Célian Ramis

Mathilde Seigner, dans la peau d'une mauvaise mère ?

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Cinéma Gaumont, Rennes
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Une mère peut-elle et doit-elle aimer son enfant de manière inconditionnelle, même quand ce dernier dévoile « défaillances » et violence ? C’est la question que pose la réalisatrice Christine Carrière dans son film, Une mère.
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Une mère peut-elle et doit-elle aimer son enfant de manière inconditionnelle, même quand ce dernier dévoile « défaillances » et violence ? C’est la question que pose la réalisatrice Christine Carrière dans son nouveau film Une mère, qu’elle présentait mardi 16 juin, accompagnée de Mathilde Seigner, en avant-première au cinéma Gaumont de Rennes.

« Il est mauvais fils, elle sera mauvaise mère ». Le synopsis est intriguant, la problématique posée. Qui de la mère ou de l’enfant influe sur l’autre ? Doit-on forcément et entièrement blâmer les parents pour la mauvaise éducation de leurs enfants ? Avec Une mère, Christine Carrière ne prétend pas répondre aux questions soulevées, simplement à présenter une certaine réalité à travers un rapport mère/fils.

« Je suis passionnée par les ados et par le rapport parents/enfants. J’ai rencontré pas mal de femmes seules face à la violence de leurs enfants et je crois qu’en France c’est un sujet tabou. J’ai voulu crever les abcès et déculpabiliser les mamans. »
explique Christine Carrière, avant la projection. 

Elle installe la caméra au cœur du conflit qui oppose Marie à son fils, Guillaume, un adolescent de 16 ans, sans se retrancher derrière une facilité narrative qui nous dévoilerait grossièrement les événements antérieurs, justifiant cette incapacité commune à communiquer l’un avec l’autre.

Elle parsème au fil de l’histoire des informations sur les « défaillances » de Guillaume, relevées par des médecins, sans en préciser la nature, et nous fait comprendre qu’il est un habitué, avec ses ami-e-s, du poste de police. Entre protection, épuisement et lassitude de ne pouvoir vivre sa vie, la figure de la mère prête à tout pour son enfant est esquintée pour présenter une autre réalité : celle d’une femme à bout, en prise à son rôle maternel et à son ressenti face à cet être, victime d’un coup d’un soir, qu’elle rêve par moment de n’avoir jamais mis au monde.

Une facette réaliste et intéressante qui nous plonge au cœur d’un sujet de société complexe dont on ne perçoit encore que la partie émergée de l’iceberg. Toutefois, on regrette que la question de l’amour inconditionnel ne soit pas portée à son paroxysme, comme si la réalisatrice n’assumait pas entièrement sa volonté de déculpabiliser les femmes, étouffant légèrement la violence qui se dégage de cette situation délicate et anxiogène.

RÔLE NUANCÉ ET FÉMININ

Pour Mathilde Seigner, mère d’un petit garçon de 8 ans, le sujet de l’adolescence ne lui est pas encore familier mais s’est glissé sans difficultés particulières dans la peau de cette mère désabusée et désillusionnée. Et elle l’incarne avec le talent et le naturel qu’on lui connaît, embarquant le spectateur dans une sorte de huis clos avec ses émotions et ses entraves, entre nostalgie, inquiétude et désir de liberté. Et ce soir-là, l’actrice témoigne également d’un besoin de se frotter à un rôle plus nuancé que ceux proposés par le registre des comédies.

Vingt ans avant Une mère, Mathilde Seigner interprétait son premier rôle au cinéma. Dans Rosine, signé Christine Carrière. L’histoire d’une adolescente en admiration face à sa mère. Deux décennies sont passées. Mathilde Seigner s’est affirmée en tant qu’actrice et s’est imposée dans le cinéma français, imprimant noir sur blanc son franc parler et sa gouaille. Aujourd’hui, elle interprète un rôle sur mesure, écrit pour elle, par celle qui a lancé sa carrière. Un rôle qui lui va bien mais aussi qui lui fait du bien, ravivant son inspiration pour les personnages dramatiques, plus intéressants selon la comédienne, qui ne renie pas complétement le plaisir de jouer dans une comédie.

« Les comédies offrent des rôles sympathiques mais la palette est plus limitée. Et ce n’est pas ce qu’il y a de plus valorisant pour une comédienne. Et il faut dire que dans les comédies populaires, ce sont souvent les hommes qui font rire et qui ont les beaux rôles. »
dénonce Mathilde Seigner avec parcimonie.

Elle a pourtant joué dans des films au casting féminin, dans Vénus beauté, Tout pour plaire, ou encore Bowling… Aucun n’aura le succès des Ch’tis, ni de Camping dans lequel elle joue « mais encore une fois, c’est le personnage masculin, celui de Franck Dubosc, qui fait rire ».

Toutefois, les deux professionnelles n’en restent pas à ce constat et font le pari d’aborder un sujet de fond et de le proposer au grand public sans l’appâter via les grands noms bankable du cinéma français, comme Kad Merad, Dany Boon ou encore Omar Sy. La réalisatrice - qui n’avait pas présenté de nouvel opus depuis Darling en 2007 (avec Marina Foïs et Guillaume Canet, livrant l’histoire forte d’une femme luttant pour sa dignité) - n’hésite pas à prendre le public à partie afin de le sensibiliser aux difficultés actuelles de produire un film de ce type (peu de noms connus, sujet sensible…), les financeurs restreignant les budgets dans ces cas-là.

Main dans la main pour alerter des problématiques actuelles qui envahissent le 7e art depuis plusieurs années, Christine Carrière et Mathilde Seigner savourent néanmoins leurs retrouvailles et la lumière donnée à Une mère, qui sera diffusé dans les salles obscures dès le 24 juin.

Célian Ramis

Les Roz'Eskell déploient leurs ailes à Venise

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Plaine de Baud, Rennes
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Atteintes du cancer du sein, en rémission ou ne traitement, les Roz’Eskell de Rennes rejoindront les centaines d’équipages présents lors la 41e Vogalonga de Venise, le 24 mai. Un défi préparé avec sourire et fierté.
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Dimanche 24 mai, les Roz’Eskell de Rennes rejoindront les centaines d’équipages présents dans la lagune vénitienne à l’occasion de la 41e Vogalonga de Venise. Un défi qu’elles relèvent avec sourire et fierté.

Sur le ponton de la base nautique de la plaine de Baud, deux dragon ladies s’activent à vider l’eau logée dans les bateaux en raison des diverses pluies survenues les jours précédents. Ce vendredi 15 mai, un peu avant 19h, le ciel est dégagé, la végétation verdoyante, et les rayons du soleil scintillent sur la Vilaine. Les membres de l’équipe de dragon boat, les Roz’Eskell (ailes roses en breton), arrivent au compte goutte, prêtes à effectuer l’avant dernier entrainement avant la Vogalonga de Venise, dimanche 24 mai.

À l’échauffement, mené par Sylvie, kiné bénévole pour l’association Cap Ouest, la bonne humeur est le maitre mot. Les participantes – une vingtaine ce soir-là, mais l’équipe regroupe plus de 30 dragon ladies – ont à cœur de s’investir dans leur activité. Elles ont toutes subi un cancer du sein, sont en rémission ou en cours de traitement, et le dragon boat est leur bouffée d’oxygène. « C’est une 2e famille », n’hésite pas à dire Claudine, 54 ans, présente depuis le lancement des Roz’Eskell en septembre 2013.

Chantal, elle, est arrivée il y a un an. Alors âgée de 59 ans, elle vit son 2e cancer, déclaré en 2012. « J’en avais marre de ramer toute seule, je n’en pouvais plus. Ici, on est portées par le groupe, par l’énergie collective », précise-t-elle. Elles ont de 35 à 70 ans, ont des parcours et des profils différents. « Et elles sont malheureusement de plus en plus nombreuses », regrette Papia Prigent, leur coach, qui prend tout de même plaisir à s’engager avec ce groupe survitaminé.

VERS LA RECONSTRUCTION

Toutes ne traversent pas les épreuves de manière identique et toutes ne sont pas confrontées aux mêmes difficultés. Mais elles s’accordent sur l’isolement provoqué par la maladie, la difficulté d’en parler à son entourage, et surtout aux collègues de travail, et sur l’importance de se retrouver et d’effectuer ensemble une activité sportive.

« J’avais honte de n’avoir qu'un sein. Quelle horreur ! Depuis que je suis dans les Roz’Eskell, je suis fière de dire que je suis une dragon lady ! », avoue Claudine, rejointe par Chantal : « Un cancer du sein, c’est lourd. En avoir un 2e, c’est difficile de s’en remettre. Ici, ça nous permet de nous reconstruire. Ça développe une sorte de sororité. On a des affinités particulières avec certaines bien sûr, c’est comme partout. Comme dans une micro société, il y a les grognons, les chieuses, les rigolotes, les renfermées en cas de coup de blues ! Et on s’apprécie toutes ! »

Les témoignages oscillent entre dureté de leur vécu récent, douleur d’avoir perdu une membre de l’équipe l’an dernier et joie de participer à cette expérience libératrice et entrainante. Conscientes des bienfaits psychiques et physiques (au niveau du drainage lymphatique, principalement), elles ont rapidement souhaité collectivement s’investir dans des défis sportifs de grande ampleur comme avec la descente de l’Odet, la Vogavilaine et ce week-end la Vogalonga de Venise.

Des ambitions qu’elles mènent avec force et vivacité, motivées par « l’envie de faire ensemble et de se débrouiller seules », « la volonté d’aller ailleurs ». Une expérience qu’elles qualifient de thérapeutique et humaine. Les entrainements et défis constituent pour elles des bols d’air frais, des instants sans prise de tête, qu’il pleuve, neige, vente ou autre, elles répondent présentes. « On pagaie même si c’est gelé, pas question d’annuler ! », plaisantent Chantal et Claudine, dans les vestiaires.

DYNAMISME ET SOUTIEN

Et pas question de tergiverser ou de perdre du temps, une fois les étirements terminés, elles s’emparent d’une rame chacune et grimpent dans les deux embarcations bleues et roses aux têtes de dragon. Deux par bancs et une à l’arrière pour barrer. Ensemble, elles plongent avec dynamisme les rames dans la Vilaine et quittent rapidement les berges.

Les voilà parties pour 1h30 d’activité, rythmée par les « Yop » de Papia ou les coups de tambour qu’elle marque pour l’entrain et la synchronisation des participantes. Et quand elle ne donne pas le ton, les unes et les autres entament des chansons en chœur ou en canon avec les deux bateaux.

« Allez les filles, on va pas se laisser avoir », scandent-elles pour se donner du courage. Majestueuses, elles filent à vive allure. Objectif en tête : représenter les couleurs des dragons ladies bretonnes à Venise et participer à la manifestation regroupant quelques centaines d’embarcations à rames venues parcourir les plus de 30 km prévus sur la lagune « en un temps raisonnable », confie Papia qui se rend à Venise en camion, avec les bateaux embarqués sur la remorque (financée par les dons, subventions et partenariats prévus à cet effet, les billets d’avion des Roz’Eskell étant à leur charge).

Fière, Annick nous montre ses chaussures beiges customisées pour l’occasion au stylo rose. « J’ai écrit Roz’Eskell ! Ce sont mes ailes ! », nous lance-t-elle, en affichant un sourire enfantin étendu jusqu’aux oreilles. Pour Chantal, « l’image de nos corps a été abimée par la maladie. C’est important de restaurer notre image corporelle. Nous travaillons avec les photographes de Yadlavie ! qui réalisent un livre sur les Roz’Eskell et parfois on se reconnaît pas sur les photos… On se trouve énormes, monstrueuses. Ça compte beaucoup d’être dans ce groupe et de se fixer des objectifs. »

Certaines se sentent dévalorisées, d’autres lasses. Les douleurs quotidiennes, les soins, les traitements, les conséquences de tout cela… elles en témoignent avec émotions mais refusent de passer leurs entrainements à en faire état. « On n’en parle pas, sauf parfois en 3e ou en 4e mi-temps (oui, ça commence dans les vestiaires puis se prolonge sur le parking), rigole Claudine. On n’a pas besoin de tout raconter, on se comprend, on se soutient. »

Célian Ramis

"Plus femme que femme" : Girl power au coeur du Blosne

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Le Triangle, Rennes
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Présenté au Triangle le 28 mai prochain, le spectacle entend réveiller les consciences, bousculer le quotidien des femmes et des hommes, et lancer un message clair : les femmes sont puissantes.
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Depuis le 20 avril, les danseuses camerounaises Gladys Tchuimo et Mireille Akaba, de la compagnie Poo-Lek, travaillent au fil d’une résidence au Triangle sur leur spectacle « Plus femme que femme », à découvrir le 28 mai prochain, dans le cadre d’Agitation, qui s’installe au cœur du Blosne les 27, 28 et 31 mai.

« Dans ce spectacle, nous souhaitons amener les femmes à prendre conscience du pouvoir qu’elles ont, de la place qu’elles ont. Et dire que les femmes peuvent choisir ! » Gladys Tchuimo et Mireille Akaba sont la preuve de cette liberté de choix qu’elles revendiquent dans la création « Plus femme que femme ». D’autant qu’elles ont décidé de vivre de la danse, un chemin loin d’être évident au Cameroun et pas toujours compris, surtout dans le cercle familial.

La danse « arrive comme une passion », dès l’âge de 8 ans, se souvient Gladys qui l’a d’abord pratiquée à l’école puis utilisée pour payer sa scolarité, comme une bourse artistique. « C’est arrivé malgré moi et ça s’est imposé comme un métier. Mais pour mes parents, ce n’était pas envisageable. », explique-t-elle. Originaire de Douala – capitale économique du Cameroun, située à l’ouest du pays – elle s’installe à Yaoundé – capitale politique – qu’elle considère comme « plus ouverte » et y intègre un groupe de danse traditionnelle.

Rencontres avec des chorégraphes, animations dans des stades, démonstrations d’un caractère de leader, Gladys Tchuimo franchit les étapes pas à pas vers une carrière riche d’expériences jusqu’à souhaiter élargir ses compétences de danseuse-chorégraphe :

« J’ai commencé à m’orienter vers les danses modernes car pour devenir vraiment danseuse, je devais ne pas rester que dans le traditionnel. Et dans les années 2000, les compagnies de danse contemporaine ont commencé à naitre. »

Après une tournée en Europe avec une troupe de comédie musicale, elle se lance en solo et grâce à sa première pièce en 2004, elle bénéficie des Visas de la Création, un programme d’aide et de résidence de l’Institut français pour les jeunes talents résidant en Afrique ou dans les Caraïbes. C’est en 2005 qu’elle vient donc pour la première fois dans l’Hexagone, et passe plusieurs mois a enseigné et dansé à Grenoble (38), monte un projet avec une association française. De retour dans son pays natal, et après avoir foulé quelques scènes maliennes, congolaises ou encore burkinabè, elle entre à l’École des Sables (grande école de danse en Afrique, implantée au Sénégal).

FEMMES DES ARTS

« Très peu de filles dansent au Cameroun. Je me suis mis le défi de danser avec des femmes », souligne la chorégraphe de la compagnie Poo-Lek qui, en travaillant avec des danseuses de l’École des Sables, rencontre Mireille Akaba avec qui elle collabore sur un projet de danse avant de développer leur création en 2014. Ce duo aurait pu ne jamais voir le jour, puisque Mireille, qui vient en France pour la première fois avec cette résidence dans le quartier du Blosne à Rennes, elle, est issue du milieu de la musique : « J’ai commencé en 2008, dans un groupe camerounais, de world music. Chez nous, il n’y a pas d’école de musique, il faut t’inviter à travailler avec des gens, moi j’ai appris à chanter avec eux. »

De fil en aiguille, de projets en rencontres, elle effectue un stage dans un groupe congolais. De là nait son envie de danser, ce qu’elle fait en intégrant un groupe de danse traditionnelle, avant de découvrir la danse contemporaine, d’entrer à son tour dans la fameuse école de danse et créer ses spectacles, dont son solo « Fashion Victim », que le public rennais pourra découvrir le 20 mai, à l’occasion de la soirée « Sous la lumière », intitulée « De Rennes à Yaoundé, la quotidien de femmes d’aujourd’hui » dans laquelle les 2 danseuses seront entourées d’autres professionnelles comme Anne-Karine Lescop et Morgane Rey, d’associations telles que Danse à tous les étages et HF Bretagne, de Djaïli Amal Amadou, auteur de L’art de partager un mari et de Kouam Tawa, auteur en résidence au Triangle également.

« Au Cameroun, j’ai créé une performance dans la rue, où je me transforme en tout. Je m’inspire de certaines pratiques que l’on voit dans les rues pour obtenir de l’argent. Je jette des mots, je crée des poèmes… », précise Mireille. Une sorte d’illustration dansée et mimée de la folie ambiante qui inspire aux passant-e-s diverses réflexions entre « Mais qu’est-ce qui arrive aux jeunes femmes au Cameroun ? » et « Elle est trop jeune pour devenir folle » ou encore « Ça a vraiment commencé… »

CONDITIONS DES FEMMES

L’observation et l’analyse utilisée dans cette performance constituent des outils indispensables à son travail de création et de transmission, qu’elle aime partager avec les habitants, dans la rue, dans les quartiers, sur les marchés. Et des outils essentiels dans le processus de réflexion qui mènera à la chorégraphie et mise en scène de « Plus femme que femme », puisque les deux comparses ont récolté plusieurs témoignages de femmes camerounaises autour de la question « C’est quoi le bonheur ? »

« Pour 4 femmes sur 5, c’est d’avoir un mari et des enfants », lancent-elles en chœur, en rigolant de ce constat qu’elles considèrent comme effarant. Et à la question de la sexualité dans le couple, la majorité répond qu’il s’agit d’un acte à « subir » quand « le mari le veut / pour s’en débarrasser / pour faire plaisir à l’homme ». Les réponses font écho en elles, Gladys particulièrement, Mireille étant plus réservée sur son histoire personnelle.

L’homme détient le pouvoir. Les deux danseuses expliquent qu’au Cameroun, quand les femmes travaillent, c’est par préoccupation pour leurs enfants principalement. « En général, le mari donne 1000 francs, 1,50 euros en gros, pour l’alimentaire. C’est tout, et les femmes ne peuvent pas sortir de la maison en dehors de ça ! », s’indigne Gladys Tchuimo qui se souvient avoir été traumatisée par la relation « pas facile » entre son père et sa mère.

« Je n’avais vraiment pas envie de me marier, et je demandais à ma mère comment elle faisait pour continuer de faire des enfants avec lui ?! Je réfléchissais à pourquoi elle acceptait d’être traitée comme il le faisait, et moi je ne voulais pas de ça… Je crois que mon père aimait trop sa femme, qu’il était jaloux de sa femme… »

UN MESSAGE UNIVERSEL

À 37 ans, pourtant, Gladys est mariée. Ce qui fait beaucoup rire cette femme au caractère trempé et bien affirmé : « J’ai fini par trouver quelqu’un qui accepte que je sois libre et que j’exerce mon métier, comme quoi ça existe ! » Et quand on dévie sur le terrain des générations qui changent et évoluent avec leur temps, le duo recadre tout de suite, sourires aux lèvres, le discours : « Les générations ne changent pas. Nos voisines au Cameroun sont encore mères de 5 ou 6 enfants, et elles ont nos âges… », affirme Mireille, soutenue par Gladys :

« Les femmes peuvent choisir. Les femmes, on a des choses à dire, une place à prendre, du pouvoir, on a le choix. »

C’est là le point de départ et l’essence même de la pièce qu’elles dévoileront aux Rennais-es le 28 mai, à 20h, au Triangle. Une pièce qui parle d’elles mais pas seulement. « Personnellement, je dis avec le corps ce que je ne peux pas dire avec la voix, même si certaines fois, et pour nous faire comprendre, nous allons utiliser la voix », poétise Mireille, âgée de 35 ans, dont la douceur semble contenir un tourbillon d’émotions à l’intérieur d’elle-même. Les deux danseuses ont puisé dans leurs ressentis justement mais aussi leurs différences pour bâtir un spectacle au message universel, pas uniquement basée sur la condition des femmes au Cameroun, s’inspirant et s’appuyant également sur des textes de Kouam Tawa ou de l’histoire de Lilith, figure féminine infernale.

« Plus femme que femme » entend réveiller les consciences, bousculer le quotidien des femmes, et des hommes - « qui doivent savoir que derrière chacun d’eux il y a une femme, une mère, une sœur, une amie ! Ils doivent les chouchouter ! Nous ne jetons pas la pierre aux hommes mais ils doivent comprendre que le sexe fort ne se fait pas forcément dans la guerre, au contraire il s’effectue dans la douceur, donc chez les femmes. » - et lancer un message clair et précis : puissantes, les femmes doivent s’accomplir en réalisant la place qu’elles occupent et le pouvoir dont elles disposent.

LIEN ARTISTIQUE ET CULTUREL

En parallèle de ce spectacle, les deux danseuses se font le lien artistique et culturel entre la structure de la Cité de la danse et les habitant-e-s du quartier du Blosne. Plusieurs rencontres sont organisées jusqu’à leur départ. Entre débat (Sous la lumière, le 20 mai, dans le hall du Triangle), training de danses traditionnelles et afro-contemporaines (dernière séance le 19 mai de 18h30 à 20h30, dans le hall du Triangle) et spectacles courts hors les murs*, le duo crée l’événement et permet surtout à la danse de délivrer son pouvoir créateur de lien social et sa force fédératrice.

« Les enfants avaient vu la vidéo de Gladys et Mireille pour apprendre les pas de la chorégraphie. Là, ils ont vu les danseuses en vrai, faire les mêmes pas. Ils n’en revenaient pas ! C’est ça qui est intéressant et qui est important. », explique Marion Deniaud, chargée des actions culturelles au Triangle, qui parle de mission de service public, dans une démarche d’écoute du territoire avec lequel il est primordial d’être en phase (lire p. 15, Focus, YEGG #36 – Mai 2015).

 

* Mercredi 20 mai, 15h, Centre commercial Italie
   Jeudi 21 mai, 14h30, Foyer de la Thébaudais
   Vendredi 22 mai, 19h, Square Alexis Le Strat
   Samedi 23 mai, 16h, Métro Charles de Gaulle
   Samedi 30 mai, 11h, Marché de Zagreb

Célian Ramis

Nathalie Appéré, "le cap et la boussole" vers l'égalité des sexes ?

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Rennes
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Un an de mandat pour Nathalie Appéré, première femme maire de Rennes. L’occasion de faire le bilan et d’évoquer les actions et priorités pour les années à venir en matière d’égalité femmes-hommes.
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Le 30 mars 2014, Nathalie Appéré devient la première femme à accéder au poste de maire de Rennes. Un an de mandat – le conseil municipal a été constitué le 4 avril 2014 - l’occasion de faire le bilan et d’évoquer les actions et priorités pour les années à venir en matière d’égalité femmes-hommes.

YEGG : Avec du recul, comment avez-vous vécu la campagne électorale, en tant que femme, quand on sait que 13,9% seulement des maires de France étaient des femmes ?

Nathalie Appéré : Je ne l’ai jamais vécu comme un obstacle. En 2001, quand j’étais adjointe d’Edmond Hervé, il y avait un contexte de parité nouvelle dans les équipes municipales, et où à l’échelon local qui est le notre, il y avait à la fois 50% de femmes élues mais aussi la volonté d’aller plus loin avec déjà des exécutifs paritaires. Les évolutions naturelles sont à ce point lentes qu’il faut à un moment donné que des lois et des dispositifs s’attaquent véritablement à cette question de la parité en politique. Je dois dire que j’en ai peut-être bénéficié.

Alors après comment est-ce que l’on franchit d’autres marches dans la prise de responsabilités ? C’est peut-être sans doute plus par son propre travail et la capacité à convaincre mais s’agissant particulièrement de la campagne municipale, je n’ai pas eu l’impression que pour être désignée par les militants du Parti, le fait d’avoir été une femme ait été un obstacle. Parce que justement il y a une telle identité à la ville de Rennes et sur le territoire rennais, et une telle affirmation de l’égalité femmes-hommes comme un enjeu politique, que ça fait parti des choses totalement intégrées.

Lorsque nous vous interrogions en janvier 2014 sur la parité en politique et dans les instances politiques, vous disiez être un produit de la parité. N’est-ce pas jouer le jeu de l’égalité déjà acquise, qu’on sait dangereux ?

Je n’ai pas changé d’avis (Rires). J’évoquais là strictement et uniquement la question de la place des femmes dans les équipes municipales. Ce qui ne veut absolument pas dire que l’égalité est déjà acquise. Il n’y a jamais d’acquis, il y a un combat permanent, et moi je situe ce combat pour l’égalité femmes-hommes dans un combat pour l’égalité. Le combat féministe se situe dans cette démarche progressiste en faveur de l’égalité en général.

Au delà de la question du sexe…

C’est une question dans une action politique qui revendique que le cap et la boussole soient en permanence l’égalité.

Vous évoluez au niveau municipal mais aussi national, à l’Assemblée nationale, en tant que députée. En tant que femme, s’imposer sur le terrain rennais, dans la salle du conseil municipal et dans l’hémicycle, c’est le même combat ? Se positionne-t-on de la même manière ?

Non, je pense que les choses sont assez différentes effectivement. D’abord parce que numériquement les rapports hommes-femmes ne sont pas les mêmes dans un conseil municipal ou à l’Assemblée nationale. Parce que l’Assemblée nationale a ses codes, ses modes de fonctionnement et c’est sans doute moi les premières fois que j’ai ressenti ce que pouvait être le machisme, que je n’avais pas forcément vécu à Rennes.

Les anecdotes sont connues : la robe de Cécile Duflot (juillet 2012), le caquètement de Philippe Le Ray, député du Morbihan, quand Véronique Massonneau s’exprime (octobre 2013)… Et puis ce moment particulier que sont les questions au gouvernement où l’on n’est pas à l’abri des décharges de testostérone et d’un rapport ancien et viril à la question politique. Je ne ressens pas du tout ça dans un conseil municipal où aujourd’hui j’ai le sentiment, mais peut-être à tort, que l’autorité nécessaire à la fonction de maire n’est pas une question de genre.

Pendant la campagne, chaque candidat évoquait une femme à l’urbanisme et un homme à l’éducation. Un exemple récurrent quand on aborde les évolutions en terme d’égalité des sexes. Le 4 avril dernier, vous avez nommé un homme à l’urbanisme et une femme à l’éducation. Est-ce qu’on aurait pu faire bouger les lignes à ce moment-là ?

Ça n’a rien d’une volonté ! Une femme maire c’est déjà une affirmation en tant que tel. Ensuite dans la composition d’un exécutif paritaire, c’est une adéquation entre les compétences, les envies et les taches à assumer. Je ne lie pas telles ou telles responsabilités au sexe de la personne qui l’occupe, je pense que c’est la même capacité à exercer des fonctions.

Après, c’est un casting, le mot n’est peut-être pas heureux mais en tout cas c’est la volonté de faire en sorte que chacun soit le plus efficace possible là où il est. Ce qui n’a rien à voir avec une quelconque prédisposition liée aux ovaires. Je m’intéresse beaucoup à la question urbaine autant qu’à la question financière, et je ne suis pas sûre qu’il me faille me contraindre au champ social, qui est d’ailleurs une responsabilité assumée par un homme à Rennes.

Au niveau de la ville de Rennes, est-ce qu’un diagnostic local a été réalisé très précisément, comme il en est question dans la loi du 4 août 2014 ? Dans les enjeux sur les égalités femmes-hommes, Rennes et Rennes Métropole souhaitent des statistiques genrées sur chaque thème… Un diagnostic local, public, est-il prévu ?

On s’inscrit dans une continuité d’actions, de convictions et l’objectif d’une nouvelle équipe municipale n’est pas de forcément tout remettre à plat mais de s’appuyer sur ce qui fonctionne pour réinterroger, toujours aller plus loin et être fidèle à ce qui a pu être fait. Il en est de la politique égalité femmes-hommes comme d’un certain nombre de politiques, où des outils sont mis en place depuis les outils de participation - comme les comités consultatifs - depuis des politiques publiques particulières, depuis la labellisation (de l’égalité professionnelle) qui a été l’occasion d’un nouveau diagnostic, de nouvelles priorités d’actions.

Pareil pour la question de l’égalité dans la politique éducative et dans l’accompagnement que ce soit dans le temps périscolaire ou bien dans l’Éducation nationale sur le temps scolaire, sur la question de la lutte contre les clichés : cela a été réaffirmé avec de nouvelles orientations (convention avec l’Académie, signée fin 2014, entre autre ndlr). Mais je ne peux pas dire qu’il y ait eu une mise à plat spécifique et particulière sur ces questions.

Une volonté dans les prochaines années ou faut-il continuer d’évoluer sur chaque champ spécifique ?

Quand je vous dis que moi je situe cette question d’égalité femmes-hommes dans le champ plus global de l’égalité en général, ça veut dire qu’effectivement, toutes nos politiques publiques sont passées au peigne fin sur cette dimension : « En quoi est-ce que l’action publique doit toujours et en tout lieu favoriser l’égalité, l’égalité des chances en particulier ? » Et c’est vrai que ça se décline dans une philosophie et des convictions politiques plus larges.

Après, il y a des outils plus particuliers et les statistiques genrées en font parties, on est encore au balbutiement de ce type d’observations. On le fait par exemple vis-à-vis des  partenaires que l’on subventionne, que ce soit au niveau des partenaires culturels ou associatifs, dans les équipements de quartier, pour voir comment est-ce que les filles et les garçons se retrouvent de la même manière.

On le fait avec les partenaires du monde sportif au sein de l’Office des Sports pour regarder la place des filles dans les activités sportives qui sont proposées sur les quartiers. On le fait, toujours dans le champ du sport, avec nos éducateurs sportifs, pour une diversification des propositions pour que les filles s’y retrouvent. On le fait bien sûr sur ce champ singulier de l’égalité professionnelle. Ça se décline à tous les niveaux…

Discriminations, lutte contre les clichés, contre les violences, égalité professionnelle… Concrètement, comment travaille-t-on sur ces questions à l’échelle d’une ville, puisque tout n’est pas du ressort de la Ville ?

J’emploie souvent cette formule qui est de considérer que la responsabilité d’un maire, c’est à la fois de donner un cap, une orientation, de rappeler des valeurs, de mettre en œuvre un programme. Mais au delà de ce cap à rappeler, c’est de mettre autour de la table les acteurs. Et quand on est dans le champ de l’égalité professionnelle, il va de soi que le travail avec les syndicats, avec les employeurs, est un facteur sur lequel il nous faut agir.

Lorsque l’on parle égalité à l’école, c’est bien dans notre projet éducatif territorial qui implique les associations, les parents, l’Éducation nationale, que les choses peuvent se faire. Quand on travaille sur les clichés filles-garçons dans les crèches, c’est avec les professionnels, mais aussi avec les parents, avec les associations, qu’on y travaille.

Et je pense que notre responsabilité est celle-là, de considérer que notre action ne se limite pas strictement aux services publics municipaux, c’est toute l’histoire des manifestations autour du 8 mars à Rennes, où la ville n’est que d’une certaine manière le facilitateur d’un grand nombre d’initiatives.

En terme de santé, IVG, contraception, etc. on se rend compte aujourd’hui que le public « jeunes filles /jeunes adultes » est très mal informé, très mal orienté. Quel rôle avez-vous à jouer dans l’information, la prévention, de ce public en particulier, mais au delà, de tous les Rennais ?

La Ville est engagée dans un contrat local de santé, ce qui n’est pas une évidence car peu de villes ont contractualisé sur ce champ là, où on peut se dire que ce n’est pas vraiment une compétence municipale. On a une action ancienne en matière de santé, à tous les niveaux, et la prévention des conduites à risques fait partie par exemple des priorités de ce contrat local de santé.

Dans la prévention des conduites à risques, il y a bien sûr ce qui relève du champ des addictions mais peut aussi relever des pratiques sexuelles, des risques particuliers, et là dans le soutien aux associations, je pense à ce que fait le CRIJ, le 4 Bis, sur le volet prévention avec une présence d’animateurs de santé dans les grandes manifestations, voilà un exemple concret de ce qui peut être mené sur le champ de la santé.

On n’est par contre moins dans le champ du soin. Là, le lien se fait que ce soit avec le Conseil général sur le volet prévention publique ou avec le monde de l’hôpital ou de la médecine libérale sur l’organisation des réseaux de soins. Mais quand on soutient des associations comme Liberté couleurs, il y a dans leur action certes une dimension égalité filles-garçons mais il y a aussi des choses très particulières sur la protection, la prévention, l’accès à la contraception…

Et au niveau du Planning familial ? Plusieurs PF en France sont en difficulté et ont du mal à survivre. Quelle est la position de Rennes, qui a des employés dans cette structure, ce qui n’est pas le cas de toutes les autres ?

C’est essentiel qu’on les accompagne à la fois dans leur recherche de lieux de permanence, dans les quartiers, et dans le soutien à l’action qui est la leur.

Je rebondis puisqu’on est dans le champ santé, il y a aussi notre responsabilité en matière de sécurité publique, qui pour moi fait partie de l’action que peut conduire la municipalité en matière d’égalité femmes-hommes. C’est à la fois dans les engagements particuliers en matière de lutte contre les violences faites aux femmes, le numéro vert, le lien avec le travail social mais aussi avec la justice, la police, le soutien aux associations, le CIDF en particulier.

Puis globalement, j’affirme toujours une politique de sécurité comme étant au service des plus fragiles et quand je mesure ce que vivent particulièrement les femmes, notamment dans le rapport à l’espace public quand il y a une dégradation de la sécurité publique, je me dis que tout ce que nous faisons aussi non seulement en matière de prévention mais y compris pour le renforcement d’une présence de police de proximité, c’est aussi une politique d’égalité femmes-hommes.

Quand je vois les jeunes femmes victimes d’agressions sexuelles, notamment sur fond de soirées festives, je me dis que ça doit être une priorité, je souhaite que nous nous engagions dans la démarche de marches exploratoires sur l’espace public. C’est aussi parce que pour un certain nombre de filles, de femmes, traverser une place en jupe est plus compliqué aujourd’hui s’il n’y a pas cette volonté d’assurer que l’espace public est à chacune et à chacun et qu’il y a à travailler en permanence sur cette question de partage de l’espace public, de la tranquillité et du respect des règles communes.

On va revenir sur les marches exploratoires mais tout d’abord on a l’impression que peu de Rennaises et de Rennais connaissent les actions de la ville de Rennes en matière d’égalité femmes-hommes. Doit-on voir un manque d’intérêt dans ce déficit de communication autour de ces questions ?

On fait mais on a un peu de mal à faire connaitre l’action de la Ville, qui est à tous les niveaux, ce n’est pas propre à l’égalité femmes-hommes. Quand on reçoit Pascale Boistard et que l’on présente tout ce qui est fait, c’est parce que l’on pense que c’est important. Lorsqu’à Rennes, la journée des droits des femmes dure un mois avec une visibilité, un affichage sur l’espace public, c’est aussi parce que l’on pense que c’est important. Dans le Rennais s’il y a régulièrement des articles là dessus c’est parce qu’on pense que c’est important. Maintenant on n’est pas toujours les meilleurs pour faire des belles plaquettes et mieux faire connaître nos actions, mais ce n’est pas spécifique à cette politique publique.

On prend l’exemple du 8 mars, c’est la première fois que la presse était conviée à une conférence de presse pour cet événement, à 2 jours de l’événement…

(Manuel Contin, son directeur adjoint de cabinet, intervient : il y a eu une tradition de conférence de presse pendant des années et des années, mais ce que vous décrivez là c’est aussi le manque d’intérêt de vos confrères sur la question, qui a conduit à ne plus organiser systématiquement de conférence de presse, parce que personne n’y venait. Ce qu’on nous renvoyait c’est : « On ne comprend pas, la journée des femmes c’est le 8 mars mais vous ça dure un mois » et « On ne comprend pas qui fait quoi, parce que c’est un mouvement associatif »… On a beaucoup de mal à intéresser les journalistes locaux à ces problématiques là. Et c’est valable sur l’ensemble du champ de la solidarité.)

Pour avoir été première adjointe en charge de la solidarité, je vois bien comment lorsqu’on cherchait à faire connaître ce qu’on faisait, on avait beaucoup de mal à faire venir du monde. On a plus facilement des gens dès qu’il s’agit de présenter une opération urbaine.

Et pourtant : Rennes, ville numéro 1 de l’égalité femmes-hommes, c’est le classement du média national Les Nouvelles News, en mars 2015. 12 réponses sur 50, Rennes est en tête de classement mais…

Et les premiers à répondre ! ça veut bien dire qu’il y a une mobilisation particulière !

Mais on se demande s’il faut se réjouir ou s’il faut s’inquiéter pour le reste de l’Hexagone…

Je fais partie de ceux qui sont résolument optimistes et qui voient toujours le fait que ça progresse. Je pense qu’en étant exemplaire, en communiquant sur le fait que l’on est exemplaire, en montrant comment une ville a des leviers, pas tous les leviers mais des leviers, en participant aux colloques, en étant présents dans les associations d’élu-e-s, en étant présent dans l’association des maires des grandes villes - où on n’est pas beaucoup de femmes - c’est aussi une manière de sensibiliser, d’amener à réfléchir. On est investis dans des réseaux et plutôt que de décrier ce qui n’est pas fait ailleurs, je préfère avoir la fierté de ce qu’on fait et penser que ça peut aussi servir d’aiguillon ou d’inspiration.

Encore une fois, là dessus, il n’y a pas eu grande communication…

Si à chaque fois qu’on était bien placé dans un classement, on faisait un communiqué de presse, les colonnes de vos journaux seraient envahies de nos communiqués de presse (Rires). Mais j’ai relayé l’information sur mon compte Twitter, sur les réseaux sociaux.

(Manuel Contin : c’est un média aussi qui fait le palmarès, c’est toujours délicat de communiquer là dessus auprès des autres médias. Mais l’information a été envoyée aux journalistes locaux, personne n’a traité le sujet.)

Que pensez des propos d’Isabelle Germain, rédactrice en chef des Nouvelles News, pendant le colloque, qui explique : « à Rennes, les associations font plus pression sur les politiques pour ces sujets. » ?

Je pense qu’il y a un tissu associatif plus développé qu’ailleurs et qu’il y a une pratique du dialogue ancien entre les associations et les élu-e-s. Que si elles font pression, c’est tant mieux et c’est leur rôle. Je pense aussi qu’elles font pression mais qu’elles trouvent en nous des interlocuteurs et interlocutrices attentifs et attentives, et qu’il n’y a peut-être pas besoin de trop de pression pour que l’on chemine et que l’on avance ensemble.

Dans les points positifs du classement, il y avait le budget. À combien s’élève-t-il précisément ?

On est incapable de le dire. Il y a effectivement ce qui relève des crédits d’intervention de la mission Droits des femmes et où on va trouver le soutien aux associations, où on va trouver le budget des manifestations du 8 mars, où on va trouver le financement du poste d’assistante sociale au poste de police… Par définition, comme c’est une politique transversale, on ne trouvera pas dans le budget ce qui est fait dans le cadre du périscolaire, sur la lutte contre les clichés, le déterminisme garçons-filles, l’action qui est menée dans les crèches, sur la communication autour de ces questions.

Je ne suis même pas sûre que la marche exploratoire que l’on va mener soit identifiée dans le budget. Donc on n’a pas, objectivement, cette clé de lecture là. Il y en a d’autres des clés de lecture mais celle là n’existe pas dans le budget municipal. Je ne voudrais pas que l’on résume cela en tout cas aux crédits de soutien aux associations. Parce que l’égalité professionnelle, la volonté de promouvoir les femmes à tous les postes de responsabilité ou la garantie de salaires égaux à compétences égales, par exemple, ça ne se chiffre pas.

Dans le questionnaire que vous avez rempli, il y a un chiffre de 85 091 euros…

Ce sont les crédits d’intervention. Uniquement les crédits d’intervention. Mais c’est très en deca de tout ce qui est fait.

On parlait des marches exploratoires, spécifiquement pour les femmes. On en parle depuis très longtemps, au Québec, c’est une pratique courante depuis plus de 20 ans, une conférence organisée par Questions d’égalité avait abordé le sujet en 2012, Najat Vallaud-Belkacem en parlait aussi juste avant de quitter ses fonctions de ministre aux Droits des femmes. Pourquoi attendre si longtemps pour mettre cette marche en place ? Car à Rennes, des marches exploratoires existent déjà…

Oui, les marches existent. On a eu des marches dans les quartiers sur la dimension nocturne par exemple et temps de la ville, ce qui était l’occasion de relever des questions spécifiques pour les femmes. On travaille à des marches exploratoires dans les quartiers pour parler sécurité, éclairage public, capacité des uns et des autres à se sentir bien sur l’espace public.

On parle sans vouloir, et ce ne sera jamais ma tentation, résumer la femme à la mère de famille, n’empêche que c’est plus fréquemment elles qui poussent les poussettes et quand on parle accessibilité, on parle aussi de cette question de l’égalité. C’est vrai que l’on n’avait pas jusqu’alors mis en place de marche exploratoire avec cet unique objet, on va voir comment ça prend. On va expérimenter, en lien avec le ministère des Droits des femmes, ce type de démarche.

Est-ce que vous avez une date ? Puisque ça fait presque un an que l’on nous dit que ça va bientôt arriver…

Non. Il y a peut-être déjà une date mais je n’en ai pas connaissance.

(Manuel Contin : il y a des échanges actuellement avec le ministère. On avait évoqué le premier semestre. Il y a des échanges depuis l’automne en tout cas.)

On termine sur les priorités de demain. Vous avez parlez dans le courrier envoyé à Isabelle Germain, à l’occasion du colloque, d’un « discours anti-féministe auquel on assiste aujourd’hui ». Quelles priorités pour demain, pour justement combattre ce discours anti-féministe ?

Dans un contexte où l’on sait que les choses sont fragiles, en particulier sur cette question du droit des femmes, je n’oublie pas avoir manifesté, ici, place de la Mairie, pour réaffirmer le droit des femmes à disposer de leur corps, en solidarité aux femmes espagnoles mais aussi parce que des leaders de la droite locale déposaient à l’Assemblée nationale des amendements pour le déremboursement de l’IVG. Ils voulaient réintroduire la notion d’IVG de confort. Et ça je considère que ces batailles idéologiques là, il faut les mener, par exemple.

On ne peut pas faire abstraction d’un contexte politique général qui peut être celui d’une défiance vis-à-vis des valeurs républicaines ou de la progression de toutes les idéologies rétrogrades, celles du Front National avec quelques fois des limites qui ne sont pas très claires entre la droite dite classique, même si je ne mets pas tout le monde dans le même panier, et le Front National. Et vraiment sur cette question du droit des femmes, sur la place des femmes, on a vite fait de lire une démarche politique.

Merci beaucoup.

Merci à vous.

Célian Ramis

Femmes "fières, solidaires et en colère" dans la rue !

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Rennes
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Lors d'une marche nocturne en non mixité, ce mercredi 11 mars, les femmes ont revendiqué leur indépendance et leur droit d'investir l'espace public en toute sécurité.
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Membres de l’Unef, de Solidaires Étudiant-e-s, du CNT, du Collectif Antifasciste Rennais et individues concernées étaient réunis, mercredi 11 mars dès 19h30 sur la place Hoche, pour une marche nocturne en non mixité conviant toutes les femmes. Dans la continuité du 8 mars, volontairement hors programme de la Ville de Rennes, elles ont défilé pour reprendre la rue et manifester leur présence dans l’espace public.

Ce mercredi 11 mars, à partir de 20h, elles ont arpenté les rues du centre ville, de la place Hoche au bar 1675, de la rue Legraverend, sous les yeux des passant-e-s curieux d’entendre ce groupe intégralement féminin vociférer. Car la marche nocturne était organisée en non mixité (lire notre décryptage sur la non mixité dans notre prochain numéro – YEGG#35, avril 2015). « La non mixité est un outils qui existe depuis longtemps. Au début, j’étais un peu perplexe, voire choquée. Mais en réalité aucun homme ne peut subir l’oppression comme nous la vivons. », explique Sophie, membre de l’organisation Solidaires Étudiant-e-s depuis 7 ans.

Toutefois, elles ne souhaitent pas se couper de la gent masculine, ni occulter leurs paroles : « Nous faisons d’autres événements avec eux comme lors de la semaine féministe de Rennes 2 (du 31 mars au 4 avril 2015, ndlr) et après la marche, on bouffe avec eux par exemple. Là, il s’agit de montrer que nous sommes capables d’agir de manière autonome. »

Depuis leur dernière marche nocturne en non mixité l’année précédente, le 18 mars 2014, peu de changements. Elles sont peu nombreuses, une cinquantaine de participantes environ, entament toujours l’Hymne des femmes (écrit par un groupe de femmes du Mouvement de Libération des Femmes, MLF) avant de débuter la marche, scandent les mêmes slogans – parmi les favoris : « Machos ! Machos ! Vous nous cassez le clito ! », « Non c’est non ! La prochaine fois ce sera un coup de couteau dans ta bite connard ! », « On est femmes, on est fières, solidaires et en colère » - et brandissent quasiment les mêmes pancartes cartonnées.

Pourquoi ? Parce que le harcèlement de rue sévit toujours. Que les femmes, quel que soit leur orientation sexuelle, leur sexe de naissance, leurs origines, leur milieu social, âge, etc., ne se sentent pas en sécurité dans l’espace public, en particulier la nuit. L’objectif de la marche est alors d’investir la rue, d’oser dénoncer la situation et chercher à éveiller les consciences.

« On sait bien qu’il y a peu d’échos à notre action. Mais au moins, on a tracté pendant quelques jours à la fac, on est vues ce soir dans la rue, l’info est donnée et on peut faire évoluer un petit peu les mentalités. Peu importe notre nombre, on est là »
précise Sophie, loin d’être découragée par les diverses réactions des passant-e-s.

Certains hommes jouent les provocateurs, se font gentiment invités à sortir, d’autres sourient en entendant les slogans, des femmes viennent grossir les rangs en cours de route. Entre indifférence, gronde, compréhension et soutien, le discours semble tout de même avoir un impact réduit sur la population. Peu importe, les marcheuses se disent fières, prêtes à défendre leurs intérêts et démontrent leur volonté de se réapproprier la rue, la nuit, sans peur d’être agressées, insultées, violées, jugées, etc. et ce, quel que soit la manière dont elles sont vêtues.

« Pour parler en slogan, cette marche c’est « Ne me libère pas, je m’en charge »», insiste Sophie. D’autres messages incisifs seront lancés en conclusion des diverses prises de paroles :

« Nous ne devons pas avoir peur, nous ne devons pas avoir besoin d’un homme pour nous sauver. Osons reprendre la rue ! Féministes tant qu’il le faudra ! »

Célian Ramis

Florence Montreynaud contre la prostitution : "On achète le non désir de l'autre"

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Les Ptits Clous, Rennes
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La prostitution, un droit pour l'homme ? Une question posée à la fondatrice des Chiennes de garde, Florence Montreynaud, de passage à Rennes, le 10 mars dernier.
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Mardi 10 mars, Florence Montreynaud, historienne, journaliste et militante féministe, était l’invitée du café-citoyen, organisé par le Conseil de quartier Francisco Ferrer-Landry-Poterie dans le bar-restaurant Les Ptits Clous, à Rennes, autour de la question « La prostitution : un des droits de l’homme ? »

Un sujet houleux, qui divise les féministes, les politiques et la population. Le débat est installé depuis de nombreuses années et l’éventuelle abolition du système prostitutionnel a été mise sur la table fin 2013, avec l’adoption à l’Assemblée nationale du texte de loi présentée par les députées PS, Catherine Coutelle (à noter que cette dernière sera présente à Rennes, au 4 Bis, le jeudi 12 mars pour une conférence organisée par le Cidff 35 sur la loi égalité entre les femmes et les hommes du 4 août 2014) et Maud Olivier. Les 30 et 31 mars 2015, le Sénat examinera la proposition de loi visant, entre autre, à pénaliser les client-e-s de la prostitution.

Florence Montreynaud fait partie des défenseures des droits des femmes de la première heure, convaincue que la prostitution ne peut être un métier et qu’un corps ne peut être engagé dans une relation sexuelle à destinée commerciale. Elle a été une militante du MLF (Mouvement de Libération des Femmes), fondatrice de l’association Chiennes de garde, puis La Meute (contre la publicité sexiste) et Encore féministes !, et créatrice du réseau international Zéromachos, il y a 3 ans.

PÉDAGOGIE DE L’INDIGNATION

Sous ses airs bon chic bon genre qui enlève ses chaussures pour grimper sur les bancs afin de taguer les affiches dans le métro parisien, elle se dit « révolutionnaire à l’intérieur », affiche un humour cocasse, traite le cardinal Giovanni Battista Re de connard quand il dit qu’un viol est moins grave qu’un avortement (dans l’affaire de l’excommunication d’une mère brésilienne et de médecins pour l’avortement d’une fillette de 9 ans, violée par son beau-père, qui lui ne sera pas excommunié) et conclut l’interview par « Je ne touche pas à la prostate des hommes alors qu’ils laissent nos ovaires tranquilles ! », en n'oubliant pas de rappeler que l'avortement n'a jamais été un droit, l'accès à l'IVG représentant un véritable parcours du combattant et tendant à culpabiliser les femmes qui le pratique.

Ce soir-là, au bar-restaurant Les Ptits Clous, dans la rue de Chateaugiron, elle salue tous les participant-e-s du café-citoyen, les questionne sur le pourquoi de leur venue, parle de Zéromachos en distribuant un tract informatif. « Ah, vous êtes 3 Zéromachos ? Sauf vous Madame, évidemment… », lâche-t-elle toute pimpante, avant de retourner naviguer entre les tables et chaises en souriant, papillonnant et papotant.

« J’ai l’impression qu’il y en a qui ne connaissent rien du tout au sujet », s’enthousiasme-t-elle au début de la conférence. En amont, elle nous expliquait que son intérêt était là, de discuter, débattre du sujet dans une démarche pédagogique, « écouter ce qu’ils ont à dire, voir quelles sont leurs idées autour de ce sujet car sur la prostitution, tout le monde a un avis. » L’enjeu pour elle : déconstruire les idées reçues que l’on a sur la prostitution, qui n’est « ni le plus vieux métier du monde - puisque pour les femmes, c’est sage-femme - ni un moyen de réduire le nombre de viols. »

Elle est franche, ne mâche pas ses mots et prend la parole pour tous ceux qui trouvent ce système indigne - elle a même parfois tendance à délaisser la question posée au départ par le café citoyen "La prostitution : un des droits de l'homme ?" pour se concentrer sur l'action du réseau Zéromachos, réservé aux hommes qui refusent de payer une femme pour avoir une relation sexuelle. Florence Montreynaud conteste le discours des travailleuses du sexe désireuses d’exercer leur métier en pleine possession de leurs moyens et de leurs corps, et demandeuses d’un statut encadré pour sortir de la précarité extrême des prostitué-e-s, qui seraient « des lobbyistes du système des proxénètes » et dénigre les 343 salauds signataires du manifeste, l’an dernier, Touche pas à ma pute.

« Ils revendiquent un droit de l’homme, affirme-t-elle. Et on leur déroule le tapis rouge, on les invite dans les émissions, ils signent dans les colonnes de Libé, trouvent ça fun… Mais 90% des hommes ne souhaitent pas payer pour des relations sexuelles, et ceux-là ne se retrouvent pas dans les discours, mais n’osent pas prendre la parole. »

UN QUESTIONNEMENT LÉGITIME

Dans la salle, on s’interroge, on approuve, on contre-argumente. Les réactions sont variées. Pourquoi ne pourrait-on pas vendre son sexe alors qu’on vend tous des choses ? Ne serait-on pas figé dans cette éducation judéo-chrétienne qui culpabilise le sexe ? Les femmes peuvent-elles louer vagins et bouches sans être victimes de domination et de violences ? La pornographie n’impulserait-elle pas la prostitution ?

Pour une féministe radicale telle que Florence Montreynaud, les questions de l’auditoire sont légitimes mais trouvent, pour certaines, leurs réponses dans une logique contestable :

« Il y a d’un côté la pauvreté, la misère, peut-être l’emprise de la drogue, l’emprise de réseaux violents… De l’autre, un ensemble d’hommes qui ont des besoins, des fantasmes, des envies. Le problème, c’est qu’on ne comble pas son vide, son manque comme ça, et que les femmes trouvent de l’argent mais à quel prix ? Tout cela fait douter de l’humanité… »

Un raisonnement qui insinue que les femmes ne pourraient donc se prostituer pour d’autres raisons et les hommes ne seraient que clients, à cause de cette idée farfelue qu’ils auraient des besoins à assouvir impérativement - « mais on a jamais vu une couille éclater » - qui légitime et justifie leur domination sur les femmes, la privation de liberté de ces dernières. Sans trop vouloir aborder la question des prostitués masculins et clientes féminines, de l’assistance sexuelle ou confronter le point de vue du Strass (syndicat des travailleurs du sexe), elle semble occulter les avis divergents.

La sexualité débarque instantanément dans la conversation. L’opposition est nette, tranchée. La sexualité prend son sens dans son partage, dans son désir mutuel d’un être envers un autre être, se magnifie dans l’écoute de l’autre et dans la communication entre partenaires qui prennent le temps de bâtir ensemble cette relation sexuelle, qu’elle soit envisagée à court, moyen ou long terme.

Immédiatement, l’auteure de Appelons une chatte… ou encore Chaque matin, je me lève pour changer le monde confronte sa vision de l’épanouissement sexuel à sa réalité de la prostitution. « La sexualité des prostituées, c’est une marchandise. Mais ça ne devrait ni s’acheter, ni se vendre. Concrètement, elles ne prennent pas de plaisir, elles font des pipes à la chaine, ne mouillent pas, utilisent de la vaseline à outrance… ça rend mal à l’aise ! », s’indigne-t-elle.

ÉDUQUER À LA SEXUALITÉ

Florence Montreynaud souhaite aussi parler de son observation d’un modèle de l’égalité entre les femmes et les hommes : la Suède. Après plusieurs entretiens avec des hommes suédois, des années d’allers-retours dans ce pays, elle dévoile le secret de cette nation exemplaire : le congé paternité.

« Ils passent du temps à s’occuper de leurs enfants, à les éduquer, les soigner. Et les hommes que j’ai interrogé m’ont fait une réponse étonnante, que jamais personne n’avait évoqué : ils refusent de payer une femme pour une relation sexuelle car ils ont appris à toucher un corps sans désir, à se servir de leurs mains sur un corps, d’une autre manière. »
explique-t-elle, convaincue que la clé réside dans l’éducation à la sexualité dès le plus jeune âge.

Pour comprendre le désir de l’autre, le respecter, quel que soit le sexe et l’orientation sexuelle. Car pour elle, véritable problème au-delà des violences physiques, des pressions, et autres insécurités, la prostitution consiste à « acheter le non désir de l’autre ». Un principe qu’elle refuse.

Florence Montreynaud sera de retour à Rennes le 29 mars, au musée de Bretagne, pour une conférence sur la publicité sexiste. Et le 30 mai, pour une opération Zéromachos, « Repasser pour l’égalité » qui devrait se dérouler sur une place de la capitale bretonne – lieu encore non défini – et qui devrait attiser la curiosité : les hommes repasseront sur l’espace public, à la veille de la fête des mères en défendant le slogan suivant : « Le plus beau des cadeaux, c’est l’égalité ».

Célian Ramis

Rennes, meilleure élève pour l'égalité femmes-hommes au royaume des cancres

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Paris
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Les Nouvelles News a dévoilé son palmarès sur les villes les plus engagées pour l'égalité femmes-hommes : Rennes figure à la première place. Au niveau national, la prise de conscience reste inexistante.
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À l'occasion de son colloque sur « Le sexe de la ville » organisé à l'Hôtel de Ville de Paris ce samedi 7 mars, le journal d'informations en ligne Les Nouvelles News a dévoilé son palmarès sur les villes les plus engagées pour l'égalité femmes-hommes : Rennes figure à la première place. Au niveau national, la prise de conscience reste inexistante.

Mi janvier, l'équipe du média Les Nouvelles News a envoyé un questionnaire écrit aux 50 plus grandes villes de France, hors Paris. L'objectif : connaître les communes les plus en faveur de l'égalité femmes-hommes. Si le média parisien s'est penché sur ce sujet, ce n'est pas un hasard : « La ville, c'est la vie quotidienne et cela touche le plus directement les gens. C'est un sujet prioritaire peu traité dans les médias », explique Isabelle Germain, la fondatrice du site qui revendique une information paritaire.

« PALMARÈS EN CREUX »

Dans le classement dévoilé ce samedi 7 mars, Rennes arrive en tête, de loin. « C'est la seule ville qui a répondu une semaine après les avoir interrogés », relève Isabelle Germain lors de son introduction au colloque. Selon cette dernière, la raison est simple. Les villes qui ont donné suite au questionnaire, seulement 12 sur 50, sont celles les plus en avance sur le sujet.

« C'est un palmarès en creux, nous avons demandé aux municipalités de répondre à des questions qu'elles ne se posent pas souvent, constate-t-elle. Les absences de réponses en disent plus que les réponses elles-mêmes. »

Interrogée sur ce sujet la semaine dernière à l’occasion du 8 mars, la bretonne Annaick Morvan, déléguée régionale aux droits des femmes et à l’égalité, se réjouit de voir Rennes sur le podium mais reste modérée quant aux absentes : « Il ne faudrait pas considérer à la hâte que les autres villes, (celles qui n'ont pas répondu) n'ont point agi pour l'égalité femmes hommes. Elles ont probablement travaillé sur certains champs prévus par la Charte de l'égalité dans la vie locale. »

Pourtant, la Charte européenne pour l'égalité des femmes et des hommes dans la vie locale, lancée en 2006 par le Conseil des communes et régions d'Europe (CCRE), est à ce jour signée par 174 communes et agglomération de communes françaises, dont les 50 villes interrogées. Le questionnaire des Nouvelles News s'inspire en majeure partie des grandes lignes de cette Charte : « les discriminations multiples et les obstacles doivent être pris en compte », « la participation équilibrée des femmes et des hommes à la prise de décision », « l'élimination des stéréotypes sexués », « intégrer la dimension du genre dans toutes les activités des collectivités locales et régionales » et « des plans d'action et des programmes adéquatement financés ».

Signataire de la Charte depuis 2006, Rennes semble précurseure, comparé aux autres villes. Pas seulement dans les bonnes intentions, le chef-lieu breton a mis en place des actions concrètes en faveur de l'égalité femmes-hommes. Le 1er décembre 2014, par exemple, la Ville de Rennes a obtenu le label « égalité professionnelle » attribué par l'organisme de certification, Afnor ; la seule parmi les 50 grandes villes. Selon Isabelle Germain, cela montre une indifférence affichée des politiques pour ce sujet. 

VOLONTÉ POLITIQUE ET ASSOCIATIVE

Geneviève Letourneux, conseillère municipale déléguée aux droits des femmes et à l'égalité depuis 2014, explique la politique de Rennes en ce sens, lors de la première table ronde du colloque « Le sexe de la ville » : « Depuis plus de trente ans, la ville de Rennes a mené une politique volontariste. L'ancien maire Edmond Hervé a porté la question de l'égalité au plus haut niveau. Il y a également, Jocelyne Bougeard, qui, au début des années 2000, a pensé, mené et construit une politique structurée avec une ténacité extraordinaire. Anciennement adjointe en charge des temps de la ville, elle a amélioré le travail des agents d'entretien, majoritairement des femmes. Cela a transformé la vie de ces personnes, moins précaire.» En effet, la création d'un Bureau des temps en 2002 a permis de mieux appréhender les déplacements des usagers.

Un point sur lequel la rejoint Annaick Morvan, certaine que la volonté infaillible de Jocelyne Bougeard de promouvoir la Charte européenne, « en étant adjointe au maire de Rennes, tout en siégeant à la Commission pour l’égalité Femmes-Hommes du Conseil des Communes et régions d’Europe, a fait en sorte que sa ville soit exemplaire. » Convaincue également qu’il est important d’agir dès le plus jeune âge : « C'est tout l'enjeu du plan égalité de l'éducation nationale. Mais il n'a de sens que si nous travaillons avec les branches professionnelles et les syndicats pour rendre effective l'égalité professionnelle. »

Ce « volontarisme », Geneviève Letourneux le définit également par le « foisonnement associatif [rennais], sa diversité, sa vitalité et son pluralisme. »

« À Rennes, les associations font plus pression sur les politiques pour ces sujets »
estime Isabelle Germain, fondatrice des Nouvelles News.

Des éléments détaillés dans le questionnaire méritent aussi d'être soulignés : le budget de la Ville pour l'« égalité entre femmes et hommes », qui est appréhendé de façon globale, et le personnel de la Direction générale, section culture et emploi, formé aux stéréotypes de genre et à la répartition du budget selon le genre, appelé « gender budgeting. »

« PRENDRE LA PAROLE ET AGIR »

Actuellement, deux actions rennaises vont dans le sens de l'égalité femmes-hommes : 40 évènements en mars, mois qui prolonge la Journée internationale des droits des femmes, autour du slogan « Prendre la parole et agir » (Voir le Focus - YEGG#34 mars 2015) et l'expérimentation prochaine des marches exploratoires de femmes, mises en place par Pascale Boistard, la secrétaire d'Etat chargée des droits des femmes. Des marches dont on parle déjà depuis plusieurs mois à Rennes (lire Focus – YEGG#27 – Juillet/Août 2014) et qui ont déjà été mises en place au Québec depuis les années 90.  

Pour Pascale Boistard, venue rencontrer les actrices et acteurs de l’égalité à Rennes en novembre dernier, à l’occasion de la semaine de l’égalité professionnelle, « cela ne [l]'étonne pas » que Rennes figure en première position. « C'est une terre d'excellence en terme d'insertion et d'égalité professionnelle pour les femmes. Cela fait partie des convictions de la ville et cela se voit dans les politiques publiques qui s'adressent à toutes et à tous. Nathalie Appéré, la maire de Rennes, est une femme de convictions et je la félicite », rajoute-t-elle.

Pour autant, tout n'est pas rose. La Ville de Rennes ne possède aucun chiffre sur les fréquentations femmes-hommes dans de nombreux équipements culturels proposés dans le questionnaire : piscines municipales, salles de spectacles, salles d'exposition, maisons de quartier, zones commerciales et dans les rues. Le nombre de licencié-e-s dans les clubs sportifs et des associations culturelles subventionnées n'est pas non plus affiché. Des renseignements sont pourtant essentiels afin de mieux répartir le budget en fonction du genre.

Concernant l'espace public, 10% des rues rennaises portent le nom d'une femme. Depuis cinq ans, elles représentent 27, 59% de nouveaux noms des rues, soit 45,72% pour des noms de personnes. À relativiser toutefois car depuis 2003, les rues ornées de noms de femmes ne sont que 9,72% des 1039 personnages comparé à 90,28% pour les hommes. Des initiatives artistiques en prennent le contre-pied (http://yeggmag.fr/actualite-culture/femmes-envahissent-rues-rennes) pour sensibiliser les Rennais à cette problématique, emblématique de la mauvaise répartition de l’espace urbain entre les femmes et les hommes.

SILENCE RADIO DES MÉDIAS

Si le désintérêt politique est tel, c'est à cause du silence des médias sur la question de l'égalité femmes-hommes au niveau des villes, d'après Isabelle Germain.

« Si un sujet n'est pas payant médiatiquement, il n'est pas payant politiquement », regrette-t-elle.

Et les médias ont en effet brillé par leur absence lors de ce troisième colloque « Le sexe de la ville ».

Ce palmarès n'est qu'une première édition : « Il est perfectible », reconnaît la fondatrice des Nouvelles News. Tous les ans, les mêmes villes seront interrogées sur ces aspects pour en voir l'évolution. « C'est le but d'un palmarès que de classer et donner envie aux villes d'être dans les premières !, sourit Pascale Boistard. Je suis optimiste, c'est dans l'intérêt du bien vivre ensemble. » Pour donner plus de poids à son classement, Les Nouvelles News prévoit de travailler, dès l'an prochain, avec des universitaires, le Défenseur des droits Nathalie Bajos et le Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes.

Célian Ramis

Vers une nouvelle pédagogie à l'école ?

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Maison de quartier de Villejean, Rennes
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Ancienne institutrice et directrice d'école maternelle, Françoise Ancquetil parle de ses luttes menées contre les réformes scolaires, qu'elle juge inégalitaires, formatées et élitistes.
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Le 27 février dernier, le collectif Université Populaire Gesticulante a invité la conférencière Françoise Ancquetil, à la Maison de Quartier de Villejean, sur le thème « L'école est finie ? ». Ancienne institutrice et directrice d'école maternelle, elle est intervenue pour parler de ses luttes menées depuis 2001 contre les réformes scolaires, qu'elle juge inégalitaires, formatées et élitistes.

L'école, Françoise Ancquetil la connaît bien. « Il y a la grande Histoire, moi j'ai ma petite histoire avec l'école, confie-t-elle, au début de sa conférence « L'école est finie ? ». Je suis arrivée à 14 mois dans la cour d'école. » Orpheline, elle a été adoptée par un couple, tous les deux directeurs d'école ; sa mère dirigeait l'école des filles d'un village proche de Rennes et son père, l'école des garçons, au même endroit.

Après ses études dans le secondaire, Françoise se destine à son tour à l'enseignement. Elle passe le concours de l’Éducation nationale et devient enseignante dans une école maternelle, puis directrice de cette même école, située à l'ouest de Rennes. Trente-sept ans plus tard, Françoise Ancquetil a pris sa retraite en septembre 2013. Désormais, elle partage son expérience. Dans les mois qui ont suivi, Françoise s'est formée en tant que conférencière gesticulante à la Scop brétillienne Le Pavé, dissoute le 15 décembre dernier. Une nouvelle Scop, Le Contre Pied, l'a remplacée.

« UN POINT DE VUE : LE MIEN »

De cette formation, « L'école est finie ? » est née. Un titre, quelque peu provocateur, qui interpelle. Pour preuve, ce vendredi 27 février, à la Maison de quartier de Villejean, la salle est presque pleine. Une soixantaine de personnes est venue assister à cette conférence organisée par le collectif Université Populaire Gesticulante.

« Je n'y donne qu'un point de vue : le mien »
prévient dès le départ Françoise Ancquetil.

Pendant une heure et demi, l'ancienne institutrice a expliqué comment elle, son équipe pédagogique et les parents d'élèves sont entrés en résistance contre le système de l’Éducation nationale.

C'est en 2001 que tout a commencé. Confrontée à un problème, Françoise invite le public de la salle à le résoudre, sur un petit papier. Elle n'a pas oublié ses anciens réflexes, le public est redevenu sa classe. Sur un tableau d'école, elle écrit l'énoncé : sur cinq classes, deux maîtres sont en congés. Sachant que chaque classe contient 28 élèves, combien d'élèves seront répartis dans les deux classes restantes ? La réponse : 47, 47 et 46 élèves.

DÉSOBÉISSANCE COLLECTIVE

« Cela a été ma première réflexion collective de désobéissance car avec ces effectifs, on ne pouvait faire que de la garderie, se souvient Françoise. Les enfants étaient obligés de venir en classe mais aucun remplacement ne pouvait être fait... L'équipe pédagogique et moi avons informés les parents de la situation. Ces derniers ont fait signer une pétition, ils ont envoyé un courrier adressé à la mairie, à l'Inspecteur d'académie et aux députés. » Au final, une seule classe a été remplacée. Mais la situation était supportable, selon l'ancienne institutrice.

Autre exemple : en 2007 et 2008, lorsque Xavier Darcos était ministre de l’Éducation, Françoise Ancquetil et son équipe ont lutté contre des réformes scolaires jugées inégalitaires. Une action nationale avait été lancée pour « échanger sur l'école » lors d'une matinée « conviviale ». « Nous devions débattre ensemble du système français mais nous avons également parlé des dangers et des vices cachés de la réforme Darcos », développe-t-elle.

La mise en place des 4 jours par semaine et surtout de l'aide personnalisée obligatoire pour les enfants dits en difficulté inquiète l'équipe pédagogique de son école.

Ils décident de ne pas mettre le dispositif en place, qu'ils considèrent discriminant, contrairement à toutes les autres écoles d'Ille-et-Vilaine.

« Tous les enfants sont en difficulté, certains ont du mal à maîtriser la langue orale, d'autres l'écrit. Il faut tous les prendre »
a répliqué Françoise Ancquetil à l'Inspecteur d'académie.

FORMATAGE AU MONDE DU TRAVAIL

« Je me suis rendue compte qu'il y avait une crise de l'école », atteste Françoise. Cette crise, elle l'explique en partie par les réformes scolaires, impulsées par l'Organisation de Coopération et de Développement Économique (OCDE), depuis les années 90. Et les directives tendent, selon elle, vers une école compétitive et élitiste, loin de la visée émancipatrice et du slogan républicain écrit sur les façades des écoles :

« En 2002, l'OCDE a intégré ce que j'appelle des "gros mots" à l'école : compétences, évaluations, performances et résultats. »

Les réformes scolaires ont suivi ces indications. En maternelle, des fiches de compétences et des fichiers Base élèves, ce que Françoise Ancquetil appelle du « fichage », sont instaurés. Une personne dans le public, interloquée, chuchote : « Cela me fait penser au monde du travail. » L'usage de ce vocabulaire, utilisé dans des logiques d'entreprise, est problématique. L'ancienne directrice s'est opposé à tous ces changements à cause des problèmes éthiques qu'ils soulevaient.

CLASSES MULTI ÂGES

Et la jeune retraitée de l’Éducation nationale les a tous contournés. Au lieu de « livrets de compétences », elle a créé des « livrets de progrès », plus ludiques et accessibles, avec les mêmes données imposées par l'académie.

« Même dans une école traditionnelle, on peut créer, inventer des choses et s'opposer »
martèle-t-elle.

Son avancée la plus significative : les classes multi âges. Depuis 2007, Françoise Ancquetil et son équipe pédagogique ont travaillé pour regrouper les élèves, de petite, moyenne et grande sections, ensemble.

Malgré la réticence des parents au début, les résultats ont été très concluants au bout d'un an. L'apprentissage des élèves se fait plus rapidement. De leur côté, les instituteurs coopèrent entre eux dans un « climat de confiance ». « Avant, on faisait des projets chacun dans nos classes mais là, on se donnait même nos fiches ! », se rappelle Françoise.

 L'école est-elle alors vraiment finie ?

« Elle est quand même bien touchée et bien attaquée, répond l'ancienne directrice d'école maternelle. Une petite lueur d'espoir subsiste tout de même. »

Les attentats à Paris, en janvier dernier, ont renforcé le discours des politiques sur l'école. « J'ai senti qu'on la tenait responsable de ce qui s'était passé. Mais elle n'enferme pas tous les maux de la société », conclut Françoise Ancquetil.

MODÈLE PÉDAGOGIQUE ALTERNATIF

Les questions de religions et de différences culturelles ne sont pas abordées en classe. « Après les attentats, les instituteurs se sont mis à en parler aux élèves. Mais on devrait pourtant parler de ces sujets tous les jours ! Et également valoriser les différences, les cultures des autres. L'école ne joue plus son rôle d'intégration », regrette Françoise.

Désormais, ses collègues et d'autres prennent la relève. Mises en place depuis sept ans, les classes multi âges ont inspiré une autre école maternelle, située également dans l'ouest de Rennes. L'exemple de Françoise montre qu'une autre pédagogie est possible dans les établissements républicains : centrée sur l'élève, basée sur la coopération, la curiosité d'apprentissage et la tolérance de l'Autre.   

 

Célian Ramis

Melody, mère porteuse, née sous X, en quête d'identité

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Ciné TNB, Rennes
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GPA, naissance sous X, désir d'un enfant, relation mère-fille... Que les névrosés du droit à la maternité se rassurent, Melody n'est qu'un film. Mais un film sublime, fin et juste dans sa singularité, signé Bernard Bellefroid.
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Mercredi 4 févier, le ciné-TNB projetait en avant-première le deuxième long-métrage de Bernard Bellefroid, Melody. Le réalisateur, présent à Rennes ce soir-là en compagnie de la comédienne Lucie Debay, lève le tabou de la gestation pour autrui (GPA) mais pas seulement et saisit avec justesse la complexité de situations singulières.

Présenté dans le cadre du festival Travelling Oslo, le film Melody est un délice. Rien n’est fait pour mettre le spectateur à l’aise, ni même pour l’épargner. Les émotions sont indissociables des respirations haletantes de la salle qui vibre au rythme de l’histoire. Une histoire a priori simple, au départ. D’un côté, Melody, une jeune femme de 28 ans, née sous X, décidée à ouvrir son salon de coiffure mais démunie financièrement et dans l’incapacité de se voir accepter un prêt. De l’autre, Emily, une femme d’affaires, la quarantaine passée, qui vit en Angleterre, décidée à avoir un enfant toute seule mais démunie biologiquement et dans l’incapacité de tomber enceinte.

Melody envisage rapidement de devenir mère porteuse moyennant une grosse somme d’argent ; une requête qu’Emily accepte sans trop hésiter. « Mon personnage, Melody, observe beaucoup l’autre femme. Je crois qu’elle est impressionnée par cette femme. La GPA se fait parce qu’elles se plaisent l’une à l’autre. Et finalement, elle se rapproche, se méfie et sait que ce qu’elle a en elle appartient à quelqu’un d’autre », décrypte Lucie Debay, comédienne, qui interprète ici son premier grand rôle principal.

Inspirée par la grossesse qu’elle n’a pas eue, elle se plonge à bras le corps dans la tête de son personnage en lisant les différentes versions du scénario, dont la réécriture s’effectuera en Bretagne grâce à la résidence de Bernard Bellefroid au groupe Ouest.

LA GPA, AU-DELÀ DU JUGEMENT

« Le film parle aussi de liens très fort envers ces 2 femmes. Car je crois que la GPA n’est rarement qu’une histoire d’argent. Ici, Melody est une femme socialement isolée, elle est née sous X, elle évolue dans une société où il n’y a plus de travail. Elle a besoin de créer, d’offrir et de se sentir utile. », précise Lucie Debay qui insiste, approuvée par le réalisateur, sur la complexité de la situation, au-delà du rapport marchand.

Un point auquel Bernard Bellefroid ajoute la singularité :

« On nous a reproché de faire un film clivant au niveau des classes sociales. Une femme riche qui demande à une femme pauvre de porter son enfant. Car ça pourrait être parce qu’elle ne veut pas déformer son corps, par exemple, ça arrive ! Mais il s’agit ici d’une situation en particulier. On aurait pu avoir plein d’autres scénarios, tellement il y a de cas différents. »

Melody ne peut se réduire à la gestation pour autrui. Point de départ de l’histoire, elle sert de support à une série de questions philosophiques et morales. Sans jamais porter de jugement, malgré un parti pris très assumé par le cinéaste belge : « C’est la moindre des choses. C’est notre devoir de réalisateurs de traiter les sujets pas sexys, qui dérangent. On éructe beaucoup sur ce sujet mais est-ce qu’on essaye de l’approcher ? Dans ce film, on cherche à comprendre plutôt qu’à juger ! »

L’HISTOIRE, AU-DELÀ DE LA GPA

Si la Belgique est plus avancée sur les questions de PMA (Procréation Médicalement Assistée) et GPA – la PMA est autorisée pour les couples de même sexe et la GPA n’est interdite par aucune législation - que la France, l’obtention de financement n’aura pas été une mince affaire. Le film sera finalement soutenu par la Belgique, le Luxembourg et la Bretagne ; saluons non sans pointe de chauvinisme une co-production avec entre autre Mille et Une Films (Rennes) et un tournage à la Presqu’île de Crozon.

« Ça fait peur à la France ! Surtout que nous avons débarqué en pleine névrose du mariage pour tous. Mais nous ne sommes pas dans les extrêmes, au contraire, on peut se rassembler, créer du lien »
explique Bernard Bellefroid.

Au fil de son œuvre, il nous livre une trame parsemée d’histoires satellitaires empruntes d’émotions vives et brutes. La relation naissante entre Melody et Emily est un fil conducteur subtil pour dérouler la pelote du lien et de la confiance. Puisqu’il s’agit bel et bien de lien. De l’abandon d’une mère accouchant sous X découle des problématiques profondes et durables.

FEMMES ESQUINTÉES PAR LA VIE

Et de ce mal-être, Melody en est imprégnée et ne s’en sépare quasiment jamais, comme incapable de lâcher prise tant qu’elle ne sait pas d’où elle vient et qui elle est. Dans le regard maternel d’Emily, elle trouve parfois réconfort et apaisement. Pourtant, leur relation se base sur un déséquilibre et celle qui, au départ se trouve être la dominante de par son pouvoir financier, prendra le rôle de la dominée, livrée à la seule volonté de celle qui porte son enfant.

Abandonnera-t-elle à son tour cet être qui grandit en elle tout en ne lui appartenant pas ? La confiance est l’unique recours à toutes les angoisses qui nourrissent et/ou pourrissent leur quotidien commun de femmes esquintées par la vie. Les barrières tombent, petit à petit les masques aussi, et toutes les questions sont possibles. Le droit de connaître ses origines – la France étant le seul pays autorisant encore la naissance sous X – la gestation pour autrui, le désir d’être mère, le vécu de la grossesse et la découverte de l’enfant tout juste né… les thèmes sont lourds de sens et servent à questionner notre rapport à ces derniers, que l’on soit homme ou femme.

De l’immensité de la nature se heurtant à la rigidité de la morale ne subsiste que la pureté et la vivacité des émotions que dégagent les deux personnages féminins qui se reniflent et s’apprivoisent, dans la dualité douceur-résistance. La finesse du film repose sur la beauté et la justesse du jeu des deux actrices – Lucie Debay et Rachael Blake, qui ont obtenu toutes les deux ex-aequo le prix d’interprétation au Festival des films du monde de Montréal 2014 – et vice versa puisque ni l’une ni l’autre ne cède à des facilités scénaristiques ou ne sombre dans les méandres d’une relation psychologique complexe tournant soudainement à la simplicité mielleuse anti-naturelle.

L’histoire de Melody est loin d’être banale et d’être traitée de manière banale. Bernard Bellefroid, proche à ses débuts des Frères Dardenne, nous offre ici un deuxième long-métrage signé de son empreinte personnelle et malgré un sujet de départ très réaliste se détache complètement du documentaire. Il livre une fiction d’une grande beauté appuyée par la force du jeu des actrices, un joyau brut que l’on prend en pleine face.

La sortie est prévue en salles le 6 mai. Bernard Bellefroid devrait dès lors entamer une tournée bretonne.

Célian Ramis

Cendrillon l'Universelle, au-delà du genre

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Le Triangle, Rennes
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Les 28 et 29 janvier, le Triangle accueille Cendrillon, un ballet pour 20 danseurs créés par le célèbre Malandain Ballet Biarritz. L’occasion de s’intéresser au genre dans la danse contemporaine, un art qui souvent transcende la question du sexe.
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Les 29 et 30 janvier, le Triangle accueille Cendrillon, un ballet pour 20 danseurs créé par le célèbre Malandain Ballet Biarritz. L’occasion de s’intéresser au genre dans la danse contemporaine, un art qui souvent transcende la question du sexe.

Le corps a-t-il un sexe quand il s’agit d’un outil d’expression ? Une question qui sonne comme une ritournelle quand on assiste à certains spectacles de danse contemporaine. En novembre dernier, le TNB, le Triangle et la Cité de la danse présentaient dans le cadre du festival Mettre en scène le désopilant Antigone Sr., véritable bombe culturelle qui nous assommait par surprise de par la singularité de la représentation destinée à mettre le voguing à l’honneur.

« Le voguing, porté par une communauté noire, homosexuelle, drag ou transgenre, emprunte ses mouvements à ceux des défilés de mode et travaille sur un enchaînement de figures, d’une étonnante rapidité et souplesse. », indique la plaquette du Triangle en guise de résumé. Sur scène, 5 danseurs réalisent une performance croisant danse post-moderne et clubbing. Leurs corps semblent instinctivement se mettre au service de l’art et s’affranchir de toute catégorisation genrée.

CENDRILLON, PERSONNAGE UNIVERSEL

Dans son conte chorégraphié, Thierry Malandain, chorégraphe et directeur de production, se veut fidèle à la dramaturgie de Cendrillon et à la partition du compositeur russe Prokofiev. Et à cela, il ajoute une scénographie épurée, un simple mur teinté d’escarpins, et magnifie la mise en scène de ruses empruntes au système D.

« Pour le bal, nous avons pris des mannequins pour doubler le nombre de couples. C’est vraiment de la débrouille et il ne faut y voir aucun symbole autour de l’image de la femme. J’aurais été gêné de le faire sciemment… Par contre, le fait que l’objet soit inanimé justifie que le prince n’y voit aucun intérêt ! »
Thierry Maladain, chorégraphe du Malandain Ballet Biarritz.

Quand il a conçu le ballet, l’artiste n’a pas réfléchi en terme de genre. Ni dans les autres créations d’ailleurs. Il avoue aisément se détourner de ce sujet. « J’aime bien jouer avec les traditions. Avec mon langage. Du classique de maintenant », explique-t-il. Et dans sa manière d’envisager la danse et la création de tableaux chorégraphiques, se concentrer sur la question du sexe serait certainement une contrainte réductrice de créativité.

Ainsi, la difficulté de la distribution des rôles est amoindrie lorsqu’il s’agit d’attribuer un personnage féminin à un danseur masculin. C’est par exemple le cas de l’acariâtre belle-mère et ses deux pestes de filles.

« Elles sont maléfiques et méchantes. Je n’ai pas choisi expressément de mettre des hommes dans ces rôles féminins mais je trouve que finalement ça grossit les traits », précise le chorégraphe.

Quand il s’empare de la féérie « cendrillonesque », c’est pour sublimer cette étoile qui danse. Il créé une pièce originale et captivante, au message symbolique : « C’est le symbole de celle qui cherche à être aimée et reconnue. C’est l’attente de chaque être humain. » Au-delà du sexe et du genre, Thierry Malandain perçoit alors, à travers ce ballet, l’individu dans son universalité.

SOUS L’ANGLE DU GENRE

Même son de cloches quasiment du côté du Triangle. Quand on interroge Odile Baudoux, chargée de la danse et de la coordination secteur artistique, sur le genre dans la danse, elle nous répond en souriant : « Certains s’interrogent sur le genre et pour d’autres cette question est tout sauf la préoccupation principale. »

« Ce qui nous intéresse quand on conçoit la saison culturelle, c’est la création, le cheminement des artistes. Il y a donc des femmes, naturellement. Mais ce n’est pas notre critère principal », précise-t-elle.

Ce jour-là, dans son bureau, elle se saisit de la plaquette et nous propose une lecture nouvelle de la programmation 2014/2015, sous l’angle du genre.

Au fil des pages et des spectacles, on croise le thème de la séduction et de l’hyperféminisation des corps avec Our pop song will never be popular (octobre), on gomme parfois la féminité des danseuses de hip hop avec Bliss (décembre), on se travestit avec Antigone Sr. (novembre) et Cendrillon (janvier), on invente un langage avec Fighting Spirit (février), on se réapproprie son corps avec Les Créatives (mars à mai), on s’engage pour la condition féminine avec Plus femme que femme (mai) et on en passe.

UN GRAND POTENTIEL D’IMAGINATION

Le champ de la danse contemporaine est vaste, multiple. L’absence de codes, le choix de l’abstrait, ou non, le mouvement… Pour la programmatrice :

« La danse contemporaine ne nous donne pas toutes les clés. Elle requiert une interprétation personnelle, chacun peut s’approprier la proposition artistique du chorégraphe qui crée, invente… Il y a un grand potentiel d’imagination pour le spectateur. »

Au delà de la représentation très féminine qui subsiste, la danse transcende les questions de genre pour se libérer des contraintes, des codes et des cadres. Pour se centrer sur l’individu propre, l’individu mis à nu. « La danse n’est pas faite pour gommer les différences mais pour les réunir. Sans distinction. », résume Odile Baudoux qui insiste sur la nécessité pour chacun de s’approprier cet art et sa manière de le recevoir dans son individualité.  

Elle conclut :

« C’est tout l’enjeu de l’éducation artistique que nous pratiquons avec les jeunes. C’est de casser les a priori pour les amener vers une meilleure appréciation de la danse. Par exemple, dans Jours étranges de Dominique Bagouet que nous avions présenté en 2013. La thématique du genre était présente mais pas principale. Nous les avons vu progresser dans le danser ensemble alors que ce n’était pas simple au début. Ils ont fini par dépasser et transcender la question filles/garçons. »

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