Célian Ramis

À qui appartient la ville ?

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Rennes
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C’est une question qui ne laisse jamais les sceptiques indifférents… Et par sceptiques, on entend celles et ceux qui pensent l’égalité acquise ou quasi acquise mais la question de la ville et du genre révèle de profondes inégalités encore très actuelles.
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C’est une question qui ne laisse jamais les sceptiques indifférents… Et par sceptiques, on entend celles et ceux qui pensent l’égalité acquise ou quasi acquise mais la question de la ville et du genre révèle de profondes inégalités encore très actuelles. 

En 2019, Françoise Heritier, Paulette Nardal, Hubertine Auclert, Alice Guy-Blaché ou encore Rosa Luxembourg rejoindront Marguerite Yourcenar, Louise Bourgeois, Aurélie Nemours, Clara Zetkin ou encore Christine de Pisan dans les 12,67% des rues qui portent à Rennes des noms de femmes.

Lorsque la compagnie KF les énonce toutes, lors du café citoyen organisé par les quartiers « Les Suds » à la conciergerie Au P’tit Blosneur le 19 mars dernier, ça réagit dans l’assemblée : « Y a pas beaucoup de boulevard avec un nom de femmes ! », souligne une habitante, avant que sa voisine ne signale à son tour qu’au départ l’hôpital sud de Rennes était baptisé Anne de Bretagne « mais personne ne l’a jamais appelé comme ça ». 

La soirée s’anime autour de la question de la place des femmes dans l’espace urbain. À l’occasion de son master de sociologie, Cynthia Nadarajah a, en 2016, mené une enquête sur la répartition femmes – hommes dans l’espace public rennais, auprès d’un échantillon âgé de 18 à 29 ans.

UN CONSTAT QUI NE CHANGE PAS

Ainsi, elle constate chez les femmes une adaptation des comportements, le soir et la nuit, dans les zones qu’elles ne connaissent pas bien et dans les lieux majoritairement occupés par les hommes. On appelle cela les stratégies d’évitement.

« Il y a un couvre feu virtuel, elles ont dans leurs sacs des bombes lacrymos, des matraques, elles mettent leurs écouteurs, regardent leurs téléphones, font tout pour ne pas paraître disponibles, changent de tenue pour rentrer, etc. Ce qui apparaît, c’est qu’il y a un décalage entre les violences ressenties et les violences effectives car la plupart des violences contre les femmes se font dans la sphère privée. Mais depuis le plus jeune âge, les femmes intègrent l’insécurité de l’extérieur. On leur dit de ne pas faire du stop, de ne pas rentrer seule, on leur donne moins de liberté que leurs frères. », souligne-t-elle avant de conclure : 

« Cela se traduit par un usage plus utilitaire de l’espace urbain pour les femmes. Les hommes occupent l’espace, les femmes s’y occupent. ». 

De la cour d’école dans laquelle les garçons prennent le centre pour jouer au ballon aux rues devenues le théâtre d’un harcèlement de rue quotidien, les violences sont banalisées et entretenues par le déni d’un système patriarcal sexiste qui s’affiche dans les noms de rues, d’établissements publics et privés et les équipements sportifs.

Une observation et une analyse que l’on retrouve aussi du côté d’Edith Maruéjouls, géographe du genre qui au sein de Genre et ville a créé le bureau d’études L’ARObE (L’Atelier Recherche OBservatoire Egalité) et de Yves Raibaud, également géographe du genre et auteur du livre La ville faite par et pour les hommes : dans l’espace urbain, une mixité en trompe-l’œil. Sans oublier la réalisatrice Eléonor Gilbert qui met l’accent dans son documentaireEspacesur la répartition genrée de la cour de récré, les inégalités et les injustices que cela crée. 

FAIRE BOUGER LES POLITIQUES PUBLIQUES…

En 2015, les deux dernières personnes citées sont invitées par la Ville de Rennes à intervenir, séparément, sur le sujet. C’est un véritable déclic pour la municipalité, même si la question interpelle depuis longtemps les militantes féministes rennaises – par exemple, l’association Questions d’égalité avait invité en janvier 2011 la sociologue, formatrice et animatrice de marches exploratoires Dominique Poggi pour une conférence sur « Comment mettre fin aux violences contre les femmes dans les espaces publics » et avait invité en novembre 2015 la sociologue et auteure de l’ouvrage Genre, violences et espaces publics, la vulnérabilité des femmes en question, Maylène Lieber pour une conférence sur « Harcèlement de rue – Quelles conséquences pour les femmes ? Comment agir ? » - et le Conseil consultatif à l’égalité entre les femmes et les hommes. 

La libération de la parole, la multiplication des preuves et la mise en mot du harcèlement de rue semblent enfin avoir réussi à atteindre les politiques publiques mais pas toutes les politiques publiques, seulement les plus volontaires en terme d’égalité entre les sexes, à l’instar de Rennes qui ne fait pas figure d’exception mais se positionne tout de même sur une thématique quasiment vierge de toute avancée.

Dans les villes de France, la moyenne des rues portant des noms de femmes s’élève à 6%. La capitale bretonne en compte le double mais cela reste encore largement insuffisant. Depuis quelques années (2015, également), ont été instaurées sur le territoire – pour l’instant, uniquement dans les quartiers prioritaires et stigmatisés – des marches exploratoires réalisées par des groupes exclusivement composés de femmes.

Parce qu’il a été remarqué « que les femmes étaient moins nombreuses dans les espaces de consultations de tous les quartiers et que leurs paroles sont souvent déconsidérées », explique Geneviève Letourneux, conseillère municipale déléguée aux Droits des femmes et à l’égalité. Elle poursuit :

« Les marches exploratoires sont vues comme un sas avant de revenir dans les commissions traditionnelles. »

En empruntant un parcours sur plusieurs temps – en journée et en soirée – les participantes développent leurs ressentis aussi bien sur les aspects et lieux positifs que les aspects et lieux négatifs. Elles abordent alors les stratégies d’évitement mises en place et révèlent le non partage de l’espace public.

COMBATTRE LE SEXISME LATENT

Pour Geneviève Letourneux, « il ne faut pas s’en tenir à l’aspect sécurité / insécurité. Il faut dépasser ça pour parler de la ville fonctionnelle, la ville des usages, etc. Que chacune prenne sa place plutôt que d’apprendre à rester à sa place. Et pour cela, il faut trouver des manières nouvelles de faire. »

Inviter les femmes à prendre l’espace comme à l’occasion du 8 mars ou du 25 novembre, développer des parcours dans la ville comme le fait Histoire du féminisme à Rennes, valoriser le matrimoine (lors des journées du matrimoine, organisées par HF Bretagne mais aussi à l’année en donnant leurs noms à des rues, équipements sportifs, établissements, etc.).

Proposer des stages Riposte, de self-défense physique et orale, ou encore des stages d’apprentissage du vélo. Développer la médiation, à destination des jeunes filles puisque celles ci n’osent pas s’y rendre (parce qu’ils sont principalement occupés par des garçons), autour des city stades.

Compter, mesurer, étudier l’impact de ces actions en terme d’égalité, « ce n’est pas suffisamment fait ». Voilà pourquoi du 15 avril au 31 mai, la Ville de Rennes lance pour la première fois une enquête sur le ressenti discriminatoire. Chacun-e est libre d’y participer puisque le questionnaire sera publié sur Internet. 

En pleine actualité sur les urinoirs installés du jeudi au samedi pour que ces Messieurs évitent de pisser n’importe où dans la rue, les Rennaises pourraient bien dénoncer un sexisme latent puisqu’elles, sont priées de se retenir dans l’espace public, les toilettes publiques dédiées aux femmes, avec accès à des protections hygiéniques ayant été radiées des possibilités.

DANS L’ESPACE PUBLIC, LES FEMMES DÉRANGENT

Le ressenti discriminatoire, Morgane Rey, danseuse et chorégraphe de la compagnie Erébé Kouliballets, peut en parler pendant des heures. Lors du café citoyen, elle entre sans détour dans le vif du sujet :

« Depuis 30 ans, on danse en rue. On se fait systématiquement insulter dans la rue. Et pas que dans les quartiers stigmatisés ! »

Quand les percussionnistes se joignent à elles, elles sont moins agressées. Mais dès qu’elles ressortent seules, « c’est reparti comme en 14 ! Là je rigole mais je rigole pas quand ça m’arrive avec les danseuses. ». Elle poursuit : 

« Avant, le 8 mars, à 8h, on dansait en culotte, soutif, porte-jarretelles ! On oserait jamais faire ça maintenant. On a fait un trio par exemple sur la burqa, on ne le referait pas maintenant, ce serait impensable. Aujourd’hui, on demande systématiquement à des gens qu’on connaît de nous accompagner pour parer quand on danse en rue. Le corps de la femme dérange. Comme si c’était trop pour les gens qu’une femme prenne l’espace public. Avec mes danseuses, on a fait un cercle de paroles, elles m’ont demandé si on pouvait pas aller dans des endroits plus « doux » comme des parcs ou des plages… Moi, je les comprends et puis je veux pas les mettre en danger. Mais c’est fou d’en arriver là ! »

Pour la maitresse de conférences en sociologie Isabelle Danic, « la revendication à l’égalité peut être vue comme transgressive… » Mais pour la chorégraphe, il ne s’agit nullement d’une transgression. Certes, la compagnie a toujours été engagée mais danser dans la rue, au-delà d’un acte militant, est un acte artistique. Seulement, « on a vite compris qu’on n’avait pas notre place dans l’espace public. Il y a un vrai souci à travers une place, une rue, etc. Les femmes n’ont pas envie de se faire remarquer par les hommes qui sont en plein centre de l’espace. »

L’EMPOWERMENT COLLECTIF

La solution, pour l’instant, qu’elle a trouvé et à laquelle elle a recours : la sororité. Et justement, dans le public, une femme témoigne. Elle habite le quartier et connaît bien les cafés du coin. Non par addiction à l’excitant mais parce que régulièrement, elles sont toute une bande à y aller en même temps pour boire leur jus. Et par la même occasion, pour montrer que les femmes sont là et qu’elles comptent bien y rester.

Son témoignage, qui prône l’empowerment collectif, est joyeux et militant. Mais il souligne bien la problématique actuelle : il est nécessaire de se réunir à plusieurs pour « affronter » l’espace public urbain et se le réapproprier. Les femmes sont aujourd’hui obligées de crier haut et fort qu’elles ne sont pas cantonnées à la sphère privée. La ville doit se construire ensemble, pour tout le monde. Le chemin est encore long et prend bel et bien le nom de toutes les femmes désireuses d’une égalité réelle au sein de la cité.

Célian Ramis

"Dans le documentaire, il y a plus de réalisatrices car il y a moins de budget"

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Interview de Céline Dréan, réalisatrice et scénariste de documentaires à Rennes, à propos de la place des femmes dans le milieu du cinéma.
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Le 12 février, elle participait, aux côtés de Véronique Le Bris, journaliste et fondatrice du magazine en ligne Cine-Woman, à une table ronde animée par HF Bretagne sur la place des femmes dans le milieu du cinéma, précédée de la projection du film de Clara et Julia Kuperberg Et la femme créa Hollywood. Au Tambour (université Rennes 2), dans le cadre du festival Travelling. L’interview a été diffusée dans le numéro 78 de YEGG (mars 2019), on la retranscrit ici dans sa globalité car le sujet reste, malheureusement, toujours d’actualité. 

Le film s’attache à montrer que 1910 – 1920 est une période où les femmes à Hollywood ont de grandes responsabilités et tout d’un coup, plus rien. Que s’est-il passé ?

Je suppose qu’il y a un faisceau assez complexe de causes mais l’essentiel, c’est que l’argent est arrivé. Au départ, le cinéma était un art complètement expérimental, il n’y avait pas d’enjeu financier. C’était plutôt un endroit dans lequel venaient les personnes qui n’avaient pas de travail, c’est-à-dire les femmes, qui n’arrivaient pas à être embauchées ailleurs. C’est quand les industriels ont commencé à s’intéresser au cinéma et donc à y mettre de l’argent que l’enjeu a été modifié. Ce n’était plus seulement un enjeu de création mais c’était également un enjeu économique et c’est là que les hommes sont arrivés et ont pris le pouvoir. Ce qui est assez symptomatique – alors là je m’avance peut-être un peu – de plein d’autres domaines, comme les sciences par exemple.

Il y a un autre mouvement dans les années 80. Il y a des femmes réalisatrices et finalement ça ne perdure pas…

Alors, c’est pas comme ça que je voyais le truc. Si on prend les différents genres définis par le Centre National du Cinéma et de l’image animée (la fiction, le documentaire et l’animation), évidemment, il y a plus de femmes réalisatrices aujourd’hui. Mais le genre où il y en a le plus, c’est le documentaire. C’est le genre le plus pauvre. Avec les plus petits budgets.

Si on regarde en animation – je n’ai pas de chiffre précis mais on en a parlé pendant la table ronde - il semblerait qu’il y ait pas mal de femmes qui font des courts-métrages, qui sont sur des choses plus expérimentales où il n’y a pas beaucoup d’argent, mais sur le long-métrage, il n’y a quasiment pas de femmes. Peut-être une ou deux. Le passage au long-métrage ne se fait que pour les hommes alors qu’il y a pas mal de femmes en anim’ au départ.

Là, c’est pareil, c’est l’arrivée de l’argent, le fait que d’un coup l’enjeu économique est fort et donc les hommes prennent le pouvoir.

Comme si une femme ne pouvait pas gérer un budget trop élevé, n’avait pas les épaules, l’ambition, la capacité à en avoir la prétention. Je crois beaucoup à la manière dont on est éduquées… Peut-être que la génération qui arrive va se comporter différemment. J’ai tendance à vouloir être optimiste.

Je dévie un peu mais la dernière fois pendant la rencontre, il y avait quelques rangées d’étudiantes qui avaient l’air d’être assez engagées. Moi, j’ai fait des études de cinéma et j’ai strictement jamais entendu parler de ces femmes. Jamais, jamais. Alors que j’avais un prof de cinéma absolument merveilleux, qui était un ponte de l’histoire du cinéma, et je n’ai jamais entendu parler de ces femmes.

Et il y avait des jeunes filles qui disaient à la rencontre qu’elles avaient eu un cours, pas par l’histoire du cinéma mais par la sociologie je crois, par une prof qui venait d’arriver à la fac, où elles ont découvert tout ce pan de création du début d’Hollywood. Là, récemment. Alors je me dis que ça bouge. Et je me dis que si elles ont, elles, cette connaissance-là, elles auront probablement un rapport différent à la transmission.

Vous avez évoqué l’éducation, la manière dont on intègre des attitudes, comportements, etc. Le film montre les processus d’invisibilisation. Montre-t-il également les freins qu’ont les femmes à accéder à tous les postes ? 

Alors le film est vraiment sur l’invisibilisation, sur ce processus qui est quasiment un rapt. C’est vraiment incroyable… C’est tellement gros… Après, on continue dans l’histoire du cinéma, l’histoire du studio, le fait qu’il n’y ait plus de productrices (il y en a juste une), qu’il n’y ait qu’une seule femme à avoir eu un Oscar… Il n’y a jamais eu autant de femmes à faire du cinéma qu’à cette époque ! C’est quand même incroyable ! Aujourd’hui encore il y en a beaucoup moins qu’à cette époque. Il y aurait pu avoir un creux et après ça remonte tranquillement avec les années 70, avec les luttes pour l’égalité. Non, jamais on est revenues à ce niveau.

Pourquoi, alors ? Comme vous dites, il y a eu de nombreuses luttes féministes. Pourquoi le milieu du cinéma n’a pas été investi par ces questions-là comme aujourd’hui il commence à s’investir dans ces luttes ? 

Je crois vraiment que c’est l’argent qui explique tout ça. Et aussi, comme je le disais tout à l’heure, je crois beaucoup qu’on intègre dans la manière dans laquelle on est éduquées et dans toutes les choses inconscientes qui sont du coup difficiles à débusquer… Il s’agit pas de dire que tous les parents d’une génération ou d’une autre sont coupables ou pas, ce sont des choses qui sont très souterraines, qui se transmettent de manière souterraine.

Dans mon milieu, dans les gens qui sont autour de moi, mes collègues, dans ce que je connais et ce que je vis moi aussi, je suis absolument sure que nous les femmes on négocie quasiment jamais nos salaires. Et que les hommes les négocient. Pas parce qu’ils sont des gros requins et que nous on est nulles. Mais parce qu’ils ont l’habitude de négocier pour être payés à leur juste valeur et ils ont la prétention, au sens très positif du terme, de négocier.

Et nous, je crois vraiment, qu’on négocie peu ou pas. Je sais pas si on peut faire des généralités ou pas mais je crois qu’on a intégré quelque chose de l’ordre du ‘faut pas trop déranger, faut être sage, être appliquée, bien travailler’. C’est un peu cliché de dire ça mais c’est encore à l’œuvre. En tout cas dans ma génération. J’espère vraiment très sincèrement que ça diminue voire que ça disparaisse. Mais prétendre, avoir de l’ambition, se dire qu’on a envie de faire un truc… Ce sont des choses que les hommes font plus facilement que les femmes. Ils vont plus facilement vers des trucs ambitieux, avec une espèce de panache.

Des femmes peuvent le faire, évidemment ça existe. Mais si on le fait, je pense que ça nous coûte plus. La question de la légitimité, les femmes se la posent beaucoup plus que les hommes. Après, je pense aussi qu’il y a une histoire vraiment d’argent et de pouvoir. Parce que tant qu’il y aura principalement, et là je peux le dire très concrètement, des hommes de 50 – 60 ans à tous les postes, enfin à beaucoup de postes qui sont des lieux de pouvoir, c’est logique qu’il y ait une vision plus masculine des choses.

Un exemple très concret : il y a eu récemment une table ronde de travail sur des questions très importantes, sur l’audiovisuel public (la réforme de l’audiovisuel c’est hyper important pour nous), avec des enjeux très forts. Autour de cette table, il y avait une dizaine de personnes. Des gens à des postes importants de décision. Il y avait notamment France 3, plusieurs directeurs de France 3 région, des directeurs de la SCAM, les dirigeants des services culturels de la région et un modérateur. Donc une dizaine de personnes qui étaient tous des hommes de 50 – 60 ans et une femme qui venait représenter son directeur.

C’est symptomatique ! Ça n’enlève rien à leur valeur, ce sont des gens qui sont intéressants, comme partout, il y a des gens avec qui tu es d’accord, pas d’accord, que tu trouves brillants, d’autres pas intéressants, etc. Mais il n’empêche que ce sont tous des hommes. C’est très symptomatique à notre époque. Ça commence à changer mais ça prend du temps. 

C’est peut-être compliqué de faire bouger les choses quand les femmes sont réalisatrices mais qu’on sait que ce sont elles qui ont les plus petits budgets. On dit que les femmes sont souvent plus dans un cinéma indépendant. Elles ne sont pas à la tête des blockbusters, des productions, etc.

Ah non non non c’est vrai. A la SCAM, il y a un exemple sur les chiffres. Ils datent de 2014 – 2015 mais doivent probablement être assez actuels, même si ça pousse à la SCAM, avec un CA qui est en train de se féminiser. Mais, à la SCAM, il y a 35% de femmes sur presque 30 000 adhérents.

Si tu regardes dans la tranche des moins de 30 ans, il y a plus de 50% de femmes. Entre 30 et 40 ans, tu baisses à 48% de femmes. Après 40 ans, c’est à 37%. Après 50 ans, c’est 30%. Et après 60, c’est 25%. C’est quand même assez vertigineux comme chute. Il y a plus de 75% des plus de 50 ans à la SCAM qui sont des hommes.

Pour voir l’ampleur du truc, j’explique comment fonctionne la SCAM : tu as des grades. Quand tu arrives, tu es adhérent. Ensuite, en fonction du nombre d’heures de film que tu fais, tu montes en grade. Tu deviens sociétaire stagiaire, puis tu deviens sociétaire. Chaque grade a un nombre de voix différent à l’assemblée générale. Donc évidemment, plus tu es vieux, plus tu as fait des films, plus t’as une voix. Par définition, il y a moins de femmes qui sont sociétaires.

Evidemment, il y a une autre raison à ça, c’est la question des enfants. Moi je tiens à ce que l’on oublie pas ça. Des fois, on a tendance à oublier de parler de ça dans le milieu culturel parce que le milieu culturel il aime à penser qu’il est plus évolué que les autres de ce côté-là, du côté de la répartition des tâches, alors que c’est archi faux. En réalité, il est peut-être plus évolué en terme de répartition des tâches avant que les enfants arrivent.

Mais après… Quand tu veux faire des films, il faut que tu t’en ailles, tu dois pouvoir partir en repérage, en tournage. Comme quand tu veux prendre des responsabilités dans n’importe quel métier et que tu rentres tard parce que tu as des réunions, etc. Ça reste compliqué. Si tu es avec quelqu’un et que c’est toi qui prend le plus en charge l’organisation de la famille, tu ne peux pas partir trois semaines en tournage et ça c’est quand même une clé !

On entend de plus en plus en interview les actrices dirent qu’elles viennent d’avoir des enfants et qu’elles partent en tournage avec les enfants. Par contre, on n’entend pas les acteurs dirent qu’ils partent en tournage avec les bébés… 

Ouais et puis on entend des actrices qui sont à un niveau hyper élevé, qui peuvent avoir des nounous avec elles. Une technicienne son, une cheffe op’, une réalisatrice qui fait plutôt du documentaire, je peux te dire qu’il y aura pas de nounou, pas de budget pour ça.

Soit tu as quelqu’un d’autre qui peut assurer quand t’es pas là, soit t’as pas et t’as pas de solution. Moi, je me rappellerais toujours - et ça c’est arrivé à plein de femmes quelque soit leur milieu et leur travail – le premier festival où je suis allée après avoir eu ma première fille, un copain m’a dit ‘bah alors, qu’est-ce que t’as fait de ta fille ?’. Je suis absolument sure que personne n’a dit ça au père de ma fille quand il est sorti pour la première fois.

C’est comme la question posée aux femmes en politique, la fameuse ‘Qui va s’occuper des enfants ?’…

Ouais c’est exactement ça. Et je pense que c’est important de le redire. Y a une espèce d’impression que c’est fait mais en fait non c’est pas du tout fait et ça reste une plaie. Ça et l’argent.

Ce qui est hallucinant et que j’ai découvert en préparant la table ronde c’est qu’il y a 46% d’écart de salaire entre réalisateurs et réalisatrices. 46% ! C’est vachement plus que la moyenne nationale !

Ce qui ne veut pas dire que moi je gagne 46% de moins que mes collègues qui font des films à peu près sur les mêmes territoires que moi, avec à peu près les mêmes budgets que moi. C’est sur l’ensemble. Vu que les gros budgets vont aux hommes, ça crée une différence énorme. Ce qui crée une différence aussi énorme, c’est le fait qu’on ne confie pas à une femme des gros budgets. 46% c’est dingo !

Ça c’est en France. Depuis l’affaire Weinstein, forcément, on entend plus de choses. Notamment sur les violences sexuelles, et plus largement sur ce rapport de domination effectué par ces hommes âgés qui ont quasiment toujours été là, qui ont de l’influence. Les actrices américaines et anglaises commencent à parler. On pense à Meryl Streep, qui n’a pas attendu cette affaire pour faire des discours sur l’égalité, à Emma Watson, à Kate Winslet, etc. Il y a maintenant Time’s Up. En France, ça peine un peu… Qu’est –ce qu’on peut dire sur la situation en France ? 

À l’échelle de la fiction, je ne sais pas. Je ne comprends pas vraiment pourquoi on n’a pas le même phénomène. Est-ce que c’est lié – et ce serait affreux – à ce côté culture française, dragueur, comme on dit avec les italiens, le côté européen, latin, qui n’est pas du tout la même culture qu’aux Etats-Unis où il y a plus de puritanisme ? Ce serait lié à ce côté latin où il y aurait une acceptation plus grande du truc, intégré encore une fois par les hommes et les femmes ? Est-ce que la question financière est la même aux Etats-Unis et en France ?

En tout cas ce qui est sûr c’est que s’il y avait pas, j’ai l’impression, ce déséquilibre économique aussi grand, les femmes seraient probablement moins à la merci d’un homme. Il y a une histoire de pouvoir. Les hommes qui dominent les femmes et qui leur font subir des agressions sexuelles, des agressions, des humiliations, c’est parce qu’ils ont le pouvoir. S’ils avaient en face une femme qui avait le même pouvoir économique qu’eux, donc qui pourrait quitter la table sans prendre le risque de se faire virer ou autre, peut-être que ça changerait la donne.

La question de l’argent, c’est une clé ! Si ta survie économique dépend d’un homme, il a du pouvoir sur toi. Si ta survie économique ne dépend que de toi, que l’homme a le même niveau que toi, ça se rééquilibre. C’est comme dans un couple. S’il y a une grande différence de pouvoir économique et que ça ne se passe pas bien, y en a un qui tient l’autre, éventuellement. Si tu as une égalité de pouvoir, chacun est libre. Mine de rien, c’est vachement important.

En France, les réalisatrices commencent à parler de la question budgétaire mais leur parole reste remise en cause, ou en tout cas est minimisée. Et les actrices parlent plus des rôles qu’elles vont avoir. Ou ne pas avoir justement. Parce qu’elles vont disparaître après 40 – 50 ans… Elles dénoncent moins des inégalités en profondeur dans le milieu du cinéma. Parce qu’en même temps, on sait qu’elles sont face à une plus grande majorité de réalisateurs qui eux ont une vision masculine de la société.

Oui, elles ont souvent des rôles aussi qui sont en lien avec un homme. Aux César, si tu regardes la liste des nommé-e-s, en sortant des catégories qui sont genrées (meilleur comédien, meilleure comédienne…), les meilleurs films et les meilleurs réalisateurs – qui sont les catégories les plus prestigieuses – il y a peu de femmes. Il y a une seule femme meilleure réal’, c’est Tonie Marshall. Là pour les César 2019, sur 6 ou 7 personnes, il y a une seule femme, pour le film Pupilles, c’est Jeanne Herry. Et c’est une histoire liée à la maternité… Après, si tu regardes les autres catégories, tu as envie de chialer… 

Justement, Véronique Le Bris avec qui vous étiez lors de la table ronde, a créé le prix Alice Guy ! 

Oui, c’est vachement bien ! C’est vachement bien que le prix soit remis le jour des César, c’est un vrai symbole. C’est je pense son intention d’interpeler sur la quasi absence des femmes dans les cérémonies comme les César. Le prix Alice Guy, c’est une belle compétition, c’est un jury chouette. Et puis le chouette nom de cette femme, dont je n’avais jamais entendu parler, qui a tout appris à Méliès. C’est quand même fou ça ! Elle a fait 400 films, des films complètement fous, avant-gardistes et personne ne les connaît. C’est incroyable !

C’est le propos du film Et la femme créa Hollywood, de montrer que les femmes étaient à l’avant-garde d’Hollywood, qu’elles ont créé ce langage cinématographique que les hommes utilisent aujourd’hui encore. Elles ont été bannies de l’histoire…

Complètement !

Il y a un mouvement aujourd’hui de réhabilitation des femmes dans l’histoire, le film s’inscrit dans ce mouvement. 

Oui c’est vrai. On relit l’histoire à l’aune de cette donnée-là, d’invisibilisation qui a été forte. Même dans le milieu scientifique, il y a des tas de femmes qui ont été oubliées de l’histoire alors qu’elles ont fait des découvertes. C’est le même principe. J’imagine que dès que l’argent est arrivé, on a écarté les femmes. C’est un mouvement qui se fait parallèlement dans plein de secteurs.

Si on reprend ce dont on parlait sur les catégories genrées, on voit dans le cinéma, que si on prend l’animation, on va avoir pas mal de femmes. Qu’en est-il dans le documentaire ? 

Dans le documentaire, il y a beaucoup plus de femmes. Je n’ai pas de statistiques mais ça se voit à vue de nez. Dans le documentaire, il y a plus de femmes réalisatrices, de femmes productrices, mais c’est parce qu’il y a moins de budget. À un moment je me suis demandée si c’était pas aussi le côté ‘documentaire, c’est le regard sur le monde, la production de discours, le partage’ et donc ce serait l’apanage des femmes.

Mais on en a parlé avec Véronique Le Bris la dernière fois et elle me disait que non, c’était uniquement l’argent. La raison principale serait vraiment le manque de budget. Et même en documentaire, quand on parle de grosse collection, de série prestigieuse, de prime time, ce sont les hommes qui ont la majorité des budgets. Même dans les endroits avec plus de femmes, on n’arrive pas à passer le cap.

Et vous ne sentez pas de mouvement qui s’organise avec des femmes ? 

Si, si, il y en a. Dans l’animation, il y a un collectif qui s’appelle Les femmes s’animent, qui réfléchit, qui travaille et qui produit des choses intéressantes sur des conférences, des études, sur la question de l’héroïne, qu’est-ce qu’on propose pour les enfants, etc. Il y a ça mais à d’autres endroits, il y a d’autres choses. Dans HF Bretagne, qui a organisé la table ronde et qui travaille sur la question de l’égalité dans la culture, il est question de créer un sous groupe Cinéma. Ça s’organise.

Et puis il y a des choses aussi qui se passent au niveau des institutions. Depuis le 1erjanvier, il y a des nouvelles règles au CNC qui sont purement écrites pour pallier à l’inégalité entre les hommes et les femmes. C’est-à-dire qu’il y aura des bonus quand tu demanderas une subvention au CNC s’il y a une majorité de femmes au poste d’encadrant. C’est intéressant parce que ce n’est pas une histoire de quotas qui est compliquée. Parce qu’on a pas forcément envie d’être aidées parce qu’on est des femmes mais parce que les projets sont intéressants et qu’on a du talent.

Là, avec ce bonus, on essaye de pallier avec cette inégalité de base qui existe. D’autres mesures ont été prises par le CNC donc je pense que ça bouge. J’ai envie d’être optimiste. Mais c’est sur des choses vraiment profondes que c’est lent et donc comme toutes les choses qui sont liées à des collectifs la loi aide à faire avancer les choses. 

Il faudrait que les films passent au test de Bechdel pour attribuer les budgets… 

C’est ça ! L’autre truc aussi c’est que parmi ces nouvelles règles, les manifestations et les structures qui seront aidées par le CNC devront prouver la parité. Dans un festival aidé par le CNC par exemple, le comité de sélection devra justifier de la parité. C’est vachement intéressant ça aussi je trouve. Le festival de Berlin a pour la première fois eu une politique volontariste dans leur comité de sélection. Ils étaient à 40% et quelques de films réalisés par des femmes contre 17% l’année dernière.

Et je pense qu’ils vont être suivis. C’est un très gros festival et ils ont beaucoup communiqué là dessus. Après c’est une espèce de mode, mais tant mieux, allons-y, surfons dessus sans vergogne. Parce que ça va s’ancrer et puis à un moment plus personne n’en parlera parce que ce sera naturel. J’espère.

Encore une chose, quand je bossais à Vivement lundi !, il y avait une femme qui faisait de l’animation et une femme qui faisait du docu. Je pense pas qu’il y avait d’autres femmes, produites par Vivement lundi !, ou peut-être des co-réalisatrices. Aujourd’hui, il y en a plein ! Plein de jeunes femmes notamment. Qui font de l’animation. Et en docs aussi. J’en ai discuté avec eux justement. Et Aurélie Angebault, de Vivement lundi !, fait parti des Femmes s’animent. Elle me disait que ce n’est pas partout pareil en France. Loin de là. Ça bouge mais pas partout, pas aux mêmes vitesses.

Célian Ramis

L'origine du monde, source des malheurs

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Mise en mots et mise en corps se mêlent dans ce théâtre gestuel qui donne à entendre s’exprimer ici la moitié de l’humanité. Dans L’origine du monde, la compagnie Fiat Lux dresse un panorama non exhaustif des souffrances subies par les femmes.
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Mise en mots et mise en corps se mêlent dans ce théâtre gestuel qui donne à entendre s’exprimer ici la moitié de l’humanité. Celle que l’on oublie, celle que l’on ignore, celle que l’on minore, celle que l’on méprise, celle que l’on bafoue… Dans L’origine du monde, la compagnie Fiat Lux dresse un panorama non exhaustif des souffrances subies par les femmes. 

La tête nous tourne, vendredi 5 avril, en sortant de la représentation proposée, dans le cadre du festival Mythos, au centre culturel Pôle Sud, co-producteur du spectacle pensé et construit par la compagnie briochine Fiat Lux. Parce que pendant plus d’une heure, la pièce nous a assailli de témoignages de femmes.

Et quand les femmes témoignent de leur condition de femmes, c’est rarement joyeux. Mais c’est nécessaire pour donner à entendre, pour faire comprendre. Faire comprendre qu’à cause de leur sexe, de cette origine du monde pour reprendre le nom du tableau de Gustave Courbet – qui a peint là une partie du corps de Constance Quéniaux – elles seront les proies de nombreuses discriminations tout au long de leurs vies.

Pendant près de 2 ans, le metteur en scène Didier Guyon a travaillé à la création de ce spectacle, dont la première représentation a eu lieu en mars 2019. Dès janvier 2017, il a collecté des paroles de femmes, tout comme il avait procédé pour Dis moi, présenté en 2016, autour de la vieillesse. 

Des entretiens avec une cinquantaine de femmes, dont la durée oscille entre 1h et 1h30, il en a gardé des extraits mais surtout en a préservé l’essence pour la restituer avec le plus de véracité possible. Parce que l’intime est politique, il faut manier les témoignages avec soin et précaution et essayer au maximum de ne pas les manipuler.

Le récit nous plonge au cœur de la condition féminine, celle qui prend forme dès lors que la jeune fille devient femme. Un moment qui surviendrait aux premières colorations rougeâtres de nos culottes.

« Ma mère m’a dit « Un jour tu vas voir tu vas avoir du sang dans la culotte… ». Ça faisait belle lurette que je savais ça ! Fin de l’éducation sexuelle. »

Dès les premières règles, les femmes s’avèrent différentes les unes des autres. Mais rares sont celles qui le vivent avec joie et légèreté et nombreuses sont celles qui éprouvent de la honte. Une honte liée aux tabous autour des menstruations et plus largement du corps et de la sexualité.

De la ménarche déboussolée à la femme atteinte d’endométriose, on passe à l’escort militante se positionnant en faveur de l’accompagnement sexuel des personnes handicapées à la meuf qui adore sucer des bites mais qui aujourd’hui en est dégoutée.

« C’est comme les huitres. J’adorais ça, le matin au petit déjeuner avec du vin blanc et puis un jour j’ai été malade, j’en ai plus jamais mangé. C’est ça en fait. C’est ouf. »

Il y en a pour qui la sexualité est source d’épanouissement personnel mais aussi pour qui la thématique est complexe « parce que c’est une invitation à être soi et ce n’est pas si simple parce qu’on peut en avoir envie et peur à la fois. » Ou alors parce que leur orientation sexuelle n’est pas bien vue et leur homosexualité, elles n’en ont pas parlé à leurs familles. Ou encore parce que l’injonction à la virilité obstrue les rapports : 

« Y a des mecs qui me prennent la tête parce qu’ils peuvent pas bander. Si tu veux faire jouir une femme, t’es pas obligé de bander ! Peu importe la raison, ça finit toujours par être de la faute (des femmes), toujours ! »

Au fur et à mesure de la pièce, on avance crescendo vers les violences symboliques (in)visibles. Principalement autour de la maternité. Avortements cachés, accouchement douloureux, fausse couche, parcours PMA, mort du nourrisson… Les femmes intègrent rapidement et inconsciemment le poids des tabous, s’orientant instinctivement vers le silence, pour se protéger.

Et puis, il y a aussi les mauvaises mères. Celles qui partent travailler au lieu de rester dans le foyer pour s’occuper de l’éducation des enfants. Mais la société est bien faite et elles le paieront puisqu’elles se confronteront alors au sexisme des métiers genrés et au plafond de verre qui les empêchera d’atteindre des postes à responsabilités.

Les femmes n’ont pas les épaules pour gérer des gros budgets mais elles ont les visages tuméfiés et les dos fouettés. Elles sont nombreuses, malheureusement, à endurer les violences physiques, psychologiques et/ou sexuelles. Sont nombreuses aussi, malheureusement encore, à faire perdurer la culture du viol de génération en génération.

« Le système est bien construit, il est très difficile à remettre en cause. Il faut déconstruire les mères. »

Quand est-ce que le schéma de l’horreur s’arrête ? À la ménopause ? Ce moment où la femme arrête d’être une femme parce qu’elle ne peut plus concevoir d’enfant ? La pièce se termine sur un message d’espoir. Finalement, cet instant tant redouté ne devrait-il pas être le moment tant attendu ? Le plus beau jour dans la vie d’une femme libre ?

« Le corps se modifie et on peut enfin choisir sa vie. Je veux être libre, je veux plus qu’on m’emmerde, je veux vivre ma vie de femme, d’individu. »

Un individu doté de son passé, de la sagesse tirée de ses expériences, de ses souffrances vécues mais aussi d’un regain de vitalité, d’une envie de sexualité, etc. Un individu libéré du poids de la contraception et de ses conséquences. Mais également un individu qui vogue désormais dans les eaux de la vieillesse.

Comme pour les règles, elles ne sont pas égales dans la traversée de cette énième aventure réservée aux personnes ayant un utérus. Certaines veulent chanter à tue-tête « Libérée, délivrée », tandis que d’autres ont juste envie que ça s’arrête parce qu’elles subissent les bouffées de chaleur et autres déconvenues depuis 15 ans.

Le spectacle s’arrête, laissant les deux comédiennes entièrement nues sur le plateau avec le son de ce dernier témoignage affirmant le moment où la personne est devenue femme : quand elle a arrêté de se définir par rapport à l’homme. C’est le soulagement. Les nerfs à vif, on se laisse submerger par l’émotion d’un public aux applaudissements forts et sincères.

C’est douloureux d’entendre toutes ces paroles résumant des siècles de souffrances infligées, aujourd’hui encore, par des sociétés patriarcales qui plongent la moitié de l’humanité dans le silence et le mépris et une partie de l’autre dans le déni, sorte également de souffrance puisque la virilité, tant qu’elle n’est pas questionnée, restera source de malheurs et de frustrations pour l’intégralité des populations.

C’est douloureux et pourtant, on recommande L’origine du monde à quiconque souhaite satisfaire sa curiosité envers la condition féminine et l’égalité mais aussi en matière d’art social sublimé par la créativité et l’originalité de la compagnie Fiat Lux. 

Sans oublier le talent des comédiennes, Eléonore Gresset et Ian Su, qui réalise là une performance époustouflante. Jamais elles ne parlent durant la pièce. Leurs corps sont le réceptacle des paroles de celles qui témoignent. Et à travers elles et leur jeu se mêlent émotions violentes, fragilité, tendresse et parfois même humour.

Par du mime, du théâtre d’objet, de la danse des signes, des marionnettes, elles restituent les propos, diffusés en bande audio, des femmes qui osent exprimer leurs vécus et expériences, joyeux ou douloureux. De ce croisement du théâtre gestuel et du théâtre documentaire nait une intensité et une puissance à nous couper le souffle. Comme quand on reçoit un coup violent dans le haut du dos.

On ne peut plus respirer parce qu’une partie de l’humanité suffoque là devant nos yeux et dans le creux de nos oreilles. On ne peut plus respirer non plus parce que face à nous se joue le quotidien tragique de la société à laquelle on appartient. À la fin du spectacle, une bouffée d’oxygène vient nous réanimer.

Parce que le public salue avec hargne le travail de la compagnie Fiat Lux qui a le courage de porter une telle thématique sur les planches, dans la lignée de Marine Bachelot Nguyen ou de Julie Berès, entre autres, toutes deux présentes lors du festival Mythos. Si la noirceur de l’âme humaine trône sur le plateau, on finit par entrevoir un espoir.

Celui de la prise de paroles, celui de l’écoute, celui de la prise de conscience, celui de la transmission et enfin celui de l’éducation à l’égalité. On le sait, l’art en a le pouvoir et L'origine du monde vient nous le rappeler.

Célian Ramis

Duras & Platini : un duel au sommet

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Quand Michel Platini s’entretient avec Marguerite Duras en décembre 87 dans les locaux de Libération, c’est une interview surréaliste. Quand Mohamed El Khatib s’empare de la thématique en avril 2019 à la Parcheminerie, c’est un spectacle drôle et social.
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Quand Michel Platini s’entretient avec Marguerite Duras en décembre 87 dans les locaux de Libération, c’est une interview surréaliste. Quand Mohamed El Khatib s’empare de la thématique en avril 2019 sur la scène de la Parcheminerie, lors du festival Mythos, c’est un spectacle drôle et social qui défile sous nos yeux. 

On avait aimé découvrir en 2016, à l’occasion de ce même festival, la pièce Moi, Corinne Dadat, écrite et mise en scène par Mohamed El Khatib. On avait aimé parce qu’il savait utiliser l’humour pour piquer à vif. 

Il réitère, les 4 et 5 avril, au théâtre de la Parcheminerie à Rennes, avec Duras & Platini, une grande intellectuelle et un monstre du football. Elle a écrit, entre autres, L’amant et a reçu le prix Goncourt pour celui-ci quelques années plus tôt. Il a été le capitaine des Bleus, champion d’Europe et plusieurs fois demi finaliste de la Coupe du monde. Cette année-là, il raccroche les crampons. 

De cette interview, il garde le souvenir de « quelque chose de complètement irréaliste, ou plutôt surréaliste, dans la mesure où moi je ne savais pas qui était Marguerite Duras, je n’avais pas conscience de son rayonnement intellectuel. Non je n’étais pas impressionné, puisque je ne mesurais pas l’importance de cette personne dans un monde littéraire dont j’ignorais tout ou presque. En revanche, j’avais été très intéressé, car j’ai toujours adoré le contact avec des gens qui n’étaient pas du football. Avec elle, j’étais servi, car j’étais certain qu’elle n’était jamais allée à un match de football. »

Mohamed El Khatib est très jeune lorsqu’il apprend que le Maroc est divisé en deux catégories : d’un côté, les supporters du Real de Madrid et de l’autre, les supporters du FC Barcelone. Il a 6 ans quand, devant la télé, son oncle hurle : « On a niqué la reine d’Angleterre ! ». 

La « main de Dieu » de Diego Maradona propulse, en 1986, l’Argentine en demi finale de Coupe du monde, face à l’Angleterre. « Trente ans plus tard, ce même Maradona adresse au Nigéria et au monde entier un doigt d’honneur. », souligne le metteur en scène. 

Pour lui, il n’y a pas de football sans politique. Et le lien football et littérature lui apparaît comme une évidence, les deux étant des surfaces de réparation de la démocratie. Les deux posant la question du récit et comment on raconte la vérité. C’est ce qu’il va mettre en perspective pendant cette heure de théâtre-documentaire du passé pour comprendre le présent.

Et c’est cette question de la vérité qui va être au cœur de l’échange entre Marguerite Duras et Michel Platini qui s’en souviendra comme d’un moment bien plus difficile que tous les matchs qu’il a joué.

Comme à son habitude, Mohamed El Khatib ne quitte pas le plateau et accompagne durant tout le spectacle les comédiens qu’il a choisi pour interpréter ce duel : Anne Brochet et Laurent Poitrenaux.

Ensemble, ils font renaitre une partie d’un entretien fort intéressant à analyser alors que 30 années se sont écoulées depuis. L’angélisme dont parle l’autrice à propos du footballeur, on le perçoit à son propos à elle. C’est beau la manière dont elle appréhende l’homme qu’elle a en face d’elle et la manière dont elle saisit le sport.

« C’est mon métier de regarder le monde »
dit-elle. 

Elle paraît naïve dans ces questions parce qu’en réalité elle l’est, vierge de tout intérêt pour la discipline footballistique. Tout comme Michel Platini avoue n’avoir aucune connaissance du domaine littéraire.

Mais Marguerite Duras a l’avantage et creuse rapidement l’écart. Sans chercher à le piéger, elle le pousse dans l’intellect et dans l’analyse de quelque chose de plus profond, de plus viscéral. Alors qu’il défend le sport comme un spectacle, elle s’enfonce dans les méandres de l’âme humaine pour comprendre ce qui mène à la folie les nations, provoquée par le ballon rond.

Elle évoque le drame du Heysel, survenu en mai 1985 à Bruxelles. Liverpool contre la Juventus. 39 morts et plus de 450 blessés. Parce que des grilles de séparation et un muret ont cédé à la pression et au poids des supporters.

Lui, il n’a pas vu, il était dans les vestiaires. Personne n’avait conscience de ce qui se déroulait à quelques mètres de là. Alors, oui, ils ont joué. Le football, c’est, encore une fois, du spectacle. Duras ne le lâche pas, elle le titille. Que ce soit en prononçant mal le mot « football » (qu’elle prononce « footballe » tout le long de l’interview, malgré les nombreuses rectifications de Platini) ou en cherchant avec insistance ce qui fascine tant dans « ce jeu démoniaque et divin ». 

Il n’y a aucune vérité dans le foot, lui rétorque l’ancien numéro 10 qui estime que le match parfait n’existe pas, sinon il y aurait tout le temps 0 – 0. Ce sont les erreurs qui font gagner l’équipe adverse. Ce sont les coups de génie dans une action. Les coups de folie. Qui peuvent être positifs comme négatifs.

Pour lui, le football, c’est le « seul truc français dont on parle dans le monde entier. » Et « la littérature ? »,soulève Duras. À ce moment-là, le public rigole. Mais la célèbre femme de lettres n’en est pas moins sérieuse. Au contraire, elle y va, lui rentre dedans, lui soulignant qu’elle est traduite dans plus de 30 pays « ce qui fait plus que l’Europe et l’Amérique du Sud ». Et paf ! 

Il ne se démonte pas et lui rend le taquet :

« Oui, mais si vous allez dans les favelas, la littérature n’est pas importante, le football, oui. »

Centré sur sa discipline et sa carrière, il ne s’aperçoit pas de l’ampleur intellectuelle de celle qui se trouve en face de lui. Et lui renvoie par moment de la condescendance. 

Une condescendance que l’on peut saisir peut-être parce qu’il y a 30 ans d’écart entre l’interview et la pièce de Mohamed El Khatib. À l’époque, cela était sans doute considéré comme normal. Toutefois, elle soulève la misogynie du foot, le racisme et le « pré-fascisme ». Ils parlent récupération politique, Platini refusant toute approche à cet instant, et envisagent l’avenir du joueur qui deviendra peu de temps après sélectionneur des Bleus.

Son tempérament de leader, acquis parce que les gens avaient besoin de lui, elle lui permet de l’analyser sans fausse pudeur. Elle a ce don de le faire accoucher de son moi profond. Sans le savoir, il se livre, se dévoile et dit « des choses importantes, même s’il n’en a pas encore conscience ». Elle est visionnaire Marguerite Duras. 

Son approche sensible des événements, sa capacité à analyser très rapidement les propos de l’autre, son intelligence sous couvert de naïveté… Elle nous fascine. Pendant quasiment tout le spectacle, on en oublie que Platini est le cœur de l’interview. Parce que finalement, elle est la tête mais en devient aussi le cœur encore plus que lui. Elle l’envoie sur la touche.

Si l’interview est qualifiée de duel, on voit sur scène un duo. Entre légèreté et dureté, c’est sans doute un bras de fer intellectuel qui s’engage là, sous nos yeux de novices ignorant jusqu’alors l’existence de cette interview qui est loin d’être surréaliste. Quand la littérature de Duras et le football de Platini rencontrent le mordant d’El Khatib, de Poitrenaux et de Brochet, c’est un moment d’extase sociale et politique qui s’installe.

Célian Ramis

Mélissa Laveaux, les notes engagées d'un coeur en Haïti

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Avec Radyo Siwèl, Mélissa Laveaux recompose le puzzle de l’Histoire d’Haïti, île natale de ses parents, avec son histoire personnelle. Mercredi 3 avril, elle contait l’occupation américaine mais surtout elle chantait la résistance et la liberté.
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Avec son troisième album Radyo Siwèl, Mélissa Laveaux recompose le puzzle de l’Histoire d’Haïti, île natale de ses parents, avec son histoire personnelle. Mercredi 3 avril, sous le Cabaret botanique de Mythos, dans le parc du Thabor, elle contait l’occupation américaine de 1915 mais surtout elle chantait la résistance et la liberté. 

Musicienne, compositrice et chanteuse, elle a pris son envol artistique depuis plus de 10 ans. Sur les deux albums précédents, elle chante en anglais, en français et en créole. Parce que ça représente bien là l’univers polyglotte dans lequel elle a grandit.

Née au Canada, à Montréal, elle va ensuite vivre à Toronto et Ottawa avant de poser ses valises à Paris dès le début de sa carrière. Sur France Culture, en mai 2018, elle explique : « Je me sens haïtienne dans la manière dont j’ai été élevée, dont je compose, dont je me situe par rapport au monde. Mais nous sommes tous en mouvement, donc mon haïtienneté change aussi. »

Sa musique est imprégnée de celle de Martha Jean-Claude, exilée à Cuba dans les années 50 qui chantait son Haïti. Et elle, se souvient d’entendre des bribes de conversations entre sa mère et ses tantes qui parlent en créole, langue qu’elle n’a jamais apprise, qu’elle ne connaît que par fragments.

Le pays aussi lui est inconnu jusqu’en 2016 lorsqu’elle ressent le besoin de séjourner quelques temps sur l’île. Là-bas, elle reconstitue une partie de son histoire familiale, son histoire personnelle, à travers la mémoire collective.

L’essence de Radyo Siwèl vient de là. Il n’est pas un retour aux racines, il est une continuité dans l’exploration de son identité. Elle qui fait vibrer le Magic Mirror de son rock caribéen s’empare de tout ce qu’on a lui a confié lors de son voyage et se réapproprie les chants folkloriques d’un Haïti colonisé qui n’a jamais capitulé. 

« Qu’est-ce que les gens chantaient à l’époque de l’Occupation américaine d’Haïti ? On ne connaît pas bien l’histoire de la musique haïtienne. Mais la musique haïtienne répond toujours au politique, il y a une tradition de riposte. », déclarait-elle sur France Culture

Cet album est donc marqué de l’histoire d’Haïti entre 1015 et 1934, chaque chanson est chantée en créole, accompagnée d’une base d’arpèges blues à la guitare électrique et de percussions aux influences caribéennes.

Mélissa Laveaux a un don pour insuffler de la légèreté là où réside un drame passé. Elle entraine avec aisance le public dans ses histoires qu’on ne comprend pas mais qu’on ressent. Elle nous guide, à travers l’histoire d’un président haïtien dont le chapeau tombe et qui se décide à le ramasser pour le remettre sur sa tête, alors que tout le monde lui dit que ça porte malheur. « Et il meurt », lance-t-elle avec le sourire. 

Dans la chanson suivante, « la malchance continue ». Sans trop en dire parce qu’elle sait qu’elle parle trop entre les morceaux, elle livre des indices : « jeune fille / pouvoirs magiques / chèvre / divorce de la chèvre / perte des pouvoirs magiques / son père qui meurt. »

Tout le concert est rythmé par sa bonne humeur, la puissance de sa voix et le croisement entre la chape de plomb de l’Occupation américaine et les chants de célébration et de victoire des Haïtiens « qui n’avaient pas de guitare électrique en 1934 mais qui ont chanté cette chanson après 20 ans d’occupation, on peut donc honorer le combat qu’ils ont mené contre les soldats ». 

L’engagement de Mélissa Laveaux ne se réduit pas à conter l’histoire des bons contre els méchants ou des victimes contre les bourreaux. Il est bien plus subtil que ça. Il réside dans chaque recoin de sa personnalité, dans chaque note de sa musique, dans chacun de ses choix artistiques.

Ce qu’elle livre sur scène ce soir-là, c’est aussi une partie de l’esprit d’Haïti qui perdure encore aujourd’hui là-bas mais aussi en elle puisque cet esprit a baigné dans l’éducation de ses parents quittant l’île pour le Canada.

« Quand les américains ont pris possession de l’île, ils ont interdit aux habitant-e-s de pratiquer le vaudou car ils avaient peur que les Haïtiens aient signé un pacte avec le diable. », explique-t-elle en guise d’introduction d’une de ses chansons. « Mais on s’en fout qu’ils nous tuent, on s’en fout, on fait ce qu’on veut. »

C’est ce vent de liberté que la musicienne vient insuffler. Elle qui par recherche d’une partie de son identité s’est permise de réinventer des sonorités, d’incruster des éléments bien à elle dans une histoire ciselée entre récit national, témoignages, expressions imagées de sa mère et de ses tantes, chansons populaires transmises par les Bann’ Siwèl (orchestres troubadours) et croyances spirituelles (parfaites pour torturer les esclavagistes).

Les textes, lourds de sens et de symboles, et la voix puissante de Mélissa Laveaux se marient à des mélodies entrainantes et dansantes. Emancipatrices. C’est le message de la chanteuse canadienne qui réussit à faire vivre le passé de son histoire familiale, sans en occulter la charge émotionnelle, et à se l’approprier pour en faire une belle branche de son arbre personnel, bien enraciné, qu’elle alimente en une multitude de feuilles et de prunes, appelées sirouelles (Siwèl, en créole).

Célian Ramis

Face aux assignations sexistes et racistes, désobéir

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D’un pas décidé et d’un bloc, le regard bien droit et profond, les quatre comédiennes nous secouent dès leur entrée en scène. L’impact est imminent et puissant avec la pièce Désobéir de Julie Berès, présentée à l’Aire Libre, les 29 et 30 mars.
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D’un pas décidé et d’un bloc, le regard bien droit et profond, les quatre comédiennes nous secouent dès leur entrée en scène. L’impact est imminent et puissant avec la pièce Désobéir de Julie Berès, présentée au théâtre de l’Aire Libre, à St Jacques-de-la-Lande, les 29 et 30 mars. Dans le cadre du festival Mythos. 

Désobéir, elles le graffent au couteau dans le mur noir au fond de la scène. Dès les premières minutes, elles donnent le ton. Elles ne sont pas des filles sages. Elles sont des femmes plurielles et singulières. Complexes. Avec leurs rêves, leurs désillusions, leurs révoltes, leurs désirs et leurs espoirs.

Elles ont la flamme de celles qui combattent les assignations et injonctions parce qu’elles doutent, interrogent, trébuchent, remettent en question, souffrent, encaissent, crient et transforment colère et tristesse en boules d’énergie capables de les porter loin. Et surtout, elles parlent et partagent.

Dans Désobéir, Julie Berès croise les récits de vie, les réflexions et les questionnements des femmes observées et rencontrées à Aubervilliers lors d’une immersion documentaire proposée dans le cadre des « Pièces d’actualité » du théâtre de la Commune. 

La metteuse en scène s’empare alors de la Pièce d’actualité n°9 pour entrer en contact avec les femmes du 93, s’intéressant au départ à ce qui se joue dans le processus de radicalisation de celles qui, viscéralement marquées par les injustices et inégalités, se laissent séduire par les discours de Daech.

C’est Nour qui ouvre le bal dans une mise en scène très épurée. Le plateau vide, une chaise sur laquelle elle s’installe et son visage projeté en direct sur le mur, filmé par un Smartphone. Entièrement voilée, elle raconte la naissance en elle, au collège, de « ce sentiment très fort, le sentiment que rien n’est juste et qu’on nous élève dans le mensonge. » Un sentiment qui lui procure tristesse et honte. 

Sa relation épistolaire moderne – sms, Facebook, WhatsApp – avec Hassan, son obsession d’un monde meilleur, sa découverte de l’Islam défendant « les frères, les faibles et les opprimé-e-s » et son voyage intérieur l’apaisent. Elle décide de se voiler et apprend à vivre avec, à marcher avec, à affronter le regard de la société avec. 

N’en pouvant plus de ressentir de la haine, elle prend ses affaires et fugue pour rejoindre Hassan qui, à l’adresse indiquée, est absent. « Il a retourné la religion contre moi, je devenais folle de rage, folle de haine. », scande-t-elle, avant de découvrir qu’il s’était marié, révélation qui lui inflige « une douleur violente » : 

« Il salit tout ce en quoi je crois. Mais j’ai gardé les textos, mon voile et l’Islam. Parce qu’il est plus grand que moi et mes erreurs. Plus grand que ma colère, la France et tous ses racistes. »

Aujourd’hui, elle ne sait pas trop ce qu’elle a envie de faire mais se demande si les femmes peuvent être imam, comme au Canada, au Danemark ou en Afrique du Sud. « C’est trop beau », conclut-elle, avant de ranger sa chaise, quitter le plateau et y revenir pour ôter son voile et arracher la moquette. 

Elle laisse la place à Charmine qui raconte – tout en « poppant » (danse popping) – l’éducation par les coups qu’elle reçoit de son père iranien, sa mère qui la défend, les garçons avec qui elle traine parce qu’avec eux « on peut parler de tout et n’importe quoi et même des meufs, surtout des meufs ».

Elle dévoile cet épisode au cours duquel elle a menacé ses parents avec un couteau, épisode qui lui a valu un séjour à l’hôpital, au service pédopsychiatrie. L’enfermement provoque en elle une danse qui ne la quitte jamais et quand elle danse, elle sourit. Sa porte de sortie : le jour où sa mère a parlé. Où elle a dit toute la vérité aux médecins sur son mari qui bat sa fille depuis des années.

« De retour à la maison, c’était reparti. La danse était toujours là. J’ai arrêté les études et je dansais le popping. J’ai été prise dans toutes les écoles de danse et un jour ma mère m’a dit ‘j’ai une grande nouvelle, ton père te paye l’école de danse’ »
s’écrie la protagoniste qui laisse alors son corps s’exprimer pleinement sur la scène de l’Aire Libre. 

Ça tourne au battle quand une autre se joint à elle, suivie d’une troisième et d’une quatrième qui se met à chanter a cappella. « C’est un poème de chez toi ? », lui balance une des filles : « C’est doux, je trouve ça envoutant, je suis fan de ce qui est tellurique. Et puis cette transmission de la grand-mère à la mère puis à la fille. Ces générations de souffrance. Et puis tu passes du français à ta langue et on n’entend pas ton accent quand tu parles ! Moi, j’adore ta culture,PersepolisLes mille et une nuits, tout ça, j’adore. »

Le racisme « ordinaire », la prétendue bienveillance, les amalgames… le ton est à l’humour dans cette nouvelle partie du spectacle mais le fond est bien à la dénonciation des micros-agressions dont elles sont sans cesse victimes en tant que femmes ayant des origines « réelles ou supposées ».

En tant que femme noire, Séphora, qui a passé tous ses dimanches à l’église évangéliste quand son père a décidé d’un coup d’un seul d’être croyant, n’a pas accès au rôle d’Agnès dans L’école des femmesde Molière. 

Elle qui a trouvé sa liberté et sa sécurité en sortant de chez elle, en apprivoisant le dehors et en s’enfermant dans les bibliothèques pour y dévorer Les malheurs de Sophieet les écrits de Simone de Beauvoir, entre autres. Elle qui est tombée amoureuse du théâtre, s’est formée et a passé les auditions et a été repérée par le metteur en scène pour ce rôle.

« J’étais aux anges, j’ai appelé tout le monde ! Et puis il m’a rappelé un peu plus tard, il était en plein questionnement sur sa création. Il a eu peur que me faire jouer Agnès ne déplace la grille de lecture du spectateur. Je peux le comprendre… Mais je voudrais ce soir partager avec vous le texte d’Agnès. Est-ce que quelqu’un accepterait de me donner la réplique, en lisant le texte d’Arnolphe s’il vous plait ? Le monsieur, là, avec les lunettes ?! Oui, vous ! Lisez bien le texte qui va s’afficher sur le mur et surtout, quoi qu’il arrive avant la fin de la scène, continuez de lire.»,  explique Séphora. 

Evidemment, Désobéir dépoussière le dialogue et transforme la langue de Molière en langage urbain en situation de harcèlement de rue. Les quatre femmes réagissent, provoquant l’hilarité dans le public. Le décalage n’en est pas un. Il renforce simplement le schéma répétitif, à travers les époques, de la domination masculine. 

La discussion s’instaure entre Lou-Adriana, Charmine, Hatice et Séphora. Les mecs, la sexualité, le plaisir dans la domination, le tabou, la pudeur, le sentiment de soumission, elles abordent de nombreux sujets dont le rapport à la religion.

Leurs voix s’entremêlent, se confrontent, se croisent et se superposent dans un récit pluriel qui amène à envisager chaque thématique comme personnelle et intime. Rien n’est universel, tout est singulier à l’instar de chaque individu.

En quelques minutes, elles explosent les codes du féminisme universaliste. Parce qu’elles ont des points de vue différents et qu’à travers les quatre protagonistes qui brouillent les pistes entre témoignages personnels, paroles recueillies et fiction, ce sont les voix d’une multitude de femmes qui s’expriment sur la scène.

Des femmes que personne ne peut enfermer dans cases parce qu’elles parlent comme des lascars, qu’elles s’habillent de telle ou telle manière, qu’elles pratiquent ou non leur religion comme bon leur semble, qu’elles osent prendre la parole et l’espace, qu’elles se voilent, qu’elles ne se voilent pas mais comprennent celles qui le font, qu’elles dansent, qu’elles chantent, qu’elles rient, qu’elles pètent un câble, qu’elles s’insurgent…

Françaises, Iraniennes, Turques, noires, musulmanes, évangélistes, normandes, comédiennes, danseuses, mauvaises élèves, amoureuses de littérature, mariées, célibataires, non pratiquantes, athées, elles sont toutes des êtres humains en quête de liberté, portées par la révolte de leurs parcours semés d’embuches révélatrices des nombreuses injustices et inégalités.

Une révolte dans laquelle elles puisent afin de transformer la souffrance des épreuves et des injonctions en flammes de l’espoir et de l’accomplissement. Sans s’affranchir de tous les codes et s’émanciper de toutes les normes, elles questionnent, remettent en cause, dénoncent, échangent et partagent.

Pour pouvoir avancer, pour aller plus loin. Pour continuer de rêver aussi, dans cette société qui les amène à envisager de faire de la self défense « pour se défendre mais aussi pour porter nos couilles ». 

La puissance qui se dégage de cette pièce époustouflante de réalisme réside non seulement dans le talent des comédiennes Lou-Adriana Bouziouane, Charmine Fariborzi, Hatice Ozer et Séphora Pondi mais également dans la subtilité des croisements de témoignages intimes, de lâcher prises collectifs, de dialogues à l’unisson ou non et des tons donnés à chaque morceau qui nous font visiter une palette large d’émotions, du rire aux larmes.

Julie Berès nous donne à voir, à entendre mais aussi à réfléchir. Sur nous-mêmes, nos assignations, nos stéréotypes et nos préjugés. Mais aussi sur la source de nos révoltes et les multiples manières d’atteindre la résilience. Parce que comme les protagonistes, nous n’avons « aucune envie de partir avec des frustrations et des choses inachevées. » Tâchons de ne pas l’oublier. Et de rester modestes face à l’adversité.

Célian Ramis

"Récits de femmes" : le territoire comme point de départ pour se raconter

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Lire Récits de femmes, c’est entrer dans une partie de l’intimité de nos voisines. Au cœur du sud ouest rennais, la Maison de Suède a entrepris de recueillir la parole des femmes du quartier et de dresser leurs portraits.
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Lire Récits de femmes, c’est entrer dans une partie de l’intimité de nos voisines. De celles qui marquent de leur empreinte le territoire. Au cœur du sud ouest rennais, la Maison de Suède a entrepris de recueillir la parole des femmes du quartier et de dresser leurs portraits. Le 29 mars, à la MJC, était inauguré l’ouvrage collectif qui sera prochainement diffusé en libre distribution sur place, dans les bibliothèques, les centres sociaux et les MJC.

Inès, Julie, Karima, Lolita, Martine, Monique, Rachida, Valérie et Zarha se sont livrées à la plume d’Alice Dragon et à l’objectif de Frédérique Jouvin se racontant au fil des pages, grâce au travail d’Elsa Baudon. C’est de là que part le cœur du projet mais ce vendredi 29 mars, on comprend que c’est tout un quartier que fait palpiter la Maison de Suède.

Comme le dit le président de la MJC, Simon Victor, dans l’édito du livre : « Il existe, dans l’agglomération rennaise divisée en cinq quartiers, une petite cité nommée « ilot Suède » située dans le quartier de Bréquigny. Depuis quelques années, les habitant.e.s de cet ilot évoluent autour d’une petite structure : la MJC Maison de Suède. Dans ce lieu où se rencontrent les habitant.e.s de tous âges, où émergent des projets communs, un petit groupe de femmes ont appris à se connaître et à vivre ensemble au gré des années. »

Ce soir-là, autour de ce lieu, c’est vivant. Devant la salle, ça grouille de monde, d’enfants qui jouent, d’ami-e-s et de familles qui se retrouvent. Il y a des sourires, de la bienveillance dans les regards mais aussi beaucoup de joie et de fierté dans les yeux de celles qui ont participé au projet.

Fières d’avoir vu naitre les prémices du bouquin lors des ateliers de lutte contre les discriminations, proposés à l’occasion des rendez-vous à l’espace parents de la Maison de Suède. Fières de s’être livrées et de partager aujourd’hui une partie de leurs histoires intimes avec quiconque aura la volonté et la curiosité de se plonger dans leurs quotidiens, si bien racontés en textes et en images.

Si bien contés également puisque pour l’inauguration, c’est à travers la bouche et le corps de la comédienne Anaïs Vasseur que s’expriment les voix de nos Suédoises locales. Leurs épreuves, leurs espoirs, ce à quoi elles aspirent, ce en quoi elles croient. Comme par exemple la solidarité et l’entraide dans ce havre de pluralité.

De leur rapport à la religion à l’éducation des enfants, en passant par la case prison, le diagnostic d’un handicap, d’une maladie, la rencontre avec celui qui deviendra le mari de toute une vie, la révélation d’un métier passion… Elles dévoilent ici les grandes lignes qui jalonnent leurs parcours ainsi que les étapes marquantes de leur existence, tant dans les difficultés que dans les moments d’immense gaieté.

La barrière de la langue, le croisement des cultures, la vie en collectivité, ici, on en parle simplement et librement et on ne parle pas d’intégration, de diversité et de vivre ensemble (ou de « faire société »). Le livre n’emprunte pas la langue de bois bien lissée de la politique française, il souligne le quotidien, le vécu et le ressenti de ces femmes que la société voudrait bien enfermer dans des cases.

Les expériences de vie sont différentes mais elles ont toutes en commun l’envie de partager. Que ce soit à la Maison de Suède lors d’ateliers spécifiques ou d’événements ponctuels ou dans les lieux de vie des unes et des autres, elles insufflent ce côté « grande famille ». Et comme dans toutes les grandes familles, il y a des hauts et des bas, elles ne le nient pas.

Mais on sent leur envie de communier et d’apporter un regard différent sur ce quartier souvent stigmatisé et méconnu. On ressent ce lien fort qu’elles ont chacune construit avec la Maison de Suède qui bâtit un véritable pont entre les personnes désireuses de se rencontrer, de se rassembler. Majoritairement des femmes à en croire le bouquin. Majoritairement des mamans. Mais pas seulement.

Il y a une force contagieuse dans les propos. Qu’ils soient retransmis par Anaïs Vasseur, qui croise la narration indirecte avec un micro et la narration directe hors micro, par Alice Dragon, qui entre dans leur intimité tout en respectant leur pudeur, ou par Frédérique Jouvin, qui saisit leurs univers et environnements plus que leurs visages, ils racontent les femmes dans toute leur force, leur pluralité et leur complexité.

Toutes les participantes de cette création nous amènent à découvrir, avec simplicité, leurs histoires. Diverses mais croisées et communes de par leur attachement à leur territoire et à ce lieu de vie qu’est la Maison de Suède. Leurs histoires forment alors un morceau de l’Histoire du quartier que l’on peut alors observer à travers leurs yeux et leurs cœurs.

Dans la lignée de l’exposition Celles du Blosne racontent, réalisée par Christine Barbedet, Martine Sauvage et Stéphanie Priou, du livre Discrètes, paroles de Bretonnes, de Anne Lecourt ou encore du livre-spectacle Langues en exil féminin pluriel, réalisées par les membres de l’association Déclic femmes, Récits de femmes vient conforter l’idée que, même si elles sont souvent invisibilisées et que leurs paroles sont minorées, les femmes participent et font la vie du territoire et surtout osent, se dévoilent et prennent l’espace et la parole.

Célian Ramis

Le sport, pas pour les filles ?

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Melissa Plaza, footballeuse professionnelle et docteure en sociologie, animait le 27 mars une conférence interactive sur sa thématique de prédilection : « Sport : et si on laissait nos clichés au vestiaire », à la MIR.
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L’actualité sportive est constamment rythmée par les performances sexistes des commentateurs, présidents de compétition, personnalités politiques et autres. Et ça, Melissa Plaza, ancienne footballeuse professionnelle aujourd’hui docteure en sociologie engagée dans la lutte contre les discriminations de genre, ne le sait que trop bien. Elle animait mercredi 27 mars une conférence interactive sur sa thématique de prédilection : « Sport : et si on laissait nos clichés au vestiaire », à la MIR. Dans le cadre du 8 mars à Rennes. 

L’événement se déroule en pleine polémique à la suite des propos de Nathalie Boy de la Tour, présidente de la Ligue de Football Professionnel, caractérisant de « folkloriques » les chants et propos homophobes tenus dans les stades.

« Quand on ne condamne pas, on cautionne », souligne Yvon Léziart, conseiller municipal délégué aux Sports à Rennes, avant de rappeler que quand les sportives réclament, à juste titre, l’égalité salariale, les hommes, souvent, leur rigolent à la figure. Ce fut le cas récemment avec les footballeuses de Guingamp, club dans lequel Mélissa Plaza à terminer sa carrière après avoir joué à l’Olympique Lyonnais et au Montpellier Hérault. 

PRÉTEXTE À L’ÉMANCIPATION

Enfant, elle grandit dans une famille maltraitante et comprend vite que le foot sera une chance pour s’en extraire. Elle découvre « une lutte plus profonde », celle de la recherche de liberté, au-delà des normes, des codes et des interdits. Loin des modèles réducteurs des princesses Disney.

« Le football, c’était un moyen ou un prétexte pour être la personne que je voulais être et pas celle que l’on attendait que je sois. », souligne-t-elle. 

Elle se souvient de sa lente et longue ascension dans la cour de récré, entre le moment où elle était la dernière choisie de l’équipe et le moment où les garçons la désignaient capitaine parce qu’ils avaient compris « que pour gagner, il valait mieux m’avoir dans leur équipe ». 

Déterminée, elle va jusqu’à « s’oublier dans l’effort pour se donner les moyens d’atteindre le graal : devenir pro et jouer en équipe de France. »

Elle n’endosse pas seulement le maillot mais aussi le rôle de la râleuse. Parce qu’elle est révoltée de constater les conditions déplorables de travail. Des vestiaires insalubres, un salaire s’élevant à 400 euros net par mois, des équipements beaucoup trop grands pour les joueuses, des voyages interminables en bus pour aller jouer les matchs le week-end…

En parallèle, elle envisage l’après et mène de front sa carrière et ses études, prouvant que l’on peut être femme et footballeuse, footballeuse et doctorante :

« J’ai fait le choix de ne pas faire de choix entre les deux. Je suis devenue malgré moi la première footballeuse professionnelle à obtenir un doctorat en parallèle de ma carrière. Est-ce que ça n’aurait pas pu ou dû être plus simple ? Si à la place des posters dans ma chambre, à la place de Zidane et Henry, j’avais eu Abily et Dickenmann …? »

DES INÉGALITÉS BIEN PROFONDES

Le résumé de son parcours illustre bien le propos qu’elle va développer lors de la conférence sur les clichés de genre et le milieu sportif. Une conférence qu’elle choisit de rendre interactive et ludique en utilisant l’application Klaxoon – développée par une entreprise locale, située à Cesson Sévigné – qui permet de lancer des sondages auxquels peuvent participer toutes les personnes connectées via leur Smartphone.

C’est parti pour une heure d’un jeu bien terrifiant puisqu’il révèle au fil des questions une société bien empêtrée dans ces clichés sexistes et ces conséquences dramatiques. Preuve en est avec la première interrogation visant à demander la moyenne des écarts salariaux dans le sport et sa réponse : 57%.

« Les écarts ne sont pas les mêmes dans le foot / rugby que dans le volley / tennis / handball. Je vous donne un exemple d’écart, actuel. La meilleure joueuse de l’OL est payée 33 000 euros par mois. Le meilleur joueur de l’OL est payé 183 000 euros par mois. »

Ça choque. Forcément. Les inégalités salariales sont la partie émergée de l’iceberg. La plus visible et la moins contestée par les sceptiques. Mais le problème majeur dans la partie immergée. La partie très insidieuse puisque marquée depuis très longtemps par les stéréotypes de genre.

En matière de sport, les femmes pratiquent moins fréquemment, moins intensément et sont moins compétitives. Quand on regarde du côté des causes de mortalité, on s’aperçoit que la première chez les femmes est due aux pathologies cardiovasculaires.

« Or, qu’est-ce qui prévient des maladies ? Le sport ! Les femmes font moins de sport et meurent principalement de maladies cardiovasculaires. J’y vois là une vraie inégalité en terme de santé. », précise Mélissa Plaza. 

L’ARGUMENT BIOLOGIQUE…

Dans les pratiques, on observe d’un côté des sports pensés masculins et d’un autre des sports pensés féminins. Peu sont pensés comme mixtes. C’est ce qu’elle appelle le couloir de verre et qui se retrouve également dans la manière de penser les métiers. Sans oublier le plafond de verre, qui comprend les inégalités salariales mais aussi le constat – là aussi applicable aux métiers – que plus on grimpe dans les échelons, plus les femmes disparaissent, n’accédant que très rarement à des hauts postes à responsabilités.

Pourquoi ? Comment expliquer ces inégalités plurielles ? En premier est avancé l’argument biologique, « une aberration évidemment, les choses changent selon les époques et les contextes. Et puis si on prend par exemple le soccer aux Etats-Unis, c’est un sport quasi exclusivement joué par les femmes donc ça ne tient pas ! »

Sans nier les différences de puissance musculaire, due notamment à la testostérone, ou de force supérieure chez les hommes dans le haut du corps principalement, il est impossible de mettre l’argument biologique sur la table.

« Moi, ce que je dis à ceux qui y croient, quelque soit le contexte, c’est de repenser à l’esclavage. Nous avons asservi les noir-e-s à cause de ces prétendus arguments biologiques. », souligne la footballeuse. 

Elle donne des exemples inspirants de femmes ayant remporté des épreuves mixtes. En 1992, Zhang Shan remporte le titre, en tir sportif, aux JO de Barcelone et en profite pour battre le record mondial de cette épreuve. En 2002, 2003 et 2005, Pamela Reed remporte l’ultramarathon de Badwater.

En 2019, Jasmin Paris remporte la Montane Spine Race, l’un des plus difficiles ultramarathons au monde. Elle ne se contente pas de gagner, elle bat de 12h le record (établi avant elle à 95h) de ses homologues masculins. Et ce en faisant plusieurs pauses pour tirer son lait.

On peut multiplier les exemples du nombre de sportives à rafler les médailles et à trôner en haut des podiums, sans qu’elles ne soient des exceptions. Pourtant, on a souvent tendance à penser qu’elles ne sont pas nombreuses à pouvoir réaliser ces performances que l’on qualifiera alors d’exploits, impliquant ainsi une forme de rareté ou d’exception venue confirmer la règle.

FACE AUX STÉRÉOTYPES

Cette règle qui finalement n’est rien de moins qu’un stéréotype de genre : « A la base, le cliché, c’est une technique d’impression pour dupliquer à l’infini des documents. Walter Lippmann nous dit qu’on a tous des images dans la tête pour comprendre notre environnement. Parce que pour catégoriser les milliers d’informations qui nous parviennent à la minute, on a tous et toutes besoin des stéréotypes. Il faut être extrêmement vigilants, à tous les instants, face aux stéréotypes de genre. On est tous et toutes potentiellement auteur-e-s et victimes de discrimination. »

Pour comprendre les stéréotypes, Melissa Plaza approfondit la notion de « gender studies », un courant de recherches scientifiques sur les représentations genrées. On y distingue sexe biologique, qui s’apparente à de l’inné, et genre, qui s’apparente à de l’acquis.

« Le sexe biologique se définit par 4 critères : le sexe apparent, les chromosomes (XX ou XY), les hormones (testostérone ou œstrogène) et les gonades (ovaires ou testicules). Mais il arrive qu’on ne rentre pas dans les cases. Rappelez-vous de Caster Semenya (athlète double championne olympique et triple championne du monde du 800 mètres, ndlr) qui a un chromosome XXY, on l’a met où ? Elle a été questionnée sur son identité par de nombreux examens intrusifs et on lui a dit qu’il fallait soit qu’elle se fasse réduire le clitoris soit injecter des oestrogènes. En 2018. Qui décide du taux pour les hommes ou pour les femmes ? », s’insurge Mélissa Plaza. 

Elle milite pour que soient inclus d’autres critères tels que la pilosité, la voix, etc. « 10% de la population est androgyne. C’est le même pourcentage que pour les roux. La catégorisation ne convient pas à l’extraordinaire singularité que sont les êtres humains. », précise-t-elle. 

Dès la naissance et la définition du sexe de l’enfant selon les 4 points abordés précédemment, l’enfant va être traité différemment selon qu’il soit fille ou garçon. On peut être autoritaire, sensible et aimer les enfants et ce peu importe son sexe. Mais dès la petite enfance, les stéréotypes de genre interviennent et marquent notamment le processus de socialisation :

« Chez les garçons, on va leur apporter une stimulation moteur. Aux petites filles, on va parler et sourire. On va privilégier les sports pour les garçons, les activités calmes comme la lecture pour les filles. »

DES CONSÉQUENCES LOURDES

Les rayons et catalogues se remplissent de bleu et de rose, les jouets des garçons d’un côté, les jouets des filles de l’autre. Des jouets bleus qui emmènent l’enfant vers l’extérieur, des jouets roses qui cantonnent l’enfant à l’intérieur.

Et les conséquences de ce marketing genre, de cette éducation différenciée, se retrouvent dans la cour de récré. Avec des terrains de foot et de baskets majoritairement utilisés par les garçons et des zones périphériques dans lesquelles les filles se réfugient non par choix mais par intégration de l’idée que l’espace central ne leur appartient pas.

« Dans un coin, on peut difficilement se développer. Et de là, s’instaure un rapport hiérarchique. On peut projeter plus loin : les femmes qui prennent la parole en réunion le font difficilement et en plus s’excusent de le faire, se dévalorisent. Les gars prennent la parole pour dire qu’ils ont des choses à dire, les filles prennent la parole quand elles ont quelque chose d’intéressant à dire. Et encore, même quand elles ont des choses intéressantes à dire, elles ne prennent pas forcément la parole. », souligne Mélissa Plaza qui a bien connu la difficulté de s’intégrer dans les matchs de foot dans la cour de l’école, épreuves qu’elle raconte dans son livre qui paraitra, aux éditions Robert Laffont, le 9 mai prochain, intitulé Pas pour les filles ?.

La grande difficulté de ces stéréotypes réside dans leur influence inconsciente. Dans le fait qu’ils s’activent automatiquement dans les esprits. Mais, comme le souligne la docteure en sociologie, cela ne veut pas dire qu’on les considère comme vrais. Tout dépendra de l’éducation – pas uniquement parentale, mais aussi scolaire, artistique, sportive, médiatique, etc. – que l’on aura reçue.

Toutefois, le stéréotype, lorsqu’il s’active et qu’il peut potentiellement nous concerner, entraine souvent la sous-performance. C’est ce que montrent différents tests utilisant d’un côté la menace du stéréotype et de l’autre non :

« On réussit bien moins que si le stéréotype n’a pas été activé. Ça s’est démontré avec un test de géométrie pour un groupe et un test de dessin pour un autre, alors qu’en fait il s’agissait du même exercice. Les filles ont bien réussi en géométrie qu’en dessin. Parce que le stéréotype s’est activé sur la géométrie. Ça marche aussi dans le sport. Et ça touche évidemment la motivation. Combien de gens passent à côté de leurs vies ? Combien sont frustrés, malheureux… à cause de ça ? »

DU STÉRÉOTYPE À LA DISCRIMINATION

Ce que Mélissa Plaza explique à partir du stéréotype, c’est que celui-ci est un socle de connaissances. Qui va ensuite passer au niveau supérieur en y ajoutant une valeur morale : le préjugé. Et se transformer in fine en discrimination. C’est-à-dire qu’il va agir sur le comportement.

Elle s’insurge : « C’est la conséquence ultime du stéréotype. Et dans le foot, elle se loge dans tous les détails : les écarts de salaire, les équipements trop grands, exactement comme dans le cas de la mission spatiale qui devait être 100% féminine et qui finalement est mixte car impossible de trouver deux combinaisons en M, c’est impensable ! En 2009, je gagnais 400 euros par mois alors que pourtant on était en ligue des champions. Et beaucoup de filles ne gagnent même pas ça ! »

Tellement profondément ancré, le sexisme devient « ordinaire ». C’est sur le récit d’un événement qui lui est arrivé que la footballeuse termine. En 2011, alors qu’elle joue à Montpellier, le club décide de faire de la promo et sollicite quatre joueuses pour réaliser une pub.

On leur explique cependant que ni leurs noms, ni leurs visages, ni le nom du club n’apparaitront sur la campagne d’affichage. Elles tapent du poing sur la table et obtiennent gain de cause. Noms, visages et club seront signalés sur les affiches.

Lors du shooting, Mélissa Plaza réalise que les poses demandées sont très suggestives mais elle l’avoue, elle ne réagit pas. Il est trop tard. Elle se découvre placardée en 4x3 sur des panneaux la montrant de dos, torse nu, en mini short. Le slogan : « Samedi soir, marquer à la culotte ». L’objectif : vendre des abonnements pour les matchs de l’équipe masculine du Montpellier Hérault.

« Et bien je peux vous dire que j’ai regretté qu’il y ait mon nom, mon visage et le club. Ils ont fait des affiches similaires avec les footballeurs. Je peux vous dire que c’était autre chose quand même. Olivier Giroud caressait son cuir et le slogan était « Samedi soir, lâcher la pression ». L’affiche sur laquelle je suis s’est retrouvée dans la cafet’ de ma fac où je faisais une thèse sur les stéréotypes de genre. », commente-t-elle, devant les yeux ébahis de stupeur des personnes présentes à la conférence. 

AGIR CONTRE LE PATRIARCAT, PAS ORDINAIRE ! 

Lors de son témoignage, elle révèle l’affiche, preuve d’une manipulation malheureusement aussi « ordinaire » que le sexisme qui l’accompagne. « Cette image, je la laisse sur le net pour bien me souvenir de pourquoi je monte sur scène chaque jour. », conclut la footballeuse et docteure en sociologie qui au quotidien agit contre les discriminations de genre dans le milieu sportif, mais pas seulement. 

Pas de doute, Melissa Plaza sera là du 7 juin au 7 juillet pour encourager les footballeuses du monde entier lors de la coupe du monde de football – organisée en France, dans plusieurs villes d’accueil dont Rennes -, apprécier la beauté de ce sport qu’il lui a sauvé la vie et donner l’occasion de s’émanciper mais aussi pour rappeler que la vigilance face aux discriminations (pas seulement de genre) s’effectue au quotidien.

Célian Ramis

"Mais vous êtes fous ?", un thriller intime sans jugement néfaste

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Cinéma Gaumont, Rennes
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Audrey Diwan passe derrière la caméra à la réalisation de son premier long-métrage "Mais vous êtes fous ?". Le 26 mars, elle était au cinéma Gaumont, pour le présenter en avant-première, accompagnée de Céline Sallette.
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Audrey Diwan, la scénariste de La FrenchAmi Ami et HHhH passe derrière la caméra à la réalisation de son premier long-métrage Mais vous êtes fous ?. Le 26 mars, elle était à Rennes, au cinéma Gaumont, pour le présenter en avant-première, accompagnée de l’actrice principale Céline Sallette. 

Le film pose la question de la confiance, « ce qui sous-tend la question de tous les couples », souligne Audrey Diwan. Ici, elle met en scène Roman (Pio Marmaï) et Camille (Céline Sallette), en couple depuis plusieurs années et parents de deux petites filles. Seulement, son quotidien à lui ne ressemble pas tout à fait à ce que sa famille imagine. Addict à la cocaïne, il va mettre en péril l’équilibre familial. 

Plusieurs années en arrière, la réalisatrice lit dans le journal quelques lignes d’un article intitulé « Un couple parisien drogue ses enfants ». Quelques jours plus tard, elle rencontre l’amie d’une amie qui en regardant ses enfants à elle lui dit : « Tu as de la chance de les avoir toi. »

« On venait de lui retirer ses deux enfants, elle était en état de sidération totale. Elle-même était soupçonnée. Ça m’a interpelée, son état de sidération, la manière dont elle parlait de l’histoire et l’envie malgré tout de comprendre son mari. C’est l’alliage de tout ça qui m’a donné envie de l’adapter au cinéma. », souligne Audrey Diwan. 

DÉVELOPPER LE TRHILLER INTIME

Parce que Roman contamine sa famille, une enquête policière est lancée et les deux filles sont placées chez leurs grands-parents le temps de définir si la contamination était volontaire ou non. Audrey Diwan nous plonge donc au cœur de l’intimité d’un couple, d’une famille et en même temps d’un thriller haletant. Un thriller intime, comme elle le définit.

« Tous les détails prennent une dimension énorme, il y a du double sens dans tout », précise-t-elle. Séparation conjugale, séparation familiale, séparation du secret. Manque du psychotrope, manque affectif. « Ça parle du poison qui finit par agir. Le poison du secret qui finit par se distiller partout et pourrit la relation intime. », ajoute Céline Sallette, dont le jeu est une fois encore d’une justesse et d’une intensité à couper le souffle.

Face à ce couple, pas de jugement de la part de la réalisatrice : « Je n’aime pas le cinéma moral. Je veux que le film pose des questions, amène un chemin de compréhension mais surtout pas qu’il soit jugeant ou qu’il explique au spectateur ce qu’il doit comprendre. C’est au contraire super de voir que chacun-e y voit, y comprend, ce qu’il/elle veut. »

LOIN DE LA CARICATURE

Avant de réaliser le film, Audrey Diwan a repris contact avec la femme qu’elle avait rencontré, qui lui avait raconté une partie de son histoire, afin de lui proposer de participer au scénario. Proposition qu’elle a accepté à condition que le père de ses enfants puisse également y prendre part.

« Ils l’ont donc fait ensemble. Moi, ce qui m’intéressait, même si j’ai apporté de la fiction dans l’histoire, c’était de recueillir la parole exacte. Mon côté journaliste… », souligne la réalisatrice, qui a exercé le métier de journaliste plusieurs années durant, co-fondant le magazine gratuit Stylist

Ainsi, elle peut présenter au public une vision non manichéenne de cette histoire vraie, adaptée pour le cinéma, et non simpliste. Avec un homme bien sous tout rapport, enfermé dans son mensonge, qui n’apportera aucune explication sur son addiction à la cocaïne et fera tout pour s’en sortir seul. Et une femme droite dans ses bottes qui va entrer dans le mensonge sans vraiment le vouloir, sans se considérer comme une victime.

« Elle rentre dans le mensonge, déjà parce que pendant toutes ces années, elle n’a rien vu. Mais n’a-t-elle vraiment rien vu ou préfère-t-elle ne rien voir ? Il y a peut-être eu des gestes, des attitudes, de manque ou de moments sous drogue qu’elle a vu mais qu’elle a choisi d’interpréter différemment. Et ce qu’elle va découvrir, c’est une forme de vérité mais pas forcément toute la vérité. Elle croit que ça va s’arrêter rapidement donc elle le défend mais en fait elle est dépassée. Ça se sédimente en elle. », explique Céline Sallette. 

La confiance est rompue. Mais l’amour est toujours là. Une fois l’affaire judiciaire derrière eux, comment faire pour se retrouver et avancer à nouveau ensemble ? « On est dans le même décor, la même familiarité mais l’intime a changé, les sentiments ont changé. Il y a quelque chose d’irrémédiablement différent. », livre la réalisatrice qui s’est indéniablement profondément liée à l’histoire de ce couple : 

« Après ma rencontre avec cette femme, l’histoire a continué de résonner en moi pendant plusieurs années. C’est devenu une nécessité pour moi d’en faire un film. La question du couple, de la confiance, ça résonnait en moi. Je voulais pouvoir en faire une lecture personnelle. »

TRANSCENDER LE PERSONNAGE

Elle connaît Céline Sallette depuis 10 ans. Parce qu’elle l’a interviewée dans sa vie de journaliste. Et que l’interview est devenue une discussion. La discussion, une amitié. Connaissant son talent, Audrey Diwan écrit le rôle sur mesure pour elle. Parce qu’elle sait qu’elle est capable de tout. Que quand elle joue, elle n’est pas dans la peau du personnage, elle est le personnage et cette aliénation totale finit par transcender le personnage.

Elle crève l’écran. Dès qu’elle apparaît, on ne lâche pas du regard. Son regard, intense et subtil, renforce chaque détail et accompagne ses partenaires de jeu : « C’est un voyage intérieur, le jeu de l’acteur. Le public aussi vit un voyage intérieur en regardant un film mais l’acteur le fait plus en conscience, dans un cadre professionnel, ça reste un métier. Mais oui, on marche sur un fil quand on joue. Un peu en dehors de la réalité, comme dans un rêve. On peut comparer ça à la jouissance. Quand on jouit, on est dans une sorte de transe. »

Ce qu’elle aime dans le scénario, c’est la question de la dépendance multiple : « C’est 90% de l’humanité ! Des dépendances, il y en a des milliers. L’âme humaine est faite de ça. » Et Audrey Diwan, dans Mais vous êtes fous ?,manie en toute intelligence et avec talent le scénario, le rythme et les doubles, voire triples, interprétations possibles dans chaque situation, renforcées par le jeu impeccable des acteurs dont les intentions décuplent les émotions que se prennent en pleine tronche le spectateur. 

Au cinéma le 24 avril 2019.

Célian Ramis

Lutte contre l'excision : la démarche inspirante d'ACZA

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Fille et petit fille de matrone – appelée aussi exciseuse – Martha Diomandé, fondatrice de l’association rennaise ACZA, lutte depuis plusieurs années contre l’excision dans son village natal, en Côte d’Ivoire mais également aux alentours.
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Fille et petit fille de matrone – appelée aussi exciseuse – Martha Diomandé, fondatrice de l’association rennaise ACZA, lutte depuis plusieurs années contre l’excision dans son village natal, en Côte d’Ivoire mais également aux alentours. Le 20 mars, à la Maison Internationale de Rennes, la militante expliquait la démarche de la structure et les avancées engendrées par leur travail, respectueux des individus et des traditions. 

Pour que l’excision s’arrête, il faut respecter les traditions. Cela peut paraître contradictoire mais pas du tout. Martha Diomandé en est convaincue. « L’excision, c’est quoi ? Bon, on le sait, c’est l’ablation du clitoris. Mais au-delà de ça, c’est quoi ? Chez moi, c’est le passage de l’enfance à l’âge adulte. Mais ailleurs, ça peut être un acte de bravoure. Il y a plusieurs significations. On ne peut donc pas généraliser et chaque peuple sait pourquoi il le fait. Ça, l’Occident doit en prendre compte et l’accepter. D’où on vient, la lutte ne fait que commencer. », souligne-t-elle. 

Ce qu’elle pointe ici, c’est qu’il est impossible de débarquer dans un village imprégné des traditions dont fait partie l’excision et d’interdire cette pratique. La loi existe déjà depuis plus de 20 ans et pourtant, l’excision est encore pratiquée.

« Au début, c’était difficile pour moi. En parler comme un crime, c’était enlever une partie de moi. Il fallait déjà que j’aille dans mon pays pour voir l’impact de l’excision dans la société. J’ai découvert que dans ma région, l’excision était faite à 100% alors que c’est interdit dans le pays. On était encore au stade 0 et le tabou était réel dans ces villages-là. », se souvient Martha Diomandé. 

EXPLIQUER LA DÉMARCHE, SANS BRUSQUER

Son village, elle l’a quitté âgée de 7 ans. Excisée, elle ne se sent pas ni se considère comme une victime. Son objectif est clair : que la pratique de l’excision s’arrête complètement. Sans user de discours agressif ou haineux. Elle tient à respecter les individus et les traditions :

« L’idée était vraiment de créer une association pour repartir de 0 avec tout le monde. Les premières années, nous n’avons pas parlé d’excision. Nous sommes allées au village, nous avons demandé, sur la tombe de ma grand-mère, son autorisation pour mener ce travail. On a rassemblé les femmes pour travailler ensemble mais pas autour de l’excision dans un premier temps. »

D’abord, l’association ACZA a rencontré les chefs de village. Pour expliquer la démarche et obtenir la permission. Le feu vert a donc été donné par les hommes également, que Martha définit comme complémentaires des femmes.

Ensuite, les rassemblements de femmes ont visé la valorisation de leurs connaissances et savoir-faire. Parce qu’il est inenvisageable d’interdire l’excision sans proposer des solutions alternatives. Des solutions qui doivent venir d’elles et non être imposées par les Occidentales/taux.

« Si on veut toucher les matrones, il faut réfléchir à un projet qui les valorise sinon elles n’arrêteront pas. Elles ne peuvent pas perdre leurs connaissances et leur notoriété. Moi, je suis née au village grâce aux matrones. Elles sont donc, pour certaines, accoucheuses. La majorité d’entre elles pratique les accouchements. On peut donc leur faire une formation. Pas pour qu’elles deviennent sages-femmes comme ici. Pas pour leur apprendre un enseignement académique. Juste pour compléter leurs savoir-faire et pour valoriser leurs connaissances. », souligne la fondatrice de l’association. 

VALORISER LES CONNAISSANCES ET COMPÉTENCES

Dans ces temps de formation, elle et son équipe y voient une aubaine pour parler de la transmission. Entre femmes, elles peuvent parler librement. Petit à petit, le lien de confiance se crée et se renforce. Parce que la démarche d’ACZA se distingue de la démarche coloniale à laquelle elles ont l’habitude d’être confrontées.

Ce sont des moments pendant lesquels on leur explique, sans les juger, que les excisions peuvent provoquer, plus tard, des accouchements difficiles, et même, parce qu’elles ne nettoient le couteau qu’après la 7eou 8efille excisée, la transmission du VIH, si l’une d’entre elles est contaminée.

« C’est à nous de créer des stratégies pour qu’elles nous écoutent sans être frustrées. Elles n’ont pas besoin de nous, elles n’ont pas demandé à ce que l’on vienne. Le premier projet pilier a fonctionné avec les matrones. On a pu sensibiliser, sans heurter. Il faut analyser le sens de l’excision sur le territoire concerné et adapter le projet. », indique Martha. 

Une fois formées, les matrones ont donc eu besoin d’un lieu. L’association ACZA a impulsé la construction d’une Maison des femmes, inaugurée en 2016 à Kabakouma. Un espace pour sensibiliser, faire des réunions, valoriser les plantes que les matrones connaissent si bien. Mais aussi pour pratiquer des accouchements à moindre coût :

« À l’hôpital, c’est 10 000 francs. Les femmes qui vivent en milieu rural n’ont pas les moyens d’accoucher là-bas. À la Maison des femmes, c’est 4000 francs dispatchés : 1500 pour la matrone, 500 pour l’association et les 2000 restants partagés entre les femmes ayant assisté la matrone. »

Soixante enfants sont nés dans la Maison des femmes et le premier baptême a été célébré : « C’est un premier pas vers le passage à l’âge adulte. Pour garder la tradition, tout en enlevant l’étape de l’excision qui arrive plus tard dans la vie des jeunes filles. Et là ce sont les matrones qui s’en occupent. Trois mois après la naissance, les bébés vont dans leur case pour une cérémonie de bénédiction. Il faut que les matrones soient importantes à tout moment de la vie de l’enfant, sans passer par l’excision. »

UNE LUTTE LENTE QUI PROGRESSE

Toutes les matrones n’ont pas cessé la pratique de l’excision mais l’association ACZA progresse doucement vers son objectif initial, bien consciente que la lutte prendra du temps. Une deuxième Maison des femmes verra bientôt le jour à Mangouin, la construction étant quasiment achevée.

« C’est allé très vite pour la deuxième, c’est là qu’on voit qu’on travaille dans cette région depuis longtemps. Les chefs de village portaient les t-shirts de l’association « Non à l’excision ». Le projet est arrivé à un niveau très important, il y a un vrai échange, un vrai dialogue et beaucoup beaucoup de progrès aussi au niveau des formations. », s’enthousiasme Martha Diomandé. 

En 1h30 à peine, elle n’a pas le temps de parler du projet dans tous ses détails et ramifications. Mais dans sa globalité, oui. Dans sa philosophie et dans son apport au quotidien. Parce qu’au projet de parrainage, quatre villages ont adhéré et 100 enfants sont aujourd’hui équipés d’une tenue d’école « Non à l’excision », d’un kit scolaire complet et peuvent désormais être scolarisés parce que l’association prend en charge les frais d’inscription.

C’est un échange de bon procédé. La famille accepte de ne pas exciser la jeune fille, l’association lui permet grâce à l’aide financière d’avoir accès à l’éducation scolaire.

« On ne veut pas vérifier si la jeune fille se fait malgré tout exciser. Car s’il n’y a pas de confiance, ça ne marche pas. Là-bas, si c’est non, c’est non. Si c’est oui, c’est oui. Et on parraine déjà des enfants de 4 villages. Il y a même un directeur qui nous demande de construire une cantine tellement on a scolarisé de jeunes filles. Ce sont des avancées énormes ! Ça veut dire qu’il y a maintenant une nouvelle génération qui grandit au village sans être excisée. Et cette génération ne fera donc pas excisée la suivante. Avec mes tantes, mes copines, on est excisées, on se raconte des histoires communes. Mais cette génération nouvelle, ces histoires-là, elle ne les vivra pas, elle les apprendra à l’école. Les choses avancent, le tabou est en train de se briser mais on garde la tradition. », précise Martha Diomandé, passionnée et passionnante. 

ET POUR LES FEMMES EXCISÉES ?

En plus des nombreux voyages que la structure fait jusqu’au village en Côte d’Ivoire – trois fois par an parce que « sinon, ça n’avance pas, il faut travailler tout le temps, tout le temps, tout le temps » - l’association ACZA développe de nombreuses stratégies permettant d’atteindre l’objectif de l’arrêt complet et définitif de l’excision. Et met également en place une plateforme pour écouter et conseiller les personnes ayant des questions à ce sujet. 

Chaque semaine, le mercredi après-midi, se tient une permanence à l’Espace des 2 rives à Rennes. Les personnes - des femmes et des familles originaires de partout - peuvent être orientées par des avocats, la Cimade, le MRAP, l’UAIR ou venir par elles-mêmes. Pour un soutien psychologique, un accompagnement dans la demande d’asile ou la protection des filles et femmes exposées à un risque d’excision.

Il arrive aussi qu’elles viennent à la permanence, à Rennes, ou qu’elles appellent quand elles ne sont pas en France, pour une démarche de reconstruction du clitoris. Pour Martha Diomandé, difficile d’entrevoir cette solution comme « une solution miracle ». Pour elle, ce qui est préférable dans un premier temps, c’est de connaître son corps.

Elle insiste sur ce point : « Moi, je ne veux pas me faire réparer car j’ai appris à connaître mon corps et j’ai mon plaisir donc je ne vois pas pourquoi je le ferais. Il faut aussi prévenir celles qui veulent le faire qu’on peut en souffrir physiquement et mentalement de cette reconstruction. La réparation, c’est une solution mais ce n’est pas la seule solution et ce n’est pas pour toutes les femmes. Il faut donner le choix aux femmes et que ce soit une vraie réflexion. »

Grâce à l’annuelle élection de Miss Africa, organisée à Rennes en novembre, ACZA sensibilise le grand public autour de cette thématique et récolte des fonds qui serviront à payer des reconstructions du clitoris à des femmes qui désirent profondément avoir accès à cette opération.

« J’ai reçu le témoignage d’une femme qui a fait un énorme blocage lorsqu’à son accouchement, ils ont découvert qu’elle était excisée. Elle a fait un blocage parce qu’elle a eu honte de son corps. Tellement elle a fait un blocage, son mari va voir ailleurs et lui dit. C’est pour ça qu’elle veut un clitoris. On va lui payer la réparation. », conclut Martha Diomandé. 

Loin d’une démarche colonisatrice, encore présente dans bon nombre d’ONG et de missions humanitaires, l’action et la réflexion que développe l’association ACZA sont inspirantes et bienveillantes et font comprendre que la lutte contre l’excision concerne tout le monde.

 

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