Célian Ramis

LGBTI : La lutte pour la liberté

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Rennes
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Face à une homophobie décomplexée et des vies en état d'urgence, la communauté LGBTI poursuit le combat et entend bien ne rien lâcher. Pour une évolution des mentalités.
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Juin 2016. Deux hommes qui s’aiment, c’est dégueux. Deux femmes qui s’aiment, c’est deux hétéros mal baisées. Un-e bisexuel-le, c’est un pd ou une gouine qui ne s’assume pas. Une personne transgenre, c’est un-e malade mental-e. Un-e enfant intersexe, c’est inconnu au bataillon quasiment.

Juin 2016, la parole LGBTIphobe est décomplexée, ordinaire, virulente. Juin 2016. Il y a encore des lesbiennes, homosexuels, bisexuels, trans, intersexe, qui souffrent de rejet, de violences physiques et/ou verbales, se suicident ou meurent sous les balles d’Omar Mateen dans la nuit du 11 au 12 juin, aux Etats-Unis, dans une boite gay d’Orlando.

Juin 2016. La Marche des Fiertés défile dans plusieurs villes françaises, dont la capitale bretonne, et l’affirme haut et fort : des vies sont en état d’urgence, le combat continue.  

Drapeaux arc-en-ciel, trans et bretons se sont côtoyés le 4 juin dernier dans un centre ville rennais pas librement accessible, à l’occasion de la Marche des fiertés, inaugurée dans la capitale bretonne en 1994. Manifestation festive et colorée, elle permet de mettre en lumière la communauté LGBTI (lesbienne, gay, bi, trans, intersexe) qui porte, à l’année, des revendications fortes et essentielles à l’avancée d’une société encore trop inégalitaire, aux libertés individuelles et à la survie des un-e-s et des autres.

Parti de l’esplanade Charles de Gaulle, le cortège fait masse boulevard de la Liberté, samedi 4 juin. Plus de 2000 personnes marchent, chantent et dansent pour ce que l’on appelait communément la gay pride, qui rapidement à Rennes – une des premières villes à arborer cet intitulé avec Marseille - se nommera la Gay & Lesbian pride avant de devenir la Marche des fiertés.

Les slogans scandés - « Qu’est-ce qu’on veut ? L’égalité des sexes. Pour qui ? Pour tous ! », « Hollande, Hollande, t’as perdu les pédales ! », « Y en a assez de cette société qui ne respecte pas les trans, les gouines et les pédés ! » - se mêlent aux pancartes brandies – « Retirez votre sexe de mon état civil », « La bite ne fait pas le genre », « Je veux des papiers sans être mutilé-e », « On veut des droits, pas ton avis » - et à l’ambiance joyeuse qui émane des manifestant-e-s qui bougent au rythme de La Yegros et sa chanson entrainante « Viene de mi ».

En tête de manif’, Selene Tonon, vice-présidente du CGLBT de Rennes, et Roxane Gervais, membre de l’association également, se relaient au mégaphone à s’en casser la voix. Mais tant pis, elles ne lâchent rien. « Au début de la Marche, un mec m’a traitée de travelo. Je lui ai lancé : « On vous fait des bisous » ! Il est devenu tout rouge… », rigole Roxane dont la réplique bien sentie sera reprise par la foule.

« Je me suis permise aujourd’hui parce qu’aujourd’hui je peux lui répondre sans avoir peur ! », poursuit-elle, aux bras de sa compagne. Parce qu’aujourd’hui, Julien Fleurence, président du CGLBT de Rennes, le réaffirme du haut du bus stationné à République pour les discours : « Nous sommes fièr-e-s de qui nous sommes et de ce que l’on a acquis ! » Mais précise qu’à présent le goût de l’amertume et de la désillusion prend le pas sur la satisfaction des avancées sociales, dont aucune en revanche n’est à noter cette année.

Que l’espace public est toujours le « théâtre des discriminations et des violences ». Que la société stagne concernant les revendications LGBTI et que la haine perdure. Et pour de conclure, que des « vies sont en état d’urgence ». Le thème de cette édition étant : « Debout face aux discriminations. Nos vies sont en état d’urgence ».

REVENDICATIONS PRIORITAIRES

Dans les grandes lignes, le combat s’oriente vers la lutte globale contre les LGBTIphobies, la sérophobie et toutes les formes de discriminations. Ainsi que la lutte pour le droit à disposer de son corps et le droit de vivre sa vie sociale, sentimentale et sexuelle. Mais est-ce seulement envisageable quand la mutilation génitale est l’unique réponse à la naissance d’un enfant intersexe ? Quand le changement d’état civil ne tient qu’à la seule appréciation d’un juge et non de la personne concernée ?

À cette question, le député PS Erwann Binet répond clairement : « On n’est pas propriétaire de son état civil en France », ce principe d’indisponibilité provenant droit de l’époque napoléonienne. Pas propriétaire de son corps non plus, visiblement. Avec la socialiste Pascale Crozon, ils ont proposé un amendement – au projet de loi « justice pour le XXIe siècle » - visant à faciliter le changement d’état civil pour les personnes trans.

Un engagement que le président Hollande avait pris lors de sa campagne électorale en 2011/2012. Pourtant, début 2016, une femme trans – suivant un traitement hormonal depuis plusieurs années et ayant eu recours à plusieurs reprises à des opérations chirurgicales - se voit refuser sa demande car elle ne peut prouver son « impossibilité définitive de procréer dans son sexe d’origine », le tribunal de grande instance de Montpellier ayant jugé qu’il en allait là de la seule condition capable « d’entrainer le caractère irréversible de la transformation exigé par la jurisprudence ».

Résultant d’une condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’Hommes (CEDH), la jurisprudence évoquée fait état de l’arrêt de la Cour de Cassation du 11 décembre 1992 indiquant :

« Lorsque, à la suite d’un traitement médico-chirurgical, subi dans un but thérapeutique, une personne présentant le syndrome du transsexualisme ne possède plus tous les caractères de son sexe d’origine et a pris une apparence physique le rapprochant de l’autre sexe, auquel correspond son comportement social, le principe du respect dû à la vie privée justifie que son état civil indique désormais le sexe dont elle a l’apparence. »

Une avancée certes, mais qui suppose la transidentité comme une maladie mentale et impose des expertises médicales et psychiatriques douloureuses et humiliantes. Selene Tonon, femme trans, le confirme : « Beaucoup pensent que c’est une maladie mentale (jusqu’en 2010, la transidentité figurait sur la liste des maladies mentales, ndlr). Nous ne sommes pas reconnu-e-s comme légitimes par notre cadre culturel. Ce n’est pas envisageable de socialement passer d’un sexe à l’autre. »

Ainsi en mai 2010, une circulaire émise par Michèle Alliot-Marie, alors ministre de la Justice, préconise que les magistrats « pourront donner un avis favorable à la demande de changement d’état civil dès lors que les traitements hormonaux ayant pour effet une transformation physique ou physiologique définitive, associés, le cas échéant, à des opérations de chirurgie plastique (prothèses ou ablation des glandes mammaires, chirurgie esthétique du visage…) ont entrainé un changement de sexe irréversible, sans exiger pour autant l’ablation des organes génitaux. » Et par changement de sexe irréversible, il faut comprendre stérilisation.

L’amendement proposé par les députés socialistes est adopté le 19 mai par l’Assemblée Nationale après avoir subi la modification du texte à travers 3 sous-amendements. Pour obtenir le changement de sexe de son état civil, une personne transgenre devra apporter, devant le tribunal de grande instance, tous les éléments dont elle dispose pour prouver qu’elle vit et est reconnue dans une identité de genre qui ne correspond pas à son sexe biologique.

Révolutionnaire selon Erwann Binet, ce dernier se félicite d’abaisser la procédure de 3 ans à 3 mois, d’avoir démédicaliser le processus (pourtant, certificats et attestations médicaux restent dans la liste des pièces pouvant être présentés) et d’avoir légèrement déjudiciarisé la démarche.

Pour les associations LGBTI, « c’est un pas en arrière, très hypocrite en plus puisque cela a été mis en place avant l’été afin d’éviter une nouvelle condamnation de la CEDH », selon Chloé M., co-présidente de l’association nantaise TRANS INTER action, rejointe par Antonin Le Mée, porte-parole de la Fédération nationale LGBT qui considère cet amendement « pourri par rapport aux autres pays européens » comme « un couteau dans le dos, un retour en arrière », motivé par l’agenda politique.

Ce qui le conforte dans l’idée que les thématiques LGBT ont été abandonnées par les politiques publiques, même s’il admet que niveau santé, certaines avancées – dues au « travail acharné des associations et à une vraie volonté de la ministre de la Santé, qui tranche avec le reste du gouvernement » - sont à souligner, malgré la lenteur des petits progrès (comme par exemple l’ouverture du don de sang aux hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes, à condition qu’ils n’aient eu aucun rapport au cours des 12 derniers mois…).

Ce que les structures, militant-e-s et individu-e-s demandent : le changement d’état civil libre et gratuit sur simple déclaration de la personne concernée à un officier d’état civil, comme l’a obtenu la Norvège en juin dernier.

ÉLOIGNEMENT À LA CITOYENNETÉ

Pourquoi ? Parce que leurs vies sont en état d’urgence.

« La manifestation Existrans existe depuis plus de 20 ans à Paris et les revendications n’ont quasiment pas bougé. On ne lâche pas le morceau. C’est une question de vie ou de mort. Il faut une prise de conscience politique mais aussi une prise de courage. Le manque de courage, on l’a vu lors du mariage pour tous. Le gouvernement n’a pas eu le courage de dire aux défenseurs de la Manif pour tous qu’ils/elles étaient homophobes, clairement. »
explique Selene Tonon.

En France, les personnes transgenres représenteraient entre 10 000 et 15 000 habitant-e-s. Le chiffre est vague. Au moins, il existe. Et donne une idée de ce que l’on sait des femmes et hommes trans. Soit pas grand chose. Si ce n’est qu’ils/elles s’opposent à la norme cisgenre (personne dont le genre vécu correspond au genre assigné à la naissance).

Concernant le quotidien ? L’imagerie populaire voudrait y voir un public fragilisé, instable psychologiquement. Et concrètement ? La difficulté à vivre sa transidentité est indéniable. Pas dans la difficulté à assumer sa différence vis-à-vis de la norme mais dans l’éloignement à la citoyenneté, aux droits fondamentaux et à la liberté d’être soi sans se justifier. Chloé M. le rappelle : « Ce n’est pas un choix, ce n’est pas une orientation sexuelle et ce n’est pas une pathologie. »

Toutefois, les humiliations et les discriminations quasi permanentes laissent à penser qu’ils et elles sont considéré-e-s comme une population de seconde zone. « On peut souffrir de discrimination à l’emploi, à la Caf, face à l’administration, ou quand on va retirer un recommandé à La Poste, quand on subit un contrôle policier. », précise-t-elle.

Cela parce que leur apparence physique ne sera pas cohérente à la mention du sexe sur les papiers d’identité ou au chiffre sur la carte vitale (1 pour les hommes, 2 pour les femmes). Parce que le prénom ne sera pas en adéquation avec ce qui est écrit sur les documents d’état civil.

« Sur ma boite aux lettres, je ne mets que mon nom de famille. Mais très concrètement, on est obligé-e-s de se dévoiler tous les jours. C’est vraiment du quotidien. », souligne le porte parole de la Fédération LGBT. À partir de là, certaines démarches et certains lieux provoquent l’insécurité. À des endroits, il faudra se justifier et, dans la plupart des cas, observer en face des regards critiques et jugeants, quand ils ne sont pas dubitatifs et soupçonneux.

À d’autres, la transidentité sera révélée de force. Sans que cela vienne de la personne concernée. « Quand on se rend au bureau de vote, les accesseurs peuvent être des voisin-e-s. Au quotidien, ils ne savent pas. Leur donner sa carte, c’est un outing forcé auprès de potentiel-le-s voisin-e-s ou ami-e-s qui ne savent pas. Et au moment de voter, le règlement veut que l’accesseur donne l’identité civile à voix haute. », explique Selene Tonon.

LIMITES DU GENRE

Méconnaissance, ignorance, clichés et représentations fausses s’accumulent autour de ce sujet. Les médias se focalisent sur la transition et la diversité des exemples, la pluralité des personnes transgenres, n’est que trop rare. La vice-présidente du CGLBT se base par exemple sur le film The danish girl, réalisé par Tom Hooper, sorti en 2015, racontant l’histoire de Lili Elbe, artiste danoise, connue pour être la première personne avoir eu recours à une opération chirurgicale :

« L’histoire est mal racontée. Le film la montre moins épanouie après sa transition. C’est un contresens ! La transition est instrumentalisée. »

Elle décrit alors une préférence pour la série Sense8, réalisée par Lana et Lily Wachowski et J. Michael Straczynski, qui suit 8 personnages, dont une femme transgenre, interprétée par une actrice transgenre. Sa seule présence ne suffit pas à séduire Selene Tonon, c’est aussi parce que « la transidentité fait partie des qualificatifs de cette personne mais ne la définit pas. Elle est aussi hackeuse, activiste, bloggeuse, informaticienne. Elle est dépeinte de manière réaliste et dans une dimension intéressante puisqu’on la voit évoluer socialement et qu’on ne parle pas d’elle qu’à travers sa transition et du fait qu’elle soit une femme trans. Dans Orange is the new black, j’adore Sophia Burset mais elle n’est montrée qu’à travers la problématique trans. On ne la voit jamais pour autre chose, tout tourne autour de ça, c’est dommage. »

Pour Antonin Le Mée, les représentations et possibilités de visibilité représentent des moyens de lutte contre les mentalités conservatrices. Mais il ne peut que constater que rare sont les personnes trans à être connues.

« On en voit, elles sont bien intégrées dans les milieux dans lesquels elles évoluent mais en effet, il n’y a pas beaucoup de représentation. La difficulté réside dans la situation précaire qui entoure souvent les personnes transgenres. Moi, je sais que j’ai mon employeur derrière moi, sinon je ne prendrais pas le risque de dire que je suis un homme transgenre. »
affirme-t-il.

Et les hommes, justement, sont encore moins présents dans les images, articles, témoignages, postes à responsabilité, etc. Dans l’opinion publique, « la transidentité égratigne la virilité. Et un homme trans, c’est quelqu’un qui s’élève au dessus de sa condition de femme, analyse Selene Tonon. Tout ce qui dévie des normes de genre provoque des hostilités. »

À la naissance, deux possibilités. Posséder un sexe féminin ou un sexe masculin. En fonction de cela, l’injonction sera de correspondre au plus près des assignations de genre attribuées à chaque sexe. Des assignations qui conditionneront des comportements, des tempéraments, des orientations scolaires et professionnelles et même des orientations sexuelles, la norme étant l’hétérosexualité, supposée ou avérée (si tant est que l’on puisse avérer un type de sexualité).

Et ces sexes de naissance définiront également une hiérarchisation : le masculin prévalant automatiquement sur le féminin. D’où le problème pour l’évolution des mentalités. Le conditionnement et le cadre culturel et éducatif actuel, inconsciemment, ne permettant pas aisément de comprendre le mal-être d’une personne non cisgenre.

Et ne permettant pas de comprendre la motivation d’un homme, supérieur par définition, à devenir une femme, inférieure par définition. Et ne permettant pas, surtout, d’admettre l’inverse. C’est par là penser qu’il s’agit d’un choix et non d’un besoin vital. C’est nier la violence véritable à naitre dans un corps biologique qui ne correspond pas à ce que l’on ressent.

L’IMPACT DE LA BINARITÉ

C’est nier également la possibilité de naitre avec les deux sexes, comme tel est le cas d’un enfant intersexe. Quand on parle de représentation, les personnes intersexuées figurent certainement parmi les plus invisibilisées.

« Les médecins estiment avoir le savoir. Le savoir c’est qu’on ne peut pas bien vivre avec les deux sexes. À la naissance, on choisit donc un sexe, pour l’enfant, sans son consentement, évidemment. On mutile un enfant. »
explique la co-présidente de TRANS INTER action.

Un acte barbare que l’on pense dans l’intérêt de l’individu-e, sans jamais tenir compte de la manière dont ils/elles vont grandir et ressentir ce vécu. « Ce serait plus sain de les laisser grandir puis choisir eux-mêmes. Surtout que la différence entre les filles et les garçons n’existe que sur les organes génitaux avant l’adolescence. Hormonalement, à 8 ans, il n’y a pas de différence. On voit une différence à la coupe de cheveux seulement (puisque dans l’idée stéréotypée, une fille a les cheveux longs et un garçon les cheveux courts, ndlr). C’est donc possible de le faire évoluer comme n’importe quel gosse. », signale Selene Tonon qui précise que l’acte de mutilation génitale sur un enfant intersexe est conforme à l’idée que l’on a de la binarité : « Et à cause de ça, on leur crée du dommage. »

Le mot est lâché, la binarité est problématique. Être homme ou être femme. Être hétéro ou être homo. La rigidité du système se reflète dans tous les aspects de la société. Et est flagrante au niveau administratif. Les formulaires ne donnent pas le choix : homme ou femme. 1 ou 2. Pas de place pour la nuance. Pas de place pour la complexité. Pas de place pour la liberté.

La liberté de ne pas vouloir se définir dans un langage binaire. La liberté de ne pas vouloir des cases et de leurs assignations sexuées. Antonin Le Mée l’explique parfaitement : « Il y a un blocage sur le genre, une dichotomie genre et sexe dont découle la répartition des rôles. Les formulaires ne donnent pas des droits mais ils participent à la construction de la société. Tout le monde est confronté à des problèmes de binarité. Mais on s’habitue car on évolue dans ce système et on finit par ne plus le voir. »

SEXISME ORDINAIRE ET DÉCOMPLEXÉ

La binarité découle d’un fait biologique, récupéré ensuite par une société rigide, préférant simplifier les données et les catégories, plutôt que d’être moralement attentive aux besoins des un-e-s et des autres. « Trop compliqué », dira la majorité de la population (blanche, hétéro, cis) qui se dira pourtant ouverte et favorable à la liberté sexuelle et à l’égalité des sexes.

Le sexisme, ordinaire et intégré, se greffe à la norme. Conservé et conforté sans remise en question, il peut en résulter alors les LGBTIphobies. En 2012/2013, le mariage pour tous verra naitre un mouvement d’opposition important, la Manif pour tous. Et verra les langues se délier. Le cadre politique laxiste entrainera les relents homophobes à exploser, sans complexe.

On tolérait les couples de même sexe mais on ne pourra accepter qu’ils obtiennent les mêmes droits que les couples de sexe opposé, ayant accès au mariage, à l’adoption et à la PMA. Voilà le discours que diffuse librement les opposant-e-s à l’union des couples homosexuels, hommes ou femmes. Un discours violent, agressif, insultant et humiliant qui amènera également une recrudescence d’agressions physiques ou verbales, comme le souligne chaque année le rapport de SOS Homophobie.

L’actualité récente est encore marquée de barbarie. Le massacre, à Orlando, d’une cinquantaine de personnes fréquentant dans la nuit du 11 au 12 juin la boite LGBT « Pulse » a fait trembler une partie de la population mondiale. La tuerie a ému, c’est certain. Mais finalement a beaucoup moins intéressé la presse que d’autres attentats survenus en 2015 et en 2016. Le 13 juin, place de la Mairie à Rennes, un rassemblement est organisé en hommage aux victimes et en soutien aux proches.

La vice-présidente du CLGBT prononce un discours et l’affirme : ce n’est pas une surprise. « Dans le sens où vu les tensions à l’échelle mondiale, on savait depuis un moment que ça nous pendait au nez un massacre LGBT. On a rapproché ça d’un acte terroriste, pour moi, c’est plus un problème de LGBTphobies. Et le fait que le tueur fréquentait la boite ne veut pas dire que ce n’est pas de l’homophobie. L’homophobie intériorisée existe et c’est tout aussi homophobe. », explique-t-elle.

Et si le mois de juin a vu un retour de la Manif pour tous à Rennes, autour de la famille et de la GPA, elle ne s’inquiète pas, le mouvement est mort dans l’œuf : « Il ne faut pas baisser nos gardes, les réac’ ne lâchent pas, et on ne peut pas les laisser parler comme ça dans le centre ville mais ils sont hyper minoritaires. À République, ils étaient quelques dizaines. En s’organisant la veille, les militant-e-s LGBT étaient 3 fois plus nombreux/euses. »

FAIRE BOUGER LES LIGNES

La Manif pour tous ne serait plus une menace a priori. Mais les LGBTIphobies décomplexées font toujours rage. La vice-présidente du CGLBT, le porte parole de la Fédération LGBT et la co-présidente de TRANS INTER action sont convaincu-e-s et unanimes : pour désarmorcer les phobies, cela doit passer par l’éducation. Pas n’importe laquelle. L’éducation populaire.

C’est à ce titre-là que l’association Aroeven Bretagne (Association Régionale des Œuvres Éducatives et des Vacances de l’Éducation Nationale) a créé le projet « X,Y,Z… », à la suite d’un constat porté par un groupe de militant-e-s souhaitant réfléchir aux nouvelles problématiques auxquelles ils/elles étaient confronté-e-s sur le terrain ou dans leur posture de formateurs/trices et intervenant-e-s en milieu éducatif et scolaire.

Les questions de genre apparaissent très rapidement, avec l’envie de prendre le temps d’explorer ce qui se fait sur le terrain, ce qui se fait ailleurs, avec en parallèle des recherches individuelles visant à l’apport de connaissances et la mise en perspective des problématiques. L’objectif : sensibiliser et éduquer aux discriminations sexistes.

Développé à Rennes, ce projet, visant un public de 13 à 18 ans mais aussi les acteurs éducatifs, prendra une dimension européenne, réunissant en octobre prochain 7 pays ayant répondu à l’appel à candidatures (l’Italie, Malte, la Turquie, l’Espagne, la Bulgarie, la Croatie et la Pologne). « L’idée pendant la formation européenne est d’échanger autour des bonnes pratiques, des réalités de chacun, des politiques nationales, locales, de partager des ateliers et des outils. », explique Geoffrey Vigour, coordinateur de projets et formateur à l’Aroeven.

Parmi les sujets proposés et retenus pour octobre : Les difficultés rencontrées par la communauté LGBTI, l’impact des images et de la presse, les rôles et les genres, l’impact de la culture et de l’Histoire sur les représentations ou encore la construction de la virilité et de la féminité. Conscient des discriminations liées au sexe, le groupe souhaite :

« ne pas s’enfermer dans l’égalité filles/garçons mais vraiment orienter le projet sur les discriminations liées à l’identité sexuelle, au genre. Ne pas s’arrêter à ce que la biologie définit, tout en étant prudents sur les questions que l’on ne connaît pas, que l’on ne maitrise pas. »

C’est pourquoi l’association d’éducation populaire ne compte pas œuvrer seule mais avec un tissu de partenaires spécialisés sur ces questions comme Liberté Couleurs, Questions d’égalité, le Planning Familial 35, l’académie de Rennes, la délégation Droits des femmes et égalité des sexes de la Ville de Rennes, pour n’en citer que quelques uns.

À la suite de la formation européenne, un plan d’actions devrait être mis en place. Viendront alors les temps d’échange avec les jeunes rencontrés lors de séjours éducatifs, d’interventions scolaires ou de BAFA. La volonté de l’Aroeven étant de discuter et donner la parole aux différents publics afin de réfléchir et s’organiser ensemble autour des solutions à apporter, à envisager.

« On pourra aussi à notre échelle sensibiliser et former les militant-e-s de l’Aroeven, qui peuvent être formateurs/trices BAFA, ou directeurs/trices, et ainsi faire des passerelles. », explique Geoffrey Vigour.

Antonin Le Mée en est convaincu également, la formation des professionnel-le-s, la sensibilisation d’un public, etc. participent à la déconstruction des petits mécanismes. « Au TEDex, j’ai fait une intervention sur la binarité. Les gens comprennent quand on leur explique. Ensuite, il y a l’effet ricochet : en changeant les choses autour de soi, la culture de l’égalité infuse. À petite échelle, je sensibilise les clients de ma boite, les gens de ma boite, les gens de la French tech qui me connaissent, les stagiaires, etc. ça touche du monde et c’est en éduquant que l’on fait bouger les choses. », dit-il.

Le message est clair : le combat est long, la confusion forte, la haine néfaste. Mais la lutte continue et ne s’essouffle pas. « Il ne faut rien lâcher. C’est l’opiniâtreté de certain-e-s qui fait que ça évolue. Les règles s’assouplissent car les plaintes s’accumulent, que la sensibilisation agit et que ça se diffuse dans les cercles de l’entourage de chacun. C’est long mais ça fonctionne. », conclut-il.

 

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Célian Ramis

#Trans2016 : Convocation d’artistes engagé-e-s

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Parc expo, Rennes
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La légende des Trans Musicales voudrait que le vendredi soit le meilleur soir du Parc expo. C’est pourtant la programmation de ce samedi 3 décembre qui a révélé les sensations les plus puissantes.
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La légende des Trans Musicales voudrait que le vendredi soit le meilleur soir du Parc expo. Pour la rédaction, c’est pourtant la programmation de ce samedi 3 décembre qui a révélé les sensations les plus puissantes.

AISHA DEVI – HALL 9 – 23H

Après une dizaine d’années à se produire sous le nom de Kate Wax, la voilà de retour sous son vrai nom, Aïsha Devi. Dans le hall 9, devant ses platines et son ordinateur, elle est plongée dans le noir. Seul un grand écran l’éclaire, diffusant images et vidéos à l’esthétique psychédélique subjuguante.

La programmation parle même de « créations psychédéliques et transhumanistes du photographe et vidéaste Emile Barret ». On ne savait pas réellement à quoi s’attendre, on se réservait la surprise pour le live. À l’écran, ce sont des images détourées de statuettes égyptiennes et incas et des gravures bibliques qui défilent avec en fond un homme au visage entièrement maquillé et au look tribal, qui danse une sorte de trans.

Au fur et à mesure du concert, les clips évoluent. On voit alors passer des têtes de mort, des dessins d’hommes éventrés, des dessins anatomiques ou encore des formes démultipliées à la manière d’un kaléidoscope. Aucun doute, l’œil est accroché.

Il est même fait prisonnier de cet étrange dispositif qui tend à dévoiler des images de plus en plus trash, laissant apparaître des scènes de domination, d’asservissement, quasiment de torture, ainsi que des corps déchiquetés et mangés par des humains avant de laisser place à des images de nains indiens.

Et malgré la violence de certains visuels, il est difficile d’en détourner le regard. Comme s’il s’agissait là d’un acte volontaire pour se laisser guider vers une hypnose certaine, clef d’un état de transe à venir. Car la musique que produit Aïsha Devi est plus qu’une incantation. Elle est un rite initiatique au chant chamanique.

Ces influences népalaises et orientales, qu’elle puise dans ses origines, résonnent dans les percussions mais aussi dans sa voix. Une belle voix amplifiée qui inonde par vagues récurrentes le hall 9. Ce sont surtout des vocalises qu’elle développe et qu’elle enveloppe de quelques paroles qui sonnent comme une langue ancienne et morte.  

Les modulations de sa voix impressionnent. Et viennent se fondre dans les sonorités techno et robotiques. Aïsha Devi nous plonge dans un univers plutôt angoissant dans lequel on avance très lentement, prudemment, face à une lumière aveuglante. On est comme happé-e-s par ce halo imaginaire hypnotisant et intriguant.

On est pris-es dans la toile de cette chimère envoutante. Notre esprit voudrait changer d’air mais notre corps s’y refuse. Il faut affronter les notes stridentes qui déraillent comme des cris. Des sons insupportables et intenables, comme si on nous cisaillait les tympans. Mais le hall 9, pas encore bondé, semble suspendu. En attente d’une explosion électro et post dubstep, qui arrive sans trop languir.

La foule se met doucement en mouvement, synchronisé et cadencé. Elle répond présente et partante à l’univers infernal et chaotique d’Aïsha Devi qui finit ces morceaux en atteignant le sublime à travers des a cappella surnaturels et purs, bruts. L’artiste soprano crée la déroute et on accepte rapidement cette expérience insolite.

Sa voix puissante et magnifiée nous hisse au sommet d’une chaine de montagnes népalaise, où la neige et la roche, divines, s’entrelacent, comme les mandalas et les dessins d’enfants qui s’enlacent sur le grand écran qui trône sur la scène du hall 9.

 

REYKJAVIKURDAETUR – HALL 8 – 2h10

On les attendait avec impatience depuis la découverte de la programmation. Les filles de Reykjavik – traduction littérale de Reykjavikurdaetur – sont nombreuses. Plus d’une dizaine foulent la scène du hall 8 pour y mettre le feu nourri de leur talent de rappeuses et leur féminisme exacerbé.

Elles arrivent vêtues chacune d’une chemise blanche et d’un dessous type body ou t-shirt et shorty et donnent le ton d’entrée de jeu. Elles assument tout. Elles ont la pêche, des choses à dire, des messages à faire passer et du plaisir à (se) procurer. Et surtout, elles affichent une véritable envie de faire ce que bon leur semble.

S’allonger, vapoter, danser ou autre, tout est permis pour ces Islandaises qui alternent entre l’anglais et leur langue maternelle. Leur rap est métissé. À la fois tranchant, il peut être également langoureux comme festif et joyeux, bestial comme combattif et cru.

Si elles chantent en solo, en duo ou en trio, les autres restent présentes. Ensemble, elles font poids, elles font corps, et cette unité massive donne la sensation que les membres du collectif possèdent la scène et la maitrisent.

Autant que les discours qu’elles diffusent. « Cette chanson parlait de moi et mon mec, qui est un naze. Donc appelez-moi ! », lance l’une à la fin d’une chanson. « Celle-là est dédiée à mon ex : FUCK YOU ! », scande une autre quelques minutes plus tard, ajoutant en conclusion : « Il va brûler en enfer, je vous le jure. »

Armées de leurs voix et de leurs textes cinglants, elles optent également pour une attitude terriblement rafraichissante. Une attitude rap parée de grands sourires qu’elles conserveront jusqu’au bout du concert. Sans oublier la fraicheur de leur jeunesse revigorante qui claque sur leurs visages enjoués.

Elles font rapidement tomber la chemise, mais pas forcément la serviette que certaines ont sur leurs épaules, telles des boxeuses prêtes à mettre leurs adversaires KO, à coups de palabres bien senties. Elles assument leur corps, leurs formes, leur féminité, leur masculinité, leur humanité, leur sensualité, etc. Elles sont inspirantes.

La musique, travaillée par la DJ derrière ses platines au fond de la scène, est rythmée, puissante, changeante et évolutive. Elle peut être déstructurée par moments, ronde sur d’autres temps mais toujours pleine de vibrations et de profondeurs. À cela s’ajoute une diversité des voix qui tirent parfois sur de la soul et du r’n’b.

Elles s’affichent libérées, n’hésitent pas à mimer des branlettes, faire des gros doigts d’honneur, se mettre la main sur le sexe ou encore à onduler le corps. Affranchies des assignations qu’elles combattent dans leurs chansons, elles se font du bien et nous font du bien. Nous donnent la hargne tout en nous apaisant l’esprit.

Et quand elles demandent qui a envie d’un doigt dans le cul, tout en interprétant une chorégraphie lascive en mode « chevaucheuses », le public s’emballe. Leurs sourires ne les quittent pas. Au contraire, ils s’agrandissent. Tout comme leur énergie mordante et enthousiaste. Elles parlent de sexualité, de sodomie, de plaisir. Car le droit de parler de sexe n’est pas l’apanage des hommes.

« Nous pouvons faire ce que nous voulons. Je peux porter ce que je veux porter, boire autant que je veux et ne pas demander l’autorisation. », lâchent-elles vers la fin du set. Reykjavikurdaetur a quelque chose de contagieux. Et on espère que le message girl power, d’émancipation, pour le droit à disposer de nos corps et de nos vies, sera entendu de tou-te-s.

 

SAUROPOD – HALL 3 – 2H30

C’est sur les chapeaux de roue donc que l’on déboule dans le hall 3, pour la deuxième moitié du concert de Sauropod. Le trio norvégien a déjà bien réchauffé le public de son rock saisissant qui nous embarque instantanément dans son univers, qui n’est pas sans rappeler celui de Nirvana.

Ou du moins le temps d’une chanson. Car lorsque Jonas Royeng (guitare et chant) et Kamilla Waal Larsen (basse et chant) donnent de la voix en chœur, l’ensemble fait davantage écho aux Pixies. Leurs influences rock alternatif des années 90 ne sont pas dissimulées.

Elles planent au dessus du groupe, sans toutefois tomber dans des imitations caricaturales ou lassantes. Au contraire, Sauropod propose une énergie nouvelle, renforcée par un jeu de batterie puissant et la rapidité du guitariste dans l’exécution des notes et accords, produisant un rock déjanté.

Les chansons passent comme des éclairs. L’effet est fulgurant. On n’en a jamais assez et on ne s’ennuie pas une seconde.

Le trio fait naitre un sentiment d’urgence. De celui que l’on aime voir aux Trans Musicales. De celui qui puise dans des guitares saturées et des chants viscéraux.

On se laisse alors complètement subjuguer par les créations de Sauropod, qui nous bringuebalent à toute berzingue dans des courses poursuites psychotiques. Lui a la mâchoire serrée, une voix nasale et la gorge striée de veines prêtes à éclater. Elle, a une voix aérienne, sécurisante et marquée de simplicité. Sans artifices.

Et quand ils allient leurs voix, l’osmose de leurs contrastes est sublime. Le trio renvoie le sentiment d’un besoin vital de s’exprimer. Une nécessité à être là et envoyer ce rock acidulé, qui ne manque pas de piquant, et s’emplit au fil des chansons d’émotions authentiques et communicatives.

C’est une évidence. Un plaisir qu’ils partagent entre la scène et le public et qui se voit sur leurs visages. Dans un bien autre style que les rappeuses islandaises, les punks rockeurs norvégiens apportent une touche rafraichissante à la musique et à la soirée, à travers une proposition forte et joviale.

L’opportunité de terminer la 38e édition des Trans Musicales par deux véritables coups de cœur. Dommage que les deux projets aient été superposés dans la programmation. Quoi qu’il en soit, on retiendra ces artistes parmi les révélations du cru 2016.  

Célian Ramis

Queen Kong, la liberté de l'imagination

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Le Triangle, Rennes
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Les 18 et 19 octobre, la compagnie La BaZooka présentait Queen Kong au Triangle. Un conte philosophique destiné au jeune public interprété par trois danseuses pleines d’énergie et d’humour.
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Les 18 et 19 octobre, la compagnie La BaZooka présentait son spectacle Queen Kong au Triangle, à l’occasion du festival Marmaille. Un conte philosophique destiné au jeune public interprété par trois danseuses pleines d’énergie et d’humour.

Le Prince n’est plus là et dans la forêt, les trois reines Kong dansent, jouent, courent, crient et chantent. C’est un univers fantasque et fantasmagorique que recrée ici la compagnie La BaZooka, dans un jeu de sons et de lumières. Car sur scène, c’est un décor épuré qui se présente à nous. Trois danseuses et un tas de bûches trônent face à la salle.

Elles pourraient être des nymphes. Des divinités de la Nature. Autour d’une bûche qui pleure sa souffrance ou son angoisse, elles tentent d’apaiser la source de ses cris. Leur langage est animal, primitif. Leur danse est légère et virevoltante.

S’engage alors un air d’opéra et résonne la voix de la célèbre cantatrice italienne, Cecilia Bartoli, qui soudainement habite la danseuse Taya Skorokhodova, déclenchant instantanément les rires des enfants. Un instant lyrique et poétique qui ne s’installe que pour quelques minutes avant que les créatures à l’enveloppe charnelle humaine ne se dissipent dans l’environnement qui les entoure.

L’apaisement ressenti au préalable se transforme alors en virée nocturne cauchemardesque. On s’imagine pris-es au piège d’un mauvais rêve. Peut-être encerclé-e-s par des bois malveillants, nous poursuivant avec une hache avant que les rôles ne s’inversent et qu’apparaisse une femme coussins et que les riffs rock ne transfigurent cette énergie négative en force puissante.

Dans Queen Kong, le trio joue à se faire peur, fuit à vive allure, saute, danse, s’amuse, trébuche, s’étale au sol et ressuscite. Les danseuses écoutent, observent, entrent dans un état proche d’une transe chamanique, sont menacées par une bête sauvage dont elles viennent à bout, en prenant les armes.

« Qu’est-ce que c’est le sauvage au féminin ? », s’interroge il y a 3 ans Sarah Crépin, chorégraphe et interprète pour La BaZooka. À cette époque, elle est intriguée par la relation entre le féminin et le sauvage, notion machinalement – et injustement - imaginée au masculin.

« J’avais besoin de la forêt, de me plonger dans cet univers. La forêt c’est le lieu de tous les possibles, de la quiétude, de la métamorphose, du danger. Un lieu où on est abrité-e, où il y a du passage et où on peut être au cœur de soi-même. Je voulais aller vers une féminité qui n’est pas lisse et qui est puissante et enfantine, dans le sens où dans l’enfance nous ne sommes pas encore modélé-e-s aux codes du citoyen. », explique Sarah Crépin.

Sur chaque spectacle, elle travaille avec Etienne Cuppens, metteur en scène de la compagnie. Ensemble, ils ont confronté leurs idées et envies. Ils procèdent par propositions et oppositions, en essayant toujours de ne pas s’encombrer des préconçus.

« C’est très sauvage comme manière de travailler. On a fonctionné à 4 sur la danse (avec Léa Scher et Taya Skorokhodova, les deux autres danseuses de Queen Kong, ndlr), en laissant une chance à la maturité des idées. Ne pas les balayer quand on pense que ça ne marche pas, mais prendre le temps de voir comment elles évoluent et comment elles peuvent exister dans le corps de chacune. », précise la chorégraphe.

Le metteur en scène la rejoint : « On ne veut pas figer les choses. On essaye d’agir de manière très libre. Par association d’idées, avec beaucoup d’improvisation et de l’évolution au fil des répétitions. C’est aussi un travail de transmission. On voit ce qui s’adapte aux corps des interprètes, ce qui se passe à travers la puissance du groupe et comment cela résiste au temps et à l’accueil des enfants selon les représentations. »

Un discours qui symbolise bien l’esprit de la compagnie, qui défend la volonté de réfléchir autour de la notion de libertés. Liberté individuelle mais aussi liberté au sein d’un groupe. Parce que l’idée du maitre et de l’élève, voir de l’esclave, figure dans l’ADN d’un-e danseur-euse, selon Sarah Crépin, qui ajoute :

« En grandissant, on a envie de ne plus se laisser dominer et c’est une lutte de tous les jours pour arriver à s’émanciper, de décider de sa vie, d’investir le monde, d’affirmer sa position. Dans Queen Kong, il y a beaucoup d’élans, des danses enfantines, des poursuites, des corps au sol, des bagarres… Ce sont des figures très riches, très intéressantes et libres ! »

Et ce ne sont pas Léa Scher et Taya Skorokhodova qui iront à l’encontre de cet esprit, après avoir éprouvé l’expérience « du sauvage et du noble, de l’animal que l’on met debout », selon Taya. Pour Léa, « le plateau est devenu un terrain de jeu, permettant énormément de libertés. »

Ce conte philosophique, et cubiste comme le définit justement Etienne Cuppens, convoque l’imaginaire de celles et ceux qui le découvre. « C’est ça la liberté individuelle, conclut Sarah Crépin. Pouvoir s’inventer des histoires avec son imaginaire, voyager, avoir son libre arbitre… C’est très précieux et il faut le préserver. »

 

Célian Ramis

L'engagement des Héroïques dans la littérature jeunesse

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Mettre en valeur le passé pour faire écho au présent, dépoussiérer le roman historique et réhabiliter les héro-ïne-s de l’ombre. Mi-septembre, les éditions Talents Hauts ont lancé la collection Les Héroïques, dirigée par Jessie Magana.
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Mettre en valeur le passé pour faire écho au présent, dépoussiérer le roman historique et réhabiliter les héro-ïne-s de l’ombre. Mi-septembre, les éditions Talents Hauts ont lancé la collection Les Héroïques, dirigée par Jessie Magana, qui signe également un des premiers ouvrages présentés, Des cailloux à ma fenêtre, accompagné de Les mangues resteront vertes, écrit par Christophe Léon.

Au bout du monde, il y a Marie et Yvette. Deux jeunes filles qui vont vivre leur adolescence dans un contexte de guerre. Celui de la Seconde guerre mondiale. Celui de la résistance, dans laquelle elles vont se lancer. À un autre bout du monde, il y a Odélise. En 1975, c’est l’année de son CM2. C’est aussi l’année durant laquelle elle sera déportée vers la métropole et recueillie par une famille vivant en milieu rural, dans la Creuse.

Les deux premières habitent l’île de Sein lorsque cette dernière se voit vidée de 128 pêcheurs partis rejoindre le général de Gaulle après l’appel du 18 juin 1940. La troisième se voit arrachée à La Réunion, comme l’ont été plus de 1 500 enfants de l’île entre 1963 et 1982, déclarés pupilles de la Nation.

La première histoire nait sous la plume de la rennaise Jessie Magana, auteure, éditrice et directrice de collections, la deuxième sous la plume de Christophe Léon, auteur de fictions, essais et romans jeunesse. Des cailloux à ma fenêtre et Les mangues resteront vertes constituent les deux premiers ouvrages de la nouvelle collection – dirigée par Jessie Magana – Les Héroïques (à partir de 13 ans), publiée chez Talents hauts.

POUR L’ÉGALITÉ

Albums, contes, romans, livres bilingues… la maison d’édition indépendante, fondée en 2005 par Laurence Faron, centralise son activité auprès du public jeunesse, de la petite enfance à l’adolescence. Et se distingue de ses congénères de sa par sa ligne humaniste forte, basée sur une éducation aux différences et une lutte contre les discriminations.

« Contre le sexisme en particulier. Les comités de lecture analysent la qualité des textes. C’est ce qui prime pour nous, de bonnes histoires, de bonnes illustrations, de bons livres. Et nous avons une attention spécifique quant à la question des discriminations. Les clichés peuvent être sournois, nous avons tou-te-s des clichés. Ce qui fait que ce n’est pas toujours facile de les apercevoir. Le livre peut être intéressant et quand on creuse le sujet, on se rend compte que le personnage intègre des normes sexistes. C’est un travail de tous les instants. », explique la directrice de Talents Hauts.

En recevant le manuscrit de Jessie Magana, initialement intitulé « Sans attendre », elle le refuse. « Mais c’était un ‘non’ argumenté donc constructif. On a travaillé ensemble avec Laurence et j’ai pu lui renvoyer une mouture », se souvient l’auteure. Les échanges entre les deux professionnelles aboutissent à l’idée d’une collection et à l’élaboration d’une charte. L’objectif est clair : raconter les destins de personnages qui n’ont pas eu voix au chapitre. Avec une entrée historique.

« Cela rejoint tous les engagements que j’ai ! », s’enthousiasme Jessie Magana, qui a également écrit Comment parler de l’égalité filles-garçons aux enfants ou encore Les mots indispensables pour parler du sexisme (co-écrit avec Alexandre Messager) et qui dirige la collection Français d’ailleurs junior (sur l’histoire de l’immigration).

LE MATÉRIAU VIVANT DE L’HISTOIRE

Elle insiste sur un point : ce sont des romans, pas des documentaires. Si l’intrigue s’inscrit dans le passé – toujours dans l’époque contemporaine, jusqu’à 1990 environ – elle n’en reste pas moins fictive, inventée, imaginée. Peut-être construite à partir d’histoires vraies.

« Quand j’ai découvert l’histoire des 128 pêcheurs de l’île de Sein, j’ai eu envie d’écrire un roman. J’ai fait beaucoup de travail de recherches, ça m’a pris un an pour me documenter, aller repérer les lieux, etc. Puis, on oublie la doc’ qui a simplement servi à s’imprégner de l’Histoire et à se plonger dans le ressenti de cette époque. J’ai voulu raconter cette histoire et imaginer le destin d’une femme lors de la Résistance, et lui faire vivre autre chose que la guerre. Elle sort de son île et découvre autre chose. », commente Jessie.

Ce qu’elle aime dans cette forme de littérature, c’est utiliser le matériau vivant de l’Histoire pour faire comprendre le présent. Il en va là du rôle qu’elle considère comme essentiel dans la littérature jeunesse. Témoin d’une époque mais aussi des sociétés. C’est ainsi que Des cailloux à ma fenêtre réhabilite les femmes qui ont participé à la Résistance. Ici, deux jeunes filles vont aider les résistants à faire passer des tracts.

Et en parallèle, Marie va vivre une histoire d’amour et découvrir le désir et la sexualité. Pour l’auteure, il faut se souvenir que « c’est une femme des années 40. On n’en fait pas une héroïne n’importe comment. Ce n’est pas le même rapport à la contraception, à la sexualité, aux hommes, etc. ». Pas question de transformer le passé, pas question d’y insérer un girl power inconsidéré et des actes démesurés.

« Aujourd’hui, les héros sont louvoyés. Pour les uns, l’image du héros, c’est le super-héro, pour les autres, ce sont les djihadistes. L’idée ici, c’est de se dire « Tiens, elle l’a fait. Pourquoi pas moi ? », sans passer par des actes démesurés. Simplement que l’on puisse se dire que l’on peut s’engager à son niveau. », explique la directrice de la collection qui regrette qu’au fil du temps on ne tire aucune leçon du passé :

« On ne peut pas ignorer ce qui s’est passé avant nous. En occultant les événements antérieurs, on oublie une grande partie de notre héritage. La littérature a le pouvoir de le faire vivre. »

Rétablir de la nuance dans l’Histoire que l’on a tendance à vouloir voir blanche ou noire, mais « elle est grise, c’est son tissu. »

VAGUE D’ÉMOTIONS

Pour bâtir Les héroïques, pas question de passer commande. Les auteur-e-s ne sont pas missionné-e-s pour écrire une histoire répondant à des critères stricts. Mais pour qu’un ouvrage intègre la collection, il doit présenter un-e héro-ïne de l’ombre. Pas uniquement des femmes. Pas uniquement des blanc-he-s. Pas uniquement des problématiques extraordinaires. Au contraire, l’histoire doit rester proche des considérations actuelles.

Dans Les mangues resteront vertes, Christophe Léon raconte avec brio et subtilité la transformation du corps de sa jeune protagoniste et le changement de regard que cela suscite.

La lecture de son texte, emprunt de poésie et de justesse, nous transporte au-delà de l’adolescence et résonne en nous. Dans Des cailloux à ma fenêtre, Jessie Magana nous touche du courage de ses héroïnes très réalistes, forgées avec douceur d’innocence et de volonté d’acier.

L’émotion nous submerge au fil des pages et la claque nous assaille dès la fermeture des deux romans. La réflexion est puissante et s’incruste dans notre ADN. Dès lors, les personnages nous accompagnent au quotidien, font partie intégrante de nous, on pense à Marie, Yvette et Odélise, on imagine à quoi ont ressemblé le reste de leurs vies et on se surprend à continuer l’histoire.

On attend alors avec impatience de rencontrer Agnès qui en 1918 est devenue conductrice de tramway et s’apprête à s’engager auprès des Suffragettes. Mais aussi Lucille, une jeune fille qui en 1942, rejette sa petite sœur Anne, qu’elle n’estime pas être réellement de sa famille et qu’elle pense être juive. Il faudra tenir encore quelques mois avant de dévorer Celle qui voulait conduire le tram, de Catherine Cuenca, et Quand le monstre naîtra, de Nicolas Michel, à paraître en 2017.

Célian Ramis

Elles qui disent la campagne et une époque

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Elles ont grandi en Ille-et-Vilaine et avaient environ 20 ans dans les années 50. Leur quotidien, leurs parcours et leur condition, elles les racontent dans l’ouvrage Elles qui disent.
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Elles ont grandi en Ille-et-Vilaine, dans le pays de Montfort, et avaient environ 20 ans dans les années 50. Leur quotidien, leurs parcours et leur condition, elles les ont raconté à Anne Lecourt - Le Breton dans l’ouvrage Elles qui disent, publié en mars 2016. Une ode aux femmes, à la campagne et à une époque.

Elles sont huit. Yvonne, Monique, Clémentine, Marie, Madeleine, Yvette, Marcelle et Elisa. Elles ont grandi, vécu ou vivent encore du côté, entre autre, de Bédée, Bréteil, Talensac ou encore Montfort-sur-Meu et Iffendic. Souvent issues d’une famille nombreuse et paysanne, elles participent aux tâches ménagères, à la traite des animaux, vont à l’école, quittée pour la plupart après le Certificat d’études, quand elles l’ont obtenu.

Ces femmes sont devenues patronnes de bistro, marchande de cochons, agricultrices, ouvrière, commerçante… Parfois par obligation ou par convenance, parfois par choix. Dès le plus jeune âge, elles ont appris à devenir des femmes. C’est-à-dire des épouses et des mères principalement. Elles s’en sont accommodées, contentées, satisfaites. Mais au fil des années, elles ont conservé leur soif d’apprendre, leur volonté de réfléchir et de s’investir dans leurs boulots ou leurs passions.

Aujourd’hui, ce sont des femmes âgées qui revisitent les souvenirs de leurs vies vécues et ainsi livrent un subtil portrait d’une époque et d’un territoire. Mais pas seulement. C’est aussi un voyage à travers la condition des femmes d’hier, en évolution certes, mais peut-être pas entièrement révolue.

UNE LONGUE INITIATIVE

Rennaise d’origine, installée à Pleumeleuc depuis environ 10 ans, Anne Lecourt – Le Breton est traductrice depuis 25 ans. Dans le domaine scientifique principalement. Un métier « chahuté, à la concurrence très importante, (…) humainement parlant un peu frustrant. » Autant de raisons qui la motivent à penser à une reconversion et à se lancer dans l’écriture qui semble être son moteur.

« J’avais un projet d’accompagnement dans l’écriture auprès d’un public en difficulté et je suis allée voir Montfort Communauté. C’était déjà fait mais on m’a alors parlé d’un projet qui avait capoté, un état des lieux autour des campagnes de Montfort. », explique Anne Lecourt – Le Breton.

Deux ans plus tard, l’idée d’un ouvrage autour de la condition des femmes du pays de Montfort germe dans son esprit. Elle affine le propos autour de celles qui ont vécu leur jeunesse dans les années 50, part à la recherche de femmes alors âgées entre 80 et 95 ans et active tous les réseaux dans lesquels elle peut puiser des personnes ressources, à savoir des voisin-e-s, des professeur-e-s du coin, des grandes familles, des formateurs-trices en milieu rural, etc.

Des femmes à contacter, elle n’en a pas manqué. Mais des refus, elle en a essuyé. « Il fallait que je sois crédible, convaincante et en même temps que je ne parte pas trop dans l’intellect. Sinon elles me filaient entre les doigts. », précise l’auteure. Certaines déclineront la proposition, d’autres lâcheront en cours de route. Et dans les huit restantes, il lui faudra parfois « renoncer à des choses et changer des noms, des dates ou des lieux. »

Toutefois, elle s’enthousiasme du propos qu’elle a à cœur de partager et les rencontres qu’elle va multiplier auprès des protagonistes concernées qui envisagent leurs vies comme simplement ordinaires :

« Je ne suis pas sociologue, ni journaliste, ni historienne. Je souhaitais juste les cerner au plus près de la réalité, raconter une histoire vraie qui parle aux gens. Car ce sont des histoires de famille, de géographie, de modes de vie de l’époque. Et elles ont eu plaisir à parler, elles sont fières du travail qu’elles ont fait, c’est ça l’important. »

PORTRAIT D'UNE CONDITION

Le livre, auto-édité par l’auteure, aidée pour la mise en page par Montfort Communauté, a été publié en mars 2016. Anne Lecourt – Le Breton a couché les portraits sur le papier mais ne se lasse pas de nous les décrire telles qu’elle se les remémore. Des femmes qui ont renoncé à toute vie personnelle pour s’établir au service de leur famille ou de leur terre.

« Elles ont quitté l’école très vite et pourtant toutes étaient brillantes. Mais à l’époque, les femmes n’avaient pas de vie propre, elles devaient obéissance au père, aux frères ou au mari. C’était une société complètement patriarcale. »
développe-t-elle.

C’est aussi une société pudique, en pleine mutation. La citoyenneté, à travers le droit de vote, vient tout juste d’être accordée aux femmes, les lois balbutiantes sur les conditions de travail n’en sont qu’aux prémices d’un long combat pour un changement des mentalités, la condition féminine est toujours réduite à la maternité, l’éducation et l’entretien du foyer. Mais si les femmes sont encore soumises aux désirs des autres, la pratique d’un métier et le début d’instruction qu’elles ont reçu les emmènent à progresser plus rapidement que leur époque. Et à rêver d’une autre vie pour leurs filles.

« Ce sont des femmes de devoir. Elles se marient. On s’aime par devoir. On a le souci du regard extérieur, du bourg, de la famille. Il y a aussi les mariages économiques, les communes sont étroites et on tient à ce que les terres restent dans la famille. Généralement, l’amour est inexistant ou douloureux, il y a le devoir conjugal mais ça ce sont des secrets de femmes. Elles font des enfants et là il y a de l’amour. On ne le montre pas dans les mots, on le montre dans des gestes du quotidien. », commente celle qui s’émeut de ces héroïnes non reconnues du quotidien.

Et ce qu’elle en retient, c’est comment sans s’opposer à la tradition, sans créer de rupture franche, en louvoyant en permanence, elles ont toutes avancé d’un pas et se sont distinguées de leurs mères à elles « en passant le permis de conduire, en conduisant un camion, portant des pantalons, faisant du vélo, s’impliquant dans les Jeunesses Agricoles Catholiques, entamant des démarches pour obtenir la majorité par anticipation, en plantant tout pour partir au Maroc, en côtoyant des intellos… »

UN PONT ENTRE LES GÉNÉRATIONS

On la sent exaltée par cette expérience enrichissante. Une expérience qui pose la question non seulement de l’évolution de la condition féminine dans les campagnes mais aussi du travail de mémoire permettant ainsi d’établir un pont entre les générations d’hier et d’aujourd’hui. Et de s’interroger sur nos rapports à nos racines autant que sur la transmission entreprise entre femmes du présent et jeunes filles de demain.

Un sujet qui a inspiré Anne Lecourt – Le Breton qui a le sentiment d’être passée à côté de sa grand-mère brétillienne : « Quand on est ado, on est auto-centré-e-s. Alors les vieux, le passé, on y consacre pas tellement de temps. » Elle se lance alors sur les traces d’un héritage quelque peu oublié. Ou trop souvent considéré comme désuet. Et à la restitution des textes, elle est frappée par les réactions des enfants qui tiennent à relire, modifier, supprimer même des passages.

« Beaucoup de choses n’ont pas pu être livrées dans le bouquin. C’était trop intime. Je me suis confrontée aux enfants, ça a été difficile de tenir le choc, j’ai été mal jugée et certain-e-s me traitaient de moins que rien. Ils-elles n’ont vu que des vies de mères et n’ont pas considéré que les mères pouvaient avoir eu des vies de femmes. », déclare l’auteure, visiblement attristée par ce manque. Les tabous sont encore nombreux, les clichés également.

Archaïques et profondément ancrés dans les mentalités, ils sont un fléau dont il est difficile de se détacher :

« On reproduit beaucoup de choses héritées de loin. Par exemple, avec mon fils de 15 ans, je suis obligée de lui faire tout un discours en lui apprenant à faire la lessive, le repassage, etc. Ce discours, je m’en passe auprès de ma fille. Comme si de femme à femme, les choses allaient de soi, étaient évidentes. »

À 49 ans, Anne Lecourt – Le Breton réalise un ouvrage constructif et pédagogique, dont elle est fière, « fière de prendre la parole pour valoriser leurs parcours à elles », tout en mêlant sa propre plume et une partie de son histoire personnelle qu’elle partage en héritage d’une époque et d’un territoire.

Dès septembre, elle partira à la rencontre de lycéen-ne-s, d’étudiant-e-s en BTS, de résident-e-s en EHPAD ou encore du Planning Familial 35 et devrait poursuivre sur sa lancée, bien décidée à mettre sa plume au service des paroles marginalisées.

Célian Ramis

Victoria, loin des assignations genrées

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Cinéma Gaumont Rennes
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Avec son film Victoria, Justine Triet réalise un portrait humain d'une femme - incarnée par Virginie Efira - ancrée dans son époque, loin des clichés de sexe et de genre.
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Virginie Efira incarne Victoria dans le film éponyme de Justine Triet (La bataille de Solférino), à découvrir sur les écrans dès le 14 septembre. L’actrice et la réalisatrice étaient de passage à Rennes, le 5 septembre dernier, pour présenter en avant-première au cinéma Gaumont ce long-métrage fortement courtisé lors du festival de Cannes.

Victoria, c’est une nébuleuse bien bordélique. Avocate pénaliste qui peine à se payer, mère de deux petites filles, célibataire en plein néant sentimental, elle enchaine les journées à courir partout, sans désirs palpables ni désaveux.

Son quotidien est bousculé par une succession de désagréments, entre son ex qui lance un blog littéraire (trop) largement inspiré de sa vie et sa personnalité à elle (et des dossiers de ses client-e-s), son ami accusé de tentative de meurtre sur sa compagne et sa rencontre impromptue avec un ancien client désireux de se lancer dans une carrière d’avocat qu’elle embauche comme jeune homme au pair.

Elle doit alors composer avec tous ces éléments, tiraillée entre son obsession de comprendre qui elle est – que ce soit à travers une thérapie ou une visite chez une voyante - et sa tendance à passer à côté de sa vie :

« J’aime beaucoup le fait que le propos ne soit pas enfermé, que le film ne fasse pas les contours du personnage. Ce n’est pas juste une femme avec des enfants qui bosse beaucoup. Tout rejaillit sur elle, il y a une sorte de chaos, d’absurdité, de vérité qui n’est pas facile à trouver. L’intime contamine son travail, elle passe son temps à s’analyser et avec son sens de la rhétorique à anéantir la parole spontanée et finalement, elle manque vraiment de lucidité sur elle-même. Moi, j’en connais plein des gens comme ça. », explique Virginie Efira.

UNE FIGURE CONTEMPORAINE

L’actrice belge campe ici une femme que l’on pourrait voir au bord de la crise de nerfs ou de la dépression. Mais le portrait va au-delà d’une simple réduction d’une personne à l’état second. Ce que filme Justine Triet, c’est une femme happée par le quotidien, ses aléas et les difficultés rencontrées au cours d’une vie. Une personne qui reçoit des émotions et doit traiter avec. Et qui intellectualise ce qu’elle ressent pour tenter de dominer l’impalpable et l’ingérable.

Pour la réalisatrice, Victoria n’incarne pas celle que l’on qualifie de « femme moderne » souvent poussée à son paroxysme, dans le sens WonderWoman, sorte de super-héroïne qui répondrait à toutes les assignations genrées de son sexe en y ajoutant celles de l’autre sexe. Dans le long-métrage, elle choisit une réalité plus raisonnable. Plus appréciable dans sa justesse et son regard.

Car la protagoniste sort du cadre figé de la norme dans laquelle on enferme les individus, féminins comme masculins. Elle ose affirmer un écœurement momentané pour le sexe, se laisse dépasser par les événements sans pour autant baisser les bras et chute en faisant transparaitre sa vulnérabilité.

Et de cette femme, on en garde uniquement l’essence et ce qu’elle renvoie de son existence. Une mise à nu véritable qui casse la recherche de toute catégorisation de cette femme ancrée dans les réflexions de son époque.

« En écrivant, je n’ai pas pensé à la femme moderne et à comment éviter les clichés sur les femmes. J’ai mis des choses en elle qui me plaisait, je me suis inspirée de figures cinématographiques, de mes ami-e-s, de Virginie dans ce qu’elle dégage, de moi également. Je ne pense pas trop à la femme moderne mais je pense en revanche à la figure trop vue. », précise Justine Triet.

COMPLEXITÉ HUMAINE

La figure trop vue tout autant que la figure trop peu vue. Les hommes étant souvent au centre des scénarios. « Du coup, je m’identifie plus facilement aux personnages masculins que féminins qui sont satellites et qui sont soit les épouses, soit les maitresses… Je préfère les personnages complexes qui ne sont pas réduits à femme / mère / qui travaille ou pas. », poursuit la cinéaste.

Virginie Efira acquiesce. « On ne dit pas d’un film sur un personnage central masculin que c’est un portrait d’homme. », souligne l’actrice.

Les hommes ne sont pas laissés pour compte dans le récit de Victoria. Semeurs de trouble à l’origine des ennuis de la protagoniste, ils sont aussi des éveilleurs de conscience. Ex amant, ami et amoureux transit, tous les trois culminent autour de Victoria et l’aident, directement ou non, dans son cheminement tout aussi bien vers ses échecs que ses victoires. Sans pour autant être réduits à une représentation manichéenne de la figure masculine.

Ils sont complexes. À même niveau que le personnage féminin. Mais à moindre échelle puisque c’est elle le cœur du film. « Avec le personnage de Vincent Lacoste, on voit bien les velléités de l’être humain. Car je suis convaincue que la comédie peut aussi montrer la cruauté des êtres humains. Ce n’est pas juste un personnage angélique, il y a aussi le rapport trivial à l’argent, son côté intéressé que l’on découvre. », commente Justine Triet.

Elle aime dépeindre ici des personnalités doucement borderline et jouer avec. Montrer la fragilité humaine avec simplicité. Et on apprécie de se faire embarquer dans l’aventure, même si les intrigues satellites au portrait sont loin d’être réalistes et réussies.

Le film croise les genres de la comédie, qu’elle soit dramatique, romantique ou humoristique, et on se laisse guider par cet instant de vie livré avec talent par une Virginie Efira qui s’efface de plus en plus de ce que l’on connaît de sa carrière pour habiter des personnages plus significatifs et intéressants.

Célian Ramis

Divines, les femmes du XXIe siècle ont du clitoris !

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Cinéma Gaumont Rennes
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À partir du 31 août, le grand public peut découvrir Divines, l'oeuvre résolument explosive de la réalisatrice Houda Benyamina, révélée lors de la Quinzaine des réalisateurs à Cannes.
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À partir du 31 août, le grand public peut découvrir l'oeuvre résolument explosive de la réalisatrice Houda Benyamina, révélée lors de la Quinzaine des réalisateurs à Cannes. Présente au cinéma Gaumont de Rennes le 18 juillet dernier, pour l’avant-première de Divines, son premier long-métrage, elle était accompagnée des trois actrices principales du film, Oulaya Amamra, Déborah Lukumuena et Jisca Kalvanda.

Elle a frappé fort, Houda Benyamina, au moment du festival de Cannes. Repérée lors de la Quinzaine, elle s’est vue décerner pour son premier long-métrage la Caméra d’Or. Et a été révélée au grand public grâce à son discours viscéral et sans langue de bois marquant ainsi les esprits de par sa manière d’inciter à avoir du clito.

« Bientôt, j’en suis sûre, cette phrase (« T’as du clito », citation du film, ndlr) sera connue à l’international ! », glisse-t-elle, de passage à Rennes. Elle croit au pouvoir des petites choses qui font bouger les grandes. Si les petites filles ont conscience dès le plus jeune âge que le monde n’est pas qu’une affaire de couilles mais aussi de clitoris, la société évoluera différemment.

LA REVENDICATION D’UN FILM HUMANISTE

Elle croit en la responsabilité collective et la responsabilité individuelle, la prise de conscience. Éprise de liberté, elle joue des codes aussi bien cinématographiques que sexués. Elle ne croit pas qu’en le féminisme, mais globalement en l’humanisme.

Et c’est un film humaniste qu’elle revendique aujourd’hui. Ni un film de femmes, ni un film de banlieue, elle le présente comme un constat. « Ce n’est pas énième film de banlieue. Et même si ça l’était… Ça ne dérange personne quand un réalisateur fait un énième film parisien ! Divines est nouveau dans son ADN. Je suis une femme et je parle de ce que je connais. Et de là où je viens, les femmes sont comme ça. », lâche-t-elle d’entrée de jeu.

Houda Benyamina présente sa réalité et ses fascinations. « Française de confession musulmane, d’origine marocaine, virée du bahut qui s’est orientée vers un CAP coiffure avant de reprendre des études en arts du spectacle, d’intégrer l’ERAC (école de formation au métiers d’acteurs, ndlr) à Cannes », elle est multiple et marche loin des sentiers battus et des images stéréotypées que l’on voudrait lui coller.  

Elle parsème des bouts d’elle-même, et de son co-scénariste, dans l’ensemble de son film, bâti sur plusieurs années de galère, et ses traits de caractère dans tous les personnages. Entrecroise du Vivaldi à des chants coraniques, de la danse à du trafic de drogues. Un mélange loin d’être antinomique.

Pour la réalisatrice, « l’art incarne une forme de sacré. Vivaldi souligne la confiance et le Coran nous guide vers le chemin de la rectitude. Ce n’est pas un film sur la religion mais il y a le côté spiritualité dans le sens de la recherche de l’intime. Dans la danse, on voit aussi une sorte de prière, il répète tout le temps le même mouvement comme s’il cherchait à se dépasser jusqu’à la perfection. Alors que Dounia, elle, est en combat contre elle-même, elle est déchirée entre toutes ces aspirations, son besoin de reconnaissance. Je m’intéresse beaucoup à la dignité. »

La dignité, la reconnaissance, Dounia (Oulaya Amamra) court après. Sans relâche. Surnommée « la bâtarde », elle vit avec sa mère dans un camp roms bordant l’autoroute. Avec son acolyte Maimouna (Déborah Lukumuena), qui elle réside dans une cité voisine, elles rêvent d’argent, elles rêvent de la grande vie. Et Dounia ne va pas hésiter à se lancer dans un trafic de drogues en rencontrant Rebecca (Jisca Kalvanda), dealeuse charismatique et respectée. En parallèle, la jeune femme s’émerveille secrètement devant Djigui, danseur passionné et perfectionniste.

Pour le rôle de Dounia, Oulaya Amamra va se battre pour convaincre Houda Benyamina, sa grande sœur. « Sur le plateau, elle était très dure avec nous mais encore plus avec elle-même. », souligne la jeune actrice, rejointe par Déborah Lukumuena :

« Elle nous a aidé à nous surpasser et nous a appris l’ambition pour nous-mêmes. »

COLLER À LA RÉALITÉ

Les interprètes, la réalisatrice les a choisies pour les émotions qu’elles dégagent et pour ce dont elles sont capables humainement : « Ce sont de vraies comédiennes, je n’ai pas pris des filles de cité transformées en actrices. Il n’y a que Djigui qui est danseur professionnel et qui a dû apprendre à jouer en même temps. » Les personnages doivent être représentatifs d’eux-mêmes et gommer les frontières des assignations genrées attribuées à chaque sexe.

« Dounia est une ado plutôt dure, renfermée, qui a besoin de reconnaissance et de dignité. Rebecca recherche la reconnaissance et l’argent. Maimouna incarne l’amour absolu, c’est un personnage sacré. Rien là-dedans n’est l’apanage de l’homme. Djigui est gracieux et la grâce n’est pas un attribut féminin. Mes personnages sont des guerrières. Il n’y a pas de masculinité, je ne sais pas ce que ça veut dire. Et je pense qu’il faut redéfinir la femme du XXIe siècle. Redéfinir la féminité. », explique Houda Benyamina.

Redéfinir la féminité. Ouvrir les yeux. Pour voir que les femmes fortes sont partout. Et pouvoir ainsi proposer de justes représentations des êtres humains. Ne plus être obligée de justifier les caractères de ses personnages parce qu’ils sont hommes ou femmes.

« Pour jouer Dounia, j’ai dû opérer une transformation physique. J’étais plutôt délicate à la base…, rigole Oulaya Amamra. Je viens d’un lycée privé, je viens de la banlieue mais mes parents ont toujours évité que je traine dans la rue. C’était donc nouveau pour moi, c’était un vrai travail de composition, entre les films que Houda nous a conseillé de regarder –films de samouraïs, de gangster, Scarface ou Aliens même – et le terrain car je suis allée dormir dans un camp de roms avec Houda. Et tout ça a nourri les personnages, tout ça a fait qu’on est dans une vérité. Mais nous sommes des personnages de cinéma, même s’ils peuvent être proches de la vraie vie. »

Proches de la vraie vie car Rebecca existe réellement et la réalisatrice a souhaité la représenter à sa manière dans son long-métrage. Proches de la vraie vie car Oulaya Amamra et Déborah Lukumuena ont dû passer beaucoup de temps ensemble pour faire naitre la complicité entre les deux amies qui se portent un amour amical inconditionnel. Proches de la vraie vie car les thèmes traités sont ceux d’un quotidien universel. De ceux qui percent l’abcès sans tabous ni complexes. Pour une recherche de réelle liberté.

LE PRIX DE LA LIBERTÉ

Divines, c’est une histoire de quête. Dounia cherche à s’extirper de sa condition sociale, à travers la reconnaissance et l’argent. Poussée par cette vie vécue dans la pauvreté, elle refuse de se résoudre à rester dans cette strate.

« Elle ne peut pas ne pas s’en sortir. Mais elle doit perdre quelque chose pour comprendre, pour sa quête intérieure. Je suis convaincue que la souffrance et les erreurs permettent d’avancer. Personnellement, faut que je tombe pour comprendre. »
précise Houda Benyamina.

Ici, elle pose des questions car « le cinéma est un poseur de questions, tout en étant dans l’émotion, car le verbe, seul, peut mentir. ». Ici, elle interroge les valeurs de la jeunesse d’aujourd’hui, mise face à la dictature du capitalisme, sans en faire une critique acerbe. Simplement un constat, sans juger que l’argent est un problème en soi. Ici, elle aborde le fait d’aimer et d’être aimé-e. Ce que n’a jamais appris Dounia et qu’elle découvre.

Et aborde également la question du libre arbitre, de la responsabilité de nos actes, de la colère. La colère profonde, néfaste, dangereuse. Qui vient des entrailles et bouffe tout le reste autour.

La réalisatrice l’affirme, la colère est un sentiment mauvais et convoque Pythagore pour le confirmer : « ‘’Aucun Homme n’est libre s’il ne sait pas se contrôler’’. Dounia ne sait pas maitriser ses émotions. Comme tout le monde, elle a besoin d’apprendre de ses erreurs. On perd et on gagne. Pour moi, ça doit passer dans le corps, dans l’action. Moi, ma colère est dans mon art.»

L’heure de la révolte devrait sonner dans son prochain opus, qu’elle évoque à demi-mots lors de son passage dans la capitale bretonne.

« Lors de la Révolution française, les armes ont été prises par les pauvres. Je suis fière d’être française car on ne supporte pas l’état d’humiliation. Comment on transforme la colère en révolte ? Ce sera certainement le sujet du prochain film. Comme Pasolini, je n’invente rien, je suis simplement témoin de mon époque. Dounia est en colère, pas encore en révolte, elle n’a pas encore le verbe. La colère et l’humiliation vont nous mener à notre perte. Je n’ai pas l’impression que l’on avance à notre époque. Au contraire, on régresse. La misère est grandissante. C’est une question de responsabilité collective et individuelle. »

Son action à elle, au-delà du constat réaliste délivré dans son premier long-métrage aussi puissant que lyrique, passe par la création et la pérennité de l’association 1000 visages, fondée en 2006 avec son ami Eiji Ieno à Paris. Une structure qui permet l’accessibilité à la culture et à l’éducation à l’image pour un public qui en est éloigné.

Pénétrant dans les quartiers défavorisés, 1000 visages souhaite insuffler une nouvelle dynamique dans le secteur culturel et audiovisuel et ainsi témoigner de la réelle diversité qui nourrit la richesse de la France, pour une plus juste représentation de la société devant ou derrière la caméra.

« Pour construire une estime de moi-même, j’ai eu quelqu’un sur mon chemin pour ça. C’est pour ça que l’association 1000 visages est importante pour moi. », précise Houda Benyamina. Pas étonnant que les 3 actrices principales en soient membres et manifestent la volonté de s’investir pleinement dans cette dynamique. C’est de là qu’elles puisent leurs réseaux, formations et agents.

Un tremplin pour la suite puisque Oulaya Amamra est admise au Conservatoire. De leur côté, Jisca Kalvanda (que l’on pourra découvrir et apprécier dans le court-métrage de la réalisatrice rennaise Lauriane Lagarde, A l’horizon, lire YEGG#49 – Juillet/Août 2016, rubrique Culture) et Déborah Lukumuena intègrent des formations au Théâtre de la Colline à Paris ainsi qu’au Théâtre National de Strasbourg.

Célian Ramis

Lucy Mazel, l'histoire des femmes dans l'Histoire

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Librairie Critic, Rennes
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Illustratrice et auteure de BD, elle est la dessinatrice du 1er tome de Communardes !. L'histoire des femmes qui se sont battues pour la défense de Paris et l'amélioration de leurs conditions.
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Illustratrice et auteure de bande-dessinée freelance, elle est la dessinatrice du premier tome de Communardes !, triptyque imaginé et scénarisé par Wilfried Lupano, paru en septembre 2015 et février 2016 aux éditions Vents d’Ouest (Glénat). Le 24 juin, Lucy Mazel était de passage à Rennes, à la librairie Critic, pour une séance de dédicaces.

Vendredi dernier, les trois dessinateurs de Communardes ! – Lucy Mazel, Anthony Jean et Xavier Fourquemin – étaient réunis à la librairie Critic pour dédicacer les albums Les éléphants rouges (septembre 2015), L’aristocrate fantôme (septembre 2015) et Nous ne dirons rien de leurs femelles (février 2016).

Dans le dossier de presse, l’auteur explique : « Chaque album forme une histoire indépendante et autonome dans laquelle on suit une femme qui a participé à la Commune de Paris. Chacune incarne un moment très spécifique des événements mais aussi un type de femme qui y a participé. Car ce qui fait la particularité de ces communardes, c’est qu’elles venaient de toute origine sociale : il y avait aussi bien des bourgeoises que des ouvrières ou des prostituées… C’était vraiment un mouvement « vertical ». »

Le premier album plante le décor. À l’hiver 1870, Paris est assiégée par l’armée prussienne de Bismarck et subit le froid et la famine. Victorine a 11 ans. Fille d’une couturière engagée dans le mouvement des femmes qui veulent s’impliquer dans la défense de la ville, elle passe une partie de son temps à s’occuper de Castor et Pollux, les deux éléphants du Jardin des plantes. Et va imaginer un plan pour libérer Paris, grâce aux deux pachydermes.

Lucy Mazel ne connaissait que très peu cette période, méconnue et ignorée de l’enseignement scolaire. Mais elle a été séduite instantanément par le projet. « Cette histoire me plaisait, c’est une belle histoire. Dure mais belle. C’était super intéressant en tant que dessinatrice, je ne connaissais pas bien cette période, elle n’est pas enseignée et pourtant elle est charnière pour Paris. Parler du contemporain, ça ne m’intéresse pas trop, je connais, je le vis au quotidien. Mais le passé, ça me plait ! », explique-t-elle.

Et ce qui l’intéresse par dessus tout, c’est d’aborder les histoires humaines liées à la grande Histoire. Dans Les éléphants rouges, si Victorine est le personnage central, lectrices et lecteurs sont invité-e-s à suivre le quotidien des femmes issues de milieux populaires qui cherchent du travail, veulent aller au front, et celles qui se divisent prises par les conditions de leur époque et de leur statut.

Pour le contexte historique, la dessinatrice se nourrit de la documentation que lui transmet Wilfried Lupano, entre peintures et livres. Et regarde également des documentaires sur la période de 1870 à 1900 (même si la Commune ne durera que 3 mois) pour s’imprégner de l’univers global.

« On se demande à quoi ressemblait Paris de l’extérieur et de l’intérieur ! Ce qui est bien avec la BD, c’est que ce n’est pas un cours d’histoire. On respecte l’époque mais on peut la fantasmer et prendre quelques libertés. Comme on a fait avec les éléphants. On a dessiné des éléphants d’Afrique à la place des éléphants d’Inde. C’était plus imposant. Vous imaginez la couverture de l’album avec un éléphant aux petites oreilles ?! Ça aurait été moins impressionnant. », s’enthousiasme Lucy Mazel.

Elle n’hésite pas à parler d’un engagement militant en tant que dessinatrice et auteur de se lancer dans une bande-dessinée réhabilitant une époque oubliée - aussi courte soit-elle, elle marquera l’histoire des révolutions socialistes – à travers les points de vue de femmes. Des personnages peu mis en lumière en général, encore moins dans l’Histoire. Et là dessus, la série se base et insiste, prenant un surtitre fort : « La révolution n’est pas qu’une affaire d’hommes ».

Communardes ! aborde avec réalisme les conditions de vie des femmes à l’époque, la question de l’égalité salariale, « qui n’a pas beaucoup bougé en 2016 », mais aussi le poids de la religion, le rôle des femmes au sein de la famille, et soutient des faits et personnages réels.

Dans L’aristocrate fantôme, c’est Elisabeth Dmitrieff que l’on suit. Une jeune aristocrate russe envoyée à Paris par Karl Marx et bien décidée à prendre les armes, au grand désarroi de Louise Michel. Elisabeth deviendra rapidement la présidente du premier mouvement officiellement féministe d’Europe : l’Union des femmes pour la défense de Paris et l’aide aux blessés.

Le troisième opus, Nous ne dirons rien de leurs femelles, vient clôturer cet épisode sanglant par une histoire quasiment banale : celle des classes sociales avec Marie, une servante, et Eugénie, une bourgeoise enceinte d’un libraire et envoyée dans un couvent pour masquer le déshonneur d’un tel événement.

« Ça nous amène à nous poser des questions. On pense que les femmes ne sont intervenues qu’à partir de la Seconde guerre mondiale mais non, lors de la Commune, elles étaient au front alors qu’on ne les considère même pas comme des êtres humains. Je trouve que ça éveille la conscience sur ce qui s’est passé. (…) Ça ouvre forcément des horizons. », souligne la dessinatrice du premier album.

Tous les quatre ont su saisir la tension d’une époque et d’une société. Et parce que l’Histoire ne doit pas s’écrire uniquement au masculin, comme tel est souvent le cas dans les manuels scolaires et les livres d’histoire mais aussi la littérature, la série s’attache à faire vivre les femmes en tant qu’actrices de leur existence et non spectatrices passives, tout en imaginant, fantasmant et romançant des personnages.

C’est ça qui plait à Lucy Mazel qui se défend de mettre un sexe sur la bande-dessinée dans son ensemble. Pouvoir raconter des histoires humaines avant tout. Elle aime se saisir d’une époque historique pour parler des gens : « Ce n’est pas parce qu’on est une femme que l’on veut faire des albums pour enfants ou faire des albums sur des bottes. Moi ça ne m’intéresse pas du tout. Dans la BD, il y a de tout et je ne veux pas faire partie de cases. »

Actuellement, elle travaille à sa prochaine bande-dessinée, Edelweiss, en collaboration avec le scénariste Cédric Mayen (à paraître en 2017). L’histoire d’un couple hétérosexuel qui évolue à l’époque des Trente Glorieuses (1946 – 1975). Olympe travaille, est indépendante, rencontre Simone de Beauvoir et « vit sa vie comme un humain quoi… mais bon imaginez on est dans les années 50/60 ! »

Elle rêve de gravir le mont Blanc, à l’instar de son aïeule Henriette d’Angeville, deuxième femme à avoir gravi le mont Blanc en 1838 (surnommée « Mademoiselle d’Angeville, la fiancée du mont Blanc »). Mais un accident survient et Olympe est devient tétraplégique. Son mari, Edmond, la portera sur son dos afin de réaliser son rêve.

Pour Lucy Mazel, le féminisme et le handicap, deux thèmes encore confidentiels, s’inscrivent en filigrane de l’histoire de ce couple. Mais n’en sont pas les thèmes principaux. Néanmoins, leur présence a une importance particulière. Dans le réalisme du scénario, l’écho à une période en pleine mutation sociale et la résonnance à des sujets encore actuels.

Consciente du chemin qu’il reste à parcourir pour acquérir l’égalité entre les femmes et les hommes, elle n’hésite pas à prendre sa place, dans un milieu encore très masculin, et à se montrer vigilante quant à l’évolution des mentalités.

« On a des mains, des jambes, un cerveau comme les hommes… Et je ne crois qu’on soit forcément plus sensibles qu’eux. De toute manière, homme ou femme, si l’histoire de la BD n’est pas bonne, elle n’est pas bonne. (…) Après il y a toujours des réflexions, comme dans tous les milieux, mais ce n’est pas tout le monde. En tout cas, je ne me suis jamais sentie à part. Néanmoins, c’est un chemin très long. Je ne suis pas naïve, j’essaie simplement de ne pas voir que le négatif. », conclut l’illustratrice.

Célian Ramis

Marine Baousson, force vive de l'humour

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Bacchus, Rennes
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Jusqu’au 2 juillet, l’humoriste Marine Baousson foule la scène du Bacchus avec son one-woman-show dans lequel la synergie résulte de l’énergie, la présence et la bonne humeur qu’elle diffuse.
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Depuis le 14 juin et jusqu’au  2 juillet, l’humoriste Marine Baousson foule la scène du café-théâtre de Rennes, Le Bacchus. Elle y présente un one-woman-show dans lequel la synergie résulte de l’énergie, la présence et la bonne humeur qu’elle diffuse.

C’est un peu un retour à la maison pour Marine Baousson. Un retour au Bacchus, là où elle a déjà été programmée quelques années auparavant, mais aussi un retour à Rennes. Là où elle a fait le Conservatoire et ses études en arts du spectacle à Rennes 2. Costarmoricaine d’origine, de Ploufragan précisément, elle vit désormais à Paris et évolue dans la catégorie des jeunes humoristes.

Un métier qu’elle découvre vers 13 ou 14 ans, avant de s’orienter vers une carrière de comédienne. Puis de choisir à nouveau l’humour. « Ça prend du temps entre le moment où j’y pense et le moment où je décide de le faire. Il y a eu déjà au moins une année à Rennes durant laquelle je me posais des questions. Ensuite, il y a 2 ou 3 ans où je ne pratiquais pas, je faisais l’école de café théâtre Le Bout à Paris. Ça prend vraiment du temps. », explique Marine Baousson.

OBSERVATION ET RENCONTRES

La jeune trentenaire paraît aussi solide sur scène qu’en coulisses. Les pieds sur terre et la tête sur les épaules. Un atout qui lui permet d’appréhender la réalité d’un terrain précaire et de ne pas foncer tête baissée sans en mesurer les conséquences. Parée de patience et d’un grand sens de l’observation, elle apprend à analyser les situations et à mettre un pied dans le milieu à travers de nombreuses rencontres.

Notamment celle d’un réseau de slammeurs qu’elle découvre avec sa meilleure amie, Luciole, en s’installant à Paris. Elle y rencontre alors Candiie, révélée par la deuxième saison du Jamel Comedy Club, qui la mène à l’humoriste Shirley Souagnon dont elle fera la mise en scène du spectacle « Sketch-up » entre 2007 et 2010. « C’est à ce moment-là que j’ai commencé à écrire pour moi. », précise-t-elle.

De cette période à aujourd’hui sur la scène du Bacchus, Marine Baousson n’a pas cessé de travailler à l’amélioration de son spectacle et au perfectionnement de son rôle :

« Je considère que dans ce métier, on n’a jamais fini d’apprendre. Tout est remis en question à chaque minute. Le rire ne marche pas à tous les coups. Maintenant, je suis rodée, je sais ce qui fonctionne mais il faut faire évoluer le spectacle en permanence. »

ALLER PLUS LOIN

Elle parle de confort et de paliers. Depuis qu’elle présente son seule en scène – 2012 – elle s’adapte, se renouvelle, écrit de nouveaux sketchs, teste dans les salles de nouvelles choses comme c’est le cas actuellement à Rennes, coupe, gagne en précision et en efficacité. Pour elle, la période de tranquillité intérieure, celle où l’on se délecte de ce que l’on produit de bien, de satisfaisant, ne dure jamais longtemps.

« Quand c’est bien, il y a un petit temps où on se le dit. Mais on réalise que ce n’était que la première marche de l’escalier. On sort alors de la zone de confort, on veut aller plus loin. Le spectacle s’uniformise, puis il y a un nouveau décalage parce qu’on franchit un autre palier, on trouve de quoi changer un moment d’un sketch et on doit alors tout remettre à niveau. », analyse l’humoriste.

Depuis trois ans qu’elle effectue les premières parties de la tournée de Bérangère Krief, elle s’est enrichie d’une expérience unique. Celle d’assister à chaque représentation, observant ainsi l’humoriste révélée par la série Bref travailler, « grandir, créer, ajouter, modifier ». Mais également d’être épaulée par cette dernière dans l’apprentissage de la profession, l’écriture de son spectacle et l’appréhension des différentes salles qu’elles parcourent ensemble.

Et de ces avancées, Marine Baousson s’en nourrit. Elle ose. Si elle doute, sur scène rien ne transparait. Au contraire, elle démontre une présence et une énergie vives qui captent instantanément son auditoire. Et dès les premières minutes de son spectacle, le premier rang se montre au taquet. « Je le savais, je les avais entendu avant de venir sur scène. Je savais qu’il faudrait que je les cadre dès le début tout en leur laissant une liberté de s’exprimer, qu’ils ne se sentent pas frustrés mais qu’ils comprennent aussi que c’est mon spectacle. »

DES THÈMES UNIVERSELS

Elle improvise, mêlant maitrise des ressorts du métier et naturel sympathique. Elle ne la joue pas snippeuse, elle se donne le temps d’être « déstabilisée » par les remarques, d’en rigoler puis de jouer avec les réflexions du public dans un ping-pong rythmé, sans devenir vertigineux. Un équilibre plaisant et amusant qui donne un spectacle unique.

Pour construire son one-woman-show, sa démarche est logique : mettre à plat qui elle est et d’où elle vient. « Je me suis demandée ce qui me faisait rire, partant du principe que si ça me touche, ça peut toucher les autres. », précise-t-elle. Son arrivée à Paris, la province – la Bretagne -, le métro… Les classiques. Mais Marine Baousson accroche son audience par ce qui lui semble évident : son poids.

Elle ne sera jamais une James Bond girl. Son physique se rapprochant davantage de celui d’Adèle, chanteuse du générique de Skyfall. En quelques phrases sur ses rondeurs, elle décomplexe le public : « Je pourrais me moquer du monde mais avant ça je suis convaincue qu’il faut déjà être capable d’avoir du recul sur soi. Effectivement, je suis ronde, je le dis histoire de dire au public « oui on voit la même chose et on est d’accord », on peut faire des blagues à ce sujet puis rire ensemble sur d’autres choses. »

L’humoriste est claire, affirmer qu’elle est grosse ne signifie pas qu’elle s’en revendique la porte-parole. Elle souhaite dédramatiser le fait d’être gros-se, déclare avoir fait un régime, s’accepter telle qu’elle est tout en mentionnant les effets négatifs, ne pas en prôner de la fierté – a contrario de sa passion pour les Spice Girls – et casser certains clichés, comme le fait d’être sportive et très active.

C’est certain, elle ne s’économise pas. Sur la scène, elle rigole de ses parents qui baisent plus qu’elle, raconte les chamailleries de frères et sœurs, se moque des comédies romantiques américaines, s’émeut des anecdotes de tatouage, rend hommage aux humoristes qu’elle apprécie et se remémore les épisodes de Léo et Popi. Et l’ensemble fonctionne.

Mais la gagnante du Montreux Comedy festival (2012) et du prix Humour de la SACD (Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques, 2013) continue son cheminement. Aidée par les conseils de professionnel-le-s qui l’invitent à trouver sa signature. Notamment Verino qui lui conseille de « ne pas chercher à faire des blagues mais à avoir un propos ». C’est dans cette direction qu’elle s’embarque actuellement, exigeant également une nouvelle manière d’écrire.

DO IT YOURSELF, PASSAGE OBLIGATOIRE ?

Après ses représentations rennaises, Marine Baousson affrontera son 4e festival d’Avignon tout au long du mois de juillet et avoue son angoisse en amont. L’investissement financier y est important pour les artistes. « Il y a de nombreux spectacles par jour et il faut vendre son spectacle, auto-produit, malgré le stress et la fatigue. Préparer Avignon implique beaucoup de questions autres que la partie artistique. Combien je mets d’affiches ? Quel grammage ? Où je les mets ? », se questionne-t-elle.

Lors d’un festival en Avignon, l’humoriste avait d’ailleurs illustré ce propos par une vidéo de Nicole Ferroni, réalisant elle-même la communication, la billetterie, le placement des spectatrices et spectateurs… « Elle fait tout toute seule, en plus de ses chroniques radio, télé. C’est une personne que j’admire beaucoup ! », souligne Marine Baousson qui mine de rien en fait de même.

En plus de l’émission Le grand Bazhart qu’elle co-anime sur France 3 Bretagne et les chaines locales de la région (dont TVR 35), la tournée de Bérangère Krief et sa propre tournée, ainsi que ses dates de représentation à Paris, les plateaux humour qu’elle présente sur le site de Madmoizelle et ses chroniques pour le magazine Sensuelle.

Célian Ramis

E-sport : Mixité aux manettes ?

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Les jeux vidéo seraient-ils réservés aux hommes ou à une certaine catégorie de personnes ? Assurément, non. Et pourtant, les femmes sont encore une minorité. L'e-sport serait une ouverture vers une mixité plus égalitaire.
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A l'occasion de la 12e édition du Stunfest, festival vidéo-ludique qui se tient du 20 au 22 mai prochain à Rennes, YEGG s'est intéressé à la partie la plus médiatisée du jeu vidéo, l'e-sport. Petit à petit, cette jeune discipline, hybride de domaines majoritairement masculins, les jeux vidéo et le sport, évolue. Les femmes s'y intéressent de plus en plus, grâce à l'aspect ludique.

Dans la capitale bretonne, le Stunfest et l'unique bar e-sport, le WarpZone, tiennent ce rôle de lien social. Quelques freins subsistent néanmoins : l'éducation genrée et le manque de représentation. Selene Tonon, vice-présidente du Centre gay lesbien bi et trans (CGLBT) de la ville, est pourtant confiante. Dans les décennies à venir, l'univers du gaming se diversifiera. Être homme, femme, cisgenre, transgenre, hétérosexuel ou homosexuel ne seront plus des données à prendre en compte, à terme.

Les joueuses se sont faites une place dans le domaine de l’e-sport, appelé en français « sport électronique ». Mais dans ces compétitions de jeux vidéo multi-joueurs où les codes restent largement masculins, elles sont souvent mises sur le devant de la scène pour l'unique raison d'être femmes. Lassées, toutes celles que nous avons rencontrées sont claires : l'e-sport est un milieu convivial, qui les ont accueillies à bras ouverts.

Comme tous les mardis, Elodie Cagnat et Elsa Delanoue se retrouvent au bar rennais le WarpZone, situé 92 mail François Mitterrand, à l'angle de la rue Louis Guilloux. Ce 15 mars, vers 20 heures, les jeunes femmes de 23 et 28 ans discutent au comptoir avec Nicos, l'un des serveurs. Après avoir bu un premier verre, elles commandent à manger. Elodie a invité deux de ses amies pour leur faire découvrir l'endroit.

Car le WarpZone a la particularité d'être le premier bar rennais « e-sport », ouvert depuis janvier 2015. L'intérieur a été conçu uniquement pour les jeux vidéo, seul ou à plusieurs : sept ordinateurs et deux bornes d'arcade dans la salle principale, vingt consoles dans la pièce au sous-sol.

Ce soir-là, tous les postes d'ordinateur sont occupés par des joueurs. Un tournoi d'Hearthstone, un jeu de cartes en ligne issu de l'univers médiéval-fantastique de Warcraft, a commencé une heure auparavant. Elsa et Elodie, elles, descendent dans l'endroit consacré au « retrogaming ». Tout ce qui y est proposé date d'au moins 20 ans. Elles s'installent au fond et allument la console pour une partie de Mario Kart. Depuis l'ouverture du lieu, ces deux amies, qui se sont rencontrées dans la même entreprise, font partie des habituées de la clientèle du bar.

« La première fois que nous sommes venues il y a un an, tout le monde était installé sur les PCs et il n'y avait que des hommes », se souvient Elsa. Pas de quoi les dissuader pour autant. Elles se lancent à l'époque dans une partie de Just Dance et un membre de l'équipe WarpZone les rejoint. « On s'est directement senties à l'aise, normales », rajoute Elodie, presque pour se justifier. Avant de franchir le pas de la porte, les deux jeunes femmes avaient des préjugés sur les personnes qu'elles allaient y croiser.

Des hommes, forcément, les yeux rivés sur leur écran, qui n'allaient pas leur adresser un mot. La réalité est bien différente. Grâce à ces évènements organisés tous les soirs, comme des tournois de jeux vidéo ou des soirées à thème, le WarpZone s'adresse à un large public.

« De plus en plus de filles viennent au bar, l'ambiance fait changer la donne. Le WarpZone veut casser cette image de gros geeks, se félicite Nicos, l'un des quatre co-fondateurs. On démocratise le jeu vidéo. »

Et ce n'est ni Elsa ni Elodie qui diront le contraire. Ces dernières qui assumaient mal le fait d'être des gameuses, ont trouvé un endroit où elles pouvaient à la fois se retrouver, s'amuser et en discuter. « Je n'ai jamais été dans un groupe qui jouait, alors être deux, ça change tout », confirme Elodie.

CONQUIS PAR LES HOMMES

C'est un fait : l'e-sport, traduit par « sport électronique » en français, a d'abord été conquis par les hommes. Ces compétitions de jeux vidéo multijoueurs ont à peine une vingtaine d’années. Le tout premier tournoi, considéré comme celui qui a lancé la discipline, date de 1997. S'y jouait Quake, un jeu de tir, à l'Electronics Entertainment Expo (E3) aux Etats-Unis.

À ses origines, seul les férus d'informatique s'y intéressaient, c'est-à-dire une poignée de personnes qui maîtrisaient les compétences techniques et avaient les moyens de se payer une connexion Internet. À l'aide de câbles, leurs ordinateurs étaient connectés entre eux et une Lan, « local area network », était créée.

En France, la dynamique se situait principalement dans le vivier estudiantin parisien et en Bretagne, région dans laquelle les télécommunications ont toujours été fortement implantées. Sorte d'hybride, l'univers rassemble désormais à la fois les milieux du jeu vidéo et de l'informatique. Le profil de celles et ceux qui pratiquent l'e-sport ressemble à celui d'autres sportifs. Puisque l'e-sport s'est très fortement inspiré des autres pratiques compétitives : chaque équipe comprend cinq membres, un coach et parfois des sponsors.

La combinaison de ces deux univers principalement masculins, le sport et l'informatique, n'a pas encouragé les femmes à se sentir concernées. Pourtant, Philippe Mora, sociologue de l'e-sport au laboratoire d'anthropologie et de sociologie (LAS) de l'université Rennes 2, tient à le préciser : « Il y en avait peu mais elles étaient déjà présentes. » Difficile cependant de dire précisément combien. Lors de ses recherches sociologiques commencées en 2002, il a estimé le pourcentage à 2,2% : « Cela correspondait à ce que je voyais sur le terrain. » Et l'évolution depuis n'a pas été flagrante.

En parallèle, les ligues d'e-sport, notamment féminines, sont de plus en plus visibles. L'année dernière, fin octobre, un tournoi féminin League of Legends, le jeu e-sport le plus mondialement joué, a été organisé pour la première fois dans le pays, à la Paris Games Week, par l'Esports World Convention, la compétition mondiale du sport électronique.

Acte symbolique pour un événement d'envergure internationale qui donne un coup de projecteur aux femmes derrière les manettes. Puisque, dans ce jeu, elles sont loin d'atteindre la majorité. En 2012, selon son développeur Riot Games, sur 100 joueurs, moins de 10 personnes étaient des femmes.

Aurore, dite « Vaelstraz », âgée de 23 ans, est allée à Paris pour l'évènement. Et déception lorsqu'elle a voulu regarder le tournoi. « C'était dans un petit coin du salon. Il n'y avait pas d'écrans géants comme pour les hommes et nulle part où s'asseoir », regrette l'étudiante en agro-alimentaire, membre de l'équipe « We are victorious ! » sur League of Legends, auquel elle s'entraîne deux fois par semaine avec ses coéquipiers masculins.

Fortement médiatisées et peu considérées ? Les femmes restent l'appât des organisateurs dans le but de se faire de la « visibilité gratuite », considère Arnaud Rogerie, tête pensante du site In e-sport we trust, qui écrit actuellement un ouvrage avec Philippe Mora sur l'e-sport en France depuis ses débuts.

« C'est un peu de l'opportunisme. Malheureusement, c'est ce qui se passe depuis longtemps avec le marketing. Les filles, c'est plus vendeur », estime-t-il. Les médias s'y intéressent plus facilement. Les sponsors également.

ÉDUCATION STÉRÉOTYPÉE

À cause de cette mise en avant, pour certain-e-s, être une fille leur semble être clairement un avantage dans l'e-sport. Cette remarque revient souvent dans les critiques adressées aux joueuses. Marion, alias « Michi », 27 ans, l'a vécu lorsqu'elle a joué pendant un an et demi dans une team féminine League of Legends sponsorisée par la structure Imaginary Gaming. D'après elle, c'est l'insulte facile, celle qui ne nécessite aucune réflexion argumentée :

« Ils peuvent dire quoi sinon ? Il y a énormément de jalousie autant de la part de garçons que de filles puisque tu as des aides financières pour les évènements, le matériel. Et on était une équipe qui tenait la route ! »

Être sponsorisée est une chance, d'après elle, et qu'importe si c'est lié au genre : « Il faut profiter de son aventure. Je me débrouille comme je peux. » Le sociologue Philippe Mora y voit également une opportunité à saisir pour les gameuses d'enfin pouvoir sortir de l'ombre : « Il y a plein de joueuses qu'on ne verra jamais, elles vont se fondre dans la masse et ne pas chercher à se montrer alors qu'il y a tellement de potentialité et de sponsoring pour elles ».

Or faut-il faire des femmes une exception ? A priori, les joueuses devraient être des joueurs comme les autres. S'il existe un domaine où les femmes n'ont pas à se préoccuper de leurs capacités physiques, c'est bel et bien dans les jeux vidéo. Rien ne nécessite une force particulière pour appuyer sur des manettes ou des claviers. L'association parisienne Pink Ward, qui promeut la mixité dans les jeux vidéo depuis 2012, défend cette idée semblant aller de soi.

Et pourtant, certaines réactions sont loin d'être bienveillantes. « Quand tu es une fille dans une équipe de mecs, tu dois démontrer que tu sais mieux faire. Psychologiquement, je sais personnellement que c'est difficile », atteste Julie Gaascht, dont le pseudo est « Nama », gameuse et nouvelle présidente de l'association depuis six mois.

À bien y regarder, une seule différence sépare les hommes des femmes. Elle se joue au niveau de l'éducation. Aucune ne semble autant investie que leurs homologues masculins. Et ce problème remonte à l'enfance où les stéréotypes de genre sont déterminants.

Dans l'inconscient, la fille doit être calme et jolie. Si elle s'intéresse aux jeux vidéo, c'est aux Sims, pour s'occuper du foyer, dans l'optique de créer une famille. Les garçons, eux, seront orientés vers les jeux de combat. Les conséquences se retrouvent à l'adolescence où elles auront moins l'esprit de compétition et seront moins persévérantes.

PROMOUVOIR OU EFFACER SON GENRE

Les gameuses partent avec un double handicap puisqu'elles découvrent ce loisir sur le tard. « Je me suis mise à League of Legends en 2013, trois ans après sa sortie. C'est mon ex qui m'a fait connaître ce jeu », explique Floriane, 21 ans, qui a commencé à s'y intéresser car son copain se passionnait pour World of Warcraft et cela « l'agaçait ».

À force d'y jouer, l’étudiante en sociologie et en administration économique et sociale (AES) à l’université Rennes 2 est rapidement devenue « accro » à son tour.

Ces nombreuses années d'entraînement à rattraper peuvent expliquer le moins bon niveau des joueuses par rapport aux hommes. Pour cette raison, elles ne finissent pas dans les championnats de haut niveau. Or, les compétitions sont de base ouvertes à tou-te-s. Mais dans les faits, le nombre de femmes se compte sur les doigts d'une main. Julie de Pink Ward réplique que pour « 100 garçons très bons, il y a seulement 10 filles et les garçons vont forcément être meilleurs ».

Les joueuses vont passer à la trappe et donc rester aux niveaux intermédiaires. Alors, comment faire ? L'association Pink Ward se montre favorable aux tournois féminins afin de briser ce cercle vicieux :

« Cela permet aux filles de sortir de leur coquille, de se montrer et d'évoluer ensemble. »

Un coup de pouce pour atteindre un niveau égal aux hommes et les rejoindre ensuite sur les tournois.

Cependant, toutes les joueuses rencontrées ne souhaitent surtout pas faire de leur genre une carte de visite. Elles préfèrent se fondre dans la masse, ou même refusent de se définir comme une femme qui joue. Contactée par YEGG, Julie Sérisé, présidente de l'InsaLan, événement d'e-sport qui a accueilli sur le campus de Beaulieu plus de 400 joueurs lors de sa 11e édition en février dernier, a refusé de nous rencontrer pour cette raison.

Dans un mail, elle nous explique pourquoi. « J'aimerais que l'on me voie au-delà de mon sexe, et plus comme une exception ou une minorité. Qu'on me demande d'aller représenter mon école auprès de lycéens et plus de lycéennes  parce que j'ai un parcours intéressant ou parce que j'ai un parcours associatif et pas à cause de mon sexe », écrit-elle.

Le sujet est sensible. Dans cet univers où tous les codes sont masculins par défaut, le rejet du féminin est courant. « Je n'ai pas un avis représentatif puisque je suis un garçon manqué », fait remarquer Aurore, avant le début de l'entretien. Floriane explique, elle, qu'elle n'est « pas très fille de base ».

Comprendre : dans son cercle d'amis gameurs, il n'y a aucune personne de la gent féminine. Ce processus d'intériorisation est normal, analyse la présidente de Pink Ward : « Quand on ne traîne qu'avec des garçons, on essaie de s'intégrer au groupe en ayant la même façon de se comporter qu'eux, en rabaissant tout ce qui touche aux femmes. »

Aucune ne considère avoir été mal accueillie à cause de son genre dans ces évènements. Les remarques – comme, par exemple, « Tu joues bien pour une fille ! » - et les comportements déplacés qu'elles ont parfois subis ne seraient pas du tout représentatifs des communautés dans lesquelles elles évoluent, d'après les joueuses rencontrées.

NOUVEL ENJEU, LE CÔTÉ FESTIF

Le jeu, même dans un contexte de compétition, reste une sphère conviviale où l’on retrouve des amis et on s’amuse. Marianne ne conçoit pas le jeu vidéo comme une activité solitaire, chez elle :

« On croit souvent que quand on joue, on est tout seul chez soi mais moi, c'est tout l'inverse : j'ai rencontré plein de gens grâce à cela ! »

Et son intérêt pour les jeux vidéo s’est intensifié grâce à une rencontre, lors du festival vidéo-ludique Stunfest en 2009. Elle découvre Pop'n music, un jeu d'arcade rythmique qui se joue avec des boutons. Nicolas, un bénévole de l'association rennaise organisatrice, 3 Hit Combo, lui montre pendant une heure comment y jouer.

L'atmosphère décontractée lui plaît. La jeune femme de 24 ans décide alors de devenir bénévole. Depuis, elle fait partie du conseil d'administration et passe souvent « voir les copains » aux évènements, même lorsqu'elle n'a pas forcément le temps de jouer.

Consacrée uniquement aux jeux d'arcades et aux consoles, l'association créée à Rennes en 2005 représente le virage que prend l'e-sport depuis quelques années. « La discipline a vraiment un enjeu à s'orienter vers le côté festif et culturel comme le fait 3 Hit Combo », affirme Philippe Mora.

Une fois par mois, des rencontres de sport électronique, les « Rankings battles », sont organisées à la maison de quartier La Touche. Les inscrits s'affrontent tout un après-midi dans plusieurs jeux comme Street Fighter, Soulcalibur, Tekken ou Mario Kart 8.

En soi, tout jeu qui nécessite un dépassement de soi ou classe la performance des joueurs, fait partie de l'e-sport. Un argument difficile à entendre pour les personnes qui ne voient que par les jeux sur ordinateur MOBA et FPS, dominant largement la scène e-sportive actuelle. Ce phénomène se voit pourtant à l'échelle internationale.

Super Smash Bros Melee, qui réunit tout l'univers de Nintendo de Mario Kart à Pokémon dans un seul jeu sur la console GameCube, a été rajouté en 2013 aux compétitions e-sport Evolution Championship Series (EVO). Ces jeux sont facilement accessibles et s'adressent à un public plus large, notamment les femmes. Et l'industrie de l'e-sport se développera encore plus si les jeux créés ne privilégient pas uniquement les combats à l'intrigue.

Marie Moreau, étudiante à la France Business School, l'a remarqué en réalisant une étude en 2013 pour son mémoire, « Gameuses et jeux on line, un nouveau marché ? ». Sur les 293 réponses à son questionnaire, elle a calculé que 53% des femmes interrogées aimaient la compétition mais y jouaient, pour la plupart, occasionnellement. Elles recherchent autre chose, un scénario, un univers particulier.

Dans ses recommandations finales, la jeune femme insiste sur un point auprès des développeurs de jeu : la représentation féminine des personnages. « (…) les femmes ne veulent pas leur propre jeu vidéo réservé que pour elles. Elles désirent être complètement intégrées dans l'univers du jeu vidéo existant. Pour cela il suffit d'adapter certaines règles des jeux comme des scénarios variés et bien construits ou encore la possibilité de choisir un personnage féminin qui représentera la joueuse », développe l'étudiante en commerce.

Cet aspect est essentiel. Petite, l'une des seules joueuses semi-professionnelles féminines d'e-sport en France, Kayane, s'identifiait très fortement aux personnages qu'elle choisissait lors des compétitions. Son pseudo vient d'ailleurs de la contraction de Kasumi et Ayane, ses deux figures préférées de l'époque.

Celle qui est devenue à 9 ans vice-championne du jeu de combat Dead or Alive le raconte dans son livre Kayane : parcours d'une e-combattante, paru le 7 avril dernier. L'ambassadrice d'Acer et première « athlète électronique » de Redbull retrace tout son parcours semé d'embûches dans un milieu qui a bien changé depuis 15 ans. Et pour celles qui souhaitent se lancer dans l'aventure, l'e-joueuse de 24 ans ne leur donne qu'un seul conseil : « Ne te laisse pas arrêter par les idées reçues. Fonce ! »

(1) Cette structure n'existe plus depuis juillet 2015.

(2) « MOBA » désigne les arènes de bataille en ligne multi-joueurs et « First Play Shooter », les jeux de tir à la première personne.

(3) En 2015, les jeux sur ordinateur dominaient largement la scène e-sportive : Dota 2, League of Legends, Counter-Strike, SMITE et Call Of Duty : Advanced Warfare. (Source : SuperData : Playable media & games market research, 2015-2016)

 

Joueuse et femme trans, Selene Tonon sait de quoi elle parle lorsqu'il s'agit des problématiques d'identité de genre dans les jeux vidéos. Le 21 mai, la vice-présidente du Centre gay lesbien bi et trans (CGLBT) de Rennes participera à la table-ronde « Les visages du patriarcat : les jeux font-ils mieux que les autres arts et médias ? », lors du festival vidéo-ludique Stunfest, organisé par l'association 3 Hit Combo.

YEGG : Les jeux vidéos mettent en général en avant uniquement deux genres, l'homme et la femme ainsi qu'une seule sexualité, l'hétérosexualité. Comment se positionner en tant que joueur-se LGBT face à cela ?

Selene Tonon : Il n'existe pas de recette miracle, chaque personne a sa stratégie de survie. Quand on allume un jeu vidéo, il est demandé à chaque fois le genre ou le sexe. De base, nous ne sommes ni respecté-e-s ni considéré-e-s. Une des solutions est d'en choisir un par défaut.

Si la question n'est pas posée, nous pouvons inventer une histoire qui nous arrange pour coller à son ressenti. C'est ce que j'ai fait petite quand je jouais à Final Fantasy VII, avec le personnage principal Cloud. Il se travestissait en tant que femme pour tromper l'ennemi. Je me suis raccrochée à ça. D'autres se rabattent sur Mass Effect ou Dragon Age, où l'orientation sexuelle et l'identité de genre ne sont pas un problème.

Le jeu vidéo a-t-il été un refuge pour vous ?

Oui clairement, avec les jeux de rôles. Ils ont été un palliatif pendant de nombreuses années. Je me suis créée une vie virtuelle où je pouvais être qui j'étais alors qu'au quotidien, ce n'était pas envisageable. Je me suis convaincue que puisque j'étais née avec un tel corps, cela voulait dire que j'étais un petit garçon. Au final, je me suis rendue compte que je pouvais me définir comme je voulais et l'imposer aux autres.

Dans quel sens ont évolué les problématiques LGBT ?

Le jeu vidéo gagne en maturité et donc s'empare de questions politiques. Le genre et les sexualités en font partie. Avant les années 90, personne ne se préoccupait de la transidentité ou de l'orientation sexuelle. Quand c'était le cas, ces dernières étaient tournées en dérision dans les scénarios.

Pendant une période, être trans ou homosexuel était une caractéristique supplémentaire pour montrer la méchanceté. Depuis les années 2000, soit toutes les intolérances qui existent sont montrées : les personnages souffrent et la quête du héros cis* et hétérosexuel est de les aider. Soit tout le monde vit dans un monde dans lequel les discriminations n'existent pas. Beaucoup de travail reste à faire sur les personnages trans.

Est-ce qu'en dehors d'un milieu d'initiés, cela touche le grand public ?

Une cristallisation se forme très rapidement dès que ces problématiques sont abordées de la part d'une certaine catégorie de joueurs, issus des milieux réactionnaires et anti-féministes. Dernier exemple en date : l'extension d’un jeu médiéval fantastique Baldur's Gate, sortie en mars dernier, dans lequel un nouveau personnage se révèle être trans.

Juste à cause de cela, les créateurs du jeu, les studios Beamdog, ont été harcelés en ligne. Les menaces se sont en particulier adressées à la développeuse Amber Scott qui a conçu Mizhena.

Accusé de tous les maux, le jeu vidéo rend-il vraiment sexiste, homophobe ou transphobe ?

Individuellement non. Ce n'est pas possible puisque tout le monde l'est déjà par défaut. Nous baignons dans un environnement sexiste, que ce soit à travers les films, les livres, les bande-dessinées et donc les jeux vidéos. Or ceux qui remettent en cause cet ordre établi, ces normes, ça, c'est un signe de progrès ! Et les réactionnaires ont peur de remettre en question les idées reçues.

Les concepteurs et développeurs de jeux vidéos sont en général des hommes. Est-ce qu'inclure plus de personnes LGBT permettrait une meilleure représentation des personnages ?

C'est une évidence. Pour en connaître personnellement, ils admettent être incapables de se mettre à la place de personnes qui ont une identité de genre ou une sexualité différentes de la leur. Et là je parle de ceux qui sont intéressés par le sujet, une minorité. Je ne dis pas qu'il faut que tous les développeurs hommes arrêtent de créer. Ce qui est souhaitable par contre, c'est de permettre à d'autres de le faire à leur tour. Un enjeu énorme se joue en terme de créativité.

Les critiques réactionnaires reprochent aux féministes de brider l'imagination et d'imposer une pensée unique. Mais tous les jeux se ressemblent déjà et sont adressés au même public, avec les mêmes esthétiques et les mêmes normes ! Dans la plupart des jeux vidéos, les personnages masculins sont bruns, la trentaine, assez musclés et mal rasés. Ce « soi » sublimé s'adresse spécifiquement aux hommes.

Et les femmes ?

Les femmes, très souvent, sont présentées pour attirer leur attention. Alors qu'on gagnerait à avoir plus que deux types de modèles. De bonnes représentations commencent à apparaître et pas uniquement dans les jeux. Cela va créer un cercle vertueux. Les personnes s'acceptent de plus en plus tôt comme elles sont, que ce soit pour leur identité de genre ou orientation sexuelle. Les séries télé, par exemple, commencent à s'y mettre.

Sense 8 met en scène des personnes trans, ce qui peut sûrement donner envie de commencer une transition car la représentation permet de se sentir valides et légitimes d'exister. Et non de voir comme seule solution le suicide. Notre génération est plus sensibilisée à ces questions-là et dans dix, vingt ans, elle va à son tour se mettre à créer. Bientôt, nous serons dans une société qui acceptera plus facilement les autres et leurs différences. Et cela se ressentira dans notre culture toute entière.

 

* Cisgenre : personne dont le genre vécu correspond au genre assigné à la naissance, à la différence d'une personne transgenre.

 

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Les femmes, des joueurs comme les autres
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