Célian Ramis

Dégradé : la réalité des femmes de Gaza sur fond de conflits

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Ciné-TNB, Rennes
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Fortes, courageuses et sensibles, les femmes de Gaza sont au premier plan du film Dégradé, projeté en avant-première lors de Travelling, le 5 février dernier, au ciné-TNB.
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Peut-on parler de Gaza sans évoquer la guerre ? Pas tellement. Mais pour les frères Nasser, réalisateurs palestiniens, on ne peut pas non plus occulter les regards féminins trop souvent dissimulés dans le cinéma arabe. Fortes, courageuses et sensibles, les femmes de Gaza sont au premier plan du film Dégradé, projeté en avant-première lors de Travelling, le 5 février dernier, au ciné-TNB.

« On parle peu de la femme palestinienne, on la connaît peu. Souvent, on véhicule d’elle une mauvaise image : une femme qui n’a pas de point de vue. Dans les productions artistiques, il y a beaucoup d’hommes et on trouvait intéressant d’avoir un point de vue féminin. », explique Arab Nasser, réalisateur originaire de la bande de Gaza, venu à Rennes présenter son premier long-métrage, Dégradé, écrit et réalisé avec son frère jumeau. L’objectif de ce film ? « Montrer les femmes de Gaza telles qu’elles sont, de manière très claire, très fidèle à la réalité. », répond Tarzan Nasser.

HOMMAGE À LEUR MÈRE

Avant la projection, Arab se délecte d’une anecdote significative pour lui, à propos de sa mère, « une femme très belle, très simple, obsédée par la propreté de sa maison ». En juillet 2014, une nouvelle guerre éclate à Gaza. Pour la première fois en 26 ans, les frères Nasser vivent le conflit de l’extérieur.

Menacés de mort par le Hamas dont ils dénoncent la tyrannie dans un court-métrage, ils ont du quitter leur territoire – vivant désormais en France – et sont alors en Jordanie pour tourner Dégradé. Les contacts avec l’intérieur de la ville sont compliqués. Ils réussissent malgré tout à établir une connexion Skype avec leur mère, installée dans un camp de réfugiés.

« Elle était magnifique mais elle était essoufflée. J’entendais les bombardements, les tirs, les explosions. Je pensais qu’elle avait peur. Je lui ai donc demandé pourquoi elle était essoufflée et elle m’a dit avec un grand sourire qu’elle était en train de nettoyer les escaliers. »
se souvient-il.

Il poursuit : « Elle m’a ensuite dit quelque chose que je n’oublierais jamais. Elle a dit ‘Y a la guerre dehors, qu’est-ce que tu veux que je fasse ? S’ils bombardent la maison, on dira qu’on a retrouvé une magnifique femme dans une maison propre. S’ils ne bombardent pas, j’aurais une maison propre dont je peux profiter.’ »

GAZA AUTREMENT

C’est là tout le propos du film, qui a été l’an dernier présenté lors de la semaine de la critique du festival de Cannes, et qui voyage à travers le monde, excepté à Gaza où il ne sera pas diffusé. Arab et Tarzan souhaitent parler de celles et de ceux qui peuplent cette petite ville à la population si dense (2 millions ½ de personnes sur 360 km2). Avant même de parler du conflit. Ou plutôt des conflits.

Dégradé offre alors la possibilité de découvrir Gaza autrement. À travers 13 femmes réunies plusieurs heures durant dans un salon de coiffure. « Le seul endroit où il pouvait y avoir autant de femmes en Palestine. Ou à l’intérieur d’une maison. », précisent les réalisateurs qui se saisissent d’un fait divers survenu en 2007 pour mettre leur message en lumière.

Une famille mafieuse kidnappe le lion du zoo et l’affiche clairement devant leur maison, signe de leur résistance et de leur pouvoir. L’animal volé servira d’excuse au Hamas qu viendra à bout de cette famille. Les frères Nasser imaginent alors : et s’il y avait eu un salon de coiffure de l’autre côté de la rue ?

PORTRAITS DE FEMMES

Il y a la divorcée amère, la religieuse, la gérante russe, l’assistante amoureuse d’un mafieux, la droguée, la jeune fille, la future mariée, la femme enceinte, la fille, la sœur, la belle mère acariâtre, la mère asthmatique et la divorcée soulagée. Chacune représente une catégorie de femme bercée par ses illusions, ses rêves, ses espoirs, ses faiblesses, ses déceptions.

« À l’international, le conflit est connu. On introduit souvent les mêmes sujets et on a l’impression que les internationaux ne comprennent pas bien les palestiniens. Ils subissent l’occupation et la guerre mais ils ne sont pas différents des autres gens dans le monde. »
souligne Arab, après la diffusion du film.

C’est ce qu’il tend à montrer dans les discussions de ces femmes, différentes les unes des autres et pourtant embarquées dans la même galère.

Ce jour-là, dans le salon de coiffure, il est question d’amour, de jalousie, d’impuissance sexuelle, de drogue ou encore de religion. Des problématiques qui traversent les frontières et les milieux sociaux. Elles sont là pour se faire coiffer, épiler, maquiller, laver. Ou simplement pour accompagner une autre femme.

Et autour de leurs conversations se tisse le lien vers l’extérieur, vers une situation complexe dont elles parlent tantôt avec lucidité, tantôt avec naïveté. Des réflexions qui évoquent l’occupation israélienne mais aussi les conflits internes que connaît la Palestine avec la prise de pouvoir du Hamas à Gaza et la résistance de certaines familles mafieuses.

COMME TOUT LE MONDE ?

Arab Nasser insiste quant à l’universalité de l’histoire racontée : « Il y a toujours un drone israélien au dessus de nos têtes mais on reste une société qui va de l’avant et qui essaye de rire de cette situation. Ici, on a voulu peindre un portrait social d’une société féminine gazaouie avec des archétypes des problèmes rencontrés et des femmes. On est tous comme ces femmes. On raconte nos histoires personnelles, on ment, on rit, on est hypocrites… C’est notre histoire à tous. »

Néanmoins, les jumeaux, diplômés des Beaux Arts de Gaza, l’école de cinéma n’existant pas, tout comme les salles de cinéma, détruites un an avant leur naissance -, n’écartent pas la guerre de leurs propos. Elle est prégnante, omniprésente, quotidienne. Dans le film, elle s’exprime par les sons extérieurs, l’histoire se déroulant en huis clos dans le salon afin de maintenir fixe le regard porté sur et par les protagonistes.

Petit à petit, les bruits prennent une place de plus en plus importante. Un générateur électrique, des 4x4 qui démarrent rapidement, des tirs, des bombardements. Et plus ils envahissent l’espace du film, plus la lumière diminue. Et plus l’angoisse s’intensifie.  « D’où le nom Dégradé. En référence à la coiffure mais aussi à la dégradation des sons et des lumières. Gaza est tout le temps submergée par les sons, les gens se parlent d’un immeuble à l’autre, les marchands de fruits et légumes ont des mégaphones, et en plus il y a la guerre avec les drones, les avions, les tirs, on voulait en rendre compte », justifie Arab.

LA RÉSISTANCE AVANT TOUT !

Les frères Nasser réussissent le pari de montrer le quotidien de Gaza, de dénoncer les forces armées qui en ensanglantent les rues – aussi bien l’armée israélienne que le Hamas – tout en se concentrant sur ces femmes, qui subissent les conséquences de ces guerres, dépeintes dans les médias comme dures et sans opinion. Au contraire, Dégradé est une opportunité de leur rendre hommage et d’expliquer que la dureté des conflits favorise le blindage de l’esprit. Dans le salon, elles se dévoilent telles qu’elles sont et telles qu’elles agissent, au delà de l’esprit conscient que la mort borde leurs journées.

Fières, courageuses, caractérielles, sensibles, elles détiennent toutes en leur fort intérieur des blessures mais aussi et surtout des âmes de résistantes :

« Depuis 1948, elles ont toujours été en résistance. Elles recherchent la vie ! L’acte du maquillage, de la coiffure, etc. peut paraître dérisoire mais c’est déjà un acte de résistance. ».

Le premier long-métrage d’Arab et Tarzan Nasser, dont la sortie est prévue le 27 avril prochain, est déjà un chef d’œuvre, loin des clichés et des polémiques religieuses dont se régalent les médias depuis de nombreuses années. Les jumeaux nous donnent à voir le quotidien de ces femmes par le trou de la serrure pour qu’apparaisse enfin la vision plus large de la réalité de Gaza, le salon en étant la métaphore vibrante. Pour la gent féminine, c’est le double enfermement.

 

NB : Petite pointe de fierté régionale, Dégradé est co-produit par la société rennaise .Mille et une films et la post production a été réalisée par les rennais d’AGM Factory. Aussi, il bénéficie du soutien de la région Bretagne et du Breizh Film Fund.

Célian Ramis

Musulmanes : Femmes à part entière

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Cinéma Arvor, Rennes
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Lauriane Lagarde dévoile son documentaire À part entière, le 7 novembre au cinéma Arvor de Rennes, sur les femmes musulmanes de Rennes qu'elle a suivi plusieurs années.
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Pendant plusieurs années, la réalisatrice Lauriane Lagarde a suivi les membres de l’association de femmes musulmanes de Rennes, Al Houda, et de cette immersion elle en délivre un documentaire intitulé À part entière, projeté en avant-première dans la capitale bretonne le 7 novembre, au cinéma Arvor.

Source de clivages et d’amalgames, le sujet n’est pas nouveau. Il intrigue les médias, agite l’opinion publique et fait régulièrement, depuis plusieurs années, l’objet de documentaires diffusés sur Internet ou sur les chaines télé comme LCP, Arte ou encore France 3.

Je porte le voile, de Natasha Ivisic, Ce que dévoile le voile de Négar Zoka, Il y a des femmes sous le niqab de Agnès de Féo, Sous le signe du voile de Hilka Sinning ou encore Femmes françaises et voilées n’en sont que des exemples parmi d’autres et tendent ouvrir le débat, à faire entendre les voix des concernées mais aussi à faire la lumière sur les différences entre les voiles.

Dans un contexte de crise identitaire, le sujet est, semble-til, toujours aussi délicat à aborder et à apprivoiser. Parler des femmes musulmanes sans les réduire à leur choix de porter ou non le voile est-il encore possible ? L’a-t-il déjà été ? La réalisatrice rennaise Lauriane Lagarde n’a pas souhaité poser la problématique en ces termes là.

Et si la question du voile occupe majoritairement l’espace dans son documentaire À part entière (production rennaise – Mille et une films) elle n’en est toutefois pas l’étendard de l’oppression masculine et trouve une ouverture dans ce symbole empli d’histoires personnelles, de ressentis et de vécus.

Les Rennaises musulmanes que Lauriane filme livrent leurs paroles au sein du collectif ainsi qu’à travers leurs individualités et parcours. Entre réflexions, confidences et contradictions, elles dévoilent leurs interprétations et leur rapport à la religion mais aussi aux autres, aux corps et à la féminité. Mais le féminisme peut-il rimer avec l’Islam ? 52 minutes ne suffiront pas à répondre à cette interrogation qui fait rage dans le débat militant. Et là n’est pas l’objectif du film qui se veut un témoin éclairé de l’action de l’association d’Al Houda, sans jugement ni morale.

UNE THÉMATIQUE CHOISIE

C’est en se confrontant à la difficulté pour les croyants musulmans de bâtir une mosquée à Villejean que Lauriane a eu l’idée de se tourner vers les femmes musulmanes et de réaliser un documentaire sonore auprès de Fouzia, une des fondatrices en 1996 de Al Houda.

« J’ai rencontré les femmes de l’association. Elles revendiquent l’égalité entre les sexes. Pour moi, la religion ne nous sépare pas vraiment. Elles rencontrent des difficultés qui leur appartiennent mais je me retrouvais dans ces femmes-là. »
explique Lauriane Lagarde, la réalisatrice.

De fil en aiguille, elle assiste aux réunions, ateliers, cours, actions à destination du grand public. L’objet du documentaire s’oriente rapidement autour des différentes réflexions au sein de ce groupe sur le port du voile, les événements organisés à cette époque, entre 2012 et 2015, étant en lien étroit avec cette thématique, « mais ce n’est pas le sujet principal… C’est ce qui est le plus instrumentalisé et diabolisé en France », assure Marjolaine Peuzin, membre de l’association.

Mais par dessus tout, Lauriane Lagarde désire que la caméra ne soit qu’un biais pour exprimer leurs points de vue. Sans voix off. Et ainsi que le spectateur soit le « seul juge », libre d’analyser et de penser en conséquence.

UN QUESTIONNEMENT PERMANENT

Elles sont de générations différentes. Elles portent un hijab, un foulard, un bandeau, un bonnet ou apparaissent tête nue, chacune se veut libre de son choix et dans son droit. Elles échangent autour des versets du Coran. Et elles s’interrogent. Doit-on porter le voile en France ? Comment vivre sa foi sans heurter les musulmans ou les non musulmans ? Ne se posent-elles pas trop de questions ? Ne se forgent-elles pas leurs propres barrières ? Comment agir pour faire évoluer les mentalités ?

Autant d’interrogations pour une multitude de réponses. Des réponses qui trouvent leurs sources dans leur interprétation des textes sacrés et dans les valeurs inculquées par leur religion, leurs éducations, leurs histoires personnelles, sur lesquelles certaines membres se confient. Entre tiraillements, réalité parfois brutale face à l’islamophobie, discriminations, entre incompréhension et tolérance, elles abordent leurs quotidiens, sans haine, avec douceur et ferveur. Défendant leurs convictions mais aussi leurs conditions de femmes dont elles revendiquent des droits équivalents à ceux des hommes.

DES ESPRITS ET CORPS LIBRES

« À part entière montre de manière fidèle ce que l’on dit, ce que l’on pense, explique Marjolaine. Le film pourra peut-être aider à montrer que derrière les femmes voilées, il y a des personnes. »

Et que sous le voile, il y a des cerveaux, précise la réalisatrice qui défend finalement à travers son travail le droit de revendiquer le choix de porter le voile ou non, d’assumer la religion et de la pratiquer de la même manière. « Elles se réunissent, elles ne sont pas toujours d’accord mais elles se respectent. Elles réfléchissent constamment à leur religion, à ses paradoxes, ses difficultés et se l’approprie. », souligne-t-elle.

Si elle refuse de parler de film sur l’émancipation des femmes, Lauriane Lagarde dépeint ici à travers sa caméra des portraits de femmes libres. Dans leurs esprits et dans leurs corps. Elle jalonne son documentaire de scènes d’expression verbale et d’expression corporelle avec le projet chorégraphique de Morgan Davalan, « travaillant sur l’hybridation identitaire, la rencontre avec l’autre », précise Marjolaine Peuzin.

On voit ainsi plusieurs femmes de l’association, prendre place dans l’espace public. Parées de différents voiles colorés, elles jouent avec le visible et l’invisible. Ce qui est caché et ce qui est montré. Casser l’image du voile qui fige celle qui le porte. « L’idée est de surprendre le spectateur. Ce sont là des corps qui bougent. Le rapport au corps est très important. », conclut la réalisatrice.

Le film sera diffusé en avant-première au cinéma Arvor le 7 novembre à 11h et sur les chaines locales bretonnes (TVR, Tébéo, Tébésud) le 26 novembre à 20h45.

Fonds Dreyfus - Musée de Bretagne

Réhabiliter Lucie Dreyfus, oubliée de l'Histoire

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Rennes
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Le 30 septembre dernier a été publié le livre Lucie Dreyfus, la femme du capitaine, d'Elisabeth Weissman, journaliste. L’occasion de s’intéresser à une figure féminine oubliée de l’Histoire qu’elle a pourtant marqué.
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Le 30 septembre dernier a été publié le livre Lucie Dreyfus, la femme du capitaine, signé de la plume d’Elisabeth Weissman, journaliste et essayiste. L’occasion de s’intéresser à Lucie Dreyfus, une figure féminine oubliée de l’Histoire qu’elle a pourtant marqué.

15 octobre 1894. Lucie Dreyfus attend que son mari, Alfred Dreyfus officier de l’armée française, rentre déjeuner. Ce midi-là, comme tous les autres pendant les 5 années suivantes, il ne viendra pas.

Accusé de haute trahison envers son pays, il est arrêté, dégradé, emprisonné puis déporté en Guyane.

Plus de 100 ans plus tard, l’histoire du capitaine reste dans les mémoires. Pas celle de Lucie, à tort, qui va pourtant jouer un rôle fondamental dans l’Affaire.

C’est ce qui a poussé Elisabeth Weissman à se lancer sur les traces de cette épouse aimante et mère de famille attentionnée qui se révèle au fil des pages être une force de la nature décrite par l’auteure comme « une très belle figure, un très bel exemple de droiture, qui ne répond qu’à sa conscience, qu’à son devoir. »

SE PLONGER DANS L’HISTOIRE

« J’ai cherché sur Internet, il n’y avait quasiment rien sur Lucie. Et ça m’intéressait de faire une biographie sur une femme qui a marqué la grande Histoire. Cela m’avait plu de faire la biographie sur Coco Chanel mais c’était une commande. », explique l’auteure de Lucie Dreyfus, la femme du capitaine, publié aux éditions Textuel le 30 septembre dernier.

Une manière de réhabiliter l’oubliée mais aussi de visiter une époque, son époque à elle. Celle d’une IIIe République fragile, à la solde de l’armée, avec un ministère de la Guerre ou encore un ministère des Colonies, un Président de la République – Jean Casimir-Périer – qui assurera le mandat le plus court de l’histoire des Républiques (soit 6 mois et quelques jours) avant de laisser la place à Félix Faure.

« Je ne suis pas historienne, je suis journaliste. J’ai fait une enquête journalistique sur Lucie pendant 3 ans. Heureusement, j’ai pu rencontrer des témoins vivants avec le petit-fils et l’arrière petit-fils du couple Dreyfus. », précise Elisabeth Weissman. Et pour le reste, elle a écumé les bibliothèques et les services d’archives en France, en Suisse et en Israël, a reçu des cours de graphologie par des historiens afin de déchiffrer une lettre de Jean Jaurès, par exemple :

« Ils m’ont enseigné la méthode précise, c’est très méticuleux lorsqu’on numérise les documents, il faut les grossir, les rétrécir puis les re-grossir à nouveau… ça m’a pris 2 ans de lire toutes les correspondances, toutes les lettres, tous les documents. »

RENNES, PASSAGE OBLIGÉ

Et passe même plusieurs semaines à Rennes, visitant le lycée Emile Zola, détours obligé pour marcher sur les pas du célèbre « J’accuse », et se rendant surtout au musée de Bretagne qui détient le fonds Dreyfus depuis 1978, une des collections les plus importantes sur l’Affaire Dreyfus, comptabilisant 6800 pièces, consultables sur le site Internet du musée, et qui ne cesse de grossir ses rangs avec notamment l’acquisition récente d’une carte de presse d’un journaliste présent lors du procès de Rennes en 1899.

« L’ancien conservateur était un passionné de l’histoire  de Dreyfus, c’est lui qui a mis ça en place avec la donation de Jeanne Lévy, leur fille. Il y a quelques éléments sur Lucie dans l’exposition permanente du musée de Bretagne mais pas beaucoup. », déclare Laurence Prod’Homme, conservatrice du musée de Bretagne depuis 1989 et responsable du fonds Dreyfus.

Concernant de nouveaux éléments visant à présenter Lucie Dreyfus et lui donner la place qu’elle mérite, peu de solutions sont envisagées. « C’est très difficile de faire bouger les choses rapidement. Cela prend des années et des années. Et puis, vous voyez l’expo Dreyfus, c’est très fermé comme muséographie. », justifie Laurence Prod’Homme. Pour la conservatrice, pas question de minimiser le rôle joué par l’épouse du capitaine mais aucun élargissement ne s’ouvre à l’horizon.

« C’est une injustice de faire perdurer son petit rôle. C’est une époque d’hommes et ce sont eux que l’on retient : Mathieu Dreyfus, les intellectuels qui se sont engagés, les hommes politiques… Lucie est tombée dans l’oubli après l’Affaire. Eux, moins. Mais tout comme la journaliste Séverine par exemple (journaliste écrivant dans le quotidien féministe La Fronde, fondé par Marguerite Durand, présente au procès de Rennes, ndlr), on ne parle pas beaucoup d’elle non plus… », détaille-t-elle.

Et même si l’historien, spécialiste de l’affaire Dreyfus, Vincent Duclert a déjà publié un article sur Lucie, la majorité des professionnels ne s’intéresse pas à cette figure féminine si dévouée à la cause de son mari dans cette Affaire.

« Les historiens sont encore majoritairement des hommes et il y a une manière d’écrire l’Histoire, ce n’est jamais neutre. »
déclare la conservatrice du musée de Bretagne, ravie d’avoir vu débarquer une journaliste souhaitant orienter son ouvrage sur Lucie Dreyfus.

« On a souvent des demandes d’universitaires qui viennent faire des recherches dans le fonds Dreyfus. Là, c’était différent. Première fois qu’une journaliste s’y intéressait. Et à travers l’angle de la femme en plus ! », conclut-elle enjouée, avouant une légère déception à la lecture du livre de ne pas trouver plus de sources inédites et de pas en connaître davantage sur l’enfance, l’adolescence et la construction de Lucie.

UNE FEMME DISCRÈTE ET EN RETRAIT

Pour les novices, plus de 300 pages permettent à travers ce livre de découvrir l’Affaire Dreyfus sous un angle particulier. Au delà du rappel des faits et du contexte socio-politique, c’est un portrait dressé avec justesse, précision et surtout sans exagération que nous propose l’auteure de La désobéissance éthique, La nouvelle guerre du sexe ou encore Un âge nommé désir – Féminité et maturité.

Car il aurait été commode de dépeindre une femme engagée et précurseure de son époque. Loin de là, puisque Lucie refusera catégoriquement tous les contacts avec les journalistes féministes qui plaideront pourtant à 100% la cause du détenu accusé à tort. Et  ne souhaitera à aucun moment être dans la lumière médiatique.

« C’est difficile de se replacer dans ce contexte-là. Mais à l’époque, il y avait un rôle pré-déterminé dans les familles et il était logique qu’avec son éducation bourgeoise et sa condition de femme, elle soit en retrait. Pourtant, elle est beaucoup intervenue dans l’Affaire, notamment dans sa correspondance avec les ministres. »
souligne Laurence Prod’Homme.

Et quand on lit la chronologie très détaillée de l’Affaire sur le site du Musée d’art et d’histoire du Judaïsme, le nom de Lucie n’apparaît qu’au bout d’une année (elle demande la révision du procès en 1895) et ne sera mentionné qu’à 5 reprises.

Pour la conservatrice du musée de Bretagne et l’auteure, Lucie Dreyfus est représentative de son époque, soit « mineure en politique, sans aucun droit ». Elle s’est mariée jeune, a eu des enfants très rapidement, est de nature discrète, bien éduquée, bien sous tous les rapports.

Elisabeth Weissman voit en elle quelque chose de novateur. Qui l’incite à la découvrir avec admiration et respect. Républicaine conservatrice, quasi anti-féministe, et pourtant ne répondant qu’à son objectif : se battre pour la dignité de son mari qui va connaître toutes les humiliations en étant dégradé dans un premier temps puis traité en prison sans aucune considération, isolé et bafoué dans sa condition d’être humain.

DIGNE DANS TOUTES LES ÉPREUVES

Amoureuse, elle ne cessera de lutter et de correspondre avec celui qu’elle chérit tant et pour qui elle serait prête à tout quitter pour le rejoindre et partager le fardeau. Et c’est certainement grâce à elle qu’il survivra les 5 années de réclusion durant, lui promettant de ne pas mettre fin à ses jours. « Ce couple a une grande valeur et une grande noblesse de caractère, s’exclame Elisabeth Weissman. Ils se battent pour universaliser leur combat, celui de la Justice républicaine. Ils n’en ont jamais fait une affaire juive et ne souhaitaient pas en faire une affaire juive malgré l’antisémitisme latent déjà à cette époque. »

Lucie, humble et modeste, ne voudra jamais être érigée en héroïne, le dira très clairement à son amie Hélène Naville avec qui elle correspond très régulièrement (comme avec beaucoup de gens puisque Lucie recevra des milliers de lettres de soutien du monde entier), et assumera sans complexe le rôle de la femme de l’ombre.

Néanmoins, sans conscientiser ses actions guidées par la volonté de faire revenir son mari en France afin qu’il soit libéré et réhabilité, elle crée les possibilités de l’Affaire, ne baissant jamais les bras, demandant constamment la réouverture du procès, ne faiblissant jamais face aux affronts de l’administration qui lit et recopie toutes leurs lettres y compris les plus intimes. Elle accepte, sans baisser la tête, et dépasse sa condition de femme en s’adressant aux hauts gradés et aux ministres.

« Tout en étant discrète et réservée quant à sa condition de femme, en rapport à son éducation, elle balaye l’assignation sexuée attribuée à la gent féminine. Elle se montre même peu conventionnelle pour aller retrouver son mari, elle serait prête à quitter ses enfants. Elle déborde complètement du cadre par moment en intervenant auprès des hommes politiques, en signant des pétitions et des lettres et surtout en s’indignant. », s’emballe la journaliste qui après avoir passé 3 ans à côtoyer et caresser la mémoire de Lucie semble toujours aussi passionnée par son sujet.

PARALLÈLE ENTRE LES SOCIÉTÉS

Car ce qui l’anime en parallèle de ce portrait, c’est de créer une ouverture sur le monde qui s’instaure par le biais de l’intimité de l’individu. D’humaniser, de particulariser, de féminiser une partie de l’Histoire « sans faire de la mauvaise psychologie, en ne lâchant pas le contexte. » Un contexte passé qui trouve pourtant écho dans l’actualité avec la crise économique, le relent d’antisémitisme, de racisme, l’image des hommes virils et poilus, le rôle restreint des femmes, le pouvoir de la presse avec la naissance d’une presse d’opinion…

« On voit à cette époque les soubresauts des paparazzis, les journalistes et les médias qui répandent des rumeurs sur l’état physique de Lucie par exemple. C’est le début de la presse caniveaux et on y voit le pouvoir de la manipulation et la contre information. »
s’insurge la journaliste.

Autre élément que l’on perçoit de manière abrupte et qui n’évolue que trop doucement : « L’épouse n’est jamais assimilée dans l’Histoire. Il n’y a rien pour Lucie sur la plaque figurant dans la rue où ils ont vécu alors qu’on signale pourtant que c’est ici que vivait le capitaine Dreyfus. On note toujours le grand homme. Elle, elle a été une grande femme. »

 

Légendes photos :

  1. Lucie Dreyfus et son père devant la prison de Rennes.
  2. Lucie Dreyfus et ses enfants.
  3. Journalistes du quotidien féministe La Fronde.

Célian Ramis

Laïcité, bastion de l'émancipation

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Rennes
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À quel point laïcité et droits des femmes sont-ils liés ? Enquête au coeur d'une situation complexe.
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Croyants et non croyants, État et Églises, tous trouvaient leur compte dans la laïcité. Cette conquête républicaine est aujourd’hui ébranlée et ses défenseurs accusés d’anticléricalisme et d’islamophobie. La laïcité est devenue source de conflit et divise le peuple français. Car jamais valeur n’a autant exalté les passions, catalysant à la fois de forts ressentiments proches de la haine obscure et une grande confiance proche de l’amour aveugle.

Plus encore depuis les attentats de janvier dernier. Aussitôt, on a convié la laïcité à la table de tous les débats et dans les colonnes de tous les journaux. Parfois à tort, souvent sans savoir(s), toujours fébrilement. YEGG cèderait donc à la mode médiatique ? Pas tant que cela. Depuis un an déjà la rédaction réfléchit à cette notion en tant que vecteur d’émancipation des femmes et garantie d’impossibles régressions machistes, et s’interroge : la laïcité est-elle à la base de l’égalité des sexes ? 

NOTA BENE : La rédaction a sollicité un certain nombre d’experts, locaux et nationaux, universitaires, politiques, associatifs, religieux, qui n’ont pas pu – pour raisons de santé ou d’emploi du temps - ou voulu répondre. 

La population que l’on a fait venir du Maghreb à des fins économiques s’est sédentarisée. Dans ses bagages, une langue, une culture, des coutumes, comme dans ceux, avant elle, des Italiens, Espagnols, Polonais ou Portugais. Le fait nouveau ? Un passé colonial douloureux et sa religion. La loi de 1905 n’avait pas prévue cela, et l’État n’a pas su éviter la crise. Au contraire, ses atermoiements ont fini d’envenimer la situation. Manque de discernement ou inconscience ? Aveuglement naïf et laxisme lâche ? Peur et culpabilité ? Stratégie électoraliste ?

Quoi qu’il en soit, il règne aujourd’hui autour de la laïcité trop d’ignorance, de confusions et d’amalgames, d’idées reçues et de rumeurs. On fait passer la laïcité pour anticléricale, intolérante et liberticide, avec pour seul but de bouter le sacré et les religions hors de France et de faire de l’athéisme le nouveau crédo imposé par l’État. Pourtant, le principe est tout autre, pensé pour tous les croyants, quel que soit leur culte, pour qu’ils cohabitent en paix. Une idée plutôt saine, généreuse, libertaire qui prône et défend la liberté de conscience et qui assure la neutralité de l’Etat. Une idée des Lumières.

FILLE DES LUMIÈRES

Les penseurs du 16e siècle – ceux qu’Emile Poulat* appelle les « pères spirituels de l’idée de laïcité » - veulent mettre fin aux massacres barbares des guerres de religions, et faire revenir la paix civile. Pour cela, ils opposent passions et violences religieuses à la Raison. Ils conçoivent les prémices de la loi de 1905. Il faut attendre la Révolution Française pour que l’Ancien Régime, et avec lui le droit divin, soit aboli.

« Il s’agit au départ de l’affirmation des droits du sujet, des droits de l’Homme : chaque individu doit pouvoir se construire à partir de sa propre liberté de conscience, détaché de la vérité de l’Église, c’est le principe d’autonomie. À cela s’ajoute le principe de neutralité de l’État, lequel n’est plus au service de l’Église, du catholicisme. Il ne prend pas en compte la religion de ses sujets, et il assure la même liberté de conscience à tous. C’est ce que l’on retrouve dans l’article 10 de la Déclaration des Droits de l’Homme. C’est à partir de cela que se construit la laïcité française », explique Philippe Portier, chercheur, historien et sociologue des religions, co-auteur de La Laïcité. Une valeur d’aujourd’hui ? Contestations et renégociations du modèle français, aux Presses Universitaires de Rennes.

Le XIXe siècle est marqué par les débats et les lois qui dessinent peu à peu les contours de la laïcité. Les discussions sont riches, les disputes nombreuses. Ce n’est qu’en 1878 que le mot « laïcité » est inscrit dans le « Dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire » par Ferdinand Buisson. Les hommes de la IIIe République vont créer le cadre juridique nécessaire à l’application de ce principe. Hugo, Gambetta, Clémenceau, Briand, Combes, Jaurès, l’abbé Lemire mènent les députés laïques jusqu’à la loi de décembre 1905.

Elle se définit ainsi : la liberté de conscience est assurée par la République qui « garantit ainsi le libre exercice des cultes », pour peu qu’il ne s’exprime pas dans le domaine public et ne trouble pas l’ordre public. « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte ».

L’ÉCOLE, BASTION DE LA LAÏCITÉ

De 1880 à 1882, Jules Ferry fixe les règles de l’enseignement gratuit, laïc et obligatoire. En ôtant aux religieux l’instruction des enfants, on décide de leur donner la liberté de conscience : « Par l’éducation, il faut apprendre aux enfants la liberté de penser par soi-même, leur montrer que la réflexion ne se réduit pas aux croyances », juge Elisabeth Badinter. C’est le choix de l’intelligence, du libre arbitre, de l’indépendance d’esprit, aux enfants de se forger leurs propres opinions, de devenir autonomes.

Car l’école apprend le pluralisme et la diversité en refusant de favoriser le communautarisme. Les écoliers s’épanouissent dans un espace commun où l’égalité de tous est indiscutable et pour cela il faut des règles de vie collective, la laïcité en est la première. L’école de Jules Ferry a été conçue pour cela. C’est chez elle que les jeunes esprits apprennent l’égalité et la liberté, l’égalité de tous quelle que soit leur religion et la liberté de pratiquer sa religion, en privé. En outre, l’école laïque a permis l’égalité des sexes.

LA LAÏCITÉ, ALLIÉE TARDIVE DES FEMMES

« Au départ, le principe de laïcité ne prend pas du tout en compte la question féminine et les droits des femmes, la même hiérarchie est conservée : les femmes sont minoritaires et inférieures. Cet élément de minoration durera jusqu’après la Seconde Guerre mondiale. C’est avant tout une question institutionnelle et on laisse les questions culturelles de côté. Car la relation hommes/femmes relève d’une culture qui n’a pas à être modifiée par la loi. Même sous la IIIe République, la redistribution de genre n’est pas de mise, sauf à la marge, avec Paul Bert par exemple. Si la culture des politiques de la IIIe est celle de l’émancipation, un domaine y échappe, celui de l’intime, car ils sont marqués par des normes très imprégnées de catholicisme. La famille a une définition ancestrale et ne bouge pas », expose Philippe Portier.

Certes, à partir des années 1870-1880 les écoles sont ouvertes gratuitement aux petites filles, lesquelles peuvent aussi devenir institutrices, néanmoins on ne leur donne pas la même éducation : « On les éduque pour qu’elles deviennent des mères de familles républicaines. Le programme scolaire parle de « travaux d’aiguille », ce sont de vieux schémas très stéréotypés », poursuit Philippe Portier.

La laïcité à travers l’école a donc lentement participé à l’émancipation des filles. Fondée sur les idéaux de 1789 et de la Déclaration des droits de l’Homme, elle est étroitement liée à un principe qu’on ne cesse d’évoquer depuis la Révolution, celui d’égalité. Mais comment l’assurer si la femme n’est pas l’égale de l’homme ?

« Cette dynamique de l’égalité, symbole de la modernité, ne peut plus exclure les femmes, le mouvement s’amorce au début du XXe siècle. Alors les filles ont le droit de passer le même baccalauréat que les garçons, puis on donne une personnalité juridique aux femmes. On pourrait ainsi dire que les droits des femmes dépendent plus du principe d’égalité que de celui de laïcité »
constate Philippe Portier.

L’argument de la laïcité pour servir les femmes ne sera invoqué qu’à partir des années 1960, notamment lors du vote de la loi Veil. Alors seulement la laïcité va toucher la part intime de la vie. « Il reste encore des éléments de culture chrétienne dans notre loi, le combat laïque fait obligation de les remettre en cause », analyse Philippe Portier.

LES LAÏQUES ANTI-FÉMINISTES ?

Jean Baubérot, sociologue et historien de la laïcité, dit « qu’il a existé en France, pendant le XIXe siècle et une partie du XXe, un anti-féminisme laïque. Les femmes étaient supposées être « naturellement » plus sensibles à l’autorité cléricale ». Une thèse défendue par la sociologue et militante féministe Monique Crinon : « La prépondérance du patriarcat n’est pas l’apanage des seules idéologies religieuses, il s’éploie au sein mêmes des forces laïques, qu’elles soient ou non athées ». Une société patriarcale où le poids de la culture catholique pèse sur la sphère intime, même chez les laïques les plus fervents, a donc longtemps entravé le féminisme.

Si les Républicains ont refusé l’égalité des femmes par crainte de désordre, on note également que les textes religieux ont été écrits par des hommes et seulement des hommes, « Le plus souvent les clergés, de quelque religion ou idéologie qu’ils soient, sont masculins ; en ce sens La Libre Pensée est féministe afin de combattre une funeste attitude qui perdure dans toutes nos sociétés. Aucune différence d’humanité entre les individus n’est légitime. Je refuse tout essentialisme en la matière, je ne prise rien tant que les individus égaux en droit », confie Michel Le Normand de La Libre Pensée.

1989, UN TOURNANT

« Ces deux mouvements (laïcité et féminisme, NDLR) se sont inscrits dans des temporalités différentes avant de se retrouver, non sans contradiction, en 1989 autour d’une affaire de foulard », suggère Jean Baubérot. Et l’intellectuel de poser la question : « Est-ce la femme qui doit s’émanciper ou est-ce l’État républicain qui doit émanciper les femmes ? ». Si pendant 200 ans laïcité et féminisme se sont donc peu croisés, ils ne se quittent plus depuis 30 ans, enchaînés dans une liaison houleuse. Au nom de la laïcité, qui permet la paix sociale, on demande que les signes ostentatoires restent confinés à la sphère privée et aux lieux de culte.

On parle ici à toutes les religions. Pourtant, le voile et la burqa interpellent sur la condition de la femme, quelle signification leur attribuer ? « Est-ce une aliénation ou au contraire un symbole de l’autonomie de la femme ? », interroge Philippe Portier. On a légiféré fermement sur la burqa et opté pour le compromis républicain concernant le voile simple. Invoquerait-on trop la laïcité ? Emile Poulat* le pense, elle n’avait notamment pas sa place en 2010 dans l’interdiction de la burqa : « Il suffit d’une loi qui soit dans la nature des choses. Le seul principe, c’est que chacun doit être identifiable en permanence », affirme-t-il.

Une incompréhension réciproque et beaucoup d’hypocrisie voilent le débat et empêchent de trancher entre une interdiction ferme et le fameux compromis républicain. Michel Le Normand le rappelle, La Libre Pensée a été dès le début contre le port du voile dans les écoles, mais pour une liberté absolue dans l’espace public tant qu’il n’y a pas atteinte à l’ordre public, avant d’ajouter : « Pour les horaires des piscines et toutes autres manifestations communautaristes, je suis plus circonspect parce que la promotion, sur le domaine public, de ces pratiques, me semble d’abord anti-féministe et cacher l’emprise machiste des religions sur les corps et spécifiquement des femmes ».

Il serait donc question de libertés publiques et d’intérêt général, de paix civile et de respect de tous les cultes. Des principes qui s’opposent. D’un côté le lien social, de l’autre la liberté et l’autonomie. Autant de valeurs chères à la France. « La laïcité consiste dans le fait qu’il n’y a plus de religion officielle et qu’il y a place pour tous les cultes. (…) Sous l’aspect strict de la laïcité, ces questions ne valent pas les passions qu’on y met souvent. La laïcité est une culture qui permet l’intégration de tout le monde mais qui ne peut la garantir. C’est un dispositif fondamental qui fait place à tous. Ni plus ni moins. La laïcité est structurellement ambiguë dans la mesure où elle inclut ceux qui l’excluent », retient Emile Poulat*.

L’ÉMANCIPATION DANS LA RELIGION ?

Alice Picard, étudiante à l’IEP de Rennes, a travaillé pendant presque un an à son mémoire « La cause des femmes musulmanes. Porte-parole et confiscation de leurs voix ». Au cours de ses recherches et entretiens avec différentes associations féministes rennaises, elle met le doigt sur la complexité du sujet : « On sent un malaise sur les termes employés. Et quand on aborde la question du voile, beaucoup se replient comme des huitres. On se replie souvent derrière l’argument de la laïcité. » Une carte qui pourrait être interprétée comme liberticide.

Pour cette militante altermondialiste et féministe, il apparaît rapidement que les femmes musulmanes doivent être entendues, s’intéressant précisément à celles qui vivent en France - « le port du voile ayant une signification différente selon la situation géographique » - et que ces dernières peuvent s’émanciper dans et avec leur religion. « Chez Al Houda (association des femmes musulmanes de Rennes, ndlr), elles se battent clairement pour les droits des femmes et posent toutes les questions autour de l’émancipation et du pouvoir patriarcal. », souligne-t-elle.

L’argument de l’émancipation dans la religion n’est pas sans conteste et s’opposent alors féminisme laïc et féminisme religieux, et particulièrement le féminisme musulman (ou islamique). Dans le premier, on affirme le parallèle indéfectible entre laïcité et égalité des sexes, le féminisme étant ancré dans une tradition moderne et laïque, et on prône l’universalité de ces droits. Wassyla Tamzali, militante féministe algérienne, s’insurge contre les intellectuels et la société européenne qui concèdent des droits différents aux femmes issues des pays musulmans.

« Elles n’ont pas renoncé à réaffirmer, chaque fois que c’était nécessaire, que le droit des femmes à disposer de leur corps n’était pas négociable parce qu’il était le pivot de la pensée féministe. Et pourtant, devant les hadiths, versets et autres éléments de la culture charaïque (…) devant le consentement de certaines femmes à dissimuler leur corps, à le «marquer» des signes de la domination patriarcale par le voile, s’agissant des femmes musulmanes, elles relativisent ce principe pour lequel elles se sont battues, un principe qui perdrait son sens pour des femmes de cultures différentes », écrit-elle dans son ouvrage Une femme en colère – Lettre d’Alger aux Européens désabusés.

Dans le second, on réinterprète les textes du Coran, de la Bible ou encore de la Torah. Néanmoins, l’actualité se concentre moins sur ce dernier, Delphine Horvilleur, rabbin en France, dit à propos du judaïsme qu’il est le cœur de l’interprétation des textes. Interrogée sur la place des femmes dans la religion juive, Ann Nusimovici, présidente de l’Association culturelle et cultuelle israélite de Rennes, ne s’étend pas sur le sujet. Soufflée par la voix d’un homme que l’on perçoit à travers le téléphone, elle explique : « Il y a différents courants de pensée. Pour les libéraux, la parité entre les hommes et les femmes est établie depuis longtemps. Pour d’autres, il existe des rituel religieux qui peuvent être différents pour les femmes et pour les hommes. »

Hormis cela et la transmission de la religion par la mère de famille, elle ne souligne aucune différence et le lien entre les droits des femmes et la laïcité ne semble pas évident à cela près :

« La lutte pour l’égalité femmes-hommes est nécessaire. L’État peut choisir la place des femmes dans la société. Et l’évolution de la société influence forcément les religions. »

 Pour la chercheuse Zarah Ali, la relecture du Coran réhabilite les droits des femmes dont le port du voile serait l’étendard contre le racisme et le sexisme qui se propagent en Occident. Elle note dans son livre Féminismes islamiques : « Les féministes musulmanes proposent une libération qui pose un tout autre rapport au corps et à la sexualité : un rapport marqué par des normes et une sacralisation de l’intime, et par une défense du cadre familial hétérosexuel. »

Pour Asma Lamrabet, médecin biologiste au Maroc et féministe, interviewée par Le Monde des religions (n°71 – mai-juin 2015, consacrant un dossier aux Femmes dans l’Islam) l’opposition entre ces deux féminismes n’est apparente qu’en France, où il serait difficile de discuter du fait religieux : « Au Maroc, il y a également des féministes laïques. Nous travaillons main dans la main, car elles ont conscience que, dans une société majoritairement musulmane, la religion reste incontournable. Nos objectifs sont les mêmes : la liberté et la dignité des femmes. »

QUESTION D'INTERPRÉTATIONS

Des valeurs défendues par les membres d’Al Houda, association créée à Rennes en 1996 par les femmes musulmanes de la mosquée de Villejean, qui revendiquent l’émancipation et l’épanouissement des femmes, passant par la relecture des textes : « Il faut du temps pour s’émanciper des textes sacrés. Surtout quand on pense que la femme a été créée de la côte d’Adam, plaisante Marjolaine Peurin, membre de l’association, convertie à l’Islam depuis plusieurs années. Alors que là aussi il y aurait un glissement de sémantique. »

Les interprétations masculines ont permis aux hommes d’instrumentaliser les textes pour réduire les femmes à une infériorité naturelle. À elles à présent de proposer leur vision et compréhension des écrits à travers leurs références contemporaines. Et de déconstruire les idées fausses et amalgames réunis autour de leur condition sans cesse ramenée à leur religion. « On pense que la laïcité affaiblit les religions et donc libère les femmes. Le voile est interprété comme le symbole du fascisme islamique. Mais on a le droit de s’habiller comme on le veut. », explique-t-elle, précisant que cela ne réfute en rien leur respect du principe de laïcité.

Kaoutar Assali, secrétaire de l’association, défend la liberté de conscience, de choix. Celle qui « embrassé l’Islam en faisant la prière et en portant le voile » à l’adolescence alors qu’elle n’était pas pratiquante reconnaît qu’elle a, plus jeune, estimé la religion musulmane avilissante pour les femmes. Les deux femmes pointent du doigt le raccourci établit entre condition de femmes musulmanes et liberté individuelle, qu’il s’agisse d’une question vestimentaire ou de pudeur face au professionnel chargé de les ausculter.

« La carte de la laïcité est parfois brandie pour ne pas permettre le choix aux femmes. On a quand même le droit de se sentir plus à l’aise face à une femme médecin. »
conclut Kaoutar.

L’association qui défend la place des femmes dans la société et le respect des libertés fondamentales, telle que l’égalité, ne se définit pas dans ses statuts comme féministe, contrairement à Action Catholique des Femmes. Une volonté essentielle pour la responsable départementale, Françoise Ravary-Dalibart. « C’est important pour nous, on a voulu exister autrement, prendre conscience que l’on n’a pas à tout supporter. Certaines ont pu prendre des forces et de l’énergie pour évoluer », souligne-t-elle.

Pouvoir exprimer son désaccord avec le discours de l’institution, qu’elle différencie de la foi, est une nécessité pour ne pas se laisser dicter sa vie au quotidien. Tout comme Kaoutar et Marjolaine, elle accorde une grande importance à la liberté de choix, de conscience, de diversité. « Chacun fait ses choix. L’Église propose une orientation mais n’a rien à nous imposer. Par exemple, c’est important que le Mariage pour tous soit autorisé, que la loi autorisant l’IVG existe ! Si cette loi était menacée en France, j’irais manifester. », exprime-t-elle.

Les femmes, majoritaires dans la vie de l’Église, sont néanmoins plus écartées du pouvoir décisionnaire de l’institution. Raison pour laquelle ses membres se sont attelées à la rédaction d’un plaidoyer sur la place des femmes. Leur leitmotiv dans l’association, créée en 1906 en réaction à la loi de 1905 pour défendre les curés et les bonnes œuvres, « et qui a su évoluer avec son temps par la suite », c’est le respect de chacun dans ses différences, pouvoir co-exister, co-habiter et ne subir aucun inconvénient du fait de sa religion.

Toujours dans le respect également du principe de laïcité, « une évidence pour nous et nous n’avons aucune envie de revenir en arrière ». Être ouvert à tous, accepter la diversité pour échanger et évoluer, voilà les valeurs que ce groupe de femmes défendent, en se réunissant une fois par mois et en organisant des événements à l’occasion du 8 mars, journée internationale des femmes, par exemple, et qui communient entre la religion et la laïcité.

PRIORITÉ ÉDUCATION

Ancienne enseignante en primaire, Françoise Ravary-Dalibart croit en la mission de l’éducation et regrette le tôlé, survenu l’an dernier, autour de l’ABCD de l’égalité : « Durant ma carrière, j’ai vu des enseignants pris dans les stéréotypes sur les rôle des filles et des garçons. D’autres non. C’est une démarche individuelle. »

Et ce n’est pas Françoise Soulimant qui la contredira. Défenseure des droits des femmes et de la laïcité, ancienne enseignante et directrice d’établissement, elle s’investit aujourd’hui dans différentes associations comme le CIDFF 35 dont elle est la vice-présidente, tout comme dans l’association d’éducation populaire Aroeven, membre du Comité laïcité 35 qui a rédigé une charte de la laïcité. Sans oublier sa participation en tant qu’experte au Comité consultatif de la laïcité, lancé par la Ville de Rennes (lire encadré p.22) pour lequel elle a été auditionnée.

Chapeau de la République, la laïcité représente une ouverture sur l’autre. Elle y voit un parallèle probant avec l’évolution des droits des femmes, partant du droit de vote en 1944, « période à laquelle on commence à affirmer le principe de laïcité, dans la Constitution de 1946 », jusqu’à 1975 avec la loi sur l’avortement et les lois sur la famille. « Tous les droits qui vont vers des libertés individuelles sont liées à la laïcité. Ce sont des évolutions positives dans le cadre de la République », précise-t-elle, avant de souligner :

« On le voit bien, quand il y a un État religieux, c’est au détriment des femmes. Pareil quand il y a un recul démocratique. »

Pour elle, les crispations actuelles, autour du voile, des menus de substitution dans les cantines pour les enfants ne mangeant pas de porc et autres, n’ont pas lieu d’être. Dues à la méconnaissance de la culture de l’autre, la solution réside dans le dialogue et dans l’éducation. Aborder concrètement la laïcité dans les établissements scolaires, discuter autour de la citoyenneté, des valeurs de la République, des religions, intégrer dans les programmes scolaires des auteures étrangères… Une manière de développer la richesse culturelle des élèves et de reconnaître le monde qui nous entoure.

« La laïcité est une valeur concrète. Les jeunes, dans les collèges et lycées, en ont bien conscience et n’ont pas envie d’être menés en bateau par des détournements et des récupérations politiques. Et quand on aborde la laïcité, les jeunes filles établissent d’elles-mêmes le lien avec les droits des femmes ! », mentionne-t-elle, ravie et convaincue, qu’en restant vigilant au respect des droits, acquis et valeurs de la société et République, l’optimisme est de rigueur. La laïcité étant une garantie de l’égalité entre les individus et par conséquent entre les sexes.

 

BIBLIOGRAPHIE :

*Émile Poulat, Notre Laïcité ou les religions dans l’espace public, entretiens avec Olivier Bobineau et Bernadette Sauvaget, Éditions DDB Desclée de Brouwer.

Dictionnaire amoureux de la laïcité, Henri Pena-Ruiz, Plon

Lettre ouverte au monde musulman, Abdennour Bidar, Éditions Les Liens qui libèrent

Laïcité, une valeur menacée ? Hors Série magazine Marianne, février 2015

Le Monde des religions, Les femmes dans l’Islam, Numéro 71, mai-juin 2015

Une femme en colère – Lettre d’Alger aux Européens désabusés, Wassyla Tamzali, Gallimard

Féminismes islamiques, Zarah Ali, La fabrique

 

 

Si les mentalités sont divisées quant à l’application du principe de laïcité, chacun s’accorde à penser que l’école reste le bastion privilégié de la République, agissant sur la transmission des valeurs de notre société et permettant une éducation à la citoyenneté exemplaire.

CULTURE DE L'ÉGALITÉ ET VIVRE ENSEMBLE

En octobre 2013, le ministre de l’Éducation, Vincent Peillon à l’époque, présente la charte de la laïcité à l’école, issue de la loi de refondation de l’École (juillet 2013), obligatoire dans les établissements scolaires publics, et composée de 15 points rappelant le principe de laïcité et ce qu’il permet (égalité, croire ou ne pas croire, liberté de conscience, etc.). « La loi rappelle l’importance de la laïcité mais aussi de toutes les valeurs de la République que nous devons faire partager aux élèves. », souligne Loïc Bernard, référent laïcité depuis 2013, et inspecteur de vie scolaire, au sein de l’Académie de Rennes.

La Charte aborde, au 9ème point, l’égalité des sexes : « La laïcité implique le rejet de toutes les violences et de toutes les discriminations, garantit l’égalité entre les filles et les garçons et repose sur une culture du respect et de la compréhension de l’autre. » Pour Nicole Guenneuguès, chargée de mission égalité filles-garçons à l’Académie de Rennes, les thématiques de la laïcité et de l’égalité sont transversales et font tronc commun dans les missions de l’école visant à l’émancipation de chaque individu.

« La laïcité à l’école pose le fait que les croyances religieuses ne peuvent pas être des arguments recevables pour contourner les valeurs de la république. », explique-t-elle en insiste également sur les notions de libre-arbitre, de parcours de vie et d’orientation, auxquelles Loïc Bernard ajoute la construction de l’élève. « On leur apprend à développer leur sens critique. Les contenus des programmes, l’apport en connaissances, sont indispensables. Mais ils doivent être rapprochés de leur vécu. On appelle ça l’approche par compétences : dans le domaine professionnel, dans le couple, dans la vie de citoyen, etc. », explique Nicole Guenneuguès.

Et pour elle, cela passe par des actions concrètes déclinées en 3 axes (dans la convention interministérielle 2013-2018 signée en décembre dernier par le Rectorat, l’Académie, les collectivités territoriales) : acquérir et transmettre la culture de l’égalité, favoriser le vivre ensemble avec l’éducation à la sexualité et le respect entre les filles et les garçons, et choisir son orientation (elle prend pour exemple le manque de femmes dans les filières scientifiques).

Au-delà de la question des inégalités à réduire, les deux professionnels s’accordent et se rejoignent sur la nécessité du dialogue et du bon fonctionnement autour de la pédagogie de la laïcité et des valeurs générales de la République, veillant à la formation de l’individu épanoui et citoyen.

VALEURS UNIVERSELLES ET CIVIQUES

Si les établissements privés relèvent majoritairement de l’enseignement catholique, ils partagent la volonté de former leurs élèves aux principes de la citoyenneté et de la laïcité. Sémi est le papa d’une fille de 9 ans, Inès, inscrite à Notre-Dame-des-Miracles, école élémentaire privée de Rennes. Pour lui, qui a effectué toute sa scolarité dans le public, l’éducation de son enfant est fondamentale et souhaitait lui donner accès à un enseignement de qualité supérieure.

« Quand il a fallu l’inscrire ici, je me suis renseigné sur cette école et j’y ai trouvé des valeurs auxquelles j’adhère en tant que musulman, comme l’entraide et la solidarité par exemple. », explique-t-il. Et si l’école privée permet l’expression de la croyance en un Dieu et fait vivre une identité chrétienne (axe inscrit dans le projet éducatif de l’établissement), elle dispense également l’éducation à la citoyenneté à travers la transmission des valeurs universelles et civiques, essentielles pour le père d’Inès.

« Elle a des cours d’éducation civique où elle apprend ce qu’est la République, la démocratie, la Marseillaise et elle a récemment appris ce qu’est la laïcité. C’est un peu le bordel dans sa tête avec la double culture (franco-tunisienne, ndlr) mais ça viendra. », conclut-il.

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Liberté, laïcité, égalité (des sexes) ?
La laïcité, socle de l'émancipation ?
Le principe de la laïcité
Éducation à la citoyenneté

Célian Ramis

Mathilde Seigner, dans la peau d'une mauvaise mère ?

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Cinéma Gaumont, Rennes
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Une mère peut-elle et doit-elle aimer son enfant de manière inconditionnelle, même quand ce dernier dévoile « défaillances » et violence ? C’est la question que pose la réalisatrice Christine Carrière dans son film, Une mère.
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Une mère peut-elle et doit-elle aimer son enfant de manière inconditionnelle, même quand ce dernier dévoile « défaillances » et violence ? C’est la question que pose la réalisatrice Christine Carrière dans son nouveau film Une mère, qu’elle présentait mardi 16 juin, accompagnée de Mathilde Seigner, en avant-première au cinéma Gaumont de Rennes.

« Il est mauvais fils, elle sera mauvaise mère ». Le synopsis est intriguant, la problématique posée. Qui de la mère ou de l’enfant influe sur l’autre ? Doit-on forcément et entièrement blâmer les parents pour la mauvaise éducation de leurs enfants ? Avec Une mère, Christine Carrière ne prétend pas répondre aux questions soulevées, simplement à présenter une certaine réalité à travers un rapport mère/fils.

« Je suis passionnée par les ados et par le rapport parents/enfants. J’ai rencontré pas mal de femmes seules face à la violence de leurs enfants et je crois qu’en France c’est un sujet tabou. J’ai voulu crever les abcès et déculpabiliser les mamans. »
explique Christine Carrière, avant la projection. 

Elle installe la caméra au cœur du conflit qui oppose Marie à son fils, Guillaume, un adolescent de 16 ans, sans se retrancher derrière une facilité narrative qui nous dévoilerait grossièrement les événements antérieurs, justifiant cette incapacité commune à communiquer l’un avec l’autre.

Elle parsème au fil de l’histoire des informations sur les « défaillances » de Guillaume, relevées par des médecins, sans en préciser la nature, et nous fait comprendre qu’il est un habitué, avec ses ami-e-s, du poste de police. Entre protection, épuisement et lassitude de ne pouvoir vivre sa vie, la figure de la mère prête à tout pour son enfant est esquintée pour présenter une autre réalité : celle d’une femme à bout, en prise à son rôle maternel et à son ressenti face à cet être, victime d’un coup d’un soir, qu’elle rêve par moment de n’avoir jamais mis au monde.

Une facette réaliste et intéressante qui nous plonge au cœur d’un sujet de société complexe dont on ne perçoit encore que la partie émergée de l’iceberg. Toutefois, on regrette que la question de l’amour inconditionnel ne soit pas portée à son paroxysme, comme si la réalisatrice n’assumait pas entièrement sa volonté de déculpabiliser les femmes, étouffant légèrement la violence qui se dégage de cette situation délicate et anxiogène.

RÔLE NUANCÉ ET FÉMININ

Pour Mathilde Seigner, mère d’un petit garçon de 8 ans, le sujet de l’adolescence ne lui est pas encore familier mais s’est glissé sans difficultés particulières dans la peau de cette mère désabusée et désillusionnée. Et elle l’incarne avec le talent et le naturel qu’on lui connaît, embarquant le spectateur dans une sorte de huis clos avec ses émotions et ses entraves, entre nostalgie, inquiétude et désir de liberté. Et ce soir-là, l’actrice témoigne également d’un besoin de se frotter à un rôle plus nuancé que ceux proposés par le registre des comédies.

Vingt ans avant Une mère, Mathilde Seigner interprétait son premier rôle au cinéma. Dans Rosine, signé Christine Carrière. L’histoire d’une adolescente en admiration face à sa mère. Deux décennies sont passées. Mathilde Seigner s’est affirmée en tant qu’actrice et s’est imposée dans le cinéma français, imprimant noir sur blanc son franc parler et sa gouaille. Aujourd’hui, elle interprète un rôle sur mesure, écrit pour elle, par celle qui a lancé sa carrière. Un rôle qui lui va bien mais aussi qui lui fait du bien, ravivant son inspiration pour les personnages dramatiques, plus intéressants selon la comédienne, qui ne renie pas complétement le plaisir de jouer dans une comédie.

« Les comédies offrent des rôles sympathiques mais la palette est plus limitée. Et ce n’est pas ce qu’il y a de plus valorisant pour une comédienne. Et il faut dire que dans les comédies populaires, ce sont souvent les hommes qui font rire et qui ont les beaux rôles. »
dénonce Mathilde Seigner avec parcimonie.

Elle a pourtant joué dans des films au casting féminin, dans Vénus beauté, Tout pour plaire, ou encore Bowling… Aucun n’aura le succès des Ch’tis, ni de Camping dans lequel elle joue « mais encore une fois, c’est le personnage masculin, celui de Franck Dubosc, qui fait rire ».

Toutefois, les deux professionnelles n’en restent pas à ce constat et font le pari d’aborder un sujet de fond et de le proposer au grand public sans l’appâter via les grands noms bankable du cinéma français, comme Kad Merad, Dany Boon ou encore Omar Sy. La réalisatrice - qui n’avait pas présenté de nouvel opus depuis Darling en 2007 (avec Marina Foïs et Guillaume Canet, livrant l’histoire forte d’une femme luttant pour sa dignité) - n’hésite pas à prendre le public à partie afin de le sensibiliser aux difficultés actuelles de produire un film de ce type (peu de noms connus, sujet sensible…), les financeurs restreignant les budgets dans ces cas-là.

Main dans la main pour alerter des problématiques actuelles qui envahissent le 7e art depuis plusieurs années, Christine Carrière et Mathilde Seigner savourent néanmoins leurs retrouvailles et la lumière donnée à Une mère, qui sera diffusé dans les salles obscures dès le 24 juin.

Célian Ramis

Hasti Akhavan, peintre au pinceau bien trempé

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Galerie des Arts d'Ille, Saint-Germain-sur-Ille
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L'artiste iranienne Hasti Akhavan dévoile sa nouvelle exposition articulée autour de la figure féminine, à la galerie des Arts d'Ille, à Saint-Germain-sur-Ille, jusqu'au 28 juin.
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Après plusieurs expositions à Téhéran et à Lyon, c’est dans la fraicheur rennaise que l’artiste iranienne Hasti Akhavan a préparé sa nouvelle exposition articulée autour de la figure féminine. Nous l'avons rencontré dans le cadre du numéro 28 - Septembre 2014. Elle dévoile aujourd'hui ses toiles à la galerie des Arts d'Ille, à Saint-Germain-sur-Ille, jusqu'au 28 juin.

Inspirée de la femme iranienne, Hasti Akhavan peint dans ses toiles une figure plus large de la condition féminine, sans visage, pour une vision plus universelle. « C’est ce que je connais le mieux, l’Iran, mais, concernant les femmes, partout dans le monde il y a encore du travail… », explique-t-elle. Représentées en position assise, elles sont une allégorie de la passivité des femmes.

Pour Hasti, « elles sont en attente … On dirait qu’elles n’ont pas le pouvoir de changer leur vie. Je retrouve cela chez ma mère et chez beaucoup d’autres. Elles acceptent leur rôle, ce qui creuse les inégalités même si ces dernières existent réellement ». L’artiste n’hésite pas, dans sa peinture, ni dans ses paroles, à exprimer ce qu’elle pense du monde qui l’entoure.

« À l’époque de mes premières expositions, je ressentais beaucoup de limitations. Dans la société et dans la famille. J’étais alors plutôt dans l’abstrait. »
précise celle venue en France en 2009 pour ses études de chimie, d’abord à Lyon puis à Rennes.

Aujourd’hui, Hasti jouit d’une grande aisance avec la peinture, son père l’ayant inscrite toute petite dans des cours : « J’ai pas mal changé de prof, jusqu’à ce que j’en choisisse un. C’est avec lui que j’ai trouvé mon style, que je suis devenue autonome, indépendante… » Un élément nécessaire à sa construction personnelle qui lui permet d’appréhender son art comme un jeu, et ainsi de transposer, sur toile ou sur papier, les couleurs et les formes, à l’acrylique, aux pastels ou aux crayons, selon ses envies, ses besoins et ses ressentis.

« Quand je fais un tableau, je ne m’organise pas avant. Je peux signer une toile et y revenir un an plus tard. Je trouve ça plus pur, plus libre », rigole-t-elle. Et c’est dans cette liberté que puise la jeune femme de 34 ans pour représenter sa pensée : « Si je dessine des choses sombres parfois, il y a toujours de l’espoir ».  Une pointe d’optimisme qu’elle souligne également dans son nouveau projet : « En étant plus actives, les femmes auront plus de courage, j’y crois à cette évolution ! »  

Son exposition regroupe les thématiques Femmes et Nature dans une scénographie pensée pour révéler une histoire commune, à découvrir à Saint-Germain-sur-Ille, dans la galerie des Arts d’Ille.

Célian Ramis

Les Roz'Eskell déploient leurs ailes à Venise

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Plaine de Baud, Rennes
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Atteintes du cancer du sein, en rémission ou ne traitement, les Roz’Eskell de Rennes rejoindront les centaines d’équipages présents lors la 41e Vogalonga de Venise, le 24 mai. Un défi préparé avec sourire et fierté.
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Dimanche 24 mai, les Roz’Eskell de Rennes rejoindront les centaines d’équipages présents dans la lagune vénitienne à l’occasion de la 41e Vogalonga de Venise. Un défi qu’elles relèvent avec sourire et fierté.

Sur le ponton de la base nautique de la plaine de Baud, deux dragon ladies s’activent à vider l’eau logée dans les bateaux en raison des diverses pluies survenues les jours précédents. Ce vendredi 15 mai, un peu avant 19h, le ciel est dégagé, la végétation verdoyante, et les rayons du soleil scintillent sur la Vilaine. Les membres de l’équipe de dragon boat, les Roz’Eskell (ailes roses en breton), arrivent au compte goutte, prêtes à effectuer l’avant dernier entrainement avant la Vogalonga de Venise, dimanche 24 mai.

À l’échauffement, mené par Sylvie, kiné bénévole pour l’association Cap Ouest, la bonne humeur est le maitre mot. Les participantes – une vingtaine ce soir-là, mais l’équipe regroupe plus de 30 dragon ladies – ont à cœur de s’investir dans leur activité. Elles ont toutes subi un cancer du sein, sont en rémission ou en cours de traitement, et le dragon boat est leur bouffée d’oxygène. « C’est une 2e famille », n’hésite pas à dire Claudine, 54 ans, présente depuis le lancement des Roz’Eskell en septembre 2013.

Chantal, elle, est arrivée il y a un an. Alors âgée de 59 ans, elle vit son 2e cancer, déclaré en 2012. « J’en avais marre de ramer toute seule, je n’en pouvais plus. Ici, on est portées par le groupe, par l’énergie collective », précise-t-elle. Elles ont de 35 à 70 ans, ont des parcours et des profils différents. « Et elles sont malheureusement de plus en plus nombreuses », regrette Papia Prigent, leur coach, qui prend tout de même plaisir à s’engager avec ce groupe survitaminé.

VERS LA RECONSTRUCTION

Toutes ne traversent pas les épreuves de manière identique et toutes ne sont pas confrontées aux mêmes difficultés. Mais elles s’accordent sur l’isolement provoqué par la maladie, la difficulté d’en parler à son entourage, et surtout aux collègues de travail, et sur l’importance de se retrouver et d’effectuer ensemble une activité sportive.

« J’avais honte de n’avoir qu'un sein. Quelle horreur ! Depuis que je suis dans les Roz’Eskell, je suis fière de dire que je suis une dragon lady ! », avoue Claudine, rejointe par Chantal : « Un cancer du sein, c’est lourd. En avoir un 2e, c’est difficile de s’en remettre. Ici, ça nous permet de nous reconstruire. Ça développe une sorte de sororité. On a des affinités particulières avec certaines bien sûr, c’est comme partout. Comme dans une micro société, il y a les grognons, les chieuses, les rigolotes, les renfermées en cas de coup de blues ! Et on s’apprécie toutes ! »

Les témoignages oscillent entre dureté de leur vécu récent, douleur d’avoir perdu une membre de l’équipe l’an dernier et joie de participer à cette expérience libératrice et entrainante. Conscientes des bienfaits psychiques et physiques (au niveau du drainage lymphatique, principalement), elles ont rapidement souhaité collectivement s’investir dans des défis sportifs de grande ampleur comme avec la descente de l’Odet, la Vogavilaine et ce week-end la Vogalonga de Venise.

Des ambitions qu’elles mènent avec force et vivacité, motivées par « l’envie de faire ensemble et de se débrouiller seules », « la volonté d’aller ailleurs ». Une expérience qu’elles qualifient de thérapeutique et humaine. Les entrainements et défis constituent pour elles des bols d’air frais, des instants sans prise de tête, qu’il pleuve, neige, vente ou autre, elles répondent présentes. « On pagaie même si c’est gelé, pas question d’annuler ! », plaisantent Chantal et Claudine, dans les vestiaires.

DYNAMISME ET SOUTIEN

Et pas question de tergiverser ou de perdre du temps, une fois les étirements terminés, elles s’emparent d’une rame chacune et grimpent dans les deux embarcations bleues et roses aux têtes de dragon. Deux par bancs et une à l’arrière pour barrer. Ensemble, elles plongent avec dynamisme les rames dans la Vilaine et quittent rapidement les berges.

Les voilà parties pour 1h30 d’activité, rythmée par les « Yop » de Papia ou les coups de tambour qu’elle marque pour l’entrain et la synchronisation des participantes. Et quand elle ne donne pas le ton, les unes et les autres entament des chansons en chœur ou en canon avec les deux bateaux.

« Allez les filles, on va pas se laisser avoir », scandent-elles pour se donner du courage. Majestueuses, elles filent à vive allure. Objectif en tête : représenter les couleurs des dragons ladies bretonnes à Venise et participer à la manifestation regroupant quelques centaines d’embarcations à rames venues parcourir les plus de 30 km prévus sur la lagune « en un temps raisonnable », confie Papia qui se rend à Venise en camion, avec les bateaux embarqués sur la remorque (financée par les dons, subventions et partenariats prévus à cet effet, les billets d’avion des Roz’Eskell étant à leur charge).

Fière, Annick nous montre ses chaussures beiges customisées pour l’occasion au stylo rose. « J’ai écrit Roz’Eskell ! Ce sont mes ailes ! », nous lance-t-elle, en affichant un sourire enfantin étendu jusqu’aux oreilles. Pour Chantal, « l’image de nos corps a été abimée par la maladie. C’est important de restaurer notre image corporelle. Nous travaillons avec les photographes de Yadlavie ! qui réalisent un livre sur les Roz’Eskell et parfois on se reconnaît pas sur les photos… On se trouve énormes, monstrueuses. Ça compte beaucoup d’être dans ce groupe et de se fixer des objectifs. »

Certaines se sentent dévalorisées, d’autres lasses. Les douleurs quotidiennes, les soins, les traitements, les conséquences de tout cela… elles en témoignent avec émotions mais refusent de passer leurs entrainements à en faire état. « On n’en parle pas, sauf parfois en 3e ou en 4e mi-temps (oui, ça commence dans les vestiaires puis se prolonge sur le parking), rigole Claudine. On n’a pas besoin de tout raconter, on se comprend, on se soutient. »

Célian Ramis

"Plus femme que femme" : Girl power au coeur du Blosne

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Le Triangle, Rennes
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Présenté au Triangle le 28 mai prochain, le spectacle entend réveiller les consciences, bousculer le quotidien des femmes et des hommes, et lancer un message clair : les femmes sont puissantes.
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Depuis le 20 avril, les danseuses camerounaises Gladys Tchuimo et Mireille Akaba, de la compagnie Poo-Lek, travaillent au fil d’une résidence au Triangle sur leur spectacle « Plus femme que femme », à découvrir le 28 mai prochain, dans le cadre d’Agitation, qui s’installe au cœur du Blosne les 27, 28 et 31 mai.

« Dans ce spectacle, nous souhaitons amener les femmes à prendre conscience du pouvoir qu’elles ont, de la place qu’elles ont. Et dire que les femmes peuvent choisir ! » Gladys Tchuimo et Mireille Akaba sont la preuve de cette liberté de choix qu’elles revendiquent dans la création « Plus femme que femme ». D’autant qu’elles ont décidé de vivre de la danse, un chemin loin d’être évident au Cameroun et pas toujours compris, surtout dans le cercle familial.

La danse « arrive comme une passion », dès l’âge de 8 ans, se souvient Gladys qui l’a d’abord pratiquée à l’école puis utilisée pour payer sa scolarité, comme une bourse artistique. « C’est arrivé malgré moi et ça s’est imposé comme un métier. Mais pour mes parents, ce n’était pas envisageable. », explique-t-elle. Originaire de Douala – capitale économique du Cameroun, située à l’ouest du pays – elle s’installe à Yaoundé – capitale politique – qu’elle considère comme « plus ouverte » et y intègre un groupe de danse traditionnelle.

Rencontres avec des chorégraphes, animations dans des stades, démonstrations d’un caractère de leader, Gladys Tchuimo franchit les étapes pas à pas vers une carrière riche d’expériences jusqu’à souhaiter élargir ses compétences de danseuse-chorégraphe :

« J’ai commencé à m’orienter vers les danses modernes car pour devenir vraiment danseuse, je devais ne pas rester que dans le traditionnel. Et dans les années 2000, les compagnies de danse contemporaine ont commencé à naitre. »

Après une tournée en Europe avec une troupe de comédie musicale, elle se lance en solo et grâce à sa première pièce en 2004, elle bénéficie des Visas de la Création, un programme d’aide et de résidence de l’Institut français pour les jeunes talents résidant en Afrique ou dans les Caraïbes. C’est en 2005 qu’elle vient donc pour la première fois dans l’Hexagone, et passe plusieurs mois a enseigné et dansé à Grenoble (38), monte un projet avec une association française. De retour dans son pays natal, et après avoir foulé quelques scènes maliennes, congolaises ou encore burkinabè, elle entre à l’École des Sables (grande école de danse en Afrique, implantée au Sénégal).

FEMMES DES ARTS

« Très peu de filles dansent au Cameroun. Je me suis mis le défi de danser avec des femmes », souligne la chorégraphe de la compagnie Poo-Lek qui, en travaillant avec des danseuses de l’École des Sables, rencontre Mireille Akaba avec qui elle collabore sur un projet de danse avant de développer leur création en 2014. Ce duo aurait pu ne jamais voir le jour, puisque Mireille, qui vient en France pour la première fois avec cette résidence dans le quartier du Blosne à Rennes, elle, est issue du milieu de la musique : « J’ai commencé en 2008, dans un groupe camerounais, de world music. Chez nous, il n’y a pas d’école de musique, il faut t’inviter à travailler avec des gens, moi j’ai appris à chanter avec eux. »

De fil en aiguille, de projets en rencontres, elle effectue un stage dans un groupe congolais. De là nait son envie de danser, ce qu’elle fait en intégrant un groupe de danse traditionnelle, avant de découvrir la danse contemporaine, d’entrer à son tour dans la fameuse école de danse et créer ses spectacles, dont son solo « Fashion Victim », que le public rennais pourra découvrir le 20 mai, à l’occasion de la soirée « Sous la lumière », intitulée « De Rennes à Yaoundé, la quotidien de femmes d’aujourd’hui » dans laquelle les 2 danseuses seront entourées d’autres professionnelles comme Anne-Karine Lescop et Morgane Rey, d’associations telles que Danse à tous les étages et HF Bretagne, de Djaïli Amal Amadou, auteur de L’art de partager un mari et de Kouam Tawa, auteur en résidence au Triangle également.

« Au Cameroun, j’ai créé une performance dans la rue, où je me transforme en tout. Je m’inspire de certaines pratiques que l’on voit dans les rues pour obtenir de l’argent. Je jette des mots, je crée des poèmes… », précise Mireille. Une sorte d’illustration dansée et mimée de la folie ambiante qui inspire aux passant-e-s diverses réflexions entre « Mais qu’est-ce qui arrive aux jeunes femmes au Cameroun ? » et « Elle est trop jeune pour devenir folle » ou encore « Ça a vraiment commencé… »

CONDITIONS DES FEMMES

L’observation et l’analyse utilisée dans cette performance constituent des outils indispensables à son travail de création et de transmission, qu’elle aime partager avec les habitants, dans la rue, dans les quartiers, sur les marchés. Et des outils essentiels dans le processus de réflexion qui mènera à la chorégraphie et mise en scène de « Plus femme que femme », puisque les deux comparses ont récolté plusieurs témoignages de femmes camerounaises autour de la question « C’est quoi le bonheur ? »

« Pour 4 femmes sur 5, c’est d’avoir un mari et des enfants », lancent-elles en chœur, en rigolant de ce constat qu’elles considèrent comme effarant. Et à la question de la sexualité dans le couple, la majorité répond qu’il s’agit d’un acte à « subir » quand « le mari le veut / pour s’en débarrasser / pour faire plaisir à l’homme ». Les réponses font écho en elles, Gladys particulièrement, Mireille étant plus réservée sur son histoire personnelle.

L’homme détient le pouvoir. Les deux danseuses expliquent qu’au Cameroun, quand les femmes travaillent, c’est par préoccupation pour leurs enfants principalement. « En général, le mari donne 1000 francs, 1,50 euros en gros, pour l’alimentaire. C’est tout, et les femmes ne peuvent pas sortir de la maison en dehors de ça ! », s’indigne Gladys Tchuimo qui se souvient avoir été traumatisée par la relation « pas facile » entre son père et sa mère.

« Je n’avais vraiment pas envie de me marier, et je demandais à ma mère comment elle faisait pour continuer de faire des enfants avec lui ?! Je réfléchissais à pourquoi elle acceptait d’être traitée comme il le faisait, et moi je ne voulais pas de ça… Je crois que mon père aimait trop sa femme, qu’il était jaloux de sa femme… »

UN MESSAGE UNIVERSEL

À 37 ans, pourtant, Gladys est mariée. Ce qui fait beaucoup rire cette femme au caractère trempé et bien affirmé : « J’ai fini par trouver quelqu’un qui accepte que je sois libre et que j’exerce mon métier, comme quoi ça existe ! » Et quand on dévie sur le terrain des générations qui changent et évoluent avec leur temps, le duo recadre tout de suite, sourires aux lèvres, le discours : « Les générations ne changent pas. Nos voisines au Cameroun sont encore mères de 5 ou 6 enfants, et elles ont nos âges… », affirme Mireille, soutenue par Gladys :

« Les femmes peuvent choisir. Les femmes, on a des choses à dire, une place à prendre, du pouvoir, on a le choix. »

C’est là le point de départ et l’essence même de la pièce qu’elles dévoileront aux Rennais-es le 28 mai, à 20h, au Triangle. Une pièce qui parle d’elles mais pas seulement. « Personnellement, je dis avec le corps ce que je ne peux pas dire avec la voix, même si certaines fois, et pour nous faire comprendre, nous allons utiliser la voix », poétise Mireille, âgée de 35 ans, dont la douceur semble contenir un tourbillon d’émotions à l’intérieur d’elle-même. Les deux danseuses ont puisé dans leurs ressentis justement mais aussi leurs différences pour bâtir un spectacle au message universel, pas uniquement basée sur la condition des femmes au Cameroun, s’inspirant et s’appuyant également sur des textes de Kouam Tawa ou de l’histoire de Lilith, figure féminine infernale.

« Plus femme que femme » entend réveiller les consciences, bousculer le quotidien des femmes, et des hommes - « qui doivent savoir que derrière chacun d’eux il y a une femme, une mère, une sœur, une amie ! Ils doivent les chouchouter ! Nous ne jetons pas la pierre aux hommes mais ils doivent comprendre que le sexe fort ne se fait pas forcément dans la guerre, au contraire il s’effectue dans la douceur, donc chez les femmes. » - et lancer un message clair et précis : puissantes, les femmes doivent s’accomplir en réalisant la place qu’elles occupent et le pouvoir dont elles disposent.

LIEN ARTISTIQUE ET CULTUREL

En parallèle de ce spectacle, les deux danseuses se font le lien artistique et culturel entre la structure de la Cité de la danse et les habitant-e-s du quartier du Blosne. Plusieurs rencontres sont organisées jusqu’à leur départ. Entre débat (Sous la lumière, le 20 mai, dans le hall du Triangle), training de danses traditionnelles et afro-contemporaines (dernière séance le 19 mai de 18h30 à 20h30, dans le hall du Triangle) et spectacles courts hors les murs*, le duo crée l’événement et permet surtout à la danse de délivrer son pouvoir créateur de lien social et sa force fédératrice.

« Les enfants avaient vu la vidéo de Gladys et Mireille pour apprendre les pas de la chorégraphie. Là, ils ont vu les danseuses en vrai, faire les mêmes pas. Ils n’en revenaient pas ! C’est ça qui est intéressant et qui est important. », explique Marion Deniaud, chargée des actions culturelles au Triangle, qui parle de mission de service public, dans une démarche d’écoute du territoire avec lequel il est primordial d’être en phase (lire p. 15, Focus, YEGG #36 – Mai 2015).

 

* Mercredi 20 mai, 15h, Centre commercial Italie
   Jeudi 21 mai, 14h30, Foyer de la Thébaudais
   Vendredi 22 mai, 19h, Square Alexis Le Strat
   Samedi 23 mai, 16h, Métro Charles de Gaulle
   Samedi 30 mai, 11h, Marché de Zagreb

Célian Ramis

Nathalie Appéré, "le cap et la boussole" vers l'égalité des sexes ?

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Rennes
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Un an de mandat pour Nathalie Appéré, première femme maire de Rennes. L’occasion de faire le bilan et d’évoquer les actions et priorités pour les années à venir en matière d’égalité femmes-hommes.
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Le 30 mars 2014, Nathalie Appéré devient la première femme à accéder au poste de maire de Rennes. Un an de mandat – le conseil municipal a été constitué le 4 avril 2014 - l’occasion de faire le bilan et d’évoquer les actions et priorités pour les années à venir en matière d’égalité femmes-hommes.

YEGG : Avec du recul, comment avez-vous vécu la campagne électorale, en tant que femme, quand on sait que 13,9% seulement des maires de France étaient des femmes ?

Nathalie Appéré : Je ne l’ai jamais vécu comme un obstacle. En 2001, quand j’étais adjointe d’Edmond Hervé, il y avait un contexte de parité nouvelle dans les équipes municipales, et où à l’échelon local qui est le notre, il y avait à la fois 50% de femmes élues mais aussi la volonté d’aller plus loin avec déjà des exécutifs paritaires. Les évolutions naturelles sont à ce point lentes qu’il faut à un moment donné que des lois et des dispositifs s’attaquent véritablement à cette question de la parité en politique. Je dois dire que j’en ai peut-être bénéficié.

Alors après comment est-ce que l’on franchit d’autres marches dans la prise de responsabilités ? C’est peut-être sans doute plus par son propre travail et la capacité à convaincre mais s’agissant particulièrement de la campagne municipale, je n’ai pas eu l’impression que pour être désignée par les militants du Parti, le fait d’avoir été une femme ait été un obstacle. Parce que justement il y a une telle identité à la ville de Rennes et sur le territoire rennais, et une telle affirmation de l’égalité femmes-hommes comme un enjeu politique, que ça fait parti des choses totalement intégrées.

Lorsque nous vous interrogions en janvier 2014 sur la parité en politique et dans les instances politiques, vous disiez être un produit de la parité. N’est-ce pas jouer le jeu de l’égalité déjà acquise, qu’on sait dangereux ?

Je n’ai pas changé d’avis (Rires). J’évoquais là strictement et uniquement la question de la place des femmes dans les équipes municipales. Ce qui ne veut absolument pas dire que l’égalité est déjà acquise. Il n’y a jamais d’acquis, il y a un combat permanent, et moi je situe ce combat pour l’égalité femmes-hommes dans un combat pour l’égalité. Le combat féministe se situe dans cette démarche progressiste en faveur de l’égalité en général.

Au delà de la question du sexe…

C’est une question dans une action politique qui revendique que le cap et la boussole soient en permanence l’égalité.

Vous évoluez au niveau municipal mais aussi national, à l’Assemblée nationale, en tant que députée. En tant que femme, s’imposer sur le terrain rennais, dans la salle du conseil municipal et dans l’hémicycle, c’est le même combat ? Se positionne-t-on de la même manière ?

Non, je pense que les choses sont assez différentes effectivement. D’abord parce que numériquement les rapports hommes-femmes ne sont pas les mêmes dans un conseil municipal ou à l’Assemblée nationale. Parce que l’Assemblée nationale a ses codes, ses modes de fonctionnement et c’est sans doute moi les premières fois que j’ai ressenti ce que pouvait être le machisme, que je n’avais pas forcément vécu à Rennes.

Les anecdotes sont connues : la robe de Cécile Duflot (juillet 2012), le caquètement de Philippe Le Ray, député du Morbihan, quand Véronique Massonneau s’exprime (octobre 2013)… Et puis ce moment particulier que sont les questions au gouvernement où l’on n’est pas à l’abri des décharges de testostérone et d’un rapport ancien et viril à la question politique. Je ne ressens pas du tout ça dans un conseil municipal où aujourd’hui j’ai le sentiment, mais peut-être à tort, que l’autorité nécessaire à la fonction de maire n’est pas une question de genre.

Pendant la campagne, chaque candidat évoquait une femme à l’urbanisme et un homme à l’éducation. Un exemple récurrent quand on aborde les évolutions en terme d’égalité des sexes. Le 4 avril dernier, vous avez nommé un homme à l’urbanisme et une femme à l’éducation. Est-ce qu’on aurait pu faire bouger les lignes à ce moment-là ?

Ça n’a rien d’une volonté ! Une femme maire c’est déjà une affirmation en tant que tel. Ensuite dans la composition d’un exécutif paritaire, c’est une adéquation entre les compétences, les envies et les taches à assumer. Je ne lie pas telles ou telles responsabilités au sexe de la personne qui l’occupe, je pense que c’est la même capacité à exercer des fonctions.

Après, c’est un casting, le mot n’est peut-être pas heureux mais en tout cas c’est la volonté de faire en sorte que chacun soit le plus efficace possible là où il est. Ce qui n’a rien à voir avec une quelconque prédisposition liée aux ovaires. Je m’intéresse beaucoup à la question urbaine autant qu’à la question financière, et je ne suis pas sûre qu’il me faille me contraindre au champ social, qui est d’ailleurs une responsabilité assumée par un homme à Rennes.

Au niveau de la ville de Rennes, est-ce qu’un diagnostic local a été réalisé très précisément, comme il en est question dans la loi du 4 août 2014 ? Dans les enjeux sur les égalités femmes-hommes, Rennes et Rennes Métropole souhaitent des statistiques genrées sur chaque thème… Un diagnostic local, public, est-il prévu ?

On s’inscrit dans une continuité d’actions, de convictions et l’objectif d’une nouvelle équipe municipale n’est pas de forcément tout remettre à plat mais de s’appuyer sur ce qui fonctionne pour réinterroger, toujours aller plus loin et être fidèle à ce qui a pu être fait. Il en est de la politique égalité femmes-hommes comme d’un certain nombre de politiques, où des outils sont mis en place depuis les outils de participation - comme les comités consultatifs - depuis des politiques publiques particulières, depuis la labellisation (de l’égalité professionnelle) qui a été l’occasion d’un nouveau diagnostic, de nouvelles priorités d’actions.

Pareil pour la question de l’égalité dans la politique éducative et dans l’accompagnement que ce soit dans le temps périscolaire ou bien dans l’Éducation nationale sur le temps scolaire, sur la question de la lutte contre les clichés : cela a été réaffirmé avec de nouvelles orientations (convention avec l’Académie, signée fin 2014, entre autre ndlr). Mais je ne peux pas dire qu’il y ait eu une mise à plat spécifique et particulière sur ces questions.

Une volonté dans les prochaines années ou faut-il continuer d’évoluer sur chaque champ spécifique ?

Quand je vous dis que moi je situe cette question d’égalité femmes-hommes dans le champ plus global de l’égalité en général, ça veut dire qu’effectivement, toutes nos politiques publiques sont passées au peigne fin sur cette dimension : « En quoi est-ce que l’action publique doit toujours et en tout lieu favoriser l’égalité, l’égalité des chances en particulier ? » Et c’est vrai que ça se décline dans une philosophie et des convictions politiques plus larges.

Après, il y a des outils plus particuliers et les statistiques genrées en font parties, on est encore au balbutiement de ce type d’observations. On le fait par exemple vis-à-vis des  partenaires que l’on subventionne, que ce soit au niveau des partenaires culturels ou associatifs, dans les équipements de quartier, pour voir comment est-ce que les filles et les garçons se retrouvent de la même manière.

On le fait avec les partenaires du monde sportif au sein de l’Office des Sports pour regarder la place des filles dans les activités sportives qui sont proposées sur les quartiers. On le fait, toujours dans le champ du sport, avec nos éducateurs sportifs, pour une diversification des propositions pour que les filles s’y retrouvent. On le fait bien sûr sur ce champ singulier de l’égalité professionnelle. Ça se décline à tous les niveaux…

Discriminations, lutte contre les clichés, contre les violences, égalité professionnelle… Concrètement, comment travaille-t-on sur ces questions à l’échelle d’une ville, puisque tout n’est pas du ressort de la Ville ?

J’emploie souvent cette formule qui est de considérer que la responsabilité d’un maire, c’est à la fois de donner un cap, une orientation, de rappeler des valeurs, de mettre en œuvre un programme. Mais au delà de ce cap à rappeler, c’est de mettre autour de la table les acteurs. Et quand on est dans le champ de l’égalité professionnelle, il va de soi que le travail avec les syndicats, avec les employeurs, est un facteur sur lequel il nous faut agir.

Lorsque l’on parle égalité à l’école, c’est bien dans notre projet éducatif territorial qui implique les associations, les parents, l’Éducation nationale, que les choses peuvent se faire. Quand on travaille sur les clichés filles-garçons dans les crèches, c’est avec les professionnels, mais aussi avec les parents, avec les associations, qu’on y travaille.

Et je pense que notre responsabilité est celle-là, de considérer que notre action ne se limite pas strictement aux services publics municipaux, c’est toute l’histoire des manifestations autour du 8 mars à Rennes, où la ville n’est que d’une certaine manière le facilitateur d’un grand nombre d’initiatives.

En terme de santé, IVG, contraception, etc. on se rend compte aujourd’hui que le public « jeunes filles /jeunes adultes » est très mal informé, très mal orienté. Quel rôle avez-vous à jouer dans l’information, la prévention, de ce public en particulier, mais au delà, de tous les Rennais ?

La Ville est engagée dans un contrat local de santé, ce qui n’est pas une évidence car peu de villes ont contractualisé sur ce champ là, où on peut se dire que ce n’est pas vraiment une compétence municipale. On a une action ancienne en matière de santé, à tous les niveaux, et la prévention des conduites à risques fait partie par exemple des priorités de ce contrat local de santé.

Dans la prévention des conduites à risques, il y a bien sûr ce qui relève du champ des addictions mais peut aussi relever des pratiques sexuelles, des risques particuliers, et là dans le soutien aux associations, je pense à ce que fait le CRIJ, le 4 Bis, sur le volet prévention avec une présence d’animateurs de santé dans les grandes manifestations, voilà un exemple concret de ce qui peut être mené sur le champ de la santé.

On n’est par contre moins dans le champ du soin. Là, le lien se fait que ce soit avec le Conseil général sur le volet prévention publique ou avec le monde de l’hôpital ou de la médecine libérale sur l’organisation des réseaux de soins. Mais quand on soutient des associations comme Liberté couleurs, il y a dans leur action certes une dimension égalité filles-garçons mais il y a aussi des choses très particulières sur la protection, la prévention, l’accès à la contraception…

Et au niveau du Planning familial ? Plusieurs PF en France sont en difficulté et ont du mal à survivre. Quelle est la position de Rennes, qui a des employés dans cette structure, ce qui n’est pas le cas de toutes les autres ?

C’est essentiel qu’on les accompagne à la fois dans leur recherche de lieux de permanence, dans les quartiers, et dans le soutien à l’action qui est la leur.

Je rebondis puisqu’on est dans le champ santé, il y a aussi notre responsabilité en matière de sécurité publique, qui pour moi fait partie de l’action que peut conduire la municipalité en matière d’égalité femmes-hommes. C’est à la fois dans les engagements particuliers en matière de lutte contre les violences faites aux femmes, le numéro vert, le lien avec le travail social mais aussi avec la justice, la police, le soutien aux associations, le CIDF en particulier.

Puis globalement, j’affirme toujours une politique de sécurité comme étant au service des plus fragiles et quand je mesure ce que vivent particulièrement les femmes, notamment dans le rapport à l’espace public quand il y a une dégradation de la sécurité publique, je me dis que tout ce que nous faisons aussi non seulement en matière de prévention mais y compris pour le renforcement d’une présence de police de proximité, c’est aussi une politique d’égalité femmes-hommes.

Quand je vois les jeunes femmes victimes d’agressions sexuelles, notamment sur fond de soirées festives, je me dis que ça doit être une priorité, je souhaite que nous nous engagions dans la démarche de marches exploratoires sur l’espace public. C’est aussi parce que pour un certain nombre de filles, de femmes, traverser une place en jupe est plus compliqué aujourd’hui s’il n’y a pas cette volonté d’assurer que l’espace public est à chacune et à chacun et qu’il y a à travailler en permanence sur cette question de partage de l’espace public, de la tranquillité et du respect des règles communes.

On va revenir sur les marches exploratoires mais tout d’abord on a l’impression que peu de Rennaises et de Rennais connaissent les actions de la ville de Rennes en matière d’égalité femmes-hommes. Doit-on voir un manque d’intérêt dans ce déficit de communication autour de ces questions ?

On fait mais on a un peu de mal à faire connaitre l’action de la Ville, qui est à tous les niveaux, ce n’est pas propre à l’égalité femmes-hommes. Quand on reçoit Pascale Boistard et que l’on présente tout ce qui est fait, c’est parce que l’on pense que c’est important. Lorsqu’à Rennes, la journée des droits des femmes dure un mois avec une visibilité, un affichage sur l’espace public, c’est aussi parce que l’on pense que c’est important. Dans le Rennais s’il y a régulièrement des articles là dessus c’est parce qu’on pense que c’est important. Maintenant on n’est pas toujours les meilleurs pour faire des belles plaquettes et mieux faire connaître nos actions, mais ce n’est pas spécifique à cette politique publique.

On prend l’exemple du 8 mars, c’est la première fois que la presse était conviée à une conférence de presse pour cet événement, à 2 jours de l’événement…

(Manuel Contin, son directeur adjoint de cabinet, intervient : il y a eu une tradition de conférence de presse pendant des années et des années, mais ce que vous décrivez là c’est aussi le manque d’intérêt de vos confrères sur la question, qui a conduit à ne plus organiser systématiquement de conférence de presse, parce que personne n’y venait. Ce qu’on nous renvoyait c’est : « On ne comprend pas, la journée des femmes c’est le 8 mars mais vous ça dure un mois » et « On ne comprend pas qui fait quoi, parce que c’est un mouvement associatif »… On a beaucoup de mal à intéresser les journalistes locaux à ces problématiques là. Et c’est valable sur l’ensemble du champ de la solidarité.)

Pour avoir été première adjointe en charge de la solidarité, je vois bien comment lorsqu’on cherchait à faire connaître ce qu’on faisait, on avait beaucoup de mal à faire venir du monde. On a plus facilement des gens dès qu’il s’agit de présenter une opération urbaine.

Et pourtant : Rennes, ville numéro 1 de l’égalité femmes-hommes, c’est le classement du média national Les Nouvelles News, en mars 2015. 12 réponses sur 50, Rennes est en tête de classement mais…

Et les premiers à répondre ! ça veut bien dire qu’il y a une mobilisation particulière !

Mais on se demande s’il faut se réjouir ou s’il faut s’inquiéter pour le reste de l’Hexagone…

Je fais partie de ceux qui sont résolument optimistes et qui voient toujours le fait que ça progresse. Je pense qu’en étant exemplaire, en communiquant sur le fait que l’on est exemplaire, en montrant comment une ville a des leviers, pas tous les leviers mais des leviers, en participant aux colloques, en étant présents dans les associations d’élu-e-s, en étant présent dans l’association des maires des grandes villes - où on n’est pas beaucoup de femmes - c’est aussi une manière de sensibiliser, d’amener à réfléchir. On est investis dans des réseaux et plutôt que de décrier ce qui n’est pas fait ailleurs, je préfère avoir la fierté de ce qu’on fait et penser que ça peut aussi servir d’aiguillon ou d’inspiration.

Encore une fois, là dessus, il n’y a pas eu grande communication…

Si à chaque fois qu’on était bien placé dans un classement, on faisait un communiqué de presse, les colonnes de vos journaux seraient envahies de nos communiqués de presse (Rires). Mais j’ai relayé l’information sur mon compte Twitter, sur les réseaux sociaux.

(Manuel Contin : c’est un média aussi qui fait le palmarès, c’est toujours délicat de communiquer là dessus auprès des autres médias. Mais l’information a été envoyée aux journalistes locaux, personne n’a traité le sujet.)

Que pensez des propos d’Isabelle Germain, rédactrice en chef des Nouvelles News, pendant le colloque, qui explique : « à Rennes, les associations font plus pression sur les politiques pour ces sujets. » ?

Je pense qu’il y a un tissu associatif plus développé qu’ailleurs et qu’il y a une pratique du dialogue ancien entre les associations et les élu-e-s. Que si elles font pression, c’est tant mieux et c’est leur rôle. Je pense aussi qu’elles font pression mais qu’elles trouvent en nous des interlocuteurs et interlocutrices attentifs et attentives, et qu’il n’y a peut-être pas besoin de trop de pression pour que l’on chemine et que l’on avance ensemble.

Dans les points positifs du classement, il y avait le budget. À combien s’élève-t-il précisément ?

On est incapable de le dire. Il y a effectivement ce qui relève des crédits d’intervention de la mission Droits des femmes et où on va trouver le soutien aux associations, où on va trouver le budget des manifestations du 8 mars, où on va trouver le financement du poste d’assistante sociale au poste de police… Par définition, comme c’est une politique transversale, on ne trouvera pas dans le budget ce qui est fait dans le cadre du périscolaire, sur la lutte contre les clichés, le déterminisme garçons-filles, l’action qui est menée dans les crèches, sur la communication autour de ces questions.

Je ne suis même pas sûre que la marche exploratoire que l’on va mener soit identifiée dans le budget. Donc on n’a pas, objectivement, cette clé de lecture là. Il y en a d’autres des clés de lecture mais celle là n’existe pas dans le budget municipal. Je ne voudrais pas que l’on résume cela en tout cas aux crédits de soutien aux associations. Parce que l’égalité professionnelle, la volonté de promouvoir les femmes à tous les postes de responsabilité ou la garantie de salaires égaux à compétences égales, par exemple, ça ne se chiffre pas.

Dans le questionnaire que vous avez rempli, il y a un chiffre de 85 091 euros…

Ce sont les crédits d’intervention. Uniquement les crédits d’intervention. Mais c’est très en deca de tout ce qui est fait.

On parlait des marches exploratoires, spécifiquement pour les femmes. On en parle depuis très longtemps, au Québec, c’est une pratique courante depuis plus de 20 ans, une conférence organisée par Questions d’égalité avait abordé le sujet en 2012, Najat Vallaud-Belkacem en parlait aussi juste avant de quitter ses fonctions de ministre aux Droits des femmes. Pourquoi attendre si longtemps pour mettre cette marche en place ? Car à Rennes, des marches exploratoires existent déjà…

Oui, les marches existent. On a eu des marches dans les quartiers sur la dimension nocturne par exemple et temps de la ville, ce qui était l’occasion de relever des questions spécifiques pour les femmes. On travaille à des marches exploratoires dans les quartiers pour parler sécurité, éclairage public, capacité des uns et des autres à se sentir bien sur l’espace public.

On parle sans vouloir, et ce ne sera jamais ma tentation, résumer la femme à la mère de famille, n’empêche que c’est plus fréquemment elles qui poussent les poussettes et quand on parle accessibilité, on parle aussi de cette question de l’égalité. C’est vrai que l’on n’avait pas jusqu’alors mis en place de marche exploratoire avec cet unique objet, on va voir comment ça prend. On va expérimenter, en lien avec le ministère des Droits des femmes, ce type de démarche.

Est-ce que vous avez une date ? Puisque ça fait presque un an que l’on nous dit que ça va bientôt arriver…

Non. Il y a peut-être déjà une date mais je n’en ai pas connaissance.

(Manuel Contin : il y a des échanges actuellement avec le ministère. On avait évoqué le premier semestre. Il y a des échanges depuis l’automne en tout cas.)

On termine sur les priorités de demain. Vous avez parlez dans le courrier envoyé à Isabelle Germain, à l’occasion du colloque, d’un « discours anti-féministe auquel on assiste aujourd’hui ». Quelles priorités pour demain, pour justement combattre ce discours anti-féministe ?

Dans un contexte où l’on sait que les choses sont fragiles, en particulier sur cette question du droit des femmes, je n’oublie pas avoir manifesté, ici, place de la Mairie, pour réaffirmer le droit des femmes à disposer de leur corps, en solidarité aux femmes espagnoles mais aussi parce que des leaders de la droite locale déposaient à l’Assemblée nationale des amendements pour le déremboursement de l’IVG. Ils voulaient réintroduire la notion d’IVG de confort. Et ça je considère que ces batailles idéologiques là, il faut les mener, par exemple.

On ne peut pas faire abstraction d’un contexte politique général qui peut être celui d’une défiance vis-à-vis des valeurs républicaines ou de la progression de toutes les idéologies rétrogrades, celles du Front National avec quelques fois des limites qui ne sont pas très claires entre la droite dite classique, même si je ne mets pas tout le monde dans le même panier, et le Front National. Et vraiment sur cette question du droit des femmes, sur la place des femmes, on a vite fait de lire une démarche politique.

Merci beaucoup.

Merci à vous.

Célian Ramis

Journée des femmes : Des voix pour agir

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Rennes
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Prendre la parole, une action engagée pour celles qui osent ! Condensé de valeurs défendues par les unes et par les autres à Rennes pour les droits des femmes et l'égalité des sexes...
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« Prendre la parole et agir », c’est le thème défendu du 3 au 28 mars à Rennes à l’occasion de la journée internationale des femmes. Un thème défini, comme chaque année, par le comité consultatif d’habitants réuni au lendemain de l’édition précédente. Associations féministes, structures culturelles, collectifs engagés, femmes et hommes militant-e-s, professionnels et particuliers sensibilisés à la question, citoyennes et citoyens, se sont associé-e-s à la Ville de Rennes pour bâtir ensemble un programme autour de la condition féminine, avec un budget modeste de 16 000€ environ.

Par le biais des arts, de la réflexion, du débat, de la manifestation, elles prennent publiquement la parole et occupent l’espace pour transmettre, éduquer, dénoncer, partager. Et surtout agir pour l’évolution des droits des femmes, toujours pas acquis, voire même constamment en péril. Tour d’horizon non exhaustif des valeurs et des combats mis en lumière en ce mois de mars mais prônés toute l’année par les actrices et acteurs de ce programme.

  • Les jeux ont-ils un sexe ?

« Les jeux constituent une manière d’apprentissage. Jouer à la poupée n’apprend pas la même chose que jouer aux petites voitures. » Jessie Magana est éditrice, directrice de collection et auteure, entre autre, de Comment parler de l’égalité filles-garçons aux enfants ? ou de Les mots indispensables pour parler du sexisme, co-écrit avec Alexandre Messager (lire Focus - YEGG n°28 – Septembre 2014). Le 18 mars, elle est invitée par la Bibiothèque de Cleunay à animer un café-citoyen à la MJC Antipode de Rennes autour du sexisme dans les jeux et jouets.

« Les poupées, c’est pour les filles ! Les voitures c’est pour les garçons ! » promet d’être interactif, et les participant-e-s sont invités à apporter des catalogues et publicités pour alimenter les échanges : « Je tiens vraiment à faire participer la salle et je voudrais faire réagir les professionnelles de la ludothèque aussi. » Exit les publicités montrant une petite fille en salopette jouant avec des Lego, bienvenue aux jouets bleus et roses trônant fièrement sur les étals des supermarchés. Le « marketing genré » prend de l’ampleur depuis une vingtaine d’années, fait disparaître les jouets mixtes et/ou neutres, les féministes voient rouge et en dénoncent les conséquences.

« Avant, on avait des jouets de toutes les couleurs ! s’insurge l’auteure. Aujourd’hui, pour vendre, on se cache derrière les différences biologiques. Pas si nombreuses que ça en plus ! »

Et c’est cela même contre quoi se bat Jessie Magana, militante pour l’égalité des droits, ancienne « ado rebelle, contre l’ordre établi ». Un caractère qui lui permet de s’interroger sur la nature des discriminations et sur nos représentations individuelles et collectives. Les jeux dits physiques sont porteurs de stéréotypes, c’est un fait : « Et ils introduisent des comportements différents. Si on prend par exemple la cour d’école – et cela est très bien expliqué dans Espace – on voit que les garçons sont au centre avec les jeux de ballon, et les filles autour. La confiance en soi sera forcément différente, le rapport aux autres également. »

Jessie a à chœur de réfléchir et d’échanger autour de cette problématique, donner un accès à tous à l’éducation à l’égalité. « Car c’est simple pour nous, les bobos éduqués. Mais certains n’ont accès qu’au marketing genré », précise-t-elle. Un point important : proposer à l’enfant de jouer à des jeux variés ou avec des objets neutres, « les Kapla sont très bien, par exemple, mais il n’y a pas que ça…». Rien de pire, selon elle, que quelque chose qui va de soi. « Mais attention, il ne s’agit pas de lutter contre qui on est. Il est difficile pour un parent de s’affranchir de son sexe pour jouer avec l’enfant », souligne Jessie Magana.

Consciente du poids de la société, de l’environnement, du matraquage publicitaire, de la pression familiale, elle ne cesse de questionner petits et grands, par l’écrit ou l’oral, à propos de leurs représentations des femmes et des hommes, en espérant que l’évolution sera positive, certaine que cela doit passer par l’éducation à l’égalité.

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  • L’égalité, sur la table et sur les murs

Le 2 mars, la classe de 3e du collège rennais Les Ormeaux inaugurait l’exposition « Le féminisme rennais d’hier et d’aujourd’hui », visible au sein de l’établissement jusqu’au 27 mars. À l’initiative de Claire Mazet, Bruno Genton, professeurs de français et d’histoire, et l’association Histoire du féminisme à Rennes, elle a été réalisée en plusieurs étapes, au fil de l’année, afin de sensibiliser les élèves à l’égalité des sexes.

Après avoir suivi les traces des luttes féministes dans le Rennes des années 70 grâce à une visite guidée, ils ont reçu différents acteurs et actrices des combats pour les droits des femmes : Ghislaine Mesnage, ancienne caissière à Mammouth, ex-membre de la commission Femmes de la CFDT, Olivier Bernard, médecin ayant pratiqué des avortements illégaux à Rennes et Jocelyne Bougeard, ancienne élue aux droits des femmes et à l’égalité, membre du Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes.

« Ils ont été vraiment très intéressés, ils se posent des questions sur l’évolution des droits. J’ai insisté sur l’importance de l’autonomie financière pour les femmes. »
Ghislaine Mesnage, également adhérente d’Histoire du féminisme à Rennes.

Les collégiens et collégiennes ont travaillé en parallèle sur des phrases symboliques de l’égalité et des luttes passées, accrochées sur les murs du collège, à quelques mètres des visuels réalisés par Nelly Kerfanto, photographe et adhérente de l’association féministe. « Les filles faisaient les garçons et inversement. C’était ludique et ils ont pu bosser sur des attitudes assez stéréotypées, ce qui les a amenés à réfléchir », précise-t-elle.

Selon Nelly, l’objectif était de leur transmettre des informations afin de les pousser à la réflexion, de leur donner les moyens de discuter de sujets peu abordés en classe : « c’est casse-gueule, surtout depuis l’ABCD de l’égalité… Mais les gamins ne sont pas idiots, ils ont leur libre arbitre et peuvent agir pour changer les choses. Si aujourd’hui, ils ne saisissent pas toute la complexité du sujet, cela résonnera plus tard en eux. » L’association développe actuellement des outils à destination des scolaires.

  • Espace réduit, dès la cour d’école

La répartition femmes/hommes dans les espaces urbains, publics, privés, etc. démontre souvent les inégalités subsistant entre les sexes. À travers un croquis, Ni, 8 ans et demi (au moment du tournage en juin 2013), dessine sa cour d’école, investie principalement par les jeux de ballons, réservés quasi exclusivement aux garçons. « Ils colonisent la cour », explique la jeune fille dans le court-métrage Espace, réalisé par la grenobloise Éléonor Gilbert. Les petites filles sont alors invitées à occuper les quelques espaces libres, souvent peu aménagés pour prendre ses aises, et à jouer à la corde à sauter, plutôt qu’au football.

« C’est un très beau témoignage. Une parole spontanée qui raconte la géographie du genre et pose des questions essentielles : qu’est-ce qu’être une fille et un garçon ? Quelle représentation de l’espace avons-nous ? », explique Edith Maruejouls, militante féministe et géographe du genre à Bordeaux, à la suite de la diffusion du documentaire, aux Champs Libres en novembre dernier.

Pour la réalisatrice, le discours de Ni est révélateur du « positionnement de l’individu dans l’espace social ». Un positionnement qui s’infiltre dans les esprits dès la petite enfance et nous suit dans nos vies d’adulte. Le 7 mars, les Champs Libres diffuseront à nouveau Espace (en présence d’Éléonor Gilbert) dans le cadre de Documentaires au féminin, organisé par l’association Comptoir du Doc. D’autres moyens et longs métrages, autour de la condition féminine, seront projetés les 7 et 8 mars.

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  • Prendre la rue en mémoire des luttes

Le 25 février, une dizaine de femmes, et un homme, sont réuni-e-s autour des deux chorégraphes rennaises Anne-Karine Lescop et Pénélope Parrau, au centre social Ty Blosn, à proximité du Triangle. Ensemble, le groupe va apprendre et répéter les enchainements qui constitueront la marche chorégraphique dans la cité, à l’initiative du CIDFF 35 (Centre d’Information sur les Droits des Femmes et des Familles) et de l’association Danse à tous les étages.

En effet, le 7 mars, une soixantaine de Rennais-es investira la place de la Mairie, en descandant la rue Le Bastard, pour attirer l’attention des passant-e-s sur les droits des femmes. Mais surtout pour « faire signe », comme l’exprime Anne-karine Lescop, aux femmes qui se sont battues pour les droits d’aujourd’hui, « pour l’avortement, contre les violences, pour l’égalité des salaries, et j’en passe… » Ce soir-là, au Blosne, ça échange, ça discute et ça débat. De la manière dont elles marcheront, de la façon de se comporter, de la conclusion de l’événement…

Ce groupe restreint est un test, un pilote en quelque sorte. « Pour voir si ce que l’on a prévu avec Pénélope fonctionne ou non. Et ensuite, elles seront des « modèles » pour les autres, le jour-J, même si nous répéterons dès 12h30 au théâtre de verdure, dans le parc du Thabor avec tout le monde », explique Anne-Karine. À la file indienne, liées les unes aux autres par les mains, elles marchent lentement en silence, avec de s’enrouler en spirale, afin de former des cercles dans la salle. Puis doucement, elles commencent à chuchoter des phrases. Toutes différentes. « On ne nait pas femme, on le devient », « Mon corps m’appartient », « Femmes, égalité des droits » ou encore « Un esprit libre dans un corps libre » et « Le viol est un crime »…

La rumeur s’élève, le brouhaha s’amplifie, certains mots s’isolent et nous titillent les oreilles, attisent la curiosité, suscitent l’intérêt, les mains se détachent et chaque volontaire exécute des gestes chorégraphiés en lien avec leurs propos. C’est hypnotique, fort et prenant. « Quand tout le monde sera là, ça donnera l’impression d’une manifestation festive », espère Pénélope Parrau. La marche chorégraphique dans la cité relève de la performance artistique sur fond militant.

« Scander un slogan avec une chorégraphie, c’est une affirmation du corps, de sa façon d’être. Quand on fait le geste de s’exposer dans la rue, c’est vraiment affirmer quelque chose de soi. Et la rue appartient à tout le monde ! »
développe Anne-Karine Lescop.

Sans se désigner militantes féministes, les deux chorégraphes souhaitent saluer la mémoire des femmes qui se sont battues pour leurs droits, nos droits. Qui ont eu du caractère et la force d’affronter les luttes d’hier. « On ne les a pas vécu mais cela fait parti d’une mémoire collective. On a eu le droit à l’IVG, avec cette marche, je fais signe à Simone Veil, je la remercie ! », poursuit-elle.

De la reconnaissance tout d’abord mais aussi une mise en garde pour les générations futures. Les droits acquis sont fragiles et nos libertés sont à préserver. La marche aura donc plusieurs niveaux de lecture et d’interprétation et devrait résonner dans les esprits des ancien-ne-s comme dans ceux des plus jeunes qui sont de plus en plus invités à réfléchir autour de la répartition de l’espace public, mal partagé entre les hommes et les femmes.

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Les femmes osent-elles davantage prendre la parole en public ? Quel est le rôle de la parole dans le partage du pouvoir entre les femmes et les hommes ? Mercredi 18 mars, à la Maison Internationale de Rennes, l’association féministe rennaise Questions d’égalité organise une rencontre-débat, autour de temps d’échange et du slam – en partenariat avec Slam Connexion.

L’occasion également pour les membres de l’association de présenter les résultats de leurs observations quant à la répartition de la parole lors d’un conseil municipal en 2014. « Nous ne faisons pas ici de généralité, nous avons assisté à une séance ! », explique Rozenn Moro. Aussi, elles apporteront un éclairage plus large en rendant compte des recherches de Corinne Monnet, féministe ayant déjà consacré plusieurs études à ce sujet. « Nous avons pris le thème à la lettre, nous souhaitons encourager les prises de parole ce soir-là, pour justement trouver des solutions ensemble », conclut Rozenn.

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  • Entre chants partisans et en signes

On peut prendre la parole de différentes façons, sur différents rythmes… Et pourquoi pas, en chantant. C’est ainsi que MixCité a interprété le thème de ce mois-ci, et imaginé déambuler dans les rues de la ville en entonnant airs féministes et refrains revendicatifs. « Cette année, il y a un décalage avec les événements que l’on peut voir traditionnellement en mars. Notre idée, cette fois, est de prendre de la place dans la rue, dans le bon sens du terme, car c’est toucher plus de monde, et nous sommes à la base une association de rue, nous allons au contact des gens », confie Aude Le Bras chez MixCité.

Très vite, les membres du mouvement féministe ont eu envie de partager leur « Chorale Ambulante » avec 10 Doigts, la compagnie de créations artistiques bilingue langue des signes-français, avec laquelle ils avaient déjà collaboré au Printemps 2014 lors d’un café poussette autour de contes féministes pour enfants. « Intégrer tout le monde, et notamment les personnes avec un handicap, a toujours été une idée forte et très importante pour nous », révèle Aude. Il était par conséquent logique pour MixCité de proposer l’aventure à une minorité, en l’occurrence des femmes sourdes ou malentendantes.

Deux comédiennes se tiendront donc en tête du groupe et traduiront en langage des signes les cinq chansons choisies.

« Contribuer à la Chorale Ambulante Bilingue c’est rendre accessible aux sourd(e)s un événement local, c’est participer à la journée de la Femme – qui nous est chère puisque notre équipe est majoritairement féminine - c’est faire découvrir le chant-signe (chanter en langue des signes) et tout cela sur la place publique, qui, à notre sens, est le premier lieu de transmission et d’échanges pour toutes et tous »
explique Olivia de 10 Doigts.

Le parcours n’est pas défini au mètre prés et variera sans doute au gré des réactions des badauds. La chorale débutera à 10h30 au métro Sainte-Anne. Elle cheminera jusqu’au marché des Lices où elle fera une « halte en chansons » sans doute en haut des escaliers, avant de revenir sur ses pas et de prendre la direction de la place du Parlement pour s’arrêter au Thabor vers 12h où elle doit retrouver la Chorégraphie Ambulante.

Et que chantera-t-on ce 7 mars ? « L’Hymne des femmes, La Vaisselle et La Reine du Créneau d’Anne Sylvestre, Babette du Quartet Buccal (qui raconte un amour lesbien) et la chanson de MixCité, une composition maison un peu provocatrice aux paroles bien tranchantes, sur l’air de La Vie en Rose », sourit Aude.

  • Poésie, intime partage de nos émotions

« Ce n’est pas anodin de prendre la parole en public ». Aurélia Décordé, (sur)chargée - comme elle dit en rigolant - de projet et d’administration pour l’association Slam Connexion, sait bien de quoi elle parle. Quand on aborde le thème choisi cette année pour le 8 mars, elle répond naturellement : « Prendre la parole en public, c’est déjà une démarche engagée. » Et engagée, elle l’est. Pour les droits des femmes, l’égalité des sexes mais aussi pour la défense de l’art qu’est le slam, pour favoriser les échanges entre les individus et les accompagner dans leur expression, écrite ou orale.

« Ce que l’on remarque sur les scènes slam, c’est que certains se livrent, parlent de leur ressenti. Et ce qui marche bien, c’est l’auto-dérision souvent, faire rire de ses défauts… Et d’autres ne se livrent pas, parlent de la pluie, du beau temps. On tend malgré tout vers l’universel, que les paroles soient personnelles ou non. »

Jeudi 12 mars, l’association proposera un espace de partage et d’échanges au Pôle associatif Marbaudais, où se situe le local de Slam Connexion, après un atelier d’expression poétique, qui aura lieu le jour même. En non mixité, les 12 participantes seront invitées à partir des représentations que l’on a des femmes, des hommes, de l’égalité. En individuel et en collectif. Puisque le rapport à l’écriture est différent du rapport à l’oralité, même si tous deux font appel à l’intime. Et puisqu’en non mixité, « tout est possible. »

Aurélia souhaite animer un atelier sans jugement, sans réponse concrète, avec simplement des mots, « on construit des armes, car l’éducation populaire aide à se sentir mieux armée, et les mots sont le premier pouvoir ! » Les femmes pourront, à travers la poésie et l’écriture, exposer des situations d’égalité, de discriminations, de violences, etc. : « Elles seront libres. La thématique c’est « Paroles d’égalité ». Après ce sont elles qui définissent ce qu’elles veulent dire, ce qu’elles ne veulent pas dire, si elles font de la poésie ou non. L’association prône vraiment cette liberté de dire ce que l’on souhaite. »

Et concernant la répartition de la parole entre les femmes et les hommes, hors ateliers non mixtes, l’association balaye volontiers devant sa porte. Plus d’hommes se présentent lors des scènes slam pour déclamer leurs textes mais les femmes sont également présentes « pour dire des choses, ou simplement écouter ». Aurélia Décordé et sa collègue Charlotte Bonnin s’interrogent actuellement sur les raisons qui motivent les femmes à monter sur scène, ou à l’inverse, à rester spectatrices. « Nous souhaitons nous associer à Questions d’égalité qui cherche justement à recueillir des données chiffrées et à les analyser. C’est une vraie question, la question de la légitimité, que nous voulons porter ! », conclut Aurélia.

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  • Parlez-moi d’amour, redites-moi des choses tendres

Et si tout se jouait avec l’éducation et l’amour ? La journaliste et plasticienne Christine Barbedet, la photographe et vidéaste Stéphanie Priou et la dessinatrice Martine Sauvage, en semblent convaincues. Mues par ce postulat de départ, elles sont allées poser appareil photos, caméra et crayons au Blosne - un quartier qu’elles connaissent bien - depuis plusieurs semaines déjà, et comptent s’y installer un temps. « Le mois de la Femme est le point de départ du projet, lequel nécessitait que l’on prépare le terrain et s’inscrira dans la durée », explique Christine Barbedet.

Elle est l’initiatrice de «C’Elles du Blosne racontent», souhaitant, d’une part, pérenniser le travail effectué lors de sa résidence à La Paillette, « Objet qui compte et qui (ra)conte », (lire YEGG n° 24, avril 2014), et interpeller, d’autre part, les femmes sur la transmission faite aux garçons. Car, lors d’un reportage dans le quartier voilà quelques mois, un gamin de 11 ans lui a lancé « dégage, on ne parle pas aux femmes ici ».

Heurtée, elle a réfléchi à la responsabilité des femmes dans ce genre d’attitude. « En combinant les deux, j’ai imaginé le projet « Quel objet messager souhaitez-vous transmettre à votre fils de sang ou de cœur ? », l’idée étant de demander aux femmes du Blosne quel « objet messager » elles aimeraient leur léguer et par là même les interroger et les faire parler sur l’éducation faite aux garçons », explique-t-elle. Ensuite, elle prend des photos et écrit les textes qu’elle exposera.

Christine n’aime pas travailler seule, aussi a-t-elle ouvert sa réflexion à Stéphanie et Martine, dont elle apprécie le travail. La première s’est lancée dans un exercice vidéo sur l’amour, « Mesdames, parlez-nous d’amour », dans lequel elle donne la parole aux femmes afin qu’elles racontent une histoire personnelle, intime, ou plus générale, qu’elles ont vécu ou entendu. La seconde va dessiner « Ce qui nous origine » en captant certains propos recueillis dans le cadre du projet :

« D’habitude, je travaille sur mes racines au travers de dessins aux nombreuses ramifications, qui s’entremêlent. C’est très personnel et très intérieur. Cette fois, je vais m’inspirer des autres pour créer des paysages intérieurs et interroger de façon onirique les racines des femmes rencontrées », raconte Martine.

Les propos, photos et dessins devraient s’exposer sur de grandes bâches modulables et nomades d’1 mètre 20 sur 60 cm, l’idée étant que différents lieux l’abritent. « Nous travaillons avec beaucoup d’associations – Carrefour 18, Ty Blosne, le Centre culturel islamique…etc. – il faut que le dispositif soit visible dans plusieurs endroits, accessible au plus grand nombre », souligne Christine. Car si le projet démarre avec le mois de la Femme, il ira au-delà, il est ainsi envisagé que chaque 8 du mois (pour rappeler le 8 mars) un événement ait lieu.

« C’est un projet et un quartier qui ne s’improvisent pas et qui méritent qu’on prenne le temps, il faut aussi que cela essaime. L’idée est que les femmes se mettent au travail, on veut les inciter à la réflexion et à parler. Nous ne cherchons pas le nombre dans la participation, mais la qualité », ponctue la plasticienne. Les trois artistes croient à la synergie et à l’imbrication aujourd’hui nécessaire entre l’art et le social, en outre, elles sont convaincues que donner la parole aux femmes aujourd’hui n’est pas anodin… A suivre donc.

+ d’infos : http://femmesdublosne.wix.com/2015

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« Prendre la parole, agir », il n’y a pas si longtemps encore, les femmes se sont battues pour cela, rien que pour cela… C’est instantanément ce à quoi Anne-Françoise Taillard, Sophie Regnauld et Françoise Cognet du Collec’Actif Agence Zen Com,  plasticiennes et photographes, ont pensé. « Pour notre génération le combat des suffragettes est très important, nous l’avons toujours à l’esprit. Ce n’est pas évident pour les plus jeunes, elles l’ont oublié ! », précisent-elles en chœur. Navrant, car la conquête n’est pas si vieille, 70 ans cette année, seulement.

Nos trois artistes invitent donc le public à venir déposer dans une urne ses souhaits féminins ou féministes, les changements qu’il aimerait voir venir, ou simplement son regard sur les femmes… Ne se contentant pas de la laisser à disposition de chacun et d’attendre, elles accompagnent leur urne. Cela a débuté le 3 mars avec une lecture de textes féministes. Le lendemain, l’urne était installée à la maison de quartier de la Touche, elle y sera jusqu’au 10 mars.

Ce même jour aura lieu le vernissage d’une exposition mêlant six portraits de femmes dont les actions ont participé à l’émancipation des femmes – Hélène Boucher, Louise Weiss, Hubertine Auclert, Amélie Beaury-Sorel, Louise Bodin et Caroline Rémy dite Séverine – à des œuvres personnelles qui interpellent. Ainsi, Anne-Françoise Taillard a repris une affiche scolaire des années 1960 qui servait aux leçons de vocabulaire. On y voyait un papa lisant le journal dans son fauteuil, aux pieds duquel jouait un petit garçon pendant que sa mère faisait la cuisine et que sa sœur mettait le couvert.

« J’ai tout inversé ! et nommé cela « Le jeu des 7 différences, à vous de les trouver », j’attends de voir les réactions ! », ponctue-t-elle. Sophie Regnauld a choisi l’intime pour évoquer la cause féminine, en l’occurrence sa mère, dont elle expose des photos à plusieurs âges de la vie pour montrer l’effacement progressif d’une femme qui n’a jamais eu la parole. Françoise Cognet présente quant à elle deux montages photos sombres faits de morceaux de femmes repigmentés avec des produits de beauté, et une photo de femmes à la piscine Saint-Georges. On peut aussi y voir une photo d’Annette Miller.

 

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Armées de paroles, et plus encore...
Action n°1 : Grandir dans l'égalité
Action n°2 : Gagner du terrain
Action n°3 : Entretenir le dialogue

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