, je refuse de reproduire un objet repéré dans une boutique. Ça peut m’inspirer mais je ne suis pas là pour recopier. », insiste-t-elle.

Sa marque de fabrique, c’est justement son association tissus à motifs et cuir récupéré sur des fringues. Elle privilégie ainsi le recyclage et aime l’idée de pouvoir donner une seconde vie aux vêtements : « On aime beaucoup faire les braderies avec mon mari. On a très peu de choses neuves chez nous. À quoi ça sert de consommer à outrance ? Quand on en a trop, on revend. Ma démarche dans ma création, je l’explique quand je fais les marchés de créateurs/trices. Je mets une pancarte avec des photos des différentes étapes de fabrication. »

À RECYCLER

La récup’, c’est dans l’ère du temps, comme le dit Anne-Cécile Le Guevel. Surtout quand l’activité se veut déjà du système Débrouille, avec un atelier à domicile et la création d’une boutique en ligne, faisant avec les moyens et techniques du bord. Même si aujourd’hui, les formations et ateliers concernant la communication via les réseaux sociaux et l’investissement du temps passé à actualiser sa boutique en ligne, se développent de plus en plus.

Ainsi, les quatre artisanes rencontrées utilisent toutes dans leurs créations des objets ou matériaux ayant déjà vécu. Elsa Chaderat réutilise fils de fer et journaux pour établir la base et les cheveux de ces Demoiselles et leur recouvrir le corps et les hanches avant de construire les robes en papier mâché, qu’elle peindra ensuite pour les rendre blanches. « En hiver, je les fais sécher sur le poêle, c’est très pratique. », dit-elle d’un air malicieux.

Travailler avec ce que l’on a sous la main est aussi judicieux pour économiser que pour se renouveler. Friande de nouvelles matières, Elisabeth De Abreu aime varier les supports et les pièces qu’elle utilise. Ainsi, quand elle aperçoit près de chez elle une vitre d’abribus brisée en mille éclats de verre, elle n’hésite pas à s’en saisir, tout comme la vieille vaisselle qu’il suffit de briser pour s’en servir de substrat.

« En se baladant sur la plage, on peut trouver plein de choses ! Avec les enfants, on s’amuse beaucoup avec les coquillages, les coraux (uniquement ramassés sur la plage), mais aussi les capsules de café, de sodas ou même des graines. », énumère-t-elle, en farfouillant les étagères d’un placard qui recèle de créations faites en ateliers. Les graines naturelles sont également utilisées sur certains bijoux de Sonia Driot. Tout comme les plumes ramassées, avec autorisation des agents municipaux, par la jeune femme dans la volière du parc du Thabor.

« Au départ, j’avais pensé à faire quelque chose 100% naturel et récup’. Ça m’a fait me pencher vers la réutilisation de briques de lait et de jus de fruit pour faire des porte-monnaies. Puis, j’ai commencé à faire des bijoux, et là aussi j’avais pensé à faire quelque chose avec des bouts de bois mais j’ai vu qu’il y avait encore trop de réticences du côté du public à acheter des créations entièrement fabriquées en récup’ »
souligne Sonia.

Le savoir-faire des matières s’allie alors à la créativité des artisanes, qui font également preuve d’imagination pour mêler matériaux et objets de récupération. Leurs parcours témoignent, non seulement de la diversité des profils, mais aussi des ressources nécessaires et indispensables au secteur de l’artisanat, qui invoque aujourd’hui amour de la pièce unique, de la minutie, de la rencontre et du rapport humain, et consommation alternative et moderne.

 

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Fait à la main et à la maison
Passion, savoir-faire et système débrouille
L'artisanat se manifeste

Célian Ramis

Arts engagés : Lumière sur les opprimé-e-s

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Enquête sur les artistes engagé-e-s et leurs créations, qui ont pour vocation de susciter l'échange et le débat, de participer à la réflexion collective et de rendre visible la richesse de la diversité.
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« La question de l’universalisme dans les arts est occidentale. Ils sont gérés par des mecs, blancs, hétéros, qui se pensent objectifs et neutres. Alors qu’en réalité, ils produisent des choses qui racontent précisément où se situe le pouvoir. Quand on parle de « minorités », on désigne tout ce qui n’a pas le pouvoir, qui n’est pas dans la norme. », explique Marine Bachelot Nguyen, auteure et metteure en scène, présidente de HF Bretagne et membre de l’association Décoloniser les arts.

Théâtre, danse, cinéma, musique, littérature, arts plastiques, etc., femmes et/ou hommes s’engagent pour briser le système oppressé-e-s/oppresseurs à travers de nouvelles formes, dans lesquelles l’artistique cotoit le politique. Comment faire bouger les lignes des normes sociales et sociétales à travers les arts ? Et qu’advient-il de celle et de celui qui s’en empare pour faire la lumière sur des sujets ou des groupes de personnes minoré-e-s et invisibilisé-e-s ?

On a souvent tendance à penser qu’un-e artiste, par nature, est engagé-e. Dans la démarche de création, c’est le cas. Le processus même résulte d’un engagement qui peut être purement artistique. L’engagement, et certain-e-s s’en défendent avec ferveur, n’est donc pas toujours social ou politique. À cela, on peut arguer la limite de l’intime, ce dernier étant politique malgré tout, dès l’instant où il devient public. Les artistes rencontré-e-s ce mois-ci témoignent tou-te-s d’une démarche commune : participer à travers leurs œuvres à l’avancée des débats et des réflexions sur les sociétés actuelles, en rendant visibles minorités et opprimé-e-s et en brisant les barrières des normes, des tabous ainsi que celle des arts. Pour s’en affranchir et ainsi se diriger vers un avenir plus égalitaire.

Mercredi 23 janvier, une voiture stationne devant la maison de quartier Rennes Nord, La Maison Bleue. À l’avant, un homme, visiblement irrité par l’attente de sa femme. À l’arrière, leurs trois enfants. De retour du marché, leur mère s’installe dans le véhicule, ravie d’avoir acheté quelques friandises et une jolie robe. Mais son mari ne voit pas cette allégresse d’un très bon œil et laisse éclater, de manière crescendo, sa jalousie jusqu’à insulter son épouse en prenant les enfants à parti. Le moment de démarrer le moteur signe la fin de la scène. Mais pas de l’asphyxie et de l’angoisse ressenties.

Le couple est un duo de comédiens, les enfants des spectatrices/teurs. Sept minutes suffisent à nous plonger dans la violence d’une situation que l’on pourrait imaginer banale. Une querelle d’amoureux nourrie par la jalousie de l’homme. Sauf que les termes employés au cours de la conversation tendent à nous indiquer qu’il ne s’agit pas de la première dispute du genre. Lui l’accuse, l’agresse. Elle, tente d’apaiser les choses, de le rassurer avec légèreté. L’étau se resserre, l’homme fait de sa femme sa propriété et n’hésite pas à employer des mots forts de conséquence. Dévalorisants.

Dans le cadre du programme rennais Non aux violences faites aux femmes, la compagnie Quidam Théâtre a préparé Tu te prends pour qui ?, pièce pour 3 spectateurs/trices basée sur une scène de violence conjugale ordinaire, inspirée du témoignage de Rachel Jouvet. Cette dernière est à l’origine de la création Je te veux impeccable, le cri d’une femme. Loïc Choneau, metteur en scène de la compagnie, rencontre la comédienne qui finit par lui confier son histoire à elle, victime de violences conjugales il y a environ 20 ans (lire YEGG#19 – Novembre 2013).

L’expérience livrée le 23 novembre dernier découle donc de l’idée de décliner un moment de violence vécu par Rachel Jouvet et de le confronter à l’universel. « Car ce qu’elle vit devient un discours universel. Si vous enlevez le contexte et que vous gardez la question de fond, cela peut se passer n’importe quand et n’importe où. C’est pour cette raison que les personnages n’ont pas de nom dans la scène. C’est Il et c’est Elle. », souligne Loïc Choneau qui a conçu cette mise en situation avec la conscience que le moindre détail compte, « les silences sont importants, les mots renferment une violence extrême, de l’amertume et l’aller retour du ‘je t’aime, je te déteste’ est très significatif ».

Si il est à l’affut de toutes ces subtilités qui font le réalisme et la véracité du propos, c’est parce qu’il a passé du temps toutes les semaines pendant deux mois à récolter la parole de Rachel Jouvet. Et en parallèle, à se renseigner sur le point de vue de son ex-compagnon, en lisant les PV du tribunal par exemple : « L’idée n’est pas de faire une pièce qui les montre simplement l’un contre l’autre mais de montrer l’emprise qu’il exerce sur elle. »

CASSER LE MUR ENTRE LE THÉÂTRE ET LA RÉALITÉ

Loïc Choneau se dit « écriveur ». Un écriveur de spectacles de société. Tout le travail de Quidam Théâtre se nourrit des vécus des personnes rencontrées au hasard du quotidien ou sur demande d’intervention lors de conférences décalées – « des conférences loufoques pour lesquelles deux comédiennes interviennent, sur des sujets précis. Mais ce qu’elles disent est toujours vrai. » - ou de recueil des paroles retranscrites en livret.

En 10 ans, la compagnie a délié les langues et permis d’aborder des sujets intimes et/ou confidentiels, peu médiatisés ou peu traités dans les arts, ou réservés à une catégorie d’initié-e-s. Conditions de travail en abattoir, précarité sociale, droits de l’enfant, violences conjugales, vieillissement pour les créations. Numérique, anorexie ou encore suicide pour les conférences décalées. « C’est un module de proximité au format adaptable, qui facilite la parole et concentre le propos. C’est très efficace pour engager les débats. », explique-t-il.

Il parle d’écriture rapide, éphémère, qui n’a pas vocation à rester dans le temps mais a pour objectif de mettre en mouvement, être accessible et faire réfléchir en parlant du peuple, du quotidien. C’est là toute l’âme de l’éducation populaire à laquelle il a été élevé.

« J’ai ajouté l’artistique au politique ! Mais attention, ce n’est pas du théâtre miroir, on ne participe pas aux débats qui suivent nos interventions. »
précise-t-il.

Actuellement, la compagnie travaille, en lien avec l’association Déclic Femmes, au livret de paroles composé de 12 témoignages de femmes issues de tous les continents autour des « Langues en exil, féminin pluriel » : « Des femmes mexicaines, kurdes, marocaines, sénégalaises… ont réfléchi autour de ‘qu’est-ce que c’est que d’avoir sa langue lorsque l’on est en exil ?’ et ‘comment ça se tient ensemble avec le français ?’. Pour chaque texte, un extrait sera traduit dans la langue d’origine. »

Ce travail s’inscrit dans cette volonté de valoriser la parole, et dans le livret, cela passe par la confection d’un bel objet réalisé en micro-édition pour ne pas photocopier les écrits. Autour de ce projet se croiseront plusieurs disciplines artistiques en mars prochain, à l’occasion du programme rennais de la journée internationale pour les droits des femmes : « Une lecture se fera ici à La Maison Bleue avec une musicienne, une danseuse, une comédienne et les femmes en exil. »

Sur ce point, Loïc Choneau insiste : il n’y a aucune proposition nue. Le but est toujours de créer un échange par la suite. Et c’était précisément l’exigence de La Maison Bleue quant à la scène de violences conjugales. En effet, la maison de quartier a souhaité inviter Rachel Jouvet à un café citoyen qui a suivi la mise en situation.

« On est toujours intégrés à une démarche, on est un moment de la démarche. Une intervention ludique qui évite de tomber dans le pathos ou dans la tristesse. On est très attachés au sein de la compagnie à la dignité et à la solidarité. Et on aime travailler sur la porosité du vrai et du faux. », conclut-il. Pour casser le mur entre théâtre et réalité.

AGIR ENSEMBLE CONTRE LES DISCRIMINATIONS

La compagnie Quidam Théâtre se rapproche dans son essence et sa colonne vertébrale du théâtre forum et du théâtre de l’opprimé. Une forme permettant, à travers une interactivité entre les acteurs/trices et le public, de faire émerger la parole autour de sujets souvent complexes ou matières à polémique et à division de l’opinion publique.

Le 26 novembre dernier, c’est dans l’ancien EHPAD du square Ludovic Trarieux, dans le quartier de La Poterie, que la Cimade a donné rendez-vous aux Rennais-es dans le cadre du festival Migrant’Scène, voué à informer et sensibiliser les populations aux questions de racisme et de flux migratoire. Et cet après-midi là, c’est l’association Un toit c’est un droit qui prend la parole en ouverture de l’événement.

Pour expliquer que le lieu investi pour le festival est un squat qui regroupe à l’heure actuelle près de 160 personnes, enfants compris qui devraient bénéficier d’une occupation gratuite pendant un an mais qui manquent d’électricité et donc de chauffage, des démarches étant entamées mais pour l’instant pas réglées.

Des membres de l’association La Cimade, dont Aurélie Budor (lire YEGG#52 – Novembre 2016), sont intervenues plusieurs semaines durant pour organiser avec des migrant-e-s volontaires les trois scènes qui ont été présentées lors du festival. Pour recueillir  « leur point de vue en tant qu’opprimé-e-s et essayer de bouleverser l’oppression ». Ce sont leurs histoires qui se racontent sur la piste. Des situations qu’ils et elles ont vécues, ont livré et qui ont été mises en scène puis interprétées par d’autres personnes, comédiennes ou non.

Le principe est simple : les tableaux sont joués une première fois au public qui assiste alors à une série d’injustices aujourd’hui banalisées. Le racisme ordinaire sous sa forme la plus primaire. Qui se traduit par une méfiance des passager-e-s d’un bus vis-à-vis de deux hommes noirs, par des contrôles au faciès répétés et insistants ou encore par de la discrimination au logement basée sur le nom et l’accent de la personne.

Dans un deuxième temps, une des scènes est mise en forum, c’est-à-dire que les spectateurs/trices peuvent à tout moment intervenir pour modifier le cours des choses. La personne se placera alors du côté de l’opprimé-e, à sa place ou en soutien. L’exercice est difficile mais brillant. Permettant de faire sauter certains stéréotypes communs et profondément ancrés, on cherche ensemble des solutions pour agir et non pas seulement pour théoriser.

Chacun-e apporte sa pierre à l’édifice et révèle la complexité de ces situations. Sans trouver la « bonne réponse », l’expérience provoque un déclic et pousse à réfléchir en se responsabilisant davantage. Une forme efficace puisque ludique et collective qui se décline autour de n’importe quel thème sociétal et citoyen et qui peut s’appliquer à toutes les tranches d’âge et milieux sociaux et dans les endroits, notamment en milieu scolaire pour agir et réagir dès le plus jeune âge. Et qui complète les conférences gesticulées, issues de l’éducation populaire, qui apportent des connaissances théoriques autour d’un vécu personnel.

QUE LES MINORITÉS INTÉGRENT LA MAJORITÉ

De cela résulte un écho universel. Et s’il n’y a pas de propriétaire de l’universel comme le dit la metteure en scène et auteure Marine Bachelot Nguyen, elle s’attache dans tout son théâtre à mettre en lumière « ces voix minoritaires qui luttent pour être incluses dans l’universel ». La co-fondatrice du collectif Lumière d’août reste très attentive à ce que l’on qualifie d’universel et de minoritaire :

« La question de l’universalisme dans les arts est occidentale. Ils sont gérés par des mecs, blancs, hétéros qui se pensent objectifs et neutres. Alors qu’en réalité, ils produisent des choses qui racontent précisément où se situe le pouvoir. Quand on parle de « minorités », on désigne tout ce qui n’a pas le pouvoir, qui n’est pas dans la norme. »

Depuis bientôt 15 ans, elle participe à l’évolution du théâtre contemporain et s’intéresse de près à la dimension politique de cet art en effectuant des recherches universitaires sur le théâtre militant, dans la lignée du dramaturge Dario Fo, dont elle se revendique faire partie. « J’ai toujours assumé cette dimension politique et militante et je revendique les savoirs même si je m’expose à la critique de « tu parles d’un sujet qui te concerne donc tu n’as pas le recul ». Oui ça me concerne et ça te concerne aussi en tant qu’être humain ! »

AU CROISEMENT DES LUTTES

Le travail de Marine Bachelot Nguyen est imprégné de ces valeurs personnelles et de son vécu. Et surtout de l’intersectionnalité des luttes en laquelle elle croit fermement. Féminismes, racismes, lutte des classes, sexualités… Elle croise les divers systèmes de domination et d’oppression à travers une écriture très sensible et complète.

C’est un coup de poing dans la gueule que l’on recevait en avril dernier, à l’occasion du festival Mythos, à la lecture de son texte écrit pour la pièce mise en scène par David Gauchard, Le fils. L’histoire d’une mère qui livre ses pensées et ses réflexions autour de sa foi catholique, de son métier de pharmacienne, et qui va s’épanouir en prenant part à la Manif pour tous. Du 10 au 12 janvier prochain, elle présentera au TNB de Rennes sa nouvelle création, Les ombres et les lèvres, pour laquelle elle est partie au Viêtnam en 2014 afin d’y effectuer des recherches sur la communauté LGBT.

« Outre le militantisme collectif, c’est aussi l’intimité politique des jeunes gays, lesbiennes, bi et trans vietnamien-ne-s que j’ai souhaité approcher, à travers de nombreux entretiens menés sur place. Quel est leur quotidien, leur vécu, quelles sont leurs pratiques de visibilité ou d’invisibilité (dans la rue, la famille, au travail), leurs stratégies face à l’homophobie, leurs sexualités, leurs aspirations ? (…) Mon propre vécu de lesbienne française, née d’une mère vietnamienne, entre évidemment en ligne de compte, comme impulseur intime de cette recherche, comme zone de résonance avec les réalités et les altérités rencontrées. », écrit-elle dans sa note d’intention.

Son leitmotiv : donner à comprendre, à sentir, les féminismes et, au-delà, les visions du monde. Par la fiction, le jeu et le théâtre, « tu brasses autrement les idées et les choses, c’est une stratégie militante, et du plaisir, de passer par le sensible. » Elle poursuit :

« Je m’éclate à parler de tout ça. Je me revendique féministe, militante et j’ai la volonté de m’inscrire dans une histoire. Avoir la conscience des représentations minoritaires, c’est faire entrer ces minorités dans la majorité. »

Une manière donc de briser le système de domination et de se débarrasser de tous les carcans et normes qui régissent nos sociétés.

Pour cela, elle se heurte à la résistance des professionnels et au jugement du monde de la culture et des arts : « Si on parle de théâtre forum, de conférence gesticulée, etc., il faut bien voir que c’est minoritaire et minorisé. Décrédibilisé par le monde de la culture. Dévalorisé car ce n’est pas noble dans l’imaginaire. Lorsqu’un spectacle est social, engagé, il porte le soupçon de ne pas être esthétique. Moi, je me situe à un endroit où il me semble qu’esthétique et politique doivent se rencontrer. »

Elle rejoint les interrogations de Bertolt Brecht, dramaturge et metteur en scène : comment le politique vient faire bouger les lignes de l’esthétique ? Et finalement, qu’est-ce qui objectise l’esthétique ? Elle qui base son théâtre sur la notion essentielle de décolonisation de la pensée apprécie au contraire tous les champs des possibles qui s’offrent aux artistes qui s’affranchissent des codes de l’art « conventionnel ».

« Le décolonial donne quelque chose de touffu, de complexe, d’hybride. Pour moi, l’enjeu se situe sur la manière de représenter les minorités. On n’est pas à l’abri de la victimisation. Le minoré, c’est d’abord un corps invisible qui va devenir un corps victime, en souffrance, que le bon blanc va pouvoir aider. Mais quand ça va devenir un corps furieux, ça va devenir un corps que l’on repousse. Il faut créer d’autres modèles ! », souligne-t-elle.

Elle n’a pas peur de le dire : tout comme l’histoire est écrite par des hommes blancs, que les moyens de production diffèrent entre les hommes et les femmes, le public de théâtre est très blanc, et étonnamment féminin. Elle va plus loin : « Je n’ai jamais vu autant de personnes racisées qu’au théâtre de la Main d’or. Pareil pour le stand-up chez Jamel Debbouze. Le monde théâtral a intérêt à se secouer les puces ! »

MOINS DE PLACE POUR LES ARTISTES ENGAGÉ-E-S ?

Les décideurs culturels, les programmateurs, sont prévenus. Il est nécessaire de laisser sa frilosité de côté et d’oser proposer de nouvelles formes au public : « Je le vois bien, ils sont plus séduits par des histoires d’amour, des histoires de famille. Ce n’est pas compréhensible quand on entend dire que son spectacle ne pourra pas être programmé cette saison car il y a déjà un spectacle coréen par exemple. Les ombres et les lèvres, ça parle des LGBT mais aussi plus largement de la quête des origines et du deuil de la mère. Et je suis convaincue que le public a une soif d’entendre des histoires qui parlent des complexités de la vie. Je suis pour aller vers une pensée complexe mais accessible. C’est aussi ça le divertissement et la question du plaisir est extrêmement importante. »

Le prix à payer dans les arts engagés est l’éternelle étiquette de l’alternatif. Qui n’accède que très peu aux grandes salles et grandes scènes, à l’exception de quelques structures culturelles prêtes à bouleverser l’ordre établi, au moins une fois dans la saison. Le travail de réseau est permanent. Il est impératif, comme le confirme Loïc Choneau, mais aussi par la suite Clémence Colin et Olivia Divelec de la compagnie rennaise 10 doigts, de sans cesse renouveler son réseau, de faire des rencontres et de profiter de ces dernières pour participer au retournement des stigmates.

Ainsi que de savoir adapter ses partenaires à ses créations, comme le fait la compagnie rennaise 10 doigts. « Nous n'avons pas de diffuseur, et les salles de spectacles ne connaissent pas vraiment notre travail. », expliquent Clémence Colin et Olivia Divelec. La structure passe alors par des réseaux d’associations de sourds mais aussi par des lieux liés au livre et au corps : « Cela dépend du spectacle : Demoiselle au grand manteau est spécifique à la petite enfance donc concerne réseau des crèches, haltes garderie, ce qui ne sera pas le cas de la prochaine création Sedruos, dédiée à des structures culturelles plus grandes. »

Et si jouer dans une grande salle permet de toucher le grand public et d’intégrer le cercle restreint de celles et ceux qui seront ensuite programmé-e-s dans toute la France, l’objectif des arts engagés et des artistes militant-e-s ne réside pas là. Au contraire, pour faire bouger les lignes, un des moyens les plus efficaces est de se rendre directement sur place, au cœur de la réalité, au cœur du terrain.

Comme Migrant’Scène qui investi un squat pour son théâtre de l’opprimé ou comme Marine Bachelot Nguyen et la compagnie Quidam théâtre, et plus globalement pour les actrices et acteurs de l’éducation populaire, qui souhaitent tourner dans les centres sociaux, les maisons de quartier et tous les lieux qui drainent les populations concernées et surtout les populations les plus éloignées de la culture et des arts. Mais aussi l’Éducation Nationale afin de pouvoir sensibiliser les plus jeunes et leur donner l’opportunité de trouver des clés par eux/elles-mêmes.

DÉCLOISONNEMENT DES ARTS IMPÉRATIF

S’il est un impératif que l’on retient de ses rencontres, c’est l’urgence à décloisonner les arts et à les décoloniser. C’est ce que prône la danseuse et chorégraphe Latifa Laâbissi (lire encadré) mais aussi Marie-Christine Courtès qui a réalisé en 2014 le court-métrage d’animation Sous tes doigts. Elle réunit ici l’esthétique et le politique. Elle révèle une partie oubliée de l’Histoire, en l’occurrence celle de la guerre d’Indochine et du rapatriement de certains locaux qui seront isolés et délaissés dans un camp de transit.

Elle aborde ce récit tragique à travers trois générations de femmes, de la grand-mère vietnamienne à la petite-fille française, en mal de repères et en recherche d’identité. L’Hexagone n’a pas digéré son histoire coloniale et n’a pas géré l’accueil, de celles et ceux qu’elle a colonisé, à leur arrivée sur notre territoire. Et aujourd’hui, elle se détourne d’une jeunesse tiraillée et déboussolée.

L’histoire de cette famille va trouver une issue dans une danse virevoltante et sublime, liant arts traditionnels asiatiques et hip hop dans une danse et une musique contemporaines prenantes et bouleversantes, liant par conséquent la petite-fille à toutes les femmes de sa lignée. Décoloniser les arts est donc primordial. La thématique est parlante et fédératrice.

Au point de constituer une association nationale – dont Marine Bachelot Nguyen fait partie - composée de comédien-ne-s, d’auteur-e-s, de metteur-e-s en scène, de chorégraphes, de professionnel-le-s de l’audiovisuel, de journalistes culturels issu-e-s des minorités ou encore de plasticien-ne-s, réuni-e-s dans le but commun d’interroger les structures artistiques et culturelles sur leurs propositions plus que restreintes en terme de représentativités des minorités.

Mais il s’agit aussi de rendre l’invisible visible. Et une multitude d’artistes s’y attèlent au fil de leurs parcours ou tout au long de leurs travaux. À l’instar du photographe breton Vincent Gouriou qui présentait à la Maison des associations, du 3 au 25 novembre dernier l’exposition GENRE(S), à l’occasion des 15 ans du CGLBT Rennes.

Les clichés, saisis de douceur et d’amour, dévoilent l’intimité de couples homosexuels et lesbiens ainsi que de personnes transgenres. Les photographies accrochées contre les murs racontent l’histoire de Monsieur et Madame Tout le monde, dans son quotidien, son couple, son corps. Une manière de montrer la beauté de tous les êtres humains.

LA DIVERSITÉ, AU SERVICE DE LA CRÉATION

Rendre l’invisible visible donc mais aussi accepter la diversité comme une richesse et arrêter de l’envisager comme une menace. Rendre les arts accessibles et révéler toutes les possibilités que ces derniers fournissent, pour vivre et réfléchir ensemble. C’est la base de la compagnie 10 doigts qui propose systématiquement spectacles et ateliers en version bilingue, soit en français oral et en Langue des Signes Française.

Une idée de la comédienne Olivia Divelec, maman d’une enfant sourde, qui avait créé à Tours la compagnie 100 voix, sur le même fondement, cette même volonté de réunir les sourd-e-s et les entendant-e-s et interpeller la rencontre de ces deux langues sur un plateau. En arrivant sur Rennes il y a 4 ans, la comédienne décide de relancer l’aventure en pays breton et fonde une compagnie constituée d’une équipe mixte de sourd-e-s et d’entendant-e-s.

« Les gens ont toujours en tête des clichés sur les minorités... en faisant un atelier, une vidéo en langue des signes ou un spectacle​ même si le thème n'est pas toujours engagé nous laissons une trace donnant une autre vision​. Dans les histoires en doigts et voix (des lectures publiques) nous avons dans notre liste le livre A poil. Normalement ce n'est pas censé être politique mais visiblement pour certains oui. », répondent Clémence Colin, artiste sourde, et Olivia Divelec, à quatre mains dans un mail.

Et quand on leur pose la question de leur engagement, elles ne prennent aucun détour :

« Bien sûr, le militantisme est présent quand on crée. Le fait d'êtres femmes, sourdes ou mamans d'enfant sourd ... Quand on monte sur scène on s'engage. Nos thèmes sont ceux du grandir mais aussi celui des femmes dans nos langues respectives. Nous militons avec nos moyens : chansigne; danse; théâtre... »

La question de l’accessibilité est importante pour la compagnie, qui partage également leurs féminismes. Mais la priorité réside dans la création. Une création pluridisciplinaire qui se saisit du bilinguisme pour compléter une œuvre déjà diversifiée en matière d’arts déployés. Les deux artistes expliquent :

« À la création, cela permet d’avoir des visions artistiques avec des prismes différents. Mais aussi d’aller plus loin dans le son par exemple : Dans Peau de bête(s) le son est projeté au mur, celui-ci est créé par des vibrations dans de l’eau. Sur scène, lors de moments musicaux, il y a de la danse, des vibrations, de la voix, des signes. Tout devient un champ vaste de recherche non pas pour rendre accessible mais bien pour créer. »

La langue des signes ne se suffit pas en elle-même pour bâtir un spectacle et n’est pas un motif pour les entendant-e-s de s’en détourner, pensant qu’il n’est pas concerné. « Ce n’est pas de la danse, à moins que ce soit le choix de l’artiste ; elle peut être comme n’importe quelle langue, vulgaire, mal « prononcée », poétique, quotidienne, lyrique… Il y a autant de comédiens utilisant la langue des signes que de styles. Après à chacun son goût concernant les spectacles et les interprétations ! Si un chanteur anglais ne chantait que pour ceux qui comprennent, la face du monde musical serait bien changée ! D’autres sensibilités sont en jeu. », précisent-elles, conscientes que si le public adhère majoritairement à leurs propositions, certaines personnes peuvent encore associer leur univers à une gène visuelle ou un outil pour aider les sourd-e-s. D’autres encore tombent dans une bienveillance contraire, réduisant la langue des signes à une simple danse.

CONTES D'AUJOURD'HUI ET DE DEMAIN

Pour se faire sa propre idée, les occasions de découvrir la compagnie ne manqueront pas prochainement. Actuellement en création, Sedruos, devrait réhabiliter les femmes sourdes que l’Histoire néglige et dissimule, à travers des témoignages récoltés aux quatre coins de la France. Aussi, la compagnie investira du 9 au 13 janvier, l’Hôtel Pasteur, à Rennes, pour nous guider Sur les traces du petit Chaperon rouge, « une installation sensorielle pour plonger dans l’histoire. (…) L’occasion d’aller à la rencontre d’un nouveau monde pour les entendants : le monde sourd, un monde de vibrations, de signes et d’images ».

Une manière aussi de revisiter les contes en valorisant tout ce que ces derniers laissent de côté dans leur version originale, soit la diversité. C’est pour cette raison que Apsara Flamenco a choisi de reprendre l’histoire de Cendrillon. La jeune demoiselle est une gitane employée de maison sur la Côte d’Azur et la marrain, une juive marocaine élevée dans une communauté gitane. Voilà qui fera certainement tousser et pâlir certain-e-s intégristes du répertoire classique, blanc, chrétien, etc.

« Nous abordons les thématiques telles que l’esclavagisme moderne, la migration et la discrimination et par là même, les questions bien présentes de pluralisme, féminisme et fraternité. L’occasion pour nous d’évoquer notre propre parcours, notre relation au flamenco et ses différentes expressions sous un angle nouveau, percutant, engagé et comique. », explique la note d’intention sur le site de la structure présentant Oma la « trop » merveilleuse histoire de Cendrillon qui sera dévoilée aux Rennais-es le 15 janvier, à la Maison des associations, à l’occasion de l’événement Conte moi la liberté.

Le conte enchantera donc le début de l’année 2017 de par son renouvellement et sa modernité. C’est d’ailleurs un des nouveaux projets des éditions Goater qui lancent un appel à textes, en lien avec le CGLBT Rennes et les Bookonautes. Novices, amateur-e-s ou professionnel-le-s peuvent envoyer leurs contes et histoires arc-en-ciel, pour ados et adultes, avant le 3 janvier prochain.

Aucune contrainte du côté du genre littéraire employé mais obligation de faire découvrir des personnages LGBTI et de casser les clichés et stéréotypes liés au genre, à la sexualité, aux orientations sexuelles, aux comportements. « Que se passerait-il si les histoires d’amour, les farces, la morale, ne reflétaient plus le monde idéal de la famille traditionnelle, mais venaient parler de nos vies, de nos peurs et de nos amours, quels que soient nos désirs, nos orientations sexuelles et nos identités de genre ou même nos cultures ? », s’interrogent les protagonistes de cette initiative.

Une question pertinente et déclinable à tous les domaines de la société. Arts et monde de la culture compris.

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La diversité, à la base de leurs créations
Briser les chaines de l'oppression
Bousculer les frontières de l'art et de l'histoire
Des réalités sur grand écran

Célian Ramis

Corps des femmes : ras-le-bol des injonctions !

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En 2016, en France, la libre disposition du corps des femmes n'est toujours pas acquise, encore moins admise. Elles témoignent de leurs vécus, ressentis et expériences. Et surtout de leur manière de dire non aux injonctions !
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« Non, monsieur Sarkozy, les femmes n’ont pas toujours été libres… » C’est ainsi que le quotidien Libération titrait le 23 octobre dernier la tribune de Helena Noguerra, actrice et féministe, répondant aux propos de l’ancien président de la République qui déclarait le 9 octobre au Zénith : « La femme n’est soumise à aucune pression vestimentaire parce que chez nous, en France, la femme est libre depuis toujours. » Et voilà comment on banalise et on occulte une partie de l’Histoire et les combats féministes.

Car non, les femmes n’ont pas toujours été libres et ne le sont toujours pas. LES femmes, et non LA femme, subissent des pressions vestimentaires, et plus globalement subissent des pressions sur tout ce qui attrait au corps, non pas que de la part des religions mais sous prétexte d’une morale établit par les sociétés patriarcales. En 2016, les femmes ne disposent toujours pas librement de leurs propres corps. Le maitre mot de ce dossier : foutez nous la paix !

« Mon corps est une cage qu’on lui a fabriquée, il a dit amen sans jamais pardonner / Je suis toujours à l’âge où je m’entends crier, je raisonne même quand ma bouche est fermée. Mon corps est une cage qui m’empêche de danser avec l’homme que j’aime / Et moi seule ai la clé. »

Impossible de ne pas entendre raisonner la voix de Jeanne Cherhal lorsque se pose la question du rapport au corps et à son appartenance. La symbolique du corps et de la cage est parlante. Et si le corps des femmes est une cage, ce sont bel et bien elles qui en ont la clé. Mais en briser les verrous n’est pas tâche aisée. Et encore faut-il réaliser la charge qui incombe les femmes. Car le discours ambiant peut se révéler insidieux et vicieux. Les années 50 sont révolues, les années 60 et 70 sont passées par là et avec elles, la libération sexuelle, l’accès à la contraception, le droit à l’avortement, l’espoir d’une émancipation complète est en vue.

Aujourd’hui, les femmes portent des pantalons, jouent au foot, sont aviatrices, militaires ou encore agents de sécurité, n’attendent plus de trouver un mari pour quitter le domicile familial, peuvent ouvrir un compte en banque sans l’autorisation de l’époux. Des lois en attestent.

Bref, les femmes sont libres, clament les bonimenteurs ! Libres de ressembler à un modèle unique défini par la publicité et repris par les médias : blanche, jeune, mince, le corps sculpté, les fesses galbées et la poitrine rebondie. Sans poil qui lui court sur les jambes ou sous les aisselles, le teint frais et maquillé.

Elle voudra sans hésiter être mère et allaiter sans discuter, avant de disparaître de la circulation… En sous-marin, elle apprendra à son fils à devenir un homme fort et à sa fille à être jolie et souriante. La caricature est à peine poussée. Alors, la libre du disposition du corps : un leurre ou un idéal à atteindre ?

QUELQUES PROGRÈS

« J’ai eu la chance de tomber dans la période où la contraception était légale. Et je pense que j’ai pris conscience de ça parce que je suis allée à Paris. Si j’étais restée à Audierne (Finistère), ça n’aurait certainement pas été la même chose. », explique Jeanne Le Berre*. Âgée de 60 ans, elle se souvient n’avoir eu aucune information sur le corps et la sexualité durant sa scolarité ou auprès de ses parents.

« On ne parlait pas de ça à la maison. Jeunes, on entendait simplement dire « il l’a mise enceinte, ils sont obligés de se marier. » Le reste ne se disait pas. », poursuit-elle. Un peu avant ses 20 ans, elle part à Paris et travaille aux PTT. La révolution sexuelle a bien eu lieu mais le poids des idées persistait. Chez elle, à Audierne, on ne parle pas féminisme mais sa mère se bat farouchement pour l’éducation de sa fille et surtout son indépendance plus tard.

« C’était son féminisme à elle. Elle qui adorait apprendre mais qu’on n’a pas laissé faire des études, elle voulait vraiment que moi je réussisse, elle était exigeante et peut-être même un peu trop parce que j’étais sa fille, il m’aurait peut-être fallu moins de pression mais bon. Après, elle ne le disait pas comme ça, c’était juste une évidence. Mais sur les femmes, elle ne disait rien sinon. Même pendant ma grossesse, elle me posait parfois des questions sur ma santé, mais c’est tout. Elle ne m’a même pas dit qu’elle avait accouché d’un enfant mort à la naissance, je l’ai découvert dans le livret de famille. Quand je lui ai posé des questions, elle m’a juste fait comprendre qu’elle était énervée contre la sage femme, arrivée trop tard à la maison pour aider l’enfant qui devait avoir le cordon autour du cou je crois. », se souvient-elle.

Et en vivant à Paris, elle gagne son indépendance. Ne pratique pas le métier qu’elle aurait voulu mais elle travaille et vit sa propre vie. S’implique dans un syndicat, rencontre pas mal de jeunes et vend pendant un an le magazine Antoinette, édité par la CGT entre 1955 et 1989. Un média qui soulevait les problèmes rencontrés par les femmes au travail mais aussi au quotidien, en abordant la question de l’égalité, de la répartition des tâches domestiques, etc.

Mais les langues ne se délient pas tout à fait, particulièrement dans le rapport au corps : « On parlait plus ouvertement que dans les familles. Surtout en venant de la campagne. Mais bon on ne parlait pas de tout. À cette époque, l’IVG était devenue légale mais dans les mentalités, ce n’est pas pour autant que ça avait changé. Pourtant quelle chance d’avoir cette possibilité si on ne peut pas ou si on ne désire pas le gamin ! Moi, je sais que quand j’ai fait mon avortement même si c’était pour raison médicale, il y avait peut-être quand même un peu de culpabilité. En tout cas, on ne le clame pas sur les toits. ».

PAS TOUT À FAIT LIBRES...

Les avancées sont indéniables. Les femmes, au fil des années et des combats féministes, ont gagné en liberté. C’est certain, on aurait du mal à vivre dans les années 70, comme le dit Lydie Porée, présidente du Planning Familial 35 et co-fondatrice de l’association Histoire du féminisme Rennes.

« Mais notre liberté est une liberté concédée, autorisée. Elle n’est pas acquise, ni égalitaire. Le recadrage se fait très vite, on nous renvoie souvent l’idée de « vous êtes libres, mais faites attention quand même… ». Quand on dénonce ou que l’on dit les choses, on reçoit de mauvais commentaires en retour. »
déclare-t-elle.

Elle fait ici référence à la blogueuse et chroniqueuse Klaire Fait Grr dont les dessins et vidéos suscitent souvent des réactions. L’an dernier, elle avait superbement répondu à Marion Maréchal Le Pen, candidate à l’élection régionale en PACA, qui prône la (dangereuse) diminution, voire l’arrêt total des subventions aux associations féministes, et particulièrement celles versées au Planning Familial. La vidéo lui a valu une tonne de commentaires haineux de la part des anti-IVG.

L’auteure de bande-dessinées engagées a alors l’idée de les regrouper dans un livret, dont les bénéfices – 14 004 euros - ont été reversés au Planning Familial. Récemment, le blog Les efFRONTé-e-s a relayé un communiqué réalisé par les associations féministes marseillaises, à la suite de l’agression par balle de Marguerite Stern à son domicile dans la nuit du 19 au 20 octobre. Connue pour être une ancienne militante du groupe FEMEN, elle recevait depuis son installation dans le quartier des menaces de viols.

Pourquoi ? Parce qu’elle milite pour l’égalité des sexes ? Parce qu’elle refuse de se taire face au harcèlement de rue et d’être un objet dans l’espace public ? Entre autre. Le viol est alors brandi comme un acte de sanction, de punition. Pour remettre certaines femmes dans le droit chemin, pardi ! Malgré les menaces qui planent au dessus de sa tête et l’agression par balle, Marguerite Stern a choisi de ne pas se taire, de ne pas céder à la terreur.

De porter plainte – et par conséquent de se confronter à des remarques sur sa manière de s’habiller et sur son comportement qu’on lui conseille de se faire discret, en faisant « profil bas » - et de témoigner. Pour elle et pour les autres, qui n’osent briser la loi du silence qui les restreint à la honte et la culpabilité.

« Je n’ai pas porté plainte parce que je n’ai pas compris tout de suite ce qui s’était passé. Je ne mettais pas de mots dessus. Sur le coup, je me sentais coupable. Puis j’ai éprouvé de la honte et de la haine, après avoir pris 10 douches d’affilée. J’avais la sensation que si j’en parlais aux gens qui étaient dans la soirée, ils allaient me dire « On t’avait dit de ne pas y aller. ». Puis j’ai commencé à mettre des mots, à en parler avec le mec avec qui je suis sortie après, ça m’a permis de déculpabiliser mais j’en parlais avec détachement. », confie Charlotte Monge*, 26 ans.

Cela va bientôt faire 10 ans qu’une nuit en Allemagne son agresseur l’a violée. À deux reprises. Ce soir-là, elle est sortie avec des ami-e-s, a croisé un homme et l’a invité à se joindre à eux/elles. Il lui a proposé de fumer un joint chez lui, elle a accepté. Le consentement s’arrête à ce niveau-là. Mais pas pour lui. Le lendemain, avant de partir travailler, il lui a tendu sa carte pour qu’elle le rappelle.

« Le mec n’a même pas réalisé ce qu’il avait fait. Je pense qu’aujourd’hui encore il se dit qu’il n’a jamais violé personne. Je n’ai rien dit en rentrant en France, je voulais oublier. Quand j’y ai repensé, je me suis dit que rien n’irait dans mon sens dans cette affaire. J’ai accepté d’aller chez lui. »
poursuit Charlotte.

C’est là, la preuve d’un problème sociétal. Femmes, hommes, homosexuel-le-s, trans, queer, qu’importe la couleur de peau, l’âge, le comportement, la tenue ou l’attitude, le degré d’alcool, rien ne justifie une agression qu’elle soit morale, physique ou sexuelle. Pourtant, statistiquement, les femmes sont bien plus nombreuses que les hommes à en être victimes. Selon les chiffres publiés sur le site du Collectif Féministe Contre le Viol, 86 000 femmes sont victimes de viol ou de tentative de viol, chaque année en France.

Et l’enquête « Cadre de vie et sécurité », réalisée par l’INSEE entre 2010 et 2015, donne des chiffres effarants : 90% de ces femmes connaissent leur agresseur, 37% sont des conjoints vivant avec elles au moment des faits, 36% sont des agresseurs connus ne faisant pas partie du ménage de la victime, 17% des agresseurs vivent avec la victime sans être leur conjoint, 10% sont inconnus.

Mais tous les cas révélés – peu de femmes osent franchir la porte du commissariat pour porter plainte - de viols ou d’agressions sexuelles ne sont pas condamnés. La plupart des agresseurs ne seront pas inquiétés. D’autres seront excusés. Parce que la ligne du consentement serait difficile à définir. En clair, la parole des femmes n’a pas le même poids que celle des hommes.

INVERSION DES RÔLES

Aurait-on la même réaction si les rôles étaient inversés ? Sur Facebook, le témoignage d’une femme québécoise circule : « Y’a plusieurs années, je suis sortie dans un bar avec un gars. On a bu. On a flirté. On s’est frenché. Il m’a demandé si je voulais qu’on se prenne une chambre dans un hôtel pas loin. Pis j’ai dit oui. Pis c’est comme ça que je me suis retrouvée dans une chambre miteuse, profond dans Laval avec des miroirs au plafond pis du print fleuri mur à mur. On a repris les choses où on les avait laissées au bar.

On en était à se déshabiller quand il a reçu un message texte. C’était sa blonde, dont j’ignorais l’existence. La conscience du gars l’a rattrapé – un peu tard, me diras-tu. Il a changé d’idée. Il ne voulait plus aller plus loin. J’étais en crise. De me retrouver loin de chez moi, au milieu de la nuit, les hormones dans le tapis, soûle avec un gars qui m’a caché qu’il était en couple. Pis je l’ai pas violé. Pourtant, il l’a quand même cherché un peu… come on. Il se soule avec moi alors qu’il me connaît à peine, accepte de monter dans une chambre d’hôtel, m’embrasse, me dit explicitement qu’il veut qu’on couche ensemble. J’aurais pu décider que c’était trop tard pour reculer. Y’aura beau dire… Y’avait clairement le goût, t’sais.

Ça sonne con, dit de même. Ça sonne con jusqu’à ce qu’on inverse les rôles. (…) Si les rôles étaient inversés et que c’est moi qui subissais l’agression, tout à coup, ça ne sonne pas fou la théorie de la négligence. On me dira que j’étais inconsciente de monter dans la chambre d’hôtel d’un étranger, on me demandera ce que je portais, combien j’avais bu, si j’avais laissé entendre que j’étais intéressée, si j’ai dit non assez fort ou si je me suis débattue longtemps.

C’est ça, la culture du viol. Une culture pour qui le sexe est le droit des hommes et le devoir des femmes. Où les hommes sont des bêtes dénuées de libre arbitre et les femmes, des objets de convoitise qu’il convient de prendre à son gré. »

L’inversion des rôles est révélatrice. Pourquoi les femmes sont-elles plus exposées ? Pourquoi quasiment toutes les femmes expérimentent à un moment donné de leur vie, de manière plus ou moins répétitive, le harcèlement de rue ?

« Tout est dans l’éducation, répond Lydie Porée. Nous sommes élevé-e-s dans l’idée que les femmes sont disponibles. Hommes et femmes intègrent ça. Et pour nous, il est très difficile de savoir ce que l’on veut et où se trouve notre propre désir ?! Est-ce que je fais les choses par envie ou est-ce que je réponds aux injonctions ? On gère tout, de notre manière de s’habiller à notre comportement. C’est une gestion permanente du potentiel danger. Pour moi, la libre disposition de notre corps est encore une conquête à faire. Par les femmes c’est certain, mais ça ne pourra se faire sans changement d’éducation. Car nous, seules, sans changement des mentalités, n’avons pas beaucoup de marge de manœuvre. »

Collectivement et individuellement, tout le monde est concerné et doit participer à cet avènement. Néanmoins, la prise de conscience est lente et difficile.

« Il y a beaucoup de privilèges à être dominant. Quand vous savez que potentiellement quelqu’un va faire les courses et les tâches ménagères pour vous, que vous serez mieux payé, mieux considéré… Accepter d’y renoncer, ce n’est pas facile. Pour nous, c’est cramé mais c’est pour les générations futures qu’il faut agir. Par l’éducation. L’émancipation, je ne nous y vois pas. Car ce n’est pas non plus facile d’admettre qu’on n’est pas aussi bien loties qu’on veut bien nous le faire croire. Casser le mythe du Prince Charmant, par exemple, c’est tout un monde qui s’écroule. L’émancipation ne pourra pas se faire non plus sans alliance avec la lutte contre le racisme, contre l’islamophobie, contre les LGBTIphobies, et je pense aussi avec les discours sur l’écologie. », avoue la présidente du Planning Familial.

LIBÉRER LA PAROLE

Un autre point est à prendre en compte selon elle. Celui du rôle du collectif et de l’individuel. En comparaison avec les groupes Femmes existant dans les années 60/70, elle a le sentiment que l’on a perdu de l’espace concernant la livraison de témoignages du quotidien.

« Je ressens, mais c’est très personnel et peut-être pas général, que sur les féministes pèse la pression d’être déjà émancipées. On a aujourd’hui les savoirs, les chiffres, les arguments. Mais les féministes peuvent aussi tomber dans les processus d’un pervers narcissique par exemple ou dans des problématiques de violences domestiques. J’ai l’impression qu’elles ne vont pas oser en parler car ça fait mauvais genre pour une féministe. Elle est censée savoir ! Il n’y a pas beaucoup d’espace pour lier l’intime et le politique. On a les ressources et on peut parler des droits à disposer de nos corps mais par exemple, je n’ai jamais entendu beaucoup de témoignages personnels d’avortement. », souligne-t-elle.

Certaines langues se délient et des personnalités comme les auteures Annie Ernaux ou Colombe Schnek en font état. Plus récemment, c’est l’animatrice Flavie Flament qui a révélé au grand public son viol. Mais la révélation fait polémique. Faut-il étaler sa vie privée dans les médias demandent certains, tandis que d’autres s’épanchent sur l’agression sexuelle présumée (« agression ou pas agression ? parce que quand même elle avait un sacré décolleté… ») d’une jeune femme dans une émission à forte audience sur la chaine C8. Des débats sans fin symptomatiques du manque d’information et de sensibilisation aux libertés individuelles et à la responsabilité collective d’actes barbares non réprimés, tus et banalisés.

RÉSISTER ET SE DÉFENDRE

Car trop souvent, les violences envers les femmes sont banalisées. Selon Charlotte Monge, « se dire que les femmes disposent librement de leur corps et dire que l’égalité des sexes est acquise, c’est ce que les gens ont envie de voir. C’est ce que l’on aimerait se dire mais il y a un gros déni dans ce discours. » Si dix années se sont presque écoulées depuis la nuit de ses viols, elle n’en a pas pour le moins un souvenir flou.

La reconstruction a été longue. Il y a eu de la part des personnes à qui elle s’est confiée des réactions d’empathie, de colère, des non réactions, des maladresses. Il a fallu admettre que ce qui s’était passé était réel, déconstruire l’idée qu’elle en était responsable, se débarrasser du sentiment de saleté qui lui a collé à la peau après l’acte, affronter la peur de la pénétration et passer par des séances de sophrologie pour se libérer petit à petit de la honte et de la culpabilité.

Aujourd’hui, ce qui l’attriste, « c’est de devoir être tout le temps blindée. Mettre les limites avant même de connaître les gens pour qu’il n’y ait pas d’ambigüité, je ne m’y fais pas. » Sa façon d’affronter, c’est de ne pas céder aux injonctions et de ne pas accepter le rôle que l’on assigne aux femmes.

« Je n’ai pas envie de ne pas m’autoriser à aimer plaire. Je sais qu’il faut faire attention, mais dans un monde idéal on devrait pouvoir. Dans le respect. On devrait avoir le droit d’aimer le rapport social, que ce soit avec les filles ou que ce soit avec les garçons, dans l’amitié, les rencontres tout simplement. Aujourd’hui, quand je vois que l’autre interprète autre chose, je mets les barrières plus rapidement. »
explique-t-elle.

Mais voilà, souvent ça dérape. L’autre veut plus. Et pense qu’il peut exiger davantage. Victime d’une agression dans un bar par un vigile qui la pousse et la coince dans les toilettes pour une fellation, elle s’est défendue et s’en félicite à présent : « J’avais accepté de discuter avec lui mais c’est tout. Je me dis « Fait chier de se mettre dans ce genre de situation ». À cause de ce qui m’est arrivé en Allemagne, j’ai su réagir et me défendre pour que ça ne se reproduise pas. C’est un sentiment de fierté d’y être arrivé, même si après j’en ai pleuré. Je fais confiance aux gens et je veux continuer de faire confiance. C’est une angoisse après un viol mais je ne veux pas faire un blocage ni une généralité sur les hommes. »

Une attitude que Lauriane Mordellet rejoint complètement. Elle s’insurge contre les images transmises dans les films, les séries, les médias et les publicités véhiculant un modèle unique de femme, plein de stéréotypes. Des images qui inconsciemment orientent les femmes vers leurs assignations d’objets sexuels et de marchandises mais qui créent aussi selon Lauriane de la haine chez les femmes envers les autres femmes.

« On doit toujours se défendre et on se hait car on veut nous faire croire qu’on est en position de faiblesse. Perso, j’ai la chance d’avoir évolué dans un milieu où on m’a laissé ma place de femme. Oui, je dispose de mon corps parce que c’est mon souhait. Et cela implique de ne pas prendre les réflexions des autres en compte. », dit-elle, déterminée. Oublier le regard de la société et s’affranchir de ce que pensent les autres, une belle théorie souvent difficile à mettre en pratique. Mais pour cette artiste plasticienne de 26 ans, le combat n’est pas perdu. Il se joue au quotidien.

« La difficulté, c’est que même quand on est fortes et battantes, on peut être pétrifiées par des remarques. Ça m’arrive. Je sors beaucoup, j’aime mes formes, je les assume et je les montre. Je prends des réflexions et des mains au cul et ça ce n’est pas normal. Parce qu’en plus ça nous pousse parfois dans des situations de violence. Une fois, je me suis énervée, j’ai chopé le type par le col et je lui ai dit que sa mère - ou son père ou les deux - ne l’avait certainement pas éduqué comme ça ! Jamais je ne me permettrais d’attraper des couilles, des fesses ou même des seins. Dans ce geste, on oublie les frontières du privé et de l’intime. Perso, moi je ne veux pas lâcher ce combat et je ne lâcherais pas ! », s’indigne-t-elle.  

LA LIBERTÉ À JOUIR

Une des plus grandes révélations, pour Lauriane, dans l’acceptation du corps est celle de la jouissance. Le droit à jouir. Lorsqu’une femme est capable de se dire que oui des fois elle jouit et des fois elle ne jouit pas : « Quand tu assumes ça, on te traite de salope. Non, c’est juste un droit. Un partage mutuel entre une femme et une femme, une femme et un homme, un homme et un homme. »

Elle en parle librement et ne s’embarrasse pas, à juste titre, des qu’en dira-t-on. La libération de la gent féminine doit passer par là. Franchir le cap d’une libre sexualité, soit apprendre à se connaître personnellement et à poser ses propres limites, en fonction de son libre arbitre. Et ça, ça peut déranger certains de ses partenaires.

« L’autre prend conscience que ton corps t’appartient. Il n’est pas le maitre de ton corps. Il n’est plus l’animal dominant. Ça a déjà créé de la violence dans mes rapports. Une fois, je me suis faite étrangler car il avait besoin de reprendre le dessus. Je n’étais pas consentante à cet étranglement, c’était simplement de la maltraitance. Ça a été sa réaction face à la peur de ne pas dominer. D’autres vont arrêter de bander. Et d’autres vont se laisser guider pour aller ensemble vers une jouissance mutuelle. Tout le monde n’est pas à mettre dans le même panier. », souligne-t-elle.

Si il lui est arrivé parfois de rester un peu figée, sans réaction, elle a désormais choisi de raisonner d’une autre manière : ne plus se sentir redevable. Se détacher de ce sentiment qui assaille souvent les femmes. « On se dit que parce qu’on est allée chez le gars, bah on est un peu obligée d’aller au bout. Mais non, pas du tout. Si on veut se barrer, on se barre. On peut avoir eu envie, on peut avoir commencé quelque chose, si à un moment on n’accepte plus ou on ne veut plus, il faut bien se dire qu’on est redevable de rien du tout. Ce n’est pas parce que le gars aura payer un verre qu’on lui est redevable. Et pareil pour lui. Mais c’est sûr, ce sont des situations qui amènent de l’appréhension. », poursuit Lauriane.

Directrice de séjours pour jeune et formatrice BAFA auprès de l’association Aroeven Bretagne, elle milite pour la transmission des savoirs, à travers des jeux de rôle par exemple. Une manière de faire dont parle également Charlotte Monge, sensible à l’outil pédagogique du théâtre forum.

PARTAGER ET TRANSMETTRE

La transmission, le partage d’expériences, le dialogue… C’est ce que prône Agnès Galle, actuellement en reconversion dans les médias, rencontrée sur le canapé des Brétilliennes (émission présentée par Christine Zazial, sur TVR 35). À 32 ans, elle est la mère de deux petites filles et se préoccupe de la manière dont elles vivront plus tard leur corps :

« À la naissance, j’ai été surprise de voir à quel point elles pouvaient avoir une carrure différente. On n’est pas tou-te-s pareil-le-s, on a des morphologies différentes, des couleurs de peau différentes, mes filles sont métisses, ma famille est multicolore. Quelque soit leur carrure maintenant et en grandissant, j’espère qu’elles se sentent et se sentiront bien, qu’elles s’aiment et s’aimeront comme ça. J’aimerais qu’on leur inculque l’acceptation de soi pour que le monde leur appartienne ! »

Le corps comme outil de force et non comme source de complexe. Transformer le cercle vicieux en cercle vertueux. Car la réussite de toute l’image publicitaire autour du corps des femmes est de parvenir à créer des conflits permanents entre la gent féminine et leur corps.

« On est dans une société schizophrène qui dit tout et son contraire pour mettre les femmes tout le temps en position de consommatrices. Et même quand on sait que les photos sont retouchées, on intègre tout de même les injonctions et les complexes. On est complètement fous avec tout et on ne voit qu’à travers le prisme du poids, de l’âge, des signes du temps qui passe. Et on cherche en permanence à tout gommer au lieu de montrer les beautés de chaque âge, etc. On cache le réel, mais il faut montrer la vie ! Je rêve de voir sur les panneaux publicitaires des femmes de 40 ans, sans masquer les rides, etc. Des femmes bien dans leur peau et épanouies ! Des femmes qui existent et non pas le faux modèle après lequel les femmes courent ! », s’enthousiasme-t-elle.

Agnès, c’est le sourire quasiment en permanence. Parce qu’elle y croit au pouvoir du sourire et de la bonne humeur, qui transmettent un message positif et rempli d’espoir. Lorsqu’elle est victime de harcèlement de rue, elle essaye de toujours répondre poliment, de dialoguer, de ne pas perdre la face et masquer son appréhension si elle sent que la situation se tend.

TROUVER L'ÉQUILIBRE

Pour autant, elle démontre une certaine fermeté. Agir avec souplesse ne rime pas avec se faire marcher sur les pieds et écraser. Elle s’affirme dans l’intégralité de sa personne : « Il faut du respect. Pour tout. C’est important de prendre soin de soi. Le physique et le moral sont très liés. J’ai fait un burn out et récemment une dépression, j’ai pris du poids. Maintenant, je veux faire attention à moi, être dans la douceur avec mon corps. Il a tellement éprouvé ces dernières années que je ne supporte pas du tout qu’on l’insulte en me parlant de mon poids. »

Quand elle parle de ses grossesses, elle évoque un tsunami émotionnel, une expérience extrême, avec ses bonheurs et ses diffcultés. Un bouleversement sur tous les plans. À chaque fois elle aura pris 18 kilos. Puis elle a accouché. Sans perdre la totalité du poids, forcément.« Enceinte, tu es la grâce incarnée, tu es majestueuse. Le bébé nait et l’attention se focalise sur lui. Tu passes de la 8e merveille du monde à la grosse qui doit perdre ses kilos. », pointe-t-elle.

Mais la peau est différente, la grossesse laisse des marques « sur l’enveloppe extérieure et sur l’enveloppe intérieure ». La jeune femme ne regrette pas l’expérience mais livre son ressenti sur l’aventure vécue. Une aventure qui peut être troublante et douloureuse dans certaines situations et conditions.

Elle évoque le manque d’informations qu’elle n’a pas personnellement vécu mais dont plusieurs ami-e-s lui ont parlé, et surtout constate qu’une fois le bébé né, la maman est en quelque sorte délaissée. Moins écoutée et accompagnée. Peut-être plus considérée comme simplement mère et moins considérée en tant que femme. Alors que le processus de réappropriation du corps sera, selon les femmes, plus ou moins long.

« C’est très éprouvant physiquement, j’ai mis beaucoup de temps à me le réapproprier, à reprendre possession de moi et retrouver également l’envie d’une sexualité. J’avais l’impression que c’était de devoir me reconstruire physiquement, contrainte dans ma chair. »
explique-t-elle, sans tabou.

C’est certain, il faut du temps pour rééquilibrer les repères corporels. Pour Agnès, le plus insupportable réside dans les injonctions et les dictats que l’on met autour des femmes et précisément autour des femmes enceintes et des mères : « En Une, tu vois « Enceinte et sexy », « Au travail et sexy », « Maman maternelle et maman sexy », putain faut être sexy partout ? J’ai sans cesse l’impression que je dois choisir entre ma vie de maman et ma vie de working girl. Mais je veux pas choisir, je voudrais être les deux ! J’ai du mal à trouver l’équilibre. »

RETROUVER NOTRE CORPS

Trouver l'équilibre. Exercice périlleux en cette période. Prises entre une multitude d’injonctions à être disponibles, désirables, séduisantes, pas faciles mais pas farouches non plus, etc. Comment s’apaiser lorsque des scandales éclatent laissant présager de hauts risques en matière de santé par rapport à la pilule, aux produits hygiéniques, aux violences gynécologiques (en hôpital également, rappelons-nous le fameux point du mari…), que l’on propose aux pharmaciens de voter pour une clause de conscience face à la pilule d’urgence, que l’on est culpabilisées si on décide de ne pas allaiter, que nous ne sommes pas informées sur les différentes techniques d’accouchement dont nous pourrions bénéficier, et on en passe ?

Le processus médical manque de temps, on le sait. Mais aussi de tact. Et participe au processus de culpabilisation des femmes qui encore une fois manquent l’occasion de découvrir entièrement leurs corps et tous les choix qui s’offrent à elles. « Il faut certainement aller vers la démédicalisation. Pas sur tout, je ne dis surtout pas de renier toute la médecine et les connaissances, mais il y a des choses que l’on peut gérer nous-mêmes, comme le palpé des seins ou même l’avortement, avec évidemment une bonne connaissance de la méthode. On a laissé beaucoup de marge aux médecins sur la prise en charge des femmes et ce rapport des médecins aux corps des femmes nous laissent très peu de libertés. Il faut nous écouter davantage, écouter nos corps pour nous les réapproprier et nous réapproprier notre santé. », déclare Lydie Porée.

La lutte doit continuer. Se battre pour garder nos libertés tant menacées, comme on le voit dans nos pays voisins qui remettent en cause le droit à l’avortement. Pour maintenir l’interdiction des mariages forcés, de l’excision, pour protéger les travailleuses/eurs du sexe. Mais aussi pour plus généralement arrêter de souffrir d’une morale tordue visant à stigmatiser les femmes qui portent un voile d’un côté et les femmes qui ne portent qu’une culotte de bain à la plage de l’autre.

En ayant toujours à l’esprit : nos corps, nos choix. Une phrase qui met souvent tout le monde d’accord dans les discours mais qui visiblement ne pourraient s’appliquer lorsqu’une femme marche dans la rue ou pire parle à un homme dans l’espace public et encore moins quand il s’agit d’une personne trans ou intersexe.

Plusieurs manifestations ont eu lieu à Rennes pour s’ériger contre les menaces et les injonctions faites aux femmes, le 3 octobre en soutien aux femmes polonaises face à la loi anti-avortement, et le 15 octobre en réaction à la polémique estivale concernant le burkini. À chaque fois, le slogan qui en ai ressorti rejoint les témoignages des femmes interviewées : Foutez-nous la paix ! Voilà.

 

* Les prénoms ont été modifiés

Tab title: 
Corps des femmes : entre tabous et injonctions
Disposer librement de son corps, c'est possible ?
Sortir les squelettes du placard
Halte à l'objetisation !
La réappropriation du corps 2.0

Célian Ramis

Agnès Varda et JR, visages d'une humanité sensible

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Ciné TNB, Rennes
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Agnès Varda et JR ont sillonné les routes de France, à la recherche de visages et surtout d’histoires à partager. Le duo fantasque présentait Visages, Villages, le 20 juin dernier au Ciné-TNB de Rennes.
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À la manière de Raymond Depardon, Agnès Varda et JR ont sillonné les routes de France, à la recherche de visages et surtout d’histoires à partager. Le duo fantasque présentait en avant-première le documentaire Visages, Villages, le 20 juin dernier au Ciné-TNB de Rennes.

« Il fait toujours ça. Il croit qu’il va me casser le moral mais ‘faut se lever de bonne heure pour ça ! » Au Ciné-TNB, Agnès Varda et JR s’amusent à se taquiner. Surtout lui. Que ce soit à propos de ses couleurs de cheveux, sa petite taille ou son grand âge, le photographe - âgé de 55 ans de moins qu’elle - charrie la célèbre réalisatrice au doux franc parler qui elle, préfère transmettre ce qui lui tient à cœur et qui a motivé et animé tout le film, à l’instar de toute sa filmographie.

Ils se rencontrent en 2015, grâce à Rosalie Varda, et instantanément, décident de travailler ensemble. Comment ? Sur quoi ? Ils ne savent pas mais ne vont pas tarder à le découvrir. « JR est un artiste urbain, j’avais envie de lui faire faire la campagne. On ne savait pas qui on rencontrerait. On était dans l’attente, dans l’écoute. Et on a eu de la chance, le hasard nous a fait rencontrer des gens formidables. Certains nous ont été portés sur un plateau d’argent. », explique Agnès Varda.

Ainsi, tous les deux ont embarqué à bord du « camion magique » de JR – dans lequel un photomaton est installé et imprime les portraits en taille affiche – et ont sillonné les routes de France, de village en village, partageant ensemble leur passion pour les images « et l’amour des gens », souligne-t-elle.

Sans chercher à établir une cartographie exhaustive des cœurs des villages français, le duo part à la rencontre de Jeannine, Daniel et Yves à Bruay-la-Buissière dans le Pas-de-Calais, de Vincent, Nathalie, Jacky, Marie et Jean-Paul à Bonnieux dans le Vaucluse, de Claude, Didier et Amaury entre autre à Château-Amoux-Saint-Auban dans les Alpes-de-Haute-Provence ou encore d’une partie des habitants de Pirou-Plage dans la Manche. Et de plein d’autres.

Les souvenirs d’enfance remontent et défilent jusqu’au moment présent. Le quotidien des familles de mineurs dans le Nord, l’histoire d’amour d’un arrière grand-père et d’une arrière grand-mère, le dernier jour de travail d’un employé de l’usine Arkéma, la transmission du carillon de père en fils, l’évolution du métier de facteur ou encore l’engagement d’une agricultrice résolument décidée à laisser leurs cornes aux chèvres – là où certains les brûlent à la naissance pour éviter les bagarres et ainsi augmenter la productivité des bêtes -, les récits sont passionnants.

Sobres et simples. Voilà ce qui en fait l’extraordinarité du résultat. Comme lorsque les deux co-réalisateurs provoquent le destin en organisant une fête des voisins dans un village fantôme ou en introduisant les épouses des dockers du port du Havre parmi les containers qui d’habitude ne fréquentent que des hommes.

« On n’a jamais pris au sérieux l’aspect sociologique. On a juste voulu rencontrer des personnes qui parlent de ce qu’ils connaissent, aiment, veulent. Et c’est ce qu’on voit. Des gens très variés. On avait envie de vous mettre de bonne humeur. Que vous ayez une curiosité pour toutes ces personnes, que vous les rencontriez à votre tour. Ils sont en situation de vous intéresser et que vous ne les oubliez pas. Alors on l’a fait de manière un peu fantaisiste avec quelques broderies autour mais ce sont surtout des visages et des surprises. », s’émeut la réalisatrice des Glaneurs et la Glaneuse, plusieurs fois primée pour l’ensemble de son œuvre.

La fantaisie dont elle parle, et les quelques broderies, résident dans leur écriture d’un documentaire qui s’amuse à les mettre en scène. Eux qui apprennent à se connaître, se découvrent, se jaugent et se lient au fur et à mesure. Ainsi, leurs voix et leurs visages accompagnent le long-métrage, faisant éclater leur complicité, leur complémentarité et leurs différences.

Varda, qui s’était dévoilée il y a quelques années dans son documentaire Les plages d’Agnès, laisse JR l’observer de près, elle qui commence à voir flou. Sa vue baisse mais son regard sur ce qui l’entoure et sa soif de voir l’âme humaine ne diminuent pas quant à eux.

Et tout cela, elle l’offre au jeune photographe. Ses yeux, ses rides, ses mains, ses pieds… Agnès Varda en fait des modèles pour ces photos à lui, qu’il aime tant coller en format géant sur tous les supports extérieurs et parfois éphémères, tels que les façades de maison, les trains, les châteaux d’eau ou encore les hangars de ferme ou un blockhaus écrasé sur la plage.

Et partant de cette plage, elle partage avec lui, mais aussi avec nous par extension, ses souvenirs d’une shooting. Quand elle a pris Guy Bourdin en photo en 1954. Ses souvenirs aussi pour des artistes qu’elle admirait beaucoup, comme l’écrivaine Nathalie Sarraute, dont on aperçoit la maison, ou encore les photographes Henri Cartier-Bresson et Martine Cartier-Bresson, dont elle évoque la mémoire au pied de leurs tombes.

L’émotion est vive. Agnès Varda ne cache pas sa sensibilité. Que ce soit face aux personnes rencontrées ou face à ces instants vécus pas encore tombés dans les trous de sa mémoire, comme elle le dit dans le documentaire. Celle qui dit attendre la mort avec impatience, « comme ça, ce sera fini », va même jusqu’à raviver des sentiments profonds et douloureux en emmenant JR chez son ami de longue date, Jean-Luc Godard.

Parce qu’en 1961, dans son court-métrage extrait de Cléo de 5 à 7 intitulé Les fiancés du pont Mac Donald ou (Méfiez-vous des lunettes noires), elle avait fait retirer ses lunettes au cinéaste de la Nouvelle Vague. Un défi qu’elle se lance à nouveau avec ce nouvel ami de route et de cœur. « Lui, il a observé la vieillesse. Moi, je n’avais pas besoin de m’occuper de sa santé. Mais dès que je l’ai vu, j’ai vu qu’il ne voulait pas enlever ses lunettes qui me rappelaient Godard. », précise-t-elle.

La poésie et l'humour dominent Visages, Villages, autant que la majestueuse beauté des paysages. Accompagnés d’une infinie douceur. Le duo est bouleversant. Elle, particulièrement. Le film fait du bien de par sa capacité à montrer la particularité simple de chaque individu. Et parce qu’on peut toujours compter sur la réalisatrice, photographe et artiste plasticienne, pour mettre en valeur les femmes autant que les hommes, elle nous apaise et rend l’humain beau à travers son art.

 

Sortie au Ciné-TNB prévue le 28 juin.

Célian Ramis

Cherchez la femme, sous le voile intégral

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Cinéma Gaumont Rennes
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Sou Abadi signe son premier long-métrage de fiction avec Cherchez la femme. Le 15 juin, la réalisatrice était accompagnée de Félix Moati, pour présenter le film, au cinéma Gaumont de Rennes.
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Sou Abadi signe son premier long-métrage de fiction avec Cherchez la femme. Le 15 juin, la réalisatrice était accompagnée de son acteur principal, Félix Moati, pour présenter le film en avant-première, au cinéma Gaumont de Rennes.

Leïla (Camélia Jordana) et Armand (Félix Moati), tous les deux à Sciences Po, sont en couple. Un couple que Mahmoud (William Lebghil), le grand frère de Leïla tout juste revenu de plusieurs mois au Yémen, désapprouve. Au point de séquestrer sa sœur dans l’appartement. Pour la voir, Armand se cache sous un voile intégral, en se faisant passer pour Schéhérazade. Séduit par cette dernière, Mahmoud se met en tête de l’épouser.

La situation de départ est casse-gueule et la comédie, un genre périlleux. « C’est un thème que tout le monde connaît, dont tout le monde parle. Autant le traiter avec humour ! », explique la réalisatrice, Sou Abadi. Inspirée par Certains l’aiment chaud, de Billy Wilder, elle souhaitait faire un film de travestissement à son tour, en y intégrant le voile, à partir de son expérience personnelle.

L’IRAN, EN TOILE DE FOND

« En 2001, j’ai dû me rendre en Iran pour mon documentaire (SOS à Téhéran, ndlr). Pour aller dans les institutions, il faut mettre le tchador. Les situations que vit Schéhérazade, je les ai vécues. Pour le thé, par exemple, c’est une coutume. On vous sert le thé, on vous considère comme une invitée. A ce moment-là, je ne savais pas du tout comment faire pour le boire. Je ne comprenais plus ce qu’on me disait et je ne comprenais plus ce que je disais. », souligne-t-elle.

En racontant ses diverses anecdotes, elle prend conscience du ressort comique de ces situations, qu’elle n’a pourtant pas vécu de manière humoristique : « Dans ce film, je rigole d’abord de moi-même. Les parents d’Armand sont mes parents, en plus exagérés évidemment. Et puis, il y a aussi toutes les réflexions que fait Mahmoud sur Sciences Po qui sont là aussi parce que j’ai voulu chatouiller les élites. Tout le monde en prend pour son grade, pour qu’on arrive à rire tous ensemble. »

D’origine iranienne, elle souhaite également rendre hommage à toutes les femmes de son pays qui essaient de lutter depuis la fin de la Révolution et l’arrivée des religieux au pouvoir. Elle le dit et le revendique : toute religion peut devenir dangereuse dès lors qu’elle prend le pouvoir. La Pologne, la Hongrie, l’Iran en sont des exemples. Ce à quoi elle ajoute que la religion doit rester dans la sphère privée et ne doit pas diriger la dimension politique et citoyenne.

« Mitra (la mère d’Armand, incarnée par la talentueuse Anne Alvaro, ndlr) est représentative de cette génération, de ces femmes qui se battent pour faire du vélo, pour chanter, pour montrer leurs cheveux, pour mettre du vernis. Ça peut paraître risible comme ça mais pour elles, c’est une réalité. », insiste Sou Abadi.

L’ISLAM, PAS QU’UNE RELIGION

Dans le film, la douleur du destin iranien se confronte au repli identitaire de certains individus des quartiers stigmatisés. Et la réalisatrice ne fait pas dans la demie mesure en opposant volontairement « les éduqués aux ignorants ». Ses positions sont claires : « c’est par l’éducation qu’on pourra sortir de cette tragédie. L’Etat doit aussi tenir ses promesses envers les quartiers sensibles pour éviter le repli. Le sentiment d’humiliation est réel. Le constat sur la société française est vrai. Je ne suis pas d’accord avec la solution du djihad mais l’humiliation est réelle. »

Ainsi, elle opte pour un Mahmoud qui, par faille affective, se réfugie avec rigidité dans la religion. Sur une pente glissante, il s’embarque vers une interprétation stricte et sévère des préceptes du Coran, sans véritablement le connaître. C’est Schéhérazade qui lui insufflera les valeurs de l’Islam : « Je tenais à ce qu’il ne tombe pas dans l’extrémisme, sans pour autant qu’il perde ses croyances. »

Subtilement, Sou Abadi dévoile la poésie de l’Islam, comme civilisation à part entière et non uniquement restreinte à sa religion et ses stigmates. Avec des références à Mahmoud Darwich tout d’abord, des citations du Coran mais aussi la lecture du Cantique des oiseaux, de Farîd od-dîn ‘Attâr, avec des vers qu’elle mêle en parallèle à ceux de Victor Hugo.

« La spiritualité, les maths, la médecine, Avéroès, l’âge d’or du 13e siècle,… C’est délirant en terme artistique ! L’Europe régresse à un tel niveau consternant avec son idéologie de la peur et du déclin. Et du rejet ! », ajoute Félix Moati.

ET VIENT LE DÉBAT AUTOUR DU VOILE

Cherchez la femme n’est pas un procès grossier à l’Islam mais illustre les opinions politiques de la réalisatrice qui souhaite également témoigner des vécus de son entourage :

« Quand ma petite cousine est venue en France pour son doctorat en génétique, elle portait le foulard. Puis elle a décidé de l’enlever. J’ai beaucoup discuté avec elle à ce moment-là parce que je ne voulais pas qu’elle l’enlève à cause de la pression sociale. Et elle m’a répondu qu’elle l’enlevait parce que le Coran recommande de ne pas se faire remarquer. Alors que le voile produit l’inverse. Ça je l’ai mis dans le film. »

Il s’agit donc bien de pression sociale puisque le débat sur le voile en France est sans fin et agite particulièrement l’opinion publique, cristallisant précisément la peur et le rejet. « Oui, c’est vrai, reprend-elle alors. Ce que je lui disais, c’est de ne pas enlever son voile tant qu’elle n’était pas à l’aise. Je suis pour la liberté d’expression. Le port du voile, c’est quelque chose qui me dérange mais nous sommes en démocratie et il faut respecter les choix des un-e-s et des autres. »

Elle ne peut s’empêcher de penser à la brigade des mœurs en Iran et à l’effet que cela produit sur elle de voir là-bas les femmes voilées. Elle entend également les discours de ses amies demandant pourquoi les françaises portent le voile tandis qu’elles n’y sont pas contraintes. Parce qu’elles, voudraient l’enlever. Un discours que tiennent aussi une partie des féministes occidentales, dont Elisabeth Badinter par exemple.

Et cette manière dont tout le monde s’empare du sujet dans l’Hexagone, et dont chacun-e voudrait arracher le voile à la femme musulmane qui le porte, donne lieu à une scène assez violente, révélatrice de vérités, dans laquelle Schéhérazade se voit devenir l’objet de tous les commentaires des usagers du bus, dont sa mère, qui s’est battue en Iran pour que cela n’arrive pas.

« J’ai une amie iranienne qui fait ça constamment. Dès qu’elle voit une femme voilée, elle lui tient ce genre de discours. Comme la femme qui lui dit « On n’a pas de voile et on n’est pas des putes pour autant »… »

Félix Moati se souvient de la violence ressentie sur le tournage : « J’aime beaucoup le costume qu’enfile l’acteur. Là, en enfilant le tchador, j’ai senti l’animosité et l’hostilité dans les regards. Et pendant cette scène, je n’étais pas bien, je voulais la défendre. Je crois qu’en tant qu’acteur, on fait des choix politiques, malgré nous. Ici, ce qui était intéressant, c’est que le film traite d’une question et d’une angoisse contemporaine. Pour le voile, je pense que la question est très épineuse et qu’elle ne me concerne pas. Il faudrait vraiment interroger les femmes voilées, c’est elles qui peuvent en parler. »

Pas de quoi rire à première vue. Il faut l’avouer, Cherchez la femme ne nous a pas rendu hilares. Mais au moins, Sou Abadi prend le risque de montrer les choses telles qu’elle les pense et les vit, loin de la bienveillance niaise et lourde de comédies telles que Qu’est-ce qu’on a fait au bon dieu ? ou À bras ouverts. Et nous invite tout de même à découvrir de jolies choses que les grosses ficelles du genre n’écrasent pas.

Célian Ramis

Mythos 2017 : Sandre, dans les méandres de l'âme humaine

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Théâtre de la Parcheminerie, Rennes
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C’est une claque en plein visage que nous met le collectif Denisyak avec la pièce Sandre, dévoilée dans le cadre du festival Mythos, le 5 avril dernier au théâtre de la Parcheminerie, à Rennes.
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C’est une claque en plein visage que nous met le collectif Denisyak avec la pièce Sandre, dévoilée dans le cadre du festival Mythos, le 5 avril dernier au théâtre de la Parcheminerie, à Rennes.

Un grand fauteuil installé sur des pics menaçants trône au milieu d’un ilot installé sur la scène. C’est là, éclairée tantôt par des spots restreints, tantôt par la lumière tamisée d’une lampe de chevet, qu’elle se raconte dans l’ombre d’un esprit endolori par les blessures d’une vie passée à côté de l’être tant aimé.

Son mari, elle l’aime, elle le chérit. Il n’aimait pas les animaux, ils n’avaient pas d’animaux. Il ne voulait pas partir en vacances, ils restaient à la maison et allaient chez sa mère à lui le dimanche. Il voulait parler, elle l’écoutait. Il ne voulait pas parler, elle regardait la télé.

Elle était belle, selon elle. Son mari voulait un enfant. « Petite, tu joues à la poupée et après tu veux un enfant. », raisonne-t-elle. Mais en vérité, elle n’en avait pas envie. Pas envie de vivre une grossesse qui transformera son corps. « Ma mère me disait ‘on tient un homme par le ventre’ », alors elle lui a mitonné tous les petits plats dont dispose la gastronomie française. Et pour l’accompagner, elle se servait deux fois.

Elle a grossi, donc elle a accepté de faire un enfant. Parce que la graisse de son ventre masquait l’évolution du fœtus. Mais son mari ne l’aime plus, le petit mord et la grande ne veut plus voir sa mère. Parce que cette dernière a tué quelqu’un une fois. À cet instant, elle est sortie d’elle-même. Mais elle n’est pas folle.

Le discours est frappant. Cette femme a « tué son amour ». Parce qu’il a repris son amour, elle a repris la chair de sa chair. « Je ne suis pas qu’un ventre », explique-t-elle, calmement, pour justifier son infanticide. Ce troisième enfant, elle n’en voulait pas. « Je suis contente que Mitterand ait aboli… Même si j’ai tué quelqu’un. », poursuit-elle.

Le récit, écrit de la talentueuse plume de Solenn Denis, est bouleversant. Et renversant de complexité. L’infanticide raconté par une femme normale, interprétée par un homme, Erwan Douaphars, qui livre les tréfonds d’une âme humaine en peine et qui décortique une facette du « monstrueux » qui dégoûte tout autant qu’elle fascine.

Et là où le collectif Denisyak frappe fort réside dans le détachement naturel qui s’opère à travers ce parti pris murement réfléchi. L’intimité profonde d’une femme fictive, inspirée d’un fait divers avéré, dans la bouche d’un comédien qui ne pourra jamais enfanter de par son corps biologique d’homme.

L’auteure a souhaité ici donner la parole à celles que l’on n’entend quasiment jamais. Mais dont les motivations sont toujours plus ou moins fantasmées. De par la dimension nouvelle accordée au texte, à la mise en scène et au jeu, les émotions sont bousculent, passant du rire un peu moqueur à l’incompréhension, la colère et la souffrance.

On écoute attentivement les propos de cette femme meurtrie, en permanence à côté d’elle-même et de sa vie, prise par un quotidien domestique triste et un amour déchu. Pour autant, Sandre ne cherche pas à excuser et justifier l’acte de cette mère/épouse qui a oublié d’être femme ou à pardonner le meurtre de cet enfant. Simplement, la pièce interpelle et questionne notre rapport à cette figure, dont on ne trouve toujours pas la réponse.

La claque s’imprègne alors dans notre joue et notre esprit. On garde en mémoire la voix de cette femme, ses lèvres qui se teintent de noir en signe d’amertume, de colère et peut-être de regrets - ou non -, la lumière tamisée, l’ambiance étrange qui règne sur le plateau et envahit la salle de la Parcheminerie. Et surtout, les mots qui sonnent et résonnent comme des coups de poing qui lacèrent nos entrailles.

Célian Ramis

8 mars : Dénoncer les discriminations envers les femmes dans le sport

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Champs Libres, Rennes
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Catherine Louveau, sociologue et professeure en STAPS à l’université de Paris Sud, répondait aux questions de l’animateur Arnaud Wassmer, le 18 mars aux Champs Libres.
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Si les femmes sont davantage présentes dans les différentes disciplines sportives, les inégalités entre les hommes et les femmes subsistent, et le traitement médiatique révèle de nombreuses discriminations et injustices. Et l’évolution vers un changement de mentalité se fait lente. Trop lente, selon Catherine Louveau, sociologue et professeure en STAPS à l’université de Paris Sud, qui répondait aux questions de l’animateur Arnaud Wassmer, le 18 mars aux Champs Libres.

On ne compte plus le nombre d’ouvrages et de publications auxquels Catherine Louveau a participé. Son domaine d’expertise : le sport et les inégalités entre les femmes et les hommes. C’est d’ailleurs elle qui signe la première biographie du Dictionnaire des féministes – ouvrage collectif dirigé par l’historienne Christine Bard – avec la lettre A comme Abar (Nicole), l’ancienne footballeuse, aujourd’hui très investie dans l’éducation à l’égalité à travers le sport (lire notre article ici).

« En théorie, dans la réglementation, les hommes et les femmes peuvent faire les mêmes sports. Mais en vérité, il y a toujours des enjeux et il n’y a toujours pas de similitude entre les hommes et les femmes. Le sport moderne – c’est-à-dire depuis le milieu du XIXe siècle – reste encore l’école de la virilité. », entame-t-elle en guise d’introduction.

Les bases sont posées. Catherine Louveau n’a pas sa langue dans sa poche et pour elle, les constats ne doivent pas être nuancés de faux espoirs ou de faits exceptionnels. Si les femmes sont de plus en plus nombreuses à intégrer des sports, la pratique n’est pas la même, les tendances dites « lourdes » montrant qu’elles se dirigent vers les pratiques auto-organisées, visant à l’esthétisation du corps (footing, fitness, etc.) là où les hommes s’orientent vers des pratiques en club, en équipe et en compétition.

Pour la sociologue, les hommes ont créé des normes de pratique. Si en moyenne, sur 100 licenciés, seul un tiers des membres sont des femmes, cela s’explique par le regard que porte la société sur le genre féminin. Disputer des matchs, à haut niveau, en short, en sueur, devant un parterre de spectateurs va à l’encontre des assignations de genre.

« Quand Florence Arthaud remporte la Route du Rhum (en 1990, ndlr), Le Parisien titre « Flo, t’es un vrai mec » ! Elle vient de gagner la Route du Rhum et on écrit ça ?! »
s’indigne la conférencière.

Un exemple illustrant parfaitement la différence de traitement, médiatique en l’occurrence, que l’on réserve aux femmes dans le sport.

L’ENJEU DU CORPS

Le corps des femmes est un enjeu crucial dans les rapports de domination entre les sexes. Et dans le domaine sportif, il est brandi comme une excuse scientifique et légitime pour interdire son accès à la gent féminine :

« Les médecins sont généralement très conservateurs sur les attentes qu’ils ont de la féminité et utilisent des arguments du XIXe siècle ! Pour le saut à la perche, certains diront qu’il existe un risque de descente des organes pour les femmes. Et pour le saut à ski, d’autres diront que c’est dangereux pour elles car elles sont destinées à être mères ! Pardon ? Nous ne sommes pas destinées à être mères, nous avons simplement les organes pour l’être. Il y a une différence importante !!! »

Dans les années 1920, le football et le rugby deviennent des disciplines uniquement masculines. Et quand en 1928, on autorise enfin les sportives à participer aux courses en athlétisme, dont les 800 mètres, on constate qu’à l’arrivée, elles sont fatiguées et certaines s’effondrent. « Les journalistes commenteront que ce n’était pas beau à voir. Moralité ? On interdit le 800 mètres jusqu’en 1964 ! », trépigne Catherine Louveau.

Aujourd’hui encore, on constate les disciplines choisies dès la petite enfance sont les reflets des assignations genrées. Si le sport représente dans la majorité des familles françaises un moyen socio-éducatif privilégié, on reste retranché-e-s derrière les clichés : la danse et la gymnastique pour les filles, le football et le judo pour les garçons.

On retrouvera la même correspondance dans les métiers, où les activités « dures, de force, qui demandent du corps à corps, comportent des risques et des dangers » sont encore réservées, dans les mentalités, aux hommes.

« Aujourd’hui, 80% du temps de sport sur les chaines hertziennes - je dis bien chaines hertziennes, je ne parle pas du câble et du satellite – est réservé aux hommes ! Comment voulez-vous avoir envie de quelque chose quand on ne le voit pas ? », s’interroge la sociologue. Les filles ne voient pas, ou si peu, de femmes dans les métiers pensés au masculin, pareil pour le sport (hors Jeux olympiques, précise-t-elle).

Elle qui enseigne à l’UFR STAPS de l’université Paris Sud en a la preuve au fil des années : les étudiantes sont de moins en moins nombreuses.

« En 1ère année, il y a 25% de filles. C’est très peu. Et sur l’ensemble des L1, L2 et L3, on est passé, en peu de temps, de 32 à 28% de filles. »
précise-t-elle.

Elle met les choses au clair : femmes et hommes sont peut-être différents, néanmoins, cela n’empêche en rien l’égalité des droits, dont celui d’être traité-e-s de la même manière. « Il y a une loi contre les discriminations ! Nicole Abar est la seule à avoir saisir le tribunal pour faire condamner le club dans lequel elle entrainait des filles et qui priorisait toujours les garçons. Ce qui a d’ailleurs fait une jurisprudence. C’est la seule affaire !!! », s’insurge Catherine Louveau.

L’APPARENCE AVANT TOUT

Et quand les femmes passent outre les assignations en s’investissant dans une pratique sportive, rares sont celles qui sont médiatisées et reconnues. Car pour être sous les feux des projecteurs, les performances ne sont pas les seuls critères. Arnaud Wassmer évoquera notamment les nombreuses heures de diffusion des équipes féminines de Beach volley à Rio et Catherine Louveau saisira la perche pour poursuivre et renchérir sur les plans fréquents sur les fessiers des joueuses, au tennis notamment :

« Faut-il être sexy et glamour pour être médiatisée ? La réponse est oui. De nombreuses injonctions pèsent sur les sportives avec comme condition de la médiatisation d’être sexy, belles à regarder, voire susceptibles de susciter du désir. »

Elle se désole d’entendre encore des commentaires sexistes sur France Télévisions, notamment de la part de Nelson Monfort ou encore de Philippe Candeloro – « mais celui là devrait être véritablement sorti de France TV » - qui évoquent en premier lieu l’apparence, le charme, le sourire des sportives, avant de parler de ce qu’elles viennent de réaliser.

Mais elle regrette également que les femmes acceptent de revêtir les jupes imposées par certaines fédérations, à l’exception des joueuses de badminton « qui se sont rebiffées contre les jupettes ! » Une pression sociale et culturelle s’exerce sur la plupart des sportives, de qui on attend une certaine féminité. Pour ne plus entendre dire qu’elles sont des garçons manqués, elles ont dû intégrer les codes de l’imposée féminité, à l’instar du maquillage, des cheveux longs ou encore du vernis à ongle.

LES VRAIES FEMMES

« C’est une violence terrible de devoir se justifier sans cesse ! Prenez l’exemple du rugby. Les premières lignes doivent être costaudes et les personnes à l’arrière, plus légères, pour courir. Les filles dans les premières lignes, il faudrait qu’elles soient comme les gymnastes ou les danseuses ? C’est insensé ! On ne pense pas à la pluralité des corps et des morphologies. Il y a des morphotypes et il y a des féminités différentes. Comme il y a des jeunes, des grands, des petits, des plus âgés… Mais c’est discriminatoire car cela ne s’adresse qu’aux femmes, surtout si elles sont médiatisées. », signale la sociologue.

Un exemple frappant pour elle : Serena et Venus Williams d’un côté, Amélie Mauresmo de l’autre. Toutes les trois sont ou ont été des grandes joueuses de tennis. Toutes les trois très musclées. Les deux premières disputent leurs sets parées d’une robe ou d’une jupette et apparaissent souvent maquillées, signes de parures associées au féminin. La troisième joue les matchs sur le cour en short et débardeur. Et le grand public sait qu’elle est homosexuelle.

« Du jour au lendemain, des joueuses, comme Hingis et Davenport, ont commencé à dire, en parlant de Mauresmo, qu’elles avaient l’impression de jouer contre un homme. Vous voyez comment se font les glissements ? On a commencé à dire qu’elle n’était plus une vraie femme, et même, qu’elle serait peut-être un homme. Qu’est-ce que ça veut dire ? C’est quoi une vraie femme ? », interpelle Catherine Louveau.

Autre cas, toujours dans le tennis, celui de Marion Bartoli. En 2013, elle gagne Wimbledon. Un journaliste anglais commente son physique : la joueuse de tennis n’est pas « canon » car elle est costaude. Ce à quoi elle répondra qu’elle n’a pas rêvé de devenir mannequin mais de remporter ce tournoi. « Voilà. Point. Elles ne sont pas là pour être jolies. Ni pour faire joli. », scande la conférencière.

Elle conclut sur un bilan peu reluisant. Les salaires sont, comme dans le reste de la société, inégaux, obligeant la majorité des sportives à poursuivre un autre travail en parallèle. Idem pour les subventions, obligeant alors les équipes féminines à payer leurs déplacements pour aller disputer les matchs extérieurs. Moins de dix femmes dirigent des fédérations sportives ou entrainent des équipes de haut niveau.

Et quand on observe l’éducation des petites filles et des petits garçons, on s’aperçoit clairement que seuls ces derniers sont rapidement éduqués à la motricité – ce que déclare Nicole Abar depuis de nombreuses années - grâce aux jeux de ballons, qu’on leur envoie au pied, tandis qu’on l’enverra à la main pour les filles.

De plus, les contrôles de féminité sont toujours en vigueur avec une batterie de tests visant à confirmer que la personne - dont on doute de l’identité sexuée, en raison de sa morphologie ou de ses performances – est bien un homme ou une femme.

« Le problème, c’est que les joueuses ne râlent pas et ne dénoncent pas les injustices et discriminations. Généralement, elles ne veulent pas se revendiquer féministes car elles doivent passer leur temps à dire et prouver qu’elles sont des « vraies femmes » ! »
regrette Catherine Louveau.

Pour elle, la loi Vallaud Belkacem, datant de 2014 et obligeant les instances à la parité, doit être prise au sérieux et respectée. En imposant des quotas, les mentalités devraient changer. Et surtout, du côté des femmes qui prendront alors confiance en elles :

« Le gros problème des femmes, c’est l’estime de soi, la confiance en soi. Mais on est tout autant capables que les hommes. Les compétences n’ont pas de sexe. »

 

Mille et une films

Sur les traces de la civilisation d'Islam

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Ciné TNB, Rennes
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Le long-métrage documentaire de Bénédicte Pagnot, Islam pour mémoire, sort au cinéma le 22 mars, au ciné-TNB à Rennes. La réalisatrice rennaise nous emmène à la découverte de l’Islam et ses arts, sa poésie et son altérité.
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Présenté en avant-première le 4 décembre dernier au ciné TNB, le long-métrage documentaire de Bénédicte Pagnot, Islam pour mémoire, sort au cinéma le 22 mars. La réalisatrice rennaise nous emmène à la découverte de l’Islam et ses arts, sa poésie et son altérité.

« Vous parlez à la radio / Je vous entends sans vous écouter / Vous parlez à la radio / Je vous écoute sans vous comprendre / Vous parlez à la radio / Je vous écoute et je prends conscience de mon ignorance de l’islam et surtout de l’ignorance de mon ignorance de l’islam / Je décide de vous lire / je vous lis parfois avec difficultés souvent / Je vous lis souvent avec difficultés parfois / Je comprends que votre islam est avec un grand I / S’ouvre à moi un champ immense / Infini (…)

Je m’endors en trouvant enfin le mot juste pour vous définir dans mon film « éclaireur » / Je me réveille en entendant des nouvelles affreuses de Jérusalem / Puis j’apprends votre mort / Pendant la nuit, mon éclaireur s’est éteint ».

Ce sont les mots empreints de tendresse que Bénédicte Pagnot a écrit en novembre 2014, sur son blog, dans une lettre adressée à Abdelwahab Meddeb. L’écrivain, poète et animateur radio franco-tunisien est à l’origine du nouveau long-métrage de la réalisatrice des Lendemains (2012).

Elle, explique-t-elle au début du documentaire, est française, athée, née en 1970 et sait à propos de l’Islam ce que tout le monde sait ou presque, soit le fait d’avoir les pieds nus dans une mosquée et la tête couverte si l’on est une femme. Elle, qui s’interrogeait sur la différence entre un niqab et une burqa, sur ce que sont l’Orient et l’Occident et sur l’intérêt que Dieu aurait à semer une telle pagaille sur terre, va plonger dans un voyage en Islam, d’abord aux côtés de l’intellectuel qui la fascine et qui contait à l’époque de son vivant les Cultures d’Islam sur France Culture, réfutant l’Islam des « assassins de l’altérité ».

LA DÉCOUVERTE D'UN HOMME

Il y a 6 ans en écoutant la radio, Bénédicte Pagnot est intriguée par cet homme dont elle aime la voix et la façon de parler. Elle tend l’oreille et s’interroge. Abdelwahab Meddeb évoque les cultures d’Islam, sans parler religion. Elle se met alors à lire ses livres, compliqués à comprendre, néanmoins, elle s’y attèle avec une soif de découverte. Et finit par lui écrire un courrier lui expliquant son envie de faire un film avec lui.

« Il a téléphoné, je lui ai envoyé les films que j’avais déjà fait et il a dit ok. Je suis allée assister à un cours qu’il donnait à l’université de Nanterre, avec une classe de Licence 3, sur les Mille et une nuits. C’était impressionnant, sa classe était super métissée. On a tourné des choses dès 2011 car il allait arrêter d’enseigner. On s’est vus de temps en temps et on parlait par mail et téléphone. Puis j’ai tourné Les lendemains donc le projet a été suspendu pendant environ un an et demi avant de reprendre. », se remémore la réalisatrice.

Ainsi, en 2013, ils se rendent ensemble en Israël et en Palestine, avant de poursuivre son chemin, seule, après le décès du poète. Elle qui dans sa jeunesse n’était pas une grande voyageuse et qui gardait quelques mauvais souvenirs de certaines escapades a repris goût à l’aventure. Sans jamais préparer sa venue, au niveau des rencontres.

« Cela se faisait complètement par hasard. En me baladant, je rencontrais des gens, j’expliquais ce que je faisais et ils me faisaient découvrir des endroits ou d’autres personnes. Tout était hyper simple, bien plus que pour vendre le projet, même pour filmer, c’était plus facile qu’en France. », explique-t-elle.

Elle note que dans les pays musulmans parler de l’Islam est bien plus évident et serein que dans l’Hexagone : « Forcément, c’est leur quotidien. Ils n’imaginent pas qu’ici on est arrivés à en faire un tel problème. »

De ses rencontres, de ses voyages et des écrits et dires d’Abdelwahab Meddeb, elle pioche citations, témoignages et paysages. Pour construire un film documentaire pensé de manière composite et non linéaire.

LA DÉCOUVERTE D'UNE CIVILISATION

Pour donner à voir, sentir, saisir, proposer un avant-goût de l’étendue de la civilisation islamique. De son immensité, tout comme de sa complexité. Ce qui rend un long-métrage pas toujours aisé à suivre mais qui tend à nous intéresser à l’essence et à la vitalité de cette civilisation que l’on ignore, voire que l’on méprend en raison des nombreux amalgames et raccourcis que l’on en fait. Sans occulter les conséquences des pensées extrémistes, soi-disant au nom de la religion.

En Tunisie, en Iran, en Cisjordanie, en Espagne, aux Emirats Arabes ou encore en Israël, Bénédicte Pagnot poursuit la thèse du poète franco-tunisien, pour qui « une des façons de lutter contre l’intégrisme est de reconnaître à l’Islam ses complexités et ses apports à l’universalité.» Pour cela, « il faut en effet l’approcher comme civilisation et comme religion. »

Et poursuivre, dans une démarche collective et globale, l’étude des ouvrages exhumés qui sans cesse réinterrogent les interprétations diverses et les quelques vérités que l’on pense détenir à ce sujet.

Bénédicte Pagnot se souvient : « Abdelwahab Meddeb était pris entre espoir et fatigue à la fin de sa vie. Il voyait tout ce qui se passait, à quel point lui et plein d’autres se battaient pour souligner l’importance de l’urgence à lutter contre l’intégrisme et favoriser la prise de conscience. Il a été très optimiste lors de la Révolution tunisienne, il s’est tout de suite rendu sur place car il a trouvé ça très beau, c’était un vrai mouvement populaire. Il était super optimiste quant à la jeunesse et moi aussi, j’ai été épatée par la curiosité et l’entrain des jeunes gens rencontrés. »

Elle, qui auparavant ignorait absolument tout de la civilisation islamique, selon ses propres mots, a maintenant la nette certitude qu’il faut plus que jamais combattre nos préjugés et qu’il est fondamental de s’intéresser et d’être informé-e-s que d’autres civilisations – pas uniquement les grecs et les latins – existent et perdurent. Pour enfin accepter.

« Les ennemis ne sont pas là où on nous dit qu’ils sont. Le djihadisme se place du côté de la mort. Mais c’est une minorité qui n’a rien à voir. Sans être du genre à catégoriser les gens ou à être d’accord avec l’idée qu’il y aurait un choc des cultures et des civilisations, on en est malheureusement imprégné-e-s. Ça pénètre en nous, c’est tordu, s’exclame-t-elle. Ce que j’ai éprouvé, c’est que c’est archi faux et qu’il faut qu’on apprenne vraiment à s’écouter pour que tous les stigmates et clichés disparaissent de nos cerveaux. On est tous pareils ! C’est ridicule de dire ça comme ça, mais c’est la vérité. On a exactement les mêmes envies, les mêmes motivations humanistes. Nous sommes, en majorité, du côté de la vie. »

Voilà pourquoi dans Islam pour mémoire, poésies, musiques, citations et témoignages se mêlent aux milles paysages de cet Islam dépassionné présenté par la réalisatrice qui le replace ainsi dans son entièreté et son contexte global.

A découvrir dès le 22 mars, au Ciné-TNB à Rennes, tous les jours à 15h30 et 19h30.

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