Célian Ramis

Les voix insoumises des condamnées au silence

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Conceiçao Evaristo, auteure engagée pour les droits des femmes et la lutte contre le racisme entre autre, présente son nouveau livre, Insoumises. L’occasion d’aborder la place des afrodescendant-e-s dans la littérature brésilienne.
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Des fragments de récits personnels, elle alimente la mémoire collective africaine et à partir de la fiction, elle comble les morceaux que l’histoire nationale du Brésil a effacé par confort. Le 27 juin dernier, Conceiçao Evaristo, auteure engagée pour les droits des femmes et la lutte contre le racisme entre autre, était de passage à l’espace Ouest France de Rennes pour présenter son nouveau livre, Insoumises (traduit et publié aux éditions Anacaona). L’occasion d’aborder la place des afrodescendant-e-s dans la littérature brésilienne. 

« Les miens et moi avons survécu. Les miens et moi survivons. Depuis toujours. » / « Entretemps, elle cultive chaque jour son don : protéger et soigner la vie d’autrui. C’est un excellent médecin. Elle a choisi la pédiatrie. » / « L’air timide mais déterminé, elle me confia vouloir me raconter un fait de sa vie. Elle voulait m’offrir son corps-histoire. » /

« Je lui parlai du garçon que je portais en moi depuis toujours. Lui, en souriant, dit qu’il ne me croyait pas, et pariait que la raison de tout cela devait être une peur que je portais cachée, dans mon subconscient. Il affirma que j’aimais probablement beaucoup les hommes – simplement je ne le savais pas. Si je restais avec lui, tous les doutes que je pouvais avoir sur le sexe entre un homme et une femme seraient levés. Il m’apprendrait, me réveillerait, me ferait femme. Et il affirma avec véhémence qu’il était sûr de ma flamme, car après tout, j’étais une femme noire ! Une femme noire… »

Qu’elles s’appellent Natalina Soledad, Aramida Florença, Adelha Santana Limoneiro, Mary Benedita, Rose Dusreis, Régina Anastacia ou encore Shirley Paiwào, elles font toutes parties des Insoumises. Kidnappées, réduites en esclavage, violées, moquées, méprisées, dépossédées de leurs corps, violentées ou enragées, elles refusent de se tapir dans l’ombre et le silence en livrant leurs histoires personnelles à Conceiçao Evaristo qui met alors, de sa plume habile et poétique, en lumière et en perspective le caractère collectif de ces récits. Résiliées, dignes et battantes dans l’adversité et la souffrance. 

COMBLER LE VIDE DE L’HISTOIRE

Au départ, le livre nait d’une provocation : « Lors d’un colloque littéraire, on m’a demandé ‘Mais pourquoi les histoires de femmes noires ont toujours une fin triste ?’ et je lui ai répondu que si elle voulait voir une fin heureuse, il fallait regarder une telenovela. Malgré tout, la remarque m’a titillée. »

Depuis le début de sa carrière, Conceiçao Evaristo s’attache à délivrer ce qu’elle appelle « l’écrit-vie » dans lequel elle retrouve la mémoire collective de ce qui a été effacé par le discours colonial en y mêlant ses souvenirs personnels, la vie dans les favelas, les mythes et légendes d’Afrique.

« Les auteur-e-s Noir-e-s cherchent à avoir un contre discours pour montrer d’autres personnages. Ils/elles se réapproprient les mythes et mémoires comme espace fondateur. »
souligne-t-elle.

La littérature afrobrésilienne existe depuis longtemps en parallèle d’une littérature nationale qui n’a pas voulu intégrer des personnes racisées à ses textes après l’abolition de l’esclavage et la période coloniale. Pourtant, ce milieu s’en défend, procédant à l’éloge du métissage :

« Mais c’est un métissage qui tend vers le blanchissement. Un des personnages de la littérature brésilienne « moderne » est un Noir sans caractère qui traverse une rivière et en ressort tout blanc… »

Ainsi, la matrice culturelle africaine est exclue de l’histoire nationale, tout comme le sont les afrodescendant-e-s, chassé-e-s de l’espace urbain ainsi que des instances de pouvoir, comme le prouve encore aujourd’hui l’assassinat de Marielle Franco, conseillère municipale, Noire, lesbienne, engagée pour l’amélioration des conditions humaines.

« Nous avons perdu une partie de notre passé. Le vide historique peut être comblé par la fiction. »
commente l’auteure afrobrésilienne.

Les personnages Noirs sont souvent limités et apparaissent généralement comme stéréotypés : les hommes sont dépeints comme voleurs et/ou fainéants et les femmes comme sensuelles, dépravées et/ou douées pour les tâches ménagères. Les personnages historiques sont soit ignorés, soit méprisés. À l’instar de la puissante reine d’Afrique centrale, Njinga.

« Malgré sa réussite hors du commun et un règne de plusieurs décennies – comparable à celui de la reine Elisabeth I en Angleterre -,elle a été calomniée par ses contemporains européens et les auteurs plus tardifs, qui l’ont traitée de barbare, de sauvage incarnant ce que la femme a de pire. On l’a décrite comme une cannibale assoiffée de sang, capable de tuer les nouveau-nés et d’assassiner ses ennemis.

On lui a également reprochée d’avoir défié les normes de genre, porté des vêtements d’homme, pris la tête d’armées, entretenu un harme d’hommes mais aussi d’épouses, et ignoré les vertus féminines propres aux mères. Beaucoup plus tard, aux XVIIIe et XIXe siècle, des romanciers l’ont peinte sous les traits d’un être dégénéré, animé de désirs sexuels anormaux, s’adonnant à des orgies barbares. », indique l’historienne Linda M. Heywood dans son livre Njinga – Histoire d’une reine guerrière (1582 – 1663),préfacé par Françoise Vergès et publié fin août aux éditions La découverte.

LA PULSION DE VIE

Les œuvres de Conceiçao Evaristo sont marquées par sa condition de femme, Noire, brésilienne :

« Consciemment, je veux mettre au centre de la scène littéraire les gens Noirs. Et je veux apporter l’oralité dont j’ai hérité : l’oralité afrobrésilienne. Et apporter des vécus afrobrésiliens. Inconsciemment, je suis guidée par ma subjectivité de femme noire, issue d’une classe populaire, et cela influe sur ma manière de raconter. »

Et ainsi, elle participe à la déconstruction des idées reçues encore intégrées dans une société raciste et sexiste. Victimes du système, ses personnages vont au-delà de ce que l’on attend d’eux en tant qu’individus racisés. Au contraire, elle montre au travers des parcours de douleurs l’espoir et la résilience. Et s’intéresse particulièrement à la manière dont ils se reconstruisent et la détermination à vivre.

« Il y a une pulsion de vie qui les pousse à se battre de manière positive. Tous les peuples colonisés ont une pulsion de vie. Elle a commencé sur les bateaux négriers. Sinon, ils meurent pendant les traversées. C’est un principe de la culture africaine : plus la personne se livre à sa douleur, plus elle va faiblir car elle va perdre le contact avec les forces positives.

On retrouve donc ce processus dans l’esclavage : quand ils étaient battus, les esclaves riaient ou chantaient. Les colonisateurs disaient alors que les esclaves n’avaient pas d’âmes parce qu’ils ne ressentaient rien. La fête, on peut la comprendre comme un signe de résistance. », analyse l’auteure qui avoue également qu’écrire fait mal :

«Moi aussi je souffre dans la construction de ces personnages. Car soit ils sont proches de moi, soit ils sont proches des gens qui me sont proches. Écrire, c’est aussi une manière de saigner. »

Sans oublier que la littérature est un moyen de faire résonner la voix des condamnées au silence.

Célian Ramis

Sortir de l'ombre le tabou du corps et de la sexualité

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Dans le documentaire, Clito va bien, nous sommes en juillet 1979 et une quinzaine d’activistes a choisi de briser les tabous qui régissent alors la société et particulièrement la vie des femmes.
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« Pourquoi est-ce fou en 2018 de montrer un sexe féminin, avec des poils en plus ? », interroge Justine Caurant, militante féministe. Aux côtés de Marie Lintanf, bénévole au Planning Familial 35, elle anime un temps d’échanges avec le public, à la suite de la projection de Clito va bien, court-métrage réalisé par le groupe Femmes de Quimper en 1979, diffusé le 8 juin dernier au cinéma Le Triskel, à Betton, lors du Festival du Film de l’Ouest, organisé par Courts en Betton. 

« J’ai très bien vécu la ménopause. Ma vie sexuelle ne s’en est pas trouvé modifiée. Mais des déséquilibres existent, les ovaires vieillissent. C’est un problème de société : la femme qui ne peut plus procréer. Elle n’est plus baisable, plus consommable. Mais ça peut être un âge formidable ! (…) On ne veut plus jouer le rôle que la société veut nous faire jouer. »

C’est ainsi que commence le film documentaire, Clito va bien, réalisé par le groupe Femmes de Quimper, avec l’aide du Planning Familial 29. Nous sommes en juillet 1979 et une quinzaine d’activistes a choisi de briser les tabous qui régissent alors la société et particulièrement la vie des femmes.

Elles se mettent à nue, au sens propre et au sens figuré, et livrent leurs rapports au corps. Un corps souvent déshumanisé par la médecine de l’époque. Les femmes se confrontent souvent aux « C’est rien », « C’est dans la tête », « Ce n’est pas grave », en parlant de leurs menstruations et des douleurs qui peuvent les accompagner. Ou lors d’une grossesse :  

« Mon premier accouchement ne s’est pas bien passé du tout. À 6 mois, j’ai eu des douleurs et le médecin m’a dit « Ce n’est rien, ce n’est pas grave ». J’ai accouché deux jours plus tard d’un prématuré de 6 mois qui est mort 2h après. » 

Elles veulent connaître leur corps, explorer par elles-mêmes les tissus, membranes, cavités qui le composent, apprendre les gestes à faire pour en prendre soin. Parce que le corps médical « ne tient jamais compte de nos propres désirs », les militantes revendiquent leur droit de « choisir ce dont nous avons besoin nous-mêmes ».

L’auto-examen – seins et sexe - représente alors la réappropriation du corps et des savoirs ainsi qu’une manière de changer le rapport patiente/médecin, vers une relation plus égalitaire.

« À l’école, on apprend la digestion, l’ouïe, la vue, la reproduction mais pas tellement le reste. On peut facilement mettre les doigts dans son nez mais les doigts dans son vagin, c’est pas si évident. », souligne une des femmes, qui explique ensuite comment introduire un speculum dans son propre vagin dans l’optique de découvrir et d’observer son col de l’utérus et ses muqueuses, à l’aide d’un miroir et d’une lampe torche. 

AU-DELÀ DES TABOUS

Dans la veine des luttes féministes des années 70, les militantes s’organisent pour conquérir des droits face aux institutions et aux professionnels de la santé. Plus largement, elles combattent pour leur liberté et leur émancipation face aux assignations genrées et imposées par la société patriarcale. Reprendre en main leur corps pour jouir d’un rapport plus égalitaire, oui, mais aussi pour jouir tout court :

« J’ai essayé d’atteindre l’orgasme par la masturbation mais je n’arrive pas à dépasser la culpabilité. »

Elles sont conditionnées et culpabilisées dès la petite enfance. La sexualité sert à la procréation, non au plaisir. « On n’a pas de plaisir, on fait semblant. La première fois, c’est un cap à passer. Tant mieux si le type est sympa et qu’il te respecte. C’est rarement l’extase, souvent douloureux. Tu es préoccupée par l’image de toi que tu montres plutôt que par ton propre plaisir. », commente une femme, précisant également qu’en plus il n’existe qu’une manière de faire l’amour :

« L’homme sur la femme. L’homme pénètre la femme. » Certaines n’avaient jamais entendu parler de la masturbation, jamais entendu parler du clitoris. Elles ont appris, seules, à expérimenter l’organe du plaisir :

« Un jour, j’ai essayé, je suis allée jusqu’au bout et c’était bien. On est plus autonome que par rapport au partenaire éventuel. »

40 ANS PLUS TARD…

Et aujourd’hui, où en sommes-nous ? Entend-on encore qu’avoir mal avant et pendant les règles, c’est normal ? Parle-t-on librement des menstruations ? de la ménopause ? de l’accouchement ? de l’avortement ? de la masturbation ?

« Dans les années 70, ces groupes informels, non mixtes, qu’étaient les groupes Femmes – qui n’existent plus – étaient des espaces d’éveil de la conscience féministe. Ce sont des questions encore très actuelles qu’elles posent dans le film. C’est intéressant la lucidité de ces femmes face au manque d’informations dont elles souffrent, aux besoins qu’elles ont, quant au blocage autour de la nudité, qu’elles dépassent pour le documentaire… Aujourd’hui, où sont ces espaces de paroles ? Ils sont très rares et pourtant il y a de vrais besoins. », regrette la militante rennaise Justine Caurant.

En témoignent les personnes présentes lors de la projection, qui prennent la parole pour exprimer un sentiment de dépossession de son propre corps par le corps médical :

« 40 ans plus tard, on est toujours au même endroit. À nous d’aller chercher les infos, tout le temps, et parfois, il faut aller chercher très loin ! C’est très intéressant de voir ça et très troublant en même temps. »

Pour Marie Lintanf, membre du Planning Familial 35, c’est une agréable surprise de découvrir ce court-métrage d’une trentaine de minutes qui attaque directement par le sujet de la ménopause. « On n’en parle pas actuellement, même dans les milieux féministes. Et là, elles commencent par ça ! », s’enthousiasme-t-elle, ravie de voir qu’elles osent également filmer un accouchement « ce qui ne se ferait plus aujourd’hui et que je n’avais jamais vu avant, même dans le film Regarde, elle a les yeux grands ouverts (1980), où on voit un avortement. »

Les deux militantes féministes s’accordent et attirent l’attention du public sur les dangers d’un manque d’éducation à la vie sexuelle et affective, dont les formations sont rendues facultatives dans les établissements scolaires, malgré la loi de 2001. 

Si la discussion est (trop) rapidement interrompue pour laisser place à une autre projection, elle est impactante de par sa mise en perspective de 40 ans d’évolution faussement positive. Car si on montre dans les médias et les arts une sexualité de plus en plus libérée, on n’autorise de moins en moins la création d’espaces collectifs permettant aux individus, et particulièrement aux femmes, de briser les tabous qui les encombrent viscéralement.

Célian Ramis

Plaisirs après 60 ans, oh que oui !

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La sexualité des séniors n’est désormais plus un sujet tabou... Une aussi grosse intox que lorsque David Pujadas, en mars 2017, annonce au JT de France 2 que le patriarcat n’existe plus depuis la fin des années 60…
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La sexualité des séniors n’est désormais plus un sujet tabou, nous informe le magazine Notre temps. Une aussi grosse intox que lorsque David Pujadas, en mars 2017, annonce au JT de France 2 que le patriarcat n’existe plus depuis la fin des années 60…

« Il existe peu d’études sur la sexualité des plus de 69 ans. Pourtant, elle est toujours présente. 70% des plus de 70 ans ont une sexualité active. », déclare Aude Théaudin, gériatre au Centre de prévention Bien Vieillir AGIRC ARRCO de Rennes. Le 11 juillet dernier, elle y animait une conférence autour de la thématique « Continence et sexualité des séniors ».

Aujourd’hui encore, la représentation de la vieillesse – notamment pour les femmes -, associée à de rapports sexuels épanouis, a tendance à gêner, voire à dégouter. Mona Chollet, journaliste et auteure, le souligne dans Sorcières, la puissance des femmes invaincues :

« En 2006, Thérèse Clerc, qui était bisexuelle, a tourné dans le (merveilleux) film de Jean-Luc Raynaud L’Art de vieillir. « Ce sont des histoires nobles de cul, expliquait-elle avec malice trois ans plus tard. Nous l’avons diffusé la semaine dernière à des jeunes du lycée : ils sont restés comme assommés. Je leur ai dit : ‘’Écoutez, les enfants, cela vous dérange à ce point ?’’ Il faut croire, on n’a rien pu en tirer. En revanche, les vieux sont assez contents… » Dans une séquence du film de Camille Ducellier Sorcières, mes sœurs, la même Thérèse Clerc se masturbe devant la caméra. C’était en 2010 ; elle était alors âgée de quatre-vingt trois ans. »

Passée la ménopause et ainsi la capacité à se reproduire, la société renvoie l’idée que les femmes sont inutiles. Mais on peut y voir également une libération dans la sexualité due, en partie, à la disparition du risque de grossesse.

« L’érotisme se modifie, les pratiques aussi. Tout dépend de la manière dont on voit sa sexualité »
signale Aude Théaudin.

Des conséquences découlent du tabou et du manque d’information. La ménopause peut entrainer des carences en œstrogène et de la sécheresses vaginale qui modifient la lubrification du sexe et irritent l’organe génital. L’andropause peut entrainer une baisse de testostérone et de libido, sans négliger la modification de la perception de la montée de l’éjaculation.

Ne pas savoir que ces changements ne sont pas une fatalité favorise l’anxiété, la mésestime de soi et la dépression. « On peut en parler avec l’Association pour le Développement de l’Information et de la Recherche sur la Sexualité, ou avec des psychologues et des sexologues. », conclut la gériatre qui précise :

« On évolue et la société doit évoluer par rapport à ça. »

 

 

 

 

Célian Ramis

"Ouvrir la voix" : pour l'émancipation des femmes noires

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Cinéma Arvor, Rennes
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La réalisatrice Amandine Gay donne la parole à 24 afrodescendantes, françaises et belges, dans son film "Ouvrir la voix", diffusé à l'Arvor, lors d’une séance unique organisée par SOS Homophobie Bretagne, le 17 mai dernier.
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Elles sont femmes, noires, lesbiennes, hétéréos, pansexuelles, cis, trans, croyantes ou non, artistes, scientifiques… Mais comment construire son identité lorsque l’on est constamment ramenée à sa couleur de peau et aux clichés qui y sont associés ? Lorsque la norme est définie par les personnes blanches, invisibilisant et discriminant ainsi les personnes racisées ? La réalisatrice Amandine Gay donne la parole à 24 afrodescendantes, françaises et belges, dans son film Ouvrir la voix, diffusé au cinéma Arvor, lors d’une séance unique organisée par la délégation bretonne SOS Homophobie, le 17 mai dernier, dans le cadre du festival Rennes au pluriel.

« Bienvenue dans ce monde où il va falloir lutter ». Ce monde, c’est celui d’une petite fille de 3 ans à qui on dit « Je ne veux pas jouer avec toi, tu es noire ». Celui d’une adolescente qui s’entend dire « C’est fou comme tu parles bien français ». Celui d’une jeune femme qui découvre ‘Les mains au chocolat’, en référence aux mains coupées au Congo lors de la colonisation belge, et les ‘gâteaux Bamboula’, « c’est pas très welcome friendly ». Sans parler de la pâtisserie nommée ‘Tête-de-nègre’… Celui d’une femme que l’on associe au mouvement terroriste Boko Haram.

Pourquoi ? Parce qu’elles sont noires. Et parce qu’elles sont noires, elles vont subir toute leur vie divers interrogatoires, les obligeant à se justifier de leurs origines, n’ayant soi-disant pas les caractéristiques physiques des Françaises ou des Belges :

« On te demande d’où tu viens, tu réponds que tu viens de Gaillac et là, on te dit ‘Non mais vraiment tu viens d’où ?’… »

Et parce qu’elles sont noires, elles vont devoir s’appliquer davantage à l’école, où elles iront avec la peur que l’on se moque d’elles : « J’avais toujours peur d’être jugée par des Blancs. Fallait être nickel. Pour casser l’image ‘les Noir-e-s sont sales’. » / « Tu dois dealer entre l’image que l’on se fait du Noir et toi qui est une personne entière et pas juste ‘la Noire’. »

Comment grandir, évoluer et se construire quand on nait dans l’Hexagone avec la peau noire ? Quand on nous apprend rapidement à « ne pas faire de vague », « être invisible pour passer à travers les mailles du filet » ? Quand on nous renvoie sans cesse que « l’on ne sera jamais assez Françaises pour les Français » ?

MAUVAISES REPRÉSENTATIONS

Absentes des représentations et des modèles, les personnes racisées subissent de nombreuses discriminations et injonctions. L’actualité le prouve régulièrement avec l’assimilation « délinquance, agressions, harcèlement de rue, violences sexuelles » et étrangers.

Récemment, l’affaire Naomi Musenga – jeune femme de 22 ans décédée le 29 décembre, après avoir subi les moqueries d’une opératrice du Samu de Strasbourg qui ne prend pas au sérieux son appel au secours - (re)fait la lumière sur le ‘syndrome méditerranéen’, préjugé raciste visant à penser que les personnes originaires (et celles que l’on pense, en raison de leur couleur de peau, originaires) des pays méditerranéens expriment plus bruyamment leurs douleurs que les autres.

Impossible de nier le racisme systémique. Impossible également de ne pas constater une discrimination spécifique qui s’intensifie lorsque la personne est une femme, noire, lesbienne, musulmane, grosse…

« On ne peut pas séparer le fait d’être une femme et d’être noire. »
insiste Amandine Gay, réalisatrice afroféministe.

À l’Arvor, elle est fière de voir que la séance unique du 17 mai affiche complet. Parce qu’elle a bataillé, avec l’aide de la délégation bretonne SOS Homophobie, pour que le film arrive jusqu’à Rennes. Pour que Ouvrir la voix soit diffusé sur les écrans. Qu’il voit le jour tout simplement.

Et si son documentaire, auto-produit, est sorti au cinéma en octobre dernier, c’est uniquement de par sa volonté et sa détermination. Mais son propos n’est pas celui-là. Comédienne à Paris plusieurs années durant, elle observe que les rôles proposés sont largement stéréotypés : prostituée, sans-papiers, droguée, jeune de banlieue…

Elle passe à la réalisation et travaille sur un projet dans lequel un des personnages est une sommelière noire et lesbienne. On lui répond alors qu’une personne comme celle-là n’existe pas en France.

RENDRE VISIBLE L’EXISTANT

Être noire n’est pas un métier. Sur le tapis rouge du festival de Cannes, c’est ce que rappellent les 16 actrices, co-auteures du livre Noire n’est pas mon métier, publié début mai. Amandine Gay – comme, entre autres, Aïssa Maïga, Eye Haïdara, Firmine Richard, Sonia Rolland ou encore Nadège Beausson-Diagne – refuse à juste titre le statut de « Noire de service ».

Elle quitte la France et s’installe au Québec, là où va murir l’idée du projet Ouvrir la voix pour lequel elle va recevoir plus de 60 réponses positives pour témoigner.

« J’ai fait un appel sur les réseaux sociaux. Il y avait des femmes qui me répondaient de la Réunion, de la Guyane, de la Martinique et de la Guadeloupe mais il fallait qu’elles puissent se rendre à Paris pour les entretiens. Et il fallait évidemment qu’elles adhèrent avec ma narration et la douzaine de grandes thématiques abordées. », explique la réalisatrice, qui prend le parti de filmer en gros plan les visages des concernées.

Pour montrer qu’elles existent bel et bien : « Il faut nommer pour exister. Qu’est-ce qui se passe quand on ne dit pas le mot « noir » ? On dit « black »… D’où vient le malaise ? Même quand on traduit un film de l’anglais vers le français, on laisse le terme « Black ». Ça me fascine cette question du langage. Comme quand on dit « contrôle au faciès ». Ce n’est pas un contrôle au faciès quand on arrête majoritairement des arabes et des noir-e-s (les hommes noirs sont contrôlés 6 à 8 fois plus que les autres). C’est du profilage racial. En n’utilisant pas les bons mots, on invisibilise les discriminations et on refuse d’affronter notre Histoire. Pourtant, il faut comprendre ce qui se cache derrière les termes parce qu’il y a une question de construction sociale. Qu’est-ce que ça veut dire être noir ? Qu’est-ce que ça veut dire être blanc ? »

Dans le film, elles viennent de milieux différents, de professions différentes, de villes différentes et pourtant, elles ont toutes réalisé qu’elles étaient noires par la force des choses. Parce qu’on leur a fait sentir qu’elles n’étaient pas comme les autres. On leur a touché les cheveux sans demander leur accord, on leur reproche leur communautarisme dès qu’elles trainent avec d’autres personnes noires – sans que jamais ne soit fait le même reproche aux groupes réunissant exclusivement des personnes blanches – ou encore on leur a dit dès la puberté qu’elles étaient des tigresses, des sauvages au lit.

« On projette des choses sur toi dont tu n’es pas consciente. À aucun moment, on te rencontre toi. », regrette l’une des participantes, tandis qu’une autre dénonce également que cette injonction à correspondre aux clichés « nuit à ton développement personnel de femme », dans la sexualité, la personnalité, le parcours scolaire et professionnel.

LES VOIX D’AUTRES VISAGES

Elles ne sont pas des objets d’une époque coloniale dans laquelle la France patauge encore. Vingt-quatre visages et voix, auxquels s’ajoute celle d’Amandine Gay, clament haut et fort leur droit à exister pleinement, à exprimer qui elles sont vraiment. Au-delà des amalgames et du silence dans lequel on souhaite les enfermer par confort et privilège. Au plus profond d’elles-mêmes.

Sexisme, racisme, LGBTIphobies… Ouvrir la voix s’inscrit dans les luttes intersectionnelles, dénonçant les mécanismes croisés de domination et d’oppression dont souffrent les femmes noires et soulève la question de la mémoire face à l’Histoire :

« L’afroféminisme n’est pas récent. Il y a eu dans l’Histoire des organisations de femmes. Mais qui a entretenu les mémoires de ces histoires ? Les femmes noires se sont mobilisées, se sont syndiquées. Des femmes noires ont lutté pour sortir de leur condition. Qui connaît Paulette Nardal ? Où sont nos livres ? Où sont nos films ? Aujourd’hui, à nouveau, il y a une floraison de prise de paroles, sur le cinéma, la littérature, la parentalité, le lesbianisme.

On peut s’exprimer ! Depuis le début de ce projet en 2015, je souhaite donner la parole aux afrodescendantes, dans un bar, au cours d’une table ronde, ouvrir cela au public, documenter le travail, faire un blog pour laisser des traces et filmer les conférences pour les rendre accessibles au plus grand nombre. On se bat énormément pour offrir le meilleur aux générations futures. »

Célian Ramis

Le sexisme, dans l’exercice des fonctions des journalistes politique

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Eugénie Saitta et Béatrice Damian-Gaillard, chercheuses au laboratoire Arènes de Rennes 1, enquêtent sur la prise de parole publique des femmes journalistes dénonçant le sexisme des représentants politiques.
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En 2003, Eugénie Saitta et Béatrice Damian-Gaillard, chercheuses au laboratoire Arènes de Rennes 1, ont enquêté sur la féminisation du journalisme politique, en presse quotidienne nationale. Les journalistes parlent de sexisme ordinaire, en off mais pas dans les colonnes. Dix ans plus tard, une tribune est publiée dans Libération à ce sujet. Les deux chercheuses s’interrogent sur cette prise de parole et mènent alors une nouvelle enquête, en cours.

Quel a été l’élément déclencheur de votre travail ?

Béatrice : On avait fait un travail avec Eugénie entre 2003 et 2005, sur la féminisation du journalisme politique, en presse quotidienne nationale.

Eugénie : Plus récemment, l’élément déclencheur, c’est la tribune des femmes journalistes politiques victimes de sexisme, même si l’intitulé varie légèrement entre le site web de Libération et la Une du journal et les pages du dossier. C’est une tribune publiée en mai 2015.

Béatrice : Ce qui nous intéressait, c’était de voir que quand on a fait l’enquête de 2003-2005, on avait des discours en off des journalistes rencontrées. On a voulu savoir pourquoi ça se disait publiquement, sur l’espace public en 2015. On avait envie de retracer ça aussi.

Eugénie : D’un point de vue plus scientifique, il se trouve aussi que dans le cadre de notre laboratoire de recherches, il y a ce que l’on appelle un chantier de travail. C’est un chantier de réflexion sur les usages ordinaires du genre.

Comment est-ce que des gens qui ne sont pas militants vont se saisir du genre pour expliquer leur quotidien et par exemple les interactions dans le cadre du travail, comme par exemple ces journalistes politiques pour expliquer, qualifier les difficultés qu’elles ont avec leurs sources principales d’information que sont les élus, les représentants politiques.

Au moment où la tribune paraît, nous, on est en réflexion dans le cadre de ce chantier scientifique dans notre laboratoire et on se saisit de cet objet pour mener cette réflexion qui est collective et qui est appliquée par d’autres chercheurs dans d’autres domaines sociaux.

Comment avez-vous procédé pour cette enquête ?

Béatrice : Déjà il y a un travail en amont qui est de se documenter. On fait des recherches universitaires, scientifiques, pour voir s’il y a des travaux qui touchent à ces questions-là et il y en a, donc on les lit, même si ce n’est pas directement sur le journalisme. Pour définir les notions, qu’est-ce que c’est que le sexisme, ça se définit par rapport à quoi, les définitions du harcèlement, etc.

On fait aussi un corpus sur qu’est-ce qui se dit dans les médias. Et à partir de là, on précise un peu plus ce sur quoi on veut travailler. Et quand on a précisé ça, on définit qui on veut enquêter. Il y avait déjà quelque chose qui nous semblait nécessaire, c’était de contacter celles et ceux qui avaient pris part à la tribune.

Après, pour contacter les journalistes, on utilise des réseaux, sur leur compte Twitter par exemple. Moi, je travaille dans une formation Journalisme reconnue donc je côtoie des journalistes, on peut avoir des contacts directs avec les numéros de téléphone, on envoie des mails, on appelle.

Eugénie : Béatrice parlait de l’enquête préalable sur la féminisation du journalisme politique. Parmi les connaissances  accumulées, c’est le fonctionnement de cette spécialité journalistique. On avait déjà une somme de connaissances sur cette spécialité qui a des spécificités.

Et puis on a pu constater, lors des entretiens, des évolutions dans la pratique de cette spécialité journalistique. Ça fait partie un peu du socle de connaissances et de la préparation en amont de notre travail.

Béatrice : Et une connaissance aussi de la transformation des médias et de la place du journalisme politique dans les médias. Quand on a fait notre enquête, la place du journaliste politique était importante pour la presse écrite notamment mais la cartographie des médias du début des années 2000 n’est plus la même que celle de 2017/2018. Et la place du journalisme politique non plus.

Donc on a intégré cette cartographie, comment ça a transformé la spécialité du journalisme politique. Comment ça se caractérise ? Les journalistes qui sont aujourd’hui dans les médias n’ont pas les mêmes parcours ou les mêmes profils que les journalistes politiques que l’on rencontrait dans les années 2003. Y compris dans des médias dits sérieux.

Eugénie : Moi, j’avais fait ma thèse sur les transformations du journalisme politique des années 80 jusqu’à 2006 à peu près. Et ce qu’on voyait s’amorcer, c’était une baisse de prestige de cette spécialité. Et ce phénomène s’est confirmé sur ce qu’on a analysé et à travers les entretiens.

On a une spécialité journalistique qui est historiquement une spécialité noble du journalisme, un bastion masculin également, et la féminisation de cette spécialité, elle, peut être interprétée comme un indice de la baisse de prestige de cette profession.

Attention, ça ne veut pas dire que ce sont les femmes qui vont être responsables ou faire baisser le niveau de la spécialité. C’est dans le sens : c’est parce qu’elle perd en prestige qu’elle s’ouvre aux femmes. C’est bien dans ce sens-là qu’il faut l’interpréter.

Béatrice : On le voyait aussi dans les formations en journalisme : dans ceux qui candidatent aujourd’hui aux formations en journalisme, rares sont ceux qui disent « je veux être journaliste politique ». Au fur et à mesure qu’on voyait monter les « je veux être journaliste sportif », on voyait baisser les « je veux être journaliste politique ». Il y a une baisse claire.

Eugénie : Oui, les trajectoires, les profils, ont beaucoup changé. On avait des gens qui affirmaient tous leur intérêt pour la politique. On avait dans les rédactions des gens qui étaient en poste depuis longtemps et pour qui c’était une fin en soi d’arriver au service politique.

Aujourd’hui, dans nos enquêté-e-s, on n’est pas sur les mêmes récits de leur trajectoire professionnelle. Il y en a pas mal qui sont arrivé-e-s par hasard ou à reculons même, ou sans rien y connaître à la politique. Ce sont des éléments qui traduisent une évolution de la place de cette spécialité dans la hiérarchie professionnelle.

Béatrice : Ce n’est pas une finalité. Certains passent là mais ça ne veut pas dire qu’ils feront toute leur carrière là. Même la manière d’aborder l’information politique. C’est une information qu’ils ne pensent pas forcément comme spécifique. Ils la traitent comme ils traiteraient d’autres thématiques.

Eugénie : Je pense aussi, même si on ne l’a pas démontré entièrement, qu’objectivement ça ouvre aussi moins les portes d’une mobilité interne. Autant à une époque, passer par le service politique permettait de monter une marche pour accéder aux fonctions de direction dans les journaux. Aujourd’hui, beaucoup moins.

Cette évolution dans la spécialité, est-ce qu’elle se retrouve dans les rapports entre les journalistes politiques et les hommes ou femmes politiques ? On sait que ce sont des rapports de proximité, est-ce que ça, ça évolue ?

Eugénie : Il y a des choses qui restent identiques. On peut toujours affirmer qu’il y a des rapports de proximité forts. Si l’idée, c’est de raconter les coulisses de la politique et de faire du décryptage de la politique, il faut être au courant des coulisses et ça, ça nécessite une proximité aux sources.

Ça n’a pas évolué ce côté à la fois proximité et à la fois ce côté dépendance mutuelle. Puisque les journalistes ont besoin de leurs sources et en même temps les représentants politiques ont besoin d’un capital médiatique.

Après, ça dépend de qui est le journaliste et de qui est l’élu dont on parle. Est-ce que le ou la journaliste occupe une position incontournable dans le champ médiatique ? Est-ce que l’élu politique lui-même occupe une position incontournable ?

Béatrice : Est-ce qu’il est une source rare pour les journalistes ou pas ? Est-ce qu’il occupe une position qui fait qu’il y a peu d’autres interlocuteurs possibles ? Ou est-ce qu’il occupe une fonction où il y a d’autres interlocuteurs possibles et donc le journaliste peut faire sans cette personne ? Il y a plein de variables qui jouent.

Eugénie : Après, ce que l’on a remarqué, on ne l’a pas chiffré, mais il y a une multiplication des médias, il y a une multiplication de journalistes politiques et donc il y a des formes de rationalisation du travail. Il y a de la co-organisation du travail entre les sources et les journalistes.

Ce que je n’avais pas observé au moment de ma thèse, c’est ce qu’ils appellent des déjeuners politiques. Des journalistes se regroupent pour parler à une source d’un certain niveau – par exemple avec les ministres, c’est quasi impossible maintenant d’avoir des rendez-vous en tête-à-tête, sauf peut-être avec les journalistes politiques d’une autre génération – et à la fois l’élu maximise sa politique de communication et à la fois les journalistes accèdent à quelqu’un auquel ils n’auraient pas forcément accès. La concurrence a augmenté. Il y a plus d’interlocuteurs, il y a plus de médias.

Béatrice : Ces déjeuners sont aussi l’occasion pour les journalistes femmes d’adapter leur stratégie. Quand elles ont à faire à des interlocuteurs qu’elles savent compliqués à gérer du point de vue de la relation genrée, le collectif du déjeuner peut être un élément sur lequel s’appuyer pour gérer cette difficulté.

Une journaliste nous disait qu’elle a une source avec qui c’est un peu compliqué. Il est très demandeur de rendez-vous, elle n’a pas forcément besoin de le voir aussi souvent qu’il le souhaiterait ou aussi souvent qu’elle le voit en terme d’information mais elle a besoin d’entretenir cette source. Elle se met d’accord avec une autre collègue qui fait partie du groupe de déjeuner pour y aller ensemble et définir une heure de sortie.

Les journalistes mettent en place des tactiques de manière générale, homme ou femme, mais pour la question qui nous préoccupe aussi. Ce que l’on a observé aussi c’est l’usage des réseaux sociaux. C’est très intéressant aussi bien au niveau des journalistes que des représentants politiques.

C’est une manière de recadrer la relation à travers un autre espace, qui n’est pas l’espace du journal en tant que tel. Et qui est surtout observé par le microcosme des journalistes et des politiques et c’est un moyen de réguler les choses.

Une attitude qui ne convient pas, une attitude que l’on ne va pas pouvoir dénoncer dans le journal mais que l’on va pouvoir relater dans un tweet. Il y a des journalistes qui ont une grande maitrise des réseaux sociaux et de leurs codes et qui peuvent tout à fait s’emparer de ça pour réguler la relation avec le politique.

Eugénie : Alors là toujours pareil, c’est possible mais pas pour n’importe quel-le journaliste. Il faut déjà avoir un contrat stable, dans un média reconnu, considéré comme un interlocuteur incontournable par les représentants politiques et qui va avoir, et ça c’est important, l’appui de sa rédaction ou en tout cas qui ne subit pas au sein de sa rédaction de réprobation. C’est ce que l’on appelle les rédactions friendly.

Mais y a-t-il beaucoup de rédactions soutenant les femmes journalistes dans des cas de harcèlement ?

Eugénie : Disons que toutes les femmes qui ont signé de leur nom la tribune sont dans des rédactions qui a priori sont soit au mieux friendly, soit au pire indifférentes. Mais parmi celles qui ont signé de façon anonyme (pour le nom de la journaliste et le nom du média), on nous a expliqué qu’il y avait des cas où - en conférence de rédaction – les journalistes ont subi des commentaires du type « j’espère que vous n’avez pas participé à la tribune ».

Béatrice : L’anonymat dit des choses sur la question de la précarité du métier et des difficultés de s’exprimer quand on est précaire. Et quand bien même on ne l’est pas, la question des conditions managériales font que c’est plus compliqué pour certaines personnes, surtout dans certains médias.

Eugénie : La tribune dénonce le sexisme des hommes politiques mais, encastrées dans ce problème-là, il y a aussi les questions de rapport de pouvoir genré au sein des rédactions. Ça aussi ça peut empêcher les femmes concernées de prendre publiquement la parole.

C’est quelque chose qui nous avait interpellé dans la tribune, le fait que des journalistes parlent de la cuisine de la fabrication du journalisme. C’est quelque chose qui n’est pas propre au journalisme français.

On peut aussi se dire que cette prise de parole publique peut avoir un coût professionnel. On l’a dit tout à l’heure, l’idée c’est d’entretenir la proximité. Tout le monde dans ce milieu parle de proximité, de confiance, de proximité intellectuelle ou autre, en tout cas de la nécessité d’avoir ce rapport avec ses sources.

Alors aller dénoncer les élus en plus avec l’idée que ce ne sont pas quelques brebis galeuses mais que c’est quand même un problème structurel du champ politique, ça peut être couteux professionnellement.

Béatrice : Et en même temps, il y a autre chose qui nous intéresse. Cette spécificité de la proximité entre les journalistes et les acteurs sur lesquels ils enquêtent se trouve dans le journalisme politique d’accord. Mais c’est pareil pour le sport. C’est beaucoup de déplacements ensemble, beaucoup de proximité, beaucoup d’interconnaissances et parfois de non séparation de la vie professionnelle et de la vie privée.

Aujourd’hui la communication et la professionnalisation du sport font que, pour accéder aux athlètes, il faut construire des liens de confiance sur la durée. Surtout qu’avec les réseaux sociaux et la production - par les clubs eux-mêmes et les athlètes eux-mêmes - de leurs propres médias, font que les médias traditionnels sont aussi fragilisés dans cette relation.

Alors qu’il y a aussi des questions de rapport de genre, de sexisme avéré, comment se fait-il que ça ne sorte pas du côté des journalistes sportifs ? Une hypothèse que l’on peut faire, c’est que c’est encore peu féminisé. C’est une profession très peu féminisée, alors que le journalisme politique s’est féminisé.

Mais c’est intéressant de voir ce qui fait que, même si c’est couteux et qu’il y a des risques, que c’est possible de le dire maintenant ? Qu’est-ce qui a changé dans la profession elle-même, dans les médias, dans l’espace public, dans l’espace politique ? Qu’est-ce qui a rendu possible cette parole ? Qu’est-ce qu’elle englobe comme contraintes et comme coûts potentiels ? Dans d’autres domaines, la parole n’émerge pas.

Est-ce du coup il n’y a pas eu plus d’affaires du côté politique, avec l’affaire DSK, l’affaire Baupin… ? Dans le sport, on n’a pas encore mis en lumière ce rapport avec les journalistes…

Béatrice : Il y a pourtant plein d’affaires avec les footballeurs.

Avec les femmes journalistes ?

Béatrice : Non, pas avec les femmes journalistes mais avec le recours à la prostitution, c’est quand même un marronnier dans les médias : le rapport à la sexualité des athlètes. Ça, on en parle de plus en plus dans nos analyses mais il y a aussi un contexte législatif, une mise à l’agenda politique des questions de parité, le changement des lois, le recours à des politiques publiques, pour accompagner et favoriser l’émergence de ces questions-là.

Eugénie : Oui et puis ça légitime dans l’espace public le thème plus général de l’égalité hommes-femmes. Le thème du harcèlement sexuel, la dénonciation du harcèlement sexuel, l’égalité professionnelle…

Ce contexte rend plus facile l’émergence de cette parole publique. Au sein des entreprises, on voit aussi naitre des injonctions à la parité, à la diversité, à des services spécifiques. En tout cas, ça légitime certains thèmes dans l’espace public et professionnel et ça doit quelque part favoriser ou faciliter ce genre de prise de paroles.

Béatrice : On voit bien que ça favorise certaines prises de paroles, dans certains espaces et c’est ça qui est intéressant à analyser.

Eugénie : Après il y a aussi une évolution de la couverture médiatique et la question de l’intimité de la vie politique. Vous citiez tout à l’heure le scandale DSK ou l’affaire Baupin (celle-là est après la tribune).

La façon dont les journalistes vont se saisir et publiciser les affaires, dont les scandales politico-sexuels, les adultères des élus des hautes sphères de la vie politique, etc. fait penser que la tribune de 2015 s’intègre à cette évolution des frontières de ce que l’on peut dire de la vie privée des élus politiques.

Au moment de l’affaire DSK, ça a été compliqué dans les médias de parler d’enquête pour viol ou de dénonciation de viol, ce n’était pas évident. Aujourd’hui, c’est plus simple de parler aussi des pratiques sexuelles licites ou non illicites des élus.

Le traitement de l’affaire DSK a subi plusieurs phases et le 2e scandale avec l’affaire du Carlton de Lille, on n’est plus vraiment sur des comportements illicites publicisés par les médias mais sur des pratiques sexuelles déviantes, hors-normes, pas à la hauteur d’un homme politique de premier rang mais pour autant ce n’était pas condamnable par la loi à cette époque. La loi a changé depuis. Ça s’inscrit dans des éléments de contexte plus large, règlementaire.

Béatrice : Et puis c’est lié aussi à la façon de communiquer des politiques. Ce ne sont pas seulement les médias qui ont impulsé ça. L’évolution de traitement par exemple par Paris Match des politiques avec les portraits de famille, cette mise en scène de la vie privée… ça a abaissé des modes de fonctionnement qui étaient informels mais qui faisaient que l’on ne touchait pas à ci ou ça.

On voit très bien la différence entre la manière dont Mitterand ou Chirac géraient leurs vies privées et Nicolas Sarkozy, Ségolène Royal ou François Hollande. Il s’est passé des choses qui font que la communication politique a changé. La manière dont les acteurs politiques ont eux-même orchestré, mis en scène, leurs vies privées… Pas tous non plus mais refuser c’est aussi montrer que d’autres le font autrement. C’est se démarquer.

Est-ce que dans ce qui peut expliquer cette prise de paroles, il y a certes la féminisation du métier de journaliste politique, mais aussi la féminisation des élues ? Qui commencent elles aussi à dénoncer le sexisme en politique… Est-ce que ça joue et est-ce que les femmes, journalistes et politiques, se saisissent de ça ?

Eugénie : Ça joue dans les deux sens. Parce que si on regarde ce qui s’est passé à partir de la publication de la tribune, il y a derrière la publication de manifestes de femmes politiques, il y a l’affaire Baupin… Il y a un effet boule de neige, quelque chose qui va s’auto-entretenir.

Les dénonciations sont plus courantes et plus fortes que pendant la campagne de Ségolène Royal. C’est la première candidate femme à la présidence de la République avec des chances d’être élue, dont le compagnon est un représentant politique. Dans le couple, c’est elle qui devient le premier plan, ce qui inverse les rôles traditionnels entre les hommes et les femmes dans le couple.

Ce que l’on peut constater dans les discours publics et médiatiques, c’est plutôt un retour de bâton, c’est-à-dire un renforcement des stéréotypes de genre, plus qu’une dénonciation. Les voix qui dénoncent le sexisme ou les stéréotypes de genre, elles, sont minoritaires par rapport à un discours ambiant très stéréotypé avec un gros retour des stéréotypes de genre. Dès que les normes de genre sont transgressées, on a une sorte de retour de bâton.

Béatrice : Moi, j’ai toujours du mal à voir un lien de causalité aussi mécanique. Il y a plus de femmes donc il y a plus de… C’est le même discours qu’on tient en politique : plus de femmes donc plus de douceur… ça renforce des stéréotypes. C’est plus compliqué que ça.

Si on reprend l’exemple de Ségolène, elle a elle-même dans son parcours usé des stéréotypes féminins. Quand elle était ministre de la famille, c’était la première à se mettre en scène. Je ne dis pas qu’elle mérite le retour de bâton, pas du tout, mais elle a joué de ça. Si ça avait été Martine Aubry, par exemple qui n’a jamais joué de ça, est-ce qu’il y aurait eu la même chose ?

Il y aurait eu un retour de bâton parce qu’il y a toujours des stéréotypes et des assignations qui se jouent mais ils n’auraient pas pris les mêmes formes. Ce ne sont pas les mêmes schémas même si ce sont les mêmes stéréotypes. Si on regarde en Allemagne avec Angela Merkel, on voit pareil, des fonctionnements de retour de bâtons.

C’est le discours qu’on tient sur la parité : on mettra plus de femmes et ça changera la manière de fonctionner. Je pense que non, je pense que c’est structurel, plus profond. Si vous êtes socialisée à certains comportements, vous allez continuer de les entretenir même en arrivant au poste que vous visiez. Parce que c’est tellement coûteux pour les femmes d’en arriver là…

Comme une rédactrice en chef qui nous dit « Pourquoi je ne promeus pas plus de femmes ? Parce que je sais que je suis toujours plus regardée et jugée qu’un homologue masculin au même poste donc je ne vais pas alimenter les suspicions en favorisant davantage de parité ». Elles vont faire attention à ça. Donc il faut une transformation structurelle plus profonde de l’espace professionnel. C’est difficile de faire porter ça uniquement sur ça.

Ce n’est pas faire porter uniquement sur ça, c’est se demander si elles se servent des unes et des autres, si elles se servent d’appui pour oser parler…

Eugénie : Oui, c’est ça, il y a forcément un effet mais de là à bouleverser les structures masculines, non.

Vous établissez des hypothèses avant de partir les vérifier sur le terrain. Vous attendiez-vous à rencontrer autant de femmes affrontant du sexisme ?

Eugénie : On a commencé à travailler avec les signataires et les anonymes. On a tiré une ficelle et on a obtenu des contacts, repérant assez vite les quelques journalistes qui ont été vraiment moteur dans la rédaction et la promotion de cette tribune. Et dans la revendication de cette tribune, un peu comme un bouclier, un étendard selon elles.

Elles le disent, elles sont protégées parce qu’elles sont étiquetées. Cette étiquette féministe, quelque part, a pour effet d’après elles, de repousser les mauvais comportements.

Béatrice : Parce qu’elles ont été identifiées comme capables d’éditer ce genre de chose, capables de parler !

Eugénie : C’est notre point de départ mais notre sujet, c’est de regarder les usages ordinaires du genre dans le processus de collecte des informations politiques. Donc dans les relations de pouvoir qui se nouent entre les journalistes politiques d’un côté et les élus, représentants et les professionnels de la politiques (entourages, conseillers…), comment les acteurs se saisissent du genre de cette catégorie qu’ils ont approprié d’une manière ou d’une autre (ils peuvent utiliser d’autres mots que « genre »).

Comment ils vont analyser leurs rapports au prisme du genre. C’est notre sujet. On a donc rencontré des hommes et des femmes qui occupent des positions différentes (chef-fe-s de service, rédacteurs en chef, des journalistes avec des dossiers différents, dans différents médias, avec des positionnements éditoriaux différents aussi), avec l’idée de ne pas poser directement la question du genre.

Savoir si eux dans leurs récits de pratique quotidienne de travail, ils vont mobiliser cet argument, analyser leur pratique au regard de cette catégorie et est-ce qu’ils vont l’utiliser de manière problématique ou non. Est-ce que ça fait problème pour eux ? Notamment dans la partie de collecte des informations.

Béatrice : Du coup, on travaille aussi sur leur socialisation. Leur rapport à la politique mais aussi à leur identité genrée. C’est intéressant de voir comment ils se situent par rapport à ça, comment ils s’identifient. Certaines nous disent « Mais moi je suis très masculine dans ma socialisation, j’ai été éduquée comme ça donc ça c’est passé comme ça ».

On va lier aux parcours professionnels et on s’intéresse beaucoup à qu’est-ce qu’ils mobilisent comme références pour parler. Ils vont prendre des références universitaires scientifiques et d’autres vont mobiliser beaucoup de références de pratiques culturelles, télévisuelles, etc.

C’est intéressant de voir les catégories dans lesquelles ils se construisent, les univers dans lesquels ils baignent, les univers culturels et qu’est-ce qui se joue là. Pour revenir à la question de « est-ce que l’on a été surprises ? », je pense que là ça renvoie aussi à nos propres trajectoires.

Dans mon travail, je côtoie énormément de journalistes au jour le jour donc ces paroles-là, de la cuisine des médias, je l’ai dans ma pratique quotidienne du travail. Hommes comme femmes, ce sont des discussions qui arrivent. Ou avec les étudiants parce qu’ils font beaucoup de stages, ont des contrats avec des médias. On n’arrive pas avec un regard vierge.

On n’a pas été étonnées. Surtout que le sexisme, c’est une chose à laquelle on est confrontées dans notre propre milieu professionnel.

Eugénie : Et puis, c’est à l’ordre du jour. On avait mené l’enquête, on avait recueilli beaucoup de propos sur le sexisme au sein des rédactions. Mais c’était du sexisme ordinaire. Des blagues, des petites remarques.

Comme ce que l’on trouve sur Paye Ton Journal… ?

Béatrice : Absolument, c’est tout-à-fait ça !

Vous n’avez pas mentionné auprès des interviewé-e-s que vous vous intéressiez à la question du genre dans les rapports avec les sources. Est-ce que les femmes le mentionnent davantage que les hommes ou est-ce plus insidieux ?

Béatrice : C’est plus insidieux. Quand on discutait avec eux, on demandait en fait comment ils font, comment ils fonctionnent. Mais la question est aussi soulevée par des hommes. Et ce qui peut être intéressant aussi c’est qu’on sait bien que les personnes qui occupent des places dominantes, le monde s’adapte à eux, donc ils ne s’aperçoivent pas que le monde s’est adapté à eux.

C’est quand vous n’êtes pas un dominant dans les places dominantes que vous vous apercevez constamment que vous devez faire des efforts pour vous adapter au monde. Ce n’est pas étonnant que les discours les plus critiques sur les dominations émergent de groupes sociaux qui subissent.

Et en même temps, ce n’est pas un hasard non plus que ce soit les plus dominantes des dominées qui prennent la parole dans la tribune de manière non anonyme. Elles subissent la discrimination mais elles la subissent moins que celles qui sont précaires ou dans des rédactions non friendly.

Elles prennent le risque parce qu’il est amoindri. Mais elles prennent le risque quand même parce qu’elles estiment subir aussi le rapport de domination. Mais des hommes parlent aussi des rapports qu’ils peuvent avoir en terme de genre avec des entourages politiques femmes.

Après, c’est l’interprétation qu’on en donne qui devient intéressante, y compris chez certaines femmes. C’est intéressant comment elles se construisent des frontières dans les définitions. A quel moment elles sont dans la séduction et elles estiment que ce n’est pas un problème, et dans quel cadre ce n’est pas un problème ?

Mais les hommes aussi ils vous disent « ça c’est une relation de séduction qui ne pose pas de problème, etc. » On voit bien qu’elles ne vont pas avoir les mêmes grilles d’évaluation derrière.

Qu’est ce qui structure ça ? Comment elles se construisent des catégories de définition ? de hiérarchie ? Qu’est-ce qui pose problème et à quel moment ça devient un problème, individuellement et collectivement ? Qu’est-ce qui explique pour certaines la limite est là et pour d’autres, elle n’est pas là ?

Eugénie : Parmi les signataires, elles n’ont pas les mêmes socialisations, le même appareillage théorique ou conceptuel pour structurer leurs pensées. C’est la dimension consensuelle de « c’est normal qu’il y ait des rapports de séduction entre les hommes et les femmes dans le milieu professionnel » qu’elles vont interroger et remettre en cause.

Parmi ces journalistes, celle qui dit « je ne suis pas concernée, c’est de la séduction mais ce n’est pas un problème », elle finit par dire « enfin c’est toujours à sens unique, de l’homme vers la femme, ça veut bien dire que lui il pense qu’il peut se permettre ça ». Donc à la fin de son analyse ou de son propos, elle dénonce quelque chose qui est de l’ordre d’un phénomène…

Béatrice : Elle dit que ce n’est pas un problème pour elle et en même temps elle reconnaît que si elle se décentre d’elle, il y a une asymétrie genrée dans la séduction qui est problématique. Et c’est ça qui est intéressant dans l’enquête, c’est qu’on s’aperçoit des prises de conscience individuelles et du collectif.

Le travail du collectif est intéressant, la mise en partage des paroles, des expériences, comment elle amène à faire évoluer le cheminement personnel de chacune d’entre elles. Ça renvoie à la question de qu’est-ce le travail de l’engagement collectif ? Qu’est-ce que ça apporte ? Qu’est-ce que ça permet de faire bouger et ce que ne permet pas la simple prise de position individuelle ?

On travaille sur les retombées individuelles de leur participation à ce collectif. Il y en a une qui dit qu’elle a signé sans se sentir concernée par le problème et à la fin, on se rend compte qu’elle se retrouve identifiée et mobilisée pour répondre aux questions sur ce sujet-là. Pour elle, au départ, elle participait par solidarité parce qu’elle estimait que ce n’était pas normal. Et maintenant elle devient une porte parole du collectif.

Eugénie : A contrario, on a aussi une journaliste dont la signature de la tribune s’inscrit totalement dans sa trajectoire professionnelle, elle dénonce les violences sexuelles et sexistes des élus dans sa pratique professionnelle, c’est quelque chose qu’elle a fait avant, sur lequel elle a enquêté, rédigé, publié, ça s’inscrit dans sa position très en phase avec sa conception de l’excellence journalistique et sa socialisation militante.

Elle dit que le monde politique est un monde de vieux mâles blancs… C’est intéressant de voir ce que cela fait sur les trajectoires de ces journalistes.

J’imagine que plusieurs d’entre elles sont dans le collectif Prenons la Une ?

Eugénie : Oui il y en a quelques unes mais elles ne sont pas super actives. Elles ont participé mais elles ne font pas partie des moteurs du collectif.

Il y a aussi des journalistes femmes qui refusent de se saisir de ça. Elles vont jusqu’à nier la pertinence de cet angle de lecture. Certains ou certaines mobilisent d’autres catégories comme celle de l’ethnicité avant tout. On a été surprises par ces éléments-là. Comme l’orientation sexuelle.

On s’est dit qu’on allait aussi interroger des journalistes en fonction de ces critères-là. On n’a pas interrogé beaucoup d’hommes pour l’instant mais les deux ont soulevé ces questions en tout cas. Il faut pousser l’analyse.

La façon de se saisir du genre pour comprendre ces relations n’est pas quelque chose d’uniforme ou qui ferait une différence binaire entre les femmes journalistes d’un côté et les hommes journalistes de l’autre. On peut dire que l’enquête est en cours, elle est amorcée.

Où en êtes-vous actuellement dans l’enquête ?

Béatrice : On est un peu en stand by actuellement parce qu’on a d’autres travaux et terrains en parallèle. Que Parcoursup est passé par là. Et puis avec toutes nos responsabilités, nos cours, etc…

Eugénie : On va essayer de repartir sur le terrain à la rentrée prochaine. Il y a eu un coup d’arrêt dû à l’agenda politique. On a commencé en 2016 et il y a eu les Présidentielles donc là plus aucun journaliste n’était disponible. Il ne faut pas passer pour les chercheurs qui n’ont rien compris à l’agenda des journalistes politiques !

Mais l’idée dans la recherche est aussi de communiquer sur les premiers résultats donc là on est plutôt dans une phase où on a commencé à publiciser nos résultats, à échanger avec nos collègues et puis on va reprendre le terrain. Mais c’est quasi un terrain infini ! 

Célian Ramis

1939-1945 : Oui, il y avait des lesbiennes !

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Champs Libres, Rennes
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Elles ont été oubliées de l’Histoire. Queer Code répertorie, sur Internet, un grand nombre des ressources culturelles, historiques ou sociologiques concernant les femmes qui aimaient les femmes et le site Constellations brisées propose des cartographies de leurs parcours.
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Déportées, résistantes ou collabos, lors de la Seconde guerre mondiale, elles étaient des femmes et aimaient les femmes. Pourtant, elles ont été oubliées de l’Histoire. Queer Code répertorie, sur Internet, un grand nombre des ressources culturelles, historiques ou sociologiques les concernant et le site Constellations brisées propose des cartographies de leurs parcours.

Le 18 avril dernier, des militantes rennaises et Queer Code se réunissaient autour d’un atelier « Nos histoires féministes et LGBTI sont numériques », aux Champs Libres. Rencontre avec Isabelle Sentis, membre de Queer Code et coordinatrice du projet Constellations brisées.

YEGG : Qu’est-ce que le projet Queer code ?

Isabelle Sentis : C’est un projet d’équipe créé il y a 3 ans, issu d’une association qui s’appelle Mémoires en chantier. L’idée, c’était de créer une plateforme numérique et des projets numériques pour faire connaître l’histoire des femmes et particulièrement des femmes qui ont aimé des femmes pendant la seconde guerre mondiale.

On a lancé la plateforme à l’occasion de l’anniversaire des 75 ans de la libération des camps de concentration. C’était en fait un temps qui était issu de tout un cheminement des unes et des autres de plusieurs années. Chacune et chacun, car il y a aussi des hommes avec nous, se sont mobilisé-e-s, à des périodes différentes.

Mais c’est issu d’une longue mobilisation pour certain-e-s. L’idée c’est justement de créer collectivement et d’apprendre collectivement. Par exemple, Lydie est ingénieure dans tout ce qui est sciences de l’information et de la documentation de l’informatique. Moi je n’y connais strictement rien à l’informatique.

Ça a permis à des personnes déjà mobilisées de rencontrer d’autres femmes qui venaient plutôt de pratiques numériques, notamment les jeunes femmes qui viennent de l’univers de la création des jeux vidéo. Queer Code, c’est vraiment pour se retrouver et permettre à d’autres personnes de nous rejoindre parce qu’on utilise les outils numériques.

Concernant le cheminement dont vous parlez, c’est parce que vous avez constaté l’absence des femmes, et notamment des lesbiennes, dans les parcours relatés dans l’histoire de la Seconde guerre mondiale ?

Isabelle : L’Histoire est une construction sociale. Tout ce qui est mémoriel c’est la même chose, ce sont des combats pour que certains groupes accèdent à ce travail-là. Il y a toute une mobilisation de groupes LGBT, depuis plus de 20 ans, pour la reconnaissance de la déportation pour homosexualité. Masculine parce que les nazis ont pénalisé l’homosexualité masculine.

Les lesbiennes ont également été persécutées mais il n’y avait pas de législation à proprement parler parce que comme dans beaucoup de régimes oppressifs, on ne nommait pas pour ne que ça n’existe pas. Ça n’existe pas, on n’a donc pas besoin de faire une loi là dessus.

Mais elles ont été persécutées là où il y avait la législation nazie. Dans les pays occupés, dans les zones occupées. La France a eu des statuts différents selon les moments de la guerre, avec une législation différente. Donc il y a eu des persécutions différentes selon les moments de la guerre et selon les endroits.

C’est complexe. Parfois, des femmes ont fui en France ou des françaises ont fui dans d’autres pays. Des femmes sont aussi allées aider d’autres femmes et d’autres hommes dans d’autres pays. Comme c’est le cas pour des femmes suisses qui sont allées avec la Croix Rouge en Espagne pendant la Guerre Civile.

Il y a beaucoup, tout comme il y en a encore aujourd’hui, de mouvements de populations et de mouvements de personnes pour différentes raisons. D’autres n’accèdent pas toujours aux autres pays, les Etats-Unis avaient par exemple à un moment fermé leurs frontières.

Là on est en train de préparer la cartographie d’une jeune femme juive autrichienne qui a été déportée à Auschwitz parce qu’elle était juive mais elle était également lesbienne - elle n’aurait pas utilisé ce mot parce que ce n’était pas ce mot qu’on employait à l’époque mais en tout cas elle a aimé une jeune femme norvégienne - et elle attendait un visa pour l’Angleterre où une partie de sa famille avait réussi à s’échapper.

Voilà toute la complexité de l’attente comme des personnes en France ont attendu des visas pour les Etats-Unis, le Mexique, etc. Et qui ont été bloquées parce que sans visas. Certaines ont fui par d’autres chemins et se sont retrouvées bloquées parce que les frontières ont été fermées. Mais on peut encore trouver ça de nos jours…

Il y avait plusieurs enjeux par rapport à Queer Code : montrer que oui il y a des travaux d’historien-ne-s mais aussi de citoyen-ne-s pour faire connaître ces parcours de vie. Le numérique est un espace de combat pour y être visible. Il y a beaucoup de négationnistes, de racistes, d’homophobes, présents sur ces espaces.

L’idée c’est d’être présent dans un espace pour montrer cette histoire et pour montrer surtout qu’on est capables de la partager et de réfléchir ensemble. Si on reprend des slogans féministes des années 70 il y avait vraiment le fait que la construction des femmes, et des hommes bien sûr, c’est un fait social, un fait culturel, qui ne se fait pas tout seul.

Il faut se mobiliser. Tout le monde peut y contribuer. L’idée, c’est ça : ne pas hiérarchiser les savoirs mais les faire dialoguer et aussi bien valoriser les articles d’historiennes que des personnes comme récemment des jeunes qui ont écrit une pièce de théâtre, que de militantes qui aident des familles à transmettre leur histoire.

Montrer que toutes ces démarches, tous ces savoirs sont importants. Et qu’on peut tou-te-s apprendre, c’est ça qui est passionnant, autant les technologies numériques que d’autres techniques. Lydie fait beaucoup de traduction pour nous, de l’anglais vers le français ou du français vers l’anglais. Elle fait aussi une veille qui est très précieuse.

Ce qui est passionnant avec les savoirs c’est que tout bouge très vite, notamment dans cette ère du numérique. On peut avoir l’impression que l’Histoire, ça va lentement et en fait on se rend compte que c’est étonnant. Il y a par exemple des féministes américaines qui étudient les mouvements féministes français.

Si on ne vérifie pas ce qui se passe dans les universités américaines, on peut passer à côté car ils ne vont pas être traduits en français, on ne va pas les voir dans nos librairies. Montrer que c’est en constant mouvement et qu’il y a des enjeux différents dans la mobilisation selon les générations.

Pour notre génération (quadras), ce travail de revendication de la Seconde guerre mondiale en tant que lesbiennes, c’est constructif, c’est un vrai combat. Pour des jeunes femmes comme Emilie, avec nous dans l’équipe, qui sont jeunes, qui ont une vingtaine d’années, c’est complètement une autre histoire de construction identitaire parce que pour elle en fait c’est quelque chose qui est déjà acté donc ce n’est pas la même histoire.

C’est intéressant de voir comment les générations ont des histoires différentes, d’autres cheminements. Passionnant ce dialogue intergénérationnel. Montrer que c’est un travail de médiation sur ce qui existe comme savoirs et de reconstruction de nouveaux savoirs.

Est-ce que ce qui lie les générations entre elles, c’est qu’aujourd’hui encore les femmes lesbiennes sont invisibilisées, tout comme le sont encore les personnes racisées ? Parce qu’on voit bien que Queer Code rassemble un grand nombre de ressources, ce n’est donc pas qu’il n’y a rien sur ce sujet mais plutôt que leur diffusion ne se fait pas comme elle devrait…

Isabelle : C’est passionnant tout ça et un jour on fera nos propres constellations, nos propres parcours, de comment on a eu l’information. Comment on a eu telles ressources, comment telle personne a cheminé, a réfléchi aux enjeux. Ce qui est sûr, c’est que les manières de transmettre et d’accéder aux informations selon les générations sont différentes.

Et puis ce qui est intéressant, c’est d’essayer de partager ça - et pas que sur la Seconde guerre mondiale - pour se rendre compte que tout est en perpétuel mouvement. J’ai 43 ans, il faut aussi que je me mobilise, rien n’est acquis, que ce soit sur la santé de mon corps, sur les droits, on voit que tout est en évolution, que des choses s’améliorent, qu’il y a de nouvelles avancées scientifiques. C’est aussi un mécanisme.

Lydie (membre de Queer Code) : c’est compliqué de se servir de l’expérience des anciennes, c’est compliqué de transmettre, nous, nous sommes la génération entre les deux. C’est un vrai travail.

Isabelle : On peut transmettre à des femmes de 70 ans, des femmes plus jeunes peuvent nous transmettre à nous. On montre que ça part dans tous les sens, on essaye d’apprendre à travers ces expériences, d’apprendre de nous-mêmes, avec les autres. S’autoriser à apprendre autrement, à essayer, on peut se tromper. C’est un dialogue parfois étonnant. On ne répond pas du tout à votre question.

Comment est reçu Queer Code ? Essayez-vous d’aller vers un public moins sensibilisé à ces thématiques-là pour que le grand public se rende compte que des femmes lesbiennes ont été déportées, ont été dans la résistance ou ont collaboré ?

Isabelle : C’est très complexe parce que nous on va mettre des mots alors que la personne aura vécu quelque chose de différent. On essaye de ne pas être dans le jugement mais on est des êtres humains donc on s’identifie à telle ou telle figure. Faut bien montrer toute la complexité de ces histoires-là en particulier.

Oui, on essaye de toucher un large public. Comme aujourd’hui, en venant aux Champs Libres pour le rendez-vous des 4C. Et puis passer par le numérique nous permet d’atteindre des groupes qui vont être intéressés par notre démarche numérique mais pas forcément par notre démarche féministe et lesbienne.

Bien sûr ils vont être intéressés sinon ils ne viendraient pas du tout mais l’accroche va porter plutôt sur le côté technique. L’idée c’est de toucher de plus en plus de musées pour qu’ils s’essayent à cette médiation numérique.

Il y a encore des tabous, donc on va venir par notre côté médiation numérique pour parler du fond ensuite : des femmes qui aiment des femmes. Ça nous permet de laisser ouvert, avec plein de façons de venir à nous et de dialoguer avec nous.

Heureusement, les choses vont de mieux en mieux dans le dialogue entre les associations d’anciens déportés, les structures mémorielles, il y a quand même une grosse évolution vers un dialogue.

Lydie : Dans mon milieu professionnel, je le montre à des collègues en leur disant d’aller voir et de me dire ce qu’ils-elles en pensent. Mine de rien, ils/elles regardent un peu techniquement mais ils/elles voient le fond, qu’ils/elles ne seraient pas forcément allés chercher d’eux/elles-mêmes. Pas par hostilité mais parce que ce n’est pas leur centre d’intérêt. C’est rigolo d’amener comme ça différentes personnes à différentes choses.

Isabelle : On apprend beaucoup. On revient d’Angleterre, où il y a un vrai travail fait par les associations LGBT pour aller vers les professeurs, pour leur amener du matériel pédagogique pour leurs cours, pas que d’Histoire mais aussi de toutes les disciplines scolaires. On apprend beaucoup de leur façon de travailler, de collaborer.

Peut-être qu’un jour il y aura tout ce travail, qui permettra tous ces apports pédagogiques, les passerelles se font petit à petit. Le numérique va nous permettre ça. Une façon de les amener à inclure petit à petit. On s’auto-censure tous beaucoup.

Là on va faire une cartographie de Marguerite Chabiron, une pharmacienne qui a été déportée pour actes de résistance, qui a aidé des résistantes dont une qu’elle connaissait parce qu’elle était lesbienne. Elles ont été arrêtées à Bordeaux, puis ont été à la prison de Rennes puis déportées à Ravensbruck.

Et c’est un monsieur qui a maintenant plus de 75 ans qui transmet son histoire, qui a écrit un livre numérique. On lui a écrit en lui disant qu’on allait faire une cartographie, il était tout content, tout ému. Il a trouvé formidable Queer Code, il nous a donné l’autorisation d’utiliser des extraits du journal de sa tante.

C’est vraiment un dialogue avec des personnes qui elles-mêmes ont cherché à transmettre leur histoire par le numérique. Le numérique, c’est de l’auto-édition. Et ces personnes sont ravies. Maintenant, on va aider ce monsieur à transmettre l’archive réelle. Avec lui, en dialoguant aussi avec des chercheuses, des archivistes.

On apprend avec lui, en même temps que lui, à transmettre cet objet, ce journal intime. C’est une belle histoire et je pense qu’il y a de plus en plus de personnes qui ont cette envie-là. Des fois il y a de la pudeur, des temporalités, ça on s’en rend bien compte, des temporalités.

Notamment les femmes et particulièrement les lesbiennes, les personnes minorisées et racisées, ce sont des temporalités différentes. Ça arrive, c’est une patience, une patience active.

Qu’est-ce qui vous a amené à mettre Thérèse Pierre en première dans les Constellations brisées ?

Isabelle : Ça fait une dizaine d’années qu’on chemine avec son histoire. On a découvert, il y a une dizaine d’années, le documentaire fait par Robin Hunzinger. On a été très très touchées. C’était la première fois qu’il y avait un documentaire qui évoquait le destin de deux femmes qui s’étaient aimées dans les années 30.

On a écrit au réalisateur pour le remercier et il nous a mis en contact avec sa maman qui était en train d’écrire un livre et on a dialogué avec elle par internet. Le numérique, on voit que ça facilite, ça accélère les choses.

On a échangé avec Claudie Hunzinger, on s’est retrouvé-e-s à l’accompagner dans la recherche d’un éditeur, dans comment dire les choses. On aurait aimé que son texte s’accompagne d’une préface d’une historienne peut-être. Mais elle, elle avait vraiment envie de faire une œuvre littéraire, ce que l’on comprend.

Lydie : Passer par le biais de la fiction permet - pour ceux qui n’ont pas envie d’entendre dans la famille - de se dire que ce n’est pas vrai puisque c’est une fiction.

Isabelle : On est pour que chacun-e s’exprime comme elle/il le souhaite. Robin a fait un documentaire, sa mère une fiction et puis nous on fait un site Internet, des quizz numériques. Chacun-e sa manière de faire.

On est venues aux Champs Libres faire des recherches sur Thérèse Pierre et on a cheminé. On est allées à Fougères, aux archives municipales, aux Champs Libres. Puis après on a fait Queer Code, la plateforme et on s’est dit qu’on allait faire des cartographies, parce que c’est une autre manière de visualiser les parcours, en étant ludiques, une manière de se situer dans des territoires, de se situer dans une démarche de plus en plus citoyenne.

On a tout de suite penser à elle parce qu’on a un chemin tout particulier avec elle, dans une région que nous aimons beaucoup (la Bretagne). Et pour plein de raisons ! Moi, je l’aime dans ces idées politiques, dans son engagement, elle me touche particulièrement. On a tou-te-s des personnes qui nous touchent plus ou moins.

Après, on ne s’est pas arrêté-e-s à Thérèse Pierre dans nos recherches. Mais j’ai trouvé effectivement la personne que je voulais avoir dans mon Panthéon féministe à moi. J’aurais pu m’arrêter là mais c’est intéressant de montrer la diversité.

Marguerite Chabiron c’est une autre classe sociale, un autre parcours de vie et elle est tout aussi passionnante, on apprend d’elle comme de Ruth Meyer, une jeune fille qui va être déportée dans la vingtaine d’années. C’est un autre moment de vie.

Thérèse Pierre forcément à un moment j’avais quasiment le même âge qu’elle. C’était très marquant. On doit un peu se bagarrer aussi avec des arguments qui ne sont pas bons. On va nous dire « les femmes n’ont pas été cheffes de réseau », bah voilà là on a une cheffe de réseau, « les femmes n’ont pas porté des armes », si.

On essaye de ne pas être là-dedans car notre idée est de montrer que tout est résistance. Qu’on soit une jeune fille juive et qu’on commence à être dans le désir d’une autre femme, c’est une résistance. Au patriarcat, à l’hétéronormativité.

Etre une femme prostituée pour différentes raisons et qui se bat pour pouvoir vivre ses amours lesbiens, c’est aussi de la résistance. Des jeunes filles qui vont aller dans tel cabaret pour rencontrer d’autres femmes, c’est de la résistance.

Etre une cheffe de réseau, bien sûr c’est de la résistance. L’idée n’est pas de hiérarchiser. Ce qui a été le cas par certains hommes qui ont hiérarchisé certains faits de résistance. On essaie de ne pas être là-dedans justement. Ne pas hiérarchiser non plus l’horreur.

Thérèse Pierre nous touche particulièrement parce qu’elle a été exemplaire dans toute la complexité de la vie, dans toute la complexité de ce qu’elle était. Ce qui est intéressant par le travail de Robin, le travail de Claudie et notre travail, parce que c’est quelqu’un qui a été célébrée à Fougères, et que c’est aussi toute la dimension de ce qu’elle était, et je crois que c’est important.

Il y a une école qui porte son nom, et c’est important que les enfants, quels qu’ils soient, pas seulement les homosexuels, pas forcément les filles, mais que l’on puisse appréhender le fait qu’elle avait une identité complexe, comme toute personne. Avec effectivement une orientation sexuelle, avec une histoire de vie.

Elle n’était pas bretonne mais elle a fait beaucoup de choses pour la Bretagne, avec des bretons et des bretonnes. Elle venait d’ailleurs mais c’est passionnant. Elle était admirée et chérie. Des personnes chérissent son souvenir. On a été en correspondance avec une dame qui a travaillé dans son réseau et qui à la fin de la guerre a beaucoup œuvré pour transmettre l’histoire de Thérèse Pierre.

Ce sont des témoignages très émouvants. En étant là à toutes les journées du souvenir, en faisant des discours, en transmettant à sa façon dans sa commune. Et nous, nous faisons autrement, à 1000 kms de là, on a pu dialoguer avec différentes générations et différents points de vue. C’est là aussi l’intérêt. C’est très riche.

Car on rencontre des personnes que l’on n’aurait jamais rencontrées autrement, ni dans nos entourages professionnels, ou dans nos familles ou nos familles de cœur. Ça met aussi d’avoir un autre lien avec la Bretagne, parce qu’il y a plein de choses qui nous touchent dans l’histoire et la culture bretonne et là ça nous relie aussi.

Sur le dialogue avec les générations et avec la Bretagne, comment avez-vous établi les échanges avec les militantes féministes et LGBTI de Rennes ?

Isabelle : Il y a différents réseaux. Il y a des militantes des droits des femmes que l’on connaît via nos engagements féministes, notamment via le Planning Familial, par aussi des personnes que l’on a pu rencontrer via les archives féministes, parce que nous sommes allées plusieurs fois à des colloques à Angers et on a rencontré des militantes rennaises là-bas.

En allant aussi faire des recherches à Nantes, en étant dans d’autres combats pour les personnes LGBT, on a rencontré des Rennais et des Rennaises. Et puis en cherchant ce que l’on fait d’autres, apprendre et s’inspirer d’autres, c’est vraiment notre démarche donc là on va rencontrer pour la première fois tout à l’heure Anne-Lise et Lou qui font un travail de cartographie.

On avait vraiment envie d’apprendre avec les Rennais et les Rennaises notamment via ce rendez-vous des 4C, qui est vraiment une démarche passionnante. Dans notre état d’esprit. Et puis on va rencontrer d’autres personnes que l’on ne connaît pas et c’est ça qui est intéressant. Le numérique, c’est bien, ça nous permet d’être en contact mais c’est bien d’avoir des temps de rencontre.

L’idée c’est de s’inspirer, de découvrir les centres d’intérêts des un-e-s et des autres, les projets. Et évoquer Thérèse Pierre, parce qu’on y tenait. À 15 jours de la journée du souvenir des victimes et des héros/héroïnes de la déportation, on voulait particulièrement avoir un moment symbolique pour toutes les femmes qui sont parties de la prison Jacques Cartier à Rennes pour la déportation, quels que soient leur statut.

Et celles aussi qui ne sont pas parties, parce que Thérèse Pierre, elle, est morte ici, à Rennes. Elle aurait été éventuellement soit fusillée, soit déportée mais bon son destin s’arrêtait là. Il était brisé pour une partie parce qu’il faut voir l’espoir qu’elle nous transmet. D’espoir et de mobilisation. De voir que dans les heures les plus sombres, il y a toujours de l’espoir et des choix.

Car elle a aussi fait des choix, pour les personnes de Fougères, pour les personnes qui étaient sous ses ordres. Pour ses idéaux. C’est porteur d’espoir même si c’est douloureux. Montrer aussi que les engagements sont importants. C’est ça que l’on veut faire passer je crois.

Souvent, on a l’impression qu’on ne peut rien faire. C’est ça que l’on veut démontrer, en apprenant ensemble à Queer Code, c’est montrer que l’on peut agir. On montre qu’il y a des choses, concernant l’histoire des femmes, l’histoire des lesbiennes, et que l’on peut faire des choses.

Chacun-e a sa façon, avec ses moyens tout est possible et c’est ça qui est passionnant. Toutes les mobilisations sont possibles et sont importantes.

 

Célian Ramis

Black Palabres : la Négritude transcendée par Bilor

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Librairie Planète Io, Rennes
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En avril, elle invitait les Rennais-es à la librairie Planète Io pour son cabaret poétique Black Palabres. Prennent corps les poèmes d’Aimé Césaire, de Léon-Gontran Damas ou encore de Léopold Sédar Senghor, grands poètes de la Négritude.
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L’exil, l’esclavagisme, l’héritage. Marie-Laure Thimotée – alias Bilor – aborde ces sujets avec le soupçon d’humour qui brise les tabous mais n’enlève rien à leur profondeur. Du 5 au 7 avril dernier, elle invitait les Rennais-es à la librairie Planète Io pour son cabaret poétique Black Palabres. Pendant une heure, prennent corps les poèmes d’Aimé Césaire, de Léon-Gontran Damas ou encore de Léopold Sédar Senghor, grands poètes de la Négritude.

Elle s’accompagne d’un piano et de quelques instruments africains comme un Kalimba - qu’elle appelle “Piano à pouces”. Tantôt en musique, tantôt en narration, la comédienne Bilor – Marie-Laure Thimothée, de son nom civil - met en scène les poèmes de la Négritude. Un mot inventé en 1935 par Aimé Césaire, poète et homme politique martiniquais, en réaction à l’assimilation culturelle imposée par la France dans ses colonies.

Suivi par Léon-Gontran Damas, Léopold Sédar Senghor ou encore Bigaro Diop - tous hommes de lettres - le mouvement devient un outil politique de défense des cultures et identités noires. Poèmes, essais, livres, théâtre, la Négritude condamne le colonialisme avec force par le biais culturel. Léon-Gontran Damas - poète guyanais - le décrivait comme :

“Le mouvement tendant à rattacher les noir-e-s de nationalité et de statut français, à leur histoire, leurs traditions et aux langues exprimant leurs âmes”.

C’est d’ailleurs autour du texte de Damas, Black-Label, que Bilor construit son spectacle joué à la librairie rennaise Planète Io du 5 au 7 avril. S’ajoutent à cette discussion en 12 poèmes, les grands poètes Edouard Glissant, Abdourahman Waberi et la seule femme Ananda Devi, poétesse et romancière mauricienne. Dans les textes résonnent le déchirement de l’exil et la colère de l’oppression rythmée par la citation de Damas « Black Label à boire, pour ne pas changer. Black Label à boire, à quoi bon changer » que Bilor intègre avant chaque nouveau poème.

HÉRITAGE

Et quand l’artiste ne chante pas, elle tient le recueil de Damas, et transcende le texte à coup de pas de danse, perchée sur une chaise ou clamant près de la porte de la librairie des vers durs et rugueux sans jamais tomber dans la victimisation. Son but : rendre hommage à la Négritude avec bienveillance, sans victimiser les personnes noires ni culpabiliser les personnes blanches :

Je pense qu’il faut à tout prix sortir du système de complainte. J’ai envie d’y lire ça [dans ces poèmes]. C’est un appel à la vigilance car tous les jours on a le choix de faire l’animal ou de faire appel à notre humanité : ma colère j’en suis maître”.

Elle utilise alors l’humour et ses talents d’actrice affûtés au Cours Florent dans les années 90 pour rendre le sujet moins difficile. Pourtant, l’arrachement à la terre, à la tradition et cette errance qui en résulte font écho à l’histoire de l’artiste. Elle-même née à Paris d’un père martiniquais et d’une mère algérienne :

“J’ai toujours eu le sentiment d’avoir le cul entre deux chaises. J’ai grandi en France et c’était important que j’aille du côté de mes racines […] Il y a quelques années, j’ai découvert le livre Du Crime d’être Noir de l’auteur Bassidiky Coulibaly et ça a résonné en moi ».

RACISME ORDINAIRE

Aujourd’hui, elle se réapproprie un héritage qu’elle remet au goût du jour dans une société où sévit encore le racisme ordinaire. En décembre 2017, le célèbre footballeur français Antoine Griezmann se trouve au cœur d’une polémique. A l’occasion d’une soirée déguisée, il arbore une “Black Face” - visage noir - afin de se grimer en joueur de basket des Harlem Globetrotters (célèbre équipe américaine).

Cette pratique, qui servait à caricaturer et stéréotyper les personnes noires dans les théâtres jusqu’aux années 1960, semble être ignorée du sportif. Il s’excuse aussitôt. Mais le constat est le même : le manque criant d’éducation. La faute à l’Histoire mal enseignée dans les manuels scolaires ? La faute aux “C’était de l’humour !”, argument donné par Anne-Sophie Leclère en 2013 après avoir comparé Christiane Taubira - alors Garde des Sceaux et Ministre de la Justice du gouvernement François Hollande – à un singe ?

ASSUMER SES RESPONSABILITÉS

Bilor apporte un début de réponse : “Dans tous les génocides, le point commun entre bourreaux et victimes est qu’ils/elles sont déshumanisé.e.s”. Et sans humanité derrière l’Histoire, les erreurs se répètent, même si la France assume petit à petit ses responsabilités. En 2012, la ville de Nantes a finalement inauguré Le Mémorial de l’abolition de l’esclavage. Un grand pas bien tardif pour la ville au “premier port négrier de France au 18ème siècle” comme on peut lire sur le site internet du monument.

Loin de tous préjugés, Bilor réussit avec Black Palabres à faire (re)découvrir les poètes de la Négritude. Un mouvement que l’artiste désormais installée à Douarnenez dans le Finistère étend à toute forme d’injustice en citant Aimé Césaire :

"La Négritude, c'est le rejet de la domination et de l'oppression dans le monde."   

Célian Ramis

La célébration du feu au-dedans des femmes

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Théâtre de la Parcheminerie
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Elle s’est inspirée d’interviews d’actrices, de militantes féministes et de nombreuses stars pour imaginer un spectacle qui célèbre les femmes et la féminité. Dans "Du feu au-dedans", Fernanda Barth manie avec tact différents archétypes féminins.
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Elle s’est inspirée d’interviews d’actrices, de militantes féministes et de nombreuses stars pour imaginer un spectacle qui célèbre les femmes et la féminité. Sur la scène de La Parcheminerie, à l'occasion du festival Mythos, jeudi 19 avril, Fernanda Barth présentait Du feu au-dedans, une pièce écrite par Régis De Martrin-Donos, dans laquelle elle manie avec tact différents archétypes féminins.  

Ce n’est pas l’histoire « du féminin qui parle du féminin ». C’est, précise la comédienne, un spectacle « d’une femme et d’un homme ». Parce qu’elle a souhaité que la pièce soit écrite par l’auteur et dramaturge, également metteur en scène, Régis De Martrin-Donos (le spectacle est né dans le cadre du Lyncéus festival de Binic, porté par le collectif Lyncéus).

Après échanges et discussions autour des figures féminines qu’elle admire et qui la fascinent, il définit une forme alliant plusieurs portraits :

« Il m’a dit « Comme ça tu joueras ces femmes dont tu rêves », qui sont devenues après des femmes dont lui il rêvait aussi. Il a ajouté des figures qui l’inspiraient. Et ça, ça m’intéresse. »

Sur scène, Fernanda Barth les fait (re)vivre et exprimer leurs paroles, leurs récits. En commençant par la bergère, au Moyen-Âge, accusée de sorcellerie. Un personnage auquel elle tient particulièrement, s’intéressant aux sorcières depuis sont enfance, « beaucoup plus qu’aux princesses ! ».

Elle aime cette figure de la femme transgressive, « étrange, belle et pas belle, qu’on veut voir et dont on a peur, et en grandissant, j’ai peut-être compris, ou en tout cas en tant qu’artiste je suis à la recherche de cette ambigüité qui me plait chez ces être fantasmés. »

Pour le spectacle, elle s’est plongée dans les récits des procès en sorcellerie. Parce qu’on ne peut trouver que des retranscriptions de ce que les femmes répondaient pour se défendre.

« Les sorcières n’ont jamais écrit, parlé ou dit ce qu’elles avaient à dire. C’est une affaire d’hommes ces procès. Ça me touche et ça me donne envie de pleurer de lire ça. J’avais envie de les convoquer, de les défendre, dire que ça a eu lieu. Ça ne change pas grand chose au monde mais ça change quelque chose pour moi de prendre la parole pour citer et célébrer ces femmes-là que j’aime. »
souligne avec émotion la comédienne.

Pas étonnant que sa bergère soit aussi précisément juste et réaliste. Parce qu’elle est une femme qui vit seule sur la falaise et communie avec la Nature, elle mérite la sentence ultime. Parce qu’elle est une femme, tout court.

« C’est donc ça le mal que j’ai en moi ? », s’interroge cette Anne Trégor, « 17 hivers », qui ainsi vient rappeler comment la société voyait les femmes à cette époque, surtout celles qui s’écartaient de la norme imposée, et ce qu’elle leur faisait subir pour les punir, allant jusqu’à les tuer ou les brûler sur le bucher.

Sur les planches et à travers Fernanda Barth, les femmes se succèdent, se croisent et se répondent. Ouvrent une porte sur une réflexion, une question ou disparaissent sur une affirmation bien sentie. Comme cette chanteuse de cabaret, ancienne star du music-hall au parlé qui rappelle celui d’Arletty, qui raconte son rapport aux hommes, à la manière dont ils l’ont « accouchée », à l’acceptation de son corps et à la sexualité des femmes :

« Trouvez un viagra pour les femmes et là on pourra parler d’égalité ! »

C’est piquant, parfois émouvant, parfois drôle ou encore parfois tendre. Et parfois, c’est tout à la fois. Que ce soit le récit d’une femme mariée depuis 15 ans qui ne supporte plus les bruits de mandibules lorsque son époux mange des écrevisses, le récit d’une prostituée espagnole qui en a fini avec la bite mais continue de prodiguer des conseils pour assurer le travail sans trop se fatiguer, ou encore celui de la journaliste intello-bobo-snob qui écrit pour un magazine féminin, en passant par les dessins d’une femme préhistorique dans sa caverne et par l’adolescente archi fan de Dalida… Toutes ont des choses à dire, des souffrances à exprimer, des questions à poser, des expériences à partager et à transmettre.

« Ce que j’aime chez elles, c’est qu’elles n’ont pas de comptes à régler avec le masculin. Elles ont des douleurs. Mais elles ne sont pas dans une sorte d’énergie revancharde. Ou dans une sorte d’aigreur. Elles ont vécu ce qu’elles ont vécu mais elles sont plutôt très vivantes. C’est ça qui me plait, elles sont dans la vie. C’est ça qui les rassemble. Ce qui les différencie c’est qu’elles viennent d’époques différents, ont des âges différents. », analyse Fernanda Barth, qui privilégie le côté humain de ces figures.

La comédienne se revendique féministe politiquement, même si elle n’est pas engagée dans un collectif ou une association. Elle lutte pour des droits égaux. Parce qu’elle a ressenti qu’être une femme dans la rue, à partir d’une certaine heure, était un problème. Parce qu’elle a observé des violences envers d’autres femmes. Des violences normalisées, malheureusement.

Elle le dit, à l’adolescence, elle a eu « un grand moment de révolte, une haine de cette prison ». À partir de là, elle a eu envie d’en faire quelque chose et d’intégrer cette dimension dans le spectacle, « au-delà d’une protestation, car ce spectacle n’a pas été écrit ou joué dans la douleur ou dans la peine. »

Sa réponse aux violences faites aux femmes, c’est la célébration au féminin. À travers la transgression des normes. Pour s’en affranchir et s’émanciper. À travers aussi la diversité et la complexité des portraits. Les époques, les classes sociales, les manières de parler, les façons de penser, de critiquer, de dénoncer ou de rendre hommage.

Sans porter de jugement sur les femmes qu’elle incarne et présente. Parce que c’est aussi le propos. Fernanda Barth célèbre le féminin et la féminité, sans toutefois chercher à mettre ces femmes (et les femmes en général) dans une case.

« Je crois que c’est dangereux de vouloir mettre les gens dans des cases, c’est dangereux de dire « c’est ça » ou « c’est pas ça ». On travaille avec des questionnements, en tout cas je travaille comme ça sur scène, avec des recherches, on pose des questions mais je n’ai pas vraiment de réponses ni d’un ordre sociologique, ni d’un ordre philosophique à donner. Mais je cherche. Alors oui, il y a des comportements que j’identifie comme très féminins ou très masculins mais je sais aussi que j’appartiens à une culture de langage, de pensée. Il faut être vigilant-e-s pour ne pas être limité-e-s et en même temps il faut vivre aussi, s’amuser ! », conclut-elle.

Célian Ramis

Mythos 2018 : Blanche Gardin, provocatrice de la philosophie mesquine

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La Parcheminerie
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A-t-on vraiment besoin d’un festival des arts de la parole ? s’interroge Blanche Gardin, le 21 avril, en arrivant sur la scène de la Parcheminerie à Rennes, à l’occasion de Mythos.
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A-t-on vraiment besoin d’un festival des arts de la parole ? s’interroge Blanche Gardin, le 21 avril, en arrivant sur la scène de la Parcheminerie à Rennes, à l’occasion de Mythos. Après Il faut que je vous parle ! et Je parle toute seule, l’humoriste caustique revient avec un nouveau spectacle de stand-up, En test.

Il aurait pu s’appeler On parle trop. Dans le viseur de Blanche Gardin, les réseaux sociaux, principalement. Qui poussent à s’exprimer, sur tout. Et surtout, sur rien. En permanence.

« Et quand tu ne parles pas, on te rappelle à l’ordre. Tu as un truc qui te dit, « Exprime toi ! » ! Mais le Monde n’a pas besoin que tout le monde donne son avis sur lui tout le temps. »
souligne-t-elle.

Il faudrait, selon elle, effectuer des minutes de silence pour le silence. Et non pour la liberté d’expression. « C’est vraiment le truc le plus con qu’on ait inventé ! », surenchérit l’humoriste à l’écriture acerbe et bien sentie. Elle parle avec le sourire, parfois en se marrant, et toujours en dénonçant l’absurdité des situations et concepts qu’elle expose.

L’affaire Weinstein et ses hashtags, l’égalité entre les sexes, les relations hommes-femmes, le sens du langage, les traumatismes, la pornographie, le féminisme, les hipsters et les vegans… Elle égratigne tout le monde et n’épargne personne, mais jamais sans un objectif précis en tête. Et n’oublie pas de se moquer d’elle-même.

À BAS LA BIENVEILLANCE

Ras-le-bol de la bienveillance ! Elle le dit sans concession : « Je suis pas gentille, je suis pas altruiste, je suis pas une bonne personne. Ma première pensée le matin, c’est pas pour les autres, en espérant qu’ils vont bien. C’est pour moi. C’est à la mode la bienveillance, avec ses postures et ses éléments de langage. Ça me rend agressive, faut de la violence ! Le confort est devenue une valeur, on s’est bien fait niquer ! J’y crois pas trop au projet bienveillance. La haine gagne toujours ! Et puis ça veut rien dire « J’aime les gens », personne aime les gens, on aime des gens mais pas les gens. Il faut haïr un peu, jalouser un peu. Je hais les hipsters et ça me fait du bien. Je ne supporte plus les gens trop optimistes ! (…) Je m’intéresse aux traumatismes et à leur réécriture. »

Elle diffuse sa « philosophie mesquine » sans langue de bois. Ça fait rire autant que ça choque. On se rappelle de ses interventions piquantes aux cérémonies des Molière en 2017 ou des César en 2018. Elle met les pieds dans le plat et en gêne plus d’un-e pour cela. On dit d’elle qu’elle a un humour noir, corrosif. Blanche Gardin ne renie pas ses qualificatifs mais n’aime pas pour autant être mise dans des cases. Elle préfère dire qu’elle rigole de la vie, qu'elle fait du spectacle vivant.

Un humour existentiel en gros. Parce qu’elle décortique ce qu’il y a de sombre en elle, comme en chacun-e d’entre nous. Sans pour autant excuser les actes les plus abjects. Par contre, rigoler de certaines dérives, d’un manque de nuances et de recul, là oui et à fond. La stand-uppeuse manie le fil du « bien » et du « mal » avec une subtilité incroyable et une grande intelligence.

Marre de s’indigner pour ce dont il faut absolument s’indigner, parce que l’on nous dit qu’il faut nous en indigner. Blanche Gardin observe les faits avec précision et cynisme et ouvre le spectre d’une réalité bien plus complexe et trash que lorsque l’on regarde vite fait par le trou de la serrure, ou pire, par celui, bien étroit, de la bienpensance.

DÉNONCER LES INJONCTIONS

C’est jouissif de rire face à une humoriste qui ne se contente pas de recracher des banalités véhiculées par le faisceau de la pensée unique. À force de travail et de réécriture, la comédienne développe son sens de la mise en valeur de faits ironiques et absurdes, dans une société qui se laisse guider dans sa routine du quotidien par les injonctions perpétuelles à correspondre aux normes de sa case.

Injonction pour un homme à être viril, donc à bander, donc à pénétrer, « parce que bander dans le vide ne suffit pas, regardez Thomas Pesquet, il a fini par se mettre à la photographie… ». Injonction pour une femme à être dans les bons rangs de la beauté et de l’hystérie, parce que « si on a bien conquis un territoire, c’est celui de la folie… et de la météo. »

Injonction à s’insurger contre le harcèlement de rue quand tout autour de nous signale que les femmes sont des objets. Injonction à s’épiler la chatte jusque dans les pornos féministes. Et finalement, injonction à ne pas penser par soi-même.

Blanche Gardin déconstruit les systèmes de domination, en renversant les situations, en analysant nos éléments de langage révélateurs d’un monde misogyne, homophobe, raciste et islamophobe.

Parce qu’on est seul-e de la naissance jusqu’à la tombe, l’humoriste joue de notre nécessité à vouloir à tout prix être dans les clous, pour plaire aux autres, en étant une « bonne personne », en tombant dans le panneau et les pièges de la bienveillance. Sans se demander ce qui se trame sous cette notion obscure.

Pour elle, la liberté, sous-jacente à son propos, c’est celle qui permet de cheminer intellectuellement. De se poser des questions, de se remettre en cause, d’interroger le pourquoi et le comment des choses, et surtout du sens qu’elles prennent et qu’on leur donne, et évidemment de rire de soi et de rire des autres.

« J’aime la campagne. Parce qu’à la campagne, les gens n’ont pas peur du silence. Ici, on a peur du rien. Mais on ne disparaît pas dans le rien. Au contraire. »

On parle trop. Pour ne rien dire. Pour ne pas réfléchir. Sa solution : « Je parle, vous m’écoutez, c’est gagnant-gagnant ! » Jouissif, tout simplement. 

Célian Ramis

Larguées, les femmes ? Pas tellement... au contraire !

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Cinéma Gaumont, Rennes
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Le 13 avril, la réalisatrice Eloïse Lang venait présenter son deuxième long-métrage, Larguées, en avant-première au cinéma Gaumont de Rennes, accompagnée de Miou Miou, Camille Chamoux, Olivia Côte et Youssef Hajdi.
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Après avoir longuement travaillé sur la pastille Connasse et le film Connasse princesse des cœurs, Eloïse Lang passe à la réalisation de son deuxième long-métrage Larguées. Le 13 avril, elle venait le présenter en avant-première au cinéma Gaumont de Rennes, accompagnée de Miou Miou, Camille Chamoux, Olivia Côte et Youssef Hajdi.

Six mois plus tôt, le mari de Françoise est parti avec une infirmière de 30 ans sa cadette. Alice et Rose, leurs filles, décident alors de tenter une opération « Sauver maman » en l’emmenant se ressourcer dans un club de vacances, à La Réunion. Et pour y parvenir, elles vont devoir mettre de côté les différences de caractère qui les opposent.

C’est le film All inclusive, de la réalisatrice et humoriste danoise Hella Joof, qui a d’abord inspiré Eloïse Lang qui a ensuite puisé dans sa propre vie et dans l’observation de ses sœurs et de ses amies. Si Miou Miou serait d’avis qu’on ne mentionne même pas l’idée originale, en revanche Camille Chamoux remet les choses en perspective :

« Les deux films n’ont rien à voir. All inclusive est chouette mais on ne peut pas comparer car Larguées est une comédie extrêmement personnelle pour Eloïse, qui a une maman et deux sœurs. Ça a servi de prétexte mais on peut parler d’un film original. »

Et l’originalité provient de la manière dont le trio principal, comme les personnages secondaires, sont portés à l’écran. Parce que parler des femmes à travers le genre de la comédie est un jeu dangereux et périlleux. Souvent casse gueule. Pratiquement tout le temps raté, à quelques exceptions près.

Dans Larguées, c’est différent. C’est rafraichissant. La réalisatrice trouve l’équilibre fragile entre les codes de la comédie nécessaires pour provoquer le rire et la complexité des protagonistes qui jamais ne sombrent dans la caricature d’elles-mêmes.

« C’est vrai que nous sommes habitué-e-s à un certain type de personnages pour les femmes, réduites à une facette, à une fonction. Vous connaissez le test de Bechdel (du nom de Alison Bechdel, il vise à démontrer par trois questions que les œuvres artistiques - type cinéma, littérature, théâtre – sont centrées sur le genre masculin, ndlr) ? Bah il le passe carrément pour une fois ! Là, elles ont une grosse évolution, chacune un prénom et ne se définissent pas que par un homme ! », souligne l’humoriste et comédienne, Camille Chamoux.

Pour Eloïse Lang, de manière générale, la « caricature vient du fantasme, qui n’est en plus pas bien maitrisé. Moi je ne fantasme pas les femmes, je les connais, j’en suis une. Ce que je raconte est incarné. »

Cela donne un trio brillant, réunissant Miou Miou dans le rôle de la mère et Camille Chamoux et Camille Cottin, dans les rôles des deux sœurs. Trois actrices marquantes de par l’esprit de liberté et d’émancipation qu’elles insufflent. Elles ne laissent rien au hasard et apportent de leurs personnalités et de leurs envies. Celles de ne pas être des clichés de femmes à contremploi.

Elles se servent des ficelles des stéréotypes pour les déconstruire intelligemment, jouant sur les subtilités du scénario qui s’affaire tout au long du film à casser les tabous autour de la vieillesse, des sexualités, des paradoxes d’une femme rock n’roll choquée par le désir encore présent de sa mère pour les hommes, de la surcharge mentale d’une mère de famille qu’elle doit en partie à elle-même.

Même les rôles que l’on pourrait définir comme secondaires sont essentiels à l’intrigue et au propos développé dans Larguées. « Rien ne doit être gratuit. J’aime que ce soit organique par rapport aux personnages, je passe beaucoup de temps à imaginer les back stories des personnages (d’où elles viennent, ce qui leur est arrivé avant l’histoire montrée, tout ce que l’on ne voit pas à l’écran en fait). Je passe beaucoup de temps, jusqu’à ce que ça semble fluide, naturel et juste. », précise la réalisatrice.

C’est ce qui fait dire à Miou Miou qu’elle aurait été folle de refuser un tel scénario. Parce que c’est « rarissime de voir un tel ton de comédie si intelligemment drôle, avec des répliques comme je n’avais jamais entendu avant ! »

Elle s’avoue même séduite par la vision proposée par Eloïse sur les clubs de vacances. Elle qui avait une image plutôt négative de ces structures les regarde désormais avec un œil nouveau. Et elle n’a pas tort. La réalisatrice propose un point de vue très simple sur le sujet. Un lieu de villégiature dans lequel tout est à portée de main et grâce auquel on peut aussi s’évader. Où est le mal ?

Et surtout, elle s’attache, sans forcer le trait, à dévoiler des animateurs et animatrices au-delà de leur image simpliste de Gentils Organisateurs. Le barman séducteur, l’animateur sportif drogué, la gentille naïve ou encore l’exotique à l’accent créole nous renvoient à nos propres stéréotypes. Eloïse Lang - ainsi que chaque comédien-ne d’une incroyable justesse - sait les mettre en relief et exploiter des personnalités plus profondes.

C’est appréciable, une comédie qui ne prend pas les personnages et le public (le film a d’ailleurs remporté le prix du public au festival de l’Alpe d’Huez en janvier dernier) pour des con-ne-s. Qui amène une évolution de chaque protagoniste en douceur et qui fait réfléchir aux situations présentées et à leur résonnance dans nos vies personnelles. Une vraie bouffée délirante d’air frais !

Au cinéma le 18 avril 2018. 

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