Célian Ramis

Bacchantes : Lyrisme rock

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Elles sont quatre. Musiciennes et chanteuses. Elles mêlent lyrisme, rock et poésie antique. Les Bacchantes étaient en résidence à L’Antipode, après la sortie de leur premier album. Rencontre.
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Elles sont quatre. Musiciennes et chanteuses. Elles mêlent lyrisme, rock et poésie antique. Fin février, Les Bacchantes étaient en résidence à L’Antipode, après la sortie de leur premier album. Rencontre. 

La claque dans la gueule ! La puissance ! On ne s’y attendait pas à ce point-là. L’écoute de l’album nous avait percuté. Le live nous a bouleversé. Le temps de quelques chansons, c’est un changement de dimension qui s’opère dans notre imagination, direction l’univers Bacchantes. Les premiers souffles, les premières notes, les premiers frissons.

Autour du quatuor, pousse la végétation et grimpe le lierre, transformant le plateau de l’Antipode en scène florale et organique. Alliant leurs voix et leurs instruments dans des expressions singulières et des rythmiques vibrant à l’intérieur de nos entrailles, Amélie Grosselin, à la guitare électrique, Astrid Radigue à la batterie, Claire Grupallo et Faustine Seilman aux claviers et harmoniums indiens, invoquent les éléments et convoquent l’intime et le profond qu’elles déchainent intensément et en pleine maitrise.

Nous, en revanche, on ne maitrise plus rien, on se laisse porter par leurs propositions qui nous transpercent le corps et l’esprit, ne répondant alors plus de rien, si ce n’est de tous ces mouvements mélodieux et émotionnels qui s’entrecroisent et nous guident dans une forme de lâcher prise transcendantale.

PLANTER LE DÉCOR

La nature et l’ivresse, ça leur va bien à ces quatre artistes réunies par ce projet il y a maintenant 5 ans. Elles viennent d’horizons musicaux différents : l’une noise, l’autre plutôt pop et puis les deux autres qui naviguent entre la folk et les musiques classiques. Rassemblées sous la bannière des musiques indés, elles fréquentent les mêmes salles du vaste réseau des musiques alternatives et pourtant, elles ne se connaissent pas toutes.

Elles se rencontrent grâce à Faustine Seilman qui lance l’idée de fonder un groupe ensemble. « Un groupe de drone ! C’est comme ça que je leur ai présenté ! », rigole-t-elle. Ce ne sera pas aussi minimaliste finalement mais le côté expérimental sera bel et bien présent.

« En fait, on a commencé par tester des choses qu’on n’avait jamais testées et on a monté un instrumentarium. », poursuit Faustine. Être entre musiciennes, elle le dit, lui permet davantage d’oser essayer, de se tromper et d’avouer certaines déficiences techniques.

Pareil pour Amélie Grosselin, qui parle aussi d’un gain de confiance en elle, et pour Astrid Radigue, qui constate une écoute différente, où l’égo prend moins le pas sur la création et le temps accordé à se comprendre et évoluer ensemble. Claire Grupallo ne partage pas ces ressentis.

Elles sont quatre artistes, « sans rapport hiérarchique ou de séduction », conclut Astrid sur ce point. Et Claire d’ajouter : « On ne s’est pas niées dans nos différences. On les a mises ensemble. »

DES SINGULARITÉS FLEURISSENT LES HARMONIES

Dans Bacchantes, elles partagent leur amour de la mélodie et de l’harmonie et ici, elles expérimentent librement un instrument majeur dans cette formation : la voix. Ce qui capte l’attention dans les chansons de leur premier album éponyme, sorti le 5 février dernier, c’est cette alliance dont la force s’exprime dans le fait de les sentir si connectées tout en conservant leur singularité et leur liberté d’être autonomes.

« On y met chacune quelque chose de personnel. On communie dans la musique. Les textes que l’on chante sont encore très actuels et on y met peut-être encore plus aujourd’hui, après les confinements. », souligne Faustine Seilman. Les textes sont issus de lectures, de poésies antiques et baroques notamment, et ont été sélectionnés selon leur musicalité, leurs rythmiques et leurs thématiques.

De cette ambiance solennelle et viscérale, elles chantent l’amour, la liberté et le rapport à l’environnement. Rien n’est immuable chez les prêtresses Bacchantes. Les synergies qui se dégagent de leurs postures scéniques et des regards complices et profonds qu’elles s’échangent virevoltent dans une danse frénétique s’alliant aux énergies de leurs chants lyriques et harmonieux accompagnés de sonorités percutantes et rugueuses d’un rock qui étreint la noirceur du répertoire romantique.

LA CULTURE DU TEMPS

De leurs expérimentations sont nées des chansons brutes et sensibles. De l’insurrection aux invocations, il n’y a pas de place pour les concessions. Elles portent là, sur une scène conventionnée comme dans une abbaye ou une forêt, ce qu’elles sont, mettant au service du collectif leurs individualités.

Un vent de liberté tourbillonne à leurs côtés, elles s’emparent des mots et interprètent avec authenticité le sens qu’elles veulent leur donner, laissant la possibilité à chacun-e de se les approprier. « C’est la beauté de la poésie ! », s’enthousiasme Amélie Grosselin, indiquant que chaque morceau a évolué au fil des concerts.

« On voulait que les morceaux aient vécu en live, devant le public, avant de les enregistrer. Ça a mis du temps mais ça nous va. », précise Astrid Radigue, rejointe par Claire Grupallo : « On a commencé puis on a été deux à faire une pause maternité, et puis on habite hyper loin, donc tout ça explique qu’on se réunit en gros une semaine tous les deux mois. Dans la lenteur, on a le temps de se nourrir de choses diverses. Ça alimente notre musique. »

Elles affirment leur envie et besoin de prendre le temps, comme le signale Faustine Seilman : « C’est notre rythme et ça nous convient. La musique prend de la place et c’est bien aussi dans ce monde de prendre le temps. On vit toutes à la campagne, on apprécie et on partage ce rythme plus lent. »

Bacchantes, ce n’est pas une promesse, c’est une découverte libératrice, un souffle de fraicheur qui envahit nos entrailles et nous sommes de nous laisser happer. Et on le fait. Parce qu’on y trouve là un espace pour exprimer colère, rage, désespoir mais aussi joie, apaisement et engagement. On communie avec elles et c’est d’une beauté inouïe.

Célian Ramis

Musiques actuelles : sexisme amplifié

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Les musiciennes sont de plus en plus nombreuses à dénoncer les violences sexistes et sexuelles qu'elles subissent. Elles dénoncent également la faible représentation des femmes dans les programmations et sur scène. Enquête.
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« En France, la part des femmes « leader » programmées dans les lieux de musiques actuelles est de 16,6% (Source : Fedelima) », lit-on dans le rapport 2019 présenté par HF Bretagne sur « La place des femmes dans le spectacle vivant et les arts visuels en Bretagne ».

Dans la majorité des structures étudiées, les femmes responsables artistiques ne représentent qu’entre 10 et 20% de la programmation des salles et festivals de musiques actuelles. Autre élément : elles ne sont que 12% à diriger des Scènes de Musiques Actuelles (Smac). Comment interpréter et analyser ces données ? Et surtout, comment le vivent les personnes concernées ? Comment évoluer ?

Dans le milieu musical, une femme, c’est une muse. Une source d’inspiration pour les grands génies virils de la création. Si elle veut être autre chose, au mieux, elle est chanteuse. Au premier plan devant deux, trois ou quatre musiciens. C’est une vision machiste et sexiste que nous véhiculons-là. Car elles peuvent être ce qu’elles ont envie d’être. Mais pour cela, elles doivent transgresser les normes établies et affronter les violences sexistes et sexuelles.

« Nous, artistes, musiciennes, techniciennes, productrices, éditrices, compositrices, manageuses, attachées de presse, juristes et plus globalement « femmes des métiers de la musique », avons toutes été victimes ou témoins du sexisme qui règne au quotidien : les propos misogynes, les comportements déplacés récurrents, les agressions sexuelles qui atteignent en toute impunité la dignité des femmes. », signalent 1200 professionnelles du secteur, signataires du manifeste des F.E.M.M publié dans Télérama, en avril dernier. Elles prennent la parole, dénoncent et disent stop. Enquête dans le milieu des musiques actuelles. 

Vendredi 6 décembre 2019. Minuit passé. La foule s’amasse dans le hangar du hall 3 du parc expo de Rennes. À l’occasion des TransMusicales, les cinq musiciennes de Los Bitchos font leur entrée sur scène. Une bassiste, deux guitaristes, une keytariste et une batteuse. Ici pas de chant mais une bonne dose de talent et un sacré côté dément. L’ambiance est festive et détendue.

De leur rock instrumental initial se dégage de la volupté et de la subtilité, un mélange quasi corrosif auquel s’ajoute les percussions, venant renforcer la proposition musclée du quintet qui nous emmène explorer des sonorités jusque là déconnectées les unes des autres. Résultat : une cumbia rock aux airs de psychédélisme oriental. Le tout dans un ensemble mélodique, harmonieux et entrainant.

Ce sont des bosseuses et elles ont aiguisé leur savoir faire mais aussi leur sens de l’adaptation. Elles captent le public et ses réactions. Le parti pris de ne pas chanter – excepté pour reprendre le refrain de « Livin’ la vida loca » à la fin du set – offre une grande liberté aux impros et aux solos. On danse beaucoup, transcendé-e-s par cette organisation parfaitement maitrisée et libérée, et tellement libératrice.

LE TOURBILLON TRIBADE

Une heure plus tard, dans le hall 8, ce sont les trois rappeuses catalanes, Bittah, Masiva Lulla et Sombra Alor, qui montent sur la scène des TransMusicales. Vêtues de capes, elles apparaissent telles des boxeuses. Ou des sorcières, quand elles enfilent les capuches. Poings en l’air, regards frontaux, c’est parti pour un spectacle que l’on retiendra très longtemps.

Dans une interview publiée sur le site de Madame Rap – un média dont on recommande allégrement la lecture – le trio définit sa musique comme « un mélange de discours, de messages et d’esthétique. De la culture, de la résistance et de la musique urbaine. »

Accompagnées par Dj Big Mark aux platines, les rappeuses de Tribade délivrent un flow rapide et coup de poing. Efficace. Chacune affirme son style, sa manière de rapper et même de pousser une voix puissante et aigue façon chant traditionnel espagnol, comme le fait Sombra Alor. Face à Tribade, nos pieds sont vissés dans le ciment du hangar. On suit le rythme avec la tête et les bras.

Nos yeux sont incapables de détourner le regard de l’espace scénique. Nos tripes s’embrasent. Parce que leur musique est viscérale et leur mise en scène très soignée, avec des gestes et des danses au service de leurs récits, de leurs propos. Elles interprètent et incarnent leurs chansons avec authenticité et beaucoup de plaisir se dégage de leur proposition. 

Dans ce qu’elles relatent, dénoncent et défendent, c’est la noirceur d’une réalité misérable, d’un quotidien sali et pourri par les rapports de domination, qui prime. Le trio parle des réfugié-e-s, pointant « que personne n’est illégal », scande en sautant « anti, anti, anti capitaliste », indiquant l’importance d’une musique à textes antifasciste, anticapitaliste et féministe, propose de danser sur du reggaeton lesbien et prône l’empuissancement des femmes.

L’énergie qu’elles balancent, on se la prend dans la gueule et on y consent sans hésitation. Voir Tribade en concert, ça fait du bien. Parce que c’est plein de force, de colère, de douleur, de rire, de mouvements. C’est impactant et émouvant. Et c’est un vrai tourbillon qui jamais ne relâche la pression pour nous permettre de souffler. On retient notre respiration, sans jamais étouffer ou suffoquer. Au contraire. La proposition est joyeuse et engagée, théâtralisée et militante. Le souffle coupé par leur prestation, on respire et on kiffe. 

LE CONSTAT, LE CHOC ET LE DÉCLIC

On en voudrait plus des propositions comme celles-là. Pourtant, on ne peut que constater la faible représentation des femmes dans les programmations des salles et des festivals de musiques actuelles, tout comme dans le reste des arts et de la culture. Ce sont les rapports ministériels de Reine Prat en 2006 et en 2009 qui ont permis de prendre conscience, par des données précises et chiffrées, que les inégalités existaient bel et bien entre les hommes et les femmes dans les arts du spectacle.

Là où on pensait le secteur de la culture précurseur au sein d’une société encore très patriarcale, on découvre qu’il n’en est rien et qu’il n’y a pas d’exception en terme d’égalité. De cet alarmant constat va naitre le mouvement HF, visant à lutter pour une représentation égalitaire des artistes et des professionnel-le-s du secteur.

Fin 2013, sur le territoire rennais se crée HF Bretagne, association membre de la fédération inter-régionale du mouvement HF, agissant pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes dans les arts et la culture, à travers 3 axes.

Repérer les inégalités, par la veille statistique et la diffusion de données chiffrées mais aussi d’articles et d’analyses. Proposer des outils pour combattre les inégalités, par l’échange et la formation, par l’organisation d’événements destinés au grand public ou encore par des interventions dans les réseaux professionnels, les lieux de formation et la participation à des colloques et tables rondes. Encourager des mesures politiques concrètes pour l’égalité réelle, par la demande qui est faite aux collectivités territoriales d’inscrire la question de l’égalité femmes-hommes à leur ordre du jour, d’évaluer la juste répartition des subventions accordées et d’inciter les structures subventionnées à agir pour la parité.

Ce travail colossal, réalisé grâce à la motivation et la détermination de ses adhérent-e-s et bénévoles, donne lieu depuis 2014 à la publication d’un diagnostic chiffré et révélateur de la situation réelle en Bretagne. Le 16 mai 2019, au musée des Beaux-Arts de Rennes, l’association présente son 3erapport « La place des femmes dans le spectacle vivant et les arts visuels en Bretagne. »

Ce jour-là, Laurie Hagimont, coordinatrice d’HF Bretagne, rappelle que « compter, on le fait depuis l’origine d’HF Bretagne. Même nous, conscient-e-s des inégalités, on ne se rendait pas compte à ce point de la situation. C’est salutaire d’avoir les chiffres. Et d’avoir les chiffres les plus précis possibles en région. Ça permet d’observer les évolutions timides, mais aussi positives quelques fois, et d’identifier les freins, les endroits de blocage, etc. »

DES CHIFFRES RÉVÉLATEURS

À la 8epage du rapport, se dresse la liste de la part des femmes responsables artistiques, dans les programmations de salles et festivals de musiques actuelles. Les chiffres ne sont pas bons. À l’occasion des TransMusicales et de Jazz à l’Ouest, elles représentent au moins 20% de la programmation.

Lors de Bars en Trans et d’I’m From Rennes, elles représentent entre 10 et 20% de la programmation, tout comme à l’Ubu et à l’Antipode MJC (pour les salles de musiques actuelles, le comptage a été effectué sur la programmation d’un seul trimestre). Enfin, pendant Le Grand Soufflet, Yaouank et Rock’n Solex, elles représentent moins de 10%.

Précisons également que le reste des lieux de musiques actuelles en Bretagne – étudiés dans le cadre de la veille statistique sexuée – ne se démarque pas, affichant les mêmes catégories de pourcentage. Globalement, les chiffres ne sont pas bons donc, comme le souligne Gaétan Naël, en charge depuis 2008 de la programmation artistique de l’Antipode MJC :

« En faisant les calculs, effectivement, on s’est rendus compte qu’on n’était pas meilleurs que les autres. Ni meilleurs, ni moins bons. »

Compter amène à la prise de conscience. Face aux chiffres, on ne peut que constater la réalité des inégalités qui subsistent entre les hommes et les femmes. « C’est factuel. Mais notre objectif, ce n’est pas de pointer du doigt telles ou telles structures. On ne fait pas ce boulot-là toutes seules dans notre coin. On travaille avec elles. Le but, c’est de passer du combien au pourquoi. Entre nous, les artistes, les professionnel-le-s, les structures, les collectivités, le ministère, les institutions, la réflexion doit être collective. On pose la question de l’égalité de manière saine et constructive. On sait qu’il y a beaucoup d’inconscient qui entre là-dedans.», précise la coordinatrice du mouvement HF, accompagnée de Clémence Hugo, responsable de la communication à L’Armada Productions et également fondatrice du groupe Musiques, avec Sarah Karlikow (conseillère artistique auprès de Spectacle vivant en Bretagne), au sein d’HF Bretagne :

« Avant, c’était marginal d’être féministe et de poser la question de l’égalité. L’aspect médiatique a son importance. Le public des musiques actuelles est plus festif que dans le théâtre ou la danse par exemple. La médiatisation des inégalités dans le public amène une réflexion au niveau des pros. Aujourd’hui, quand les grands événements sont organisés et rassemblent les professionnel-le-s et le public, il y a toujours au moins une conférence ou une table-ronde organisée sur le sujet de l’égalité. C’est le cas pour les TransMusicales à Rennes, mais aussi au MaMA à Paris. Pour moi, la question est là. À HF, on essaye d’être sur de l’accompagnement, entre actions et réflexions. Et il y a des évolutions. La sacro sainte programmation sur laquelle on ne pouvait pas intervenir avant, maintenant ça va mieux. » 

Ainsi, les chiffres sont parlants pour le spectacle vivant et les arts visuels : les femmes représentent aujourd’hui 60% des étudiant-e-s, 40% des artistes actif-ves, 20% des artistes aidé-e-s par des fonds publics, 20% des dirigeant-e-s, 20% des artistes programmé-e-s, 10% des artistes récompensé-e-s. À poste et à compétence égales, elles gagnent en moyenne 18% de moins que les hommes.

Le rapport 2019 nous apprend qu’elles sont majoritaires sur les bancs des écoles puis elles deviennent moins actives, moins payées, moins aidées, moins programmées, moins récompensées et enfin moins en situation de responsabilité que leurs homologues masculins.

Les arts et la culture n’échappent pas, c’est certain, aux inégalités de sexe et de genre. Et n’échappent pas non plus aux conséquences de l’éducation genrée. L’Histoire est écrite par et pour les hommes. Elle valorise le patrimoine et néglige le matrimoine. À l’école, on enseigne les grandes œuvres de la musique classique. Toutes composées exclusivement par des hommes.

On peut penser que ce n’est pas une fatalité en soi puisque cette Histoire se raconte au passé. C’est une erreur. Les conséquences de cette invisibilisation sont latentes. Sans modèles, comment se projeter à tel ou tel poste, à telle ou telle fonction, avec tel ou tel instrument ? Et encore aujourd’hui, les musiciennes sont moins visibles sur les scènes et dans les médias.

LE GENRE DANS LE CHOIX DES MUSIQUES

Le 5 décembre 2019, à l’occasion des TransMusicales, la FEDELIMA (Fédération des lieux de musiques actuelles) et le Master 2 Média, Genre et Cultural Studies de la Sorbonne Nouvelle, organisaient une table-ronde autour de la « Diversité des identités sexuelles et les identités de genre dans les musiques actuelles » au début de laquelle Cécile Offroy, maitresse de conférence en sociologie à l’université de Paris 13, proposait de bien redéfinir les concepts et le contexte :

« Le sexe renvoie à la différence des organes sexuels. On se voit souvent définir un sexe à la naissance. Mais depuis 20 ans, des recherches montrent qu’il n’y a pas qu’un seul modèle reproductif. La population intersexe réinterroge l’existence de seulement deux sexes. L’identité sexuelle, elle, n’est pas une notion fixée. Elle fait souvent référence au sentiment d’appartenance (ou non) à son identité sexuée. En fait, homme/femme, ce n’est pas si simple. Pas si binaire. Le genre, lui, correspond aux rôles sociaux attribués en fonction du sexe : les normes de comportement, les qualités, les compétences… Le genre est le sexe social en quelque sorte. »

Les filles sont calmes, maternantes, jolies, perfides et aiment les commérages. Les garçons sont forts, déterminés, courageux, ont de l’énergie et aiment la bagarre. Ces rôles sociaux qui assignent une personne à être femme et qui assignent une personne à être homme sont attribués très tôt et suivent les individus, au sein de la famille, à la crèche, à l’école, dans les groupes auxquels ielles souhaitent s’intégrer, au travail, etc.

« Et ils traversent également les musiques. On attribue certains instruments davantage aux filles et d’autres davantage aux garçons. Dans les esthétiques aussi (classique, rock, jazz…), et ça atteint même les publics. On retrouve la même chose dans les activités et les fonctions. À la programmation, à la direction d’orchestre, on va voir des gars. Et à l’accompagnement artistique, à la communication, on va voir des filles. Les hommes captent souvent les fonctions à forte valeur ajoutée tandis que les femmes sont plutôt assimilées aux métiers du « care » qui sont dévalorisés sur le plan salarial. En règle générale, on constate que les valeurs des femmes sont moindres que celles des hommes. »,explique Cécile Offroy. Elle note également que dans ce contexte binaire, tout écart aux normes apparaît comme une transgression.

« Or, on n’adhère pas tous et toutes de la même manière à ces rôles sociaux. L’identité de genre n’est pas immuable et l’identité du sujet n’est pas que l’identité de genre. »
conclut-elle. 

QUAND LE LANGAGE PENSE LE TALENT

Le lendemain, toujours à la Maison des associations, c’est HF Bretagne cette fois qui propose, en partenariat avec l’ATM, une table-ronde, pour la 4eannée consécutive à l’occasion des TransMusicales. La thématique : « Les femmes haussent le son #4 – L’image des musiciennes : subie ou choisie ? »

Dans la continuité des propos de Cécile Offroy, Marjorie Risacher, journaliste, productrice radio (RFI,France Inter)et coach scénique et média chez Laisse les dire dont elle est co-fondatrice, déclare : « Avant, les instruments à vent étaient interdits aux femmes. Ça disgraciait leur beauté… Les femmes étaient aussi interdites de scène. Mieux vaut castrer un mec que de mettre une femme sur scène ! »

Les inégalités dans la classification des genres ne datent pas d’hier. Raphaëlle Levasseur est planneure stratégique dans la publicité et a rejoint l’association Les Lionnes, fondée en mars 2019, pour lutter contre le sexisme et le harcèlement dans le monde de la publicité. Le 6 décembre, elle intervenait via Skype :

« Ça se joue dès le fœtus. On dit : « Ça doit être une fille ou un garçon, parce qu’elle ou il bouge comme ci, parce que le ventre est comme ça. » Cette construction sociale conditionne 90% de notre cerveau. On vit dans une société d’hyperconsommation mais les femmes (52% de la population mondiale) sont invisibilisées. Certains mots et certaines images sont des biais de genre et de stéréotypes. Les clichés se retrouvent ensuite dans les clips et les positions scéniques. »

Pour elle, le langage permet de penser le talent. Elle prend l’exemple d’un homme qui multiplie les conquêtes et se voit qualifier de « tombeur », tandis qu’une femme sera une « allumeuse », une « salope ». Aussi, dès lors qu’on parlera d’artistes, on présupposera le masculin. Car un homme est un artiste, une femme est une artiste ET une femme.

« Les médias ont un impact sur le choix des mots. Ils façonnent les normes, avec le mythe du musicien et le mythe de la chanteuse. La femme est associée à la reproduction, on parle d’elle plutôt en tant que muse, dans l’accompagnement, en tant que faire valoir ou femme de. Et on suppose qu’il y a toujours un homme derrière elle. Les hommes, eux, ils ont le leadership de la création. Les femmes sont invisibilisées et non reconnues en tant que productrices de contenu.», analyse-t-elle.

Autour de la table, la rappeuse nantaise Pumpkin, co-fondatrice de la structure Mentalow Music, confirme les difficultés à être reconnue en tant qu’artiste : « Quand je débarque en concert, on vient me voir pour me dire « C’est bien ce que tu fais, j’aurais pas cru », « J’ai été agréablement surpris », « T’as pas une tête de rappeuse » ou encore « Tu dis « putain » mais c’est pas joli dans la bouche d’une fille ». Un jour, quelqu’un dans un label m’a reproché le fait que je parle d’utérus dans un texte, en me disant « Ta carrière ne décolle pas parce que tu parles de trucs de meufs. » »

#PAYETANOTE

« Tu joues bien pour une fille ». C’est une phrase entendue par trop de musiciennes. Le sexisme infuse aussi dans les musiques, comme en témoigne le site Paye Ta Note.

« Le regard est différent je trouve quand une meuf est sur scène. On va entendre « Ah pour une fille, elle joue bien. » Je l’ai déjà eu moi le « En fait, tu te débrouilles bien. » Il y a des domaines que j’adore : les musiques assistées par ordinateur, par exemple, c’est un monde hyper masculin mais moi j’aime ça. Pourtant, on va voir mon frère (Romain James, batteur de Totorro et de La Battue, ndlr)pour lui poser des questions sur comment il a réglé ci ou ça, et il dit que c’est pas lui, c’est moi qui ai fait. », réagit Ellie James, artiste rennaise que l’on retrouve au chant et au clavier dans Mermonte, Bumpkin Island et désormais La Battue.

Ce dernier étant la seule formation (à laquelle elle participe) avec une majorité de musiciennes (2 sur 3) avec Yurie Hu, également au chant et au clavier. Toutes les deux, elles le disent : « On a l’habitude d’être les seules filles dans les loges. » Yurie, elle, était déjà seule dans toutes les promos au Conservatoire de jazz :

« Il y a vraiment je pense un rapport avec l’histoire de la musique. Il y a moins de figures féminines, on voit moins d’icones qui nous parlent. Aujourd’hui, on a des difficultés à être considérées comme des vraies chanteuses. »

Elles rigolent : « C’est même une insulte : « Tu fais ta chanteuse »… » Plus jeunes, rêvaient-elles d’être musiciennes ? Ont-elle fondé ou participé à des groupes lorsqu’elles étaient au lycée ?

« Mes deux parents sont dans la musique, ils ne voulaient pas que je fasse ça. J’ai fait des études de génétique. J’étais pas dans un groupe de musique au lycée, ma bande de potes ne s’intéressait pas du tout à ça. Mon frère lui a toujours eu des groupes. Depuis le collège déjà c’était un virtuose de la batterie. », répond Ellie James.

« En Corée, mes parents n’auraient pas été d’accord pour que j’en fasse mon métier. À moins d’être ultra ultra bonne en piano classique… Je n’y pensais pas jusqu’à ce que j’arrive en France. En sachant que j’allais répondre à une interview sur le sujet et en remplissant le document de la Sacem (qui réalise actuellement une grande enquête sur la place des femmes dans le secteur musical, ndlr), j’ai réfléchi un peu au pourquoi. Et je pense que c’est une incidence de l’éducation. Les filles, on est éduquées à être le plus altruiste possible. Une bonne fille, c’est une fille qui pense avant tout aux autres. Les gars, eux, ils sont dans le fantasme du héro. Il est un héro, il a le pouvoir. Nous, on ne nous invite pas à avoir ce genre de fantasme. », décrypte Yurie Hu qui souhaite que tombent enfin les barrières du genre :

« Moi j’ai tous les clichés, je suis une femme, asiatique, je joue du piano. Mais aussi je dis des gros mots, je bois des canettes… !!! » 

FACE AU PATERNALISME

D’un côté, l’éducation genrée agit sur les comportements. Les garçons, non contraints par la réserve et les interdits (officieux et insidieux), adoptent une aisance au fil des années et des expériences, là où les filles vont moins oser, car moins encouragées par l’entourage, les enseignant-e-s, les professeur-e-s de musique et plus largement par la société qui invisibilise les musiciennes, et vont moins se sentir légitimes.

Sans reconnaissance réelle et soutien(s), elles peuvent d’ailleurs, dès l’adolescence et début du parcours universitaire, abandonner leur cursus et formation musicale. Quand elles poursuivent, elles sont souvent orientées, consciemment ou inconsciemment, vers les rôles « supports », c’est-à-dire le chant, la basse, le piano, etc. Il n’est pas rare de voir des groupes dans lesquels la chanteuse est entourée exclusivement par des musiciens.

Il est très commun de voir des groupes exclusivement masculins. Il est plus rare en revanche de voir des groupes exclusivement féminins. C’est le cas de Periods, un trio qui a pris sa source à Rennes en novembre 2017. « J’ai commencé avec Ophélie. J’ai été la chercher parce qu’elle jouait du synthé dans un groupe punk. Elle a un style très garage. Paola, ma petite sœur, nous a rejoint 6 mois après. Elle vient plutôt de l’univers techno et moi aussi techno, hip hop. On a commencé à faire des concerts et ça nous a plu, on a joué de plus en plus. En septembre, on a sorti un EP (Vocoder 3000, à écouter, ndlr). On nous demandait toujours notre nom de groupe, alors on a fini par s’appeler Periods mais y a pas vraiment de démarche derrière le nom. », rigole Dana.

Leur démarche, finalement, c’est la spontanéité. Si les compositions musicales sont amenées par les unes et les autres, c’est Dana qui signe les textes, là aussi avec beaucoup de spontanéité.

« On parle beaucoup de la place des femmes et des relations femmes-hommes qui peuvent être compliqués. Ce sont des sujets forts. On dit de nous qu’on est un groupe féministe, moi, ça me va, parce que je le suis. Mais en fait, je considère que c’est normal d’être féministe, c’est même triste qu’il y ait un mot pour définir ça. Mais oui, c’est féministe parce qu’on vit en tant que femmes des choses très dures, tout le temps. Alors, nos chansons, c’est un peu comme un journal intime, je pars d’histoires vécues par moi ou des gens que je connais, et je modifie un peu. C’est un point de vue sur des situations en fait. Ce sont surtout des femmes qui se reconnaissent dans les chansons et qui nous disent que ça fait du bien, que ça fait plaisir. La chanson par exemple sur le moniteur d’auto-école, c’est une histoire personnelle. Des nanas se sont reconnues dedans. C’est bien ! Enfin, c’est triste, mais ce que je veux dire c’est que c’est bien de savoir que l’on n’est pas seules. Y a trop de mecs qui font des trucs pas cool ! », analyse-t-elle.

Elles chantent le sexisme subi et le vivent au quotidien. « On s’est pris des remarques de techniciens. Mais ça c’est très répandu. », glisse Paola, rejointe par Dana :

« Ça arrive qu’ils nous proposent de l’aide, mais ça va on gère notre truc. Ils vont nous regarder de haut. Avoir une attitude paternaliste. Je trouve qu’en tant que meufs, on est toujours obligées d’en faire plus. Je sais branchée mon ampli. »

Sur la scène de l’Antipode, le 25 janvier, Periods et La Battue étaient sélectionné-e-s pour les auditions des Inouïs du Printemps de Bourges. Leurs discours sont semblables. Ellie James n’a pas de formation en musique :

« Quand j’ai commencé, je n’y connaissais rien. Mes frères m’ont montré des choses pour que j’apprenne et pour que les techniciens ne parlent pas qu’aux hommes. » Pour Irène (qui remplace Ophélie dans Periods depuis quelques mois), « là où ça peut changer c’est quand il y aura plus de femmes côté musique et côté régie. Il faut que ça devienne normal ! On manque de modèles de batteuses, de guitaristes… Et ce manque freine les filles. » 

SAFE OU PAS SAFE ? 

Les remarques de ce style, Alice, chanteuse et guitariste du groupe grunge SheWolf, en a essuyé plusieurs. Le 6 décembre, aux Ateliers du Vent, Les Enlaidies organisaient un événement en off du festival dont la première édition s’est tenue en juin 2019 : un concert composé exclusivement de musiciennes, de techniciennes et d’organisatrices, précédé par une table-ronde autour de la sexualisation des musiciennes.

« On a eu des remarques de techniciens, ils vont nous dire que la technique c’est pas notre truc, parce qu’on est des femmes… Ils veulent t’apprendre la vie, t’apprendre à régler ton instrument… Quand ils te proposent de t’aider à porter ton matériel, tu sens l’attitude paternaliste. Et je vous raconte pas aussi les comportements de prédateur, « Ah y a beaucoup de guiboles à l’air, je vais avoir du mal à me concentrer sur le son… ». Quand je joue le soir, je me demande comment je vais m’habiller. Je me demande comment Courtney Love partirait dans l’hypersexualisation pour dire « Je vous emmerde encore plus »… Tu te poses des questions que tu devrais pas te poser. T’as pas envie d’être désirée, t’as envie d’être écoutée. Mais t’as pas non plus envie de te cacher ! », souligne alors Alice.

Pour $afia Bahmed-Schwartz, artiste pluridisciplinaire qui ce soir-là propose un concert eros rap/trap, intervient : « Tu peux avoir envie que le public te désire mais pas les gens avec qui tu bosses ! Je passe plus de temps à gérer mon ingé son que mon concert. Je viens des Beaux-Arts et déjà avant je faisais des dessins érotiques. Ça me servait à m’empowerer. Je me suis ensuite mise à l’écriture, puis à la musique, puis à la vidéo. J’étais dans la case de l’artiste femme pop rap, j’ai commencé à réfléchir aux clichés. Je me suis aperçue que, même dans les mouvements queer, avec des personnes averties, déconstruites, les réflexes sont sexistes. Une femme puissante, ça va forcément être une maquerelle. Moi, ce que je veux faire, c’est incarner tout un panel d’images de femmes et essayer au fur et à mesure de créer des personnages qui mélangent clichés et états d’âme, qui vrillent et qui dépassent les frontières normatives. Je suis en recherche. Je cherche encore. Publiquement, je suis considérée comme une chanteuse. »

À l’affiche de ce off des Enlaidies figure aussi le groupe d’electroclash NABTA dont Justine fait partie. Elle a toujours participé à des groupes dans lesquels jouaient des hommes, elle est hélas habituée à ce que les techniciens ne s’adressent pas à elle : 

« En plus, avec les ingés sons, j’ai le côté jeune et le côté femme. Pour moi, la scène est un endroit super safe. J’y ai déjà enlevé mon tee-shirt et j’avais les seins à l’air. Et en fait, c’est pas safe. Un mec m’a fait pouet pouet. »

Choquée, elle remarque que sur la scène les corps, des femmes principalement, sont sexualisés malgré eux : « T’as une robe punk, on vient te dire que ça te grossit. En fait, peu importe pour quoi tu viens, tu ne dois pas venir me toucher, m’agresser. »

EXPLOSIONS DANS LES OREILLES…

Lors de la table-ronde d’HF Bretagne, Marjorie Risacher fait part d’une anecdote significative. Un soir, à Paris, l’artiste rennaise Laetitia Shériff, identifiée rock indé / alternatif, joue sur scène. Dans la salle, un mec crie « À poil ! ». Elle n’en revient pas : « Jamais ça ne me viendrait à l’esprit de crier ça à un artiste homme. »

Quelques heures plus tard, au parc expo, on laisse nos oreilles trainer dans la fosse. « Ahh c’est les Spice Girls ! », s’esclaffe un festivalier en découvrant le quintet de Los Bitchos. Peu de temps après, un autre quitte le hall : « Ouais, elles sont bonnasses mais ça s’arrête là… »

Flashback. On se souvient du rock viscéral délivré par Shannon Wright, lors du festival Mythos en avril dernier. Derrière nous, deux hommes discutent. Pas de sa musique non, mais de « sa sacrée bouche à pipe » avec laquelle « elle doit en sucer, des bites ». On était resté-e-s sur le cul, sans voix.

On raccroche alors aux propos d’Ellie James, concernant les commentaires et comportements sexistes auxquels elle est régulièrement confrontée avec les techniciens :

« La plupart du temps, les techniciens sont assez ravis de voir des femmes dans ce milieu. Avec mon solo, je vais jouer plutôt dans les théâtres, et là je trouve qu’ils sont un peu plus vieux jeu. Quand j’ai confiance en moi, je mets les pieds dans le plat et je leur dis que c’est super sexiste ce qu’ils disent. Et puis, il y a des fois, je me sens comme une enfant, et là ils me font sentir comme une merde. J’ose pas leur dire et après j’y repense, je me dis que j’aurais du dire ça ou ça. Et je m’en veux. »

Pour Alice de SheWolf, le contraire ne fonctionne pas. Elle prend l’exemple de Jim Morrisson et son côté sexy « pour faire tomber les minettes ». Il ne lui viendrait pas à l’esprit de dire de lui qu’il est « bonne » (cette expression est exclusivement pensée au féminin…) ou de le dénigrer pour son physique. « Chez les mecs, le respect grandit avec le sex appeal. », souligne-t-elle.

Sur scène, le trio enflamme le public. C’est une explosion grunge qui vient nous délivrer de nos tensions. On a envie de nous libérer de nos corps qui tout à coup semblent trop étroits pour cette dose d’énergie. Le groupe s’est formé à Paris il y a 4 ans et évolue désormais en Normandie, dans le Perche, où elles ont bâti un studio et ont enregistré un album Sorry, not Sorry. Le grunge, Alice en était fan. Et en plus, c’était une évidence :

« Le côté brut, sans une tonne de reverb’, dire les choses comme on les pense. Avec une vraie recherche mélodique, harmonique, bien vénère. Parce qu’il y a aussi le défoulement pur. Ça complète avec les chansons dans lesquelles on revendique ce qu’on vit et qui nous met en colère. On montre que la condition humaine est complexe, on cherche à déconstruire les préjugés. Ça nous arrive pour écrire des textes de prendre des faits divers comme des meurtres, des infanticides, etc. et d’en faire des chansons mais sans être dans le jugement. Juste, on incarne des personnages d’une société malade. » 

DÉSEXUALISER LES CORPS SUR SCÈNE

Sur scène, se dégagent liberté, rage et détermination. Il n’est plus question de sexe et de genre, simplement de musique. « C’est une liberté totale. C’est ta scène, tes règles, c’est comme tu veux toi. Le plaisir, j’ai pas l’impression qu’on me l’arrache, je le provoque moi-même. Je n’ai jamais eu aucun rapport semblable à celui-ci avec mon corps en dehors de la scène. Sur les photos, souvent, on dirait que je suis en plein orgasme. », rigole Alice, quelques instants avant de monter sur la scène des Ateliers du Vent.

Durant les échanges, Marie-Claude et Fanny, respectivement batteuse et bassiste de SheWolf rejoignent la table-ronde. « Perso, je n’ai pas du tout envie de me sexualiser dans la manière de m’habiller ou le maquillage. Mais j’ai quand même une pression. Quand tu décides de faire ça et que tu es la seule fille du groupe à faire ça, tu as une énorme pression. Ça m’est arrivé et en loge, tout le monde se maquillait. Qu’on veuille se maquiller ou pas, on est tout le temps en train de se remettre en question. En tant qu’être pensant, on a le droit d’avoir les goûts qui sont les nôtres. Si plein de meufs arrivaient sur scène en tee-shirt et en jean, ça mettrait moins la pression aux autres. La non sexualisation, je trouve que c’est aussi un thème important dans ce débat. », explique Marie-Claude.

Fanny apporte également son point de vue, alimentant une réflexion au-delà des sexes et de leur binarité actuelle : « La performance de genre ne me parle pas. Ça enferme dans des catégories. Je me considère pas genrée. En apprenant à m’accepter telle que je suis, c’est-à-dire juste une humaine avec une chatte et des seins, j’arrive pas à m’ancrer femme dans ma tête. Parce qu’on va me décrire avec des pseudos critères féminins qui ne me conviennent pas. Je n’exprime aucune sexualisation et je considère que c’est l’expression de chacun. » 

Il n’y a rien d’universel et de figé dans les féminités, tout comme dans les masculinités, dépassant le cadre normatif et restrictif imposé. Comme le dit $afia Bahmed-Schwartz, monter sur scène quand on est une femme, c’est se mettre en danger et c’est déjà transgresser une norme. Celle de la gentille fille qui reste à sa place et ne se met pas dans la lumière. Pour ne pas attirer l’attention. Pour Alice, faire du rock, c’est aussi un acte transgressif.

Et pour Dana, Paola et Irène, être en soutien-gorge sur scène, « c’est pour être à l’aise. » Comme à leur habitude, elles partent d’un acte spontané :

« On ne se pose pas la question pour les mecs. Ils se mettent torse nu et personne dit rien. Alors que nous, on nous demande pourquoi on se met en soutif. »

Puis, elles prennent du recul, selon leurs propres dires. Elles conscientisent le geste, qui devient militant : « Ça va avec nos morceaux. Pour essayer de désexualiser les corps de femmes. Par contre, on n’a jamais eu de réflexions par rapport à ça. Alors, on imagine bien que certains se rincent l’œil mais en tout cas, devant nous, ils se taisent. Peut-être que comme on a des paroles féministes, ils osent pas… » 

LE RAPPEL À L’ORDRE, À TRAVERS LA MÉDIATISATION

Tant mieux. Il n’est pas à souhaiter que les violences s’amplifient. Malheureusement, on constate en parallèle que quand les médias s’en mêlent, à long terme, les musiciennes sont sans cesse ramenées à leur sexe et à leur genre. Comme dans tous les domaines de la société, quand elles cherchent et commencent à se faire une place, on leur rappelle quelle elle est, cette fameuse place, selon la hiérarchisation des sexes.

Docteure en sciences du langage à l’université Rennes 2, Claire Lesacher présentait, lors de la conférence organisée par la FEDELIMA, les expériences médiatiques de deux rappeuses à Montréal (dont elle a changé les noms). La première, c’est Mathilde, elle a commencé le rap pour faire rire son entourage. La seconde, c’est Dalia, et elle, clairement, a utilisé le rap pour parler de la sexualité féminine.

Elles attisent la curiosité des médias qui vont très rapidement les remettre dans le cadre restrictif : « Déjà, les discours et intérêts des médias s’adossent au fait qu’elles sont des femmes avant d’être des artistes. Les articles sont titrés par exemple « Les filles au franc parler ». Mathilde explique combien elle s’est sentie enfermée dans un rôle de bimbo écervelée. Les médias étaient focalisés sur les moments où elle disait chatte et bite. Elle, elle ne se reconnaissait pas. Dalia indique que les médias se sont focalisés sur l’aspect sexuel et ont fini par lui reprocher. Le constat, c’est que les logiques médiatiques semblent alimenter la visibilité des rappeuses sur et pour l’aspect sexualisant. Et en plus, il y a l’idéologie selon laquelle ce n’est pas sérieux de parler sexualité. » 

Résultat : il y a un risque pour ces artistes de rester à la marge. Lors de la conférence proposée par HF Bretagne, les expertes ont également mis en interrogation la responsabilité des maisons de disque et des attaché-e-s de presse : comment décrivent-ielles les artistes ?

La chanteuse et guitariste de SheWolf amène sa réponse quelques heures plus tard : « Ça nous fait chier d’être présentées comme un groupe de rock 100% féminin. » Et pourtant, c’est le point sur lequel accentuera la presse, comme le souligne Pumpkin qui au lendemain d’un concert lit dans Ouest France que « des petites dames qui chantent du hip hop, il n’y en a pas partout. »

« ON N’EST PAS LIBRE UNE SEULE SECONDE EN FAIT »

De son côté, $afia Bahmed-Schwartz témoigne également de mauvaises expériences avec la presse. « L’image des femmes est différente de celles des hommes. Dans tous les domaines. L’an dernier, je participais à un concert pour Arte. Un journaliste voulait faire une vidéo avec une interview, à la Konbini. Il a commencé par me poser des questions sur mon père. Je lui dis qu’il me fait prendre des risques donc je ne veux pas répondre à ses questions à la con. Il a continué l’interview. Sur mes origines, mon genre, ma famille, mon orientation sexuelle… J’avais juste envie de parler de musique, de performance ! Les artistes femmes, on accepte les interviews et on accepte de jouer le jeu car on a besoin de visibilité et puis que si on dit non, on passe pour des hystériques, des rabat-joies, etc. Je trouve qu’avec les journalistes, y a toujours un moment où le consentement est vague, aussi vaporeux que les images. », relate l’artiste.

Carole Boinet est rédactrice en chef adjointe aux Inrockuptibleset écrit principalement dans la rubrique Musiques. Invitée à participer au débat par HF Bretagne, elle soulève que la presse est le reflet d’une société :

« Si le journalisme ne va pas, la société ne va pas. Dans le journalisme, on capte la matière vivante, le temps présent. Je suis convaincue du poids des mots et de leur puissance. Les idées passent par la forme langagière. Je me suis naturellement mise à écrire en écriture inclusive. Oui, il faut préserver les langues mais je crois que la langue, comme le journalisme, est vivante et donc elle évolue. Elle suit nos mouvements de pensée. Il faut qu’elle suive nos vies. »

Vient alors la question des freins. L’éducation a été mentionnée mais c’est maintenant au capitalisme d’atterrir sur la table des réflexions. L’industrie musicale fait front et empêche une majorité d’artistes d’accéder à une liberté totale en terme d’images (et pas que…).

Pour Raphaëlle Levasseur, il est certain que beaucoup d’artistes passent par « le persona », c’est-à-dire par la construction d’un personnage, et pour Carole Boinet, la musique est liée à l’image. « Elvis, il était oversexualisé. On vendait un corps qui plaisait aux adolescentes. C’est très complexe et insidieux. L’industrie musicale se construit sur des objets à vendre. Les gars aussi sont touchés mais moins que les filles. À force de commenter leurs physiques, leurs comportements, de les questionner, elles en viennent à culpabiliser. Elles sont toujours trop ou pas assez. Trop ou pas assez sexy, avec des poils ou sans poils, en jogging ou en robe… Il y a toujours quelque chose qui ne va pas. C’est la liberté qui est en jeu. Laissons-les, les femmes ! Il faut que les gens soient libres de faire ce qu’ils ont envie de faire ! », remarque Carole Boinet.

Elle prend l’exemple de Kate Bush. La première fois qu’elle apparaît et qu’elle se met à danser. La première fois, dit-elle, qu’on voit une femme danser un peu bizarrement :

« C’était incroyable de liberté ! Elle a inventé une subjectivité et ça, peu de femmes se l’autorisent. C’est difficile de sortir du carcan, du cadre. »

Il y a quelques mois, en interview avec Orianne Marsilli, alias Ladylike Lily, elle nous faisait mention de la performance de Camille, très empreinte de liberté. Elle notait alors qu’il est rare de voir une musicienne s’affranchir des codes. Pumpkin confirme :

« Ce qui est insidieux, c’est que tout est mis en place pour une séance photo. Et quand tu as du respect pour le travail des gens, c’est pas facile d’intervenir. On n’ose pas dire non. » Elle fait alors état de son rapport à la scène : « En concert, j’aimerais que le public soit focus sur la performance artistique et rien d’autre. Et parfois, je vois que le regard se porte sur autre chose. Je pense qu’on n’est pas libre une seule seconde en fait. »

Pour $afia Bahmed-Schwartz, même discours : « Moi, ce que j’aime dans la scène, et c’est un choix, c’est monter sur scène et rencontrer le public, la sororité. C’est ça que j’aime. Il y a une sorte d’effervescence où t’as envie de donner le meilleur de toi-même et de donner de la force aux autres. Être une super soi-même pour l’offrir aux personnes qui sont venues. »

Mais, comme partout, une femme libre équivaut à l’immaitrisable. Impossible pour une femme de transgresser ses rôles sociaux sans être rappelée à l’ordre. Que ce soit par les professionnel-le-s de la musique, les médias ou le public. Le rapport de pouvoir désignant les hommes comme êtres dominants passe par des biais multiples, et cela n’est pas propre aux musiques actuelles : invisibilisation, contrôle de l’image, objetisation du corps, violences sexistes et sexuelles, dans lesquelles s’imbriquent également les violences racistes, LGBTIphobes, grossophobes, handiphobes, etc. 

S’ADAPTER, CONSTAMMENT

Claire Morel, co-fondatrice de She said so France et modératrice de la table-ronde sur l’image subie ou choisie des musiciennes, cite Edmond de Goncourt dans toute sa misogynie :

« Si on faisait l’autopsie de femmes ayant un talent original, comme Mme Sand, Mme Viardot, etc. on trouverait chez elles des parties génitales se rapprochant de celles des hommes, des clitoris un peu parents de nos verges. »

Voilà voilà. Les femmes, encore aujourd’hui, ne sont pas réellement considérées comme des artistes à part entière. Demeure cette vision néfaste de la muse qui n’a pour but que de renvoyer les femmes à une vaste fonction d’inspiration pour les hommes, producteurs de contenus de génie. Les femmes doivent s’adapter. C’est ce que notent Ellie James et Yurie Hu.

« Quand on part en tournée, on s’adapte énormément. L’humour gras, le foot, tout ça… Maintenant, ça fait partie de moi, je suis contente quelque part de faire partie des « gars ». Mais j’ai été obligée de m’endurcir pour être entendue. », souligne Ellie.

Pour Yurie, il y a un sujet qui reste profondément tabou et dont elle parle aisément, et c’est tant mieux, ce sont les menstruations. « Je ne veux pas diaboliser les mecs mais les règles, les douleurs physiques, ils ne comprennent pas. Nous, on a nos règles tous les mois. En tournée, j’appréhende. Il faut que je pense à bien prendre des tampons, des médicaments, etc. Et puis je ne parle pas de celles qui ont des complications dues à leurs règles, qui font des anémies, celles qui ont de l’endométriose… On n’en parle jamais et je pense que ça peut même dissuader des femmes à ne pas avoir ce rythme de vie. », signale-t-elle.

Ellie est sujette à des évanouissements en période de règles : « Je flippe que ça m’arrive sur scène. Je me demande si ça va m’arriver avant de monter sur scène ou sur scène… Attention, on ne se victimise pas mais on pense que c’est important d’en parler. Par exemple, j’ai pas mal d’amies qui faisaient de la musique et qui ont arrêté quand elles ont eu des enfants parce que souvent leurs mecs font aussi de la musique et donc il faut qu’il y en ait un qui s’arrête… Et on a plus l’habitude de voir le mec sur la route en tournée. Ça me fait me poser beaucoup de questions. C’est quoi mon futur ? Comment je pourrais concilier vie de famille et vie de tournée ? Déjà que concilier la vie de couple c’est pas facile… »

La parentalité est encore attribuée aux femmes comme nous l’expliquait l’an dernier la réalisatrice rennaise Céline Dréan, après avoir participé à la table ronde organisée par HF Bretagne, à l’occasion du festival Travelling, sur la place des femmes dans le milieu du cinéma. Concernant les propos des actrices expliquant de plus en plus dans les médias qu’après une grossesse, elles partaient en tournage avec leurs bébés, elle répond :

« On entend des actrices qui sont à un niveau hyper élevé, qui peuvent avoir des nounous avec elles. Une technicienne son, une cheffe op’, une réalisatrice qui fait plutôt du documentaire, je peux te dire qu’il y aura pas de nounou, pas de budget pour ça. Soit tu as quelqu’un d’autre qui peut assurer quand t’es pas là, soit t’as pas et t’as pas de solution. Moi, je me rappellerais toujours – et c’est arrivé à plein de femmes quelque soit leur milieu et leur travail – le premier festival où je suis allée après avoir eu ma première fille, un copain m’a dit ‘bah alors, qu’est-ce que t’as fait de ta fille ?’. Je suis absolument sure que personne n’a dit ça au père de ma fille quand il est sorti pour la première fois. »

Dans le monde musical, le sujet fait débat et était le sujet d’une conférence proposée par Musiques Pluri’ELLES (orientée sur les musiques classiques et les orchestres). En avril 2018, une vidéo avait fait le tour de la toile, montrant la mezzo Wallis Giunta, sur scène, portant dans ses bras le bébé de l’altiste qui venait de se réveiller de sa sieste. Une réalité qui doit être prise en compte et être mise sur la table des discussions dans tous les champs d’activités. 

LE PARCOURS DE LA COMBATTANTE

« Sur l’ensemble, le parcours est cadré. Il y a une orientation genrée des instruments et une éducation genrée. Ça va commencer dès le plus jeune âge. Les filles vont plutôt faire du violon, vont aller au conservatoire. Les garçons, à l’adolescence, ils vont monter des groupes, c’est une école de la virilité et les filles, quand elles sont là, elles ne sont pas là pour leurs compétences. Dans les musiques actuelles, on est plutôt sur des instruments comme la guitare, la basse, la batterie, les instruments traditionnels. Là où on oriente moins les filles. Ensuite, sur le marché du travail, il y a un déséquilibre, puis la grossesse, la maternité… Et je ne parle même pas de l’image des femmes quand elles vieillissent. Clairement, on n’a plus envie de les voir. », analyse Laurie Hagimont.

Sans oublier, comme le précise Clémence Hugo, que souvent les lieux de répétition se situent à l’orée des villes. Pour les jeunes filles, il est plus difficile d’accéder à ces lieux puisqu’en règle générale, on les laisse moins sortir, seules, de nuit, etc :

« Et ensuite, si elles poussent la porte des lieux de musiques actuelles, qui les accueille ? À Quimper, par exemple, ils ont embauché une femme en accueil technique, ça c’est vraiment des choses auxquelles il faut réfléchir. Les femmes qui n’ont pas de formation musicale, elles se sentent encore moins légitimes. Je pense que les lieux de répétition sont un endroit clé pour absorber le retard avec lequel partent les femmes de par tout ce qu’on a dit sur leur éducation, etc. »

Le sentiment d’insécurité est fort dans les musiques actuelles. Le critique Norman Lebrecht écrivait déjà en 1991 : « Dans nos sociétés évoluées où toute discrimination est un délit, les salles de concerts demeurent au-dessus des lois, comme des bastions inexpugnables de la suprématie masculine et blanche. »

Aujourd’hui, il n’y a qu’à consulter les nombreux témoignages sur le site de Paye Ta Note. Aucune surprise, c’est un florilège de violences sexistes, autant dans les paroles que dans les actes.

« Ce sont des mots qui font perdre confiance. Il faut prendre conscience de ça. C’est extrêmement grave et ça a des conséquences sur le comportement des filles et des garçons, notamment l’évitement et l’abandon chez les filles. On ne peut pas traiter les violences sexuelles si on ne traite pas ce qui paraît « anodin ». »
s’insurge à juste titre la coordinatrice d’HF Bretagne.

Pour elle, les professionnel-le-s de la musique ont la responsabilité d’accompagner et de faire entendre la diversité des points de vue qu’il y a dans cette société : « Ce n’est pas si compliqué, c’est une règle qui peut être mise en place. Comme pour le cinéma avec Polanski, on ne demande pas de censurer la projection du film mais en parallèle de l’accompagner d’un débat, d’une rencontre. »

Réflexion à laquelle Clémence Hugo ajoute la nécessité de faire parler les personnes concernées : « C’est important de ne pas se retrouver en position de dominant-e qui parle à la place de… Comme quand on parle de la décolonisation avec uniquement des hommes blancs. Là dans le cas des musiques actuelles, il faut écouter les personnes concernées : les musiciennes. »

UN TRAVAIL COLLECTIF

Elles le disent : depuis MeToo, elles ont moins besoin de convaincre, la réflexion est plus collective, le travail aussi. HF aide et accompagne mais ne fait pas à la place.

« On a une belle relation avec les TransMusicales depuis plusieurs années. À aucun moment, on ne fait à leur place. De toute façon, c’est inscrit dans le pacte des musiques actuelles. », précise Laurie Hagimont. « Je rejoins Laurie sur le côté plus collectif mais je dirais quand même que si dans une équipe il n’y a pas une personne mobilisée pour porter ces questions-là, y aura pas forcément le même impact. On est sur du collectif mais il reste une part de militantisme quand même. Il faut être en capacité d’amener la question même si ça déplait. Mais c’est vrai que je le ressens aussi, à HF, on est plus identifiées et on nous sollicite beaucoup plus et moins naïvement, je dirais, dans le sens où la réflexion reste moins en surface, va plus en profondeur. », nuance Clémence Hugo.

Comme dans tous les autres domaines de la société, l’évolution concernant l’égalité femmes-hommes se fait progressivement. Lentement. Les derniers chiffres 2019 montrent que seulement 12% de femmes dirigent des Salles de Musiques Actuelles (Smac) et cela n’a pas évolué depuis 2017.

Côté programmation, on l’a dit en début de dossier, les chiffres ne sont pas bons non plus. À l’Antipode MJC, Gaétan Naël est adjoint de direction et de programmation des musiques actuelles depuis 11 ans. Son travail : mettre en place une programmation qui tient compte du projet artistique et culturel - ainsi que du budget - de l’association, qui intègre les questions de diversité, de mixité, de différences des genres et des esthétiques, des musiques spécialisées et des musiques grand public.

En pratique, ça se concrétise par du temps de veille, de la lecture, des visionnages, de l’écoute, des échanges avec des producteurs, des tourneurs, de la petite structure à la structure internationale. Cela implique également des échanges avec les artistes, des déplacements pour aller voir des concerts dans des bars, des festivals et autres lieux et événements, des déplacements dans tout le grand Ouest et l’Ile de France, mais aussi des échanges avec ses différents réseaux et les bénévoles du pôle musique de l’Antipode.

« Il y a une multitude de faisceaux, c’est un travail en 360, le volume d’infos arrive de toute part. Ça demande une grande disponibilité et une grande souplesse, aussi parce qu’il y a moins de moyens pour les musiques actuelles. », précise Gaétan Naël. 

LE SEXE N’EST PAS UN CRITÈRE ?

En général, questionner un programmateur sur l’absence ou le très faible pourcentage de femmes dans la saison, c’est le moment qui fâche. Parce qu’en général, on nous répond que le sexe n’est pas un critère. On nous a même dit, et on ne citera pas la personne, qu’on regardait les choses sous le mauvais angle. Gaétan Naël replace alors le contexte :

« Honnêtement, je n’ai jamais pris ça pour un critère. Par contre, il y a un mouvement sociétal, que je ressens, qui fait que ça devient un critère. Et ça me taquine un peu. Pour faire la programmation, je pars de ce qui existe, du contexte dans lequel nous sommes, et je retiens des propositions peu importe de qui ça vient. C’est une proposition artistique. Ça peut aller de l’orchestre de Cotonou avec des musiciens âgés de 70 ans et plus à de très jeunes artistes comme Tiny Feet, à l’époque où nous l’avons reçue, ou Ladylike Lily. C’est même elle qui faisait l’affiche et on ne s’est pas demandé si elle était connue ou pas, c’était le début de sa carrière et accompagner les jeunes talents fait partie de la logique de la structure. On fera de la même manière pour un jeune artiste homme. Il y a la diffusion mais il y a aussi les résidences à prendre en compte. On a eu trois résidences longues sur la saison, trois femmes. Encore une fois, ce n’est pas une question de sexe mais de projet. »

Il poursuit sa réflexion, émanant d’une question multiple : « Fort est de constater qu’il y a moins de femmes. De la petite enfance à la vie professionnelle, on le sait, il y a toute une construction sociale et il est sans doute plus facile pour un homme d’arriver dans ces espaces-là. En faisant les calculs, on s’est rendus compte qu’on n’était pas meilleurs que les autres. Ni meilleurs, ni moins bons. On a de gros efforts à faire. Notamment niveau hip hop par exemple. Ou le rap. J’ai eu des conversations musclées avec des producteurs, j’essaye d’en parler avec les tourneurs, ce n’est pas toujours évident. Il y a beaucoup de projets hommes dans ces domaines mais il y a aussi beaucoup de mauvais projets avec des hommes. En France, il n’y a pas 150 bons projets de rap. » Ce qu’il exprime, c’est la nécessité d’être vigilant, de questionner sa pratique et d’en discuter. Mais il ne peut pas agir seul. 

LA CHAINE ENTIÈRE À REPENSER

Il ne faut pas oublier que la structure qui diffuse un-e artiste est un des maillons de la chaine. En avril dernier, Odile Baudoux, programmatrice artistique au Triangle, rappelait lors de la présentation du diagnostic chiffré d’HF Bretagne : « Sur la programmation de l’année prochaine, on est plus du 60 – 40 (femmes – hommes). Il y a des raisons conjoncturelles à ça : des questions d’agenda, de partenariat, etc. Parce que je ne suis pas toute seule à décider et à bâtir cette programmation. On n’y arrive pas toute seule si tout le monde ne décide pas de mettre l’égalité au centre des priorités. C’est tous et toutes ensemble qu’il faut le faire. » 

Le programmateur de l’Antipode MJC ne peut qu’acquiescer : « On est lié-e-s à un système, à des économies, à une industrie musicale. On peut se battre mais c’est toute la chaine qu’il faut repenser. » Autre élément à prendre en compte : les musiciennes sont moins nombreuses dans le secteur et quand elles sont remarquées, elles sont davantage sollicitées, donc moins disponibles et parfois plus chères. « Dans le quotidien d’une structure, c’est pas secondaire. », dit-il.

De nombreux points sont encore à améliorer et cela ne concerne pas uniquement la partie diffusion. Les aides aux structures, l’éducation à l’égalité, une politique réelle de l’égalité dans tous les secteurs de la société, une remise en question de la presse et des industries en tout genre.

On le sait, patriarcat et capitalisme sont liés. Il est temps de réfléchir aux conséquences de l’invisibilisation des femmes mais aussi à l’impact et la portée des mots et des images utilisé-e-s par de nombreux artistes. Concernant la programmation de chanteurs et musiciens – ou d’artistes en général – connus pour leur misogynie, qu’elle soit à titre de provocation ou bien qu’elle soit bien intégrée, ou pour leurs actes sexistes et/ou criminels (on rappelle que le viol est un crime) ainsi que pour leurs incitations à la haine et aux violences, les débats sont houleux entre des militantes revendiquant l’annulation des concerts (ou des projections, pour ne pas mentionner l’actualité de la fin 2019) et des programmateurs jouant aux autruches.

Pour HF Bretagne, la censure n’est pas forcément la réponse au problème, et opte plutôt pour que ces événements soient encadrés, en les accompagnant de débats, de rencontres et d’échanges. Pour aborder les questions de domination, de rapports au pouvoir, de discriminations, de violences sexistes et sexuelles.

Pour Gaétan Naël, il est clair que l’Antipode MJC a toujours eu un rôle à jouer, en tant que structure de quartier. De nombreux temps d’échanges et de rencontres sont organisés autour de thématiques diverses, comme ce fut le cas il y a quelques années, en 2009, avec la venue d’Orelsan. Une venue qui avait suscité la polémique :

« Il n’était pas le seul programmé ce soir-là, ça allait dans le cadre d’une soirée du festival Urbaines. Dans mon geste artistique, j’essaye de raconter une histoire. J’ai mis dans la narration plusieurs façons de traiter le fait de vivre sur le territoire français. Il y avait ensuite une rencontre, c’était annoncé. On ne l’a pas organisé à cause de la polémique, ça rentre dans notre mission et dans notre fonctionnement. Après je m’interdis bien évidemment des projets hautement politiques, ou racistes, ou xénophobes, etc. Je reste dans le cadre de la loi. »

Il conclut : « Le rapport sociétal a beaucoup changé depuis. On évolue dans le bon sens, on réinterroge les gens sur leurs pratiques et sur les prises de conscience. Moi, je ne suis pas sachant, je grandis tous les jours, je prends des taquets tout le temps et j’apprends. Ce qu’il faut, c’est arriver à déconstruire la société ensemble. Ces questions-là vont ouvrir d’autres questions, c’est très intéressant. » 

INSPIRATION RIOT GRRRLS

Bouger les lignes, prendre la parole, prendre le micro, s’affirmer. Ce n’est pas nouveau dans l’histoire des musiques. Dans l’underground particulièrement. « Elles (les musiciennes grunge aux Etats-Unis dans les années 90, ndlr) vont se rendre compte que le personnel est politique, que ce qu’elles ressentent est politique, qu’elles ont envie de prendre des instruments et faire de la musique : elles s’interrogent alors sur la place des femmes dans la société underground et plus largement dans la société. », explique Manon Labry, docteure en civilisation nord-américaine, dont la thèse a porté sur les relations entre culture mainstream et sous-cultures underground, à travers l’étude du cas de la sous-culture punk-féministe.

En juin 2017, au Jardin moderne, elle racontait la naissance du mouvement Riot Grrrls. Un récit qu’elle a publié en avril 2016 dans son ouvrage Riot Grrrls, chronique d’une révolution punk-féministe. Newsletters, fanzines féministes, concerts, esprit DIY, la création est en pleine ébullition. Et prend d’autant plus d’ampleur quand la scène olympienne rencontre la scène washingtonienne, « plus politique, plus organisée ».

Les musiciennes féministes de l’underground étatsunien vont révolutionner le paysage musical punk et porter des revendications encore tristement d’actualité en 2020. Les groupes emblématiques tels que Bikini Kill (qui comptabilise dans ses rangs Kathleen Hanna et Toby Vail), Bratmobile ou encore Heavens To Betsy font entendre leurs voix et dénoncent des pratiques qu’elles trouvent inacceptables.

« Les féministes s’emparent de la scène underground et produisent des choses qui n’ont encore jamais été entendues, même si le terrain avait déjà été tâté par L7 », précise Manon Labry. En effet, L7 abordait déjà la question du plaisir féminin et de la masturbation, entre autres. Pourtant, elles ne prendront pas part au mouvement.

« Pour autant, elles ont beaucoup influencé les Riot Grrrls, ont collaboré et se sont entraidées. Elles étaient, si on peut dire ça comme ça, des collègues de lutte. Les Riot Grrrls ont continué sur la lancée, en ajoutant les violences faites aux femmes, les viols, les incestes. », souligne-t-elle.

Entre 1990 et 1995 – période sur laquelle Manon Labry focalise son récit, correspondant alors à la naissance du courant – les groupes émergent, tout comme les fanzines féministes se répandent, comme Jigsawou Riot Grrrls. On prône alors l’esprit DIY, l’émancipation (sans jalousie entre meufs) mais aussi le retour aux idéaux premiers du punk :

« À cette époque, on déchante un peu du punk qui se veut horizontal mais les scènes masculines sont majoritaires et les comportements machos sont pléthores. « Girls to the front » (réclamer que les femmes accèdent aux devants des scènes et faire reculer les hommes) est alors une stratégie, que Bikini Kill explique lors des concerts mais aussi sur des tracts, pour que l’espace ne soit pas dominé par des hommes. »

Le mouvement est inspirant, puissant, contagieux. Et controversé. Pas au goût de tout le monde. Elles sont régulièrement la cible des médias mainstream qui les décrédibilisent, les faisant passer pour des hystériques criant dans leurs micros.

Dans son ouvrage, la spécialiste détaille l’ampleur que prendra cette médiatisation de la haine, allant des menaces (de viol, de mort…) jusqu’à l’exécution de ces dernières. Si le mouvement a disparu de sa forme originelle, il a fait des émules et a poursuivi son chemin en souterrain.

LADYFEST, FÉMINISTE, QUEER ET LGBTIQ+

Louise Barrière est doctorante contractuelle en Arts à l’université de Lorraine. Sa thèse porte sur les festivals punks, queers et féministes. Le 5 décembre, à la Maison des associations à Rennes, elle intervient au sein de la table-ronde organisée par la FEDELIMA.

« Le festival Ladyfest nait en 2000 à Olympia et puis se propage dans le reste du monde. En France et en Allemagne, ça arrive en 2003. Le réseau s’ouvre aux questions LGBTI et queer. Le festival est féministe parce que dans le reste des événements, souvent c’est masculin. L’objectif ici est de mettre les femmes, les personnes homos et trans au centre. », dit-elle, précisant qu’elle a une triple casquette : chercheuse, musicienne et organisatrice.

Il y a beaucoup de similitudes avec le mouvement Riot Grrrls : le côté DIY, les lieux alternatifs et locaux. Elle le souligne : l’inspiration est punk mais la programmation très variée, punk rock, synthwave, hardcore, rap, noise, musiques expérimentales, etc. Lors du festival ne sont pas uniquement organisés des concerts, il y a aussi des ateliers anticapitalistes, antiracistes, antisexistes et des ateliers musicaux réservés aux femmes, aux personnes LGBTIQ+ et aux personnes queers.

« Pour essayer de contrer la division genrée des instruments. », précise Louise Barrière qui signale qu’au-delà d’une programmation, il s’agit là aussi de la création d’espaces « où toutes ces personnes puissent se sentir complètement en sécurité. » Une charte d’utilisation des lieux du festival est affichée à l’entrée du site mais aussi aux toilettes et un peu partout sur les murs, « là où il y a de la place. »

Des fanzines sont distribués à l’entrée, pour conscientiser la position de chacun-e dans l’espace social et donner quelques recommandations s’il se passe quelque chose. « Il y a une équipe de médiation dans la foule, qui est reconnaissable et joignable par téléphone en cas de problème. On demande aussi de respecter les pronoms choisis par les un-e-s et les autres. On peut coller une étiquette sur son vêtement indiquant son pronom. Et il n’y a pas que le pronom masculin et le pronom féminin. Dans une perspective queer, l’idée est de brouiller la binarité du genre dans le langage en proposant des pronoms neutres. », déclare la doctorante.

L’événement tisse des liens avec d’autres formes de mobilisation, au-delà de la musique, en relayant par exemple l’appel à la Slut Walk, à des manifestations nocturnes non mixtes ou en faisant des partenariats avec des associations :

« Il y a une réflexion sur nos pratiques dans les scènes alternatives mais aussi dans tous les espaces de la vie quotidienne. »

VISIBILISER LES MUSICIENNES

À Rennes, le festival Les Enlaidies revendique avant tout son centre d’intérêt : la musique. Mais incite et invite à la réflexion et aux questionnements, par rapport à nos positionnements et nos pratiques dans les rapports entre les hommes et les femmes dans le milieu musical. Interrogées par le média local L’Imprimerie Nocturne, les organisatrices reviennent sur la genèse de leur projet, initié en 2019 :

« Justine : On est (aussi) parties du constat que dans ces milieux-là, qui se disent underground, où on est censé avoir une ouverture d’esprit et de tout, les femmes sont sous-représentées, que ce soit dans l’orga ou en tant que musiciennes. On a chacune sa musique un peu phare, moi je suis très rock et très métal. Même s’il y a des femmes dans le métal, on peine à les voir sans être des objets sexuels, ou des femmes qui se sexualisent ou sensualisent. Il y en a, mais peu. On voulait montrer que dans des esthétiques un peu plus vénères, c’est possible d’être une femme et c’est cool ! Pas besoin de toujours se sexualiser. Clémentine : D’ailleurs, le nom « Les Enlaidies » est lui-même une réponse à cette permanente injonction à la féminité, et il est venu comme une évidence. Le féminisme est une suggestion. Avant tout, c’est un festival de musique. »

Le 6 décembre, aux Ateliers du Vent, le festival plaçait les musiciennes au centre de sa soirée off, proposant autour des concerts, une table-ronde sur la sexualisation de celles-ci mais aussi une caravane-bibliothèque, celle des Impudentes (lire encadré). Les initiatives portant à visibiliser les femmes, autrices, compositrices, chanteuses, musiciennes, techniciennes, commencent à éclore, démontrant en effet que le talent n’a pas de sexe, amenant ainsi une réflexion autour de ce qui freinent le milieu musical.

De plus, les événements militants, comme le souligne le festival itinérant Les Femmes S’en Mêlent, sur pieds depuis 1997, peuvent être source d’empuissancement et de sororité. Et pourquoi pas être de nouvelles sources de découvertes d’artistes et de diffusion, par conséquent. Pour que les musiciennes programmées ne restent pas uniquement dans les cercles militants mais puissent aussi s’épanouir dans d’autres cadres, selon leurs souhaits. 

LE RENOUVELLEMENT DE LA CRÉATION

Les mentalités évoluent. On se répète mais les avancées sont lentes, trop lentes. Les questions doivent être posées, les habitudes remises en question.

« Quand j’ai commencé le journalisme, c’était mal vu de poser la question de ‘tu es une femme dans la musique’. Je me disais qu’effectivement on n’en était plus là mais en fait, on en est re-là. Je me suis rendue compte qu’on n’avait pas avancé. Quand on est une femme, on n’a pas le choix du regard extérieur. Un regard sociétal va être posé de facto. C’est ce regard qu’il faut changer. Ouais on en est encore à faire des couv’ de femmes dans le rock parce qu’on n’en a pas encore parlé en fait. Il faut se remettre en question en tant que journaliste mais aussi en tant que personne. Les critiques déjà partent sur des bases inégalitaires. Je leur dis à mes collègues quand ils critiquent négativement les albums de musiciennes, je leur dis de voir aussi ce qu’il y a derrière tout ça. Est-ce qu’elles ont eu le même budget que les mecs ? Est-ce qu’elles ont eu le même temps ? Les mêmes moyens ? Le même matériel ? », analyse Carole Boinet, rédactrice en chef adjointe aux Inrockuptibles.

On aurait également envie d’ajouter : les musiciens, ont-ils subi des remarques sexistes au cours de leur parcours ? En avril dernier, Téléramapubliait une enquête sur le sexisme dans l’industrie musicale. En parallèle, l’hebdomadaire diffusait le manifeste des Femmes Engagées des Métiers de la Musique, signées par 1200 professionnelles du secteur.

Elles écrivaient : « Le temps est venu pour le monde de la musique de faire sa révolution égalitaire : les agissements sexistes, racistes et plus globalement tous les comportements discriminants ne sont plus tolérables et doivent être dénoncés et sanctionnés. Trop longtemps, ils ont été passés sous silence. Nous prenons le micro aujourd’hui pour crier haut et fort que nous n’avons plus peur de les refuser. Comme nos (con)sœurs du collectif 5050 du cinéma, nous pensons qu’il faut questionner la répartition du pouvoir, dépasser le seul sujet du harcèlement et des violences sexuelles pour définir, ensemble, les mesures concrètes et nécessaires qui nous permettront de garantir l’égalité et la diversité dans nos métiers, et ainsi favoriser en profondeur le renouvellement de la création. »

On approuve, il est plus que temps de procéder au renouvellement de la création, au-delà des sexes et des genres. Mais pas sans une juste répartition des pouvoirs. 

 

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Le refrain du sexisme en musique
"Tu joues bien pour une fille" : quel rapport ?
Côté public
Côté folklore

Célian Ramis

Jeanne Added ou l'exploration de l'hybride

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Retour sur le nouveau spectacle "Both sides" de Jeanne Added, présenté au MeM à Rennes, et rencontre avec l'artiste.
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Le 22 novembre, Jeanne Added présentait au MeM, à Rennes, son nouveau spectacle Both Sides dans lequel elle revisite son répertoire et propose une forme scénique inédite dont on ne dévoilera pas l’effet ici, médias et spectateurs-trices étant invité-e-s à ne pas tout révéler afin de conserver la surprise pour les suivant-e-s. Avant de monter sur scène, nous l’avons rencontrée. Reportage et interview.

Sous le chapiteau, la disposition particulière du spectacle Both Sidess’adapte à merveille. Au fond, la scène est transformée en gradin, le plateau étant disposé au centre de la structure, avec le public, assis autour. 

Aussi surprenant que la forme, l’artiste plonge le MeM dans une ambiance clubbing qui embarque son auditoire, incapable aux sons des notes synthétisées de rester vissé sur sa chaise. Le public se lève, s’emballe et remue son corps.

Jeanne Added aussi danse. Elle intègre les mouvements à sa musique, comme s’ils avaient été créés en véritable symbiose. Ça fonctionne. Les morceaux s’enchainent, les pistes voix se superposent et l’artiste apparaît en chalengeuse sur le ring du chapiteau, soutenue et acclamée par le public.

C’est comme si l’artiste repoussait ses propres limites. Elle joue avec les lumières, les ambiances, les rythmes et les gestes. Oui, c’est fort. Mais durant la première partie du spectacle, il vient rapidement à nous manquer un truc sans véritablement réussir à mettre le doigt sur le « quoi ». On se laisse prendre au jeu en entendant des chansons comme « Back to summer » ou « Mutate » en mode club mais une (petite) frustration s’installe.

C’est là, quand le concert prend son premier virage que la magie opère. Alors qu’on commençait un tantinet à trouver le temps long, Jeanne Added nous fait relever la tête, pile poil pour nous prendre la claque (musicale) que l’on attendait. Celle-là même qu’elle nous met quand elle déploie sa voix puissante, sublimée par son accompagnement à la basse.

Désormais, nos yeux sont rivés sur le plateau et notre corps est en tension. Parce qu’elle a dans sa manière de chanter, dans sa manière d’interpréter, quelque chose de viscéral. On sent une nécessité, une urgence, un besoin. Une force vitale.

Et ça, elle ne le lâchera pas jusqu’à la fin du spectacle. De « Radiate » à « Look at them » en passant par « War is coming », « Both sides » ou encore « Suddenly », Jeanne Added propose un mix de ces deux albums, Radiate et Be sensational.

Comme toujours, elle déclenche le frisson. Parce qu’elle fonce et se donne à fond. Elle s’engage dans son corps et dans sa voix, sur scène, et partage sa démarche, sa créativité, son art et son savoir faire avec le public qui l’entoure. C’est une réussite.

 

Jeanne Added : « Je cherche la proximité avec le public et surtout à ne pas être dans un rapport traditionnel, frontal. »

 

YEGG : On vous a vu plusieurs fois à Rennes entre les Trans Musicales et Mythos. Quel regard avez-vous sur le chemin parcouru entre les Trans Musicales et aujourd’hui ?

Jeanne Added : Je suis un peu extasiée. Après, ça m’arrive de temps en temps de regarder en arrière mais bon, je suis principalement en train de faire des choses, en train de travailler, en train d’imaginer la suite, etc. Revenir à Rennes, effectivement, ça fait un peu regarder en arrière car il y a des éléments clés de ma vie qui se sont passés ici. Mais sinon, je pense assez peu dans ces termes-là même si ça fait parti de ma joie de voir tout ce qui s’est passé, de la joie que je peux avoir à faire les choses maintenant. Ma vie est riche de tous ces moments-là, de tout ce développement qui a été incroyable.

Là, vous passez d’une tournée en groupe à une tournée en solo. Comment on travaille le rapport à l’espace scénique ?

En fait, c’est surtout une tournée qui s’est passée dans les salles de concert et une qui a été conçue pour les théâtres. Ma recherche, en terme d’espace scénique, elle est la même en concert et là. La question principale étant toujours de comment intégrer le public et faire qu’il soit actif et acteur de ce qu’il est en train de vivre. Et de déconnecter le côté consommation, organiser un espace qui permette au public d’être dans un état différent, dans un état de disponibilité, pour qu’on puisse créer quelque chose ensemble.

Quelle place vous donnez au public qui ici s’installe des deux côtés de la scène, comme si vous étiez le miroir, au centre ?

Le spectacle a été conçu pour qu’il soit en bifrontal, donc le public est de part et d’autre du plateau. Ça change un petit peu parce que les gens se voient les uns les autres. Après, chacun se raconte un peu ce qu’il veut par rapport à ça. Je pense que je cherchais de la proximité et surtout de ne pas être dans un rapport traditionnel, frontal. J’avais envie d’autre chose.

Comment vous vivez cette nouvelle disposition ? Quel regard cela apporte sur votre place d’artiste ? 

Je ne sais pas bien répondre à ça. J’y prends beaucoup de plaisir. C’est comme si le fait d’être entourée du public me permettait d’être encore plus présente à ce que je fais. C’est-à-dire que quand derrière moi, il y a les coulisses et le public juste en face, quelque part il y a une partie de moi-même qui peut ne pas exister. Comme si mon dos ne jouait pas, quoi. Là, mon dos il joue aussi. Donc je suis obligée d’être encore plus présente. Etre présente sur le moment étant la chose que je recherche, étant la sensation qui me donne le plus de plaisir quand je fais des concerts, j’avoue que c’est plutôt une réussite pour moi de ce point de vue là.

Vous pensez qu’on peut perdre du plaisir en restant dans un côté « traditionnel » de concert avec l’artiste sur scène et le public devant lui ? Il y a besoin de se renouveler ?

Se renouveler… pas forcément parce que c’est comme si ce qu’on avait fait avant ne suffisait plus ou que c’était moins intéressant. Non, c’est continuer en fait, aller plus loin, continuer à se poser des questions, trouver d’autres réponses. C’est sans fin.

Ça sort aussi de ce qu’on connaît, d’une zone de confort ?

Il y a ça avec le fait que je danse un peu plus dans ce spectacle-là. C’est un média que je connais moins, c’est un média qui n’est pas celui sur lequel je suis formée. Je ne vois pas ça autrement que de continuer à apprendre des choses. Et apprendre, c’est se mettre en danger de toute manière, la situation de l’apprentissage, c’est une mise en danger. C’est pour ça d’ailleurs que pour apprendre il faut être en confiance. Pour pouvoir accepter cette mise en danger. C’est sans doute pour ça que ça arrive maintenant, que je puisse me mettre en danger sur ce spectacle-là. J’ai un peu gagné en confiance et c’est tant mieux parce que ça permet de continuer de se poser des questions et avancer.

Comment vous avez travaillé le fait de revisiter votre répertoire ?

Ça allait avec la forme du spectacle qui est une sorte de grand decrescendo. J’ai donné la mission à Emiliano Turi qui est mon batteur depuis quelques années maintenant de réarranger les morceaux. L’idée étant qu’on soit dans une ambiance plutôt club au début du concert.

Merci ! 

Merci à vous.

 

Célian Ramis

Autour d'Olympe de Gouges, les soeurs de choeur

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Même quand on connaît Olympe de Gouges, on se régale de cet instant de transmission de notre matrimoine. Découvrez "Olympe la rebelle" le 23 novembre à 20h à la Maison Bleue de Rennes.
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Ne pas se laisser marcher sur les pieds, s’insurger contre les inégalités, changer les lois pour faire reconnaître nos droits… Tel est le message du spectacle musical Olympe la rebelle, interprété par le chœur d’ados de la Zik’Zag compagnie les 5 et 6 octobre à la Maison de quartier de la Bellangerais. La pièce est rejouée le 23 novembre à la Maison Bleue de Rennes.

« Olympe de Gouges, elle est pas connue, elle est même pas dans nos livres d’histoire ! », s’écrie une élève. Mr Magne, professeur d’histoire, a inscrit sa classe à un concours dont la militante pour les droits des femmes et l’abolition de l’esclavage est le sujet.

En 1791, elle écrivait dans la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne : « Une femme a le droit de monter à l’échafaud ; elle doit avoir également celui de monter à la tribune. » Par son militantisme et ses écrits, elle dérangeait. Elle fut décapitée.

Plus de 200 ans après la Révolution française, elle a été oubliée, avant d’être réhabilitée il y a quelques années. À l’instar des personnages que les membres du chœur incarnent, les quinze adolescentes (parmi lesquelles figure un seul garçon), âgé-e-s entre 11 et 17 ans, ont découvert cette figure majeure du féminisme.

« C’était difficile pour eux de comprendre. Une révolutionnaire qui se fait guillotiner ! Difficile aussi d’entrer dans ce monde de la révolution et surtout d’accéder au style des écrits d’Olympe de Gouges. Mais ils se sont également rendus compte qu’elle traitait de sujets auxquels ils pouvaient être sensibles et qui restaient pour certains d’actualité. La pièce joue d’ailleurs sur l’ambivalence des jeunes à l’Histoire : un truc vieux, plein de poussière qui ne donne pas envie… mais quand on s’y plonge, elle peut résonner dans nos vies de tous les jours. », explique Claire Visier, qui a mis en scène le spectacle composé initialement par Isabelle Aboulker – qui a écrit le livret pour un collège de Montauban, d’où est originaire Olympe de Gouges – et repris par la cheffe de chœur et pianiste Estelle Vernay.

Dans Olympe la rebelle, les ados chantent et jouent, accompagné-e-s du baryton Olivier Lagarde, dans le rôle du prof d’histoire, et de la soprano Aude Le Bail, dans le rôle de la révolutionnaire. La comédie musicale dépoussière avec rythme et énergie cette période historique grâce à l’angle de vue choisi : celui d’une femme d’esprit, de lettres et d’action qui va leur insuffler débats et chansons sur l’affirmation de soi et l’égalité entre les sexes, et plus largement entre tous les humains.

Et même quand on connaît Olympe de Gouges, on se régale de cet instant de transmission de notre matrimoine et on apprécie l’expression de chaque individualité au sein du chœur. 

Découvrez Olympe la rebelle le 23 novembre à 20h à la Maison Bleue, de Rennes.

Célian Ramis

Parité dans les festivals : ça rame sévère...

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Le manque de parité dans l’organisation d’un événement tel qu’un festival de musique, c’est le constat que dresse l’équipe du Don Jigi Fest, dont la 8e édition s’est déroulée les 3 et 4 mai à Vitré.
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Le manque de parité dans l’organisation d’un événement tel qu’un festival de musique, c’est le constat que dresse l’équipe qui gère bénévolement le Don Jigi Fest, dont la 8édition s’est déroulée les 3 et 4 mai à Vitré. 

Il existe un exercice simple : se rendre sur les sites internet des festivals et compter combien de femmes apparaissent dans la programmation. En 2019, elles sont 33 sur 80 groupes invités aux Francofolies, 25 sur 79 groupes invités à Solidays, 14 sur 40 groupes invités au Bout du monde, 24 sur 73 groupes invités aux Vieilles Charrues, 5 sur 22 groupes invités au festival du Roi Arthur et 3 sur 17 groupes invités au Don Jigi Fest.

Pas besoin d’être un-e génie des mathématiques pour comprendre qu’elles sont largement minoritaires, ça saute aux yeux. En revanche, ce que le grand public remarque moins en général, c’est le déséquilibre qui règne également au sein des équipes organisatrices. Et ça, les membres du Don Jigi Fest le réalisent depuis plusieurs mois.

« Même avant cette édition-là, on sentait, rien qu’en regardant notre organigramme, le clivage des hommes à la technique et des femmes à la restauration. », explique Esther Rejai, rejointe par Mael Gerault : « Dans le bureau, c’est flagrant. Il n’y a qu’une seule femme et elle est en co-présidence. Depuis le début du festival, il n’y a eu que 2 femmes, toujours en co-présidence. » 

LA PRISE DE CONSCIENCE

Dans les bénévoles figurent 51% de femmes et 49% d’hommes, dans l’équipe organisatrice (bénévole elle aussi), 35% de femmes et 65% d’hommes. Autres éléments : 8 femmes et 17 garçons dirigent les 25 commissions. Sur le tremplin organisé, 36 artistes, 0 femme.

« On voyait bien qu’il y avait plus de mecs que de nanas mais on ne s’en rendait pas compte à ce point. On réalise maintenant parce qu’on a ouvert le débat entre nous. », souligne Mael. Esther rebondit sur les propos : 

« Les filles l’avaient déjà réalisé avant. Par exemple, c’est assez flagrant que quand on mange tous ensemble, souvent les gars partent et laissent leurs trucs et les meufs font la vaisselle. C’est fou ! Et quand on creuse, on se dit que ça nous concerne nous mais aussi plus globalement le secteur de l’événementiel et ça amène à se poser la question sur plein d’autres domaines : le cinéma, la musique, etc. ? » 

Si pour l’heure, les organisatrices-teurs n’ont pas encore défini de solutions concrètes, ielles ont tout de même lancé la réflexion, tout d’abord afin d’identifier les causes et les freins autour de cette problématique.

COMPRENDRE LE DÉSÉQUILIBRE

« La construction de la personnalité est fortement dépendante de l’éducation, de l’entourage et du parcours de chaque individu. Les mentalités évoluent mais il me semble que l’image de la femme est encore enfermée dans des carcans, et ceux dès le plus jeune âge », répond Laura Gautier qui analyse ici, de la même manière que Roxana Rejai, l’influence des stéréotypes de genres transmis par l’éducation et les représentations. 

Ainsi, les femmes osent moins se positionner sur des postes à responsabilité et les hommes « qui ne sont pas forcément prêts à intégrer n’importe quelle fille » alors que finalement les compétences s’acquièrent « au fur et à mesure sur le terrain ». 

Mais alors comment inciter davantage les femmes à investir les commissions et les postes à responsabilités encore largement dominés par les hommes ? Pour Laura Gautier, l’équipe organisatrice a un rôle à jouer. Car elle sait anticiper les besoins, prévoir la logistique et fédérer autour d’elle.

« Les plus jeunes bénévoles peuvent se découvrir ces qualités au fur et à mesure des années et peuvent être tentés par l’expérience, si on vient les chercher. Des encouragements réguliers et de la reconnaissance permettent aux jeunes de gagner en confiance en soi, et donc de s’investir un peu plus l’année suivante. Ça a été le cas pour moi, je n’ai pas souhaité de prime abord, devenir « responsable » d’une commission, mais on m’a sollicité et insisté pour le faire. », explique-t-elle. 

L’EMPOWERMENT, ÉTAPE NÉCESSAIRE

On note, dans tous les secteurs de la société, que là où les garçons foncent et apprennent sur le tas, les filles, elles, ne s’engagent souvent que dans des domaines dans lesquels elles sont sures de ne pas échouer. Parce que dans l’apprentissage des filles, la curiosité et l’expérimentation sont rarement mises en avant et développées.

Encourager les filles et les femmes à essayer, à entreprendre par elles-mêmes des choses que l’on conjugue davantage au masculin qu’au féminin, est souvent une étape nécessaire pour s’orienter vers la mixité et la parité. Une étape qui doit aller de pair avec l’éducation des garçons :

« Je suis la seule fille depuis plusieurs années (dans la commission moyens généraux, ndlr).N’étant pas forcément bricoleuse, ce n’est pas simple d’évoluer dans ce milieu et de faire passer ses idées dans une équipe entièrement composée de garçons avec des personnalités parfois imposantes. Je pense que c’est une commission que peu de filles souhaitent intégrer ne se sentant pas légitime alors que c’est faux et que la logistique du festival est complètement accessible à tous. », souligne Roxana Rejai, qui poursuit : 

« Je trouve aussi que j’ai davantage le sentiment de devoir « ne pas me laisser faire » au milieu de cette équipe de garçons, plus que si cela avait été une équipe de filles. Cela se retrouve aussi dans l’équipe technique. Je pense qu’il y a une part à jouer par les responsables techniques mais aussi un discours à tenir de leur part pour peut-être plus insister sur le fait que ces commissions sont ouvertes à tous et à TOUTES (ce qui n’est aujourd’hui pas franchement le cas). »

Mael Gerault est co-responsable en restauration au sein du festival. Il constate qu’en 2019, pour la première fois, l’équipe chargée de la restauration a basculé dans une majorité masculine, tandis que les années précédentes, il n’y avait quasiment que des femmes.

UNE QUESTION MAJEURE RELÉGUÉE AU SECOND PLAN…

De manière générale, il souligne « le principal problème de l’événementiel associatif », à savoir « de recruter des personnes compétentes acceptant de donner gratuitement de leur temps. » Ainsi, « la question de l’égalité des sexes est potentiellement reléguée au rang des questions secondaires. »

Et pourtant, on ne peut ignorer cette problématique, non spécifique à l’organisation d’un festival mais plus largement très présente et pesante dans la société patriarcale actuelle. La conséquence d’une organisation déséquilibrée en terme de parité étant son influence sur la programmation. Car on peut supposer que si la question reste secondaire en interne, elle ne sera pas non plus éludée dans l’élaboration de la programmation.

En 2015, le site 99 scènes avait supprimé les noms des artistes hommes des affiches de 13 grands festivals internationaux. Résultat : des affiches quasi vides, voire complètement vides. Quatre ans plus tard, et bon nombre de débats sur la place des femmes dans les arts et la culture plus tard, l’évolution est lente et minime. 

Peu de festivals peuvent se vanter d’avoir une programmation paritaire, encore moins une programmation paritaire plusieurs années de suite, et encore moins une programmation paritaire représentative de la population car non la population n’est pas composée que d’hommes blancs cisgenres hétérosexuels.

PASSAGE À L’ACTION… IL Y A URGENCE ! 

Il est donc plus que nécessaire d’interroger les représentations genrées dans les différents corps de métiers qui composent l’organisation d’un festival, les circuits de diffusion des artistes, les choix éditoriaux lors de la création de la programmation mais aussi les responsabilités politiques et la distribution d’aides financières.

Comme le signale Roxana Rejai en conclusion, il est important de s’équiper d’une vigilance absolue et de créer des espaces dans lesquels chacun-e trouve sa place et puisse s’épanouir :

« On a quand même aujourd’hui beaucoup de bénévoles filles qui prennent des responsabilités, qui sont présentes sur le terrain durant le montage et le démontage, qui sont partantes pour différentes tâches qui naturellement pourraient être associées à des tâches masculines (exemple : création de décor, terrassage, bâcheage, montage de barnums… etc.). Je trouve aussi qu’il y a une place égale qui leur est donnée dans les discussions, dans les réunions, on a très peu de réflexions sexistes à ce niveau-là, toutes les idées sont bonnes à prendre qu’elles viennent d’un garçon ou d’une fille. Le vrai point de vigilance selon moi est cette question d’équilibre au sein du bureau et de cette prise de responsabilité supérieure que les filles n’osent pas demandées ou qu’elles ont intégré d’elles-mêmes comme n’étant pas pour elles. Est-ce qu’on leur laisse un espace pour se présenter ? Pas sûr non plus… »

Heureusement, sur notre territoire, le mouvement HF œuvre à la mise en place d’actions concrètes à développer pour faciliter et privilégier l’égalité entre les femmes et les hommes, et accompagne les volontaires qui s’interrogent et pointent un déséquilibre, à l’instar des organisatrices-teurs du Don Jigi Fest. Un pas que très peu de structures entreprennent malheureusement, alors que ce pas est décisif pour équilibrer la balance.

 

 

Célian Ramis

Suzane : "je suis toujours en quête de liberté"

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De passage à Rennes le 16 mai dernier, Suzane nous raconte, avant de monter sur scène, son parcours, ses influences, son rapport à la liberté, sa relation au féminisme et à l’égalité entre les sexes et sa vision d’artiste. Entretien.
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De passage à Rennes le 16 mai dernier à l’occasion du Ricard Live Music, qui s’est déroulé à l’Ubu, la « conteuse d’histoires vraies sur fond d’électro » nous a raconté, avant de monter sur scène, son parcours, ses influences, son rapport à la liberté, sa relation au féminisme et à l’égalité entre les sexes et sa vision d’artiste. Entretien. 

YEGG : Avant de parler de l’égalité femmes – hommes, on va revenir sur la genèse de Suzane. Vous vous êtes formée à la danse classique, vous vouliez être danseuse. Vous êtes aujourd’hui chanteuse. Que s’est-il passé entre les deux ? 

Suzane : Ça a été un long chemin. J’ai commencé par la danse, ça a été mon premier amour. Ma mère a amené ma grande sœur à un cours de danse classique. Il n’y avait pas de nounou pour me faire garder à cette période donc ma mère m’emmenait avec elle, voir ma sœur prendre ses cours de danse et j’ai accroché de suite !

J’ai même encore le souvenir, et pourtant j’étais très jeune, de ce moment où j’ai vu des corps bouger sur de la musique et je me suis dit que je voulais faire ça. J’étais très petite, j’avais pas le droit d’entrer dans le cours normalement mais la prof a vu que j’étais tellement motivée qu’elle m’a laissé entrer. C’est vraiment parti de là.

J’ai commencé dans ce cours de village et finalement un an et demi ou deux ans après, j’ai demandé à ma mère d’entrer au Conservatoire national d’Avignon parce que je savais que le niveau était supérieur et que j’avais envie de me perfectionner. Je suis entrée au Conservatoire à 8 ans puis à 10 – 11 ans, on te fait passer une audition pour entrer en cursus Danse études, c’est ce que j’ai fait. Ça a marché. Je faisais les cours le matin au collège et puis l’après-midi de 13h à 19h, tous les jours, de la danse.

J’en suis sortie à 17 ans parce que je savais plus trop pourquoi j’étais entrée là-dedans. Je pense que j’étais même dégoutée de la danse à ce moment-là, y a eu tout à coup une espèce de rupture. Je me sentais plus très libre, c’est vraiment une espèce de routine et surtout cette pesée du mercredi… Tu arrives à l’adolescence, tu vois ton corps qui change et c’est vrai que c’est pas évident d’être pesée devant tout le monde.

Ce sont des choses qui me pesaient un petit peu, plus des événements personnels et voilà j’ai claqué la porte du Conservatoire. Entre temps, vers 14 ans, j’avais commencé à chanter. Un petit peu comme ça. Dans les couloirs, je chantais des airs d’opéra italien, de la chanson française. Un peu comme ça. Ou sous la douche.

Rien de très original, c’était vraiment à la base pour compléter mon métier de danseuse, me dire que j’avais deux moyens d’expression, que c’était cool. Avec le temps, je me suis rendue compte que la voix devenait de plus en plus primordiale. Je commençais vraiment à aimer m’exprimer avec la voix donc j’ai pris quelques cours de chant pour perfectionner tout ça.

Et quand j’ai claqué la porte à 17 ans, j’étais un peu dans le flou car je m’étais toujours dit que je voulais être danseuse classique, c’est le truc que j’avais prévu depuis longtemps dans ma tête et puis je sentais que ce n’était plus le bon chemin. J’ai arrêté et ça a été une période assez compliquée.

Ça a été le vrai pétage de câble, j’ai arrêté l’école au passage, je venais de passer mon bac de français, ça s’était très bien passé et puis j’ai décidé de ne pas passer mon bac tout court. Donc il y a eu une rupture avec mes parents à ce moment-là car ils ne comprenaient pas.

Je suis beaucoup sortie dans des clubs et c’est là où j’ai retrouvé l’envie de danser, dans un contexte où on ne me disait plus qu’il fallait que mon pied soit ultra tendu, que je sois alignée aux autres… Ce côté très cadré quoi… J’ai retrouvé cette envie de danser et c’est surtout parce que j’ai découvert la musique électro à ce moment-là.

Je me rappelle avoir pris ma vraie première claque avec l’album Homework des Daft Punk que les dj mixaient pas mal. Je l’ai découvert 10 ans après sa sortie mais c’était vraiment génial. Mon amour pour la musique électronique s’est fait à ce moment-là. Je me suis un peu détendue après ça et je me suis mise à travailler pour avoir un boulot alimentaire. 

J’ai fait plein de petits boulots, du type mettre des fromages à Intermarché, style GO pour le club Med, etc. ça n’a pas duré longtemps, quelques saisons. C’était un peu dur d’être dans un contexte où t’es tout le temps enfermée, les villages vacances c’est un truc où tu fais un peu tout le temps la même chose et c’est vrai que j’ai un peu de mal avec la routine. Je fuis la routine.

Je suis rentrée à Avignon, j’ai trouvé un boulot de serveuse pendant le festival, sur la place la plus touristique. Ça a duré bien 5 ans parce que j’ai fait plusieurs restaurants. Je suis passé d’Avignon à Montpellier. Là-bas, j’ai été serveuse dans un dinner, y avait des grosses télés partout et y avait Elvis Presley partout.

Au bout d’un an et quelques, je regardais Elvis constamment et je me suis demandée ce que je foutais avec mes burgers. Je me disais que c’était ma vie d’avant, quand je dansais, quand j’espérais ce genre de choses. Mais on m’avait tellement dit que c’était pas possible, les adultes m’avaient dit que c’était pas possible.

Donc j’étais dans le flou à ce moment-là mais ça revenait, la musique, la danse, ça commençait à me retravailler. Alors, j’ai plaqué ce boulot de serveuse et je suis montée à Paris. J’ai pris ma valise et un billet OuiGo. J’y suis allée. J’y avais été quand j’avais 7 ans, ma mère m’avait emmené à l’opéra Garnier et je me rappelle m’être dit qu’un jour je vivrais à Paris.

C’était le bon moment pour le faire. Je suis passée de serveuse à serveuse. Le temps de rencontrer des gens. Pour me remettre en selle, je suis passée par une école qui s’appelle l’Académie Internationale de Danse. J’ai pas fait très longtemps à cause du côté scolaire mais c’était pour me remettre sur pattes. J’ai quitté l’école et j’étais uniquement serveuse. C’est là où mon envie d’écrire est revenue.

J’ai toujours écrit des petites choses, sur des post it, etc. mais ce n’était pas encore sous forme de chansons. J’étais comme une éponge à cette époque, j’observais beaucoup autour de moi. J’ai commencé à regarder les clients. C’est très intéressant quand tu es serveuse, tu as un œil sur ce qui se passe à table et tu entends des conversations que tu devrais pas entendre mais tu les entends quand même.

Dès que je lâchais mon boulot, je remontais chez moi ou même je commençais à écrire. Entre le faux filet et le cabillaud, y avait quelques paroles de chanson. Ça a commencé comme ça. J’avais une ou deux chansons et j’avais envie de les faire arranger pour qu’elles soient plus sympas à écouter pour mes trois copains qui écoutaient.

On m’a parlé d’un mec, un jeune producteur qui venait d’ouvrir sa boite. Je le contacte et je lui envoie mes morceaux. La première fois, il trouve ça un peu spécial, un peu singulier. Il réécoute une deuxième fois, une troisième fois et il me rappelle en me disant que la première fois, c’était bizarre, la deuxième, c’était vraiment mieux et la troisième il est accro.

Je suis allée le rencontrer, une fois, deux fois, trois fois. Humainement, ça se passe très bien, je sens que tout ce que je lui raconte sur ma vision du projet, il n’essaye pas de me changer ou de me mouler dans un truc. Donc je me sens en confiance. Il m’a ouvert les portes des maisons de disques.

Il a démarché, on a eu la chance d’avoir plusieurs propositions donc j’ai eu le luxe de pouvoir choisir les partenaires avec qui je travaille aujourd’hui qui sont donc 3ebureau, le label d’Orelsan et M, des artistes qui m’impressionnent beaucoup. C’est pour ça que j’ai choisi de travailler avec eux, mais aussi pour le côté humain. 

Il n’y a pas de trucs où ils veulent me changer. Ils savaient que je voulais m’appeler Suzane, porter une combi, etc. Tout était très clair déjà. Ça a été un peu comme à MacDo, viens comme tu es, donc ça j’ai apprécié. Et puis en parallèle, j’ai signé avec W Spectacles qui s’occupe du live et qui me permet aujourd’hui de faire énormément de dates.

Raconté comme ça, on dirait que ça s’est fait facilement mais y a eu beaucoup de temps. Certaines chansons, comme « L’insatisfait », ont été écrites il y a 3 ans. Je voulais vraiment être impliquée dans mon projet en terme de visuel, de chansons, de clips, de tout quoi !

J’allais justement vous demander votre implication au niveau des clips. Est-ce que vous intervenez dans le scénario ?

Oui, bien sûr, bien sûr. Déjà, j’ai choisi le réalisateur avec qui j’ai travaillé sur les trois premiers clips, qui est Neels Castillon. J’étais tombée sur une vidéo et je cherchais vraiment un réal’ qui sache filmer le mouvement, je trouve qu’il y en a très peu qui savent aussi bien le faire que Neels et j’étais tombée sur une vidéo où il filme un danseur de Christine and the Queens et j’ai trouvé sa manière de filmer très poétique.

On s’est rencontrés, on a fait une collab’ sur les trois premiers clips, ce qui a permis de me faire exister en tant que chanteuse. À ce moment-là, la danse me revenait en pleine figure donc j’avais vraiment envie de la mettre au centre de ce projet. Sans danse, c’est pas vraiment moi donc je ne voulais pas l’occulter.

Petit à petit, le premier clip a permis de faire des concerts, tout s’est répondu, le puzzle s’est un petit peu rassemblé et depuis je continue mon petit bout de chemin. J’ai sorti un premier clip, un deuxième clip, etc. Et là, un nouveau clip a été fait avec Fred de Poncharrat. J’avais envie de quelque chose de différent. On a beaucoup parlé avec Fred, on s’est échangé des synopsis, des références…

Je regarde beaucoup la série The handmaid’s tale et je pense qu’on peut le ressentir dans le clip de Slt. On en est là. Ma grande chance, c’est de pouvoir monter sur scène et de pouvoir rencontrer le public en vrai. Dans les clips, on peut présenter un peu notre univers mais je pense qu’on se présente encore mieux quand on est en live face à des vrais gens. 

Donc c’est ma vraie chance. Entre temps, j’ai eu la chance de partir au Japon, de faire une tournée en Chine, je ne pensais pas dans mon petit appartement ou dans le resto du XXe que quand j’écrivais mes chansons ça me ferait voyager et rencontrer d’autres cultures, etc. Je trouve ça assez fou et j’en profite, j’en profite beaucoup. Et puis je prépare mon premier album.

Ce sera pour la rentrée ? 

Il n’y a pas de date précise encore mais je pense que ce sera maximum janvier. Je tourne dans toute la France en attendant et j’ai la chance d’être programmée sur des beaux festivals comme les Vieilles Charrues. Je profite du live pour me faire connaître petit à petit et le bouche-à-oreille se fait je crois. Les gens partagent ma musique et ça se passe très bien.

Est-ce que ça vient du fait que vous soyez dans le registre des chansons réalistes ? Vous vous dites « conteuse d’histoires vraies sur fond d’électro », est-ce que ça plait qu’aujourd’hui une jeune génération d’artistes parle avec réalisme de la société ? 

Bah, je suis pas très objective moi. L’écriture réaliste chez moi part du fait que j’ai beaucoup écouté des chansons françaises. Vraiment, ma première influence a été Brel, Piaf, Barbara, des artistes français un peu à l’ancienne. De la chanson patrimoine.

Puis de l’électro et j’ai aussi écouté pas mal de rap. Je pense que l’écriture un peu texto, un peu frontale, c’est lié à ça. Le quotidien de nos jours peut être parfois un peu brut et c’est vrai que j’aime bien le raconter de façon assez cash. La nouvelle vague d’artistes casse beaucoup les codes, tout se mélange en fait.

Y a du rap dans de la pop, de la pop dans du rap, on voit que les rappeurs font de plus en plus des refrains chantés et c’est cool parce que c’est une vraie richesse que tout se mélange comme ça. Si ça parle aux gens et que les textes sont immédiats, je suis contente parce que c’était un peu mon but quand même que les histoires soient très vite comprises.

Brel, Barbara, Piaf… Qu’est-ce qui vous touche et vous anime dans ce répertoire ? Et même question dans le répertoire d’Orelsan que vous citez souvent et de Stromae qui s’entend beaucoup dans vos chansons ? 

Je pense que ces artistes-là décrivaient leur époque, à leur façon, décrivaient leur quotidien et le quotidien des personnes qui vivaient à cette époque-là et je crois que c’est ça qui me touche. Je me suis rendue compte que j’aimais raconter des histoires, quand je chantais dans la rue à Saint Rémy de Provence, je chantais du Piaf, et notamment « L’accordéoniste ».

C’est là que je sentais qu’il y avait une vraie communion avec les gens. Quand je racontais des histoires. J’ai senti que c’était là où je me sentais le mieux. Ces artistes-là sont donc assez importants dans mes influences.

Orelsan, j’en parle très souvent parce que je suis très touchée, je pense que tout part un peu de l’écriture quand je parle de chansons françaises ou de rap. Je trouve qu’il a un cynisme… Il me fait beaucoup rire. J’aime son écriture, j’aime son personnage. Mc Solaar aussi que j’aime beaucoup écouter, joue avec les mots, il est très fort pour ça. Mon style se résume certainement entre toutes ces références.

Et puis l’électro. C’est vrai que ça a été assez instinctif de mélanger tout ça. Et je suis ravie qu’on me compare à Stromae parce que la carrière de cet artiste, c’est assez fou et ça m’impressionne un peu quand même d’être comparée à un tel artiste. C’est vraiment quelqu’un qui m’a permis d’oser parce que je suis tombée sur des vidéos de lui qui faisait du son très artisanal dans sa chambre.

Il montrait un aspect un peu facile du truc. Et dans ma tête ça a fait un déclic. Je n’avais pas besoin d’attendre la grosse rencontre, le gros studio pour commencer à faire quelque chose, à proposer ce qui se passe dans ma tête. Il a influencé toute une génération, c’est un artiste qui a cassé les codes et je pense que ça a fait beaucoup de bien pour ceux qui arrivent derrière. Parce qu’on est beaucoup plus libres au final de faire des choses singulières et très personnelles.

Sur le côté liberté, vous dites dans une interview que vous enfilez le costume de Suzane, ça vous permet de devenir Suzane et de devenir vous-même. On voit aussi cette question de la liberté d’être qui on est avec la chanson « Anouchka ». On sent que c’est un thème récurrent chez vous… 

Oui, c’est très important. Je pense que la liberté, j’en ai manqué un peu dans ce Conservatoire où on m’a dit quoi dire, quoi faire, comment me tenir, etc. Donc je suis toujours en quête de liberté et quand je sens qu’une personne peut en être privée, de suite, ça va me toucher. J’écris beaucoup là-dessus.

En tout cas, cette combi, le fait de m’appeler Suzane qui n’est pas mon vrai prénom mais le prénom de mon arrière-grand-mère, c’était une façon pour moi de choisir. Son prénom, on le choisit rarement, c’est papa-maman qui le choisissent et puis tu peux rien y faire. Moi, je me suis dit que j’allais prendre la liberté de choisir mon blaze et je l’ai piqué à mon arrère-grand-mère qui était une femme assez forte qui aimait exprimer son opinion et qui avait beaucoup de douceur.

C’est quelqu’un qui m’a marquée même si je l’ai peu connue. Je n’aurais pas choisi n’importe quel prénom juste pour prendre un vieux prénom qui revient à la mode. Je ne me serais pas appelée Gilberte… J’aime aussi l’esthétique de ce prénom, ce « z » au milieu de nulle part…

Tout ça, c’est une vraie quête de liberté. On peut penser que c’est très concept mais en fait c’est parti de quelque chose de très personnelle. Dans la combi, y a du Elvis Presley, que je voyais toute la journée sur les écran, y a du Bruce Lee parce que mon père est fan d’arts martiaux et qu’il regardait beaucoup La fureur du dragon, et puis Louis XIV, rien à voir avec les deux précédents, mais pour le bleu, le côté royal, que j’ai beaucoup étudié en histoire de la danse et qui est personnage qui a quand même beaucoup aidé le spectacle.  

On pense à Jain aussi… 

C’est vrai mais ça a été un vrai pur hasard. On me parle très souvent de la combi de Jain. J’ai sorti mon premier clip et elle est arrivée quelques mois après avec la même combi. Tant pis, c’est comme ça, c’est un hasard. Mais je la comprends, on est très bien dans une combi. Je l’ai choisie pour la liberté du mouvement, du confort, y a pas des trucs qui se barrent de partout, on est bien là-dedans. La combi, c’est tout ça.

Toujours sur le thème de la liberté, la chanson « SLT », c’est aussi une façon de prôner la liberté des femmes à ne pas se faire emmerder dans la rue, à ne pas subir des violences…

A ne pas subir des violences et à ne pas subir une espèce de peur constante de rentrer d’une soirée parce qu’il est un peu tard, de marcher seule. Je trouve qu’il y a quand même beaucoup d’interdictions. Enfin ce ne sont même pas des interdictions, on le fait de nous-mêmes parce que je sais moi que toutes les femmes qui m’ont éduquées, elles m’ont toujours dit de me taire, de tracer si quelqu’un vient m’emmerder dans la rue, de ne pas rétorquer quelque chose, etc.

Dans ces situations, tu te sens très seule parce qu’au final, c’est limite toi qui a honte de t’être faite emmerder alors que bon y a de raison d’avoir honte ou quoi que ce soit. Je trouvais important d’en parler parce que c’est vrai qu’on dit en ce moment que le harcèlement est un sujet actuel, moi je ne trouve pas tant.

Oui, des artistes féminines commencent à en parler, comme Angèle, et je trouve ça très très bien. Que chacune ait sa vision du truc et le dise de sa propre façon mais je pense que le harcèlement c’est quelque chose qui existe depuis très très longtemps. Qui existait déjà à l’époque de nos grands-mères mais c’est juste qu’on en parlait pas. C’était comme un bruit un peu qui reste dans l’oreille et auquel on s’habitue.

Et là j’ai l’impression que tout ça c’est en train de s’ouvrir au débat et quand il y a du débat je pense qu’on évolue. J’avais un petit peu peur de sortir cette chanson parce qu’il y a toujours un petit côté tabou, un petit coté un peu frontal qui peut secouer mais là où je suis contente, c’est que les filles se sont retrouvées dans mes mots mais les garçons aussi.

La gent masculine est carrément à fond derrière. Elle ne s’est pas sentie stigmatisée, agressée ou jugée. Enfin, peut-être certains mais en tout cas ils ne l’ont pas dit. Et je pense que c’est vraiment ensemble qu’on va faire changer les choses. Pas que les filles d’un côté et les garçons de l’autre. On est à égalité.

Quand des artistes prennent position, certaines n’aiment pas trop qu’on les qualifie féministes, parce qu’aussi c’est à elles de le revendiquer et pas aux autres. Est-ce que vous, vous vous qualifiez féministes ? 

En fait, c’est difficile de mettre un mot dessus. Parce que c’est vrai que féministe, parfois, ça peut sembler péjoratif parce que c’est associé à l’hystérique, elle gueule, elle est pas contente, et limite elle est anti-hommes, alors que c’est pas du tout le cas.

Je pense que oui, j’ai ça en moi. Je me suis très vite rendue compte que j’étais une fille. C’est bizarre de dire ça mais c’est vrai. J’aimais beaucoup jouer au foot avec des garçons à l’école et quand on est petits on se mélange facilement mais quand tu grandis, on te dit « ah bah non on veut plus jouer avec toi parce que t’es une fille ». Comment ça ? Et pourtant j’étais meilleure qu’eux au foot. Donc là j’ai vite compris.

Et puis même chez moi. J’ai toujours vu que mon frère ne se levait pas pour ranger la table. Pourquoi nous les filles on se lève ? Ça a toujours été une vraie révolte ça chez moi, je comprenais pas pourquoi nous on est au rang de « t’es une femme, donc tu dois aller servir ton frère… ». Ça m’a toujours irritée.

Même si j’ai des hommes formidables dans ma vie. Mon père est formidable, mon frère aussi mais il a ses côtés où on se frite souvent parce qu’on n’est pas d’accord sur certaines choses et que petit à petit il grandit et il comprend, il commence à ouvrir les yeux mais voilà…  Donc oui je suis plutôt féministe parce que j’ai envie qu’on arrive à une normalité, qu’il n’y ait plus ce grand écart entre les hommes et les femmes. 

Même, j’ai travaillé dans des restos où on était pas payées pareil alors qu’on porte exactement la même charge, le même poids. Alors pourquoi Nicolas est payé 100 euros de plus que moi ? Ça, ça me révolte.

Le harcèlement, c’est quelque chose que je ne veux plus subir. Je viens d’Avignon, c’est une ville où mine de rien quand tu mets un pied dans la rue principale, c’est même pas une question de tenues (parce que ça aussi, quand tu entends des femmes dire « tu l’as mérité », ça me révolte encore plus), tu te fais siffler assez vite dans la rue. Je l’ai vécu et je suis pas la seule. Il est grand temps d’en parler.

Dans vos chansons, ce sont des portraits. Est-ce que vous faites attention à ce qu’il y ait une galerie qui soit assez représentative de la société et du coup, qu’il y ait autant d’hommes que de femmes ? 

C’est vrai que dans ce premier EP, je parle pas mal des femmes. On m’a souvent dit « T’es pour la femme », peut-être que ça se ressent dans ces 4 titres. Je parle de l’insatisfait, une femme aussi peut être insatisfaite, mais j’ai choisi de décrire un homme.

Je pense effectivement que je vais beaucoup parler des femmes dans cet EP, dans cet album, mais j’ai envie de représenter toute la population, qu’elle soit homme ou femme, vieux ou jeune, homo ou pas homo. Que tout le monde puisse s’y retrouver. Je trouve ça très important car c’est toute la différence qui fait aussi le quotidien et ce qui fait la richesse.

Pour terminer, dans le descriptif de votre projet, il y a le terme « spectacle ». Est-ce un terme qui vous convient ? 

Il y a quelques années, on me demandait souvent si j’étais danseuse ou si j’étais chanteuse. J’avais toujours l’impression qu’il fallait faire un choix. Je me disais que j’étais plus danseuse parce que ça faisait plus longtemps mais je trouvais ça un peu bête de penser comme ça. De toute façon, quand tu utilises un moyen d’expression, c’est pas une question de temps, c’est une question d’envie.

Du coup, je pense que ce que je propose aujourd’hui, c’est du spectacle parce que ça réunit tout ça. Même dans ma façon d’arriver sur scène, j’ai un vieux toc de danseuse, habituée à enfiler un costume, de se dire que la scène ça se mérite et que quand on monte sur scène, on est présentable, on est prêt quoi ! Tout ça mélangé, on peut dire oui que ça devient un spectacle !

Merci Suzane. 

Merci à vous.

Célian Ramis

"Si on n'y regarde pas de très près, on tombe dans des programmations inégalitaires"

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Musée des Beaux Arts, Rennes
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Quelle est la place des femmes dans le spectacle vivant et les arts visuels en Bretagne ? Le 16 mai, HF Bretagne faisait le point sur les freins, les stéréotypes genrés et les solutions.
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Le 16 mai, à 17h, la salle de conférence du musée des Beaux Arts de Rennes est pleine à craquer. Des élu-e-s, des responsables artistiques, des directeurs de salles de spectacles, des artistes, des militant-e-s et des curieu-ses répondent présent-e-s à l’invitation d’HF Bretagne qui présente ce jour-là l’édition 2019 de son diagnostic chiffré concernant la place des femmes dans le spectacle vivant et les arts visuels en Bretagne. 

C’est un travail colossal que réalise les membres d’HF qui, tous les deux ans, publient un état des lieux alarmant sur la place des femmes dans le secteur des arts et de la culture. Dès la première page de la plaquette, on frémit. Les femmes sont majoritaires sur les bancs des écoles d’art puis « elles deviennent moins actives, moins payées, moins aidées, moins programmées, moins récompensées, et enfin moins en situation de responsabilité que leurs homologues masculins. »

Et pour bien mettre en perspective ce constat, les chiffres abondent : les femmes représentent aujourd’hui 60% des étudiant-e-s, 40% des artistes actif-ves, 20% des artistes aidé-e-s par des fonds publics, 20% des dirigeant-e-s, 20% des artistes programmé-e-s, 10% des artistes récompensé-e-s. Et « à poste égale et compétences égales, une femme artiste gagne en moyenne 18% de moins qu’un homme ». 

L’IMPORTANCE DE LA VEILLE STATISTIQUE SEXUÉE

La veille statistique sexuée permet donc de repérer les inégalités entre les femmes et les hommes mais aussi et surtout participe à la prise de conscience. L’enjeu d’HF Bretagne étant de faire comprendre à chacun-e que tout le monde est concerné et que chacun-e à son échelle peut agir en faveur de l’égalité.

Le travail colossal de collectes des données a été effectué par Yulizh Bouillard, avec la participation de plusieurs militantes bénévoles de la structure et s’appuie sur la programmation ainsi que sur les informations délivrées sur les sites internet des établissements de culture (toutes les informations sur la méthodologie sont à lire dans la plaquette).

« Compter, on le fait depuis l’origine d’HF Bretagne. Même nous, conscient-e-s des inégalités, on ne se rendait pas compte à ce point de la situation. C’est salutaire d’avoir les chiffres. Et d’avoir les chiffres les plus précis possibles en région. Ça permet d’observer les évolutions timides, mais aussi positives quelques fois, et d’identifier les freins, les endroits de blocage, etc. », explique Laurie Hagimont, coordinatrice d’HF Bretagne. 

C’est lors de la première restitution de l’étude chiffrée d’HF Bretagne qu’Odile Baudoux, chargée de coordination et de programmation au Triangle, a réalisé l’importance des inégalités. Elle tient le même discours que Laurie Hagimont :

« Je savais qu’il y en avait mais pas à ce point ! Je me suis donc interrogée et la programmation du Triangle n’était pas égalitaire, ni comptabilisée d’ailleurs. À partir de là, j’ai décidé de faire quelque chose à mon échelle. Pour construire une programmation égalitaire, il n’y pas de hasard ni de magie, il n’y a que du volontarisme à avoir. Il faut compter, sinon on a toujours l’impression que ça va. »

Elle l’avoue aisément :

« Si on n’y regarde pas de très près, on peut tomber rapidement dans des programmations inégalitaires. »

Ainsi sa démarche est passée de la prise de conscience à l’action concrète, en passant par la remise en question et la mise en place de moyens tel que l’ajout d’une case « Hommes / Femmes » dans son tableau Excel.

« C’est une nécessité et une réalité. Alors oui, parfois au détriment d’un homme que j’aimerais programmer, je fais pencher la balance vers une femme que j’ai aussi envie de programmer. Pour atteindre l’équilibre. », souligne Odile Baudoux. 

LE VOLONTARISME DOIT ÊTRE COLLECTIF

À celles et ceux qui, interrogé-e-s sur leurs programmations inégalitaires d’année en année, rétorquent que le sexe n’est pas un critère, la programmatrice du Triangle est du genre à les inciter à « aller voir davantage d’artistes femmes », même si cela implique « d’aller un peu plus loin et de prendre du temps. »

De par ce conseil avisé, elle soulève implicitement plusieurs facteurs de freins. D’un côté, l’invisibilisation des femmes artistes et le sentiment d’illégitimité à être sur la scène, à la direction d’un projet artistique ou d’une salle, en raison du manque de représentativité perçue dès l’enfance. D’un autre, le manque de démarche volontaire de la part des programmateurs-trices feignant ignorer le système inégalitaire du secteur de la culture.

Attentive à la question de la parité – qui ainsi révèle que les femmes ont autant de talents que les hommes et que ces dernières peuvent s’orienter vers toutes les disciplines, une fois passée la barrière du genre et de la représentation genrée – Odile Baudoux regrette néanmoins que la saison prochaine soit moins équilibrée :

« Sur la programmation de l’année prochaine, on est plus sur du 60 – 40. Il y a des raisons conjoncturelles à ça : des questions d’agenda, de partenariat, etc. Parce que je ne suis pas toute seule à décider et à bâtir cette programmation. On n’y arrive pas toute seule si tout le monde ne décide pas de mettre l’égalité au centre des priorités. C’est tous et toutes ensemble qu’il faut le faire. »

Tous et toutes ensemble. Pour éviter de reproduire de saison en saison le cercle vicieux de la majorité masculine. Si depuis 2014, la part des femmes responsables artistiques programmées en Bretagne est passée de 17% à 22%, l’évolution est lente et timide. Cette part représente 34% dans les structures labellisées par l’Etat (hors musiques actuelles) et 16,6% dans les lieux de musiques actuelles. Et atteint seulement les 11% dans les musiques classiques.

« On va mettre en place le comptage dans les actions culturelles », s’engage Béatrice Macé, co-fondatrice et co-directrice de l’Association TransMusicales.

« Comme à chaque fois que HF nous pose la question, je n’ai pas les chiffres concernant la place des filles sur les actions culturelles. Mais comme à chaque fois, on s’engage à répondre l’année suivante. »

L’IMPACT DES ACTIONS CULTURELLES

Depuis 3 ans, HF Bretagne et l’ATM travaillent en partenariat à l’occasion des TransMusicales. Chaque année, une table-ronde, intitulée « Les femmes haussent le son ! : elles sont (presque) là », est organisée autour de la place des femmes dans les musiques actuelles démontrant le manque d’égalité dans ce secteur et valorisant les initiatives et les discours d’empowerment.

« Au cours de nos actions culturelles avec des classes d’école primaire ou de centres de loisirs, on n’a jamais remarqué de répartition genrée dans les postes qu’ils se donnent. Quand on les a laissé choisir librement les missions, un gars et une fille se sont mis à la technique, un gars et une fille à la prévention et les autres filles à l’accueil des artistes, la billetterie, la communication, etc. On constate qu’à ce moment-là, ils n’ont pas encore de représentation genrée et qu’ils s’imaginent, filles comme garçons, de partout, à tous les postes, etc. Et c’est vraiment notre objectif de leur ouvrir les portes ! », souligne Marine Molard, responsable des actions culturelles au sein de l’ATM. 

Pourtant, elle ne peut que constater que dans la diversité des propositions, l’équilibre est rompu malgré une co-direction paritaire et un pourcentage de 100% de femmes aux postes à responsabilités dans la structure, la technique est assurée par 99% d’hommes et la programmation établie par 100% d’hommes.

Et dans les groupes que les enfants découvrent et rencontrent, les femmes occupent quasi systématiquement le poste de chanteuse.

« S’ils ne voient que des batteurs par exemple, ils vont penser que c’est un instrument pour les hommes. Sans intention de notre part, on a ce risque de créer des stéréotypes à travers nos actions culturelles. »
conclut Marine Molard.

Une attention particulière doit donc être portée en parallèle d’une remise en question de la construction de la programmation qui doit être davantage égalitaire et diversifiée. On en revient à la nécessité du comptage. Pour prendre conscience des inégalités et tendre vers l’égalité réelle entre les femmes et les hommes.

PROGRAMMER DES FEMMES, C’EST POSSIBLE !

Jean Roch Bouillier, directeur du musée des Beaux Arts de Rennes, se souvient que dans les années 1990 et 2000 avec l’émergence des gender studies, les débats autour du comptage étaient houleux. Le déclic pour lui, c’est l’exposition Elles, présentée au centre Georges Pompidou entre mai 2009 et février 2011, qui a réuni 350 œuvres de 150 artistes (femmes, faut-il le préciser…) du début du XXe siècle à nos jours. 

« C’est un grand moment de bascule. L’exposition a montré que c’était possible de programmer des femmes. De nombreux musées ont engagé une réflexion sur la place des femmes dans les programmations et dans les expositions. On travaille sur ce sujet depuis 4 ans au musée des Beaux Arts de Rennes et cela aboutira à une grande exposition, dès le 29 juin, intituléeCréatrices, l’émancipation par l’art. », s’enthousiasm-t-il, précisant : 

« Ce n’est pas juste un coup d’une fois, c’est le fruit d’un travail et d’une réflexion. Ce musée a plusieurs fois était dirigé par des femmes et compte un nombre important de femmes artistes. »

Depuis plus de 10 ans, les femmes représentent entre 63 et 65% des étudiant-e-s des écoles supérieures d’art en France, nous indique la plaquette réalisée par HF Bretagne. Toutefois, les artistes exposé-e-s sont 67% d’hommes et 33% de femmes. Et on remarque que les femmes exposées le sont souvent moins longtemps que leurs homologues masculins et plus souvent dans des expositions collectives.

Prendre conscience des inégalités est une étape. Comprendre les freins et les blocages, en est encore une autre. Agir concrètement à l’égalité entre les femmes et les hommes et participer au maintient de l’équilibre, encore une autre. Le travail est colossal, la rigueur doit être de mise. Mais pas seulement : le plaisir aussi, comme le souligne Laurie Hagimont :

« Nous avons beaucoup de plaisir à travailler sur ces questions-là ! »

PASSER À L’ACTION

Questionner, interpeler, se remettre en question, réorganiser et agir ne doivent pas être vécus comme une contrainte mais sont aujourd’hui indispensables à la mise en place d’un système affranchi des assignations de genre et du manque de représentativité. Et tout le monde a un rôle à jouer, à son échelle. C’est le sujet du dernier chapitre de la plaquette « Et maintenant, que fait-on ? » et de l’échange qui suit la présentation, ce jeudi 16 mai.

L’égalité n’est pas une affaire de femmes, les deux sexes étant enfermés dans des stéréotypes de genre (l’un bénéficiant de privilèges qu’il est urgent d’identifier et de questionner afin de rebattre les cartes). Education non genrée et transmission d’un héritage riche débarrassé de l’hégémonie masculine, blanche, hétéro et occidentale sont des outils essentiels dont il faut se munir.

« Il est important de s’asseoir sur notre héritage qu’est le matrimoine. C’est important pour affirmer notre légitimité, notre position en tant qu’artiste. » 
précise à juste titre HF Bretagne

La structure propose alors des événements tout au long de l’année afin de valoriser ce matrimoine, de réfléchir ensemble à la question et accompagne également celles et ceux qui souhaitent agir.

Dans les pistes concrètes qu’elle présente en fin de plaquette, collectivités et financeurs publics, écoles d’art, responsables de lieux culturels, artistes et compagnies, et médias peuvent déjà piocher dans des idées a priori simples mais souvent mises de côté.

ADOPTER DES RÉFLEXES

Les médias sont par exemple invités à donner aux femmes une visibilité et un nom, à s’appuyer sur le guide de communication sans stéréotype de sexe du Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes pour écrire ou encore à se former à la méthodologie de comptage pour être en capacité de vérifier les informations.

Les collectivités et financeurs publics à mettre en place une analyse de la répartition de l’argent public pour apporter des mesures correctives en faveur de la parité et à mettre en valeur notre héritage culturel dans sa globalité (le patrimoine ET le matrimoine).

Les écoles d’art à enseigner une histoire mixte des arts et valoriser les créatrices du passé, à veiller à la parité dans les équipes pédagogiques et à encourager la prise de parole sur les violences sexistes et sexuelles.

Les responsables de lieux culturels à se former, comme les médias, à la méthodologie de comptage, à veiller à une meilleure représentation des femmes dans les expositions et sur scène et à distribuer les moyens de co-production et de résidence de façon paritaire.

Les artistes et compagnies à explorer le matrimoine de leurs disciplines et à valoriser les personnes qui accompagnent leur travail et qui sont souvent des femmes (production, diffusion, administration, costumes…).

D’autres pistes concrètes sont à découvrir dans la plaquette, sur le site d’HF Bretagne. « Qu’on arrête de se taire sur ce qui n’a pas lieu d’être ! », conclut la coordinatrice de la structure. Elle a raison. Qu’on arrête de se taire. 

 

L’AGENDA D’HF BRETAGNE : 

  • 6 juin dès 20h30 : la boum d’HF Bretagne aux Ateliers du Vent. 
  • Dès septembre : une pastille quotidienne sur le matrimoine sur les ondes des radios associatives de Bretagne, en partenariat avec la CORLAB.
  • Dimanche 15 septembre : « D’hier à aujourd’hui, quelle place pour les femmes dans la création artistique ? » Rencontre avec HF Bretagne dans le cadre de l’exposition Créatices, l’émancipationpar l’art au musée des Beaux Arts de Rennes. 
  • Dimanche 29 septembre : « Dangereuses autrices ? Histoire de la masculinisation de la langue » par Eliane Viennot dans le cadre du festival Dangereuses lectrices (les 28 et 29 septembre aux Ateliers du Vent). 
  • Mardi 8 octobre : « Le cinéma féministe dans les années 70 » par Hélène Fleckinger, dans le cadre des Mardis de l’égalité de Rennes 2. 
  • Novembre : « La fabrication de la valeur esthétique », conférence de Bérénice Hamidi-Kim (lieu à définir). 
  • Décembre : table ronde HF Bretgane aux TransMusicales. 

 

 

 

 

Célian Ramis

Ladylike Lily, l'onirisme sombre et enchanteur

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Chapelle du Conservatoire, Rennes
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À l’occasion du festival I’m from Rennes, la bretonne de Ladylike Lily est revenue au bercail, le temps d’un concert à la Chapelle du Conservatoire, samedi 19 septembre.
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C’est à Rennes que sa carrière a été lancée, il y a 5 ans, grâce au Tremplin Mozaïc. Et c’est à l’occasion du festival I’m from Rennes que Ladylike Lily est revenue au bercail, le temps d’un concert à la Chapelle du Conservatoire, samedi 19 septembre.

La salle est intimiste, propice au voyage que propose Orianne Marsilli, alias Ladylike Lily, ce soir-là. Les premières notes sont celles de « Pearl and Potatoes », chanson extraite de son premier EP On my own, sorti en 2010, à la suite de sa victoire au Tremplin Mozaïc, à Rennes.

Un titre d’album qui confirme le projet solo de la jeune musicienne, alors âgée de 23 ans. Et qui reflète aussi son parcours musical. Elle apprend très vite à écouter la musique, son environnement et découvre le chant. « J’ai une mère harpiste. Ce n’est pas son métier mais c’est une grande passionnée qui m’a transmis l’amour de la musique. Et mon père était aussi très mélomane. », explique-t-elle.

Elle commence alors par travailler sa voix, l’instrument qu’elle peut emmener partout. Sans intégrer une école de musique ou le conservatoire, elle tâtonne et vogue à l’instinct. Puis, à 10 ans, Orianne apprend la guitare : « J’ai commencé parce qu’on m’a mis la guitare entre les mains. Avec la voix, ça me donnait les moyens de raconter des histoires, des émotions. J’écris depuis que je suis petite. »

NAISSANCE DE LADYLIKE LILY

Installée à Rennes pour y étudier l’anglais, elle fait naitre en parallèle son double musical, Ladylike Lily, qui prend au départ des allures de ballades folk légères et enchanteresses. Sa musique est très vite rapprochée de l’univers mystique qui émane de la région bretonne, emplie de contes et de légendes. « C’est le côté étiquette. En tant que Finistérienne, je suis sensible à la musique celtique, d’où le côté mythologie qu’on a pu évoquer mais pourtant je n’en parle pas dans mes chansons. », évoque Orianne Marsilli.

Et c’est bien dans le département dont elle est originaire qu’elle s’isolera pour écrire son premier album Get your soul washed, sorti en 2012. « C’est un endroit un peu magique, très sauvage dans lequel je me suis installé, avec les animaux et la nature. », précise-t-elle. Les textes sont écrits en anglais et développent des thèmes « très humains, très actuels ». L’amour au cœur du message. Servi par la voix singulière et envoutante de Ladylike Lily, accompagnée tantôt par la guitare et tantôt par le clavier, et toujours avec sa pédale à boucles.

Ainsi, elle évoque les sentiments amoureux, le rapport à l’autre, les questionnements sur la vie, le passage de l’enfance à l’âge adulte. « L’amour a toujours nourri les écritures, les peintures, les paroles de chansons. C’est la preuve que c’est un sujet important. Je n’en ferais jamais le tour car j’évolue aussi. », confie la jeune artiste. Dans sa musique, elle habite un univers onirique, qui oscille entre beauté pure, presque naïve et candide, et noirceur brute, augmentées par les chœurs et les envolées résonnantes. Comme savent aussi le faire, à leur manière et dans leur registre, Cécile Corbel, Maïa Vidal ou encore Astrid Radigue alias Furie.

TOUJOURS EN MOUVEMENT

Le talent de Ladylike Lily lui vient aussi de son envie perpétuelle de tout réinventer, de tout réinterpréter. D’un album à l’autre, elle revisite ses chansons, ses états d’âme, ses arrangements. S’entoure pour la scène des musiciens qu’elle connaît bien (Montgomery, We Only Said…) – ce soir-là, c’est Stéphane Fromentin qui viendra l’accompagner le temps de deux morceaux – ou défend seule son projet.

« Je suis hyperactive et je me lasse assez rapidement de la manière dont sont agencées les chansons. Je souhaite vraiment que d’un album à l’autre, les émotions et les histoires soient différentes. »
avoue Orianne Marsilli.

Elle se définit grosse travailleuse, paniquée par le farniente, avec un fort caractère : « Je sais ce que je veux et je n’ai pas de mal à me mettre en action. » En 5 ans, elle a enregistré 2 EP (son 2e EP, Blueland, est sorti en 2014), un album, elle a tourné dans les festivals - Printemps de Bourges, les TransMusicales, les Veilles Charrues, les Embellies, les 3 éléphants… - et a roulé sur les routes de France et de l’étranger.

NOUVEAU DÉPART

Depuis un an, Orianne se lance un nouveau défi : écrire en français. Après sa première tournée avec Miossec, dont elle fait la première partie, le chanteur la pousse à composer dans sa langue maternelle. Elle lui envoie ses premiers textes et repart en tournée avec lui. L’occasion de tester ce nouveau travail auprès du public. « Je voulais m’adresser aux gens dans ma langue et parler de sujets très personnels et douloureux. Je ne voulais plus de la protection de l’anglais », explique-t-elle.

Tout comme Emily Loizeau ou Emilie Simon – qui font parties de la série des « Emilie » que Orianne admire – elle envisage la musique de manière globale, utilise sa voix comme un instrument et joue avec les mots simples. « Ça n’a pas changé ma manière de travailler de passer au français mais ça m’a fait beaucoup de bien. J’ai mis des mois et des mois à apprivoiser ma voix sur les nouveaux sons. J’ai du dompter tout ça. », se souvient-elle.

Et sur scène, à la Chapelle du Conservatoire, elle présente aux Rennaises et aux Rennais un set majoritairement construit de ces nouvelles chansons. Elle livre une nouvelle facette d’elle-même à travers son double musical maintenant bilingue, puisant toujours dans la fragilité de l’être humain, la poésie des sonorités et la douceur des ambiances dans lesquelles elle nous transporte avec aisance et légèreté. Et Orianne maitrise toujours autant l'émotion qu'elle délivre délicatement comme des décharges électriques.

Et entre les chansons, elle partage ses souvenirs - comme celui d’avoir joué son titre « Who’s next ? » avec Mermonte et Totorro - et expériences, son attachement à la ville de Rennes, berceau de son projet Ladylike Lily. Elle qui aujourd’hui vit entre Quimper, Rennes et Paris, « la ville que vous n’aimez pas » semble émue et apaisée de retrouver le côté « village » de la capitale bretonne. « C’est la ville qui m’a mis en lumière. J’y ai vécu 7 ans, j’y ai découvert plein de choses, c’est précieux de me retrouver là à nouveau même si je vais devoir retourner à Paris défendre mon prochain album… », confie-t-elle avant de monter sur scène.

ALBUM EN PRÉPARATION

Ladylike Lily réunira prochainement ses titres en français pour construire son 2e album :

« Aujourd’hui, la différence avec mes premières chansons, c’est que j’ai mis 2 pieds dans ma vie de femme. J’ai une personnalité plus assumée, j’ai moins besoin de me cacher et je ressens moins le besoin de dissimuler ce que j’ai à dire. »

Confiante, Orianne poursuit son chemin, en forêt, dans un bain de minuit, à l’aurore, et partout où le vent la porte… que ce soit dans des mondes énigmatiques ou que ce soit dans des lieux familiers, conviviaux ou hostiles. Elle n’a pas peur et nous non plus, si ce n’est de devoir patienter trop longtemps avant de pouvoir la redécouvrir en live en terre bretonne.

Célian Ramis

Dans le cabaret psyché-burlesque de Nefertiti in the kitchen

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Square Gabriel Vicaire, Rennes
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Signore, signori… Wilkommen, Welcome, Bienvenue... dans le cabaret psychédélique de Nefertiti in the kitchen, installé dans le quartier Arsenal Redon, le 5 juin, à l’occasion de Court Circuit #5, proposé par l’Antipode MJC.
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Signore, signori… Wilkommen, Welcome, Bienvenue… Ce vendredi 5 juin, aux alentours de 19h, le vent se lève, s’embrase dans les arbres qui ornent le square Gabriel Vicaire et terrasse les derniers rayons de soleil pendant que les habitants du quartier Arsenal Redon, à Rennes, profitent, assis dans l’herbe, du cabaret psychédélique de Nefertiti in the kitchen à l’occasion de Court Circuit #5, proposé par l’Antipode MJC.

Coup de cœur de la rédaction lors de son passage au festival Bars’n Rennes en mai 2013, à la Bernique hurlante, le duo rennais de Nefertiti in the kitchen, composé de la chanteuse-comédienne Jen Rival et de l’homme-orchestre Nicolas Méheust, est de ceux que l’on imagine déambuler et vagabonder en roulotte de marché en marché, de place en place, de ville en ville.

Pas étonnant donc que l’Antipode MJC les ait convié à la 5e édition de Court Circuit, à la découverte des quartiers Cleunay, La Courrouze et Arsenal Redon. À l’instar de The last morning soundtrack, Ladylike Lily, Chapelier Fou ou encore Auden, Nefertiti in the kitchen est entré, du 3 au 5 juin, dans l’arène de cette formule inédite : 3 jours, 9 lieux, 9 concerts.

Ainsi, ils ont trimballé et partagé leur cabinet de curiosités chez l’habitant, dans un restaurant social, dans un établissement de placement éducatif et d’insertion (EPEI), dans un foyer d’hébergement, dans un collège, une école maternelle ou encore en extérieur. Et c’est quelque part entre la Mabilais et les Ateliers du Vent, dans le square Gabriel Vicaire, que l’on a assisté au dernier concert de cette édition.

« On a réduit un peu notre formule, qui est lourde techniquement. Le montage et le démontage sont quand même conséquents et fatiguent pas mal. Mais les concerts nous requinquent. C’est une proposition surprenante et nouvelle, qui m’a fait beaucoup de bien, qui rafraichit vraiment au niveau de la tête », confie Jen Rival, en amont de cette ultime représentation. Première collaboration avec l’Antipode, « ça ne se refuse pas ! », cette expérience hors les murs est importante et enrichissante pour le duo et émotionnellement très forte, et permet au jeune groupe de tester leur set et de l'adapter.

C’est à un show plein d’énergie que nous convie Nefertiti in the kitchen qui, malgré l’épuisement et manifestement un manque de patience face à un jeune public éphémère au premier rang, nous embarque volontiers dans un cabaret rock psychédélique mêlant français, anglais, allemand, italien et accent de l’Est. Sans oublier chapeau melon, haut de forme, boa mauve et perruque blonde !

Jen Rival accentue la mise en scène théâtrale et burlesque de son personnage passant de diva blues à conteuse d’histoires fantastiques, en se mouvant telle une poupée désarticulée qui n’est pas sans rappeler la burtonienne Sally (L’étrange Noël de Mr Jack), à laquelle elle ajoute une voix proche de l’effrayant Oogie Boogie (ou Tom Waits au choix), et en tournicotant comme une danseuse automate.

La magie opère. Les chansons s’enchainent entre complaintes, électroswing psyché, airs de fanfare à la Molotov Jukebox, ballades à la Maïa Vidal et envolées jazzy/blues. On ne cesse de voyager à travers le temps et l’espace, bringuebalés entre le Paris des années folles et les laboratoires fantasques dans lesquels s’expriment les génies diaboliques.

Les spectateurs suspendus à la voix grave et chaude de la chanteuse – qu’elle manie à sa guise selon l’effet qu’elle veut donner au spectacle - se laissent envouter par la prêtresse saltimbanque qui distille au fil de la performance noirceur, humour et légèreté.

L’attention se focalise également sur leur stand multi-instrumental à l’air rétro. Mellotron, piano-jouet en bois, noisy drum, accordéon, yukulélé, kazou, clochettes… Jen et Nicolas composent autour de leurs instruments et accessoires un show complet entre concert et arts de rue dans lequel les émotions ne sont pas lésées et nous emportent dans un tourbillon infernal et nous invitent à nous « asseoir dans le ventre d’un monde merveilleux ». Pari réussi.

Célian Ramis

Mythos 2015 : Yael Naim, grandiloquente et puissante

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Thabor, Rennes
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Vendredi 10 avril, la chanteuse franco-israélienne Yael Naim a saisi le public du Cabaret botanique, installé au Thabor, pour l’emmener dans un ailleurs enchanteur.
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Vendredi 10 avril, la chanteuse franco-israélienne Yael Naim a saisi le public du Cabaret botanique, installé au Thabor, venu à l’occasion du festival Mythos, pour l’emmener dans un ailleurs enchanteur.

Son nouvel album, Older, est jeune de tout juste un mois, mais déjà Yael Naim s’impose de par sa maturité vocale et musicale. En 7 ans, personne n’a oublié sa chanson « New Soul », qu’elle interprétera ce soir-là, tout comme sa reprise de « Toxic », ni sa gaieté enfantine. Ici, elle crée la rupture avec l’image de la jeune chanteuse de pop ensoleillée pour transporter les spectateurs vers un univers plus travaillé et plus complexe.

Yael Naim, ce n’est pas notre came. Mais il faut bien l’avouer, elle a quelque chose d’envoûtant. Assise à son piano, elle parsème de sa douceur ici et là et nous emmène dans ses histoires personnelles, sombres ou joyeuses. Elle parle ce soir-là de transition, d’expérience qui change la vie, qui change une personne. La venue d’un enfant suppose-t-on instantanément, à la manière dont elle l’évoque. Mais elle ne reste pas centrée sur cette naissance et aborde dans ses textes la vie, la mort, le deuil et les erreurs du passé, comme on peut l’entendre dans « Coward ».

Son album, Older, est une introspection de sa vie, et celle de David Donatien, son compagnon, toujours présent dans son travail puisqu’ils forment ensemble un duo à la ville comme à la scène. Et la chanteuse restitue leurs aventures de vie avec émotions, légèreté et détachement. Ce sont les différents registres musicaux qui viennent affirmer l’épanouissement et l’aspect grandissant de cet opus.

Entre folk, pop, soul et gospel, Yael Naim nous transporte dans un ailleurs lointain, dans des paysages grandiloquents et des espaces aérés. Sa puissance vocale, marquée par de belles envolées lyriques, met tout le monde d’accord, elle est de ces grandes voix virevoltantes et envoutantes, qui suspendent le temps, pendant une ou plusieurs chansons.

En ajoutant des chants sacrés à son disque, mystifiés davantage par la venue des choristes de 3somesisters, elle nous plonge dans la profondeur de ses textes, pas toujours mis en évidence ou en accord avec le style musical choisi, et nous maintient dans une relation intimiste et spirituelle, qui peut parfois même aller jusqu’à bercer le spectateur jusqu’à la somnolence.

Yael Naim convainc le public du Magic Mirror qu’elle peut à la fois allier douceur, gaieté, noirceur et énergie communicative, dans les paroles de ses chansons, tout comme dans les puissantes mélodies qu’elle délivre avec conviction.

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