Célian Ramis

Female Pleasure, l’émancipation après la violence

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Cinéma Arvor, Rennes
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Le 11 juin, le cinéma Arvor de Rennes et la rédaction de YEGG partageaient l'affiche pour une soirée projection - débat autour du film documentaire "Female Pleasure" de Barbara Miller. En présence de l'artiste-chercheuse Lis Peronti.
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Aujourd’hui encore, les femmes ne sont toujours pas libres de disposer de leurs corps. Sacralisé, diabolisé, sexualisé, il est un objet de désir, de tentation, de soumission. La réalisatrice Barbara Miller a filmé cinq femmes qui combattent au quotidien l’exercice de la domination masculine sur leurs corps et leurs sexes afin de s’affranchir des normes patriarcales qui, chaque jour, engendrent plusieurs milliers de victimes de violences sexistes et sexuelles. 

Le 11 juin, à 20h15, la séance affiche complet au cinéma l’Arvor de Rennes, obligé de refuser du monde. Face à la forte demande, une nouvelle projection aura lieu le 23 juin à 11h15, au même endroit. Cette fois, sans l’échange qui a suivi avec l’artiste-chercheuse Lis Peronti, bouleversée ce soir-là par le documentaire de Barbara Miller.

Le terme est le bon. Le film est bouleversant puisqu’il dévoile les témoignages intimes de cinq femmes différentes, issues de pays, d’éducation et de religion différentes, qui partagent hélas l’universalité du patriarcat et ses diverses formes de violences.

« Que s’est-il passé il y a des milliards d’années pour qu’ils s’en prennent à nos corps ? On nous contrôle, on nous mutile, on nous frappe, on nous viole et on nous fait porter le chapeau à cause de notre sexe. », s’insurge Leyla Hussein, dans l’introduction. 

CINQ FEMMES, CINQ SITUATIONS DE VIOLENCE

Elle est originaire de Somalie et vit en Angleterre. En tant que thérapeute, elle lutte à la reconstruction psychologique et émotionnelle des femmes excisées - dont elle fait partie - et œuvre pour la diffusion de l’information pour tou-te-s, menant à l’arrêt définitif d’une pratique qu’elle définit comme étant une agression sexuelle sur enfants.

Elle le dit haut et fort, l’excision n’est pas un problème africain ou même asiatique, c’est un problème mondial. Tout le monde est et doit se sentir concerné-e par cette problématique de mutilation génitale effectuée pour contrôler le corps des femmes.

« Qu’y a-t-il de si effrayant dans le fait qu’une femme ait des désirs ? Qu’elle soit un être sexué ? »
interroge-t-elle. 

Deborah Feldman, elle, a grandi dans une communauté hassidique de New York et raconte comment « dans le judaïsme radical, il est impossible en tant que femme de s’épanouir. » Mariée de force à un inconnu, elle devient rapidement mère d’un petit garçon, avec lequel elle finira par prendre la fuite. 

Une fuite qui lui vaut une déferlante de haine et de menaces de la part de sa communauté. Elle écrit alors Unorthodoxpour y relater son histoire et faire pression, au travers de la médiatisation qui se met en marche autour d’elle et de son ouvrage, sur cette dernière, devenant ainsi la première femme ayant quitté la communauté à obtenir la garde de son enfant. 

À l’autre bout de la planète, en Inde, Vithika Yadav se réjouit d’avoir épousé l’homme qu’elle aime. Mais « grandir en Inde, c’est se faire tripoter, peloter et harceler sexuellement n’importe quand et n’importe où dans l’espace public. » Des agressions sexuelles, elle en a subi. En silence tout d’abord. Avant de réaliser qu’elle voulait briser la culture du silence. 

Elle crée Love Matters, première et unique plateforme indienne à parler de vie affective et sexuelle. Pour « parler d’amour, de consentement mutuel, de la masculinité et des oppressions patriarcales parce que le plaisir est aussi important pour les hommes que pour les femmes. »

Doris Wagner voulait quant à elle dédier sa vie à la religion. D’Allemagne au Vatican, son existence va être quasiment anéantie par les viols à répétition que lui fait subir son supérieur hiérarchique. Elle pense mettre fin à ses jours mais finalement ne passe pas à l’acte. Lorsqu’elle sort du silence, la mère supérieure lui balance « Je te pardonne ». 

Les violences se multiplient, elle porte plainte au commissariat. L’affaire est classée sans suite. « La congrégation religieuse n’a pas pris position. Le père qui m’a violée est toujours prêtre. », signale-t-elle, désormais libre de penser par elle-même, libre d’être la femme qu’elle a envie d’être, loin de cette image pieuse imposée qui « prive de personnalité et de liberté ». 

C’est au Japon que Rokudenashiko exerce son art manga dans lequel elle aborde ses expériences personnelles. Un acte qui n’est pas sans difficultés et conséquences dans un pays où « les femmes doivent être invisibles, silencieuses, sourire et ne pas se plaindre » et où « les organes génitaux des femmes sont tabous ».

Arrêtée et jugée pour obscénité en 3D – à partir d’un moulage de sa vulve, elle a créé un kayak vulve – elle entreprend un combat contre l’injustice subie et poursuit son travail d’artiste :

« On vénère le pénis mais moi je dois répondre de l’art du vagin devant un tribunal ?! (…) Les BD contenant de la pédopornographie où les filles se font violer sont autorisées au Japon. »

LE RAPPORT À LA RELIGION

À la suite de la projection, la rédaction de YEGG – partenaire de l’événement – a invité l’artiste-chercheuse Lis Peronti, dont le travail et les performances, véritables outils de prise de conscience, de diffusion du savoir et d’échanges collectifs, participent à la réappropriation du corps de chacun-e.

Émue par la violence des actes racontés mais aussi par la résilience dont ces femmes font preuve, elle partage tout de même son regard sur les propos généraux du film : « On voit des parties très focalisées sur la religion donc on parle de femmes qui sont de plusieurs confessions, de plusieurs pays. Il faut se rappeler que ce sont dans ces situations spécifiques qu’elles sont en train de vivre ces choses-là. Dans d’autres situations, on vit plein de choses pas simples du tout non plus liées à la sexualité, au plaisir, au sexe. »

Ce rapport à la religion, elle l’avait déjà noté dans son travail autour des menstruations. Au Brésil déjà elle entreprenait des performances autour des règles et en venant en France pour poursuivre ses études d’arts plastiques, elle a rédigé un mémoire sur ce sujet auquel elle s’est intéressée dans plusieurs pays et plusieurs cultures.

« Dans plusieurs religions, dans les livres sacrés, il y a souvent cette interprétation disant que la femme, elle est sale, elle va souiller l’homme, parce qu’elle a ses menstruations. Comme on peut voir dans le film. Celle qui quitte la communauté hassidique en parle avec le rituel du bain. Ce bain que la femme prend quand elle vient d’avoir ses règles. », explique-t-elle. 

Si les interprétations religieuses influent sur les mentalités, on ne peut que constater que toutes les sphères de la société sont imprégnées de cette vision négative des règles, de ce dégout et de ce rejet du sujet.

MENSTRUELLEMENT FEMMES

Lis Peronti le dit et l’affirme, il est encore compliqué aujourd’hui, en France, de parler des menstruations, du sexe des femmes et de la sexualité. Elle le voit et le constate régulièrement lorsqu’elle explique ce sur quoi elle travaille.

La femme est sale, la femme est faible. « Alors que c’est juste parce que pendant notre cycle, on a une période très marquée, elle est marquée par le sang mais en fait, les hommes ont des augmentations et des baisses de testostérone tous les jours. Mais ce n’est pas marqué. », poursuit-elle. Selon elle, les menstruations contribuent à forger le rôle « Femme » dans lequel on continue en 2019 d’asservir la moitié de la population mondiale : 

« Souvent, c’est une excuse pour que la femme gagne moins, qu’elle n’ait pas tel ou tel poste parce qu’elle va avoir ses règles et donc être faible. En France, on est dans un état laïc mais quand même, on a des traces de la religion dans le comportement des gens. Il y a souvent cette histoire de la femme qui va être sale, être faible parce qu’elle saigne, elle ne va pas tenir le coup ou elle va être trop stressée parce qu’il y a les tensions prémenstruelles. »

Dans Female Pleasure, Deborah Feldman et Rokudenashiko abordent cette croyance de femme impure lors de la période menstruelle. L’artiste japonaise, condamnée pour obscénité en 3D, s’en défend : « Mon travail n’est pas sale. » Son histoire, Lis l’avait déjà entendue. Elle la connaissait et elle n’a pas pu s’empêcher la première fois qu’elle a vu le film de rigoler : 

« Cette fête de la fertilité, où les gens sont là en train de lécher et de sucer les sucettes de bite et tout va bien… C’est incroyable ! Alors pour elle, ils ont trouvé l’excuse qu’elle était condamnée à cause des données personnelles vendues sur Internet alors qu’elles ne les a pas vendues les données. Elle faisait un échange pour le financement de son kayak. Je trouve que c’est incroyable ! Mais même, tout ce que l’on voit dans le film, je trouve que c’est incroyable de vivre ça encore aujourd’hui. Incroyable et en même temps on le sait que c’est possible ! » 

PAS TOUTES LES FEMMES…

Dans le documentaire, Barbara Miller, de par un récit extrêmement bien construit, fait jaillir la violence inouïe subie par ces cinq femmes et plus largement par un grand nombre de femmes à travers le monde, au quotidien. Tous les continents et les contextes ne sont pas représentés, la réalisatrice s’en tenant aux témoignages de femmes cisgenres, présupposées hétérosexuelles. Un bémol regrettable qui tend à rendre visible un seul pan de la gent féminine.

Sans négliger leurs vécus et traumatismes, le film laisse un vide et un silence sur les lesbiennes, les bisexuelles, les femmes transgenres, les personnes intersexuées ou encore les personnes non binaires. L’artiste-chercheuse l’a bien noté et précise également qu’elle a manqué de « plaisir féminin » au cours de la projection. 

En effet, le titre peut être trompeur. Parce que finalement, on découvre là, non pas la libération sexuelle des cinq intervenantes, mais la manière dont elles ont été bridées dans leur éducation, dans leur apprentissage ou dans leurs expériences. Au fur et à mesure de l’histoire, le récit évolue et les femmes relatent petit à petit comment, concrètement, elles se sont affranchies des normes et des codes.

RÉSILIENCE ET ÉMANCIPATION

Comment elles en sont arrivées à un certain niveau d’émancipation. Un niveau suffisant pour s’affirmer femmes. Pour s’assumer femmes. Partant d’un traumatisme personnel, subi à cause de l’image et de l’assignation femmes, elles sont devenues des militantes féministes et partagent aujourd’hui leur combat pour que d’autres ne se sentent pas isolées et soient mieux informées et armées contre la domination masculine.

Pour Lis Peronti, tout est parti de sa fascination pour le sang menstruel. Sa manière de se déployer dans l’eau, de tourbillonner, d’exécuter une chorégraphie hypnotisante. Au fil de ses recherches, de ses réflexions, de ses rencontres, de ses échanges, de ses performances, de son travail de modèle vivante, elle s'est épanouie :

« Tout ça, ça fait réfléchir sur qui je suis et ça m’aide à me construire en tant que personne. Cette attirance pour la couleur du sang m’a ouvert une porte énorme, c’est là où j’ai commencé à lire des choses féministes, à me questionner, à me rendre compte de la façon dont j’agissais vis-à-vis du monde, des gens, de ma famille, de mes ami-e-s. »

Female Pleasure est un documentaire à voir. Qui rend compte d’une réalité cachée, tue, méprisée, minimisée. Comme le dit Lis Peronti tristement, « on en est encore là ». L’oppression patriarcale est bien ancrée, profonde. Elle établit une hiérarchie selon le sexe et le genre, avec d’un côté les privilégiés et de l’autre, les discriminées. 

AGIR ENSEMBLE

Partout des femmes se libèrent, s’affranchissent et se reconstruisent. Devenant plus fortes et puissantes. Devenant la plus grande peur du patriarcat. Mais elles sont encore minoritaires à accéder à la résilience et à pouvoir faire entendre leurs voix. Les hommes aussi ont leur rôle à jouer et surtout leurs responsabilités à prendre.

Et ça commence en se rendant dans une salle de cinéma comme celle de l’Arvor, dans une bibliothèque comme celle de l’association rennaise déCONSTRUIRE, en écoutant les propos des concernées sans les interrompre ou les remettre en question, en lisant et en partageant régulièrement nos articles, en demandant des conseils de lectures aux libraires de la Nuit des Temps par exemple ou en écoutant des émissions comme Les Héroïnes sur Canal b.

Ecoutez, lisez, regardez, interrogez-vous. Chacun-e peut agir à son échelle. On rappelle qu’une nouvelle projection de Female Pleasure aura lieu à l’Arvor, le 23 juin à 11h15.

Célian Ramis

Pilosité : être en accord avec son corps !

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Avoir du poil aux pattes, c’est la honte. Une touffe sous les bras, c’est dégueu. Et quand c’est l’anarchie sur le pubis, n’en parlons pas. Alors, on enlève tout. Par culpabilité inculquée par une vision patriarcale du corps des femmes.
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Avoir du poil aux pattes, c’est la honte. Une touffe sous les bras, c’est dégueu. Et quand c’est l’anarchie sur le pubis, n’en parlons pas. Alors, on enlève tout. Par culpabilité inculquée par une vision patriarcale du corps des femmes.

La pilosité féminine, c’est le sujet qu’a choisi d’analyser la comédienne et clown Estelle Brochard dans sa conférence gesticulée Le poil incarné, présentée le 7 juin à 20h à la Maison de quartier Villejean. 

« Pourquoi se torturer le corps alors qu’on n’en a pas envie ? C’est psychologiquement tordu ! », s’exclame-t-elle, aussi amusée qu’indignée. Si c’est psychologiquement tordu, c’est parce que l’injonction à s’épiler n’est pas exprimée de manière explicite. Elle est insidieuse : 

« Dès l’adolescence, c’est terrible, on sent le regard des hommes sur notre corps, on sent les jugements sur ce qu’on porte, sur nos poils. Sans qu’on nous oblige à nous épiler, on sent qu’il ne faut pas qu’on les garde. »

Il suffit d’observer les photos dans les médias, la représentation des femmes dans les publicités, les personnages féminins dans les dessins animés, les films, les séries, etc. pour s’apercevoir que toutes les images dévoilent des corps dépourvus de poils. Ainsi, la gent féminine intègre cette information dès le plus jeune âge.

« Ça nous incite à avoir une image négative sur nos corps. On en vient à faire quasi des triples journées. Entre la vie perso, le travail, les taches domestiques et l’épilation, qui prend du temps, qui fait mal, etc. Faut souffrir pour être belle, ça devient normal. Je suis venue à parler de ce sujet-là parce que ça devenait oppressant. J’ai fait le défi de garder mes poils pendant un an. Et là, ça fait un an et 5 mois. C’est devenu un acte politique car je ne peux pas les trouver beaux puisque je n’ai aucune référence de beauté avec des poils. », commente Estelle Brochard qui a depuis rejoint Liberté, pilosité, sororité, un collectif féministe non-mixte luttant en faveur de l’acceptation de la pilosité féminine. 

#ENQUÊTE ÉPILATION

L’enquête Épilation, réalisée par le collectif auprès de 6000 femmes, vient corroborer son propos : environ ¾ des femmes trouvent que leur pilosité est – au moins un peu – laide et près de 8 femmes sur 10 déclarent que leur pilosité leur inspire au moins une émotion négative ; la honte étant l’émotion négative la plus fréquemment éprouvée (par au moins la moitié des femmes).

Le reste des résultats est tout aussi effarant puisqu’il apparaît que seulement 2,7% des répondantes déclarent ne jamais avoir rencontré d’effets secondaires ou de blessures en retirant leur pilosité. Ce qui implique que plus de 7 femmes sur 10 se blessent ou rencontrent des effets secondaires dus à l’épilation ou au rasage.

Si les femmes se torturent donc en se triturant les poils, c’est par injonction confirme l’étude : « Sur une échelle allant de 1 à 10, les répondantes devaient évaluer l’intensité de l’injonction au glabre (1 = Nulle, aucune injonction ; 10 = Très forte ; il est quasi impossible d’échapper à l’injonction). Près de 8 femmes sur 10 ont mis une note égale ou supérieure à 7. »

Le collectif Liberté, Pilosité, Sororité précise en début d’article, à lire sur le site collectiflps.wordpress.com, que leur échantillon surreprésente les femmes âgées entre 20 et 39 ans, féministes, élèves, étudiantes ou appartenant à la classe socio-professionnelle des cadres et professions intellectuelles supérieures.

Et également que « plus une répondante se dit féministe, plus il y a de chance qu’elle ait arrêté de s’épiler ou de se raser ; aussi il est moins probable qu’elle soit épilée ou rasée tout au long de l’année. Les femmes féministes sont par ailleurs moins nombreuses à trouver leur pilosité laide. »

OÙ SE SITUER ? COMMENT SE POSITIONNER ?

Pour Estelle Brochard, la conférence gesticulée permet de se positionner sur un sujet encore méconnu et tabou, sans toutefois culpabiliser le public. Témoigner de ses expériences, qui souvent « parlent aux femmes, et font découvrir la problématiques aux hommes », interroger cette injonction qui participe au contrôle du corps des femmes, réfléchir ensemble et surtout « redonner du sens à nos quotidiens » sont les objectifs de la comédienne, pour libérer la parole et agir ensemble vers l’émancipation de chaque individu. 

Issue d’une famille « tranquille et silencieuse » qui transmet, comme la plupart des familles et des professionnel-le-s, une éducation genrée dans laquelle « les filles sont sages et ne font pas de vagues », la conférence lui a donc permise de prendre la parole et d’oser mettre un positionnement sur cette thématique si importante car « totalement invisibilisée ».

Et c’est aussi un moyen pour elle de ne plus être derrière un personnage. « Je suis comédienne et clown. Et avec le clown, j’ai un solo à partir de 3 ans mais je n’arrivais pas à atteindre ce que je voulais car avec le clown, les gens attendent de rire. Moi, ce que je veux, c’est questionner, débattre ensemble. Avec la conférence gesticulée, je peux me mettre à nu de manière personnelle. Ce que je faisais dire à mon clown, forcément ça ne sortait pas de la même manière. », souligne-t-elle. 

Elle a grandi sans entendre prononcée la fameuse injonction à s’épiler. Et pourtant, elle l’a intégrée. Comme la majorité des jeunes filles : « Au collège, j’étais timide, avec de l’acné… On m’a pas forcé à m’épiler mais j’ai senti, et c’est en ça que c’est insidieux, qu’il ne fallait pas en plus que je garde mes poils… »

Elle poursuit :

« J’ai développé un sentiment d’injustice. Pourquoi les femmes sont-elles obligées alors que les hommes non ? C’est de l’auto-mutilation. On en vient à faire des actes qui nous font mal alors qu’on n’a pas envie de le faire ! C’est tordu ! »

Les médias se régalent de cette culpabilité et jette de l’huile sur le feu en déversant tous les jours des images de femme unique. Blanche, mince, hétéro, sexy. Sans poil. D’où la difficulté à se distancer de la prétendue norme et de la pression.

Estelle Brochard commente les réactions, souvent gênées, des personnes qui découvrent qu’elle ne s’épile pas. Il y a des rires de gêne et des regards surtout. Mais peu de remarques désobligeantes (hors lâcheté numérique bien entendu). Et parfois, des phrases débiles :

« J’ai commencé par laisser pousser juste sous les aisselles au début. On m’a dit que c’était sale et que j’allais repousser les hommes. », rigole-t-elle. « Il y a plein d’idées préconçues en fait, notamment avec l’argument de l’hygiène alors que les poils constituent des barrières naturelles. En fait, ce qui me fait rire, c’est que je me suis découverte féministe à ce moment-là. La question des poils n’est pas isolée, elle fait parti de la réappropriation du corps. Je suis beaucoup plus en accord avec mon corps depuis que j’ai arrêté de m’épiler. »

LE POIDS DU POIL

Il y a le poil de la virilité et le sans poil de la féminité. Raser le pubis des sorcières, tondre les cheveux de celles qui ont couché avec l’ennemi. Cheveux et poils ont des connotations très fortes dans l’histoire du corps des femmes.

La conférence gesticulée « Le poil incarné » entend humblement rendre cette question visible. Sans amener de la culpabilité du côté de celles qui s’épilent :

« L’objectif ici est de pouvoir en parler, de poursuivre la réflexion petit à petit, d’y réfléchir et de ramener du sens dans nos actes.  Que le poil soit plus visible dans le collectif et dans le collectif artistique. »

Elle le dit et le redit, l’injonction est très insidieuse dans l’éducation et « le poids est tellement lourd ! » Sortir en jupe la première fois sans être épilée ? « Pas évident ! » La deuxième et la troisième ? « Pas évident non plus mais on s’y fait, petit à petit. »

Ce spectacle d’éducation populaire, elle espère le faire tourner dans les collèges et les lycées. Pour « requestionner la pub, le rapport aux médias, la pornographie, les violences de genre. » Parce qu’à travers cette question, « on peut parler de plein de choses à propos du corps des femmes ! C’est une déconstruction totale et pour les hommes, c’est déroutant, ils ne voient ça nulle part et ils ne voient pas le temps qu’on y passe, la douleur, l’organisation, etc. Pour nous, c’est du quotidien mais pour eux, c’est invisible. »

Estelle Brochard veut aborder ce sujet de manière légère et drôle. Sans dramatiser mais sans pour autant ignorer les constats. Alors ça perturbe, ça choque, ça alimente les discussions à la terrasse d’un café, les poils font partis de nous, femmes et hommes. Ce qui change, c’est le regard qu’on leur porte.

Célian Ramis

"Récits de femmes" : le territoire comme point de départ pour se raconter

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Lire Récits de femmes, c’est entrer dans une partie de l’intimité de nos voisines. Au cœur du sud ouest rennais, la Maison de Suède a entrepris de recueillir la parole des femmes du quartier et de dresser leurs portraits.
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Lire Récits de femmes, c’est entrer dans une partie de l’intimité de nos voisines. De celles qui marquent de leur empreinte le territoire. Au cœur du sud ouest rennais, la Maison de Suède a entrepris de recueillir la parole des femmes du quartier et de dresser leurs portraits. Le 29 mars, à la MJC, était inauguré l’ouvrage collectif qui sera prochainement diffusé en libre distribution sur place, dans les bibliothèques, les centres sociaux et les MJC.

Inès, Julie, Karima, Lolita, Martine, Monique, Rachida, Valérie et Zarha se sont livrées à la plume d’Alice Dragon et à l’objectif de Frédérique Jouvin se racontant au fil des pages, grâce au travail d’Elsa Baudon. C’est de là que part le cœur du projet mais ce vendredi 29 mars, on comprend que c’est tout un quartier que fait palpiter la Maison de Suède.

Comme le dit le président de la MJC, Simon Victor, dans l’édito du livre : « Il existe, dans l’agglomération rennaise divisée en cinq quartiers, une petite cité nommée « ilot Suède » située dans le quartier de Bréquigny. Depuis quelques années, les habitant.e.s de cet ilot évoluent autour d’une petite structure : la MJC Maison de Suède. Dans ce lieu où se rencontrent les habitant.e.s de tous âges, où émergent des projets communs, un petit groupe de femmes ont appris à se connaître et à vivre ensemble au gré des années. »

Ce soir-là, autour de ce lieu, c’est vivant. Devant la salle, ça grouille de monde, d’enfants qui jouent, d’ami-e-s et de familles qui se retrouvent. Il y a des sourires, de la bienveillance dans les regards mais aussi beaucoup de joie et de fierté dans les yeux de celles qui ont participé au projet.

Fières d’avoir vu naitre les prémices du bouquin lors des ateliers de lutte contre les discriminations, proposés à l’occasion des rendez-vous à l’espace parents de la Maison de Suède. Fières de s’être livrées et de partager aujourd’hui une partie de leurs histoires intimes avec quiconque aura la volonté et la curiosité de se plonger dans leurs quotidiens, si bien racontés en textes et en images.

Si bien contés également puisque pour l’inauguration, c’est à travers la bouche et le corps de la comédienne Anaïs Vasseur que s’expriment les voix de nos Suédoises locales. Leurs épreuves, leurs espoirs, ce à quoi elles aspirent, ce en quoi elles croient. Comme par exemple la solidarité et l’entraide dans ce havre de pluralité.

De leur rapport à la religion à l’éducation des enfants, en passant par la case prison, le diagnostic d’un handicap, d’une maladie, la rencontre avec celui qui deviendra le mari de toute une vie, la révélation d’un métier passion… Elles dévoilent ici les grandes lignes qui jalonnent leurs parcours ainsi que les étapes marquantes de leur existence, tant dans les difficultés que dans les moments d’immense gaieté.

La barrière de la langue, le croisement des cultures, la vie en collectivité, ici, on en parle simplement et librement et on ne parle pas d’intégration, de diversité et de vivre ensemble (ou de « faire société »). Le livre n’emprunte pas la langue de bois bien lissée de la politique française, il souligne le quotidien, le vécu et le ressenti de ces femmes que la société voudrait bien enfermer dans des cases.

Les expériences de vie sont différentes mais elles ont toutes en commun l’envie de partager. Que ce soit à la Maison de Suède lors d’ateliers spécifiques ou d’événements ponctuels ou dans les lieux de vie des unes et des autres, elles insufflent ce côté « grande famille ». Et comme dans toutes les grandes familles, il y a des hauts et des bas, elles ne le nient pas.

Mais on sent leur envie de communier et d’apporter un regard différent sur ce quartier souvent stigmatisé et méconnu. On ressent ce lien fort qu’elles ont chacune construit avec la Maison de Suède qui bâtit un véritable pont entre les personnes désireuses de se rencontrer, de se rassembler. Majoritairement des femmes à en croire le bouquin. Majoritairement des mamans. Mais pas seulement.

Il y a une force contagieuse dans les propos. Qu’ils soient retransmis par Anaïs Vasseur, qui croise la narration indirecte avec un micro et la narration directe hors micro, par Alice Dragon, qui entre dans leur intimité tout en respectant leur pudeur, ou par Frédérique Jouvin, qui saisit leurs univers et environnements plus que leurs visages, ils racontent les femmes dans toute leur force, leur pluralité et leur complexité.

Toutes les participantes de cette création nous amènent à découvrir, avec simplicité, leurs histoires. Diverses mais croisées et communes de par leur attachement à leur territoire et à ce lieu de vie qu’est la Maison de Suède. Leurs histoires forment alors un morceau de l’Histoire du quartier que l’on peut alors observer à travers leurs yeux et leurs cœurs.

Dans la lignée de l’exposition Celles du Blosne racontent, réalisée par Christine Barbedet, Martine Sauvage et Stéphanie Priou, du livre Discrètes, paroles de Bretonnes, de Anne Lecourt ou encore du livre-spectacle Langues en exil féminin pluriel, réalisées par les membres de l’association Déclic femmes, Récits de femmes vient conforter l’idée que, même si elles sont souvent invisibilisées et que leurs paroles sont minorées, les femmes participent et font la vie du territoire et surtout osent, se dévoilent et prennent l’espace et la parole.

Célian Ramis

Violences : la bataille contre le sexisme

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Face à l'étendue des violences exercées à l'encontre des femmes, il n'est pas toujours évident de réagir. Manifestations, témoignages, écoute, empathie, solidarité, coups de gueule... Les combattantes d'aujourd'hui ont mille façons d'agir individuellement et:ou collectivement.
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« Le temps de la colère, les femmes / Notre temps est arrivé / Connaissons notre force, les femmes / Découvrons nous des milliers ! Reconnaissons-nous, les femmes / Parlons-nous, regardons-nous / Ensemble, on nous opprime, les femmes / Ensemble, révoltons-nous ! »

Le 24 novembre dernier, à Rennes comme ailleurs en France ce même jour, l’Hymne des femmes parcourait les rangs de la marche contre les violences sexistes et sexuelles.

Elles (et ils) étaient plusieurs milliers, main dans la main, à dénoncer toutes les violences à l’égard des femmes, à affirmer que « Non c’est non » et à revendiquer le droit à être les égales des hommes. D’une seule voix, elles ont prôné leur droit à la liberté.

Fin 2017, l’affaire Weinstein, #MeToo et #BalanceTonPorc agissaient en véritable accélérateur des consciences. La société, ahurie, découvrait une partie de l’ampleur des violences contre les femmes... En 2018, la question bouillonnante de la place des femmes n’a pas cessé d’agiter l’actualité française, européenne et internationale. Et pour chaque avancée, il a fallu essuyer les retours de bâton d’un patriarcat malheureusement très implanté et infusé dans toutes les sphères de la société. Susan Faludi, essayiste et gagnante du Pulitzer, l’écrivait déjà en 1991, dans son livre Backlash : « En effet, il s’agit d’un phénomène récurrent : il revient à chaque fois que les femmes commencent à progresser vers l’égalité, une gelée apparemment inévitable des brèves oraisons du féminisme. » (Newsletter n°16 des Glorieuses, 26 décembre 2018, « Après le retour de bâton, la révolution »). Heureusement, nombreuses sont les révoltées, militantes, résistantes et combattantes du quotidien. Marianne, symbole de liberté, a désormais des milliers de visages.

On oublie souvent qu’un des plus forts symboles de la République est une femme. On oublie souvent de la citer. Pourtant, elle est une guerrière affranchie de ses entraves. Une femme qui ose prendre les armes pour défendre ses droits et sa liberté. Une personnalité qui aujourd’hui représente la citoyenneté dans sa globalité et qui prend de temps à autre des allures de grandes stars, telle une Brigitte Bardot ou une Catherine Deneuve (celle-là même qui début 2018 signait une tribune réclamant le droit à être importunée, avant de présenter ses excuses face à une polémique dépassant les meilleures attentes d’un patriarcat qui savoure bien paisiblement devant son écran la bataille des femmes contre les femmes).

Récemment, cinq Marianne ont attiré l’attention des médias à l’occasion d’une action éclair le 15 décembre lors d’une manifestation des gilets jaunes à Paris. Sur les Champs Elysées, seins nus, corps et visages recouverts de peinture argentée et gilets à capuche rouge, elles s’opposent, immobiles et en silence, à un cordon de CRS. Selon Franceinfo, il s’agirait d’une performance que l’on devrait à l’artiste luxembourgeoise, habituée des happenings, Déborah de Robertis.

On aime l’image, on aime le message, on aime imaginer une Marianne aux multiples visages, profils, parcours et origines. Lesbienne, trans, noire, grosse, mince, hétéro, bi, activiste ou non, croyante ou non, issue de la classe ouvrière ou de la classe bourgeoise, occupant une fonction plus ou moins importante ou recherchant un emploi. Peu importe, face aux violences, elle lutte. Avec acharnement. Sa quête toujours en tête : la liberté. 

LES VIOLENCES, QUELLES VIOLENCES ? 

En 2018, 22% de violences supplémentaires à l’encontre des femmes sont constatées par le ministère de l’Intérieur, ayant présenté les chiffres de la délinquance en septembre dernier. Une augmentation peu surprenante qui va de pair avec l’après #MeToo et #BalanceTonPorc, mouvements qui ont permis de rassembler les témoignages des femmes victimes de violences, révélant davantage l’ampleur des inégalités entre les femmes et les hommes.

Révélant également le silence plombant et les nombreuses conséquences des idées reçues qui régnaient depuis tout ce temps au-dessus de ces sujets. Que sait-on réellement des violences exercées à l’encontre des femmes ? Après deux ans d’enquête sur les féminicides, la journaliste essayiste Titiou Lecoq fait le bilan dans Libération, le 3 janvier 2019 dans un article intitulé « Meurtres conjugaux : deux ans de recensement, plus de 200 femmes tuées et tant de victimes autour ».

Elle décortique et analyse les maux et les mots : « Il y a un point commun : ce sont des hommes qui tuent des femmes parce qu’ils considèrent qu’elles doivent leur appartenir. Qu’elles n’ont pas le droit de partir, de tromper, de refuser, de crier, de reprocher, de faire la gueule, d’agir comme bon leur semble. Ils ne supportent pas qu’elles soient des personnes libres et indépendantes. Ils ne tuent jamais par amour. Ils ne tuent pas parce qu’ils aiment trop. Ils tuent pour posséder, et posséder ce n’est pas et ce ne sera jamais aimer. » 

Elle poursuit, bien décidée à ce que l’on appelle un chat un chat et un meurtre un meurtre : « Mais le plus terrible au milieu de toutes ces horreurs, c’est qu’il y ait encore des procureurs pour déclarer :

« C’est une séparation qui se passe mal. » Autre phrase fausse : tous les trois jours une femme meurt sous les coups de son compagnon. Nous devrions la rayer de nos formules toutes faites. Ces femmes ne meurent pas sous les coups. Elles sont tuées. Parfois elles sont battues à mort, mais pas toujours. Outre que cette phrase passe sous silence l’intention meurtrière, elle invisibilise l’étendue du phénomène en ne prenant pas en compte les survivantes. La réalité, c’est que presque tous les jours, en France, un homme tente de tuer sa compagne ou son ex-compagne. » 

Autre vérité dont elle fait état dans son article : il s’agit bel et bien de tentatives d’homicide et les chiffres ne prennent en compte que les meurtres commis par le partenaire ou l’ex-partenaire. « Si on ne parle que d’une femme tuée tous les trois jours, c’est uniquement parce que le taux de réussite n’est pas de 100%. », souligne-t-elle, à raison. 

DROIT DE VIE ET DE MORT 

Certaines s’en sortent. D’autres sont tuées parce qu’elles ont refusé les avances d’un homme. D’autres encore se suicident. Malgré tout, elles restent souvent présumées coupables. Elles ont dû le chercher, elles ont dû le mettre en colère, elles ont dû le provoquer...

Début janvier, la décision de la Commission d’indemnisation des victimes frappe les mentalités. Rappelons les faits : un soir en 2013, au Mans, la police intervient au domicile d’un couple. En effet, l’homme vient d’agresser un ami commun. Les forces de l’ordre conseillent à sa compagne de ne pas rester dans l’appartement mais il n’y a plus de train pour rejoindre sa famille, elle n’obtient aucune réponse favorable du 115 et de son entourage, elle dort sur place.

Quelques heures plus tard, il la défenestre, la frappe à nouveau au sol, le tout causant sa paraplégie. Il est condamné à 15 ans de prison mais la commission d’indemnisation des victimes ne retient qu’une indemnisation partielle, établissant qu’il y a un partage de responsabilité et que la femme a commis une faute civile en restant chez elle. L’information choque. 

Et pourtant, régulièrement, les femmes sont placées sur le banc des accusées tandis qu’elles dénoncent des situations dont elles sont victimes. Violences conjugales, féminicides, agressions sexuelles, viols... Les faits sont minimisés, les témoignages peu pris en compte et les plaignantes culpabilisées, voire humiliées.

« La folie prend la forme de notre société, et dans une société sexiste où les femmes, leurs corps, leurs vies, sont toujours soumises au contrôle, dans une société où elles n’ont pas encore acquis leur droit réel à exister en tant que telles, la folie des hommes reflète les processus de domination sous-jacents qui font nos implicites sociaux. Elle cristallise le sexisme ordinaire comme un précipité chimique et le transforme en son point le plus extrême : le droit de vie et de mort. », explique Titiou Lecoq dans Libération.

PAS UNIQUEMENT PHYSIQUES 

Plus percutantes dans les esprits, les violences physiques et sexuelles sont souvent les premières citées, les plus médiatisées aussi. On pense aux femmes battues, aux femmes violées, aux femmes mutilées. Pourtant, les violences prennent diverses formes et se nichent dans bien des détails. 

Quand on lui demande à quoi cela fait référence pour elle, Morgane, 44 ans, répond : « Aux coups, aux gifles, aux baffes, aux coups de pied dans le ventre. Au viol. Aux mains aux fesses et à toutes les agressions sexuelles du même type. À un mari, un concubin, un conjoint qui forcerait sa femme, sa concubine, sa conjointe à avoir un rapport sexuel. Mais les discriminations professionnelles (salaires, plafond de verre, postes à responsabilités inaccessibles, etc.) et privées (tâches ménagères, charge mentale et émotion- nelle) peuvent aussi être violentes... Une blague sexiste, un commentaire dans la rue sont des violences, un collègue qui mate ton boule, un autre qui met des calendriers de femmes nues dans son bureau, etc. c’est violent ! » 

Virginie, 31 ans, pense instantanément à la violence psychologique. Celle qui peut mener ensuite à la violence physique. « Ça commence toujours en général par le psychologique. Ça me fait penser à mon expérience personnelle familiale, à ce qu’a vécu ma mère, à ce qu’ont vécu mes sœurs. J’ai grandi avec un père pervers narcissique. On dit que c’est un terme à la mode, moi, je trouve ça dur qu’on dise ça car ça décrédibilise. Je ne crois pas que ce soit à la mode, simplement, aujourd’hui on met enfin un mot sur une attitude dangereuse des hommes comme ça. Il y a aussi des femmes, je sais, mais ce sont généralement des hommes. À cause de lui, on a vécu des violences psychologiques et de la manipulation psychologique parce qu’on était des femmes et donc qu’on avait aucune valeur. Après, j’ai subi d’autres violences, comme malheureusement 90% des femmes de mon âge : des relations non consenties, des regards sur nos corps qui nous ont fait beaucoup de mal parce qu’on ne voulait pas être regardées comme ça, des violences de rue gratuites qui s’ajoutent à celles de la rue (peur de l’inconnue, peur de se faire agresser, etc.). C’est la double peine. », analyse-t-elle. 

LA DOUBLE PEINE 

Interroger les femmes sur leurs vécus de femmes, c’est prendre le risque de s’exposer à des violences inouïes. Parce qu’elles ont toutes, la plupart du temps, des récits lourds, qu’ils aient été conscientisés ou non. 

Pour Anne, 40 ans, c’est en répondant à la question qu’elle en vient à réaliser que subir de la violence quand on est une femme est quasiment une norme acceptée :

« Je ne m’intéresse pas particulièrement au sujet mais je trouve qu’il est de plus en plus visible dans les médias. Assez, je ne sais pas, car finalement c’est montré, mais seulement montré. Étrangement, à l’idée de l’avoir vécue cette violence, j’aurais dit que non au premier abord. Mais en fait, si. Se faire traiter de « connasse », « pétasse », etc. est d’une violence déjà incroyable. Sans aller jusqu’aux insultes, cela peut passer par des remarques régulières très rabaissantes. Et là, ce qui peut faire peur c’est que ça en devient banal. Et je me rends compte en répondant à cette question, que j’ai failli banaliser ce qui a pu m’arriver, pensant que « quand même il y a pire et que j’avais qu’à ceci...cela. » C’est dingue le mécanisme de culpabilisation qui se met en place ! »

De son côté, Virginie évoque aussi ce rapport à la normalité : « Je pensais que tout le monde vivait ça. Que c’était normal. J’en ai toujours vécu et vu dans mon voisinage, mon entourage... Comme si on devait subir ça parce qu’on n’avait pas le choix. En faisant une thérapie, j’ai réalisé que je n’avais pas à subir quelque chose que je n’accepte pas. Par là, je suis arrivée à en parler avec des amies qui lisaient, se renseignaient sur le sujet. Mais là, on a 30 ans, on est entre adultes, c’est plus simple en quelque sorte. Je voudrais que la prise de conscience arrive plus tôt. Que dès l’école, le collège, le lycée, la parole se libère. Je me rappelle cette époque-là, avec la peur d’être une salope, d’être considérée comme une salope, une fille facile. C’est une violence et ça m’a toujours énormément pesé. » 

APPRENDRE À SE TENIR À SA PLACE... 

Dès la petite enfance, l’éducation genrée va venir inculquée aux filles et aux garçons de nombreuses assignations dues à leur sexe. Elles aiment le rose, jouer à la poupée et au poney, sont douces, discrètes, polies. Elles rêvent d’être chanteuses, coiffeuses ou actrices. Elles feront des études littéraires et seront puéricultrices, institutrices ou assistantes sociales.

Ils aiment le bleu, jouer au foot et à la bagarre, parlent forts, prennent toute la place, se font sans cesse reprendre en classe parce qu’ils sont indisciplinés. Ils rêvent d’être médecins, astronautes, sportifs de haut niveau ou encore ingénieurs. Ils feront des études scientifiques et deviendront médecins, astronautes, sportifs de haut niveau ou encore ingénieurs. 

C’est caricatural ? Non. Le champ des possibles, pour les filles, se réduit à mesure qu’elles grandissent. Car depuis leur tendre enfance et cette chère poupée qu’elles coiffent, habillent, promènent en poussette et changent, cette chère dinette, grâce à laquelle elles ont cuisiné tant de bons petits plats à leurs poupées, ce bon vieux package ‘balai, serpillière’ avec lequel elles ont tellement amusé leurs parents en mettant de l’eau partout sur le sol, elles ont été conditionnées à s’occuper de la sphère privée : tâches domestiques et éducation des enfants sont leur grand dada, quand elles ne sont pas occupées à rêver du prince charmant des Disney et des contes pour enfants. 

Doucement mais surement, bien imprégnées de la culture du viol diffusée en masse dans les publicités, les jeux vidéos, les films, les médias, etc. elles intègrent qu’elles sont des objets à disposition des hommes et traitent au quotidien avec une charge mentale à nous faire péter les plombs dès le petit matin. Les violences sont vicieuses, pernicieuses, tapies dans l’ombre mais constamment et confortablement installées dans les souliers pas du tout douillets de la moitié de l’humanité qui subit, persuadée que « c’est normal ». 

Les injonctions sont nombreuses et sortir des assignations, c’est s’exposer à un rappel à l’ordre : quand une femme outrepasse sa fonction, elle paye une note plus ou moins salée et traumatisante. Cela peut être dans un commissariat où l’on ne prendra pas sa plainte parce qu’au moment des faits elle avait bu ou qu’elle a suivi le mec chez lui avant de lui dire « Non », un Non qui veut pourtant dire Non. 

Cela peut être dans l’entourage proche ou professionnel persuadé que celle qui dénonce « exagère» parce que « franchement, Marc, de la compta, c’est un gars bien, propre sur lui, beau gosse » qui n’a aucune raison de s’en prendre à Annabelle, une « fille banale ».

On la changera peut-être de service si elle persiste dans ses dires. On éloignera une femme de son foyer si son mari s’avère vraiment violent. On cherchera à atténuer les propos, à nuancer les actes mais rarement à traiter la source du problème. Et les femmes en pâtissent, souvent dans le plus grand silence. 

« Je me suis sentie très vulnérable face à la brutalité masculine, physiquement bien sûr mais mentalement aussi quand mes agresseurs ont ri de moi... Tous les jours, mes amies et collègues subissent des réflexions, des discriminations, sont contraintes de prouver qu’elles sont capables de bien faire leur boulot, qu’elles sont légitimes à leur poste, qu’elles n’ont pas à attendre l’assentiment de quiconque (généralement un ou des mecs) pour porter une jupe courte, pour rire fort et gras, pour bouffer avec les mains des frites bien grasses, pour draguer, pour picoler, pour baiser, avorter, enfanter, pour faire la vaisselle et de la couture si elles veulent, ou pas. Bref, la violence, c’est aussi ça, que chacun de nos gestes, chacune de nos paroles, chacun de nos choix, soient dictés par le patriarcat, soit épié et condamné quand ça ne colle pas aux codes de notre bonne vieille société patriarcale. », s’insurge Morgane, bien lasse et scandalisée « d’être traitée d’hystérique dès que tu émets une idée et c’est pire quand tu gueules légitimement contre un truc. »

Elle poursuit :

« La violence c’est de vouloir faire de nous de pauvres petites choses fragiles, douces, soumises, dociles, à la cuisine, au supermarché, avec les mômes mais surtout pas dans les sphères politiques, entrepreneuriales, financières, à des hauts postes, au comptoir des cafés, etc. ça non, surtout pas et ça, c’est violent. » 

DIFFICILES À NONCER 

Depuis longtemps, les femmes dénoncent les inégalités. En attestent les luttes féministes et les avancées obtenues grâce à cela. Malgré tout, les résistances perdurent et les retours de bâton sont bel et bien présents. Les militantes sont traitées de feminazies, d’anti-hommes, de mal baisées, etc. Parce qu’elles osent mettre en évidence les conséquences d’un patriarcat trop peu remis en question et souvent jugé comme obsolète.

Rappelons-nous de ce fameux JT de France 2, présenté par un David Pujadas sûr de lui en annonçant que la fin du patriarcat datait des années 60... On a alors tendance à vouloir très vite éteindre le feu dès lors qu’une femme souffle sur les braises et réanime la flamme d’une lutte complexe puisqu’elle touche à l’ensemble d’un système social et politique, profondément sexiste, raciste, classiste et LGBTIphobe.

Difficile là-dedans de faire entendre sa voix sans que celle-ci ne soit isolée, méprisée, décrédibilisée, voire assassinée, comme tel est le cas de la brésilienne Marielle Franco, tuée en mars 2018. Elle dérangeait une partie de la classe politique. Ses opposants l’ont tuée. Alexia Daval aussi dérangeait son mari. Elle l’étouffait, il parait. Il l’a tuée. L’opinion publique est secouée.

Mais le doute subsiste pour certain-e-s qui persistent à penser qu’elle détient une partie de la responsabilité de sa propre mort. Fallait pas faire chier. Fallait pas atteindre la virilité de son homme. L’ambivalence est le meilleur allié du patriarcat qui aime semer le doute, diviser. 

Et même avec une conscience politique et engagée autour de ces sujets, il est très compliqué de prendre conscience, de nommer, de dénoncer et de ne pas culpabiliser. Manon, 25 ans, s’intéresse de près à ces thématiques.

« Ma grand-mère maternelle est une ancienne femme battue, j’ai donc toujours eu conscience de cette violence physique. Le sujet a souvent été évoqué dans les repas de famille car ma grand-mère disait que mon grand-père était un connard et ma mère répliquait qu’elle aurait dû partir plus tôt. Personnellement, j’ai été violée mais j’ai mis plusieurs années à me rendre compte que c’était un viol malgré le fait que j’avais déjà un éveil féministe à l’époque. Cela ne m’a pas empêché de subir des violences psychologiques de la part des hommes. Au quotidien, je ne sais pas si je vis des violences. J’ai la chance de ne pas subir de harcèlement. Peut-être en ligne où les hommes ont facilement tendance à m’ajouter sur Facebook ou Instagram car ils me trouvent jolie. Pour moi, qu’on puisse être attiré par moi est une violence depuis mon adolescence. C’est quelque chose que je n’ai jamais recherché, que je n’ai pas demandé mais on me le fait comprendre quand même.» 

La question du consentement apparait dans le débat comme extrêmement complexe. Parce qu’il y aurait le « Non qui veut dire Oui » et la fameuse zone grise. Celle de l’hésitation, celle des signaux brouillés, voire contradictoires. Rapidement, des explications viennent éclairer la problématique pour montrer de manière assez efficace en quoi elle est, en réalité, très simple. Déjà, Non veut dire Non. Ensuite, il suffit de poser des questions, d’écouter la personne et de la respecter dans ses choix, y compris si celle-ci change d’avis en cours de route. 

Dans sa vidéo Tea Consent, Blue Seat Studios utilise la métaphore de la tasse de thé pour démontrer la simplicité de la question : « Si vous êtes capable de comprendre qu’il est totalement ridicule d’obliger quelqu’un à boire du thé alors que cette personne n’en veut pas, et si vous êtes capable de comprendre quand les personnes ne veulent pas de thé, est-ce si difficile de comprendre ce raisonnement lorsqu’il s’agit de sexe ? Qu’il s’agisse de thé ou de sexe, le consentement, c’est primordial. » 

Pourtant, on cherche encore les preuves de consentement dans les tenues ou attitudes des femmes. Une jupe courte, un sourire, un silence sont encore, dans l’imaginaire collectif, des signaux d’encouragement, des marques de désir d’être convoitées et objetisées, jusqu’à l’agression sexuelle ou le viol.

Et quand certaines tentent d’expliquer les rouages et conséquences de la culture du viol, comme l’a fait la youtubeuse Marion Seclin à propos du harcèlement de rue, elles reçoivent insultes, menaces de viols et de mort. Plus les femmes témoignent, plus en face se multiplient les démonstrations de misogynie, de sexisme, de racisme et d’homophobie. 

NIER LA MOITIÉ DE L’HUMANITÉ

En élisant des Donald Trump, Jair Bolsonaro, en acquittant des Denis Baupin ou Georges Tron, en répudiant l’écriture inclusive, en demandant (en Andalousie, extrême droite, janvier 2019) de réduire les mesures contre la violence machiste, en considérant un string comme une preuve de consentement de la part d’une victime de viol, en proclamant – sans explication complète – qu’une femme peut jouir pendant un viol, en comparant en toute impunité les femmes à des juments et l’avortement à un homicide, en ne légalisant pas le droit à l’IVG partout et sans condition, en demandant à la première footballeuse détentrice du ballon d’or si elle sait twerker, en jugeant la tenue d’une des meilleures joueuses de tennis non correcte, en rétablissant dans les programmes scolaires les rôles genrés des femmes et des hommes, en pénalisant une joueuse de tennis sous prétexte qu’elle change son tee-shirt sur le cour... on envoie un message fort et violent : les femmes sont inférieures aux hommes. Pourquoi ? On ne sait pas mais c’est ainsi et pas autrement. 

« C’est notre quotidien à nous, les femmes, et nier ce qui préoccupe la moitié de la population est violent. Il est violent de nier le plaisir féminin, d’infantiliser les femmes enceintes ou de les réduire à des corps disponibles et utiles à l’humanité qu’on peut toucher, conseiller, ausculter. Il est violent de nier la surmédicalisation des grossesses et des accouchements qui dépossèdent les femmes de leurs corps, faire de leur utérus un bien commun. Il est brutal de faire de la fausse couche un tabou, réduisant la femme à la procréatrice, à celle qui doit forcément enfanter, devenir mère pour s’épanouir en tant que femme et qui là échoue et ne doit pas le dire ni le montrer. Ou bien considérer qu’il ne s’est rien passé, qu’il n’y a pas eu de grossesse, donc pas de souffrances. », dénonce à juste titre Morgane. 

PATRIARCAT CACA 

Le corps des femmes est en permanence jugé et fait l’objet de constantes injonctions paradoxales, réduisant sa propriétaire à un objet que l’on peut façonner à sa guise. Un objet fragile mais toujours responsable des malheurs qui lui arrivent. Les agressions sexistes et sexuelles ne sont que peu punies. Du dépôt de plainte à la condamnation, c’est le parcours de la combattante. Puissance plusieurs millions.

Car il faudra se justifier, répondre à des accusations déguisées en procédure judiciaire, tomber sur la bonne personne au commissariat, qui accepte de faire son travail et de prendre la plainte. De là, de nombreuses épreuves attendent encore la victime qui tout au long du chemin sera, souvent, mise sur le banc des accusées tandis que son agresseur ne sera, généralement, pas inquiété. 

Heureusement, une lueur d’espoir transparait. Ce qui avant se murmurait uniquement entre les femmes, et restait entre les femmes, commence à s’ébruiter et les expériences concordent. Depuis des générations, des siècles, les femmes subissent la violence de leur condition imposée, la violence physique, la violence psychologique, la violence sexuelle, la violence sexiste, les violences gynécologiques, la violence du silence.

Aujourd’hui, à travers les réseaux sociaux, les #MeToo et #BalanceTonPorc, les tumblr Paye ta shnek, Paye ta blouse, Paye ta police, Paye ton journal, Paye ta robe, etc., les femmes crient au grand jour l’horreur de leurs vécus face à un système qui les ignore, que ce soit dans un cabinet médical, au poste de police, dans les entreprises, dans la rue ou à la maison. 

Et elles vont plus loin puisque le 24 novembre plusieurs milliers de femmes ont défilé dans les rues à l’occasion de la marche contre les violences sexistes et sexuelles.

À Rennes, c’est la première fois qu’une manifestation féministe dévoile cette ampleur-là. Malgré les dissensions entre les #NousToutes et #NousAussi, ce sont les associations, les militant-e-s, les élu-e-s, les citoyen-ne-s qui foulent le pavé ensemble, réuni-e-s autour de l’image qui fera le plus réagir dans le cortège. Celle d’un petit garçon, sur les épaules de son papa, portant fièrement la pancarte : « Patriarcat caca ». 

OSER, PARLER, SE LIBÉRER 

Ce jour-là, la revendication principale est celui du droit à l’égalité, évidemment, mais surtout du droit à la liberté. Les femmes exigent, à juste titre, le respect. Le respect de leur personne en tant qu’individu. En tant qu’humain. Il faut lever les tabous autour des conditions de vie des femmes. Sortir du silence pour pouvoir se réapproprier son corps, (re)devenir sujet et non objet.

« Le silence détruit des vies quand on n’arrive pas à comprendre, à analyser ce qui nous est arrivé, ce qui nous arrive et que l’on vit avec la culpabilité. Ça donne des adultes borderline sur le plan psychologique. Pour moi, parler est la seule clé pour sortir de cette impasse. Maintenant, j’ai décidé de toujours écrire et diffuser quand je subis des violences. Pour arrêter de culpabiliser et pour déculpabiliser les personnes qui vivent la même chose. Dire et communiquer, c’est pour moi la clé de la résilience. Et ça évite d’être en colère contre soi, envers soi-même. Ça permet d’arrêter de se faire du mal pour des choses dont on n’est pas responsables. », souligne Virginie qui avoue à quel point tout cela est usant. 

Et à quel point il n’est pas toujours évident ou possible de prendre du recul, de prendre sur soi pour expliquer aux autres en quoi ils sont blessants ou violents (parce que les femmes se doivent toujours de rester calmes pour évoquer ces sujets, sous peine d’être traitées d’hystériques et donc d’être décrédibilisées) :

« En fait, c’est hyper contextuel. On ne peut pas demander à tout le monde, tout le temps, d’avoir la patience de déconstruire, d’expliquer les choses de la même manière à ton cercle proche qu’à un mec qui insiste dans un bar. C’est difficile de déconstruire. On se prend de la violence et en plus c’est à nous d’expliquer, on a le droit d’être fatiguées, de ne pas avoir envie de le faire. Malheureusement, certains ne comprennent pas ça et ne comprennent pas les explications. Perso, ça m’est arrivé d’en venir aux mains, d’utiliser la violence physique pour sauver ma peau ou celle de mes potes. Et là encore on se prend le revers de la médaille parce que c’est un moment très violent et destructeur. » 

Son conseil : après une situation de violence, prendre le temps au calme d’analyser les événements et essayer de mettre des mots et des émotions dessus. Se remettre en question sans prendre la responsabilité de ce qu’il s’est passé. Ne plus avoir peur de parler.

« Et si on n’y arrive pas seule, je conseille vraiment d’aller en thérapie. C’est extrêmement libérateur et ça permet d’avoir moins peur des autres et moins peur d’oser faire des choses. On peut aussi suivre des comptes Instagram sur le féminisme ou lire des bouquins, y en a des milliards là-dessus ! Moi, c’est vraiment Annie Ernaux qui m’a aidé à mettre des mots, à déconstruire, tellement elle est dans une description et une déconstruction totale de plein d’événements de sa vie. », conclut-elle. 

Y A DU BOULOT... POUR TOUT LE MONDE ! 

Chacun-e peut à son échelle bousculer l’ordre établi. Faire évoluer les mentalités. Comme Manon qui essaye d’aborder ce type de sujets avec sa cousine de 13 ans, pour la sensibiliser dès le plus jeune âge à l’importance de l’égalité entre les sexes. Ou Anne qui dans ses cours, majoritairement remplis de garçons, cherche à leur inculquer les valeurs de respect et de communication bienveillante.

Lutter contre les discriminations est un exercice difficile, qui demande du temps et de l’investissement : « C’est très difficile car ça appartient à l’humain et tout ce qui appartient à l’humain est lié à un individu et toute sa complexité. Ce n’est pas une machine qu’on répare ou un programme. Mais déjà la communication de base, la communication non violente, la gestion des émotions... C’est important parce que je me dis que tout ceci vient d’une colère enfouie, d’une frustration, d’un égo bien trop présent. Il faut apprendre à donner de la valeur et à se donner de la valeur. Je pense que ça passe par donner la place à chacun-e avec ce qu’il/elle est, à autoriser et s’autoriser de dire les choses et tout ça dès le plus âge. » 

Un point sur lequel Morgane la rejoint entièrement puisqu’elle milite pour une éducation non genrée, déjà auprès de ses enfants. Mais elle milite aussi de multiples façons : « En m’insurgeant contre toutes les violences quotidiennes que je vois, j’entends, je vis. En gueulant, au risque de passer pour une hystérique, une féminazie. Avec Les Héroïnes (émission diffusée un vendredi par mois sur la radio Canal b que l’on recommande vivement d’écouter – les podcasts sont sur le site, ndlr) chaque mois. En écoutant mes amies, mes relations féminines, les victimes, quel que soit ce qu’elles ont vécu (un « salope » dans la rue ou pire), en leur faisant comprendre que je suis avec elles, que je compatis. Je n’ai jamais eu à m’interposer ou à prendre la défense d’une fille, d’une femme, dans la rue, dans un espace public, ou aider, mais je sais que je le ferais. » 

Elle défend l’idée que ce ne sont pas uniquement aux petites filles d’être éduquées aux risques qu’elles
encourent en grandissant.Mais aux petits garçons également d’apprendre le consentement, le respect, l’égalité. Pour avancer, la liste est longue :

« Ouhlala, faut tout changer ! Mettre des modules spéciaux dans les études de gynécologie et les formations de flics et gendarmes, légiférer sur le congé paternité, partager la charge mentale (si les petites filles ne sont pas éduquées comme leur mère, la charge mentale n’existera plus), former correctement flics, gendarmes, gynécos, accompagner les victimes, condamner lourdement les violeurs, les agresseurs, les maris violents, virer Marlène Schiappa (secrétaire d’Etat à l’Egalité entre les femmes et les hommes, ndlr), mettre de vrais moyens sur la table, arrêter de nous traiter d’hystériques, etc. Mais aussi transparence des salaires et condamnation des entreprises qui payent moins leurs salariées que leurs salariés à diplôme et compétences égaux, application des lois déjà existantes, etc. » 

Sans oublier comme le signale Manon de s’arrêter et s’interroger sur le langage employé : « Putain, PD, etc. Cela vient d’expressions sexistes et homophobes. Reprendre les personnes quand elles emploient des termes dégradants envers les minorités. Ne pas désigner quelqu’un que par son physique. » 

LIBERTÉ, ÉGALITÉ, SORORITÉ

On peut donc chacun-e agir contre le sexisme systémique. Par le biais d’une association, d’abonnements à des newsletters féministes, les réseaux sociaux (avec bienveillance), en étant attentives/tifs aux divers comportements autour de nous, en écoutant les récits et témoignages des femmes sans systématiquement les remettre en question, en osant parler, en utilisant l’écriture inclusive, en diffusant l’idée que « Non » c’est « Non », en ne parlant pas à la place des autres, en s’indignant contre les inégalités, en ouvrant l’œil face aux publicités, en interrogeant les rôles des personnages féminins dans les séries, films, livres, etc. Il n’y a que l’embarras du choix. Encore faut-il en avoir la volonté. Mais l’espoir y est. 

Car malgré la fatigue et l’épuisement dus à la lutte, les femmes ne lâchent pas prise. Que ce soit dans la newsletter des Glorieuses ou dans le post de Paye ta shnek rédigé le 4 janvier sur Facebook, le message est clair : les retours de bâton ne nous feront pas reculer, nous aurons toujours la force et le courage d’aller de l’avant.

« Si vous avez l’impression de ne rien pouvoir faire pour changer les choses, sachez qu’être solidaire de toutes les femmes, même très différentes de vous, c’est déjà un acte de résistance immense. Soyons plus que jamais solidaires. Je ne sais plus qui disait qu’on ne peut pas gagner un match sans la moitié de l’équipe. Et bien la moitié manquante, en 2019, j’en suis sûre et certaine : elle va secouer le monde entier. », écrit PTS. Pour nos combattantes aux mille visages, une devise : Liberté, égalité, sororité.

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Violences sexistes : lutter contre le fléau au quotidien
Combattantes aux mille visages
Non à l'excision

Barbara Mai

Femmes réfugiées : Lutter ensemble

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Fin mai, Kubra Khademi, performeuse féministe afghane, animait un atelier auprès des femmes réfugiées de Rennes. Pour affirmer leur place, leur identité et leur liberté.
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« Nous, femmes, nous sommes toutes liées, toutes pareilles, toutes victimes (du patriarcat). Nous avons le droit de parler contre ça, pour arrêter ça. Pour éduquer la société, les pays, le monde. Nous avons le droit à la sécurité, nous avons le droit de nous exprimer. »

De passage à Rennes du 22 au 26 mai dernier, Kubra Khademi, performeuse féministe afghane, animait un atelier auprès des femmes réfugiées, hébergées au Centre Coallia Guy Houist de Rennes (service social classifié Centre d’Accueil de Demandeurs d’Asile). L’occasion d’affirmer que l’union fait la force et que c’est ensemble, à travers le mouvement préalablement déconstruit par rapport à la norme, que l’on pourra avancer. En terme de droits. En terme de liberté.

« C’est notre force qui fait notre exil. Parce qu’on n’accepte pas. On dit non. Que ce n’est pas juste. On se rebelle pour ne pas subir, pour ne plus subir. Il y a une grosse énergie chez les femmes que je vois ici. », souligne Djeny, hébergée au CADA de Rennes depuis mars dernier, venue découvrir l’atelier mené par Kubra Khademi du 23 au 25 mai, dans le cadre du programme « Déplaces – Danser sans frontières » proposé par Danse à tous les étages. Autour de ce qu’elles ont vécu dans les pays qu’elles ont fui, la performeuse a souhaité dérouler le fil de leurs parcours et trajectoires jusqu’à retrouver leurs âmes d’enfants, pour déconstruire les oppressions subies en grandissant à force d’injonctions, de menaces, de rappels à l’ordre, de violences physiques, morales et/ou sexuelles. Pour tendre ensuite vers une performance finale dans laquelle l’objectif serait, selon Kubra, de « demander notre liberté dans notre corps et dans l’espace public ». 

Toute de noir vêtue, elle court doucement en arc de cercle. D’un point A à un point B, elle va et elle vient. Sans cesse. Ses pieds nus foulent à petit pas la pelouse et s’emballent follement, au même titre que son souffle ébranlé qui se fait de plus en plus court, de plus en plus rapide et de plus en plus bruyant. Le regard apeuré, elle cherche à échapper à la laisse qui la retient.

Prisonnière du jardin du Musée de la danse, ce mardi 22 mai, Kubra Khademi délivre une performance viscérale, intitulée Qanchiq, qui dérange et qui remue les méninges des un-e-s et des autres, paradoxalement bien installé-e-s dans le confort de l’herbe et bercé-e-s par les rayons déclinants du soleil.

« C’est insoutenable », murmure une spectatrice à sa voisine qui approuve, tandis que deux femmes ne parviennent pas à retenir leurs rires, surprises de cette proposition aux gestes répétitifs qui peuvent susciter l’incompréhension et mettre mal à l’aise. Au point que certaines personnes quittent l’assistance et que d’autres regardent ailleurs. 

Mais peu importe l’endroit où nos yeux se posent, la respiration haletante et les gémissements de l’artiste heurtent et hantent notre esprit. Parce qu’au fil des minutes et de ses allers-retours, elle s’épuise et s’étrangle. Parce qu’elle veut se défaire de cet enfer. Parce qu’elle veut aller au-delà de son cadre fixé par la laisse. Elle manque de tomber à plusieurs reprises. Ralentit puis repart, plus vite. Ferme les yeux sur plusieurs mètres avant de les rouvrir, paniquée, quasi tétanisée mais incapable de se stopper.

Elle manque de s’étouffer et finit par abandonner la partie. À bout de souffle, après 20 minutes de bataille, elle s’étale face contre terre, vomit et crache. Quelques secondes plus tard, Kubra se relève, s’essuie la bouche et les yeux, salue et s’en va. Sa performance interroge particulièrement notre capacité à rester là, sans rien faire. Pendant 20 longues minutes, on la regarde souffrir, sans agir.

L’action s’effectue dans un cadre artistique, certes, mais démontre un état inerte, symptomatique d’une réalité sociale. Si Qanchiq relate le questionnement de Kubra Khademi face à son éducation, sa condition de femme, d’Afghane et de réfugiée, la proposition en dit long sur les comportements humains, éduqués à rejeter l’inconnu, particulièrement quand celui-ci est diabolisé par les médias et les pouvoirs en place. 

CONSERVER LES HISTOIRES

« Quand Annie (Bégot, directrice de Danse à tous les étages, ndlr) m’a montré Rennes, les différents espaces et le musée de la danse, j’ai réfléchi à ce dernier endroit qui est très important pour la danse et le corps. Un musée, ça garde les histoires. Je voulais qu’ici soit conservée l’histoire d’être enchainée comme un chien. », souligne l’artiste.

Elle veut, selon ses mots, être enregistrée là. Que l’on garde trace de son passage. De son étranglement, de la bataille de son souffle symbolisant son combat intérieur et extérieur, sa force. Tout ce qui l’a enchainé, tout ce qui l’a fait se débattre, poussée au niveau extrême de tomber.

« Ça a valeur de mosquée, pour moi. Dans ma manière d’être éduquée. Ma mère priait trop, à l’extrême. Pour elle, quand on vit dans une ville qui a une mosquée, on ne prie pas chez soi. On devait faire la marche tous les jours, plusieurs fois par jour, jusqu’à la mosquée et retourner à la maison. J’étais forcée. Les femmes, on ne travaille pas mais on prie. Dans une prière, on demande à trouver un mari, à le garder. Voilà à quoi nous sert ce geste humiliant. On parle à Dieu en lui demandant de nous donner des choses. Et on demande beaucoup dans les prières. Je veux donner cette valeur au musée et à demander à être enregistrée dans cet espace-là. », analyse l’artiste qui demande également à travers chacune de ses performances son droit à la liberté :

« On a besoin de sortir la voix. Dans les villes, on ne peut pas crier. Crier notre liberté. »

PARLER, DÉNONCER, DIRE NON

Elle explore pour la première fois la performance publique à Lahore, au Pakistan, où elle intègre la Beaconhouse National University, après avoir étudié les Beaux Arts à Kaboul.

C’est en revenant en Afghanistan qu’elle créeArmure, consistant à marcher dans un quartier très fréquenté de la capitale en portant, par dessus ses habits, une armure de fer recouvrant sa poitrine, son ventre et ses fesses. En quelques minutes, les regards sont braqués sur elle et les langues se délient. Sur elle, s’abat une pluie d’insultes et de cailloux.

Elle doit rapidement tenter de disparaître, aidée par quelques personnes et des journalistes présent-e-s ce jour-là, et saute dans un taxi, rouée de coups de poings et de pieds par ses assaillants qui iront jusqu’à la menacer de mort à son domicile. Kubra Khademi, cachée par des proches, quitte son pays et s’installe en France, à Paris précisément, où elle obtient le statut de réfugiée politique.

« Combien d’heures dans une journée ? Combien de jours dans une semaine ? Combien de semaine dans un mois ? Et combien de mois dans une année ? Combien de moments là dedans où je n’ai pas eu peur dans la rue ? J’ai 29 ans et je réponds « Tous les jours depuis 29 ans ». On vit avec la peur, avec les répressions, avec les violences. C’est quoi l’histoire des femmes ? C’est de la violence. Toutes les mères afghanes disent à leurs filles de ne pas sortir seules dans la rue, sinon elles seront violées. En même temps, les petites filles, les filles, les femmes sont violées par les membres de la famille, de l’entourage. Qui va sauver les femmes ? On grandit avec la menace sur la sexualité. Ici, je n’ai jamais été harcelée mais je vis autre chose par rapport à mon statut de réfugiée, à mon homosexualité. Ce n’est jamais fini et les violences ne viennent pas que des hommes. Notre silence y contribue car on les perpétue. », s’insurge l’artiste qui voit dans l’utilisation du mot « Femme » une sorte  d’humiliation sociétale. 

Parce que dans sa propre histoire, elle a toujours ressenti la réprobation par rapport à son identité de femme, par rapport à sa sexualité de femme. « C’est un sujet que j’utilise dans mon art parce que je suis très concernée par les questions autour des femmes, parce que c’est partout. », précise-t-elle.

En 2015, Kubra dénonçait publiquement le harcèlement de rue à Kaboul, les violences physiques et sexuelles que subissent constamment les femmes dans la rue, qui se font pincer, insulter, toucher. Pour punir, pour soumettre, pour exercer une supériorité masculine sur la gent féminine. Elle refuse de courber l’échine, d’avoir honte de qui elle est. Du sexe qu’elle a. Et refuse de se victimiser sans réagir :

« Nous ne sommes pas toutes seules, il faut interroger ces questions-là partout. Il y a des histoires fortes ici au CADA. Beaucoup d’histoires fortes. Mais les femmes ne parlent pas entre elles. Il faut parler pour changer et faire changer. Quand une fille commence à parler, souvent, 5 autres vont parler, puis 25. On parle, on critique, on dit non. Les mères, les grands-mères, se taisent. Mais il ne faut pas, il faut dire et dénoncer ce qui nous arrive et dire non à ça, sinon les violences ne seront jamais arrêtées. » 

TRANSFORMER LA SITUATION

Briser le cercle du silence. Puiser dans son passé pour trouver force et fierté. « À cause de la guerre en Afghanistan, on est allés en Iran avec ma famille. On détestait le mot « Réfugiés ». Aujourd’hui, je veux défendre ce statut. Parce que c’est une vie sauvée.

La vie de quelqu’un-e qui a réussi à survivre à des choses très dures. Je travaille beaucoup sur la question de mon identité et être une réfugiée en fait partie. Nous, les déraciné-e-s, c’est à nous de faire changer les choses. Nous devons faire notre chemin. C’est parce que je suis une exilée que je suis là aujourd’hui. », affirme Kubra, enthousiaste à l’idée de mêler les récits de vie et les arts à l’occasion de l’atelier proposé du 23 au 25 mai.

Pour Annie Bégot, directrice de Danse à tous les étages, l’art a capacité de transformer la situation des personnes. Depuis 20 ans, l’association développe des projets artistiques visant à atteindre des personnes en situation d’isolement, de précarité, de handicap « pour que la pratique chorégraphique et la pratique artistique soient des éléments de réinsertion dans la cité. »

Ou d’insertion tout court en ce qui concerne les migrant-e-s. « On ne sait pas ce qui va se passer au départ. On propose un projet pour des rencontres, une prise de repères. Avec le groupe, ils vont voir des spectacles, cela permet de baliser la culture à Rennes puis on espère qu’ils continuent de leur côté. », précise Annie. 

DÉPLACES, DANSER SANS FRONTIÈRES

Un premier accès à la culture. Mais aussi à l’échange. Entre des personnes en situation de migration et habitant-e-s issu-e-s des autres projets de la structure, réuni-e-s une fois par semaine durant 4 mois, avec les artistes associé-e-s (cette année : Léa Rault, chorégraphe, Arnaud Stephan, metteur en scène, Maëlle de Coux, dessinatrice, Gaël Desbois, musicien – le travail avec le groupe a été restitué lors de la représentation du 22 mai au Musée de la danse, à la suite de la performance de Kubra Khademi).

L’essence du projet de l’édition 2018, tel qu’elle est décrite sur le site de Danse à tous les étages, est claire : « Danse, photo, musique… seront autant de supports pour permettre l’échange et le tissage de liens au sein du groupe. À partir de la poésie de ces corps métissés, « Déplaces » saura se nourrir des matières, des paroles, des gestes échangés pour construire un propos chorégraphique. "Pour le projet Déplaces, nous proposons de nous rencontrer autour des rituels du quotidien. La cuisine, les repas, la toilette, les soins du corps, l'investissement de l'espace public, le repos, etc..., mais aussi les rituels qui rythment une année tels que les anniversaires, les célébrations diverses, les évènements comme la mort, ou la naissance. À travers eux, nous chercherons à trouver ce qui est commun, et ce qui est spécifique à chacun (…)." »

UN ESPACE DÉDIÉ AUX FEMMES EXILÉES

 « Autour de nous il n’y a que des corps. Et ces corps sont en écho les uns avec les autres. Il s’agit de se reconnaître comme faisant partie d’une même communauté, d’une même humanité. Pour redonner une place de responsabilité vis-à-vis de soi-même et vis-à-vis de l’autre, nous chercherons à créer du collectif et de l’interdépendance. Comme un passage de relai, notre démarche deviendrait celle des participants et continuerait de s’inventer, même après la fin des ateliers. », disaient l’an dernier Marine Mane et Julie Nioche, les deux chorégraphes affiliées au programme « Déplaces ».

Rapidement, artistes et professionnel-le-s du secteur établissent que rares sont les propositions à destination des femmes en situation de migration, qui représentent pourtant désormais près de la moitié de la population migrante. Ainsi, au sein de ce projet, Danse à tous les étages a choisi de lancer en 2018 un espace qui leur est dédié.

« Parce qu’elles viennent moins. L’an dernier, dans le groupe, il y avait 2 femmes seulement. Certaines ont des enfants et en général, s’occuper de soi n’est pas leur priorité. », commente la directrice, qui invite alors la performeuse afghane Kubra Khademi pour son engagement militant féministe, « son travail sur la parole des femmes là où elle n’est pas publique ».

Sur le modèle des « Créatives » – programme qui depuis 12 ans se développe sur 4 territoires (Brest, Morlaix, Saint-Malo et Rennes) visant l’insertion professionnelle des femmes – le partenariat avec le Centre Collia Guy Houist de Rennes a pour but de provoquer la rencontre et de voir ce que cela suscite :

« Se dévoiler, parler, faire un travail de présence, exister avec différents états. C’est tout ce que l’on travaille dans la danse et c’est ce que la participante travaille ensuite dans sa vie privée comme dans sa vie professionnelle. Mais c’est aussi une manière de créer du lien social, d’exister dans une ville, d’utiliser les différentes ressources culturelles peu utilisées par ces différentes populations. C’est important de pouvoir être à l’aise dans ces lieux que l’on pense réservés aux autres. » 

PARTAGER, ÉCOUTER ET CONSTRUIRE ENSEMBLE

Pour Kubra Khademi, il est essentiel de créer une force entre les femmes, leur faire prendre conscience de la richesse de leurs vécus, du courage dont elles font preuve au quotidien. Avant tout, elle doit obtenir leur confiance. Pour créer un lien de proximité et les amener à livrer ce qu’elles ont au plus profond d’elles-mêmes.

« Je comprends ces femmes et je suis certaine qu’elles me comprennent aussi. », souligne-t-elle, sourire aux lèvres, le premier jour de l’atelier. Lors de la pause méridienne, elle repense à la matinée qui vient de passer. Aux discussions du groupe, composé la première matinée de 7 femmes :

« Je leur ai raconté mon enfance, ma culture, mon histoire, ma sœur, ma mère, moi… Pour établir un lien de confiance. On a parlé des violences envers les femmes en Afghanistan et très vite, on a parlé ensemble des violences sexuelles. Elles peuvent être traumatisées par des mariages forcés, des viols du mari (avec le père qui le sait mais ne dit rien, ne fait rien), par la peur tous les jours, la répression, mais elles parlent. J’ai montré des images de mon travail, on a bien échangé. Maintenant, l’idée va être d’oublier qu’on est des femmes adultes et redevenir des enfants. »

En début d’atelier, Kubra souhaite les faire revenir à un état d’insouciance, de légèreté. Un état durant lequel les petites filles n’ont pas encore conscience des assignations et des injonctions de genre. Dessiner, chercher des cailloux dans l’herbe, bouger son corps, écarter les jambes.

« Ouvrir ce que l’on est. Se sentir libres. Parce qu’on est plus libres quand on est des toutes petites filles. Après en grandissant, on oublie ça. Dans mon pays, les filles sont très vite des jeunes adultes. Nous sommes éduquées comme ça. », s’écrie l’artiste qui passe du regard pétillant d’un enfant candide au regard sombre de celle qui est poursuivie par l’ombre de sa condition.

Si l’atelier est déserté au fur et à mesure des séances, les dessins sont une réussite pour Kubra qui voit là beaucoup d’énergie et de puissance. Les créations montrant souvent des habitations. Inoccupées ou non, elles sont généralement le signe de leurs racines et de leur déracinement. Elles crayonnent leur passé mais aussi leur futur. Leurs aspirations. L’espoir de retourner dans leurs pays d’origine et d’y construire de nouvelles ressources. Pour soigner, éduquer, vivre et faire vivre.

« J’apprends beaucoup de ces femmes, pleines de talents, de courage et de grandes histoires. », s’enthousiasme la performeuse. 

SE DIRE QUE C’EST POSSIBLE

Parmi ces femmes, Djeny a créé sur papier une longue robe de soirée. Elle a 27 ans et vient du Mali, en passant par la Tunisie et Saint-Brieuc. Le 25 mai, dans l’après-midi, elle est la seule participante :

« Quand l’assistante sociale m’a parlé de l’activité, je me suis dit que la danse ce n’était pas pour moi. À cause d’une opération mal faite en Tunisie (prothèse totale de hanche), j’ai des béquilles depuis l’an dernier. Et puis Kubra m’a expliqué que je pouvais bouger seulement le haut du corps, je me suis donc dit que c’était possible. C’est agréable d’avoir un espace pour nous les femmes, pour partager nos histoires et pour exprimer des trucs qu’on ne peut pas exprimer ailleurs. Ça donne envie de se libérer et de dire à l’autre de s’ouvrir. Forcément, son parcours résonne beaucoup en moi. Tout de suite, on se sent accueillie, comprise, en sécurité. Et puis l’histoire d’une femme partie de rien, c’est de l’espoir ! Elle a une ouverture d’esprit qui donne du courage. »

Elle n’est certainement pas la seule à avoir pensé que l’atelier ne lui était pas accessible. Ce jour-là, elle ne regrette pas sa présence. Elle parle avec aplomb de ce à quoi elle aspire plus tard :

« Au Mali, lors de la fashion week, je ne voyais jamais de mannequins handicapées défiler. Parce qu’on pense les femmes handicapées comme « pas normales », alors que pour défiler, il faut être parfaite.  Nous, on n’est pas parfaites mais est-ce que ça veut dire qu’on n’a pas le droit à des collections dédiées ? Je veux poser et défiler en tant que mannequin handicapée. Montrer que nous aussi, on est belles, féminines, parfaites à notre manière. J’espère un jour pouvoir poser la question à Lagerfeld : les femmes handicapées sont aussi consommatrices de mode alors pourquoi en faire un tabou dans les défilés ? Quelle est la définition de la femme parfaite ? Pour moi, c’est la femme qui s’accepte et se met en valeur avec ses défauts. » 

REFUSER LA DOMINATION

Djeny le dit et le répète : son projet, elle veut le concrétiser, vraiment et profondément. Elle refuse de s’attarder sur le regard des gens, sur ce que pensent les autres.

« Chez moi, quand on est une femme, il faut se couvrir, se cacher mais je ne veux pas me cacher. Regarde ailleurs si ça te dérange, je ne vais pas changer parce que ça te dérange toi. Quand on est handicapées et que l’on ne se cache pas, on est étranges. Moi je sens les regards sur moi mais je m’en fous. Le regard des autres ne va pas m’empêcher d’être moi. », déclare la jeune femme qui, au fil de ses propos, impressionne Kubra dont le visage s’illumine pleinement, à la fois d’espoir et à la fois d’horreur, découvrant comme pour la première fois que ce qu’elle a connu en Afghanistan, en terme de violences contre les femmes, existe dans d’autres pays.

Son discours fait écho au sien. Parce que toutes les deux s’insurgent contre la domination patriarcale et ont choisi de briser la loi du silence. Djeny livre bataille contre les mariages forcés « qui ont lieu dans beaucoup de pays musulmans. Récemment (le 10 mai dernier, ndlr), une fille de 19 ans (Noura Hussein Hamad, ndlr)a été condamnée à mort au Soudan. Elle a été mariée de force et violée par son mari(avec l’aide de ses deux frères et de son cousin, selon l’organisation de défense des droits de l’Homme Amnesty International, ndlr). Quand il a voulu recommencer, elle a pris un couteau et l’a poignardé. Elle s’est défendue et on la condamne à mort. C’est ça qui nous attendait si on n’avait pas fui. »

Elle raconte les femmes qui partent du Mali et traversent ce « processus très difficile ». Quitter sa famille, venir seule, effectuer sa demande d’asile, affronter l’attente et la réponse. Elle a fait son choix : « Je ne suis pas condamnée à me voiler, à rester à la maison, à vivre pour mon mari. C’est une sorte d’esclavage ! Tes parents te donnent pour la dot. Ton mari va te frapper, te violer. Il a le droit, il a tous les droits. Personne ne doit vivre ça. Entre « sœurs » (en réalité, il s’agit de mes cousines), on en parlait. Personne ne veut de ça mais tout le monde n’a pas la chance de s’enfuir. Parce que malgré ce que l’on vit pour venir ici, c’est une chance. C’est ma force qui parle, ma part de féminisme. C’est une fierté. Je souhaite à aucune femme de vivre ça. »

Son témoignage est intense. Percutant. Elle est déterminée et combattive. Portée par l’envie « de pouvoir vivre pleinement ma vie de femme. » Pour elle, c’est « la quête de liberté qui pousse à tout »,celle-là même qui lui a permis d’oser fuir son pays et qui la fera sans doute enfoncer les portes du mannequinat pour femmes handicapées. Celle-là même qui lui fait dire qu’aujourd’hui, elle est libre : 

« Pas à 100% certes mais libre quand même ! »

ÉCHANGER ENTRE CONCERNÉES

Ce vendredi 25 mai, alors qu’était envisagée une performance menant les participantes du CADA jusqu’au centre ville, le programme est bouleversé par l’absence des femmes, peut-être réticentes à l’idée de défiler au milieu des rues. Peut-être pas assez préparées du moins à cette idée, qui leur a été soumise deux jours avant seulement.

Si Kubra Khademi affiche une triste mine face à cet objectif non atteint, elle ne peut que dresser un bilan positif sur les trois jours passés au contact des femmes hébergées au Coallia Guy Houist :

« On a partagé nos idées, eu des discussions très riches. Cela permet d’imaginer que oui, un meilleur futur est possible. On a fait des mouvements ensemble, on a bien travaillé avec le corps. Les femmes venaient d’Afrique, d’Europe de l’Est, moi d’Afghanistan, nous sommes réfugiées à cause des guerres pour certaines (et vous savez, on dit à certains endroits que la guerre est finie mais elle n’est jamais finie, chez nous il y a « talibans » et « talibans ») et nous avons beaucoup de choses en commun. Nous avons énormément parlé du harcèlement sexuel et des violences sexuelles. Il y a eu des moments difficiles et tristes. Et puis, les dessins nous ont permis de nous projeter dans le futur. Dans un futur positif. Nous sommes ici actuellement mais nous pensons au positif pour là-bas. Nous cherchons nos racines que nous avons perdues, nous sommes toutes déracinées. »

NE PAS OUBLIER QUE LES FEMMES DU MONDE ENTIER SONT FORTES

Son refuge à elle : l’état de l’enfance. Parce que petite fille, elle peut effectuer tous les gestes qu’elle veut. C’est ainsi qu’elle réfléchit pour la création de chaque performance car « si je pense que je suis une adulte, je suis alors dans le cadre fermé de ce que peuvent faire les femmes et ce n’est pas bon. »

C’est le message qu’elle délivre à toutes celles qu’elle rencontre, en résidence, à l’occasion de workshop, au hasard d’une discussion suscitée par une performance publique.

« Les femmes ne doivent pas oubliées qu’elles sont fortes. J’encourage mes sœurs, les femmes du monde entier, à ne pas oublier que les femmes sont très fortes. Elles ont déjà fait tout ce chemin ! Après, on est confrontées aux mêmes problèmes : dans la construction de l’identité, de la sexualité, etc. Il faut demander nos droits, prendre nos droits. Courage ! Soyez sures de vous, ayez confiance. Aujourd’hui, je peux tout faire, je suis plus libre ! » 

À travers les pratiques et les questionnements d’une petite fille – qu’elle présentera dans (Re)performanceà l’automne prochain dans le cadre du festival du TNB, à Rennes, pour lequel elle sera en résidence dès cet été - elle déconstruit les mécanismes d’oppression et s’émancipe de la norme de son sexe et de son genre, construisant son identité de femme, afghane, féministe, artiste, réfugiée, parisienne. Toujours avec l’idée d’interroger nos représentations et accompagner les femmes chez qui son parcours résonne comme un écho. Une sororité. 

 

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Femmes en exil et en mouvement
Faire corps, pour défendre sa liberté
Autonomie et indépendance

Célian Ramis

3 jours à Quiberon : portrait d'une Romy Schneider complexe

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cinéma Arvor, Rennes
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En 1981, Romy Schneider, en thalasso dans le Morbihan, accorde une interview à l’hebdomadaire allemand Stern. C’est sur cet événement qu’Emily Atef revient dans son film 3 jours à Quiberon, diffusé en avant-première au cinéma Arvor, à Rennes, le 1er juin.
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En 1981, Romy Schneider, en thalasso dans le Morbihan, accorde une interview à l’hebdomadaire allemand Stern. C’est sur cet événement qu’Emily Atef revient dans son film 3 jours à Quiberon, diffusé en avant-première au cinéma Arvor, à Rennes, le 1er juin. Sur les écrans le 13 juin.

Habituée – comme beaucoup de célébrités – de la thalasso de Quiberon, l’actrice mythique s’y est rendue pour la dernière fois en avril 1981, passant quelques jours avec le journaliste Michael Jürg et le célèbre photographe Robert Lebeck. Un an avant sa mort, Romy Schneider livre ses états d’âme au magazine Stern, laissant ainsi une trace indélébile de la femme complexe qu’elle était.

Elle n’est pas l’impératrice d’Autriche. Tout comme elle n’est aucune des femmes qu’elle a interprétées au cinéma ou au théâtre, justifie-t-elle dès le début de l’interview, malmenée d’entrée de jeu par le journaliste qui souhaite à tout prix lui faire dévoiler ses plus bas instincts.

Accompagnée de Hilde, son amie d’enfance, Romy se montre tantôt festive, tantôt torturée. Tantôt fragile et tantôt combattive. Éprouvée par les épreuves de la vie, entre tous les scandales dont se régale la presse people, le désamour du public allemand et la culpabilité d’une mère souvent absente à cause des tournages, elle est prise en tenaille entre les démons qui l’habitent et sa quête de liberté.

La ressemblance entre Marie Baümer (dans le physique et le talent) et Romy Schneider est frappante. Et c’est d’ailleurs ce qui a motivé Emily Atef, dont le projet lui a été proposé par le producteur français Denis Poncet, ami de l’actrice allemande Marie Baümer.

« C’était difficile pour elle, elle avait une grande peur de jouer ce rôle. Elle a toujours refusé de jouer Romy Schneider. Là, elle a accepté parce que ce n’était pas un biopic entier mais centré sur un événement marquant de sa vie, quelques temps avant sa disparition. Pendant le tournage, elle était épuisée, et comme Romy, elle ne dormait pas. Pour moi, c’était difficile, c’est mon travail de la protéger émotionnellement. Et en même temps, il lui fallait ça pour capter cette fatigue physique qu’avait Romy Schneider. », explique la réalisatrice.

En noir et blanc, elle retrace les 3 jours qui ont lié Romy Schneider, Hilde Fritsch (personnage imaginaire qu’Emily Atef aime penser comme son alter ego), Michael Jürgs et Robert Lebeck : « C’est une fiction basée sur des faits réels. Sur les 580 photos que Lebeck a prises et m’a transmises, sur l’interview du Stern avec des extraits réels et des passages que j’ai écrit, des discussions avec les gens qui ont côtoyé Romy dans sa vie personnelle ou à Quiberon, et puis j’ai fait à ma sauce. »

Cette adaptation est controversée. La fille de Romy Schneider, Sarah Biasini, se dit scandalisée du portrait brossé dans le film. Trop porté sur la dépendance à l’alcool et aux médicaments. La réalisatrice insiste, il ne s’agit pas d’un documentaire. Mais plutôt d’un « portrait de femme universelle », en particulier pour la jeune génération.

« C’est une femme, artiste, mère, seule à gagner de l’argent, manipulée par les médias. Mais elle n’est pas une victime. Ce n’était pas une victime Romy ! »
précise Emily Atef.

Au fil du scénario, la protagoniste se révèle encline à exprimer ses émotions et ses secrets, ce qui l’affecte, la déprime, la rend joyeuse et joueuse. Loin d’être la marionnette d’un journaliste sans scrupule, elle semble plutôt manier parfaitement les manettes des confidences livrées.

Elle règle ses comptes avec l’Allemagne qui n’a pas supporté qu’elle n’incarne pas jusqu’au bout la pure Sissi et qu’elle devienne l’idole du public français, elle avoue ses failles de femme et ses difficultés à conjuguer son travail et sa vie privée. À la fois malheureuse et légère, solaire et hantée, dans la lignée d’une Marilyn Monroe et d’une Dalida, elle s’affiche en quête d’une grande liberté, dont elle est privée en tant que célébrité mais aussi en tant que femme.

C’est ce que capte et met en perspective Emily Atef dans son quatrième long-métrage, décrié et critiqué, pour son manque de point de vue marqué, qui pourtant à travers une esthétique impeccable - influencée par l’univers de Claude Sautet, auquel Romy Schneider a à plusieurs reprises gouté - sublime le désordre mental et social d’une femme adulée mais aussi d’une femme en général dont on attend trop, dont on attend tout. La beauté, la perfection, la raison, le sourire large…

Au cœur de l’interview, 3 jours à Quiberon va au-delà des apparences et plonge dans la profondeur de l’âme, avec sa noirceur, sa complexité et ses paradoxes.

 

 

TOURNÉE BRETONNE PRÉVUE DU 20 EU 25 JUIN, EN PRÉSENCE D'EMILY ATEF ET/OU DE MARIE BAÜMER : 

  • 20 juin à Brest à 20h et à Douarnenez à 20h30
  • 21 juin à Douarnenez à 14h30 et à Audierne à 20h45
  • 22 juin à Saint-Renan à 21h
  • 23 juin à Etel à 17h
  • 23 juin à Vannes à 20h30
  • 24 juin à Cancale à 18h et à Cesson-Sévigné à 20h30
  • 25 juin à Saint-Quay-Portrieux à 18h30 et à Lannion à 20h30

Célian Ramis

L'empowermeuf selon les Georgette !

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Faut-il s’appeler George pour être prise au sérieux ? Non. C’est la réponse du collectif Georgette Sand, dont quatre membres étaient de passage à Rennes le 16 février dernier.
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Faut-il s’appeler George pour être prise au sérieux ? Non. C’est la réponse du collectif Georgette Sand, dont quatre membres étaient de passage à Rennes le 16 février dernier. Ce jour-là, elles n’étaient pas seules, loin de là. Accompagnées des 75 femmes dont elles ont dressé le portrait dans l’ouvrage Ni vues ni connues, elles participent à la réhabilitation de certaines figures féminines oubliées ou méprisées de l’Histoire, à tort.

Pour que les héroïnes d’hier inspirent les héroïnes de demain. Ou pour que les héroïnes de demain soient inspirées par les héroïnes d’hier. Peu importe. Le message est identique. La société a besoin de modèles, de références, d’exemples de femmes artistes, scientifiques, aventurières, intellectuelles, militantes ou encore de femmes de pouvoir. Sans oublier les méchantes inventées ou avérées.

Pour prendre conscience qu’au fil des siècles et à travers tous les continents, elles ont marqué leurs époques et participé à l’évolution de la société. Malgré cela, en 2018, peu d’entres elles figurent dans les pages des manuels scolaires, en histoire, en philo, en littérature… En tant qu’auteures, tout autant qu’en tant que personnages, comme en témoignent les nombreuses études réalisées par le Centre Hubertine Auclert.

En 2015, par exemple, le centre francilien de ressources pour l’égalité femmes-hommes souligne que les « femmes et les filles restent sous-représentées (dans les manuels de lecture du CP, ndlr) : sont dénombrées 2 femmes pour 3 hommes, soit 39% de femmes. D’une manière générale, les femmes sont minoritaires dans toutes les sphères où elles apparaissent, sauf dans le cadre de la parentalité et des activités domestiques. »

En octobre 2017, alors que les éditions Hugo Doc (collection Les Simone) publient l’ouvrage du collectif Georgette Sand, Ni vues ni connues – Panthéon, Histoire, mémoire : où sont les femmes ?, on peut lire dans la préface, signée Michelle Perrot : « Histoire – faut-il le rappeler ? – est un mot ambivalent. Il signifie : 1) ce qui s’est passé ; 2) le récit que l’on en fait. Les femmes étaient assurément présentes au premier niveau, personne ne le conteste, même si on n’en parle pas. Mais elles disparaissent au second, celui du récit. »

Pourquoi ? « Parce que le récit est souvent fait par les hommes », commente Perrine Sacré, une des Georgette présentes dans la capitale bretonne ce 16 février, à l’occasion de leur intervention au lycée et de leur rencontre à la librairie La Nuit des Temps, à Rennes.

DÉNONCER UN PROBLÈME SYSTÉMIQUE

En 2014, est fondé le collectif Georgette Sand. Autour de la question « Faut-il s’appeler George pour être prise au sérieux ? » et autour d’une volonté commune d’agir pour la visibilisation des femmes dans l’espace public. Elles dénoncent la taxe rose, la taxe tampon, les produits genres et sexistes et lancent le tumblr « Les invisibilisées ». Contactées par une éditrice en 2015, elles démarrent le projet un an plus tard, elles sont alors 21 autrices, dont 2 cheffes de projet.

« Nous ne sommes pas autrices à la base, nous avons toutes des carrières en parallèle. Nous avons mis en place un tableau, dans lequel nous mettions les noms des personnes sur lesquelles on voulait travailler. On faisait nos portraits de notre côté et on échangeait beaucoup entre nous. Ce sont des femmes qui ont été invisibilisées, il y a donc peu d’infos sur elles. », explique Charlotte Renault.

Ainsi, 75 femmes sont présentées dans l’ouvrage, « de toutes les époques et de tous les continents, pour montrer l’intégralité du problème qui est globalisé et systémique », précise Elody Croullebois.

On trouve alors la suédoise Hilma af Klint, pionnière de l’art abstrait, la chinoise Bow-Sim Mark, grande maitresse du kung-fu, l’américaine Bessie Coleman, première aviatrice afro-américaine à traverser l’Atlantique, l’indienne Lakshmi Bai, la légendaire reine guerrière, la mexicaine Petra Herrera, révolutionnaire, l’algérienne Kâhina, reine des Aurès et figure de la résistance berbère, la française Paulette Nardal, pionnière de la Négritude – mouvement d’émancipation et de réflexion sur la condition noire, ou encore les dominicaines Minerva, Patria et Maria Mirabal, militantes engagées contre la dictature, et la béninoise Hangbé, reine féministe et cheffe des troupes.

RÉHABILITER LES OUBLIÉES

On voudrait les citer toutes. Parce que leurs parcours sont inspirants, d’un part. Et parce qu’elles ont toutes été victimes d’injustices, d’autre part. Méprisées, oubliées, ignorées, rayées de l’Histoire. Le collectif Georgette Sand les réhabilite à travers des biographies courtes, accessibles à tou-te-s, optant pour un ton léger et impactant, et montre précisément les mécanismes d’invisibilisation, dans l’optique de les déconstruire.

« Nous n’avons pas retenu toutes les femmes auxquelles nous avions pensé au départ. Soit parce qu’elles n’étaient peut-être pas tant invisibilisées que ça, comme Olympes de Gouges par exemple, soit parce que c’était redondant et que nous voulions montrer des profils différents. Par contre, nous avons gardé certaines femmes qui sont connues quand elles le sont pour de mauvaises raisons, comme Camille Claudel par exemple. », explique Perrine Sacré, rejointe par Elody Croullebois :

« Aussi, des femmes étaient « éliminées » quand nous n’avions pas assez de sources fiables, que l’on n’arrivait pas à démêler la vérité de la légende, que les infos semblaient manipulées car le but est d’être scientifiquement exactes. »

Ainsi, dans Ni vues ni connues, Camille Claudel retrouve sa qualité de sculptrice et n’est plus simplement la muse-amante dingo de Rodin. Marie Curie est une scientifique brillante à part entière et n’est pas seulement la femme de Pierre. Margaret Keane est bien l’auteure des peintures aux grands yeux, dont son mari s’est attribué le mérite pendant 30 ans. Sojourner Truth n’est pas qu’une ancienne esclave mais aussi et surtout une militante pour l’intersectionnalité des luttes et pour le droit de vote des Noir-e-s et des femmes aux Etats-Unis et la première femme noire à gagner un procès contre un homme blanc. Hedy Lamarr n’était pas juste une actrice glamour d’Hollywood, elle a aussi inventé le wifi. Et c’est bien Marthe Gautier qui a découvert la particularité de la trisomie 21 et non Jérôme Lejeune, qui s’en est pourtant attribué la paternité.

RÉALISER QUE C’EST POSSIBLE !

Pour Anne Lazar, on remarque « que souvent, pour les hommes, on valorise l’accomplissement de leurs travaux, tandis que pour les femmes, on met en avant leurs vies personnelles et sentimentales. » L’Histoire, écrite par les hommes, efface leurs homologues féminines, à cause du sexe et de la couleur de peau. Et le langage utilisé participe à cette invisibilisation.

« En effaçant la féminisation des termes, on efface le fait que les femmes puissent en faire partie. On oublie inconsciemment par exemple qu’une femme peut être « docteur ». », poursuit Anne. Les Georgette, qui prônent « l’empowermeuf », rappellent à travers leur bouquin – qui pourrait être le premier volume d’une collection conséquente – l’importance du matrimoine mondial.

Pour déconstruire les idées reçues intégrées autour du genre, de la couleur de peau ou de la condition sociale. Et pour donner aux filles et aux femmes la possibilité de s’imaginer autrement que dans les cases rigides dictées par le patriarcat. Un message qu’elles répandent avec enthousiasme et sans jugement :

« Quand on a commencé, je connaissais une dizaine de noms dans la liste ! Même de nous elles étaient ignorées. Mais c’est l’effet domino. On fait des recherches sur une femme, puis on en trouve une autre, et encore une autre et on finit par en voir apparaître plein ! On se rend compte à quel point c’est utile de faire ça et les gens que l’on rencontre ou à qui on en parle, ou les élèves quand on intervient dans les classes, les profs avec qui on discute, le réalisent également. »

Célian Ramis

8 mars : Rennes a rendez-vous avec son matrimoine

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« Celle qui voulait tout », c’est la peintre Clotilde Vautier. Et c’est aussi le nom de l’événement organisé par HF Bretagne, Histoire du Féminisme à Rennes et Les amis du peintre Clotilde Vautier, du 1er au 17 mars, à Rennes.
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« Celle qui voulait tout », c’est la peintre Clotilde Vautier. Et c’est aussi le nom de l’événement organisé par HF Bretagne, Histoire du Féminisme à Rennes et Les amis du peintre Clotilde Vautier. Du 1er au 17 mars, les trois associations organisent conjointement une exposition, une conférence, une projection et une visite guidée, dans le cadre du 8 mars à Rennes. Rencontre avec deux membres de HF Bretagne : Laurie Hagimont, coordinatrice, et Elise Calvez, pilote du projet Matrimoine.

YEGG : Peut-on rappeler rapidement ce qu’est HF Bretagne ?

Laurie Hagimont : HF Bretagne est une association qui travaille pour l’égalité entre les femmes et les hommes dans les arts et la culture. Elle fait partie du réseau national qui est le Mouvement HF, présent quasiment dans toutes les régions de France. L’antenne de Bretagne est relativement jeune puisqu’elle a été créée en 2013. Le travail d’HF s’articule autour de 3 grands axes.

Le premier : repérer les inégalités par une étude chiffrée. C’est l’étude HF qui est publiée tous les deux ans, et là on va préparer la 3e édition à partir du mois de juin. Les chiffres ils existent au niveau national mais il est très important de les décliner au niveau local et territorial pour qu’il n’y ait pas d’erreur sur la prise de conscience. On n’est pas mieux en Bretagne qu’ailleurs.

Le deuxième : proposer des outils pour combattre ces inégalités. On va beaucoup agir par le biais de sensibilisation, des actions de formation, des ateliers, des événements comme des lectures publiques, des expositions, des tables-rondes, des conférences et puis des interventions dans des réseaux de professionnel-le-s…

Le troisième : encourager les mesures concrètes pour l’égalité réelle. Pour cela on va travailler avec toutes les collectivités territoriales, comme la Région, la DRAC, la préfecture (et en particulier la DRDFE), le conseil départemental d’Ille-et-Vilaine, etc.

Quand vous parlez de mesures concrètes, est-ce que depuis la création d’HF Bretagne, vous constatez des mesures concrètes prises par ces institutions politiques ?

Laurie Hagimont : On a la chance de vivre dans une région qui est très très sensible à ces questions et qui n’a pas attendu HF ou d’autres pour par exemple utiliser l’écriture inclusive dans toutes ses publications. Ce sont des partenaires très conscients des choses et on n’a pas besoin de les convaincre qu’ils le sont déjà. Le problème c’est que les chiffres ne changent pas.

L’étape de la prise de conscience est faite mais il faut passer à l’étape supérieure, celle de l’action. C’est ce que l’on commence à entreprendre en 2018. On a une demande qui est très claire en terme de chiffres : on demande une augmentation de la visibilité des femmes – sur les programmations - de 5% par an pendant 3 ans, ça nous paraît un objectif raisonnable et accessible. Il faut aller regarder aussi de quelle manière on finance les projets dans la culture, les différences entre hommes et femmes sont assez énormes.

On peut parfois avoir un nombre de dossiers identique, disons 10 dossiers d’hommes et 10 dossiers de femmes, et des montants très différents accordés. Alors ce n’est pas une volonté des institutions de financer moins, ça peut être les créatrices et artistes qui souvent demandent moins que les hommes. C’est le cas dans bien des domaines ! Il faut alors être attentif à ça et travailler sur ces points-là.

Il y a une importance également de former les femmes à oser ?

Laurie Hagimont : Alors je ne pense pas qu’il faut les former à oser mais plutôt les encourager à oser. Par exemple, j’ai rencontré une jeune femme l’année dernière qui a fait des études de théâtre à Rennes 2 et qui pensait abandonner. Elle est entrée dans une asso féministe et elle le dit, elle s’est mise à la mise en scène.

Elle ne l’aurait pas fait sans être entrée dans une asso féministe. Elle s’est sentie soutenue et portée. Les garçons ont moins ce problème-là, il y a une grande différence dans l’éducation que l’on reçoit par rapport à l’autonomie et la capacité à faire des choses.

J’en viens au matrimoine. Peut-on rappeler ce qu’est le matrimoine et quelle importance il y a à utiliser ce terme ?

Elise Calvez : Le terme matrimoine, on en a pas mal entendu parler ces derniers temps parce que des élu-e-s s’en sont servi-e-s pour poser la question à Paris mais c’est un terme que l’on utilisait déjà depuis plusieurs années. Sans évidemment avoir envie de faire la guéguerre aux hommes sur quoi que ce soit mais partant du constat que dans ce que l’on appelle « patrimoine » - et du mot qui vient de « pater » - c’est beaucoup d’héritage de nos pères qui nous est transmis.

Et l’héritage de nos mères, créatrices du passé, a plus de mal à être transmis. Il est encore peu visible. Et que ce soit en peinture, au cinéma, en photos, au théâtre, en poésie, on a beaucoup de mal à retrouver ces créatrices dans les anthologies, les histoires de l’art, les musées, les plateaux de théâtre ou de danse. Dans le répertoire. Dans ce qui forme notre culture commune.

Et donc le but du matrimoine, c’est vraiment de rouvrir une 2e bibliothèque qu’on avait un peu oubliée. C’est une entreprise très joyeuse, très enrichissante, pour tou-te-s. L’idée c’est de dire que notre héritage culturel, il sera constitué d’une diversité d’apports. Du patrimoine du coup et de ce que nous ont légué les créatrices du passé qu’on a souvent oublié, alors même qu’à leurs époques elles étaient reconnues.

Beaucoup de dramaturges étaient dans les anthologies de théâtre sous l’Ancien Régime au 17e siècle et ont été effacées au fil des rééditions… C’est Aurore Evain qui en parle très bien et qui a beaucoup travaillé sur la question du matrimoine. On voit qu’il y a un effacement successif, ce qui fait que quand on demande aux gens de citer une femme photographe, une femme dramaturge, une femme artiste, on a toujours besoin de réfléchir plus longtemps.

En revalorisant ces artistes, c’est déjà pour notre culture générale mais le but on va dire aussi c’est de revaloriser des modèles de projection pour les femmes que nous sommes aujourd’hui, pour les étudiantes aux Beaux-Arts, les femmes en formation d’actrices, de danseuses, de photographes…

Se dire que dans l’histoire de l’art, les femmes n’ont pas été que des sujets de peinture ou des mécènes. Ce sont souvent les deux endroits, muses ou mécènes, auxquels on les cantonne allégrement. Alors qu’elles ont aussi participé activement à notre histoire de l’art. On parlait du passé mais il y a aussi la question de nos modèles aujourd’hui.

Vu l’impact qu’ont les arts et la culture, avec le street art, les séries TV, les polars, la BD, etc. on se demande alors qu’est-ce qu’on transmet de nos vies culturelles et de nos représentations de 2018 aux générations futures comme modèles, comme référents, comme histoire de l’art de demain ?

Aujourd’hui, on voit les lacunes de ce qui nous est transmis. Est-ce qu’en 2018 on continue à reproduire cette histoire de l’art encore très blanche, très hétéronormée, très masculine, très bourgeoise dans ses codes. Finalement en interrogeant le matrimoine, c’est une porte d’entrée vers tous ces questionnements. C’est une tâche colossale.

Lors des Boum que l’on a organisé, on avait envie de faire un quizz musical pour savoir quelles sont les musiciennes et les compositrices qui nous ont inspiré-e-s qu’on a envie de retransmettre aux générations futures. On a fait une lecture en janvier, sur les poétesses du voyage parce que les femmes n’écrivent pas que sur la cuisine et leurs amours déçus. Elles parlent aussi d’aventures, de grands voyages, de grands espaces, de rencontres de l’Autre. Là aussi ça crée d’autres modèles, de politiques.

Et vous avez organisé aussi un speed dating matrimoine le 6 février, au Grand Sommeil, à Rennes.

Elise Calvez : Oui effectivement, le but était que ce soit quelque chose de très collaboratif, que chacun-e vienne avec une œuvre quelle qu’elle soit, enfin qui puisse être partagée ce soir-là dans un bar, comme un livre, un tableau, de la musique (venir avec des écouteurs), un instrument de musique pour jouer de la musique. Pour se les faire découvrir, on a pris le format du speed dating qui est quelque chose d’assez ludique, avec un temps défini pour faire connaître l’œuvre que l’on a envie.

Quelle est l’importance de varier les formes ludiques plutôt que d’utiliser la forme conférence ?

Elise Calvez : On fait aussi des conférences. Par exemple, on parlait d’Aurore Evain, on l’a accueillie en conférence l’année dernière. Parce que c’est important de nourrir des réflexions théoriques sur quelque chose d’approfondi, de factuel. Mais on invite aussi tous les gens de manière ludique à – cette expression est jolie – « chausser ses lunettes de l’égalité ».

Une fois qu’on commence par le biais ludique à interroger ça, on se dit que ça va faire son chemin du côté du grand public. Et puis en tant que public, on peut tous jouer.

Laurie Hagimont : En fait pour moi il y a deux niveaux. Il y a le niveau où l’on va réfléchir, approfondir, étudier même la question en allant loin, en allant se nourrir de choses lors des conférences avec des pointures disons-le. Et il y a aussi le niveau du quotidien. Ce sont des choses du quotidien. On peut parler du grand théâtre, des grandes œuvres, avec un côté un peu élitiste mais la culture ne se limite pas du tout à ça.

La culture, on en a tous les jours. Qui n’écoute pas de la musique ? Qui ne regarde pas une série TV ? Tout cela contribue à constituer notre héritage culturel commun. Et comment on va l’interroger ça au quotidien ? C’est pour ça qu’on avait envie de parler de matrimoine contemporain, pour qu’on arrive à poser un regard dans ce qu’on aime, ce qu’on lit, ce qu’on écoute : tiens, y a qui comme femme ? Et puis, éventuellement, se pencher dans l’histoire de ces femmes.

Ça crée plein de choses entre les personnes qui présentent ces œuvres et ces femmes et puis c’est une expérience généreuse comme quand on est entre ami-e-s et que l’on se recommande des bouquins, des films, etc. ça crée des échanges, des contacts. C’est du lien humain qu’il y a derrière. On est ancré dans le quotidien et dans quelque chose de joyeux, convivial et relationnel. Ça ne doit pas être forcément de l’étude. On peut sortir d’un rapport qui peut paraître austère. Ça peut être vivant et drôle !

Là on parle du côté grand public qui se fait découvrir des œuvres. Mais il y a aussi la prise de conscience du côté des artistes femmes. Elles ne sont pas toujours conscientes des inégalités ou alors n’osent pas toujours en parler. Revient souvent la fameuse réponse : « Le sexe n’est pas un critère »…

Elise Calvez : Je pense qu’il y a plusieurs choses. Il y a l’envie d’être reconnue pour son travail et pas pour une cause qu’on défendrait. Ce qui peut être entendu. On voit cette année particulièrement que c’est quand on est en collectif que ça change, que ça bouge et que ça réagit.

Je pense aussi que d’un point de vue individuel, les femmes peuvent avoir intégré que les freins viennent d’elles. Elles peuvent avoir intégré que si un truc ne marche pas ce n’est pas du sexisme, c’est parce qu’elles sont trop timides, c’est parce qu’elles n’ont pas osé demander ou c’est parce qu’elles ont dû mal s’y prendre, ou encore qu’elles n’osent pas demander un poste de direction, demander un prix.

Elles vont se dire que c’est dû à leur personnalité et pas à un système global. L’intérêt des soirées organisées par HF, quand il y a des rencontres, c’est que l’on se rend compte lorsqu’on échange que tout le monde a cette même défense. De se dire « Le problème, ça a dû être moi à un moment donné, j’ai dû mal m’y prendre ».

Et quand on a des témoignages de ça, en nombre, on se dit que le problème individuel est tellement partagé que ça doit vraiment être lié à nos modes d’éducation, à nos modes de représentation, à notre intégration nous-même des codes, de l’auto-censure. Quelque chose qui se joue là et qui n’est pas de l’ordre que de l’individuel. La bascule, elle est là.

Laurie Hagimont : La question du talent revient souvent. On peut trouver 80% d’hommes programmés dans une structure et seulement 20% de femmes et quand on le souligne, la réponse sera « Mon problème n’est pas de programmer un homme ou une femme mais de programmer quelqu’un qui a du talent ».

Et ça c’est complètement horrifiant comme réponse. Ça veut vraiment dire quelque chose derrière qui est in-entendable et surtout qui est très très faux. On a la parité dans les écoles d’art entre les filles et les garçons donc il se passe forcément un truc entre les deux. On voit souvent, enfin personnellement c’est mon impression, que les femmes qui sont visibles dans les arts et la culture, elles produisent généralement des œuvres qui se détachent réellement.

Ça veut dire qu’elles sont vraiment vraiment fortes pour arriver à cette visibilité. Je pense à Jane Campion avec Top of the lake, c’est un bijou. C’est d’une finesse incroyable. Il y en a plein d’autres qui auraient produit des choses qui sont très bien mais là on est dans du très très haut de gamme.

Elise Calvez : Et ce talent, il s’interroge aussi. Il est bassement lié à des choses matérielles. Quand on est artiste, si on n’a pas de bourse de création, une résidence, un budget (si on a moins d’un tiers de budget par rapport à ce que peut demander un homologue masculin et qui l’obtiendra), effectivement, à un moment donné, le rendu final du projet n’aura pas la même allure. C’est ça aussi qu’on interroge. Il y a des résidences d’artistes où il y a une artiste sur 15 qui a une bourse de création. Ça veut dire que toutes les autres ont fait autrement.

S’il n’y a pas de financement, de résidence, de reconnaissance dans le réseau – parce qu’on sait que la culture marche beaucoup par de la cooptation, par de l’informel, par le fait de rester à la fin de telle réunion, rentrer un peu plus tard le soir, être à la limite du privé et du public – si entre 30 et 40 ans on ne peut pas rester sur ces temps informels-là, on sait que ça va être un frein sur le développement d’une carrière. Le talent est une sorte de masque assez poli pour masquer des choses assez concrètes sur la cooptation, sur les réseaux et sur les recommandations.

Laurie Hagimont : Le manque de visibilité va se mettre en place très vite. Même très concrètement, un programmateur qui aurait la volonté de faire du 50/50, il va falloir qu’il s’implique plus pour aller les trouver (les femmes). Forcément, elles ne sont pas dans les résidences, dans les festivals, etc. il faut aller plus loin, creuser la recherche et comme les collègues ne les programment pas non plus, on ne peut pas s’appuyer sur son réseau.

Mais les programmateurs ont un vrai boulot à faire sur ce point-là. Beaucoup ont la volonté de le faire mais n’y arrivent pas forcément. Mais elles existent, elles sont là, mais il faut vraiment aller les chercher, il y a vraiment des pépites à sortir. Encore faut-il les voir !

Voit-on une différence quand c’est un programmateur et quand c’est une programmatrice ?

Laurie Hagimont : Je crois qu’on n’a pas étudié la question. Peut-être bien, mais là je vous le dis par croisement des données. En programmation, plus la structure va être grosse, plus elle va être institutionnalisée, moins on va avoir de femme à sa tête, à la programmation. Plus la structure va être petite, va manquer de moyen, plus on va avoir des femmes à sa tête. Et comme les femmes sont sur des petits lieux ou des lieux intermédiaires, je pense que ça doit faire une différence.

Elise Calvez : Ça joue mais on ne sait pas dans quelle mesure ça joue. Par conviction ou par moyens de productions ?

Laurie Hagimont : Je pense que c’est vraiment à double tranchant.

Elise Calvez : Après, encore heureux, il y a des programmateurs attentifs. Il n’y a aucun empêchement physiologique à ce qu’ils n’y fassent pas attention. Et vice versa. Il peut y avoir des femmes qui ne se posent pas la question non plus. Je n’en connais pas mais ça doit exister…

Laurie Hagimont : J’ai vu des lieux qui revendiquent des programmations paritaires et c’est toujours des petits lieux, des lieux associatifs.

Elise Calvez : Souvent, dans les lieux plus grands, il va y avoir un événement. Dans l’année, c’est pas terrible niveau parité mais sur une semaine, on va avoir un temps sur les femmes exceptionnelles (c’est un exemple). Il faut vraiment que ça vaille le coup ! Ça ne peut pas être au long cours dans la saison. Ça va être avec des stars, des gens exceptionnels, au niveau national ou international, quelque chose de prestigieux, sur un temps court. Bon, c’est un premier pas et tant mieux…

Mais pas suffisant…

Elise Calvez : Oui, je sais pas, c’est comme toutes ces questions de représentations et de diversité. On croise souvent la question. Sur le plateau, on aimerait qu’il y ait plus de gens différents. Et en responsabilité artistique également. La moitié de la population, ce sont des femmes, ce serait bien que ça se retrouve.

Une part de la population n’est pas d’origine française directement, ce serait bien que ça se retrouve, une part de la population vient de différentes origines sociales, ce serait aussi bien qu’elles aient le droit à la parole, à la représentation symbolique, etc. Est-ce que les arts et la culture qui sont par essence le lieu du symbole peuvent se passer de représenter la société de 2018 ?

C’est plutôt simple comme question et le fait est que non, on reste encore sur des représentations très normées : hommes, 50/60 ans, blancs, hétérosexuels. Ouvrons un peu les portes ! Oxygénons les modèles de représentation ! Ce n’est pas dans quelque chose de revanchard ou de guerrier, on est persuadé-e-s que c’est riche, que ça nous apportera à tous, et que c’est passionnant ! Ce n’est pas de l’agressivité, c’est de l’envie de partager. Il y a des cerveaux variés, des intelligences variées, des regards variés, des imaginaires variés… On a tout à y gagner ! De tous ces gens dont on se prive pour l’instant…

Laurie Hagimont : On parle beaucoup de responsables artistiques mais il y a un élément encore plus visible pour le grand public, c’est ce qu’on voit. Quelle est l’histoire qu’on nous raconte ? Dans les oeuvres narratives, il y a un test tout bête à utiliser quand on est spectateur et qui marche dans tout : c’est le test de Bechdel. Je trouve que c’est hyper important de le connaître et de le diffuser.

Quand on est face à une œuvre narrative – ça peut être une représentation au TNB, un bouquin, une série TV, un jeux vidéo – on peut se poser les 3 questions du test : Y a-t-il au moins 2 femmes qui portent un nom parmi les personnages de l’œuvre ? Est-ce que ces 2 femmes parlent entre elles ? Si elles parlent entre elles, parlent-elles d’un autre personnage masculin ?

Ce qui est marrant et qui peut paraître assez bête, c’est d’inverser les questions à propos des personnages masculins, à tous les coups, c’est oui aux 3 questions. Ça l’est assez rarement de l’autre côté. Par exemple, à la rentrée, sur les 8 prix littéraires décernés, il n’y en a qu’un qui a réussi le test de Bechdel ! En 2018 ! Et ils ont évidemment été attribués à des hommes.

Quelque chose qui commence à se faire et qui me semble assez important, c’est au niveau de la représentation des femmes dans des jurys, des tables rondes, des débats, on a eu la semaine dernière l’exemple de Mathieu Orphelin qui à la suite de sa rencontre avec la Barbe a décidé d’annuler sa participation à une table ronde car il n’y avait quasiment aucune femme représentée ! Il y en a plein des événements dans ce style…

On a vu un tremplin de musiques actuelles, sur 22 membres du jury, il y avait deux femmes… Les garçons s’il vous plait ne soyez pas complices de ça ! Des femmes en capacité de participer à un jury ou une table ronde, ça existe !

Elise Calvez : Bizarrement, on remarque que quand ils nous filent un coup de main, ça marche mieux aussi ! Tant mieux, ça aide. Mais ça légitime quelque chose qui est dit depuis des années par les assos de femmes. Enfin bon, tant mieux.

Laurie Hagimont : C’est le problème de tout le monde cette représentation. Il n’y a pas que les femmes qui veulent plus d’égalité, il y a beaucoup d’hommes dont c’est le cas. Bonne nouvelle, ils peuvent agir ! Ils peuvent adhérer à HF, par exemple !

Elise Calvez : Ou venir boire des coups aux apéros !

Ou vous aider pour les événements du mois de mars, pendant lequel vous faites un focus sur une femme en particulier. Pourquoi Clotilde Vautier ?

Elise Calvez : Alors, je le dis tout de suite parce que c’est important, ce projet a été construit avec 3 associations : HF Bretagne, Histoire du Féminisme à Rennes et Les amis du peintre Clotilde Vautier. Le point de départ c’est que Clotilde Vautier est née en 1939 et est décédée il y a 50 ans, le 10 mars 1968.

C’était une artiste peintre qui a vécu à Rennes et qui a été élève aux Beaux-Arts de Rennes où elle a rencontré les deux frères Otero, Antonio et Mariano. Et ensemble, ils forment une équipe d’artiste. Ça marche bien pour eux, ça décolle, ils ont des expos. Mariano Otero continue d’ailleurs d’exposer aujourd’hui. Antonio et Clotilde ont ensemble deux filles : Isabel Otero, comédienne, et Mariana Otero, réalisatrice.

En 1968, Clotilde Vautier tombe enceinte une 3e fois, c’est donc avant la loi Veil, avant l’avortement autorisé, et elle décède des suites de son avortement clandestin. Elle meurt très jeune. Autour de ça, ce qui nous a intéressé dans cette figure-là, c’est qu’elle croise plusieurs problématiques qui se posent aux femmes artistes. Déjà de manière très brutale avec cette question de vie ou de mort qui interrompt une carrière artistique, pour des questions liés au corps.

On n’imagine aucun artiste masculin, de Picasso à n’importe qui, dont l’œuvre se serait arrêté au moment il a eu des enfants… Il y a déjà là quelque chose qui se casse. Et puis, avec Histoire du Féminisme à Rennes, on a voulu construire ça sur différents aspects.

Sur son histoire de femme, et là il y aura une projection du film réalisé par Mariana Otero, Histoire d’un secret, qui revient sur son parcours, sur cette histoire commune certainement à des milliers de femmes en France dont on a caché l’histoire parce que c’était la honte. Le film raconte parfaitement le climat, le contexte avant la loi Veil. Et Histoire du Féminisme à Rennes proposera une visite guidée comme l’asso le fait régulièrement (17 mars à 15h30).

Et on voulu aussi ne pas parler de Clotilde Vautier uniquement en victime de sa condition de femme mais avant tout reparler de son travail, de ses œuvres, avec l’idée qu’on ne pourra jamais imaginer ce que serait devenue sa carrière si elle avait vécu plus longtemps mais qu’on peut s’intéresser à ces dernières œuvres, les plus abouties, dans les années 67-68 avant son décès, en exposant ses œuvres à la MIR du 1er au 17 mars. Avec à la fois des toiles et à la fois des croquis.

Il y aura aussi, pour compléter tout ça et remettre dans un contexte historique, on a invité Fabienne Dumont pour une conférence. Elle est historienne de l’art, critique d’art, chercheuse et enseignante à l’école des Beaux-Arts de Quimper. Et est une spécialiste de la question des représentations et de la reconnaissance des femmes artistes et notamment des plasticiennes, dans les années 70 à aujourd’hui.

Dans sa conférence, elle va partir de l’exemple de Clotilde Vautier pour voir ce que l’on peut dire des femmes artistes dont la carrière a été brisée ou dont la reconnaissance a été compliquée à faire exister. Et qu’est-ce qui peut être riche dans leur travail, en quoi leur travail nous semble valable, intéressant, y compris sur la manière de représenter les corps de femmes ? Est-ce qu’on représente le modèle féminin de la même manière ? On pose les questions. Ce sera le 14 mars à 19h à la MIR.

On essaye avec ce projet, d’attaquer la chose sous différents angles, c’est pourquoi on l’a appelé « Celle qui voulait tout », en greffant l’histoire individuelle, son parcours artistique et l’histoire collective. Au niveau de la ville de Rennes, un collège porte le nom Clotilde Vautier, et elle a une allée aussi dans une commune de Rennes Métropole. Mais son travail est toujours peu visible.

Il y a une série au musée des Beaux-Arts…

Elise Calvez : Il me semble que ce sont des croquis et je ne sais pas s’ils sont exposés. Dans le cadre du matrimoine, est-ce que ça ne pourrait pas être intéressant d’avoir une toile visible par le grand public quand il vient à Rennes d’une artiste locale ? Il y a un parcours interrompu mais sa démarche est singulière. Voilà donc notre projet du 8 mars.

Ces événements sont grand public, est-ce que vous conviez des artistes plasticiennes de Rennes – comme on a pu le voir se réunir au sein des Femmes Libres pour l’exposition Intimes, à l’Hôtel Pasteur – pour témoigner ?

Elise Calvez : On n’a pas fait le choix des témoignages d’artistes d’aujourd’hui. Cela dit je pense que lors de la conférence il y aura un échange et ce sera intéressant de voir si les freins qui existent aujourd’hui sont toujours les mêmes, en partie, que ceux qu’a pu connaître Clotilde Vautier.

Je pense que c’est autour de la conférence que ça pourra se faire. Le simple fait par le matrimoine de faire ré-émerger des modèles nourrit la réflexion et la pratique des artistes d’aujourd’hui. Parce que si les modèles ne sont pas transmis, chaque génération a l’impression qu’elle doit refaire son histoire de l’art, recommencer, ou s’imaginer en pionnière, etc. 

 

Du 1er au 17 mars : "Dernières œuvres, 1967-68"
Exposition des toiles et dessins peints par Clotilde Vautier durant les dernières années de sa vie, marquées par une grande créativité.
Maison Internationale de Rennes, du lundi au samedi, de 14h à 19h (ouverture plus tardive en cas d'autre événement à la MIR)
Gratuit

Samedi 10 mars : Histoire d'un secret : projection et rencontre avec la réalisatrice Mariana Otero
Cinéma L'Arvor, 18h
Entrée payante - Réservation conseillée

Mercredi 14 mars : "A partir de Clotilde Vautier, point de vue féministe sur la création et la reconnaissance des plasticiennes"
Conférence de l'historienne de l'art Fabienne Dumont, professeure à EESAB
Maison Internationale de Rennes, 19h
Gratuit

Samedi 17 mars : Visite guidée "Rennes au féminisme", sur les traces des luttes rennaises pour le droit à l'avortement
Centre-ville (point de rendez-vous communiqué lors de l'inscription), 15h30
Inscription obligatoire: histoire.feminisme.rennes@gmail.com
Gratuit

Célian Ramis

"La meilleure contraception, c'est celle que l'on choisit !"

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Planning Familial 35
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Cinquante ans après la promulgation de la loi Neuwirth (19 décembre 1967), le Planning Familial 35 a souhaité faire le point sur les avancées à saluer mais aussi sur les combats encore à mener.
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Il n’existe pas de bonne ou de mauvaise contraception. C’est à la personne concernée – qu’elle soit femme ou homme - de faire son choix. Celui-ci doit être éclairé par une information complète et accessible à tou-te-s. Cinquante ans après la promulgation de la loi Neuwirth (19 décembre 1967), le Planning Familial 35 a souhaité faire le point sur les avancées à saluer mais aussi sur les combats encore à mener. Tout cela dans une optique claire : l’égal accès à la liberté de choisir. Des mots importants, qui résonnent dans toutes les luttes (et les bouches) féministes !

« L’histoire que je raconte ici se déroule en 1971. Année charnière pour les femmes. Trois ans après mai 68, l’année du Manifeste des 343 femmes – ayant une certaine notoriété – qui proclament, en défiant la loi, qu’elles avaient avorté. Un an avant le procès de Bobigny où une jeune fille de 16 ans que je défendais devant le tribunal avait choisi l’avortement après avoir été violée et engrossée par un voyou de son quartier. Procès qui devait ouvrir la voie à la loi de 1975 (dite loi Veil). »

Ce sont les mots que Gisèle Halimi, présidente de Choisir la cause des femmes – fondée notamment avec Simone de Beauvoir en 1971 – couche dans la préface de la bande-dessinée de Pierre Wachs et Philippe Richelle, Libre de choisir. Avant de poursuivre : 

« Les Anne, les Isa aujourd’hui doivent savoir que les droits obtenus par leurs aînées demeurent fragiles et peuvent toujours être remis en question. Notamment le plus important d’entre eux, celui de choisir de donner – ou non – la vie. Car la précarité marque toujours les acquis des femmes. »

Avant les années auxquelles l’avocate se réfère, l’Histoire de la lutte des droits des femmes est marquée en 1967, le 19 décembre exactement, par la promulgation de la loi Neuwirth. La contraception - et la pilule oestro-progestative notamment - est dès lors autorisée. Dans le texte seulement, puisqu’il faudra attendre 1972 pour voir publiés les décrets d’application.

« LULU LA PILULE »

Entre temps, la loi de 1920, interdisant l’avortement et la contraception, est encore en vigueur, rendant impossible la publicité autour de la contraception. Lucien Neuwirth, député de la Loire et gaulliste, va devoir se battre contre ses collègues élus et l’opinion publique. Et va devoir convaincre le général de Gaulle, très réticent à cette idée, comme la plupart des hommes politiques, excepté François Mitterrand qui se déclarera favorable.

On connaît peu l’histoire de celui que l’on a surnommé « Lulu la pilule ». Pour les 50 ans de la loi, le magazine Causette, dans son numéro de décembre, revient sur l’acharnement de cet homme qui a mené bataille, 20 ans durant, pour qu’ait lieu cette révolution sociale. Une histoire – et une société - sur laquelle est également revenue l’émission « Qui sommes-nous ? » en diffusant le 19 décembre, sur France 3, le documentaire La bataille de la pilule.

« La première des choses pour une femme, c’est de maitriser son corps. Mon corps m’appartient ! », peut-on entendre dans les premières minutes du film, coproduit par Causette et France Télévisions. Si aujourd’hui, les femmes ne peuvent pas encore se dire pleinement libres de disposer de leurs propres corps, elles peuvent en revanche célébrer les luttes qui ont mené à des avancées significatives en ce sens.

LE COMBAT CONTINUE

« On ne se verrait pas revenir en arrière ! », souligne Katell Merdignac, bénévole et membre de la commission Contraception-IVG du Planning Familial 35. En effet, l’association féministe et d’éducation populaire milite, comme le rappelle sa directrice Anne-Claire Bouscal, « pour créer les conditions d’une sexualité vécue sans répression ni dépendance dans le respect des différences, de la responsabilité et de la liberté des personnes (…). Contraception, avortement, éducation à la sexualité sont les conditions essentielles de l’autonomie, de l’émancipation des femmes, et de la libre disposition de leur corps. »

Et n’oublie pas de faire remarquer qu’en 2017, le combat est toujours d’actualité. L’accès à la contraception de son choix restant encore fragile. Parce que la population manque encore d’informations.

Pour plusieurs raisons : la loi de 2001 sur l’éducation à la sexualité (prévoyant des interventions en milieu scolaire chaque année, de l’élémentaire au lycée) est très peu appliquée, les professionnel-le-s de la santé sont trop peu formé-e-s à ces questions durant leur cursus universitaire, les structures ressources manquant de moyens financiers et humains sont inégalement réparties sur le territoire…

« Nous avons des partenariats avant certains établissements scolaires mais pas beaucoup. Ils demandent souvent une intervention pour les classes de 4ème. Et de 3ème. On va très peu dans les lycées, il y a beaucoup de résistance. Je remarque que ça se fait souvent à l’initiative d’une personne, ça tient sur une infirmière scolaire, un prof de SVT… Mais si un prof de SVT souhaite l’intervention et pas son collègue, ça complique les choses… Il faut convaincre les non convaincu-e-s. », déplore Laure Stalder, conseillère conjugale et familiale au PF 35.

La directrice note également que la demande d’intervention est souvent motivée par un événement survenu dans l’établissement, « alors que ça devrait être mis en place avant, dans un cadre d’information et de prévention. » Pas seulement en réponse à un incident.

La faible application de la loi de 2001 révèle un inquiétant manque de financements - les interventions étant à la charge des établissements – et, par conséquent, de volontés politiques. Pourtant, l’information est primordiale pour le maintien des acquis sociaux, menacés par la montée, et la médiatisation, des réactions conservatrices et les idées reçues, dont la déconstruction reste un enjeu majeur du Planning Familial.

DÉCONSTRUIRE LES IDÉES REÇUES

Le scandale des pilules de 3ème et 4ème générations, les études sur le potentiel lien entre pilule et cancer du sein, l’idée que la pose d’un stérilet est possible uniquement après une grossesse, le retrait de l’implant Essure du marché (pour « raison commerciale »)… Les polémiques s’accumulent, suscitant doutes et inquiétudes, constamment autour de la contraception, le tri dans les informations devient difficile et un ras-le-bol se fait sentir.

Le 26 septembre, à l’occasion de la journée mondiale de la contraception, nombreux étaient les articles titrant autour de la désaffection de la pilule et du retour aux méthodes naturelles. L’emballement médiatique est lancé et encore une fois, ce sont les femmes qui trinquent.

Depuis 1978, la progression de l’usage de la pilule a été constante, souligne le PF 35 dans un communiqué, passant de 27% (cette année-là) des utilisatrices de contraception à 45% en 2000. On constate alors que les méthodes dites traditionnelles (retrait et abstinence périodique), utilisées à 23%, sont largement délaissées, chutant à 3%.

Dans les années 2000 pourtant, les études de l’INED (Institut national d’études démographiques) mettent en avant une inversion des tendances. L’usage de la pilule passe de 41% en 2010 à 33% en 2016. D’un autre côté, d’autres méthodes contraceptives prennent du gallon. Comme le stérilet (DIU, dispositif intra-utérin) qui voit son utilisation passer de 19% à 26% (sur la même période) et le préservatif qui passe de 11% à 16%.

Les méthodes naturelles reviennent en flèche en 2010, doublant son pourcentage avant de se stabiliser autour des 5% de 2014 à 2016. Un chiffre assez proche de celui de la stérilisation féminine (ligature des trompes), qui serait d’ailleurs en régression.

La pilule reste en France la méthode privilégiée par les concernées, particulièrement chez les jeunes de 15 à 19 ans (60,4%). Le Baromètre santé 2016 indique que son utilisation baisse avec l’âge (35,4% des 30-34 ans). En Bretagne, l’ARS (Agence régionale de santé) révèle même qu’en 2016, plus d’une femme sur deux utilise la pilule entre 18 et 29 ans.

ÉCOUTE ET DIALOGUE

« En consultation, on part des idées reçues des patientes, de ce qu’elles ont entendu, de ce dont elles ont peur. Les études sur les risques de la pilule sont très controversées. On dit aux femmes que la pilule provoque le cancer du sein mais on ne leur dit pas qu’elle les protège du cancer de l’utérus et du colon. Je ne peux pas assurer à une patiente qu’il n’y a aucun risque avec la pilule mais déjà le risque est extrêmement faible et ensuite c’est le cas avec tous les médicaments. »
déclare Cloé Guicheteau, médecin du PF 35.

Elle poursuit : « Quand elles sont jeunes, en majorité, elles ne connaissent que la pilule, qu’elles aient commencé une sexualité ou non. Elles veulent donc ce qu’elles connaissent. Notre rôle est de leur expliquer tout ce qui existe. Je leur parle du stérilet, de l’implant, etc. De comment vont se passer leurs règles, selon les méthodes de contraception. Je leur dis de ne surtout pas hésiter à revenir nous poser des questions, à revenir nous voir si jamais après la pose de l’implant elles ont des saignements trop fréquents. Pour voir comment on peut faire, comment ça peut passer. Il faut leur expliquer et dire que ça peut ne pas convenir. Ensuite entre 20 et 29 ans, on voit une diminution de l’utilisation de la pilule au profit du stérilet, souvent. Parce que ça peut être vécu comme une contrainte pour certaines de prendre la pilule tous les jours, ou parce qu’elles veulent prendre moins d’hormones, etc. »

Une baisse qui peut s’expliquer par une plus grande connaissance du sujet et peut-être une plus grande écoute de son corps et de son environnement. À l’heure où la société tend à se tourner vers des comportements plus écologiques et où l’on s’interroge sur la composition des cosmétiques, du textile, de l’alimentation, etc., les femmes prennent évidemment part au mouvement et questionne aussi leur quotidien.

Cloé Guicheteau et Laure Stalder se rejoignent sur la complémentarité de leurs fonctions. Les femmes peuvent parler différemment de leur rapport à la sexualité, à leurs corps, à leurs vécus, face à un-e médecin ou face à une conseillère conjugale et familiale. D’où l’importance de l’écoute et de l’information. Savoir aussi que selon les âges, les parcours, les expériences, les étapes de vie, les personnes évoluent et la méthode contraceptive peut être modifiée.

DES CONNAISSANCES POUR UN CHOIX RÉEL

Le mot d’ordre de la structure, d’autant plus valorisé à l’occasion des 50 ans de la loi Neuwirth : il n’y a pas de bonne ou de mauvaise contraception. Bénévoles et salariées insistent, il s’agit là d’un choix individuel, qui doit être éclairé par une information complète et accessible à tou-te-s.

« Nous ne sommes pas là pour décider à la place des patientes mais nous devons les informer sur tout ce qui existe, que ce soit sur les méthodes réversibles, comme sur les méthodes définitives. »
explique Marie Lintanf, bénévole et membre de la commission Contraception-IVG du PF 35.

La contraception ne doit pas être une fatalité mais un choix. Aujourd’hui encore, néanmoins, on regrette le manque d’écoute de certain-e-s professionnel-le-s de la santé et le manque, voire l’absence, d’informations dispensées par ces dernier-e-s. Sans compter certaines idées reçues encore véhiculées en 2017 (même si elles tendent à disparaître pour certaines).

D’un côté, on aborde la contrainte de la prise quotidienne d’un comprimé hormonal. D’un autre, on appréhende la douleur lors de la pose d’un stérilet (ou que notre corps le rejette). On réfléchit à la solution préservatif mais « Monsieur » préfère sans. Le retrait ? On n’y pense pas toujours dans le feu de l’action… Choisir sa contraception peut ressembler à un casse-tête chinois et être source d’angoisse et de souffrance, comme en témoigne Le chœur des femmes, de Martin Winckler.

Mais l’ouvrage montre surtout l’importance de l’écoute et de l’information. Du travail collectif entre patientes et professionnel-le-s. Sans oublier la relation de confiance. « C’est très important de prendre le temps de discuter. De ne pas forcément faire l’examen gynécologique dès le premier rendez-vous par exemple. », insiste Cloé Guicheteau.

SE FORMER À L’ÉCOUTE ET À L’ADAPTATION

Pour elle, il est essentiel de s’adapter à chaque patiente. Et de bien expliquer étape par étape les gestes qui vont être réalisés lors d’un examen :

« Je montre le spéculum, j’explique à quoi il sert, l’endroit où je vais le mettre et ce que je vais faire. Il faut bien faire attention à expliquer ce que l’on va faire sur leur corps. Ce n’est pas seulement imaginaire, il est important qu’elles visualisent. Pour le stérilet, on passe plus de temps à préparer le matériel qu’à le poser. Alors pendant la préparation, on échange avec la patiente. Plus elle est décontractée et détendue, moins elle ressentira de gêne. On discute, on parle d’autres choses. On voit comment elle se sent, on peut lui montrer avec un miroir si elle le souhaite, c’est vraiment selon la personne !

On prévient de tout ce qu’on va faire pour qu’elles ne soient pas surprises. Elles vont avoir des petites douleurs, comme une petite douleur de règles, pendant la pose parce que l’utérus est un muscle, il se contracte. On travaille alors la respiration pour bien oxygéner le muscle utérin. On peut utiliser l’hypnose aussi si on sent qu’il y a trop d’angoisse. Et surtout, il ne faut pas insister si on voit que c’est difficile. On va alors essayer de discuter, voir s’il n’y a pas d’antécédent de traumas, et malheureusement, souvent dans ces cas-là, on s’aperçoit qu’il y en a. A partir de là, on prend le temps avant de réenvisager la pose ou pas. »

Pour Anne-Claire Bouscal, la question des violences faites aux femmes, de l’écoute, de l’information, de l’adaptation à la personne, etc. doivent être obligatoirement prises en compte dans toutes les formations des professionnel-le-s de la santé, tout secteur confondu. Et pour cela, une vraie volonté politique doit être, pas seulement affichée, mais entreprise réellement sur le terrain.

L’INFORMATION POUR TOU-TE-S

Les associations manquent de moyens financiers mais aussi humains. Et ne peuvent, à elles seules, faire tomber les barrières sociétales et pallier toutes les inégalités territoriales. Le gouvernement doit également prendre sa part, au travers de financements plus importants, via des campagnes d’information visibles et accessibles à tou-te-s.

Chloé Bertin, bénévole et membre de la commission Contraception-IVG du PF 35, soulève un point essentiel : les événements autour de ces questions, et notamment autour de la contraception masculine, sont quasiment exclusivement organisées à l’initiative d’associations et ne touchent ainsi pas tous les publics :

« Chaque année à Rennes, en 2016 et en 2017, il y a une soirée sur la contraception masculine. Il y a Ardecom qui en parle, ou encore Thomas Bouloù, mais ça reste des initiatives associatives. Pas institutionnelles. Le Planning parle aussi bien des méthodes de contraception féminine que des méthodes de contraception masculine. Ces dernières sont très peu choisies et c’est le parcours du combattant pour la vasectomie. »

LES HOMMES AUSSI SONT CONCERNÉS

Le parcours du combattant, c’est ce que relate le rennais Franck Bréal dans Causette (numéro de novembre 2017 – à lire absolument, hommes et femmes, on précise). Il fait parti des 0,8% (en France, parce que dans des pays voisins, le chiffre se rapproche des 20%) d’hommes à s’être orienté vers une méthode définitive. Son témoignage met le doigt sur un tabou profond, criant de vérités : la contraception peut, et doit, se conjuguer au féminin et au masculin.

Depuis la légalisation de la contraception, seules les femmes sont visées. Elles sont les seules responsables d’une éventuelle grossesse. À elles de penser au petit comprimé à prendre tous les jours à heure fixe. À elles de réfléchir à leurs moyens de contraception. À elles d’aller chercher la contraception d’urgence à la pharmacie (et de s’entendre dire qu’elles ont été irresponsables) si besoin. À elles de dire « On va mettre un préservatif (féminin ou masculin) parce que je prends pas la pilule / j’ai pas de stérilet / j’ai pas d’implant » ou « Il faudra se retirer avant la fin (pour les mêmes raisons) ».

À elles de calculer les dates d’ovulation et jours de menstruations, sans qu’aucune question ne lui soit posée. Oui, elles gèrent. Et elles gèrent toutes seules. Pourquoi ? Parce que c’est une affaire de gonzesses. C’est faux. Franck Bréal le dit d’ailleurs au début de son article :

« Véro (sa compagne, ndlr) a raison : la contraception est aujourd’hui considérée comme une prérogative féminine. Cette charge (mentale) normée et imposée est pourtant loin d’être un acte banal et n’est pas sans risque. »

Et la vasectomie est également considérée comme loin d’un acte banal et sans risque. Parce que cet acte atteint à la virilité (idées reçues : la vasectomie rend impuissant / c’est certainement sa compagne qui le force parce qu’elle en peut plus d’être enceinte / il va le regretter plus tard – selon l’âge de l’individu, évidemment), dans l’opinion publique.

AVANCER ENSEMBLE

Encore une fois l’absence d’information et de connaissance joue en défaveur de la méthode et surtout en défaveur de la liberté de choisir (un délai de réflexion de 4 mois est obligatoire avant la réalisation de la vasectomie). À cela viennent s’ajouter les assignations de genre, parfait cocktail mortel qui n’oublie pas de polluer les esprits.

Cinquante ans ont passé depuis que la victoire de Neuwirth sur les conservateurs-trices. Celui qui était traité de « fossoyeur de la France » et « d’assassin d’enfants » - contraint de retirer sa fille de l’école catholique  en 1967 « à cause du harcèlement dont elle est victime » (Causette), est aujourd’hui salué par la grande majorité de la population.

Depuis la promulgation de la loi et l’application des décrets, les avancées se sont multipliées, notamment le remboursement du stérilet et de la pilule, la vente libre de la contraception d’urgence en pharmacie, l’autorisation de la stérilisation à visée contraceptive, la prescription de la contraception et la pose du stérilet par les sages-femmes, la gratuité de certains contraceptifs pour les mineures de plus de 15 ans, le lancement d’un numéro vert gratuit (0 800 08 11 11 de 9h à 20h du lundi au samedi) ou encore la gratuité et la confidentialité de tout le parcours de soin relatif à la contraception pour les mineures de plus de 15 ans.

Mais le combat reste d’actualité. Pour ne pas revenir en arrière. Et pour progresser encore dans l’évolution des mentalités et dans l’accès à la contraception pour tou-te-s. Désormais, la contraception doit se conjuguer au féminin comme au masculin et l’information doit être complète, tout autant que l’écoute et la formation des professionnel-le-s.

Le Planning Familial 35 insiste sur le non jugement : « C’est la personne concernée qui sait le mieux ce qui est bon pour elle. Le panel contraceptif a beaucoup évolué en 50 ans et va continuer à évoluer. Maintenant, la contraception est quasi exclusivement féminine parce qu’on tient les femmes dans un rôle de procréation ou de responsable unique de sa contraception. L’égalité doit passer par le fait d’en parler et d’en discuter ensemble. »

 

 

POUR INFOS :

Le Planning Familial 35, c’est :

  • 180 adhérent-e-s

  • Une cinquantaine de bénévoles qui se mobilisent pour faire connaître le Planning et diffuser ses valeurs

  • 27 professionnel-le-s salarié-e-s qui forment et informent, qui écoutent et accompagnent les personnes au quotidien

  • 2 sites : Rennes et Saint-Malo

Célian Ramis

Femmes entrepreneures : Capables d'oser et de réussir

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Les femmes ne représentent que 30% des entrepreneur-e-s. Non moins compétentes que les hommes, elles se sentent en majorité moins légitimes. Le programme Caravelle propose de renforcer le leadership des porteuses de projet.
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Parce qu’il faut des couilles pour diriger une boite, l’entrepreneuriat est clairement associé à une image masculine. Une représentation fausse mais très imprégnée dans les mentalités, tant des hommes que des femmes. Ces dernières ne représentent encore que 30% des entrepreneur-e-s en France.

En dépit de la progression de ce chiffre au cours de ces dernières années et des incitations gouvernementales – plan pour l’entrepreneuriat féminin lancé en 2013 – les difficultés persistent. Des réseaux de femmes entrepreneures se tissent alors pour y répondre, privilégiant l’entraide et le partage.

C’est sur ces valeurs que se lance le programme Caravelle, en octobre 2017, en Ile-de-France, en Aquitaine et en Bretagne, destinée aux femmes entreprenant dans le domaine de l’Économie Sociale et Solidaire.

Depuis l’enfance, les petites filles entendent dire qu’elles doivent être douces, gentilles, maternantes, au service des autres et discrètes. En grandissant, elles intègrent que certains postes, comme ceux d’ingénieurs, de scientifiques ou encore de chefs d’entreprise, incombent aux hommes. Rares sont les modèles féminins à qui elles peuvent s’identifier.

Et quand on dresse le portrait de la femme d’affaires, l’image ne fait pas rêver : elle est stricte, froide, blanche, bourgeoise, peut-être fille de, centrée uniquement sur sa vie professionnelle, incapable de nouer des relations amicales avec les autres femmes. Pourquoi ? Parce qu’elle doit adopter les codes de la masculinité et redoubler d’effort pour prouver ses capacités et être acceptée.

Un tas de conneries parfaitement contre-productif qui part d’une base réelle, celle d’une société sexiste dans laquelle les femmes n’ont pas vraiment leur place. Pourtant, aujourd’hui, les choses bougent et une nouvelle génération émerge : celle qui choisit son émancipation.

« Toute femme peut devenir une femme extraordinaire. Pour avoir votre part de chance, saisissez-là ! Il faut prendre la liberté d’entreprendre ! À vous d’organiser votre temps. La clé, c’est l’audace et la confiance en soi. Se sentir légitime, c’est important. On apprend en marchant. »

Ce sont les mots que la présidente d’Entreprendre ensemble, Daisy Dourdet, a adressé à l’assemblée présente lors du colloque « Réinventer le développement grâce à la diversité », qui se déroulait le 19 mai dernier, à l’École nationale supérieure de chimie de Rennes. Pour la table ronde « Entreprendre au féminin », elle était accompagnée de Céline Domino, créatrice du fait-main et membre du réseau Femmes de Bretagne, et de Michaela Langer, présidente de Triskem International.

Ensemble, elles ont pointé les difficultés auxquelles la majorité des femmes font face lorsque l’envie d’entreprendre les traverse et les ont aussitôt balayé du revers de la main. « Les réseaux féminins s’adressent particulièrement à celles qui se sentent menacées par les assignations de genre. Là, elles parlent entre elles de leurs vies personnelles et de leurs vies professionnelles qui s’entremêlent. », souligne Céline Domino, qui note également que « les femmes sont souvent sur l’idée de créer leur emploi. Beaucoup restent des porteuses de projet pendant très longtemps. Il y a parfois l’idée que quand on gère plusieurs salarié-e-s, on a moins de temps qualitatif avec ses enfants, sa famille. »

Pour Michaela Langer, c’est une question de choix et d’organisation : « J’ai un emploi du temps qui déborde. J’adore ce que je fais et je passe beaucoup de temps avec mes enfants. Ils sont heureux parce que je suis heureuse et ça se voit quand on est ensemble. Mais j’ai aussi envie d’aller plus loin avec mon entreprise, de grandir avec et que mes collaborateurs-trices soient également épanoui-e-s. Il faut vraiment croire en ce que l’on fait, c’est vraiment essentiel, et oser. »

Un discours que cautionne totalement Daisy Dourdet qui soulève alors la problématique du rapport à l’argent : « Les femmes se sous-estiment. Encore une fois, il y a cette question du manque de confiance. On n’ose pas gagner d’argent. Pourquoi une femme aurait une petite entreprise ? Pourquoi n’aurait-elle pas d’ambition ? En entreprenant, on crée de la richesse, on fait vivre des salarié-e-s, il y a une redistribution des profits. Il ne faut pas avoir honte de gagner de l’argent, de vouloir gagner de l’argent et de créer de la richesse. »

Les trois entrepreneuses en viennent alors au fond du problème. Au-delà de l’éducation genrée que l’on reçoit dès la petite enfance – ne poussant pas les petites filles à oser – le manque de représentation féminine dans le monde des costards-cravates influe sur les individus, notamment les femmes qui ne se sentent alors pas légitimes à se lancer.

Pour la fondatrice d’Entreprendre ensemble, « il faut montrer des femmes qui ont commencé de zéro, qui sont parties de rien et qui ont tout construit. Et il faut arrêter de prendre en exemple le peu d’entreprises dirigées par des femmes au CAC 40 ». Ou faire les deux, puisque c’est dans la multiplicité des exemples et des parcours que les femmes pourront s’identifier.

Les problématiques relatées lors de la table ronde ne concernant pas uniquement le secteur de l’entrepreneuriat mais bel et bien l’ensemble des domaines encore principalement occupés par les hommes.

LA PARITÉ, ÇA RAPPORTE

Nathalie Mousselon est présidente du Comité Diversité de l’association Ingénieurs et scientifiques de France – à l’initiative du colloque organisé à Rennes – et le dit avec conviction : « L’étude MC KINSEY The power of parity estime la perte de richesse mondiale due aux inégalités entre les sexes à 28 milliards de dollars. Les femmes peuvent être la clé du redressement économique ! » (lire 3 questions à Nathalie Mousselon – YEGG#59 – Juin 2017).

Sans surprise, les femmes ont leur place à prendre dans l’économie mondiale, tous secteurs confondus et tous postes confondus. Dans un article daté du 1er octobre 2017, publié sur le site du Monde Afrique, Elisabeth Medou Badang, première femme Africaine à prendre la tête d’une multinationale au Cameroun (Orange), prône la parité femmes-hommes, dans le secteur privé.

« Les femmes représentent 50% de la population et nous avons autant de capacités intellectuelles que les hommes. Pourquoi le monde, et l’Afrique, se priverait de la moitié de ses cerveaux ? (…) Des études ont démontré que si on donnait aux femmes autant d’opportunités qu’aux hommes, le monde pourrait accroitre ses richesses de plus de 20% ! », déclare celle qui s’est rendu au premier sommet « Women in Africa » du 25 au 27 septembre, organisé au Maroc.

Pour partager son expérience aux côtés de plus de 300 entrepreneures venues échanger à Marrakech autour de la thématique « Investir pour une meilleure gouvernance avec les femmes africaines ». Un peu sur le même principe que le « Women’s forum », qui s’est déroulé l’an dernier en France, à Deauville (ce que montre la réalisatrice Tonie Marshall dans son nouveau film Numéro Une, au cinéma le 11 octobre – lire « Tonie Marshall contre le sexisme des hautes sphères du CAC 40, yeggmag.fr, 27 septembre 2017), et qui réunit chaque année depuis 12 ans des scientifiques, décideurs-euses et chef-fe-s d’entreprise, dans l’optique de renforcer la représentativité des femmes et inciter à la mixité femmes-hommes.

ÉDUCATION À LA PARITÉ ET NON À LA PRÉCARITÉ

Pour Elisabeth Medou Badang, il est primordial de casser les stéréotypes entre les filles et les garçons, dès l’enfance, à travers la cellule familiale et l’éducation, en laquelle elle croit profondément. Parce que les inégalités font partie intégrante de la culture mondiale. Isabelle Guegeun, cofondatrice de la SCOP bretonne Perfegal, constate qu’aujourd’hui encore la résistance des mentalités se confronte au cadre législatif.

« Des lois pour la parité dans les organisations, l’égalité salariale, les quotas en politique, etc. on en a. Mais il est compliqué de passer de la loi à la culture. Il est important de parler et de cultiver l’égalité hommes-femmes. »
souligne-t-elle.

L’Éducation Nationale ne fait pas exception : « Les enseignant-e-s sont assez réfractaires en général à se former. Alors les former à cette thématique… L’écriture inclusive va changer leurs habitudes donc ils ne trouvent pas ça bien. Mais attention, il y a des gens convaincus dans ce secteur et il ne faut pas tout leur mettre sur le dos. Dans notre travail, on essaye de démontrer par des chiffres et des exemples concrets plutôt que de culpabiliser. Mais je le redis, ce n’est pas que dans l’Education Nationale. On explique la même chose aux élu-e-s, il faut être pédagogique. C’est un ensemble qu’il faut faire évoluer ! » L’ensemble d’un système sexiste que l’on intègre dès la petite enfance.

La société bouge lentement et l’État peine à forcer l’évolution des mentalités, même s’il reconnaît aujourd’hui, à force de batailles féministes espérons-le, l’importance de l’intégration des femmes dans le monde économique. Pourtant, ces dernières, toujours les principales victimes des crises, sont les plus visées par la précarité, tandis qu’elles sont majoritairement plus diplômées que les hommes (72%  des femmes sont de niveau Bac+5 à doctorat contre 62% des hommes, en moyenne).

En 2013, le ministère en charge des Droits des femmes, le ministère de l’Éducation Nationale, de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, et le ministère délégué chargé des PME, de l’Innovation et de l’Économie numérique lancent le plan « Entreprendre au féminin », afin d’augmenter le nombre d’entreprises créées par les femmes. Trois ans plus tard, l’indice entrepreneurial – la part de Français-es étant ou ayant été dans une démarche entrepreneuriale – survole seulement les 27% pour les femmes.

L’ESS, TOUCHÉE PAR LES MÊMES DIFFICULTÉS ?

Et dans le secteur de l’Économie Sociale et Solidaire, le rapport est proche. Un tiers des femmes sont entrepreneures et deux tiers sont salariées.  « Il y a un vrai intérêt pour ce secteur mais les freins sont importants. Nous avons voulu comprendre ces freins avec l’étude Women’Act, pour pouvoir ensuite agir pour les résoudre. », explique Joséphine Py, chargée du programme Caravelle pour l’association Empow’her.

La structure, créée en 2011 par un groupe de jeunes constatant le contraste entre la précarité des activités entrepreneuriales des femmes rencontrées dans plusieurs pays du monde et le potentiel économique qu’elles représentent, se base sur des chiffres révélateurs de la problématique : 66% des employés du secteur sont des femmes, 45% sont à temps partiel et l’écart de rémunération entre les femmes et les hommes s’élève à 20%.

Environ 30% seulement de femmes entrepreneures. Souvent dans des domaines plutôt genrés, comme les services sociaux et la santé. Ainsi, entre octobre 2016 et janvier 2017, Empow’her décide d’enquêter auprès de 100 entrepreneur-e-s sociaux intervenant sur le territoire français.

Et le résultat n’a rien de surprenant : plus de la moitié des femmes interrogées considèrent qu’il est plus difficile d’entreprendre en étant une femme.

Et si les hommes font également face à des difficultés liées au financement des structures naissantes, les porteuses de projet mettent cependant plus de temps à se rémunérer (53% des hommes disent avoir mis moins d’un an contre 38% seulement de femmes).

Mais ce qui ressort fortement du côté de la gent féminine reste la difficulté à assumer une posture entrepreneuriale. Là encore, les chiffres sont criants de vérité : 58% des femmes indiquent manquer de confiance en elles, particulièrement lors de la phase de lancement, 53% indiquent que le manque de légitimité a un impact sur leur capacité à se projeter et 72% considèrent que des attitudes stéréotypées et dévalorisantes, de la part de leurs interlocuteurs comme de leurs entourages, participent à la difficulté à être une femme entrepreneure.

« Women’Act » révèle alors l’importance de l’accompagnement de ces femmes et de leur intérêt à se regrouper dans des réseaux.

CARAVELLE : ASSUMER SON LEADERSHIP

C’est bien ce qui sera donc proposé via le programme Caravelle, lancé en ce mois d’octobre avec la première promotion, composé de 25 créatrices – soit en cours de lancement, soit en activité depuis moins de deux ans - réparties sur trois régions : l’Ile de France, l’Aquitaine et la Bretagne.

« Ce sont trois zones dans lesquelles l’ESS est bien implantée. Il y a des besoins sociaux et environnementaux importants. Nous travaillons pour ce programme avec le Mouves qui était déjà bien intégré en Ile de France et en Aquitaine. Et pour la Bretagne, nous collaborons avec Entreprendre au féminin. Mais l’idée est de s’étendre et que Caravelle devienne un programme national en 2018. », explique Joséphine Py.

Sur 6 mois, dans un premier temps pour la première session, puis sur 10 mois pour les suivantes, les participantes bénéficieront de 3 séminaires de trois jours, où elles seront réunies et coachées par des expert-e-s en leadership, ainsi que d’un mentorat, grâce à un principe de marrainage.

« On voit bien que beaucoup de femmes ont des projets. Alors oui, elles sont de plus en plus nombreuses à s’installer, ça avance, heureusement, mais doucement. Et même quand elles ont réussi, le problème de la légitimité reste récurrent. L’idée est donc de leur proposer un accompagnement collectif afin de créer des synergies entre les femmes et de constituer une communauté qui s’entraide. Mais c’est aussi de leur proposer des rencontres inspirantes avec des femmes qui ont plusieurs années d’expérience et qui pourront témoigner de leurs parcours. Les marraines seront formées également au mentorat. », développe la chargée du programme.

Au-delà de l’empowerment de ces créatrices, l’objectif est aussi de constituer une « équipe » de figures modèles. La réflexion est logique : moins on voit des exemples féminins de réussite, moins le processus d’identification s’opère.

« Avec Caravelle, on veut mettre en place des outils de sensibilisation, comme une newsletter portée par les entrepreneures sociales ou des vidéos inspirantes. »
conclut Joséphine.

DES PARCOURS DIFFÉRENTS

Parce que l’image unique du modèle de réussite fait froid dans le dos. Froide, dure, carriériste aux dents longues, souvent issue d’un milieu bourgeois, peut-être même fille de ou femme de et dans tous les cas mauvaise mère… Cette représentation va à l’encontre d’une démarche encourageante.

La multiplicité des profils et des parcours a une importance capitale. Parce que toutes les femmes ne sont pas éduquées de la même manière, ne sont pas issues des mêmes milieux sociaux, n’ont pas les mêmes origines, les mêmes âges et les mêmes vécus et expériences.

« J’ai toujours voulu lancer mon entreprise, le monde du salariat ne me convenant pas totalement. Mais je ne viens pas d’une famille d’entrepreneurs et forcément, c’est compliqué de vouloir plus grand. Tu te heurtes aux peurs des autres finalement. », confie Nathalie Le Merour, une des trois participantes brétilliennes du programme.

Après des études de langues en LEA, elle part en Erasmus pour 6 mois en Angleterre et reste en fin de compte 8 ans au sein d’une entreprise de formation. Elle revient en 2012 à Rennes et intègre une start-up, en qualité de cheffe de projet en communication digitale. À 35 ans, elle quitte son emploi et se lance dans la création de sa société, Bynath.

« À la base, je voulais faire des études de stylisme, et cette envie est restée. Mais être styliste sans cause derrière, je n’en trouve pas le sens. », souligne-t-elle. Ainsi, après avoir dessiné les croquis à la main, elle a réalisé sur logiciels une collection végane et éthique de tee-shirts et sweat-shirts.

Une partie des fonds récoltés permettront de financer des associations de protection des animaux et des minorités en général. La première campagne, qui devrait débuter très prochainement, passera par un financement participatif, dont une partie de l’argent sera reversée à La Ferme des Rescapés, située à Cassagnes dans le Lot (46).

Lorsqu’elle tombe sur le questionnaire de candidature de Caravelle, Nathalie n’hésite pas. Mais se dit qu’elle ne sera pas sélectionnée. Pourtant, elle est invitée à se présenter devant le jury : « J’ai été un peu secouée pendant l’entretien. Le jury me parlait de philanthropie, ça m’a fait réfléchir. Pourtant, je sais qu’un autre modèle économique est possible, ça marche en Belgique, en Suède ou aux USA où certaines structures reversent leurs bénéfices à autrui. »

De son côté, Emmanuelle Dubois engage à elle aussi une reconversion professionnelle, en lançant à 37 ans sa structure, Débrouillarts, après avoir étudié les arts plastiques à l’université, puis aux Beaux-Arts de Rennes, et travaillé comme assistante marketing et chargée de communication auprès de la Maison de la Consommation et de l’Environnement (lire focus « La seconde vie des déchets » - YEGG#60 – Juillet/Août 2017). « Aujourd’hui, je fais une activité qui me plait donc ce n’est pas très compliqué pour moi de m’y sentir à l’aise, ce qui n’a pas toujours été le cas par le passé. », explique-t-elle.

ÊTRE PLUS À L’AISE

Ce qui l’intéresse principalement dans le programme, ce sont les rencontres et échanges avec les autres professionnelles. Le partage d’expériences, ça lui parle, même sur les sujets qui ne sont pas problématiques pour elle :

« Par exemple, c’est intéressant d’entendre les conseils sur la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale. Je ne veux pas dénigrer les hommes, loin de là, mais beaucoup de femmes doivent gérer les deux. Moi, j’ai la chance d’être dans un couple assez paritaire sur la répartition des tâches ménagères, sur l’éducation des enfants, qui en plus commencent à être grands, donc sont autonomes. Mais je trouve ça quand même important de voir comment ça se passe pour les autres et de pouvoir échanger des astuces pour gérer les choses sans se prendre la tête. »

Sans se fixer d’objectifs précis au sein de Caravelle, Emmanuelle tend quand même à obtenir quelques clés vis-à-vis de la posture. La confiance en elle ne lui fait pas défaut mais elle constate encore quelques blocages.

Face à celles et ceux qui ont un statut « plus élevé ». Les élu-e-s, par exemple. Même si elle n’a pas eu encore d’occasion de travailler avec elles/eux, elle a noté sa timidité à entrer en contact, simplement pour se présenter, se faire connaître.

« Lors de l’inauguration de La Belle Déchette, certains étaient présents. Mais je n’ose pas aller vers eux. Je débute dans l’entrepreneuriat et donc je n’ai pas assez d’expérience pour être suffisamment à l’aise. », précise-t-elle. Pourtant, lorsqu’elle travaillait dans le marketing, elle devait régulièrement faire des présentations devant un parterre de commerciaux. Elle se souvient d’un exercice stressant mais motivant :

« Les dirigeants étaient surpris parce que je n’étais pas obligée. Il faut reconnaître que les femmes sont moins écoutées et qu’elles sont plus souvent cantonnées au rôle d’assistantes que envisagées comme forces de proposition. Ça m’a donné envie de leur montrer que non, on n’est pas que des assistantes. »

Ce qu’elle attend, en quelques mots, c’est d’apprendre à montrer que l’on est sûre de soi. Parler clairement sans bégayer, ne pas chercher ses mots et avoir un discours clair. En gros, ne pas se laisser envahir, et ne pas laisser transparaitre, le stress et les sources de ce stress.

« C’est vrai que les hommes ont tendance à en imposer davantage. Je ne sais pas à quoi c’est dû… Une prestance naturelle, une voix qui impose. En tout cas, ils ont peut-être moins de freins. Là où nous, on a tendance à réfléchir 15 fois trop avant de se lancer. Les femmes, quand elles présentent leurs projets, on sent qu’elles dévoilent quelque chose d’important pour elles. Personnellement, dans ma carrière, je n’ai pas souffert de sexisme mais quand on voit qu’à Rennes, il y a beaucoup d’initiatives pour les femmes entrepreneures, on se dit que c’est parce qu’il existe réellement une inégalité quelque part. », ajoute Nathalie Le Merour, enthousiaste à l’idée de pouvoir se nourrir des conseils des unes et des autres.

TORDRE LE COU AUX CLICHÉS

Anne-Carole Tanguy, avocate d’affaires à Rennes, membre d’Entreprendre au féminin et dès à présent marraine dans le programme d’Empowher, le confirme : les inégalités entre les femmes et les hommes subsistent, même si une lente progression positive est à noter. Pour elle, Caravelle est symptomatique de l’évolution de la société.

« Aux commandes là haut, ils sont paumés et ils freinent des quatre fers alors que la génération suivante arrive. Les deux doivent être ensemble. Personnellement, je suis ravie d’avoir l’occasion de pouvoir rencontrer des jeunes femmes avec des profils différents, enrichissants, qui sont l’avenir et qui m’ouvrent sur le monde d’aujourd’hui et de demain, celui dans lequel ma fille grandit. », déclare-t-elle.

Et dans ce monde, c’est la diversité et la complémentarité qui doivent être brandies en priorité. Sur le papier, ça fonctionne mais dans la réalité, les mentalités n’avancent pas à vive allure, se butant aux éternels préjugés sexistes. Pour l’avocate, pas de secret :

« La posture ne se travaille pas consciemment, elle vient avec l’expérience. On remarque justement qu’au fil de l’expérience, on nous prend moins pour des petites secrétaires. Pour moi, la question est de se sentir vraiment légitime, c’est là dessus qu’il faut travailler. »

Si les clichés constituent des freins au lancement du projet, Isabelle Gueguen, marraine également dans le programme, identifie aussi les difficultés liées à des tabous qu’il est urgent de briser. Les femmes sont discriminées dans le monde du travail et l’image, aussi inconsciente soit-elle, de celles qui réussissent sont souvent connotées de manière négative.

« Il y a encore des témoignages choquants ! Je discutais avec une femme de 35 ans l’autre jour, cadre supérieur, avec un enfant. En entretien, on lui a demandé si elle comptait avoir un deuxième enfant. On est en 2017 ! Dans mon parcours, lorsque je me suis installée, cela a entrainé mon modification de mon environnement, qui a réagi à mon nouveau statut. Et ça s’est soldé par une séparation alors qu’il était lui aussi entrepreneur. Mais il aurait voulu me voir avec un statut plus pépère. », confie la cofondatrice de Perfegal.

Si, heureusement, tous les hommes ne réagissent pas de cette manière, il est certain que la question de l’équilibre, que l’on voudrait nous vendre comme naturel, se pose, parce qu’il touche à l’émancipation des femmes : « C’est un sujet qui ébranle la société parce qu’on parle là du partage du pouvoir ! Mais ce qui est bien, c’est que le sujet est investi par la politique, même si le monde politique reste encore bien machiste. Mais au moins, on en parle. »

En attendant l’évolution de la société en matière d’égalité femmes-hommes, Isabelle Gueguen préconise la libération de la parole et l’accompagnement de celles qui font le choix d’entreprendre. « Souvent, les personnes qui se lancent n’osent pas parler de leur projet parce qu’on répand l’idée qu’on pourrait se faire piquer ce projet. Mais je pense qu’au contraire, il ne faut pas avoir peur d’être dans le relationnel, de discuter de ses idées et de créer des réseaux. Il y a suffisamment de maillage sur le territoire et nous avons la chance en Bretagne d’avoir un réseau qui accompagne l’émergence des projets avec Entreprendre au féminin. Il faut savoir s’en saisir, se faire accompagner, ne pas avoir peur de gagner de l’argent, oser et assumer. », s’exclame-t-elle, en conclusion.

L’émancipation des femmes passe donc par la capacité à croire en elles, la notion d’empowerment est capitale et ne peut se faire qu’à travers une juste représentation des profils et des parcours. Montrer qu’ils sont pluriels, variés, teintés d’échecs peut-être avant de parvenir à des réussites et qu’il n’y a pas une voie unique.

Que chacune est libre de composer en fonction de ses codes, convictions, envies et besoins aussi bien sa vie personnelle que sa vie professionnelle. Comme elle l’entend, quand elle l’entend. Libre de faire ses choix. D’entreprendre ou pas.

 

 

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Être qui on a envie d'être

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