Célian Ramis

Parité dans les festivals : ça rame sévère...

Posts section: 
List image: 
Summary: 
Le manque de parité dans l’organisation d’un événement tel qu’un festival de musique, c’est le constat que dresse l’équipe du Don Jigi Fest, dont la 8e édition s’est déroulée les 3 et 4 mai à Vitré.
Text: 

Le manque de parité dans l’organisation d’un événement tel qu’un festival de musique, c’est le constat que dresse l’équipe qui gère bénévolement le Don Jigi Fest, dont la 8édition s’est déroulée les 3 et 4 mai à Vitré. 

Il existe un exercice simple : se rendre sur les sites internet des festivals et compter combien de femmes apparaissent dans la programmation. En 2019, elles sont 33 sur 80 groupes invités aux Francofolies, 25 sur 79 groupes invités à Solidays, 14 sur 40 groupes invités au Bout du monde, 24 sur 73 groupes invités aux Vieilles Charrues, 5 sur 22 groupes invités au festival du Roi Arthur et 3 sur 17 groupes invités au Don Jigi Fest.

Pas besoin d’être un-e génie des mathématiques pour comprendre qu’elles sont largement minoritaires, ça saute aux yeux. En revanche, ce que le grand public remarque moins en général, c’est le déséquilibre qui règne également au sein des équipes organisatrices. Et ça, les membres du Don Jigi Fest le réalisent depuis plusieurs mois.

« Même avant cette édition-là, on sentait, rien qu’en regardant notre organigramme, le clivage des hommes à la technique et des femmes à la restauration. », explique Esther Rejai, rejointe par Mael Gerault : « Dans le bureau, c’est flagrant. Il n’y a qu’une seule femme et elle est en co-présidence. Depuis le début du festival, il n’y a eu que 2 femmes, toujours en co-présidence. » 

LA PRISE DE CONSCIENCE

Dans les bénévoles figurent 51% de femmes et 49% d’hommes, dans l’équipe organisatrice (bénévole elle aussi), 35% de femmes et 65% d’hommes. Autres éléments : 8 femmes et 17 garçons dirigent les 25 commissions. Sur le tremplin organisé, 36 artistes, 0 femme.

« On voyait bien qu’il y avait plus de mecs que de nanas mais on ne s’en rendait pas compte à ce point. On réalise maintenant parce qu’on a ouvert le débat entre nous. », souligne Mael. Esther rebondit sur les propos : 

« Les filles l’avaient déjà réalisé avant. Par exemple, c’est assez flagrant que quand on mange tous ensemble, souvent les gars partent et laissent leurs trucs et les meufs font la vaisselle. C’est fou ! Et quand on creuse, on se dit que ça nous concerne nous mais aussi plus globalement le secteur de l’événementiel et ça amène à se poser la question sur plein d’autres domaines : le cinéma, la musique, etc. ? » 

Si pour l’heure, les organisatrices-teurs n’ont pas encore défini de solutions concrètes, ielles ont tout de même lancé la réflexion, tout d’abord afin d’identifier les causes et les freins autour de cette problématique.

COMPRENDRE LE DÉSÉQUILIBRE

« La construction de la personnalité est fortement dépendante de l’éducation, de l’entourage et du parcours de chaque individu. Les mentalités évoluent mais il me semble que l’image de la femme est encore enfermée dans des carcans, et ceux dès le plus jeune âge », répond Laura Gautier qui analyse ici, de la même manière que Roxana Rejai, l’influence des stéréotypes de genres transmis par l’éducation et les représentations. 

Ainsi, les femmes osent moins se positionner sur des postes à responsabilité et les hommes « qui ne sont pas forcément prêts à intégrer n’importe quelle fille » alors que finalement les compétences s’acquièrent « au fur et à mesure sur le terrain ». 

Mais alors comment inciter davantage les femmes à investir les commissions et les postes à responsabilités encore largement dominés par les hommes ? Pour Laura Gautier, l’équipe organisatrice a un rôle à jouer. Car elle sait anticiper les besoins, prévoir la logistique et fédérer autour d’elle.

« Les plus jeunes bénévoles peuvent se découvrir ces qualités au fur et à mesure des années et peuvent être tentés par l’expérience, si on vient les chercher. Des encouragements réguliers et de la reconnaissance permettent aux jeunes de gagner en confiance en soi, et donc de s’investir un peu plus l’année suivante. Ça a été le cas pour moi, je n’ai pas souhaité de prime abord, devenir « responsable » d’une commission, mais on m’a sollicité et insisté pour le faire. », explique-t-elle. 

L’EMPOWERMENT, ÉTAPE NÉCESSAIRE

On note, dans tous les secteurs de la société, que là où les garçons foncent et apprennent sur le tas, les filles, elles, ne s’engagent souvent que dans des domaines dans lesquels elles sont sures de ne pas échouer. Parce que dans l’apprentissage des filles, la curiosité et l’expérimentation sont rarement mises en avant et développées.

Encourager les filles et les femmes à essayer, à entreprendre par elles-mêmes des choses que l’on conjugue davantage au masculin qu’au féminin, est souvent une étape nécessaire pour s’orienter vers la mixité et la parité. Une étape qui doit aller de pair avec l’éducation des garçons :

« Je suis la seule fille depuis plusieurs années (dans la commission moyens généraux, ndlr).N’étant pas forcément bricoleuse, ce n’est pas simple d’évoluer dans ce milieu et de faire passer ses idées dans une équipe entièrement composée de garçons avec des personnalités parfois imposantes. Je pense que c’est une commission que peu de filles souhaitent intégrer ne se sentant pas légitime alors que c’est faux et que la logistique du festival est complètement accessible à tous. », souligne Roxana Rejai, qui poursuit : 

« Je trouve aussi que j’ai davantage le sentiment de devoir « ne pas me laisser faire » au milieu de cette équipe de garçons, plus que si cela avait été une équipe de filles. Cela se retrouve aussi dans l’équipe technique. Je pense qu’il y a une part à jouer par les responsables techniques mais aussi un discours à tenir de leur part pour peut-être plus insister sur le fait que ces commissions sont ouvertes à tous et à TOUTES (ce qui n’est aujourd’hui pas franchement le cas). »

Mael Gerault est co-responsable en restauration au sein du festival. Il constate qu’en 2019, pour la première fois, l’équipe chargée de la restauration a basculé dans une majorité masculine, tandis que les années précédentes, il n’y avait quasiment que des femmes.

UNE QUESTION MAJEURE RELÉGUÉE AU SECOND PLAN…

De manière générale, il souligne « le principal problème de l’événementiel associatif », à savoir « de recruter des personnes compétentes acceptant de donner gratuitement de leur temps. » Ainsi, « la question de l’égalité des sexes est potentiellement reléguée au rang des questions secondaires. »

Et pourtant, on ne peut ignorer cette problématique, non spécifique à l’organisation d’un festival mais plus largement très présente et pesante dans la société patriarcale actuelle. La conséquence d’une organisation déséquilibrée en terme de parité étant son influence sur la programmation. Car on peut supposer que si la question reste secondaire en interne, elle ne sera pas non plus éludée dans l’élaboration de la programmation.

En 2015, le site 99 scènes avait supprimé les noms des artistes hommes des affiches de 13 grands festivals internationaux. Résultat : des affiches quasi vides, voire complètement vides. Quatre ans plus tard, et bon nombre de débats sur la place des femmes dans les arts et la culture plus tard, l’évolution est lente et minime. 

Peu de festivals peuvent se vanter d’avoir une programmation paritaire, encore moins une programmation paritaire plusieurs années de suite, et encore moins une programmation paritaire représentative de la population car non la population n’est pas composée que d’hommes blancs cisgenres hétérosexuels.

PASSAGE À L’ACTION… IL Y A URGENCE ! 

Il est donc plus que nécessaire d’interroger les représentations genrées dans les différents corps de métiers qui composent l’organisation d’un festival, les circuits de diffusion des artistes, les choix éditoriaux lors de la création de la programmation mais aussi les responsabilités politiques et la distribution d’aides financières.

Comme le signale Roxana Rejai en conclusion, il est important de s’équiper d’une vigilance absolue et de créer des espaces dans lesquels chacun-e trouve sa place et puisse s’épanouir :

« On a quand même aujourd’hui beaucoup de bénévoles filles qui prennent des responsabilités, qui sont présentes sur le terrain durant le montage et le démontage, qui sont partantes pour différentes tâches qui naturellement pourraient être associées à des tâches masculines (exemple : création de décor, terrassage, bâcheage, montage de barnums… etc.). Je trouve aussi qu’il y a une place égale qui leur est donnée dans les discussions, dans les réunions, on a très peu de réflexions sexistes à ce niveau-là, toutes les idées sont bonnes à prendre qu’elles viennent d’un garçon ou d’une fille. Le vrai point de vigilance selon moi est cette question d’équilibre au sein du bureau et de cette prise de responsabilité supérieure que les filles n’osent pas demandées ou qu’elles ont intégré d’elles-mêmes comme n’étant pas pour elles. Est-ce qu’on leur laisse un espace pour se présenter ? Pas sûr non plus… »

Heureusement, sur notre territoire, le mouvement HF œuvre à la mise en place d’actions concrètes à développer pour faciliter et privilégier l’égalité entre les femmes et les hommes, et accompagne les volontaires qui s’interrogent et pointent un déséquilibre, à l’instar des organisatrices-teurs du Don Jigi Fest. Un pas que très peu de structures entreprennent malheureusement, alors que ce pas est décisif pour équilibrer la balance.

 

 

Célian Ramis

Suzane : "je suis toujours en quête de liberté"

Posts section: 
List image: 
Summary: 
De passage à Rennes le 16 mai dernier, Suzane nous raconte, avant de monter sur scène, son parcours, ses influences, son rapport à la liberté, sa relation au féminisme et à l’égalité entre les sexes et sa vision d’artiste. Entretien.
Main images: 
Text: 

De passage à Rennes le 16 mai dernier à l’occasion du Ricard Live Music, qui s’est déroulé à l’Ubu, la « conteuse d’histoires vraies sur fond d’électro » nous a raconté, avant de monter sur scène, son parcours, ses influences, son rapport à la liberté, sa relation au féminisme et à l’égalité entre les sexes et sa vision d’artiste. Entretien. 

YEGG : Avant de parler de l’égalité femmes – hommes, on va revenir sur la genèse de Suzane. Vous vous êtes formée à la danse classique, vous vouliez être danseuse. Vous êtes aujourd’hui chanteuse. Que s’est-il passé entre les deux ? 

Suzane : Ça a été un long chemin. J’ai commencé par la danse, ça a été mon premier amour. Ma mère a amené ma grande sœur à un cours de danse classique. Il n’y avait pas de nounou pour me faire garder à cette période donc ma mère m’emmenait avec elle, voir ma sœur prendre ses cours de danse et j’ai accroché de suite !

J’ai même encore le souvenir, et pourtant j’étais très jeune, de ce moment où j’ai vu des corps bouger sur de la musique et je me suis dit que je voulais faire ça. J’étais très petite, j’avais pas le droit d’entrer dans le cours normalement mais la prof a vu que j’étais tellement motivée qu’elle m’a laissé entrer. C’est vraiment parti de là.

J’ai commencé dans ce cours de village et finalement un an et demi ou deux ans après, j’ai demandé à ma mère d’entrer au Conservatoire national d’Avignon parce que je savais que le niveau était supérieur et que j’avais envie de me perfectionner. Je suis entrée au Conservatoire à 8 ans puis à 10 – 11 ans, on te fait passer une audition pour entrer en cursus Danse études, c’est ce que j’ai fait. Ça a marché. Je faisais les cours le matin au collège et puis l’après-midi de 13h à 19h, tous les jours, de la danse.

J’en suis sortie à 17 ans parce que je savais plus trop pourquoi j’étais entrée là-dedans. Je pense que j’étais même dégoutée de la danse à ce moment-là, y a eu tout à coup une espèce de rupture. Je me sentais plus très libre, c’est vraiment une espèce de routine et surtout cette pesée du mercredi… Tu arrives à l’adolescence, tu vois ton corps qui change et c’est vrai que c’est pas évident d’être pesée devant tout le monde.

Ce sont des choses qui me pesaient un petit peu, plus des événements personnels et voilà j’ai claqué la porte du Conservatoire. Entre temps, vers 14 ans, j’avais commencé à chanter. Un petit peu comme ça. Dans les couloirs, je chantais des airs d’opéra italien, de la chanson française. Un peu comme ça. Ou sous la douche.

Rien de très original, c’était vraiment à la base pour compléter mon métier de danseuse, me dire que j’avais deux moyens d’expression, que c’était cool. Avec le temps, je me suis rendue compte que la voix devenait de plus en plus primordiale. Je commençais vraiment à aimer m’exprimer avec la voix donc j’ai pris quelques cours de chant pour perfectionner tout ça.

Et quand j’ai claqué la porte à 17 ans, j’étais un peu dans le flou car je m’étais toujours dit que je voulais être danseuse classique, c’est le truc que j’avais prévu depuis longtemps dans ma tête et puis je sentais que ce n’était plus le bon chemin. J’ai arrêté et ça a été une période assez compliquée.

Ça a été le vrai pétage de câble, j’ai arrêté l’école au passage, je venais de passer mon bac de français, ça s’était très bien passé et puis j’ai décidé de ne pas passer mon bac tout court. Donc il y a eu une rupture avec mes parents à ce moment-là car ils ne comprenaient pas.

Je suis beaucoup sortie dans des clubs et c’est là où j’ai retrouvé l’envie de danser, dans un contexte où on ne me disait plus qu’il fallait que mon pied soit ultra tendu, que je sois alignée aux autres… Ce côté très cadré quoi… J’ai retrouvé cette envie de danser et c’est surtout parce que j’ai découvert la musique électro à ce moment-là.

Je me rappelle avoir pris ma vraie première claque avec l’album Homework des Daft Punk que les dj mixaient pas mal. Je l’ai découvert 10 ans après sa sortie mais c’était vraiment génial. Mon amour pour la musique électronique s’est fait à ce moment-là. Je me suis un peu détendue après ça et je me suis mise à travailler pour avoir un boulot alimentaire. 

J’ai fait plein de petits boulots, du type mettre des fromages à Intermarché, style GO pour le club Med, etc. ça n’a pas duré longtemps, quelques saisons. C’était un peu dur d’être dans un contexte où t’es tout le temps enfermée, les villages vacances c’est un truc où tu fais un peu tout le temps la même chose et c’est vrai que j’ai un peu de mal avec la routine. Je fuis la routine.

Je suis rentrée à Avignon, j’ai trouvé un boulot de serveuse pendant le festival, sur la place la plus touristique. Ça a duré bien 5 ans parce que j’ai fait plusieurs restaurants. Je suis passé d’Avignon à Montpellier. Là-bas, j’ai été serveuse dans un dinner, y avait des grosses télés partout et y avait Elvis Presley partout.

Au bout d’un an et quelques, je regardais Elvis constamment et je me suis demandée ce que je foutais avec mes burgers. Je me disais que c’était ma vie d’avant, quand je dansais, quand j’espérais ce genre de choses. Mais on m’avait tellement dit que c’était pas possible, les adultes m’avaient dit que c’était pas possible.

Donc j’étais dans le flou à ce moment-là mais ça revenait, la musique, la danse, ça commençait à me retravailler. Alors, j’ai plaqué ce boulot de serveuse et je suis montée à Paris. J’ai pris ma valise et un billet OuiGo. J’y suis allée. J’y avais été quand j’avais 7 ans, ma mère m’avait emmené à l’opéra Garnier et je me rappelle m’être dit qu’un jour je vivrais à Paris.

C’était le bon moment pour le faire. Je suis passée de serveuse à serveuse. Le temps de rencontrer des gens. Pour me remettre en selle, je suis passée par une école qui s’appelle l’Académie Internationale de Danse. J’ai pas fait très longtemps à cause du côté scolaire mais c’était pour me remettre sur pattes. J’ai quitté l’école et j’étais uniquement serveuse. C’est là où mon envie d’écrire est revenue.

J’ai toujours écrit des petites choses, sur des post it, etc. mais ce n’était pas encore sous forme de chansons. J’étais comme une éponge à cette époque, j’observais beaucoup autour de moi. J’ai commencé à regarder les clients. C’est très intéressant quand tu es serveuse, tu as un œil sur ce qui se passe à table et tu entends des conversations que tu devrais pas entendre mais tu les entends quand même.

Dès que je lâchais mon boulot, je remontais chez moi ou même je commençais à écrire. Entre le faux filet et le cabillaud, y avait quelques paroles de chanson. Ça a commencé comme ça. J’avais une ou deux chansons et j’avais envie de les faire arranger pour qu’elles soient plus sympas à écouter pour mes trois copains qui écoutaient.

On m’a parlé d’un mec, un jeune producteur qui venait d’ouvrir sa boite. Je le contacte et je lui envoie mes morceaux. La première fois, il trouve ça un peu spécial, un peu singulier. Il réécoute une deuxième fois, une troisième fois et il me rappelle en me disant que la première fois, c’était bizarre, la deuxième, c’était vraiment mieux et la troisième il est accro.

Je suis allée le rencontrer, une fois, deux fois, trois fois. Humainement, ça se passe très bien, je sens que tout ce que je lui raconte sur ma vision du projet, il n’essaye pas de me changer ou de me mouler dans un truc. Donc je me sens en confiance. Il m’a ouvert les portes des maisons de disques.

Il a démarché, on a eu la chance d’avoir plusieurs propositions donc j’ai eu le luxe de pouvoir choisir les partenaires avec qui je travaille aujourd’hui qui sont donc 3ebureau, le label d’Orelsan et M, des artistes qui m’impressionnent beaucoup. C’est pour ça que j’ai choisi de travailler avec eux, mais aussi pour le côté humain. 

Il n’y a pas de trucs où ils veulent me changer. Ils savaient que je voulais m’appeler Suzane, porter une combi, etc. Tout était très clair déjà. Ça a été un peu comme à MacDo, viens comme tu es, donc ça j’ai apprécié. Et puis en parallèle, j’ai signé avec W Spectacles qui s’occupe du live et qui me permet aujourd’hui de faire énormément de dates.

Raconté comme ça, on dirait que ça s’est fait facilement mais y a eu beaucoup de temps. Certaines chansons, comme « L’insatisfait », ont été écrites il y a 3 ans. Je voulais vraiment être impliquée dans mon projet en terme de visuel, de chansons, de clips, de tout quoi !

J’allais justement vous demander votre implication au niveau des clips. Est-ce que vous intervenez dans le scénario ?

Oui, bien sûr, bien sûr. Déjà, j’ai choisi le réalisateur avec qui j’ai travaillé sur les trois premiers clips, qui est Neels Castillon. J’étais tombée sur une vidéo et je cherchais vraiment un réal’ qui sache filmer le mouvement, je trouve qu’il y en a très peu qui savent aussi bien le faire que Neels et j’étais tombée sur une vidéo où il filme un danseur de Christine and the Queens et j’ai trouvé sa manière de filmer très poétique.

On s’est rencontrés, on a fait une collab’ sur les trois premiers clips, ce qui a permis de me faire exister en tant que chanteuse. À ce moment-là, la danse me revenait en pleine figure donc j’avais vraiment envie de la mettre au centre de ce projet. Sans danse, c’est pas vraiment moi donc je ne voulais pas l’occulter.

Petit à petit, le premier clip a permis de faire des concerts, tout s’est répondu, le puzzle s’est un petit peu rassemblé et depuis je continue mon petit bout de chemin. J’ai sorti un premier clip, un deuxième clip, etc. Et là, un nouveau clip a été fait avec Fred de Poncharrat. J’avais envie de quelque chose de différent. On a beaucoup parlé avec Fred, on s’est échangé des synopsis, des références…

Je regarde beaucoup la série The handmaid’s tale et je pense qu’on peut le ressentir dans le clip de Slt. On en est là. Ma grande chance, c’est de pouvoir monter sur scène et de pouvoir rencontrer le public en vrai. Dans les clips, on peut présenter un peu notre univers mais je pense qu’on se présente encore mieux quand on est en live face à des vrais gens. 

Donc c’est ma vraie chance. Entre temps, j’ai eu la chance de partir au Japon, de faire une tournée en Chine, je ne pensais pas dans mon petit appartement ou dans le resto du XXe que quand j’écrivais mes chansons ça me ferait voyager et rencontrer d’autres cultures, etc. Je trouve ça assez fou et j’en profite, j’en profite beaucoup. Et puis je prépare mon premier album.

Ce sera pour la rentrée ? 

Il n’y a pas de date précise encore mais je pense que ce sera maximum janvier. Je tourne dans toute la France en attendant et j’ai la chance d’être programmée sur des beaux festivals comme les Vieilles Charrues. Je profite du live pour me faire connaître petit à petit et le bouche-à-oreille se fait je crois. Les gens partagent ma musique et ça se passe très bien.

Est-ce que ça vient du fait que vous soyez dans le registre des chansons réalistes ? Vous vous dites « conteuse d’histoires vraies sur fond d’électro », est-ce que ça plait qu’aujourd’hui une jeune génération d’artistes parle avec réalisme de la société ? 

Bah, je suis pas très objective moi. L’écriture réaliste chez moi part du fait que j’ai beaucoup écouté des chansons françaises. Vraiment, ma première influence a été Brel, Piaf, Barbara, des artistes français un peu à l’ancienne. De la chanson patrimoine.

Puis de l’électro et j’ai aussi écouté pas mal de rap. Je pense que l’écriture un peu texto, un peu frontale, c’est lié à ça. Le quotidien de nos jours peut être parfois un peu brut et c’est vrai que j’aime bien le raconter de façon assez cash. La nouvelle vague d’artistes casse beaucoup les codes, tout se mélange en fait.

Y a du rap dans de la pop, de la pop dans du rap, on voit que les rappeurs font de plus en plus des refrains chantés et c’est cool parce que c’est une vraie richesse que tout se mélange comme ça. Si ça parle aux gens et que les textes sont immédiats, je suis contente parce que c’était un peu mon but quand même que les histoires soient très vite comprises.

Brel, Barbara, Piaf… Qu’est-ce qui vous touche et vous anime dans ce répertoire ? Et même question dans le répertoire d’Orelsan que vous citez souvent et de Stromae qui s’entend beaucoup dans vos chansons ? 

Je pense que ces artistes-là décrivaient leur époque, à leur façon, décrivaient leur quotidien et le quotidien des personnes qui vivaient à cette époque-là et je crois que c’est ça qui me touche. Je me suis rendue compte que j’aimais raconter des histoires, quand je chantais dans la rue à Saint Rémy de Provence, je chantais du Piaf, et notamment « L’accordéoniste ».

C’est là que je sentais qu’il y avait une vraie communion avec les gens. Quand je racontais des histoires. J’ai senti que c’était là où je me sentais le mieux. Ces artistes-là sont donc assez importants dans mes influences.

Orelsan, j’en parle très souvent parce que je suis très touchée, je pense que tout part un peu de l’écriture quand je parle de chansons françaises ou de rap. Je trouve qu’il a un cynisme… Il me fait beaucoup rire. J’aime son écriture, j’aime son personnage. Mc Solaar aussi que j’aime beaucoup écouter, joue avec les mots, il est très fort pour ça. Mon style se résume certainement entre toutes ces références.

Et puis l’électro. C’est vrai que ça a été assez instinctif de mélanger tout ça. Et je suis ravie qu’on me compare à Stromae parce que la carrière de cet artiste, c’est assez fou et ça m’impressionne un peu quand même d’être comparée à un tel artiste. C’est vraiment quelqu’un qui m’a permis d’oser parce que je suis tombée sur des vidéos de lui qui faisait du son très artisanal dans sa chambre.

Il montrait un aspect un peu facile du truc. Et dans ma tête ça a fait un déclic. Je n’avais pas besoin d’attendre la grosse rencontre, le gros studio pour commencer à faire quelque chose, à proposer ce qui se passe dans ma tête. Il a influencé toute une génération, c’est un artiste qui a cassé les codes et je pense que ça a fait beaucoup de bien pour ceux qui arrivent derrière. Parce qu’on est beaucoup plus libres au final de faire des choses singulières et très personnelles.

Sur le côté liberté, vous dites dans une interview que vous enfilez le costume de Suzane, ça vous permet de devenir Suzane et de devenir vous-même. On voit aussi cette question de la liberté d’être qui on est avec la chanson « Anouchka ». On sent que c’est un thème récurrent chez vous… 

Oui, c’est très important. Je pense que la liberté, j’en ai manqué un peu dans ce Conservatoire où on m’a dit quoi dire, quoi faire, comment me tenir, etc. Donc je suis toujours en quête de liberté et quand je sens qu’une personne peut en être privée, de suite, ça va me toucher. J’écris beaucoup là-dessus.

En tout cas, cette combi, le fait de m’appeler Suzane qui n’est pas mon vrai prénom mais le prénom de mon arrière-grand-mère, c’était une façon pour moi de choisir. Son prénom, on le choisit rarement, c’est papa-maman qui le choisissent et puis tu peux rien y faire. Moi, je me suis dit que j’allais prendre la liberté de choisir mon blaze et je l’ai piqué à mon arrère-grand-mère qui était une femme assez forte qui aimait exprimer son opinion et qui avait beaucoup de douceur.

C’est quelqu’un qui m’a marquée même si je l’ai peu connue. Je n’aurais pas choisi n’importe quel prénom juste pour prendre un vieux prénom qui revient à la mode. Je ne me serais pas appelée Gilberte… J’aime aussi l’esthétique de ce prénom, ce « z » au milieu de nulle part…

Tout ça, c’est une vraie quête de liberté. On peut penser que c’est très concept mais en fait c’est parti de quelque chose de très personnelle. Dans la combi, y a du Elvis Presley, que je voyais toute la journée sur les écran, y a du Bruce Lee parce que mon père est fan d’arts martiaux et qu’il regardait beaucoup La fureur du dragon, et puis Louis XIV, rien à voir avec les deux précédents, mais pour le bleu, le côté royal, que j’ai beaucoup étudié en histoire de la danse et qui est personnage qui a quand même beaucoup aidé le spectacle.  

On pense à Jain aussi… 

C’est vrai mais ça a été un vrai pur hasard. On me parle très souvent de la combi de Jain. J’ai sorti mon premier clip et elle est arrivée quelques mois après avec la même combi. Tant pis, c’est comme ça, c’est un hasard. Mais je la comprends, on est très bien dans une combi. Je l’ai choisie pour la liberté du mouvement, du confort, y a pas des trucs qui se barrent de partout, on est bien là-dedans. La combi, c’est tout ça.

Toujours sur le thème de la liberté, la chanson « SLT », c’est aussi une façon de prôner la liberté des femmes à ne pas se faire emmerder dans la rue, à ne pas subir des violences…

A ne pas subir des violences et à ne pas subir une espèce de peur constante de rentrer d’une soirée parce qu’il est un peu tard, de marcher seule. Je trouve qu’il y a quand même beaucoup d’interdictions. Enfin ce ne sont même pas des interdictions, on le fait de nous-mêmes parce que je sais moi que toutes les femmes qui m’ont éduquées, elles m’ont toujours dit de me taire, de tracer si quelqu’un vient m’emmerder dans la rue, de ne pas rétorquer quelque chose, etc.

Dans ces situations, tu te sens très seule parce qu’au final, c’est limite toi qui a honte de t’être faite emmerder alors que bon y a de raison d’avoir honte ou quoi que ce soit. Je trouvais important d’en parler parce que c’est vrai qu’on dit en ce moment que le harcèlement est un sujet actuel, moi je ne trouve pas tant.

Oui, des artistes féminines commencent à en parler, comme Angèle, et je trouve ça très très bien. Que chacune ait sa vision du truc et le dise de sa propre façon mais je pense que le harcèlement c’est quelque chose qui existe depuis très très longtemps. Qui existait déjà à l’époque de nos grands-mères mais c’est juste qu’on en parlait pas. C’était comme un bruit un peu qui reste dans l’oreille et auquel on s’habitue.

Et là j’ai l’impression que tout ça c’est en train de s’ouvrir au débat et quand il y a du débat je pense qu’on évolue. J’avais un petit peu peur de sortir cette chanson parce qu’il y a toujours un petit côté tabou, un petit coté un peu frontal qui peut secouer mais là où je suis contente, c’est que les filles se sont retrouvées dans mes mots mais les garçons aussi.

La gent masculine est carrément à fond derrière. Elle ne s’est pas sentie stigmatisée, agressée ou jugée. Enfin, peut-être certains mais en tout cas ils ne l’ont pas dit. Et je pense que c’est vraiment ensemble qu’on va faire changer les choses. Pas que les filles d’un côté et les garçons de l’autre. On est à égalité.

Quand des artistes prennent position, certaines n’aiment pas trop qu’on les qualifie féministes, parce qu’aussi c’est à elles de le revendiquer et pas aux autres. Est-ce que vous, vous vous qualifiez féministes ? 

En fait, c’est difficile de mettre un mot dessus. Parce que c’est vrai que féministe, parfois, ça peut sembler péjoratif parce que c’est associé à l’hystérique, elle gueule, elle est pas contente, et limite elle est anti-hommes, alors que c’est pas du tout le cas.

Je pense que oui, j’ai ça en moi. Je me suis très vite rendue compte que j’étais une fille. C’est bizarre de dire ça mais c’est vrai. J’aimais beaucoup jouer au foot avec des garçons à l’école et quand on est petits on se mélange facilement mais quand tu grandis, on te dit « ah bah non on veut plus jouer avec toi parce que t’es une fille ». Comment ça ? Et pourtant j’étais meilleure qu’eux au foot. Donc là j’ai vite compris.

Et puis même chez moi. J’ai toujours vu que mon frère ne se levait pas pour ranger la table. Pourquoi nous les filles on se lève ? Ça a toujours été une vraie révolte ça chez moi, je comprenais pas pourquoi nous on est au rang de « t’es une femme, donc tu dois aller servir ton frère… ». Ça m’a toujours irritée.

Même si j’ai des hommes formidables dans ma vie. Mon père est formidable, mon frère aussi mais il a ses côtés où on se frite souvent parce qu’on n’est pas d’accord sur certaines choses et que petit à petit il grandit et il comprend, il commence à ouvrir les yeux mais voilà…  Donc oui je suis plutôt féministe parce que j’ai envie qu’on arrive à une normalité, qu’il n’y ait plus ce grand écart entre les hommes et les femmes. 

Même, j’ai travaillé dans des restos où on était pas payées pareil alors qu’on porte exactement la même charge, le même poids. Alors pourquoi Nicolas est payé 100 euros de plus que moi ? Ça, ça me révolte.

Le harcèlement, c’est quelque chose que je ne veux plus subir. Je viens d’Avignon, c’est une ville où mine de rien quand tu mets un pied dans la rue principale, c’est même pas une question de tenues (parce que ça aussi, quand tu entends des femmes dire « tu l’as mérité », ça me révolte encore plus), tu te fais siffler assez vite dans la rue. Je l’ai vécu et je suis pas la seule. Il est grand temps d’en parler.

Dans vos chansons, ce sont des portraits. Est-ce que vous faites attention à ce qu’il y ait une galerie qui soit assez représentative de la société et du coup, qu’il y ait autant d’hommes que de femmes ? 

C’est vrai que dans ce premier EP, je parle pas mal des femmes. On m’a souvent dit « T’es pour la femme », peut-être que ça se ressent dans ces 4 titres. Je parle de l’insatisfait, une femme aussi peut être insatisfaite, mais j’ai choisi de décrire un homme.

Je pense effectivement que je vais beaucoup parler des femmes dans cet EP, dans cet album, mais j’ai envie de représenter toute la population, qu’elle soit homme ou femme, vieux ou jeune, homo ou pas homo. Que tout le monde puisse s’y retrouver. Je trouve ça très important car c’est toute la différence qui fait aussi le quotidien et ce qui fait la richesse.

Pour terminer, dans le descriptif de votre projet, il y a le terme « spectacle ». Est-ce un terme qui vous convient ? 

Il y a quelques années, on me demandait souvent si j’étais danseuse ou si j’étais chanteuse. J’avais toujours l’impression qu’il fallait faire un choix. Je me disais que j’étais plus danseuse parce que ça faisait plus longtemps mais je trouvais ça un peu bête de penser comme ça. De toute façon, quand tu utilises un moyen d’expression, c’est pas une question de temps, c’est une question d’envie.

Du coup, je pense que ce que je propose aujourd’hui, c’est du spectacle parce que ça réunit tout ça. Même dans ma façon d’arriver sur scène, j’ai un vieux toc de danseuse, habituée à enfiler un costume, de se dire que la scène ça se mérite et que quand on monte sur scène, on est présentable, on est prêt quoi ! Tout ça mélangé, on peut dire oui que ça devient un spectacle !

Merci Suzane. 

Merci à vous.

Célian Ramis

"Si on n'y regarde pas de très près, on tombe dans des programmations inégalitaires"

Posts section: 
Location: 
Musée des Beaux Arts, Rennes
List image: 
Summary: 
Quelle est la place des femmes dans le spectacle vivant et les arts visuels en Bretagne ? Le 16 mai, HF Bretagne faisait le point sur les freins, les stéréotypes genrés et les solutions.
Text: 

Le 16 mai, à 17h, la salle de conférence du musée des Beaux Arts de Rennes est pleine à craquer. Des élu-e-s, des responsables artistiques, des directeurs de salles de spectacles, des artistes, des militant-e-s et des curieu-ses répondent présent-e-s à l’invitation d’HF Bretagne qui présente ce jour-là l’édition 2019 de son diagnostic chiffré concernant la place des femmes dans le spectacle vivant et les arts visuels en Bretagne. 

C’est un travail colossal que réalise les membres d’HF qui, tous les deux ans, publient un état des lieux alarmant sur la place des femmes dans le secteur des arts et de la culture. Dès la première page de la plaquette, on frémit. Les femmes sont majoritaires sur les bancs des écoles d’art puis « elles deviennent moins actives, moins payées, moins aidées, moins programmées, moins récompensées, et enfin moins en situation de responsabilité que leurs homologues masculins. »

Et pour bien mettre en perspective ce constat, les chiffres abondent : les femmes représentent aujourd’hui 60% des étudiant-e-s, 40% des artistes actif-ves, 20% des artistes aidé-e-s par des fonds publics, 20% des dirigeant-e-s, 20% des artistes programmé-e-s, 10% des artistes récompensé-e-s. Et « à poste égale et compétences égales, une femme artiste gagne en moyenne 18% de moins qu’un homme ». 

L’IMPORTANCE DE LA VEILLE STATISTIQUE SEXUÉE

La veille statistique sexuée permet donc de repérer les inégalités entre les femmes et les hommes mais aussi et surtout participe à la prise de conscience. L’enjeu d’HF Bretagne étant de faire comprendre à chacun-e que tout le monde est concerné et que chacun-e à son échelle peut agir en faveur de l’égalité.

Le travail colossal de collectes des données a été effectué par Yulizh Bouillard, avec la participation de plusieurs militantes bénévoles de la structure et s’appuie sur la programmation ainsi que sur les informations délivrées sur les sites internet des établissements de culture (toutes les informations sur la méthodologie sont à lire dans la plaquette).

« Compter, on le fait depuis l’origine d’HF Bretagne. Même nous, conscient-e-s des inégalités, on ne se rendait pas compte à ce point de la situation. C’est salutaire d’avoir les chiffres. Et d’avoir les chiffres les plus précis possibles en région. Ça permet d’observer les évolutions timides, mais aussi positives quelques fois, et d’identifier les freins, les endroits de blocage, etc. », explique Laurie Hagimont, coordinatrice d’HF Bretagne. 

C’est lors de la première restitution de l’étude chiffrée d’HF Bretagne qu’Odile Baudoux, chargée de coordination et de programmation au Triangle, a réalisé l’importance des inégalités. Elle tient le même discours que Laurie Hagimont :

« Je savais qu’il y en avait mais pas à ce point ! Je me suis donc interrogée et la programmation du Triangle n’était pas égalitaire, ni comptabilisée d’ailleurs. À partir de là, j’ai décidé de faire quelque chose à mon échelle. Pour construire une programmation égalitaire, il n’y pas de hasard ni de magie, il n’y a que du volontarisme à avoir. Il faut compter, sinon on a toujours l’impression que ça va. »

Elle l’avoue aisément :

« Si on n’y regarde pas de très près, on peut tomber rapidement dans des programmations inégalitaires. »

Ainsi sa démarche est passée de la prise de conscience à l’action concrète, en passant par la remise en question et la mise en place de moyens tel que l’ajout d’une case « Hommes / Femmes » dans son tableau Excel.

« C’est une nécessité et une réalité. Alors oui, parfois au détriment d’un homme que j’aimerais programmer, je fais pencher la balance vers une femme que j’ai aussi envie de programmer. Pour atteindre l’équilibre. », souligne Odile Baudoux. 

LE VOLONTARISME DOIT ÊTRE COLLECTIF

À celles et ceux qui, interrogé-e-s sur leurs programmations inégalitaires d’année en année, rétorquent que le sexe n’est pas un critère, la programmatrice du Triangle est du genre à les inciter à « aller voir davantage d’artistes femmes », même si cela implique « d’aller un peu plus loin et de prendre du temps. »

De par ce conseil avisé, elle soulève implicitement plusieurs facteurs de freins. D’un côté, l’invisibilisation des femmes artistes et le sentiment d’illégitimité à être sur la scène, à la direction d’un projet artistique ou d’une salle, en raison du manque de représentativité perçue dès l’enfance. D’un autre, le manque de démarche volontaire de la part des programmateurs-trices feignant ignorer le système inégalitaire du secteur de la culture.

Attentive à la question de la parité – qui ainsi révèle que les femmes ont autant de talents que les hommes et que ces dernières peuvent s’orienter vers toutes les disciplines, une fois passée la barrière du genre et de la représentation genrée – Odile Baudoux regrette néanmoins que la saison prochaine soit moins équilibrée :

« Sur la programmation de l’année prochaine, on est plus sur du 60 – 40. Il y a des raisons conjoncturelles à ça : des questions d’agenda, de partenariat, etc. Parce que je ne suis pas toute seule à décider et à bâtir cette programmation. On n’y arrive pas toute seule si tout le monde ne décide pas de mettre l’égalité au centre des priorités. C’est tous et toutes ensemble qu’il faut le faire. »

Tous et toutes ensemble. Pour éviter de reproduire de saison en saison le cercle vicieux de la majorité masculine. Si depuis 2014, la part des femmes responsables artistiques programmées en Bretagne est passée de 17% à 22%, l’évolution est lente et timide. Cette part représente 34% dans les structures labellisées par l’Etat (hors musiques actuelles) et 16,6% dans les lieux de musiques actuelles. Et atteint seulement les 11% dans les musiques classiques.

« On va mettre en place le comptage dans les actions culturelles », s’engage Béatrice Macé, co-fondatrice et co-directrice de l’Association TransMusicales.

« Comme à chaque fois que HF nous pose la question, je n’ai pas les chiffres concernant la place des filles sur les actions culturelles. Mais comme à chaque fois, on s’engage à répondre l’année suivante. »

L’IMPACT DES ACTIONS CULTURELLES

Depuis 3 ans, HF Bretagne et l’ATM travaillent en partenariat à l’occasion des TransMusicales. Chaque année, une table-ronde, intitulée « Les femmes haussent le son ! : elles sont (presque) là », est organisée autour de la place des femmes dans les musiques actuelles démontrant le manque d’égalité dans ce secteur et valorisant les initiatives et les discours d’empowerment.

« Au cours de nos actions culturelles avec des classes d’école primaire ou de centres de loisirs, on n’a jamais remarqué de répartition genrée dans les postes qu’ils se donnent. Quand on les a laissé choisir librement les missions, un gars et une fille se sont mis à la technique, un gars et une fille à la prévention et les autres filles à l’accueil des artistes, la billetterie, la communication, etc. On constate qu’à ce moment-là, ils n’ont pas encore de représentation genrée et qu’ils s’imaginent, filles comme garçons, de partout, à tous les postes, etc. Et c’est vraiment notre objectif de leur ouvrir les portes ! », souligne Marine Molard, responsable des actions culturelles au sein de l’ATM. 

Pourtant, elle ne peut que constater que dans la diversité des propositions, l’équilibre est rompu malgré une co-direction paritaire et un pourcentage de 100% de femmes aux postes à responsabilités dans la structure, la technique est assurée par 99% d’hommes et la programmation établie par 100% d’hommes.

Et dans les groupes que les enfants découvrent et rencontrent, les femmes occupent quasi systématiquement le poste de chanteuse.

« S’ils ne voient que des batteurs par exemple, ils vont penser que c’est un instrument pour les hommes. Sans intention de notre part, on a ce risque de créer des stéréotypes à travers nos actions culturelles. »
conclut Marine Molard.

Une attention particulière doit donc être portée en parallèle d’une remise en question de la construction de la programmation qui doit être davantage égalitaire et diversifiée. On en revient à la nécessité du comptage. Pour prendre conscience des inégalités et tendre vers l’égalité réelle entre les femmes et les hommes.

PROGRAMMER DES FEMMES, C’EST POSSIBLE !

Jean Roch Bouillier, directeur du musée des Beaux Arts de Rennes, se souvient que dans les années 1990 et 2000 avec l’émergence des gender studies, les débats autour du comptage étaient houleux. Le déclic pour lui, c’est l’exposition Elles, présentée au centre Georges Pompidou entre mai 2009 et février 2011, qui a réuni 350 œuvres de 150 artistes (femmes, faut-il le préciser…) du début du XXe siècle à nos jours. 

« C’est un grand moment de bascule. L’exposition a montré que c’était possible de programmer des femmes. De nombreux musées ont engagé une réflexion sur la place des femmes dans les programmations et dans les expositions. On travaille sur ce sujet depuis 4 ans au musée des Beaux Arts de Rennes et cela aboutira à une grande exposition, dès le 29 juin, intituléeCréatrices, l’émancipation par l’art. », s’enthousiasm-t-il, précisant : 

« Ce n’est pas juste un coup d’une fois, c’est le fruit d’un travail et d’une réflexion. Ce musée a plusieurs fois était dirigé par des femmes et compte un nombre important de femmes artistes. »

Depuis plus de 10 ans, les femmes représentent entre 63 et 65% des étudiant-e-s des écoles supérieures d’art en France, nous indique la plaquette réalisée par HF Bretagne. Toutefois, les artistes exposé-e-s sont 67% d’hommes et 33% de femmes. Et on remarque que les femmes exposées le sont souvent moins longtemps que leurs homologues masculins et plus souvent dans des expositions collectives.

Prendre conscience des inégalités est une étape. Comprendre les freins et les blocages, en est encore une autre. Agir concrètement à l’égalité entre les femmes et les hommes et participer au maintient de l’équilibre, encore une autre. Le travail est colossal, la rigueur doit être de mise. Mais pas seulement : le plaisir aussi, comme le souligne Laurie Hagimont :

« Nous avons beaucoup de plaisir à travailler sur ces questions-là ! »

PASSER À L’ACTION

Questionner, interpeler, se remettre en question, réorganiser et agir ne doivent pas être vécus comme une contrainte mais sont aujourd’hui indispensables à la mise en place d’un système affranchi des assignations de genre et du manque de représentativité. Et tout le monde a un rôle à jouer, à son échelle. C’est le sujet du dernier chapitre de la plaquette « Et maintenant, que fait-on ? » et de l’échange qui suit la présentation, ce jeudi 16 mai.

L’égalité n’est pas une affaire de femmes, les deux sexes étant enfermés dans des stéréotypes de genre (l’un bénéficiant de privilèges qu’il est urgent d’identifier et de questionner afin de rebattre les cartes). Education non genrée et transmission d’un héritage riche débarrassé de l’hégémonie masculine, blanche, hétéro et occidentale sont des outils essentiels dont il faut se munir.

« Il est important de s’asseoir sur notre héritage qu’est le matrimoine. C’est important pour affirmer notre légitimité, notre position en tant qu’artiste. » 
précise à juste titre HF Bretagne

La structure propose alors des événements tout au long de l’année afin de valoriser ce matrimoine, de réfléchir ensemble à la question et accompagne également celles et ceux qui souhaitent agir.

Dans les pistes concrètes qu’elle présente en fin de plaquette, collectivités et financeurs publics, écoles d’art, responsables de lieux culturels, artistes et compagnies, et médias peuvent déjà piocher dans des idées a priori simples mais souvent mises de côté.

ADOPTER DES RÉFLEXES

Les médias sont par exemple invités à donner aux femmes une visibilité et un nom, à s’appuyer sur le guide de communication sans stéréotype de sexe du Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes pour écrire ou encore à se former à la méthodologie de comptage pour être en capacité de vérifier les informations.

Les collectivités et financeurs publics à mettre en place une analyse de la répartition de l’argent public pour apporter des mesures correctives en faveur de la parité et à mettre en valeur notre héritage culturel dans sa globalité (le patrimoine ET le matrimoine).

Les écoles d’art à enseigner une histoire mixte des arts et valoriser les créatrices du passé, à veiller à la parité dans les équipes pédagogiques et à encourager la prise de parole sur les violences sexistes et sexuelles.

Les responsables de lieux culturels à se former, comme les médias, à la méthodologie de comptage, à veiller à une meilleure représentation des femmes dans les expositions et sur scène et à distribuer les moyens de co-production et de résidence de façon paritaire.

Les artistes et compagnies à explorer le matrimoine de leurs disciplines et à valoriser les personnes qui accompagnent leur travail et qui sont souvent des femmes (production, diffusion, administration, costumes…).

D’autres pistes concrètes sont à découvrir dans la plaquette, sur le site d’HF Bretagne. « Qu’on arrête de se taire sur ce qui n’a pas lieu d’être ! », conclut la coordinatrice de la structure. Elle a raison. Qu’on arrête de se taire. 

 

L’AGENDA D’HF BRETAGNE : 

  • 6 juin dès 20h30 : la boum d’HF Bretagne aux Ateliers du Vent. 
  • Dès septembre : une pastille quotidienne sur le matrimoine sur les ondes des radios associatives de Bretagne, en partenariat avec la CORLAB.
  • Dimanche 15 septembre : « D’hier à aujourd’hui, quelle place pour les femmes dans la création artistique ? » Rencontre avec HF Bretagne dans le cadre de l’exposition Créatices, l’émancipationpar l’art au musée des Beaux Arts de Rennes. 
  • Dimanche 29 septembre : « Dangereuses autrices ? Histoire de la masculinisation de la langue » par Eliane Viennot dans le cadre du festival Dangereuses lectrices (les 28 et 29 septembre aux Ateliers du Vent). 
  • Mardi 8 octobre : « Le cinéma féministe dans les années 70 » par Hélène Fleckinger, dans le cadre des Mardis de l’égalité de Rennes 2. 
  • Novembre : « La fabrication de la valeur esthétique », conférence de Bérénice Hamidi-Kim (lieu à définir). 
  • Décembre : table ronde HF Bretgane aux TransMusicales. 

 

 

 

 

Célian Ramis

Suzane, histoires vraies sur fond d'électro

Posts section: 
List image: 
Summary: 
C’est elle-même qui se définit « conteuse d’histoires vraies sur fond d’électro » et ça lui va plutôt bien. Suzane était sur la scène du Cabaret botanique, installé dans le parc du Thabor, le 3 avril à l’occasion du festival Mythos.
Main images: 
Text: 

C’est elle-même qui se définit « conteuse d’histoires vraies sur fond d’électro » et ça lui va plutôt bien. Suzane était sur la scène du Cabaret botanique, installé dans le parc du Thabor, le 3 avril à l’occasion du festival Mythos. 

Son EP n’est pas encore sorti mais il devrait arriver incessamment sous peu. D’ici quelques jours, signale la chanteuse pour qui tout s’est accéléré d’un coup. Dans la chanson éponyme, elle raconte son histoire.

Elle rêve d’être chanteuse. L’avignonnaise monte à Paris et trouve un boulot se serveuse plusieurs mois durant. Elle ne fait plus que rêver, désormais elle écrit également. Parce que les client-e-s l’inspirent. Elles puisent dans leurs histoires et dans les siennes pour composer des textes susceptibles de s’adresser à un large public.

Celle qui rêvait « derrière le bar en bois » de faire « l’Olympia » a relevé le défi jusqu’à le transformer en réalité. La voilà parée de sa tenue de scène, d’un synthétiseur, d’un mélodica, de sa voix et de son énergie. 

Parce qu’elle envoie, Suzane. Elle danse, elle mimique, elle joue la comédie, elle saute. Elle n’arrête pas. Et le public la suit, sans difficulté. L’ambiance est joyeuse, la chaleur monte vite dans le Magic Mirror. Très vite.

Elle nous raconte des histoires diverses et variées et nous présente une palanquée de personnages plus réalistes les uns que les autres. Parce que finalement, ils existent tous réellement. Elle les connaît, les a connus, les mélange à son vécu, les transpose dans notre époque ultra connectée.

Ça donne des chansons sur l’addiction aux smartphones et l’absurdité d’un quotidien passé à voir sa vie défiler à travers un écran, sur la flemme, sur l’éternelle insatisfaction, sur la dictature de la minceur et des régimes ou encore sur la peur de l’inconnue.

Suzane, c’est un peu la voix d’une jeunesse qui, impactée par la non remise en cause des générations précédentes, prend du recul sur la société et nous signale qu’elle n’est pas naïve, elle a bien lu entre les lignes.

Elle refuse de se taire, elle refuse de fermer les yeux, elle refuse l’inaction. Alors, elle met des mots sur ses émotions et exprime tel un Stromae – moins expérimentée, avouons-le – l’évidence d’un monde en déroute. Le sourire, le second degré, la musique électro, c’est entrainant et ça nous fait danser. Mais les mots qui claquent, ça nous frappent.

Si Suzane n’a pas la noirceur d’une Aloïse Sauvage ou l’imaginaire d’une Ladylike Lily, elle affirme qu’elle a elle aussi le verbe et qu’elle manie très bien la langue française. Sans l’imposer, le message est tout aussi brut que celui des artistes citées. Elle fait rebondir les mots, les plie, les confronte, les marie et s’en amuse et au passage, elle nous amuse également.

Parce qu’elle a un potentiel ardent digne d’un volcan s’apprêtant à entrer à éruption et parce qu’elle ne fait pas semblant. Influencée par Edith Piaf, Jacques Brel ou encore Françoise Hardy à qui elle rend hommage en revisitant « Laisse tomber les filles », elle laisse entendre son admiration et sa culture musicale auprès de ces artistes mais ne cherche pas à les imiter.

On entend Stromae dans le phrasé et la manière de raconter – qu’elle pense plutôt être empruntés à Orelsan – mais Suzane apporte ses propres histoires et son propre point de vue. Les attentats de novembre 2015, les violences sexistes et sexuelles à l’encontre des femmes, les préjugés, les jugements, elle les aborde avec franchise et subtilité à travers une galerie de personnages réalistes, loin d’une morale bienveillante et dangereuse. Ça fait du bien.

Célian Ramis

Mélissa Laveaux, les notes engagées d'un coeur en Haïti

Posts section: 
List image: 
Summary: 
Avec Radyo Siwèl, Mélissa Laveaux recompose le puzzle de l’Histoire d’Haïti, île natale de ses parents, avec son histoire personnelle. Mercredi 3 avril, elle contait l’occupation américaine mais surtout elle chantait la résistance et la liberté.
Main images: 
Text: 

Avec son troisième album Radyo Siwèl, Mélissa Laveaux recompose le puzzle de l’Histoire d’Haïti, île natale de ses parents, avec son histoire personnelle. Mercredi 3 avril, sous le Cabaret botanique de Mythos, dans le parc du Thabor, elle contait l’occupation américaine de 1915 mais surtout elle chantait la résistance et la liberté. 

Musicienne, compositrice et chanteuse, elle a pris son envol artistique depuis plus de 10 ans. Sur les deux albums précédents, elle chante en anglais, en français et en créole. Parce que ça représente bien là l’univers polyglotte dans lequel elle a grandit.

Née au Canada, à Montréal, elle va ensuite vivre à Toronto et Ottawa avant de poser ses valises à Paris dès le début de sa carrière. Sur France Culture, en mai 2018, elle explique : « Je me sens haïtienne dans la manière dont j’ai été élevée, dont je compose, dont je me situe par rapport au monde. Mais nous sommes tous en mouvement, donc mon haïtienneté change aussi. »

Sa musique est imprégnée de celle de Martha Jean-Claude, exilée à Cuba dans les années 50 qui chantait son Haïti. Et elle, se souvient d’entendre des bribes de conversations entre sa mère et ses tantes qui parlent en créole, langue qu’elle n’a jamais apprise, qu’elle ne connaît que par fragments.

Le pays aussi lui est inconnu jusqu’en 2016 lorsqu’elle ressent le besoin de séjourner quelques temps sur l’île. Là-bas, elle reconstitue une partie de son histoire familiale, son histoire personnelle, à travers la mémoire collective.

L’essence de Radyo Siwèl vient de là. Il n’est pas un retour aux racines, il est une continuité dans l’exploration de son identité. Elle qui fait vibrer le Magic Mirror de son rock caribéen s’empare de tout ce qu’on a lui a confié lors de son voyage et se réapproprie les chants folkloriques d’un Haïti colonisé qui n’a jamais capitulé. 

« Qu’est-ce que les gens chantaient à l’époque de l’Occupation américaine d’Haïti ? On ne connaît pas bien l’histoire de la musique haïtienne. Mais la musique haïtienne répond toujours au politique, il y a une tradition de riposte. », déclarait-elle sur France Culture

Cet album est donc marqué de l’histoire d’Haïti entre 1015 et 1934, chaque chanson est chantée en créole, accompagnée d’une base d’arpèges blues à la guitare électrique et de percussions aux influences caribéennes.

Mélissa Laveaux a un don pour insuffler de la légèreté là où réside un drame passé. Elle entraine avec aisance le public dans ses histoires qu’on ne comprend pas mais qu’on ressent. Elle nous guide, à travers l’histoire d’un président haïtien dont le chapeau tombe et qui se décide à le ramasser pour le remettre sur sa tête, alors que tout le monde lui dit que ça porte malheur. « Et il meurt », lance-t-elle avec le sourire. 

Dans la chanson suivante, « la malchance continue ». Sans trop en dire parce qu’elle sait qu’elle parle trop entre les morceaux, elle livre des indices : « jeune fille / pouvoirs magiques / chèvre / divorce de la chèvre / perte des pouvoirs magiques / son père qui meurt. »

Tout le concert est rythmé par sa bonne humeur, la puissance de sa voix et le croisement entre la chape de plomb de l’Occupation américaine et les chants de célébration et de victoire des Haïtiens « qui n’avaient pas de guitare électrique en 1934 mais qui ont chanté cette chanson après 20 ans d’occupation, on peut donc honorer le combat qu’ils ont mené contre les soldats ». 

L’engagement de Mélissa Laveaux ne se réduit pas à conter l’histoire des bons contre els méchants ou des victimes contre les bourreaux. Il est bien plus subtil que ça. Il réside dans chaque recoin de sa personnalité, dans chaque note de sa musique, dans chacun de ses choix artistiques.

Ce qu’elle livre sur scène ce soir-là, c’est aussi une partie de l’esprit d’Haïti qui perdure encore aujourd’hui là-bas mais aussi en elle puisque cet esprit a baigné dans l’éducation de ses parents quittant l’île pour le Canada.

« Quand les américains ont pris possession de l’île, ils ont interdit aux habitant-e-s de pratiquer le vaudou car ils avaient peur que les Haïtiens aient signé un pacte avec le diable. », explique-t-elle en guise d’introduction d’une de ses chansons. « Mais on s’en fout qu’ils nous tuent, on s’en fout, on fait ce qu’on veut. »

C’est ce vent de liberté que la musicienne vient insuffler. Elle qui par recherche d’une partie de son identité s’est permise de réinventer des sonorités, d’incruster des éléments bien à elle dans une histoire ciselée entre récit national, témoignages, expressions imagées de sa mère et de ses tantes, chansons populaires transmises par les Bann’ Siwèl (orchestres troubadours) et croyances spirituelles (parfaites pour torturer les esclavagistes).

Les textes, lourds de sens et de symboles, et la voix puissante de Mélissa Laveaux se marient à des mélodies entrainantes et dansantes. Emancipatrices. C’est le message de la chanteuse canadienne qui réussit à faire vivre le passé de son histoire familiale, sans en occulter la charge émotionnelle, et à se l’approprier pour en faire une belle branche de son arbre personnel, bien enraciné, qu’elle alimente en une multitude de feuilles et de prunes, appelées sirouelles (Siwèl, en créole).

Célian Ramis

Shannon Wright, l'émotion brute

Posts section: 
List image: 
Summary: 
C’est un condensé d’émotions vives que distille Shannon Wright ce mardi 2 avril dans l’intimité du Cabaret botanique. Entourée de son batteur, sa guitare et son clavier, la musicienne envoute le public de sa voix chaude, ses mélodies lancinantes et son rock viscéral.
Text: 

C’est un condensé d’émotions vives que distille Shannon Wright ce mardi 2 avril dans l’intimité du Cabaret botanique, installé dans le parc du Thabor à l’occasion du festival Mythos. Entourée de son batteur, sa guitare et son clavier, la musicienne envoute le public de sa voix chaude, ses mélodies lancinantes et son rock viscéral. 

Quand elle arrive sur scène, le public s’électrise. Le temps d’accorder sa guitare, un silence d’église se répand dans le Cabaret botanique, suspendu aux doigts de la musicienne qui glissent sur les cordes et brisent instantanément le côté cérémonial de son entrée.

Sa voix grave et chaude est rapidement couverte par une guitare saturée qui révèle une urgence et une envie d’exploser chez l’artiste qui semble, dès les premières notes, mettre à nu son cœur à vif. Intrigante personnalité cachée derrière sa mèche, elle dévoile ici une musique complexe.

Il est parfois difficile de cerner son propos, son intention. Elle nous oblige alors à nous accrocher, à nous approcher. Pour deviner.

Elle attend que l’on soit tout près et là, elle nous assène d’émotions vives et brutes que l’on se doit d’avaler et de digérer précipitamment, afin d’en redemander l’instant suivant.

Du tonnerre qui gronde, elle passe à l’eau qui dort – avec l’œil bien ouvert - avec des balades à la voix soufflée. On attend le retour de la tempête, elle nous offre, sur des airs folk, une sorte d’apaisement avant de s’éloigner de son micro, tout en continuant de chanter et en faisant vibrer sa voix.

Shannon Wright sait transpercer les âmes parce que l’indifférence n’est pas envisageable dans son sillon. Au clavier désormais, elle délivre une voix complexe et complète, avec laquelle elle passe des graves et des aigues, quasiment avec des effets de distorsion.

Elle impressionne de par la puissance qu’elle met dans son chant, sans nécessairement envoyer à pleine balle.

La musicienne joue avec un fil sur lequel elle se tient à chaque instant. Elle a ce côté borderline qui la rend insaisissable.

Elle s’entoure de la nonchalance d’une Courtney Love et d’une touche Kim Gordon qui n’est pas sans rappeler la scène underground des années 90. Et là, elle frappe à nouveau de son rock alternatif viscéral.

Elle joue avec les rythmes, elle varie les intensités. Shannon Wright va là où on ne l’attend pas. Quand on se met à penser que ça ne décolle pas des masses, elle donne tout, un pied dans la retenue, un pied dans le lâcher prise. Elle nous déstabilise et on aime ça.

Et puis il y a ce côté lancinant, prédominant quand on écoute son album Division. Sur scène, elle le transpose d’une autre manière. Son corps balance, son corps se tend, son corps ondule. Ça se sent. Sa musique ne peut pas ne pas lui traverser le corps. C’est un tout. Sa tête, son corps, sa voix, ses instruments se mêlent dans un ensemble difficile à définir.

Et c’est mieux ainsi. Sauvage et indomptable, la musique de Shannon Wright ne se réfléchit pas, elle se vit, principalement dans le plus profond de l’esprit qui, forcément, impacte tout notre corps.

À l’écoute de sa discographie et à l’expérience du live, difficile de nous dire touché-e-s au cœur. En revanche, elle ne nous laisse pas indifférent-e-s et on s’avoue volontiers admiratifs/tives des émotions brutes et vives que Shannon Wright dégage et procure.

Célian Ramis

Mythos 2019 : Gagnez des places pour le concert d’Aloïse Sauvage (mais pas que !)

Posts section: 
List image: 
Summary: 
Du 29 mars au 7 avril, le festival Mythos revient à Rennes et aux alentours. Chaque année, lectrices et lecteurs peuvent remporter des places pour des spectacles et des concerts. Tentez-votre chance !
Text: 

Du 29 mars au 7 avril, le festival Mythos revient à Rennes et aux alentours. Chaque année, lectrices et lecteurs peuvent remporter des places pour des spectacles et des concerts. Tentez-votre chance en nous envoyant un mail à redaction@yeggmag.fr en précisant votre nom, votre prénom et l’événement pour lequel vous jouez (les personnes gagnantes remportent une place et non les deux).

 

• THÉÂTRE : PIÈCE D’ACTUALITÉ N°9 – DÉSOBÉIR / JULIE BERÈS / THÉÂTRE DE L’AIRE LIBRE : 2 PLACES

Un spectacle à ne pas manquer. Parce qu’il dresse le portrait croisé de quatre jeunes femmes et se fait le récit d’une émancipation chargée qui en devient politique. Sur scène, leurs témoignages, chargés des révoltes et des rêves les plus inattendus, brisent un à un les stéréotypes qui épinglent le visage féminin de la banlieue. Des tentatives de réconciliation aux luttes les plus radicales, elles affirment un désir d’égalité valable pour chacun(e). Entre fidélité et refus du poids de l’héritage, entre désirs immenses et sentiments d’impasse de l’époque, Julie Berès et son équipe entreprennent de sonder les rêves et les révoltes des jeunes femmes d’aujourd’hui.

Vendredi 29 mars, 21h.

 

• CONCERTS : ALOÏSE SAUVAGE - CANINE - FAKEAR - SARA ZINGER / CABARET BOTANIQUE : 2 PLACES

Aloïse Sauvage : Elle a marqué la création des TransMusicales en décembre 2018 au théâtre de l’Aire Libre et nous a mis une sacrée baffe. De par sa présence, sa prestance, sa musique brute et son écriture réalistico-poétique. Elle s’affiche, telle une Jeanne Added ayant foulé la même scène quelques années avant elle (dont le concert est complet lors du festival), en artiste très prometteuse qui ose prendre des risques et assumer ses ambitions. 

Canine : Son chant intrigue. Sa musique fait danser, penser, songer. Le travail des voix s’avère impressionnant : elles mêlent la chaleur du gospel et la profondeur du chant tribal à des sonorités très modernes, entre soul futuriste et pop cosmique. Elle nous entraine aisément avec elle et nous fait plonger dans un univers hors du réel. 

Fakear : Rapidement, il est devenu l’un des leaders de la scène électronique actuelle, couronné d’un disque d’or. L’énergie communicative qu’il déploie en live conquit facilement son public. Cette année, l’artiste présente All Glows, son nouvel album empreint d’une jungle de sonorités végétales. Une invitation à la contemplation, un appel à l’oubli de soi. 

Sara Zinger : Elle est DJ et productrice et sans aucun doute l’une des révélations de la musique électronique de l’an dernier. Ancrée dans la scène musicale underground, elle s’affiche comme une authentique icône contemporaine. 

Samedi 30 mars, 21h. 

 

• CONCERT : ANNE PACEO / CABARET BOTANIQUE : 2 PLACES 

Elle n’aime pas définir sa musique. Elle n’aime pas les cases. Ça tombe bien, nous non plus. Sur scène, elle nous fait voyager, frissonner, nous émouvoir, sourire. C’est ce qui compte pour elle à travers son travail. L’artiste présente son nouvel album, Bright Shadows, et convoque les énergies du jazz et de la world music pour nous faire tourner la tête. 

Vendredi 5 avril, 18h. 

 

Note pour les personnes gagnantes : Les billets seront à récupérer à la billetterie de chaque représentation 30 minutes avant le début du spectacle. Pour les concerts se déroulant au Cabaret botanique, les billets seront à récupérer à l’accueil presse du festival.

Célian Ramis

#Trans2018 : Aloïse Sauvage ou l'art du verbe (et du corps) uppercutant

Posts section: 
List image: 
Summary: 
Samedi 8 décembre. Direction le théâtre de l’Aire Libre, à Saint-Jacques-de-la-Lande pour assister à l’incroyable performance d’Aloïse Sauvage, à qui les Transmusicales ont confié la création 2018 du 5 au 9 décembre.
Main images: 
Text: 

Samedi 8 décembre. Direction le théâtre de l’Aire Libre, à Saint-Jacques-de-la-Lande pour assister à l’incroyable performance d’Aloïse Sauvage, à qui les Transmusicales ont confié la création 2018 du 5 au 9 décembre. 

C’est une bombe que vient de lâcher Aloïse Sauvage en prenant les rênes de la création des Transmusicales. Pourtant, à quelques semaines près, sans musiciens et sans le spectacle dans son entièreté, elle aurait pu baisser les bras et rendre les armes. Mais ce serait mal la connaître. L’artiste est une battante et elle est bien décidée à l’affirmer sur scène.

Cinq soirs durant, celle que l’on a pu apercevoir dans 120 battements par minutemonte sur scène pour présenter un « état des lieux » de ce qu’elle est « émotionnellement et artistiquement ».Et c’est un joyau brut et éclatant qui se façonne au fil de ses questionnements et de ses textes à l’écriture soignée et percutante.

Sa musique est un savant mélange de pop, de hip hop et d’électro. Son message est un appel à la vie. Sa manière de le restituer, une fusion de rap chanté, de danse, d’acrobaties circassiennes et de théâtre.

Aloïse Sauvage est pluri-disciplinaire et marque sa création de sa palette transversale qui transcende avec agilité le public pendu à tout son être, particulièrement quand celle ci se suspend dans les airs.

Ses musiciens, sur le fond de la scène, sont en hauteur, laissant ainsi tout le plateau en une sorte de terrain de jeu délimité par un grand tapis. C’est le ring d’une boxeuse, guerrière et combattive, au corps en flux tendu. Quasiment constamment sur le qui vive.

Son corps, sa danse et sa musique sont son langage, son moyen d’expression. Son moyen de cracher ses interrogations, ses difficultés, ses fragilités, ses envies ou encore ses joies. Ses mouvements interagissent avec ses propos, au-delà d’une ponctuation, ils semblent survenir comme une extension de ses mots.

Des mots qui sont forts, très prononcés, très appuyés. Pour la libérer de leur poids et nous assommer du sens qu’elle leur donne en les agitant pour les sortir de leur dimension première et en multiplier les capacités. Chaque phrase éveille nos sens et agite nos neurones, et met en perspective la complexité de la vie et le paradoxe des injonctions.

Cette friction fonctionne à merveille puisqu’elle prend soin, en s’emparant des sujets qui la touchent personnellement, de les rendre universels et de mixer, tel un Stromae, la forme poétique et le fond de la brutalité. Et n’en oublie pas de s’accompagner de chorégraphies efficaces et travaillées et de prouesses techniques.

Avec son micro filaire qui vient du plafond, elle joue avec l’équilibre et se laisse flotter, pointes des pieds tendues sur le tapis. On ne sait plus par moment si c’est le micro qui la guide ou si c’est elle qui possède le micro qu’elle finit par envoyer valser, libérant son âme et son corps de tout attachement avilissant ou contraignant.

Ce soir-là, Aloïse Sauvage réalise une démonstration de force et de souplesse, de rage et de détermination, de génie créatif et d’urgence vitale à se construire pour suivre son chemin et affronter les épreuves. Thématique récurrente, elle parsème également ses textes de confidences, d’amour lesbien, de désirs, de confrontation et de négociation avec soi-même et de vertiges.

L’ensemble est impeccable. Complètement bluffant de par le mélange de disciplines qui pourtant ne font qu’un, les parties seulement dansées étant en elles-mêmes des paroles silencieuses. Se joue ici un spectacle à plusieurs niveaux, auquel il faudrait assister de représentation en représentation afin d’en saisir toutes les subtilités et nuances.

Parce que derrière son côté direct et franche du collier, l’artiste multi-casquettes aux blanches baskets et chaussettes s’amuse de tout ce qu’elle ne dit pas explicitement. Dans ses sous-entendus, dans ses non-dits, dans ses silences, elle se débrouille pour que son langage non verbal soit clair et limpide.

C’est bouleversant, incisif et impactant. Elle balance les coups, on est frappé-e-s en pleine gueule mais aussi en plein bide. Ça bouillonne, tout comme ses idées. Et ses envies, qu’elle livre dans « Dévorantes » : « Des envies, j’en ai beaucoup moi, elles me dévorent toute entière, j’espère que vous aussi. Parce qu’elles sont dévorantes mais elles nous rendent vivants. »

Et sa première envie n’est pas surprenante : être engagée dans ce qu’elle fait. Sa liste est longue et exaltante, elle place le coup final qui nous éclate la mâchoire, crispée d’émotions viscérales que nos tripes vomissent dans un élan totalement libérateur, ne gardant que le souvenir de cette puissance, vitale, brute et bienfaitrice, ressentie tout au long de la performance.

Avec sa chanson « Aphone », elle use de l’analogie de l’extinction de voie à force d’être à fond et de s’exprimer en envoyant malgré tout l’énergie de la folie des grandeurs qui la fait voler et virevolter au dessus de la scène et des premiers rangs du public qui offre un standing ovation prolongé tout au long de cette dernière danse.

L’uppercutante Aloïse Sauvage, c’est l’ébullition de la jeunesse créatrice qui manifeste son envie de se frotter pleinement à la vie, malgré les déboires et les complexités, et la maturité d’une passionnée et investie qui place la barre à hauteur de ses ambitions. Et très clairement, elle en déborde. On attend avec impatience la sortie de son EP, au printemps prochain.

 

Célian Ramis

#Trans2018 : Explosion des codes et des genres

Posts section: 
List image: 
Summary: 
Vendredi 7 décembre. Deuxième soir des Transmusicales au Parc expo de Rennes durant lequel les chanteuses, musiciennes et danseuses ont insufflé une bonne grosse dose d’empowerment et de liberté.
Text: 

Vendredi 7 décembre. Deuxième soir des Transmusicales au Parc expo de Rennes durant lequel les chanteuses, musiciennes et danseuses ont insufflé une bonne grosse dose d’empowerment et de liberté.

THE NAGHASH ENSEMBLE – HALL 8 – 23H30

L’instant est suspendu dans le hall 8. Parce que The Naghash Ensemble, c’est l’union de 3 chanteuses lyriques et de musiciens jouant du dhôl, du oud, du duduk ou encore du piano. L’esprit de cette formation : créer une fusion entre le folk arménien et le post-minimalisme contemporain, en basant leurs chansons sur les poèmes de l’écrivain et prêtre Mkrtich Naghash, datant du XVe siècle.

Sur le papier, c’est intriguant. En live, on apprécie la singularité de la proposition et le travail de variation des intensités de voix – deux sopranos et une alto – et des instruments, ainsi que des rythmiques.

La charge dramatique oscille durant le concert, selon les sujets et contextes de ces méditations, impossibles à comprendre pour nous mais dont on sait qu’elles s’orientent en direction du sort des étrangers et de la relation de l’homme à Dieu.

Pourtant, on ne peut s’empêcher de ressentir une sorte de déception. Peut-être parce qu’on en attendait beaucoup, notamment en terme d’atmosphère et d’opportunité à nous faire voyager en terre arménienne et nous emmener à la découverte de son ancien folklore, mêlé à la modernité des musiques actuelles. Et finalement, on ne décolle pas du hangar du Parc expo.

De là, nait une frustration sans que l’on arrive à mettre le doigt sur ce qui la cause réellement. Car The Naghash Ensemble est un projet inattendu, finement travaillé et décalé face au reste de la programmation.

Seuls quelques courts instants tendent à nous donner l’espoir d’un décollage imminent. Particulièrement lorsqu’au piano et aux voix s’ajoutent les instruments arméniens, incitant à l’accélération des rythmiques. Malheureusement, ça ne dure pas.

 

MUTHONI DRUMMER QUEEN – HALL 9 – 0H25

On délaisse alors les chants lyriques arméniens pour assister à l’ascension de la reine, dans le hall 9. Parce que son temps est venu, dit-elle. Le sien ainsi que celui de toutes les femmes. « For action. For liberation. We are the power. Infinite. », souligne la voix qui envahit l’immense hall 9. 

Elle marque 1 point, Muthoni Drummer Queen. À chaque instant de son concert. Parce que pendant une heure, elle va royalement nous scier sur place en balançant un show époustouflant, aux genres mêlés et variés, à la technique irréprochable et à la puissance inouïe de sa voix, de son discours et de sa présence scénique.

Elle est chanteuse et rappeuse. Elle vient de Nairobi, au Kenya. Elle chante en anglais et en swahili et s’accompagne sur scène de ses deux producteurs suisses GR ! et Hook, de choristes, de danseuses et de musiciens. Et ça envoie entre hip hop, afrobass, électro et r’n’b.

Son flow est rapide et efficace. Elle passe sans difficulté et sans concession d’un rap à du ragga tune, avec l’aisance des grandes musiciennes déjà bien installées. Son projet est terriblement prometteur et Muthoni Drummer Queen a toutes les capacités et l’intelligence de son ambition.

C’est percutant, dynamisant, puissant et effervescent, autant dans le vocal que dans les messages, la générosité, le partage et l’esthétique. Elle ne laisse rien au hasard, rien de côté. Elle est partout, tout en laissant la place à ses collaboratrices et collaborateurs. De là, se dégage une énergie explosive qui embarque tout le hall 9 qui semble pour la plupart déjà bien la connaître.

« Qui a vu Rafiki ? Ok, c’est cool, c’est un film sur une relation d’amitié entre deux femmes. Parce que je suis persuadée que le futur, c’est les femmes ! », scande-t-elle fièrement.

Ce film, Rafiki, c’est le premier film kenyan sélectionné au festival de Cannes, sorti sur els écrans fin septembre, dont elle signe la bande originale et nous régale ici de sa fameuse chanson Suzie Noma et de sa chorégraphie. Dans sa robe style Lady Gaga, elle n’a rien à envier à Beyonce et mérite largement le même succès.

Son discours est féministe et humaniste. Sur scène et dans ses textes, elle affirme son girl power et son engagement pour « toutes les personnes qui n’ont pas les mêmes privilèges que nous tous qui sommes là ce soir : il faut penser aux migrant-e-s et aux réfugié-e-s du monde entier ! »

Muthoni Drummer Queen fait bouger les corps et les consciences et fait lever une armée de poings en l’air et un chœur de festivalier-e-s qui chantent avec elle « Millions voices », que l’on retrouve sur son dernier album, sorti en mars dernier, intitulé She

La puissance qu’elle démontre, avec force et sourire, est viscérale. Elle prend aux tripes et balance une dose immense d’empowerment dans un show structuré en deux parties, entrecoupé d’une battle de breakdance entre deux danseuses professionnelles qui viennent souligner le virage que prend le concert.

Dans ce chapitre « Church », la chanteuse-rappeuse veut parler d’amour et de responsabilités. Du fait « d’accepter la part de responsabilité que l’on a tou-te-s dans chaque situation et partir de là pour résoudre le problème. » Du fait « qu’il y a des temps pour trouver des solutions afin de résoudre les problèmes et des temps pour dire aux gens qui vous considèrent comme acquis-es et ne vous donnent qu’une toute petite petite version d’amour de dégager de vos vies. »

Elle s’oriente alors vers une dimension plus gospel et soul, sans jamais oublier son goût pour le rap. Avec ses paroles et ses propositions musicales variées, elle fédère la foule qui accueille et partage les émotions dans une bonne humeur qui se répand et s’incarne dans l’envie de profiter de l’instant et du bonheur présent.

La showgirl réalise une performance qui marquera les Transmusicales, c’est certain. Parce qu’elle possède la créativité d’une artiste entière, complète et engagée. Parce qu’elle possède une aisance époustouflante sur scène et une générosité rare et précieuse.

Immense coup de cœur pour cette magnifique artiste qu’on aimait déjà écouter en boucle et qui place la barre bien en hauteur, promettant une suite qui pourrait secouer la planète dans les années à venir.

 

UNDERGROUND SYSTEM – HALL 8 – 1H30

Autre hall, autre ambiance. Mais toujours la patate niveau énergie avec Underground System, une formation détonnante composée de guitares, de cuivres, de percussions et d’un instrument à vent. Une sorte de fanfare afrobeat psychédélique à la vivacité communicative et à la cadence bien rythmée.

Les New Yorkais qui s’illustrent sur la scène du hall 8 entrainent la foule et surtout marquent bien qu’avec les genres musicaux, ils font ce qu’ils veulent, bien décidés à ne pas se laisser coller une étiquette sur le dos. Ils invoquent et convoquent des sonorités diverses et atypiques, notamment au niveau de la voix de la chanteuse-flutiste.

On y perçoit un florilège de variations ethniques qui rendent la proposition séduisante et originale. D’autant que la formation renvoie véritablement un côté collectif important et impactant, même si la chanteuse, accompagnée d’une choriste-percussionniste, prend le lead au niveau vocal.

Toutefois, il est un peu difficile de revenir du concert de Muthoni Drummer Queen, même si aucune comparaison ne peut s’opérer entre les deux groupes et propositions.

On peine à s’enlever de la tête et des tripes le show puissant que nous a offert la chanteuse-rappeuse kenyane.

Ainsi, il n’est pas facile de se laisser emporter pleinement par ce qu’il se passe sur la scène du hall 8 qui pourtant démontre une créativité qui nous donne envie de rester et de poursuivre l’expérience Underground System.

Et petit à petit, on se fait entrainer par les rythmes virevoltants du groupe, sublimés par les passages à la flûte.

La foule afflue désormais dans le hangar qui s’électrise rapidement aux sons plus rock et underground qui viennent titiller les viscères.

La voix est peu perceptible dans cet ensemble musical qui n’a pas vocation à être dans la démonstration vocale, même si on entend par moment que la chanteuse pourrait pousser en volume et en intensité.

Sa voix devient alors un instrument intégré au même titre que les autres, les plaçant tous au centre de leur art.

Cet afrobeat expérimental qui mêle disco et new wave dans une dimension minimaliste bien léchée prend son envol sur la reprise du chant partisan « Bella ciao » qui devient alors une véritable création originale. Cette réappropriation signe la liberté dont Underground System se nourrit pour l’insuffler ensuite dans des lives endiablés. Et ça fait du bien.

Célian Ramis

#Trans2018 : Les reines de la scène

Posts section: 
List image: 
Summary: 
Jeudi 6 décembre. Premier soir au Parc expo à l’occasion des 40èmes rencontres Transmusicales et déjà les artistes féminines marquent leur présence par leur énergie débordante et leur manière d’occuper la scène.
Text: 

Jeudi 6 décembre. Premier soir au Parc expo à l’occasion des 40èmes rencontres Transmusicales et déjà les artistes féminines marquent leur présence par leur énergie débordante et leur manière d’occuper la scène.

PONGO – HALL 8 – 0h30

Si au départ on ne sait pas très bien ce qu’est de « l’afropop kuduro », Pongo nous fait rapidement découvrir le sens de cette catégorie, conçue pour elle. Enfant lorsqu’elle a du fuire avec ses parents la guerre civile en Angola, elle a ensuite grandi imprégnée de la musique de son pays natal.

Mélange de break dance, de semba angolaise et d’électro, le kuduro vient s’entremêler à un afrobeat électrisé qui fait instantanément danser la foule. Et la chanteuse, évidemment, dont le passé de danseuse reste tatoué dans son corps et sa façon de se mouvoir.

Elle s’éclate et le partage. C’est communicatif et viral. Le hall se remplit très vite et gagne rapidement en densité et en intensité, suivant Pongo dans son atmosphère survoltée à l’esprit combattif et enjoué.

Il y a dans sa musique des tonnes de sonorités et d’influences qui s’entrechoquent et se répondent, formant une alliance rafraichissante avec du rap, un côté r’n’b, mêlé à des instruments et sonorités orientales avant de frôler l’électro zouk.

C’est réjouissant. Les bassins remuent, les épaules et les têtes se secouent, les hanches roulent et les fesses tremblent. Tout le monde est embarqué par la puissance vocale mais aussi la posture et la présence de la leadeuse, de qui se dégagent la force et l’énergie de la combattante.

Son flow impressionne et ses refrains déchainent les festivalier-e-s, bien décidé-e-s à ne plus toucher terre. Au moins le temps de son concert sulfureux et endiablé qui agit comme un coup de pied dans la world music électronique.

La foule est réceptive et totalement enivrée par la chanteuse guerrière à la combinaison argentée qui nous propose non seulement un instant décoiffant mais aussi des textes forts et engagés dont plusieurs livrent des parcours ou des portraits de femmes fortes, résistantes et/ou abandonnées.

Elle a quelque de chose de particulièrement captivant. Qui réside principalement dans la manière dont elle occupe l’espace scénique qui lui appartient entièrement, sans remise en cause possible.

Pongo maitrise les éléments et entraine tout le monde dans son délire, avec des rythmes variés et libérateurs qui n’oublient pas de livrer des émotions plus fragiles et intimistes auxquelles on ne résiste pas.

Entre profondeur et suspension, elle est une insaisissable boule d’énergie qui vibre dans toutes les sonorités, venues du monde entier.

 

O’SISTERS – HALL 8 – 1H50

En ligne, dans leur combinaison psychédélique noire et blanche, elles sont des boxeuses guerrières qui sonnent le glas d’un combat sans merci. Parce qu’une fois qu’elles auront rejoint leurs places (une aux platines, une aux percussions, trois au chant), elles n’accorderont à leur audience aucun répit.

La transe guerrière commence. Le temps d’adaptation à leur rite initiatique ne dure que quelques secondes. Très vite, on rejoint la sororité des O’Sisters qui soignent notre ébullition aussi bien sonore que visuelle.

On en prend plein les oreilles et les mirettes. Plein la tronche. Face à cette tribu de guerrières résolument entières, affranchies et assumées, on reste hypnotisé-e-s.

Et pourtant, le mouvement est perpétuel. Le mouvement est un personnage scénique à part entière.

Elles dansent, invoquent et convoquent les énergies, elles nous tiennent en haleine, en nous coupant le souffle et nous bloquant toute envie d’être ailleurs que là où nous sommes. Et quand on pense avoir vu et compris le concept de la proposition, elles nous étonnent et font venir quatre danseuses sur scène pour parfaire le show.

Elles ont l’art et la manière de le faire. Et l’énergie ne faiblit pas. Ne vacille même pas. À aucun moment. Dans un savant mélange de percussions faites maison, de sonorités très électroniques et de mix de presque tous les genres musicaux, les cinq énergumènes se complètent dans un tourbillon ovniesque.

Et pour cause, à l’initiative de cette incroyable formation : Missill. Connue et reconnue des Transmusicales, pour y avoir déjà enflammé la scène à plusieurs reprises, elle est une performeuse hors pair. Elle touche à tout et transforme tout en spectacle intelligemment barré.

Pas étonnant donc de la retrouver derrière, devant ou sur les platines, sauter, danser, chanter, crier avec panache et second degré. Et ça ouvre la performance à une autre dimension. Celle qui met la forme au service du fond, de l’engagement profond qui se niche dans chaque geste et chaque chanson.

Sur scène, dans les corps comme dans les voix, il y a de la puissance, de la sensualité, de la profondeur, de l’excentricité, de l’agressivité, de la détermination, de l’ambition, de la tradition, du métissage, de la communion, de la magie et de la force.

Les cinq artistes osent tout et ne se refusent rien. Ainsi, elles prennent la scène, captivent l’audience totalement charmée et abasourdie par la proposition et enflamment le hall du parc expo. Bravo.

Pages