Célian Ramis

Mixité choisie : des espaces libérés !

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Là où la non mixité subie ne perturbe nullement l’ordre établi, la mixité choisie, elle, dérange. Pourtant, elle constitue un outil indispensable à l’avancée des mentalités. Décryptage.
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Là où la non mixité subie ne perturbe nullement l’ordre établi, la mixité choisie, elle, dérange. Elle titille les esprits et cisaille l’hypocrisie d’une société qui se revendique égalitaire, sur le papier, depuis de nombreuses années. Dans les faits, les discriminations sont multiples et omniprésentes et il apparaît précisément que la mixité choisie constitue un outil indispensable à l’avancée des mentalités. Décryptage. 

« Si l’ambiance dans la salle est généralement bienveillante, on reste bien conscient-es que les salles d’escalade, comme le milieu du sport, peuvent véhiculer des comportements discriminants. Cela peut se traduire par des regards ou commentaires déplacés, des conseils non demandés, une monopolisation de l’espace, voire des actes plus graves. On souhaite donc proposer à tous-tes un accès à la salle qui soit sécurisant et bienveillant et, le temps d’une soirée, laisser les salles d’escalade aux personnes qui sont le moins représentées dans ces espaces. » Lors des soirées en mixité choisie, une affichette est placardée à l’entrée de The Roof, la maison d’escalade de Rennes, installée sur le site réaménagé de l’Hôtel Dieu. De 18h à 23h, l’accès aux salles de blocs et au coffee shop est réservé aux femmes, aux personnes transgenres, intersexes et personnes non binaires. Le service et l’encadrement sont assurés également par des femmes.

« La non mixité est selon nous un moyen, pas une finalité. C’est un format qui permet à beaucoup de personnes qui se sentent exclues le reste du temps de trouver un espace qui leur garantira un cadre de pratique rassurant. »

L’équipe poursuit l’explication : « C’est aussi l’occasion pour tous les hommes qui ne sont pas conviés de se questionner sur la manière dont ils peuvent être un soutien et une écoute, ou de ré-interroger leur posture au sein de la salle d’escalade. » Une fois par trimestre environ, l’expérimentation d’un espace en mixité choisie est portée ici depuis 2022. L’objectif étant de rendre la salle d’escalade plus accessible à tou-te-s à n’importe quel moment de l’année. Pourtant, il apparaît dans l’actualité que son aspect inclusif ne soit pas toujours bien compris ou perçu.

SCANDALES EN HAUT LIEU

Régulièrement, l’annonce d’un atelier ou d’un espace en non mixité sème le trouble et la confusion. On s’indigne de cette exclusion temporaire visant les groupes identifiés comme dominants, potentiellement oppresseurs. Selon les situations, ces moments sont dédiés aux femmes, aux personnes racisées, aux minorités de genre, aux personnes en situation de handicap, etc. On crie au communautarisme, à la division, à la ségrégation. Les mots sont forts, les mots sont lourds et souvent, vidés de leur substance et signification historique. En 2021, c’est l’amendement Unef qui secoue le pays. Mélanie Luce, alors présidente du syndicat étudiant, déclare l’existence de réunions non mixtes permettant de lutter contre les discriminations. Elles regroupent les femmes, les personnes LGBTQI+ et les personnes racisées, elles sont internes à l’organisation et invitent les concerné-e-s à venir prendre la parole et échanger entre elles-eux. Scandale en haut lieu. Le gouvernement s’en saisit dans le cadre de la loi contre le séparatisme et le Sénat vote « l’amendement Unef », permettant de dissoudre une association ou un groupement « interdisant à une personne ou un groupe de personnes à raison de leur couleur, leur origine ou leur appartenance ou non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée de participer à une réunion. »

Quelques années plus tôt, en 2017, c’est le collectif Mwasi qui était visé par les critiques. Les membres organisent cette année-là le festival Nyansapo à Paris, un festival afroféministe au sein duquel se tiendront 4 espaces dont 3 en non mixité. Certains ateliers sont réservés aux femmes, d’autres aux femmes noires et d’autres encore aux personnes racisées. Catastrophe dans les hautes sphères politiques. On hurle au racisme en particulier, au même titre qu’on hurle au sexisme lorsque les structures proposent des ateliers dédiés aux femmes. Fin octobre 2022, le journal Nord Littoral relate la polémique née de l’organisation d’un atelier d’autoréparation de vélo, dans les locaux de l’association Opale Vélo Services, à Calais, destiné exclusivement aux femmes afin de leur donner les bases de la mécanique et leur permettre de se faire la main, sans craindre d’être épiées ou jugées par les hommes, largement plus à l’aise dans ce domaine, que l’on considère encore comme un bastion masculin. Les réactions sont édifiantes. On s’interroge sur « à quand la fin des clivages ? », on dénonce « une vengeance sur le patriarcat » et « un désir de remplacement vers une société matriarcale qui n’a rien à envier au machisme », on témoigne d’un ressenti d’exclusion, on se sent « victime d’une horrible injustice »…

Marlène Hagnéré, mécanicienne cycles, réagit : « Pour moi, le clivage est dans le fait de ne pas comprendre que certaines femmes ont besoin de se retrouver entre elles pour être à l’aise. L’égalité n’est qu’une illusion, même en 2022, elle n’existe vraiment pas partout (je dirais même quasiment nulle part), et l’idée de ces ateliers est justement de rééquilibrer la part des femmes dans certains domaines. (…) C’est quand même marrant, mais toutes les critiques que je reçois sur ces ateliers proviennent toujours du même profil de personne : homme blanc, hétéro, passé 50 ans (voire certains quadragénaires). Ça pose très peu de problèmes aux autres personnes… » 

LE MÉCANISME DU SABOTAGE

Pouvoir dire. Pouvoir parler. Pouvoir échanger avec d’autres personnes ayant vécu les mêmes types de discriminations, violences, micro-agressions, humiliations, etc. Sans être interrompues. Sans être jugées. Sans être qualifiées d’hystériques, d’extrémistes féministes, de racistes anti-blanc-he-s, etc. Partager ses expériences, prendre conscience qu’elles ne sont pas individuelles mais bien collectives et dues à un problème systémique, se (re)donner de la confiance et de l’énergie pour survivre en mixité subie, pour lutter ensuite ensemble, pour se sentir capable, pour oser et s’autoriser. Les enjeux de la mixité choisie sont majeurs. Aujourd’hui, les voix se multiplient et s’élèvent pour en expliquer les tenants et aboutissants et surtout préciser les contextes dans lesquels naissent les groupes non mixtes, préconisés pour souffler et se redynamiser face aux énergies déployées en mixité subie. Dans la bande dessinée Il est où le patron ?, réalisée par Les paysannes en polaire et Maud Bénézit, au sein des Elles de l’Adage 35, composé d’agricultrices engagées contre les inégalités femmes-hommes ou lors des stages Girls Rock Camp, proposés pendant les vacances de février par le Jardin Moderne pour familiariser les filles de 14 à 18 ans aux instruments de musique, les discours sont les mêmes.

L’invisibilité et l’invisibilisation des filles et des femmes renforcent le sentiment d’illégitimité des personnes concernées qui intériorisent qu’elles n’ont pas leur place dans tel ou tel domaine. Ainsi, lorsqu’elles y accèdent malgré les obstacles, elles vont subir, majoritairement, le syndrome de l’imposteur-ice, qui entraine selon les situations de l’auto-censure voire du sabotage. L’exemple de la conduite est parlant. Les agricultrices en témoignent dans les bulles de leur BD : bien souvent, on ne leur a pas appris, elles ont organisé des ateliers entre elles pour s’auto-former. Manœuvrer le tracteur, elles savent le faire. Mais soumises au regard de leurs homologues masculins, elles perdent leurs moyens et foirent leur trajectoire. Pareil en situation de créneau au volant d’une voiture classique ! Le mécanisme s’observe dans de très nombreuses situations. La peur de mal faire ou de rater, d’être jugée, moquée, stigmatisée, entraine souvent l’échec et l’auto-censure. 

INÉGALE RÉPARTITION DE L’ESPACE

Les inégalités commencent dès la petite enfance et l’exemple le plus frappant de répartition genrée des espaces réside encore dans les cours de récréation. Si certaines, notamment à Rennes, mais pas que, sont repensées et réaménagées à partir du végétal pour y intégrer la notion d’inclusivité, elles sont majoritairement investies au centre par les garçons pratiquant (principalement) le football, délaissant la périphérie et les coins aux filles. C’est le récit du film Espace dans lequel Eléonor Gilbert filme une enfant qui, par le croquis de sa cour d’école, explique les délimitations genrées de ce terrain de jeu particulier. Pourtant, il n’est pas si particulier que ça, comme le constate Edith Maruéjouls, géographe du genre, qui établit le lien inconscient qui s’y fait dès lors, se répercutant ensuite sur la manière dont femmes et hommes investissent l’espace public. Yves Raibaud, également géographe du genre, l’atteste aussi de son côté : la ville est faite par les hommes, pour les hommes. L’urbanisme n’échappe pas aux stéréotypes sexistes et les espaces soi-disant pensés et conçus pour l’ensemble de la population ne résistent pas à la répartition genrée instaurée dès le plus jeune âge. Conditionné-e-s à une non mixité implicite, dans l’espace public, les loisirs, le sport, etc., filles et garçons intègrent les codes normatifs d’une sociabilité binaire qui distingue et impose les prétendues compétences « innées » ou « naturelles » des deux sexes. 

City stades, skate parks, terrains de tennis ou de baskets, studios d’enregistrement et autres équipements censés être accessibles à tou-te-s au sein de la ville figurent parmi les exemples les plus marquants de cette séparation, les hommes y étant majoritairement présents. L’absence des femmes s’expliquant par la peur du rejet et/ou du jugement. Dans un entretien accordé à l’Observatoire du design urbain, Edith Maruéjouls précise : « Sur l’exemple du sport, ce n’est pas l’équipement qui est problématique en soi mais le message qu’il produit et véhicule. On institutionnalise la présence masculine en construisant massivement des équipements à symbolique masculine et à forte fréquentation des garçons et des hommes. Or ce faisant, on instaure une inégale valeur (équipement masculin plus présent), une inégale redistribution (argent public en direction majoritaire de la pratique masculine) et un inégal accès (les filles et les femmes, de fait, ont moins de lieux de pratiques). L’enjeu est de savoir comment s’approprier l’espace public à égalité, peut-être en neutralisant les équipements et en qualifiant peu l’espace extérieur sous l’angle des pratiques sexuées stéréotypées. Lorsqu’on construit des terrains de boules, parcs de jeux pour enfants, skate parc, city stades, etc. on contribue à sexuer les espaces. » 

Elle poursuit sa pensée : « La priorité, c’est que les femmes puissent s’exprimer à égalité avec les hommes. Le système du genre repose sur la construction de deux groupes sociaux de sexe qui s’uniformisent autour de stéréotypes et organise la hiérarchisation. Il faut selon moi repenser ce système, sous la forme d’une gouvernance égalitaire s’appuyant sur des projets de société. Travailler sur un réel projet politique, en couplant mixité et égalité pour déconstruire le système du genre. »

SE SENTIR À L’AISE

À la maison de l’escalade de Rennes, Typhaine est employée à temps partiel le week-end à l’accueil du coffee shop et des salles de blocs. À titre personnel, elle apprécie grandement l’initiative de The Roof qui organise à fréquence trimestrielle les soirées en mixité choisie. « C’est super chouette, je trouve, qu’un espace dédié au sport, et surtout un endroit aussi fréquenté, fasse ça. Peu ose le faire. Le sport est un des domaines, de manière générale, où les disparités de genre sont marquantes et handicapantes. Je suis vraiment heureuse de participer à ces événements. », s’enthousiasme-t-elle. Au bord des tapis, certain-e-s participant-e-s observent les prises avant de se lancer sur les voies plus ou moins faciles, selon leurs niveaux. Camille a 30 ans et vient pour la première fois à la salle, accompagnée de Nora, 29 ans, qui vient ici régulièrement. « Je viens essayer l’escalade parce que ma copine m’en a parlé et que le fait que ce soit ce soir en non mixité m’a tenté pour débuter. Ça me permet d’être plus à l’aise pour essayer la pratique. », signale la première, rejointe par son amie :

« Quand je viens, il y a souvent beaucoup de mecs. Ils sont gentils mais ils prennent beaucoup de place. Ça peut être intimidant. Surtout que l’escalade est un sport où on se montre, physiquement. » 

Face aux blocs, nombreuses sont les personnes qui échangent des conseils et s’encouragent. La concentration est palpable et visible. Néanmoins, l’ambiance y est décontractée. Un maitre mot règne dans l’assemblée éparpillée dans les deux salles d’escalade : oser se lancer, oser expérimenter. « Je me sens plus libre d’être créative et moins soumise à un regard sexisant ou critique. », confie Cyrielle. Elle a 35 ans et pratique cette activité 2 à 3 fois par semaine, selon ses disponibilités. Elle exprime un sentiment, ce soir-là, de repos qui se ressent de par l’absence des hommes qui, bien souvent, « occupent l’espace physique et l’espace sonore… » Sa binôme, Cypriane, 26 ans, développe : « Ils ont un peu l’habitude d’accaparer les voies et de les enchainer. Là, on le voit bien, quand quelqu’un a terminé, elle s’arrête et laisse les autres y aller. Avec les hommes, on a moins d’espace. » Toutes les deux précisent qu’elles font référence aux hommes cisgenres, principalement. « Et puis, j’ai l’impression de les souler parce que je suis moins forte, ajoute Cyrielle. Ça arrive que j’ai le sentiment comme quand je fais du bricolage, vous savez, le côté intrusif… Tu ne demandes rien mais ils (certains, pas tous) viennent t’expliquer les choses sans que tu aies sollicité leur aide. Il y a un petit côté mansplaining parfois. » 

Elles se réjouissent de la proposition temporaire d’un espace dédié aux femmes et minorités de genre. « Pour avoir un meilleur niveau et la confiance en soi ! », commente Cypriane qui fréquente également les soirées non mixtes mis en place par La Petite Rennes (atelier participatif et solidaire d’autoréparation de vélos). Il y a la question de l’empouvoirement qui leur apparaît comme essentielle. Pouvoir pratiquer, expérimenter, apprendre, chuter, faire des erreurs, persévérer, évoluer. La base. Mais ce qui les anime particulièrement, c’est de pouvoir respirer. Arrêter d’être angoissées à chaque fois qu’elles tournent le dos aux personnes masculines qui fréquentent elles aussi la salle. « J’ai peur ici d’être matée, parce qu’on est en legging, etc. Dans cette salle encore, je ne le ressens pas tellement. Mais par exemple, la piscine, c’est une catastrophe pour moi. Je prends sur moi à chaque fois que j’y vais. Être une femme en maillot de bain donne la sensation qu’on autorise les hommes à nous regarder et à nous juger. Mais non ! », scande Cyrielle. Elle aimerait que l’offre soit plus variée et régulière. Pas uniquement à The Roof mais plus globalement dans les lieux fréquentés par un public massivement masculin, principalement là où les corps sont dévoilés et en mouvement. 

LEVER LES BARRIÈRES

Sidonie – le prénom a été modifié – est encadrante à la maison de l’escalade de Rennes et approuve l’organisation de temps en mixité choisie dans le cadre d’une politique d’accessibilité et d’inclusivité. « Surtout que dans une salle de blocs, l’idée, c’est l’autonomie. Il y a toujours une majorité d’hommes dans la salle. Parfois, c’est très flagrant. Ça peut constituer une première barrière. », commente-t-elle. Malheureusement, rien de bien étonnant comme le signale de manière globale la géographe du genre, Edith Maruéjouls : « La fréquentation de ces équipements affiche 2/3 d’hommes pour 1/3 de femmes. Ce déséquilibre à lui seul suffit à interroger l’inégale redistribution puisque l’équipement public s’adresse, de fait, à deux fois plus d’hommes que de femmes. » Agir dans un cadre bienveillant et sécurisant, c’est pour Sidonie « un plus pour la confiance », surtout quand on ne connaît pas l’activité, « d’autant plus quand le risque de chute est élevé ! » Lever les barrières est une question de volonté, de décisions à prendre en conséquence, pour rendre l’endroit accessible à tou-te-s, peu importe le sexe, l’orientation sexuelle, l’identité de genre mais aussi la morphologie, le handicap, la couleur de peau, l’origine réelle ou supposée et autres critères de discriminations.

« Le milieu du sport se déconstruit petit à petit. On peut agir par exemple sur la manière dont on installe les blocs et prévoit les voies. Ce sont des décisions des directions des salles… », souligne-t-elle, ajoutant que l’on peut aussi interdire le fait d’enlever son tee-shirt pendant les séances afin de ne pas établir de différences entre les sexes et de ne pas stigmatiser les corps ne correspondant pas à la norme dominante. « En escalade, il y a des tractions à faire, des mouvements dynamiques… Cela peut être une barrière pour certaines personnes car certains mouvements demandent de se défocaliser de ce que l’on ressent de son corps. Ça peut être gênant pour certain-e-s. », poursuit Sidonie. Un argument de plus pour prévoir des temps et des espaces permettant « d’inclure des personnes qui ne seraient jamais venues autrement ou de se sentir à l’aise pour faire les mouvements et essayer de nouvelles choses. » Elle est convaincue de l’intérêt que cela a également auprès du public exclu temporairement :

« Ça étonne, ça questionne. Faire des soirées comme ça, ça permet une réflexion, même pour quelqu’un qui ne vient pas. Moi, c’est la première fois que je vois ça, la non mixité dans le sport et dans une salle d’escalade et je trouve ça bien. Ça amène à comprendre. »

Typhaine acquiesce. Postée à l’accueil du coffee shop, elle est en première ligne face aux refoulés. « Ça donne lieu à des débats intéressants et à des moments de pédagogie. C’est rare pour les hommes d’être confrontés au rejet. Ça peut créer une empreinte émotionnelle forte. En règle générale, ils sont assez compréhensifs. En tout cas, ça permet la confrontation à ce que les femmes peuvent ressentir dans les différents espaces qui ne sont pas en non mixité mais desquels elles sont exclues souvent implicitement. », analyse-t-elle. 

PASSER OUTRE LES CRITIQUES

« Dans ce contexte du sport, je trouve ça vraiment chouette de proposer un espace non mixte mais il ne faudrait pas que ce soit partout et tout le temps. », répond Nora lorsqu’on l’interroge sur le regard qu’elle porte sur la mixité choisie. Bien qu’il ne soit pas une nouveauté, le sujet reste controversé. Vivement critiquée dans les années 50/60/70, dans les périodes et les groupes engagé-e-s pour les droits civiques des personnes noires aux Etats-Unis ou encore les réunions du Mouvement de Libération des Femmes en France, la non mixité est pourtant essentielle dans les luttes pour l’égalité. Sans hommes cisgenres imprégnés de toute construction sociale privilégiée et dominante, sans personnes blanches « dépositaires d’un pouvoir hégémonique », comme le signale la sociologue Nacira Guénif-Souilamas dans Le Monde en défendant le collectif Mwasi lors du festival afroféministe. Elle précise : « Ces jeunes femmes veulent simplement créer un espace d’échanges sûr et rassurant. »

Un espace dans lequel elles puissent dire et relater leurs expériences de discrimination et d’humiliation. Sans être jugées, moquées, insultées, agressées. L’exclusion des groupes déterminés comme dominants n’est pas permanente et ne reproduit pas la ou les discrimination-s dénoncées. Au service de l’égalité, elle soutient les concernées dans leurs démarches d’empouvoirement et de reconnaissance de leurs conditions, leurs personnes et le caractère systémique qui se joue là. Elle intervient en tant qu’outil et ressource. Pour dire, oser parler, comprendre, remettre en question, se parer d’arguments, se gonfler de confiance, apprendre des bases que l’on n’a pas reçu en raison de son genre, sa couleur de peau, son handicap, sa classe sociale, etc. Pour ensuite prendre l’espace et faire entendre sa voix.

Célian Ramis

Parité dans les festivals : ça rame sévère...

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Le manque de parité dans l’organisation d’un événement tel qu’un festival de musique, c’est le constat que dresse l’équipe du Don Jigi Fest, dont la 8e édition s’est déroulée les 3 et 4 mai à Vitré.
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Le manque de parité dans l’organisation d’un événement tel qu’un festival de musique, c’est le constat que dresse l’équipe qui gère bénévolement le Don Jigi Fest, dont la 8édition s’est déroulée les 3 et 4 mai à Vitré. 

Il existe un exercice simple : se rendre sur les sites internet des festivals et compter combien de femmes apparaissent dans la programmation. En 2019, elles sont 33 sur 80 groupes invités aux Francofolies, 25 sur 79 groupes invités à Solidays, 14 sur 40 groupes invités au Bout du monde, 24 sur 73 groupes invités aux Vieilles Charrues, 5 sur 22 groupes invités au festival du Roi Arthur et 3 sur 17 groupes invités au Don Jigi Fest.

Pas besoin d’être un-e génie des mathématiques pour comprendre qu’elles sont largement minoritaires, ça saute aux yeux. En revanche, ce que le grand public remarque moins en général, c’est le déséquilibre qui règne également au sein des équipes organisatrices. Et ça, les membres du Don Jigi Fest le réalisent depuis plusieurs mois.

« Même avant cette édition-là, on sentait, rien qu’en regardant notre organigramme, le clivage des hommes à la technique et des femmes à la restauration. », explique Esther Rejai, rejointe par Mael Gerault : « Dans le bureau, c’est flagrant. Il n’y a qu’une seule femme et elle est en co-présidence. Depuis le début du festival, il n’y a eu que 2 femmes, toujours en co-présidence. » 

LA PRISE DE CONSCIENCE

Dans les bénévoles figurent 51% de femmes et 49% d’hommes, dans l’équipe organisatrice (bénévole elle aussi), 35% de femmes et 65% d’hommes. Autres éléments : 8 femmes et 17 garçons dirigent les 25 commissions. Sur le tremplin organisé, 36 artistes, 0 femme.

« On voyait bien qu’il y avait plus de mecs que de nanas mais on ne s’en rendait pas compte à ce point. On réalise maintenant parce qu’on a ouvert le débat entre nous. », souligne Mael. Esther rebondit sur les propos : 

« Les filles l’avaient déjà réalisé avant. Par exemple, c’est assez flagrant que quand on mange tous ensemble, souvent les gars partent et laissent leurs trucs et les meufs font la vaisselle. C’est fou ! Et quand on creuse, on se dit que ça nous concerne nous mais aussi plus globalement le secteur de l’événementiel et ça amène à se poser la question sur plein d’autres domaines : le cinéma, la musique, etc. ? » 

Si pour l’heure, les organisatrices-teurs n’ont pas encore défini de solutions concrètes, ielles ont tout de même lancé la réflexion, tout d’abord afin d’identifier les causes et les freins autour de cette problématique.

COMPRENDRE LE DÉSÉQUILIBRE

« La construction de la personnalité est fortement dépendante de l’éducation, de l’entourage et du parcours de chaque individu. Les mentalités évoluent mais il me semble que l’image de la femme est encore enfermée dans des carcans, et ceux dès le plus jeune âge », répond Laura Gautier qui analyse ici, de la même manière que Roxana Rejai, l’influence des stéréotypes de genres transmis par l’éducation et les représentations. 

Ainsi, les femmes osent moins se positionner sur des postes à responsabilité et les hommes « qui ne sont pas forcément prêts à intégrer n’importe quelle fille » alors que finalement les compétences s’acquièrent « au fur et à mesure sur le terrain ». 

Mais alors comment inciter davantage les femmes à investir les commissions et les postes à responsabilités encore largement dominés par les hommes ? Pour Laura Gautier, l’équipe organisatrice a un rôle à jouer. Car elle sait anticiper les besoins, prévoir la logistique et fédérer autour d’elle.

« Les plus jeunes bénévoles peuvent se découvrir ces qualités au fur et à mesure des années et peuvent être tentés par l’expérience, si on vient les chercher. Des encouragements réguliers et de la reconnaissance permettent aux jeunes de gagner en confiance en soi, et donc de s’investir un peu plus l’année suivante. Ça a été le cas pour moi, je n’ai pas souhaité de prime abord, devenir « responsable » d’une commission, mais on m’a sollicité et insisté pour le faire. », explique-t-elle. 

L’EMPOWERMENT, ÉTAPE NÉCESSAIRE

On note, dans tous les secteurs de la société, que là où les garçons foncent et apprennent sur le tas, les filles, elles, ne s’engagent souvent que dans des domaines dans lesquels elles sont sures de ne pas échouer. Parce que dans l’apprentissage des filles, la curiosité et l’expérimentation sont rarement mises en avant et développées.

Encourager les filles et les femmes à essayer, à entreprendre par elles-mêmes des choses que l’on conjugue davantage au masculin qu’au féminin, est souvent une étape nécessaire pour s’orienter vers la mixité et la parité. Une étape qui doit aller de pair avec l’éducation des garçons :

« Je suis la seule fille depuis plusieurs années (dans la commission moyens généraux, ndlr).N’étant pas forcément bricoleuse, ce n’est pas simple d’évoluer dans ce milieu et de faire passer ses idées dans une équipe entièrement composée de garçons avec des personnalités parfois imposantes. Je pense que c’est une commission que peu de filles souhaitent intégrer ne se sentant pas légitime alors que c’est faux et que la logistique du festival est complètement accessible à tous. », souligne Roxana Rejai, qui poursuit : 

« Je trouve aussi que j’ai davantage le sentiment de devoir « ne pas me laisser faire » au milieu de cette équipe de garçons, plus que si cela avait été une équipe de filles. Cela se retrouve aussi dans l’équipe technique. Je pense qu’il y a une part à jouer par les responsables techniques mais aussi un discours à tenir de leur part pour peut-être plus insister sur le fait que ces commissions sont ouvertes à tous et à TOUTES (ce qui n’est aujourd’hui pas franchement le cas). »

Mael Gerault est co-responsable en restauration au sein du festival. Il constate qu’en 2019, pour la première fois, l’équipe chargée de la restauration a basculé dans une majorité masculine, tandis que les années précédentes, il n’y avait quasiment que des femmes.

UNE QUESTION MAJEURE RELÉGUÉE AU SECOND PLAN…

De manière générale, il souligne « le principal problème de l’événementiel associatif », à savoir « de recruter des personnes compétentes acceptant de donner gratuitement de leur temps. » Ainsi, « la question de l’égalité des sexes est potentiellement reléguée au rang des questions secondaires. »

Et pourtant, on ne peut ignorer cette problématique, non spécifique à l’organisation d’un festival mais plus largement très présente et pesante dans la société patriarcale actuelle. La conséquence d’une organisation déséquilibrée en terme de parité étant son influence sur la programmation. Car on peut supposer que si la question reste secondaire en interne, elle ne sera pas non plus éludée dans l’élaboration de la programmation.

En 2015, le site 99 scènes avait supprimé les noms des artistes hommes des affiches de 13 grands festivals internationaux. Résultat : des affiches quasi vides, voire complètement vides. Quatre ans plus tard, et bon nombre de débats sur la place des femmes dans les arts et la culture plus tard, l’évolution est lente et minime. 

Peu de festivals peuvent se vanter d’avoir une programmation paritaire, encore moins une programmation paritaire plusieurs années de suite, et encore moins une programmation paritaire représentative de la population car non la population n’est pas composée que d’hommes blancs cisgenres hétérosexuels.

PASSAGE À L’ACTION… IL Y A URGENCE ! 

Il est donc plus que nécessaire d’interroger les représentations genrées dans les différents corps de métiers qui composent l’organisation d’un festival, les circuits de diffusion des artistes, les choix éditoriaux lors de la création de la programmation mais aussi les responsabilités politiques et la distribution d’aides financières.

Comme le signale Roxana Rejai en conclusion, il est important de s’équiper d’une vigilance absolue et de créer des espaces dans lesquels chacun-e trouve sa place et puisse s’épanouir :

« On a quand même aujourd’hui beaucoup de bénévoles filles qui prennent des responsabilités, qui sont présentes sur le terrain durant le montage et le démontage, qui sont partantes pour différentes tâches qui naturellement pourraient être associées à des tâches masculines (exemple : création de décor, terrassage, bâcheage, montage de barnums… etc.). Je trouve aussi qu’il y a une place égale qui leur est donnée dans les discussions, dans les réunions, on a très peu de réflexions sexistes à ce niveau-là, toutes les idées sont bonnes à prendre qu’elles viennent d’un garçon ou d’une fille. Le vrai point de vigilance selon moi est cette question d’équilibre au sein du bureau et de cette prise de responsabilité supérieure que les filles n’osent pas demandées ou qu’elles ont intégré d’elles-mêmes comme n’étant pas pour elles. Est-ce qu’on leur laisse un espace pour se présenter ? Pas sûr non plus… »

Heureusement, sur notre territoire, le mouvement HF œuvre à la mise en place d’actions concrètes à développer pour faciliter et privilégier l’égalité entre les femmes et les hommes, et accompagne les volontaires qui s’interrogent et pointent un déséquilibre, à l’instar des organisatrices-teurs du Don Jigi Fest. Un pas que très peu de structures entreprennent malheureusement, alors que ce pas est décisif pour équilibrer la balance.

 

 

Célian Ramis

Dans les coulisses d'une création (2)

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Suite de la création Lou(ps) de la compagnie Erébé Kouliballets - Après plusieurs répétitions du quatuor amateur, nous vous emmenons dans les coulisses du duo professionnel qui était en résidence du 18 au 22 mars à la MJC de Pacé.
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Dans le numéro de février – YEGG#77, la rédaction consacrait son Focus aux coulisses de la création de Lou(ps),la nouvelle pièce chorégraphique de la compagnie Erébé Kouliballets, inspirée du conte du XIVe siècle Le petit chaperon rouge. Après plusieurs répétitions du quatuor amateur, nous vous emmenons dans les coulisses du duo professionnel qui était en résidence du 18 au 22 mars à la MJC de Pacé. 

Le vendredi après-midi, Morgane Rey, fondatrice et chorégraphe de la compagnie Erébé Kouliballets et Cécile Collin, danseuse professionnelle, dévoilaient au public la première version de leur duo qui s’insère dans la création globale Lou(ps),composée d’un solo de la narratrice, d’un duo et d’un quatuor.

Au départ, Cécile Collin devait interpréter le petit chaperon rouge et Morgane Rey, la forêt, la grand-mère et le loup. Finalement, la chorégraphe n’incarnera « que » les deux derniers. Lors de notre venue, le duo nous présente donc l’enchainement complet, non définitif :

« Je rentre dedans seulement depuis hier. Donc en fait je découvre… », souligne Morgane Rey, nous expliquant également qu’elles nous dévoilaient le dispositif tel qu’il sera montré à Pacé le 7 juin prochain et qui se différencie de la version présentée à Mordelles le 10 mai. 

« À Pacé, ce sera une déambulation extérieure et on viendra à l’intérieur pour le duo, alors qu’à Mordelles, tout sera dans la continuité. Mais là, dans la version de Pacé, quand le public entre dans la salle, Cécile est déjà en scène et répète quatre mantras qu’elle fait en plus grand dans son solo. », explique Morgane, avant de commencer. 

Elles dansent dans un cercle, formé au sol à la craie et délimité au niveau des points cardinaux par leurs chaussures. Elles alternent partitions synchronisées, solis et moments à deux. Tandis que Cécile danse, Morgane sort du cercle, passe derrière les rideaux, traverse le fond de la scène – à l’endroit où seront situés les musiciens – revient. Elle prend ses marques. Cécile jette un coup d’œil de temps en temps pour les parties synchronisées.

La thématique est la même que celle du quatuor et pourtant, la différence est frappante. Non pas dans la manière d’exécuter les mouvements – puisqu’on a montré dans le dossier que chacune dansait différemment, faisant la force également de la proposition – mais principalement dans ce qui s’en dégage.

On note une gestuelle très importante du côté de Cécile Collin passant d’une main posée sur le front, à une main sur le pubis, puis sur la cuisse, le genou, l’épaule et pour terminer, les fesses. Et l’enchainement se répète lentement. Comme si il était question d’un temps pour soi. Pour la découverte, l’exploration de son propre corps, amenant ainsi à une connaissance personnelle et intime, destinée à renforcer la personnalité de notre petit chaperon rouge.

« On est dans l’état, le sentiment, l’abstraction. Dans l’essence. Il est question des racines africaines, de la filiation, de transmission. On travaille aussi sur la relation dominé-e / dominant-e. Au début, quand je la place, je suis le loup, c’est très net. Le loup ouvre le bal, essaye de prendre l’espace mais n’y arrive pas. La grand-mère est dans la transmission mais elle se fait bouffer elle aussi par le petit chaperon. », explique Morgane qui souligne également une différence importante avec la version du quatuor : 

« Le quatuor raconte l’histoire du petit chaperon rouge alors qu’ici, ce sont des visites. Le loup et la grand-mère sont déjà morts, elle, elle est vivante et elle revisite ses morts. »

Pour préparer ce duo, les deux danseuses ont travaillé séparément en faisant des points étapes par moment au cours desquels Cécile Collin montrait à Morgane Rey l’avancée de son solo. Habituées à collaborer – Cécile Collin signe ici sa 4eparticipation à des créations de la compagnie Erébé Kouliballets – elles ont ressenti le besoin de « se reconnecter, de rentrer dans la matière et de retrouver de la confiance. »

« Parce que c’est quand même de l’intime, de l’âme. Et puis c’est très carnivore un chorégraphe. Ça bouffe du danseur quand même ! C’est chronophage et ça bouffe de l’humain. Comme le petit chaperon qui bouffe le loup et sa grand-mère. », rigole Morgane dont la réflexion est très sérieuse.

De son côté, la danseuse a donc élaboré sa chorégraphie autour des matériaux fournis par la chorégraphe, qui ne change pas ici son process et nourrit sa réflexion et celle de ses collaboratrices à partir de planches de dessin et de documentations variées :

« On s’est vues avec Morgane, elle m’a raconté sa version, sa réflexion, m’a donné des documents à lire, des vidéos de danse à regarder. Des vidéos qui souvent n’ont rien à voir avec Le petit chaperon rouge mais en fait ça, ça m’aide à m’imprégner de l’esprit de la pièce. Les discussions et les dessins m’aident beaucoup. C’est concret. »

Cécile poursuit, expliquant son petit chaperon rouge à elle, différent de celui interprété par Juliette Guillevin dans le quatuor, sans être moins intéressant et complet : « En fait, je suis partie d’une phrase qui dit que c’est la première racaille de l’histoire. Et ouais, c’est vrai, c’est ça. Et là, je dois donc faire une petite fille qui se construit tout en étant une adulte qui le raconte. Je me réimprègne en fait de l’état de petite fille, qui prend la confiance et y va ! Je revis ça comme dans un souvenir. »

Là se trouve le point commun entre les deux partitions. À chaque fois, on assiste au développement de la petite fille vers la femme. Un développement qui passe toujours par la confrontation au monde extérieur, la transmission de son aînée et le voyage intérieur pour en arriver à une découverte de soi.

Cette fois, le rapport à la sexualité et à la sensualité est moins prégnant. Car enrobé par des tensions plurielles, résultant d’une réflexion commune entre les deux professionnelles. « Il y a un viol normalement. On s’est demandées : est-ce qu’on part sur le viol et l’après ? Et en fait, on n’est pas restées là-dessus. On voulait vraiment plus parler du passage de l’enfant, enfin l’ado à la femme. », précise Cécile qui sans le vouloir lance une interrogation jusque là non pensée précisément : commence-t-elle enfant ou ado ?

Elle et Morgane réfléchissent, dialoguent, donnent des arguments et s’orientent de par le ressenti qu’elles en ont, principalement Cécile qui l’incarne à différentes étapes de sa « mue ». Sans réponse spécifique définissant un âge au personnage initial, elles concluent : « C’est juvénile ! ».

Des éléments qui peuvent aider la danseuse à parfaire sa partition. Non pas tellement d’un point de vue technique comme elle le souligne mais plutôt dans les intentions qu’elle donne à chaque mouvement. « Et puis savoir où tu es Morgane, bordel ! », faisant référence aux nombreux déplacements entrepris par Morgane lors de leur filage.

« En fait, c’est elle qui domine, t’as vu ça ?! », plaisante Morgane qui doit encore, lors d’une prochaine étape de travail, intégrer son solo à cette première matière déjà conséquente. « Faut joindre les deux bouts ! », lance-t-elle, fatiguée – parce qu’en plus des multiples répétitions avec la quatuor, le duo et le solo, elle donne des cours de danse au Triangle, à la maison de quartier Ste Thérèse, anime des stages de danse, effectue des résidences sur d’autres créations, gère le rétro-planning et l’organisation des dernières festivités préparatoires… - mais amusée, comme toujours, l’œil pétillant. 

 

LES DATES : 

  • Grande répétition le 1ermai 

  • La générale le 3 mai

  • La première le 10 mai à Mordelles

  • Déambulation extérieure et duo en intérieur le 7 juin à Pacé 

  • Représentation du solo de Cécile (le duo se décline également en solo) le 14 juin au métro Triangle (Rennes)

 

Célian Ramis

"Mais vous êtes fous ?", un thriller intime sans jugement néfaste

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Cinéma Gaumont, Rennes
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Audrey Diwan passe derrière la caméra à la réalisation de son premier long-métrage "Mais vous êtes fous ?". Le 26 mars, elle était au cinéma Gaumont, pour le présenter en avant-première, accompagnée de Céline Sallette.
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Audrey Diwan, la scénariste de La FrenchAmi Ami et HHhH passe derrière la caméra à la réalisation de son premier long-métrage Mais vous êtes fous ?. Le 26 mars, elle était à Rennes, au cinéma Gaumont, pour le présenter en avant-première, accompagnée de l’actrice principale Céline Sallette. 

Le film pose la question de la confiance, « ce qui sous-tend la question de tous les couples », souligne Audrey Diwan. Ici, elle met en scène Roman (Pio Marmaï) et Camille (Céline Sallette), en couple depuis plusieurs années et parents de deux petites filles. Seulement, son quotidien à lui ne ressemble pas tout à fait à ce que sa famille imagine. Addict à la cocaïne, il va mettre en péril l’équilibre familial. 

Plusieurs années en arrière, la réalisatrice lit dans le journal quelques lignes d’un article intitulé « Un couple parisien drogue ses enfants ». Quelques jours plus tard, elle rencontre l’amie d’une amie qui en regardant ses enfants à elle lui dit : « Tu as de la chance de les avoir toi. »

« On venait de lui retirer ses deux enfants, elle était en état de sidération totale. Elle-même était soupçonnée. Ça m’a interpelée, son état de sidération, la manière dont elle parlait de l’histoire et l’envie malgré tout de comprendre son mari. C’est l’alliage de tout ça qui m’a donné envie de l’adapter au cinéma. », souligne Audrey Diwan. 

DÉVELOPPER LE TRHILLER INTIME

Parce que Roman contamine sa famille, une enquête policière est lancée et les deux filles sont placées chez leurs grands-parents le temps de définir si la contamination était volontaire ou non. Audrey Diwan nous plonge donc au cœur de l’intimité d’un couple, d’une famille et en même temps d’un thriller haletant. Un thriller intime, comme elle le définit.

« Tous les détails prennent une dimension énorme, il y a du double sens dans tout », précise-t-elle. Séparation conjugale, séparation familiale, séparation du secret. Manque du psychotrope, manque affectif. « Ça parle du poison qui finit par agir. Le poison du secret qui finit par se distiller partout et pourrit la relation intime. », ajoute Céline Sallette, dont le jeu est une fois encore d’une justesse et d’une intensité à couper le souffle.

Face à ce couple, pas de jugement de la part de la réalisatrice : « Je n’aime pas le cinéma moral. Je veux que le film pose des questions, amène un chemin de compréhension mais surtout pas qu’il soit jugeant ou qu’il explique au spectateur ce qu’il doit comprendre. C’est au contraire super de voir que chacun-e y voit, y comprend, ce qu’il/elle veut. »

LOIN DE LA CARICATURE

Avant de réaliser le film, Audrey Diwan a repris contact avec la femme qu’elle avait rencontré, qui lui avait raconté une partie de son histoire, afin de lui proposer de participer au scénario. Proposition qu’elle a accepté à condition que le père de ses enfants puisse également y prendre part.

« Ils l’ont donc fait ensemble. Moi, ce qui m’intéressait, même si j’ai apporté de la fiction dans l’histoire, c’était de recueillir la parole exacte. Mon côté journaliste… », souligne la réalisatrice, qui a exercé le métier de journaliste plusieurs années durant, co-fondant le magazine gratuit Stylist

Ainsi, elle peut présenter au public une vision non manichéenne de cette histoire vraie, adaptée pour le cinéma, et non simpliste. Avec un homme bien sous tout rapport, enfermé dans son mensonge, qui n’apportera aucune explication sur son addiction à la cocaïne et fera tout pour s’en sortir seul. Et une femme droite dans ses bottes qui va entrer dans le mensonge sans vraiment le vouloir, sans se considérer comme une victime.

« Elle rentre dans le mensonge, déjà parce que pendant toutes ces années, elle n’a rien vu. Mais n’a-t-elle vraiment rien vu ou préfère-t-elle ne rien voir ? Il y a peut-être eu des gestes, des attitudes, de manque ou de moments sous drogue qu’elle a vu mais qu’elle a choisi d’interpréter différemment. Et ce qu’elle va découvrir, c’est une forme de vérité mais pas forcément toute la vérité. Elle croit que ça va s’arrêter rapidement donc elle le défend mais en fait elle est dépassée. Ça se sédimente en elle. », explique Céline Sallette. 

La confiance est rompue. Mais l’amour est toujours là. Une fois l’affaire judiciaire derrière eux, comment faire pour se retrouver et avancer à nouveau ensemble ? « On est dans le même décor, la même familiarité mais l’intime a changé, les sentiments ont changé. Il y a quelque chose d’irrémédiablement différent. », livre la réalisatrice qui s’est indéniablement profondément liée à l’histoire de ce couple : 

« Après ma rencontre avec cette femme, l’histoire a continué de résonner en moi pendant plusieurs années. C’est devenu une nécessité pour moi d’en faire un film. La question du couple, de la confiance, ça résonnait en moi. Je voulais pouvoir en faire une lecture personnelle. »

TRANSCENDER LE PERSONNAGE

Elle connaît Céline Sallette depuis 10 ans. Parce qu’elle l’a interviewée dans sa vie de journaliste. Et que l’interview est devenue une discussion. La discussion, une amitié. Connaissant son talent, Audrey Diwan écrit le rôle sur mesure pour elle. Parce qu’elle sait qu’elle est capable de tout. Que quand elle joue, elle n’est pas dans la peau du personnage, elle est le personnage et cette aliénation totale finit par transcender le personnage.

Elle crève l’écran. Dès qu’elle apparaît, on ne lâche pas du regard. Son regard, intense et subtil, renforce chaque détail et accompagne ses partenaires de jeu : « C’est un voyage intérieur, le jeu de l’acteur. Le public aussi vit un voyage intérieur en regardant un film mais l’acteur le fait plus en conscience, dans un cadre professionnel, ça reste un métier. Mais oui, on marche sur un fil quand on joue. Un peu en dehors de la réalité, comme dans un rêve. On peut comparer ça à la jouissance. Quand on jouit, on est dans une sorte de transe. »

Ce qu’elle aime dans le scénario, c’est la question de la dépendance multiple : « C’est 90% de l’humanité ! Des dépendances, il y en a des milliers. L’âme humaine est faite de ça. » Et Audrey Diwan, dans Mais vous êtes fous ?,manie en toute intelligence et avec talent le scénario, le rythme et les doubles, voire triples, interprétations possibles dans chaque situation, renforcées par le jeu impeccable des acteurs dont les intentions décuplent les émotions que se prennent en pleine tronche le spectateur. 

Au cinéma le 24 avril 2019.

Célian Ramis

Femmes "chimiotées" : la force de vivre !

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Maison des associations, Rennes
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Entre la projection du film Les belles combattantes, l’exposition éponyme et les témoignages de trois femmes ayant été atteintes du cancer du sein, le sujet de la soirée était bel et bien celui de la résilience et du souffle de vie.
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C’est une soirée sur le fil de l’émotion que proposait l’association Yadlavie le jeudi 14 mars à la Maison des Associations de Rennes. Entre la projection du film Les belles combattantes, l’exposition éponyme et les témoignages de trois femmes ayant été atteintes du cancer du sein, le sujet était bel et bien celui de la résilience et du souffle de vie.

« C’est un film d’espoir », lance la photographe Karine Nicolleau, à qui l’on doit Les belles combattantes– à (re)découvrir sur TVR samedi 16 mars à 14h pour le documentaire et à voir à la Maison des Associations jusqu’au 12 avril pour l’exposition. 

Ainsi, durant une trentaine de minutes, l’association Yadlavie - créée en 2012 - nous permet de partager une petite partie du quotidien des Roz’Eskell (association CAP Ouest) lors de leur séjour en Chine, au pays du dragon boat, les répétitions de la comédienne Sonia Rostagni, co-auteure du spectacle 649 eurosautour du cancer du sein, et les entrainements des Riposteuses (association Solution Riposte) pratiquant l’escrime à visée rééducative. 

Dans le film, ce qui prime, ce sont les rires, les sourires, les paroles et réflexions autour des vécus des unes et des autres. Sans voyeurisme, elles livrent ici une intimité sensible de laquelle jaillit une énergie positive et une volonté inouïe de vie. Se déroule alors instantanément le fil puissant d’une oscillation entre force et fragilité qui suspend le temps pour ne laisser transparaitre que l’émotion brute et authentique.

UNE CONSCIENCE PLUS AIGUE DE LA VIE

Dans l’intitulé de la soirée, elles sont « Femmes « chimiotées » : femmes envers et contre tout ». Elles ont subi et affronté le(s) cancer(s) du sein, elles sont en rémission ou non. Les protocoles médicaux, la dépossession de leur corps, le regard des autres sur elles et leur propre regard…

Elles doivent désormais vivre avec. Elles se sont découvertes des forces insoupçonnées jusqu’ici et parlent « d’une conscience, aujourd’hui, plus aigue de la vie, du fait qu’il faut profiter davantage des choses. »

Pour Anne Patault, vice-présidente de la région Bretagne, chargée de l’égalité, de l’innovation sociale et de la vie associative, son « espèce de chance » a été de ne plus craindre la vieillesse :

« Pendant toute une époque, j’avais peur de vieillir. Maintenant, j’espère vieillir. Je me projette en vieille dame et ça me fait plaisir. »

Un point sur lequel la comédienne Sonia Rostagni la rejoint : « Chaque année supplémentaire, c’est toujours ça de pris ! »

Son spectacle, 649 euros, elle le définit comme une évidence : « Une manière de sublimer par l’art le cancer. De faire d’un truc très moche un truc esthétique. Avec une mise en scène pensée de manière à ce que je ne rejoue pas tous les soirs mon cancer à moi. Même si j’ai eu un cancer, je joue un personnage. Je suis une femme, n’importe quelle femme. Et puis la pièce permet aussi de sortir du pathos et de transmettre les choses avec humour. Ça a été un mécanisme de défense très puissant pour moi, l’humour. Je n’ai jamais autant ri que pendant la maladie. »

LES INJONCTIONS DANS LE CANCER

Si elles refusent de parler du cancer comme d’une chance, comme tel est ressenti d’une participante dans le film, elles s’accordent à aborder l’angle du changement post opération. En nuançant toutefois.

« Ça m’a donné des orientations de vie un peu différentes. J’étais un peu indolente avant, j’avais tendance à laisser filer le temps. La leçon que m’a donné la maladie c’est la notion du temps qui nous est compté. Aujourd’hui, j’ai une sorte d’impatience par rapport à des réalisations de projets par exemple. Je suis devenue plus fonceuse. Quand je suis convaincue de quelque chose, maintenant j’y vais. », souligne Anne Patault.

Même discours du côté de Sonia Rostagni :

« Des traits de caractère se sont affirmés. Je me suis découverte encore plus. »

Pour Maryse Théron, syndicaliste et membre des Roz’Eskell, pas question de se soumettre aux injonctions « de faire ça, de dire ça, de vivre le cancer de telle ou telle manière. » Elle le dit et l’affirme : 

« Je n’aime pas les injonctions ! Il n’y a pas plus de raisons de vivre ces injonctions attribuées aux femmes qui ont eu un cancer que d’autres ! On n’est pas obligées de changer parce qu’on a eu un cancer. Certaines étaient insupportables avant la maladie et le restent après. La maladie apprend l’humilité. On prend une conscience un peu plus aigue de notre mortalité. »

CHACUNE SON EXPÉRIENCE ET SON RESSENTI

Elles ne sont pas des expertes du cancer. Elles sont des femmes ayant vécu, chacune à sa manière, son ou ses cancers du sein. Ce soir-là, sans détour et sans langue de bois, les trois intervenantes témoignent de leurs expériences et ressentis individuels pouvant trouver des points de résonnance dans l’épreuve subie par le collectif.

« Ma mère commençait son Alzheimer. J’ai du lui réannoncer 100 fois que j’étais malade. J’ai fini par me dire que c’était pas plus mal qu’elle oublie. Mon entourage a été ni trop envahissant ni trop dans la compassion. C’est un équilibre difficile à trouver mais c’est important. Mais il faut savoir qu’on est toujours tout seul dans la maladie. C’est un parcours solitaire, même si j’ai toujours été accompagnée pendant les chimios ou qu’une amie venait me chercher… », précise Anne Patault qui soulève alors la question de ce que l’on peut attendre de son entourage pendant la maladie. 

Il y a ce que l’on dit aux autres, ce que l’on ressent et vit réellement. Il y a ce que l’on est capable d’endurer, ce qu’on dit aux enfants. Il y a celles et ceux qui supportent et prennent sur elles/eux, d’autres qui ne sont pas en mesure de soutenir et qui s’en vont. Il y a les médecins et les protocoles, ceux qui soignent un individu et ceux qui traitent un symptôme. Et puis la vie qui continue en parallèle. En dehors de la personne qui au même moment affronte la maladie.

Etre sujet, c’est le point sur lequel insiste Maryse Théron. Ne pas se laisser posséder par les autres, par leurs angoisses, leurs émotions, leurs conseils et savoirs.

« Être soi même son sujet. C’est moi, c’est mon cancer. C’est moi qui dit si je vais ou vais pas, qui dit ce que je fais, ce que je fais pas, etc. C’est important de se réapproprier soi-même. »
affirme-t-elle, précisant qu’il ne faut pas sous estimer le poids de la maladie. 

RETOUR À LA VIE PROFESSIONNELLE

Pas facile dans une société capitaliste avide de rentabilité et de productivité de se retirer pendant un temps de la vie professionnelle. La peur de se détacher, de se déconnecter, de ne pas retrouver sa place à son retour, la peur de ne pas être comprise en revenant par le biais d’un mi temps thérapeutique, la peur d’être jugée, la peur d’être larguée.

Si Maryse évoque le dispositif Cancer at work, prévu dans le plan Cancer pour faciliter le retour ou l’accompagnement à l’emploi, elle parle aussi d’une grande méconnaissance de la maladie.

« Les employeurs sont démunis. Il y a encore beaucoup de travail à réaliser pour informer et sensibiliser les équipes, les managers, etc. Le plan Cancer c’est bien mais il faut y mettre des moyens et pas que des discours politiques », précise-t-elle, indiquant également un manque cruel d’égalité dans l’information et l’accès à la prévention et au dépistage du cancer, notamment en direction des femmes précaires « qui n’ont pas le temps de s’occuper d’elles parce qu’elles doivent gérer les enfants, la maison, etc. »

LA HARGNE DES COMBATTANTES

Au fil de la discussion, on retrouve la même sensation que pendant le film ou l’exposition, face aux photographies de Karine Nicolleau dans la galerie de la Maison des Associations. Réunies par le cancer du sein, sur des clichés en couleur ou en noir et blanc, à bord d’un dragon boat, à croiser le sabre et l’épée, à une table ronde, elles délivrent un message fort qui encourage la force de vivre.

Elles ont le sourire des survivantes et la hargne des combattantes. Parce qu’elles ont puisé en elles des ressources auxquelles elles ne pensaient pas faire appel, elles ont découvert des forces en elles insoupçonnées.

« Il faut beaucoup d’amour de soi même pour continuer de se regarder avec douceur. »
conclut Anne Patault.

Une belle leçon de vie qu’elles partagent avec générosité lors des échanges à l’occasion de la soirée.

Célian Ramis

Image de soi : Se fondre dans la masse ?

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Rennes
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Dans une société d'apparence, l'image de soi peut être tout aussi honorifique que tyrannique. Quelles places pour les différences ? Enquête sur l'image et l'estime de soi chez les femmes d'aujourd'hui.
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Depuis trois ans maintenant, YEGG rencontre chaque mois des femmes qui contribuent au maintien et l’avancée des droits des femmes, vers l’égalité des sexes. La rédaction a pu noter au fil du temps et des rencontres que la remise en question, de leur part, de leur légitimité à parler d’un sujet revient régulièrement sur le tapis.

Et quand vient le moment de la photo, les visages se crispent. « Vous êtes sûrs que c’est bien de mettre ma tête dans votre magazine ? », « Roh, je n’aime pas les photos, je ne suis pas photogénique » ou « Vous me retoucherez sur Photoshop hein ?! » sont des phrases que l’on a pris l’habitude d’entendre et auxquelles on a pris l’habitude de répondre.

Impossible pour nous donc de passer à côté de cette problématique récurrente convergeant vers le souci de l’image de soi et le rapport à l’estime de soi. Et force est de constater qu’enfermées par des normes physiques et des assignations de genre, les femmes développent des techniques d’évitement et de protection afin d’essayer d’assumer leurs différences.

La problématique n’est pas seulement épineuse, elle est complexe et délicate. L’estime de soi, processus consistant à se percevoir à travers le regard de la société et/ou de son groupe d’appartenance, est intrinsèquement liée à l’image de soi, dans le sens d’apparence physique, régie par une série de normes, elles-mêmes constituées de tout un tas de stéréotypes et d’assignations genrées.

Ainsi, soigner son apparence est une manière de prendre soin de son soi intérieur. Un geste qui peut être aussi bien source de bonheur que de souffrance. Car les discriminations en raison d’un physique ne correspondant pas à la norme de la femme blanche, jeune et mince constituent une réalité bien triste et minorée de sa gravité.

Très récemment, courant février, une étude de France Stratégie confirme que les hommes sans ascendance migratoire ou d’origine européenne sont privilégiés à l’emploi, et notamment pour l’obtention d’un CDI à temps plein, par rapport aux personnes originaires des DOM et du continent africain.

Difficile de trouver un travail dans ces conditions, d’autant plus quand on est une femme noire. À la même période, le Défenseur des droits et l’Organisation Internationale du Travail publient la 9e édition du Baromètre sur la perception des discriminations dans l’emploi, intitulée « Le physique de l’emploi ». L’étude, réalisée en octobre et novembre 2014, est portée sur 998 demandeur-e-s d’emplois (500 hommes, 498 femmes) entre 18 et 65 ans.

« Avoir un style non conforme aux codes de l’entreprise (cité à 85% par les femmes et 78% par les hommes) et le fait d’être obèse (cité à 79% par les femmes et 73% par les hommes) font partie des situations les plus pénalisantes (au même titre que le fait d’avoir plus de 55 ans, d’être enceinte et d’avoir un handicap visible). Corrélativement, le fait d’avoir un physique attractif est vu comme un avantage par 66% des femmes et 65% des hommes. Les normes d’attractivité physique et de corpulence admises en France, valorisant la minceur pour les femmes, semblent s’étendre jusqu’aux conditions de recrutement. », souligne le rapport.

Ainsi, les femmes obèses rapportent 8 fois plus souvent avoir été discriminées à cause de leur apparence physique que les femmes d’IMC « normal » (les hommes obèses parlent de 3 fois plus) et les femmes en surpoids rapportent 4 fois plus souvent avoir été discriminées pour la même raison que citée précédemment que les femmes d’IMC « normal » (pas d’effet spécifique sur les hommes).

Alors la marque de savon Dove peut toujours nous chanter la beauté de tous les corps et des rondeurs dans ses campagnes publicitaires, il semblerait qu’au-delà de la salle de bain, la non minceur ne soit pas considérée comme facteur de beauté. Sauf que tout cela est subjectif, se dit-on. Et pourtant, philosophiquement parlant, la beauté est objective. Tout comme la laideur.

QUELLE OBJECTIVITÉ ?

À l’occasion du cycle « Image de soi », proposé par la Bibliothèque des Champs Libres et porté par la conservatrice Bénédicte Gornouvel de janvier à mai 2016, et du festival rennais Zanzan « Cinéma et Arts des différences », un café philo interroge les participant-e-s autour de la notion de laideur, le 10 mars au café des Champs Libres. Dominique Paquet, comédienne, auteure dramatique et philosophe, anime la conférence (et reviendra sur ce sujet le 7 avril dans la salle de conférence des CL).

Selon elle, la laideur serait moins traitée que la beauté. Car cette dernière procure un sentiment de plaisir. Elle réjouit, calme, apaise. « Elle est beaucoup plus mise en avant philosophiquement. Pour des raisons qui relèvent de l’érotisme mais aussi du marché. », explique Dominique Paquet. A contrario, la laideur provoque répulsion, malaise, tristesse et épuisement. Si la norme change selon la période de l’Histoire, la beauté elle ne change pas, elle est objective :

« Il s’agit de la proportion harmonieuse d’un visage, d’un corps. Ce qui est laid, c’est la dysmorphose (anomalie de la formation d’un organe ou d’une partie du corps, ndlr), l’hypertrophie (développement trop important d’une partie du corps ou d’un organe, ndlr) ou encore la dystrophie (dégénérescence ou développement défectueux d’un organe ou d’une partie du corps, ndlr). Et ça en général, on ne veut pas regarder, ça nous effraie car ces cas échappent à la norme. »

Ce sont les critères de beauté qui changent. À travers les images que l’on nous assène de voir - dans les publicités, les médias, le cinéma grand public, etc. – on encourage la course à la beauté et le culte de l’apparence. « Sauf qu’il y a plein de moyens de rendre un visage beau. Quand à la Une de ELLE, Claire Chazal a le cou lissé, il faut être naïf pour penser que les femmes sont comme ça ! », lâche la philosophe qui reconnaît que pour certaines femmes la beauté serait un passeport social. Grâce auquel on accorde son regard, sa courtoisie. Toutefois, elle précise : « Le regard de l’autre peut aussi être le regard qui tue. »

FORTE PRESSION

Mais qu’en est-il quand on ne voit pas ce fameux regard ? Est-on à l’abri de la pression ? Loin de là, nous répond Sylvie Ganche, qui travaille à la mission accessibilité aux Champs Libres. Elle a grandi malvoyante et depuis une quinzaine d’années est aveugle. « C’est difficile l’image de soi quand on ne se voit pas. On ne se voit que dans le discours des autres et ce dernier est très variable selon l’interlocuteur. », explique-t-elle d’emblée.

Au lycée, elle prend conscience de sa différence et du poids de l’image aussi bien de la part des élèves que des adultes : « Jusqu’en 3e, je fréquentais des écoles spécialisées, je ne connaissais que des déficients visuels. J’ai compris ensuite que j’étais différente, et c’est devenu une obsession car j’ai eu l’impression que mes pensées étaient visibles. » Elle l’affirme : plus elle perd la vue, plus elle se fixe sur des détails. Les aveugles auraient la réputation d’être sales, souillons.

Elle refuse de coller à ce cliché. Dans sa manière de s’habiller, elle prend toujours une base noire et ajoute ensuite d’autres vêtements, sobres. Elle s’en remet aux professionnel-le-s pour le vernis, la coiffure, etc. « J’essaye de me distinguer par la sobriété avec un petit truc qui sort de l’ordinaire. Mais il faut mes habits soient assortis. J’ai peur de la faute de goût et je m’interdis beaucoup l’erreur. Je suis très embêtée si on signale quelque chose, comme un trou dans un vêtement ou autre. », confie Sylvie.

Elle ne se maquille pas, elle considère cet artifice comme une perte de temps. Comme elle aime à le dire, elle alterne entre sa différence « et je vous emmerde », et la pression de son image. Qui va jusque dans sa canne qu’elle considère comme un objet moche qui n’a jamais été développé niveau esthétique mais qui participe à l’idée que l’on peut se faire sur une personne : « Y a des bigleux qui ont des cannes toutes tordues, toutes moches. Ça véhicule une image quand même ! C’est important de ne pas paraître crado ! »

Sans le voir, le poids de l’apparence est ressenti, subi. Et pour Sylvie, la difficulté réside aussi dans le rapport aux hommes. « Ils ont besoin de briller à travers leurs femmes. Moi, femme handicapée, je ne suis pas celle que l’on attend, pas celle que l’on cherche. À part peut-être pour une nuit… Mais séduire quand tu n’as pas les codes visuels, c’est compliqué. J’ai eu plusieurs expériences, avec un aveugle notamment. La pression était différente. On faisait attention aux sons, aux odeurs, etc. Mais surtout on est évalué par l’entourage et là c’est difficile. Même les hommes aveugles veulent briller par leurs femmes. Ils ont les mêmes exigences ! », déplore-t-elle.

Et le couple, hétérosexuel principalement, fait aussi partie intégrante de la norme. Dès l’enfance, filles et garçons intègrent ce diktat. Pour Dominique Paquet, ce serait « plus gratifiant ». Mais lorsque la jeunesse s’évapore du visage d’une femme laissant apparaître des signes d’âge avancé, comme les rides et les cheveux blancs, le regard de la gent masculine change, mais aussi celui de la gent féminine, la société réfutant la vieillesse.

« Vers 50 ans, on n’est plus bonnes pour la reproduction. Après avoir eu des enfants, le corps s’alourdit. Puis il encaisse les kilos de la ménopause. La femme vit dans son corps des étapes très douloureuses depuis l’adolescence. Socialement, dans le regard des autres, on sent qu’en vieillissant on prend la place d’une autre femme, plus jeune. On a alors un désir de rester belles car ce n’est pas agréable de se voir vieillir. On veut boire des élixirs, avoir une cure de jouvence ! », soutient la philosophe.

CHIRURGIE ESTHÉTIQUE ET PLASTIQUE : LA CONFUSION

Mais la chirurgie esthétique n’a pas bonne presse. Avoir recours au bistouri ? Artificiel ! Et cher en plus de ça ! Se maquiller tous les matins, se refaire une beauté à mi-journée, choisir ses habits en fonction de la mode et autres apparats comme l’épilation des jambes, des aisselles et du maillot par exemple et autre tartinage de crèmes en tout genre, ok, mais faire appel aux technologies chirurgicales d’aujourd’hui, jamais de la vie ?! La confusion règne.

Et surtout se forge à partir d’images étalées dans la presse people montrant des stars addicts de la piqûre et du lifting. Mathilde Robert et Marion Gérard sont toutes les deux chirurgiennes plasticiennes. Elles exercent leur profession au sein de deux établissements rennais : le CHU (Hôpital Sud) et le centre Eugène Marquis (centre régional de lutte contre le cancer). « On touche à toutes les parties du corps. On peut faire des chirurgies de la main, de la face, du pied, des zones intimes… C’est très varié. On a une fausse image de notre profession. », débute Marion Gérard.

En consultation, elles rencontrent tout type de patient-e-s, venu-e-s pour tout type d’opération. Des séquelles d’un amaigrissement ou d’accouchements à une gêne due à une forte poitrine, en passant par la volonté de paraître moins fatiguée, plus jeune, Mathilde et Marion répondent à des demandes diverses qui peuvent être purement esthétiques comme reconstructrices et médicales. La différence étant expliquée concrètement par Mathilde : avec le médical, la reconstruction, on passe du pathologique au normal – en essayant de rendre le normal beau – et avec l’esthétique, on passe du normal au beau.

Un exemple simple et parlant : « Pour des seins qui tombent, c’est esthétique, on passe du normal au beau. Pour une hypertrophie mammaire, on passe du pathologique à du normal, dès l’instant où on enlève minimum 3O0 grammes par sein. » Et aussi étonnant que cela puisse paraître, les opérations de réduction mammaire sont bien plus courantes que l’on ne le pense.

« Dans le secteur public, la première consultation est prise en charge. Cela permet de qualifier si la demande est médicale ou esthétique. Quand il s’agit d’une opération esthétique, celle ci est à la charge du patient. Si l’opération est médicale, elle est prise en charge. Nous avons des critères qui nous permettent de définir cela. », explique Marion Gérard. Et quand il y a ambigüité, une demande d’entente est envoyée à la Sécurité sociale.

La gratuité pourrait-elle alors amener les femmes à se laisser tenter ? Pas forcément, les délais étant souvent très longs en ce qui concerne le CHU. Lennie – son prénom a été changé pour conserver l’anonymat – a éprouvé le parcours de la chirurgie. Pour une réduction mammaire dans le cadre d’une hypertrophie. En fin d’année dernière, elle est passée d’un 90 F à un 90 C, la norme. Elle avait toujours rêvé de le faire, depuis que sa poitrine s’était développée au début du lycée.

« C’est en 2013 quand je suis allée en Indonésie que j’ai vraiment ressenti dans le regard des autres que j’avais une grosse poitrine. Ma mère connaissait quelqu’un qui s’était fait opérer. J’ai alors passé un coup de fil et un mois plus tard j’avais rendez-vous pour la consultation. », déclare-t-elle. Au quotidien, Lennie se sent bien dans son corps et tient au discours sur l’acceptation de soi. 

« Je me suis dit que c’était un peu contradictoire alors de se faire opérer. Mais j’étais tellement décidée que je l’ai fait. Ce n’est pas que de l’esthétisme, c’est un confort général. Avant j’avais tendance à me tasser, j’avais mal au dos. Aujourd’hui, je me sens plus légère, je me tiens plus droite. Je me suis quand même réveillée avec 700 g en moins ! », s’enthousiasme-t-elle.

Le revers de la médaille : les cicatrices très visibles, la brassière de contention à porter pendant plusieurs mois. Mais Lennie ne regrette rien. Sa poitrine n’est pas parfaite, selon ses dires, mais elle en est satisfaite. Avant, elle avait l’impression de porter une étiquette, celle de ‘la fille aux gros seins’. Aujourd’hui, elle a jeté cette étiquette « et je n’en ai pas remis depuis ! »

Pour Mathilde Robert, ce qui compte avant tout, c’est « de peser le rapport bénéfices/risques. Si c’est trop risquer, c’est à nous de les amener à revoir leurs jugements sur elles. Ou si je ne vois pas le problème, je ne pourrais pas traiter quelque chose que je ne vois pas. » Pour le reste, quel mal y a-t-il à réparer des parties de son corps, que ce soit pour raisons médicales ou pour raisons esthétiques ?

Pourtant, un bémol persiste : l’image occupe une telle importance dans la vie des femmes que certaines peuvent formuler des demandes surprenantes. À l’instar des réductions des petites lèvres en hausse ces dernières années. « Beaucoup de photos circulent sur Internet et les jeunes femmes, car ce sont surtout elles qui sont touchées, ont l’impression que la norme est de ne pas avoir de petites lèvres. Mais c’est faux. Elles servent à quelque chose, et on ne pourra jamais les supprimer ! », assure la chirurgienne plasticienne.

Les deux professionnelles sont unanimes, les clichés autour de leur pratique s’accumulent et sont souvent erronés. Elles ne nient pas les demandes d’opérations à visée esthétique mais expliquent que le maitre mot des patientes est ‘discrétion’. Une injection pour sembler plus fraiche, moins fatiguée, mais surtout pas plus pour ne pas éveiller les soupçons des autres.

PAS DANS LA BONNE CASE ?

Et comment agir et réagir lorsqu’on ne se sent jamais dans les bonnes cases ? Se sentir obligée de coller à un certain nombre de critères physiques, Roxane Gervais comprend et vit cette injonction de manière très forte. Femme trans, elle a débuté sa transition sociale depuis un an et sa transition hormonale depuis l’été dernier.

« Quand je sors, je suis obligée de faire très attention à être rasée, faire attention à ma coiffure, mon maquillage, ma tenue. Mon image est capitale dès que je sors de chez moi, c’est extrêmement important. », insiste-t-elle. Capitale car elle s’expose dans l’espace public à une mise en danger réelle, passant par des moqueries, des regards, des insultes, mais aussi des agressions physiques.

Depuis petite, Roxane se pose des questions par rapport aux filles et aux garçons, pourquoi les copines ont des seins et pas moi ?, pourquoi j’irais jouer au foot alors que je n’ai pas envie ?, etc. Et avoue être allée loin dans les clichés masculins à l’époque de sa scolarité. « Mais il y a des choses comme l’astronomie, les sciences, la mécanique, la navigation, des secteurs dits très masculins, dans lesquels je m’éclate ! L’un n’empêche pas l’autre. Le problème, c’est qu’on nous fait tout le temps sentir que quelque chose cloche. Faut avoir une grosse confiance en soi pour s’en foutre ! », souligne-t-elle.

Peu importe l’apparence, le caractère, les actions, le parcours qu’une femme qu’empruntera, elle sera toujours le sexe inférieur.

Consciente des enjeux, Roxane découvre en même temps le bonheur de se faire appeler Madame, d’être reconnue comme femme, et en même temps le sexisme qui va avec le statut. « Le féminisme est très important pour moi depuis très longtemps mais socialement parlant, je ne le connaissais pas de ce côté là de la barrière. Quand on me voyait comme un mec, on m’écoutait parler de ça. Maintenant, je vois bien que mon avis n’a plus de valeur. Pourtant, je parle exactement comme avant. Avant, on disait que j’étais sanguin. Maintenant, on dit que je suis agressive. », note-t-elle.

Pour elle, la transition n’était pas un choix mais une obligation. Pour survivre. Pour vivre tout court. Car elle n’a jamais été dans les bonnes cases. C’est le cas de toute personne qui décide de ne s’établir simplement en fonction de la norme. Et Roxane est inspirante, et la preuve que la transsexualité n’a aucunement sa place sur la liste des maladies mentales (retirée depuis 2005 mais le parcours reste un combat impensable) :

« Je me sentais toujours à côté, là, je peux me sentir moi. Je commence à avoir de la poitrine et de moins en moins de poils, je remonte dans l’estime de moi-même, je revis. Je vis tout court ! Mais je ne suis pas que ça. Je fais du derby, des bijoux, de l’informatique, de la navigation, j’ai une compagne, des enfants… La transidentité impacte beaucoup d’aspect de ma vie mais n’est pas ma vie entière. »

Roxane Gervais avoue traverser des moments difficiles et l’apparence joue un rôle primordial. Aussi positif que négatif. Car la dysphorie existe et se vit violemment. « C’est le fait de se voir dans le miroir, ne pas se reconnaître et voir son apparence de base. Ça donne un côté ‘je ne suis pas une vraie femme’, moi je sais que c’est faux mais c’est ce qui arrive quand on fait des crises de dysphorie. C’est alors une vraie haine de soi et de son corps que l’on ressent. On peut se blesser, se faire du mal. », livre-t-elle.

Pour elle, ce n’est pas qu’une question de physique car elle sait profondément qui elle est. Mais les regards peuvent être insistants et gênants. Ainsi, dès qu’elle se sait identifiée, elle accumule du mal-être : « On nous renvoie l’image de travelo. Mais ce n’est pas vrai, c’est mensonger, une fausse image. » Elle est une femme et souffre également des assignations très fortes qui sont associées à son sexe avec une certaine obligation d’y répondre. « Quand je suis en pantalon, on me demande alors pourquoi je veux changer de sexe ?! », confie-t-elle. Comme si ne pas porter de jupe ou de robe faisait de nous des hommes…

MARCHERAIT-ON SUR LA TÊTE ?

Le témoignage de Roxane Gervais met en lumière la pression qui s’abat sur l’apparence et le physique, en particulier des femmes. Et la tyrannie de l’image va plus loin et les jugements s’accumulent. Leïla ne le sait que trop et en témoigne dans une conférence gesticulée « J’avais tout CAF’ter : le RSA, un droit qui fonctionne à l’envers », présentée à Rennes le 11 mars à l’occasion du festival Le Contrepried dans le plat, à la maison de quartier de Villejean.

Le propos n’est pas celui de l’image et de l’estime de soi mais elle l’aborde malgré tout. Parce qu’elle est issue de l’immigration, on lui renvoie une image de précarité. Parce qu’elle a des origines marocaines, elle devrait être secrétaire ou chômeuse. « J’ai fait Sciences Po et mon père m’offrait des fringues car à cause de mon nom j’allais être freinée à l’embauche. Voilà ce que ça renvoie socialement d’être issue de l’immigration. J’avais tout le temps le sentiment de ne pas avoir le niveau. », dévoile-t-elle, sous pseudo, pour raisons professionnelles.

Aujourd’hui, elle occupe un poste important, intellectuel et influent, que l’on taira par respect de sa demande. Dans son conférence gesticulée, elle met en avant les difficultés de s’associer à une culture dévalorisée, qui renvoie sans cesse à un statut de dominée, celui de la jeune femme fille d’immigré. Et elle souhaite également parler de la condition des femmes au Maroc : « Quand je vais là-bas, ma famille veut me marier. Il y a un gros décalage, moi je fais des blagues de cul, je suis assez libérée. Et finalement, on ne correspond jamais aux normes voulues par la France et aux normes voulues par le Maroc. » Elle en a marre, elle veut donner une autre image de l’immigration, ne pas s’enfermer dans des cases et des stéréotypes.

Mais la société marche sur la tête. Et dans cette logique de changer les regards, elle se retrouve prise au piège. Victime de violences physiques, infligées par son ex-compagnon – français, faut-il le préciser ? – Leïla a porté plainte en 2007. Elle n’en a parlé qu’à peu de ses ami-e-s. Par honte. Par conscience que ce n’est pas un fait valorisant.

Pourtant, lorsqu’elle prépare sa conférence, l’organisme formateur pose la question : « Contre quoi êtes-vous en colère et contre quoi voulez-vous vous battre ? » Elle prend conscience qu’elle souhaite expliquer comment on se sent lorsque l’on est victime de violence : « Je me rends compte que j’avais honte. Forcément, les violences, c’est chez les pauvres et les étrangers. Et puis, je l’ai vu par le volet politique, féministe : notre honte, c’est leur impunité. La honte, c’est à eux de la porter ! Socialement, je suis bien placée. Je dois alors assumer cette question-là et ne pas l’aborder comme une faiblesse. »

La violence, elle a longtemps été en contact avec. Sa sœur et sa mère en ayant subi. Mais elle ne le dira pas lors de la représentation. Pourquoi ? Tout simplement pour éviter l’amalgame entre violence et immigration. Voilà pourquoi la société marche sur la tête. Une femme sur 4 est victime d’agression durant sa vie et on n’ose pas identifier un agresseur en raison de son origine ? Les clichés sont douloureux et provoquent tout un tas de complexités en lien avec l’image que l’on peut renvoyer. Et avec ce que la société va penser. Tout ça à cause d’une histoire de physique.

L’ESTIME DE SOI EN CONSTRUCTION

Si on constate que l’estime de soi résiste à la pression du battage médiatique, publicitaire, artistique et autre, elle ne peut toutefois s’affranchir complètement de l’image de soi. Se sentir bien à l’extérieur permet de conserver une bonne estime de soi, tout comme se sentir utile et compétente dans un ou plusieurs domaines nous rend épanouies et souvent plus à l’aise dans notre corps.

« Enfants, on intériorise les jugements des proches comme les parents, principalement, les enseignants et les camarades. Cela participe à la construction de l’image de soi et l’estime de soi. Au fil du temps, on se socialise, on apprend les normes des groupes sociaux. Puis on prend en compte l’avis des autres et les canons de beauté en vigueur dans les groupes socio-culturels. À  ceux-là sont associés des croyances, des stéréotypes, des caractéristiques associées au sexe de l’individu. On intègre à l’image de soi ces critères stéréotypés. », explique Sophie Brunot, maitre de conférence au département de psycho sociale à Rennes 2.

Ce que l’on estime, c’est ce que l’on imagine que l’autre pense de nous. L’autre pouvant être un individu proche de nous, source importante comme la famille (qui devient moindre lorsque l’on quitte le nid), les ami-e-s, les collègues, etc., ou un groupe social auquel on appartient ou bien encore l’ensemble de la société. On intériorise donc le jugement des autres. En toute subjectivité puisque l’esprit de l’autre est impénétrable. Plus on se sent apprécié et approuvé par nos sources, plus on s’accorde de la valeur.

Mais l’estime de soi est tout aussi complexe que la relation qui la lie à l’image de soi, dans le sens d’apparence. Et pour maintenir cette estime de soi, relativement bonne en moyenne, la mauvaise estime de soi conduisant à la dépression, l’individu use de stratégies d’évitement, comme les diverses comparaisons ou le désengagement par exemple. Celui-ci consistant à ne pas accorder d’importance au domaine qui mettrait l’estime de soi en péril. Ou à baisser nos exigences dans un secteur.

« On distingue le soi réel et le soi idéal. Plus la distance entre les deux est grande, moins l’estime de soi est grande. Le moyen de réguler cette distance, c’est alors de baisser nos prétentions dans ce domaine. », explique Sophie Brunot qui précise également que l’on distingue l’estime de soi globale et l’estime de soi spécifique : « On ne s’accorde par les mêmes valeurs partout. L’estime de soi spécifique consiste à s’évaluer par rapport à des domaines précis. Si on prend l’école, l’institution est un tout mais on peut prendre des secteurs précis, il y a école à maths à géométrie, par exemple. », explique la maitre de conférence.

Elle n’est pas spécialisée dans l’étude genrée de l’estime de soi mais en connaît parfaitement les ressors et la courbe moyenne d’estime de soi des femmes s’explique sociologiquement. Plusieurs études ont permis d’effectuer en 2007 une courbe moyenne de l’estime de soi des hommes et des femmes, tout au long de leur vie. Pour les deux sexes, la même ligne se profile. Seule différence : celle des femmes est toujours inférieure à celle des hommes.

« Une des raisons peut être qu’il y a une plus grande valorisation du sexe masculin. Les courbes reflètent le pouvoir relatif aux hommes et aux femmes dans nos sociétés. », analyse Sophie Brunot. La gent féminine éduquée à la modestie, aux tâches sociales, à la discrétion, à la beauté inaccessible via des standards inatteignables, vont se détacher de certaines orientations qu’elles pensent inadaptées à leur condition intellectuelle ou leur condition physique. Comme le domaine des sciences par exemple que l’on sait faible en représentation féminine.

« On explique davantage les choses aux garçons tandis qu’on décrit les choses aux filles. Le stéréotype va ensuite se révéler réalité puisque les filles vont penser qu’elles ne sont pas douées pour certaines choses. », confirme Sophie. Cela va avoir une incidence sur la manière dont on s’évalue et l’intérêt que l’on va porter à un domaine. Et les femmes intègrent, intériorisent, ses préjugés fondés sur une société ancrée dans la domination patriarcale.

Sans oublier que l’individu, et notamment féminin, a beaucoup de mal à de désengager de l’apparence physique. « C’est très insidieux, conclut Sophie Brunot. Car la valeur que l’on s’accorde est polluée par notre désirabilité sociale. »

Comment s’en sortir sans être assaillies par les normes, bordées de clichés, et d’images inatteignables ? Clarence Edgard-Rosa, journaliste entre autre pour les magazines Causette et ELLE, travaille au quotidien sur ces questions. Pour elle, l’important dans sa démarche journalistique est d’aller à l’encontre de la culpabilisation qui pèse sur les femmes. Comprendre les normes, comprendre d’où elles viennent.

Que l’on y cède ou non, il est essentiel de ne pas se blâmer les unes et les autres. Car on le sait, le jugement ne vient pas uniquement des hommes mais aussi des femmes qui intègrent depuis la petite enfance la série d’injonctions contradictoires et paradoxales qui leur sont faites.

« Ce qui m’a aidé, personnellement, c’est de ne pas me demander de quoi j’ai l’air mais comment je me sens. Quand je vois une image qui me fait me sentir mal parce que c’est juste violent et beaucoup trop anxiogène pour moi, je lis des bouquins intéressants, je regarde des images qui me font du bien (comme celles publiées sur son blog Poulet Rotique, lire l’encadré « Médias : plumes de l’empowerment », ndlr) », conclut la journaliste. Pas mieux pour terminer en beauté… !

Du 8 au 18 mars, les Céméa Bretagne – association qui forme les acteurs-trices du monde éducatif – organisent une série de manifestations autour des Jeunes femmes en errance, à l’Hôtel Pasteur de Rennes. Stéphane Cassagnou, salarié de la structure, a réalisé le documentaire L’errance (au féminin), projeté le 8 mars, dévoilant les témoignages de quatre personnes, dont Nadège et Lina, présentes lors de la diffusion.

YEGG : Le sous-titre de l’événement évoque le changement des regards sur ces « invisibles ». Pourquoi ?

Stéphane Cassagnou : Je suis un militant engagé dans une action politique. Je travaille avec une association qui intervient dans le champ politique à travers des valeurs, que je partage également dans ma production de reportages. Il est important de s’affirmer en tant qu’acteurs politiques. Pas la politique à proprement parler, nous ne sommes pas affiliés à un parti. C’est dans le sens où nous avons la volonté de faire changer les choses. Et je suis avant tout un militant de l’éducation populaire et cette association défend cela.

Quel regard avons-nous en règle générale sur les personnes en errance ?

Qu’elles sont feignantes, qu’elles ont choisi d’être en errance et qu’elles ne veulent pas travailler. Pour les femmes, en fonction de leurs habits, elles sont jugées comme ayant des mœurs légères. On pense aussi que ce sont des alcooliques, des drogué-e-s. Alors que ce n’est pas le cas de tout le monde. Il y a autant de parcours et de pratiques que de personnes en errance.

Et le terme « invisibles » ?

C’est provocateur. Ceux qui sont en errance occupent la rue et sont donc visibles. Ils ont des pratiques qui s’affichent aux yeux de tout le monde mais on ne connaît qu’1% de leur quotidien. Il n’y a pas que ce que l’on voit ! Ils veulent faire société et y participer, peut-être pas comme on l’entend mais ce sont des citoyens et à ce titre-là ils ont aussi voix au chapitre. Ils sont invisibles car ils ont un accès aux médias très réduit. Nous souhaitons construire un espace pour l’expression. C’est du travail, des rencontres, sur le long terme. Pour établir une relation de confiance. La légitimité des Céméa a aidé.

Donc cette invisibilité n’est pas propre aux femmes en errance ?

Non. Mais elles ont des particularités. Dans la façon de s’habiller, elles seront moins « genrées ». Dans la manière d’être, l’attitude, elles cherchent à être moins féminisées pour se rendre invisibles. Pour se protéger.

Se protéger de quoi précisément ?

De la rue. Car c’est un espace de droits mais aussi de non droits. Et les jeunes femmes sont considérées comme des proies. Alors quand elles sont en errance, c’est pire. Certaines se voient proposer des logements contre des faveurs sexuelles par exemple. Et les hommes en errance sont aussi parfois dans une misère affective, le regard qu’ils portent sur les femmes n’est pas désintéressé.

Les jeunes femmes parlent-elles de viols ?

Elles en parlent oui. Je crois qu’il n’y a pas une personne que j’ai interrogée qui ne m’en ait pas parlé. Soit viols, soit agressions physiques à caractère sexuel. Dans le documentaire, Lina parle d’un mec qui un jour lui a touché les seins et a voulu profiter d’elle. Elle a répondu par un coup de poing dans la figure. On pense alors que cette réaction est plutôt masculine. Et c’est ça en fait, les femmes adoptent des comportements dits masculins pour se protéger.

Est-ce qu’elles se regroupent entre elles pour éviter les difficultés ?

Il n’y a pas de communautés de femmes à proprement parler. Plutôt des groupes hommes-femmes qui se font et se défont en fonction des liens affectifs. Je dirais plutôt que les personnes en errance se regroupent par tranches d’âge.

Quelle est la tranche d’âge des jeunes femmes ?

Ce sont les 18-24 ans. On a groupé comme ça car les conditions de ressources sont différentes à partir de 25 ans (accès au RSA, ndlr). Et il y a aussi des mineures. Des 16-18 ans. Celles-là sont complètement invisibles.

Le 10 mars est organisé un Forum autour de l’image de soi et la construction de l’estime de soi au-delà des stéréotypes. Quels regards portent-elles sur elles-mêmes ?

C’est un sujet qui a peu été abordé lors de nos rencontres et interviews. Car c’est une question très intime. Et je voulais que ce soit à elles de choisir les thèmes dont elles voulaient parler. Je ne voulais rien manipuler. Pour l’estime de soi, c’est une vie rude, donc il en prend un coup. Surtout après les agressions sexuelles. Elles ont la sensation de ne plus être considérées et n’arrivent plus à se considérer. Déjà que pour une femme il est difficile d’aller porter plainte, en France, l’effectivité des droits étant compliquée pour toutes les populations discriminées, imaginez un peu pour celles qui sont en errance. Mais ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas de vengeance. Seulement, c’est hors institution.

Et comment vivent-elles le regard de la société sur elles ?

C’est difficile à dire car leurs habits enlèvent le genre. Mais une fois j’étais avec une jeune femme qui était en jupe. Elle a été plusieurs fois agressée verbalement, en ma présence. Par des mecs zonards, en errance aussi. Il y a des jugements entre eux également à cause de la misère affective et du manque de relation. Mais pour beaucoup, l’errance est vue comme un passage. Nadège a travaillé avant d’être dans la rue et veut retravailler.

Envisager de travailler souligne qu’elle n’a pas perdu confiance en ses capacités. L’errance n’a pas détruit son estime de soi…

Parler de projet et d’avenir est justement ce qui leur permet de maintenir l’estime de soi. Elles veulent s’en sortir ! Lina par exemple veut être maitre chiens et effectuer une formation. Mais elle rencontre des obstacles car elle n’a pas de logement.

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S'aimer au-delà des normes
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