La Forêt Sacrée - Vivement lundi !

Le tabou de l'excision et l'ambigüité du combat

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Rennes
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Combattre pour préserver des milliers de jeunes filles de l'excision en Afrique, mais aussi sur le sol français, Martha Diomandé s'y dédie. Et c'est d'ailleurs l'objet du documentaire de Camille Sarret, intitulé La Forêt Sacrée.
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La lutte contre l’excision, elle en a fait son combat. Depuis 15 ans, Martha Diomandé vit à Rennes, où elle a créé ACZA (Association culturelle zassa d’Afrique). Son but : faire évoluer les mentalités des matrones contre cette pratique. La journaliste Camille Sarret l’a suivie en Côte d’Ivoire et de là résulte un très beau documentaire, La Forêt Sacrée, projeté en avant-première au cinéma Arvor, à Rennes, le 10 octobre à 11h puis diffusé sur TVR, à partir du 20 octobre.

Actualisation 26/02/2016 : Dans le cadre du 8 mars à Rennes, le film sera projeté le 12 mars à 16h30 aux Champs Libres (Comptoir du doc, 13e édition de Documentaires au féminin), et le 26 mars à 14h à la salle de la Cité (suivie d'une table ronde et d'un échange avec le public).

Plus de 125 millions de femmes sont excisées dans le monde, selon le rapport de l’Unicef en 2013. Et on estime à plus de 50 000 le nombre de femmes excisées en France. Martha Diomandé est l’une d’entre elles. Originaire de Côte d’Ivoire, elle a subi l’ablation du clitoris à 7 ans et lutte aujourd’hui contre cette pratique, répandue dans de nombreux pays d’Afrique, dans les villages surtout, les grandes villes ayant davantage accès aux campagnes de sensibilisation.

Souhaitant faire un reportage sur l’excision, Camille Sarret, journaliste originaire de la capitale bretonne, féministe - qui a milité aux côtés de Mix-Cité Rennes - a rencontré des femmes militantes excisées – originaires du Sénégal – et des associations qui travaillent sur le sujet, comme Gynécologues Sans Frontières.

Et c’est en découvrant l’histoire de Martha Diomandé, qui lui propose de venir avec elle en Côte d’Ivoire afin d’observer les actions menées concrètement dans son village, que Camille décide d’en faire un documentaire, se rendant à 3 reprises sur place tout d’abord pour découvrir l’environnement, habituer les femmes à la caméra, puis filmer.

L’EXCISION AUTREMENT

« J’étais curieuse et j’avais du mal à saisir la démarche de Martha. Elle n’est pas classique dans son regard sur l’excision. Elle n’a pas la même vision que la plupart des Occidentaux ou certaines féministes ont. Elle est pleine de contradictions. », dévoile la journaliste qui réalise ici son premier documentaire de 52 minutes, en co-production Vivement Lundi et TVR 35 Bretagne. Des contradictions dont la fondatrice d’ACZA ne se cache pas. Si Martha s’engage contre l’excision, elle milite également pour une autre méthode :

« En Europe, la vision de l’excision n’est pas la même. Ma culture est entre la France et l’Afrique. Je suis pour dire non à l’excision mais je ne suis pas pour la tolérance 0. C’est toute l’ambigüité de mon combat. ».

Et cette ambigüité, elle s’en sert pour dialoguer avec les matrones. Pour elle, pas question de rester sans agir. Soit elle devenait exciseuse, soit elle s’en faisait un combat, explique-t-elle au début du documentaire.

Mais quand elle raconte son histoire, qu’elle retourne dans son village de Kabakouma pour comprendre les matrones et, doucement, les amener vers l’unique mission d’accoucheuse, délaissant ainsi la pratique ancestrale de l’excision, elle ne peut s’empêcher de penser qu’elle va à l’encontre de sa culture, qu’elle brise quelque chose et qu’elle trahit sa famille ainsi que ces femmes.

« Elle a du mal à renier cette tradition. Certaines militantes qui ont été excisées sont dans une telle rage qu’elles ont besoin de dénigrer tout ça justement. Pas Martha. »
souligne Camille Sarret.

Et c’est là dessus qu’elle base son documentaire : sur les réflexions de Martha Diomandé, son parcours et son travail de sensibilisation. Une démarche bien accueillie par les femmes du village qui demanderont seulement à ce que les activités spirituelles ne soient pas filmées.

Camille se souvient : « Martha a fait une cérémonie dans laquelle elle invoquait les esprits. Nous n’avons pas pu filmer ça, ce qui se comprend et se respecte. Pour le côté mystique, il y a quelques images de la forêt, qui pour nous n’a rien de sacrée. C’est une forêt qui se traverse au quotidien, mais pour les rituels on ne peut pas rentrer dedans. Les femmes nous ont emmené sur le chemin mais se sont arrêtées à l’entrée. Ce sont leurs limites. »

UNE RÉALITÉ BRUTALE

Au delà des pratiques animistes et des cérémonies sacrées qui définissent de manière réductrice le mode de vie de ces villages, La Forêt Sacrée cherche à livrer un regard neuf, loin de tout jugement, vis-à-vis d’une réalité qui nous apparait brutale et qui engendre douleurs, traumatismes et complications dans sa vie de femme. Une réalité que Martha a pardonnée.

Accepter d’être filmée en Côte d’Ivoire est pour Martha Diomandé « une manière de s’exprimer sur un sujet tabou et dire la vérité car on dit que c’est interdit mais on sait très bien ce qu’il se passe là-bas, personne ne s’en cache ». Et surtout, l’occasion de montrer la manière dont « les vieilles » du village conçoivent cette pratique.

« Ce ne sont pas des meurtrières et je ne veux pas les brutaliser. Il faut aller à leur rencontre et être dans le respect. On peut procéder à des arrestations de villages entiers, elles continueront tant qu’elles ne comprendront pas que c’est mauvais pour elles. »

Douceur et apaisement règnent sur le film qui pourtant capte la tension omniprésente. Sous-tendue par l’enjeu si important de l’évolution des mentalités et des pratiques, La Forêt Sacrée montre des réunions, des discussions, des échanges personnels visant à établir une relation de confiance mais aussi à accompagner les matrones dans le rôle d’accoucheuse.

Pour la réalisatrice, le combat de Martha pose la question du droit à la parole pour ces femmes. Combattre cette pratique dans le respect des cultures n’est pas incompatible. Elle soulève alors une autre question, essentielle dans les réflexions autour des droits des femmes : celle de l’universalisme. Et ajoute :

« L’objectif est de susciter des questions autour de ce sujet mais aussi autour de l’universalisme du féminisme, l’universalisme des droits humains. »

UN COMBAT UNIVERSEL

Les femmes excisées sont-elles les seules à pouvoir faire bouger les lignes ? Et doivent-elles se lever seules face à cet acte considéré comme barbare ? Quel est le rôle des Occidentaux/Occidentales ? Dans le documentaire, pas de réponses, simplement l’instauration d’un dialogue dont résulte la possibilité de comprendre ce que signifie cette pratique dans les villages. Et de potentielles solutions pour doucement faire évoluer les mentalités des matrones.

« Personne d’autre que les femmes excisées n’ont la légitimité de porter ce combat. Mais tout le monde peut les soutenir et participer. Leur permettre de mener ce combat. Je ne suis pas pour le « Chacun sa culture, chacun fait ce qu’il veut ». Mais il est indispensable de comprendre la culture des autres et de comprendre ici les conditions de l’excision. Tout le monde peut s’accaparer de ce sujet. Il y a aussi des jeunes filles qui vivent cette injustice sur le sol français ! », rappelle la journaliste.

Depuis septembre 2015, l’ACZA souhaite mettre en place un système de parrainage/marrainage afin de financer les études de jeunes filles africaines en contrepartie de la promesse faite et tenue par la famille de ne pas l’exciser. « Un compromis avec celles qui ne veulent pas arrêter de pratiquer !, conclut-elle. Progressivement, ça va aller, il y a déjà des avancées, mais ça ne pourra se faire que dans le respect de ces femmes et dans la discussion. ».

 

La Forêt Sacrée sera diffusée sur TVR le 20 octobre à 20h45 et 23h, le 21 octobre à 10h et le 24 octobre à 15h et 23h. Une édition DVD devrait voir le jour en décembre prochain.

Actualisation 26/02/2016 : Le film de Camille Sarret a été sélectionné pour la compétition Premier film documentaire des 15e Rencontres du cinéma européen de Vannes qui se dérouleront du 2 au 8 mars.

Fonds Dreyfus - Musée de Bretagne

Réhabiliter Lucie Dreyfus, oubliée de l'Histoire

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Rennes
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Le 30 septembre dernier a été publié le livre Lucie Dreyfus, la femme du capitaine, d'Elisabeth Weissman, journaliste. L’occasion de s’intéresser à une figure féminine oubliée de l’Histoire qu’elle a pourtant marqué.
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Le 30 septembre dernier a été publié le livre Lucie Dreyfus, la femme du capitaine, signé de la plume d’Elisabeth Weissman, journaliste et essayiste. L’occasion de s’intéresser à Lucie Dreyfus, une figure féminine oubliée de l’Histoire qu’elle a pourtant marqué.

15 octobre 1894. Lucie Dreyfus attend que son mari, Alfred Dreyfus officier de l’armée française, rentre déjeuner. Ce midi-là, comme tous les autres pendant les 5 années suivantes, il ne viendra pas.

Accusé de haute trahison envers son pays, il est arrêté, dégradé, emprisonné puis déporté en Guyane.

Plus de 100 ans plus tard, l’histoire du capitaine reste dans les mémoires. Pas celle de Lucie, à tort, qui va pourtant jouer un rôle fondamental dans l’Affaire.

C’est ce qui a poussé Elisabeth Weissman à se lancer sur les traces de cette épouse aimante et mère de famille attentionnée qui se révèle au fil des pages être une force de la nature décrite par l’auteure comme « une très belle figure, un très bel exemple de droiture, qui ne répond qu’à sa conscience, qu’à son devoir. »

SE PLONGER DANS L’HISTOIRE

« J’ai cherché sur Internet, il n’y avait quasiment rien sur Lucie. Et ça m’intéressait de faire une biographie sur une femme qui a marqué la grande Histoire. Cela m’avait plu de faire la biographie sur Coco Chanel mais c’était une commande. », explique l’auteure de Lucie Dreyfus, la femme du capitaine, publié aux éditions Textuel le 30 septembre dernier.

Une manière de réhabiliter l’oubliée mais aussi de visiter une époque, son époque à elle. Celle d’une IIIe République fragile, à la solde de l’armée, avec un ministère de la Guerre ou encore un ministère des Colonies, un Président de la République – Jean Casimir-Périer – qui assurera le mandat le plus court de l’histoire des Républiques (soit 6 mois et quelques jours) avant de laisser la place à Félix Faure.

« Je ne suis pas historienne, je suis journaliste. J’ai fait une enquête journalistique sur Lucie pendant 3 ans. Heureusement, j’ai pu rencontrer des témoins vivants avec le petit-fils et l’arrière petit-fils du couple Dreyfus. », précise Elisabeth Weissman. Et pour le reste, elle a écumé les bibliothèques et les services d’archives en France, en Suisse et en Israël, a reçu des cours de graphologie par des historiens afin de déchiffrer une lettre de Jean Jaurès, par exemple :

« Ils m’ont enseigné la méthode précise, c’est très méticuleux lorsqu’on numérise les documents, il faut les grossir, les rétrécir puis les re-grossir à nouveau… ça m’a pris 2 ans de lire toutes les correspondances, toutes les lettres, tous les documents. »

RENNES, PASSAGE OBLIGÉ

Et passe même plusieurs semaines à Rennes, visitant le lycée Emile Zola, détours obligé pour marcher sur les pas du célèbre « J’accuse », et se rendant surtout au musée de Bretagne qui détient le fonds Dreyfus depuis 1978, une des collections les plus importantes sur l’Affaire Dreyfus, comptabilisant 6800 pièces, consultables sur le site Internet du musée, et qui ne cesse de grossir ses rangs avec notamment l’acquisition récente d’une carte de presse d’un journaliste présent lors du procès de Rennes en 1899.

« L’ancien conservateur était un passionné de l’histoire  de Dreyfus, c’est lui qui a mis ça en place avec la donation de Jeanne Lévy, leur fille. Il y a quelques éléments sur Lucie dans l’exposition permanente du musée de Bretagne mais pas beaucoup. », déclare Laurence Prod’Homme, conservatrice du musée de Bretagne depuis 1989 et responsable du fonds Dreyfus.

Concernant de nouveaux éléments visant à présenter Lucie Dreyfus et lui donner la place qu’elle mérite, peu de solutions sont envisagées. « C’est très difficile de faire bouger les choses rapidement. Cela prend des années et des années. Et puis, vous voyez l’expo Dreyfus, c’est très fermé comme muséographie. », justifie Laurence Prod’Homme. Pour la conservatrice, pas question de minimiser le rôle joué par l’épouse du capitaine mais aucun élargissement ne s’ouvre à l’horizon.

« C’est une injustice de faire perdurer son petit rôle. C’est une époque d’hommes et ce sont eux que l’on retient : Mathieu Dreyfus, les intellectuels qui se sont engagés, les hommes politiques… Lucie est tombée dans l’oubli après l’Affaire. Eux, moins. Mais tout comme la journaliste Séverine par exemple (journaliste écrivant dans le quotidien féministe La Fronde, fondé par Marguerite Durand, présente au procès de Rennes, ndlr), on ne parle pas beaucoup d’elle non plus… », détaille-t-elle.

Et même si l’historien, spécialiste de l’affaire Dreyfus, Vincent Duclert a déjà publié un article sur Lucie, la majorité des professionnels ne s’intéresse pas à cette figure féminine si dévouée à la cause de son mari dans cette Affaire.

« Les historiens sont encore majoritairement des hommes et il y a une manière d’écrire l’Histoire, ce n’est jamais neutre. »
déclare la conservatrice du musée de Bretagne, ravie d’avoir vu débarquer une journaliste souhaitant orienter son ouvrage sur Lucie Dreyfus.

« On a souvent des demandes d’universitaires qui viennent faire des recherches dans le fonds Dreyfus. Là, c’était différent. Première fois qu’une journaliste s’y intéressait. Et à travers l’angle de la femme en plus ! », conclut-elle enjouée, avouant une légère déception à la lecture du livre de ne pas trouver plus de sources inédites et de pas en connaître davantage sur l’enfance, l’adolescence et la construction de Lucie.

UNE FEMME DISCRÈTE ET EN RETRAIT

Pour les novices, plus de 300 pages permettent à travers ce livre de découvrir l’Affaire Dreyfus sous un angle particulier. Au delà du rappel des faits et du contexte socio-politique, c’est un portrait dressé avec justesse, précision et surtout sans exagération que nous propose l’auteure de La désobéissance éthique, La nouvelle guerre du sexe ou encore Un âge nommé désir – Féminité et maturité.

Car il aurait été commode de dépeindre une femme engagée et précurseure de son époque. Loin de là, puisque Lucie refusera catégoriquement tous les contacts avec les journalistes féministes qui plaideront pourtant à 100% la cause du détenu accusé à tort. Et  ne souhaitera à aucun moment être dans la lumière médiatique.

« C’est difficile de se replacer dans ce contexte-là. Mais à l’époque, il y avait un rôle pré-déterminé dans les familles et il était logique qu’avec son éducation bourgeoise et sa condition de femme, elle soit en retrait. Pourtant, elle est beaucoup intervenue dans l’Affaire, notamment dans sa correspondance avec les ministres. »
souligne Laurence Prod’Homme.

Et quand on lit la chronologie très détaillée de l’Affaire sur le site du Musée d’art et d’histoire du Judaïsme, le nom de Lucie n’apparaît qu’au bout d’une année (elle demande la révision du procès en 1895) et ne sera mentionné qu’à 5 reprises.

Pour la conservatrice du musée de Bretagne et l’auteure, Lucie Dreyfus est représentative de son époque, soit « mineure en politique, sans aucun droit ». Elle s’est mariée jeune, a eu des enfants très rapidement, est de nature discrète, bien éduquée, bien sous tous les rapports.

Elisabeth Weissman voit en elle quelque chose de novateur. Qui l’incite à la découvrir avec admiration et respect. Républicaine conservatrice, quasi anti-féministe, et pourtant ne répondant qu’à son objectif : se battre pour la dignité de son mari qui va connaître toutes les humiliations en étant dégradé dans un premier temps puis traité en prison sans aucune considération, isolé et bafoué dans sa condition d’être humain.

DIGNE DANS TOUTES LES ÉPREUVES

Amoureuse, elle ne cessera de lutter et de correspondre avec celui qu’elle chérit tant et pour qui elle serait prête à tout quitter pour le rejoindre et partager le fardeau. Et c’est certainement grâce à elle qu’il survivra les 5 années de réclusion durant, lui promettant de ne pas mettre fin à ses jours. « Ce couple a une grande valeur et une grande noblesse de caractère, s’exclame Elisabeth Weissman. Ils se battent pour universaliser leur combat, celui de la Justice républicaine. Ils n’en ont jamais fait une affaire juive et ne souhaitaient pas en faire une affaire juive malgré l’antisémitisme latent déjà à cette époque. »

Lucie, humble et modeste, ne voudra jamais être érigée en héroïne, le dira très clairement à son amie Hélène Naville avec qui elle correspond très régulièrement (comme avec beaucoup de gens puisque Lucie recevra des milliers de lettres de soutien du monde entier), et assumera sans complexe le rôle de la femme de l’ombre.

Néanmoins, sans conscientiser ses actions guidées par la volonté de faire revenir son mari en France afin qu’il soit libéré et réhabilité, elle crée les possibilités de l’Affaire, ne baissant jamais les bras, demandant constamment la réouverture du procès, ne faiblissant jamais face aux affronts de l’administration qui lit et recopie toutes leurs lettres y compris les plus intimes. Elle accepte, sans baisser la tête, et dépasse sa condition de femme en s’adressant aux hauts gradés et aux ministres.

« Tout en étant discrète et réservée quant à sa condition de femme, en rapport à son éducation, elle balaye l’assignation sexuée attribuée à la gent féminine. Elle se montre même peu conventionnelle pour aller retrouver son mari, elle serait prête à quitter ses enfants. Elle déborde complètement du cadre par moment en intervenant auprès des hommes politiques, en signant des pétitions et des lettres et surtout en s’indignant. », s’emballe la journaliste qui après avoir passé 3 ans à côtoyer et caresser la mémoire de Lucie semble toujours aussi passionnée par son sujet.

PARALLÈLE ENTRE LES SOCIÉTÉS

Car ce qui l’anime en parallèle de ce portrait, c’est de créer une ouverture sur le monde qui s’instaure par le biais de l’intimité de l’individu. D’humaniser, de particulariser, de féminiser une partie de l’Histoire « sans faire de la mauvaise psychologie, en ne lâchant pas le contexte. » Un contexte passé qui trouve pourtant écho dans l’actualité avec la crise économique, le relent d’antisémitisme, de racisme, l’image des hommes virils et poilus, le rôle restreint des femmes, le pouvoir de la presse avec la naissance d’une presse d’opinion…

« On voit à cette époque les soubresauts des paparazzis, les journalistes et les médias qui répandent des rumeurs sur l’état physique de Lucie par exemple. C’est le début de la presse caniveaux et on y voit le pouvoir de la manipulation et la contre information. »
s’insurge la journaliste.

Autre élément que l’on perçoit de manière abrupte et qui n’évolue que trop doucement : « L’épouse n’est jamais assimilée dans l’Histoire. Il n’y a rien pour Lucie sur la plaque figurant dans la rue où ils ont vécu alors qu’on signale pourtant que c’est ici que vivait le capitaine Dreyfus. On note toujours le grand homme. Elle, elle a été une grande femme. »

 

Légendes photos :

  1. Lucie Dreyfus et son père devant la prison de Rennes.
  2. Lucie Dreyfus et ses enfants.
  3. Journalistes du quotidien féministe La Fronde.

Célian Ramis

Alice Schneider, mauvais esprit et faux sanglants

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Galerie DMA, Rennes
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Mauvais esprit et impertinence s'invitent à la galerie DMA de Rennes jusqu'au 29 octobre. L'occasion d'apprécier le talent d'Alice Schneider qui a réalisé 200 dessins à l'encre de Chine.
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Faux sanglants, l’exposition de l’artiste plasticienne Alice Schneider, regroupant 200 dessins réalisés à l’encre de Chine, est présentée jusqu’au 29 octobre, à la galerie DMA de Rennes.

Faux sanglants, c’est le titre de l’exposition de la mancelle Alice Schneider, écrit en majuscules dégoulinantes, fruit du déversement d’une bouteille de Ketchup sur une banale feuille A4. « Ça résume bien la série de dessins, avec le côté cheap, la référence au fake, à la marque Ketchup… Tout le monde connaît ce jeu du sang avec le Ketchup », explique-t-elle, quelques heures avant le vernissage de l’exposition, jeudi 17 septembre.

Après avoir passé trois mois à entreprendre cette série, elle vient de coller ses 200 dessins sur les murs de la galerie DMA. Des dessins en noir et blanc, à l’encre de Chine. « Pour ne pas changer de feutre tous les 4 matins, mais aussi pour obtenir un vrai noir, qui garde un vrai contraste même sur les photocopies », commente l’artiste plasticienne. L’exposition ne présente pas les originaux, volontairement. Pour Alice Schneider, l’important est de pouvoir les diffuser, les photocopier, les multiplier.

DÉSACRALISER LE CÔTÉ PRÉCIEUX

« Le choix du dessin, et non de la peinture qui est pourtant mon premier amour, est une économie. C’est simple, facile à diffuser. Je suis parfois frustrée par le côté précieux des œuvres. » Elle prône la liberté du regard, la simplicité du rapport à l’art et la libre circulation de l’œuvre. Auparavant, elle avait déjà travaillé sur une série de magnets à coller sur le frigo et à reconstituer à sa guise.

Ici, elle opte pour des dessins que chacun peut photocopier directement dans la galerie, pour 1 euro, et repartir avec : « Il faut désacraliser ce côté précieux. Je veux qu’on puisse jouer et parler avec l’œuvre. Et que le dessin puisse partir à la poubelle sans complexe au final. »

Briser les frontières entre le visiteur et le travail de l’artiste, s’approprier les œuvres, les faire vivre selon nos propres références… Une démarche séduisante et engagée, en parfaite symbiose avec le contenu des dessins accrochés par thèmatique. Animaux, princesses Disney (ou Death Né), bouffe, mannequinat, amour, sexualité, désillusions, monde du travail, jeux, religion, actualité et nouvelles technologies, tout ce qui inspire la diplômée des Beaux-Arts d’Angers est recensé dans Faux sanglants.

LE TALENT AU SERVICE DE L’IRRÉVÉRENCE

« Au quotidien, j’ai toujours un petit carnet sur moi. Je note tout ce qui me vient en tête, des blagues Carambar, des jeux de mots, des sujets, des choses que je vois. C’est ma façon de procéder. J’aime mettre sous cloche des envies. Créer et mettre en images ensuite. », précise-t-elle, en balayant du regard les centaines de feuilles légendées affichées aux murs. Après ses études, Alice Schneider a travaillé brièvement dans une agence de pub à Paris, mais l’ambiance lui déplaisant, elle a préfèré voler de ses propres ailes. Parler de ces références, de ce qui la touche, ce qui la titille.

Des punks à chattes, une société française lubrifiée par le vin rouge ou boostée à la caféine, une pomme pomme girl, une femme aux seins doux (ou plutôt au Saindoux), une pharmachienne ou encore des migrants jamais aussi célèbres que Léonardo Di Caprio et Kate Winslet… la dessinatrice distille dans chaque pièce de la série une dose d’humour noir, de sarcasme et de regard critique. Simplement dans l’objectif de rendre compte de ce qu’elle constate : « Je ne cherche pas forcément à être critique mais généralement quand on écrit sur quelque chose, c’est quelque chose qui nous titille. On soulève rarement ce que l’on aime bien mais plutôt ce qui ne tourne pas rond. »

Sans prétention, Alice Schneider propose sa vision du monde à travers des dessins pouvant être appréhendés de manière personnelle comme universelle. Fortement influencée par les mutations sociétales des années 90 et 2000, l’artiste de 28 ans soulève avec simplicité et talent tous les « faux sanglants » de notre environnement. Impertinence et mauvais esprit s’invitent à la galerie DMA jusqu’au 29 octobre, on vous conseille d’en prendre une tranche…

Célian Ramis

Sexualité : Plaisirs intimes, et non tabous

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Rennes
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La sexualité féminine reste hélas objet de fantasmes et de mystères néfastes à l'épanouissement des individus. Comment briser les tabous et s'affranchir des normes sociales ? Enquête sur la découverte du corps et des plaisirs sexuels.
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Non, le corps des femmes n’est pas une conquête. Ni un continent noir, comme a pu le dire Freud… Celui ou celle qui cherche absolument à planter le drapeau de la victoire sur le point G fait fausse route. Les cultes se succèdent et se juxtaposent : performance, orgasme, libre sexualité… et finissent par semer la pagaille d’une norme à une autre, sans prendre en compte la réalité du quotidien et surtout sans envisager la différence des corps.

Femme ou homme, chaque individu possède une enveloppe charnelle unique, forte d’un héritage des générations familiales et sociétales passées d’où découle des blocages et des leviers propres à chaque personne et son histoire. À cela s’ajoute une pression journalière liée à l’évolution de la société, dont le comportement est dicté aujourd’hui par un marketing genré et des stéréotypes relayés dans les médias, sans mesure (ou plutôt en se fichant) des conséquences.

La sexualité ne peut se résumer à des techniques, des positions, des chantages affectifs, encore moins à des mystères et à des sornettes dignes des romans Arlequin (ou plus récemment Cinquante nuances de Grey).

Il est temps d’en finir avec les distinctions clivantes et aberrantes entre clitoridiennes et vaginales mais également entre sexualité féminine à l’eau de rose et sexualité masculine mécanique. Temps de nous connaître, précisément.

Les femmes veulent vivre une passion, les hommes tirer un coup. Mais quelle vision entretient-on des femmes et des hommes ? Et comment se libérer de tels carcans imposant une sexualité féminine opposée à une sexualité masculine ?

« Les femmes aujourd’hui sont infiniment plus libres dans leur sexualité que leurs ainées. Le désir féminin est reconnu ; la masturbation n’est plus taboue ; elles expriment leurs fantasmes et se trouvent, pour la plupart, belles et sensuelles. Reste que l’orgasme ne survient que dans un rapport sur cinq. Et qu’un quart des femmes y accèdent rarement ou jamais. »

Une utopie présentée en 2012, dans l’émission « Sexualité, plaisir et désir féminin », sur France Inter, visant à entendre les témoignages des femmes d’aujourd’hui, avec leurs réalités et leurs désillusions. Moderne et libérée. C’est ainsi que l’on veut présenter la sexualité féminine. Mais le sujet, bordé de tabous dus aux dissonances des discours religieux, scientifiques, psychanalytiques ou encore médiatiques, a la vie dure.

Le philosophe Michel Foucault le souligne dans Histoire de la sexualité (1976-1984), le corps des femmes reste un enjeu de pouvoir. Et c’est d’ailleurs le cheval de bataille du féminisme pro-sexe : utiliser le corps et le plaisir sexuel comme armes politiques, dont les femmes doivent s’emparer. Comment comprendre qu’elles ne soient toujours pas maitresses de leurs désirs et de leurs sexualités, au même titre que les hommes ?

PLONGÉES DANS LA PASSIVITÉ

Au début du XXe siècle, Freud, père de la psychanalyse, établit des théories bancales sur la sexualité féminine, néfastes pour l’évolution des mentalités et des générations à venir. Partant du principe que le clitoris est un pénis tronqué, il en déduit que la petite fille est un petit garçon qui se masturbe en fonction de pulsions et plaisirs virils.

Pour accéder à la féminité, la jeune fille devra opter pour la passivité et le refoulement de ces pulsions. En découvrant qu’elle ne possèdera jamais de pénis, et que les hommes en sont dotés, elle va se détourner de sa mère et tourner son désir vers son père (complexe d’Œdipe), avant de le remplacer, en vieillissant, par un désir d’enfant.

La découverte du clitoris appartiendrait donc à la petite fille, qui apprendra à s’en détacher et à vivre avec la frustration transfigurée en envie du pénis, et la découverte du vagin à la femme, objet et passive, face à l’homme sujet et actif.

Son travail lui vaudra la célèbre phrase comparant la sexualité féminine à un continent noir. Une métaphore que Marine Bachelot Nguyen, auteure et metteure en scène à Rennes, a souhaité creuser dans son spectacle « À la racine », dans le cadre du projet Féministes ? en 2011.

« C’est mystérieux et obscur mais c’est aussi une référence coloniale, explique-t-elle. Qu’est-ce que le corps de la femme quand il est vu comme un continent ? Ça implique que l’on peut le conquérir, le violer, le coloniser, se l’approprier ?! »

Tout cela avec la vision de l’homme occidental, blanc, hétérosexuel. La militante féministe va alors s’amuser des codes de la domination masculine, représenté par le phallus, comme norme et référence autour de la sexualité pour mettre en exergue le propos de Freud : « En manquant de pénis, on manque le droit d’être reconnues comme des êtres humains… » Mais aussi souligner ce clivage désastreux entre jouissance vaginale et jouissance clitoridienne qui reste encore et toujours d’actualité.

On pourra lire en octobre 2014, sur le site de Madame Figaro : « Oubliez tout ce que l’on vous a dit : il n’y a pas d’orgasme vaginal, ni d’orgasme clitoridien. Il n’y a qu’un orgasme féminin. Et le point G ne serait qu’un mythe, selon les conclusions de deux chercheurs italiens, parues dans la revue Clinical Anatomy ».

Pour Marine Bachelot Nguyen, les discours livrés au grand public sont dangereux dans la mesure où on l’éduque à une distinction nette et précise de la sexualité psychologique chez les femmes et de la sexualité mécanique chez les hommes.

« On a des connaissances autour du sexe des femmes mais très peu diffusées. Aujourd’hui, on a plus accès au porno mainstream, qui prône l’humiliation et met en scène l’assujettissement des femmes et privilégie les fantasmes des hommes, qu’à des documentaires. Dans le spectacle, je parle du clitoris et du schéma anatomique que les femmes elles-mêmes ne connaissent pas. », souligne-t-elle, mettant ainsi en lumière la méconnaissance persistante du corps et de son fonctionnement.

CLITORIS, AU PLACARD !

Le clitoris est pourtant connu depuis des millénaires. Dans l’Antiquité, le médecin grec Hippocrate expliquait déjà l’importance du plaisir ressenti lors de la procréation. Au XVIe siècle, les premières planches d’anatomie montrent avec précision le clitoris, dessiné par l’italien Mateo Renaldo Colombo qui le définit comme un organe du plaisir.

Mais en 1875, la découverte du système de fécondation le renvoie au placard, puisque incohérent avec l’idéologie religieuse, et il sera même diabolisé par la suite. Il faudra attendre 1998 pour que l’urologue Helen O’Connell rétablisse la vérité anatomique du seul organe actuellement connu pour ne procréer que du plaisir.

Le documentaire Le clitoris, ce cher inconnu se propose de faire un bilan des connaissances sur l’anatomie et la physiologie sexuelle féminine, montrant un organe dont la partie visible, recouverte par un repli de peau appelé le capuchon et munie de 8000 fibres nerveuses permettant ainsi l’érection et le plaisir, se situe au sommet des petites lèvres. Si on l’aperçoit en général qu’un centimètre maximum, le clitoris mesure entre 8 à 10 centimètres de long et de 3 à 6 centimètres de large, le corps entourant le vagin et l’urètre.

Il apparaît alors que les femmes peuvent jouir de manière aussi mécanique que les hommes, voire au-delà puisque la stimulation du clitoris pourrait procurer des orgasmes multiples (et mêmes nocturnes, la nature de ces derniers n’étant pour l’instant pas précisément affirmés). Pourquoi alors tant de mystères et de tabous autour de cette partie du corps ?

LES NORMES PERSISTENT…

« Il y a un interdit de la masturbation féminine. Elle est compliquée car elle n’est pas envisagée comme une découverte de connaissances de son corps et de son plaisir. On se pense sexuellement et sentimentalement dépendantes de quelqu’un d’autre. Homo ou hétéro, le but est d’avoir un couple stable. », analyse Marine Bachelot Nguyen. La sexualité se définirait donc par rapport à la vision du couple.

Ce que confirme le sexologue Michel Bozon, dans le documentaire réalisé par la féministe pro-sexe Ovidie, également réalisatrice de pornos féministes, À quoi rêvent les jeunes filles ?, diffusé sur France 2 dans Infrarouge, en juin 2015. Un héritage de la culture judéo-chrétienne et de la norme sociale qui en découle, impliquant quasi obligatoirement la vie à 2. Elle se définirait aussi selon le modèle de domination homme/femme, pré-existant depuis la naissance de l’espèce.

Ainsi, Marie-Laure Déroff, docteure en sociologie et enseignante au département de Sociologie de l’université de Bretagne occidentale, publie en 2007, aux Presses Universitaires de Rennes, Homme/Femme : la part de la sexualité – Une sociologie du genre et de l’hétérosexualité, dans lequel elle constate :

« Hommes et femmes sont ainsi définies comme deux catégories distinctes, déterminées par une Nature fondatrice des identités féminines et masculines. »

Elle a réalisé pour cet ouvrage de nombreux entretiens avec des femmes et des hommes, qui indiquent des différences dans le langage, dans la manière d’aborder le sujet et de correspondre dans les réponses à l’ordre social pré-établi de son genre. Pour comprendre, elle s’est intéressée à l’analyse du discours médiatique, à travers deux titres de presse féminine, Marie Claire et Cosmopolitan, et un titre de presse masculine, Men’s Health.

Marie-Laure Déroff y démontre des messages conservateurs et stéréotypés, fondés sur la Nature. En 2002, dans Men’s Health, on rappelle les rôles : « À la femme revient l’intérieur, l’univers de la maison, à l’homme, l’extérieur, c’est un chasseur. » Et dans Cosmopolitan, on explique en 2001 le désir féminin comme l’illustration d’un besoin hystérique de plaire « parce qu’elle est programmée pour assurer la survie de l’espèce, grâce à son utérus, elle a développé ce besoin-là. »

… ET SE DÉPLACENT

Pourtant, dans les médias, l’émancipation des femmes ne manque pas d’être prise en compte et est même poussée à son paroxysme. La sexualité féminine prend un virage radical, et son sexe préalablement destiné à la procréation devient l’objet de toutes les conquêtes. La libération sexuelle de 1968 et la lutte pour l’IVG et les méthodes de contraception permettant de ne plus vivre les relations sexuelles dans la peur d’une grossesse.

La femme doit maintenant devenir l’amante idéale, la performance prévalant encore sur la connaissance de son corps. Hypersexualisation, corps lisses et parfaits, chirurgie des grandes lèvres, la norme glisse et se déplace. Comment prendre son pied quand la société nous oblige à jouir ? La WonderWoman doit maitriser parfaitement sa sexualité.

Toutefois, sa libération et sa jouissance ne lui sont pas offertes, elles sont le prix à payer pour sauver son couple, principalement hétérosexuel, les autres « catégories » n’étant que très peu signifiées (hétéro, bi, homo, trans, pansexuel, polysexuel, hétéroflexible, etc.). Les médias, féminins mais pas que, multipliant les articles et dossiers sur les secrets d’une sexualité épanouie pour garder son homme, sur les mystères féminins basés sur les petites attentions, les jeux de séduction et les caresses, ou encore sur les positions préférées de ces messieurs (eux, seront servis des positions préférées de ces demoiselles).

Marie-Claire Bouchery Carlier, sexologue et psychothérapeute à Rennes, en voit régulièrement des « executive women », comme elle les appelle. Des femmes célibataires, trentenaires principalement, qui gèrent leur vie d’une main de maitre, mais se coupent de l’affectif :

« Elles ont des relations avec des hommes, sans le versant affectif, elles prennent du plaisir et du bon temps. Mais elles sont bloquées côté amoureux. Et quand elles lâchent prise, là, ça bloque dans le sexuel… Mais c’est normal, l’humain reprend ses droits. Et il y a une peur de la sexualité. La pression sociale leur dictant d’être des WonderWoman ! »

La professionnelle est catégorique, la souffrance derrière les problèmes sexuels est réelle, et est en partie due aux dictats de la société. En 23 ans, le sujet l’anime toujours autant, « la sexualité vient dire dans le corps que quelque chose ne va pas. » Pour elle, pas de réponse organique, seulement des causalités psychiques.

« Je recommande aux femmes de s’autoriser à prendre du temps pour se découvrir. Mais les causes appartiennent au psychisme. La sexualité vient vous parler de vous, dans votre intimité. Les traumatismes accumulés, les blocages sexuels, l’incapacité à lâcher prise, l’éducation, l’héritage familial, les complexes d’infériorité dont s’emparent les médias… Tout est lié à l’intime. Et parfois, ce sont des histoires hyper douloureuses qui se dénouent ici. C’est toute une souffrance qui se met en mot ! Ça peut être des secrets de famille, une histoire de transmission mère-fille, une question de respect de l’intégrité dans l’enfance… C’est hyper confrontant de faire l’amour avec quelqu’un ! », lâche-t-elle naturellement.

RELÂCHER LA PRESSION

Elle plaide pour la déculpabilisation des individus et pour décomplexer les discours pour ne pas tendre à une tyrannie du bonheur. Parler et se soulager pour identifier la nature du blocage et en trouver le levier. Elle évoque également la gestion de l’énergie, que l’on soit en couple ou non. « Il y a tout un travail sur l’équilibre global, apprendre à gérer les différents espaces de sa vie ne va pas de soi. Et le désir n’est pas naturel, il est culturel. Il n’existe que dans l’interaction avec l’autre. », rappelle-t-elle.

La sexologue insiste, les humains ne sont pas des robots, et quand le corps dit stop, il s’exprime, « c’est l’inconscient de la personne, le vécu de la personne ». Ainsi, l’injonction à avoir une vie sexuelle épanouie, fondée sur la performance et la technique, ne peut créer que des blocages. « Réussir sa vie, c’est réussir impérativement sa sexualité », déclare Ovidie dans son documentaire. Et femmes et hommes en pâtissent assurément.

« Les hommes sont pris pour des robots et les femmes ne comprennent pas quand ça ne marche pas. Il faut qu’ils soient performants. Ils ont une grosse pression et certains viennent me voir car ils vivent de profondes souffrances, ils s’effondrent. Il y a une vraie solitude chez eux car ils parlent moins entre eux que les femmes, entre copines. »
note-t-elle, signifiant la dangerosité à perpétuer des discours sur la virilité masculine.

Les hommes n’étant pas non plus habilités à explorer leurs corps, autrement que par la masturbation acquise de leur pénis, certains articles commençant à peine à évoquer le plaisir anal.

Pourtant, le sujet s’est invité naturellement à Trégunc en avril dernier, lors du festival Clito’Rik, organisé par le collectif Gast ! de Quimper et Douarnenez, qui prône le féminisme inclusif, la déconstruction des normes et la réflexion sur le genre. « On avait envie de parler de sexualité de manière positive, avec la question du plaisir. », explique Camille. Aborder le sexe anal n’était pas au programme mais s’est révélé comme un besoin.

Après l’atelier « Chatte », dans lequel les participantes ont été invitées à construire leur « chatte à modeler » et à découvrir, dans l’intimité et la confidentialité, l’intérieur de leur vagin en présence d’une gynécologue et d’une médecin généraliste, la discussion s’est poursuivie dans un café de Trégunc et s’est élargie. De quoi réjouir le collectif qui a su impulser un festival innovant dans la proposition et le sujet, qui a séduit un public hétérogène.

« Il y a un climat de crise religieuse, politique… Et de la pudeur sur le sujet. On est tou-te-s concerné-e-s par les questions de liberté, de sexualité. Et pourtant on ne parle pas beaucoup de plaisir… Alors que ça pourrait être évident et décomplexé. »
s’enthousiasme Camille.

Au programme : questions du consentement, de la contraception masculine, du polyamour, de la masturbation féminine, d’éducation non-sexiste, projections de documentaires tels que Clito va bien, réalisé par le Planning familial 29 (1979), Alors, heureux ? d’Yvonne Debeaumarché (2006) ou encore Les branleuses de Frédérique Barraja (2010) et conférences gesticulées.

Dont « Le clito, un petit nom qui en dit long. Plaisir et politique au pays de la sexualité féminine », créée en 2012 à l’initiative de l’association féministe rennaise Questions d’égalité. Sur scène, 7 femmes – 3 lesbiennes et 4 hétéras, blanches, sans enfants, entre 30 et 40 ans – racontent leur rapport à la sexualité.

LA RECONQUÊTE

« Nous avons voulu mêler expériences et théories. Il y a des parcours plus ou moins accidentés, des questions de transmissions familiales, de violences dans l’enfance, l’adolescence, des premières expériences, des notions de tabous, des casseroles de la religion, de la médecine, des médias, du capitalisme… », détaille rapidement Marine Bachelot Nguyen, qui participe à la conférence gesticulée.

Un savant mélange de récit d’expériences concernant la prise de conscience de femmes face à leur sexe et face à leur condition de femme. « Je raconte par exemple le jour où ma mère a voulu m’expliquer, à 9 ans, comment on fait les bébés. Elle a pris un bouquin pour expliquer et m’a mis un miroir entre les jambes. Aujourd’hui, je lui suis très reconnaissante d’avoir fait ça ! », précise-t-elle.

Avec ce spectacle, elles entendent également mettre des mots sur leurs vécus intimes devenant universels, transmettre des savoirs anatomiques et aborder concrètement la phase de reconquête. À travers l’auto-défense féministe mais aussi par l’éducation sexuelle, qui passe alors par la formation des professionnels. Comme le propose par exemple le Planning familial de Rennes.

Pour Marine Bachelot Nguyen, « Il n’y a pas assez de représentations alternatives, dans les livres pour enfants par exemple, dans les romans pour ados, les films, les courts-métrages. Et il n’y a pas assez de prise en charge. On n’aborde pas dans l’éducation des petits garçons la question des violences sexuelles. Et pourtant, ils vont peut-être rencontrer une femme qui aura vécu ça, et ce sera une réalité à prendre en compte dans la relation sexuelle. »

Elle soulève alors la question de chaque réalité à prendre en compte. De chaque bagage, chaque vécu, chaque personnalité, chaque corps. Autant d’individualité et de différences que la société ne veut pas saisir.  « On veut taper sur le porno pour ne pas remettre la société en cause. On pense que c’est le porno qui amène ça dans la société alors que c’est le contraire. Tout comme les jeux vidéos et la violence. », observe Ortie, réalisatrice de films érotiques sur Internet.

Elle se définit enfant d’Internet et de la sexualité 2.0. Elle aime poser nue ou en lingerie, pour se sentir belle et assumer son corps, et diffuser les photos sur les réseaux sociaux. Elle pointe alors le paradoxe de cette génération : « J’ai beau savoir que je m’expose, je ne supporte toujours pas les commentaires de certains… Je veux participer à l’image de la femme forte, libérée, mais je participe aussi à l’image de la femme objet. »

Avec Internet, les corps s’exposent, les langues se délient, suscitant le sentiment que la sexualité a pris un nouveau tournant, que les femmes assument désormais leur sexe et prennent en main le contrôle de leur condition. Mais ne confondrait-on pas le tabou avec l’intime ? Et finalement, on peut s’interroger sur le lien réel avec leur corps.

RENOUER AVEC SON CORPS

« Beaucoup de femmes sont dissociées de leur corps, couper de leur énergie et pas du tout dans le présent. L’image du corps parfait, mince et bronzé… Les femmes l’acceptent ! Mais il faut savoir qu’elles se pénalisent, elles et seulement elles, en n’aimant pas leurs corps. Le regard sur soi et la prise en charge de soi-même sont souvent très passifs. », recadre Anne Koch, énergéticienne dans le Morbihan depuis peu, jusqu’alors installée en Ille-et-Vilaine, et formée à Rennes en bioénergie.

C’est la trentaine passée que la professionnelle a vécu un déclic. Son corps se braque, elle ne ressent plus l’envie de faire l’amour, plus l’envie d’être pénétrée. Lorsqu’elle rencontre son compagnon, ils décident ensemble de se lancer dans un apprentissage d’une sexualité partagée et approfondie. Le simple fait de se regarder dans les yeux, de se recentrer sur l’acte quand l’esprit vagabonde, en parler pour elle, être à l’écoute pour lui, apprendre à dire non…

« Au départ, on s’est détachés de l’objectif orgasme. On sait maintenant relâcher nos corps pour des orgasmes plus intenses, plutôt que de maintenir les muscles serrés au moment de jouir. Le corps est plus ample et l’orgasme prend tout le corps. »
explique-t-elle lentement.

Sans complexes, elle livre son ressenti et les étapes de son parcours personnel vers l’épanouissement sexuel : « En apprenant cela, on peut vivre nos fantasmes avec tendresse et respect. On peut aussi ne pas toujours passer par la pénétration mais par les câlins et caresses. Et il m’est déjà arrivé de jouir en même temps que lui pendant une fellation. »

Aujourd’hui, l’énergéticienne propose des soins et des stages liés aux points spécifiques de la sexualité. Le but étant de faire circuler l’énergie du vagin et de l’utérus, en partant du plancher pelvien jusqu’au bas du ventre, à travers des massages, de la méditation ou des exercices énergétiques.

« Elles ne viennent pas spécifiquement pour cela en général mais le blocage se sent vite. Je dialogue alors avec le corps pour identifier la source et débloquer le problème, sans mettre de mots dessus si elles n’en ont pas la volonté. », décrit-elle. Elles ont entre 35 et 45 ans en moyenne, et viennent à la suite d’un changement de situation sentimentale et d’une remise en question globale. L’occasion de découvrir ou redécouvrir son corps, son désir et son plaisir.

Car malgré l’injonction à réussir sa vie sexuelle, dès le début de l’âge adulte, il n’est jamais trop tard pour s’initier à sa propre sexualité et à s’affranchir des carcans moraux et normatifs imposés par la société. Et cela passe la découverte et la connaissance de son corps et de ce qui l’anime. Alors, un conseil : osez vous y plonger !

Après plusieurs années à exercer sa profession dans le milieu hospitalier, Isabelle Peyrode, sage-femme, s’est lancée il y a un an en libéral. Elle lève le voile sur une compétence peu connue de son métier : aborder avec les patientes la sexualité et le plaisir féminin.

YEGG : Cette thématique est-elle abordée précisément lors de la formation de sage-femme ?

Isabelle Peyrode : Cela fait partie de la formation à l’école, mais elle est abordée de manière assez brève. On a des bases puis on apprend par expérience. On peut ensuite passer un DU (diplôme universitaire) en gynécologie-sexologie si l’on souhaite se spécialiser davantage ou suivre des formations.

Les femmes viennent-elles vous voir spécifiquement pour parler sexualité et plaisir féminin ?

Non, elles viennent pour leur grossesse ou post-accouchement. À cette occasion, elles nous parlent beaucoup. Peut-être plus qu’aux gynécos. Quand elles ont des douleurs après l’accouchement, elles posent des questions. Six semaines après avoir eu leur bébé, elles reviennent pour la rééducation du périnée.

On va pouvoir parler de si elles ont repris les rapports, s’il y a des soucis… La rééducation aide les femmes à comprendre et à prendre conscience de leur périnée. Je peux leur donner des pistes si elles ont besoin. Et quand je ne sais pas, j’oriente vers une sage-femme qui, elle, aura plus de compétences à ce sujet.

C’est donc plutôt associé à des douleurs…

Souvent oui, à des douleurs ou à des peurs. Forcément, si elles ont eu mal lors des rapports ou qu’elles ont peur d’avoir mal, le cerveau dit stop. Dans ce cas-là, je suis là pour identifier le problème et lever le soucis. Par le massage par exemple. Il faut soigner le traumatisme. Et il y a souvent de l’appréhension.

Quel type d’appréhension ?

La peur des rapports sexuels pendant la grossesse, par exemple. Chez les mamans, mais aussi chez les papas. Peur de toucher le bébé, de lui faire mal. À cela se mêle, pour certaines, le fait de se trouver grosses, changées… D’autres n’ont aucun problème et ne changent rien à leur vie sexuelle.

Tout dépend des personnes. Elles peuvent aussi avoir une libido plus intense lors de la grossesse.

Y a-t-il des recommandations particulières niveau sexualité quand une femme est enceinte ?

Quand il y a menace d’accouchement prématuré, on peut conseiller de faire attention en effet. Mais il n’y a aucune contre-indication ! Au contraire. Chacun fait comme il souhaite. Ça peut même parfois aider pour déclencher l’accouchement. Une fois l’enfant né, on recommande de prendre son temps.

On compte un mois à 6 semaines en général mais là encore tout dépend des personnes et de comment s’est déroulé l’accouchement.

Et en ce qui concerne la masturbation féminine ?

Pareil. Elles font comme elles veulent. Ce qui est surtout difficile, c’est qu’avec l’arrivée du bébé, elles sont fatiguées la plupart du temps. Nous sommes là pour leur dire qu’il y a un temps pour tout. Que de retrouver des moments à 2, c’est important pour le couple.

Après l’accouchement, le corps est modifié, les organes aussi. Est-ce une redécouverte de la sexualité et du plaisir féminin ?

Complètement. C’est même parfois une découverte tout court ! C’est là qu’elles posent pas mal de questions. Et d’autres redécouvrent, en effet. Il faut s’adapter au bébé, à une potentielle baisse de désir… Mais il faut bien savoir qu’il n’y a pas de norme.

Elles viennent spécialement en parler ?

Non, encore une fois, c’est ce que l’on disait précédemment, c’est lors de la rééducation. Sinon après on peut faire le suivi gynéco, mais on va moins aborder la sexualité comme ça peut être le cas pendant la grossesse et juste après. C’est à ce moment-là que certaines nous disent « J’ai mal, faites quelque chose ! ».

À quoi sont dues les douleurs en général ?

La sécheresse, due à une chute hormonale, peut provoquer des douleurs. La sensation de béance aussi peut les gêner car elles ressentent moins de sensations lors de l’acte. Le fait d’en parler déjà est une première étape qui fait du bien. Entre la rééducation du périnée, le ventre et les seins modifiés…

Elles ont besoin à mon sens de se retrouver en tant que femmes. Pas uniquement en tant que mamans. D’autant qu’avec la fatigue et le manque de temps, certaines vont se « laisser aller » et ne plus se retrouver. Souvent, les femmes veulent « récupérer » leur corps d’avant, le plus vite possible.

Quelle est la différence avec un-e sexologue ?

Je pense que le/la sexologue est davantage en mesure d’expliquer les différents rythmes car l’homme et la femme ne sont pas « réglés » pareil. Il/Elle pourra donner des pistes pour aborder cela entre eux. J’entends souvent dire « Mon mari s’y prend mal »… C’est symptomatique du manque de communication.

Il faut en parler, garder en tête aussi l’importance des préliminaires, etc. Par exemple, certains hommes refusent les rapports pendant la grossesse, pensent que c’est impur ou ont peur de toucher le bébé. Je leur explique et je leur fais des dessins en général pour qu’ils visualisent. La communication reste le meilleur moyen d’avancer et de s’accorder.

Vous recevez aussi des couples lesbiens ?

En 8 ans, j’en reçu un couple de femmes lesbiennes en consultation, c’était en Belgique. Nous n’avons donc pas pu développer les questions liées à la sexualité. Mais les peurs et les douleurs ressenties lors de la grossesse et post-accouchement doivent être a priori semblables.

 

Tab title: 
Libérées du culte de la sexualité
Démystifier le corps des femmes
L'oubliée de la sexualité
Toujours tabou pour vous ?
Former les professionnel-le-s
Grossesse : modification du sexe ?

Célian Ramis

Laïcité, bastion de l'émancipation

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Rennes
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À quel point laïcité et droits des femmes sont-ils liés ? Enquête au coeur d'une situation complexe.
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Croyants et non croyants, État et Églises, tous trouvaient leur compte dans la laïcité. Cette conquête républicaine est aujourd’hui ébranlée et ses défenseurs accusés d’anticléricalisme et d’islamophobie. La laïcité est devenue source de conflit et divise le peuple français. Car jamais valeur n’a autant exalté les passions, catalysant à la fois de forts ressentiments proches de la haine obscure et une grande confiance proche de l’amour aveugle.

Plus encore depuis les attentats de janvier dernier. Aussitôt, on a convié la laïcité à la table de tous les débats et dans les colonnes de tous les journaux. Parfois à tort, souvent sans savoir(s), toujours fébrilement. YEGG cèderait donc à la mode médiatique ? Pas tant que cela. Depuis un an déjà la rédaction réfléchit à cette notion en tant que vecteur d’émancipation des femmes et garantie d’impossibles régressions machistes, et s’interroge : la laïcité est-elle à la base de l’égalité des sexes ? 

NOTA BENE : La rédaction a sollicité un certain nombre d’experts, locaux et nationaux, universitaires, politiques, associatifs, religieux, qui n’ont pas pu – pour raisons de santé ou d’emploi du temps - ou voulu répondre. 

La population que l’on a fait venir du Maghreb à des fins économiques s’est sédentarisée. Dans ses bagages, une langue, une culture, des coutumes, comme dans ceux, avant elle, des Italiens, Espagnols, Polonais ou Portugais. Le fait nouveau ? Un passé colonial douloureux et sa religion. La loi de 1905 n’avait pas prévue cela, et l’État n’a pas su éviter la crise. Au contraire, ses atermoiements ont fini d’envenimer la situation. Manque de discernement ou inconscience ? Aveuglement naïf et laxisme lâche ? Peur et culpabilité ? Stratégie électoraliste ?

Quoi qu’il en soit, il règne aujourd’hui autour de la laïcité trop d’ignorance, de confusions et d’amalgames, d’idées reçues et de rumeurs. On fait passer la laïcité pour anticléricale, intolérante et liberticide, avec pour seul but de bouter le sacré et les religions hors de France et de faire de l’athéisme le nouveau crédo imposé par l’État. Pourtant, le principe est tout autre, pensé pour tous les croyants, quel que soit leur culte, pour qu’ils cohabitent en paix. Une idée plutôt saine, généreuse, libertaire qui prône et défend la liberté de conscience et qui assure la neutralité de l’Etat. Une idée des Lumières.

FILLE DES LUMIÈRES

Les penseurs du 16e siècle – ceux qu’Emile Poulat* appelle les « pères spirituels de l’idée de laïcité » - veulent mettre fin aux massacres barbares des guerres de religions, et faire revenir la paix civile. Pour cela, ils opposent passions et violences religieuses à la Raison. Ils conçoivent les prémices de la loi de 1905. Il faut attendre la Révolution Française pour que l’Ancien Régime, et avec lui le droit divin, soit aboli.

« Il s’agit au départ de l’affirmation des droits du sujet, des droits de l’Homme : chaque individu doit pouvoir se construire à partir de sa propre liberté de conscience, détaché de la vérité de l’Église, c’est le principe d’autonomie. À cela s’ajoute le principe de neutralité de l’État, lequel n’est plus au service de l’Église, du catholicisme. Il ne prend pas en compte la religion de ses sujets, et il assure la même liberté de conscience à tous. C’est ce que l’on retrouve dans l’article 10 de la Déclaration des Droits de l’Homme. C’est à partir de cela que se construit la laïcité française », explique Philippe Portier, chercheur, historien et sociologue des religions, co-auteur de La Laïcité. Une valeur d’aujourd’hui ? Contestations et renégociations du modèle français, aux Presses Universitaires de Rennes.

Le XIXe siècle est marqué par les débats et les lois qui dessinent peu à peu les contours de la laïcité. Les discussions sont riches, les disputes nombreuses. Ce n’est qu’en 1878 que le mot « laïcité » est inscrit dans le « Dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire » par Ferdinand Buisson. Les hommes de la IIIe République vont créer le cadre juridique nécessaire à l’application de ce principe. Hugo, Gambetta, Clémenceau, Briand, Combes, Jaurès, l’abbé Lemire mènent les députés laïques jusqu’à la loi de décembre 1905.

Elle se définit ainsi : la liberté de conscience est assurée par la République qui « garantit ainsi le libre exercice des cultes », pour peu qu’il ne s’exprime pas dans le domaine public et ne trouble pas l’ordre public. « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte ».

L’ÉCOLE, BASTION DE LA LAÏCITÉ

De 1880 à 1882, Jules Ferry fixe les règles de l’enseignement gratuit, laïc et obligatoire. En ôtant aux religieux l’instruction des enfants, on décide de leur donner la liberté de conscience : « Par l’éducation, il faut apprendre aux enfants la liberté de penser par soi-même, leur montrer que la réflexion ne se réduit pas aux croyances », juge Elisabeth Badinter. C’est le choix de l’intelligence, du libre arbitre, de l’indépendance d’esprit, aux enfants de se forger leurs propres opinions, de devenir autonomes.

Car l’école apprend le pluralisme et la diversité en refusant de favoriser le communautarisme. Les écoliers s’épanouissent dans un espace commun où l’égalité de tous est indiscutable et pour cela il faut des règles de vie collective, la laïcité en est la première. L’école de Jules Ferry a été conçue pour cela. C’est chez elle que les jeunes esprits apprennent l’égalité et la liberté, l’égalité de tous quelle que soit leur religion et la liberté de pratiquer sa religion, en privé. En outre, l’école laïque a permis l’égalité des sexes.

LA LAÏCITÉ, ALLIÉE TARDIVE DES FEMMES

« Au départ, le principe de laïcité ne prend pas du tout en compte la question féminine et les droits des femmes, la même hiérarchie est conservée : les femmes sont minoritaires et inférieures. Cet élément de minoration durera jusqu’après la Seconde Guerre mondiale. C’est avant tout une question institutionnelle et on laisse les questions culturelles de côté. Car la relation hommes/femmes relève d’une culture qui n’a pas à être modifiée par la loi. Même sous la IIIe République, la redistribution de genre n’est pas de mise, sauf à la marge, avec Paul Bert par exemple. Si la culture des politiques de la IIIe est celle de l’émancipation, un domaine y échappe, celui de l’intime, car ils sont marqués par des normes très imprégnées de catholicisme. La famille a une définition ancestrale et ne bouge pas », expose Philippe Portier.

Certes, à partir des années 1870-1880 les écoles sont ouvertes gratuitement aux petites filles, lesquelles peuvent aussi devenir institutrices, néanmoins on ne leur donne pas la même éducation : « On les éduque pour qu’elles deviennent des mères de familles républicaines. Le programme scolaire parle de « travaux d’aiguille », ce sont de vieux schémas très stéréotypés », poursuit Philippe Portier.

La laïcité à travers l’école a donc lentement participé à l’émancipation des filles. Fondée sur les idéaux de 1789 et de la Déclaration des droits de l’Homme, elle est étroitement liée à un principe qu’on ne cesse d’évoquer depuis la Révolution, celui d’égalité. Mais comment l’assurer si la femme n’est pas l’égale de l’homme ?

« Cette dynamique de l’égalité, symbole de la modernité, ne peut plus exclure les femmes, le mouvement s’amorce au début du XXe siècle. Alors les filles ont le droit de passer le même baccalauréat que les garçons, puis on donne une personnalité juridique aux femmes. On pourrait ainsi dire que les droits des femmes dépendent plus du principe d’égalité que de celui de laïcité »
constate Philippe Portier.

L’argument de la laïcité pour servir les femmes ne sera invoqué qu’à partir des années 1960, notamment lors du vote de la loi Veil. Alors seulement la laïcité va toucher la part intime de la vie. « Il reste encore des éléments de culture chrétienne dans notre loi, le combat laïque fait obligation de les remettre en cause », analyse Philippe Portier.

LES LAÏQUES ANTI-FÉMINISTES ?

Jean Baubérot, sociologue et historien de la laïcité, dit « qu’il a existé en France, pendant le XIXe siècle et une partie du XXe, un anti-féminisme laïque. Les femmes étaient supposées être « naturellement » plus sensibles à l’autorité cléricale ». Une thèse défendue par la sociologue et militante féministe Monique Crinon : « La prépondérance du patriarcat n’est pas l’apanage des seules idéologies religieuses, il s’éploie au sein mêmes des forces laïques, qu’elles soient ou non athées ». Une société patriarcale où le poids de la culture catholique pèse sur la sphère intime, même chez les laïques les plus fervents, a donc longtemps entravé le féminisme.

Si les Républicains ont refusé l’égalité des femmes par crainte de désordre, on note également que les textes religieux ont été écrits par des hommes et seulement des hommes, « Le plus souvent les clergés, de quelque religion ou idéologie qu’ils soient, sont masculins ; en ce sens La Libre Pensée est féministe afin de combattre une funeste attitude qui perdure dans toutes nos sociétés. Aucune différence d’humanité entre les individus n’est légitime. Je refuse tout essentialisme en la matière, je ne prise rien tant que les individus égaux en droit », confie Michel Le Normand de La Libre Pensée.

1989, UN TOURNANT

« Ces deux mouvements (laïcité et féminisme, NDLR) se sont inscrits dans des temporalités différentes avant de se retrouver, non sans contradiction, en 1989 autour d’une affaire de foulard », suggère Jean Baubérot. Et l’intellectuel de poser la question : « Est-ce la femme qui doit s’émanciper ou est-ce l’État républicain qui doit émanciper les femmes ? ». Si pendant 200 ans laïcité et féminisme se sont donc peu croisés, ils ne se quittent plus depuis 30 ans, enchaînés dans une liaison houleuse. Au nom de la laïcité, qui permet la paix sociale, on demande que les signes ostentatoires restent confinés à la sphère privée et aux lieux de culte.

On parle ici à toutes les religions. Pourtant, le voile et la burqa interpellent sur la condition de la femme, quelle signification leur attribuer ? « Est-ce une aliénation ou au contraire un symbole de l’autonomie de la femme ? », interroge Philippe Portier. On a légiféré fermement sur la burqa et opté pour le compromis républicain concernant le voile simple. Invoquerait-on trop la laïcité ? Emile Poulat* le pense, elle n’avait notamment pas sa place en 2010 dans l’interdiction de la burqa : « Il suffit d’une loi qui soit dans la nature des choses. Le seul principe, c’est que chacun doit être identifiable en permanence », affirme-t-il.

Une incompréhension réciproque et beaucoup d’hypocrisie voilent le débat et empêchent de trancher entre une interdiction ferme et le fameux compromis républicain. Michel Le Normand le rappelle, La Libre Pensée a été dès le début contre le port du voile dans les écoles, mais pour une liberté absolue dans l’espace public tant qu’il n’y a pas atteinte à l’ordre public, avant d’ajouter : « Pour les horaires des piscines et toutes autres manifestations communautaristes, je suis plus circonspect parce que la promotion, sur le domaine public, de ces pratiques, me semble d’abord anti-féministe et cacher l’emprise machiste des religions sur les corps et spécifiquement des femmes ».

Il serait donc question de libertés publiques et d’intérêt général, de paix civile et de respect de tous les cultes. Des principes qui s’opposent. D’un côté le lien social, de l’autre la liberté et l’autonomie. Autant de valeurs chères à la France. « La laïcité consiste dans le fait qu’il n’y a plus de religion officielle et qu’il y a place pour tous les cultes. (…) Sous l’aspect strict de la laïcité, ces questions ne valent pas les passions qu’on y met souvent. La laïcité est une culture qui permet l’intégration de tout le monde mais qui ne peut la garantir. C’est un dispositif fondamental qui fait place à tous. Ni plus ni moins. La laïcité est structurellement ambiguë dans la mesure où elle inclut ceux qui l’excluent », retient Emile Poulat*.

L’ÉMANCIPATION DANS LA RELIGION ?

Alice Picard, étudiante à l’IEP de Rennes, a travaillé pendant presque un an à son mémoire « La cause des femmes musulmanes. Porte-parole et confiscation de leurs voix ». Au cours de ses recherches et entretiens avec différentes associations féministes rennaises, elle met le doigt sur la complexité du sujet : « On sent un malaise sur les termes employés. Et quand on aborde la question du voile, beaucoup se replient comme des huitres. On se replie souvent derrière l’argument de la laïcité. » Une carte qui pourrait être interprétée comme liberticide.

Pour cette militante altermondialiste et féministe, il apparaît rapidement que les femmes musulmanes doivent être entendues, s’intéressant précisément à celles qui vivent en France - « le port du voile ayant une signification différente selon la situation géographique » - et que ces dernières peuvent s’émanciper dans et avec leur religion. « Chez Al Houda (association des femmes musulmanes de Rennes, ndlr), elles se battent clairement pour les droits des femmes et posent toutes les questions autour de l’émancipation et du pouvoir patriarcal. », souligne-t-elle.

L’argument de l’émancipation dans la religion n’est pas sans conteste et s’opposent alors féminisme laïc et féminisme religieux, et particulièrement le féminisme musulman (ou islamique). Dans le premier, on affirme le parallèle indéfectible entre laïcité et égalité des sexes, le féminisme étant ancré dans une tradition moderne et laïque, et on prône l’universalité de ces droits. Wassyla Tamzali, militante féministe algérienne, s’insurge contre les intellectuels et la société européenne qui concèdent des droits différents aux femmes issues des pays musulmans.

« Elles n’ont pas renoncé à réaffirmer, chaque fois que c’était nécessaire, que le droit des femmes à disposer de leur corps n’était pas négociable parce qu’il était le pivot de la pensée féministe. Et pourtant, devant les hadiths, versets et autres éléments de la culture charaïque (…) devant le consentement de certaines femmes à dissimuler leur corps, à le «marquer» des signes de la domination patriarcale par le voile, s’agissant des femmes musulmanes, elles relativisent ce principe pour lequel elles se sont battues, un principe qui perdrait son sens pour des femmes de cultures différentes », écrit-elle dans son ouvrage Une femme en colère – Lettre d’Alger aux Européens désabusés.

Dans le second, on réinterprète les textes du Coran, de la Bible ou encore de la Torah. Néanmoins, l’actualité se concentre moins sur ce dernier, Delphine Horvilleur, rabbin en France, dit à propos du judaïsme qu’il est le cœur de l’interprétation des textes. Interrogée sur la place des femmes dans la religion juive, Ann Nusimovici, présidente de l’Association culturelle et cultuelle israélite de Rennes, ne s’étend pas sur le sujet. Soufflée par la voix d’un homme que l’on perçoit à travers le téléphone, elle explique : « Il y a différents courants de pensée. Pour les libéraux, la parité entre les hommes et les femmes est établie depuis longtemps. Pour d’autres, il existe des rituel religieux qui peuvent être différents pour les femmes et pour les hommes. »

Hormis cela et la transmission de la religion par la mère de famille, elle ne souligne aucune différence et le lien entre les droits des femmes et la laïcité ne semble pas évident à cela près :

« La lutte pour l’égalité femmes-hommes est nécessaire. L’État peut choisir la place des femmes dans la société. Et l’évolution de la société influence forcément les religions. »

 Pour la chercheuse Zarah Ali, la relecture du Coran réhabilite les droits des femmes dont le port du voile serait l’étendard contre le racisme et le sexisme qui se propagent en Occident. Elle note dans son livre Féminismes islamiques : « Les féministes musulmanes proposent une libération qui pose un tout autre rapport au corps et à la sexualité : un rapport marqué par des normes et une sacralisation de l’intime, et par une défense du cadre familial hétérosexuel. »

Pour Asma Lamrabet, médecin biologiste au Maroc et féministe, interviewée par Le Monde des religions (n°71 – mai-juin 2015, consacrant un dossier aux Femmes dans l’Islam) l’opposition entre ces deux féminismes n’est apparente qu’en France, où il serait difficile de discuter du fait religieux : « Au Maroc, il y a également des féministes laïques. Nous travaillons main dans la main, car elles ont conscience que, dans une société majoritairement musulmane, la religion reste incontournable. Nos objectifs sont les mêmes : la liberté et la dignité des femmes. »

QUESTION D'INTERPRÉTATIONS

Des valeurs défendues par les membres d’Al Houda, association créée à Rennes en 1996 par les femmes musulmanes de la mosquée de Villejean, qui revendiquent l’émancipation et l’épanouissement des femmes, passant par la relecture des textes : « Il faut du temps pour s’émanciper des textes sacrés. Surtout quand on pense que la femme a été créée de la côte d’Adam, plaisante Marjolaine Peurin, membre de l’association, convertie à l’Islam depuis plusieurs années. Alors que là aussi il y aurait un glissement de sémantique. »

Les interprétations masculines ont permis aux hommes d’instrumentaliser les textes pour réduire les femmes à une infériorité naturelle. À elles à présent de proposer leur vision et compréhension des écrits à travers leurs références contemporaines. Et de déconstruire les idées fausses et amalgames réunis autour de leur condition sans cesse ramenée à leur religion. « On pense que la laïcité affaiblit les religions et donc libère les femmes. Le voile est interprété comme le symbole du fascisme islamique. Mais on a le droit de s’habiller comme on le veut. », explique-t-elle, précisant que cela ne réfute en rien leur respect du principe de laïcité.

Kaoutar Assali, secrétaire de l’association, défend la liberté de conscience, de choix. Celle qui « embrassé l’Islam en faisant la prière et en portant le voile » à l’adolescence alors qu’elle n’était pas pratiquante reconnaît qu’elle a, plus jeune, estimé la religion musulmane avilissante pour les femmes. Les deux femmes pointent du doigt le raccourci établit entre condition de femmes musulmanes et liberté individuelle, qu’il s’agisse d’une question vestimentaire ou de pudeur face au professionnel chargé de les ausculter.

« La carte de la laïcité est parfois brandie pour ne pas permettre le choix aux femmes. On a quand même le droit de se sentir plus à l’aise face à une femme médecin. »
conclut Kaoutar.

L’association qui défend la place des femmes dans la société et le respect des libertés fondamentales, telle que l’égalité, ne se définit pas dans ses statuts comme féministe, contrairement à Action Catholique des Femmes. Une volonté essentielle pour la responsable départementale, Françoise Ravary-Dalibart. « C’est important pour nous, on a voulu exister autrement, prendre conscience que l’on n’a pas à tout supporter. Certaines ont pu prendre des forces et de l’énergie pour évoluer », souligne-t-elle.

Pouvoir exprimer son désaccord avec le discours de l’institution, qu’elle différencie de la foi, est une nécessité pour ne pas se laisser dicter sa vie au quotidien. Tout comme Kaoutar et Marjolaine, elle accorde une grande importance à la liberté de choix, de conscience, de diversité. « Chacun fait ses choix. L’Église propose une orientation mais n’a rien à nous imposer. Par exemple, c’est important que le Mariage pour tous soit autorisé, que la loi autorisant l’IVG existe ! Si cette loi était menacée en France, j’irais manifester. », exprime-t-elle.

Les femmes, majoritaires dans la vie de l’Église, sont néanmoins plus écartées du pouvoir décisionnaire de l’institution. Raison pour laquelle ses membres se sont attelées à la rédaction d’un plaidoyer sur la place des femmes. Leur leitmotiv dans l’association, créée en 1906 en réaction à la loi de 1905 pour défendre les curés et les bonnes œuvres, « et qui a su évoluer avec son temps par la suite », c’est le respect de chacun dans ses différences, pouvoir co-exister, co-habiter et ne subir aucun inconvénient du fait de sa religion.

Toujours dans le respect également du principe de laïcité, « une évidence pour nous et nous n’avons aucune envie de revenir en arrière ». Être ouvert à tous, accepter la diversité pour échanger et évoluer, voilà les valeurs que ce groupe de femmes défendent, en se réunissant une fois par mois et en organisant des événements à l’occasion du 8 mars, journée internationale des femmes, par exemple, et qui communient entre la religion et la laïcité.

PRIORITÉ ÉDUCATION

Ancienne enseignante en primaire, Françoise Ravary-Dalibart croit en la mission de l’éducation et regrette le tôlé, survenu l’an dernier, autour de l’ABCD de l’égalité : « Durant ma carrière, j’ai vu des enseignants pris dans les stéréotypes sur les rôle des filles et des garçons. D’autres non. C’est une démarche individuelle. »

Et ce n’est pas Françoise Soulimant qui la contredira. Défenseure des droits des femmes et de la laïcité, ancienne enseignante et directrice d’établissement, elle s’investit aujourd’hui dans différentes associations comme le CIDFF 35 dont elle est la vice-présidente, tout comme dans l’association d’éducation populaire Aroeven, membre du Comité laïcité 35 qui a rédigé une charte de la laïcité. Sans oublier sa participation en tant qu’experte au Comité consultatif de la laïcité, lancé par la Ville de Rennes (lire encadré p.22) pour lequel elle a été auditionnée.

Chapeau de la République, la laïcité représente une ouverture sur l’autre. Elle y voit un parallèle probant avec l’évolution des droits des femmes, partant du droit de vote en 1944, « période à laquelle on commence à affirmer le principe de laïcité, dans la Constitution de 1946 », jusqu’à 1975 avec la loi sur l’avortement et les lois sur la famille. « Tous les droits qui vont vers des libertés individuelles sont liées à la laïcité. Ce sont des évolutions positives dans le cadre de la République », précise-t-elle, avant de souligner :

« On le voit bien, quand il y a un État religieux, c’est au détriment des femmes. Pareil quand il y a un recul démocratique. »

Pour elle, les crispations actuelles, autour du voile, des menus de substitution dans les cantines pour les enfants ne mangeant pas de porc et autres, n’ont pas lieu d’être. Dues à la méconnaissance de la culture de l’autre, la solution réside dans le dialogue et dans l’éducation. Aborder concrètement la laïcité dans les établissements scolaires, discuter autour de la citoyenneté, des valeurs de la République, des religions, intégrer dans les programmes scolaires des auteures étrangères… Une manière de développer la richesse culturelle des élèves et de reconnaître le monde qui nous entoure.

« La laïcité est une valeur concrète. Les jeunes, dans les collèges et lycées, en ont bien conscience et n’ont pas envie d’être menés en bateau par des détournements et des récupérations politiques. Et quand on aborde la laïcité, les jeunes filles établissent d’elles-mêmes le lien avec les droits des femmes ! », mentionne-t-elle, ravie et convaincue, qu’en restant vigilant au respect des droits, acquis et valeurs de la société et République, l’optimisme est de rigueur. La laïcité étant une garantie de l’égalité entre les individus et par conséquent entre les sexes.

 

BIBLIOGRAPHIE :

*Émile Poulat, Notre Laïcité ou les religions dans l’espace public, entretiens avec Olivier Bobineau et Bernadette Sauvaget, Éditions DDB Desclée de Brouwer.

Dictionnaire amoureux de la laïcité, Henri Pena-Ruiz, Plon

Lettre ouverte au monde musulman, Abdennour Bidar, Éditions Les Liens qui libèrent

Laïcité, une valeur menacée ? Hors Série magazine Marianne, février 2015

Le Monde des religions, Les femmes dans l’Islam, Numéro 71, mai-juin 2015

Une femme en colère – Lettre d’Alger aux Européens désabusés, Wassyla Tamzali, Gallimard

Féminismes islamiques, Zarah Ali, La fabrique

 

 

Si les mentalités sont divisées quant à l’application du principe de laïcité, chacun s’accorde à penser que l’école reste le bastion privilégié de la République, agissant sur la transmission des valeurs de notre société et permettant une éducation à la citoyenneté exemplaire.

CULTURE DE L'ÉGALITÉ ET VIVRE ENSEMBLE

En octobre 2013, le ministre de l’Éducation, Vincent Peillon à l’époque, présente la charte de la laïcité à l’école, issue de la loi de refondation de l’École (juillet 2013), obligatoire dans les établissements scolaires publics, et composée de 15 points rappelant le principe de laïcité et ce qu’il permet (égalité, croire ou ne pas croire, liberté de conscience, etc.). « La loi rappelle l’importance de la laïcité mais aussi de toutes les valeurs de la République que nous devons faire partager aux élèves. », souligne Loïc Bernard, référent laïcité depuis 2013, et inspecteur de vie scolaire, au sein de l’Académie de Rennes.

La Charte aborde, au 9ème point, l’égalité des sexes : « La laïcité implique le rejet de toutes les violences et de toutes les discriminations, garantit l’égalité entre les filles et les garçons et repose sur une culture du respect et de la compréhension de l’autre. » Pour Nicole Guenneuguès, chargée de mission égalité filles-garçons à l’Académie de Rennes, les thématiques de la laïcité et de l’égalité sont transversales et font tronc commun dans les missions de l’école visant à l’émancipation de chaque individu.

« La laïcité à l’école pose le fait que les croyances religieuses ne peuvent pas être des arguments recevables pour contourner les valeurs de la république. », explique-t-elle en insiste également sur les notions de libre-arbitre, de parcours de vie et d’orientation, auxquelles Loïc Bernard ajoute la construction de l’élève. « On leur apprend à développer leur sens critique. Les contenus des programmes, l’apport en connaissances, sont indispensables. Mais ils doivent être rapprochés de leur vécu. On appelle ça l’approche par compétences : dans le domaine professionnel, dans le couple, dans la vie de citoyen, etc. », explique Nicole Guenneuguès.

Et pour elle, cela passe par des actions concrètes déclinées en 3 axes (dans la convention interministérielle 2013-2018 signée en décembre dernier par le Rectorat, l’Académie, les collectivités territoriales) : acquérir et transmettre la culture de l’égalité, favoriser le vivre ensemble avec l’éducation à la sexualité et le respect entre les filles et les garçons, et choisir son orientation (elle prend pour exemple le manque de femmes dans les filières scientifiques).

Au-delà de la question des inégalités à réduire, les deux professionnels s’accordent et se rejoignent sur la nécessité du dialogue et du bon fonctionnement autour de la pédagogie de la laïcité et des valeurs générales de la République, veillant à la formation de l’individu épanoui et citoyen.

VALEURS UNIVERSELLES ET CIVIQUES

Si les établissements privés relèvent majoritairement de l’enseignement catholique, ils partagent la volonté de former leurs élèves aux principes de la citoyenneté et de la laïcité. Sémi est le papa d’une fille de 9 ans, Inès, inscrite à Notre-Dame-des-Miracles, école élémentaire privée de Rennes. Pour lui, qui a effectué toute sa scolarité dans le public, l’éducation de son enfant est fondamentale et souhaitait lui donner accès à un enseignement de qualité supérieure.

« Quand il a fallu l’inscrire ici, je me suis renseigné sur cette école et j’y ai trouvé des valeurs auxquelles j’adhère en tant que musulman, comme l’entraide et la solidarité par exemple. », explique-t-il. Et si l’école privée permet l’expression de la croyance en un Dieu et fait vivre une identité chrétienne (axe inscrit dans le projet éducatif de l’établissement), elle dispense également l’éducation à la citoyenneté à travers la transmission des valeurs universelles et civiques, essentielles pour le père d’Inès.

« Elle a des cours d’éducation civique où elle apprend ce qu’est la République, la démocratie, la Marseillaise et elle a récemment appris ce qu’est la laïcité. C’est un peu le bordel dans sa tête avec la double culture (franco-tunisienne, ndlr) mais ça viendra. », conclut-il.

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Liberté, laïcité, égalité (des sexes) ?
La laïcité, socle de l'émancipation ?
Le principe de la laïcité
Éducation à la citoyenneté

Célian Ramis

Hasti Akhavan, peintre au pinceau bien trempé

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Galerie des Arts d'Ille, Saint-Germain-sur-Ille
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L'artiste iranienne Hasti Akhavan dévoile sa nouvelle exposition articulée autour de la figure féminine, à la galerie des Arts d'Ille, à Saint-Germain-sur-Ille, jusqu'au 28 juin.
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Après plusieurs expositions à Téhéran et à Lyon, c’est dans la fraicheur rennaise que l’artiste iranienne Hasti Akhavan a préparé sa nouvelle exposition articulée autour de la figure féminine. Nous l'avons rencontré dans le cadre du numéro 28 - Septembre 2014. Elle dévoile aujourd'hui ses toiles à la galerie des Arts d'Ille, à Saint-Germain-sur-Ille, jusqu'au 28 juin.

Inspirée de la femme iranienne, Hasti Akhavan peint dans ses toiles une figure plus large de la condition féminine, sans visage, pour une vision plus universelle. « C’est ce que je connais le mieux, l’Iran, mais, concernant les femmes, partout dans le monde il y a encore du travail… », explique-t-elle. Représentées en position assise, elles sont une allégorie de la passivité des femmes.

Pour Hasti, « elles sont en attente … On dirait qu’elles n’ont pas le pouvoir de changer leur vie. Je retrouve cela chez ma mère et chez beaucoup d’autres. Elles acceptent leur rôle, ce qui creuse les inégalités même si ces dernières existent réellement ». L’artiste n’hésite pas, dans sa peinture, ni dans ses paroles, à exprimer ce qu’elle pense du monde qui l’entoure.

« À l’époque de mes premières expositions, je ressentais beaucoup de limitations. Dans la société et dans la famille. J’étais alors plutôt dans l’abstrait. »
précise celle venue en France en 2009 pour ses études de chimie, d’abord à Lyon puis à Rennes.

Aujourd’hui, Hasti jouit d’une grande aisance avec la peinture, son père l’ayant inscrite toute petite dans des cours : « J’ai pas mal changé de prof, jusqu’à ce que j’en choisisse un. C’est avec lui que j’ai trouvé mon style, que je suis devenue autonome, indépendante… » Un élément nécessaire à sa construction personnelle qui lui permet d’appréhender son art comme un jeu, et ainsi de transposer, sur toile ou sur papier, les couleurs et les formes, à l’acrylique, aux pastels ou aux crayons, selon ses envies, ses besoins et ses ressentis.

« Quand je fais un tableau, je ne m’organise pas avant. Je peux signer une toile et y revenir un an plus tard. Je trouve ça plus pur, plus libre », rigole-t-elle. Et c’est dans cette liberté que puise la jeune femme de 34 ans pour représenter sa pensée : « Si je dessine des choses sombres parfois, il y a toujours de l’espoir ».  Une pointe d’optimisme qu’elle souligne également dans son nouveau projet : « En étant plus actives, les femmes auront plus de courage, j’y crois à cette évolution ! »  

Son exposition regroupe les thématiques Femmes et Nature dans une scénographie pensée pour révéler une histoire commune, à découvrir à Saint-Germain-sur-Ille, dans la galerie des Arts d’Ille.

Célian Ramis

Les Roz'Eskell déploient leurs ailes à Venise

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Plaine de Baud, Rennes
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Atteintes du cancer du sein, en rémission ou ne traitement, les Roz’Eskell de Rennes rejoindront les centaines d’équipages présents lors la 41e Vogalonga de Venise, le 24 mai. Un défi préparé avec sourire et fierté.
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Dimanche 24 mai, les Roz’Eskell de Rennes rejoindront les centaines d’équipages présents dans la lagune vénitienne à l’occasion de la 41e Vogalonga de Venise. Un défi qu’elles relèvent avec sourire et fierté.

Sur le ponton de la base nautique de la plaine de Baud, deux dragon ladies s’activent à vider l’eau logée dans les bateaux en raison des diverses pluies survenues les jours précédents. Ce vendredi 15 mai, un peu avant 19h, le ciel est dégagé, la végétation verdoyante, et les rayons du soleil scintillent sur la Vilaine. Les membres de l’équipe de dragon boat, les Roz’Eskell (ailes roses en breton), arrivent au compte goutte, prêtes à effectuer l’avant dernier entrainement avant la Vogalonga de Venise, dimanche 24 mai.

À l’échauffement, mené par Sylvie, kiné bénévole pour l’association Cap Ouest, la bonne humeur est le maitre mot. Les participantes – une vingtaine ce soir-là, mais l’équipe regroupe plus de 30 dragon ladies – ont à cœur de s’investir dans leur activité. Elles ont toutes subi un cancer du sein, sont en rémission ou en cours de traitement, et le dragon boat est leur bouffée d’oxygène. « C’est une 2e famille », n’hésite pas à dire Claudine, 54 ans, présente depuis le lancement des Roz’Eskell en septembre 2013.

Chantal, elle, est arrivée il y a un an. Alors âgée de 59 ans, elle vit son 2e cancer, déclaré en 2012. « J’en avais marre de ramer toute seule, je n’en pouvais plus. Ici, on est portées par le groupe, par l’énergie collective », précise-t-elle. Elles ont de 35 à 70 ans, ont des parcours et des profils différents. « Et elles sont malheureusement de plus en plus nombreuses », regrette Papia Prigent, leur coach, qui prend tout de même plaisir à s’engager avec ce groupe survitaminé.

VERS LA RECONSTRUCTION

Toutes ne traversent pas les épreuves de manière identique et toutes ne sont pas confrontées aux mêmes difficultés. Mais elles s’accordent sur l’isolement provoqué par la maladie, la difficulté d’en parler à son entourage, et surtout aux collègues de travail, et sur l’importance de se retrouver et d’effectuer ensemble une activité sportive.

« J’avais honte de n’avoir qu'un sein. Quelle horreur ! Depuis que je suis dans les Roz’Eskell, je suis fière de dire que je suis une dragon lady ! », avoue Claudine, rejointe par Chantal : « Un cancer du sein, c’est lourd. En avoir un 2e, c’est difficile de s’en remettre. Ici, ça nous permet de nous reconstruire. Ça développe une sorte de sororité. On a des affinités particulières avec certaines bien sûr, c’est comme partout. Comme dans une micro société, il y a les grognons, les chieuses, les rigolotes, les renfermées en cas de coup de blues ! Et on s’apprécie toutes ! »

Les témoignages oscillent entre dureté de leur vécu récent, douleur d’avoir perdu une membre de l’équipe l’an dernier et joie de participer à cette expérience libératrice et entrainante. Conscientes des bienfaits psychiques et physiques (au niveau du drainage lymphatique, principalement), elles ont rapidement souhaité collectivement s’investir dans des défis sportifs de grande ampleur comme avec la descente de l’Odet, la Vogavilaine et ce week-end la Vogalonga de Venise.

Des ambitions qu’elles mènent avec force et vivacité, motivées par « l’envie de faire ensemble et de se débrouiller seules », « la volonté d’aller ailleurs ». Une expérience qu’elles qualifient de thérapeutique et humaine. Les entrainements et défis constituent pour elles des bols d’air frais, des instants sans prise de tête, qu’il pleuve, neige, vente ou autre, elles répondent présentes. « On pagaie même si c’est gelé, pas question d’annuler ! », plaisantent Chantal et Claudine, dans les vestiaires.

DYNAMISME ET SOUTIEN

Et pas question de tergiverser ou de perdre du temps, une fois les étirements terminés, elles s’emparent d’une rame chacune et grimpent dans les deux embarcations bleues et roses aux têtes de dragon. Deux par bancs et une à l’arrière pour barrer. Ensemble, elles plongent avec dynamisme les rames dans la Vilaine et quittent rapidement les berges.

Les voilà parties pour 1h30 d’activité, rythmée par les « Yop » de Papia ou les coups de tambour qu’elle marque pour l’entrain et la synchronisation des participantes. Et quand elle ne donne pas le ton, les unes et les autres entament des chansons en chœur ou en canon avec les deux bateaux.

« Allez les filles, on va pas se laisser avoir », scandent-elles pour se donner du courage. Majestueuses, elles filent à vive allure. Objectif en tête : représenter les couleurs des dragons ladies bretonnes à Venise et participer à la manifestation regroupant quelques centaines d’embarcations à rames venues parcourir les plus de 30 km prévus sur la lagune « en un temps raisonnable », confie Papia qui se rend à Venise en camion, avec les bateaux embarqués sur la remorque (financée par les dons, subventions et partenariats prévus à cet effet, les billets d’avion des Roz’Eskell étant à leur charge).

Fière, Annick nous montre ses chaussures beiges customisées pour l’occasion au stylo rose. « J’ai écrit Roz’Eskell ! Ce sont mes ailes ! », nous lance-t-elle, en affichant un sourire enfantin étendu jusqu’aux oreilles. Pour Chantal, « l’image de nos corps a été abimée par la maladie. C’est important de restaurer notre image corporelle. Nous travaillons avec les photographes de Yadlavie ! qui réalisent un livre sur les Roz’Eskell et parfois on se reconnaît pas sur les photos… On se trouve énormes, monstrueuses. Ça compte beaucoup d’être dans ce groupe et de se fixer des objectifs. »

Certaines se sentent dévalorisées, d’autres lasses. Les douleurs quotidiennes, les soins, les traitements, les conséquences de tout cela… elles en témoignent avec émotions mais refusent de passer leurs entrainements à en faire état. « On n’en parle pas, sauf parfois en 3e ou en 4e mi-temps (oui, ça commence dans les vestiaires puis se prolonge sur le parking), rigole Claudine. On n’a pas besoin de tout raconter, on se comprend, on se soutient. »

Célian Ramis

"Plus femme que femme" : Girl power au coeur du Blosne

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Le Triangle, Rennes
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Présenté au Triangle le 28 mai prochain, le spectacle entend réveiller les consciences, bousculer le quotidien des femmes et des hommes, et lancer un message clair : les femmes sont puissantes.
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Depuis le 20 avril, les danseuses camerounaises Gladys Tchuimo et Mireille Akaba, de la compagnie Poo-Lek, travaillent au fil d’une résidence au Triangle sur leur spectacle « Plus femme que femme », à découvrir le 28 mai prochain, dans le cadre d’Agitation, qui s’installe au cœur du Blosne les 27, 28 et 31 mai.

« Dans ce spectacle, nous souhaitons amener les femmes à prendre conscience du pouvoir qu’elles ont, de la place qu’elles ont. Et dire que les femmes peuvent choisir ! » Gladys Tchuimo et Mireille Akaba sont la preuve de cette liberté de choix qu’elles revendiquent dans la création « Plus femme que femme ». D’autant qu’elles ont décidé de vivre de la danse, un chemin loin d’être évident au Cameroun et pas toujours compris, surtout dans le cercle familial.

La danse « arrive comme une passion », dès l’âge de 8 ans, se souvient Gladys qui l’a d’abord pratiquée à l’école puis utilisée pour payer sa scolarité, comme une bourse artistique. « C’est arrivé malgré moi et ça s’est imposé comme un métier. Mais pour mes parents, ce n’était pas envisageable. », explique-t-elle. Originaire de Douala – capitale économique du Cameroun, située à l’ouest du pays – elle s’installe à Yaoundé – capitale politique – qu’elle considère comme « plus ouverte » et y intègre un groupe de danse traditionnelle.

Rencontres avec des chorégraphes, animations dans des stades, démonstrations d’un caractère de leader, Gladys Tchuimo franchit les étapes pas à pas vers une carrière riche d’expériences jusqu’à souhaiter élargir ses compétences de danseuse-chorégraphe :

« J’ai commencé à m’orienter vers les danses modernes car pour devenir vraiment danseuse, je devais ne pas rester que dans le traditionnel. Et dans les années 2000, les compagnies de danse contemporaine ont commencé à naitre. »

Après une tournée en Europe avec une troupe de comédie musicale, elle se lance en solo et grâce à sa première pièce en 2004, elle bénéficie des Visas de la Création, un programme d’aide et de résidence de l’Institut français pour les jeunes talents résidant en Afrique ou dans les Caraïbes. C’est en 2005 qu’elle vient donc pour la première fois dans l’Hexagone, et passe plusieurs mois a enseigné et dansé à Grenoble (38), monte un projet avec une association française. De retour dans son pays natal, et après avoir foulé quelques scènes maliennes, congolaises ou encore burkinabè, elle entre à l’École des Sables (grande école de danse en Afrique, implantée au Sénégal).

FEMMES DES ARTS

« Très peu de filles dansent au Cameroun. Je me suis mis le défi de danser avec des femmes », souligne la chorégraphe de la compagnie Poo-Lek qui, en travaillant avec des danseuses de l’École des Sables, rencontre Mireille Akaba avec qui elle collabore sur un projet de danse avant de développer leur création en 2014. Ce duo aurait pu ne jamais voir le jour, puisque Mireille, qui vient en France pour la première fois avec cette résidence dans le quartier du Blosne à Rennes, elle, est issue du milieu de la musique : « J’ai commencé en 2008, dans un groupe camerounais, de world music. Chez nous, il n’y a pas d’école de musique, il faut t’inviter à travailler avec des gens, moi j’ai appris à chanter avec eux. »

De fil en aiguille, de projets en rencontres, elle effectue un stage dans un groupe congolais. De là nait son envie de danser, ce qu’elle fait en intégrant un groupe de danse traditionnelle, avant de découvrir la danse contemporaine, d’entrer à son tour dans la fameuse école de danse et créer ses spectacles, dont son solo « Fashion Victim », que le public rennais pourra découvrir le 20 mai, à l’occasion de la soirée « Sous la lumière », intitulée « De Rennes à Yaoundé, la quotidien de femmes d’aujourd’hui » dans laquelle les 2 danseuses seront entourées d’autres professionnelles comme Anne-Karine Lescop et Morgane Rey, d’associations telles que Danse à tous les étages et HF Bretagne, de Djaïli Amal Amadou, auteur de L’art de partager un mari et de Kouam Tawa, auteur en résidence au Triangle également.

« Au Cameroun, j’ai créé une performance dans la rue, où je me transforme en tout. Je m’inspire de certaines pratiques que l’on voit dans les rues pour obtenir de l’argent. Je jette des mots, je crée des poèmes… », précise Mireille. Une sorte d’illustration dansée et mimée de la folie ambiante qui inspire aux passant-e-s diverses réflexions entre « Mais qu’est-ce qui arrive aux jeunes femmes au Cameroun ? » et « Elle est trop jeune pour devenir folle » ou encore « Ça a vraiment commencé… »

CONDITIONS DES FEMMES

L’observation et l’analyse utilisée dans cette performance constituent des outils indispensables à son travail de création et de transmission, qu’elle aime partager avec les habitants, dans la rue, dans les quartiers, sur les marchés. Et des outils essentiels dans le processus de réflexion qui mènera à la chorégraphie et mise en scène de « Plus femme que femme », puisque les deux comparses ont récolté plusieurs témoignages de femmes camerounaises autour de la question « C’est quoi le bonheur ? »

« Pour 4 femmes sur 5, c’est d’avoir un mari et des enfants », lancent-elles en chœur, en rigolant de ce constat qu’elles considèrent comme effarant. Et à la question de la sexualité dans le couple, la majorité répond qu’il s’agit d’un acte à « subir » quand « le mari le veut / pour s’en débarrasser / pour faire plaisir à l’homme ». Les réponses font écho en elles, Gladys particulièrement, Mireille étant plus réservée sur son histoire personnelle.

L’homme détient le pouvoir. Les deux danseuses expliquent qu’au Cameroun, quand les femmes travaillent, c’est par préoccupation pour leurs enfants principalement. « En général, le mari donne 1000 francs, 1,50 euros en gros, pour l’alimentaire. C’est tout, et les femmes ne peuvent pas sortir de la maison en dehors de ça ! », s’indigne Gladys Tchuimo qui se souvient avoir été traumatisée par la relation « pas facile » entre son père et sa mère.

« Je n’avais vraiment pas envie de me marier, et je demandais à ma mère comment elle faisait pour continuer de faire des enfants avec lui ?! Je réfléchissais à pourquoi elle acceptait d’être traitée comme il le faisait, et moi je ne voulais pas de ça… Je crois que mon père aimait trop sa femme, qu’il était jaloux de sa femme… »

UN MESSAGE UNIVERSEL

À 37 ans, pourtant, Gladys est mariée. Ce qui fait beaucoup rire cette femme au caractère trempé et bien affirmé : « J’ai fini par trouver quelqu’un qui accepte que je sois libre et que j’exerce mon métier, comme quoi ça existe ! » Et quand on dévie sur le terrain des générations qui changent et évoluent avec leur temps, le duo recadre tout de suite, sourires aux lèvres, le discours : « Les générations ne changent pas. Nos voisines au Cameroun sont encore mères de 5 ou 6 enfants, et elles ont nos âges… », affirme Mireille, soutenue par Gladys :

« Les femmes peuvent choisir. Les femmes, on a des choses à dire, une place à prendre, du pouvoir, on a le choix. »

C’est là le point de départ et l’essence même de la pièce qu’elles dévoileront aux Rennais-es le 28 mai, à 20h, au Triangle. Une pièce qui parle d’elles mais pas seulement. « Personnellement, je dis avec le corps ce que je ne peux pas dire avec la voix, même si certaines fois, et pour nous faire comprendre, nous allons utiliser la voix », poétise Mireille, âgée de 35 ans, dont la douceur semble contenir un tourbillon d’émotions à l’intérieur d’elle-même. Les deux danseuses ont puisé dans leurs ressentis justement mais aussi leurs différences pour bâtir un spectacle au message universel, pas uniquement basée sur la condition des femmes au Cameroun, s’inspirant et s’appuyant également sur des textes de Kouam Tawa ou de l’histoire de Lilith, figure féminine infernale.

« Plus femme que femme » entend réveiller les consciences, bousculer le quotidien des femmes, et des hommes - « qui doivent savoir que derrière chacun d’eux il y a une femme, une mère, une sœur, une amie ! Ils doivent les chouchouter ! Nous ne jetons pas la pierre aux hommes mais ils doivent comprendre que le sexe fort ne se fait pas forcément dans la guerre, au contraire il s’effectue dans la douceur, donc chez les femmes. » - et lancer un message clair et précis : puissantes, les femmes doivent s’accomplir en réalisant la place qu’elles occupent et le pouvoir dont elles disposent.

LIEN ARTISTIQUE ET CULTUREL

En parallèle de ce spectacle, les deux danseuses se font le lien artistique et culturel entre la structure de la Cité de la danse et les habitant-e-s du quartier du Blosne. Plusieurs rencontres sont organisées jusqu’à leur départ. Entre débat (Sous la lumière, le 20 mai, dans le hall du Triangle), training de danses traditionnelles et afro-contemporaines (dernière séance le 19 mai de 18h30 à 20h30, dans le hall du Triangle) et spectacles courts hors les murs*, le duo crée l’événement et permet surtout à la danse de délivrer son pouvoir créateur de lien social et sa force fédératrice.

« Les enfants avaient vu la vidéo de Gladys et Mireille pour apprendre les pas de la chorégraphie. Là, ils ont vu les danseuses en vrai, faire les mêmes pas. Ils n’en revenaient pas ! C’est ça qui est intéressant et qui est important. », explique Marion Deniaud, chargée des actions culturelles au Triangle, qui parle de mission de service public, dans une démarche d’écoute du territoire avec lequel il est primordial d’être en phase (lire p. 15, Focus, YEGG #36 – Mai 2015).

 

* Mercredi 20 mai, 15h, Centre commercial Italie
   Jeudi 21 mai, 14h30, Foyer de la Thébaudais
   Vendredi 22 mai, 19h, Square Alexis Le Strat
   Samedi 23 mai, 16h, Métro Charles de Gaulle
   Samedi 30 mai, 11h, Marché de Zagreb

Célian Ramis

Adolescentes : Jeunes femmes en devenir

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Rennes
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Mais qui sont-elles ? À quoi rêvent-elles ? Quels sont leurs espoirs et leurs envies ? À qui se référent-elles ou s'identifient-elles ? Enquête sur les adolescentes d'aujourd'hui, qui deviendront les femmes de demain.
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Mais qui sont-elles ? À quoi rêvent-elles ? Quels sont leurs espoirs et leurs envies ? À qui se référent-elles ou s'identifient-elles ? Tout le monde aimerait pouvoir le savoir, résoudre cette énigme, ce grand fantasme qu'elles inspirent aux adultes. Pour cela, la tentation est forte de vouloir les cataloguer, de les faire entrer dans une seule et même case.

Or, reflet de notre société, les adolescentes ne sont pas une communauté homogène, ça serait trop simple. Néanmoins, certains traits propres à cette période de la vie - où les changements physiques viennent tout chambouler - certains codes, symptômes et questionnements permettent de les identifier comme groupe sociétal distinct.

C'est l'enjeu du Focus de YEGG ce mois-ci. Et pour ce faire, la rédaction est allée à la rencontre de jeunes filles, d'enseignantes, d'infirmières scolaires, de sociologues, de psychologues et de psychanalystes.

Souvent perçues comme une bande de midinettes en slim, fans de boys bands et accros à Facebook, les adolescentes sont bien plus complexes et profondes et ne constituent pas une confrérie homogène. Leurs attitudes et leurs maux n’ont pas changé, seul le monde dans lequel elles vivent a bougé.

« Qu’avez-vous fait de votre puberté ? », aimerait-on parfois demander à certains adultes. Ceux qui stigmatisent les adolescentes et font peu de cas de leurs opinions, leurs amours, leurs envies… C’est inévitable, on a toujours entendu, on entend et on entendra encore les « Quand j’étais jeune…», « De mon temps… », « Moi, à ton âge… », et autres discours sur l’inexpérience et l’immaturité de cette jeunesse, laquelle forcément, se brûlera les ailes.

Une vieille rengaine héritée de génération en génération, qui révèle finalement que rien ne bouge, les jeunes filles d’aujourd’hui ressemblent à celles d’hier. Pourtant, on continue de vouloir les classer dans une seule et même case. « Dans notre monde il n’y a pas d’écoute de la singularité, il faut tous marcher au même pas. Or, c’est à chacun de se fabriquer ses réponses, en se débarrassant des lieux communs et des discours des autres », indique la psychanalyste Laurence Ruas-Texier. Un sentiment partagé par sa consœur Emmanuelle Borgnis-Desbordes pour laquelle il est important de comprendre qui sont ces adolescentes et ce qu’elles veulent, de saisir leur spécificité et leur personnalité à part entière.

Et celles-ci ne sont jamais plus contentes que lorsqu’on les prend au sérieux. Ainsi, pour évoquer l’élaboration de la carte dite subjective sur leurs lieux ressources (lire encadré), Marie, 16 ans, en seconde ST2S (Sciences et Technologies de la Santé et du Social) au lycée Bréquigny l’a souligné : « Ce que l’on a dit là peut changer le point de vue des adultes sur notre intimité, leur donner des points de repères, et ça fait plaisir que l’on s’intéresse à ça. Pour une fois on ne parle pas à notre place ». De la même façon, à la question « Qu’aimeriez-vous dire aux adultes ? », Victoire et Emilie, 17 ans, élèves aux lycées Saint-Martin et Jean Macé, et Thiphaine, 18 ans, en terminale à Jeanne d’Arc, répondent en chœur :

« Qu’ils nous fassent plus confiance, parce qu’on doit toujours se justifier, prouver qu’on a bien fait les choses, en rajouter pour être crédibles ».

Les professionnels font tous le même constat : « Elles ne sont que le reflet de notre société. Si elles consomment plus d’alcool et de tabac, c’est parce que c’est une tendance sociétale. Mais, globalement, elles sont chouettes, elles ont des envies, des projets. Certes, des choses nous interpellent, c’est inévitable, c’est générationnel ! », sourit Soizic, l’une des trois infirmières du lycée Bréquigny.

Il ne faut pas pour autant nier l’existence d’écarts de plus en plus grands entre celles qui ont une sexualité plus précoce, qui jouent avec l’érotisation de leurs corps, notamment via Internet, et celles qui sont comme les adolescentes d’avant. Un état de fait remarqué par Laure Stalder, conseillère conjugale et familiale au Planning Familial. Cela dit, un marqueur fort en la matière reste stable : l’âge moyen du premier rapport sexuel, 17 ans.

« LA PLUS DÉLICATE DES TRANSITIONS »

Cette définition du psychanalyste et psychiatre Philippe Lacadée, auteur de L’éveil et l’exil, est sans doute la meilleure qui soit. Quitter l’enfance pour pénétrer un monde moins insouciant et apprendre à vivre avec les grandes transformations de son corps, les filles y sont plus rapidement confrontées : « Il y a un vrai décalage de puberté génitale entre les deux sexes, et c’est de plus en plus vrai que la puberté des filles est plus précoce, vers 10-12 ans. Elles font donc plus vite face aux questionnements liés au corps qui change, à leur identité, à leur rapport à la sexualité, elles s’interrogent sur leur capacité à être aimées, à aimer. Cela les renvoie à la construction de la personnalité », souligne Gilles Clainchard, psychologue au Centre d’Accueil et de Soins Spécialisés pour les Adolescents et Jeunes Adultes, à Beaulieu et à Villejean.

La puberté, passage confus, brutal et inéluctable, bouleverse beaucoup, « c’est le surgissement d’une étrangeté », selon Emmanuelle Borgnis-Desbordes. Et cette apparition physique de caractères sexuels secondaires a un impact sur le psychique et les comportements. « Avec l’entrée dans la vie amoureuse et sexuelle, la famille pose un autre regard sur l’adolescente et inversement : elle change de statut et cela peut être compliqué. C’est aussi pour cela qu’elle a besoin, qu’elle doit, prendre ses distances, passer par des expérimentations », note Gilles Clainchard.

Difficile donc de supporter l’âge pubertaire - ses premières règles, la naissance de sa poitrine et de sa pilosité - sans broncher, sans claquement de portes ni « Tu peux pas comprendre ! ». En outre, à cet âge, Laurence Ruas-Texier explique qu’au « réveil pulsionnel du corps, il faut ajouter l’apprentissage de sa propre construction ». Ardu. Pourtant, la plupart des jeunes filles passent ce cap difficile sans trop de remous ni de blessures. Et c’est parfois un miracle, quand on sait les pressions de notre époque moderne où l’image, l’apparence et la réputation sont omniprésentes, où la différence doit s’estomper au profit de l’uniformisation.

« À cette période de la vie, le rapport au corps est très prégnant, toujours. C’est grandir avec le souci du corps ostentatoire »
observe Caroline Moulin, docteure en sociologie, auteure de Féminités Adolescentes : itinéraires personnels et fabrication des identités sexuées aux Presses Universitaires de Rennes.

Or, les nouveaux modèles, sur lesquels les adolescentes peuvent se projeter, sont toujours plus maigres. Un constat alarmant qu’Emmanuelle Borgnis-Desbordes fait dans son cabinet : « Cette pression des idéaux contemporains de maigreur ajoutée à la puberté, poussent certaines à tenter de maîtriser l’immaîtrisable, à se façonner un corps sur lequel elles n’ont pas de prise ». Le corps cristallise donc toujours les troubles des jeunes filles.

LES MOTS CHANGENT, LES MAUX DEMEURENT

« Ce que j’entend en consultations depuis 25 ans n’a pas beaucoup changé. Les ados rêvent toujours du Prince Charmant, elles sont romantiques dans la confession, leurs interrogations existentielles sont les mêmes », confie Gilles Clainchard. En revanche, les modalités d’expressions diffèrent. Il y a moins de tabous, de pudeur et d’interdits dans notre société et les filles évoluent avec cela, à travers les réseaux sociaux, la sur-médiatisation et la présence plus forte du sexe dans le domaine public.

« Elles livrent aujourd’hui plus facilement leur désir, mais cela est sans doute en partie lié à l’évolution des conditions de la femme »
Gilles Clainchard, psychologue.

Selon Caroline Moulin, la tendance vers plus d’égalité des sexes encourage les filles à s’approprier les codes masculins en matière de sexualité. Laure Stalder tempère en indiquant que cela n’est notable que dans certains quartiers. Quoi qu’il en soit, le contexte actuel modifie la formulation des doutes et autres tourments juvéniles, le matériel à disposition des adolescentes les immerge dans l’ère de l’image prédominante et du tout Internet, « elles pensent y trouver toutes les réponses, c’est un leurre. Voilà ce qui pourrait expliquer qu’elles sont dans l’action et l’expérimentation. Elles essayent avant et réfléchissent après », suppose Laurence Ruas-Texier.

Aujourd’hui, on dit, on parle, on se montre. On peut s’en réjouir quand la lumière est mise sur des sujets graves comme le harcèlement ou les attouchements sexuels, desquels on ne parlait pas avant. Caroline Moulin parle, elle, de déplacement des zones d’intimité, influencé par les médias, la télé-réalité et le web. « Il y a une vraie érotisation du corps ces dernières années, c’est inquiétant », confie-t-elle. Ces nouveaux problèmes liés aux technologies modernes se traduisent par l’apparition de photos et de vidéos de filles dénudées ou ridiculisées, prises par le petit copain ou la bande de copines.

« Ça prend de l’ampleur. Elles se rêvent beaucoup dans le virtuel, elles ne perçoivent pas les conséquences de certaines conduites », signale l’infirmière scolaire. Aïssatou et Marie l’attestent : « N’importe quoi circule sur Facebook ! », même si leur établissement a mis en place un réseau sentinelle. De leur côté, Victoire, Emilie et Thiphaine se méfient : « il faut savoir gérer, ne pas trop s’exposer », précisent-elles. Un déferlement d’images, des verrous qui sautent emportant avec eux interdits, pudeur et intimité, les jeunes filles sont ainsi propulsées dans un tourbillon où il faut tout tester, et l’on est tenté d’y voir la cause de l’augmentation des IVG et des IST. Difficile de savoir.

Ce qu’on sait en revanche c’est qu’elles ont pris le pli d’aller chercher leur pilule du lendemain ou de demander systématiquement un test urinaire de grossesse à l’infirmerie scolaire comme au Planning Familial, où l’on s’inquiète aussi des fausses idées véhiculées : la pilule rend stérile ou provoque des cancers mais elle protège de tout, des grossesses comme du sida ! « Nous faisons du cas par cas, il est donc difficile de faire des généralités », met néanmoins en garde Laure Stalder. Une précaution valable aussi à Bréquigny : « Ce n’est pas ici le reflet de toutes les adolescentes, ces nouvelles donnes ne concernent qu’une minorité ».

12-16 ANS, CONFUSIONS ET TUMULTES

Dans le cadre de son travail auprès du service de pédiatrie de l’hôpital Sud, Emmanuelle Borgnis-Desbordes s’alarme de noter l’augmentation des pubertés précoces et l’explique ainsi :

« La question sexuelle n’étant plus tabou, on en parle ouvertement et partout, les petites filles savent très tôt tout sur le sujet. Elles sont donc prématurément confrontées à l’anxiété que cela implique chez elle ».

Parallèlement, la période la plus critique se déroule au collège. Une étape particulièrement sensible où les adolescentes sont en recherche de conformité. « Pour être accepté, il faut s’adapter au groupe », raconte Aïssatou. « C’est surtout vrai au collège, entre filles y’a de la concurrence et les critiques sont peut-être plus féminines. Au lycée on est plus libre, plus mature », renchérit Marie. La confusion peut alors être forte chez les plus jeunes et les plus fragiles tiraillées entre le besoin irrépressible de se démarquer de leur enfance et de leurs parents et l’envie farouche d’être comme leurs copines.

« C’est ce que Freud a décrit dans l’identification hystérique : l’histoire se situe dans un couvent où l’une des pensionnaires reçoit une lettre de rupture de son fiancé, alors toutes ses camarades sont prises de malaises, elles incorporent la souffrance de l’autre », rapporte Laurence Ruas-Texier. Ce souci de conformité s’accentue aujourd’hui avec la projection des jeunes filles sur les icônes modernes, lesquelles ne sont pas toujours de bons exemples… « Les filles composent avec de grands modèles orientés vers l’écoute inquiète du corps : celle de grossir, celle de vieillir, ce qui est très prématuré à l’adolescence ! », s’inquiète Caroline Moulin.

Rien de tel pour voir surgir de nouveaux troubles : scarifications et mutilations, phobie scolaire voire agoraphobie et rupture sociale, addictions aux substances alcooliques, tabagiques, chimiques, médicamenteuses (neuroleptiques, amphétamines). « Il y a augmentation et banalisation de ce type de conduites, comme les attaques contre le corps. On voit aussi de plus en plus d’adolescentes qui ne sortent plus de chez elles, cela s’est beaucoup développé chez les plus fragiles, les réseaux sociaux et les jeux vidéos étant un moyen de ne plus se confronter au monde extérieur, à la réalité », observe Gilles Clainchard.

L’archétype de la minceur a une incidence forte, il joue comme une injonction sur les jeunes filles. « L’inflation des troubles de l’oralité, des démarrages d’anorexie est alarmant. On le perçoit avec la volonté d’atteindre le fameux thigh gap, cet espace irréel entre les cuisses ! Ca débute par des restrictions alimentaires drastiques et la bascule dans l’anorexie est rapide », note Emmanuelle Borgnis-Desbordes. Dans cette détermination ferme et obsessionnelle de se ressembler et d’être mince, le groupe n’est pas innocent. Pourtant, il est une nécessité incontournable.

LA PASSION ADOLESCENTE ET LES LIAISONS EXCESSIVES

Il est rare de les voir autrement qu’en bande. Et quand elles se quittent enfin, elles s’appellent, s’envoient sms, snapchat, se croisent sur FB… Inséparables, à la vie à la mort, unies dans une amitié fusionnelle. Cette attitude agace souvent leurs parents, il est pourtant fondateur et essentiel. « Elles ont grand besoin des amitiés exclusives. Le phénomène de bande est nécessaire car la puberté favorise l’isolement, ce qui n’est pas structurant, le groupe, lui, permet de se sentir exister », explique Emmanuelle Borgnis-Desbordes.

Si cela a toujours existé, cet état de fait s’est sans doute amplifié ses dernières années, notamment via Facebook, avec parfois un effet pervers : « C’est bien, on a un tas d’amis, le revers de la médaille c’est que c’est « l’œil de Moscou », « Big Brother » et la dimension de confidence s’est perdue, les filles savent qu’en se confiant elles prennent le risque de voir leur propos exposés, leurs secrets révélés », note Laurence Ruas-Texier. De ces relations surinvesties naissent parfois des blessures profondément bouleversantes comme le rappelle Gilles Clainchard :

« C’est le temps des passions et pour les plus fragiles une rupture amicale peut être aussi douloureuse qu’une séparation amoureuse. C’est aussi une période d’incertitude et d’insécurité affectives, lesquelles se dévoilent dans la manière dont on vit ses relations. Certaines jeunes filles ne comprennent pas pourquoi elles réagissent aussi fortement à une rupture. Cela peut être révélateur de fragilités antérieures, comme la peur de perdre l’autre, qu’il nous échappe ».

ET SI LES PARENTS ÉTAIENT TROP INQUIETS ET INTRUSIFS ?

Sous la pression de la société et de la réalité économique, les parents sont angoissés pour leurs adolescentes dans la vie desquelles ils s’immiscent. « On les voit beaucoup plus en consultation. Ils sont démunis, en perte de repères », note Gilles Clainchard, lequel explique que, justement, l’arrivée de la sexualité dans la vie de l’adolescente est un processus de distanciation, que cela relève de l’ordre de l’intime, que le parent ne doit donc pas trop en dire ou trop poser de questions, au risque sinon d’être intrusif.

L’autre attitude extrême de ne rien vouloir formuler, de ne rien vouloir savoir, n’est pas bonne non plus. « Ces deux postures sont une façon de nier la différenciation, une façon de garder l’autre, en l’occurrence son enfant », précise-t-il. Pour Laurence Ruas-Texier, le problème de notre monde actuel est de croire, une fois un problème identifié ou un trouble repéré, qu’il y a un remède, une méthode, un médicament, qui va tout résoudre. « Et l’on voit de plus en plus de parents venir se soulager du trop de pression des institutions. Oui, l’adolescence est une période d’instabilité, et c’est énervant pour les parents, mais l’important est de ne pas rompre le lien », ponctue la psychanalyste.

Cette ère du « il faut tout dire » n’est donc pas bonne, on ne peut pas tout dire, tout partager. Or, leur inquiétude pousse les parents à être trop envahissants. « Les adolescentes que je vois se plaignent de cette intrusion. C’est d’autant plus vrai qu’elles se construisent avec une butée, en se confrontant à une limite symbolique, quelque chose de pas dit, par exemple, permet de s’inventer sa propre vie via son propre imaginaire », déclare Emmanuelle Borgnis-Desbordes. C’est aux adultes d’accepter de ne pas tout comprendre et de tout maîtriser, que leurs filles n’aient pas les mêmes envies, les mêmes avis, les mêmes goûts, les mêmes réactions qu’eux, sans croire qu’il s’agit là de pure provocation.

C’est l’histoire d’un conflit de générations. Une histoire sempiternelle. Les adolescentes d’aujourd’hui font comme elles peuvent avec ce qu’elles ont, ce qu’on leur offre, et souvent, elles font bien.

Isabelle Marchand et Anne-Sophie Joly, psychologues cliniciennes, assurent les permanences, gratuites et accessibles à tous parents sur rendez-vous, auprès du service Parents Ensemble (prochainement rebaptisé Service Parentalité), en collaboration avec l’UDAF 35, depuis 2003 et 2004.

Pourquoi avoir créé ce service ?

Anne-Sophie Joly : Pour un lieu neutre, d’accès, en dehors des réseaux libéraux et sociaux. Pour un lieu de ressources, de rencontres, de paroles, de questions.

Isabelle Marchand : Tout comme « être parent, c’est toute une aventure », « parent, ce n’est pas évident » ! Ici, l’objectif est de proposer quelque chose aux parents car la transmission, ce n’est pas si simple et à laisser croire que c’était simple on a culpabilisé les parents en difficulté.

Les difficultés éprouvées par les parents avec les adolescents sont-elles genrées ?

ASJ : Au moment de la rencontre, on prend en compte la question du parent et non du sexe de son enfant. Récemment on a ajouté le critère « Pour qui ? », à savoir s’il s’agit du fils ainé, de la fille ainée, etc. Mais nous n’avons rien de chiffré encore.

IM : Déjà, on peut dire que dans les cas de troubles, comme l’anorexie chez les jeunes filles par exemple, les parents s’adressent souvent à des professionnels du monde médical. Ils viennent en complément pour inscrire cela dans la durée, repérer le sens à ce trouble. Sinon je repense à des cas récents d’extrémisme, de fanatisme sur les réseaux sociaux…

ASJ : De sexualité aussi sur Internet. De ce que les jeunes filles donnent à montrer de leurs corps. Mais encore une fois, ce n’est pas chiffré, c’est une impression.

IM : J’ai aussi la sensation qu’il y a plus de filles entre filles. Ça va faire scout mais avant on pouvait partir avec son duvet chez les copains, en mixité (Rires). Maintenant, je trouve que c’est plus une bande de filles d’un côté et d’un autre une bande de garçons. Il y a peut-être l’enjeu de la sexualisation des relations garçons/filles.

ASJ : On note aussi l’évolution de la question vestimentaire. On expose davantage son corps. Avant, on masquait avec des vêtements amples au moment où le corps se transforme. Mais cela va avec les modèles que l’on propose dans la société, dans les médias. Il y a moins la fonction protectrice du vêtement, il vient sexualiser le corps de la femme. Enfin, c’est une hypothèse…

IM : Avec l’éducation des filles, la mise en valeur du corps, on accélère le cheminement de la jeune fille vers la jeune femme mais il n’y a pas de modifications de la maturité affective. Il y a donc un décalage.

Un décalage entre les générations aussi ?

ASJ : Les parents ont de nouveaux défis avec la question d’Internet, des réseaux sociaux, du corps. Sans oublier la pression scolaire qui est hyper forte ! Les outils sont encore peu connus, pas bien maitrisés. Et les parents n’ont pas forcément tous les repères.

IM : Et sur la question de la sexualité notamment, on voit une interprétation libre selon chaque parent. Le couple, aujourd’hui, arrive très tôt, 14 ou 15 ans et on demande à ce que le copain ou la copine vienne dormir à la maison. Certains refusent, d’autres préfèrent que cela se passe chez les parents de l’autre, ou chez eux, plutôt qu’à l’extérieur…

ASJ : On est de plus en plus dans le fait de protéger l’enfant de l’extérieur.

IM : Avec l’après Dolto, qui explique que l’enfant est une personne (et une petite personne, il faut préciser), on a eu la revendication des parents à ce que l’enfant devienne autonome. Et on finit par se dire « Dépêche toi de grandir ! ». Et plus le parent sera dans le « Débrouille toi », plus il y aura vertiges pour l’enfant. Là, il peut partir loin dans la provocation, pour faire réagir.

Les inquiétudes parentales peuvent-elles être genrées ? Avec l’implication des pères, dont on commence à parler, peut-être sont-ils plus nombreux à oser faire part de leurs difficultés ?

ASJ : L’an dernier, nous avions environ 30% de papas, venant seuls ou en couple. Et la part des pères ne cesse d’augmenter. Ils se saisissent de plus en plus de la question, et certainement qu’aujourd’hui, on leur fait plus de place aussi dans ce rôle là.

IM : Par contre, en entretien individuel, c’est toujours plus compliqué pour le papa de se libérer…  

ASJ : On remarque que sur les questions de sexe, il y a toujours ce réflexe de renvoyer la jeune fille vers sa mère et le jeune homme vers son père. Alors que ce qui est important, c’est justement la complémentarité et l’offre de faire différemment entre les individus participant à l’éducation de l’enfant. Ce qui est intéressant, c’est la pluralité des modèles, des valeurs, des façons de faire, les décalages de réaction… C’est ça la richesse finalement !

IM : Ce n’est pas une question de genre, en effet. Le parent doit être connecté avec qui il est, c’est ça l’important. Il doit maintenir son regard du côté de la curiosité. Il doit être chercheur de ce qu’est son enfant. Mais aussi de ce qu’il est lui-même.

ASJ : Être parent, ce n’est pas un métier, ça se tricote. Au fur et à mesure, en fonction des enfants que l’on a, qui évoluent et se transforment, tout comme l’adulte. Il n’y a pas de mode d’emploi, ce n’est pas figé pour nous, ni pour les enfants et tout sera différent avec chaque enfant, que ce soit le premier, deuxième, etc. J’ai des jumeaux et je vis une histoire différente avec les deux.

Quand on parle de parent chercheur, à quoi fait-on référence précisément ?

IM : Le parent doit être du côté de la bricole, du sur mesure, du dosage, de la complexité (ce qui n’interdit pas la contradiction). Tout en s’inscrivant dans un projet, un discours en fonction de ce que l’on veut pour l’enfant. Et de ce qu’il veut lui, car il sait dire ce qu’il veut. Ici, c’est un espace pour parler et pour penser sa place de parent. L’adulte doit être là, accompagner l’enfant dans ce qu’il a à vivre, améliorer leurs conditions de vie quand il peut, ne pas le laisser seul dans les expériences de la vie…

ASJ : Mais bien être conscient que ce sont ses expériences à lui.

IM : On ne choisit pas comment vont se présenter les épreuves de la vie. Chaque individu est différent, il faut savoir se laisser surprendre aussi. Même si on voudrait tout savoir à l’avance. (Rires)

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Adolescentes d'aujourd'hui, femmes de demain
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Célian Ramis

Dépasser la binarité femme-homme

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Laiterie Bouillants, Vern-sur-Seiche
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La 7e édition du festival Bouillants questionne la notion de genre, dépassant la binarité entre le féminin et le masculin, l'humain et la machine.
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Jusqu'au 31 mai, la 7e édition du festival Bouillants, consacré à l'art numérique, questionne la notion de genre. Exposés à Saint-Brieuc et Vern-sur-Seiche, les travaux des femmes artistes rennaises, Diane Grenier et le collectif L'Atranquille, dépassent la binarité entre le féminin et le masculin, l'humain et la machine. 

À la laiterie Les Bouillants de Vern-sur-Seiche, un vendredi après-midi du mois de mars, Diane Grenier travaille sur des circuits électriques de diodes électroluminescentes et des petits moteurs. La pièce, dans laquelle se trouve l'artiste plasticienne, est occupée dans sa globalité. À gauche de l'entrée, un ordinateur portable posé sur un bureau est entouré de circuits électriques, deux grilles pains et un aspirateur se trouvent par terre. Plusieurs cartons jonchent le sol. À droite, une machine à laver démontée est examinée par l'artiste.

SEXUALITÉ TRANSHUMANISTE

L'ensemble de ces machines est utilisé pour sa création originale, Sexes-Machines, installée dans la laiterie, pendant deux mois, jusqu'à fin mai. En résidence ici depuis début mars, Diane Grenier a eu quatre semaines, comme trois autres artistes et collectifs rennais, pour fabriquer une installation autour de la problématique du genre. « Je me suis orientée vers la figure du cyborg, union entre l'homme et la machine car cette créature est remplie de fantasmes genrés : soit il y a les femmes ultra sexualisées, soit il y a des guerriers», explique-t-elle. Et une sexualité hétérosexuelle qui en découle.

Pour cette œuvre, la plasticienne a imaginé les rapports érotiques de certains objets du quotidien : «Pourquoi fantasme-t-on une technologie comme le cyborg et non celle qui nous entoure ?»

Dans plusieurs scénographies au décor intimiste, les machines répètent des mouvements lascifs ou rythmés à forte connotation sexuelle. « Des éléments mécaniques iront se frotter contre l'architecture, développe-t-elle. C'est un mélange entre l'hybride et l'organique.» Sa création sort de la dualité entre l'humain et les machines. Selon l'artiste, « elles s'affranchissent de leur rapport utilitaire à l'humain pour revendiquer une sexualité inter-machines.»

Ce transhumanisme, le directeur artistique du festival, Gaëtan Allin, s'y est beaucoup intéressé pour construire cette 7ème édition. Réfléchir au genre « n'est pas si évident que ça», constate-t-il. Mais d'après lui, la notion est totalement obsolète. « La machine va devenir autonome face à l'homme, continue-t-il. Il sera question d'un troisième genre humanoïde et non plus d'un genre binaire.»

LE VÊTEMENT, TISSU GENRÉ

Chacun à leur manière, les dix-sept artistes programmés interrogent leur compréhension de la thématique. Le trio de L'Atranquille propose la sienne dans une vidéo autour du vêtement, Paper Dolls. Lors d'un essayage d'habits par deux membres du collectif, Grégoire Doaré et Anne Sophie Guillaume, la troisième, Ingrid Borelli, remarque que « la gestuelle est différente si on est un homme ou une femme comme, par exemple, la manière de fermer une braguette, d'enfiler un pantalon, d'enlever un pull.» C’est à ce moment que la notion du genre est apparue.

En trois séquences, la vidéo met en scène deux personnages aux visages inexpressifs (incarnés par Grégoire et Anne Sophie), avec des plans fixes sur fond blanc. « Rien ne les distingue sauf les vêtements», détaille Grégoire. Robes, chaussures à talons, mini-jupes, pantalons, ils enfilent chacun leur tour les même choses. À travers ces clichés, le collectif a voulu « détourner les stéréotypes» et « créer un trouble».

Projetée en taille réelle dans la laiterie des Bouillants et pendant le festival briochin Art Rock du 22 au 24 mai, l'installation permet au public de « s'identifier et s'interroger sur l'idée prédéfinie du féminin et du masculin», espère Grégoire.

PEU DE FEMMES ARTISTES LOCALES

La spécificité de cette édition est de proposer une programmation paritaire. Pour autant, sur 7 artistes rennais, L'Atranquille et Diane Grenier sont les seules femmes artistes. La majorité venant des États-Unis. « Je constate, je n'ai pas d'explication et c'est fort dommageable, réagit le directeur, Gaëtan Allin. Car les artistes du numérique construisent le monde d'aujourd'hui et de demain et la moitié de la population en est exclue. Bouillants n'a pas de réponse mais est là pour poser des questions.»

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