Célian Ramis
Looking for Alceste, enquête sur les misanthropes modernes


Qui sont les misanthropes d’aujourd’hui ? Ces individus qui, selon la définition, détestent et méprisent le genre humain, Nicolas Bonneau nous les raconte avec son écriture et sa singularité, entouré de deux musiciennes, Fannytastic et Juliette Divry, et en compagnie du plus fascinant des misanthropes que la langue de Molière ait connu. Et c’est au théâtre de l’Aire Libre, à St-Jacques-de-la-Lande que l’artiste a dévoilé sa nouvelle création, Looking for Alceste, les 2 et 3 mars.
De son enfance durant laquelle il jouait avec un copain dans une cabane à sa fête d’anniversaire pour ses 41 ans, en passant par sa rencontre avec Molière à l’atelier théâtre du lycée, par la chute du mur de Berlin et la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, Nicolas Bonneau tricote un spectacle puissant, aussi personnel qu’universel. Le conteur, comédien et auteur nous livre, à travers ses yeux d’enfant, d’adolescent et d’adulte quadra, un sujet qui traverse le temps et les sociétés.
Looking for Alceste, sa nouvelle création, est adaptée de l’œuvre de Molière Le Misanthrope ou l’Atrabilaire amoureux. Ça pourrait être chiant de replonger dans les classiques. Ça ne l’est pas. Car Nicolas Bonneau transpose la problématique posée par le dramaturge, dénonçant l’hypocrisie des hommes et femmes de la Cour, à notre époque actuelle, cherchant à comprendre qui sont les misanthropes modernes. Correspondent-ils encore à la définition philosophique qui en a été faite ?
Il semblerait que oui. La misanthropie survenant à la suite de désillusions profondes, et souvent violentes, de l’être humain, cet art n’est sans crainte pas en voie d’extinction. Le conteur ne se réfère pas à Platon et Socrate mais préfère moderniser la comparaison à l’amitié telle qu’elle est portée par les films de Claude Sautet, cinéaste des années 70.
« Je me méfie des petites lâchetés, des mesquineries, des manquements, des moqueries… », déclare-t-il, incarnant un personnage souvent blessé et trahi par ses ami-e-s. Mais je ne suis pas un ami irréprochable non plus. Pour mes 40 ans, j’ai décidé de prendre de la hauteur. »
À LA RECHERCHE DES ALCESTE
De là nait le misanthrope, au départ bercé d’illusions et d’espoirs en une Humanité qu’il voudrait voir blanche, la noirceur apparente le portant à la haine envers le genre humain. Bonneau, dans Looking for Alceste, ne va alors ni copier le personnage de Molière ni singer Luchini qui l’incarne et le modernise dans Alceste à bicyclette. Il part à la rencontre des personnes marginales, isolées de la société.
Tout comme dans Ali 74, le Combat du siècle, le comédien-auteur-conteur révèle sa force dans une écriture singulière, composée de tableaux et très proche du documentaire. L’artiste nous propose un sujet qui le touche et le fascine et nous embarque avec lui, nous guidant face aux divers personnages qu’il présente, que ce soit l’ancien reclus chez lui entre ses cartes, ses bouquins de philo et ses carnets intimes, l’ermite solaire et solitaire en symbiose avec la nature ou encore l’activiste investie dans la vie de la ZAD (zone à défendre) de Notre-Dame-des-Landes contre le projet d’aéroport.
Sans jugement ni leçon de morale, il raconte leurs modes de vie, leurs états d’esprit et des bribes de leurs parcours. Loin de l’image de l’être monstrueux qu’a pu attribuer la philosophie à la misanthropie, Nicolas Bonneau apporte un discours nuancé de gris dans cette vision manichéenne de la société et de l’humanité. Et on ne peut résister à dire que son spectacle est grisant.
LES FAIRE RÉSONNER
Et le créateur de Looking for Alceste ne se contente pas de nous restituer le contenu des entretiens réalisés lors de son enquête. Avec une pointe d’humour, il les met en scène, les incarne, les poétise, les met en parallèle des mots de Molière, ceux-là même qui « ont résonné en moi », qui ont rejoint « les mots que j’écrivais dans mon journal intime ».
Il crie alors son envie de liberté, d’être soi-même, d’oser être libre, en passant par le divan de la psychanalyse tout comme en s’asseyant dans un pré au cœur d’une société éphémère créée entre misanthropes qui bougent pour un monde supposé meilleur plutôt que de broyer du noir sans agir.
Pour soutenir cette structure ambitieuse et insolite, Nicolas Bonneau s’entoure de deux musiciennes : Fannytastic, au piano et au chant, et Juliette Divry, au violoncelle. Et c’est là que la création tend à s’envoler vers le grandiose. Si la presse insinuait que le conteur passait dans la cour des grands avec Ali 74, il prouve ici que son talent ne s’arrête pas à une seule pièce et se déplace dans des formes qu’il ne cesse d’inventer.
PRÉSENCES IMPOSANTES
Les deux artistes imprègnent la scène de leur présence particulière, quasi divine, emprunte d’une aura aussi envoutante qu’intrigante et angoissante. Comme une mauvaise augure. Mais aussi comme une bouffée d’air frais, une respiration chaude. Signes de la tension dramatique, elles instaurent un climat baroque sur cette nouvelle œuvre de par le talent de la violoncelliste dont les notes graves flirtent avec la voix puissante et inattendue de la chanteuse.
Fannytastic dévoile son organe vocal que l’on pourrait comparer à celui de l’auteur-compositeur-chanteur américain Tom Waits et manie aussi bien les graves que les aigues à la manière d’une poupée désarticulée et automate. Et son souffle est comme le vent qui s’engouffre doucement dans les branches des arbres peuplant une forêt mystique et mystérieuse dans laquelle règne le calme et la solitude. L’accompagnement musical des cordes frottées ou pincées par Juliette Divry renforce cette atmosphère et fait résonner le texte de Nicolas Bonneau, écrit en collaboration avec Cécile Arthus et Camille Behr, comme une exergue.
Les artistes féminines travaillent de concert avec le conteur, formant ainsi un trio indissociable et indispensable à la beauté et force de la pièce. Chaque personnage est pourvoyeur d’une dose de misanthropie, plus ou moins exacerbée. L’œuvre est éclatante de vérités et Nicolas Bonneau le souligne au commencement de sa création : « Je dis toujours la vérité mais je ne dis pas toute la vérité. »
Nicolas Bonneau et Fannytastic présenteront une version acoustique de Ali 74, le Combat du siècle, le 22 avril (Ali acoustique : spectacle d’ores et déjà complet) à l’occasion du festival Mythos, qui se déroulera du 15 au 24 avril 2016.


Le monologue et la projection vidéo se répondent et se complètent, en alternance. Emmanuelle Hiron, dans ce travail de création élaboré avec la compagnie L’Unijambiste, s’appuie sur ce qu’elle a vu, vécu, entendu et ressenti pendant une année à l’EHPAD. Que ce soit au contact des résidents, des familles et de son amie gériatre. À travers cela, elle bâti sa réflexion et surtout son questionnement autour de ces personnes, atteintes de démence, que l’on place dans des maisons de retraite et que l’on tait de nos vies et de nos esprits. Comment expliquer et comprendre le rejet de la société, qui finit par en faire un tabou alors qu’il est de notre lot commun de vieillir ?

Depuis 2009, elle a réuni des témoignages d’occidentaux ayant vécu en Palestine ou en Israël à différentes périodes, autour desquels elle ajoute des extraits de pièces de théâtre historiques en arabe (les extraits ont été traduits en français), traitant des mêmes événements. Privilégier la parole des artistes originaires des pays arabes concernés plutôt que d’orienter le discours et l’Histoire vers la pensée occidentale, c’est le parti-pris de la suissesse Adeline Rosenstein.
Décris-ravage décortique le nœud du conflit « gros de plus de cent ans », le déroule du début XIXe au début XXe, avec un regard militant sur l’Histoire et les histoires vécues dans cette partie du monde, sans toutefois enfermer le public dans un discours moralisateur, et sans porter de jugements maladroits sur les diverses communautés ou religions présentes sur ces territoires. On ressent l’ébullition intellectuelle à laquelle se confronte l’artiste qui attache de l’importance à explorer de nombreux chemins pour en découvrir sans cesse davantage et qui n’hésite pas à remplacer les points d’exclamation par des points d’interrogation, pour emprunter encore d’autres routes non explorées par les Occidentaux (ou qui n’en ont pas encore révéler les crevasses).

La performance gestuelle de Iona Kewney, femme à la fois féminine, musculaire avec un corps enfantin et sans tabou, est un coup de poing, un combat que la contorsionniste livre contre elle-même et que l’on prend en pleine face.


« La conspiration des poissons est un bon livre. Pire : « excellent », « génial », « le livre de l'année »... Pourquoi pas le livre du siècle pendant qu'on y est ? Du Proust dans un bocal, du Balzac à l'eau du robinet, du Molière en écailles... » Sur les planches du théâtre de l’ADEC ce vendredi 30 janvier, Yvan Dromer, directeur du lieu, déclame face au public la critique que l’auteur Olivier Arrighi a rédigé sur le nouveau roman de Sabine Revillet, un ouvrage qui n’a jusque-là pas été publié, ni même écrit. Et pourtant, les critiques affluent depuis des mois !
Sur la scène du théâtre de l’ADEC, Yvan Dromer met un point final à la critique d’Olivier Arrighi : « La littérature est un art comme les autres où « le regardeur fait l’œuvre ». Plus précisément : c’est le lecteur qui fait le livre. Pour preuve : il n’y aurait pas de livres sans lecteurs et plus il y a de lecteurs, plus il y a de livres. » Il ne croit pas si bien dire : durant sa résidence dans le quartier de Bourg-L’Évêque, Sabine propose aux habitants, petits et grands, de coécrire avec elle La conspiration des poissons. « Pour l’instant, il s’agit d’un texte à construire. On fait un peu les choses à l’envers mais en bout de course, tout le monde en aura écrit un petit bout ! » précise-t-elle.
En débat, dans les coulisses ce mardi 18 novembre : Juliette est-elle féministe ? « Elle refuse le mariage arrangé pour épouser un autre. Mais est-ce par là qu'on s'épanouit ? », se questionne Marjorie Blériot, membre de la Puzzle Compagnie.

Arrivés au second lieu, nous pénétrons cette fois-ci dans une maison de lotissement qui ne dénote pas de ses voisines. Après avoir monté une volée de marches, nous voici dans un salon inconnu, d'une blancheur impeccable. Pas de trace des maîtres de maison. Comme dans la laverie, une danseuse nous attend, muette. Sa performance est bien assortie au décor sobre de cet intérieur : très froide, sans musique et un peu plombante. Certains manquent de piquer du nez.
Astrid Radigue, du groupe Furie, nous attend sagement derrière son clavier sous la grange. Une odeur de vin chaud s'échappe d'une marmite et, à son invitation, nous nous précipitons pour en prendre une tasse avant que le concert ne débute.
La décision est prise : le corps médical met fin au traitement de Dora. La jeune femme, qui souffre d’un trouble mental, sort alors de sa léthargie. Elle se découvre un intérêt pour son corps et les relations sexuelles. Sans pudeur, Dora admet qu’elle aime faire l’amour, ou plutôt « baiser ». C’est alors que l’Homme délicat, un représentant en parfum, d’âge mur, l’initie à une sexualité violente et brutale. Avec pour conséquence une grossesse, un avortement et une stérilisation forcée. Une comédie tragique où l’éveil de la jeune femme se heurte à une normalité dictée et destructrice.
YEGG : Justement, on dit que vous faites plein de choses. Carole Lardoux en a cité quelques unes : comédien, auteur, metteur en scène, chanteur. Mais vous écrivez également des chansons pour les autres. Et parmi les personnes pour qui vous avez écrit, on ne trouve que des femmes. Un hasard ?