Célian Ramis

Trans Musicales 2015 : Danse alternative et cinématographique

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La Triangle, Rennes
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Le crew féminin Swaggers livrait une version spéciale et incroyable de leur création "In the middle", au Triangle, le 4 décembre dans le cadre des Danses aux Trans.
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Dix ans que la danse s’invite aux Trans Musicales. Vendredi 4 décembre, le Triangle accueillait le crew féminin Swaggers pour une version spéciale et incroyable de leur création « In the middle ».

Quand le hip hop rencontre l’art contemporain, quand la danse devient un concert, quand le spectacle se transforme en film… La liste pourrait être longue. Car Marion Motin en a sous le pied, dans le bide et dans la caboche et ne cesse de construire de nouveaux univers. Chorégraphe et danseuse, elle est une pointure dans son domaine.

En 2009-2010, elle décide d’insuffler un élan féminin au milieu hip hop, secteur à l’origine – et encore aujourd’hui - très masculin. Ainsi, elle crée le crew Swaggers, composé exclusivement de danseuses. « Tous mes mentors étaient des hommes. J’ai voulu fédérer les femmes, leur permettre de faire des battle entre elles, de s’imposer. », explique Marion Motin.

L’art de s’imposer, elles en maitrisent les rouages pourtant aléatoires, jamais certaines que le succès sera au rendez-vous. Mais leur création, longue de 20 minutes supplémentaires pour les Trans Musicales exceptionnellement (1h au total), est le fruit d’un travail collaboratif et marque surtout un désir de s’affranchir des codes. De ne pas rentrer dans les cases, ni dans les catégories simplistes et réductrices.

SHOW CINÉMATOGRAPHIQUE

De la scène peu éclairée se distingue une silhouette. La salle est plongée dans le noir, le public dans un silence emprunt de curiosité. Une femme, seule, lookée comme une indienne d’Amérique, chante a capella et donne immédiatement le ton. Entre puissance vocale, maitrise de la technique, note d’humour sur fond d’attitude diva, elle est la bande-annonce d’un show innovant et palpitant.

Et c’est sur une chanson des Doors, « This is the end », que les danseuses entrent en scène, presque les unes après les autres, d’un pas lent, parfaitement mesuré. Vêtues de trenchs et de chapeaux, elles nous transportent sur un autre continent, à l’époque des western et des saloon, le ralenti accroissant l’impression de duels à venir.

Tout de suite, le jeu de lumière, flirtant avec les nuances feutrées et brumeuses et maniant le contraste du clair-obscur, nous permet de pénétrer dans un univers fascinant dont l’esthétique se rapproche de celle d’un film expérimental.

Les mouvements sont synchronisés, longs et aboutis, tantôt lents, tantôt accélérés. En permanence pleins d’énergie. Et toujours une danseuse s’en détache, semblant perdre le fil et chercher son équilibre. Corps et esprits momentanément en décalage, les danseuses pourraient être assimilées à des marionnettes dotées de pensées, de réflexions et de libres-arbitres, dont les ficelles invisibles seraient tirées de chaque côté de la scène.

« La base de cette pièce, c’est de trouver notre équilibre, dans nos vies comme dans un groupe de danse. », souligne la chorégraphe du crew. L’équilibre physique comme l’équilibre intérieur. D’où l’alternance des rythmes, qui jamais ne vacille et qui ne cesse de nous laisser bouche-bée, happés par la singularité de cette danse « qui commence ‘straight’ » pour ensuite les laisser disparaître jusqu’à pouvoir se transformer en notes de musique, en instrument, en émotions…

VOYAGE TRANSÉMOTIONNEL

Car les danseuses incarnent leur chorégraphie, dans laquelle plusieurs séquences se succèdent, « comme des minis clips indépendants, sauf que pour nous, qui avons toutes notre histoire, l’ensemble fait sens. » L’atmosphère est envoutante. Il y a de la folie, des corps et des esprits possédés, de la joie et de la légèreté mais aussi de l’aisance, du soulagement, de l’apaisement, du tâtonnement.

Les musiques, comme celle des Pixies, « Hey », appuient et renforcent les sentiments dévoilés et théâtralisés. Sans oublier l’importance des lumières, qu’elles soient faisceaux linéaires et horizontaux, pour ne saisir que des expressions faciales ou des parties du corps insinuant ainsi l’évaporation des danseuses, ou qu’ils soient un rond de battle ou des carrés colorés de show artistique complet. Toutes mettent en valeur des différences et des personnalités propres à chacune des individues présentes sur la scène de la cité de la danse.

Les spectateurs-trices voyagent d’un genre à l’autre, grâce au mélange de danse contemporaine, de hip hop, de krump ou encore de house, mais aussi d’une ambiance à une autre. On passe ainsi du saloon à la plage de sable fin, bordant la Méditerranée. D’une battle hispanique quasi flamenca à une culture plus urbaine d’Amérique du Sud. Pour finir en divas féminines-masculines.

Les Swaggers se jouent d’une dualité entre douceur et urgence et mêlent dans les danses des sentiments personnels exprimés avec justesse et générosité, et parfois même des sourires lâchés par le bien-être du moment et l’adrénaline de la prestation alternative. La signature de Marion Motin ne passe pas inaperçue, puisant dans toutes ses influences et expériences, que ce soit en tant que danseuse aux côtés de Madonna ou en tant que chorégraphe de plusieurs clips de Stromae et de Christine and the Queens.

« Avec eux – Stromae et Christine – je suis dans l’échange. Je donne mon interprétation et ils me donnent la leur. Forcément, cela laisse des séquelles sur ma corporalité et pareil pour eux. », répond la chorégraphe quand on souligne que ces deux artistes sont également reconnus pour la spécificité de leur danse.

La beauté esthétique du spectacle se rend l’égale et l’alliée du talent des danseuses qui maitrisent le mélange des genres en terme de danses urbaines-contemporaines. L’occasion pour elles de s’en affranchir pour les chambouler, et nous au passage. Une découverte qui laisse une trace dans nos esprits, un choc optimiste et bénéfique.

Célian Ramis

Les différences en tous genres et en couleurs

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Editions Goater, Rennes
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Les dessins peuvent être des armes pour faire bouger les lignes de la société. Et constituent également un support pour l'éducation à l'égalité avec le cahier de coloriage C'est quoi ton genre ?, publié aux éditions Goater.
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Deux mariées sur un gâteau, un enfant en fauteuil roulant sur le chemin de son cours de majorettes, des princesses rock en skate… Le cahier de coloriage C’est quoi ton genre ?, adapté en français et publié en octobre dernier aux éditions rennaises Goater, entend bouger les codes de la construction sociale.

Finis les clichés autour du rose pour les filles, du bleu pour les garçons dans les catalogues de jouets ? De la vie domestique pour les femmes et de la vie active et sportive pour les hommes dans les livres pour petits ? Non, loin de là malheureusement. L’éducation à l’égalité devient une priorité pour combattre les stéréotypes ingurgités dès la petite enfance, les normes de genre étant rapidement intégrées par les enfants qui assimilent alors des fonctions spécifiques selon le sexe.

Si la littérature jeunesse commence doucement à bouger les lignes du schéma classique d’une princesse sauvée par son prince charmant ou d’une mère qui s’occupe des enfants et de la maison pendant que papa travaille, qu’en est-il des cahiers de coloriage ?

CASSER LES NORMES DE GENRE

En juin 2015, l’auteure et dessinatrice québécoise Sophie Labelle – connue pour sa bande-dessinée Assignée garçon, lire notre coup de cœur de novembre 2015 – publiait Ça déborde !, un cahier de coloriage sur les genres et les sexes. Bien décidée à casser les idées reçues sur les représentations destinées aux petites filles et aux petits garçons, Sophie Labelle prend le parti de banaliser les différences et de dire, à travers les dessins, qu’un-e individu-e peut se sentir parfois garçon et parfois fille et surtout s’identifier au-delà du sexe.

« Une fille peut chevaucher un dinosaure, être téméraire. Un garçon peut bouquiner dans son lit ou rêver d’être Wonder Woman ! Il faut casser les normes de genre. »
explique Corinne Gallou.

Militante féministe, elle a été engagée dans plusieurs collectifs tels que la MESSE (Mobilisation pour une égalité sexuelle et sociale émancipatrice), l’Entre-Genres ou encore la Bibliothèque féministe.

C’est en toute connaissance de son engagement pour ces luttes que Jean-Marie Goater lui a proposé de participer à l’adaptation du cahier de coloriage C’est quoi ton genre ? – initialement de Jacinta Bunnell et Nathaniel Kusinitz - repéré lors d’un séjour à Londres.

Accompagnée de Nardjès Benkhadda pour la traduction et de Marie Le Marchand pour la mise en page, Corinne Gallou s’est attelée à quelques modifications et ajustements au niveau des dessins mais aussi des textes qu’elle a souhaité féminiser, la langue française - à l’inverse de l’anglais - étant particulièrement genrée.

ÉDUCATION NEUTRE

En 2012, en Suède, un mouvement militant né pour que la nation ne soit plus simplement sexuellement égalitaire mais sexuellement neutre. Que l’on puisse attribuer un nom de garçon à une petite fille et inversement, que l’on supprime les rayons « filles » et les rayons « garçons » dans les boutiques (même chose avec les toilettes qui ne devraient plus être catégorisés) ou encore que l’on emploie le pronom « Hen » pour remplacer le « il » - han - et le « elle » - hon. Et le pronom neutre a d’ailleurs été ajouté à la version numérique de l’Encyclopédie nationale suédoise.

Dans le cahier de coloriage, la neutralité sexuelle s’intègre dans l’ensemble des pages, à travers la question du pronom neutre que deux enfants inventent à leur manière (page 27), mais aussi la manière de dessiner les personnages ainsi qu’à travers les situations montrées. L’objectif étant de laisser l’enfant « briser [les] moules qui nous enferment », indiquent Corinne, Marie et Nardjes dans le texte final, visant à expliquer le choix d’un cahier de coloriage contre les stéréotypes de genre.

Au fil des pages, on croise alors une sirène désireuse d’escalader le Mont Blanc, un garçon avec une fleur dans les cheveux construisant une petite maison pour jouets, des hommes dans un cours de zumba ou encore une petite fille se rendant à son entrainement de football américain. Tout ça en noir et blanc. Libre aux enfants d’y ajouter les couleurs et les histoires qu’ils imaginent.

SOULIGNER LES DIFFÉRENCES ET ACCOMPAGNER LES ENFANTS

« Cela peut heurter les sensibilités de voir un cahier de coloriage différent, qui ne répond pas aux normes et à ce que l’on voit dans les pubs ou les dessins animés qui montrent des princesses passives… Il fallait veiller à rester accessible aux parents afin qu’ils puissent accompagner leurs enfants au fil des pages. »
analyse-t-elle.

Si elle regrette que le cliché sur les filles et les princesses persistent malgré tout dans cet ouvrage (erreur de notre part, il ne s’agit pas de cet ouvrage là comme indiqué dans le mensuel YEGG#41 – Novembre 2015, mais d’un cahier de coloriage féministe prévu pour l’année 2016, ndlr), Corinne pointe néanmoins l’apparition de certaines situations encore trop peu visibles dans les livres pour enfants, comme le handicap, l’homosexualité, le transgenre ou la non violence.

C’est quoi ton genre ? ouvre les esprits sur les différences entre les individu-e-s pour une société, à terme, plus égalitaire. Prochainement, au cours du premier semestre 2016, les éditions Goater devraient se munir d’un autre cahier, intitulé Mon premier cahier de coloriage féministe. Corinne Gallou y participera, accompagnée de plusieurs dessinateurs-trices rennais-es.

Célian Ramis

Le sexisme, un mâle politique

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Rennes
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Les 6 et 13 décembre, les citoyen-nes français-es sont appelé-e-s à voter pour désigner leur président-e de région. Dans son numéro 41 - novembre 2015, la rédaction s'intéressait alors au sexisme en politique...
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Les femmes politiques sont régulièrement la cible de réflexions et d’insultes sexistes émanant de leurs confrères et des journalistes. Attaques contre leur physique ou remise en cause de leurs compétences, un sexisme quotidien et insupportable.

Comme Laurent Fabius, qui s’est inquiété de savoir « Mais qui va garder les enfants ? » au moment où Ségolène Royal était candidate à la Présidentielle en 2007, un journaliste rennais a demandé « Mais qui va s’occuper des petits bouts ? », à Nathalie Appéré au soir de son élection à la Mairie de Rennes en mars 2014. Il voulait rendre son interview « humaine », s’est-il défendu. Ok. Mais pourquoi alors ne pas être aussi « humain » avec les hommes ?

Parce que depuis qu’elles sont entrées en politique, les femmes souffrent du sexisme. Simone Veil maltraitée en 1974 lors du vote de la loi sur l’IVG ; Edith Cresson, première femme Premier Ministre en 1991 dont un député a dit « C’est La Pompadour qui rentre à Matignon » ; Les candidates RPR aux Régionales de 1998 sur lesquelles Charles Pasqua a balancé, très gracieusement, en répondant à la question de Philippe Séguin : « qu’est-ce qu’on va faire des gonzesses ? », « Il n’y a qu’à proposer une chose simple : toutes les femmes qui veulent avoir l’investiture doivent être baisables ! ».

Les « Jupettes » du premier gouvernement Juppé en 1995, alibi et faire-valoir féminin rapidement mis au placard ; Ségolène Royal, encore, lors des primaires socialistes de 2005 qui a entendu un brillant « L’élection présidentielle n’est pas un concours de beauté », de la part de Jean-Luc Mélenchon ; Roselyne Bachelot - qui dénonçât « la focalisation permanente sur notre aspect physique » et dû, à contre cœur, laisser ses tailleurs roses dans sa penderie ; Cécile Duflot et sa robe à fleurs sifflées en pleine Assemblée, ou encore son jean porté en Conseil des Ministres montré du doigt comme une « honte protocolaire » ; Véronique Massonneau interrompue dans l’Hémicycle par les caquètements d’un confrère… La liste est longue. S’arrêtera-t-elle un jour ?  

« ÇA ME HEURTE, PAR PRINCIPE »

Dernières victimes, Emmanuelle Cosse, cheffe de file d’EELV, - percutée par un tweet monstrueux sur son physique émis par un Républicain - et la ministre du travail, Myriam El Khomri, attaquée par un journaliste, dont la première question portait sur le fait qu’elle ait choisi de garder son nom de jeune fille… Quand la France compte près de 6 millions de chômeurs, on croit rêver.

En local ? Il se murmure qu’un élu indélicat aurait fait un vilain jeu de mot avec le nom du mari de Nathalie Apperé… quand ce n’est pas L’Express qui titre cet été : « Est-elle à la hauteur ? ». Intolérable. « Ça me heurte, par principe », assure Sylvie Robert, adjointe à la maire de Rennes et Sénatrice d’Ille-et-Vilaine. À son arrivée au Sénat, les huissiers lui ont demandé comment elle voulait qu’on l’appelle, sénateur ou sénatrice ? L’élue a fait modifier sa carte.

« Dit clairement ou plus insidieux, on vit le sexisme presque au quotidien. Quand, par exemple, on ne m’écoute pas, ou juste poliment, en réunion, ça m’énerve, alors je m’arrête ou je fais une réflexion »
confie la sénatrice.

Selon elle, le combat est permanent et ne s’arrêtera jamais, il faut l’intégrer et être en veille constante, « c’est une responsabilité collective, il ne faut jamais baisser la garde ».

LA PARITÉ, UNE NÉCESSITÉ

« J’ai été naïve au début de ma carrière, j’ai pensé que nous n’avions pas à légiférer, que la société évoluait. Je me suis bien trompée ! Il fallait la loi sur la parité, la société bouge trop lentement sur le sujet ! De naïve je suis devenue pragmatique », avoue Sylvie Robert. Sa consœur Nadège Noisette, élue EELV en charge des achats, était elle aussi sceptique sur cette loi, or :

« Il y a parité au Conseil Municipal et aucune tension. Peut-être est-ce parce que la cheffe de groupe est une femme (Nathalie Appéré, NDLR), j’imagine. À Rennes Métropole, en revanche, l’ambiance et le ton sont plus autoritaires, plus agressifs, les prises de becs plus nombreuses »
constate Nadège Noisette.

La jeune femme, ingénieure en électronique - après avoir fait Maths Sup et Maths Spé - est parfaitement qualifiée en technique, mais pas aux yeux de tous : « J’ai à faire face à des comportements sexistes ou irrespectueux en lien avec mon poste d’élue en charge d’une mission technique. Bien sûr, cela dépend du domaine et de l’interlocuteur, mais pour être légitime et crédible, il faut que j’en fasse plus. Les regards se portent vers mes collègues masculins, pas vers moi… Il faut constamment faire ses preuves et cela complexifie ma mission. On demande plus de garanties aux femmes », raconte Nadège Noisette.

Ainsi, quand elle intervient dans le domaine des travaux, du bâtiment, de la voirie, elle est confrontée à des techniciens qui émettent des réserves quant à ses aptitudes.

« Ils ne me traitent pas d’égal à égale, c’est désobligeant, c’est fréquent et pesant. Je ne peux pas me balader tout le temps avec mon diplôme d’ingénieure sur moi ! »
confie-t-elle.

UN LONG COMBAT À MENER ENCORE

À 38 ans, elle assure son premier mandat et l’élue EELV pense ainsi que ses consœurs plus âgées sont plus aguerries et qu’elles ont peut-être plus de crédibilité. Peut-être. Pour autant, Sylvie Robert s’offusque toujours et pointe du doigt, par exemple, les Départements où, si des binômes femmes/hommes ont été imposés lors des dernières élections, au moment de la construction des exécutifs les femmes ont été exclues.

Au Palais du Luxembourg, le combat est le même. Malgré l’arrivée de 40 femmes aux dernières sénatoriales, elles ne représentent que 26 % des élus de la chambre haute.

« Il y a encore du travail à faire, mais j’entends aussi dans l’hémicycle des choses affreuses dans la bouche des femmes ! »
dénonce Sylvie Robert.

Nadège Noisette, elle, siège au Syndicat d’Energie Départemental. Sur la soixantaine d’élus elle est la seule femme, et elle entend régulièrement que « c’est normal, le sujet est très technique ! » Même si, selon elle, ce n’est pas forcément dit de façon malveillante, la réflexion revient tel un leitmotiv, et devient vraiment lassante.

Il est donc incontestable que les femmes politiques ont encore du chemin à parcourir pour devenir les égales de leurs homologues masculins. L’égalité sera sans doute atteinte « Le jour où, à un poste important, on désignera une femme incompétente », comme le disait Françoise Giroud en 1983… il y aura bientôt 33 ans.

Célian Ramis

Musulmanes : Femmes à part entière

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Cinéma Arvor, Rennes
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Lauriane Lagarde dévoile son documentaire À part entière, le 7 novembre au cinéma Arvor de Rennes, sur les femmes musulmanes de Rennes qu'elle a suivi plusieurs années.
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Pendant plusieurs années, la réalisatrice Lauriane Lagarde a suivi les membres de l’association de femmes musulmanes de Rennes, Al Houda, et de cette immersion elle en délivre un documentaire intitulé À part entière, projeté en avant-première dans la capitale bretonne le 7 novembre, au cinéma Arvor.

Source de clivages et d’amalgames, le sujet n’est pas nouveau. Il intrigue les médias, agite l’opinion publique et fait régulièrement, depuis plusieurs années, l’objet de documentaires diffusés sur Internet ou sur les chaines télé comme LCP, Arte ou encore France 3.

Je porte le voile, de Natasha Ivisic, Ce que dévoile le voile de Négar Zoka, Il y a des femmes sous le niqab de Agnès de Féo, Sous le signe du voile de Hilka Sinning ou encore Femmes françaises et voilées n’en sont que des exemples parmi d’autres et tendent ouvrir le débat, à faire entendre les voix des concernées mais aussi à faire la lumière sur les différences entre les voiles.

Dans un contexte de crise identitaire, le sujet est, semble-til, toujours aussi délicat à aborder et à apprivoiser. Parler des femmes musulmanes sans les réduire à leur choix de porter ou non le voile est-il encore possible ? L’a-t-il déjà été ? La réalisatrice rennaise Lauriane Lagarde n’a pas souhaité poser la problématique en ces termes là.

Et si la question du voile occupe majoritairement l’espace dans son documentaire À part entière (production rennaise – Mille et une films) elle n’en est toutefois pas l’étendard de l’oppression masculine et trouve une ouverture dans ce symbole empli d’histoires personnelles, de ressentis et de vécus.

Les Rennaises musulmanes que Lauriane filme livrent leurs paroles au sein du collectif ainsi qu’à travers leurs individualités et parcours. Entre réflexions, confidences et contradictions, elles dévoilent leurs interprétations et leur rapport à la religion mais aussi aux autres, aux corps et à la féminité. Mais le féminisme peut-il rimer avec l’Islam ? 52 minutes ne suffiront pas à répondre à cette interrogation qui fait rage dans le débat militant. Et là n’est pas l’objectif du film qui se veut un témoin éclairé de l’action de l’association d’Al Houda, sans jugement ni morale.

UNE THÉMATIQUE CHOISIE

C’est en se confrontant à la difficulté pour les croyants musulmans de bâtir une mosquée à Villejean que Lauriane a eu l’idée de se tourner vers les femmes musulmanes et de réaliser un documentaire sonore auprès de Fouzia, une des fondatrices en 1996 de Al Houda.

« J’ai rencontré les femmes de l’association. Elles revendiquent l’égalité entre les sexes. Pour moi, la religion ne nous sépare pas vraiment. Elles rencontrent des difficultés qui leur appartiennent mais je me retrouvais dans ces femmes-là. »
explique Lauriane Lagarde, la réalisatrice.

De fil en aiguille, elle assiste aux réunions, ateliers, cours, actions à destination du grand public. L’objet du documentaire s’oriente rapidement autour des différentes réflexions au sein de ce groupe sur le port du voile, les événements organisés à cette époque, entre 2012 et 2015, étant en lien étroit avec cette thématique, « mais ce n’est pas le sujet principal… C’est ce qui est le plus instrumentalisé et diabolisé en France », assure Marjolaine Peuzin, membre de l’association.

Mais par dessus tout, Lauriane Lagarde désire que la caméra ne soit qu’un biais pour exprimer leurs points de vue. Sans voix off. Et ainsi que le spectateur soit le « seul juge », libre d’analyser et de penser en conséquence.

UN QUESTIONNEMENT PERMANENT

Elles sont de générations différentes. Elles portent un hijab, un foulard, un bandeau, un bonnet ou apparaissent tête nue, chacune se veut libre de son choix et dans son droit. Elles échangent autour des versets du Coran. Et elles s’interrogent. Doit-on porter le voile en France ? Comment vivre sa foi sans heurter les musulmans ou les non musulmans ? Ne se posent-elles pas trop de questions ? Ne se forgent-elles pas leurs propres barrières ? Comment agir pour faire évoluer les mentalités ?

Autant d’interrogations pour une multitude de réponses. Des réponses qui trouvent leurs sources dans leur interprétation des textes sacrés et dans les valeurs inculquées par leur religion, leurs éducations, leurs histoires personnelles, sur lesquelles certaines membres se confient. Entre tiraillements, réalité parfois brutale face à l’islamophobie, discriminations, entre incompréhension et tolérance, elles abordent leurs quotidiens, sans haine, avec douceur et ferveur. Défendant leurs convictions mais aussi leurs conditions de femmes dont elles revendiquent des droits équivalents à ceux des hommes.

DES ESPRITS ET CORPS LIBRES

« À part entière montre de manière fidèle ce que l’on dit, ce que l’on pense, explique Marjolaine. Le film pourra peut-être aider à montrer que derrière les femmes voilées, il y a des personnes. »

Et que sous le voile, il y a des cerveaux, précise la réalisatrice qui défend finalement à travers son travail le droit de revendiquer le choix de porter le voile ou non, d’assumer la religion et de la pratiquer de la même manière. « Elles se réunissent, elles ne sont pas toujours d’accord mais elles se respectent. Elles réfléchissent constamment à leur religion, à ses paradoxes, ses difficultés et se l’approprie. », souligne-t-elle.

Si elle refuse de parler de film sur l’émancipation des femmes, Lauriane Lagarde dépeint ici à travers sa caméra des portraits de femmes libres. Dans leurs esprits et dans leurs corps. Elle jalonne son documentaire de scènes d’expression verbale et d’expression corporelle avec le projet chorégraphique de Morgan Davalan, « travaillant sur l’hybridation identitaire, la rencontre avec l’autre », précise Marjolaine Peuzin.

On voit ainsi plusieurs femmes de l’association, prendre place dans l’espace public. Parées de différents voiles colorés, elles jouent avec le visible et l’invisible. Ce qui est caché et ce qui est montré. Casser l’image du voile qui fige celle qui le porte. « L’idée est de surprendre le spectateur. Ce sont là des corps qui bougent. Le rapport au corps est très important. », conclut la réalisatrice.

Le film sera diffusé en avant-première au cinéma Arvor le 7 novembre à 11h et sur les chaines locales bretonnes (TVR, Tébéo, Tébésud) le 26 novembre à 20h45.

La Forêt Sacrée - Vivement lundi !

Le tabou de l'excision et l'ambigüité du combat

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Rennes
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Combattre pour préserver des milliers de jeunes filles de l'excision en Afrique, mais aussi sur le sol français, Martha Diomandé s'y dédie. Et c'est d'ailleurs l'objet du documentaire de Camille Sarret, intitulé La Forêt Sacrée.
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La lutte contre l’excision, elle en a fait son combat. Depuis 15 ans, Martha Diomandé vit à Rennes, où elle a créé ACZA (Association culturelle zassa d’Afrique). Son but : faire évoluer les mentalités des matrones contre cette pratique. La journaliste Camille Sarret l’a suivie en Côte d’Ivoire et de là résulte un très beau documentaire, La Forêt Sacrée, projeté en avant-première au cinéma Arvor, à Rennes, le 10 octobre à 11h puis diffusé sur TVR, à partir du 20 octobre.

Actualisation 26/02/2016 : Dans le cadre du 8 mars à Rennes, le film sera projeté le 12 mars à 16h30 aux Champs Libres (Comptoir du doc, 13e édition de Documentaires au féminin), et le 26 mars à 14h à la salle de la Cité (suivie d'une table ronde et d'un échange avec le public).

Plus de 125 millions de femmes sont excisées dans le monde, selon le rapport de l’Unicef en 2013. Et on estime à plus de 50 000 le nombre de femmes excisées en France. Martha Diomandé est l’une d’entre elles. Originaire de Côte d’Ivoire, elle a subi l’ablation du clitoris à 7 ans et lutte aujourd’hui contre cette pratique, répandue dans de nombreux pays d’Afrique, dans les villages surtout, les grandes villes ayant davantage accès aux campagnes de sensibilisation.

Souhaitant faire un reportage sur l’excision, Camille Sarret, journaliste originaire de la capitale bretonne, féministe - qui a milité aux côtés de Mix-Cité Rennes - a rencontré des femmes militantes excisées – originaires du Sénégal – et des associations qui travaillent sur le sujet, comme Gynécologues Sans Frontières.

Et c’est en découvrant l’histoire de Martha Diomandé, qui lui propose de venir avec elle en Côte d’Ivoire afin d’observer les actions menées concrètement dans son village, que Camille décide d’en faire un documentaire, se rendant à 3 reprises sur place tout d’abord pour découvrir l’environnement, habituer les femmes à la caméra, puis filmer.

L’EXCISION AUTREMENT

« J’étais curieuse et j’avais du mal à saisir la démarche de Martha. Elle n’est pas classique dans son regard sur l’excision. Elle n’a pas la même vision que la plupart des Occidentaux ou certaines féministes ont. Elle est pleine de contradictions. », dévoile la journaliste qui réalise ici son premier documentaire de 52 minutes, en co-production Vivement Lundi et TVR 35 Bretagne. Des contradictions dont la fondatrice d’ACZA ne se cache pas. Si Martha s’engage contre l’excision, elle milite également pour une autre méthode :

« En Europe, la vision de l’excision n’est pas la même. Ma culture est entre la France et l’Afrique. Je suis pour dire non à l’excision mais je ne suis pas pour la tolérance 0. C’est toute l’ambigüité de mon combat. ».

Et cette ambigüité, elle s’en sert pour dialoguer avec les matrones. Pour elle, pas question de rester sans agir. Soit elle devenait exciseuse, soit elle s’en faisait un combat, explique-t-elle au début du documentaire.

Mais quand elle raconte son histoire, qu’elle retourne dans son village de Kabakouma pour comprendre les matrones et, doucement, les amener vers l’unique mission d’accoucheuse, délaissant ainsi la pratique ancestrale de l’excision, elle ne peut s’empêcher de penser qu’elle va à l’encontre de sa culture, qu’elle brise quelque chose et qu’elle trahit sa famille ainsi que ces femmes.

« Elle a du mal à renier cette tradition. Certaines militantes qui ont été excisées sont dans une telle rage qu’elles ont besoin de dénigrer tout ça justement. Pas Martha. »
souligne Camille Sarret.

Et c’est là dessus qu’elle base son documentaire : sur les réflexions de Martha Diomandé, son parcours et son travail de sensibilisation. Une démarche bien accueillie par les femmes du village qui demanderont seulement à ce que les activités spirituelles ne soient pas filmées.

Camille se souvient : « Martha a fait une cérémonie dans laquelle elle invoquait les esprits. Nous n’avons pas pu filmer ça, ce qui se comprend et se respecte. Pour le côté mystique, il y a quelques images de la forêt, qui pour nous n’a rien de sacrée. C’est une forêt qui se traverse au quotidien, mais pour les rituels on ne peut pas rentrer dedans. Les femmes nous ont emmené sur le chemin mais se sont arrêtées à l’entrée. Ce sont leurs limites. »

UNE RÉALITÉ BRUTALE

Au delà des pratiques animistes et des cérémonies sacrées qui définissent de manière réductrice le mode de vie de ces villages, La Forêt Sacrée cherche à livrer un regard neuf, loin de tout jugement, vis-à-vis d’une réalité qui nous apparait brutale et qui engendre douleurs, traumatismes et complications dans sa vie de femme. Une réalité que Martha a pardonnée.

Accepter d’être filmée en Côte d’Ivoire est pour Martha Diomandé « une manière de s’exprimer sur un sujet tabou et dire la vérité car on dit que c’est interdit mais on sait très bien ce qu’il se passe là-bas, personne ne s’en cache ». Et surtout, l’occasion de montrer la manière dont « les vieilles » du village conçoivent cette pratique.

« Ce ne sont pas des meurtrières et je ne veux pas les brutaliser. Il faut aller à leur rencontre et être dans le respect. On peut procéder à des arrestations de villages entiers, elles continueront tant qu’elles ne comprendront pas que c’est mauvais pour elles. »

Douceur et apaisement règnent sur le film qui pourtant capte la tension omniprésente. Sous-tendue par l’enjeu si important de l’évolution des mentalités et des pratiques, La Forêt Sacrée montre des réunions, des discussions, des échanges personnels visant à établir une relation de confiance mais aussi à accompagner les matrones dans le rôle d’accoucheuse.

Pour la réalisatrice, le combat de Martha pose la question du droit à la parole pour ces femmes. Combattre cette pratique dans le respect des cultures n’est pas incompatible. Elle soulève alors une autre question, essentielle dans les réflexions autour des droits des femmes : celle de l’universalisme. Et ajoute :

« L’objectif est de susciter des questions autour de ce sujet mais aussi autour de l’universalisme du féminisme, l’universalisme des droits humains. »

UN COMBAT UNIVERSEL

Les femmes excisées sont-elles les seules à pouvoir faire bouger les lignes ? Et doivent-elles se lever seules face à cet acte considéré comme barbare ? Quel est le rôle des Occidentaux/Occidentales ? Dans le documentaire, pas de réponses, simplement l’instauration d’un dialogue dont résulte la possibilité de comprendre ce que signifie cette pratique dans les villages. Et de potentielles solutions pour doucement faire évoluer les mentalités des matrones.

« Personne d’autre que les femmes excisées n’ont la légitimité de porter ce combat. Mais tout le monde peut les soutenir et participer. Leur permettre de mener ce combat. Je ne suis pas pour le « Chacun sa culture, chacun fait ce qu’il veut ». Mais il est indispensable de comprendre la culture des autres et de comprendre ici les conditions de l’excision. Tout le monde peut s’accaparer de ce sujet. Il y a aussi des jeunes filles qui vivent cette injustice sur le sol français ! », rappelle la journaliste.

Depuis septembre 2015, l’ACZA souhaite mettre en place un système de parrainage/marrainage afin de financer les études de jeunes filles africaines en contrepartie de la promesse faite et tenue par la famille de ne pas l’exciser. « Un compromis avec celles qui ne veulent pas arrêter de pratiquer !, conclut-elle. Progressivement, ça va aller, il y a déjà des avancées, mais ça ne pourra se faire que dans le respect de ces femmes et dans la discussion. ».

 

La Forêt Sacrée sera diffusée sur TVR le 20 octobre à 20h45 et 23h, le 21 octobre à 10h et le 24 octobre à 15h et 23h. Une édition DVD devrait voir le jour en décembre prochain.

Actualisation 26/02/2016 : Le film de Camille Sarret a été sélectionné pour la compétition Premier film documentaire des 15e Rencontres du cinéma européen de Vannes qui se dérouleront du 2 au 8 mars.

Fonds Dreyfus - Musée de Bretagne

Réhabiliter Lucie Dreyfus, oubliée de l'Histoire

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Rennes
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Le 30 septembre dernier a été publié le livre Lucie Dreyfus, la femme du capitaine, d'Elisabeth Weissman, journaliste. L’occasion de s’intéresser à une figure féminine oubliée de l’Histoire qu’elle a pourtant marqué.
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Le 30 septembre dernier a été publié le livre Lucie Dreyfus, la femme du capitaine, signé de la plume d’Elisabeth Weissman, journaliste et essayiste. L’occasion de s’intéresser à Lucie Dreyfus, une figure féminine oubliée de l’Histoire qu’elle a pourtant marqué.

15 octobre 1894. Lucie Dreyfus attend que son mari, Alfred Dreyfus officier de l’armée française, rentre déjeuner. Ce midi-là, comme tous les autres pendant les 5 années suivantes, il ne viendra pas.

Accusé de haute trahison envers son pays, il est arrêté, dégradé, emprisonné puis déporté en Guyane.

Plus de 100 ans plus tard, l’histoire du capitaine reste dans les mémoires. Pas celle de Lucie, à tort, qui va pourtant jouer un rôle fondamental dans l’Affaire.

C’est ce qui a poussé Elisabeth Weissman à se lancer sur les traces de cette épouse aimante et mère de famille attentionnée qui se révèle au fil des pages être une force de la nature décrite par l’auteure comme « une très belle figure, un très bel exemple de droiture, qui ne répond qu’à sa conscience, qu’à son devoir. »

SE PLONGER DANS L’HISTOIRE

« J’ai cherché sur Internet, il n’y avait quasiment rien sur Lucie. Et ça m’intéressait de faire une biographie sur une femme qui a marqué la grande Histoire. Cela m’avait plu de faire la biographie sur Coco Chanel mais c’était une commande. », explique l’auteure de Lucie Dreyfus, la femme du capitaine, publié aux éditions Textuel le 30 septembre dernier.

Une manière de réhabiliter l’oubliée mais aussi de visiter une époque, son époque à elle. Celle d’une IIIe République fragile, à la solde de l’armée, avec un ministère de la Guerre ou encore un ministère des Colonies, un Président de la République – Jean Casimir-Périer – qui assurera le mandat le plus court de l’histoire des Républiques (soit 6 mois et quelques jours) avant de laisser la place à Félix Faure.

« Je ne suis pas historienne, je suis journaliste. J’ai fait une enquête journalistique sur Lucie pendant 3 ans. Heureusement, j’ai pu rencontrer des témoins vivants avec le petit-fils et l’arrière petit-fils du couple Dreyfus. », précise Elisabeth Weissman. Et pour le reste, elle a écumé les bibliothèques et les services d’archives en France, en Suisse et en Israël, a reçu des cours de graphologie par des historiens afin de déchiffrer une lettre de Jean Jaurès, par exemple :

« Ils m’ont enseigné la méthode précise, c’est très méticuleux lorsqu’on numérise les documents, il faut les grossir, les rétrécir puis les re-grossir à nouveau… ça m’a pris 2 ans de lire toutes les correspondances, toutes les lettres, tous les documents. »

RENNES, PASSAGE OBLIGÉ

Et passe même plusieurs semaines à Rennes, visitant le lycée Emile Zola, détours obligé pour marcher sur les pas du célèbre « J’accuse », et se rendant surtout au musée de Bretagne qui détient le fonds Dreyfus depuis 1978, une des collections les plus importantes sur l’Affaire Dreyfus, comptabilisant 6800 pièces, consultables sur le site Internet du musée, et qui ne cesse de grossir ses rangs avec notamment l’acquisition récente d’une carte de presse d’un journaliste présent lors du procès de Rennes en 1899.

« L’ancien conservateur était un passionné de l’histoire  de Dreyfus, c’est lui qui a mis ça en place avec la donation de Jeanne Lévy, leur fille. Il y a quelques éléments sur Lucie dans l’exposition permanente du musée de Bretagne mais pas beaucoup. », déclare Laurence Prod’Homme, conservatrice du musée de Bretagne depuis 1989 et responsable du fonds Dreyfus.

Concernant de nouveaux éléments visant à présenter Lucie Dreyfus et lui donner la place qu’elle mérite, peu de solutions sont envisagées. « C’est très difficile de faire bouger les choses rapidement. Cela prend des années et des années. Et puis, vous voyez l’expo Dreyfus, c’est très fermé comme muséographie. », justifie Laurence Prod’Homme. Pour la conservatrice, pas question de minimiser le rôle joué par l’épouse du capitaine mais aucun élargissement ne s’ouvre à l’horizon.

« C’est une injustice de faire perdurer son petit rôle. C’est une époque d’hommes et ce sont eux que l’on retient : Mathieu Dreyfus, les intellectuels qui se sont engagés, les hommes politiques… Lucie est tombée dans l’oubli après l’Affaire. Eux, moins. Mais tout comme la journaliste Séverine par exemple (journaliste écrivant dans le quotidien féministe La Fronde, fondé par Marguerite Durand, présente au procès de Rennes, ndlr), on ne parle pas beaucoup d’elle non plus… », détaille-t-elle.

Et même si l’historien, spécialiste de l’affaire Dreyfus, Vincent Duclert a déjà publié un article sur Lucie, la majorité des professionnels ne s’intéresse pas à cette figure féminine si dévouée à la cause de son mari dans cette Affaire.

« Les historiens sont encore majoritairement des hommes et il y a une manière d’écrire l’Histoire, ce n’est jamais neutre. »
déclare la conservatrice du musée de Bretagne, ravie d’avoir vu débarquer une journaliste souhaitant orienter son ouvrage sur Lucie Dreyfus.

« On a souvent des demandes d’universitaires qui viennent faire des recherches dans le fonds Dreyfus. Là, c’était différent. Première fois qu’une journaliste s’y intéressait. Et à travers l’angle de la femme en plus ! », conclut-elle enjouée, avouant une légère déception à la lecture du livre de ne pas trouver plus de sources inédites et de pas en connaître davantage sur l’enfance, l’adolescence et la construction de Lucie.

UNE FEMME DISCRÈTE ET EN RETRAIT

Pour les novices, plus de 300 pages permettent à travers ce livre de découvrir l’Affaire Dreyfus sous un angle particulier. Au delà du rappel des faits et du contexte socio-politique, c’est un portrait dressé avec justesse, précision et surtout sans exagération que nous propose l’auteure de La désobéissance éthique, La nouvelle guerre du sexe ou encore Un âge nommé désir – Féminité et maturité.

Car il aurait été commode de dépeindre une femme engagée et précurseure de son époque. Loin de là, puisque Lucie refusera catégoriquement tous les contacts avec les journalistes féministes qui plaideront pourtant à 100% la cause du détenu accusé à tort. Et  ne souhaitera à aucun moment être dans la lumière médiatique.

« C’est difficile de se replacer dans ce contexte-là. Mais à l’époque, il y avait un rôle pré-déterminé dans les familles et il était logique qu’avec son éducation bourgeoise et sa condition de femme, elle soit en retrait. Pourtant, elle est beaucoup intervenue dans l’Affaire, notamment dans sa correspondance avec les ministres. »
souligne Laurence Prod’Homme.

Et quand on lit la chronologie très détaillée de l’Affaire sur le site du Musée d’art et d’histoire du Judaïsme, le nom de Lucie n’apparaît qu’au bout d’une année (elle demande la révision du procès en 1895) et ne sera mentionné qu’à 5 reprises.

Pour la conservatrice du musée de Bretagne et l’auteure, Lucie Dreyfus est représentative de son époque, soit « mineure en politique, sans aucun droit ». Elle s’est mariée jeune, a eu des enfants très rapidement, est de nature discrète, bien éduquée, bien sous tous les rapports.

Elisabeth Weissman voit en elle quelque chose de novateur. Qui l’incite à la découvrir avec admiration et respect. Républicaine conservatrice, quasi anti-féministe, et pourtant ne répondant qu’à son objectif : se battre pour la dignité de son mari qui va connaître toutes les humiliations en étant dégradé dans un premier temps puis traité en prison sans aucune considération, isolé et bafoué dans sa condition d’être humain.

DIGNE DANS TOUTES LES ÉPREUVES

Amoureuse, elle ne cessera de lutter et de correspondre avec celui qu’elle chérit tant et pour qui elle serait prête à tout quitter pour le rejoindre et partager le fardeau. Et c’est certainement grâce à elle qu’il survivra les 5 années de réclusion durant, lui promettant de ne pas mettre fin à ses jours. « Ce couple a une grande valeur et une grande noblesse de caractère, s’exclame Elisabeth Weissman. Ils se battent pour universaliser leur combat, celui de la Justice républicaine. Ils n’en ont jamais fait une affaire juive et ne souhaitaient pas en faire une affaire juive malgré l’antisémitisme latent déjà à cette époque. »

Lucie, humble et modeste, ne voudra jamais être érigée en héroïne, le dira très clairement à son amie Hélène Naville avec qui elle correspond très régulièrement (comme avec beaucoup de gens puisque Lucie recevra des milliers de lettres de soutien du monde entier), et assumera sans complexe le rôle de la femme de l’ombre.

Néanmoins, sans conscientiser ses actions guidées par la volonté de faire revenir son mari en France afin qu’il soit libéré et réhabilité, elle crée les possibilités de l’Affaire, ne baissant jamais les bras, demandant constamment la réouverture du procès, ne faiblissant jamais face aux affronts de l’administration qui lit et recopie toutes leurs lettres y compris les plus intimes. Elle accepte, sans baisser la tête, et dépasse sa condition de femme en s’adressant aux hauts gradés et aux ministres.

« Tout en étant discrète et réservée quant à sa condition de femme, en rapport à son éducation, elle balaye l’assignation sexuée attribuée à la gent féminine. Elle se montre même peu conventionnelle pour aller retrouver son mari, elle serait prête à quitter ses enfants. Elle déborde complètement du cadre par moment en intervenant auprès des hommes politiques, en signant des pétitions et des lettres et surtout en s’indignant. », s’emballe la journaliste qui après avoir passé 3 ans à côtoyer et caresser la mémoire de Lucie semble toujours aussi passionnée par son sujet.

PARALLÈLE ENTRE LES SOCIÉTÉS

Car ce qui l’anime en parallèle de ce portrait, c’est de créer une ouverture sur le monde qui s’instaure par le biais de l’intimité de l’individu. D’humaniser, de particulariser, de féminiser une partie de l’Histoire « sans faire de la mauvaise psychologie, en ne lâchant pas le contexte. » Un contexte passé qui trouve pourtant écho dans l’actualité avec la crise économique, le relent d’antisémitisme, de racisme, l’image des hommes virils et poilus, le rôle restreint des femmes, le pouvoir de la presse avec la naissance d’une presse d’opinion…

« On voit à cette époque les soubresauts des paparazzis, les journalistes et les médias qui répandent des rumeurs sur l’état physique de Lucie par exemple. C’est le début de la presse caniveaux et on y voit le pouvoir de la manipulation et la contre information. »
s’insurge la journaliste.

Autre élément que l’on perçoit de manière abrupte et qui n’évolue que trop doucement : « L’épouse n’est jamais assimilée dans l’Histoire. Il n’y a rien pour Lucie sur la plaque figurant dans la rue où ils ont vécu alors qu’on signale pourtant que c’est ici que vivait le capitaine Dreyfus. On note toujours le grand homme. Elle, elle a été une grande femme. »

 

Légendes photos :

  1. Lucie Dreyfus et son père devant la prison de Rennes.
  2. Lucie Dreyfus et ses enfants.
  3. Journalistes du quotidien féministe La Fronde.

Célian Ramis

Alice Schneider, mauvais esprit et faux sanglants

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Galerie DMA, Rennes
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Mauvais esprit et impertinence s'invitent à la galerie DMA de Rennes jusqu'au 29 octobre. L'occasion d'apprécier le talent d'Alice Schneider qui a réalisé 200 dessins à l'encre de Chine.
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Faux sanglants, l’exposition de l’artiste plasticienne Alice Schneider, regroupant 200 dessins réalisés à l’encre de Chine, est présentée jusqu’au 29 octobre, à la galerie DMA de Rennes.

Faux sanglants, c’est le titre de l’exposition de la mancelle Alice Schneider, écrit en majuscules dégoulinantes, fruit du déversement d’une bouteille de Ketchup sur une banale feuille A4. « Ça résume bien la série de dessins, avec le côté cheap, la référence au fake, à la marque Ketchup… Tout le monde connaît ce jeu du sang avec le Ketchup », explique-t-elle, quelques heures avant le vernissage de l’exposition, jeudi 17 septembre.

Après avoir passé trois mois à entreprendre cette série, elle vient de coller ses 200 dessins sur les murs de la galerie DMA. Des dessins en noir et blanc, à l’encre de Chine. « Pour ne pas changer de feutre tous les 4 matins, mais aussi pour obtenir un vrai noir, qui garde un vrai contraste même sur les photocopies », commente l’artiste plasticienne. L’exposition ne présente pas les originaux, volontairement. Pour Alice Schneider, l’important est de pouvoir les diffuser, les photocopier, les multiplier.

DÉSACRALISER LE CÔTÉ PRÉCIEUX

« Le choix du dessin, et non de la peinture qui est pourtant mon premier amour, est une économie. C’est simple, facile à diffuser. Je suis parfois frustrée par le côté précieux des œuvres. » Elle prône la liberté du regard, la simplicité du rapport à l’art et la libre circulation de l’œuvre. Auparavant, elle avait déjà travaillé sur une série de magnets à coller sur le frigo et à reconstituer à sa guise.

Ici, elle opte pour des dessins que chacun peut photocopier directement dans la galerie, pour 1 euro, et repartir avec : « Il faut désacraliser ce côté précieux. Je veux qu’on puisse jouer et parler avec l’œuvre. Et que le dessin puisse partir à la poubelle sans complexe au final. »

Briser les frontières entre le visiteur et le travail de l’artiste, s’approprier les œuvres, les faire vivre selon nos propres références… Une démarche séduisante et engagée, en parfaite symbiose avec le contenu des dessins accrochés par thèmatique. Animaux, princesses Disney (ou Death Né), bouffe, mannequinat, amour, sexualité, désillusions, monde du travail, jeux, religion, actualité et nouvelles technologies, tout ce qui inspire la diplômée des Beaux-Arts d’Angers est recensé dans Faux sanglants.

LE TALENT AU SERVICE DE L’IRRÉVÉRENCE

« Au quotidien, j’ai toujours un petit carnet sur moi. Je note tout ce qui me vient en tête, des blagues Carambar, des jeux de mots, des sujets, des choses que je vois. C’est ma façon de procéder. J’aime mettre sous cloche des envies. Créer et mettre en images ensuite. », précise-t-elle, en balayant du regard les centaines de feuilles légendées affichées aux murs. Après ses études, Alice Schneider a travaillé brièvement dans une agence de pub à Paris, mais l’ambiance lui déplaisant, elle a préfèré voler de ses propres ailes. Parler de ces références, de ce qui la touche, ce qui la titille.

Des punks à chattes, une société française lubrifiée par le vin rouge ou boostée à la caféine, une pomme pomme girl, une femme aux seins doux (ou plutôt au Saindoux), une pharmachienne ou encore des migrants jamais aussi célèbres que Léonardo Di Caprio et Kate Winslet… la dessinatrice distille dans chaque pièce de la série une dose d’humour noir, de sarcasme et de regard critique. Simplement dans l’objectif de rendre compte de ce qu’elle constate : « Je ne cherche pas forcément à être critique mais généralement quand on écrit sur quelque chose, c’est quelque chose qui nous titille. On soulève rarement ce que l’on aime bien mais plutôt ce qui ne tourne pas rond. »

Sans prétention, Alice Schneider propose sa vision du monde à travers des dessins pouvant être appréhendés de manière personnelle comme universelle. Fortement influencée par les mutations sociétales des années 90 et 2000, l’artiste de 28 ans soulève avec simplicité et talent tous les « faux sanglants » de notre environnement. Impertinence et mauvais esprit s’invitent à la galerie DMA jusqu’au 29 octobre, on vous conseille d’en prendre une tranche…

Célian Ramis

Sexualité : Plaisirs intimes, et non tabous

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Rennes
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La sexualité féminine reste hélas objet de fantasmes et de mystères néfastes à l'épanouissement des individus. Comment briser les tabous et s'affranchir des normes sociales ? Enquête sur la découverte du corps et des plaisirs sexuels.
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Non, le corps des femmes n’est pas une conquête. Ni un continent noir, comme a pu le dire Freud… Celui ou celle qui cherche absolument à planter le drapeau de la victoire sur le point G fait fausse route. Les cultes se succèdent et se juxtaposent : performance, orgasme, libre sexualité… et finissent par semer la pagaille d’une norme à une autre, sans prendre en compte la réalité du quotidien et surtout sans envisager la différence des corps.

Femme ou homme, chaque individu possède une enveloppe charnelle unique, forte d’un héritage des générations familiales et sociétales passées d’où découle des blocages et des leviers propres à chaque personne et son histoire. À cela s’ajoute une pression journalière liée à l’évolution de la société, dont le comportement est dicté aujourd’hui par un marketing genré et des stéréotypes relayés dans les médias, sans mesure (ou plutôt en se fichant) des conséquences.

La sexualité ne peut se résumer à des techniques, des positions, des chantages affectifs, encore moins à des mystères et à des sornettes dignes des romans Arlequin (ou plus récemment Cinquante nuances de Grey).

Il est temps d’en finir avec les distinctions clivantes et aberrantes entre clitoridiennes et vaginales mais également entre sexualité féminine à l’eau de rose et sexualité masculine mécanique. Temps de nous connaître, précisément.

Les femmes veulent vivre une passion, les hommes tirer un coup. Mais quelle vision entretient-on des femmes et des hommes ? Et comment se libérer de tels carcans imposant une sexualité féminine opposée à une sexualité masculine ?

« Les femmes aujourd’hui sont infiniment plus libres dans leur sexualité que leurs ainées. Le désir féminin est reconnu ; la masturbation n’est plus taboue ; elles expriment leurs fantasmes et se trouvent, pour la plupart, belles et sensuelles. Reste que l’orgasme ne survient que dans un rapport sur cinq. Et qu’un quart des femmes y accèdent rarement ou jamais. »

Une utopie présentée en 2012, dans l’émission « Sexualité, plaisir et désir féminin », sur France Inter, visant à entendre les témoignages des femmes d’aujourd’hui, avec leurs réalités et leurs désillusions. Moderne et libérée. C’est ainsi que l’on veut présenter la sexualité féminine. Mais le sujet, bordé de tabous dus aux dissonances des discours religieux, scientifiques, psychanalytiques ou encore médiatiques, a la vie dure.

Le philosophe Michel Foucault le souligne dans Histoire de la sexualité (1976-1984), le corps des femmes reste un enjeu de pouvoir. Et c’est d’ailleurs le cheval de bataille du féminisme pro-sexe : utiliser le corps et le plaisir sexuel comme armes politiques, dont les femmes doivent s’emparer. Comment comprendre qu’elles ne soient toujours pas maitresses de leurs désirs et de leurs sexualités, au même titre que les hommes ?

PLONGÉES DANS LA PASSIVITÉ

Au début du XXe siècle, Freud, père de la psychanalyse, établit des théories bancales sur la sexualité féminine, néfastes pour l’évolution des mentalités et des générations à venir. Partant du principe que le clitoris est un pénis tronqué, il en déduit que la petite fille est un petit garçon qui se masturbe en fonction de pulsions et plaisirs virils.

Pour accéder à la féminité, la jeune fille devra opter pour la passivité et le refoulement de ces pulsions. En découvrant qu’elle ne possèdera jamais de pénis, et que les hommes en sont dotés, elle va se détourner de sa mère et tourner son désir vers son père (complexe d’Œdipe), avant de le remplacer, en vieillissant, par un désir d’enfant.

La découverte du clitoris appartiendrait donc à la petite fille, qui apprendra à s’en détacher et à vivre avec la frustration transfigurée en envie du pénis, et la découverte du vagin à la femme, objet et passive, face à l’homme sujet et actif.

Son travail lui vaudra la célèbre phrase comparant la sexualité féminine à un continent noir. Une métaphore que Marine Bachelot Nguyen, auteure et metteure en scène à Rennes, a souhaité creuser dans son spectacle « À la racine », dans le cadre du projet Féministes ? en 2011.

« C’est mystérieux et obscur mais c’est aussi une référence coloniale, explique-t-elle. Qu’est-ce que le corps de la femme quand il est vu comme un continent ? Ça implique que l’on peut le conquérir, le violer, le coloniser, se l’approprier ?! »

Tout cela avec la vision de l’homme occidental, blanc, hétérosexuel. La militante féministe va alors s’amuser des codes de la domination masculine, représenté par le phallus, comme norme et référence autour de la sexualité pour mettre en exergue le propos de Freud : « En manquant de pénis, on manque le droit d’être reconnues comme des êtres humains… » Mais aussi souligner ce clivage désastreux entre jouissance vaginale et jouissance clitoridienne qui reste encore et toujours d’actualité.

On pourra lire en octobre 2014, sur le site de Madame Figaro : « Oubliez tout ce que l’on vous a dit : il n’y a pas d’orgasme vaginal, ni d’orgasme clitoridien. Il n’y a qu’un orgasme féminin. Et le point G ne serait qu’un mythe, selon les conclusions de deux chercheurs italiens, parues dans la revue Clinical Anatomy ».

Pour Marine Bachelot Nguyen, les discours livrés au grand public sont dangereux dans la mesure où on l’éduque à une distinction nette et précise de la sexualité psychologique chez les femmes et de la sexualité mécanique chez les hommes.

« On a des connaissances autour du sexe des femmes mais très peu diffusées. Aujourd’hui, on a plus accès au porno mainstream, qui prône l’humiliation et met en scène l’assujettissement des femmes et privilégie les fantasmes des hommes, qu’à des documentaires. Dans le spectacle, je parle du clitoris et du schéma anatomique que les femmes elles-mêmes ne connaissent pas. », souligne-t-elle, mettant ainsi en lumière la méconnaissance persistante du corps et de son fonctionnement.

CLITORIS, AU PLACARD !

Le clitoris est pourtant connu depuis des millénaires. Dans l’Antiquité, le médecin grec Hippocrate expliquait déjà l’importance du plaisir ressenti lors de la procréation. Au XVIe siècle, les premières planches d’anatomie montrent avec précision le clitoris, dessiné par l’italien Mateo Renaldo Colombo qui le définit comme un organe du plaisir.

Mais en 1875, la découverte du système de fécondation le renvoie au placard, puisque incohérent avec l’idéologie religieuse, et il sera même diabolisé par la suite. Il faudra attendre 1998 pour que l’urologue Helen O’Connell rétablisse la vérité anatomique du seul organe actuellement connu pour ne procréer que du plaisir.

Le documentaire Le clitoris, ce cher inconnu se propose de faire un bilan des connaissances sur l’anatomie et la physiologie sexuelle féminine, montrant un organe dont la partie visible, recouverte par un repli de peau appelé le capuchon et munie de 8000 fibres nerveuses permettant ainsi l’érection et le plaisir, se situe au sommet des petites lèvres. Si on l’aperçoit en général qu’un centimètre maximum, le clitoris mesure entre 8 à 10 centimètres de long et de 3 à 6 centimètres de large, le corps entourant le vagin et l’urètre.

Il apparaît alors que les femmes peuvent jouir de manière aussi mécanique que les hommes, voire au-delà puisque la stimulation du clitoris pourrait procurer des orgasmes multiples (et mêmes nocturnes, la nature de ces derniers n’étant pour l’instant pas précisément affirmés). Pourquoi alors tant de mystères et de tabous autour de cette partie du corps ?

LES NORMES PERSISTENT…

« Il y a un interdit de la masturbation féminine. Elle est compliquée car elle n’est pas envisagée comme une découverte de connaissances de son corps et de son plaisir. On se pense sexuellement et sentimentalement dépendantes de quelqu’un d’autre. Homo ou hétéro, le but est d’avoir un couple stable. », analyse Marine Bachelot Nguyen. La sexualité se définirait donc par rapport à la vision du couple.

Ce que confirme le sexologue Michel Bozon, dans le documentaire réalisé par la féministe pro-sexe Ovidie, également réalisatrice de pornos féministes, À quoi rêvent les jeunes filles ?, diffusé sur France 2 dans Infrarouge, en juin 2015. Un héritage de la culture judéo-chrétienne et de la norme sociale qui en découle, impliquant quasi obligatoirement la vie à 2. Elle se définirait aussi selon le modèle de domination homme/femme, pré-existant depuis la naissance de l’espèce.

Ainsi, Marie-Laure Déroff, docteure en sociologie et enseignante au département de Sociologie de l’université de Bretagne occidentale, publie en 2007, aux Presses Universitaires de Rennes, Homme/Femme : la part de la sexualité – Une sociologie du genre et de l’hétérosexualité, dans lequel elle constate :

« Hommes et femmes sont ainsi définies comme deux catégories distinctes, déterminées par une Nature fondatrice des identités féminines et masculines. »

Elle a réalisé pour cet ouvrage de nombreux entretiens avec des femmes et des hommes, qui indiquent des différences dans le langage, dans la manière d’aborder le sujet et de correspondre dans les réponses à l’ordre social pré-établi de son genre. Pour comprendre, elle s’est intéressée à l’analyse du discours médiatique, à travers deux titres de presse féminine, Marie Claire et Cosmopolitan, et un titre de presse masculine, Men’s Health.

Marie-Laure Déroff y démontre des messages conservateurs et stéréotypés, fondés sur la Nature. En 2002, dans Men’s Health, on rappelle les rôles : « À la femme revient l’intérieur, l’univers de la maison, à l’homme, l’extérieur, c’est un chasseur. » Et dans Cosmopolitan, on explique en 2001 le désir féminin comme l’illustration d’un besoin hystérique de plaire « parce qu’elle est programmée pour assurer la survie de l’espèce, grâce à son utérus, elle a développé ce besoin-là. »

… ET SE DÉPLACENT

Pourtant, dans les médias, l’émancipation des femmes ne manque pas d’être prise en compte et est même poussée à son paroxysme. La sexualité féminine prend un virage radical, et son sexe préalablement destiné à la procréation devient l’objet de toutes les conquêtes. La libération sexuelle de 1968 et la lutte pour l’IVG et les méthodes de contraception permettant de ne plus vivre les relations sexuelles dans la peur d’une grossesse.

La femme doit maintenant devenir l’amante idéale, la performance prévalant encore sur la connaissance de son corps. Hypersexualisation, corps lisses et parfaits, chirurgie des grandes lèvres, la norme glisse et se déplace. Comment prendre son pied quand la société nous oblige à jouir ? La WonderWoman doit maitriser parfaitement sa sexualité.

Toutefois, sa libération et sa jouissance ne lui sont pas offertes, elles sont le prix à payer pour sauver son couple, principalement hétérosexuel, les autres « catégories » n’étant que très peu signifiées (hétéro, bi, homo, trans, pansexuel, polysexuel, hétéroflexible, etc.). Les médias, féminins mais pas que, multipliant les articles et dossiers sur les secrets d’une sexualité épanouie pour garder son homme, sur les mystères féminins basés sur les petites attentions, les jeux de séduction et les caresses, ou encore sur les positions préférées de ces messieurs (eux, seront servis des positions préférées de ces demoiselles).

Marie-Claire Bouchery Carlier, sexologue et psychothérapeute à Rennes, en voit régulièrement des « executive women », comme elle les appelle. Des femmes célibataires, trentenaires principalement, qui gèrent leur vie d’une main de maitre, mais se coupent de l’affectif :

« Elles ont des relations avec des hommes, sans le versant affectif, elles prennent du plaisir et du bon temps. Mais elles sont bloquées côté amoureux. Et quand elles lâchent prise, là, ça bloque dans le sexuel… Mais c’est normal, l’humain reprend ses droits. Et il y a une peur de la sexualité. La pression sociale leur dictant d’être des WonderWoman ! »

La professionnelle est catégorique, la souffrance derrière les problèmes sexuels est réelle, et est en partie due aux dictats de la société. En 23 ans, le sujet l’anime toujours autant, « la sexualité vient dire dans le corps que quelque chose ne va pas. » Pour elle, pas de réponse organique, seulement des causalités psychiques.

« Je recommande aux femmes de s’autoriser à prendre du temps pour se découvrir. Mais les causes appartiennent au psychisme. La sexualité vient vous parler de vous, dans votre intimité. Les traumatismes accumulés, les blocages sexuels, l’incapacité à lâcher prise, l’éducation, l’héritage familial, les complexes d’infériorité dont s’emparent les médias… Tout est lié à l’intime. Et parfois, ce sont des histoires hyper douloureuses qui se dénouent ici. C’est toute une souffrance qui se met en mot ! Ça peut être des secrets de famille, une histoire de transmission mère-fille, une question de respect de l’intégrité dans l’enfance… C’est hyper confrontant de faire l’amour avec quelqu’un ! », lâche-t-elle naturellement.

RELÂCHER LA PRESSION

Elle plaide pour la déculpabilisation des individus et pour décomplexer les discours pour ne pas tendre à une tyrannie du bonheur. Parler et se soulager pour identifier la nature du blocage et en trouver le levier. Elle évoque également la gestion de l’énergie, que l’on soit en couple ou non. « Il y a tout un travail sur l’équilibre global, apprendre à gérer les différents espaces de sa vie ne va pas de soi. Et le désir n’est pas naturel, il est culturel. Il n’existe que dans l’interaction avec l’autre. », rappelle-t-elle.

La sexologue insiste, les humains ne sont pas des robots, et quand le corps dit stop, il s’exprime, « c’est l’inconscient de la personne, le vécu de la personne ». Ainsi, l’injonction à avoir une vie sexuelle épanouie, fondée sur la performance et la technique, ne peut créer que des blocages. « Réussir sa vie, c’est réussir impérativement sa sexualité », déclare Ovidie dans son documentaire. Et femmes et hommes en pâtissent assurément.

« Les hommes sont pris pour des robots et les femmes ne comprennent pas quand ça ne marche pas. Il faut qu’ils soient performants. Ils ont une grosse pression et certains viennent me voir car ils vivent de profondes souffrances, ils s’effondrent. Il y a une vraie solitude chez eux car ils parlent moins entre eux que les femmes, entre copines. »
note-t-elle, signifiant la dangerosité à perpétuer des discours sur la virilité masculine.

Les hommes n’étant pas non plus habilités à explorer leurs corps, autrement que par la masturbation acquise de leur pénis, certains articles commençant à peine à évoquer le plaisir anal.

Pourtant, le sujet s’est invité naturellement à Trégunc en avril dernier, lors du festival Clito’Rik, organisé par le collectif Gast ! de Quimper et Douarnenez, qui prône le féminisme inclusif, la déconstruction des normes et la réflexion sur le genre. « On avait envie de parler de sexualité de manière positive, avec la question du plaisir. », explique Camille. Aborder le sexe anal n’était pas au programme mais s’est révélé comme un besoin.

Après l’atelier « Chatte », dans lequel les participantes ont été invitées à construire leur « chatte à modeler » et à découvrir, dans l’intimité et la confidentialité, l’intérieur de leur vagin en présence d’une gynécologue et d’une médecin généraliste, la discussion s’est poursuivie dans un café de Trégunc et s’est élargie. De quoi réjouir le collectif qui a su impulser un festival innovant dans la proposition et le sujet, qui a séduit un public hétérogène.

« Il y a un climat de crise religieuse, politique… Et de la pudeur sur le sujet. On est tou-te-s concerné-e-s par les questions de liberté, de sexualité. Et pourtant on ne parle pas beaucoup de plaisir… Alors que ça pourrait être évident et décomplexé. »
s’enthousiasme Camille.

Au programme : questions du consentement, de la contraception masculine, du polyamour, de la masturbation féminine, d’éducation non-sexiste, projections de documentaires tels que Clito va bien, réalisé par le Planning familial 29 (1979), Alors, heureux ? d’Yvonne Debeaumarché (2006) ou encore Les branleuses de Frédérique Barraja (2010) et conférences gesticulées.

Dont « Le clito, un petit nom qui en dit long. Plaisir et politique au pays de la sexualité féminine », créée en 2012 à l’initiative de l’association féministe rennaise Questions d’égalité. Sur scène, 7 femmes – 3 lesbiennes et 4 hétéras, blanches, sans enfants, entre 30 et 40 ans – racontent leur rapport à la sexualité.

LA RECONQUÊTE

« Nous avons voulu mêler expériences et théories. Il y a des parcours plus ou moins accidentés, des questions de transmissions familiales, de violences dans l’enfance, l’adolescence, des premières expériences, des notions de tabous, des casseroles de la religion, de la médecine, des médias, du capitalisme… », détaille rapidement Marine Bachelot Nguyen, qui participe à la conférence gesticulée.

Un savant mélange de récit d’expériences concernant la prise de conscience de femmes face à leur sexe et face à leur condition de femme. « Je raconte par exemple le jour où ma mère a voulu m’expliquer, à 9 ans, comment on fait les bébés. Elle a pris un bouquin pour expliquer et m’a mis un miroir entre les jambes. Aujourd’hui, je lui suis très reconnaissante d’avoir fait ça ! », précise-t-elle.

Avec ce spectacle, elles entendent également mettre des mots sur leurs vécus intimes devenant universels, transmettre des savoirs anatomiques et aborder concrètement la phase de reconquête. À travers l’auto-défense féministe mais aussi par l’éducation sexuelle, qui passe alors par la formation des professionnels. Comme le propose par exemple le Planning familial de Rennes.

Pour Marine Bachelot Nguyen, « Il n’y a pas assez de représentations alternatives, dans les livres pour enfants par exemple, dans les romans pour ados, les films, les courts-métrages. Et il n’y a pas assez de prise en charge. On n’aborde pas dans l’éducation des petits garçons la question des violences sexuelles. Et pourtant, ils vont peut-être rencontrer une femme qui aura vécu ça, et ce sera une réalité à prendre en compte dans la relation sexuelle. »

Elle soulève alors la question de chaque réalité à prendre en compte. De chaque bagage, chaque vécu, chaque personnalité, chaque corps. Autant d’individualité et de différences que la société ne veut pas saisir.  « On veut taper sur le porno pour ne pas remettre la société en cause. On pense que c’est le porno qui amène ça dans la société alors que c’est le contraire. Tout comme les jeux vidéos et la violence. », observe Ortie, réalisatrice de films érotiques sur Internet.

Elle se définit enfant d’Internet et de la sexualité 2.0. Elle aime poser nue ou en lingerie, pour se sentir belle et assumer son corps, et diffuser les photos sur les réseaux sociaux. Elle pointe alors le paradoxe de cette génération : « J’ai beau savoir que je m’expose, je ne supporte toujours pas les commentaires de certains… Je veux participer à l’image de la femme forte, libérée, mais je participe aussi à l’image de la femme objet. »

Avec Internet, les corps s’exposent, les langues se délient, suscitant le sentiment que la sexualité a pris un nouveau tournant, que les femmes assument désormais leur sexe et prennent en main le contrôle de leur condition. Mais ne confondrait-on pas le tabou avec l’intime ? Et finalement, on peut s’interroger sur le lien réel avec leur corps.

RENOUER AVEC SON CORPS

« Beaucoup de femmes sont dissociées de leur corps, couper de leur énergie et pas du tout dans le présent. L’image du corps parfait, mince et bronzé… Les femmes l’acceptent ! Mais il faut savoir qu’elles se pénalisent, elles et seulement elles, en n’aimant pas leurs corps. Le regard sur soi et la prise en charge de soi-même sont souvent très passifs. », recadre Anne Koch, énergéticienne dans le Morbihan depuis peu, jusqu’alors installée en Ille-et-Vilaine, et formée à Rennes en bioénergie.

C’est la trentaine passée que la professionnelle a vécu un déclic. Son corps se braque, elle ne ressent plus l’envie de faire l’amour, plus l’envie d’être pénétrée. Lorsqu’elle rencontre son compagnon, ils décident ensemble de se lancer dans un apprentissage d’une sexualité partagée et approfondie. Le simple fait de se regarder dans les yeux, de se recentrer sur l’acte quand l’esprit vagabonde, en parler pour elle, être à l’écoute pour lui, apprendre à dire non…

« Au départ, on s’est détachés de l’objectif orgasme. On sait maintenant relâcher nos corps pour des orgasmes plus intenses, plutôt que de maintenir les muscles serrés au moment de jouir. Le corps est plus ample et l’orgasme prend tout le corps. »
explique-t-elle lentement.

Sans complexes, elle livre son ressenti et les étapes de son parcours personnel vers l’épanouissement sexuel : « En apprenant cela, on peut vivre nos fantasmes avec tendresse et respect. On peut aussi ne pas toujours passer par la pénétration mais par les câlins et caresses. Et il m’est déjà arrivé de jouir en même temps que lui pendant une fellation. »

Aujourd’hui, l’énergéticienne propose des soins et des stages liés aux points spécifiques de la sexualité. Le but étant de faire circuler l’énergie du vagin et de l’utérus, en partant du plancher pelvien jusqu’au bas du ventre, à travers des massages, de la méditation ou des exercices énergétiques.

« Elles ne viennent pas spécifiquement pour cela en général mais le blocage se sent vite. Je dialogue alors avec le corps pour identifier la source et débloquer le problème, sans mettre de mots dessus si elles n’en ont pas la volonté. », décrit-elle. Elles ont entre 35 et 45 ans en moyenne, et viennent à la suite d’un changement de situation sentimentale et d’une remise en question globale. L’occasion de découvrir ou redécouvrir son corps, son désir et son plaisir.

Car malgré l’injonction à réussir sa vie sexuelle, dès le début de l’âge adulte, il n’est jamais trop tard pour s’initier à sa propre sexualité et à s’affranchir des carcans moraux et normatifs imposés par la société. Et cela passe la découverte et la connaissance de son corps et de ce qui l’anime. Alors, un conseil : osez vous y plonger !

Après plusieurs années à exercer sa profession dans le milieu hospitalier, Isabelle Peyrode, sage-femme, s’est lancée il y a un an en libéral. Elle lève le voile sur une compétence peu connue de son métier : aborder avec les patientes la sexualité et le plaisir féminin.

YEGG : Cette thématique est-elle abordée précisément lors de la formation de sage-femme ?

Isabelle Peyrode : Cela fait partie de la formation à l’école, mais elle est abordée de manière assez brève. On a des bases puis on apprend par expérience. On peut ensuite passer un DU (diplôme universitaire) en gynécologie-sexologie si l’on souhaite se spécialiser davantage ou suivre des formations.

Les femmes viennent-elles vous voir spécifiquement pour parler sexualité et plaisir féminin ?

Non, elles viennent pour leur grossesse ou post-accouchement. À cette occasion, elles nous parlent beaucoup. Peut-être plus qu’aux gynécos. Quand elles ont des douleurs après l’accouchement, elles posent des questions. Six semaines après avoir eu leur bébé, elles reviennent pour la rééducation du périnée.

On va pouvoir parler de si elles ont repris les rapports, s’il y a des soucis… La rééducation aide les femmes à comprendre et à prendre conscience de leur périnée. Je peux leur donner des pistes si elles ont besoin. Et quand je ne sais pas, j’oriente vers une sage-femme qui, elle, aura plus de compétences à ce sujet.

C’est donc plutôt associé à des douleurs…

Souvent oui, à des douleurs ou à des peurs. Forcément, si elles ont eu mal lors des rapports ou qu’elles ont peur d’avoir mal, le cerveau dit stop. Dans ce cas-là, je suis là pour identifier le problème et lever le soucis. Par le massage par exemple. Il faut soigner le traumatisme. Et il y a souvent de l’appréhension.

Quel type d’appréhension ?

La peur des rapports sexuels pendant la grossesse, par exemple. Chez les mamans, mais aussi chez les papas. Peur de toucher le bébé, de lui faire mal. À cela se mêle, pour certaines, le fait de se trouver grosses, changées… D’autres n’ont aucun problème et ne changent rien à leur vie sexuelle.

Tout dépend des personnes. Elles peuvent aussi avoir une libido plus intense lors de la grossesse.

Y a-t-il des recommandations particulières niveau sexualité quand une femme est enceinte ?

Quand il y a menace d’accouchement prématuré, on peut conseiller de faire attention en effet. Mais il n’y a aucune contre-indication ! Au contraire. Chacun fait comme il souhaite. Ça peut même parfois aider pour déclencher l’accouchement. Une fois l’enfant né, on recommande de prendre son temps.

On compte un mois à 6 semaines en général mais là encore tout dépend des personnes et de comment s’est déroulé l’accouchement.

Et en ce qui concerne la masturbation féminine ?

Pareil. Elles font comme elles veulent. Ce qui est surtout difficile, c’est qu’avec l’arrivée du bébé, elles sont fatiguées la plupart du temps. Nous sommes là pour leur dire qu’il y a un temps pour tout. Que de retrouver des moments à 2, c’est important pour le couple.

Après l’accouchement, le corps est modifié, les organes aussi. Est-ce une redécouverte de la sexualité et du plaisir féminin ?

Complètement. C’est même parfois une découverte tout court ! C’est là qu’elles posent pas mal de questions. Et d’autres redécouvrent, en effet. Il faut s’adapter au bébé, à une potentielle baisse de désir… Mais il faut bien savoir qu’il n’y a pas de norme.

Elles viennent spécialement en parler ?

Non, encore une fois, c’est ce que l’on disait précédemment, c’est lors de la rééducation. Sinon après on peut faire le suivi gynéco, mais on va moins aborder la sexualité comme ça peut être le cas pendant la grossesse et juste après. C’est à ce moment-là que certaines nous disent « J’ai mal, faites quelque chose ! ».

À quoi sont dues les douleurs en général ?

La sécheresse, due à une chute hormonale, peut provoquer des douleurs. La sensation de béance aussi peut les gêner car elles ressentent moins de sensations lors de l’acte. Le fait d’en parler déjà est une première étape qui fait du bien. Entre la rééducation du périnée, le ventre et les seins modifiés…

Elles ont besoin à mon sens de se retrouver en tant que femmes. Pas uniquement en tant que mamans. D’autant qu’avec la fatigue et le manque de temps, certaines vont se « laisser aller » et ne plus se retrouver. Souvent, les femmes veulent « récupérer » leur corps d’avant, le plus vite possible.

Quelle est la différence avec un-e sexologue ?

Je pense que le/la sexologue est davantage en mesure d’expliquer les différents rythmes car l’homme et la femme ne sont pas « réglés » pareil. Il/Elle pourra donner des pistes pour aborder cela entre eux. J’entends souvent dire « Mon mari s’y prend mal »… C’est symptomatique du manque de communication.

Il faut en parler, garder en tête aussi l’importance des préliminaires, etc. Par exemple, certains hommes refusent les rapports pendant la grossesse, pensent que c’est impur ou ont peur de toucher le bébé. Je leur explique et je leur fais des dessins en général pour qu’ils visualisent. La communication reste le meilleur moyen d’avancer et de s’accorder.

Vous recevez aussi des couples lesbiens ?

En 8 ans, j’en reçu un couple de femmes lesbiennes en consultation, c’était en Belgique. Nous n’avons donc pas pu développer les questions liées à la sexualité. Mais les peurs et les douleurs ressenties lors de la grossesse et post-accouchement doivent être a priori semblables.

 

Tab title: 
Libérées du culte de la sexualité
Démystifier le corps des femmes
L'oubliée de la sexualité
Toujours tabou pour vous ?
Former les professionnel-le-s
Grossesse : modification du sexe ?

Célian Ramis

Laïcité, bastion de l'émancipation

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Rennes
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À quel point laïcité et droits des femmes sont-ils liés ? Enquête au coeur d'une situation complexe.
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Croyants et non croyants, État et Églises, tous trouvaient leur compte dans la laïcité. Cette conquête républicaine est aujourd’hui ébranlée et ses défenseurs accusés d’anticléricalisme et d’islamophobie. La laïcité est devenue source de conflit et divise le peuple français. Car jamais valeur n’a autant exalté les passions, catalysant à la fois de forts ressentiments proches de la haine obscure et une grande confiance proche de l’amour aveugle.

Plus encore depuis les attentats de janvier dernier. Aussitôt, on a convié la laïcité à la table de tous les débats et dans les colonnes de tous les journaux. Parfois à tort, souvent sans savoir(s), toujours fébrilement. YEGG cèderait donc à la mode médiatique ? Pas tant que cela. Depuis un an déjà la rédaction réfléchit à cette notion en tant que vecteur d’émancipation des femmes et garantie d’impossibles régressions machistes, et s’interroge : la laïcité est-elle à la base de l’égalité des sexes ? 

NOTA BENE : La rédaction a sollicité un certain nombre d’experts, locaux et nationaux, universitaires, politiques, associatifs, religieux, qui n’ont pas pu – pour raisons de santé ou d’emploi du temps - ou voulu répondre. 

La population que l’on a fait venir du Maghreb à des fins économiques s’est sédentarisée. Dans ses bagages, une langue, une culture, des coutumes, comme dans ceux, avant elle, des Italiens, Espagnols, Polonais ou Portugais. Le fait nouveau ? Un passé colonial douloureux et sa religion. La loi de 1905 n’avait pas prévue cela, et l’État n’a pas su éviter la crise. Au contraire, ses atermoiements ont fini d’envenimer la situation. Manque de discernement ou inconscience ? Aveuglement naïf et laxisme lâche ? Peur et culpabilité ? Stratégie électoraliste ?

Quoi qu’il en soit, il règne aujourd’hui autour de la laïcité trop d’ignorance, de confusions et d’amalgames, d’idées reçues et de rumeurs. On fait passer la laïcité pour anticléricale, intolérante et liberticide, avec pour seul but de bouter le sacré et les religions hors de France et de faire de l’athéisme le nouveau crédo imposé par l’État. Pourtant, le principe est tout autre, pensé pour tous les croyants, quel que soit leur culte, pour qu’ils cohabitent en paix. Une idée plutôt saine, généreuse, libertaire qui prône et défend la liberté de conscience et qui assure la neutralité de l’Etat. Une idée des Lumières.

FILLE DES LUMIÈRES

Les penseurs du 16e siècle – ceux qu’Emile Poulat* appelle les « pères spirituels de l’idée de laïcité » - veulent mettre fin aux massacres barbares des guerres de religions, et faire revenir la paix civile. Pour cela, ils opposent passions et violences religieuses à la Raison. Ils conçoivent les prémices de la loi de 1905. Il faut attendre la Révolution Française pour que l’Ancien Régime, et avec lui le droit divin, soit aboli.

« Il s’agit au départ de l’affirmation des droits du sujet, des droits de l’Homme : chaque individu doit pouvoir se construire à partir de sa propre liberté de conscience, détaché de la vérité de l’Église, c’est le principe d’autonomie. À cela s’ajoute le principe de neutralité de l’État, lequel n’est plus au service de l’Église, du catholicisme. Il ne prend pas en compte la religion de ses sujets, et il assure la même liberté de conscience à tous. C’est ce que l’on retrouve dans l’article 10 de la Déclaration des Droits de l’Homme. C’est à partir de cela que se construit la laïcité française », explique Philippe Portier, chercheur, historien et sociologue des religions, co-auteur de La Laïcité. Une valeur d’aujourd’hui ? Contestations et renégociations du modèle français, aux Presses Universitaires de Rennes.

Le XIXe siècle est marqué par les débats et les lois qui dessinent peu à peu les contours de la laïcité. Les discussions sont riches, les disputes nombreuses. Ce n’est qu’en 1878 que le mot « laïcité » est inscrit dans le « Dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire » par Ferdinand Buisson. Les hommes de la IIIe République vont créer le cadre juridique nécessaire à l’application de ce principe. Hugo, Gambetta, Clémenceau, Briand, Combes, Jaurès, l’abbé Lemire mènent les députés laïques jusqu’à la loi de décembre 1905.

Elle se définit ainsi : la liberté de conscience est assurée par la République qui « garantit ainsi le libre exercice des cultes », pour peu qu’il ne s’exprime pas dans le domaine public et ne trouble pas l’ordre public. « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte ».

L’ÉCOLE, BASTION DE LA LAÏCITÉ

De 1880 à 1882, Jules Ferry fixe les règles de l’enseignement gratuit, laïc et obligatoire. En ôtant aux religieux l’instruction des enfants, on décide de leur donner la liberté de conscience : « Par l’éducation, il faut apprendre aux enfants la liberté de penser par soi-même, leur montrer que la réflexion ne se réduit pas aux croyances », juge Elisabeth Badinter. C’est le choix de l’intelligence, du libre arbitre, de l’indépendance d’esprit, aux enfants de se forger leurs propres opinions, de devenir autonomes.

Car l’école apprend le pluralisme et la diversité en refusant de favoriser le communautarisme. Les écoliers s’épanouissent dans un espace commun où l’égalité de tous est indiscutable et pour cela il faut des règles de vie collective, la laïcité en est la première. L’école de Jules Ferry a été conçue pour cela. C’est chez elle que les jeunes esprits apprennent l’égalité et la liberté, l’égalité de tous quelle que soit leur religion et la liberté de pratiquer sa religion, en privé. En outre, l’école laïque a permis l’égalité des sexes.

LA LAÏCITÉ, ALLIÉE TARDIVE DES FEMMES

« Au départ, le principe de laïcité ne prend pas du tout en compte la question féminine et les droits des femmes, la même hiérarchie est conservée : les femmes sont minoritaires et inférieures. Cet élément de minoration durera jusqu’après la Seconde Guerre mondiale. C’est avant tout une question institutionnelle et on laisse les questions culturelles de côté. Car la relation hommes/femmes relève d’une culture qui n’a pas à être modifiée par la loi. Même sous la IIIe République, la redistribution de genre n’est pas de mise, sauf à la marge, avec Paul Bert par exemple. Si la culture des politiques de la IIIe est celle de l’émancipation, un domaine y échappe, celui de l’intime, car ils sont marqués par des normes très imprégnées de catholicisme. La famille a une définition ancestrale et ne bouge pas », expose Philippe Portier.

Certes, à partir des années 1870-1880 les écoles sont ouvertes gratuitement aux petites filles, lesquelles peuvent aussi devenir institutrices, néanmoins on ne leur donne pas la même éducation : « On les éduque pour qu’elles deviennent des mères de familles républicaines. Le programme scolaire parle de « travaux d’aiguille », ce sont de vieux schémas très stéréotypés », poursuit Philippe Portier.

La laïcité à travers l’école a donc lentement participé à l’émancipation des filles. Fondée sur les idéaux de 1789 et de la Déclaration des droits de l’Homme, elle est étroitement liée à un principe qu’on ne cesse d’évoquer depuis la Révolution, celui d’égalité. Mais comment l’assurer si la femme n’est pas l’égale de l’homme ?

« Cette dynamique de l’égalité, symbole de la modernité, ne peut plus exclure les femmes, le mouvement s’amorce au début du XXe siècle. Alors les filles ont le droit de passer le même baccalauréat que les garçons, puis on donne une personnalité juridique aux femmes. On pourrait ainsi dire que les droits des femmes dépendent plus du principe d’égalité que de celui de laïcité »
constate Philippe Portier.

L’argument de la laïcité pour servir les femmes ne sera invoqué qu’à partir des années 1960, notamment lors du vote de la loi Veil. Alors seulement la laïcité va toucher la part intime de la vie. « Il reste encore des éléments de culture chrétienne dans notre loi, le combat laïque fait obligation de les remettre en cause », analyse Philippe Portier.

LES LAÏQUES ANTI-FÉMINISTES ?

Jean Baubérot, sociologue et historien de la laïcité, dit « qu’il a existé en France, pendant le XIXe siècle et une partie du XXe, un anti-féminisme laïque. Les femmes étaient supposées être « naturellement » plus sensibles à l’autorité cléricale ». Une thèse défendue par la sociologue et militante féministe Monique Crinon : « La prépondérance du patriarcat n’est pas l’apanage des seules idéologies religieuses, il s’éploie au sein mêmes des forces laïques, qu’elles soient ou non athées ». Une société patriarcale où le poids de la culture catholique pèse sur la sphère intime, même chez les laïques les plus fervents, a donc longtemps entravé le féminisme.

Si les Républicains ont refusé l’égalité des femmes par crainte de désordre, on note également que les textes religieux ont été écrits par des hommes et seulement des hommes, « Le plus souvent les clergés, de quelque religion ou idéologie qu’ils soient, sont masculins ; en ce sens La Libre Pensée est féministe afin de combattre une funeste attitude qui perdure dans toutes nos sociétés. Aucune différence d’humanité entre les individus n’est légitime. Je refuse tout essentialisme en la matière, je ne prise rien tant que les individus égaux en droit », confie Michel Le Normand de La Libre Pensée.

1989, UN TOURNANT

« Ces deux mouvements (laïcité et féminisme, NDLR) se sont inscrits dans des temporalités différentes avant de se retrouver, non sans contradiction, en 1989 autour d’une affaire de foulard », suggère Jean Baubérot. Et l’intellectuel de poser la question : « Est-ce la femme qui doit s’émanciper ou est-ce l’État républicain qui doit émanciper les femmes ? ». Si pendant 200 ans laïcité et féminisme se sont donc peu croisés, ils ne se quittent plus depuis 30 ans, enchaînés dans une liaison houleuse. Au nom de la laïcité, qui permet la paix sociale, on demande que les signes ostentatoires restent confinés à la sphère privée et aux lieux de culte.

On parle ici à toutes les religions. Pourtant, le voile et la burqa interpellent sur la condition de la femme, quelle signification leur attribuer ? « Est-ce une aliénation ou au contraire un symbole de l’autonomie de la femme ? », interroge Philippe Portier. On a légiféré fermement sur la burqa et opté pour le compromis républicain concernant le voile simple. Invoquerait-on trop la laïcité ? Emile Poulat* le pense, elle n’avait notamment pas sa place en 2010 dans l’interdiction de la burqa : « Il suffit d’une loi qui soit dans la nature des choses. Le seul principe, c’est que chacun doit être identifiable en permanence », affirme-t-il.

Une incompréhension réciproque et beaucoup d’hypocrisie voilent le débat et empêchent de trancher entre une interdiction ferme et le fameux compromis républicain. Michel Le Normand le rappelle, La Libre Pensée a été dès le début contre le port du voile dans les écoles, mais pour une liberté absolue dans l’espace public tant qu’il n’y a pas atteinte à l’ordre public, avant d’ajouter : « Pour les horaires des piscines et toutes autres manifestations communautaristes, je suis plus circonspect parce que la promotion, sur le domaine public, de ces pratiques, me semble d’abord anti-féministe et cacher l’emprise machiste des religions sur les corps et spécifiquement des femmes ».

Il serait donc question de libertés publiques et d’intérêt général, de paix civile et de respect de tous les cultes. Des principes qui s’opposent. D’un côté le lien social, de l’autre la liberté et l’autonomie. Autant de valeurs chères à la France. « La laïcité consiste dans le fait qu’il n’y a plus de religion officielle et qu’il y a place pour tous les cultes. (…) Sous l’aspect strict de la laïcité, ces questions ne valent pas les passions qu’on y met souvent. La laïcité est une culture qui permet l’intégration de tout le monde mais qui ne peut la garantir. C’est un dispositif fondamental qui fait place à tous. Ni plus ni moins. La laïcité est structurellement ambiguë dans la mesure où elle inclut ceux qui l’excluent », retient Emile Poulat*.

L’ÉMANCIPATION DANS LA RELIGION ?

Alice Picard, étudiante à l’IEP de Rennes, a travaillé pendant presque un an à son mémoire « La cause des femmes musulmanes. Porte-parole et confiscation de leurs voix ». Au cours de ses recherches et entretiens avec différentes associations féministes rennaises, elle met le doigt sur la complexité du sujet : « On sent un malaise sur les termes employés. Et quand on aborde la question du voile, beaucoup se replient comme des huitres. On se replie souvent derrière l’argument de la laïcité. » Une carte qui pourrait être interprétée comme liberticide.

Pour cette militante altermondialiste et féministe, il apparaît rapidement que les femmes musulmanes doivent être entendues, s’intéressant précisément à celles qui vivent en France - « le port du voile ayant une signification différente selon la situation géographique » - et que ces dernières peuvent s’émanciper dans et avec leur religion. « Chez Al Houda (association des femmes musulmanes de Rennes, ndlr), elles se battent clairement pour les droits des femmes et posent toutes les questions autour de l’émancipation et du pouvoir patriarcal. », souligne-t-elle.

L’argument de l’émancipation dans la religion n’est pas sans conteste et s’opposent alors féminisme laïc et féminisme religieux, et particulièrement le féminisme musulman (ou islamique). Dans le premier, on affirme le parallèle indéfectible entre laïcité et égalité des sexes, le féminisme étant ancré dans une tradition moderne et laïque, et on prône l’universalité de ces droits. Wassyla Tamzali, militante féministe algérienne, s’insurge contre les intellectuels et la société européenne qui concèdent des droits différents aux femmes issues des pays musulmans.

« Elles n’ont pas renoncé à réaffirmer, chaque fois que c’était nécessaire, que le droit des femmes à disposer de leur corps n’était pas négociable parce qu’il était le pivot de la pensée féministe. Et pourtant, devant les hadiths, versets et autres éléments de la culture charaïque (…) devant le consentement de certaines femmes à dissimuler leur corps, à le «marquer» des signes de la domination patriarcale par le voile, s’agissant des femmes musulmanes, elles relativisent ce principe pour lequel elles se sont battues, un principe qui perdrait son sens pour des femmes de cultures différentes », écrit-elle dans son ouvrage Une femme en colère – Lettre d’Alger aux Européens désabusés.

Dans le second, on réinterprète les textes du Coran, de la Bible ou encore de la Torah. Néanmoins, l’actualité se concentre moins sur ce dernier, Delphine Horvilleur, rabbin en France, dit à propos du judaïsme qu’il est le cœur de l’interprétation des textes. Interrogée sur la place des femmes dans la religion juive, Ann Nusimovici, présidente de l’Association culturelle et cultuelle israélite de Rennes, ne s’étend pas sur le sujet. Soufflée par la voix d’un homme que l’on perçoit à travers le téléphone, elle explique : « Il y a différents courants de pensée. Pour les libéraux, la parité entre les hommes et les femmes est établie depuis longtemps. Pour d’autres, il existe des rituel religieux qui peuvent être différents pour les femmes et pour les hommes. »

Hormis cela et la transmission de la religion par la mère de famille, elle ne souligne aucune différence et le lien entre les droits des femmes et la laïcité ne semble pas évident à cela près :

« La lutte pour l’égalité femmes-hommes est nécessaire. L’État peut choisir la place des femmes dans la société. Et l’évolution de la société influence forcément les religions. »

 Pour la chercheuse Zarah Ali, la relecture du Coran réhabilite les droits des femmes dont le port du voile serait l’étendard contre le racisme et le sexisme qui se propagent en Occident. Elle note dans son livre Féminismes islamiques : « Les féministes musulmanes proposent une libération qui pose un tout autre rapport au corps et à la sexualité : un rapport marqué par des normes et une sacralisation de l’intime, et par une défense du cadre familial hétérosexuel. »

Pour Asma Lamrabet, médecin biologiste au Maroc et féministe, interviewée par Le Monde des religions (n°71 – mai-juin 2015, consacrant un dossier aux Femmes dans l’Islam) l’opposition entre ces deux féminismes n’est apparente qu’en France, où il serait difficile de discuter du fait religieux : « Au Maroc, il y a également des féministes laïques. Nous travaillons main dans la main, car elles ont conscience que, dans une société majoritairement musulmane, la religion reste incontournable. Nos objectifs sont les mêmes : la liberté et la dignité des femmes. »

QUESTION D'INTERPRÉTATIONS

Des valeurs défendues par les membres d’Al Houda, association créée à Rennes en 1996 par les femmes musulmanes de la mosquée de Villejean, qui revendiquent l’émancipation et l’épanouissement des femmes, passant par la relecture des textes : « Il faut du temps pour s’émanciper des textes sacrés. Surtout quand on pense que la femme a été créée de la côte d’Adam, plaisante Marjolaine Peurin, membre de l’association, convertie à l’Islam depuis plusieurs années. Alors que là aussi il y aurait un glissement de sémantique. »

Les interprétations masculines ont permis aux hommes d’instrumentaliser les textes pour réduire les femmes à une infériorité naturelle. À elles à présent de proposer leur vision et compréhension des écrits à travers leurs références contemporaines. Et de déconstruire les idées fausses et amalgames réunis autour de leur condition sans cesse ramenée à leur religion. « On pense que la laïcité affaiblit les religions et donc libère les femmes. Le voile est interprété comme le symbole du fascisme islamique. Mais on a le droit de s’habiller comme on le veut. », explique-t-elle, précisant que cela ne réfute en rien leur respect du principe de laïcité.

Kaoutar Assali, secrétaire de l’association, défend la liberté de conscience, de choix. Celle qui « embrassé l’Islam en faisant la prière et en portant le voile » à l’adolescence alors qu’elle n’était pas pratiquante reconnaît qu’elle a, plus jeune, estimé la religion musulmane avilissante pour les femmes. Les deux femmes pointent du doigt le raccourci établit entre condition de femmes musulmanes et liberté individuelle, qu’il s’agisse d’une question vestimentaire ou de pudeur face au professionnel chargé de les ausculter.

« La carte de la laïcité est parfois brandie pour ne pas permettre le choix aux femmes. On a quand même le droit de se sentir plus à l’aise face à une femme médecin. »
conclut Kaoutar.

L’association qui défend la place des femmes dans la société et le respect des libertés fondamentales, telle que l’égalité, ne se définit pas dans ses statuts comme féministe, contrairement à Action Catholique des Femmes. Une volonté essentielle pour la responsable départementale, Françoise Ravary-Dalibart. « C’est important pour nous, on a voulu exister autrement, prendre conscience que l’on n’a pas à tout supporter. Certaines ont pu prendre des forces et de l’énergie pour évoluer », souligne-t-elle.

Pouvoir exprimer son désaccord avec le discours de l’institution, qu’elle différencie de la foi, est une nécessité pour ne pas se laisser dicter sa vie au quotidien. Tout comme Kaoutar et Marjolaine, elle accorde une grande importance à la liberté de choix, de conscience, de diversité. « Chacun fait ses choix. L’Église propose une orientation mais n’a rien à nous imposer. Par exemple, c’est important que le Mariage pour tous soit autorisé, que la loi autorisant l’IVG existe ! Si cette loi était menacée en France, j’irais manifester. », exprime-t-elle.

Les femmes, majoritaires dans la vie de l’Église, sont néanmoins plus écartées du pouvoir décisionnaire de l’institution. Raison pour laquelle ses membres se sont attelées à la rédaction d’un plaidoyer sur la place des femmes. Leur leitmotiv dans l’association, créée en 1906 en réaction à la loi de 1905 pour défendre les curés et les bonnes œuvres, « et qui a su évoluer avec son temps par la suite », c’est le respect de chacun dans ses différences, pouvoir co-exister, co-habiter et ne subir aucun inconvénient du fait de sa religion.

Toujours dans le respect également du principe de laïcité, « une évidence pour nous et nous n’avons aucune envie de revenir en arrière ». Être ouvert à tous, accepter la diversité pour échanger et évoluer, voilà les valeurs que ce groupe de femmes défendent, en se réunissant une fois par mois et en organisant des événements à l’occasion du 8 mars, journée internationale des femmes, par exemple, et qui communient entre la religion et la laïcité.

PRIORITÉ ÉDUCATION

Ancienne enseignante en primaire, Françoise Ravary-Dalibart croit en la mission de l’éducation et regrette le tôlé, survenu l’an dernier, autour de l’ABCD de l’égalité : « Durant ma carrière, j’ai vu des enseignants pris dans les stéréotypes sur les rôle des filles et des garçons. D’autres non. C’est une démarche individuelle. »

Et ce n’est pas Françoise Soulimant qui la contredira. Défenseure des droits des femmes et de la laïcité, ancienne enseignante et directrice d’établissement, elle s’investit aujourd’hui dans différentes associations comme le CIDFF 35 dont elle est la vice-présidente, tout comme dans l’association d’éducation populaire Aroeven, membre du Comité laïcité 35 qui a rédigé une charte de la laïcité. Sans oublier sa participation en tant qu’experte au Comité consultatif de la laïcité, lancé par la Ville de Rennes (lire encadré p.22) pour lequel elle a été auditionnée.

Chapeau de la République, la laïcité représente une ouverture sur l’autre. Elle y voit un parallèle probant avec l’évolution des droits des femmes, partant du droit de vote en 1944, « période à laquelle on commence à affirmer le principe de laïcité, dans la Constitution de 1946 », jusqu’à 1975 avec la loi sur l’avortement et les lois sur la famille. « Tous les droits qui vont vers des libertés individuelles sont liées à la laïcité. Ce sont des évolutions positives dans le cadre de la République », précise-t-elle, avant de souligner :

« On le voit bien, quand il y a un État religieux, c’est au détriment des femmes. Pareil quand il y a un recul démocratique. »

Pour elle, les crispations actuelles, autour du voile, des menus de substitution dans les cantines pour les enfants ne mangeant pas de porc et autres, n’ont pas lieu d’être. Dues à la méconnaissance de la culture de l’autre, la solution réside dans le dialogue et dans l’éducation. Aborder concrètement la laïcité dans les établissements scolaires, discuter autour de la citoyenneté, des valeurs de la République, des religions, intégrer dans les programmes scolaires des auteures étrangères… Une manière de développer la richesse culturelle des élèves et de reconnaître le monde qui nous entoure.

« La laïcité est une valeur concrète. Les jeunes, dans les collèges et lycées, en ont bien conscience et n’ont pas envie d’être menés en bateau par des détournements et des récupérations politiques. Et quand on aborde la laïcité, les jeunes filles établissent d’elles-mêmes le lien avec les droits des femmes ! », mentionne-t-elle, ravie et convaincue, qu’en restant vigilant au respect des droits, acquis et valeurs de la société et République, l’optimisme est de rigueur. La laïcité étant une garantie de l’égalité entre les individus et par conséquent entre les sexes.

 

BIBLIOGRAPHIE :

*Émile Poulat, Notre Laïcité ou les religions dans l’espace public, entretiens avec Olivier Bobineau et Bernadette Sauvaget, Éditions DDB Desclée de Brouwer.

Dictionnaire amoureux de la laïcité, Henri Pena-Ruiz, Plon

Lettre ouverte au monde musulman, Abdennour Bidar, Éditions Les Liens qui libèrent

Laïcité, une valeur menacée ? Hors Série magazine Marianne, février 2015

Le Monde des religions, Les femmes dans l’Islam, Numéro 71, mai-juin 2015

Une femme en colère – Lettre d’Alger aux Européens désabusés, Wassyla Tamzali, Gallimard

Féminismes islamiques, Zarah Ali, La fabrique

 

 

Si les mentalités sont divisées quant à l’application du principe de laïcité, chacun s’accorde à penser que l’école reste le bastion privilégié de la République, agissant sur la transmission des valeurs de notre société et permettant une éducation à la citoyenneté exemplaire.

CULTURE DE L'ÉGALITÉ ET VIVRE ENSEMBLE

En octobre 2013, le ministre de l’Éducation, Vincent Peillon à l’époque, présente la charte de la laïcité à l’école, issue de la loi de refondation de l’École (juillet 2013), obligatoire dans les établissements scolaires publics, et composée de 15 points rappelant le principe de laïcité et ce qu’il permet (égalité, croire ou ne pas croire, liberté de conscience, etc.). « La loi rappelle l’importance de la laïcité mais aussi de toutes les valeurs de la République que nous devons faire partager aux élèves. », souligne Loïc Bernard, référent laïcité depuis 2013, et inspecteur de vie scolaire, au sein de l’Académie de Rennes.

La Charte aborde, au 9ème point, l’égalité des sexes : « La laïcité implique le rejet de toutes les violences et de toutes les discriminations, garantit l’égalité entre les filles et les garçons et repose sur une culture du respect et de la compréhension de l’autre. » Pour Nicole Guenneuguès, chargée de mission égalité filles-garçons à l’Académie de Rennes, les thématiques de la laïcité et de l’égalité sont transversales et font tronc commun dans les missions de l’école visant à l’émancipation de chaque individu.

« La laïcité à l’école pose le fait que les croyances religieuses ne peuvent pas être des arguments recevables pour contourner les valeurs de la république. », explique-t-elle en insiste également sur les notions de libre-arbitre, de parcours de vie et d’orientation, auxquelles Loïc Bernard ajoute la construction de l’élève. « On leur apprend à développer leur sens critique. Les contenus des programmes, l’apport en connaissances, sont indispensables. Mais ils doivent être rapprochés de leur vécu. On appelle ça l’approche par compétences : dans le domaine professionnel, dans le couple, dans la vie de citoyen, etc. », explique Nicole Guenneuguès.

Et pour elle, cela passe par des actions concrètes déclinées en 3 axes (dans la convention interministérielle 2013-2018 signée en décembre dernier par le Rectorat, l’Académie, les collectivités territoriales) : acquérir et transmettre la culture de l’égalité, favoriser le vivre ensemble avec l’éducation à la sexualité et le respect entre les filles et les garçons, et choisir son orientation (elle prend pour exemple le manque de femmes dans les filières scientifiques).

Au-delà de la question des inégalités à réduire, les deux professionnels s’accordent et se rejoignent sur la nécessité du dialogue et du bon fonctionnement autour de la pédagogie de la laïcité et des valeurs générales de la République, veillant à la formation de l’individu épanoui et citoyen.

VALEURS UNIVERSELLES ET CIVIQUES

Si les établissements privés relèvent majoritairement de l’enseignement catholique, ils partagent la volonté de former leurs élèves aux principes de la citoyenneté et de la laïcité. Sémi est le papa d’une fille de 9 ans, Inès, inscrite à Notre-Dame-des-Miracles, école élémentaire privée de Rennes. Pour lui, qui a effectué toute sa scolarité dans le public, l’éducation de son enfant est fondamentale et souhaitait lui donner accès à un enseignement de qualité supérieure.

« Quand il a fallu l’inscrire ici, je me suis renseigné sur cette école et j’y ai trouvé des valeurs auxquelles j’adhère en tant que musulman, comme l’entraide et la solidarité par exemple. », explique-t-il. Et si l’école privée permet l’expression de la croyance en un Dieu et fait vivre une identité chrétienne (axe inscrit dans le projet éducatif de l’établissement), elle dispense également l’éducation à la citoyenneté à travers la transmission des valeurs universelles et civiques, essentielles pour le père d’Inès.

« Elle a des cours d’éducation civique où elle apprend ce qu’est la République, la démocratie, la Marseillaise et elle a récemment appris ce qu’est la laïcité. C’est un peu le bordel dans sa tête avec la double culture (franco-tunisienne, ndlr) mais ça viendra. », conclut-il.

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Liberté, laïcité, égalité (des sexes) ?
La laïcité, socle de l'émancipation ?
Le principe de la laïcité
Éducation à la citoyenneté

Célian Ramis

Hasti Akhavan, peintre au pinceau bien trempé

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Galerie des Arts d'Ille, Saint-Germain-sur-Ille
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L'artiste iranienne Hasti Akhavan dévoile sa nouvelle exposition articulée autour de la figure féminine, à la galerie des Arts d'Ille, à Saint-Germain-sur-Ille, jusqu'au 28 juin.
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Après plusieurs expositions à Téhéran et à Lyon, c’est dans la fraicheur rennaise que l’artiste iranienne Hasti Akhavan a préparé sa nouvelle exposition articulée autour de la figure féminine. Nous l'avons rencontré dans le cadre du numéro 28 - Septembre 2014. Elle dévoile aujourd'hui ses toiles à la galerie des Arts d'Ille, à Saint-Germain-sur-Ille, jusqu'au 28 juin.

Inspirée de la femme iranienne, Hasti Akhavan peint dans ses toiles une figure plus large de la condition féminine, sans visage, pour une vision plus universelle. « C’est ce que je connais le mieux, l’Iran, mais, concernant les femmes, partout dans le monde il y a encore du travail… », explique-t-elle. Représentées en position assise, elles sont une allégorie de la passivité des femmes.

Pour Hasti, « elles sont en attente … On dirait qu’elles n’ont pas le pouvoir de changer leur vie. Je retrouve cela chez ma mère et chez beaucoup d’autres. Elles acceptent leur rôle, ce qui creuse les inégalités même si ces dernières existent réellement ». L’artiste n’hésite pas, dans sa peinture, ni dans ses paroles, à exprimer ce qu’elle pense du monde qui l’entoure.

« À l’époque de mes premières expositions, je ressentais beaucoup de limitations. Dans la société et dans la famille. J’étais alors plutôt dans l’abstrait. »
précise celle venue en France en 2009 pour ses études de chimie, d’abord à Lyon puis à Rennes.

Aujourd’hui, Hasti jouit d’une grande aisance avec la peinture, son père l’ayant inscrite toute petite dans des cours : « J’ai pas mal changé de prof, jusqu’à ce que j’en choisisse un. C’est avec lui que j’ai trouvé mon style, que je suis devenue autonome, indépendante… » Un élément nécessaire à sa construction personnelle qui lui permet d’appréhender son art comme un jeu, et ainsi de transposer, sur toile ou sur papier, les couleurs et les formes, à l’acrylique, aux pastels ou aux crayons, selon ses envies, ses besoins et ses ressentis.

« Quand je fais un tableau, je ne m’organise pas avant. Je peux signer une toile et y revenir un an plus tard. Je trouve ça plus pur, plus libre », rigole-t-elle. Et c’est dans cette liberté que puise la jeune femme de 34 ans pour représenter sa pensée : « Si je dessine des choses sombres parfois, il y a toujours de l’espoir ».  Une pointe d’optimisme qu’elle souligne également dans son nouveau projet : « En étant plus actives, les femmes auront plus de courage, j’y crois à cette évolution ! »  

Son exposition regroupe les thématiques Femmes et Nature dans une scénographie pensée pour révéler une histoire commune, à découvrir à Saint-Germain-sur-Ille, dans la galerie des Arts d’Ille.

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