Célian Ramis

Mythos 2016 : Fascinante figure de mère, bourgeoise et catho

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Théâtre de la Parcheminerie, Rennes
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Le 20 avril, à l’occasion du festival Mythos, Marine Bachelot Nguyen, David Gauchard et Emmanuelle Hiron dévoilaient une partie du cheminement invoqué dans la pièce Le fils, au théâtre de la Parcheminerie.
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Quand d’une idée originale de David Gauchard né un texte de Marine Bachelot Nguyen, sur la réflexion d’une mère bourgeoise et catholique, lu par Emmanuelle Hiron, la création avoisine le docu-fiction subtil et coup de poing. Le 20 avril, à l’occasion du festival Mythos, le trio dévoilait une partie du cheminement invoqué dans la pièce Le fils, au théâtre de la Parcheminerie.

David Gauchard, metteur en scène, collabore pour la première fois avec l’auteure et metteuse en scène Marine Bachelot Nguyen. Et l’avant-goût qu’ils nous proposent ce mercredi à la Parcheminerie est délicieux. Poignant, criant de vérités, original et intelligent. L’écriture est franche et sincère, teintée d’humour et d’émotions. Basée sur un fait d’actualité aussi terrible qu’intéressant, sociologiquement parlant, elle nous emporte dans une histoire qu’on voudrait être inventée de toute part.

Cette histoire, David Gauchard en est à l’initiative dans le processus de création. En 2011, en allant chercher sa fille à l’école, il est marqué par un événement. Dans la rue St Hélier à Rennes, l’accès est bloqué. Et pour cause, le 10 novembre se joue une pièce de Castellucci jugée blasphématoire par le mouvement Civitas qui manifeste son mécontentement de la place de Bretagne au TNB.

« De ce mouvement jusqu’à la Manif pour tous, j’avais envie de raconter ça. On discute donc avec Marine depuis 6-7 mois. La fin est encore à inventer. Mais on voudrait le présenter avant mai 2017 et les élections. », explique-t-il avant de laisser la parole à Marine Bachelot Nguyen, elle-même marquée par l’événement en question et engagée pour les droits des femmes et des LGBTI :

« Je suis intéressée par la socio-politique, le documentaire et la fiction. Et ça m’intéresse aussi la question du glissement idéologique et de la radicalisation dans les milieux de droite. Voir comment on raconte ça ensuite. »

Deux jours avant la présentation de la pièce Le fils, la comédienne Emmanuelle Hiron - dont le spectacle documentaire Les résidents était présenté l’an dernier lors du festival Mythos à l’Aire Libre - a eu connaissance du texte, qui devrait ensuite être accompagné en musique par une création d’Olivier Mellano.

UNE FEMME QUI SE RACONTE

Elle va se glisser, 35 minutes durant, dans la peau d’une femme mariée, pharmacienne, qui devient mère à 22 ans puis à 24 ans. Deux garçons, Olivier et Cyril. L’un est né par voie naturelle, l’autre par césarienne. Elle se souvient et raconte ses accouchements. Comment son mari a promis d’être un père moderne sans jamais oser de changer une couche.

La famille va à la messe, tous les dimanches « par tradition, par conviction, pour la représentation. » Ses enfants grandissent, deviennent des ados, s’éloignent. Elle questionne son rôle de mère, sa présence peut-être insuffisante dans leur éducation, à cause de son implication dans la pharmacie. Elle avoue l’ambivalence de son statut. Celle qui la fait aimer passionnément ses fils, en être fière, et celle qui la fait les détester en même temps.

Et elle s’interroge : comment a-t-elle glissé du perron de l’église au boulevard de la Liberté ? La suite de l’œuvre décortique les effets et les conséquences de sa présence à la manifestation, à la « prière de réparation ». Sur ses fils également. L’un étant présent dans le mouvement contestataire. L’autre étant à l’intérieur du TNB et assistant à la représentation. Et qui juge le spectacle chrétien, a contrario de ce qui est scandé dehors. « Le Christ est magnifié. Ça parle de la foi qui parfois nous abandonne mais le Christ lui est toujours là. (…) Va voir le spectacle, juge par toi-même. », dira-t-il à sa mère.

UNE FEMME QUI S’ÉLÈVE

Dès lors, la protagoniste sympathise avec la femme d’un médecin, qu’elle admire jusqu’alors. Une sorte d’élévation sociale dans sa vie et son quotidien de femme bourgeoise et commerçante. Elle fréquente un groupe de femmes qui discutent bioéthique, parlent IVG, de l’atrocité que subissent celles qui le vivent, elle admire « ces femmes et leur aisance » et fait retirer son stérilet, « geste d’ouverture à la vie ».

En parallèle, son fils ainé se radicalise et vote FN en 2012. Elle minimise, même si elle trouve ça un peu extrême, un peu choquant.

Un an après la procession de Civitas, elle intègre la Manif pour tous, s’investit dans ce mouvement qui prend de l’ampleur et qui prône la différence de droits entre les couples hétérosexuels et les couples homosexuels. Contre le mariage homosexuel et surtout contre l’accès de ces couples à la famille.

Elle s’exprime à la tribune, est transcendée par l’énergie du rassemblement, elle exulte, se sent belle, revigorée. Elle reprend vie dans le regard de son mari, avec qui la vie sexuelle s’était mise en veille. A présent, il la regarde, l’admire et ressent « une poussée de virilité provoquée par sa métamorphose. » Ils font l’amour, passionnément.

La suite est à écrire, à inventer. Mais l’essence de la pièce est posée. Et elle promet une création aboutie et passionnante. Le regard présenté à travers les yeux et les réflexions de cette mère est prenant et stimulant. Il invite à comprendre les mécanismes des glissements idéologiques et de la radicalisation.

UNE FEMME QUI S’ACCOMPLIT

Pour l’auteure, il était important « de regarder ce qui peut être à l’œuvre, ce qui se joue, car on est des êtres complexes. Cette femme, elle se réalise, elle vit un accomplissement. » Les discussions entre David Gauchard, Marine Bachelot Nguyen et maintenant Emmanuelle Hiron sont riches. De leurs histoires intimes et personnelles, leur ressenti sur les événements, les nombreux articles, recherches, entretiens trouvés et réalisés, résultent Le fils et l’envie d’en parler, de le mettre en mots et en scène.

A la demande du metteur en scène, la pièce est un monologue de mère, de femme. Marine Bachelot Nguyen s’en empare et en fait quelque chose de résolument engagé et politique. Ce projet auquel elle se met au service lui parle. Mais le cœur du sujet de la Manif pour tous lui reste incompréhensible. Un mouvement contre des droits, une communication extrêmement bien construite, grâce à des gros moyens financiers, une homophobie exacerbée, libérée, décomplexée.

Celle qui travaille sur l’intersectionalité des luttes, le féminisme et le racisme, se passionne pour les rapports de domination en tout genre, et ici pour le rapport de classes.

« Ce qui m’intéresse aussi, ce sont les monologues de femmes idéologiquement à l’opposé de moi. Comme j’avais fait pour un spectacle sur Cécilia Sarkozy. Il y a un truc qui m’intrigue chez ces femmes cathos. »
confie Marine Bachelot Nguyen.

Dans la Manif pour tous, elle observe des gens « extrêmement caricaturaux » mais également « des personnes qui nous ressemblent, des jeunes, des gens de 35-40 ans ». C’est cette figure « proche de nous » qui la saisit et qu’elle délivre dans cet extrait très bien écrit. Une femme pour qui on peut éprouver de l’empathie. Et une femme qui fait un effort d’introspective, de recul sur sa vie et qui ne nous épargne pas des passages que la norme a décidé tabous.

« On a tous des petites lâchetés au jour le jour. Des choses où on se dit « bof, c’est pas si grave ». Après il y a les conséquences. La pièce parle de sa réalisation à elle. De mère de famille à militante. Elle se réalise, s’épanouit. », explique Marine Bachelot Nguyen. Nous, on est séduit-e-s, subjugué-e-s, par l’ensemble du projet, on adhère illico.

Célian Ramis

Porte-parole des dominé(e)s par l'Occident

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La chorégraphe ivoirienne Nadia Beugré dénonce l'exploitation des Africain-e-s par des multinationales dans son spectacle en création, Tapis rouge, prévu pour 2017.
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En résidence au Musée de la danse en février, la chorégraphe ivoirienne Nadia Beugré a travaillé avec le musicien Seb Martel sur son spectacle Tapis rouge prévu pour 2017, qui dénonce l'exploitation des Africain-e-s par des multinationales.

Mettre les invisibles sur le devant de la scène. La chorégraphe Nadia Beugré en ressent la nécessité, en tant que « personne qui questionne », qui dénonce les injustices pour « contribuer au changement ». Dans son nouveau spectacle Tapis rouge, encore au stade expérimental, elle s'attaque aux conditions des personnes exploitées, femmes et enfants, dans les mines d'or et les champs de cacao en Afrique.

Elle a pris conscience de cette réalité lors de vacances au Burkina Faso, il y a deux ans. Pendant une fête, Nadia remarque des blessures sur les bras de femmes mineures. « Elles se coupent car le sang fait remonter l'or », raconte la danseuse d'origine ivoirienne, installée en France.

SOUS LES PAILLETTES

À son retour en France, où elle vit depuis sept ans, elle se sent obligée d'en parler lors de sa résidence « Sujets à Vif » proposée par le festival d'Avignon, la même année. « C'est un luxe, il y a du public ! », constate Nadia. Et ce public, c'est l'élite intellectuelle, celle qui décide, sacralisée sur un tapis rouge.

Le moment lui semble opportun pour « parler de ce qui se passe en dessous du tapis, des paillettes », des petites mains qui contribuent à la richesse des puissants vénérés.

Celle qui reconnaît elle-même faire partie de ce système le sait bien. Et la danseuse se fait porte-parole de ces Africain-e-s victimes d'une économie basée sur les intérêts financiers, avec la complicité des États :

« Nous ne sommes pas différent-e-s, aucun individu n'est plus important qu'un autre. »

RAPPORTS DE FORCE

Durant une semaine au Musée de la danse en février, le duo qu'elle forme pour ce projet depuis 2014 avec le guitariste Seb Martel, a exploré des sensations, des états intérieurs en improvisant avec un tas de terre. Lors des répétitions, « on ne cherche pas des mouvements ni des chorégraphies précises. Peu importe la forme, c'est ce qui ressort. Durant les répétitions, il y a des moments où on improvise pendant une heure, des rapports de force se créent entre nous et se modifient. On ne s'installe jamais dans un rôle précis », développe le musicien.

Tous les deux se sont focalisés sur les contraintes que subissent les travailleurs dans les mines : le manque d'oxygène lorsqu'ils se hissent au fond du puits, la terre qu'ils grattent sans s'arrêter, les bouts d'or qu'ils coincent entre leurs dents.

« Comment trouver la bonne manière d'en parler ? » Nadia Beugré a ce souci continu, afin d'essayer de se mettre à leur place et rapporter au plus près leurs vécus. Prochaine étape du projet  : partir travailler seule quelques semaines avec ces mineur-e-s au Congo ou au Burkina Faso.

« J'ai envie de prendre des risques, admet-t-elle. Ces jeunes qui ont besoin de manger en prennent. »

DOMINATION BLANCHE

Tapis rouge est aussi l'espace dans lequel la chorégraphe interroge les rapports de force entre Blanc-he-s et Noir-e-s, qu'elle vit toujours aujourd'hui. « Lorsque j'ai voulu passer les frontières américaines il y a un an, on m'a demandé mon passeport alors que toutes les autres personnes qui m'accompagnaient sont passées. Ce n'est pas moi qui ai crée ça, le racisme. Même si ce n'est pas de votre faute », se rappelle-t-elle, encore affectée, en s'adressant aux personnes de couleur blanche. Et toute cette colère, la chorégraphe l'utilise pour nourrir ce spectacle qui sera présenté en 2017.

Célian Ramis

Femmes du monde, militantes de la paix

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Maison des Associations de Rennes
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« Je suis fatiguée d’être dans la lutte depuis 30 ans. Mais que faire ? Laisser tout ça ? Ce n’est pas responsable. Nous devons lutter. » Un appel à la solidarité et au combat pour la paix et l’égalité, lancé le 23 mars dernier.
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« Je suis fatiguée d’être dans la lutte depuis 30 ans. Mais que faire ? Laisser tout ça ? Ce n’est pas responsable. Nous devons lutter. » Shura Dumanic, journaliste d’origine bosniaque et militante pacifiste pour les droits des femmes, lance un appel à la solidarité et au combat pour la paix et l’égalité. Le 23 mars dernier, elle figurait parmi les intervenantes, féministes et citoyennes du monde, venues défendre des espaces publics de paix et de non-violence, lors d’une conférence organisée par Mouvement de la Paix, à la Maison des Associations de Rennes.

Au mois de mars, les luttes des femmes pour l’accès aux droits et à l’égalité des sexes sont chaque année mises en avant dans la capitale bretonne. En 2016, le contexte de tensions internationales résonne dans la programmation et les diverses conférences destinées à aborder la condition des femmes à l’étranger et rompre les tabous et stéréotypes alimentés par les Occidentaux-tales.

Plusieurs voyages en cultures connues et/ou inconnues nous ont mené en Inde, en Afrique, au Proche et au Moyen Orient, au Maghreb, au Mexique ou encore au Québec, multipliant les visions et les points de vue autour des femmes dans le monde et démontrant l’importance de la lutte pour les droits des femmes et l’égalité des sexes. La conférence du 23 mars venait alors comme une synthèse à tous les événements organisés durant ce mois de mars. Loin d’une conclusion, elle brise les frontières et ouvre la réflexion sur tous les aspects des féminismes.

FEMMES KURDES ET TURQUES CONTRE LA RÉPRESSION

En France depuis 2 mois, Miral souhaite apprendre le français. À la Maison des Associations, elle parle en turc, traduite par son amie, Hayral. Elle milite au sein du parti pro kurde et au congrès des femmes libres, et dénonce la politique répressive d’Erdogan président de la République de Turquie, qui a récemment rappelé – à l’occasion de la journée internationale pour les droits des femmes – que les femmes restent avant tout des mères.

Pour elle, la situation en Turquie est alarmante. La mentalité islamiste et répressive atteint tous les mécanismes de l’état turc et la place au même niveau que la pratique terroriste de Daesh.

« Erdogan tient des propos sexistes et empêche l’émancipation des femmes donnant lieu à des réalités atroces. »
scande-t-elle.

Et ces réalités, elle les liste : recrudescence des violences faites aux femmes, culpabilisation des femmes en cas de viol, augmentation des mariages forcés d’enfants et d’adolescentes… « Une femme enceinte ne peut pas se promener dehors, une femme ne peut pas rigoler sans risquer de donner envie à un homme, un père a le droit d’avoir envie de sa fille. Sans oublier la réduction de peine dans un cas de violence sexuelle si le coupable a éjaculé rapidement ou si sa victime est une femme handicapée… Récemment, il y a eu une affaire de viols sur 45 enfants. Le gouvernement ne veut pas en parler, minimisant les faits car ‘’les viols n’ont été faits qu’une seule fois’’. »

Mais la militante transmet aussi dans son discours la volonté, détermination et force des femmes kurdes et turques, qui manifestent main dans la main le 8 mars dans les rues d’Istanbul. « Elles ne se laissent pas faire, elles n’acceptent pas, elles se battent et elles résistent. », affirme Miral qui rappelle toutefois que les guerres, comme celle qui oppose les kurdes aux turques ou comme celles que mènent Daesh, notamment envers les femmes, kidnappant les femmes yézidies, les forçant à se marier et à se convertir à l’Islam, font des enfants et des femmes leurs premières victimes.

« Nous demandons à l’état turc de cesser les violences envers les femmes. Il est important de comprendre le rôle attribué aux femmes, la situation des kurdes, et de comprendre que la paix ne pourra s’obtenir qu’en libérant les femmes dans tous les domaines de la vie. »
insiste Miral.

FEMMES MEXICAINES CONTRE LES FÉMINICIDES

De son côté, la militante mexicaine Elena Espinosa attire l’attention sur les féminicides en Amérique latine. « Quand je suis arrivée en France, je me suis intéressée à l’image que les gens avaient concernant le Mexique. J’ai entendu « narco, pauvre, tequila, fajitas, machos… » mais personne ne parlait des féminicides. », déplore-t-elle avant de donner des chiffres effarants sur la situation mexicaine : 6 femmes sont assassinées chaque jour, 1014 féminicides ont eu lieu ces dix dernières années, toutes les 9 minutes une femme est victime de violences sexuelles.

Au Mexique, l’Observatoire National Citoyen des Féminicides reconnaît l’horreur de la situation et la dénonce. Tout comme les Argentin-e-s se mobilisent contre ce crime, consistant à assassiner des femmes en raison de leur sexe. Une lutte qui a suscité la curiosité de l’auteure Selva Almada qui a mené une enquête sur 3 meurtres de jeunes femmes, survenus dans les années 80 dans la province Argentine et jamais élucidés. En octobre 2015, son livre Les jeunes mortes est un coup de poing engagé et nécessaire au réveil des consciences.

« Motivés par la misogynie, les violences extrêmes, ils ont recours à l’humiliation, l’abandon, les abus sexuels, les incestes, le harcèlement… Cela révèle un rapport inégal entre les hommes et les femmes dans tous les domaines. »
rappelle Elena.

Pour elle, une des solutions réside dans la dénonciation des faits par le biais des arts et de l’humour. « Avec le collectif Les Puta, on identifie les éléments culturels et on réfléchit ensemble à comment le mettre en scène dans une pièce de théâtre par exemple. Avortement, diversité culturelle, homosexualité, violences de genre… Il faut ouvrir des espaces publics pour créer la paix. », conclut-elle.

FEMMES SOLIDAIRES POUR LA PAIX

Shura Dumanic, militante pacifiste et journaliste bosniaque, réfugiée en Croatie, et Fathia Saidi, militante féministe et présentatrice radio et télé en Tunisie, insistent sur la solidarité internationale. Encore marquée par les guerres des Balkans, Shura Dumanic explique : « La guerre divise les gens et empêche la reconstruction et le développement d’un pays. Il n’y a plus d’esprit de construction, de confiance, plus de volonté de reconstruire la vie. »

Pour elle, sans la solidarité de la France et de l’Italie, la situation n’aurait pas été supportable. « Les femmes témoignent d’une grande force, d’une force terrible, qui doit vivre ! Entre nous et à l’extérieur. Avec le réseau des femmes de la Croatie, nous avons réussi à changer 3 lois sur les violences, sur la participation des femmes à la vie politique et sur la famille. Ça nous a pris 15 ans mais c’est possible ! Nous devons changer notre culture, changer la culture de la violence et aller vers la culture de la non-violence. Interdire la guerre, liée à la violence domestique, et surtout résister contre la division ! », scande-t-elle, fatiguée mais emprise d’espoir.

Fathia Saidi revient sur l’importance de la lutte contre la culture patriarcale du père, du mari, du frère et du fils. Casser la représentation de la femme objet. Voir enfin la femme comme un sujet. Dans le monde arabe, la Tunisie figure comme une exception, un symbole de la lutte féministe acharnée et qui ne lâche rien. Les lois pour les droits des femmes se multiplient, mais ne s’appliquent pas forcément. Les femmes manifestent, luttent, défilent, aident à l’avancée du pays en temps de révoltes et de révolutions, puis disparaissent de la circulation.

« Dans la Constitution, l’article 21 stipule la non discrimination entre les sexes mais le combat reste permanent et doit se faire davantage. », souligne-t-elle. Pour la militante tunisienne, l’avancée des droits des femmes est le meilleur indicateur d’une société en progrès :

« L’avenir de la Tunisie, ce sont les femmes. Et elles se battent contre la régression des mentalités. »

La solidarité doit alors servir à créer des réseaux au sein d’un même pays mais également entre les pays, comme tel est déjà le cas entre les pays du Maghreb par exemple : « Il faut combattre les violences pour changer les mentalités, faire participer les femmes aux politiques publiques, éduquer nos jeunes à la culture de la paix et apprendre le respect de la différence. Et là peut-être qu’on arrivera à des sociétés moins violentes. » Le chemin est long mais pas impraticable. Aux femmes de prendre leur liberté, comme le conseillait Nadia Aït-Zaï, à la MIR le 15 mars dernier.

Célian Ramis

Que les femmes arabes arrachent leur liberté !

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Maison Internationale de Rennes
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Les femmes doivent arracher leur liberté ! C’est ce que prônait l’avocate Nadia Aït Zaï, le 15 mars dernier, à la MIR, à l’occasion d’une conférence sur les formes de libération des femmes en Algérie.
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Les femmes doivent arracher leur liberté ! C’est ce que prône l’avocate Nadia Aït Zaï, également professeure à la faculté de droit d’Alger et présidente du Ciddef – Centre d’information et de documentation sur les droits de l’enfant et de la femme. Le 15 mars dernier, à la MIR, la militante pour les droits des femmes abordait les conditions de vie des femmes algériennes mais aussi tunisiennes et marocaines, à l’occasion d’une conférence sur les formes de libération des femmes en Algérie, organisée par l’association de jumelage Rennes-Sétif.

« Les images qui vous viennent en France, de par les faits divers, les journaux, les journalistes, etc. donnent une image de la femme algérienne sans aucun droit. La situation est encore inégalitaire et discriminatoire mais elle évolue favorablement. Je fais partie d’un mouvement féminin, je ne sais pas si je suis féministe mais il faut toujours essayer de défendre les droits des femmes, considérer la femme comme un individu, un sujet de droit. Car tout tourne autour de ça. », lance Nadia Aït Zaï au commencement de sa conférence.

Tout comme le précise Fatimata Warou, présidente de l’association Mata, à Rennes, dans le documentaire de Karine Hannedouche, Pour que l’oiseau s’envole, « on considère souvent que la femme n’a pas de valeur, elle est chosifiée ». Et cette image colle à la peau des femmes du continent africain, du Moyen Orient et du Proche Orient. En témoignent toutes les intervenantes invitées à s’exprimer dans le cadre de la programmation du 8 mars à Rennes. Une explication pour l’avocate algérienne : les guerres d’indépendance et les périodes post libération.

BAISSER LES ARMES

Pourtant, les femmes du monde arabe – Maghreb et Egypte – ont participé à ces luttes. « Elles ont bravé la tradition pour la guerre d’indépendance (1954 à 1962, en Algérie, ndlr), certaines ont fait le maquis, ont pris les armes, ont brisé la digue des interdits ! », scande Nadia Aït Zaï. Mais, poursuit-elle, une fois l’indépendance déclarée, la digue a été refermée sur les femmes, lâchées par les hommes :

« Elles ont été éloignées du vrai combat, de la vie politique. C’est à partir de là que va se nourrir l’image qu’ont les politiques, les sociétés sur nous. »

Malgré le droit de vote (droit d’être éligibles et électrices) obtenu en 1944, elles n’ont pourtant pas un réel accès à la représentativité, une petite dizaine d’élues seulement accédant au Parlement dans les années 60 et 70. Le droit au travail n’est pas non plus saisi comme élément libérateur, seul 18% de la population féminine travaillant en Algérie.

« C’est le taux le plus bas du Maghreb. Il a été libérateur à un moment mais il n’est plus considéré tel quel. Selon une enquête de 2013, 18% des célibataires travaillent, 11% des femmes mariées, 30% des femmes divorcées et 6% des veuves. En fait, quand les femmes trouvent des maris, elles quittent leur emploi. Elles travaillent pour se faire un trousseau comme on dit ! Pour le jour du mariage…, ironise Nadia Aït Zaï. Il y a eu tout un travail insidieux de la part des islamistes dans les années 90. »

En effet, quelques années plus tôt, le Code de la famille est voté. En 1984, précisément. Et sur ce point, les femmes n’ont pas voix au chapitre, malgré les manifestations et contestations de la part des féministes, y compris de Zohra Drif, sénatrice et épouse de Rabah Drif, alors président de l’Assemblée populaire nationale. Le Code de la famille réinstaure des éléments de la charia, instaure une tutelle pour diminuer les droits juridiques des femmes, maintenues sous la coupe masculine et patriarcale, et légalise entre autre la polygamie. Sans oublier qu’il vient contredire et rompre les articles et principes de la Constitution de 1976 signifiant l’égalité de tous les citoyens.

Une double dualité s’instaure : être des citoyennes dans la sphère publique et être considérées comme mineures dans la sphère privée.

50 ANS DE MOBILISATION

« Pourtant, il y a 50 ans déjà, la liberté et l’émancipation semblaient promises aux femmes arabes. Alors que leurs pays accédaient à l’indépendance, certaines d’entre elles, comme les actrices et danseuses égyptiennes exposaient fièrement un corps libre et sensuel. Et les leaders politiques de l’époque, libérateurs des peuples, déclaraient tous aussi vouloir libérer les femmes. 50 ans plus tard, les femmes arabes doivent pourtant lutter plus que jamais pour conquérir ou défendre leurs droits chèrement acquis. Et leur condition ne s’est pas vraiment améliorée. Ou si peu. Que s’est-il passé ? Et comment les femmes arabes parviendront-elles à bousculer des sociétés cadenassées par le sexisme et le patriarcat ? »

C’est l’introduction et les questions que pose la réalisatrice Feriel Ben Mahmoud en 2014 dans le documentaire La révolution des femmes – Un siècle de féminisme arabe. Un film qui raconte leurs luttes et leur histoire. Et montre surtout la détermination de ces femmes à acquérir leur liberté et l’égalité des sexes. Pour la présidente du Ciddef, « l’égalité est virtuelle, elle est à construire. Mais des efforts ont été faits. »

Dès le début du XXe siècle, des hommes, comme le penseur tunisien Tahar Haddad, et des femmes, comme la militante égyptienne Huda Sharawi – désignée dans le documentaire comme la première femme féministe arabe, elle a retiré son voile en public en 1923, créé l’Union féministe égyptienne et lutté pour la coopération entre militantes arabes et militantes européennes – se mobilisent pour défendre les droits des femmes et affirmer l’idée que la libération des pays arabo-musulmans ne peut passer que par l’acquisition de l’égalité des sexes, la modernité d’une société se mesurant sur ce point-là, comme le précise l’historienne Sophie Bessis en parlant de « pensées réformistes, modernistes », concernant l’Egypte, le Liban, la Syrie et la Tunisie.

Un discours que tiendra également la présentatrice radio et télé, et militante féministe Fathia Saidi, le 23 mars lors de son intervention à la conférence "La lutte des femmes à travers le monde pour un espace public de paix et de non-violence", organisée à la Maison des Associations de Rennes : "C'est à travers les droits des femmes que l'on mesure les progrès d'une société. L'avenir pour la Tunisie, ce sont les femmes. Et elles se battent contre la régression des mentalités."

C’est dans cet esprit que le penseur égyptien Kassem Amin, en 1899, affronte l’idéologie religieuse interprétée par des hommes. Il ne s’oppose pas à l’Islam mais bel et bien à l’interprétation des traditions et des textes, considérant que la libération des femmes permettrait de lutter contre le déclin d’un pays. « Imposer le voile à la femme est la plus dure et la plus horrible forme d’esclavage. C’est quand même étonnant, pourquoi ne demande-t-on pas aux hommes de porter le voile, de dérober leur visage au regard des femmes s’ils craignent de les séduire ? La volonté masculine serait-elle inférieure à celle de la femme ? », s’interroge-t-il.

L’INSPIRATION DE LA TUNISIE

Habib Bourguiba, en 1956, devient le premier Président de la république en Tunisie. Il proclame le Code du statut personnel, qui abolit la polygamie et la répudiation, instaure le divorce et fixe l’âge légal du mariage à 17 ans. Il dévoilera même plusieurs femmes en public et, sans aller jusqu’à l’égalité entre les femmes et les hommes, inaugurera le féminisme d’Etat. Education gratuite, droit au travail, création du planning familial, accès à la contraception dès la deuxième moitié des années 60, légalisation de l’avortement, sans condition et pour toutes les tunisiennes, en 1973… La Tunisie est et reste une exception au sein du monde arabe.

Car si certains pays ont essayé de promouvoir une autre image de la femme, notamment en Egypte, qui dans les années 50 sera le centre du cinéma arabe et montrera des figures féminines modernes, le colonel Nasser, au pouvoir depuis 1956, ne pourra s’opposer très longtemps aux conservateurs que sont les membres de la Société des frères musulmans.

Malgré la marginalisation du combat des femmes dans la plupart des pays arabes après l’obtention de leur indépendance, les mouvements féministes ne vont pas se contenter des quelques droits obtenus et vont créer une cohésion entre pays maghrébins. Pour l’Algérie, ce sont de longues années de lutte profonde qui voient le jour dans les années 90.

CHANGER LES LOIS ET LES MENTALITÉS

Le Ciddef, créé en 2002, ne lâche rien et travaille constamment sur des actions et des plaidoyers permettant de faire évoluer les lois. Pendant 12 ans, la structure a lutté pour obtenir une loi instaurant des quotas (2012), permettant ainsi aux femmes d’accéder aux fonctions électives et administratives. Ainsi, 147 femmes ont été élues au Parlement lors des dernières élections législatives.

Mais si les lois évoluent, les mentalités sont quant à elles extrêmement difficiles à changer. Et les femmes que Charlotte Bienaimé, auteure de documentaires sur France Culture et Arte Radio, a rencontrées et interviewées - en sillonnant à partir de 2011 divers pays arabes – l’affirment. Elles s’insurgent, critiquent, analysent, décryptent, observent et témoignent de leurs vécus dans le livre de la journaliste, Féministes du monde arabe, publié aux éditions Les Arènes en janvier 2016.

Madja est algérienne. Elle a 27 ans au moment de l’échange avec Charlotte Bienaimé et vit à Alger. Elle explique, page 76 : « Les gens estiment que pour que les femmes sortent, il faut qu’elles aient une bonne raison. Et après 18h, il n’y a plus de bonnes raisons. On n’est pas censées travailler, ni avoir cours. Pour eux, le soir, si les femmes sont dehors, c’est qu’elles veulent être agressées ou c’est qu’elles se prostituent. La nuit, tout est permis. Les mecs, on dirait des loups-garous. Ça devient très agressif. Les agressions sont verbales et physiques. »

LES LUTTES RÉCENTES ET EN COURS

Actuellement, les militantes œuvrent pour l’égalité sur l’héritage. « Nous y travaillons depuis 2010 et nous n’avons pas encore eu de réactions violentes… Il faut savoir qu’il y a des discriminations sur l’héritage, les femmes n’ont pas les mêmes parts. Et il y a des familles avec que des filles. Là, un cousin mâle éloigné peut se pointer pour hériter avec elles. C’est injuste. La Tunisie a déjà exclu cette possibilité et nous souhaitons l’exclure également. », explique Nadia Aït Zai.  

Si le gouvernement a abrogé la notion du chef de famille en Algérie (un combat actuellement mené par les tunisiennes et les marocaines) et par conséquent le devoir d’obéissance au chef de famille, la tutelle est, elle, toujours effective lors de la conclusion du contrat de mariage. Un point devant lequel le président algérien, Abdelaziz Bouteflika, n’a pas voulu fléchir en 2005 lors de la réforme du Code de la famille. Il impose néanmoins le consentement comme élément essentiel de l’acte matrimonial, notamment en ce qui concerne la polygamie.

Côté divorce, l’homme peut toujours répudier sa femme. « Elles en souffrent depuis 1985 ! Et le ministère ne donne pas les vrais chiffres de la répudiation », précise la présidente du Ciddef. Pour les femmes, le divorce par compensation financière est autorisé. L’ex-épouse doit alors restituer la dot.

« Elles utilisent toutes ça ! Pendant un temps, la pension alimentaire était dérisoire, voire pas versée du tout. Aujourd’hui, on vient juste de créer un fonds de pension, une garantie pour la pension. », souligne-t-elle.

Autres avancées récentes en faveur des femmes : la transmission de la nationalité de la mère à son enfant et la garde prioritaire de l’enfant à sa mère en cas de divorce. Rien n’est à noter cependant concernant le fait que l’homme conserve tous les biens matrimoniaux, comme le logement conjugal par exemple, après la séparation. Mais si des progrès permettent à la société d’évoluer vers des conditions de vie moins critiquables, les féministes algériennes réclament l’abolition complète et totale du Code de la famille.

CONTRE LES VIOLENCES FAITES AUX FEMMES

En mars 2015, les députés votent une nouvelle loi contre les violences faites aux femmes, durcissant les peines de réclusion mais permettant aussi à l’auteur du crime de s’en sortir indemne si son épouse lui pardonne. Les élus islamistes s’insurgent contre cette nouvelle mesure. Disant que cela déstructure la famille :

« Pour eux, il ne faut pas toucher à ce qui se passe dans l’espace privé. Mais c’est là que les violences ont lieu. C’est bien la preuve que la femme ne peut pas être libre. »

Dans son enquête, Charlotte Bienaimé aborde la question des violences sexuelles dans un sous-chapitre intitulé « Terrorisme sexuel ». Tandis que les tentatives d’explications se multiplient, la plus avancée nous informe-t-elle subsiste celle de la frustration due à l’interdiction des relations sexuelles avant le mariage. Amina, militante en Algérie, s’offusque, pages 98 et 99 :

« Nous aussi, les femmes, nous sommes frustrées et on n’agit pas comme ça. Alors, on se dit que c’est peut-être l’âge, mais les gamins et les vieux le font aussi. Ou alors, ce sont les vêtements qu’on porte, mais les filles voilées aussi sont agressées. Ce n’est pas non plus le milieu social parce qu’il y a des hommes aisés harceleurs alors qu’ils ont fait de grandes études. C’est pour ça que maintenant, on identifie le patriarcat en tant que tel comme cause principale. »

Elle explique alors que c’est le terrorisme qui a amené le pays à parler des viols, en reconnaissant aux femmes violées le statut de victime du terrorisme. De là, le ministère de la Santé a souhaité lancer une enquête sur les violences conjugales.

« Il en va de la responsabilité de l’Etat de protéger les femmes de la violence conjugale. Mais c’est une question de contrôle du corps de la femme aussi. »
interpelle Nadia Aït-Zaï.

Pour la militante, les politiques publiques doivent redoubler d’effort et donner aux femmes, depuis trop longtemps enfermées dans des carcans traditionnalistes, le droit de prendre part au développement économique du pays.

« Les textes ont suivi dans le Code civil, le Code du travail, la Constitution avec le principe de l’égalité, l’accès à la santé et à l’éducation. Aujourd’hui, 62% de filles sortent de l’université, c’est plus que les hommes. On atteint presque la parité en matière de scolarisation. Pareil pour la santé. Avec une politique de planning familial repensant le nombre d’enfants par famille à 3 ou 4. Le Planning familial travaille actuellement à la dépénalisation de l’IVG. Il y a la possibilité de l’avortement thérapeutique mais certains médecins refusent de le faire. Les Algériennes vont en Tunisie pour avorter. Tout prend du temps car il faut que les politiques publiques se mettent en place. Mais les droits, nous les arrachons ! », développe-t-elle.

ARRACHER LEURS DROITS, LEUR LIBERTÉ

Son leitmotiv : la liberté, c’est à la femme de s’en saisir, de la prendre. « Mais certaines n’ont pas le courage de faire une rupture avec la tradition. Elles se disent modernes mais en public elles parlent de Dieu », regrette-t-elle. La question du voile ressurgit. La liberté serait-elle acquise par le voile ? Serait-ce une forme de libération ? Ce n’est pas un débat qu’elle souhaite avoir. Néanmoins, elle se permet de donner son point de vue, sans s’étaler :

«  Le foulard ne libère pas mais celles qui le portent pensent que ça libère. Car il les libère d’une interdiction. Celle d’aller dans l’espace public. Elles le pensent alors comme une protection. À Alger, j’ai constaté qu’elles l’enlevaient de plus en plus. Mais à l’intérieur du pays, toutes les femmes sont voilées. » Pour elle, pas de secret. C’est l’indépendance économique qui permettra la libération des femmes.

En décembre 2013, comme dans tous les numéros de la revue, elle signe l’édito du magazine du Ciddef et termine ainsi : « Ne soyons pas en dehors de cette histoire qui doit se faire avec nous. Sans nous il n’y aura pas de société saine et équilibrée ni de politique appropriée. » Elle le répète jusqu’à la fin de la conférence :

« C’est la femme qui doit arracher sa liberté ! ».

Un discours qui concorde avec celui de l’ancienne journaliste algérienne Irane, révélé dans l’enquête et ouvrage Féministes du monde arabe. Charlotte Bienaimé met en perspective la révolte, lutte du quotidien, à travers l’expérience d’Irane, dans une société de communication, page 39.

« On parle souvent des femmes victimes, des femmes violées, des femmes battues, du harcèlement sexuel dans la rue, etc. Mais on ne parle jamais de ces femmes algériennes actives qui sont violentées, mais extrêmement violentées tous les jours à la maison, au travail, parce qu’elles sont tout simplement des femmes. Si les femmes reprennent la parole, si elles disent ce qu’elles pensent, si elles le balancent comme ça, ça va choquer, mais ça va faire, disons, un équilibre, un contre-pouvoir. Les femmes doivent avoir accès à la parole. » (…)

« Chaque fois, on me renvoie à ma position de femme. ‘’Tu es une femme, on devrait pas t’écouter, d’ailleurs tu ne sais pas.’’ Donc, quand je fais des réunions, je dis, ‘’écoutez, vous la bande de machos là-bas’’, je dis ça comme ça, ouvertement, je les secoue, et je leur dis : ‘’Je sais, ça vous fait très mal parce que je suis une femme mais vous devez changer votre mentalité, le monde ne marche plus comme ça, il faudra se remettre en cause. Je sais, vous n’êtes pas d’accord parce que je suis une femme et ce n’est pas ma place, mais malheureusement, je suis là et c’est ma place et je suis votre responsable et vous devez m’écouter.’’ Donc, quand on voit que je suis assez forte, je le dis d’une manière assez directe, je leur laisse pas trop le choix, ça marche. Pas tout le temps, mais ça marche. »

Célian Ramis

Pour l'engagement politique au Niger

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Maison Internationale de Rennes
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Investir la vie politique, intégrer les fonctions électives ainsi que les administrations lorsque l’on est une femme, la loi nigérienne le permet depuis plus de 15 ans. Mais n’est pas toujours bien respectée.
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Investir la vie politique, intégrer les fonctions électives ainsi que les administrations lorsque l’on est une femme, la loi nigérienne le permet depuis plus de 15 ans. Mais n’est pas toujours bien respectée. L’association Mata, fondée à Rennes en 2003, forme les femmes engagées en politique et/ou dans le monde associatif au Niger pour les aider à prendre confiance en elles et ainsi accéder à des postes à haute responsabilité. Sa présidente et fondatrice, Fatimata Warou, proposait le 12 mars dernier, un arbre à palabres à la Maison Internationale de Rennes afin d’échanger autour des bouleversements politiques et sociétaux que le Niger a opéré ces dernières années.

Depuis l’indépendance du Niger en 1960, les réformes administratives favorisent la décentralisation du pays et les femmes profitent des différentes fonctions électives qui se créent dans les conseils municipaux, départementaux ou encore nationaux et des postes d’Etat à haute responsabilité. Au début des années 2000, les députés votent pour une loi instaurant des quotas : 10% de femmes dans les fonctions électives et 25% dans les administrations d’État.

« Quand le quota n’est pas respecté, la liste électorale est rejetée. », assure Fatimata Warou. Elle évoque ici le quota de 10%, élevé à 15% par l’Assemblée Nationale du Niger en 2014 lorsque le nombre de députés passe de 113 à 171. Un pourcentage qui reste encore très faible et qui n’est pas toujours très respecté quant aux 25% de femmes nommées au Gouvernement et aux postes administratifs.

C’est dans l’objectif d’aider les femmes à intégrer les instances décisionnelles que s’est créée l’association Mata (qui signifie « Femme »), en 2003 à Rennes avant que soit développée une structure parallèle au Niger. Parce que du point de vue de la présidente bretonne « mettre en valeur la réduction des inégalités des sexes est une donnée indispensable au fonctionnement des sociétés. »

Aujourd’hui, elles doivent encore se battre, redoubler d’effort, pour accéder à l’éducation, à l’alphabétisation, et poursuivre leurs études. « Les hommes craignent qu’une femme ouvre la porte aux autres femmes. C’est un acte politique de nommer une femme. », explique la maire de Niamey dans le documentaire de Karine Hannedouche, Pour que l’oiseau s’envole.

S’ÉMANCIPER ENSEMBLE

Le film montre que, dans l’un des pays le plus pauvre du monde en terme d’indice de développement par habitant, le chemin à parcourir est encore très long mais des bouleversements s’opèrent. Comme dans toutes les sociétés emprises de traditions religieuses et d’interprétations masculines des textes sacrés, les lois ne suffisent pas à faire avancer les mentalités qui, elles, s’obstinent à « chosifier la femme ».

La gent féminine engendre alors sa propre émancipation et libération, créant au Niger des groupements leur permettant de partager les tâches du quotidien, de travailler ensemble les terres, d’accéder à la propriété - ce qui constitue une petite révolution dans le pays – et d’utiliser les bénéfices mis en commun pour obtenir des micro-crédits ou acheter du matériel. Elles se battent alors pour le droit au travail et au salaire. Un salaire personnel qui ne reviendrait pas, de fait, à la famille comme le pécule par exemple qu’elles récoltent de l’activité qui leur est réservée, la poterie.

L’association Mata, en France comme au Niger, ainsi que les femmes investies dans la vie politique, agissent depuis plus d’une dizaine d’années pour l’accès à l’information des femmes qui en sont les plus éloignées :

« Il faut aller dans les coins reculés, rencontrer les femmes qui ne comprennent pas le système politique, leur expliquer clairement en langue nationale ! Les femmes doivent se lever ! »

Et s’envoler, le documentaire de Karine Hannedouche se clôturant sur une image poétique, l’oiseau ayant besoin de ses deux ailes pour voler : l’homme et la femme.

Depuis 2004, les formations initiées par Fatimata Warou s’effectuent en étroite collaboration avec les ministères de la Défense, de la Promotion des Femmes, de la Décentralisation, les associations féminines et les partis politiques. Le but : donner confiance à toutes celles qui militent depuis plusieurs années pour leur donner la possibilité de s’exprimer en public et se faire entendre. Une initiative qui a porté ses fruits puisque depuis elles ont accédé aux ministères de l’Education, de la Promotion des Femmes et de l’Enfant, au poste de préfet-maire de la capitale nigérienne, elles sont devenues députées ou encore ambassadrices.

« Elles votent des lois, elles influencent les décisions municipales par exemple, elles disent quand elles ne sont pas d’accord et se battent jusqu’à obtenir gain de cause. Avant, elles n’osaient pas, par peur du jugement des autres. Aujourd’hui, elles parlent à la TV, défendent des causes comme les centres d’alphabétisation, l’engagement dans les groupements. Elles sont investies pour faire évoluer leurs causes ! Elles sont cheffes d’entreprise, investissent les domaines économiques et internationaux… », s’enthousiasme la présidente de Mata, Fatimata Warou.

POIDS DE LA TRADITION

Mais comme l’ont révélées les nombreuses conférences sur les inégalités entre la sphère publique et la sphère privée, notamment celles sur l’Inde, l’Iran ou encore l’Algérie, si à l’extérieur, on peut voir une évolution des droits des femmes, à l’intérieur du foyer, les femmes restent discriminées et infériorisées par rapport aux hommes. Entre le code Napoléon et la loi musulmane, les conflits internes ne sont pas résolus.

« C’est la loi juridique qui prime mais dans les campagnes, il suffit à l’homme de dire 3 fois ‘je te divorce’ et c’est fait ! On est au XXIe siècle quand même ! », s’écrie Fatimata, qui précise que dans l’autre sens, cela est impossible, la femme devant procéder à une répudiation arbitraire, comme l’expliquera également l’avocate Nadia Aït Zai lors de sa conférence sur les formes de libération pour les femmes en Algérie, le 15 mars dernier.

Pour la présidente de Mata, « la suprématie de l’homme sur la femme vient du fait qu’il utilise et interprète le Coran. » Difficile de dépasser le système patrilinéaire, désignant ainsi le père comme chef. Ainsi, lorsqu’une femme accouche, l’enfant appartient à l’homme. Et pour les terres, même discours. Une fois le mari décédé, ce sont les enfants qui héritent, non l’épouse.

ALLIER LE TOUT

Ainsi, les modes de vie s’opposent entre tradition et modernité. Entre coutume et émancipation. Ce jour-là, à la MIR, la proposition de Fatimata est de procéder à un arbre à palabre. Plutôt qu’une conférence magistrale, le micro circule dans la salle afin que les unes et les autres témoignent de leurs expériences. Et les récits de vie dévoilent l’importance de l’école, souhaitée et encouragée par les mères qu’elles soient nigériennes, congolaises ou angolaises. Ces femmes chercheraient-elles à fracturer le poids de la tradition à travers une transmission mère-fille axée ardemment sur l’éducation ?

« Ma mère nous poussait en nous disant que le monde était en train de changer, que dans le futur il n’y aura plus de filles et de garçons. Mais que pour l’instant, les garçons naissent avec tous les droits alors que les filles doivent acquérir leurs droits. Elle nous a permis de comprendre beaucoup de choses, elle était très en avance. Nous devons pousser les filles à aller vers l’école et à poursuivre leurs études. », explique une participante, originaire du Congo. Elle est suivie du parcours d’une jeune femme venue du Tchad :

« J’ai eu ma fille à 16 ans. Ma mère était analphabète mais connaissait la réalité, l’importance de l’école et nous poussait à nous intéresser à l’école. Quand j’étais en terminale, je préparais mon bac et ma fille pour la maternelle. Il faut avoir du courage et persévérer ! »

En raison de la crise, les filles accèdent davantage à l’éducation, afin qu’elles puissent participer à la vie économique. Mais Fatimata Warou l’assure, l’école est encore mal vue pour les jeunes filles : « Surtout dans les campagnes, on les considère comme un lieu de déperdition. Les filles doivent se marier vierges et on a peur qu’en partant faire des études, elles tombent enceintes. »

Evidemment, le sexe est tabou. Et tout comme l’avaient souligné Cala Codandam et Fariba Abdelkhah, à la MIR également dans le cadre du 8 mars, la présidente de l’association Mata le confirme : l’éducation se construit dans les interdits et cela se transmet et perdure. La contraception est accessible aux femmes mais la société n’en parle pas :

« Tout se vit en cachette, on doit vivre cacher, ne pas montrer ses sentiments. C’est comme ça, ça ne veut pas dire que ce n’est pas bien, je pense que d’un côté ça évite les débordements. Mais cela nous brime dans nos désirs, dans nos besoins et cela nous suit tout au long de notre existence. »

LUTTER CONTRE L’EXCISION ET LA FISTULE

Si cela évite parfois les débordements, dissimuler les méandres de la sphère privée peut s’avérer dangereux pour la santé des femmes. Notamment celles sur qui l’excision ou les multi accouchements sans soins annexes provoquent des infections comme la fistule.

Les femmes touchées par cette malformation – ici entre le vagin et l’anus -, souvent, sont rejetées par les maris, les familles et sont exclues du village, à cause des odeurs pestilentielles qu’elles dégagent. « Elles sont alors considérées comme impures », souligne Fatimata Warou qui lutte avec Mata contre l’excision et pour la réparation des corps des femmes atteintes de fistule.

Les délais pour les opérations sont longs. Les femmes sont éloignées de leurs familles, couper de tout lien social. Et plus d’une centaine de cas sont détectés chaque année. Pas uniquement au Niger mais également au Congo, au Mali, au Sénégal ou encore en Côte d’Ivoire – là où la rennaise d’adoption Martha Diomandé lutte grâce à son association ACZA qui fêtera le 26 mars ses 10 ans d’existence avec la projection du documentaire La forêt sacrée et le concours de Miss Africa 2016, à la Cité.

« Il y a des violences sur le sexe des filles, des viols depuis le plus jeune âge, par des personnes différentes ! Il faut vraiment continuer à se battre. Nos formations ont été intégrées aux politiques nationales du Niger pour la réinsertion sociale, la chirurgie réparatrice et le travail auprès des matrones. », conclut Fatimata.

Célian Ramis

L'afro-féminisme, le réveil des consciences

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Les féministes d’aujourd’hui et d’hier auraient-elles intégré la suprématie blanche, créant ainsi un rapport de supériorité vis-à-vis des femmes non-blanches, et particulièrement des femmes noires ?
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Les féministes d’aujourd’hui et d’hier auraient-elles intégré la suprématie blanche, créant ainsi un rapport de supériorité vis-à-vis des femmes non-blanches, et particulièrement des femmes noires ? C’est la théorie défendue par le Black Feminism – afro-féminisme en France – et démontrée au cours de deux conférences organisées à la MIR dans le cadre du 8 mars. Quand les médias, les publicités, les arts, etc. dépeignent la femme comme blanche, mince, hétérosexuelle, jeune et on en passe, comment se considèrent les femmes non-blanches à travers ce modèle quasi unique ? Surtout que les clichés persistent à décrire les femmes noires comme sauvages, aux lèvres pulpeuses, aux grosses fesses et on en passe…

De la première vague du féminisme, on retient la lutte pour le droit de vote. De la seconde, on se remémore les combats pour le droit à l’avortement, la contraception, et plus largement à disposer de son propre corps. Et de la troisième, que conserve-t-on ? Qu’elle a été influencée par les Etats-Unis, contre le racisme. Mais de cette dernière, on cherche aussi à remettre en cause la naissance, l’évolution, à se demander si elle a vraiment existée…

Sa potentielle existence, toutefois, sert à justifier que la lutte contre le racisme, pour les femmes de couleur précisément, a bel et bien eu lieu. Qu’il n’y a pas/plus matière à revenir dessus. Angela Davis symbolise et incarne une partie de ce combat, et cela convient. Mais est-ce réellement suffisant de ne pouvoir citer qu’une seule figure emblématique de ce que l’on considère longtemps comme une période révolue ?

BLACK FEMINISM, AFRO-FÉMINISME

Plusieurs femmes et mouvements ont milité, et militent toujours, contre le racisme et le sexisme, subis conjointement, notamment envers les femmes noires, parmi lesquels figure bell hooks. Inspirée par le discours de Sojourner Truth, « Ain’t a woman ? » - esclave vendue enfant à un autre esclave, abolitionniste et militante des droits des femmes qui interpella au milieu du XIXe siècle les féministes blanches car elle ne se reconnaissait pas dans les interventions – l’intellectuelle et militante féministe signe une œuvre majeure en 1981 dans la littérature féministe moderne.

Cet ouvrage, Ain’t a woman ? Black Women and feminism, les éditions Cambourakis ont décidé de le faire traduire en français, optant pour une écriture inclusive, et de le publier en septembre 2015 dans la collection Sorcières, créée par Isabelle Cambourakis, sous le titre Ne suis-je pas une femme ? Femmes noires et féminisme. Et cela servira d’introduction à la conférence du 4 mars, organisée à la MIR par la librairie Planète Io, en présence de l’éditrice et de Raphaële Guitteaud, du collectif rennais Les Peaux Cibles, fondé en juin dernier.  

« C’est pour nous, le premier texte afro-féministe. Bell hooks est très appréciée pour ce qu’elle a écrit. Elle explique que s’aimer entre noir-e-s, c’est politique ! »
explique Raphaële Guitteaud.

Le Black feminism, s’il a des prémices dès la première partie du XXe siècle, trouve un essor aux Etats-Unis dans les années 60, dans le Mouvement des Droits Civiques, et se développe également en France quelques années plus tard (là aussi, le mouvement a commencé au préalable, Raphaële indiquant que la première française afro-féministe dont on connaît l’existence serait Paulette Nardal, la première femme noire, d’origine martiniquaise, à étudier à la Sorbonne au début du XXe siècle).

CATÉGORISATION PAR COULEUR

Et le mouvement se renforce dans les années 70 lorsque les luttes féministes s’amplifient. Quel mélange alors du côté des militantes ?

La suprématie blanche emboite le pas au sexisme vécu par les femmes noires du temps de l’esclavage ainsi qu’à la domination patriarcale qui instaure une hiérarchie entre les hommes et les femmes.

Et ce que soulignent bell hooks dans ces publications, Christine Delphy également, le Combahee River Collective dans son action et son manifeste de 1979 (rappelons aussi qu’un Manifeste des Femmes Noires est paru en 1970) ou encore le collectif Les Peaux Cibles et bien d’autres, qui utilisent maintenant les réseaux sociaux pour susciter la prise de conscience, c’est la remise en cause d’un rapport systémique intégré par les hommes mais aussi par les femmes blanches.

« On ne peut pas parler de sexisme sans parler de racisme. Pour moi, la misogynie peut aussi venir des femmes. J’appelle ça la misogynoire : on ne vit pas le même sexisme que les femmes blanches. Il y a des similitudes : les viols, la culpabilisation, par exemple. Mais les procédés sont différents. Les femmes blanches peuvent être misogynoiristes. », précise Raphaële Guitteaud qui abordera plus tard la question du harcèlement de rue, qui se traduit de manière plus importante et violente envers les femmes noires.

Elles dénoncent alors une hiérarchisation dans les revendications. Quand les Blanches réclament la réhabilitation des figures féminines dans l’Histoire, pensent-elles aux Noires qui elles aussi ont lutté pour leurs droits, ont combattu pour leur libération et celle de leurs peuples, et ont pris les armes (encore aujourd’hui des groupes de femmes défendent leur territoire comme le montre le documentaire de Stéphanie Lamorré, diffusé depuis 2014 sur LCP, Combattantes du Nord-Kivu, l’impossible destin) ?

MÉCONNAISSANCE PRÉGNANTE

Et si quelques efforts de sensibilisation et d’intégration sont à relever et saluer, comme entre autre le portrait combattant de Nzinga, reine du Ndongo et du Matamba, ou le parcours évolutif de Joséphine Baker, dressés respectivement le 18 janvier et le 7 mars dernier, sur le blog Les culottées, réalisé par la dessinatrice Pénélope Bagieu, la méconnaissance et l’ignorance restent prégnantes dans notre société qui accueille depuis une trentaine d’années une immigration venue de l’Afrique Subsaharienne – représentant environ 12% de l’immigration totale en France – et comptant un pourcentage légèrement plus important d’afro-descendant-e-s sur deux, voire trois, générations.

« On lutte pour que la notion féministe ne soit pas une notion blanche. Il faut savoir que peu importe ce que les féministes blanches ont fait, les féministes noires ont du lutter ensuite pour les faire appliquer à elles. », signale Raphaële Guitteaud, rejointe par Isabelle Cambourakis, qui souligne alors que la Coordination des Femmes Noires s’était également mobilisée sur les questions d’avortement, d’accès aux soins et à la contraception dès le début des années 70.

Pourtant aujourd’hui, une image stéréotypée continue de se répandre autour des femmes de couleur. Ce mois-ci, Leïla témoigne dans les colonnes du YEGG #45 – mars 2016 quant à l’association permanente qu’elle subit entre peau non blanche et son statut social. Née en France, d’une mère française et d’un père marocain, elle souffre constamment de l’image qu’on lui renvoie.

« On me demande sans cesse d’où je viens. Je réponds de France, je dis la ville dans laquelle je suis née mais ça ne suffit pas. On me dit toujours ‘’Nan mais tu vois ce que je veux dire… Tes origines quoi !’’ Et au-delà de ça, on pense toujours que je suis en situation de précarité. Alors que non pas du tout, je travaille par contre sur le sujet de la précarité mais je ne la vis pas ! », nous a-t-elle confié.

Et comme on hiérarchise le pouvoir entre les sexes, entre les milieux sociaux, etc. on distingue également une supériorité entre les races, entre les couleurs de peau. Et les femmes noires seraient en bout de chaine. Et parmi elles, le collorisme est indéniable. Plus la couleur de la peau sera foncée, moins elle sera représentée dans les sociétés. C’est le point que Audrey Diane Ngako, journaliste au Monde Afrique depuis 2 ans, a mis en relief lors de son intervention initiée par l’association rennaise Afrikentraide autour du traitement médiatique du genre chez les afro-descendant-e-s, le 12 mars à la MIR.

REPRÉSENTATION CONFUSE

Elle prend alors l’exemple qui agite actuellement l’actualité. Un biopic sur Nina Simone se prépare et l’actrice choisie pour y incarner la chanteuse est Zoe Saldana. Sa peau est plus claire, ses traits plus fins, ses lèvres moins charnues. Pourquoi ne pas « caster » une femme qui pourrait davantage s’apparenter à Nina Simone ? C’est le sujet du débat.

Libération, dans son article « Visage noir, idées pâles », daté du 16 mars dernier et signé Tania De Montaigne, assassine violemment la polémique jugée aussi absurde que grotesque : « Donc, pour jouer Nina Simone, il faut être Nina Simone, ou sa fille ou sa cousine ou une actrice dont la carnation et la frisure auront été validées par un comité spécial autoproclamé, un comité qui sait ce qu’est une bonne noire, une vraie noire. Faudra-t-il aussi que cette actrice soit réellement maniacodépressive ? Faudra-t-il qu’elle ait vraiment commencé le piano à l’âge de 3 ans ? »

Avant de conclure : « Voilà pourquoi nous ne verrons probablement jamais Zoe Saldana jouer dans le biopic de Nina Simone, parce que des racistes noirs sont parvenus à faire taire la pensée. Voilà pourquoi, noirs, blancs, rouges, jaunes, cathos, musulmans, juifs… il faudra toujours se souvenir des mots de Senghor : « Les racistes sont des gens qui se trompent de colère. » Remettons la colère au bon endroit. »

Pour la journaliste du Monde Afrique, d’autres actrices auraient pu prétendre au rôle de Nina Simone, à l’instar de la talentueuse Aduba Uzo, alias Suzanne « Crazy eyes » dans la série Orange is the new black. Pour Tawana, membre des Peaux Cibles, installée dans le public, un problème subsiste :

« Personne ne parle de la réalisatrice, blanche, qui a choisi Zoe Saldana. Tout le monde s’acharne sur l’actrice alors qu’elle, elle n’y est pour rien, c’est un choix qu’a fait la réalisatrice (Cynthia Mort, ndlr). »

DIVERSITÉ COMPLIQUÉE

Le cinéma français, mais pas seulement, a du mal à accorder une place aux actrices noires. Ou à ne pas leur réserver des rôles stéréotypés. Et les médias, dirigés et investis par des blancs pour la majorité, jouent le jeu et entretiennent les clichés, voire l’invisibilité de ces femmes. Pour Diane Audrey Ngako, pas de doute. La perception que l’on fait miroiter découle de l’époque de l’esclavage et coloniale.

D’un côté, la femme objet sexuel dont on peut disposer, image amplifiée par les articles sur la relation prostitution et immigration, mais aussi par l’industrie musicale qui permet par exemple à Nicky Minaj de renvoyer une image de femme hypersexualisée, et de l’autre, la « mama », la femme de confiance à qui l’on peut se confier mais que l’on n’estime que trop peu. Difficile alors pour les afro-descendantes de s’identifier :

« Quand on voit des noir-e-s à la TV, ce sont des jeunes de banlieue. Quand je suis arrivée en France à 12 ans, j’ai détesté être black. Car j’ai grandi dans un monde où le Noir représente l’échec. Et aujourd’hui, mes petites sœurs sont persuadées qu’elles ne seront jamais visibles. »

Embauchée au Monde depuis 2 ans, elle est affectée au service Afrique. Cela pose la question, sans toutefois cracher dans la soupe de son employeur : faut-il être originaire d’un pays africain pour parler de l’Afrique ? Et est-ce parce qu’une personne est noire qu’elle souhaite se spécialiser dans les sujets sur les populations noires ?

ESSENTIELLE PRISE DE CONSCIENCE

Le débat est sans fin. Les discours divisent et les deux conférences créeront des scissions Blancs / Noires, Blanches / Noires, Noirs / Noires, Noirs / Blanches. Mais le constat doit être établi, la prise de conscience est essentielle. Comme le souligne Raphaële Guitteaud lors de la conférence du 4 mars, « les femmes noires ont toujours accès aux mêmes jobs qu’à l’époque coloniale : le ménage, le baby-sitting. » Et la réalité démontre que tandis que les femmes blanches s’émancipent et partent à la conquête du monde professionnel, les femmes noires gardent leurs enfants et pâtissent toujours d’une mauvaise image.

Pourtant, les solutions ne semblent pas se multiplier ou s’accorder. L’écart entre les luttes des différentes femmes pourra-t-il se réduire ? Les combats restent encore nombreux et les victoires lointaines. Sans se décourager, les femmes doivent intégrées dans leur militantisme une manière de ne pas exclure des groupes de personnes sans toutefois parler en leurs noms.

Pas évident de trouver l’équilibre mais comme le précise la présidente de l’association Afrikentraide, il est déjà important de réaliser l’importance des si peu nombreux espaces de parole offerts pour en débattre. Tout comme il est indispensable que l’on questionne toutes les pratiques féministes, afin d’évoluer et avancer vers l’objectif commun : l’égalité des sexes. Pour toutes. Sans craindre d’être taxées de racistes, sexistes, ségrégationnistes, etc.

Célian Ramis

Femmes en politique, à la conquête de leurs droits civiques

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Conseil Départemental d'Ille-et-Vilaine
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En visite à Rennes le 18 mars, la ministre de l’Éducation Nationale Najat Vallaud-Belkacem a découvert l’exposition « Politique, Nom : Féminin Singulier », réalisée par les élèves du collège Rosa Parks.
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Ce vendredi 18 mars, la ministre de l’Éducation Nationale Najat Vallaud-Belkacem s’est rendue au Conseil Départemental d’Ille-et-Vilaine. En visite à Rennes pour un groupe de travail sur la mixité sociale dans les collèges, elle a également découvert l’exposition « Politique, Nom : Féminin Singulier », réalisée par les élèves du collège rennais Rosa Parks.

Du 3 au 17 mars, l’exposition était installée au Parlement de Bretagne. Elle est depuis le 18 mars au Conseil Départemental d’Ille-et-Vilaine. L’ancienne ministre aux Droits des femmes a ainsi rencontré un petit groupe de collégien-ne-s, en classe de 3e au collège Rosa Parks - situé à Villejean – ayant participé à la conception et fabrication de cette exposition qui s’articule autour des événements capitaux pour les femmes en politique, comme le droit de vote par exemple, et des figures féminines qui ont marqué le paysage politique rennais, français ou encore international.

Leur travail, non seulement pédagogique et constructif, s’inscrit désormais comme un outils de référence en matière d’information et de sensibilisation quant aux luttes des femmes pour leurs droits civiques et leur droit à l’égalité des sexes.

Olympe de Gouges, Louise Michel, Sévérine Caroline Rémy, Irène Joliot-Curie, Joséphine Baker ou encore Rosa Luxembourg, figurent sur les différents panneaux qui constituent l’exposition, regroupés également dans un fascicule papier que l’on peut feuilleter et conserver en archives d’une histoire passée mais pas révolue, puisque les figures contemporaines, comme Martine Aubry, Nathalie Kosciusko-Morizet, Jocelyne Bougeard ou encore Nathalie Appéré, viennent s’y ajouter pour prolonger et continuer le combat, loin d’être gagné.  

CONSCIENCE CITOYENNE

Deux collégiennes ont tour à tour présenté et expliqué les panneaux à la ministre, qui elle n’apparaît néanmoins pas dans l’exposition. À la fois fières et impressionnées par la présence de Najat Vallaud-Belkacem, première femme à accéder au ministère de l’Éducation Nationale, les deux jeunes femmes ont su montrer leur investissement dans le projet et leur engagement pour les droits des femmes. Leur conscience aussi envers une situation inégalitaire qui démontre que la domination masculine et patriarcale persiste encore ardemment dans nos sociétés actuelles.

Le temps restreint de la ministre pour visiter l’exposition ne leur permettra pas d’en faire le tour complet. Néanmoins, Najat Vallaud-Belkacem leur conseille de « voir au-delà des frontières même si les difficultés ici persistent encore. Notamment sur la question de l’orientation scolaire. On voit encore que les filles n’osent pas aller vers les sciences, les études d’ingénieur-e-s. Et les garçons ne vont pas vers les services à la personne, les métiers de l’enfance, etc. Il faut combattre les stéréotypes. »

Pour elle, s’intéresser dès le plus jeune âge à des valeurs telles que l’égalité entre les femmes et les hommes est une initiative à saluer :

« Les élèves en ressortiront différents. C’est un long combat. Rien ne s’est obtenu en claquant des doigts. »

L’exposition montre à juste titre qu’à travers les siècles les femmes se sont battues. Qu’en retient-on ? La parité en politique reste aujourd’hui un problème majeur, dans l’Hexagone comme dans les autres pays.

En témoignent le documentaire de Karine Hannedouche, Pour que l’oiseau s’envole, et la conférence du 12 mars 2016, à la Maison internationale de Rennes – dans le cadre du programme autour du 8 mars – animée par Fatimata Warou, fondatrice de l’association Mata, située à Rennes, qui œuvre pour la formation des femmes investies dans la vie politique et la vie associative au Niger dans le but de les encourager à intégrer toutes les fonctions électives. Sans distinction de sexe.

FAVORISER LA MIXITÉ SOCIALE

La visite se termine par un point avec les médias concernant l’objet principal de sa venue : la mise en application de la réforme annoncée en novembre 2015 visant à favoriser la mixité sociale dans les collèges. Une démarche a priori novatrice qui engagera 21 départements volontaires dès la rentrée prochaine, avec une sélection de 25 territoires pilotes. « Au lieu de faire une nouvelle carte scolaire, nous choisissons des réponses plus appropriées puisque la mixité sociale est singulière à chaque territoire. », explique la ministre de l’Éducation Nationale.

Elle cite alors diverses solutions qui pourraient être développées, à l’instar des secteurs multi-collèges – plutôt qu’un collège par secteur – ou des offres pédagogiques « très attractives » pour les établissements pâtissant de mauvaises image et réputation. Le tout encadré avec la volonté d’y associer les parents et évalué par un comité scientifique dès le lancement de l’expérimentation.

Célian Ramis

La situation critique des femmes indiennes

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Maison Internationale de Rennes
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Réputée pour son côté conservateur et inégalitaire, la société indienne n'a pas toujours été pensée ainsi. Dans le cadre de la journée internationale pour les droits des femmes, voyage dans des Indes complexes.
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La femme indienne sous le regard philosophique, spirituel et politique, tel était le thème de la conférence organisée par l’Association de Yoga et de Culture Indienne (AYCI), mardi 1er mars, à la Maison Internationale de Rennes. Une belle entrée en matière dans le programme du 8 mars - journée internationale pour les droits des femmes – chapeauté par la Ville de Rennes avec les associations féministes et/ou culturelles du territoire.

Aborder la question de la place des femmes dans le monde, sans observation fine et méticuleuse du terrain, est délicat. La journée internationale pour les droits des femmes est alors un moyen pour en décrypter quelques parcelles et ouvrir le champ des possibles. Cette année, à travers le thème « Sphère publique / sphère privée : Cultiver l’égalité entre les femmes et les hommes », l’invitation au voyage est lancée dans la capitale bretonne, du 1er au 31 mars.

Premier arrêt : l’Inde. Ou plutôt les Indes, comme le précise le géo-politologue et poète Déva Koumarane, français d’origine indienne élevé sur l’île de la Réunion. « On va voyager ensemble, on va traverser les siècles car c’est un pays très ancien. Avec une civilisation tellement ancienne qu’elle est difficile à comprendre, même pour les indiens », s’amuse-t-il.

Et c’est en chantant deux poèmes de Ranajit Sarkar que commence Calaisselvy, dite Cala, Codandam, professeure de yoga et animatrice culturelle pour AYCI, association qu’elle a fondée en 2011. Elle aussi est française, originaire d’Inde, et souhaite transmettre l’esprit de la culture indienne. Et situer les femmes dans un contexte particulier, l’Inde étant emprunte de traditions conservatrices, basées comme beaucoup sur de mauvaises interprétations de l’Histoire.

COMPRENDRE L’HISTOIRE

La base de l’Inde est fondée sur sa puissance religieuse. L’hindouisme en est la première et la plus ancienne religion. Mais le territoire accueille également les religions bouddhiste, chrétienne, juive et musulmane, entre autre. Pour les hindous, trois divinités représentent le fonctionnement de la société avec le créateur Brahma, le conservateur Vishnou et le destructeur Shiva.

« La femme est considérée comme l’égale de Dieu. Les trois dieux sont toujours représentés avec les « shakti », leurs épouses. La femme est l’énergie de l’homme, sa puissance. »
déclare le spécialiste de l’Inde.

Il évoque également l’égalité des sexes dans le droit à prêcher le bouddhisme. Et la situation honorable des femmes durant l’Antiquité.

Outre les multiples religions qui se côtoient, le territoire indien est également un berceau oriental, asiatique et anglophone, « entre guillemets », précise Déva Koumarane, en référence à la colonisation britannique, précédant l’indépendance de l’Inde en 1947. Avant cela, d’autres états européens se sont succédés sur la route des Indes, découvertes en 1498 par le portugais Vasco de Gama.

Le regard de l’européen se porterait alors vers une puissance « en avance par rapport à la société occidentale ». Pourtant, à l’époque coloniale, avant l’indépendance, les hommes auraient cherché à « sauvegarder », selon le terme du géo-politologue, les femmes, en les maintenant à l’écart, soit à l’intérieur des foyers. 

REGARD BRITANNIQUE SUR
LES FEMMES ET LES COUTUMES

Celles que les britanniques vont s’empresser de découvrir, ce sont les « devadâsî ». Les servantes de Dieu. Consacrées aux temples. Interpelé par Cala Codandam sur ces femmes apparentées à des prostituées, « dont on ne parle jamais », Déva Koumarane explique :

« Ce sont de très belles femmes, très instruites, qui dansent des danses classiques indiennes, les danses de la séduction. Ce sont un peu, sans offense aux japonais, les Geisha de l’Inde. Des femmes qui sont là pour distraire les hommes. »

Tout comme les rois viennent voir les « chastes » des temples pour assister aux spectacles, les anglais s’y précipitent également, « comme dans les pays orientaux avec les harems ». Si au départ, elles bénéficient du plus haut statut qu’une femme puisse obtenir, dans la culture hindoue, celui-ci évolue et de courtisanes, elles passent à prostituées, dans l’opinion britannique, qui abolit rapidement ce système social.

Et ils ne s’arrêteront pas là, interdisant également le rituel du sati, consistant pour une veuve à sauter de son vivant dans le bucher crématoire de son défunt mari.

Le guide spirituel le plus influent de l’Inde au XXe siècle, Mohandas Karamchand Gandhi, dit Mahatma (La Grande Âme) Gandhi, qui a effectué ses études en Angleterre et vécu plus de 20 ans en Afrique du Sud, conduit en parallèle la population indienne vers l’indépendance. Et prône la libération des femmes.  « Il demandait aux indiens d’enseigner la lecture et l’écriture à leurs femmes. Le sexe fort, il disait que c’était la femme. Car la femme est beaucoup plus réaliste, beaucoup plus révolutionnaire. Et moi je crois, si vous me permettez de donner mon avis, que ce sont les hommes qui les ralentissent dans le monde entier. », souligne le spécialiste.

RENAISSANCE DE LA CULTURE INDIENNE

À cette époque, la culture indienne renait. On chante la poésie, on accorde une place toute particulière à l’Amour. Hommes et femmes honorent la lune, la nature est essentielle, l’amour charnel et l’amour spirituel sont sous-entendus. Pour Cala Codandam, « le nénuphar qui s’ouvre doucement au regard de la lune, c’est le regard de l’homme sur la femme. On peut utiliser tous les éléments de la nature, des parfums, des saveurs, etc. ». Tout utiliser mais sans montrer et sans désigner précisément. Elle parle alors d’âge d’or, où femmes et hommes étaient égaux. Et de décadence. L’époque moderne.

Pour Déva Koumarane, les fondateurs de l’Inde antique avaient « bien fait les choses » mais les mauvaises interprétations, effectuées principalement par les hommes, ont changé la donne :

« Les hommes, je crois, ont cherché à faire de la femme, peut-être pas un objet sexuel, mais de procréation en tout cas. »

La ségrégation entre les hautes et basses castes est balayée des films Bollywood, qui ne conservent que des histoires d’amour impossibles.

La femme indienne est alors victime de la famille. Les traditions y sont conservatrices et pèsent sur la société : « Dans le cinéma, la femme est toujours présente. Un homme et une femme s’aiment. La mère va dire à la fille ‘’Tu ne peux pas car pas même milieu’’. A ce moment là, il y a toujours le père qui est malade et la mère qui en profite pour faire culpabiliser sa fille. »

SOCIÉTÉ MODERNE ?
PAS POUR LES FEMMES !

S’il est difficile de réformer cette société indienne, la censure étant encore draconienne, le géo-politologue est confiant : le réveil des femmes a sonné. Des associations de femmes naissent pour défendre leurs droits :

« Il y a des femmes courageuses, qui se battent ! Mais elles ne sont pas encore assez nombreuses. Mais ça viendra. On attend toujours des choses dramatiques pour en parler mais c’est tous les jours qu’il faut se battre. Par exemple, le mariage forcé. Aujourd’hui, la loi permet d’aller porter plainte mais la femme n’osera jamais à cause du regard de la société. »

L’association Stop Acid Attack, basée à Delhi, est un exemple de structures dédiées à la cause des femmes. En ligne de mire : les attaques à l’acide que subissent les jeunes femmes qui osent dire « non » à une ‘‘proposition’’ de mariage. En octobre 2015, l’émission de France 2, Envoyé Spécial, dédiait un reportage aux femmes vitriolées en Inde. « Nous ne sommes pas des victimes, nous sommes des combattantes », témoignent alors les jeunes filles. Elles seraient environ 4 ou 5 chaque semaine à subir ces horreurs, qui les défigurent et les brûlent à vie, quand elles ne sont pas violées collectivement ou tuées.

Cala a vécu en France. Mais a été élevée dans la tradition indienne. C’est-à-dire « à l’obéissance, au chantage affectif. Il est très dur de couper avec sa famille. » Pour la fondatrice de l’AYCI, pas d’ambigüité ni d’ambivalence. L’ennemi principal de la femme indienne est la femme indienne. La mère, la sœur.

LE MARIAGE, AU CŒUR
DE LA SOCIÉTÉ INDIENNE

En Inde, citations et proverbes guident les instances du quotidien. Il y en a pour la cuisine, pour la famille, pour les enfants… La professeure de yoga a baigné dedans dès ses 7 ans, et en est marquée, celle-ci en particulier : « Si l’homme est comme un brin d’herbe ou une pierre, c’est ton mari, ma fille ». Au nom de l’amour, des sacrifices. Au nom de sa caste, un mariage arrangé. Au nom d’un fonctionnement qui perdure, un discours culpabilisant.

« Les femmes sont partout en Inde. Depuis un an, une femme conduit le métro à Madras, c’est la première fois ! Une femme en sari a pris les commandes d’un avion aussi. En sari ! Elles sont partout mais doivent être derrière les hommes. Ma mère vit en France. Pourtant, quand j’ai passé mon permis, elle n’a pas compris. Une femme n’en a pas besoin… Aujourd’hui, elle serait très gênée de me voir vous parler, assise à côté d’un homme. », témoigne-t-elle.

Tout comme les textes sacrés ont été (mal) interprétés, l’histoire sociale de l’Inde a pris un virage vers la domination des hommes sur les femmes, infantilisées, enfermées dans les castes, qui elles n’ont pas disparu dans les traductions obscures des traditions. Le mariage « libre » est autorisé mais la culpabilité rattrapera la femme à marier. Le divorce est légalisé mais peu admis par la société qui a déjà eu du mal à accepter les veuves, sans les mettre vivantes sur le bucher.

Le mariage est au cœur du problème systémique indien. Les castes à respecter, la dot à présenter, la tradition a perpétué… Quels choix ont les femmes ? Mariage forcé ou vitriol ? Sans extrémisme ou radicalisme, le film Chokher Bali, réalisé par Rituparno Ghosh en 2003, dévoile la complexité des relations amoureuses entre jeunes indiens, avec toujours cet objectif de mariage en tête.

Mais l’espoir est permis. Le parcours la boxeuse Mary Kom, quintuple championne du monde de boxe indienne, fait l’objet d’un biopic en 2014 (Mary Kom, de Omung Kumar). Nourrie par les injustices sociales, une femme ne pouvant accéder à un statut de sportive – elle sera un temps renié par son père – ou encore une femme ne pouvant poursuivre ses rêves une fois mariée et mère de famille (selon la société, son mari à elle la soutenant et l’épaulant dans sa lutte vers son ambition), la jeune indienne va se battre et embarquer tout un pays dans une vibration libertaire et fédératrice. 

ÉMANCIPATION CACHÉE ?

Pour vivre libre, faut-il vivre cachée ? Aujourd’hui, les indiennes entreprennent des études et voyagent à travers le pays.

« Si elles vont vivre ailleurs pour les études, on dira qu’elles vivent chez un membre de la famille ici ou là. On ne dira jamais qu’elles vivent toutes seules ! Ce ne sont que des mensonges ! (…) Pareil pour la contraception, elle existe mais n’est pas bonne car elle rend moins féconde. Et là, on entendra la mère dire « Prends pas ma fille » alors tu prendras mais tu ne diras pas. »
s’écrie Cala.

Pour elle, la modernité a amené la décadence.

Elle prend pour exemple l’échographie. Quand cette révolution médicale débarque, la société s’en saisit pour faire avorter celles qui auraient du ou pu mettre au monde des filles. Un phénomène qui serait en voie d’extinction, la politique de natalité restreignant à un ou deux enfants par famille.

Pourtant, pour 1000 naissances de petits garçons, on comptabilise environ 920 naissances de petites filles, créant ainsi un écart entre la population masculine et féminine. Pour Cala Codandam et Déva Koumarane, la solution réside dans le dialogue, dans l’éducation à l’égalité de la part des familles tout d’abord « mais il y a toujours des attitudes machistes de la part des pères mais aussi des mères, et ce qui compte beaucoup pour les indiens, c’est la transmission », ne contestant pas que l’Inde soit décrié pour être un des pays qui enregistre le plus grand nombre de viols.

Ensuite, « ce qu’il manque, c’est la volonté de changer le monde, tous ensemble. ». Orient et Occident main dans la main pour les droits des femmes. Face à face dans un dialogue interculturel et inter-religieux. Rien de mieux alors que de conclure la conférence par la projection du film de Roshan Andrews, sorti en mai 2015, 36 Vayadhinile. L’histoire de Vasanthi, 36 ans, indienne, toujours au service des autres. Normal ? À méditer.  

 

 

Célian Ramis

Travelling 2016 : Les femmes prennent la colère et s’en vont en lutte

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Cinéma Arvor, Rennes
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Lors du festival Travelling était projeté le documentaire Quand les femmes ont pris la colère, réalisé par Soazic Chappedelaine et René Vautier, mardi 9 février, au cinéma Arvor de Rennes.
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L’association Clair Obscur a profité du festival Travelling pour rendre hommage au réalisateur breton, René Vautier, décédé début 2015. À cette occasion, était projeté mardi 9 février, au cinéma Arvor de Rennes, le documentaire Quand les femmes ont pris la colère, réalisé par Soazic Chappedelaine, sa femme. En présence d'Eve Meuret-Campfort, docteure en sociologie et spécialiste de la lutte à Tréfimétaux.

1975. Couëron, près de Nantes. Les ouvriers de l’usine Tréfimétaux sont en grève. Ils revendiquent une augmentation de salaires. Lorsque la direction envoie un courrier aux familles sommant les hommes de plier, le coup de pression est difficile à digérer. Les femmes prennent la colère. Peu d’entre elles travaillent mais leurs maris connaissent des conditions de travail déplorables, les couples en pâtissent, ne connaissant le « confort » qu’en période de vacances. Elles s’indignent, viennent grossir les rangs des grévistes investissant alors le piquet de grève devant l’usine.

Douze d’entre elles vont rencontrer le directeur afin de négocier et lui signifier leurs revendications deux heures et demie durant. En vain. Les présentes l’assurent, discussions et échanges ont été les seuls objets de cette réunion dans le bureau. Mais de son côté, le patron ne l’entend pas de la même oreille et porte plainte pour séquestration, donnant lieu à plusieurs procès contre les femmes inculpées, les années suivantes.

En 1976, les réalisateurs René Vautier et Soazic Chappedelaine s’intéressent aux accusées, les suivant lors des manifestations organisées pour demander leur relaxe mais aussi dans leur intimité, alternant ainsi entre le collectif et l’individuel. Le duo signe un documentaire militant abordant la place des femmes dans les luttes ouvrières et les sections syndicales mais aussi leurs rapports avec leurs conditions de vie et surtout de femmes.

MUTATIONS SOCIALES

Les bouleversements sociaux sont au cœur de cette période post 68. Lutte des classes mais aussi lutte des sexes s’organisent, se côtoient mais peinent encore à se rejoindre, malgré l’évolution des mentalités. Du côté des femmes, la prise de conscience est plus nette, même si toutes ne réagissent pas simultanément. Les combats concernant la contraception, l’avortement et la sexualité ont permis un rassemblement, une bataille collective.

Mais si les groupes et sections de femmes commencent à se dessiner dans le paysage sociétal et syndical, il semblerait qu’ils ne soient encore considérer que comme secondaires. L’affaire de Tréfimétaux portera les femmes dans la lumière, placées en première ligne des manifestations et portant toutes une écharpe sur laquelle trône le mot Liberté, en référence à inculpation pour séquestration.

Un symbole fort et clair, qui s’assombrit au fil du documentaire, témoin des pensées et réflexions des 12 accusées, communistes ou non, militantes ou non, travailleuses ou non. Qui ne regrettent rien. Qui referaient la même chose si c’était à refaire.

LES FEMMES DANS LES LUTTES

Féministes ? « Il y a une prise de conscience féministe à ce moment-là mais je ne suis pas sûre qu’elles se diraient féministes… C’est aujourd’hui encore un mot qui fait peur ! », souligne Eve Meuret-Campfort, docteure en sociologie et spécialiste de la lutte à Tréfimétaux, présente pour échanger avec les spectatrices et spectateurs, à l’Arvor ce mardi 9 février.

Si cette lutte est aujourd’hui emblématique de la rencontre entre les ouvriers et les femmes, l’analyse féministe n’est apparue que bien plus tard. Sur le moment, la CGT se concentre sur l’aspect répressif et dénonce la condition de cette classe sociale avec laquelle les femmes vont être solidaires, majoritairement en qualité de « femmes d’ouvriers ».

« Cette lutte a permis de questionner les pratiques syndicales, de voir la place laissée aux femmes dans les instances… On s’est demandé alors s’il fallait soutenir les luttes quand les femmes prennent la parole même si ce n’est pas dans le fond féministe. », précise la sociologue. Le livre Elles s’en vont en lutte – Histoire et mémoire du féminisme à Rennes (1965 – 1985), écrit par les militantes rennaises Lydie Porée et Patricia Godard, fait état dans sa deuxième partie « Rennaises en mouvement » de l’investissement des femmes dans les luttes sociales.

Les auteures mettent en relief cette mise à l’écart des femmes au sein des combats « généralistes ». Pourtant, elles y prennent part, défilent dans les manifestations, se battent pour leurs droits, leurs conditions de travail et leurs conditions de vie. Mais sont cantonnées aux problèmes de femmes, dans des groupes de femmes et dans des actions entre femmes.

« Les années 70 marquent une remise en question des mœurs, de la famille, de la maternité. Mais il faut comprendre que c’est très compliqué pour elles de remettre ça en question et de l’afficher. Elles invoquent donc la solidarité des classes. », insiste Eve Meuret-Campfort. L’image publique est donc celle de femmes qui défendent leurs maris, le documentaire pointant précisément cet angle de surface.

ÉMANCIPATION INDIVIDUELLE

Car au delà de l’apparence, du lien montré entre maris et femmes, Soazic Chappedelaine et René Vautier vont creuser la réflexion qui se joue en coulisses, dans l’intimité individuelle ou en non-mixité. Certaines livrent leurs ressentis, de manière spontanée et naturelle. Des discours poignants qui démontrent l’épuisement des femmes qui s’occupent du foyer et se font battre le soir par des maris lessivés de leurs journées et conditions d’ouvriers.

C’est aussi une plongée dans le couple qui doit surmonter les conditions de vie difficiles et fatigantes. En plus des aléas de la vie. Certaines se mettent à travailler, d’autres s’engagent dans le militantisme. Toutes gardent en mémoire la lutte de Tréfimétaux et éprouvent de la fierté. Si le changement de mentalité et le chemin de l’émancipation sont longs, elles auront agi – pour leurs maris principalement – pour défendre ce qu’elles pensent être juste et gouté à une forme de liberté.

« La projection de ce film a été très subversif. A Couëron, en 1977, tout le monde, y compris les femmes, n’approuvait pas ce qui était dit dans le documentaire. », précise la docteure en sociologie. En effet, l’intime, le couple, la sexualité, la condition féminine y sont les éléments principaux, bien au delà d’une lutte syndicale. Aujourd’hui, les discours résonnent et font écho à la société contemporaine : les époques ne sont plus les mêmes, les contextes également, les luttes sont mouvantes mais qu’en est-il des combats actuels et de la place des femmes dans les syndicats ?

Le 3 mars prochain, l’association Histoire du féminisme à Rennes organise une conférence intitulée « Les ouvrières de l’usine textile SPLI (Société parisienne de lingerie indémaillable, implantée en 1966 dans la capitale bretonne, ndlr) à Rennes en 1978 : quand les femmes luttent pour leurs droits et leurs emplois », en présence de Fanny Gallot, spécialiste de l’histoire des femmes dans les luttes ouvrières. À la Maison des associations, à 18h30.

 

Travelling 2016 : Quelles représentations des femmes sud-coréennes à l'écran ?

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Le festival rennais proposait un focus sur la ville de Séoul. L’occasion de s’intéresser à la place des femmes dans le cinéma sud-coréen. Une place restreinte, loin d’être le synonyme de liberté et émancipation.
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Du 2 au 9 février se déroulait le festival Travelling, à Rennes, abordant un focus sur la ville de Séoul. L’occasion de s’intéresser à la place des femmes dans le cinéma sud-coréen. Une place restreinte, loin d’être le synonyme de liberté et émancipation.

Photos et titres nous interpellent en feuilletant le programme de Travelling. Sur 36 films, 21 femmes illustrent les synopsis. Moins flagrant, un quart de la proposition cinématographique, articulée autour de la ville de Séoul, dévoile un intitulé féminin : La vierge mise à nu par ses prétendants, Une femme libre, La servante, Une femme coréenne, The Housemaid, My sassy girl, The satelitte girl and milk cow, A girl at my door ou encore Madonna. Sans compter le nombre de résumés dans lequel figure un personnage féminin.

« C’est peut-être parce que je suis une femme que j’y suis sensible… », avance Anne Le Hénaff, responsable artistique du festival. Mais l’explication de cette tendance féminine réside ailleurs. Le décalage entre la modernité – surtout technologique - apparente de la Corée du Sud et l’image de la femme l’interpelle, le classement du pays - figurant à la 108e place sur 135 en matière d’égalité des sexes - la choque.

FEMME OBÉISSANTE

« On attribue à la femme une image associée à la femme docile, belle, soignée… Sa place dans le cinéma coréen reflète largement sa place dans la société coréenne. », précise la directrice artistique. Assignée au foyer, la femme coréenne est vouée à s’occuper de la vie familiale, soumise à son mari. Ce sera d’ailleurs le point de départ du film de Im Sang-soo, Une femme coréenne, en 2005, ou encore de celui de Han Hyeong-mo, Une femme libre, plusieurs décennies plus tôt, en 1956.

« Elle se doit d’être dévouée à la réussite de l’homme ! », souligne Anne Le Hénaff qui s’est passionnée pour le sujet et plongée dans l’histoire de la Corée du Sud, très imprégnée de la morale confucéenne. Le confucianisme étant une école de pensées initiée par le philosophe Confucius qui a infusé des siècles durant dans les pays asiatiques et a été instrumentalisé politiquement faisant régner le principe d’obéissance.

Ainsi, jusqu’aux années 70, le cinéma propose un regard machiste sur les sujets traités à travers le regard de l’homme toujours dominant. Pour la cinéphile, cette vision s’explique par le contrôle des gouvernants : « À cette époque, le cinéma coréen est sous une chape de plomb, face à un gouvernement autoritaire. » Pourtant, les mentalités évoluent et engendrent des mutations dans la représentation de la figure féminine dans le 7e art.

« Elle revient dans des histoires sur des ados, des jeunes couples. Elle peut prendre son envol mais en restant quand même à sa place. »
souligne Anne.

Quand on s’intéresse de plus près au fonctionnement de la Corée du Sud, les chances d’avenir pour les nouveaux-nés sont identiques, sans distinction de sexe. Dans l’éducation des enfants, depuis plusieurs années, il ne serait plus question de discrimination envers les petites filles qui effectuent la même scolarité et atteignent le même niveau d’études que les garçons.

FEMME AU FOYER

Le tableau s’assombrit. Après l’université, le temps du mariage et des enfants. Si les femmes débutent des carrières, celles-ci sont écourtées par leur devoir envers le cercle familial, reprendre un travail devient compromis par la suite.

Un système qui contraint aujourd’hui les Coréennes à choisir entre vie professionnelle et vie familiale, comme le dénoncent les militantes féministes Lee Seon-mi et Mok Soo-jeong dans une interview publiée en mars 2014 sur le site lesinfluences.fr :

« Quand elles se marient ou encore à l’arrivée du premier enfant, elles arrêtent de travailler ; les frais de garde de l’enfant étant souvent supérieurs au salaire perçu. Quand les enfants sont plus grands, elles reprennent un travail. Mais cette coupure d’une dizaine d’année, leur interdit de reprendre leur carrière. Elles se retrouvent donc caissière ou femme de ménage, des emplois les moins rémunérés. »

Un phénomène qui diminue, voire disparaît, avant la crise de 1997 qui frappe la Corée du Sud. Après, selon les deux femmes interviewées, le dilemme travail/mariage renait de ses cendres. Malheureusement, le pays assiste à un recul de la part de la gent féminine qui se tourne majoritairement vers le cercle familial au détriment de leur épanouissement professionnel.

FEMME OBJET

Dans cette même décennie, le cinéma inclut davantage les personnages féminins, qui restent toutefois une minorité. Et surtout l’image donnée tend à montrer une femme objet. Objet de désir, pulpeux, vénéneux… la femme coréenne est uniformisée et hypersexualisée. Elle apparaissait déjà séductrice dans La servante de Kim Ki-young, en 1960, histoire revisitée en 2010 par Im Sang-soo dans The Housemaid.

Dans les films de Hong Sang-soo, les femmes sont maitresse, amante, amoureuse, objet d’un amour fantasmé, comme dans Conte de cinéma, sorti en 2005, ou au centre d’un triangle sentimental, à l’instar de La vierge mise à nu par ses prétendants, sorti en 2002.

« Elle continue d’avoir la place qu’on lui a assignée. Mais certains films proposent quand même des regards plus respectueux, comme ceux avec l’actrice Moon So-ri, Oasis (l’histoire d’un homme qui tombe amoureux d’une jeune femme handicapée, ndlr) et Hill of freedom (un Japonais attend une ancienne amante dont il est toujours amoureux, ndlr). », soulève Anne Le Hénaff.

FEMME SECONDAIRE

Autre problématique soulevée à l’occasion du festival, le manque d’héroïnes dans les scénarios. Une carence que de nombreux cinéastes dénoncent à l’échelle internationale – comme l’ont fait quelques jours plus tôt les frères Nasser, réalisateurs palestiniens venus à Rennes présenter leur premier long métrage Dégradé en avant-première – à l’instar de la réalisatrice Shin Su-won. Jeudi 4 février, elle donnait une conférence de presse à l’Étage du Liberté :

« Les actrices le disent, elles ne reçoivent pas beaucoup de scénarios. Et c’est un phénomène en Asie, il n’y a pas beaucoup de films d’héroïnes. »

Elle-même avoue rencontrer des difficultés en tant que réalisatrice. Son rapport avec les acteurs en pâtit. « Ils ont tendance à ne pas me faire confiance, à avoir des préjugés envers moi. », explique-t-elle, adulée par son producteur qui la soutient face aux journalistes avec un sourire : « Moi, je pense qu’elle est très brillante ! »

Shin Su-won interroge de son regard critique la société coréenne et propose dans Circle Line (2012) et Madonna (2015), qu’elle présentait en avant-première les 5 et 9 février, de dévoiler des drames sociaux. Jusqu’où va le pouvoir de l’argent ? De quelles difficultés souffrent les habitant-e-s ? La réalisatrice filme les inégalités entre les classes sociales, parfois de manière radicale, pour une prise de conscience terrible mais efficace. On ne ressort pas de la projection indemne.

FEMME SANS ISSUE ?

Dans ce film, Madonna, plusieurs facettes des femmes sont mises en lumière. Discrètes, paumées, écrasées, en proie à leurs doutes, leurs faiblesses et leurs convictions, elles troublent et crèvent le cœur quant à la condition féminine qui donne peu d’espoir pour le futur.

« Je suis classée satirique comme réalisatrice. Et ça me va que les gens pensent ça. Mes films ne sont pas grand public. En Corée, ce sont principalement les thrillers qui sont investis financièrement. Avant, certains essayaient des choses différentes mais la génération de cinéaste d’aujourd’hui a du mal à survivre. », explique Shin Su-won.

Si la programmation présentait au départ une belle couleur féminine, la réalité de sa représentation calme l’enthousiasme initial. « Même quand la femme décide de prendre sa liberté, de s’émanciper, comme dans Une femme libre, et qu’elle sort du moule, l’histoire se termine de manière dramatique. Conclusion : mieux vaut rester dans le moule. », analyse Anne Le Hénaff qui trouve l’adage coréen très révélateur et symbolique de la supériorité masculine : « L’homme est le ciel, la femme est la terre. »

Le patriarcat va même jusqu’à créer des mouvements d’hommes en colère, dénonçant des discriminations par rapport aux femmes, comme en atteste l’article de Courrier International daté d’avril 2015, « La ‘’haine des femmes’’ prend de l’ampleur ». Seong Jae-gi, défunt fondateur de Solidarité des hommes, en 2008 (rebaptisé depuis Solidarité pour l’égalité des sexes), proteste contre les prétendus privilèges accordés aux femmes dont : « les quotas (d’emploi dans les administrations), les installations réservées aux femmes (dans les transports et les espaces publics), le ‘’congé menstruel’’ (un jour par mois), etc. Et surtout elles ne sont pas soumises au service militaire obligatoire, contrairement aux hommes (la norme étant de deux ans). »

Pour M.Kim, actuel président de l’organisation, « Seong Jae-gi a eu le courage de violer un tabou en accusant les femmes au pouvoir au risque d’être ridiculisé et méprisé, y compris par les hommes qu’il essayait de défendre. Il a défendu la cause jusqu’à la mort, celle-ci ne doit pas rester vaine. »

Les deux militantes féministes, Lee Seon-mi et Mok Soo-jeong, reconnaissent quelques évolutions en matière de droits de femmes, notamment sur l’intérêt qu’accordent à présent les journaux politiques à des sujets tels que le stress de la femme au foyer ou la pénibilité du travail. Toutefois, elles se montrent bien pessimistes quant au pouvoir en place, la Corée du Sud étant présidée depuis 2012 par une femme, Park Geun-Hye, fille de l’ancien dictateur, Park Chung-hee, toujours très en prise au confucianisme et donc aux valeurs de fidélité à la famille.  

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