Célian Ramis

Notre Candide : Le meilleur des mondes ?

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Quatre trentenaires, leurs rêves et Candide. Les 15 et 16 janvier, la compagnie 3ème Acte nous invitait à une pendaison de crémaillère "révolutionnaire", dans la salle Pina Bausch de l'université Rennes 2.
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Quatre trentenaires, leurs rêves et Candide. Les 15 et 16 janvier, la compagnie 3ème Acte nous invitait à une pendaison de crémaillère "révolutionnaire", dans la salle Pina Bausch de l'université Rennes 2. La pièce Notre Candide questionne le monde avec humour et profondeur, par le prisme des souvenirs d'un groupe d'ami-e-s.

Le 15 janvier dernier, une cinquantaine de personnes attendait dans les couloirs de l'université Rennes 2, un ticket de théâtre à la main. Les spectateurs-trices prennent place sur des chaises installées en cercle, laissant le centre de la salle Pina Bausch libre d'accès. C’est alors que Margaux et Sylvain Bertier (les comédien-ne-s Aurore Pôtel et Nils Gautier) nous souhaitent la bienvenue à la pendaison de crémaillère de leur métairie. L'assistance devient l’invitée d'une soirée de voisinage.

Des cartons ci et là, un fauteuil et une lampe, on trinque au bonheur de ce couple de trentenaires, heureux propriétaires d'un domaine à rénover dans le lieu-dit "La Fresnay". Leur idée : faire un espace de vie collectif et de partage. Alice (Catherine Vigneau), une amie d'enfance, est venue pour l'occasion. Etienne (Jérémy Robert) aussi, le frère de Margaux, retardé par son GPS, plus habitué aux routes parisiennes que provinciales.

Arrive enfin Candide, cité par Etienne dans un "Tout va bien dans le meilleur des mondes". Le personnage de Voltaire né en 1759 est une vieille connaissance du groupe d'ami-e-s puisqu'il a été l'objet d'une pièce créée par Alice alors qu'ils étaient adolescent-e-s. Pendant près d'une heure et demi, la pendaison de crémaillère devient le théâtre des souvenirs de ces adultes, jouant un candide contemporain et constatant du devenir de leurs rêves.

QUESTION DE GÉNÉRATION ?

Notre Candide interroge avec humour les convictions rebelles que les moins de vingt ans connaissent : changer le monde et le rendre meilleur. Qui de l'avocat en costume trois pièces ou du couple bobo en quête de vrai s'est le plus éloigné de sa candeur enorgueillie de justice ? Qui de l'Homme du 16ème ou du 21ème siècle est le plus moderne ?

Sans nous donner la réponse, la compagnie 3ème Acte pousse toutes les générations à la réflexion. Le texte est habillement écrit par Catherine Vigneau, appuyée par ses trois collègues comédien-ne-s. "Ils avaient tous Candide de Voltaire dans leurs bibliothèques", explique Chloé Sonnier, chargée de production et de la diffusion auprès de la compagnie rennaise. Elle poursuit : "Après avoir décidé d'en faire une pièce de théâtre où se mélangent époque des lumières et 21ème siècle, Catherine a décidé de relever le défi et de se lancer dans un gros travail d'écriture". En fer de lance, la question : "En quoi le monde d'aujourd'hui est-il différent ?"

Ensemble, ils/elles façonnent le texte de Voltaire pour le rendre accessible au public d'aujourd'hui sans le dénaturer : "J'ai déterminé le contexte tout de suite. Un grand espace collectif comme la métairie est un peu un rêve qu'on a dans la compagnie. Ça s'est imposé à moi de façon assez simple" confie l'auteure.

Les quatre ami-e-s de 3ème Acte prouvent ici que leurs convictions d'adolescent-e-s ne se sont pas essoufflées. Ce désir d'un chez soi, où règnent partage et créativité, agrémenté d'un besoin de retour à la nature, est une proposition de changement que déjà bien des générations ont adopté.

Dans les années 70, par exemple, avec le mouvement hippie, ou encore le grunge des années 90 pour ne citer que les plus récents. Pleins d'espoirs, des milliers de femmes et d'hommes proposent des alternatives. Et la génération Y de les entretenir malgré l'âge de la rébellion déjà loin derrière elle. Qu'en sera-t-il des suivantes ? Que feront-elles du monde de demain ?

MISE EN ABYME

Intergénérationnel, le script repose sur un jeu de mise en abyme, mis en scène avec brio par Isabelle Bouvrain. La pièce s'articule autour de quatre grands thèmes : l'enrôlement, l'argent, le pouvoir et la condition des femmes. Des leitmotivs qui, malgré les progrès techniques et sociaux, restent profondément modernes.

Les quatre protagonistes de Notre Candide exposent, dans leurs quêtes d'idéaux, ces schémas que nous répétons sans fin. Hier, Candide était enrôlé malgré lui dans une guerre entre Allemands et Bulgares dont il ne savait rien – et que Voltaire n’explicite pas volontairement.

Aujourd’hui, des jeunes partent en Syrie alimenter une menace terroriste grandissante. La richesse et le pouvoir nourrissent encore de nombreux fantasmes, déjà sur les bancs de l'école où l'élève apprend à définir sa réussite sociale par la taille de son diplôme puis de son portemonnaie.

Et que dire de la place des femmes ? A coup de répliques cinglantes, le sujet est abordé sans demi-mesure : "Une femme qui assume ses désirs c'est forcément choquant" réparti Margaux à son frère, pour lui glisser plus tard : "Quand la femme sera enfin l'égale de l'homme alors oui, le monde aura gagné en humanité".

C'est on ne peut plus clair. Ni les comédien-ne-s, ni Voltaire ne laissent la part belle au machisme. A travers les personnages de Cunégonde - amante de Candide - et de la Vieille - dame de chambre - le philosophe des Lumières dénonce l'asservissement des femmes. Toutes deux ont été violées et obligées à des tâches domestiques. Sans avoir leur mot à dire, elles subissent les vices d'une société où les corps féminins sont sexualisés et leur intelligence négligée.

La compagnie 3ème Acte, en plaçant cette problématique comme pilier, rappelle douloureusement que même après 300 ans, le monde a peu gagné en humanité. Aujourd'hui, le viol est encore une arme contre les femmes, en témoignent les mouvements #MeToo et Time's Up. Créés en 2017 et début 2018 pour lutter contre le harcèlement sexuel envers les actrices, ils ont secoué le monde du cinéma – et pas que - ces dernières semaines. Un cas médiatisé parmi des milliers d'autres qui sévissent malheureusement encore aujourd'hui.

"J'ai choisi de parler de la femme car j'ai l'impression que dans l'histoire du monde, c'est fondamental" précise l'auteure. Fondamental, comme une question de fond qui a toujours été posée sans jamais trouver de réponse convaincante. "C'est une thématique que l'on aborde beaucoup entre nous et dans les activités théâtre parce que l'on se rend compte que les clichés garçon/ fille sont encore beaucoup ancrés dans les mentalités" poursuit-elle dans un sourire, signe que l'espoir existe toujours.

L'amitié, vieille déjà de 16 ans, et le professionnalisme des comédien-ne-s transpirent à travers leur jeu, sans jamais oublier la parité. Avec Notre Candide, la compagnie 3ème Acte offre un spectacle intemporel où sont mis en lumière nos questionnements individuels et de société. À chacun-e de méditer sur ces sujets…

 

D’autres représentations à venir :

  • Février 2018 :
  • 04 fevrier - 17h00, Le Triptik, Acigné (35)
  • Mars 2018 :
  • 16 mars - Représentation scolaire en journée, Saint-Brice-en-Coglès (35)
  • 16 mars - 20h30, Espace Adonis, Saint-Brice-en-Coglès (35)
  • 23mars - Représentation scolaire en journée, Saint-Aubin-du-Cormier (35)
  • 23 mars - 20h30, Espace Bel Air, Saint-Aubin-du-Cormier (35)

Célian Ramis

"La meilleure contraception, c'est celle que l'on choisit !"

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Planning Familial 35
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Cinquante ans après la promulgation de la loi Neuwirth (19 décembre 1967), le Planning Familial 35 a souhaité faire le point sur les avancées à saluer mais aussi sur les combats encore à mener.
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Il n’existe pas de bonne ou de mauvaise contraception. C’est à la personne concernée – qu’elle soit femme ou homme - de faire son choix. Celui-ci doit être éclairé par une information complète et accessible à tou-te-s. Cinquante ans après la promulgation de la loi Neuwirth (19 décembre 1967), le Planning Familial 35 a souhaité faire le point sur les avancées à saluer mais aussi sur les combats encore à mener. Tout cela dans une optique claire : l’égal accès à la liberté de choisir. Des mots importants, qui résonnent dans toutes les luttes (et les bouches) féministes !

« L’histoire que je raconte ici se déroule en 1971. Année charnière pour les femmes. Trois ans après mai 68, l’année du Manifeste des 343 femmes – ayant une certaine notoriété – qui proclament, en défiant la loi, qu’elles avaient avorté. Un an avant le procès de Bobigny où une jeune fille de 16 ans que je défendais devant le tribunal avait choisi l’avortement après avoir été violée et engrossée par un voyou de son quartier. Procès qui devait ouvrir la voie à la loi de 1975 (dite loi Veil). »

Ce sont les mots que Gisèle Halimi, présidente de Choisir la cause des femmes – fondée notamment avec Simone de Beauvoir en 1971 – couche dans la préface de la bande-dessinée de Pierre Wachs et Philippe Richelle, Libre de choisir. Avant de poursuivre : 

« Les Anne, les Isa aujourd’hui doivent savoir que les droits obtenus par leurs aînées demeurent fragiles et peuvent toujours être remis en question. Notamment le plus important d’entre eux, celui de choisir de donner – ou non – la vie. Car la précarité marque toujours les acquis des femmes. »

Avant les années auxquelles l’avocate se réfère, l’Histoire de la lutte des droits des femmes est marquée en 1967, le 19 décembre exactement, par la promulgation de la loi Neuwirth. La contraception - et la pilule oestro-progestative notamment - est dès lors autorisée. Dans le texte seulement, puisqu’il faudra attendre 1972 pour voir publiés les décrets d’application.

« LULU LA PILULE »

Entre temps, la loi de 1920, interdisant l’avortement et la contraception, est encore en vigueur, rendant impossible la publicité autour de la contraception. Lucien Neuwirth, député de la Loire et gaulliste, va devoir se battre contre ses collègues élus et l’opinion publique. Et va devoir convaincre le général de Gaulle, très réticent à cette idée, comme la plupart des hommes politiques, excepté François Mitterrand qui se déclarera favorable.

On connaît peu l’histoire de celui que l’on a surnommé « Lulu la pilule ». Pour les 50 ans de la loi, le magazine Causette, dans son numéro de décembre, revient sur l’acharnement de cet homme qui a mené bataille, 20 ans durant, pour qu’ait lieu cette révolution sociale. Une histoire – et une société - sur laquelle est également revenue l’émission « Qui sommes-nous ? » en diffusant le 19 décembre, sur France 3, le documentaire La bataille de la pilule.

« La première des choses pour une femme, c’est de maitriser son corps. Mon corps m’appartient ! », peut-on entendre dans les premières minutes du film, coproduit par Causette et France Télévisions. Si aujourd’hui, les femmes ne peuvent pas encore se dire pleinement libres de disposer de leurs propres corps, elles peuvent en revanche célébrer les luttes qui ont mené à des avancées significatives en ce sens.

LE COMBAT CONTINUE

« On ne se verrait pas revenir en arrière ! », souligne Katell Merdignac, bénévole et membre de la commission Contraception-IVG du Planning Familial 35. En effet, l’association féministe et d’éducation populaire milite, comme le rappelle sa directrice Anne-Claire Bouscal, « pour créer les conditions d’une sexualité vécue sans répression ni dépendance dans le respect des différences, de la responsabilité et de la liberté des personnes (…). Contraception, avortement, éducation à la sexualité sont les conditions essentielles de l’autonomie, de l’émancipation des femmes, et de la libre disposition de leur corps. »

Et n’oublie pas de faire remarquer qu’en 2017, le combat est toujours d’actualité. L’accès à la contraception de son choix restant encore fragile. Parce que la population manque encore d’informations.

Pour plusieurs raisons : la loi de 2001 sur l’éducation à la sexualité (prévoyant des interventions en milieu scolaire chaque année, de l’élémentaire au lycée) est très peu appliquée, les professionnel-le-s de la santé sont trop peu formé-e-s à ces questions durant leur cursus universitaire, les structures ressources manquant de moyens financiers et humains sont inégalement réparties sur le territoire…

« Nous avons des partenariats avant certains établissements scolaires mais pas beaucoup. Ils demandent souvent une intervention pour les classes de 4ème. Et de 3ème. On va très peu dans les lycées, il y a beaucoup de résistance. Je remarque que ça se fait souvent à l’initiative d’une personne, ça tient sur une infirmière scolaire, un prof de SVT… Mais si un prof de SVT souhaite l’intervention et pas son collègue, ça complique les choses… Il faut convaincre les non convaincu-e-s. », déplore Laure Stalder, conseillère conjugale et familiale au PF 35.

La directrice note également que la demande d’intervention est souvent motivée par un événement survenu dans l’établissement, « alors que ça devrait être mis en place avant, dans un cadre d’information et de prévention. » Pas seulement en réponse à un incident.

La faible application de la loi de 2001 révèle un inquiétant manque de financements - les interventions étant à la charge des établissements – et, par conséquent, de volontés politiques. Pourtant, l’information est primordiale pour le maintien des acquis sociaux, menacés par la montée, et la médiatisation, des réactions conservatrices et les idées reçues, dont la déconstruction reste un enjeu majeur du Planning Familial.

DÉCONSTRUIRE LES IDÉES REÇUES

Le scandale des pilules de 3ème et 4ème générations, les études sur le potentiel lien entre pilule et cancer du sein, l’idée que la pose d’un stérilet est possible uniquement après une grossesse, le retrait de l’implant Essure du marché (pour « raison commerciale »)… Les polémiques s’accumulent, suscitant doutes et inquiétudes, constamment autour de la contraception, le tri dans les informations devient difficile et un ras-le-bol se fait sentir.

Le 26 septembre, à l’occasion de la journée mondiale de la contraception, nombreux étaient les articles titrant autour de la désaffection de la pilule et du retour aux méthodes naturelles. L’emballement médiatique est lancé et encore une fois, ce sont les femmes qui trinquent.

Depuis 1978, la progression de l’usage de la pilule a été constante, souligne le PF 35 dans un communiqué, passant de 27% (cette année-là) des utilisatrices de contraception à 45% en 2000. On constate alors que les méthodes dites traditionnelles (retrait et abstinence périodique), utilisées à 23%, sont largement délaissées, chutant à 3%.

Dans les années 2000 pourtant, les études de l’INED (Institut national d’études démographiques) mettent en avant une inversion des tendances. L’usage de la pilule passe de 41% en 2010 à 33% en 2016. D’un autre côté, d’autres méthodes contraceptives prennent du gallon. Comme le stérilet (DIU, dispositif intra-utérin) qui voit son utilisation passer de 19% à 26% (sur la même période) et le préservatif qui passe de 11% à 16%.

Les méthodes naturelles reviennent en flèche en 2010, doublant son pourcentage avant de se stabiliser autour des 5% de 2014 à 2016. Un chiffre assez proche de celui de la stérilisation féminine (ligature des trompes), qui serait d’ailleurs en régression.

La pilule reste en France la méthode privilégiée par les concernées, particulièrement chez les jeunes de 15 à 19 ans (60,4%). Le Baromètre santé 2016 indique que son utilisation baisse avec l’âge (35,4% des 30-34 ans). En Bretagne, l’ARS (Agence régionale de santé) révèle même qu’en 2016, plus d’une femme sur deux utilise la pilule entre 18 et 29 ans.

ÉCOUTE ET DIALOGUE

« En consultation, on part des idées reçues des patientes, de ce qu’elles ont entendu, de ce dont elles ont peur. Les études sur les risques de la pilule sont très controversées. On dit aux femmes que la pilule provoque le cancer du sein mais on ne leur dit pas qu’elle les protège du cancer de l’utérus et du colon. Je ne peux pas assurer à une patiente qu’il n’y a aucun risque avec la pilule mais déjà le risque est extrêmement faible et ensuite c’est le cas avec tous les médicaments. »
déclare Cloé Guicheteau, médecin du PF 35.

Elle poursuit : « Quand elles sont jeunes, en majorité, elles ne connaissent que la pilule, qu’elles aient commencé une sexualité ou non. Elles veulent donc ce qu’elles connaissent. Notre rôle est de leur expliquer tout ce qui existe. Je leur parle du stérilet, de l’implant, etc. De comment vont se passer leurs règles, selon les méthodes de contraception. Je leur dis de ne surtout pas hésiter à revenir nous poser des questions, à revenir nous voir si jamais après la pose de l’implant elles ont des saignements trop fréquents. Pour voir comment on peut faire, comment ça peut passer. Il faut leur expliquer et dire que ça peut ne pas convenir. Ensuite entre 20 et 29 ans, on voit une diminution de l’utilisation de la pilule au profit du stérilet, souvent. Parce que ça peut être vécu comme une contrainte pour certaines de prendre la pilule tous les jours, ou parce qu’elles veulent prendre moins d’hormones, etc. »

Une baisse qui peut s’expliquer par une plus grande connaissance du sujet et peut-être une plus grande écoute de son corps et de son environnement. À l’heure où la société tend à se tourner vers des comportements plus écologiques et où l’on s’interroge sur la composition des cosmétiques, du textile, de l’alimentation, etc., les femmes prennent évidemment part au mouvement et questionne aussi leur quotidien.

Cloé Guicheteau et Laure Stalder se rejoignent sur la complémentarité de leurs fonctions. Les femmes peuvent parler différemment de leur rapport à la sexualité, à leurs corps, à leurs vécus, face à un-e médecin ou face à une conseillère conjugale et familiale. D’où l’importance de l’écoute et de l’information. Savoir aussi que selon les âges, les parcours, les expériences, les étapes de vie, les personnes évoluent et la méthode contraceptive peut être modifiée.

DES CONNAISSANCES POUR UN CHOIX RÉEL

Le mot d’ordre de la structure, d’autant plus valorisé à l’occasion des 50 ans de la loi Neuwirth : il n’y a pas de bonne ou de mauvaise contraception. Bénévoles et salariées insistent, il s’agit là d’un choix individuel, qui doit être éclairé par une information complète et accessible à tou-te-s.

« Nous ne sommes pas là pour décider à la place des patientes mais nous devons les informer sur tout ce qui existe, que ce soit sur les méthodes réversibles, comme sur les méthodes définitives. »
explique Marie Lintanf, bénévole et membre de la commission Contraception-IVG du PF 35.

La contraception ne doit pas être une fatalité mais un choix. Aujourd’hui encore, néanmoins, on regrette le manque d’écoute de certain-e-s professionnel-le-s de la santé et le manque, voire l’absence, d’informations dispensées par ces dernier-e-s. Sans compter certaines idées reçues encore véhiculées en 2017 (même si elles tendent à disparaître pour certaines).

D’un côté, on aborde la contrainte de la prise quotidienne d’un comprimé hormonal. D’un autre, on appréhende la douleur lors de la pose d’un stérilet (ou que notre corps le rejette). On réfléchit à la solution préservatif mais « Monsieur » préfère sans. Le retrait ? On n’y pense pas toujours dans le feu de l’action… Choisir sa contraception peut ressembler à un casse-tête chinois et être source d’angoisse et de souffrance, comme en témoigne Le chœur des femmes, de Martin Winckler.

Mais l’ouvrage montre surtout l’importance de l’écoute et de l’information. Du travail collectif entre patientes et professionnel-le-s. Sans oublier la relation de confiance. « C’est très important de prendre le temps de discuter. De ne pas forcément faire l’examen gynécologique dès le premier rendez-vous par exemple. », insiste Cloé Guicheteau.

SE FORMER À L’ÉCOUTE ET À L’ADAPTATION

Pour elle, il est essentiel de s’adapter à chaque patiente. Et de bien expliquer étape par étape les gestes qui vont être réalisés lors d’un examen :

« Je montre le spéculum, j’explique à quoi il sert, l’endroit où je vais le mettre et ce que je vais faire. Il faut bien faire attention à expliquer ce que l’on va faire sur leur corps. Ce n’est pas seulement imaginaire, il est important qu’elles visualisent. Pour le stérilet, on passe plus de temps à préparer le matériel qu’à le poser. Alors pendant la préparation, on échange avec la patiente. Plus elle est décontractée et détendue, moins elle ressentira de gêne. On discute, on parle d’autres choses. On voit comment elle se sent, on peut lui montrer avec un miroir si elle le souhaite, c’est vraiment selon la personne !

On prévient de tout ce qu’on va faire pour qu’elles ne soient pas surprises. Elles vont avoir des petites douleurs, comme une petite douleur de règles, pendant la pose parce que l’utérus est un muscle, il se contracte. On travaille alors la respiration pour bien oxygéner le muscle utérin. On peut utiliser l’hypnose aussi si on sent qu’il y a trop d’angoisse. Et surtout, il ne faut pas insister si on voit que c’est difficile. On va alors essayer de discuter, voir s’il n’y a pas d’antécédent de traumas, et malheureusement, souvent dans ces cas-là, on s’aperçoit qu’il y en a. A partir de là, on prend le temps avant de réenvisager la pose ou pas. »

Pour Anne-Claire Bouscal, la question des violences faites aux femmes, de l’écoute, de l’information, de l’adaptation à la personne, etc. doivent être obligatoirement prises en compte dans toutes les formations des professionnel-le-s de la santé, tout secteur confondu. Et pour cela, une vraie volonté politique doit être, pas seulement affichée, mais entreprise réellement sur le terrain.

L’INFORMATION POUR TOU-TE-S

Les associations manquent de moyens financiers mais aussi humains. Et ne peuvent, à elles seules, faire tomber les barrières sociétales et pallier toutes les inégalités territoriales. Le gouvernement doit également prendre sa part, au travers de financements plus importants, via des campagnes d’information visibles et accessibles à tou-te-s.

Chloé Bertin, bénévole et membre de la commission Contraception-IVG du PF 35, soulève un point essentiel : les événements autour de ces questions, et notamment autour de la contraception masculine, sont quasiment exclusivement organisées à l’initiative d’associations et ne touchent ainsi pas tous les publics :

« Chaque année à Rennes, en 2016 et en 2017, il y a une soirée sur la contraception masculine. Il y a Ardecom qui en parle, ou encore Thomas Bouloù, mais ça reste des initiatives associatives. Pas institutionnelles. Le Planning parle aussi bien des méthodes de contraception féminine que des méthodes de contraception masculine. Ces dernières sont très peu choisies et c’est le parcours du combattant pour la vasectomie. »

LES HOMMES AUSSI SONT CONCERNÉS

Le parcours du combattant, c’est ce que relate le rennais Franck Bréal dans Causette (numéro de novembre 2017 – à lire absolument, hommes et femmes, on précise). Il fait parti des 0,8% (en France, parce que dans des pays voisins, le chiffre se rapproche des 20%) d’hommes à s’être orienté vers une méthode définitive. Son témoignage met le doigt sur un tabou profond, criant de vérités : la contraception peut, et doit, se conjuguer au féminin et au masculin.

Depuis la légalisation de la contraception, seules les femmes sont visées. Elles sont les seules responsables d’une éventuelle grossesse. À elles de penser au petit comprimé à prendre tous les jours à heure fixe. À elles de réfléchir à leurs moyens de contraception. À elles d’aller chercher la contraception d’urgence à la pharmacie (et de s’entendre dire qu’elles ont été irresponsables) si besoin. À elles de dire « On va mettre un préservatif (féminin ou masculin) parce que je prends pas la pilule / j’ai pas de stérilet / j’ai pas d’implant » ou « Il faudra se retirer avant la fin (pour les mêmes raisons) ».

À elles de calculer les dates d’ovulation et jours de menstruations, sans qu’aucune question ne lui soit posée. Oui, elles gèrent. Et elles gèrent toutes seules. Pourquoi ? Parce que c’est une affaire de gonzesses. C’est faux. Franck Bréal le dit d’ailleurs au début de son article :

« Véro (sa compagne, ndlr) a raison : la contraception est aujourd’hui considérée comme une prérogative féminine. Cette charge (mentale) normée et imposée est pourtant loin d’être un acte banal et n’est pas sans risque. »

Et la vasectomie est également considérée comme loin d’un acte banal et sans risque. Parce que cet acte atteint à la virilité (idées reçues : la vasectomie rend impuissant / c’est certainement sa compagne qui le force parce qu’elle en peut plus d’être enceinte / il va le regretter plus tard – selon l’âge de l’individu, évidemment), dans l’opinion publique.

AVANCER ENSEMBLE

Encore une fois l’absence d’information et de connaissance joue en défaveur de la méthode et surtout en défaveur de la liberté de choisir (un délai de réflexion de 4 mois est obligatoire avant la réalisation de la vasectomie). À cela viennent s’ajouter les assignations de genre, parfait cocktail mortel qui n’oublie pas de polluer les esprits.

Cinquante ans ont passé depuis que la victoire de Neuwirth sur les conservateurs-trices. Celui qui était traité de « fossoyeur de la France » et « d’assassin d’enfants » - contraint de retirer sa fille de l’école catholique  en 1967 « à cause du harcèlement dont elle est victime » (Causette), est aujourd’hui salué par la grande majorité de la population.

Depuis la promulgation de la loi et l’application des décrets, les avancées se sont multipliées, notamment le remboursement du stérilet et de la pilule, la vente libre de la contraception d’urgence en pharmacie, l’autorisation de la stérilisation à visée contraceptive, la prescription de la contraception et la pose du stérilet par les sages-femmes, la gratuité de certains contraceptifs pour les mineures de plus de 15 ans, le lancement d’un numéro vert gratuit (0 800 08 11 11 de 9h à 20h du lundi au samedi) ou encore la gratuité et la confidentialité de tout le parcours de soin relatif à la contraception pour les mineures de plus de 15 ans.

Mais le combat reste d’actualité. Pour ne pas revenir en arrière. Et pour progresser encore dans l’évolution des mentalités et dans l’accès à la contraception pour tou-te-s. Désormais, la contraception doit se conjuguer au féminin comme au masculin et l’information doit être complète, tout autant que l’écoute et la formation des professionnel-le-s.

Le Planning Familial 35 insiste sur le non jugement : « C’est la personne concernée qui sait le mieux ce qui est bon pour elle. Le panel contraceptif a beaucoup évolué en 50 ans et va continuer à évoluer. Maintenant, la contraception est quasi exclusivement féminine parce qu’on tient les femmes dans un rôle de procréation ou de responsable unique de sa contraception. L’égalité doit passer par le fait d’en parler et d’en discuter ensemble. »

 

 

POUR INFOS :

Le Planning Familial 35, c’est :

  • 180 adhérent-e-s

  • Une cinquantaine de bénévoles qui se mobilisent pour faire connaître le Planning et diffuser ses valeurs

  • 27 professionnel-le-s salarié-e-s qui forment et informent, qui écoutent et accompagnent les personnes au quotidien

  • 2 sites : Rennes et Saint-Malo

Célian Ramis

Femmes entrepreneures : Capables d'oser et de réussir

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Les femmes ne représentent que 30% des entrepreneur-e-s. Non moins compétentes que les hommes, elles se sentent en majorité moins légitimes. Le programme Caravelle propose de renforcer le leadership des porteuses de projet.
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Parce qu’il faut des couilles pour diriger une boite, l’entrepreneuriat est clairement associé à une image masculine. Une représentation fausse mais très imprégnée dans les mentalités, tant des hommes que des femmes. Ces dernières ne représentent encore que 30% des entrepreneur-e-s en France.

En dépit de la progression de ce chiffre au cours de ces dernières années et des incitations gouvernementales – plan pour l’entrepreneuriat féminin lancé en 2013 – les difficultés persistent. Des réseaux de femmes entrepreneures se tissent alors pour y répondre, privilégiant l’entraide et le partage.

C’est sur ces valeurs que se lance le programme Caravelle, en octobre 2017, en Ile-de-France, en Aquitaine et en Bretagne, destinée aux femmes entreprenant dans le domaine de l’Économie Sociale et Solidaire.

Depuis l’enfance, les petites filles entendent dire qu’elles doivent être douces, gentilles, maternantes, au service des autres et discrètes. En grandissant, elles intègrent que certains postes, comme ceux d’ingénieurs, de scientifiques ou encore de chefs d’entreprise, incombent aux hommes. Rares sont les modèles féminins à qui elles peuvent s’identifier.

Et quand on dresse le portrait de la femme d’affaires, l’image ne fait pas rêver : elle est stricte, froide, blanche, bourgeoise, peut-être fille de, centrée uniquement sur sa vie professionnelle, incapable de nouer des relations amicales avec les autres femmes. Pourquoi ? Parce qu’elle doit adopter les codes de la masculinité et redoubler d’effort pour prouver ses capacités et être acceptée.

Un tas de conneries parfaitement contre-productif qui part d’une base réelle, celle d’une société sexiste dans laquelle les femmes n’ont pas vraiment leur place. Pourtant, aujourd’hui, les choses bougent et une nouvelle génération émerge : celle qui choisit son émancipation.

« Toute femme peut devenir une femme extraordinaire. Pour avoir votre part de chance, saisissez-là ! Il faut prendre la liberté d’entreprendre ! À vous d’organiser votre temps. La clé, c’est l’audace et la confiance en soi. Se sentir légitime, c’est important. On apprend en marchant. »

Ce sont les mots que la présidente d’Entreprendre ensemble, Daisy Dourdet, a adressé à l’assemblée présente lors du colloque « Réinventer le développement grâce à la diversité », qui se déroulait le 19 mai dernier, à l’École nationale supérieure de chimie de Rennes. Pour la table ronde « Entreprendre au féminin », elle était accompagnée de Céline Domino, créatrice du fait-main et membre du réseau Femmes de Bretagne, et de Michaela Langer, présidente de Triskem International.

Ensemble, elles ont pointé les difficultés auxquelles la majorité des femmes font face lorsque l’envie d’entreprendre les traverse et les ont aussitôt balayé du revers de la main. « Les réseaux féminins s’adressent particulièrement à celles qui se sentent menacées par les assignations de genre. Là, elles parlent entre elles de leurs vies personnelles et de leurs vies professionnelles qui s’entremêlent. », souligne Céline Domino, qui note également que « les femmes sont souvent sur l’idée de créer leur emploi. Beaucoup restent des porteuses de projet pendant très longtemps. Il y a parfois l’idée que quand on gère plusieurs salarié-e-s, on a moins de temps qualitatif avec ses enfants, sa famille. »

Pour Michaela Langer, c’est une question de choix et d’organisation : « J’ai un emploi du temps qui déborde. J’adore ce que je fais et je passe beaucoup de temps avec mes enfants. Ils sont heureux parce que je suis heureuse et ça se voit quand on est ensemble. Mais j’ai aussi envie d’aller plus loin avec mon entreprise, de grandir avec et que mes collaborateurs-trices soient également épanoui-e-s. Il faut vraiment croire en ce que l’on fait, c’est vraiment essentiel, et oser. »

Un discours que cautionne totalement Daisy Dourdet qui soulève alors la problématique du rapport à l’argent : « Les femmes se sous-estiment. Encore une fois, il y a cette question du manque de confiance. On n’ose pas gagner d’argent. Pourquoi une femme aurait une petite entreprise ? Pourquoi n’aurait-elle pas d’ambition ? En entreprenant, on crée de la richesse, on fait vivre des salarié-e-s, il y a une redistribution des profits. Il ne faut pas avoir honte de gagner de l’argent, de vouloir gagner de l’argent et de créer de la richesse. »

Les trois entrepreneuses en viennent alors au fond du problème. Au-delà de l’éducation genrée que l’on reçoit dès la petite enfance – ne poussant pas les petites filles à oser – le manque de représentation féminine dans le monde des costards-cravates influe sur les individus, notamment les femmes qui ne se sentent alors pas légitimes à se lancer.

Pour la fondatrice d’Entreprendre ensemble, « il faut montrer des femmes qui ont commencé de zéro, qui sont parties de rien et qui ont tout construit. Et il faut arrêter de prendre en exemple le peu d’entreprises dirigées par des femmes au CAC 40 ». Ou faire les deux, puisque c’est dans la multiplicité des exemples et des parcours que les femmes pourront s’identifier.

Les problématiques relatées lors de la table ronde ne concernant pas uniquement le secteur de l’entrepreneuriat mais bel et bien l’ensemble des domaines encore principalement occupés par les hommes.

LA PARITÉ, ÇA RAPPORTE

Nathalie Mousselon est présidente du Comité Diversité de l’association Ingénieurs et scientifiques de France – à l’initiative du colloque organisé à Rennes – et le dit avec conviction : « L’étude MC KINSEY The power of parity estime la perte de richesse mondiale due aux inégalités entre les sexes à 28 milliards de dollars. Les femmes peuvent être la clé du redressement économique ! » (lire 3 questions à Nathalie Mousselon – YEGG#59 – Juin 2017).

Sans surprise, les femmes ont leur place à prendre dans l’économie mondiale, tous secteurs confondus et tous postes confondus. Dans un article daté du 1er octobre 2017, publié sur le site du Monde Afrique, Elisabeth Medou Badang, première femme Africaine à prendre la tête d’une multinationale au Cameroun (Orange), prône la parité femmes-hommes, dans le secteur privé.

« Les femmes représentent 50% de la population et nous avons autant de capacités intellectuelles que les hommes. Pourquoi le monde, et l’Afrique, se priverait de la moitié de ses cerveaux ? (…) Des études ont démontré que si on donnait aux femmes autant d’opportunités qu’aux hommes, le monde pourrait accroitre ses richesses de plus de 20% ! », déclare celle qui s’est rendu au premier sommet « Women in Africa » du 25 au 27 septembre, organisé au Maroc.

Pour partager son expérience aux côtés de plus de 300 entrepreneures venues échanger à Marrakech autour de la thématique « Investir pour une meilleure gouvernance avec les femmes africaines ». Un peu sur le même principe que le « Women’s forum », qui s’est déroulé l’an dernier en France, à Deauville (ce que montre la réalisatrice Tonie Marshall dans son nouveau film Numéro Une, au cinéma le 11 octobre – lire « Tonie Marshall contre le sexisme des hautes sphères du CAC 40, yeggmag.fr, 27 septembre 2017), et qui réunit chaque année depuis 12 ans des scientifiques, décideurs-euses et chef-fe-s d’entreprise, dans l’optique de renforcer la représentativité des femmes et inciter à la mixité femmes-hommes.

ÉDUCATION À LA PARITÉ ET NON À LA PRÉCARITÉ

Pour Elisabeth Medou Badang, il est primordial de casser les stéréotypes entre les filles et les garçons, dès l’enfance, à travers la cellule familiale et l’éducation, en laquelle elle croit profondément. Parce que les inégalités font partie intégrante de la culture mondiale. Isabelle Guegeun, cofondatrice de la SCOP bretonne Perfegal, constate qu’aujourd’hui encore la résistance des mentalités se confronte au cadre législatif.

« Des lois pour la parité dans les organisations, l’égalité salariale, les quotas en politique, etc. on en a. Mais il est compliqué de passer de la loi à la culture. Il est important de parler et de cultiver l’égalité hommes-femmes. »
souligne-t-elle.

L’Éducation Nationale ne fait pas exception : « Les enseignant-e-s sont assez réfractaires en général à se former. Alors les former à cette thématique… L’écriture inclusive va changer leurs habitudes donc ils ne trouvent pas ça bien. Mais attention, il y a des gens convaincus dans ce secteur et il ne faut pas tout leur mettre sur le dos. Dans notre travail, on essaye de démontrer par des chiffres et des exemples concrets plutôt que de culpabiliser. Mais je le redis, ce n’est pas que dans l’Education Nationale. On explique la même chose aux élu-e-s, il faut être pédagogique. C’est un ensemble qu’il faut faire évoluer ! » L’ensemble d’un système sexiste que l’on intègre dès la petite enfance.

La société bouge lentement et l’État peine à forcer l’évolution des mentalités, même s’il reconnaît aujourd’hui, à force de batailles féministes espérons-le, l’importance de l’intégration des femmes dans le monde économique. Pourtant, ces dernières, toujours les principales victimes des crises, sont les plus visées par la précarité, tandis qu’elles sont majoritairement plus diplômées que les hommes (72%  des femmes sont de niveau Bac+5 à doctorat contre 62% des hommes, en moyenne).

En 2013, le ministère en charge des Droits des femmes, le ministère de l’Éducation Nationale, de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, et le ministère délégué chargé des PME, de l’Innovation et de l’Économie numérique lancent le plan « Entreprendre au féminin », afin d’augmenter le nombre d’entreprises créées par les femmes. Trois ans plus tard, l’indice entrepreneurial – la part de Français-es étant ou ayant été dans une démarche entrepreneuriale – survole seulement les 27% pour les femmes.

L’ESS, TOUCHÉE PAR LES MÊMES DIFFICULTÉS ?

Et dans le secteur de l’Économie Sociale et Solidaire, le rapport est proche. Un tiers des femmes sont entrepreneures et deux tiers sont salariées.  « Il y a un vrai intérêt pour ce secteur mais les freins sont importants. Nous avons voulu comprendre ces freins avec l’étude Women’Act, pour pouvoir ensuite agir pour les résoudre. », explique Joséphine Py, chargée du programme Caravelle pour l’association Empow’her.

La structure, créée en 2011 par un groupe de jeunes constatant le contraste entre la précarité des activités entrepreneuriales des femmes rencontrées dans plusieurs pays du monde et le potentiel économique qu’elles représentent, se base sur des chiffres révélateurs de la problématique : 66% des employés du secteur sont des femmes, 45% sont à temps partiel et l’écart de rémunération entre les femmes et les hommes s’élève à 20%.

Environ 30% seulement de femmes entrepreneures. Souvent dans des domaines plutôt genrés, comme les services sociaux et la santé. Ainsi, entre octobre 2016 et janvier 2017, Empow’her décide d’enquêter auprès de 100 entrepreneur-e-s sociaux intervenant sur le territoire français.

Et le résultat n’a rien de surprenant : plus de la moitié des femmes interrogées considèrent qu’il est plus difficile d’entreprendre en étant une femme.

Et si les hommes font également face à des difficultés liées au financement des structures naissantes, les porteuses de projet mettent cependant plus de temps à se rémunérer (53% des hommes disent avoir mis moins d’un an contre 38% seulement de femmes).

Mais ce qui ressort fortement du côté de la gent féminine reste la difficulté à assumer une posture entrepreneuriale. Là encore, les chiffres sont criants de vérité : 58% des femmes indiquent manquer de confiance en elles, particulièrement lors de la phase de lancement, 53% indiquent que le manque de légitimité a un impact sur leur capacité à se projeter et 72% considèrent que des attitudes stéréotypées et dévalorisantes, de la part de leurs interlocuteurs comme de leurs entourages, participent à la difficulté à être une femme entrepreneure.

« Women’Act » révèle alors l’importance de l’accompagnement de ces femmes et de leur intérêt à se regrouper dans des réseaux.

CARAVELLE : ASSUMER SON LEADERSHIP

C’est bien ce qui sera donc proposé via le programme Caravelle, lancé en ce mois d’octobre avec la première promotion, composé de 25 créatrices – soit en cours de lancement, soit en activité depuis moins de deux ans - réparties sur trois régions : l’Ile de France, l’Aquitaine et la Bretagne.

« Ce sont trois zones dans lesquelles l’ESS est bien implantée. Il y a des besoins sociaux et environnementaux importants. Nous travaillons pour ce programme avec le Mouves qui était déjà bien intégré en Ile de France et en Aquitaine. Et pour la Bretagne, nous collaborons avec Entreprendre au féminin. Mais l’idée est de s’étendre et que Caravelle devienne un programme national en 2018. », explique Joséphine Py.

Sur 6 mois, dans un premier temps pour la première session, puis sur 10 mois pour les suivantes, les participantes bénéficieront de 3 séminaires de trois jours, où elles seront réunies et coachées par des expert-e-s en leadership, ainsi que d’un mentorat, grâce à un principe de marrainage.

« On voit bien que beaucoup de femmes ont des projets. Alors oui, elles sont de plus en plus nombreuses à s’installer, ça avance, heureusement, mais doucement. Et même quand elles ont réussi, le problème de la légitimité reste récurrent. L’idée est donc de leur proposer un accompagnement collectif afin de créer des synergies entre les femmes et de constituer une communauté qui s’entraide. Mais c’est aussi de leur proposer des rencontres inspirantes avec des femmes qui ont plusieurs années d’expérience et qui pourront témoigner de leurs parcours. Les marraines seront formées également au mentorat. », développe la chargée du programme.

Au-delà de l’empowerment de ces créatrices, l’objectif est aussi de constituer une « équipe » de figures modèles. La réflexion est logique : moins on voit des exemples féminins de réussite, moins le processus d’identification s’opère.

« Avec Caravelle, on veut mettre en place des outils de sensibilisation, comme une newsletter portée par les entrepreneures sociales ou des vidéos inspirantes. »
conclut Joséphine.

DES PARCOURS DIFFÉRENTS

Parce que l’image unique du modèle de réussite fait froid dans le dos. Froide, dure, carriériste aux dents longues, souvent issue d’un milieu bourgeois, peut-être même fille de ou femme de et dans tous les cas mauvaise mère… Cette représentation va à l’encontre d’une démarche encourageante.

La multiplicité des profils et des parcours a une importance capitale. Parce que toutes les femmes ne sont pas éduquées de la même manière, ne sont pas issues des mêmes milieux sociaux, n’ont pas les mêmes origines, les mêmes âges et les mêmes vécus et expériences.

« J’ai toujours voulu lancer mon entreprise, le monde du salariat ne me convenant pas totalement. Mais je ne viens pas d’une famille d’entrepreneurs et forcément, c’est compliqué de vouloir plus grand. Tu te heurtes aux peurs des autres finalement. », confie Nathalie Le Merour, une des trois participantes brétilliennes du programme.

Après des études de langues en LEA, elle part en Erasmus pour 6 mois en Angleterre et reste en fin de compte 8 ans au sein d’une entreprise de formation. Elle revient en 2012 à Rennes et intègre une start-up, en qualité de cheffe de projet en communication digitale. À 35 ans, elle quitte son emploi et se lance dans la création de sa société, Bynath.

« À la base, je voulais faire des études de stylisme, et cette envie est restée. Mais être styliste sans cause derrière, je n’en trouve pas le sens. », souligne-t-elle. Ainsi, après avoir dessiné les croquis à la main, elle a réalisé sur logiciels une collection végane et éthique de tee-shirts et sweat-shirts.

Une partie des fonds récoltés permettront de financer des associations de protection des animaux et des minorités en général. La première campagne, qui devrait débuter très prochainement, passera par un financement participatif, dont une partie de l’argent sera reversée à La Ferme des Rescapés, située à Cassagnes dans le Lot (46).

Lorsqu’elle tombe sur le questionnaire de candidature de Caravelle, Nathalie n’hésite pas. Mais se dit qu’elle ne sera pas sélectionnée. Pourtant, elle est invitée à se présenter devant le jury : « J’ai été un peu secouée pendant l’entretien. Le jury me parlait de philanthropie, ça m’a fait réfléchir. Pourtant, je sais qu’un autre modèle économique est possible, ça marche en Belgique, en Suède ou aux USA où certaines structures reversent leurs bénéfices à autrui. »

De son côté, Emmanuelle Dubois engage à elle aussi une reconversion professionnelle, en lançant à 37 ans sa structure, Débrouillarts, après avoir étudié les arts plastiques à l’université, puis aux Beaux-Arts de Rennes, et travaillé comme assistante marketing et chargée de communication auprès de la Maison de la Consommation et de l’Environnement (lire focus « La seconde vie des déchets » - YEGG#60 – Juillet/Août 2017). « Aujourd’hui, je fais une activité qui me plait donc ce n’est pas très compliqué pour moi de m’y sentir à l’aise, ce qui n’a pas toujours été le cas par le passé. », explique-t-elle.

ÊTRE PLUS À L’AISE

Ce qui l’intéresse principalement dans le programme, ce sont les rencontres et échanges avec les autres professionnelles. Le partage d’expériences, ça lui parle, même sur les sujets qui ne sont pas problématiques pour elle :

« Par exemple, c’est intéressant d’entendre les conseils sur la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale. Je ne veux pas dénigrer les hommes, loin de là, mais beaucoup de femmes doivent gérer les deux. Moi, j’ai la chance d’être dans un couple assez paritaire sur la répartition des tâches ménagères, sur l’éducation des enfants, qui en plus commencent à être grands, donc sont autonomes. Mais je trouve ça quand même important de voir comment ça se passe pour les autres et de pouvoir échanger des astuces pour gérer les choses sans se prendre la tête. »

Sans se fixer d’objectifs précis au sein de Caravelle, Emmanuelle tend quand même à obtenir quelques clés vis-à-vis de la posture. La confiance en elle ne lui fait pas défaut mais elle constate encore quelques blocages.

Face à celles et ceux qui ont un statut « plus élevé ». Les élu-e-s, par exemple. Même si elle n’a pas eu encore d’occasion de travailler avec elles/eux, elle a noté sa timidité à entrer en contact, simplement pour se présenter, se faire connaître.

« Lors de l’inauguration de La Belle Déchette, certains étaient présents. Mais je n’ose pas aller vers eux. Je débute dans l’entrepreneuriat et donc je n’ai pas assez d’expérience pour être suffisamment à l’aise. », précise-t-elle. Pourtant, lorsqu’elle travaillait dans le marketing, elle devait régulièrement faire des présentations devant un parterre de commerciaux. Elle se souvient d’un exercice stressant mais motivant :

« Les dirigeants étaient surpris parce que je n’étais pas obligée. Il faut reconnaître que les femmes sont moins écoutées et qu’elles sont plus souvent cantonnées au rôle d’assistantes que envisagées comme forces de proposition. Ça m’a donné envie de leur montrer que non, on n’est pas que des assistantes. »

Ce qu’elle attend, en quelques mots, c’est d’apprendre à montrer que l’on est sûre de soi. Parler clairement sans bégayer, ne pas chercher ses mots et avoir un discours clair. En gros, ne pas se laisser envahir, et ne pas laisser transparaitre, le stress et les sources de ce stress.

« C’est vrai que les hommes ont tendance à en imposer davantage. Je ne sais pas à quoi c’est dû… Une prestance naturelle, une voix qui impose. En tout cas, ils ont peut-être moins de freins. Là où nous, on a tendance à réfléchir 15 fois trop avant de se lancer. Les femmes, quand elles présentent leurs projets, on sent qu’elles dévoilent quelque chose d’important pour elles. Personnellement, dans ma carrière, je n’ai pas souffert de sexisme mais quand on voit qu’à Rennes, il y a beaucoup d’initiatives pour les femmes entrepreneures, on se dit que c’est parce qu’il existe réellement une inégalité quelque part. », ajoute Nathalie Le Merour, enthousiaste à l’idée de pouvoir se nourrir des conseils des unes et des autres.

TORDRE LE COU AUX CLICHÉS

Anne-Carole Tanguy, avocate d’affaires à Rennes, membre d’Entreprendre au féminin et dès à présent marraine dans le programme d’Empowher, le confirme : les inégalités entre les femmes et les hommes subsistent, même si une lente progression positive est à noter. Pour elle, Caravelle est symptomatique de l’évolution de la société.

« Aux commandes là haut, ils sont paumés et ils freinent des quatre fers alors que la génération suivante arrive. Les deux doivent être ensemble. Personnellement, je suis ravie d’avoir l’occasion de pouvoir rencontrer des jeunes femmes avec des profils différents, enrichissants, qui sont l’avenir et qui m’ouvrent sur le monde d’aujourd’hui et de demain, celui dans lequel ma fille grandit. », déclare-t-elle.

Et dans ce monde, c’est la diversité et la complémentarité qui doivent être brandies en priorité. Sur le papier, ça fonctionne mais dans la réalité, les mentalités n’avancent pas à vive allure, se butant aux éternels préjugés sexistes. Pour l’avocate, pas de secret :

« La posture ne se travaille pas consciemment, elle vient avec l’expérience. On remarque justement qu’au fil de l’expérience, on nous prend moins pour des petites secrétaires. Pour moi, la question est de se sentir vraiment légitime, c’est là dessus qu’il faut travailler. »

Si les clichés constituent des freins au lancement du projet, Isabelle Gueguen, marraine également dans le programme, identifie aussi les difficultés liées à des tabous qu’il est urgent de briser. Les femmes sont discriminées dans le monde du travail et l’image, aussi inconsciente soit-elle, de celles qui réussissent sont souvent connotées de manière négative.

« Il y a encore des témoignages choquants ! Je discutais avec une femme de 35 ans l’autre jour, cadre supérieur, avec un enfant. En entretien, on lui a demandé si elle comptait avoir un deuxième enfant. On est en 2017 ! Dans mon parcours, lorsque je me suis installée, cela a entrainé mon modification de mon environnement, qui a réagi à mon nouveau statut. Et ça s’est soldé par une séparation alors qu’il était lui aussi entrepreneur. Mais il aurait voulu me voir avec un statut plus pépère. », confie la cofondatrice de Perfegal.

Si, heureusement, tous les hommes ne réagissent pas de cette manière, il est certain que la question de l’équilibre, que l’on voudrait nous vendre comme naturel, se pose, parce qu’il touche à l’émancipation des femmes : « C’est un sujet qui ébranle la société parce qu’on parle là du partage du pouvoir ! Mais ce qui est bien, c’est que le sujet est investi par la politique, même si le monde politique reste encore bien machiste. Mais au moins, on en parle. »

En attendant l’évolution de la société en matière d’égalité femmes-hommes, Isabelle Gueguen préconise la libération de la parole et l’accompagnement de celles qui font le choix d’entreprendre. « Souvent, les personnes qui se lancent n’osent pas parler de leur projet parce qu’on répand l’idée qu’on pourrait se faire piquer ce projet. Mais je pense qu’au contraire, il ne faut pas avoir peur d’être dans le relationnel, de discuter de ses idées et de créer des réseaux. Il y a suffisamment de maillage sur le territoire et nous avons la chance en Bretagne d’avoir un réseau qui accompagne l’émergence des projets avec Entreprendre au féminin. Il faut savoir s’en saisir, se faire accompagner, ne pas avoir peur de gagner de l’argent, oser et assumer. », s’exclame-t-elle, en conclusion.

L’émancipation des femmes passe donc par la capacité à croire en elles, la notion d’empowerment est capitale et ne peut se faire qu’à travers une juste représentation des profils et des parcours. Montrer qu’ils sont pluriels, variés, teintés d’échecs peut-être avant de parvenir à des réussites et qu’il n’y a pas une voie unique.

Que chacune est libre de composer en fonction de ses codes, convictions, envies et besoins aussi bien sa vie personnelle que sa vie professionnelle. Comme elle l’entend, quand elle l’entend. Libre de faire ses choix. D’entreprendre ou pas.

 

 

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L'entraide comme levier d'émancipation
Favoriser l'empowerment des femmes
Être qui on a envie d'être

Célian Ramis

Transmusicales 2017 : Un vendredi à la croisée des cultures

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Parc Expo, Rennes
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Deuxième soir des Transmusicales au Parc Expo, ce vendredi 8 décembre. Retour sur les concerts d’Altin Gün, House Gospel Choir, Oreskaband et Tank and the Bangas.
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Deuxième soir des Transmusicales au Parc Expo, ce vendredi 8 décembre. Ce soir-là, les artistes féminines se sont illustrées dans des performances explosives. Retour sur les concerts d’Altin Gün, House Gospel Choir, Oreskaband et Tank and the Bangas.

ALTIN GÜN – HALL 3 – 22H55

Altin Gün, c’est le mélange du psyché occidental et des musiques traditionnelles turques. Basé au Pays-Bas, le groupe ressuscite la scène alternative des années 60 et 70 d’Istanbul. Leur nom signifiant d’ailleurs « l’âge d’or ».

La chanteuse turque, Merve Dasdemir, porte dans sa voix le folk oriental, soutenue par le joueur de saz, Erdinc Yildiz Ecevit. Accompagné par les percussions et le clavier, le duo nous emmène en voyage à la fin des 60’s, dans une Anatolie au milieu underground bien vivant.

C’est un rock psychédélique oriental que le sextuor décortique. Les registres s’entrecroisent, sans qu’aucun n’écrase l’autre. Chacun sa place.

Chacun son moment sous les projecteurs pour mieux se retrouver ensuite et ne faire qu’un.L’énergie circule entre la scène et le public, qui se saisit de cette convergence des styles pour s’en délecter à chaque chanson.

Et quand, Erdinc Yildiz Ecevit fait vibrer les cordes de son saz, l’accompagnant simplement d’un chant traditionnel puissant, amplifié et très pur, il nous provoque inévitablement des frissons. La salle est en suspend. La foule est soudainement particulièrement attentive.

À cet instant contemplatif, les musiciens ajoutent crescendo un côté psychédélique, avant d’envoyer les guitares et la batterie, passant ainsi de la tension à la libération. Altin Gün maitrise la variation des styles, des chants, des introductions de morceaux et des rythmes.

On savoure chaque note et chaque sonorité. Chaque découverte. Parce que celle-ci est omniprésente dans le set et dans l’esprit de la formation. Le hall 3 est rapidement plein à craquer. Se balançant d’un pied sur l’autre ou agitant la tête de haut en bas, la foule semble conquise et inlassablement entrainée par la proposition.

Et tandis que l’on progresse petit à petit vers un son plus psychédélique, la chanteuse maintient de par son chant, l’attachement aux musiques traditionnelles turques, appuyé par les percussions.

Et quand elle pousse la voix, les instruments répondent à son appel et prennent entièrement possession de l’espace.

La dynamique est sans faille et plus on s’approche de la fin du concert, plus les sonorités aigues s’aiguisent à allure folle, jusqu’à mettre la foule en trans, acclamant et applaudissant sans relâche le sextuor.

Altin Gün n’hésite pas à s’amuser avec les styles, les influences et les rythmes pour fabriquer une musique résolument moderne, dans un set explosif qui ne lasse jamais son auditoire. On en redemande même.

 

HOUSE GOSPEL CHOIR – HALL 9 – 00H25

C’est acclamée par la foule que la chorale gospel britannique entre sur scène. Ou plutôt l’envahit de sa vingtaine de chanteurs-euses et de musiciens. Si les premières notes sont jazzy et plutôt lentes, House Gospel Choir brise le rythme et envoie la sauce en quelques secondes seulement.

La chanteuse déploie sa voix puissante de soprano et la bonne humeur générale se répand dans les rangs qui dansent et sautent avec entrain et enthousiasme.

On passe du gospel à la house et on se balade entre les années 80 et 2000. Avec ou sans transition, on s’en fout, on se prend au jeu instantanément.

C’est une ébullition de joie sur la scène comme dans la fosse à laquelle on assiste, ébahi-e-s par l’énergie et l’immédiateté de sa contagion. Tout le monde, quasiment, danse.

Dans le hall 9, les corps s’expriment et les voix se chauffent. Si SheZar mène la danse de sa troupe gospel, les choristes prennent à tour de rôle le lead des chansons.

Entre gospel, r’n’b, house et soul, les voix, toujours accompagnées du saxo, du clavier et de la batterie, sont toutes impressionnantes. À couper le souffle. Les sourires trônent sur tous les visages et c’est à regret qu’il nous faut quitter le hall au milieu du concert.

 

ORESKABAND – HALL 3 – 00H35

Parce qu’au même moment, les six japonaises d’Oreskaband montent sur la scène du hall 3 pour y balancer un ska hallucinant sur une reprise de Wannabe, des Spice Girls, qui nous scotche radicalement sur place.

Au saxo, à la guitare électrique, à la basse, au trombone et à la trompette, les musiciennes sont alignées – devant la batterie – et assurent le show avec une patate à vous clouer le cul par terre sans avoir le temps de réaliser ce qui vous arrive. Décoiffant et délirant.

Pour les sceptiques du ska dans notre genre, la claque est magistrale. Les cuivres envoient un sacré son groovy qui se marie parfaitement avec la rythmique ska punk et les chœurs pop.

Le phénomène Oreskaband, qui prend parfois des airs de fanfare à la  Molotov Jukebox – qui avait d’ailleurs foulé la scène de ce même hall quelques années auparavant – avant de bien rappeler sa singularité, met le feu à la foule.

Elles ont la pêche et donnent la pêche. Leur aisance, leur manière de posséder la scène et leur constant partage avec l’audience… Tout est orchestré pour nous maintenir dans un état d’excitation intense. Magique.

Les musiciennes ne relâchement jamais la pression et enchainent les chansons, plus énergiques et plus rythmées les unes que les autres. Les rythmiques sont rapides et la rencontre entre le ska et le punk est explosive. Autant que leur manière de bouger et de s’éclater d’un côté à l’autre de la scène.

« Nous sommes japonaises, vous êtes français, mais la musique n’a pas de frontière. La musique peut justement nous connecter. Quel merveilleux monde ! », lance la chanteuse avant de balancer un gros son très punk qui ne manquera pas de confirmer l’étendue de leurs talents de musiciennes et de performeuses à l’énergie débordante.

Oreskaband, c’est de la dynamite pure qui prend aux tripes et qui nous ordonne de tout envoyer péter, de lâcher prise et de se défouler. Et pour une fois, on répond sans aucun signe de protestation à cette injonction au bien-être !

Surtout au moment du rappel, lorsqu’elles demandent au public de s’asseoir afin de pouvoir se lever d’un coup, de bondir et de danser. Sans plus penser.

Ce sont des meufs en folie qui s’illustrent sur la scène des Transmusicales et qui fédèrent les festivalier-e-s derrière leur délire bien barré. Et putain, ça fait du bien.

 

TANK AND THE BANGAS – HALL 8 – 1H30

C’est peut-être pour ça qu’on aura du mal par la suite à entrer pleinement dans la proposition de Tank and the Bangas qui pourtant ne nous laisse pas indifférent-e-s. Accompagnée de ses musiciens et de sa choriste, Tarriona Ball a elle aussi le sens aigu du show.

Elle n’hésite pas à théâtraliser sa prestation, à jouer de nombreuses mimiques ou encore à robotiser sa gestuelle. Sans pour autant négliger les performances vocale et instrumentale. Le show est complet et le public y adhère, interagissant régulièrement avec la mise en scène.

D’une voix nasillarde, qui pourrait s’apparenter à celle de Duffy, à une voix de reine de la soul, en passant par une voix enfantine, elle se construit un personnage humoristique, attachant, qu’on aurait tendance à aimer détester tant elle s’engage des bouffées délirantes pleines d’artifices.

Néanmoins, elle intrigue et la proposition est loin d’être sans intérêt, et surtout loin d’être sans énergie et inventivité. Parce qu’elle présente dans son set sa propre vision de l’héritage afroaméricain, mêlant jazz, r’n’b, blues, soul et bounce music (forme de hip hop née à la Nouvelle Orléans à la fin des années 80).

On aime la regarder et on aime l’écouter exprimer cette sorte de dialogue entre voix pleine et puissante et voix nasillarde et enfantine, entre adulte et enfant. Mais l’émotion est plus franche lorsqu’elle s’empare uniquement de sa voix jaillissante et profonde. Il y a plus de frissons, plus de facilité à se laisser porter par la pureté de son instrument vocal.

Si elle explore différents styles de musique et impressionne de par sa tessiture, soutenue par la force des cuivres et de la batterie, elle n’en oublie pas dans ses textes d’être sérieuse et engagée. Voire enragée. Parce que le système est répressif et que la politique actuelle est nauséabonde.

Et parce qu’elle propose sa vision singulière de l’héritage afroaméricain dans sa musique, elle l’expose également dans son écriture, dénonçant un système dressé contre la jeunesse noire américaine et un esclavagisme invisible car banalisé et ordinaire mais bel et bien réel, encadré par des violences et des pressions psychologiques.

Célian Ramis

TransMusicales 2017 : Un jeudi bien groovy

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Parc Expo, Rennes
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Premier soir des Transmusicales au Parc Expo, ce jeudi 7 décembre. Retour sur les concerts de Tanika Charles et de Lakuta.
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Premier soir des Transmusicales au Parc Expo, ce jeudi 7 décembre. Si peu de femmes figurent dans la programmation, celles qui étaient sur scène ont assuré des performances soul et groovy. Retour sur les concerts de Tanika Charles et de Lakuta.

TANIKA CHARLES – HALL 3 – 22H05

La puissante voix soul de Tanika Charles met une première claque. Puis vient la deuxième avec la dynamique portée par l’ensemble des musiciens et la choriste. Le groupe, venu tout droit du Canada, compte bien transmettre son énergie communicative, aux accents rétro mais dans un langage résolument moderne.

Les musiciens entament les chœurs en mode pop des années 60 et la chanteuse dévoile une soul classique née dans ces années-là. Elle raconte sa relation passée. Une relation toxique durant laquelle elle ne cessera de faire des va-et-vient entre la rupture et le retour vers une situation confortable aux côtés de l’être aimé. Jusqu’à ce que ce soit lui qui coupe le contact. Et qu’elle lui court après, désespérément.

Pourquoi ce comportement ? C’est ce qu’elle analyse dans un des titres de son album, Soul run. Son thème de prédilection : chanter l’amour. Les rapports de couple, complexes et compliqués. Imparfaits. Sur des rythmes lents, du fond de sa voix grave.

Si on laisse aisément bercer par la pureté du style, le rythme s’essouffle cependant rapidement et on trépigne d’impatience à l’idée de passer la seconde.

Mais l’énergie, elle, ne faiblit pas. La batterie tient en éveil et en haleine, soutenant implacablement les propos de la chanteuse, qui se voit offrir un « joyeux anniversaire » de la part du public. Et comme si tout cela avait été orchestré, le concert prend un tournant plus jazzy, avec la mise en avant du clavier et des sonorités plus tropicales.

La machine est lancée et avec, un regain de modernité. Celle-là même qui avait embarqué le hall 3 au début du set. Des décennies de soul s’entrecroisent, Lauryn Hill rencontre Tina Turner dans le corps de Tanika Charles et le mélange avec le r’n’b, s’il n’est pas surprenant, est tout du moins détonant.

Les récits se corsent aussi, on sent plus d’affirmation de la protagoniste dans ses histoires d’amour, plus de force dans le discours. Une évolution crescendo qui nous fait presque rougir d’avoir pensé quelques instants à un début mal engagé et qui nous ravit. D’autant plus lorsque le groupe entame le titre phare de l’album, au nom éponyme, le fameux « Soul run ».

« Vous savez la personne de tout à l’heure que j’ai quittée… puis je suis revenue, puis je suis partie, puis je suis revenue, puis je suis partie, puis je suis revenue. Et ben, un jour, j’ai vraiment décidé de partir. Et maintenant, vous savez quoi ? Je suis heureuse ! Here we go ! », scande l’artiste.

Sa voix déploie alors encore plus de puissance et son corps suit le mouvement. C’est une explosion de groove qui assaille la scène des Transmusicales. Une explosion que l’on doit également aux guitaristes, qui prennent désormais le pas sur la batterie et le clavier. La bonne humeur et le second degré envahissent la salle et entrainent la foule sans difficulté.

L’ensemble se veut plus rock, plus électrique et plus électronique. Comme s’il suivait le fil de l’évolution du registre de la soul, tout comme celle des mentalités.Tanika Charles « et les Wonderful » terminent le concert avec la grosse patate et nous aussi.

 

LAKUTA – HALL 3 – 1H05

S’il nous faut garder qu’un seul nom de cette première soirée au Parc Expo, ce sera sans hésiter Lakuta. En swahili – langue maternelle de la chanteuse Kenyanne-Tanzanienne Siggi Mwasote – il signifie « trouver, rencontrer, partager ou être comblé ».

Et il ne faut pas très longtemps pour s’apercevoir que c’est une évidence pour ce collectif composé de neuf artistes, basés au Royaume-Uni mais provenant d’origines diverses (Kenya, Tanzanie, Ghana, Malaisie, Espagne, Royaume-Uni).

On voyage et on danse en permanence. On parcourt le monde du jazz, du funk, de la soul, du zouk ou encore de l’afrobeat et pour ce faire, on effectue quelques escales en Afrique, dans les Caraïbes ou en Amérique du Sud. Et ça balance du groove, sans relâche.

Lakuta dynamite la scène et envoie une énergie totalement dingue. On est suspendu-e-s à chaque sonorité, à chaque registre, à chaque rythmique et à chaque phrase.

La moindre paillette – qui se loge jusque sur les chaussures de la chanteuse – nous éblouit et nous embarque dans cette aventure ensoleillée et diversifiée.

Pourtant, les thèmes abordés dans les chansons ne sont pas des plus positifs et réjouissants. « Nos mots sont importants et nos musiques sont belles, j’espère que vous pouvez percevoir les deux. », lance Siggi Mwasote qui entame « Afromama », un titre sur la condition des filles et des femmes en Afrique.

Elle y réclame la liberté des femmes et proclame que ces dernières ne sont pas des propriétés à posséder. Et au fil des chansons suivantes, elle poursuit son action en diffusant le message auquel tient le collectif : l’unité dans la diversité et l’humanité. Dire non à la brutalité, non aux enfanticides, non aux féminicides. Et non au Brexit.

Parce qu’il est synonyme de fermeture. Tout ce que refuse Lakuta qui prône le vivre-ensemble – l’album s’intitule Brothers & sisters – et qui démontre la beauté et la richesse des références et influences différentes.

La world music prend le contrôle de la scène, mêlant à la fois du reggae et du jazz, du zouk et de la soul, de l’afrobeat et du funk, grâce aux talents des cuivres (saxophone, trombone, trompette), des percussions (congas, bongos, shékérés,…), des cordes (guitare, basse, cora) et de la batterie. Sans oublier le coffre et la puissance de la chanteuse, à l’énergie débordante et au sourire communicatif.

Passant d’un flow impressionnant de par sa rapidité à des envolées plus soul, le phrasé de Siggi, soutenu et accompagné par l’ensemble des musicien-ne-s, renforce le sentiment d’urgence et d’exigence qui émane des textes, toujours en lien avec l’actualité (une chanson aborde également les violences sexuelles et la communauté LGBTI).

Une force incroyable se dégage de sa voix, de son corps mouvant, de sa manière de bouger, de croiser ou de lever les poings en l’air mais aussi de chaque rythmique, de chaque mélodie et de chaque sonorité. Le collectif envoie la sauce sans vaciller un seul instant et sans jamais perdre le fil de cette énergie débordante et explosive, qui monte en puissance tout au long du set. Eblouissant, dans le fond et dans la forme.

Célian Ramis

Analyser le/la sexiste en vous

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Maison de quartier Villejean, Rennes
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Le sexisme est partout et ses mécanismes sont profondément ancrés dans les mentalités, en atteste l'actualité du mois d'octobre. C’est aussi ce que nous prouve la conférence gesticulée proposée le 18 octobre, à l'Antipode MJC.
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Le sexisme est partout et ses mécanismes sont profondément ancrés dans les mentalités, en atteste l'actualité du mois d'octobre. C’est aussi ce que nous prouve la conférence gesticulée « Qu’est-ce qu’un homme ? Qu’est-ce qu’une femme ? Une autre histoire du sexisme… », proposée le 18 octobre à 20h, à l'occasion du Café citoyen de l'Antipode MJC. Le 26 novembre 2015, on avait assisté à la représentation de Claire, Jean-Marc, Yvelise et Régis, à la Maison de quartier de Villejean (article publié dans YEGG#42 - Décembre 2015).

Une petite fille vient de naitre. Ce que ressent le père ? « J’avais déjà un trou à la maison, maintenant j’en ai deux. Bientôt, je vais pouvoir jouer au golf. » Les mots valent leur pesant d’or tout comme de déchets polluants. Ils peuvent être beaux, poétiques, réconfortants, comme metteurs de claque, transmetteurs de violence et vecteurs d’un sexisme corrosif qui infuse dans tous les milieux de la société. Une vermine difficile à éradiquer de nos quotidiens, que l’on soit homme ou femme, en ville ou à la campagne.

C’est ce que démontrent Yvelise, Régis, Claire et Jean-Marc dans leur conférence gesticulée « Qu’est-ce qu’un homme ? Qu’est-ce qu’une femme ? Une autre histoire du sexisme… », dont la formation a été orchestrée par l’Université Populaire Gesticulante. Ainsi, la manifestation a été proposée, fin novembre, à Nantes, à Rennes et à Treffieux.

TRAUMATISMES ET SÉQUELLES

Et dans la capitale bretonne, la soirée est un triomphe. La salle est pleine, le public hétérogène et mixte. La domination masculine, la pression du patriarcat, fait des victimes partout. Peu importe le sexe, elle engendre traumatismes et séquelles. On peut être une petite fille, aimer le football et être rejetée par les garçons dans la cour de l’école, renvoyée « le long de la haie, pour s’échanger des feuilles, des brindilles et des secrets ».

On peut être un garçon, se faire bousculer par une bande de mecs et entendre son père dire : « Débrouillez-vous, c’est comme ça qu’on devient un homme ! ». On peut être une fille élevée dans les valeurs de l’égalité, voir son frère disparaître après chaque repas pour ne pas faire la vaisselle et entendre sa mère dire : « Ce n’est pas juste mais les garçons, c’est comme ça. » On peut être un homme de gauche, lire Siné Mensuel et ne pas baisser la lunette des toilettes « pour ne pas la salir ».

Les témoignages des quatre gesticulant-e-s ont été vécus, constatés, subis. De leur enfance à aujourd’hui, rien n’a changé ? Pas exactement. Entre temps, les femmes obtiennent les droits à la contraception, à l’avortement, l’école Polytechnique devient mixte, le divorce par consentement mutuel est autorisé, la loi définit le viol, un ministère des Droits des femmes est créé, l’égalité des salaires et l’égalité professionnelle sont attestées par les lois Roudy, etc.

L’INJONCTION DU GENRE

Les 50 dernières années sont marquées au fer rouge par les luttes féministes, par celles qui se sont battues pour être, ainsi que les générations futures, les égales des hommes. Pourtant, le quotidien démontre que les mentalités n’évoluent que trop lentement, maintenant discriminations et stéréotypes à flot.

« Le sexisme est un système de domination parmi d’autres, comme le racisme, les classes sociales, l’homophobie… La lutte s’appelle le féminisme et tout individu peut l’être, suffit qu’il soit démocrate. »
analyse Claire, sur la scène.

Les explications se poursuivent et décryptent la domination à travers son outil principal : le genre, « ce que la société va nous apprendre et attendre de nous en fonction de ce que l’on a entre les jambes ». Des filles gentilles, serviables et au service des autres, et des garçons ambitieux, aventureux et turbulents. À travers ces assignations, hommes et femmes résultent d’une construction sociale. Et s’imprègnent « d’une idéologie dont on n’est pas conscient », précise Jean-Marc, qui a plus jeune était victime d’une rupture déstabilisante en raison de sa douceur. Pas assez viril, en somme.

L’ENTOURAGE DANS LE SYSTÈME

La conférence gesticulée navigue entre interactions avec le public, anecdotes racontées comme confessions intimes et scénettes amusantes. Toutes ont pour objectif de dénoncer des situations injustes car survenues uniquement en raison du sexe. Parfois sérieux, parfois légers, prenant parfois le contrepied à la manière de la rubrique de Causette « Un homme, un vrai » ou poussant parfois la chansonnette comme l’aurait fait le piquant Boris Vian, toujours critiques.

Et la famille n’est pas épargnée puisqu’elle est un élément de ce système vicieux. « L’hymen des filles est propriété familiale. Si les familles pouvaient les mettre au coffre, elles le feraient. », scande Claire. La remarque est cinglante mais pousse à la réflexion. Les filles sont-elles autorisées à sortir autant que les garçons ? Les mères ne brident-elles pas leurs filles par peur du danger ? Au risque de ne pas leur permettre de s’intégrer dans la vie citoyenne, déjà restreinte par les tâches ménagères qui leur sont réservées en majorité.

« La démocratie, c’est que tous les citoyens puissent jouir de tous les espaces de la ville et jouir de la ville la nuit. Tant que la moitié de la population n’en profite pas, la démocrate est inachevée. »
souligne Yvelise.

Militante au Planning familial, pour une libre sexualité, elle n’a pas toujours « bien agit ». En particulier avec sa colocataire qui a subi un viol collectif lorsqu’elle était à l’université. Yvelise la voit dégringoler, ne plus manger, ne plus bouger, devenir comme morte. « Moi, je voulais vivre, m’amuser, sortir. Et je lui disais « Tu vas pas en faire une maladie, faut te bouger ! Tous les mecs ne sont pas des salauds ! » J’étais une imbécile. Elle s’est mutilée, a fait des tentatives de suicide, est devenue anorexique. »

Une description qui correspond à quelques détails près à celle de Nathalie dans le film d’Audrey Estourgo, Une histoire banale (2013). De là, elle a voulu comprendre pourquoi le viol tuait les gens et comment on pouvait venir en aide aux victimes. Par l’éducation populaire. Pour que les femmes sortent de la honte, de la culpabilité, du personnel. Qu’elles dénoncent leurs agresseurs qui ne sont que trop peu punis pour leurs actes cruels.

L’introspective est douloureuse mais nécessaire. Et les quatre gesticulant-e-s n’hésitent pas à prendre le parti de tout mettre à plat et à égalité, quitte à être critiqué-e-s. Aussi bien les moments où ils ont été victimes qu’auteur-e-s de sexisme. L’essentiel étant de comprendre et d’analyser nos pratiques afin de pouvoir y remédier et faire évoluer les mentalités.

D’où l’invitation, le lendemain matin, à participer à un atelier de 2h, au centre social Kennedy, sur le sexisme ordinaire. En toute intimité, quelques personnes ont pu échanger sur leurs expériences de vie et avancer ensemble vers un système où la domination masculine n’atteindrait plus les femmes. Et plus les hommes non plus.

Célian Ramis

Tonie Marshall contre le sexisme des hautes sphères du CAC 40

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Cinéma Gaumont Rennes
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La réalisatrice dénonce la misogynie ordinaire et violente de ce secteur dans son nouveau film, Numéro Une, présenté en avant-première au cinéma Gaumont de Rennes, le 22 septembre dernier.
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Lorsque Tonie Marshall a initié son enquête sur les enjeux de pouvoir qui régissent les coulisses du CAC 40, aucune femme ne figurait au sommet des grandes entreprises françaises cotées à la bourse de Paris. Depuis 2016, Isabelle Kocher a pris la tête d'Engie et ouvert la voie, qui - malgré la loi Copé-Zimmermann imposant la quota de 40% de femmes au sein des conseils d'administration - reste encore très majoritairement réservée aux hommes. La réalisatrice s’empare du sujet et dénonce la misogynie ordinaire et violente de ce secteur dans son nouveau film, Numéro Une, présenté en avant-première au cinéma Gaumont de Rennes, le 22 septembre dernier.

« Une femme sort de la même école qu’un homme. Ils entrent dans une entreprise, au même poste. Le président aime beaucoup la femme, pour ses compétences, et décide de lui donner tous les dossiers durs en lui expliquant que c’est parce qu’elle est parfaitement capable. Elle, quand elle me l’a raconté, elle parlait de dossiers « pourris ». Parce que forcément, ça prend du temps, elle met plus de temps à traiter les dossiers. Pendant ce temps-là, les autres avancent. Au moment de donner une promotion, devinez quoi ? C’est l’homme qui l’a eue. »

Pour son nouveau film, intitulé Numéro Une, la réalisatrice Tonie Marshall a enquêté plusieurs années durant sur la quête du pouvoir au sein de l’industrie française. Sous l’angle des femmes, minoritaires dans les rangs de la haute hiérarchie et des comités exécutifs.

Elle choisit alors de raconter « l’histoire d’une femme qui se bagarre pour aller au sommet de quelque chose. » Ce quelque chose, c’est la présidence d’une boite du CAC 40, où elle deviendrait alors la première femme à y accéder.

Emmanuelle – interprétée avec finesse et talent par Emmanuelle Devos - est une ingénieure brillante, qui a gravi les échelons jusqu’au comex d’une grande entreprise d’énergie française. Jusqu’à ce qu’elle soit repérée par un réseau de femmes influentes. Alors que le patron – joué également avec les mêmes qualités par Richard Berry - d’une société cotée en bourse prépare sa succession, elle se voit proposer d’être la candidate des féministes pour briguer le poste de PDG.

De ses rencontres avec des dirigeantes d’entreprise (à l’instar d’Anne Lauvergeon, ex-dirigeante d’Areva), des membres du Medef ou du Women’s Forum de Deauville et de sa collaboration avec la journaliste politique Raphaëlle Bacqué (Le Monde), Tonie Marshall en fait un film tendu, réaliste et juste, axé sur la « misogynie bienveillante » d’un secteur de costards-cravates, prêts à tous les coups bas pour emporter la bataille.

« Dans ces hommes, je ne vois pas des salauds. Mais il y a une misogynie frontale lorsqu’il s’agit de défendre le pré carré du pouvoir. Ce n’est pas envisageable pour eux de laisser la place à une femme ! Mais je pense qu’ils réagissent de la même manière entre hommes. Par contre, vis-à-vis d’une femme, ça prend forcément une tournure sexiste. »
explique la réalisatrice.

Et pour démontrer cette réalité, elle utilise l’esthétique grisonnante des tours de la Défense, la noirceur des costumes et la grisaille d’un milieu sclérosé par l’avidité du pouvoir. La guerre entre les « puissants » et le réseau féministe s’engage rapidement, faisant prendre conscience à Emmanuelle l’enjeu qui se joue sous ses yeux.

Elle qui a longtemps cherché à ne pas se faire remarquer des hommes en tant que femme comprend vite que les barrières auxquelles elle se confronte sont celles d’une société patriarcale, régie par la « misogynie bienveillante, ordinaire, presque inconsciente ». Guidée par ses convictions professionnelles et son envie de faire bouger les lignes, elle va livrer un bras de fer fort et poignant.

Sans surprise, le parcours est semé d’embuches et la tension s’instaure au fur et à mesure. La réalisatrice, qui tient à être au plus proche de la réalité, dépeint alors un portrait humain, celui d’une femme qui mène sa carrière avec ferveur et aisance et qui en parallèle se heurte à des blessures personnelles de son enfance, et un thriller psychologique qui souligne la complexité de la bataille du pouvoir.

À propos de la place des femmes, Tonie Marshall déclare : « La société n’évolue pas comme elle devrait. Quand j’étais plus jeune, on voyait bien les inégalités mais on pensait que ça allait changer, que ça irait. Je suis convaincue que s’il y avait une arrivée massive des femmes au pouvoir, certes ça prendrait du temps mais les modes de gouvernance changeraient, on irait vers une réorganisation des temps des un-e-s et des autres. »

Elle veut offrir un regard juste. Ne pas taper sur les hommes, simplement pour taper sur les hommes. Ne pas glorifier les femmes pour glorifier les femmes. Mais elle souhaite pointer et dénoncer la misogynie et la violence qui en découle dans certains secteurs. Au sommet de l’industrie en particulier.

Et quand on lui demande si elle voit là un parallèle avec le milieu du 7e art, elle réfute. Pourtant, elle est encore aujourd’hui la seule femme à avoir reçu le César du meilleur réalisateur - notons l’ironie de l’intitulé – pour Vénus beauté (institut). « Je n’ai pas entendu dire qu’une femme réalisatrice obtenait moins de financement qu’un homme. Quand il y a des difficultés pour monter un film, généralement ce sont les mêmes pour les hommes et les femmes. », justifie-t-elle.

Néanmoins, les actrices sont de plus en plus nombreuses à dénoncer les inégalités en terme de qualité de rôle – surtout lorsqu’elles atteignent 40-45 ans – dans le cinéma français (et au-delà, avec notamment les discours très médiatisés de Meryl Streep ou Patricia Arquette concernant l’égalité salariale, par exemple). « En tout cas, je pense que c’est moins violent dans ce domaine. Dans l’industrie, avec les jeux de pouvoir, c’est vraiment très dur ! », précise Tonie Marshall.

Elle poursuit :

« À chaque fois qu’il y a une crise avec des replis sur la morale, l’identité, la religion, etc., on chercher à remettre les femmes à leur place… Je ne veux pas me cantonner à une féminitude qui m’énerve mais les barrières sont difficiles à casser. »

Au fil de ses entretiens, elle note des similitudes entre les femmes, notamment dans les stratégies d’évitement. La plupart n’ose pas la couleur sur le lieu de travail et préfère opter pour des costumes gris, sobres. Histoire de ne pas se faire remarquer et attiser les remarques désobligeantes.

« Par contre, elles disent que lors des comex par exemple, là elles vont mettre des talons hauts de 12 cm, pour qu’on voit qu’elles sont là. On sent bien que la lutte est importante. Quand une femme se retrouve être la seule femme face à 70 personnes, la violence n’est pas tenable. Il y a une culture dans ce milieu qui pousse à l’isolation des profils féminins et qui les conduit soit dans la justification, soit dans la violence. », développe la réalisatrice.

Elle a alors à cœur de faire passer un message aux jeunes femmes particulièrement mais plus largement à toute la gent féminine. Celui d’oser. Oser franchir les étapes, oser s’affirmer et oser s’affranchir des codes de genre. Parce qu’il n’y a pas de profil type, fait pour la réussite. Mais qu’une femme interviewée a fini par lui livrer la clé :

« Moi, je tournais un pot autour du pot et elle m’a dit : « Il ne faut jamais se dire que l’on est pas capable mais il faut se demander ce que l’on veut. » Ce qu’elles ont en commun toutes ces femmes rencontrées qui ont eu et ont toujours des grandes carrières, à la tête de grandes entreprises ou instances, c’est le désir, l’envie. Le désir et l’envie de faire, d’agir, de réussir, de gagner. »

Au cinéma le 11 octobre.

Célian Ramis

Pour une assemblée théâtrale poélitique

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Le Manuel d’AutoDéfense À Méditer est officiellement lancé, après deux mois de résidence aux Ateliers du Vent à Rennes et une immersion auprès des féministes musulmanes de l’association Al Houda.
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Le Manuel d’AutoDéfense À Méditer est officiellement lancé ! Après deux mois de résidence aux Ateliers du Vent à Rennes et une immersion auprès des féministes musulmanes de l’association Al Houda, la metteuse en scène, Hélène Soulié, en lien avec la sociologue et ethnographe Aurélie Marchand, a présenté le 3 juin dernier le premier volet de MADAM, J’ouvre les yeux sur ta bouche.

Le titre est temporaire. Peut-être. Parce qu’au fil du processus de création, un sous-titre se profile. « Est-ce que tu crois que je doive m’excuser quand il y a des attentats ? » se veut plus percutant, selon Hélène Soulié. Fascinée par l’influence du contexte et des lieux sur la parole, elle questionne « comment on parle, comment on peut encore parler et comment on peut mettre des mots sur des maux. On est constitué-e-s de phrases que l’on entend, comme « t’es nulle en maths » par exemple. On est constitué-e-s de phrases, de discours, de choses que l’on se dit à soi. »

C’est lors d’une résidence à La Chartreuse (Centre national des écritures du spectacle) à Villeneuve lez Avignon que le projet MADAM va éclore dans l’esprit de la metteuse en scène qui travaille alors à l’adaptation du roman de Lola Lafont, Nous sommes les oiseaux de la tempête qui s’annonce.

« C’est un texte qui parle beaucoup des femmes et du fait de dire non. Non, comme premier signe d’émancipation. J’ai relu alors ma bio féministe et ça m’a déprimé. J’avais aussi pris Non c’est non d’Iréne Zeilinger et ça c’était assez enthousiasmant. J’étais là-bas avec une autrice, Magali Mougel, et il y avait aussi Marine Bachelot Nguyen. On a beaucoup discuté. On a réalisé qu’en tant qu’artistes, au lieu d’être dans la plainte, on pouvait voir ce qui est bien : nous, on est là. On est des artistes, on est des femmes, et on agit. », raconte-t-elle.

Cet esprit d’empowerment va alors nourrir l’idée d’une création hors-norme, basée sur des groupes de femmes développant des stratégies pour être visibles et entendues.

UN CADRE AMBITIEUX

Rencontrer, relayer, faire entendre les voix de celles qui se réunissent et rendre compte de ce qu’elles mettent en place. Et parce qu’en France et ailleurs, des cours d’auto-défense féministe éclosent, le projet sera un Manuel d’AutoDéfense À Méditer en six chapitres « poélitiques », avec une distribution « 100% meufs ». À chaque volet, sont associées une autrice, une actrice et une experte (sociologue, chercheuse, philosophe…).

Car la forme est aussi ambitieuse que le fond : chaque chapitre est décliné en une assemblée théâtrale, comprenant une performance basée sur des récits de vie, un apport scientifique conférencé et un débat public. Le 3 juin sonnait l’heure de la restitution de la résidence entamée deux mois plus tôt, dans le cadre du cycle de 4 résidences en containers, « Du quartier vers l’ailleurs », élaboré par les Ateliers du Vent.

Face aux marches de la Place des containers, Lenka Luptakova, parée d’un pantalon bleu, une chemise blanche et un foulard rouge, déclame en chantant en français, puis en arabe, un verset du Coran. La première parole du texte sacré. « Lis ». Originaires de Casablanca, Angers, Damas, Rennes ou encore Tanger, elles sont françaises, musulmanes, féministes :

« On va tous les dimanches matins à la mosquée. Les maris gardent les enfants pendant qu’on étudie les textes sacrés. De 5 ou 6, on se retrouve presque avec toute une classe. »

Les voix des femmes de l’association rennaise Al Houda, passées fidèlement sous la plume de Marine Bachelot Nguyen, s’élèvent au-delà de la comédienne.

DÉPLACER LES PRATIQUES ET LES MENTALITÉS

« La rencontre a duré une dizaine de jours. On a rencontré les femmes d’Al Houda, sur une proposition de Marine, individuellement et collectivement. Moi, je venais avec mes a priori, je n’ai pas d’amies musulmanes. Elles mènent des ateliers de danse, d’écriture, de spiritualité. Elles lisent le Coran, traduisent, interprètent et cherchent à comprendre. On s’est rendues compte qu’on faisait le même boulot. », se passionne Hélène Soulié, rejointe par Lenka Luptakova :

« On est dans l’adaptation. Elles aussi elles adaptent leur religion selon leurs vies, leur conscience. Elles ne définissent pas des règles globales applicables à toutes. C’est chacune qui choisit. Dans l’association, ce n’est pas un problème de penser différemment. »

La manière de procéder, de l’immersion à la restitution volontairement effectuée sur l’espace public, et la singularité de cette cartographie des espaces féminins, obligent les protagonistes du projet à « se déplacer dans nos façons de faire théâtre » et profitent au public qui a alors les cartes en main pour déplacer son regard sur les sujets traités.

UN DISCOURS QUI DÉRANGE ET POURTANT…

Impossible de restituer ici l’ensemble des paroles. J’ouvre les yeux sur ta bouche est une réussite. Parce que ce premier chapitre est plein d’espoir et de garanties. Celles de rendre l’invisible visible. De donner à entendre les voix de celles que l’on entend rarement parce que la société préfère s’exprimer à leur place.

« Dès que j’ai le foulard, les gens changent de regard. Ils pensent que je suis soumise, aliénée, forcée par mon père ou mon mari, que je suis une victime, que je viens du bled et que je suis incapable de penser par moi-même. Il faut me l’arracher pour que je devienne une femme libre ? L’Islam est un océan et tout le monde patauge dans la même flaque. »

Les paroles des membres d’Al Houda sont saisissantes et éclatantes de vérités. Ce discours dérange parce qu’il met à mal les idées reçues, les arguments des politiques sécuritaires bâties sur fond d’islamophobie et la pensée de certaines féministes occidentales qui reproduisent ici les systèmes de domination dont elles essayent pourtant de s’émanciper. Mais l’émancipation n’a pas un modèle unique :

« Les féministes institutionnelles disent qu’on vient abolir les avancées, qu’on vient pour retourner en arrière et qu’on est des dangers pour les françaises. Moi aussi je suis française et je suis sûre qu’on est d’accord sur plein de choses. Mais elles sont bloquées sur notre foulard. » Rappelons qu’Al Houda n’est pas une réunion de femmes voilées mais défend la liberté de chacune à pouvoir choisir de porter le foulard ou non.

Laïcité, attentats, stigmatisation mais aussi respect, non jugement, liberté. MADAM#1 nous rappelle que le tableau n’est jamais tout noir ou tout blanc. La complexité de la situation est mise en lumière et en voix, puis remise dans le contexte et dans la perspective du quotidien par la chercheuse doctorante en sociologie à Strasbourg et militante féministe Hanane Karimi.

Les exemples de stratégies utilisées par différents groupes de femmes musulmanes démontrent l’importance de l’auto-émancipation et la puissance de leurs capacités à agir, loin de l’image infantilisante véhiculée par les médias et politiques. Ainsi, dans les mois et années à venir, viendront s’écrire les cinq prochains chapitres du Manuel qui bruisseront au son des voix des basketteuses, des street artists, pour sûr, et peut-être des soldates, des prostituées ou encore des motardes.

 

Célian Ramis

Inspiration Riot Grrrls

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De Buenos Aires à Rennes, en passant par Olympia et Washington DC, le Jardin Moderne proposait en juin et juillet un tour d’horizon, non exhaustif, dans le féminisme underground et DIY, des années 90 à aujourd’hui.
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De Buenos Aires à Rennes, en passant par Olympia et Washington DC, le Jardin Moderne proposait en juin et juillet un tour d’horizon, non exhaustif, dans le féminisme underground et DIY, des années 90 à aujourd’hui.

Au début des années 90, Internet n’existe pas. Le grunge s’apprête à exploser mais il n’est pas encore délimité. Sur la côte Ouest des Etats-Unis, la ville d’Olympia est en pleine émanation musicale. Et les femmes sont partie prenante de la production.

« Elles vont se rendre compte que le personnel est politique, que ce qu’elles ressentent est politique, qu’elles ont envie de prendre des instruments et faire de la musique : elles s’interrogent alors sur la place des femmes dans la société underground et plus largement dans la société. », explique Manon Labry, docteure en civilisation nord-américaine, dont la thèse a porté sur les relations entre culture mainstream et sous-cultures underground, à travers l’étude du cas de la sous-culture punk-féministe.

FAIRE ENTENDRE LEURS VOIX ET LEURS IDÉES

Le 28 juin dernier, au Jardin moderne, elle racontait la naissance du mouvement Riot Grrrls. Un récit qu’elle publie en avril 2016 dans son ouvrage Riot Grrrls, chronique d’une révolution punk-féministe. Newsletters, fanzines féministes, concerts, esprit DIY, la création est en pleine ébullition. Et prend d’autant plus d’ampleur quand la scène olympienne rencontre la scène washingtonienne, « plus politique, plus organisée ».

Les musiciennes féministes de l’underground étatsunien vont révolutionner le paysage musical punk et porter des revendications encore tristement d’actualité en 2017. Les groupes emblématiques tels que Bikini Kill (qui comptabilise dans ses rangs Kathleen Hanna et Toby Vail), Bratmobile ou encore Heavens To Betsy font entendre leurs voix et dénoncent des pratiques qu’elles trouvent inacceptables.

« Les féministes s’emparent de la scène underground et produisent des choses qui n’ont encore jamais été entendues, même si le terrain avait déjà été tâté par L7 », précise Manon Labry. En effet, L7 abordait déjà la question du plaisir féminin et de la masturbation, entre autres. Pourtant, elles ne prendront pas part au mouvement.

« Pour autant, elles ont beaucoup influencé les Riot Grrrls, ont collaboré et se sont entraidées. Elles étaient, si on peut dire ça comme ça, des collègues de lutte. Les Riot Grrrls ont continué sur la lancée, en ajoutant les violences faites aux femmes, les viols, les incestes. », souligne-t-elle.

SUR LE DEVANT DE LA SCÈNE

Entre 1990 et 1995 – période sur laquelle Manon Labry focalise son récit, correspondant alors à la naissance du courant – les groupes émergent, tout comme les fanzines féministes se répandent, comme Jigsaw ou Riot Grrrls. On prône alors l’esprit DIY, l’émancipation (sans jalousie entre meufs) mais aussi le retour aux idéaux premiers du punk :

« À cette époque, on déchante un peu du punk qui se veut horizontal mais les scènes masculines sont majoritaires et les comportements machos sont pléthores. « Girls to the front » (réclamer que les femmes accèdent aux devants des scènes et faire reculer les hommes) est alors une stratégie, que Bikini Kill explique lors des concerts mais aussi sur des tracts, pour que l’espace ne soit pas dominé par des hommes. »

Le mouvement est inspirant, puissant, contagieux. Et controversé. Pas au goût de tout le monde. Elles sont régulièrement la cible des médias mainstream qui les décrédibilise, les faisant passer pour des hystériques criant dans leurs micros. Dans son ouvrage, la spécialiste détaille l’ampleur que prendra cette médiatisation de la haine, allant des menaces (de viol, de mort…) jusqu’à l’exécution de ces dernières.

Si le mouvement a disparu de sa forme originelle, il a fait des émules – comme par exemple avec l’ovni Le Tigre, groupe dans lequel on retrouve Kathleen Hanna - et a poursuivi son chemin en souterrain.

À l’instar du collectif dont les dessins, manifestes et photos étaient à découvrir au Jardin Moderne jusqu’au 31 juillet dans l’exposition « Desde Buenos Aires, Contra Ataque Femininja Mutante » mais aussi du groupe punk féministe Nanda Devi (trio rennais), « qui compte parmi les 12% du Jardin moderne », qui jouait le 28 juin, après la conférence, et portrait fièrement l’inscription « No, no, no »  (du nom d’une de leurs chansons) sur leurs t-shirt :

« Parce que c’est important de se positionner en tant que meufs et de savoir dire non ! »

Célian Ramis

À la conquête de nos libertés !

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Et si bientôt la société interdisait l’espace urbain aux femmes une fois la nuit tombée ? La réalisatrice rennaise, Pauline Goasmat, nous plonge dans un futur proche avec son court-métrage, Conquérantes.
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Et si bientôt la société interdisait l’espace urbain aux femmes une fois la nuit tombée ? La réalisatrice rennaise, Pauline Goasmat, nous plonge dans un futur proche avec son court-métrage Conquérantes – tourné au Blosne - en lice du Nikon Film Festival (mars 2017).

Le sujet est fort et terriblement d’actualité. Pas facile de l’aborder en quelques minutes. Pourtant, Pauline Goasmat, réalisatrice de fictions courtes et photographe, réussit à interpeler et questionner grâce à son court-métrage, dans lequel elle imagine, en noir et blanc, une société en devenir aux restrictions fortes.

C’est un secret pour personne, certains pays régressent en matière de droits des femmes. Pauline appelle les un-e-s et les autres à la plus haute vigilance : « Ce qui se passe avec Trump, c’est aberrant. Et ce n’est que le début. On retombe vraiment dans des schémas archaïques. » Elle regrette qu’aujourd’hui « féministe » soit devenu un gros mot et que les femmes n’osent se revendiquer comme tel.

Bien consciente des inégalités entre les hommes et les femmes, conséquence d’un patriarcat encore bien imprégné dans les mentalités, elle souhaitait depuis plusieurs années aborder la question de la condition féminine, de la lutte pour l’égalité des sexes et la problématique du harcèlement de rue.

RETOUR VERS LE FUTUR

Tandis que certaines ont traité ce dernier point sous l’angle de la révélation et la dénonciation de ce fait de société, en filmant en caméra cachée ou en proposant d’inverser les rôles, Pauline Goasmat nous projette dans un futur proche. Celui qui verra la génération d’enfants d’aujourd’hui devenir des adolescents.

Dans Conquérantes, Lila a 16 ans. Dans sa tour, à sa fenêtre, en observant une bande de filles à vélo, munies de sécateurs, défiant les zoneurs du quartier, elle trouve la force de braver l’interdit. Celui qui la prive de sortir le soir, pour aller chez sa copine de l’autre côté de la rue.

« Elles défient les hommes mais ne vont pas au combat. Je ne veux surtout pas véhiculer l’image inverse. Elles sont à vélo, ce qui est symboliquement fort, et se déplacent. Elles sont des femmes dans l’espace urbain et elles prennent leur place parce qu’elles ont leur place. Les hommes prennent la place sans problème, et ils investissent les installations publiques, les skatepark, les terrains de sport, etc. », scande la réalisatrice.

LA MAUVAISE ÉDUCATION

Dans leur éducation, les petites filles intègrent très rapidement, comme le soulignait Nicole Abar, ancienne championne de France de football, venue à Rennes le 3 mars dernier, que leur place dans les espaces publics est minime. Et une fois la nuit tombée, filles et femmes désertent bien souvent la rue, ou mettent des stratégies – dites d’évitement - en place pour rentrer chez elles, conscientes des dangers potentiels de cet espace.

« Dans Conquérantes, on est proche de l’idée d’un couvre feu pour les filles le soir. Les parents de Lila pensent la protéger. On se dit que pour préserver, il faut interdire. »
souligne Pauline Goasmat qui met alors un coup de pied dans la fourmilière.

En effet, la société préfère confiner les filles dans l’espace privé afin de se tenir à l’écart d’une potentielle agression physique, sexuelle, morale ou autre plutôt que d’éduquer les garçons et les hommes au respect.

RÉ-AGIR POUR NOS LIBERTÉS

Le déclic du scénario lui vient en lisant un article, au cours de l’été 2016, sur les Ovarian Psycos, une brigade féministe sillonnant à vélo les rues de l’Eastside Los Angeles pour lutter contre les violences faites aux femmes. Une phrase de Simone de Beauvoir résonne dans son esprit :

« N’oubliez pas qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant. »

Sans cesse l’actualité nous le rappelle. Et pour Pauline, le risque est de « glisser en douceur sans réagir ». Et c’est ce qu’elle met en scène dans son court-métrage, dans lequel la prochaine génération se réveille, tandis que la notre a laissé les discours insidieux agir sur les mentalités.

« Lila reproche à sa mère de ne pas s’être battue pour sa liberté. Aujourd’hui, certes, on n’est pas fondamentalement en danger. Mais on met beaucoup trop en avant le discours de la Manif pour tous ou des anti-IVG. En tant que femme, on met en place des stratégies quand on sort le soir, les hommes ne se posent pas autant de questions que nous. Perso, j’ai l’impression de me faire emmerder partout. On est éduquées à la peur de l’homme le soir tandis qu’on les dédouane. C’est la culture du viol. », s’exclame-t-elle.

Conquérantes est puissant et revigorant. Et découle d’un travail d’équipe qui a également investi les habitant-e-s du Blosne et les structures du quartier, comme le Triangle qui a prêté une salle pour le casting.

UNE ÉQUIPE ENGAGÉE

« J’avais participé à un projet au Blosne et j’avais envie d’impliquer les gens du quartier car il y a ici des assos et une vie de quartier dynamique. Crabe rouge a trouvé des figurant-e-s, on a tourné dans un appart ici, les gamins venaient beaucoup voir le tournage et poser des questions. Vraiment, la vie de quartier m’intéressait et puis les tours, c’est très cinématographique. », précie la réalisatrice.

L’équipe technique est 100% bretonne et les comédien-ne-s, hormis les parents, sont amateur-e-s, repérés en casting sauvage, comme la cheffe de bande rencontrée sur le campus de Villejean.

« Pour Lila, on avait mis une annonce sur Facebook. La mère de la jeune fille qui joue ce rôle m’a envoyé un message. Elle est au lycée alternatif de Saint-Nazaire et avait envie de s’impliquer dans le projet. Elle était déjà très engagée dans la lutte pour les droits des femmes. En règle générale, tout le monde l’était plus ou moins. J’ai vu une douzaine, voire une quinzaine de jeunes filles en casting et toutes se sentaient concernées. Et pour les hommes, les pousser à injurier les femmes pour les besoins des différentes scènes, leur a montré ce qui se produisait au quotidien dans la rue. », explique-t-elle.

On voudrait en voir davantage. Pauline Goasmat aussi. Voilà pourquoi elle explore actuellement la possibilité de l’adapter en long-métrage. Car le sujet concerne tout le monde et relève d’une thématique universelle dans le vécu des femmes :

« Que ce soit à nous que ça arrive ou que ce soit des copines qui racontent, on accumule des histoires de femmes jusqu’à un trop plein. Après avoir fait le film, j’ai eu l’impression de voir encore plus d’articles sur le sujet. »

Sans avoir la prétention de faire changer la société, elle se dit, à juste titre, que la fiction peut accrocher certain-e-s qui seraient passé-e-s à côté et donner envie alors de s’intéresser à cette thématique. Une thématique fondamentale à mettre sur la table pour une prise de conscience générale. Et donner la possibilité à la jeune génération d’investir ce combat pour l’égalité des sexes et le droit au respect pour tou-te-s et éviter les retours en arrière.

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