Célian Ramis

Femmes invisibles : l'errance autrement

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Rennes
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Les femmes en errance sont-elles vouées à être invisibles ? Quelle est l'excuse de la société qui les ignorent ? Enquête auprès de femmes qui témoignent de leurs réalités et leurs quotidiens.
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En mars, l’association Les Ceméa – Centres d’entrainement aux méthodes d’éducation actives – de Bretagne investissait l’Hôtel Pasteur, à Rennes, pour y fabriquer un espace de réflexion autour des « Jeunes femmes en errance ». À travers une exposition, des forums, des projections et des conférences, l’objectif était de présenter les réalités vues et vécues par celles qui vivent « la rue » au quotidien.

Et ainsi, « changer les regards sur ces invisibles », comme l’indiquait le sous-titre de l’événement. Mais pourquoi sont-elles invisibles ? Comment vivent-elles leurs conditions de femmes en errance ? Comment affrontent-elles le quotidien et envisagent-elles le futur ?

Nadège, Malika et Louise vivent actuellement aux prairies Saint-Martin, ont entre 26 et 37 ans, des parcours pluriels et des envies différentes. Mais elles partagent leurs ténacité et force, bien loin des stéréotypes qui encadrent les sans-domiciles…

S’il est quasiment impossible de définir le nombre de femmes concernées par l’errance, deux sans domicile sur cinq seraient des femmes en France. Selon l’association catholique belge Vivre Ensemble Education – qui lutte contre la pauvreté et l’exclusion - au niveau européen, elles représenteraient entre 8 à 25% des SDF. Une fourchette large…

« Ces femmes existent et il nous appartient d’en tenir compte. », déclare la structure bruxelloise. Elles sont par conséquent présentes dans l’espace public mais, pour de multiples raisons, sont invisibles.

Dans l’imagerie populaire, à quoi fait-on référence lorsque l’on parle de ‘SDF’ ? Les ‘sans domicile fixe’ sont-ils, par cette désignation, asexués ? Non. L’image première est celle d’un homme, pas particulièrement jeune, marqué par la rudesse de la « zone » - froid, stress, hygiène, violences potentielles – et souvent polyaddict à l’alcool et aux psychotropes.

S’ajoute à cette représentation un fond de fainéantise, le sans-abri optant plus aisément pour la manche que pour la recherche d’un emploi, profitant ainsi du système au crochet de la société.

Une suspicion, voire une accusation, en tout cas un jugement négatif et réprobateur qui témoigne d’un malaise vis-à-vis d’une population que l’on ne connaît que très peu et à laquelle les individu-e-s craignent de se confronter.

Si elles sont identifiées par leur sexe, les femmes concernées, elles, vont bénéficier de la part des passant-e-s de plus de compassion, assortie d’un fort sentiment de pitié.

En effet, les représentations de genre amènent à envisager la femme comme un être plus fragile et vulnérable, tant sur le plan physique que psychologique, que l’homme. Ainsi, dans l’espace public, elle s’expose à des violences multiples.

À l’occasion d’une enquête réalisée par la Mipes (Mission d’information sur la pauvreté et l’exclusion sociale) en 2009 auprès de 26 femmes SDF âgées de 50 ans, la sociologue Corinne Lanzarini explique : « Les violences auxquelles sont confrontées les femmes à la rue sont une extension de la violence générale à l’égard des femmes et plus particulièrement celle vécue par les femmes, en provenance des hommes. Les femmes à la rue doivent faire face à des craintes permanentes et elles se considèrent comme des proies au sein de l’espace public. »

Au quotidien, la gent féminine, en grande majorité, ressent un sentiment d’insécurité, craignant le harcèlement, les injures, les intimidations ainsi que les agressions physiques et/ou sexuelles. Elle développe pour y faire face des stratégies d’évitement : adopter un style vestimentaire sobre et « neutre », être accompagnée par des proches et en particulier par des hommes, éviter dans le cas échéant de fréquenter la rue à des heures tardives, etc. Et les femmes en errance ne font pas exception à cette logique de protection.

On dit alors qu’elles se masculinisent « Elles s’habillent dans les friperies de sorte qu’on ne les voit pas », déclare la réalisatrice canadienne Lise Bonenfant en préambule de son documentaire L’errance invisible, en 2008. La sociologue grenobloise Marie-Claire Vanneuville, approuve la théorie de l’invisibilité comme stratégie de survie.

Au début des années 2000, elle a mené une recherche-action de deux ans auprès de femmes en errance, débouchant sur la création dans la capitale des Alpes d’une association « Femmes SDF », connue, reconnue et prise en exemple pour ses réflexions et ses initiatives – notamment à travers la diffusion du documentaire de Denis Ramos réalisé en 2004, Malaimance, suivant 5 femmes en errance, SDF ou pas, dans leurs quotidiens et trajectoires de vie - dans le secteur social en France et à l’étranger, et la publication d’un ouvrage intitulé Femmes en errance : De la survie au mieux-être.

Ne pas se faire remarquer, « c’est une question de vie ou de mort face à la violence inimaginable qu’elles subissent. (…) C’est une attitude de défense mais aussi de culpabilité et de honte. »

La honte et la culpabilité dont elle fait mention, elle la développe en 2010 également dans un article de la revue de la Fédération européenne des associations nationales travaillant avec les sans abris, « Le sans-abrisme du point de vue du genre » (repris en contribution dans le magazine 50/50 en décembre 2010).

Les femmes sans logement seraient en échec face à toutes les assignations de genre. Pourquoi ? Car elles ne répondraient pas à leur mission centrale : fonder un foyer à proprement parler et l’entretenir. L’espace privé étant le lieu par excellence de la femme. Dehors, le mode de vie ne correspond plus aux expectatives de la société.

Karine Boinot, psychologue clinicienne – qui est intervenue lors de la manifestation « Jeunes femmes en errance » en mars dernier à l’Hôtel Pasteur de Rennes – posait déjà la question en 2008 autour de la précarité asexuée et définissait alors :

« L’errance représente aussi la déviance par rapport à une norme ou un idéal. Elle renvoie à un certain désordre et donc à un danger potentiel. (…) La plus grande sévérité à l’égard des femmes peut s’expliquer en partie lorsque l’on sait que la prostitution est assimilée à l’époque (18e siècle, ndlr) au vagabondage. L’errance féminine est donc socialement et moralement suspecte car une honnête femme reste à la maison (du père ou du mari). Il y a ainsi transgression de l’apparent destin sociosexuel ou biologique, transgression qui se joue notamment par rapport à la sédentarité de l’univers domestique à laquelle les femmes sont vouées. »

Surtout dans un espace qui par essence est baigné de violences, comme constaté précédemment. « C’est pourquoi pour les femmes qui basculent dans la clochardisation, même si elles sont peu nombreuses, une cassure irréversible se fait au plus profond d’elles-mêmes, qui se traduit par une dégradation physique beaucoup plus marquée et rapide que chez les hommes. », précise Marie-Claire Vanneuville.

Il n’est pas rare également que pour se protéger, elles s’entourent et s’intègrent à des groupes de zonards. Une manière de se rassurer mais aussi de briser la solitude de l’errance. C’est le cas de Nadège, 26 ans, sans domicile depuis 2011. D’abord hébergée « à droite à gauche » du côté de Fougères, elle dort pendant un temps dans sa voiture puis, lorsque celle-ci tombe en panne, squatte chez un ami à Rennes.

Les choses tournent mal et en septembre 2013, la jeune femme atterrit dans la rue. C’est comme ça qu’elle va rencontrer, sur la dalle du Colombier, sa bande actuelle dans laquelle se trouve son amie Lina. « On s’aimait pas au début. J’aimais pas, elle jouait la racaille. Puis j’ai appris à la connaître, elle était mineure à l’époque alors je l’ai prise sous mon aile. Aujourd’hui, on a des liens de sœurs, c’est très important. Et c’est comme ça que j’ai rencontré son copain, qui vit aussi avec nous. », explique Nadège.

Ensemble, ils se sont installés dans une maison inoccupée, début mars, aux prairies Saint-Martin, à quelques mètres du Bon Accueil. Sinon ils vivent sous tentes, dehors ou dans des squats dont ils se font expulsés. Son entourage, c’est sa famille. Celle qui l’aide, la soutient, l’accompagne. Elle l’affirme et elle insiste :

« Lina, c’est ma sœur de cœur. On pourrait s’arracher le cœur l’une pour l’autre. C’est ce lien particulier qui nous a fait tenir. On se soutient dans la difficulté. Elle a arrêté les conneries – la violence, les vols de vélos… - sa mère me l’a bien dit, on arrive mieux à la canaliser maintenant. »

La solidarité, elle y tient. Victime, plus jeune d’une SDF qui profitait d’elle pour son argent, Nadège est à présent plus méfiante, sur ses gardes. Mais sa confiance envers ses trois compagnons de fortune est sincère.

« Ce sont de bonnes personnes. Je suis bien entourée. C’est grâce à eux que j’ai arrêté de boire et de fumer des bédos. Bon la clope, j’arrive pas à arrêter… Avant, je buvais en soirée, dehors tu bois des bières pour te réchauffer. T’es dans la galère, t’es sur les nerfs d’être dehors et de ne pas trouver d’endroit pour dormir alors bon… Aujourd’hui, je suis bien avec eux, à quoi ça sert alors de fumer et de boire ? Si je pète les plombs, ils sont là et ils me disent : ‘T’es une fille forte, t’es une battante’. », dit-elle en souriant.

RUPTURES ET FRACTURES

Néanmoins, elle ne nie pas la réalité. Au contraire, elle ne la connaît que trop. Agressée sexuellement à deux reprises, elle est consciente des dangers des soirées alcoolisées et de la rue, les premières violences ayant été subies dans un appartement, lorsqu’elle avait 17/18 ans.

Elle raconte : « Ils se sont mis à 2 sur moi, j’ai dit d’arrêter et que j’allais appeler au secours. J’ai eu un éclair de lucidité. Ils ont arrêté, j’ai eu de la chance. La plupart du temps, tu ne connais pas les noms de famille des personnes, alors tu ne portes pas plainte car contre X, tu sais que ça ne mènera nulle part. Surtout pour les zonardes, les flics vont pas faire une enquête. Mais le mec qui m’a agressée la 2e fois, lui, s’il revient à Rennes, il est mort, on fera justice nous-même. Rien à foutre. »

Les stratégies d’évitement ne peuvent être la seule réponse et défense des femmes en errance. Savoir se défendre est un atout incontestable quand on passe la majorité de son temps dans la rue. Elle a pratiqué le judo plus jeune, apprend, par un ami, quelques techniques de karaté et garde sur elle un couteau, en cas de besoin.

« Même si tu connais quelques trucs, quand tu te fais agresser, tu fais comme tu peux pour te sauver la vie. On essaye de se faire discrètes, de ne pas se faire voir, de ne pas rester tard dans la ville, on a les chiens avec nous – mais bon c’est pas dit que l’autre en face il ne plante pas ton chien ! – et on essaye d’être accompagnées par des hommes. », souligne-t-elle.

Les hommes avec lesquels elle a créé des liens étroits, elle les surnomme les grands frères, les tontons de rue, les papas de rue.

Pour Louise, à Rennes depuis 6 mois et en errance depuis plusieurs années, il est indéniable que les femmes doivent s’imposer, développer des caractères bien trempés et affirmés afin d’éviter au maximum les violences masculines.

« C’est clair que c’est difficile d’être une femme. Et une femme à la rue, c’est encore plus compliqué, avec toutes les violences. »
ajoute-t-elle.

Les violences, elle les a subies au sein de son couple, pendant une dizaine d’années avant d’être aidée et soutenue par son compagnon actuel. À 37 ans, elle tente de se reconstruire et témoigne d’une grande réserve autour de sa vie privée que l’on décèle jalonnée de souffrances éparses.

Depuis l’adolescence, Louise montre une envie de s’en sortir par ses propres moyens. Ses parents, issus du microcosme de l’audiovisuel et du cinéma, la poussent très jeune à travailler « mais le piston c’est pas trop mon truc, je n’ai pas envie d’être là parce que je suis fille de mais parce que j’ai des compétences. » Son père décède. Elle est alors âgée de 16 ans. Un passage par la radio Nova, quelques figurations dans des films… Les expériences lui plaisent mais sans plus.

Elle prend un chemin radicalement différent. « J’ai eu envie de liberté, envie de voyager, de rencontrer des gens différents. J’étais dans le sud, y avait du soleil mais des grandes gueules aussi, donc on a tracé vers le nord avec Raph’. On était vers Clermont, on y était depuis trop longtemps, ça nous cassait les couilles. Rennes, c’est une bonne ville, avec une bonne mentalité. On ne regrette pas du tout, on est bien ici. », explique-t-elle en finissant son thé, sur la terrasse de Malika par un après-midi ensoleillé.

Les premiers rayons de soleil printaniers se pointent et transforment les prairies Saint-Martin, inondées une semaine auparavant – obligeant plusieurs occupants des lieux à bouger leurs campements constitués principalement de tentes, matelas et bâches – en petit coin de campagne paisible et ressourçant.

Originaire de Charente, Malika débarque dans la capitale bretonne il y a 4 ans avec son camion. Ce mode de vie, elle l’a investi depuis 12 ans, à la suite d’une séparation amoureuse. Etre véhiculée, c’est la garantie de pouvoir bouger quand elle en a envie, de pouvoir aller là où elle a envie. « Mon beau-père est militaire, on a toujours bougé, je pense qu’il m’a transmis ça. », confie-t-elle.

Sans entrer dans les détails, elle livre une histoire familiale complexe. En rupture avec ses parents, elle est émancipée très jeune et lorsqu’elle prend la route, ne leur dit pas pendant 10 ans ses destinations et points d’ancrage : « J’ai revu ma mère il y a quelques années, j’ai été agréablement surprise. Elle voit que j’ai la tête sur les épaules, que j’ai mon camion, elle est rassurée. »

Nadège ne partage pas tout à fait la même expérience que Malika mais connaît des épisodes de fractures avec son père qui va être à la base de son errance. Clairement, il lui signifie de quitter le domicile familial. Mais elle reste en contact avec sa mère par sms ou par Facebook et lui a rendu visite l’an dernier. Un bref moment.

« Ça lui a fait mal de me voir partir la première fois. Je resterais toujours son bébé. Là, elle était contente de me voir mais triste que je reparte, car mon père ne voulait pas que je reste. Pour mon frère, ce n’est pas évident non plus. Il avait 11 ans quand j’ai quitté la maison. Il a manqué de quelque chose, comme un fils unique. Il est très timide, ne montre pas facilement ses émotions et je sais qu’il a pleuré plusieurs fois, je lui manquais. », dévoile Nadège.

Les trois femmes démontrent la diversité des parcours et des facettes de l’errance. Des manières différentes de la vivre et de la concevoir. Choix ou non, elles cherchent toutefois à assumer leurs quotidiens, à le montrer sous un autre angle, à travers leurs réalités présentes et les forces qu’elles peuvent en retirer. Toutes les trois parlent avec pudeur du chemin qui les a menées là mais aucune question n’est taboue, aucune réponse n’est sans conviction.

Déni ou vérité ? Les écrits universitaires et sociologiques affirment que personne ne choisit la rue. On cherche alors à justifier leur présence par des explications rationnelles et pragmatiques : la crise, l’augmentation de la précarité (qui souvent touche beaucoup plus les femmes que les hommes). Ainsi que par des images plus personnelles : la rupture familiale, la relation amoureuse d’une jeune fille avec un zonard, etc.

Et c’est là que se noue toute la complexité du regard porté par la société sur les femmes en errance. Envisager renoncer au confort du logement, au matérialisme rassurant, au cadre de la norme est source d’angoisses pour une grande partie de la population. La stigmatisation permet alors de se réconforter dans l’idée que cela n’arrive pas à tout le monde, au hasard d’un parcours cabossé. Nadège, Malika et Louise sont unanimes : mettre tout le monde dans le même panier sème la confusion et les amalgames sont réducteurs et contre-productifs.

« Y a des connards partout, des gens bien partout. Dans les zonards, y a des gens qui picolent, d’autres non, qui se droguent, d’autres non. Des violents, d’autres non. Mais c’est pareil chez les pompiers, les flics, etc. Il faut essayer de comprendre pourquoi les uns et les autres en arrivent là, il faut apprendre à connaître avant de juger. On a tous une histoire. On voit moins les femmes que les hommes mais tout le monde peut tomber dehors. », précise Nadège pour qui l’événement « Jeunes femmes en errance », organisé par Les Ceméa Bretagne, a été capital « pour faire ouvrir les yeux » au grand public, venu en nombre à la découverte de l’exposition et aux rencontres proposées (un peu moins lors des forums qui ont plus attiré les professionnel-le-s du secteur social).

Elle a fait partie, avec Lina, du comité de pilotage de la manifestation, et s’est beaucoup investie auprès des médias rennais pour changer les regards. Aborder tout aussi bien les difficultés, les galères, que les manières d’y survivre, sans détours.

L’invisibilité est donc une réalité de leur quotidien, de la situation des femmes en errance. Mais n’est pas tout ce qui les caractérise. Peut-être serait-il temps de s’interroger sur les raisons qui nous font ne pas les voir ? Car lorsque l’on s’y intéresse, les médiums d’information ne manquent pas. Documentaires, expositions, associations, articles de presse, ouvrages universitaires, publications sociologiques, émissions radio et TV… suffirait-il d’y porter attention et d’ouvrir les yeux en foulant les trottoirs de la ville ?

Dans un dessin de presse, l’illustrateur Pessin met le doigt sur l’image péjorative de l’errance féminine. Deux personnages discutent : « C’est le quoi le féminin de SDF ? », dit l’un. « C’est pire ! », répond l’autre. Une bribe de preuve que la société a du mal à faire face à ce phénomène social lié à un contexte de pauvreté mais aussi à une crise identitaire. Vulgarité, ignorance, hygiène douteuse… une représentation péjorative qui « met mal à l’aise, gêne quant au statut de la femme, elle en casse l’image », selon l’association Vivre Ensemble Education.

Pour la célèbre Mireille Darc, c’est avec le temps et l’habitude qu’elles sont devenues invisibles. « Invisibles parce que nous refusons de les voir, parce que cette réalité dérange », précise le synopsis du documentaire qu’elle signe pour l’émission de France 2, Infrarouge, diffusée le 15 décembre dernier et intitulé Elles sont des dizaines de milliers sans-abris.

SUBVENIR À LEURS BESOINS

Pour dégoter des couvertures, des matelas, des tapis de sol, des tentes ou encore des bâches, Nadège se tourne vers des associations comme le Samu social ou Si on se parlait. Pour se laver, la structure Le Puzzle propose des douches. Mais la jeune femme préfère se rendre à la piscine Saint-George qui pour 1 euro donne accès à des douches toujours très bien entretenues, bien mieux qu’au Puzzle précise-t-elle, et pour 2 euros à des bains. Pour la nourriture, la Croix-Rouge « dépanne ».

Mais avec ses ami-e-s, elle met en commun son RSA et les sous de la manche pour faire des courses et varier un peu les plaisirs. « On fait des pommes de terre, de la purée, des barbec’ en faisant du feu. Ce qu’on a en maraude, c’est bien mais on en a un peu marre des croissants et des sandwichs à force. On a besoin de chaud, de nourrissant. Sinon l’asso Le Fourneau sert des bons repas le midi aussi », signale Nadège. Elle est claire à ce sujet : ce n’est pas parce qu’elle vit dans la rue qu’elle n’aime pas s’entretenir. Sur le plan hygiénique et gastronomique, certes, les exigences sont réduites mais pas inexistantes :

« Si je pouvais, j’irais me laver 4 à 5 fois par semaine ! La rue, ça apprend à murir, à se débrouiller, à se nourrir, à se laver même quand les assos sont fermées. »

Pour Malika et Louise, même combat. En toute simplicité. Au bout de leur allée, une fontaine dont l’eau fait l’objet d’analyse chaque année afin de s’assurer de sa potabilité. À l’aide d’une brouette remplie de bidons, Malika va chercher de l’eau à la pompe. « On a ce qu’il faut ! On prend une bassine, on peut se doucher, faire une petite toilette de chat régulièrement. Ou prendre des lingettes. », explique-t-elle, naturellement.

Et pour les cabinets, des toilettes sèches faites de bric et de broc. « Mon coloc a posé des palettes, on installe une bassine et je ramène des copeaux. Il y a un endroit où je vide ça, tout simplement. », précise-t-elle.

Une fois cette image rompue, Nadège met pourtant le doigt sur une réalité qui augmente la vision d’une hygiène de vie peu enviable : les chiens. Ils dérangent, ils font peur. Aux prairies Saint-Martin, ils sont la cible de nombreux reproches de la part de certains riverains. Les trois femmes, chacune propriétaire d’un-e ou plusieurs chien-ne-s, en témoignent, c’est un espace qui résonne et quand les chiens aboient, l’écho amplifie les désagréments sonores.

Mais elles tiennent à rétablir la réalité quotidienne : oui les chiens aboient au cours de la journée quand un-e passant-e approche, mais non ils ne crient pas toute la nuit, dormant souvent avec leurs maitres et maitresses. Et rappellent également que les personnes en errance ne sont les seules à avoir des animaux domestiques. Derrière ces plaintes régulières se dissimule l’image stéréotypée des groupes de zonards qui veillent une partie de la nuit et font couler l’alcool à flots.

Elles ne s’en cachent pas, elles apprécient les moments de partage, les soirées, les apéros. Elles sont plutôt ‘couche-tard’ que ‘lève-tôt’. Louise reconnaît son addiction à l’alcool. Ce qui ne signifie pas que la fête bat son plein tous les soirs pour terminer au petit matin. « Souvent, on est couchés à la même heure que les poules !, rigole Nadège. Et de temps en temps, on fait la fête comme ça a été le cas la semaine dernière, ils m’ont organisé une fête pour mon anniversaire. Mais on va pas nous emmerder hein ?! On est censés déprimer tout le temps ? »

Elle revient sur la compagnie de son chien et de sa chienne. Elle veut faire comprendre l’importance de leur présence. Elle y tient. La relation qui se noue entre l’animal et la maitresse est primordiale pour elle : « Ce sont nos bébés, on les éduque, on les nourrit, on les soigne, on les emmène chez le véto, on dort avec eux, on s’attache à eux. » L’attachement dépasse souvent l’entendement, pourtant les liens affectifs sont bel et bien réels et très vite apparents dans des moments de complicité tout comme dans des moments de protection.

« Si je suis en sécurité, ils vont aller jouer comme des gamins et vont s’éloigner. Sinon, ils vont rester autour de moi. Ou ils vont se mettre un devant et un derrière pour faire la garde. Ma chienne est très méfiante et quand elle ne connaît pas, elle ne laisse pas entrer, elle grogne. », souligne-t-elle.

Mais c’est aussi des instants émouvants comme quand la chienne met bas ou quand l’animal partage chaque ressenti du quotidien.

Ainsi, Nadège ne peut envisager de passer une journée sans ses deux compagnons à poils. « Il y a un lien très fort entre l’homme et le chien. Eux, c’est ma vie, ils sont toujours là pour moi, et inversement. On les aime, on se donne du confort. Ils nous comprennent, nous réchauffent, jouent avec nous ! On pourrait s’arracher un bras pour eux. J’ai 3 animaux préférés : le chien, le dauphin et le cheval. Leur point commun : la relation de confiance, l’attachement à l’homme, le tempérament joueur. Mais bon, le cheval en ville, c’est pas pratique… », plaisante-t-elle, tout en ne se détournant toutefois pas de son point principal : le chien a une place prépondérante dans son quotidien.

Et se les faire embarquer par la police, une fois les beaux jours venus sous prétexte d’une interdiction de regroupement de chiens, est une souffrance. Les animaux sont envoyés au chenil et les propriétaires, en plus de débourser la somme de 87 euros pour les faire sortir, doivent patienter une semaine réglementaire avant de pouvoir les récupérer.

« Ils font ça surtout au printemps et à l’été car il y a des touristes, alors ils essayent de nous éloigner. Mais Rennes, ce n’est pas qu’une jolie ville, on existe aussi. »
regrette-t-elle.

Les errant-e-s font tâche dans le paysage, ternissent la carte postale de la ville où il fait si bon vivre.

REMETTRE LES CHOSES À LEUR PLACE

Pour Marie-Claire Vanneuville, « L’errance n’est pas synonyme de « passage à la rue » (…) L’errance n’est pas le sans-abrisme (…) L’errance est profonde, psychologique, liée à une précarité matérielle dans la durée (…) L’errance est un parcours. » Pour Lise Bonenfant, il ne s’agit pas simplement de personnes mendiantes dormant sur les bancs publics. Et pour les concernées ? Comment se définissent-elles ? « Comme une femme normale », répond Nadège. Simplement.

Pas besoin d’aller chercher plus loin : « Je reste humaine. Je suis sans domicile fixe, je n’ai pas de logement. Je vadrouille dans la ville, je suis une zonarde. » Souvent installée avec sa bande et d’autres devant le Crédit Mutuel de Bretagne, place Sainte-Anne, elle fait la manche, en général les après-midis.

De temps à autre, elle participe à des activités et chantiers – de création et aménagement d’espaces verts par exemple, vers La Poterie et Beaulieu – organisés et proposés par la structure rennaise Le Relais, dont les éducateurs-trices de rue sont réparti-e-s sur plusieurs zones de la ville.

« Avec les éduc’ de rue, on peut parler de tout et de rien, rigoler, on peut aller avec eux en sortie kanoé, à la piscine ou en camp pour quelques jours aussi. Les chantiers, ça fait du bien aussi, ça donne envie de bosser, ça permet de pas rester dans la rue toute la journée et puis t’aimerait que ça dure toujours plus longtemps car tu noues des liens, des amitiés. », raconte Nadège qui devrait, avec Lina, prochainement accéder à une formation BAFA avec Les Ceméa. Ce qui lui permet d’envisager l’avenir autrement. Elle projette avec ses amis de trouver une colocation, à la campagne.

Louise et Nadège, elles, ne sont pas inactives non plus. Elles ne mettent pas forcément de catégorie sur leur mode de vie. Lors de notre rencontre, elles parlent de punks à chiens, de babos, de cas soc’ – en plaisantant à propos d’elles – mais ne collent pas l’étiquette sur ce qu’elles vivent et acceptent la désignation de femmes en errance, les deux femmes étant très attachées chacune à son camion, l’idée de bouger et de prendre la route leur tenant à cœur. Ne pas rester figées. Cela leur correspond.

Louise et son compagnon, hébergés actuellement chez un ami squattant une propriété en toute légalité, œuvrent depuis un mois à retaper leur véhicule, stationné devant la maison. Ensemble, ils aménagent leur intérieur avec un coin cuisine, une couchette, des espaces de rangement, etc. Un mélange d’intérieur bois et de mosaïques rétro, installés et fabriqués par eux-mêmes, avec du matériel acheté chez Brico-Dépôt et du système débrouille.

Un habitat fait de bric et de broc. C’est le leitmotiv de Malika qui, à 33 ans, se plait à profiter de ce qui l’environne. A contrario de Louise, qui parle ici de choix, elle ne fait pas la manche. Les prairies Saint-Martin, elle les a adoptées et les défend becs et ongles avec le collectif qu’elle a créé, Prairies libres ! Faire un potager, cueillir des noisettes, des châtaignes, en faire des cagettes, les mettre dans leur rue et les vendre à prix cassé, fabriquer des petits bijoux, voilà de quoi elle se satisfait en plus de son RSA, quand elle ne part pas en saison, dans le sud-ouest, pour travailler dans la restauration.

« Ici, on cherche des coins récup’ pour la bouffe, on fait des paniers pour le voisinage. On minimise, on vient avec le nécessaire, pas plus. »
déclare-t-elle.

Depuis plusieurs années, elle partage le terrain avec son colocataire, en squat légal, et vit dans son camion qu’elle entretient avec soin. Dans les fondations d’une ancienne maison aujourd’hui en ruines, ils aménagent un espace bureau, et devant, une petite terrasse.

Pour faire vivre les prairies, elle regorge d’idées. Créer un jardin d’enfants en milieu naturel, informer et sensibiliser toutes celles et ceux qui foulent les chemins de cet espace boisé avec des parcours rythmés de photos d’archives et d’explications, organiser des événements festifs et participatifs… des manifestations toujours basées sur le respect de l’environnement et des riverains. Pour un espace de vivre-ensemble.

Pour continuer à faire vivre cet esprit si particulier qui borde les prairies qui font l’objet d’un projet de réaménagement par la Ville de Rennes. Après avoir stoppé les jardins partagés, situés en zone inondable, il y a plusieurs années, la municipalité a commencé fin 2015 à abattre des arbres avant d’opérer les travaux de déconstruction du bâti existant et de reconstruction.

Un projet auquel Malika, et d’autres, s’opposent farouchement, souhaitant pouvoir conserver les prairies telles qu’ils les connaissent et les aiment :

« L’idée, c’est vraiment pas de faire une ZAD comme à Notre-Dame-des-Landes. Pas du tout. On ne veut pas avoir à faire avec les CRS, ce sont toujours les riverains qui mangent au bout du compte. Mais on peut vivre ensemble et faire des choses ensemble, entreprendre des projets sans tout aseptiser. Et en se souciant de l’environnement, pas comme la mairie de Rennes ! Il y a des gens qui vivent là depuis longtemps et ils vont être expropriés, c’est pas normal. On peut faire plein de choses, on aime les prairies et on veut les entretenir. Organiser des soirées à thème pour répondre aux interrogations des habitants, des expos-photos, des espaces naturels de jeux ou de répétition aussi pour les artistes, conserver l’esprit et l’histoire des prairies ! », répète Malika.

Et en ce sens, elle entend aussi veiller au respect de la nature qu’elle souhaite préserver. Voir des déchets s’agglutiner sur les terrains sauvages l’exaspère. Tout comme les soirées trop arrosées de la « jeune génération des punks à chiens ». Elle a donc proposé au Relais d’organiser et animer des après-midis nettoyages des prairies avec les concerné-e-s pour les sensibiliser et les responsabiliser.

La jeune femme restera cet été, a priori, dans la capitale bretonne. Elle souhaite se poser, et avoue avoir moins envie de partir en saison, d’ordinaire du côté de la région du Médoc. Elle entreprend sa propre démarche de reconversion dans le domaine du social, sans passer par un cursus universitaires : « Je n’ai pas besoin de ça pour comprendre les gens en difficultés. »

VERS LA RECONNAISSANCE

L’errance, incontestablement, s’accompagne d’une absence de confort matériel et généralement de souffrances dans les chemins des unes et des autres. Le quotidien est jalonné de galères et de débrouilles. Un quotidien qui amène à repenser, par protection ou autre, la norme imposée par la société qui renvoie alors aux femmes en errance un sentiment d’échec et de vie marginale.

Mais les facettes de celles qui côtoient, de manière satellite ou totale, la zone sont multiples, variées et complexes. Si leur invisibilité les protège de certains dangers indéniables de l’espace public et urbain, l’indifférence ou la pitié ne sont pas des réponses adaptées à leurs situations.

« Moi, je prends les devants. Mes chiennes font toujours la fête aux gens qu’elles croisent, alors j’en profite pour discuter avec eux. En général, ils sont ouverts et comprennent. En fait, les gens ont peur de ce qu’ils ne connaissent pas. »
explique Louise.

Idem du côté de Nadège qui a appris, en faisant la manche, à vaincre sa timidité pour communiquer avec les passant-e-s. Mais bon nombre d’entre eux-elles les ignorent encore.

Peut-être serait-ce un début de solution. Un regard, une réponse, une parole. Sans tomber dans le pathos. Simplement un premier pas vers la reconnaissance et la sortie de l’invisibilité qui tend à effacer une partie de la personnalité et qui arrange une société trop frileuse pour se confronter à une réalité loin de s’améliorer dans les années à venir.

 

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Femmes en errance : un autre regard
Invisibles mais pas inactives !

Célian Ramis

Annie Ernaux, femme au-delà de son temps

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Librairie Le Failler
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Auteure de récits autobiographiques, Annie Ernaux a publié le 1er avril dernier un nouvel ouvrage, Mémoire de fille, aussi bouleversant que transcendant. Le 26 mai, elle en parlait à Rennes, à la librairie Le Failler.
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Auteure de récits autobiographiques, Annie Ernaux a publié le 1er avril dernier un nouvel ouvrage, Mémoire de fille, aussi bouleversant que transcendant. Le 26 mai, c’est au premier étage de la librairie rennaise Le Failler qu’elle a livré son rapport à l’écriture et son rapport à la fille qu’elle a été à la fin des années 50, celle sur qui elle se penche au long des 150 pages de son livre.

Elle est de celle qui n’a pas besoin d’écrire des pavés pour vous émouvoir, qui n’a pas besoin de hausser la voix pour vous transpercer l’âme et qui n’a pas besoin d’être qualifiée d’exceptionnelle par les autres pour remplir ses bouquins. Elle secoue, Annie Ernaux. De par la simplicité de son écriture pleine de sens, d’élégance et de vérités plus ou moins simples à dire ou à lire. De par la manière sérieuse et légère qu’elle emploie pour s’adresser aux autres dans ses œuvres ou lors d’une rencontre.

Pourtant, Mémoire de fille est le témoignage de quelque chose qui a pu être douloureux à sortir, à coucher sur des papiers destinés à la publication. Car les deux années dépeintes dans son récit (1958-1959) ont déjà été écrites, simultanément. De cette époque, elle conserve des archives internes et des archives externes, comme elle le dit elle-même le 26 mai, de passage à Rennes, rapprochant sa démarche à celle d’une historienne.

« J’ai mis beaucoup de temps à écrire ce livre car il m’a été difficile d’en trouver la forme. Cette histoire n’était pas réductible à une nuit. Je fais part ici d’un événement d’une banalité extrême, la « première fois ». La première fois au lit ou pas au lit d’ailleurs avec quelqu’un, avec l’Autre. Mais ce n’est pas seulement ça, parce que ça a été un événement singulier qui n’est pas soluble dans ma vie, dans ce qui suivra dans ma vie sentimentale et dans ma vie sexuelle. On n’est plus pareil-le après. Sur le coup, on ne comprend pas ce qui est arrivé. Pourquoi « elle » s’est conduite avec ce consentement et ce qui va suivre qui n’est pas d’une logique romanesque. « Elle », c’est une étrangère qui m’a légué sa mémoire. », se lance l’auteure, dans une tirade à vous faire repenser le cours de votre vie différemment.

RETROUVER LA FILLE DE 58

Née en 1940, la Normande qui grandit à Yvetot souhaite à 70 ans passés retrouver la fille qu’elle a été en 1958 et celle qu’elle a été avant l’été, celui de la colonie à S. dans l’Orne durant laquelle elle va croiser le chemin du moniteur chef qui l’invite à danser, éteint la lumière, l’embrasse, « et les choses s’enchainent, sans aller jusqu’au bout pour raisons techniques ou physiologiques. »

La question qu’elle se pose, c’est qui était « je » à ce moment-là. Ce « je » qui aujourd’hui est « elle » puisque plus de 50 années se sont écoulées entre temps.

À cette époque, juste avant de devenir monitrice, cette jeune fille élevée dans un milieu modeste, entre les étals de l’épicerie parentale, est dans l’attente de choses formidables, du désir et de toute forme de jouissance. En 2010, son amie avec qui elle a correspondu pendant environ 7 ans, à partir de l’âge de 16 ans, lui restitue les lettres.

Annie Ernaux est troublée. Depuis des années, elle écrit des instants de sa vie, des événements marquants comme la mort de sa grande sœur avant sa naissance, son avortement clandestin à 23 ans, la jalousie ressentie en apprenant la nouvelle relation d’un ex, la passion exprimée avec un amant de passage dans sa vie, son éducation, etc. En filigrane de ces textes se dissimule l’histoire de l’été 58. Sans jamais parvenir à l’exprimer aussi clairement que dans Mémoire de fille.

Si elle avoue n’avoir aucun intérêt pour le roman ou l’autofiction, elle confesse son envie profonde de redescendre dans « les choses qui me donnent la mémoire, et celle-ci était la plus dure à explorer ». Dans la correspondance et dans les notes indélébiles de son carnet et vaguement floutés de sa mémoire, elle replonge dans un langage qui la surprend parce qu’il est marqué par une époque – « avec des adjectifs ou des expressions comme « à la page », des naïvetés… » - qu’elle va tenter de situer par les mots employés, les ambiances décrites de « surprise party » ou contextualisée par la guerre d’Algérie. Et de ce retour dans le passé, elle éprouve le désir d’aller de la femme âgée qu’elle est à l’ado qu’elle a été, qui ne sait alors pas à quoi ressemble un homme nu.

« Pour voir un homme nu dans un journal, fallait se lever de bonne heure ! Ils étaient nus en peinture mais pas en photo. Le monde de la mixité n’existait pas ! »

DES EXPÉRIENCES BANALES ET MARQUANTES

Mémoire de fille marque l’avènement de cette jeune fille dans sa vie de femme. Pas uniquement pour les actes sexuels répertoriés au fil des pages. Aussi pour son émancipation du cadre familial et son entrée dans le monde : « La colo, le lycée, le foyer de jeunes filles, l’école normale d’institutrice, le départ en Angleterre, la famille anglaise… C’est une éducation, une expérience du monde ! »

Elle fait alors vivre éternellement la fille de 58, celle qui tombe éperdument amoureuse du moniteur chef au moment où il la quitte et qui va passer de garçon en garçon « alors qu’elle ne voulait pas se donner à quelqu’un qu’elle n’aimait pas » et pour cela elle éprouvera plus tard de la honte. Elle la ressuscite dans une forme d’inconsistance, d’intrépidité et la situe dans le monde de cette époque. Qui n’est pas une époque de libération sexuelle :  

« C’était 10 ans trop tôt, en 68 la liberté sexuelle était admissible et même recommandée, je n’aurais pas vécu les choses de la même manière ».

Elle poursuit : « Je devais aller au bout de ses deux années marquées : elles m’ont fait frissonner d’horreur de les avoir vécues. Mon corps s’était transformé, je n’avais plus de règles – et c’est important les règles quand on est une fille – je souffrais de dérèglement alimentaire, j’avais tout le temps faim, je mangeais à l’extrême. Vingt ans après j’ai appris que ça s’appelait de la boulimie. Le résultat d’une passion dégradante dont j’avais honte… J’aurais pu être accablée définitivement par l’intensité de ces deux années mais j’ai trouvé une issue. Pas que dans l’écriture mais dans un ensemble de bons hasards. »

Elle fait état de cette honte qui lui collera longtemps à la peau. Une honte sexuelle mais aussi une honte sociale. La philosophie l’aidera. Simone de Beauvoir également. Avec la lecture de Deuxième sexe qu’elle dévore avec avidité, elle entrevoit les clés du comportement des garçons, de la domination (« qui n’est pas un terme de Simone de Beauvoir mais de Bourdieu »), de la supériorité dans les faits, des « hommes supposés avoir la transcendance. »

EXPIER LA HONTE PAR L’ÉCRITURE

Annie Ernaux est touchée de plein fouet. Ne pas être l’objet de sa propre vie mais bel et bien le sujet. Dans Mémoire de fille, elle décrypte son rapport à l’écriture, pas simplement comme échappatoire mais aussi comme expérience : « J’ai commencé à faire de moi-même un être littéraire, quelqu’un qui vit les choses comme si elles devaient être écrites un jour. » (p.143) Dernière raison invoquée : rétablir une forme de « justice » à la fille de 18 ans avide de liberté, pleine d’orgueil, bonne élève, fille unique, pas à l’aise socialement, ballotée dans un amour déraisonnable qui lui fait honte.

En 2002, elle publie L’occupation. Sur une jalousie dévorante dont elle va subir les effets néfastes et dangereux. À l’instar de Passion simple, elle raconte sans vergogne, de manière très factuelle – ce qui la caractérise dans l’ensemble de son œuvre – l’instantanée, le ressenti. Le vécu d’une femme jalouse ou éprise sexuellement de son amant. D’une femme dont la vie va quasiment se mettre sur pause pour ne vivre plus que ce qui lui trotte dans l’esprit et la hante. Et tout comme elle parle de banalité extrême en racontant « une première fois », ses bouquins sont les récits de la banalité humaine non-dite, presque taboue si ce n’est honteuse de l’éprouver.

Telle est la force d’Annie Ernaux qui bouleverse, transcende et chamboule nos corps et âmes. Elle marque à vie de par la banalité qu’elle rompt avec honnêteté et authenticité, dans une démarche sociologique, historique, quasi scientifique de l’âme humaine. Dans L’occupation, elle écrit :

« L’exposition que je fais ici, en écrivant, de mon obsession et de ma souffrance, n’a rien à voir avec celle que je redoutais si je m’étais rendue avenue Rapp. Écrire, c’est d’abord ne pas être vu. Autant il me paraissait inconcevable, atroce, d’offrir mon visage, mon corps, ma voix, tout ce qui fait la singularité de ma personne, au regard de quiconque dans l’état de dévoration et d’abandon qui était le mien, autant je n’éprouve aujourd’hui aucune gêne – pas davantage de défi – à exposer et explorer mon obsession. À vrai dire, je n’éprouve absolument rien. Je m’efforce seulement de décrire l’imaginaire et les comportements de cette jalousie dont j’ai été le siège, de transformer l’individuel et l’intime en substance sensible et intelligible que des inconnus, immatériels au moment où j’écris, s’approprieront peut-être. Ce n’est plus mon désir, ma jalousie, qui sont dans ces pages, c’est du désir, de la jalousie, et je travaille dans l’invisible. » (p.45-46)

PARTAGER L’INTIME

Et ce thème de l’intime universel lui apparaît dans Mémoire de fille. Quand en 1958, Violette Leduc rencontre René Gallet et découvre alors son premier orgasme à 50 ans mais brusquement la relation s’arrête et l’auteure fait état de son désespoir et de sa douleur dans ces correspondances à Simone de Beauvoir jusqu’en 1959. Annie Ernaux établit un parallèle et met cette expérience en perspective avec la sienne :

« Étrange douceur de la consolation rétrospective d’un imaginaire qui vient réconforter la mémoire, briser la singularité et la solitude de ce qu’on a vécu par la ressemblance, plus ou moins juste, avec ce que d’autres ont vécu au même moment. » (p.91)

Par l’écriture, elle transforme la honte et diminue celle de celles et ceux qui se reconnaissent dans le sentiment éprouvé. Lors de la rencontre à Rennes, elle parle de « devoir ». Et face à l’épaisse foule dispersée dans les rayons de la librairie venue l’écouter, elle montre sa grande humilité.

Elle écrit sur elle, sur l’être littéraire qu’elle s’est fixée de devenir en parallèle de son métier de professeure de lettres – elle a renoncé à devenir institutrice par manque de vocation – et s’adresse à toutes et tous de par la capacité qu’elle a de proposer des œuvres désireuses d’exister en dehors de soi.

Une révélation survenue à partir du moment où elle a voulu parler de son père. « J’ai pris conscience avec La place que les mots faisaient partie intégrante de la vision que l’on peut avoir du monde social. Dire que l’on est issue d’un milieu modeste, c’est déjà accepter les hiérarchies. Faire de ce qui m’arrive un objet littéraire, je pense que ça m’a aidé. Dans la vie, les conséquences de la honte sociale demeurent. Comme si on n’y échappait pas dans certaines conditions. Le fait de ne pas se sentir à l’aise dans certaines situations… Les hiérarchies sociales, les dominations sociales, sont évidentes. », explique-t-elle en conclusion de son intervention.

Annie Ernaux est de celles qui réussissent à parler vrai, à écrire des vérités accablantes, une fois écloses de leur banalité, sans toutefois rendre les auditrices-teurs et les lectrices-teurs moroses. Au contraire, elle rend le quotidien plus clair, plus simple, plus limpide. Elle bouleverse de sa vie de femme affirmée, pas toujours avertie, ni toujours assouvie.

Elle a quelque chose de touchant, dans sa naïveté dérobée jeune mais conservée par cette envie de vivre des expériences, de les vivre pleinement. De ses mots, elle nous perturbe et nous conforte dans nos voies non tracées, loin des sentiers battus de la norme genrée qui cherche par tous les moyens à s’imposer à nous. Elle nous fait du bien et nous donne l’espoir de pouvoir nous réaliser en tant que sujet de nos vies, et non comme objet.

« Aujourd’hui, j’ai le sentiment d’avoir enfin fait ce livre, d’être allée au bout de l’entreprise. Ça n’a pas toujours été simple, c’était un défi qui me rendait triste qu’il ne soit pas relevé. Aujourd’hui, j’éprouve quelque chose du fait accompli, même si je me disais que je n’y arriverais pas. »
poursuit Annie Ernaux.

Et si Mémoire de fille sonne comme l’œuvre qui manquait à sa collection avant de raccrocher les stylos et claviers, son regard perçant et convaincu et son sourire fin et enfantin laissent entrevoir que ses mots résonneront dans nos pensées, dans nos bibliothèques, dans les ouvrages de Marie Darrieussecq, Colombe Schneck et bien d’autres encore et à venir, aussi longtemps qu’elle sera une femme de tous les temps.

Célian Ramis

Mythos 2016 : Quand les ouvrières prennent la parole

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Théâtre de la Paillette, Rennes
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Impossible de passer à côté du spectacle de Mohamed El Khatib, Moi, Corinne Dadat, au théâtre La Paillette les 20 et 21 avril. Un ballet pour une femme de ménage et une danseuse.
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Impossible de passer à côté du spectacle de Mohamed El Khatib, Moi, Corinne Dadat, joué au théâtre La Paillette les 20 et 21 avril, à l’occasion du festival Mythos. Un ballet pour une femme de ménage et une danseuse, dont les corps sont leur principal outil de travail.

Blouse de travail, sac poubelle à la main, Corinne Dadat, femme de ménage, trône déjà au milieu de la scène, accompagnée de Mohamed El Khatib, metteur en scène, et Elodie Guezou, danseuse et contorsionniste, lorsque le public entre dans la salle. Sur l’écran, des phrases défilent, provoquant déjà quelques rires des spectatrices et spectateurs :

« Le « capital sympathie » de Corinne Dadat s’élève à 164 / Le « capital talent » de Corinne Dadat s’élève à 42 / Le « capital souplesse » de Corinne Dadat s’élève à 7 / Le « capital lexical » de Corinne Dadat s’élève à 8 / Le « capital capillaire » de Corinne Dadat s’élève à 25,8 / La capacité de Corinne Dadat à sublimer son quotidien : élevée. »

Et précise enfin que la protagoniste « n’a pas été maltraitée pendant son exploitation ». Elle mesure 1m68, pèse 70kg, aura 54 ans la semaine prochaine, a 4 enfants, gagne le SMIC – en conjuguant des ménages dans un lycée à Bourges mais aussi chez des particuliers, notaires, magistrats, etc. ainsi que des baby-sitting en guise d’extras – a un physique pas facile, fume 1 paquet / 1 paquet et demi par jour.

Elle ne dit pas bonjour quand Mohamed El Khatib la croise dans l’enceinte du lycée, lors d’une édition du Printemps de Bourges. Quand il lui demande pourquoi, elle lui répond qu’il ne peut pas imaginer le nombre de fois où les gens ne lui ont pas rendu la politesse. C’est le départ de cette création. Une rencontre qui va donner lieu à un spectacle insolite, un portrait documentaire et une critique sociale.

L’idée est de transmettre au public le quotidien et le vécu de cette femme de ménage désillusionnée.

« Je me lève à 5h du matin, c’est pour tenir un balai dès 6h, jusqu’à 19h/19h30. Ça m’arrive d’y penser en dehors, d’en rêver. »
confie-t-elle en interview.

Mais ce qu’on ne peut pas lui enlever, c’est son piquant, son répondant, son humour et son auto-dérision.

Et sa capacité à monter sur scène, sans trembler : « Quand Mohamed m’a parlé de son idée, j’ai dit ok on y va. Ça marche, ça marche, ça ne marche pas, ça ne marche pas ! Je n’ai pas peur du côté voyeuriste. Vous savez les femmes de ménage, on est les femmes de l’ombre. On sait qu’on est là mais on ne nous connaît pas. »

Elle n’a pas sa langue dans sa poche, un caractère bien trempé, et est bien décidée à parcourir les villes de France, mais aussi d’Angleterre et de Belgique, pour jouer la pièce. Même si elle ne se souvient pas toujours de son texte ou qu’elle n’arrive plus à faire certains mouvements, son corps la tiraillant. Et ce point-là, le metteur en scène s’en saisit pour délivrer un témoignage percutant autour de la condition ouvrière et prolétaire.

Il établit alors une comparaison avec le corps d’une danseuse. Les mouvements répétitifs de la femme de ménage résonnant comme une chorégraphie. C’est ainsi qu’Elodie Guezou intègre le spectacle. Elle a 24 ans, pèse 47kg, danse depuis ses 7 ans, n’a pas d’enfant, n’en aura surement jamais à cause de son activité physique, n’a pas de crédit revolving, pas de plan de reconversion non plus. Elle livre cet autoportrait poitrine au sol, fesses en l’air et pieds au dessus la tête. En off, elle précise avoir été malmenée par sa professeure à l’école de cirque qui tirait sur son corps.

Elles vont toutes les deux se livrer à des démonstrations aussi cyniques que drôles, l’humour s’intégrant à la partition avec tendresse et ironie. C’est là que le spectacle interpelle. Cette frontière entre esprit décapant et bienveillance est troublante. On rit. Mais pourquoi ?

Parce que Corinne Dadat est comparée à une danseuse mais quand « je nettoie les chiottes, personne ne m’applaudit à la fin » ? Parce qu’elle avoue ne pas être favorable à l’entrée de la Turquie dans l’Union Européenne parce qu’ils ont une autre mentalité que nous et qu’ils vont nous piquer du travail quand on n’a pas ? Parce qu’elle n’a pas « encore » voté FN ? Ou parce qu’elle préfère la musique de Schubert à celle de Sardou ?

Parce qu’Elodie Guezou avoue qu’elle n’a pas « encore » été sodomisée ? Ou parce qu’elle passe la serpillière avec ses cheveux et son corps ? Ou encore parce qu’elle bouscule le metteur en scène, talent émergent des auteurs issus de l’immigration ?

Après l’instant trop court de délectation d’un spectacle humoristique en surface, le fond de la pièce glace le sang. Et mérite son ovation, son succès. Comme l’analyse la danseuse contorsionniste, Mohamed El Khatib ne réduit pas les deux personnages à leurs corps meurtris par des professions physiques et ingrates :

« On a la parole dans ce spectacle qui cherche à voir comment mon corps peut parler avec le vécu et la pratique de Corinne. »

On est pris entre le manque d’espoir évident, la fatalité d’un lendemain morne et sombre et les sourires des deux femmes sur scène. Leur manière d’accepter leur quotidien. Leurs conditions. Entre courage ou lâcheté, on hésite. Mais ce n’est peut-être pas là la finalité du propos. Peut-être faut-il se libérer de tous nos jugements pour n’y voir qu’une simple réalité et un spectacle inspirant.

Aujourd’hui, Corinne Dadat rêve à nouveau. Jouer la pièce sur l’île de la Réunion. Là où habite son fils. Là où elle veut s’établir une fois à la retraite. « Mais bon, la retraite, je sais même pas quand c’est. Ça fait 37 ans que je travaille, c’est tout c’que j’sais. Tu sais toi à quel âge j’aurais la retraite ? », lance-t-elle à la chargée de production. On ne pose pas la question à Elodie Guezou qui pour l’instant n’est « même pas assez connue pour jouer ses productions ».

Célian Ramis

Mythos 2016 : Fascinante figure de mère, bourgeoise et catho

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Théâtre de la Parcheminerie, Rennes
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Le 20 avril, à l’occasion du festival Mythos, Marine Bachelot Nguyen, David Gauchard et Emmanuelle Hiron dévoilaient une partie du cheminement invoqué dans la pièce Le fils, au théâtre de la Parcheminerie.
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Quand d’une idée originale de David Gauchard né un texte de Marine Bachelot Nguyen, sur la réflexion d’une mère bourgeoise et catholique, lu par Emmanuelle Hiron, la création avoisine le docu-fiction subtil et coup de poing. Le 20 avril, à l’occasion du festival Mythos, le trio dévoilait une partie du cheminement invoqué dans la pièce Le fils, au théâtre de la Parcheminerie.

David Gauchard, metteur en scène, collabore pour la première fois avec l’auteure et metteuse en scène Marine Bachelot Nguyen. Et l’avant-goût qu’ils nous proposent ce mercredi à la Parcheminerie est délicieux. Poignant, criant de vérités, original et intelligent. L’écriture est franche et sincère, teintée d’humour et d’émotions. Basée sur un fait d’actualité aussi terrible qu’intéressant, sociologiquement parlant, elle nous emporte dans une histoire qu’on voudrait être inventée de toute part.

Cette histoire, David Gauchard en est à l’initiative dans le processus de création. En 2011, en allant chercher sa fille à l’école, il est marqué par un événement. Dans la rue St Hélier à Rennes, l’accès est bloqué. Et pour cause, le 10 novembre se joue une pièce de Castellucci jugée blasphématoire par le mouvement Civitas qui manifeste son mécontentement de la place de Bretagne au TNB.

« De ce mouvement jusqu’à la Manif pour tous, j’avais envie de raconter ça. On discute donc avec Marine depuis 6-7 mois. La fin est encore à inventer. Mais on voudrait le présenter avant mai 2017 et les élections. », explique-t-il avant de laisser la parole à Marine Bachelot Nguyen, elle-même marquée par l’événement en question et engagée pour les droits des femmes et des LGBTI :

« Je suis intéressée par la socio-politique, le documentaire et la fiction. Et ça m’intéresse aussi la question du glissement idéologique et de la radicalisation dans les milieux de droite. Voir comment on raconte ça ensuite. »

Deux jours avant la présentation de la pièce Le fils, la comédienne Emmanuelle Hiron - dont le spectacle documentaire Les résidents était présenté l’an dernier lors du festival Mythos à l’Aire Libre - a eu connaissance du texte, qui devrait ensuite être accompagné en musique par une création d’Olivier Mellano.

UNE FEMME QUI SE RACONTE

Elle va se glisser, 35 minutes durant, dans la peau d’une femme mariée, pharmacienne, qui devient mère à 22 ans puis à 24 ans. Deux garçons, Olivier et Cyril. L’un est né par voie naturelle, l’autre par césarienne. Elle se souvient et raconte ses accouchements. Comment son mari a promis d’être un père moderne sans jamais oser de changer une couche.

La famille va à la messe, tous les dimanches « par tradition, par conviction, pour la représentation. » Ses enfants grandissent, deviennent des ados, s’éloignent. Elle questionne son rôle de mère, sa présence peut-être insuffisante dans leur éducation, à cause de son implication dans la pharmacie. Elle avoue l’ambivalence de son statut. Celle qui la fait aimer passionnément ses fils, en être fière, et celle qui la fait les détester en même temps.

Et elle s’interroge : comment a-t-elle glissé du perron de l’église au boulevard de la Liberté ? La suite de l’œuvre décortique les effets et les conséquences de sa présence à la manifestation, à la « prière de réparation ». Sur ses fils également. L’un étant présent dans le mouvement contestataire. L’autre étant à l’intérieur du TNB et assistant à la représentation. Et qui juge le spectacle chrétien, a contrario de ce qui est scandé dehors. « Le Christ est magnifié. Ça parle de la foi qui parfois nous abandonne mais le Christ lui est toujours là. (…) Va voir le spectacle, juge par toi-même. », dira-t-il à sa mère.

UNE FEMME QUI S’ÉLÈVE

Dès lors, la protagoniste sympathise avec la femme d’un médecin, qu’elle admire jusqu’alors. Une sorte d’élévation sociale dans sa vie et son quotidien de femme bourgeoise et commerçante. Elle fréquente un groupe de femmes qui discutent bioéthique, parlent IVG, de l’atrocité que subissent celles qui le vivent, elle admire « ces femmes et leur aisance » et fait retirer son stérilet, « geste d’ouverture à la vie ».

En parallèle, son fils ainé se radicalise et vote FN en 2012. Elle minimise, même si elle trouve ça un peu extrême, un peu choquant.

Un an après la procession de Civitas, elle intègre la Manif pour tous, s’investit dans ce mouvement qui prend de l’ampleur et qui prône la différence de droits entre les couples hétérosexuels et les couples homosexuels. Contre le mariage homosexuel et surtout contre l’accès de ces couples à la famille.

Elle s’exprime à la tribune, est transcendée par l’énergie du rassemblement, elle exulte, se sent belle, revigorée. Elle reprend vie dans le regard de son mari, avec qui la vie sexuelle s’était mise en veille. A présent, il la regarde, l’admire et ressent « une poussée de virilité provoquée par sa métamorphose. » Ils font l’amour, passionnément.

La suite est à écrire, à inventer. Mais l’essence de la pièce est posée. Et elle promet une création aboutie et passionnante. Le regard présenté à travers les yeux et les réflexions de cette mère est prenant et stimulant. Il invite à comprendre les mécanismes des glissements idéologiques et de la radicalisation.

UNE FEMME QUI S’ACCOMPLIT

Pour l’auteure, il était important « de regarder ce qui peut être à l’œuvre, ce qui se joue, car on est des êtres complexes. Cette femme, elle se réalise, elle vit un accomplissement. » Les discussions entre David Gauchard, Marine Bachelot Nguyen et maintenant Emmanuelle Hiron sont riches. De leurs histoires intimes et personnelles, leur ressenti sur les événements, les nombreux articles, recherches, entretiens trouvés et réalisés, résultent Le fils et l’envie d’en parler, de le mettre en mots et en scène.

A la demande du metteur en scène, la pièce est un monologue de mère, de femme. Marine Bachelot Nguyen s’en empare et en fait quelque chose de résolument engagé et politique. Ce projet auquel elle se met au service lui parle. Mais le cœur du sujet de la Manif pour tous lui reste incompréhensible. Un mouvement contre des droits, une communication extrêmement bien construite, grâce à des gros moyens financiers, une homophobie exacerbée, libérée, décomplexée.

Celle qui travaille sur l’intersectionalité des luttes, le féminisme et le racisme, se passionne pour les rapports de domination en tout genre, et ici pour le rapport de classes.

« Ce qui m’intéresse aussi, ce sont les monologues de femmes idéologiquement à l’opposé de moi. Comme j’avais fait pour un spectacle sur Cécilia Sarkozy. Il y a un truc qui m’intrigue chez ces femmes cathos. »
confie Marine Bachelot Nguyen.

Dans la Manif pour tous, elle observe des gens « extrêmement caricaturaux » mais également « des personnes qui nous ressemblent, des jeunes, des gens de 35-40 ans ». C’est cette figure « proche de nous » qui la saisit et qu’elle délivre dans cet extrait très bien écrit. Une femme pour qui on peut éprouver de l’empathie. Et une femme qui fait un effort d’introspective, de recul sur sa vie et qui ne nous épargne pas des passages que la norme a décidé tabous.

« On a tous des petites lâchetés au jour le jour. Des choses où on se dit « bof, c’est pas si grave ». Après il y a les conséquences. La pièce parle de sa réalisation à elle. De mère de famille à militante. Elle se réalise, s’épanouit. », explique Marine Bachelot Nguyen. Nous, on est séduit-e-s, subjugué-e-s, par l’ensemble du projet, on adhère illico.

Célian Ramis

Porte-parole des dominé(e)s par l'Occident

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La chorégraphe ivoirienne Nadia Beugré dénonce l'exploitation des Africain-e-s par des multinationales dans son spectacle en création, Tapis rouge, prévu pour 2017.
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En résidence au Musée de la danse en février, la chorégraphe ivoirienne Nadia Beugré a travaillé avec le musicien Seb Martel sur son spectacle Tapis rouge prévu pour 2017, qui dénonce l'exploitation des Africain-e-s par des multinationales.

Mettre les invisibles sur le devant de la scène. La chorégraphe Nadia Beugré en ressent la nécessité, en tant que « personne qui questionne », qui dénonce les injustices pour « contribuer au changement ». Dans son nouveau spectacle Tapis rouge, encore au stade expérimental, elle s'attaque aux conditions des personnes exploitées, femmes et enfants, dans les mines d'or et les champs de cacao en Afrique.

Elle a pris conscience de cette réalité lors de vacances au Burkina Faso, il y a deux ans. Pendant une fête, Nadia remarque des blessures sur les bras de femmes mineures. « Elles se coupent car le sang fait remonter l'or », raconte la danseuse d'origine ivoirienne, installée en France.

SOUS LES PAILLETTES

À son retour en France, où elle vit depuis sept ans, elle se sent obligée d'en parler lors de sa résidence « Sujets à Vif » proposée par le festival d'Avignon, la même année. « C'est un luxe, il y a du public ! », constate Nadia. Et ce public, c'est l'élite intellectuelle, celle qui décide, sacralisée sur un tapis rouge.

Le moment lui semble opportun pour « parler de ce qui se passe en dessous du tapis, des paillettes », des petites mains qui contribuent à la richesse des puissants vénérés.

Celle qui reconnaît elle-même faire partie de ce système le sait bien. Et la danseuse se fait porte-parole de ces Africain-e-s victimes d'une économie basée sur les intérêts financiers, avec la complicité des États :

« Nous ne sommes pas différent-e-s, aucun individu n'est plus important qu'un autre. »

RAPPORTS DE FORCE

Durant une semaine au Musée de la danse en février, le duo qu'elle forme pour ce projet depuis 2014 avec le guitariste Seb Martel, a exploré des sensations, des états intérieurs en improvisant avec un tas de terre. Lors des répétitions, « on ne cherche pas des mouvements ni des chorégraphies précises. Peu importe la forme, c'est ce qui ressort. Durant les répétitions, il y a des moments où on improvise pendant une heure, des rapports de force se créent entre nous et se modifient. On ne s'installe jamais dans un rôle précis », développe le musicien.

Tous les deux se sont focalisés sur les contraintes que subissent les travailleurs dans les mines : le manque d'oxygène lorsqu'ils se hissent au fond du puits, la terre qu'ils grattent sans s'arrêter, les bouts d'or qu'ils coincent entre leurs dents.

« Comment trouver la bonne manière d'en parler ? » Nadia Beugré a ce souci continu, afin d'essayer de se mettre à leur place et rapporter au plus près leurs vécus. Prochaine étape du projet  : partir travailler seule quelques semaines avec ces mineur-e-s au Congo ou au Burkina Faso.

« J'ai envie de prendre des risques, admet-t-elle. Ces jeunes qui ont besoin de manger en prennent. »

DOMINATION BLANCHE

Tapis rouge est aussi l'espace dans lequel la chorégraphe interroge les rapports de force entre Blanc-he-s et Noir-e-s, qu'elle vit toujours aujourd'hui. « Lorsque j'ai voulu passer les frontières américaines il y a un an, on m'a demandé mon passeport alors que toutes les autres personnes qui m'accompagnaient sont passées. Ce n'est pas moi qui ai crée ça, le racisme. Même si ce n'est pas de votre faute », se rappelle-t-elle, encore affectée, en s'adressant aux personnes de couleur blanche. Et toute cette colère, la chorégraphe l'utilise pour nourrir ce spectacle qui sera présenté en 2017.

Célian Ramis

Femmes du monde, militantes de la paix

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« Je suis fatiguée d’être dans la lutte depuis 30 ans. Mais que faire ? Laisser tout ça ? Ce n’est pas responsable. Nous devons lutter. » Un appel à la solidarité et au combat pour la paix et l’égalité, lancé le 23 mars dernier.
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« Je suis fatiguée d’être dans la lutte depuis 30 ans. Mais que faire ? Laisser tout ça ? Ce n’est pas responsable. Nous devons lutter. » Shura Dumanic, journaliste d’origine bosniaque et militante pacifiste pour les droits des femmes, lance un appel à la solidarité et au combat pour la paix et l’égalité. Le 23 mars dernier, elle figurait parmi les intervenantes, féministes et citoyennes du monde, venues défendre des espaces publics de paix et de non-violence, lors d’une conférence organisée par Mouvement de la Paix, à la Maison des Associations de Rennes.

Au mois de mars, les luttes des femmes pour l’accès aux droits et à l’égalité des sexes sont chaque année mises en avant dans la capitale bretonne. En 2016, le contexte de tensions internationales résonne dans la programmation et les diverses conférences destinées à aborder la condition des femmes à l’étranger et rompre les tabous et stéréotypes alimentés par les Occidentaux-tales.

Plusieurs voyages en cultures connues et/ou inconnues nous ont mené en Inde, en Afrique, au Proche et au Moyen Orient, au Maghreb, au Mexique ou encore au Québec, multipliant les visions et les points de vue autour des femmes dans le monde et démontrant l’importance de la lutte pour les droits des femmes et l’égalité des sexes. La conférence du 23 mars venait alors comme une synthèse à tous les événements organisés durant ce mois de mars. Loin d’une conclusion, elle brise les frontières et ouvre la réflexion sur tous les aspects des féminismes.

FEMMES KURDES ET TURQUES CONTRE LA RÉPRESSION

En France depuis 2 mois, Miral souhaite apprendre le français. À la Maison des Associations, elle parle en turc, traduite par son amie, Hayral. Elle milite au sein du parti pro kurde et au congrès des femmes libres, et dénonce la politique répressive d’Erdogan président de la République de Turquie, qui a récemment rappelé – à l’occasion de la journée internationale pour les droits des femmes – que les femmes restent avant tout des mères.

Pour elle, la situation en Turquie est alarmante. La mentalité islamiste et répressive atteint tous les mécanismes de l’état turc et la place au même niveau que la pratique terroriste de Daesh.

« Erdogan tient des propos sexistes et empêche l’émancipation des femmes donnant lieu à des réalités atroces. »
scande-t-elle.

Et ces réalités, elle les liste : recrudescence des violences faites aux femmes, culpabilisation des femmes en cas de viol, augmentation des mariages forcés d’enfants et d’adolescentes… « Une femme enceinte ne peut pas se promener dehors, une femme ne peut pas rigoler sans risquer de donner envie à un homme, un père a le droit d’avoir envie de sa fille. Sans oublier la réduction de peine dans un cas de violence sexuelle si le coupable a éjaculé rapidement ou si sa victime est une femme handicapée… Récemment, il y a eu une affaire de viols sur 45 enfants. Le gouvernement ne veut pas en parler, minimisant les faits car ‘’les viols n’ont été faits qu’une seule fois’’. »

Mais la militante transmet aussi dans son discours la volonté, détermination et force des femmes kurdes et turques, qui manifestent main dans la main le 8 mars dans les rues d’Istanbul. « Elles ne se laissent pas faire, elles n’acceptent pas, elles se battent et elles résistent. », affirme Miral qui rappelle toutefois que les guerres, comme celle qui oppose les kurdes aux turques ou comme celles que mènent Daesh, notamment envers les femmes, kidnappant les femmes yézidies, les forçant à se marier et à se convertir à l’Islam, font des enfants et des femmes leurs premières victimes.

« Nous demandons à l’état turc de cesser les violences envers les femmes. Il est important de comprendre le rôle attribué aux femmes, la situation des kurdes, et de comprendre que la paix ne pourra s’obtenir qu’en libérant les femmes dans tous les domaines de la vie. »
insiste Miral.

FEMMES MEXICAINES CONTRE LES FÉMINICIDES

De son côté, la militante mexicaine Elena Espinosa attire l’attention sur les féminicides en Amérique latine. « Quand je suis arrivée en France, je me suis intéressée à l’image que les gens avaient concernant le Mexique. J’ai entendu « narco, pauvre, tequila, fajitas, machos… » mais personne ne parlait des féminicides. », déplore-t-elle avant de donner des chiffres effarants sur la situation mexicaine : 6 femmes sont assassinées chaque jour, 1014 féminicides ont eu lieu ces dix dernières années, toutes les 9 minutes une femme est victime de violences sexuelles.

Au Mexique, l’Observatoire National Citoyen des Féminicides reconnaît l’horreur de la situation et la dénonce. Tout comme les Argentin-e-s se mobilisent contre ce crime, consistant à assassiner des femmes en raison de leur sexe. Une lutte qui a suscité la curiosité de l’auteure Selva Almada qui a mené une enquête sur 3 meurtres de jeunes femmes, survenus dans les années 80 dans la province Argentine et jamais élucidés. En octobre 2015, son livre Les jeunes mortes est un coup de poing engagé et nécessaire au réveil des consciences.

« Motivés par la misogynie, les violences extrêmes, ils ont recours à l’humiliation, l’abandon, les abus sexuels, les incestes, le harcèlement… Cela révèle un rapport inégal entre les hommes et les femmes dans tous les domaines. »
rappelle Elena.

Pour elle, une des solutions réside dans la dénonciation des faits par le biais des arts et de l’humour. « Avec le collectif Les Puta, on identifie les éléments culturels et on réfléchit ensemble à comment le mettre en scène dans une pièce de théâtre par exemple. Avortement, diversité culturelle, homosexualité, violences de genre… Il faut ouvrir des espaces publics pour créer la paix. », conclut-elle.

FEMMES SOLIDAIRES POUR LA PAIX

Shura Dumanic, militante pacifiste et journaliste bosniaque, réfugiée en Croatie, et Fathia Saidi, militante féministe et présentatrice radio et télé en Tunisie, insistent sur la solidarité internationale. Encore marquée par les guerres des Balkans, Shura Dumanic explique : « La guerre divise les gens et empêche la reconstruction et le développement d’un pays. Il n’y a plus d’esprit de construction, de confiance, plus de volonté de reconstruire la vie. »

Pour elle, sans la solidarité de la France et de l’Italie, la situation n’aurait pas été supportable. « Les femmes témoignent d’une grande force, d’une force terrible, qui doit vivre ! Entre nous et à l’extérieur. Avec le réseau des femmes de la Croatie, nous avons réussi à changer 3 lois sur les violences, sur la participation des femmes à la vie politique et sur la famille. Ça nous a pris 15 ans mais c’est possible ! Nous devons changer notre culture, changer la culture de la violence et aller vers la culture de la non-violence. Interdire la guerre, liée à la violence domestique, et surtout résister contre la division ! », scande-t-elle, fatiguée mais emprise d’espoir.

Fathia Saidi revient sur l’importance de la lutte contre la culture patriarcale du père, du mari, du frère et du fils. Casser la représentation de la femme objet. Voir enfin la femme comme un sujet. Dans le monde arabe, la Tunisie figure comme une exception, un symbole de la lutte féministe acharnée et qui ne lâche rien. Les lois pour les droits des femmes se multiplient, mais ne s’appliquent pas forcément. Les femmes manifestent, luttent, défilent, aident à l’avancée du pays en temps de révoltes et de révolutions, puis disparaissent de la circulation.

« Dans la Constitution, l’article 21 stipule la non discrimination entre les sexes mais le combat reste permanent et doit se faire davantage. », souligne-t-elle. Pour la militante tunisienne, l’avancée des droits des femmes est le meilleur indicateur d’une société en progrès :

« L’avenir de la Tunisie, ce sont les femmes. Et elles se battent contre la régression des mentalités. »

La solidarité doit alors servir à créer des réseaux au sein d’un même pays mais également entre les pays, comme tel est déjà le cas entre les pays du Maghreb par exemple : « Il faut combattre les violences pour changer les mentalités, faire participer les femmes aux politiques publiques, éduquer nos jeunes à la culture de la paix et apprendre le respect de la différence. Et là peut-être qu’on arrivera à des sociétés moins violentes. » Le chemin est long mais pas impraticable. Aux femmes de prendre leur liberté, comme le conseillait Nadia Aït-Zaï, à la MIR le 15 mars dernier.

Célian Ramis

Que les femmes arabes arrachent leur liberté !

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Les femmes doivent arracher leur liberté ! C’est ce que prônait l’avocate Nadia Aït Zaï, le 15 mars dernier, à la MIR, à l’occasion d’une conférence sur les formes de libération des femmes en Algérie.
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Les femmes doivent arracher leur liberté ! C’est ce que prône l’avocate Nadia Aït Zaï, également professeure à la faculté de droit d’Alger et présidente du Ciddef – Centre d’information et de documentation sur les droits de l’enfant et de la femme. Le 15 mars dernier, à la MIR, la militante pour les droits des femmes abordait les conditions de vie des femmes algériennes mais aussi tunisiennes et marocaines, à l’occasion d’une conférence sur les formes de libération des femmes en Algérie, organisée par l’association de jumelage Rennes-Sétif.

« Les images qui vous viennent en France, de par les faits divers, les journaux, les journalistes, etc. donnent une image de la femme algérienne sans aucun droit. La situation est encore inégalitaire et discriminatoire mais elle évolue favorablement. Je fais partie d’un mouvement féminin, je ne sais pas si je suis féministe mais il faut toujours essayer de défendre les droits des femmes, considérer la femme comme un individu, un sujet de droit. Car tout tourne autour de ça. », lance Nadia Aït Zaï au commencement de sa conférence.

Tout comme le précise Fatimata Warou, présidente de l’association Mata, à Rennes, dans le documentaire de Karine Hannedouche, Pour que l’oiseau s’envole, « on considère souvent que la femme n’a pas de valeur, elle est chosifiée ». Et cette image colle à la peau des femmes du continent africain, du Moyen Orient et du Proche Orient. En témoignent toutes les intervenantes invitées à s’exprimer dans le cadre de la programmation du 8 mars à Rennes. Une explication pour l’avocate algérienne : les guerres d’indépendance et les périodes post libération.

BAISSER LES ARMES

Pourtant, les femmes du monde arabe – Maghreb et Egypte – ont participé à ces luttes. « Elles ont bravé la tradition pour la guerre d’indépendance (1954 à 1962, en Algérie, ndlr), certaines ont fait le maquis, ont pris les armes, ont brisé la digue des interdits ! », scande Nadia Aït Zaï. Mais, poursuit-elle, une fois l’indépendance déclarée, la digue a été refermée sur les femmes, lâchées par les hommes :

« Elles ont été éloignées du vrai combat, de la vie politique. C’est à partir de là que va se nourrir l’image qu’ont les politiques, les sociétés sur nous. »

Malgré le droit de vote (droit d’être éligibles et électrices) obtenu en 1944, elles n’ont pourtant pas un réel accès à la représentativité, une petite dizaine d’élues seulement accédant au Parlement dans les années 60 et 70. Le droit au travail n’est pas non plus saisi comme élément libérateur, seul 18% de la population féminine travaillant en Algérie.

« C’est le taux le plus bas du Maghreb. Il a été libérateur à un moment mais il n’est plus considéré tel quel. Selon une enquête de 2013, 18% des célibataires travaillent, 11% des femmes mariées, 30% des femmes divorcées et 6% des veuves. En fait, quand les femmes trouvent des maris, elles quittent leur emploi. Elles travaillent pour se faire un trousseau comme on dit ! Pour le jour du mariage…, ironise Nadia Aït Zaï. Il y a eu tout un travail insidieux de la part des islamistes dans les années 90. »

En effet, quelques années plus tôt, le Code de la famille est voté. En 1984, précisément. Et sur ce point, les femmes n’ont pas voix au chapitre, malgré les manifestations et contestations de la part des féministes, y compris de Zohra Drif, sénatrice et épouse de Rabah Drif, alors président de l’Assemblée populaire nationale. Le Code de la famille réinstaure des éléments de la charia, instaure une tutelle pour diminuer les droits juridiques des femmes, maintenues sous la coupe masculine et patriarcale, et légalise entre autre la polygamie. Sans oublier qu’il vient contredire et rompre les articles et principes de la Constitution de 1976 signifiant l’égalité de tous les citoyens.

Une double dualité s’instaure : être des citoyennes dans la sphère publique et être considérées comme mineures dans la sphère privée.

50 ANS DE MOBILISATION

« Pourtant, il y a 50 ans déjà, la liberté et l’émancipation semblaient promises aux femmes arabes. Alors que leurs pays accédaient à l’indépendance, certaines d’entre elles, comme les actrices et danseuses égyptiennes exposaient fièrement un corps libre et sensuel. Et les leaders politiques de l’époque, libérateurs des peuples, déclaraient tous aussi vouloir libérer les femmes. 50 ans plus tard, les femmes arabes doivent pourtant lutter plus que jamais pour conquérir ou défendre leurs droits chèrement acquis. Et leur condition ne s’est pas vraiment améliorée. Ou si peu. Que s’est-il passé ? Et comment les femmes arabes parviendront-elles à bousculer des sociétés cadenassées par le sexisme et le patriarcat ? »

C’est l’introduction et les questions que pose la réalisatrice Feriel Ben Mahmoud en 2014 dans le documentaire La révolution des femmes – Un siècle de féminisme arabe. Un film qui raconte leurs luttes et leur histoire. Et montre surtout la détermination de ces femmes à acquérir leur liberté et l’égalité des sexes. Pour la présidente du Ciddef, « l’égalité est virtuelle, elle est à construire. Mais des efforts ont été faits. »

Dès le début du XXe siècle, des hommes, comme le penseur tunisien Tahar Haddad, et des femmes, comme la militante égyptienne Huda Sharawi – désignée dans le documentaire comme la première femme féministe arabe, elle a retiré son voile en public en 1923, créé l’Union féministe égyptienne et lutté pour la coopération entre militantes arabes et militantes européennes – se mobilisent pour défendre les droits des femmes et affirmer l’idée que la libération des pays arabo-musulmans ne peut passer que par l’acquisition de l’égalité des sexes, la modernité d’une société se mesurant sur ce point-là, comme le précise l’historienne Sophie Bessis en parlant de « pensées réformistes, modernistes », concernant l’Egypte, le Liban, la Syrie et la Tunisie.

Un discours que tiendra également la présentatrice radio et télé, et militante féministe Fathia Saidi, le 23 mars lors de son intervention à la conférence "La lutte des femmes à travers le monde pour un espace public de paix et de non-violence", organisée à la Maison des Associations de Rennes : "C'est à travers les droits des femmes que l'on mesure les progrès d'une société. L'avenir pour la Tunisie, ce sont les femmes. Et elles se battent contre la régression des mentalités."

C’est dans cet esprit que le penseur égyptien Kassem Amin, en 1899, affronte l’idéologie religieuse interprétée par des hommes. Il ne s’oppose pas à l’Islam mais bel et bien à l’interprétation des traditions et des textes, considérant que la libération des femmes permettrait de lutter contre le déclin d’un pays. « Imposer le voile à la femme est la plus dure et la plus horrible forme d’esclavage. C’est quand même étonnant, pourquoi ne demande-t-on pas aux hommes de porter le voile, de dérober leur visage au regard des femmes s’ils craignent de les séduire ? La volonté masculine serait-elle inférieure à celle de la femme ? », s’interroge-t-il.

L’INSPIRATION DE LA TUNISIE

Habib Bourguiba, en 1956, devient le premier Président de la république en Tunisie. Il proclame le Code du statut personnel, qui abolit la polygamie et la répudiation, instaure le divorce et fixe l’âge légal du mariage à 17 ans. Il dévoilera même plusieurs femmes en public et, sans aller jusqu’à l’égalité entre les femmes et les hommes, inaugurera le féminisme d’Etat. Education gratuite, droit au travail, création du planning familial, accès à la contraception dès la deuxième moitié des années 60, légalisation de l’avortement, sans condition et pour toutes les tunisiennes, en 1973… La Tunisie est et reste une exception au sein du monde arabe.

Car si certains pays ont essayé de promouvoir une autre image de la femme, notamment en Egypte, qui dans les années 50 sera le centre du cinéma arabe et montrera des figures féminines modernes, le colonel Nasser, au pouvoir depuis 1956, ne pourra s’opposer très longtemps aux conservateurs que sont les membres de la Société des frères musulmans.

Malgré la marginalisation du combat des femmes dans la plupart des pays arabes après l’obtention de leur indépendance, les mouvements féministes ne vont pas se contenter des quelques droits obtenus et vont créer une cohésion entre pays maghrébins. Pour l’Algérie, ce sont de longues années de lutte profonde qui voient le jour dans les années 90.

CHANGER LES LOIS ET LES MENTALITÉS

Le Ciddef, créé en 2002, ne lâche rien et travaille constamment sur des actions et des plaidoyers permettant de faire évoluer les lois. Pendant 12 ans, la structure a lutté pour obtenir une loi instaurant des quotas (2012), permettant ainsi aux femmes d’accéder aux fonctions électives et administratives. Ainsi, 147 femmes ont été élues au Parlement lors des dernières élections législatives.

Mais si les lois évoluent, les mentalités sont quant à elles extrêmement difficiles à changer. Et les femmes que Charlotte Bienaimé, auteure de documentaires sur France Culture et Arte Radio, a rencontrées et interviewées - en sillonnant à partir de 2011 divers pays arabes – l’affirment. Elles s’insurgent, critiquent, analysent, décryptent, observent et témoignent de leurs vécus dans le livre de la journaliste, Féministes du monde arabe, publié aux éditions Les Arènes en janvier 2016.

Madja est algérienne. Elle a 27 ans au moment de l’échange avec Charlotte Bienaimé et vit à Alger. Elle explique, page 76 : « Les gens estiment que pour que les femmes sortent, il faut qu’elles aient une bonne raison. Et après 18h, il n’y a plus de bonnes raisons. On n’est pas censées travailler, ni avoir cours. Pour eux, le soir, si les femmes sont dehors, c’est qu’elles veulent être agressées ou c’est qu’elles se prostituent. La nuit, tout est permis. Les mecs, on dirait des loups-garous. Ça devient très agressif. Les agressions sont verbales et physiques. »

LES LUTTES RÉCENTES ET EN COURS

Actuellement, les militantes œuvrent pour l’égalité sur l’héritage. « Nous y travaillons depuis 2010 et nous n’avons pas encore eu de réactions violentes… Il faut savoir qu’il y a des discriminations sur l’héritage, les femmes n’ont pas les mêmes parts. Et il y a des familles avec que des filles. Là, un cousin mâle éloigné peut se pointer pour hériter avec elles. C’est injuste. La Tunisie a déjà exclu cette possibilité et nous souhaitons l’exclure également. », explique Nadia Aït Zai.  

Si le gouvernement a abrogé la notion du chef de famille en Algérie (un combat actuellement mené par les tunisiennes et les marocaines) et par conséquent le devoir d’obéissance au chef de famille, la tutelle est, elle, toujours effective lors de la conclusion du contrat de mariage. Un point devant lequel le président algérien, Abdelaziz Bouteflika, n’a pas voulu fléchir en 2005 lors de la réforme du Code de la famille. Il impose néanmoins le consentement comme élément essentiel de l’acte matrimonial, notamment en ce qui concerne la polygamie.

Côté divorce, l’homme peut toujours répudier sa femme. « Elles en souffrent depuis 1985 ! Et le ministère ne donne pas les vrais chiffres de la répudiation », précise la présidente du Ciddef. Pour les femmes, le divorce par compensation financière est autorisé. L’ex-épouse doit alors restituer la dot.

« Elles utilisent toutes ça ! Pendant un temps, la pension alimentaire était dérisoire, voire pas versée du tout. Aujourd’hui, on vient juste de créer un fonds de pension, une garantie pour la pension. », souligne-t-elle.

Autres avancées récentes en faveur des femmes : la transmission de la nationalité de la mère à son enfant et la garde prioritaire de l’enfant à sa mère en cas de divorce. Rien n’est à noter cependant concernant le fait que l’homme conserve tous les biens matrimoniaux, comme le logement conjugal par exemple, après la séparation. Mais si des progrès permettent à la société d’évoluer vers des conditions de vie moins critiquables, les féministes algériennes réclament l’abolition complète et totale du Code de la famille.

CONTRE LES VIOLENCES FAITES AUX FEMMES

En mars 2015, les députés votent une nouvelle loi contre les violences faites aux femmes, durcissant les peines de réclusion mais permettant aussi à l’auteur du crime de s’en sortir indemne si son épouse lui pardonne. Les élus islamistes s’insurgent contre cette nouvelle mesure. Disant que cela déstructure la famille :

« Pour eux, il ne faut pas toucher à ce qui se passe dans l’espace privé. Mais c’est là que les violences ont lieu. C’est bien la preuve que la femme ne peut pas être libre. »

Dans son enquête, Charlotte Bienaimé aborde la question des violences sexuelles dans un sous-chapitre intitulé « Terrorisme sexuel ». Tandis que les tentatives d’explications se multiplient, la plus avancée nous informe-t-elle subsiste celle de la frustration due à l’interdiction des relations sexuelles avant le mariage. Amina, militante en Algérie, s’offusque, pages 98 et 99 :

« Nous aussi, les femmes, nous sommes frustrées et on n’agit pas comme ça. Alors, on se dit que c’est peut-être l’âge, mais les gamins et les vieux le font aussi. Ou alors, ce sont les vêtements qu’on porte, mais les filles voilées aussi sont agressées. Ce n’est pas non plus le milieu social parce qu’il y a des hommes aisés harceleurs alors qu’ils ont fait de grandes études. C’est pour ça que maintenant, on identifie le patriarcat en tant que tel comme cause principale. »

Elle explique alors que c’est le terrorisme qui a amené le pays à parler des viols, en reconnaissant aux femmes violées le statut de victime du terrorisme. De là, le ministère de la Santé a souhaité lancer une enquête sur les violences conjugales.

« Il en va de la responsabilité de l’Etat de protéger les femmes de la violence conjugale. Mais c’est une question de contrôle du corps de la femme aussi. »
interpelle Nadia Aït-Zaï.

Pour la militante, les politiques publiques doivent redoubler d’effort et donner aux femmes, depuis trop longtemps enfermées dans des carcans traditionnalistes, le droit de prendre part au développement économique du pays.

« Les textes ont suivi dans le Code civil, le Code du travail, la Constitution avec le principe de l’égalité, l’accès à la santé et à l’éducation. Aujourd’hui, 62% de filles sortent de l’université, c’est plus que les hommes. On atteint presque la parité en matière de scolarisation. Pareil pour la santé. Avec une politique de planning familial repensant le nombre d’enfants par famille à 3 ou 4. Le Planning familial travaille actuellement à la dépénalisation de l’IVG. Il y a la possibilité de l’avortement thérapeutique mais certains médecins refusent de le faire. Les Algériennes vont en Tunisie pour avorter. Tout prend du temps car il faut que les politiques publiques se mettent en place. Mais les droits, nous les arrachons ! », développe-t-elle.

ARRACHER LEURS DROITS, LEUR LIBERTÉ

Son leitmotiv : la liberté, c’est à la femme de s’en saisir, de la prendre. « Mais certaines n’ont pas le courage de faire une rupture avec la tradition. Elles se disent modernes mais en public elles parlent de Dieu », regrette-t-elle. La question du voile ressurgit. La liberté serait-elle acquise par le voile ? Serait-ce une forme de libération ? Ce n’est pas un débat qu’elle souhaite avoir. Néanmoins, elle se permet de donner son point de vue, sans s’étaler :

«  Le foulard ne libère pas mais celles qui le portent pensent que ça libère. Car il les libère d’une interdiction. Celle d’aller dans l’espace public. Elles le pensent alors comme une protection. À Alger, j’ai constaté qu’elles l’enlevaient de plus en plus. Mais à l’intérieur du pays, toutes les femmes sont voilées. » Pour elle, pas de secret. C’est l’indépendance économique qui permettra la libération des femmes.

En décembre 2013, comme dans tous les numéros de la revue, elle signe l’édito du magazine du Ciddef et termine ainsi : « Ne soyons pas en dehors de cette histoire qui doit se faire avec nous. Sans nous il n’y aura pas de société saine et équilibrée ni de politique appropriée. » Elle le répète jusqu’à la fin de la conférence :

« C’est la femme qui doit arracher sa liberté ! ».

Un discours qui concorde avec celui de l’ancienne journaliste algérienne Irane, révélé dans l’enquête et ouvrage Féministes du monde arabe. Charlotte Bienaimé met en perspective la révolte, lutte du quotidien, à travers l’expérience d’Irane, dans une société de communication, page 39.

« On parle souvent des femmes victimes, des femmes violées, des femmes battues, du harcèlement sexuel dans la rue, etc. Mais on ne parle jamais de ces femmes algériennes actives qui sont violentées, mais extrêmement violentées tous les jours à la maison, au travail, parce qu’elles sont tout simplement des femmes. Si les femmes reprennent la parole, si elles disent ce qu’elles pensent, si elles le balancent comme ça, ça va choquer, mais ça va faire, disons, un équilibre, un contre-pouvoir. Les femmes doivent avoir accès à la parole. » (…)

« Chaque fois, on me renvoie à ma position de femme. ‘’Tu es une femme, on devrait pas t’écouter, d’ailleurs tu ne sais pas.’’ Donc, quand je fais des réunions, je dis, ‘’écoutez, vous la bande de machos là-bas’’, je dis ça comme ça, ouvertement, je les secoue, et je leur dis : ‘’Je sais, ça vous fait très mal parce que je suis une femme mais vous devez changer votre mentalité, le monde ne marche plus comme ça, il faudra se remettre en cause. Je sais, vous n’êtes pas d’accord parce que je suis une femme et ce n’est pas ma place, mais malheureusement, je suis là et c’est ma place et je suis votre responsable et vous devez m’écouter.’’ Donc, quand on voit que je suis assez forte, je le dis d’une manière assez directe, je leur laisse pas trop le choix, ça marche. Pas tout le temps, mais ça marche. »

Célian Ramis

Pour l'engagement politique au Niger

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Investir la vie politique, intégrer les fonctions électives ainsi que les administrations lorsque l’on est une femme, la loi nigérienne le permet depuis plus de 15 ans. Mais n’est pas toujours bien respectée.
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Investir la vie politique, intégrer les fonctions électives ainsi que les administrations lorsque l’on est une femme, la loi nigérienne le permet depuis plus de 15 ans. Mais n’est pas toujours bien respectée. L’association Mata, fondée à Rennes en 2003, forme les femmes engagées en politique et/ou dans le monde associatif au Niger pour les aider à prendre confiance en elles et ainsi accéder à des postes à haute responsabilité. Sa présidente et fondatrice, Fatimata Warou, proposait le 12 mars dernier, un arbre à palabres à la Maison Internationale de Rennes afin d’échanger autour des bouleversements politiques et sociétaux que le Niger a opéré ces dernières années.

Depuis l’indépendance du Niger en 1960, les réformes administratives favorisent la décentralisation du pays et les femmes profitent des différentes fonctions électives qui se créent dans les conseils municipaux, départementaux ou encore nationaux et des postes d’Etat à haute responsabilité. Au début des années 2000, les députés votent pour une loi instaurant des quotas : 10% de femmes dans les fonctions électives et 25% dans les administrations d’État.

« Quand le quota n’est pas respecté, la liste électorale est rejetée. », assure Fatimata Warou. Elle évoque ici le quota de 10%, élevé à 15% par l’Assemblée Nationale du Niger en 2014 lorsque le nombre de députés passe de 113 à 171. Un pourcentage qui reste encore très faible et qui n’est pas toujours très respecté quant aux 25% de femmes nommées au Gouvernement et aux postes administratifs.

C’est dans l’objectif d’aider les femmes à intégrer les instances décisionnelles que s’est créée l’association Mata (qui signifie « Femme »), en 2003 à Rennes avant que soit développée une structure parallèle au Niger. Parce que du point de vue de la présidente bretonne « mettre en valeur la réduction des inégalités des sexes est une donnée indispensable au fonctionnement des sociétés. »

Aujourd’hui, elles doivent encore se battre, redoubler d’effort, pour accéder à l’éducation, à l’alphabétisation, et poursuivre leurs études. « Les hommes craignent qu’une femme ouvre la porte aux autres femmes. C’est un acte politique de nommer une femme. », explique la maire de Niamey dans le documentaire de Karine Hannedouche, Pour que l’oiseau s’envole.

S’ÉMANCIPER ENSEMBLE

Le film montre que, dans l’un des pays le plus pauvre du monde en terme d’indice de développement par habitant, le chemin à parcourir est encore très long mais des bouleversements s’opèrent. Comme dans toutes les sociétés emprises de traditions religieuses et d’interprétations masculines des textes sacrés, les lois ne suffisent pas à faire avancer les mentalités qui, elles, s’obstinent à « chosifier la femme ».

La gent féminine engendre alors sa propre émancipation et libération, créant au Niger des groupements leur permettant de partager les tâches du quotidien, de travailler ensemble les terres, d’accéder à la propriété - ce qui constitue une petite révolution dans le pays – et d’utiliser les bénéfices mis en commun pour obtenir des micro-crédits ou acheter du matériel. Elles se battent alors pour le droit au travail et au salaire. Un salaire personnel qui ne reviendrait pas, de fait, à la famille comme le pécule par exemple qu’elles récoltent de l’activité qui leur est réservée, la poterie.

L’association Mata, en France comme au Niger, ainsi que les femmes investies dans la vie politique, agissent depuis plus d’une dizaine d’années pour l’accès à l’information des femmes qui en sont les plus éloignées :

« Il faut aller dans les coins reculés, rencontrer les femmes qui ne comprennent pas le système politique, leur expliquer clairement en langue nationale ! Les femmes doivent se lever ! »

Et s’envoler, le documentaire de Karine Hannedouche se clôturant sur une image poétique, l’oiseau ayant besoin de ses deux ailes pour voler : l’homme et la femme.

Depuis 2004, les formations initiées par Fatimata Warou s’effectuent en étroite collaboration avec les ministères de la Défense, de la Promotion des Femmes, de la Décentralisation, les associations féminines et les partis politiques. Le but : donner confiance à toutes celles qui militent depuis plusieurs années pour leur donner la possibilité de s’exprimer en public et se faire entendre. Une initiative qui a porté ses fruits puisque depuis elles ont accédé aux ministères de l’Education, de la Promotion des Femmes et de l’Enfant, au poste de préfet-maire de la capitale nigérienne, elles sont devenues députées ou encore ambassadrices.

« Elles votent des lois, elles influencent les décisions municipales par exemple, elles disent quand elles ne sont pas d’accord et se battent jusqu’à obtenir gain de cause. Avant, elles n’osaient pas, par peur du jugement des autres. Aujourd’hui, elles parlent à la TV, défendent des causes comme les centres d’alphabétisation, l’engagement dans les groupements. Elles sont investies pour faire évoluer leurs causes ! Elles sont cheffes d’entreprise, investissent les domaines économiques et internationaux… », s’enthousiasme la présidente de Mata, Fatimata Warou.

POIDS DE LA TRADITION

Mais comme l’ont révélées les nombreuses conférences sur les inégalités entre la sphère publique et la sphère privée, notamment celles sur l’Inde, l’Iran ou encore l’Algérie, si à l’extérieur, on peut voir une évolution des droits des femmes, à l’intérieur du foyer, les femmes restent discriminées et infériorisées par rapport aux hommes. Entre le code Napoléon et la loi musulmane, les conflits internes ne sont pas résolus.

« C’est la loi juridique qui prime mais dans les campagnes, il suffit à l’homme de dire 3 fois ‘je te divorce’ et c’est fait ! On est au XXIe siècle quand même ! », s’écrie Fatimata, qui précise que dans l’autre sens, cela est impossible, la femme devant procéder à une répudiation arbitraire, comme l’expliquera également l’avocate Nadia Aït Zai lors de sa conférence sur les formes de libération pour les femmes en Algérie, le 15 mars dernier.

Pour la présidente de Mata, « la suprématie de l’homme sur la femme vient du fait qu’il utilise et interprète le Coran. » Difficile de dépasser le système patrilinéaire, désignant ainsi le père comme chef. Ainsi, lorsqu’une femme accouche, l’enfant appartient à l’homme. Et pour les terres, même discours. Une fois le mari décédé, ce sont les enfants qui héritent, non l’épouse.

ALLIER LE TOUT

Ainsi, les modes de vie s’opposent entre tradition et modernité. Entre coutume et émancipation. Ce jour-là, à la MIR, la proposition de Fatimata est de procéder à un arbre à palabre. Plutôt qu’une conférence magistrale, le micro circule dans la salle afin que les unes et les autres témoignent de leurs expériences. Et les récits de vie dévoilent l’importance de l’école, souhaitée et encouragée par les mères qu’elles soient nigériennes, congolaises ou angolaises. Ces femmes chercheraient-elles à fracturer le poids de la tradition à travers une transmission mère-fille axée ardemment sur l’éducation ?

« Ma mère nous poussait en nous disant que le monde était en train de changer, que dans le futur il n’y aura plus de filles et de garçons. Mais que pour l’instant, les garçons naissent avec tous les droits alors que les filles doivent acquérir leurs droits. Elle nous a permis de comprendre beaucoup de choses, elle était très en avance. Nous devons pousser les filles à aller vers l’école et à poursuivre leurs études. », explique une participante, originaire du Congo. Elle est suivie du parcours d’une jeune femme venue du Tchad :

« J’ai eu ma fille à 16 ans. Ma mère était analphabète mais connaissait la réalité, l’importance de l’école et nous poussait à nous intéresser à l’école. Quand j’étais en terminale, je préparais mon bac et ma fille pour la maternelle. Il faut avoir du courage et persévérer ! »

En raison de la crise, les filles accèdent davantage à l’éducation, afin qu’elles puissent participer à la vie économique. Mais Fatimata Warou l’assure, l’école est encore mal vue pour les jeunes filles : « Surtout dans les campagnes, on les considère comme un lieu de déperdition. Les filles doivent se marier vierges et on a peur qu’en partant faire des études, elles tombent enceintes. »

Evidemment, le sexe est tabou. Et tout comme l’avaient souligné Cala Codandam et Fariba Abdelkhah, à la MIR également dans le cadre du 8 mars, la présidente de l’association Mata le confirme : l’éducation se construit dans les interdits et cela se transmet et perdure. La contraception est accessible aux femmes mais la société n’en parle pas :

« Tout se vit en cachette, on doit vivre cacher, ne pas montrer ses sentiments. C’est comme ça, ça ne veut pas dire que ce n’est pas bien, je pense que d’un côté ça évite les débordements. Mais cela nous brime dans nos désirs, dans nos besoins et cela nous suit tout au long de notre existence. »

LUTTER CONTRE L’EXCISION ET LA FISTULE

Si cela évite parfois les débordements, dissimuler les méandres de la sphère privée peut s’avérer dangereux pour la santé des femmes. Notamment celles sur qui l’excision ou les multi accouchements sans soins annexes provoquent des infections comme la fistule.

Les femmes touchées par cette malformation – ici entre le vagin et l’anus -, souvent, sont rejetées par les maris, les familles et sont exclues du village, à cause des odeurs pestilentielles qu’elles dégagent. « Elles sont alors considérées comme impures », souligne Fatimata Warou qui lutte avec Mata contre l’excision et pour la réparation des corps des femmes atteintes de fistule.

Les délais pour les opérations sont longs. Les femmes sont éloignées de leurs familles, couper de tout lien social. Et plus d’une centaine de cas sont détectés chaque année. Pas uniquement au Niger mais également au Congo, au Mali, au Sénégal ou encore en Côte d’Ivoire – là où la rennaise d’adoption Martha Diomandé lutte grâce à son association ACZA qui fêtera le 26 mars ses 10 ans d’existence avec la projection du documentaire La forêt sacrée et le concours de Miss Africa 2016, à la Cité.

« Il y a des violences sur le sexe des filles, des viols depuis le plus jeune âge, par des personnes différentes ! Il faut vraiment continuer à se battre. Nos formations ont été intégrées aux politiques nationales du Niger pour la réinsertion sociale, la chirurgie réparatrice et le travail auprès des matrones. », conclut Fatimata.

Célian Ramis

L'afro-féminisme, le réveil des consciences

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Maison Internationale de Rennes
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Les féministes d’aujourd’hui et d’hier auraient-elles intégré la suprématie blanche, créant ainsi un rapport de supériorité vis-à-vis des femmes non-blanches, et particulièrement des femmes noires ?
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Les féministes d’aujourd’hui et d’hier auraient-elles intégré la suprématie blanche, créant ainsi un rapport de supériorité vis-à-vis des femmes non-blanches, et particulièrement des femmes noires ? C’est la théorie défendue par le Black Feminism – afro-féminisme en France – et démontrée au cours de deux conférences organisées à la MIR dans le cadre du 8 mars. Quand les médias, les publicités, les arts, etc. dépeignent la femme comme blanche, mince, hétérosexuelle, jeune et on en passe, comment se considèrent les femmes non-blanches à travers ce modèle quasi unique ? Surtout que les clichés persistent à décrire les femmes noires comme sauvages, aux lèvres pulpeuses, aux grosses fesses et on en passe…

De la première vague du féminisme, on retient la lutte pour le droit de vote. De la seconde, on se remémore les combats pour le droit à l’avortement, la contraception, et plus largement à disposer de son propre corps. Et de la troisième, que conserve-t-on ? Qu’elle a été influencée par les Etats-Unis, contre le racisme. Mais de cette dernière, on cherche aussi à remettre en cause la naissance, l’évolution, à se demander si elle a vraiment existée…

Sa potentielle existence, toutefois, sert à justifier que la lutte contre le racisme, pour les femmes de couleur précisément, a bel et bien eu lieu. Qu’il n’y a pas/plus matière à revenir dessus. Angela Davis symbolise et incarne une partie de ce combat, et cela convient. Mais est-ce réellement suffisant de ne pouvoir citer qu’une seule figure emblématique de ce que l’on considère longtemps comme une période révolue ?

BLACK FEMINISM, AFRO-FÉMINISME

Plusieurs femmes et mouvements ont milité, et militent toujours, contre le racisme et le sexisme, subis conjointement, notamment envers les femmes noires, parmi lesquels figure bell hooks. Inspirée par le discours de Sojourner Truth, « Ain’t a woman ? » - esclave vendue enfant à un autre esclave, abolitionniste et militante des droits des femmes qui interpella au milieu du XIXe siècle les féministes blanches car elle ne se reconnaissait pas dans les interventions – l’intellectuelle et militante féministe signe une œuvre majeure en 1981 dans la littérature féministe moderne.

Cet ouvrage, Ain’t a woman ? Black Women and feminism, les éditions Cambourakis ont décidé de le faire traduire en français, optant pour une écriture inclusive, et de le publier en septembre 2015 dans la collection Sorcières, créée par Isabelle Cambourakis, sous le titre Ne suis-je pas une femme ? Femmes noires et féminisme. Et cela servira d’introduction à la conférence du 4 mars, organisée à la MIR par la librairie Planète Io, en présence de l’éditrice et de Raphaële Guitteaud, du collectif rennais Les Peaux Cibles, fondé en juin dernier.  

« C’est pour nous, le premier texte afro-féministe. Bell hooks est très appréciée pour ce qu’elle a écrit. Elle explique que s’aimer entre noir-e-s, c’est politique ! »
explique Raphaële Guitteaud.

Le Black feminism, s’il a des prémices dès la première partie du XXe siècle, trouve un essor aux Etats-Unis dans les années 60, dans le Mouvement des Droits Civiques, et se développe également en France quelques années plus tard (là aussi, le mouvement a commencé au préalable, Raphaële indiquant que la première française afro-féministe dont on connaît l’existence serait Paulette Nardal, la première femme noire, d’origine martiniquaise, à étudier à la Sorbonne au début du XXe siècle).

CATÉGORISATION PAR COULEUR

Et le mouvement se renforce dans les années 70 lorsque les luttes féministes s’amplifient. Quel mélange alors du côté des militantes ?

La suprématie blanche emboite le pas au sexisme vécu par les femmes noires du temps de l’esclavage ainsi qu’à la domination patriarcale qui instaure une hiérarchie entre les hommes et les femmes.

Et ce que soulignent bell hooks dans ces publications, Christine Delphy également, le Combahee River Collective dans son action et son manifeste de 1979 (rappelons aussi qu’un Manifeste des Femmes Noires est paru en 1970) ou encore le collectif Les Peaux Cibles et bien d’autres, qui utilisent maintenant les réseaux sociaux pour susciter la prise de conscience, c’est la remise en cause d’un rapport systémique intégré par les hommes mais aussi par les femmes blanches.

« On ne peut pas parler de sexisme sans parler de racisme. Pour moi, la misogynie peut aussi venir des femmes. J’appelle ça la misogynoire : on ne vit pas le même sexisme que les femmes blanches. Il y a des similitudes : les viols, la culpabilisation, par exemple. Mais les procédés sont différents. Les femmes blanches peuvent être misogynoiristes. », précise Raphaële Guitteaud qui abordera plus tard la question du harcèlement de rue, qui se traduit de manière plus importante et violente envers les femmes noires.

Elles dénoncent alors une hiérarchisation dans les revendications. Quand les Blanches réclament la réhabilitation des figures féminines dans l’Histoire, pensent-elles aux Noires qui elles aussi ont lutté pour leurs droits, ont combattu pour leur libération et celle de leurs peuples, et ont pris les armes (encore aujourd’hui des groupes de femmes défendent leur territoire comme le montre le documentaire de Stéphanie Lamorré, diffusé depuis 2014 sur LCP, Combattantes du Nord-Kivu, l’impossible destin) ?

MÉCONNAISSANCE PRÉGNANTE

Et si quelques efforts de sensibilisation et d’intégration sont à relever et saluer, comme entre autre le portrait combattant de Nzinga, reine du Ndongo et du Matamba, ou le parcours évolutif de Joséphine Baker, dressés respectivement le 18 janvier et le 7 mars dernier, sur le blog Les culottées, réalisé par la dessinatrice Pénélope Bagieu, la méconnaissance et l’ignorance restent prégnantes dans notre société qui accueille depuis une trentaine d’années une immigration venue de l’Afrique Subsaharienne – représentant environ 12% de l’immigration totale en France – et comptant un pourcentage légèrement plus important d’afro-descendant-e-s sur deux, voire trois, générations.

« On lutte pour que la notion féministe ne soit pas une notion blanche. Il faut savoir que peu importe ce que les féministes blanches ont fait, les féministes noires ont du lutter ensuite pour les faire appliquer à elles. », signale Raphaële Guitteaud, rejointe par Isabelle Cambourakis, qui souligne alors que la Coordination des Femmes Noires s’était également mobilisée sur les questions d’avortement, d’accès aux soins et à la contraception dès le début des années 70.

Pourtant aujourd’hui, une image stéréotypée continue de se répandre autour des femmes de couleur. Ce mois-ci, Leïla témoigne dans les colonnes du YEGG #45 – mars 2016 quant à l’association permanente qu’elle subit entre peau non blanche et son statut social. Née en France, d’une mère française et d’un père marocain, elle souffre constamment de l’image qu’on lui renvoie.

« On me demande sans cesse d’où je viens. Je réponds de France, je dis la ville dans laquelle je suis née mais ça ne suffit pas. On me dit toujours ‘’Nan mais tu vois ce que je veux dire… Tes origines quoi !’’ Et au-delà de ça, on pense toujours que je suis en situation de précarité. Alors que non pas du tout, je travaille par contre sur le sujet de la précarité mais je ne la vis pas ! », nous a-t-elle confié.

Et comme on hiérarchise le pouvoir entre les sexes, entre les milieux sociaux, etc. on distingue également une supériorité entre les races, entre les couleurs de peau. Et les femmes noires seraient en bout de chaine. Et parmi elles, le collorisme est indéniable. Plus la couleur de la peau sera foncée, moins elle sera représentée dans les sociétés. C’est le point que Audrey Diane Ngako, journaliste au Monde Afrique depuis 2 ans, a mis en relief lors de son intervention initiée par l’association rennaise Afrikentraide autour du traitement médiatique du genre chez les afro-descendant-e-s, le 12 mars à la MIR.

REPRÉSENTATION CONFUSE

Elle prend alors l’exemple qui agite actuellement l’actualité. Un biopic sur Nina Simone se prépare et l’actrice choisie pour y incarner la chanteuse est Zoe Saldana. Sa peau est plus claire, ses traits plus fins, ses lèvres moins charnues. Pourquoi ne pas « caster » une femme qui pourrait davantage s’apparenter à Nina Simone ? C’est le sujet du débat.

Libération, dans son article « Visage noir, idées pâles », daté du 16 mars dernier et signé Tania De Montaigne, assassine violemment la polémique jugée aussi absurde que grotesque : « Donc, pour jouer Nina Simone, il faut être Nina Simone, ou sa fille ou sa cousine ou une actrice dont la carnation et la frisure auront été validées par un comité spécial autoproclamé, un comité qui sait ce qu’est une bonne noire, une vraie noire. Faudra-t-il aussi que cette actrice soit réellement maniacodépressive ? Faudra-t-il qu’elle ait vraiment commencé le piano à l’âge de 3 ans ? »

Avant de conclure : « Voilà pourquoi nous ne verrons probablement jamais Zoe Saldana jouer dans le biopic de Nina Simone, parce que des racistes noirs sont parvenus à faire taire la pensée. Voilà pourquoi, noirs, blancs, rouges, jaunes, cathos, musulmans, juifs… il faudra toujours se souvenir des mots de Senghor : « Les racistes sont des gens qui se trompent de colère. » Remettons la colère au bon endroit. »

Pour la journaliste du Monde Afrique, d’autres actrices auraient pu prétendre au rôle de Nina Simone, à l’instar de la talentueuse Aduba Uzo, alias Suzanne « Crazy eyes » dans la série Orange is the new black. Pour Tawana, membre des Peaux Cibles, installée dans le public, un problème subsiste :

« Personne ne parle de la réalisatrice, blanche, qui a choisi Zoe Saldana. Tout le monde s’acharne sur l’actrice alors qu’elle, elle n’y est pour rien, c’est un choix qu’a fait la réalisatrice (Cynthia Mort, ndlr). »

DIVERSITÉ COMPLIQUÉE

Le cinéma français, mais pas seulement, a du mal à accorder une place aux actrices noires. Ou à ne pas leur réserver des rôles stéréotypés. Et les médias, dirigés et investis par des blancs pour la majorité, jouent le jeu et entretiennent les clichés, voire l’invisibilité de ces femmes. Pour Diane Audrey Ngako, pas de doute. La perception que l’on fait miroiter découle de l’époque de l’esclavage et coloniale.

D’un côté, la femme objet sexuel dont on peut disposer, image amplifiée par les articles sur la relation prostitution et immigration, mais aussi par l’industrie musicale qui permet par exemple à Nicky Minaj de renvoyer une image de femme hypersexualisée, et de l’autre, la « mama », la femme de confiance à qui l’on peut se confier mais que l’on n’estime que trop peu. Difficile alors pour les afro-descendantes de s’identifier :

« Quand on voit des noir-e-s à la TV, ce sont des jeunes de banlieue. Quand je suis arrivée en France à 12 ans, j’ai détesté être black. Car j’ai grandi dans un monde où le Noir représente l’échec. Et aujourd’hui, mes petites sœurs sont persuadées qu’elles ne seront jamais visibles. »

Embauchée au Monde depuis 2 ans, elle est affectée au service Afrique. Cela pose la question, sans toutefois cracher dans la soupe de son employeur : faut-il être originaire d’un pays africain pour parler de l’Afrique ? Et est-ce parce qu’une personne est noire qu’elle souhaite se spécialiser dans les sujets sur les populations noires ?

ESSENTIELLE PRISE DE CONSCIENCE

Le débat est sans fin. Les discours divisent et les deux conférences créeront des scissions Blancs / Noires, Blanches / Noires, Noirs / Noires, Noirs / Blanches. Mais le constat doit être établi, la prise de conscience est essentielle. Comme le souligne Raphaële Guitteaud lors de la conférence du 4 mars, « les femmes noires ont toujours accès aux mêmes jobs qu’à l’époque coloniale : le ménage, le baby-sitting. » Et la réalité démontre que tandis que les femmes blanches s’émancipent et partent à la conquête du monde professionnel, les femmes noires gardent leurs enfants et pâtissent toujours d’une mauvaise image.

Pourtant, les solutions ne semblent pas se multiplier ou s’accorder. L’écart entre les luttes des différentes femmes pourra-t-il se réduire ? Les combats restent encore nombreux et les victoires lointaines. Sans se décourager, les femmes doivent intégrées dans leur militantisme une manière de ne pas exclure des groupes de personnes sans toutefois parler en leurs noms.

Pas évident de trouver l’équilibre mais comme le précise la présidente de l’association Afrikentraide, il est déjà important de réaliser l’importance des si peu nombreux espaces de parole offerts pour en débattre. Tout comme il est indispensable que l’on questionne toutes les pratiques féministes, afin d’évoluer et avancer vers l’objectif commun : l’égalité des sexes. Pour toutes. Sans craindre d’être taxées de racistes, sexistes, ségrégationnistes, etc.

Célian Ramis

Femmes en politique, à la conquête de leurs droits civiques

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Conseil Départemental d'Ille-et-Vilaine
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En visite à Rennes le 18 mars, la ministre de l’Éducation Nationale Najat Vallaud-Belkacem a découvert l’exposition « Politique, Nom : Féminin Singulier », réalisée par les élèves du collège Rosa Parks.
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Ce vendredi 18 mars, la ministre de l’Éducation Nationale Najat Vallaud-Belkacem s’est rendue au Conseil Départemental d’Ille-et-Vilaine. En visite à Rennes pour un groupe de travail sur la mixité sociale dans les collèges, elle a également découvert l’exposition « Politique, Nom : Féminin Singulier », réalisée par les élèves du collège rennais Rosa Parks.

Du 3 au 17 mars, l’exposition était installée au Parlement de Bretagne. Elle est depuis le 18 mars au Conseil Départemental d’Ille-et-Vilaine. L’ancienne ministre aux Droits des femmes a ainsi rencontré un petit groupe de collégien-ne-s, en classe de 3e au collège Rosa Parks - situé à Villejean – ayant participé à la conception et fabrication de cette exposition qui s’articule autour des événements capitaux pour les femmes en politique, comme le droit de vote par exemple, et des figures féminines qui ont marqué le paysage politique rennais, français ou encore international.

Leur travail, non seulement pédagogique et constructif, s’inscrit désormais comme un outils de référence en matière d’information et de sensibilisation quant aux luttes des femmes pour leurs droits civiques et leur droit à l’égalité des sexes.

Olympe de Gouges, Louise Michel, Sévérine Caroline Rémy, Irène Joliot-Curie, Joséphine Baker ou encore Rosa Luxembourg, figurent sur les différents panneaux qui constituent l’exposition, regroupés également dans un fascicule papier que l’on peut feuilleter et conserver en archives d’une histoire passée mais pas révolue, puisque les figures contemporaines, comme Martine Aubry, Nathalie Kosciusko-Morizet, Jocelyne Bougeard ou encore Nathalie Appéré, viennent s’y ajouter pour prolonger et continuer le combat, loin d’être gagné.  

CONSCIENCE CITOYENNE

Deux collégiennes ont tour à tour présenté et expliqué les panneaux à la ministre, qui elle n’apparaît néanmoins pas dans l’exposition. À la fois fières et impressionnées par la présence de Najat Vallaud-Belkacem, première femme à accéder au ministère de l’Éducation Nationale, les deux jeunes femmes ont su montrer leur investissement dans le projet et leur engagement pour les droits des femmes. Leur conscience aussi envers une situation inégalitaire qui démontre que la domination masculine et patriarcale persiste encore ardemment dans nos sociétés actuelles.

Le temps restreint de la ministre pour visiter l’exposition ne leur permettra pas d’en faire le tour complet. Néanmoins, Najat Vallaud-Belkacem leur conseille de « voir au-delà des frontières même si les difficultés ici persistent encore. Notamment sur la question de l’orientation scolaire. On voit encore que les filles n’osent pas aller vers les sciences, les études d’ingénieur-e-s. Et les garçons ne vont pas vers les services à la personne, les métiers de l’enfance, etc. Il faut combattre les stéréotypes. »

Pour elle, s’intéresser dès le plus jeune âge à des valeurs telles que l’égalité entre les femmes et les hommes est une initiative à saluer :

« Les élèves en ressortiront différents. C’est un long combat. Rien ne s’est obtenu en claquant des doigts. »

L’exposition montre à juste titre qu’à travers les siècles les femmes se sont battues. Qu’en retient-on ? La parité en politique reste aujourd’hui un problème majeur, dans l’Hexagone comme dans les autres pays.

En témoignent le documentaire de Karine Hannedouche, Pour que l’oiseau s’envole, et la conférence du 12 mars 2016, à la Maison internationale de Rennes – dans le cadre du programme autour du 8 mars – animée par Fatimata Warou, fondatrice de l’association Mata, située à Rennes, qui œuvre pour la formation des femmes investies dans la vie politique et la vie associative au Niger dans le but de les encourager à intégrer toutes les fonctions électives. Sans distinction de sexe.

FAVORISER LA MIXITÉ SOCIALE

La visite se termine par un point avec les médias concernant l’objet principal de sa venue : la mise en application de la réforme annoncée en novembre 2015 visant à favoriser la mixité sociale dans les collèges. Une démarche a priori novatrice qui engagera 21 départements volontaires dès la rentrée prochaine, avec une sélection de 25 territoires pilotes. « Au lieu de faire une nouvelle carte scolaire, nous choisissons des réponses plus appropriées puisque la mixité sociale est singulière à chaque territoire. », explique la ministre de l’Éducation Nationale.

Elle cite alors diverses solutions qui pourraient être développées, à l’instar des secteurs multi-collèges – plutôt qu’un collège par secteur – ou des offres pédagogiques « très attractives » pour les établissements pâtissant de mauvaises image et réputation. Le tout encadré avec la volonté d’y associer les parents et évalué par un comité scientifique dès le lancement de l’expérimentation.

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