Célian Ramis

Sous tes doigts : "On n'aborde rarement les guerres du point de vue des femmes"

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De passage à Rennes, la réalisatrice Marie-Christine Courtès aborde la condition des femmes ayant fui le Vietnam, en 1956, et la question de l’héritage transmis aux générations futures.
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Une semaine avant la journée nationale d’hommage aux « morts pour la France » en Indochine, célébrée le 8 juin dernier, Marie-Christine Courtès, scénariste et réalisatrice, était de passage à Rennes pour présenter Sous tes doigts, son premier court métrage d’animation au festival Courts en Betton. L’occasion d’aborder la condition des femmes ayant fui le Vietnam, en 1956, et la question de l’héritage transmis aux générations futures.

Ce premier court métrage était dans les tuyaux depuis plusieurs années. Quand Marie-Christine Courtès rencontre Jean-François Le Corre, producteur pour la société rennaise Vivement lundi !, ce dernier lui demande d’écrire un scénario destiné à l’animation, domaine qu’elle n’a encore jamais expérimenté. Et qui la mènera aux César, Sous tes doigts ayant été nominé cette année dans la catégorie Meilleur film d’animation (court métrage).

En une dizaine de minutes, la réalisatrice nous propose un docu-fiction animé onirique et poétique, dans lequel les non-dits se brisent sans un mot. L’histoire de trois femmes héritières d’une transmission douloureuse.

Ainsi, Sophie, à la mort de sa grand-mère, découvre-t-elle ce que celle-ci a vécu en Indochine, délaissée, enceinte, par un colon français, puis rapatriée en France en 1956 et placée dans le camp de Saint-Livrade dans le Lot-et-Garonne.

Pour comprendre ce qui a motivé Marie-Christine Courtès à aborder ce sujet, il convient de présenter rapidement son parcours. En sortant diplômée du Centre de Formation des Journalistes, elle devient JRI (journaliste reporter d’images) et travaille notamment dans différentes villes bretonnes, entre Brest, Rennes, Saint-Brieuc ou encore Lorient. Avant d’exercer son métier en Asie du sud-est, où elle sera entre autre correspondante pour une agence américaine.

Toutefois, elle quitte la profession : « Pour moi, c’était uniquement du magazine, ce n’était pas du journalisme que je faisais ! » C’est une amie vietnamienne qui lui parle pour la première fois du camp de Saint-Livrade, un des camps d’accueil des français d’Indochine, ouvert aux 1 160 réfugié-e-s arrivés dans l’Hexagone.

En effet, en 1954, après la défaite de Diên Biên Phu, les accords de Genève et le retrait des troupes françaises du nord du Vietnam marquent l’engagement de l’État français de prendre en charge les couples mixtes et les veuves de Français qui fuient la guerre et le communisme.

Leur hébergement se veut provisoire. Mais 50 ans plus tard, ils et elles sont toujours là, dans ce camp, oublié-e-s de tou-te-s. D’où le titre du premier documentaire de Marie-Christine Courtès, co-réalisée avec son amie My-Linh Nguyen, Le camp des oubliés, qui sera diffusé en 2004 sur France 3. « C’est incroyable, j’ai grandi à côté et je n’en avais jamais entendu parler. », explique-t-elle.

POINTER L'INDICIBLE

Cette réflexion va nourrir l’ensemble des contenus qu’elle va produire par la suite puisqu’en 2012, quelques années après avoir intégré une formation de scénariste à la Fémis, elle réalise Mille jours à Saigon (produit par Vivement lundi !). En cherchant un dessinateur pour les personnages et décors de Sous tes doigts - qu’elle commence à écrire en 2009 - elle pense à Marcelino Truong qui évoque son roman graphique qu’il bâti sur son père, traducteur du président vietnamien Ngo Dinh Diem, et la guerre civile qui opposa le Nord et le Sud du pays après le départ des français.

Son court-métrage sonne alors comme une continuité de son voyage à travers l’Histoire contemporaine qui lie le Vietnam à la France. Parler des femmes apparaît comme une évidence pour elle, qui constate qu’au camp de Saint-Livrade, ce sont surtout des femmes et des enfants qui ont résidé dans ces bâtisses :

« Le dessin de ces femmes s’est imposé, il permettait d’appuyer là où ça fait mal. Car on n’évoquait pas le fait que les hommes français les ont oubliées, puis que les pouvoirs publics les ont abandonnées. »

BRISER LES TABOUS

Tout comme elle a côtoyé les trois générations installées dans le camp, la réalisatrice les illustre dans un scénario et une mise en scène léchée et poignante, accompagnée de la dessinatrice Ludivine Berthouloux (Marcelino Truong ayant réalisé également quelques dessins). L’occasion de dire et de questionner tout ce qu’elle n’aurait osé demandé frontalement à celles qui peuplent ou ont peuplé Saint-Livrade.

Sophie est une adolescente, repliée sur elle-même, en prise à la colère identitaire qui se fait sentir depuis plusieurs décennies dans les banlieues françaises. « Il y a aujourd’hui des jeunes issu-e-s de la 4e génération qui se disent vietnamiens, pas français, alors qu’ils ne connaissent rien du Vietnam. C’est révélateur ! », souligne Marie-Christine.

La communication avec sa mère semble rompue et le rejet de la tradition, une manière d’exprimer une personnalité perdue, brisée par le tabou. Comme si elle endossait, sans le savoir, le poids de son passé. Un thème qui fascine l’ex-journaliste : « On a tous un héritage plus ou moins douloureux. Comment le reçoit-on et qu’en fait-on ? » En découvrant l’histoire de sa mère et de sa grand-mère, Sophie va faire corps avec son aïeule et renouer avec la danse traditionnelle qu’elle influence de son vécu personnel.

Les silhouettes s’entremêlent dans une chorégraphie émouvante et virevoltante. L’esthétique rencontre le propos au service d’un message qui transparait avec une grande beauté et une intensité telle qu’elle nous reste en mémoire et nous enveloppe de sa violente douceur.

HISTOIRE D’UN TROU DE MÉMOIRE

Sous tes doigts brise bien des tabous. Avec ce court-métrage, Marie-Christine Courtès ne met pas seulement l’histoire de ces femmes sur le tapis. Elle met en relief le silence qui perdure aujourd’hui en France autour de la guerre d’Indochine et des années qui ont suivi. Et quand on rapproche ce tabou de celui des harkis, elle nous répond subitement : « Un camp de harkis se trouvait à 2 kms du camp de Saint-Livrade ! Tout comme pour les harkis, la France n’a pas assuré l’accompagnement et l’intégration des rapatrié-e-s. »

Et le cinéma n’a pas saisi la thématique pour la mettre sur le devant de la scène. Ce que souligne Delphine Robic-Diaz, auteure de La guerre d’Indochine dans le cinéma français. Images d’un trou de mémoire publié en 2015 aux Presses Universitaires Rennaises, dans la jaquette du DVD qui réunit Sous tes doigts et Son Indochine de Bruno Collet (deux productions Vivement lundi !) :

« La guerre d’Indochine hante le cinéma français depuis plus d’un demi-siècle. Jamais complètement abordée, elle ne bénéficie pour autant que très rarement d’un réel traitement à l’écran. »

Tout comme « on n’aborde rarement les guerres du point de vue des femmes », selon Marie-Christine Courtès. Et l’histoire de la grand-mère, séduite par un colon français, résonne dans l’Histoire et l’actualité, les femmes étant trop souvent des victimes de l’occupation militaire, peu importe les territoires en guerre.

Multi-primé depuis sa diffusion en festivals en 2015, le court-métrage poursuit son chemin cette année, en route pour le Cartoon d’or, prix visant à récompenser le meilleur court d’animation européen. En parallèle, la réalisatrice travaille à un futur projet qui pourrait la faire renouer avec son passé de journaliste, sans la ramener à son premier métier. « Je ne veux plus faire ça, mais les journalistes en tant que personnages me fascinent. », conclut-elle, avant de retrouver son producteur pour une journée de travail.

Célian Ramis

Suite Armoricaine, l'esthétique Breton

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Ciné-TNB, Rennes
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Présenté en avant-première lors du festival Travelling, Suite Armoricaine, le film de Pascale Breton sort dans les salles de la région le 2 mars puis dans toute la France dès le 9 mars.
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Présenté en avant-première lors du festival Travelling, Suite Armoricaine, le film de Pascale Breton sort dans les salles de la région le 2 mars puis dans toute la France dès le 9 mars.

Lorsque nous avions rencontré la réalisatrice finistérienne, Pascale Breton, en novembre 2013, elle investissait le campus de Villejean pour le tournage de son long-métrage intitulé à cette époque Mémoire vive. On la retrouve au ciné-TNB de Rennes, le 8 février 2016, pour l’avant-première de Suite Armoricaine, résultat d’un travail de longue haleine, le projet ayant débuté par l’écriture en avril 2011.

La mémoire est toujours vive mais l’esprit de transmission, qui plane au dessus de l’œuvre, a pris le pas sur le titre du film. « C’est dans l’idée de suite, la transmission, le passage d’un rythme à l’autre. Ici, c’est andante, ni trop rapide, ni trop lent. Mais c’est un rythme qui avance, d’un bon pas. », explique Pascale Breton.

Il y a la transmission d’un lieu, qu’elle connaît bien pour y avoir étudié la géographie. Si quelques détails ont changé, qu’un bâtiment a été rasé, que les promos d’étudiant-e-s se sont succédées, le campus de Rennes 2 est toujours le même. Ce qui facilite le travail : « Je connais tellement bien l’endroit que tout est modélisé dans ma tête. Il faut tout connaître pour pouvoir accueillir la nouveauté, les difficultés. »

HOMMAGE À UNE ÉPOQUE

Mais tourner le film dans la capitale bretonne n’est pas uniquement question de se rendre la tâche aisée. Loin de là. Il faut y affronter ses souvenirs, ses blessures. Rennes devient un personnage à part entière de Suite Armoricaine. Le campus, Kennedy et ses grandes artères, les prairies St Martin et ses recoins confidentiels et sauvages… et la salle de La Cité et son esprit rock.

« J’ai bien raconter l’histoire contemporaine. Il s’est passé ça, on le montre. À cette époque, Rennes, c’était ça et on le montre. », précise la réalisatrice, sans chercher la nostalgie ou le « c’était mieux avant ». À travers le passé de Françoise (interprétée par Valérie Dréville) qui revient à Rennes enseigner l’histoire de l’art, on goûte à une époque révolue sans doute de la capitale régionale. Celle du rock, des soirées à la Cité.

« Une période libertaire qui venait en réponse à une détresse politique. Le rock était notre remède. Il nous a guérit de la perte de la culture de nos grands-parents »
souligne Pascale Breton.

Mais cela réveille également une blessure profonde, toujours très vive. Sans la définir concrètement dans Suite Armoricaine, la référence aux morts est claire et présente avec le personnage de Catherine (interprétée par Catherine Riaux), gardienne des morts comme le suggère le film. En toile de fond, Pascale Breton raconte la génération post punk des années 60, touchée par une vague de sida. Elle ne voudra pas s’étendre sur le sujet qui pèse encore sur ses épaules. Pourtant, elle ne peut se résoudre au silence :

« Dans le film, les anciens de la fac ont peur de se retrouver à cause de ça. On vient de dépasser cette peur, cette souffrance mais on n’arrive toujours pas à en parler. On a perdu beaucoup d’ami-e-s. C’est douloureux. Même pour les survivants du sida. »

La plaie n’a pas été pansée mais le temps a fait son œuvre de cicatrisation en surface. Et le 7e art offre la possibilité, si ce n’est d’accepter, de faire son deuil. Sans aborder la thématique frontalement, l’hommage à l’époque est poignant et saisissant. Et s’il réveille un sentiment de nostalgie, il en assure aussi la guérison et permet d’affronter la réalité. L’art soigne. Tout autant que l’esthétique est soigné dans ce long-métrage dans lequel rien n’est lisse mais tout est pur.

ÔDE À L’INSTANT

C’est un adieu à une génération qui laisse la place à une autre, et une autre et encore une autre. La nouvelle génération, présentée par les étudiant-e-s qu’incarnent Kaou Langouët, Klet Beyer ou encore Ewen Gloanec, appartient à une jeunesse insaisissable, portée sur l’instantanée. Mais ce qui transparait à l’écran, c’est une jeunesse en pleine recherche. D’elle-même mais aussi de ses ancêtres. De ses origines. Les racines, la langue bretonne, les traditions orales, la nature, la culture rurale… Le passé et le présent se côtoient dans une dynamique saine et sobre.

Une jeunesse qui va aussi être rattrapée par l’ancienne génération, Ion (interprété par Kaou Kangouët) devant affronter une relation complexe avec une mère ayant choisi une liberté critiquable d’un point de vue sociétal, sa norme n’étant pas celle de la société actuelle. Le personnage, étudiant en géographie, va croiser le chemin de Françoise et perpétuer une autre forme de transmission, nous transportant à la fin du film dans le Finistère.

Volonté marquée de la réalisatrice, elle témoigne d’un espoir, un apaisement, une tranquillité. Celle de voir, entendre, observer, prendre le temps, apprécier et savourer. En toute simplicité et avec une jolie dose d’authenticité.

« C’est un film sur l’instant et non sur l’instantané. L’instantané est voué à disparaître alors que l’instant, c’est là où se loge la plénitude de l’être. Le seul moment dans lequel on vit vraiment. »
s’enthousiasme Pascale Breton, qui rejoint la philosophie travaillée par la conservatrice rennaise Raphaële Jeune (lire « Et la rencontre créa l’œuvre » - 18 décembre 2015).

Elle précise : « Je n’ai pas fait ce film avec l’intention de critiquer la société d’aujourd’hui. Françoise est accrochée à son téléphone au début. Je ne suis pas une technophobe, loin de là en plus. Mais je souhaite rester dans une relation avec son corps dans le sens de la perception. Il faut garder notre autonomie de personnes, ne pas avoir un exocerveau, car cela peut nous déposséder. »

Son film est à l’image de son discours. Sa personnalité est à l’image de Suite Armoricaine. Une succession d’émotions liées entre elles, une réflexion profonde sur la société qui nous avoisine et les lieux qui nous entourent. Que disent-ils et que nous transmettent-ils ? Elle ressuscite des personnages, des lieux, des époques et des ambiances, empruntes de sensations fortes, douloureuses, joyeuses, passées mais jamais éteintes.

ÉMANCIPATION DES FEMMES

Et cette flamme qui vibre en elle, la réalisatrice la transmet à tous ses personnages.« C’est un film très personnel, un autoportrait, mais je ne suis pas Françoise. Je suis un peu dans chaque personnage. », confie-t-elle. On la sent enchainée à son œuvre, sans en être la prisonnière. Elle en est l’âme. Et l’esprit libertaire règne sur les protagonistes, féminins en particulier.

Françoise est le portrait d’une femme qui ne se situe pas par rapport aux hommes ou par rapport à ses enfants. On ne sait pas grand chose sur sa vie personnelle.

« Un sujet qui me touche beaucoup, c’est la solitude d’une femme qui voit ses enfants partir. Ici, on peut supposer qu’elle n’en a pas mais ce n’est pas le sujet, j’ai donc laissé ça de côté »
se souvient la réalisatrice qui a pourtant a pensé aux vies de tous ses personnages. Les enfants, s’ils existent sont en off.

Moon (interprétée par Elina Löwensohn), elle, préfère sa liberté. « Elle ne s’est peut-être pas assez occupée de son fils à un moment », suppose Pascale qui ne cherche pas à la juger mais à présenter une femme qui existe. Celle qui ne correspond pas à la norme et qui dérange à ce titre, mais qui a son histoire, son parcours, sa réflexion. En parallèle, elle développe le personnage de Ion, son fils, et les conséquences d’une relation houleuse et des difficultés de la transmission mère/fils.

Suite Armoricaine est marquée au fer blanc d’une volonté de transmettre. L’heure serait-elle au bilan pour la réalisatrice ? Non mais la prise de recul imposait la mise en boite de cette introspection. Le film est soigné, l’esthétique et la philosophie engendrée par cette dernière se mettent au service d’une réflexion profonde et d’un joli voyage en quête de spiritualité et de racines.

Célian Ramis

Travelling 2016 : Les femmes prennent la colère et s’en vont en lutte

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Cinéma Arvor, Rennes
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Lors du festival Travelling était projeté le documentaire Quand les femmes ont pris la colère, réalisé par Soazic Chappedelaine et René Vautier, mardi 9 février, au cinéma Arvor de Rennes.
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L’association Clair Obscur a profité du festival Travelling pour rendre hommage au réalisateur breton, René Vautier, décédé début 2015. À cette occasion, était projeté mardi 9 février, au cinéma Arvor de Rennes, le documentaire Quand les femmes ont pris la colère, réalisé par Soazic Chappedelaine, sa femme. En présence d'Eve Meuret-Campfort, docteure en sociologie et spécialiste de la lutte à Tréfimétaux.

1975. Couëron, près de Nantes. Les ouvriers de l’usine Tréfimétaux sont en grève. Ils revendiquent une augmentation de salaires. Lorsque la direction envoie un courrier aux familles sommant les hommes de plier, le coup de pression est difficile à digérer. Les femmes prennent la colère. Peu d’entre elles travaillent mais leurs maris connaissent des conditions de travail déplorables, les couples en pâtissent, ne connaissant le « confort » qu’en période de vacances. Elles s’indignent, viennent grossir les rangs des grévistes investissant alors le piquet de grève devant l’usine.

Douze d’entre elles vont rencontrer le directeur afin de négocier et lui signifier leurs revendications deux heures et demie durant. En vain. Les présentes l’assurent, discussions et échanges ont été les seuls objets de cette réunion dans le bureau. Mais de son côté, le patron ne l’entend pas de la même oreille et porte plainte pour séquestration, donnant lieu à plusieurs procès contre les femmes inculpées, les années suivantes.

En 1976, les réalisateurs René Vautier et Soazic Chappedelaine s’intéressent aux accusées, les suivant lors des manifestations organisées pour demander leur relaxe mais aussi dans leur intimité, alternant ainsi entre le collectif et l’individuel. Le duo signe un documentaire militant abordant la place des femmes dans les luttes ouvrières et les sections syndicales mais aussi leurs rapports avec leurs conditions de vie et surtout de femmes.

MUTATIONS SOCIALES

Les bouleversements sociaux sont au cœur de cette période post 68. Lutte des classes mais aussi lutte des sexes s’organisent, se côtoient mais peinent encore à se rejoindre, malgré l’évolution des mentalités. Du côté des femmes, la prise de conscience est plus nette, même si toutes ne réagissent pas simultanément. Les combats concernant la contraception, l’avortement et la sexualité ont permis un rassemblement, une bataille collective.

Mais si les groupes et sections de femmes commencent à se dessiner dans le paysage sociétal et syndical, il semblerait qu’ils ne soient encore considérer que comme secondaires. L’affaire de Tréfimétaux portera les femmes dans la lumière, placées en première ligne des manifestations et portant toutes une écharpe sur laquelle trône le mot Liberté, en référence à inculpation pour séquestration.

Un symbole fort et clair, qui s’assombrit au fil du documentaire, témoin des pensées et réflexions des 12 accusées, communistes ou non, militantes ou non, travailleuses ou non. Qui ne regrettent rien. Qui referaient la même chose si c’était à refaire.

LES FEMMES DANS LES LUTTES

Féministes ? « Il y a une prise de conscience féministe à ce moment-là mais je ne suis pas sûre qu’elles se diraient féministes… C’est aujourd’hui encore un mot qui fait peur ! », souligne Eve Meuret-Campfort, docteure en sociologie et spécialiste de la lutte à Tréfimétaux, présente pour échanger avec les spectatrices et spectateurs, à l’Arvor ce mardi 9 février.

Si cette lutte est aujourd’hui emblématique de la rencontre entre les ouvriers et les femmes, l’analyse féministe n’est apparue que bien plus tard. Sur le moment, la CGT se concentre sur l’aspect répressif et dénonce la condition de cette classe sociale avec laquelle les femmes vont être solidaires, majoritairement en qualité de « femmes d’ouvriers ».

« Cette lutte a permis de questionner les pratiques syndicales, de voir la place laissée aux femmes dans les instances… On s’est demandé alors s’il fallait soutenir les luttes quand les femmes prennent la parole même si ce n’est pas dans le fond féministe. », précise la sociologue. Le livre Elles s’en vont en lutte – Histoire et mémoire du féminisme à Rennes (1965 – 1985), écrit par les militantes rennaises Lydie Porée et Patricia Godard, fait état dans sa deuxième partie « Rennaises en mouvement » de l’investissement des femmes dans les luttes sociales.

Les auteures mettent en relief cette mise à l’écart des femmes au sein des combats « généralistes ». Pourtant, elles y prennent part, défilent dans les manifestations, se battent pour leurs droits, leurs conditions de travail et leurs conditions de vie. Mais sont cantonnées aux problèmes de femmes, dans des groupes de femmes et dans des actions entre femmes.

« Les années 70 marquent une remise en question des mœurs, de la famille, de la maternité. Mais il faut comprendre que c’est très compliqué pour elles de remettre ça en question et de l’afficher. Elles invoquent donc la solidarité des classes. », insiste Eve Meuret-Campfort. L’image publique est donc celle de femmes qui défendent leurs maris, le documentaire pointant précisément cet angle de surface.

ÉMANCIPATION INDIVIDUELLE

Car au delà de l’apparence, du lien montré entre maris et femmes, Soazic Chappedelaine et René Vautier vont creuser la réflexion qui se joue en coulisses, dans l’intimité individuelle ou en non-mixité. Certaines livrent leurs ressentis, de manière spontanée et naturelle. Des discours poignants qui démontrent l’épuisement des femmes qui s’occupent du foyer et se font battre le soir par des maris lessivés de leurs journées et conditions d’ouvriers.

C’est aussi une plongée dans le couple qui doit surmonter les conditions de vie difficiles et fatigantes. En plus des aléas de la vie. Certaines se mettent à travailler, d’autres s’engagent dans le militantisme. Toutes gardent en mémoire la lutte de Tréfimétaux et éprouvent de la fierté. Si le changement de mentalité et le chemin de l’émancipation sont longs, elles auront agi – pour leurs maris principalement – pour défendre ce qu’elles pensent être juste et gouté à une forme de liberté.

« La projection de ce film a été très subversif. A Couëron, en 1977, tout le monde, y compris les femmes, n’approuvait pas ce qui était dit dans le documentaire. », précise la docteure en sociologie. En effet, l’intime, le couple, la sexualité, la condition féminine y sont les éléments principaux, bien au delà d’une lutte syndicale. Aujourd’hui, les discours résonnent et font écho à la société contemporaine : les époques ne sont plus les mêmes, les contextes également, les luttes sont mouvantes mais qu’en est-il des combats actuels et de la place des femmes dans les syndicats ?

Le 3 mars prochain, l’association Histoire du féminisme à Rennes organise une conférence intitulée « Les ouvrières de l’usine textile SPLI (Société parisienne de lingerie indémaillable, implantée en 1966 dans la capitale bretonne, ndlr) à Rennes en 1978 : quand les femmes luttent pour leurs droits et leurs emplois », en présence de Fanny Gallot, spécialiste de l’histoire des femmes dans les luttes ouvrières. À la Maison des associations, à 18h30.

 

Travelling 2016 : Quelles représentations des femmes sud-coréennes à l'écran ?

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Le festival rennais proposait un focus sur la ville de Séoul. L’occasion de s’intéresser à la place des femmes dans le cinéma sud-coréen. Une place restreinte, loin d’être le synonyme de liberté et émancipation.
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Du 2 au 9 février se déroulait le festival Travelling, à Rennes, abordant un focus sur la ville de Séoul. L’occasion de s’intéresser à la place des femmes dans le cinéma sud-coréen. Une place restreinte, loin d’être le synonyme de liberté et émancipation.

Photos et titres nous interpellent en feuilletant le programme de Travelling. Sur 36 films, 21 femmes illustrent les synopsis. Moins flagrant, un quart de la proposition cinématographique, articulée autour de la ville de Séoul, dévoile un intitulé féminin : La vierge mise à nu par ses prétendants, Une femme libre, La servante, Une femme coréenne, The Housemaid, My sassy girl, The satelitte girl and milk cow, A girl at my door ou encore Madonna. Sans compter le nombre de résumés dans lequel figure un personnage féminin.

« C’est peut-être parce que je suis une femme que j’y suis sensible… », avance Anne Le Hénaff, responsable artistique du festival. Mais l’explication de cette tendance féminine réside ailleurs. Le décalage entre la modernité – surtout technologique - apparente de la Corée du Sud et l’image de la femme l’interpelle, le classement du pays - figurant à la 108e place sur 135 en matière d’égalité des sexes - la choque.

FEMME OBÉISSANTE

« On attribue à la femme une image associée à la femme docile, belle, soignée… Sa place dans le cinéma coréen reflète largement sa place dans la société coréenne. », précise la directrice artistique. Assignée au foyer, la femme coréenne est vouée à s’occuper de la vie familiale, soumise à son mari. Ce sera d’ailleurs le point de départ du film de Im Sang-soo, Une femme coréenne, en 2005, ou encore de celui de Han Hyeong-mo, Une femme libre, plusieurs décennies plus tôt, en 1956.

« Elle se doit d’être dévouée à la réussite de l’homme ! », souligne Anne Le Hénaff qui s’est passionnée pour le sujet et plongée dans l’histoire de la Corée du Sud, très imprégnée de la morale confucéenne. Le confucianisme étant une école de pensées initiée par le philosophe Confucius qui a infusé des siècles durant dans les pays asiatiques et a été instrumentalisé politiquement faisant régner le principe d’obéissance.

Ainsi, jusqu’aux années 70, le cinéma propose un regard machiste sur les sujets traités à travers le regard de l’homme toujours dominant. Pour la cinéphile, cette vision s’explique par le contrôle des gouvernants : « À cette époque, le cinéma coréen est sous une chape de plomb, face à un gouvernement autoritaire. » Pourtant, les mentalités évoluent et engendrent des mutations dans la représentation de la figure féminine dans le 7e art.

« Elle revient dans des histoires sur des ados, des jeunes couples. Elle peut prendre son envol mais en restant quand même à sa place. »
souligne Anne.

Quand on s’intéresse de plus près au fonctionnement de la Corée du Sud, les chances d’avenir pour les nouveaux-nés sont identiques, sans distinction de sexe. Dans l’éducation des enfants, depuis plusieurs années, il ne serait plus question de discrimination envers les petites filles qui effectuent la même scolarité et atteignent le même niveau d’études que les garçons.

FEMME AU FOYER

Le tableau s’assombrit. Après l’université, le temps du mariage et des enfants. Si les femmes débutent des carrières, celles-ci sont écourtées par leur devoir envers le cercle familial, reprendre un travail devient compromis par la suite.

Un système qui contraint aujourd’hui les Coréennes à choisir entre vie professionnelle et vie familiale, comme le dénoncent les militantes féministes Lee Seon-mi et Mok Soo-jeong dans une interview publiée en mars 2014 sur le site lesinfluences.fr :

« Quand elles se marient ou encore à l’arrivée du premier enfant, elles arrêtent de travailler ; les frais de garde de l’enfant étant souvent supérieurs au salaire perçu. Quand les enfants sont plus grands, elles reprennent un travail. Mais cette coupure d’une dizaine d’année, leur interdit de reprendre leur carrière. Elles se retrouvent donc caissière ou femme de ménage, des emplois les moins rémunérés. »

Un phénomène qui diminue, voire disparaît, avant la crise de 1997 qui frappe la Corée du Sud. Après, selon les deux femmes interviewées, le dilemme travail/mariage renait de ses cendres. Malheureusement, le pays assiste à un recul de la part de la gent féminine qui se tourne majoritairement vers le cercle familial au détriment de leur épanouissement professionnel.

FEMME OBJET

Dans cette même décennie, le cinéma inclut davantage les personnages féminins, qui restent toutefois une minorité. Et surtout l’image donnée tend à montrer une femme objet. Objet de désir, pulpeux, vénéneux… la femme coréenne est uniformisée et hypersexualisée. Elle apparaissait déjà séductrice dans La servante de Kim Ki-young, en 1960, histoire revisitée en 2010 par Im Sang-soo dans The Housemaid.

Dans les films de Hong Sang-soo, les femmes sont maitresse, amante, amoureuse, objet d’un amour fantasmé, comme dans Conte de cinéma, sorti en 2005, ou au centre d’un triangle sentimental, à l’instar de La vierge mise à nu par ses prétendants, sorti en 2002.

« Elle continue d’avoir la place qu’on lui a assignée. Mais certains films proposent quand même des regards plus respectueux, comme ceux avec l’actrice Moon So-ri, Oasis (l’histoire d’un homme qui tombe amoureux d’une jeune femme handicapée, ndlr) et Hill of freedom (un Japonais attend une ancienne amante dont il est toujours amoureux, ndlr). », soulève Anne Le Hénaff.

FEMME SECONDAIRE

Autre problématique soulevée à l’occasion du festival, le manque d’héroïnes dans les scénarios. Une carence que de nombreux cinéastes dénoncent à l’échelle internationale – comme l’ont fait quelques jours plus tôt les frères Nasser, réalisateurs palestiniens venus à Rennes présenter leur premier long métrage Dégradé en avant-première – à l’instar de la réalisatrice Shin Su-won. Jeudi 4 février, elle donnait une conférence de presse à l’Étage du Liberté :

« Les actrices le disent, elles ne reçoivent pas beaucoup de scénarios. Et c’est un phénomène en Asie, il n’y a pas beaucoup de films d’héroïnes. »

Elle-même avoue rencontrer des difficultés en tant que réalisatrice. Son rapport avec les acteurs en pâtit. « Ils ont tendance à ne pas me faire confiance, à avoir des préjugés envers moi. », explique-t-elle, adulée par son producteur qui la soutient face aux journalistes avec un sourire : « Moi, je pense qu’elle est très brillante ! »

Shin Su-won interroge de son regard critique la société coréenne et propose dans Circle Line (2012) et Madonna (2015), qu’elle présentait en avant-première les 5 et 9 février, de dévoiler des drames sociaux. Jusqu’où va le pouvoir de l’argent ? De quelles difficultés souffrent les habitant-e-s ? La réalisatrice filme les inégalités entre les classes sociales, parfois de manière radicale, pour une prise de conscience terrible mais efficace. On ne ressort pas de la projection indemne.

FEMME SANS ISSUE ?

Dans ce film, Madonna, plusieurs facettes des femmes sont mises en lumière. Discrètes, paumées, écrasées, en proie à leurs doutes, leurs faiblesses et leurs convictions, elles troublent et crèvent le cœur quant à la condition féminine qui donne peu d’espoir pour le futur.

« Je suis classée satirique comme réalisatrice. Et ça me va que les gens pensent ça. Mes films ne sont pas grand public. En Corée, ce sont principalement les thrillers qui sont investis financièrement. Avant, certains essayaient des choses différentes mais la génération de cinéaste d’aujourd’hui a du mal à survivre. », explique Shin Su-won.

Si la programmation présentait au départ une belle couleur féminine, la réalité de sa représentation calme l’enthousiasme initial. « Même quand la femme décide de prendre sa liberté, de s’émanciper, comme dans Une femme libre, et qu’elle sort du moule, l’histoire se termine de manière dramatique. Conclusion : mieux vaut rester dans le moule. », analyse Anne Le Hénaff qui trouve l’adage coréen très révélateur et symbolique de la supériorité masculine : « L’homme est le ciel, la femme est la terre. »

Le patriarcat va même jusqu’à créer des mouvements d’hommes en colère, dénonçant des discriminations par rapport aux femmes, comme en atteste l’article de Courrier International daté d’avril 2015, « La ‘’haine des femmes’’ prend de l’ampleur ». Seong Jae-gi, défunt fondateur de Solidarité des hommes, en 2008 (rebaptisé depuis Solidarité pour l’égalité des sexes), proteste contre les prétendus privilèges accordés aux femmes dont : « les quotas (d’emploi dans les administrations), les installations réservées aux femmes (dans les transports et les espaces publics), le ‘’congé menstruel’’ (un jour par mois), etc. Et surtout elles ne sont pas soumises au service militaire obligatoire, contrairement aux hommes (la norme étant de deux ans). »

Pour M.Kim, actuel président de l’organisation, « Seong Jae-gi a eu le courage de violer un tabou en accusant les femmes au pouvoir au risque d’être ridiculisé et méprisé, y compris par les hommes qu’il essayait de défendre. Il a défendu la cause jusqu’à la mort, celle-ci ne doit pas rester vaine. »

Les deux militantes féministes, Lee Seon-mi et Mok Soo-jeong, reconnaissent quelques évolutions en matière de droits de femmes, notamment sur l’intérêt qu’accordent à présent les journaux politiques à des sujets tels que le stress de la femme au foyer ou la pénibilité du travail. Toutefois, elles se montrent bien pessimistes quant au pouvoir en place, la Corée du Sud étant présidée depuis 2012 par une femme, Park Geun-Hye, fille de l’ancien dictateur, Park Chung-hee, toujours très en prise au confucianisme et donc aux valeurs de fidélité à la famille.  

Célian Ramis

Dégradé : la réalité des femmes de Gaza sur fond de conflits

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Ciné-TNB, Rennes
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Fortes, courageuses et sensibles, les femmes de Gaza sont au premier plan du film Dégradé, projeté en avant-première lors de Travelling, le 5 février dernier, au ciné-TNB.
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Peut-on parler de Gaza sans évoquer la guerre ? Pas tellement. Mais pour les frères Nasser, réalisateurs palestiniens, on ne peut pas non plus occulter les regards féminins trop souvent dissimulés dans le cinéma arabe. Fortes, courageuses et sensibles, les femmes de Gaza sont au premier plan du film Dégradé, projeté en avant-première lors de Travelling, le 5 février dernier, au ciné-TNB.

« On parle peu de la femme palestinienne, on la connaît peu. Souvent, on véhicule d’elle une mauvaise image : une femme qui n’a pas de point de vue. Dans les productions artistiques, il y a beaucoup d’hommes et on trouvait intéressant d’avoir un point de vue féminin. », explique Arab Nasser, réalisateur originaire de la bande de Gaza, venu à Rennes présenter son premier long-métrage, Dégradé, écrit et réalisé avec son frère jumeau. L’objectif de ce film ? « Montrer les femmes de Gaza telles qu’elles sont, de manière très claire, très fidèle à la réalité. », répond Tarzan Nasser.

HOMMAGE À LEUR MÈRE

Avant la projection, Arab se délecte d’une anecdote significative pour lui, à propos de sa mère, « une femme très belle, très simple, obsédée par la propreté de sa maison ». En juillet 2014, une nouvelle guerre éclate à Gaza. Pour la première fois en 26 ans, les frères Nasser vivent le conflit de l’extérieur.

Menacés de mort par le Hamas dont ils dénoncent la tyrannie dans un court-métrage, ils ont du quitter leur territoire – vivant désormais en France – et sont alors en Jordanie pour tourner Dégradé. Les contacts avec l’intérieur de la ville sont compliqués. Ils réussissent malgré tout à établir une connexion Skype avec leur mère, installée dans un camp de réfugiés.

« Elle était magnifique mais elle était essoufflée. J’entendais les bombardements, les tirs, les explosions. Je pensais qu’elle avait peur. Je lui ai donc demandé pourquoi elle était essoufflée et elle m’a dit avec un grand sourire qu’elle était en train de nettoyer les escaliers. »
se souvient-il.

Il poursuit : « Elle m’a ensuite dit quelque chose que je n’oublierais jamais. Elle a dit ‘Y a la guerre dehors, qu’est-ce que tu veux que je fasse ? S’ils bombardent la maison, on dira qu’on a retrouvé une magnifique femme dans une maison propre. S’ils ne bombardent pas, j’aurais une maison propre dont je peux profiter.’ »

GAZA AUTREMENT

C’est là tout le propos du film, qui a été l’an dernier présenté lors de la semaine de la critique du festival de Cannes, et qui voyage à travers le monde, excepté à Gaza où il ne sera pas diffusé. Arab et Tarzan souhaitent parler de celles et de ceux qui peuplent cette petite ville à la population si dense (2 millions ½ de personnes sur 360 km2). Avant même de parler du conflit. Ou plutôt des conflits.

Dégradé offre alors la possibilité de découvrir Gaza autrement. À travers 13 femmes réunies plusieurs heures durant dans un salon de coiffure. « Le seul endroit où il pouvait y avoir autant de femmes en Palestine. Ou à l’intérieur d’une maison. », précisent les réalisateurs qui se saisissent d’un fait divers survenu en 2007 pour mettre leur message en lumière.

Une famille mafieuse kidnappe le lion du zoo et l’affiche clairement devant leur maison, signe de leur résistance et de leur pouvoir. L’animal volé servira d’excuse au Hamas qu viendra à bout de cette famille. Les frères Nasser imaginent alors : et s’il y avait eu un salon de coiffure de l’autre côté de la rue ?

PORTRAITS DE FEMMES

Il y a la divorcée amère, la religieuse, la gérante russe, l’assistante amoureuse d’un mafieux, la droguée, la jeune fille, la future mariée, la femme enceinte, la fille, la sœur, la belle mère acariâtre, la mère asthmatique et la divorcée soulagée. Chacune représente une catégorie de femme bercée par ses illusions, ses rêves, ses espoirs, ses faiblesses, ses déceptions.

« À l’international, le conflit est connu. On introduit souvent les mêmes sujets et on a l’impression que les internationaux ne comprennent pas bien les palestiniens. Ils subissent l’occupation et la guerre mais ils ne sont pas différents des autres gens dans le monde. »
souligne Arab, après la diffusion du film.

C’est ce qu’il tend à montrer dans les discussions de ces femmes, différentes les unes des autres et pourtant embarquées dans la même galère.

Ce jour-là, dans le salon de coiffure, il est question d’amour, de jalousie, d’impuissance sexuelle, de drogue ou encore de religion. Des problématiques qui traversent les frontières et les milieux sociaux. Elles sont là pour se faire coiffer, épiler, maquiller, laver. Ou simplement pour accompagner une autre femme.

Et autour de leurs conversations se tisse le lien vers l’extérieur, vers une situation complexe dont elles parlent tantôt avec lucidité, tantôt avec naïveté. Des réflexions qui évoquent l’occupation israélienne mais aussi les conflits internes que connaît la Palestine avec la prise de pouvoir du Hamas à Gaza et la résistance de certaines familles mafieuses.

COMME TOUT LE MONDE ?

Arab Nasser insiste quant à l’universalité de l’histoire racontée : « Il y a toujours un drone israélien au dessus de nos têtes mais on reste une société qui va de l’avant et qui essaye de rire de cette situation. Ici, on a voulu peindre un portrait social d’une société féminine gazaouie avec des archétypes des problèmes rencontrés et des femmes. On est tous comme ces femmes. On raconte nos histoires personnelles, on ment, on rit, on est hypocrites… C’est notre histoire à tous. »

Néanmoins, les jumeaux, diplômés des Beaux Arts de Gaza, l’école de cinéma n’existant pas, tout comme les salles de cinéma, détruites un an avant leur naissance -, n’écartent pas la guerre de leurs propos. Elle est prégnante, omniprésente, quotidienne. Dans le film, elle s’exprime par les sons extérieurs, l’histoire se déroulant en huis clos dans le salon afin de maintenir fixe le regard porté sur et par les protagonistes.

Petit à petit, les bruits prennent une place de plus en plus importante. Un générateur électrique, des 4x4 qui démarrent rapidement, des tirs, des bombardements. Et plus ils envahissent l’espace du film, plus la lumière diminue. Et plus l’angoisse s’intensifie.  « D’où le nom Dégradé. En référence à la coiffure mais aussi à la dégradation des sons et des lumières. Gaza est tout le temps submergée par les sons, les gens se parlent d’un immeuble à l’autre, les marchands de fruits et légumes ont des mégaphones, et en plus il y a la guerre avec les drones, les avions, les tirs, on voulait en rendre compte », justifie Arab.

LA RÉSISTANCE AVANT TOUT !

Les frères Nasser réussissent le pari de montrer le quotidien de Gaza, de dénoncer les forces armées qui en ensanglantent les rues – aussi bien l’armée israélienne que le Hamas – tout en se concentrant sur ces femmes, qui subissent les conséquences de ces guerres, dépeintes dans les médias comme dures et sans opinion. Au contraire, Dégradé est une opportunité de leur rendre hommage et d’expliquer que la dureté des conflits favorise le blindage de l’esprit. Dans le salon, elles se dévoilent telles qu’elles sont et telles qu’elles agissent, au delà de l’esprit conscient que la mort borde leurs journées.

Fières, courageuses, caractérielles, sensibles, elles détiennent toutes en leur fort intérieur des blessures mais aussi et surtout des âmes de résistantes :

« Depuis 1948, elles ont toujours été en résistance. Elles recherchent la vie ! L’acte du maquillage, de la coiffure, etc. peut paraître dérisoire mais c’est déjà un acte de résistance. ».

Le premier long-métrage d’Arab et Tarzan Nasser, dont la sortie est prévue le 27 avril prochain, est déjà un chef d’œuvre, loin des clichés et des polémiques religieuses dont se régalent les médias depuis de nombreuses années. Les jumeaux nous donnent à voir le quotidien de ces femmes par le trou de la serrure pour qu’apparaisse enfin la vision plus large de la réalité de Gaza, le salon en étant la métaphore vibrante. Pour la gent féminine, c’est le double enfermement.

 

NB : Petite pointe de fierté régionale, Dégradé est co-produit par la société rennaise .Mille et une films et la post production a été réalisée par les rennais d’AGM Factory. Aussi, il bénéficie du soutien de la région Bretagne et du Breizh Film Fund.

Célian Ramis

Les Innocentes, entre pureté esthétique et horreur de la situation

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Cinéma Gaumont, Rennes
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La réalisatrice Anne Fontaine revient sur un fait tragique de l’Histoire, lors de la Seconde guerre mondiale en Pologne, dans son nouveau film Les Innocentes.
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La réalisatrice Anne Fontaine revient sur un fait tragique de l’Histoire, lors de la Seconde guerre mondiale en Pologne, dans son nouveau film Les Innocentes, qu’elle présentait en avant-première le 18 janvier dernier, au cinéma Gaumont de Rennes.

Décembre 1945, Pologne. Mathilde Beaulieu est en mission pour la Croix-Rouge française. Elle y assiste un chirurgien dans le but de soigner les rescapés de la guerre avant leur rapatriement en France. Appelée à l’aide par une religieuse polonaise, elle va accepter de se rendre dans le couvent où vivent trente bénédictines coupées du monde, enchainées à une tragédie survenue quelques mois plus tôt. Violées par des soldats de l’Armée Rouge, plusieurs d’entre elles sont sur le point d’accoucher.

La trame est historique. Ignorés encore aujourd’hui de la majeure partie de la population polonaise, mais confirmés par des historiens du pays, les faits ont eu lieu à divers endroits, souvent situés vers la frontière de Silésie, au Sud-Ouest de la Pologne. Violées, tuées pour certaines, laissées enceintes pour d’autres. Dans le film d’Anne Fontaine, l’action se concentre sur le cas des bénédictines soignées par Madeleine Pauliac, médecin-chef de l’hôpital français de Varsovie en ruines, et chargée de la mission de rapatriement à la tête de la Croix-Rouge française.

LA VÉRACITÉ D’UNE AMBIANCE

Dans un carnet, dévoilé par Philippe Maynial, son neveu, elle y écrit son quotidien auprès des patients et témoigne de cet épisode au couvent où elle rencontre des femmes en proie à une problématique tragique, qu’elle garde secrètement par peur de mettre le couvent en péril. Les Innocentes en est une adaptation, non la copie exacte. « Il y a très peu de choses écrites sur ce carnet. C’est très bref, tel jour j’ai fait ça, point. », explique Anne Fontaine, lors de son passage à Rennes.

Pour nourrir les personnages et relater de l’atmosphère monacale avec véracité et fidélité, la réalisatrice de Gemma Bovery ou encore Perfect Mothers s’est rendue à 2 reprises dans un couvent : « La première fois, 3 jours, la deuxième fois, 4 jours. Je faisais tout comme elles, j’étais considérée comme une novice. J’ai été très touchée par cette expérience. C’était important pour ma façon de filmer. Les visages cadrés par le voile, les mains qui sont les seuls membres à apparaître en dehors du chasuble, les corps ensevelis par les tissus… ça change vraiment la manière de regarder une personne. »

L’occasion de contempler et d’observer les rythmes qui structurent les journées des nonnes entre les instants de silence, les prières et les chants. Pour les reproduire au plus près du réel et ainsi pouvoir nous plonger dans l’ambiance et le contexte. Défi relevé puisque la pureté des couleurs contrastées entre le noir anthracite et les nuances de blanc, dans un décor épuré, accentue la violence du propos et nous maintient sous pression, comme pour nous dire que jamais cela ne s’arrête, malgré quelques instants de respiration et d’espoir.

FOI ET VOCATION

Un propos qui n’est d’ailleurs pas singulier mais qui s’attèle à saisir chaque réaction manifestée par les protagonistes et leur évolution, sans porter de jugement moral et sans imposer de vision manichéenne, la complexité de l’être humain étant un élément sous-jacent à l’histoire (et à l’Histoire). Gérer le drame, vivre une grossesse imposée, conséquence d’un viol, affronter des dénis, se buter contre les règles, se battre et se débattre avec sa foi. C’est là l’essence même du film. Comment garder la foi dans une situation comme celle-ci ? La foi peut-elle être inébranlable ?

« La maternité pour une Sœur, c’est ce qu’il y a de plus difficile à abandonner quand elle s’engage devant Dieu. C’est ce qui est ressorti dans ce qu’elles m’ont raconté quand je suis allée au couvent. Là, en plus, elles y sont confrontées de force. Chacune d’entre elles va alors dialoguer à sa manière avec cet événement. », livre la réalisatrice transcendée par le sujet dès lors que ses producteurs le lui ont proposé.

Et le film ne se limite pas à la foi religieuse touchant plus largement à la vocation et à l’espérance. L’importance de l’espérance, s’il en est. Confrontant ainsi le monde spirituel à celui du monde laïc, à travers le personnage de Mathilde, communiste par éducation, pragmatique, scientifique. Une jeune femme qui s’est jetée tête baissée dans l’horreur de la guerre et qui est arrivée en Pologne avec ses certitudes, dénuées de certaines réflexions philosophiques.

DE LA BEAUTÉ JAILLIT L’HORREUR

Interprétée par Lou de Laâge, elle captive spectatrices et spectateurs. De son comportement transgressif – femme médecin, bravant les ordres de sa hiérarchie, entamant une relation « non conventionnelle » (pour l’époque) avec le chirurgien, gardant le secret des Sœurs, agissant en pleine nuit malgré les dangers des barrages des soldats russes – elle tire un roman d’apprentissage à travers un enchainement d’expériences initiatiques.

« J’ai voulu Lou pour sa grâce. C’est très fort au cinéma d’avoir de la grâce. Je l’ai dirigée d’une manière particulière car au départ elle devait être froide, ne pas montrer ses émotions. Si son personnage était trop atteint, elle ne pouvait plus faire correctement son travail. », justifie Anne Fontaine. Et entre Mathilde Beaulieu et les Sœurs se nouent des relations profondes qui vont rompre avec le quotidien et s’immiscer dans cette communauté à la dramaturgie semblable à celle de chaque groupe identitaire, composé  d’égos, de tensions et de tempéraments différents.

La beauté des Innocentes réside dans la découverte de l’autre et l’acceptation, ou non, des événements en cours. Dans le choix du renoncement ou de l’espérance, dans les motivations à commettre un acte répréhensible comme le sacrifice d’un enfant pour préserver sa communauté du déshonneur et de la disgrâce. Sans minimiser ou grossir le trait, la réalisatrice rend le poids de la religion, la rigidité de la pensée catholique tout comme celle de la pensée scientifique, malléables. Interrogeant ainsi qui de l’individu ou de la foi guide l’autre.

Tout est travaillé, chaque détail est peaufiné. Décors, lumières, dialogues (français soutenu pour la polonaise Sœur Maria), interprétations sans failles des comédiennes, tout est confiné dans la plus grande pureté et dans la plus grande sobriété. Comme pour déclencher un choc entre la perfection esthétique et l’horreur du sujet, qui, réunis, bouleversent les spectatrices et les spectateurs.

Sortie de son contexte, la situation exposée se transpose à notre époque contemporaine, la cruauté des actes infligés n’ayant pas cessé à la fin de la Seconde guerre mondiale. Le film nous invite à réfléchir à la réalité des violences sexuelles, pas seulement crimes de guerre mais aussi et surtout crimes du quotidien. En France, c’est en moyenne 84 000 femmes par an (âgées entre 18 et 75 ans) qui sont victimes de viols ou de tentatives de viols, selon le site gouvernemental contre les violences faites aux femmes.

Au cinéma à partir du 10 février 2016.

Célian Ramis

Joséphine s'arrondit, le poids de la comédie

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Cinéma Gaumont, Rennes
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Rencontre avec Marilou Berry, Medhi Nebbou et Bérangère Krief, venus présenter Joséphine s'arrondit en avant-première au cinéma Gaumont de Rennes, jeudi 7 janvier.
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Pour la première fois réalisatrice, Marilou Berry est venue présenter Joséphine s’arrondit, en compagnie de Medhi Nebbou et Bérangère Krief, jeudi 7 janvier au cinéma Gaumont de Rennes. Sortie prévue le 10 février 2016.

En juin 2013, Agnès Obadia adapte au cinéma Joséphine, personnage créé par la dessinatrice Pénélope Bagieu, dans sa bande dessinée du même nom. Marilou Berry en est l’actrice principale. Deux ans plus tard, cette dernière s’entoure de la scénariste du premier volet, Samantha Mazeras, et d’une partie de l’équipe d’acteurs, dont Medhi Nebbou et Bérangère Krief, et passe derrière la caméra pour réaliser la suite des aventures de Joséphine.

Au chômage, hébergeant sa sœur dépressive depuis qu’elle a fui son mariage, entourée de sa bande d’ami-e-s, elle a trouvé l’amour et vit en ménage depuis 2 ans. « C’est un couple qui marche, un couple très amoureux. Ils sont un peu dans leur monde, décalés, s’en foutent presque du reste », précise Medhi Nebbou, qui à l’écran incarne Gilles, le compagnon de la jeune femme. Ensemble, ils vont vivre l’expérience de la grossesse.

ANGOISSES DE GROSSESSE

« Ce n’est pas un film sur les mamans, mais sur les angoisses et les projections des futurs parents », explique Marilou Berry. L’occasion d’aborder le couple sous l’angle du bouleversement dans la relation à deux à travers les ressentis individuels. « L’arrivée d’un enfant pose de nouvelles questions. Cela révèle celui qui veut être rassuré, celui qui ne veut pas être rassuré, celui qui a besoin de rassurer… », signale Medhi Nebbou, rejoint par la réalisatrice qui précise : « Ça va permettre à Gilles de penser à lui, de s’énerver, de pouvoir être égoïste. C’est important aussi dans la vie. Et à Joséphine de, pour une fois, penser moins à elle… »

Peur que l’enfant naisse sans bras, qu’il ne l’aime pas, qu’il hérite de son cul (disproportionné selon les normes de beauté, dans le premier épisode), de devenir comme sa mère… Joséphine s’arrondit dévoile un florilège d’inquiétudes aussi rationnelles qu’absurdes autour d’une femme « attachiante mais attachante quand même » pour Marilou Berry et de son compagnon parfait qui va s’affirmer dans sa personnalité à l’approche de l’accouchement.

COMÉDIE (TROP) LOUFOQUE

Une comédie loufoque, selon l’acteur principal, novice dans ce registre-là. « J’ai eu des choses à jouer qui étaient assez extrêmes. C’est comme le saut en parachute quand on n’en a jamais fait. Ne pas être drôle c’est inquiétant. Mais finalement, on enlève le harnais et c’est jouissif. » Il insiste : il s’agit là d’une comédie déjantée sur un sujet universel. Ainsi, les péripéties gonflées de stéréotypes et de névroses en tout genre s’enchainent, sans trop laisser le temps aux spectateurs-trices de souffler, étouffant les quelques éléments comiques qui sont, hélas, poussés à leur paroxysme, créant une overdose dans l’exagération.

Dommage car la réflexion initiale, sans être novatrice, est intéressante et libère les complexes et tabous que l’on pourrait avoir dans la projection d’une grossesse. « Pas besoin d’être maman pour avoir des angoisses », souligne Bérangère Krief. Pour coller au rôle, Marilou Berry s’inspire donc de vidéos sur le sujet, se renseigne auprès de son entourage, sans toutefois échanger avec Josiane Balasko, sa mère à la vie comme à l’écran : « Qui de mieux que ma mère pour jouer ma mère ? Je serais incapable de jouer un autre rôle avec elle, de jouer une inconnue pour elle… (…) Je n’ai même pas pensé à lui demander si elle avait eu des angoisses lorsqu’elle était enceinte car ce ne sont certainement pas les mêmes inquiétudes qu’aujourd’hui. Je suis une enfant des années 80. »

L’actrice-réalisatrice travaille actuellement à un nouveau long-métrage, dans le registre de la comédie d’aventure, et avoue ne pas savoir ce que deviendra son personnage de Joséphine. L’envie de poursuivre à ses côtés est présente et envisage, en plaisantant, un « Joséphine et Gilles divorcent ». La suite logique d’une vision cynique de la vie à deux ?

 

Célian Ramis

Musulmanes : Femmes à part entière

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Cinéma Arvor, Rennes
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Lauriane Lagarde dévoile son documentaire À part entière, le 7 novembre au cinéma Arvor de Rennes, sur les femmes musulmanes de Rennes qu'elle a suivi plusieurs années.
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Pendant plusieurs années, la réalisatrice Lauriane Lagarde a suivi les membres de l’association de femmes musulmanes de Rennes, Al Houda, et de cette immersion elle en délivre un documentaire intitulé À part entière, projeté en avant-première dans la capitale bretonne le 7 novembre, au cinéma Arvor.

Source de clivages et d’amalgames, le sujet n’est pas nouveau. Il intrigue les médias, agite l’opinion publique et fait régulièrement, depuis plusieurs années, l’objet de documentaires diffusés sur Internet ou sur les chaines télé comme LCP, Arte ou encore France 3.

Je porte le voile, de Natasha Ivisic, Ce que dévoile le voile de Négar Zoka, Il y a des femmes sous le niqab de Agnès de Féo, Sous le signe du voile de Hilka Sinning ou encore Femmes françaises et voilées n’en sont que des exemples parmi d’autres et tendent ouvrir le débat, à faire entendre les voix des concernées mais aussi à faire la lumière sur les différences entre les voiles.

Dans un contexte de crise identitaire, le sujet est, semble-til, toujours aussi délicat à aborder et à apprivoiser. Parler des femmes musulmanes sans les réduire à leur choix de porter ou non le voile est-il encore possible ? L’a-t-il déjà été ? La réalisatrice rennaise Lauriane Lagarde n’a pas souhaité poser la problématique en ces termes là.

Et si la question du voile occupe majoritairement l’espace dans son documentaire À part entière (production rennaise – Mille et une films) elle n’en est toutefois pas l’étendard de l’oppression masculine et trouve une ouverture dans ce symbole empli d’histoires personnelles, de ressentis et de vécus.

Les Rennaises musulmanes que Lauriane filme livrent leurs paroles au sein du collectif ainsi qu’à travers leurs individualités et parcours. Entre réflexions, confidences et contradictions, elles dévoilent leurs interprétations et leur rapport à la religion mais aussi aux autres, aux corps et à la féminité. Mais le féminisme peut-il rimer avec l’Islam ? 52 minutes ne suffiront pas à répondre à cette interrogation qui fait rage dans le débat militant. Et là n’est pas l’objectif du film qui se veut un témoin éclairé de l’action de l’association d’Al Houda, sans jugement ni morale.

UNE THÉMATIQUE CHOISIE

C’est en se confrontant à la difficulté pour les croyants musulmans de bâtir une mosquée à Villejean que Lauriane a eu l’idée de se tourner vers les femmes musulmanes et de réaliser un documentaire sonore auprès de Fouzia, une des fondatrices en 1996 de Al Houda.

« J’ai rencontré les femmes de l’association. Elles revendiquent l’égalité entre les sexes. Pour moi, la religion ne nous sépare pas vraiment. Elles rencontrent des difficultés qui leur appartiennent mais je me retrouvais dans ces femmes-là. »
explique Lauriane Lagarde, la réalisatrice.

De fil en aiguille, elle assiste aux réunions, ateliers, cours, actions à destination du grand public. L’objet du documentaire s’oriente rapidement autour des différentes réflexions au sein de ce groupe sur le port du voile, les événements organisés à cette époque, entre 2012 et 2015, étant en lien étroit avec cette thématique, « mais ce n’est pas le sujet principal… C’est ce qui est le plus instrumentalisé et diabolisé en France », assure Marjolaine Peuzin, membre de l’association.

Mais par dessus tout, Lauriane Lagarde désire que la caméra ne soit qu’un biais pour exprimer leurs points de vue. Sans voix off. Et ainsi que le spectateur soit le « seul juge », libre d’analyser et de penser en conséquence.

UN QUESTIONNEMENT PERMANENT

Elles sont de générations différentes. Elles portent un hijab, un foulard, un bandeau, un bonnet ou apparaissent tête nue, chacune se veut libre de son choix et dans son droit. Elles échangent autour des versets du Coran. Et elles s’interrogent. Doit-on porter le voile en France ? Comment vivre sa foi sans heurter les musulmans ou les non musulmans ? Ne se posent-elles pas trop de questions ? Ne se forgent-elles pas leurs propres barrières ? Comment agir pour faire évoluer les mentalités ?

Autant d’interrogations pour une multitude de réponses. Des réponses qui trouvent leurs sources dans leur interprétation des textes sacrés et dans les valeurs inculquées par leur religion, leurs éducations, leurs histoires personnelles, sur lesquelles certaines membres se confient. Entre tiraillements, réalité parfois brutale face à l’islamophobie, discriminations, entre incompréhension et tolérance, elles abordent leurs quotidiens, sans haine, avec douceur et ferveur. Défendant leurs convictions mais aussi leurs conditions de femmes dont elles revendiquent des droits équivalents à ceux des hommes.

DES ESPRITS ET CORPS LIBRES

« À part entière montre de manière fidèle ce que l’on dit, ce que l’on pense, explique Marjolaine. Le film pourra peut-être aider à montrer que derrière les femmes voilées, il y a des personnes. »

Et que sous le voile, il y a des cerveaux, précise la réalisatrice qui défend finalement à travers son travail le droit de revendiquer le choix de porter le voile ou non, d’assumer la religion et de la pratiquer de la même manière. « Elles se réunissent, elles ne sont pas toujours d’accord mais elles se respectent. Elles réfléchissent constamment à leur religion, à ses paradoxes, ses difficultés et se l’approprie. », souligne-t-elle.

Si elle refuse de parler de film sur l’émancipation des femmes, Lauriane Lagarde dépeint ici à travers sa caméra des portraits de femmes libres. Dans leurs esprits et dans leurs corps. Elle jalonne son documentaire de scènes d’expression verbale et d’expression corporelle avec le projet chorégraphique de Morgan Davalan, « travaillant sur l’hybridation identitaire, la rencontre avec l’autre », précise Marjolaine Peuzin.

On voit ainsi plusieurs femmes de l’association, prendre place dans l’espace public. Parées de différents voiles colorés, elles jouent avec le visible et l’invisible. Ce qui est caché et ce qui est montré. Casser l’image du voile qui fige celle qui le porte. « L’idée est de surprendre le spectateur. Ce sont là des corps qui bougent. Le rapport au corps est très important. », conclut la réalisatrice.

Le film sera diffusé en avant-première au cinéma Arvor le 7 novembre à 11h et sur les chaines locales bretonnes (TVR, Tébéo, Tébésud) le 26 novembre à 20h45.

Célian Ramis

Un (Jean Dujardin) + Une (Elsa Zylberstein) = le nouveau film de Claude Lelouch

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Cinéma Gaumont, Rennes
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Elsa Zylbertstein et Jean Dujardin, duo incompatible pour jouer les amoureux ? Le réalisateur Claude Lelouch en décide autrement dans Un + Une, sur les écrans le 9 décembre prochain.
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Elsa Zylbertstein et Jean Dujardin, duo incompatible pour jouer les amoureux ? C’est ce que pense le réalisateur Claude Lelouch, séduit par l’idée de réunir ces deux acteurs « pas faits l’un pour l’autre » à l’affiche de son dernier film, Un + Une, qui sortira sur les écrans le 9 décembre prochain.

À l’occasion de l’avant-première de Un + Une le 26 octobre dernier au cinéma Gaumont, le réalisateur Claude Lelouch, entouré de ses deux acteurs principaux, Jean Dujardin et Elsa Zylberstein, étaient de passage à Rennes.

« Elsa et Jean ont fait un voyage en avion tous les deux et ont abordé ensemble l’envie de tourner avec moi. Ils ne sont vraiment pas faits l’un pour l’autre, le couple m’a inspiré », se souvient le réalisateur qui compte déjà 45 films à son actif, sourire aux lèvres.

L’Inde sera le décor d’une comédie qui a pour volonté de filmer l’invisible. Une évidence qui apparaît rapidement à Claude Lelouch : « L’irrationnel y est omniprésent. Ce n’est pas le pays des religions mais le pays de LA religion. Pour eux, la mort n’existe pas, cela change complètement le raisonnement. Là-bas, la souffrance est une école, un apprentissage. Et je partage l’intime conviction que l’idée de la mort est tellement idiote ! »

ROAD-TRIP SPIRITUEL

L’amour sera le sujet principal. Une évidence limpide également, une histoire d’amour étant la plus belle métaphore de la vie, selon lui. Pour Jean Dujardin, il s’agirait plus simplement « de la rencontre entre un sceptique et une tarée. »

Et les deux acteurs, non dénués de talents, vont expérimenter sans artifices ni figurants la vie indienne, confrontant « le divin à l’escroquerie, des tricheurs à des gens profondément sincères », souligne Claude Lelouch, rejoint par son acteur principal : « Et la misère ! ».

Sans oublier la philosophie particulière de l’Inde, partant du principe qu’une vie vécue n’est que le brouillon de la vie suivante. Une philosophie qui va devenir le fil conducteur du film et que le réalisateur va intelligemment mettre en exergue avec l’histoire d’Antoine et Anna.

Lui, incarne un compositeur de musiques de film, séjournant en Inde pour une version moderne de Roméo et Juliette, réalisée par un metteur en scène issu de la nouvelle vague indienne. Elle, est la femme de l’ambassadeur de France (interprété par Christophe Lambert), passionnée par la question de la spiritualité, et éminemment séduite par Antoine, dès le premier regard.

MACHISME ET SEXISME BIENVEILLANT

Ensemble, ils vont partager un voyage initiatique à travers l’Inde spirituelle mais aussi au travers d’une rencontre inattendue. Tous les deux bien installés dans leurs couples respectifs, ils vont s’offrir une parenthèse entre attirance et résistance. Entre non-dits et franchise déroutante.

Anna est amoureuse, fonceuse, « allumée, spirituelle, premier degré », souligne Elsa Zylbertstein, encore éprise du rôle qu’elle a joué.

« Avant d’arriver en Inde et de rencontrer son mari, c’était une aventurière. Il la rebranche avec ce qu’elle était. Il la révèle à elle-même. », poursuit-elle.

Antoine, de son côté, est pragmatique, amoureux de l’amour en premier, amoureux de lui-même en second. Il prend la vie avec humour et légèreté et s’embarque dans l’aventure pour fuir quelques démons, notamment une demande impromptue en mariage par sa compagne pianiste (interprétée par Alice Pol) et un caillot logé dans sa tête, lui provoquant des maux de tête.

« C’est un homme. Comme tous les hommes, il a peur des scanners, des maladies. Il préfère tout tenter sauf la médecine. Et puis, il y a pas forcément de raison. Perso, je ferais la même chose, partir sur un coup de tête avec l’ambassadrice, voir ce que ça peut donner. », plaisante Jean Dujardin.

Pas tant que ça. Pour le réalisateur, le film aurait pu s’appeler « Portrait du dernier macho ». Le clown qui s’assagit. L’enfant gesticulant qui devient homme. Un schéma classique propre à la gent masculine, selon Claude Lelouch qui mesure ses propos : « En tout cas, plus que les femmes. Il y a toujours un événement qui fait que l’on devient un homme. »

Il semblerait qu’une femme, à l’inverse, naisse femme et se révèle à travers un homme, venu briser son évolution lisse et stagnante quand elle n’est pas le double – au détail près qu’elle a une poitrine - de l’homme (d’Antoine en l’occurrence), comprendre alors « qui ne fait pas chier, on ne s’embête pas l’un l’autre ».

La femme est naïve, l’homme archaïque. Elle l’aime depuis le début de leur rencontre. Il l’aime peut-être parce qu’elle l’aime. La course poursuite prend des allures de déjà vu, sans modernité, et agace sur la longueur.

Sans oublier plusieurs réflexions illustrant un certain sexisme bienveillant sur les femmes, « qu’il faut mettre en avant » dans le titre Juliette et Roméo, exemple flagrant de grande modernité (le scénario : un voleur de bijou renverse une jeune et belle femme à vélo mais préfère se faire arrêter par les forces de l’ordre pour l’amener à l’hôpital afin de lui sauver la vie. Les deux jeunes vont alors tomber amoureux.).

Si on veut chercher un point positif, on pourrait accorder l’absence de morale et de jugement. En revanche, l’absence de modernité et les déjà vus nous rendent hermétiques au déroulé de l’histoire.

Célian Ramis

Mathilde Seigner, dans la peau d'une mauvaise mère ?

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Cinéma Gaumont, Rennes
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Une mère peut-elle et doit-elle aimer son enfant de manière inconditionnelle, même quand ce dernier dévoile « défaillances » et violence ? C’est la question que pose la réalisatrice Christine Carrière dans son film, Une mère.
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Une mère peut-elle et doit-elle aimer son enfant de manière inconditionnelle, même quand ce dernier dévoile « défaillances » et violence ? C’est la question que pose la réalisatrice Christine Carrière dans son nouveau film Une mère, qu’elle présentait mardi 16 juin, accompagnée de Mathilde Seigner, en avant-première au cinéma Gaumont de Rennes.

« Il est mauvais fils, elle sera mauvaise mère ». Le synopsis est intriguant, la problématique posée. Qui de la mère ou de l’enfant influe sur l’autre ? Doit-on forcément et entièrement blâmer les parents pour la mauvaise éducation de leurs enfants ? Avec Une mère, Christine Carrière ne prétend pas répondre aux questions soulevées, simplement à présenter une certaine réalité à travers un rapport mère/fils.

« Je suis passionnée par les ados et par le rapport parents/enfants. J’ai rencontré pas mal de femmes seules face à la violence de leurs enfants et je crois qu’en France c’est un sujet tabou. J’ai voulu crever les abcès et déculpabiliser les mamans. »
explique Christine Carrière, avant la projection. 

Elle installe la caméra au cœur du conflit qui oppose Marie à son fils, Guillaume, un adolescent de 16 ans, sans se retrancher derrière une facilité narrative qui nous dévoilerait grossièrement les événements antérieurs, justifiant cette incapacité commune à communiquer l’un avec l’autre.

Elle parsème au fil de l’histoire des informations sur les « défaillances » de Guillaume, relevées par des médecins, sans en préciser la nature, et nous fait comprendre qu’il est un habitué, avec ses ami-e-s, du poste de police. Entre protection, épuisement et lassitude de ne pouvoir vivre sa vie, la figure de la mère prête à tout pour son enfant est esquintée pour présenter une autre réalité : celle d’une femme à bout, en prise à son rôle maternel et à son ressenti face à cet être, victime d’un coup d’un soir, qu’elle rêve par moment de n’avoir jamais mis au monde.

Une facette réaliste et intéressante qui nous plonge au cœur d’un sujet de société complexe dont on ne perçoit encore que la partie émergée de l’iceberg. Toutefois, on regrette que la question de l’amour inconditionnel ne soit pas portée à son paroxysme, comme si la réalisatrice n’assumait pas entièrement sa volonté de déculpabiliser les femmes, étouffant légèrement la violence qui se dégage de cette situation délicate et anxiogène.

RÔLE NUANCÉ ET FÉMININ

Pour Mathilde Seigner, mère d’un petit garçon de 8 ans, le sujet de l’adolescence ne lui est pas encore familier mais s’est glissé sans difficultés particulières dans la peau de cette mère désabusée et désillusionnée. Et elle l’incarne avec le talent et le naturel qu’on lui connaît, embarquant le spectateur dans une sorte de huis clos avec ses émotions et ses entraves, entre nostalgie, inquiétude et désir de liberté. Et ce soir-là, l’actrice témoigne également d’un besoin de se frotter à un rôle plus nuancé que ceux proposés par le registre des comédies.

Vingt ans avant Une mère, Mathilde Seigner interprétait son premier rôle au cinéma. Dans Rosine, signé Christine Carrière. L’histoire d’une adolescente en admiration face à sa mère. Deux décennies sont passées. Mathilde Seigner s’est affirmée en tant qu’actrice et s’est imposée dans le cinéma français, imprimant noir sur blanc son franc parler et sa gouaille. Aujourd’hui, elle interprète un rôle sur mesure, écrit pour elle, par celle qui a lancé sa carrière. Un rôle qui lui va bien mais aussi qui lui fait du bien, ravivant son inspiration pour les personnages dramatiques, plus intéressants selon la comédienne, qui ne renie pas complétement le plaisir de jouer dans une comédie.

« Les comédies offrent des rôles sympathiques mais la palette est plus limitée. Et ce n’est pas ce qu’il y a de plus valorisant pour une comédienne. Et il faut dire que dans les comédies populaires, ce sont souvent les hommes qui font rire et qui ont les beaux rôles. »
dénonce Mathilde Seigner avec parcimonie.

Elle a pourtant joué dans des films au casting féminin, dans Vénus beauté, Tout pour plaire, ou encore Bowling… Aucun n’aura le succès des Ch’tis, ni de Camping dans lequel elle joue « mais encore une fois, c’est le personnage masculin, celui de Franck Dubosc, qui fait rire ».

Toutefois, les deux professionnelles n’en restent pas à ce constat et font le pari d’aborder un sujet de fond et de le proposer au grand public sans l’appâter via les grands noms bankable du cinéma français, comme Kad Merad, Dany Boon ou encore Omar Sy. La réalisatrice - qui n’avait pas présenté de nouvel opus depuis Darling en 2007 (avec Marina Foïs et Guillaume Canet, livrant l’histoire forte d’une femme luttant pour sa dignité) - n’hésite pas à prendre le public à partie afin de le sensibiliser aux difficultés actuelles de produire un film de ce type (peu de noms connus, sujet sensible…), les financeurs restreignant les budgets dans ces cas-là.

Main dans la main pour alerter des problématiques actuelles qui envahissent le 7e art depuis plusieurs années, Christine Carrière et Mathilde Seigner savourent néanmoins leurs retrouvailles et la lumière donnée à Une mère, qui sera diffusé dans les salles obscures dès le 24 juin.

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