Célian Ramis

Précarité menstruelle : la couleur de la réalité

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Mais qu’est-ce qui horrifie tant quand on parle des règles ? Il semblerait que le fait de savoir qu’une femme en face de nous est en train de saigner soit perturbant. Voire dégoûtant si elle ose le dire ouvertement. « J’ai mes règles », ça glace le sang.
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Les médias en parlent beaucoup en ce moment. Quasiment depuis un an. Le concept de précarité menstruelle vise à dénoncer la charge financière qui émane de l’achat de protections périodiques et qui incombe uniquement aux personnes ayant leurs règles. La revendication est claire : l’accès gratuit pour tou-te-s à ces produits de première nécessité, et non de confort.

Mais en pointant seulement l’aspect économique, on en oublierait presque que la précarité menstruelle dépasse largement le côté pécunier qui finalement est une conséquence du tabou engendré et entretenu par le patriarcat…

Au cours du transport des kits Virilité, l’accessoire « poche de sang » a certainement dû être bien secoué… Parce que les bonhommes, ils ont le cœur bien accroché pour faire la guerre, dépecer les animaux tués à la chasse, opérer des êtres vivants, jouer à des jeux vidéos bien belliqueux ou encore pour ne pas détourner le regard pendant un épisode de Game of Thrones. Mais paradoxalement, on leur attribue la grande capacité à tourner de l’œil à la vue du sang, que ce soit pour une prise de sang ou un accouchement. Pas étonnant donc qu’ils aient un petit haut-le-cœur dès qu’on mentionne que tous les mois, nous les femmes, on saigne, phénomène créé par la non fécondation de l’ovule qui s’évacue avec une partie de notre endomètre via notre vagin, pour finir absorbé par un tampon ou une éponge, récupéré par une coupe menstruelle ou une serviette hygiénique ou encore évacué aux toilettes ou dans le bain ?! Peu importe, ça sort. C’est cyclique. Point barre. 

Mais qu’est-ce qui horrifie tant – les hommes et les femmes - quand on parle des règles ? Il semblerait que le fait de savoir qu’une femme saigne au moment même où elle se tient debout juste en face de nous à la machine à café et discute de manière tout à fait normale soit perturbant. Voire dégoûtant si elle ose le dire ouvertement. « J’ai mes règles », ça glace le sang. Cette image implicite d’un ovule non fécondé qui vient s’écraser par filets et caillots de sang dans la culotte, ça répugne… 

ZUT À LA FIN !

Ras-la-culotte de tous ces mythes oppressants autour des menstruations ! Ras-la-serviette de voir les visages se crisper quand le mot « règles » vient à être prononcé ! Ras-le-tampon de la vieille réflexion disant de se mettre aux abris pour ne pas essuyer le courroux de la harpie menstruée ! La coupe est pleine, évidemment.

Peut-être que cette soi-disant bande d’hystériques mal lunées l’est à cause des fortes douleurs ressenties avant, pendant et après ce fameux moment du cycle ou à cause des milliers d’euros dépensés pour s’acheter des produits hygiéniques imbibés pour la plupart de pesticides et de composés chimiques…

Ou tout simplement parce qu’elle a été éduquée dans la peur de la tâche et de l’odeur du sang et qu’elle a intégré depuis l’adolescence que « règles » équivaut à « impure ». Le cycle des femmes inquiète et dégoute. Nous, forcément on voit rouge et on milite pour que tout le monde se sente concerné, pas directement par nos vagins ensanglantés mais par tous les à côté.

Actuellement, nombreuses sont les publicités qui nous sollicitent au fil de la journée, sur les réseaux sociaux principalement, pour nous filer LA solution pour vivre paisiblement nos règles et sauter de joie à la première coulée… Chouette des nouvelles culottes de règles méga absorbantes ! Aussi écolos soient-elles, ça interpelle. Vivre sereinement nos règles n’est pas qu’une histoire de culotte tâchée ou pas tâchée, de vulve au sec ou à la fraiche ! Non, c’est bien plus complexe et complet que ça.

#ERROR

On touche ici à un système global de connaissance du corps des femmes et son fonctionnement cyclique. Souvent, on le connaît peu, on le connaît mal. En France, en 2016, le Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes (HCEfh) a révélé qu’une fille de 15 ans sur quatre ignore qu’elle possède un clitoris et 83% ne connaissent pas son unique fonction érogène.

On l’appelle « minou », « chatte », « zezette », « abricot », « moule », etc. On les nomme « ragnagnas », « trucs » ou carrément « les anglais débarquent ». On pense qu’au moment des règles, les femmes ratent la mayonnaise (en Argentine, c’est la crème fouettée, au japon, les sushis et en Italie, l’ensemble des plats) et sont énervées sans raison aucune pendant leur durée entière.

Si la majorité de la population a tendance à minimiser, il serait une erreur de penser que l’utilisation des termes exacts est à négliger. Pire, à penser que cela constitue un danger ! Car apprendre aux enfants que les petites filles ont entre les jambes à l’extérieur un pubis, un clitoris et une vulve et à l’intérieur, un vagin et un utérus, c’est déjà briser le tabou visant à laisser croire que là où les garçons ont un pénis bien apparent, elles n’ont « rien ».

Les premières menstruations déboulent dans la culotte, c’est la panique et l’incompréhension. Ce passage que tout le monde imagine comme un symbole de l’évolution de fille à femme peut être un véritable séisme pour qui n’y est pas préparé-e et un moment de solitude si aucun espace de parole libre et d’écoute bienveillante n’a été créé que ce soit au sein de la famille, de l’entourage et/ou de l’école.

On passe de l’innocence enfantine à la femme potentiellement active sexuellement. Sans information anatomique. On passe du « rien » à la possibilité d’avoir un enfant, et cela même sans comprendre comment notre cycle fonctionne. Et quand à cela on ajoute des complications type fortes douleurs au moment des règles pour lesquelles on nous explique qu’avoir mal, c’est normal, on apprend à souffrir en silence, à serrer la mâchoire et à redoubler d’effort pour faire taire la douleur.

Peut-être sera-t-on diagnostiquées plus tard d’une endométriose, du syndrome des ovaires polykystiques, du Syndrome PréMenstruel et même de trouble dysphorique prémenstruel. Heureusement, les combats féministes permettent de faire avancer la cause et des personnalités issues des milieux artistiques – actrices, chanteuses, etc. – témoignent de leurs vécus et des parcours chaotiques qu’elles ont enduré de nombreuses années durant afin de faire reconnaître les maladies et les conséquences physiques et psychologiques que cela inclut.

Aussi, de supers ouvrages existent pour en apprendre plus au sujet des règles comme Sang tabou de Camille Emmanuelle, Le grand mystère des règles de Jack Parker, Cycle féminin et contraceptions naturelles de Audrey Guillemaud et Kiffe ton cycle de Gaëlle Baldassari (les deux derniers étant écrit par des Rennaises – lire l’encadré).

Sans oublier le livre Les règles… Quelle aventure ! d’Elise Thiebaut et Mirion Malle à destination des préados et ados, filles et garçons. Cela participe à la découverte de soi et de l’autre, car comme le disent Elise Thiebaut et Mirion Malle à juste titre « rendre les règles invisibles, c’est rendre les femmes invisibles. »

SUR LE FIL DE L’EXPÉRIENCE

Lis Peronti est une artiste-chercheuse installée à Rennes depuis plusieurs années. Elle y a notamment fait un mémoire autour des menstruations et des performances durant lesquelles elle a laissé le sang de ses règles couler sur une robe blanche ou un pantalon (lire le focus « Menstruations : ne plus avoir honte de ses règles » - yeggmag.fr – août 2017).

Aujourd’hui, elle continue son travail de recherches et de restitution sous forme artistique, mêlant savoirs théoriques et vécus personnels, autour du sexe féminin. Quand on lui demande ce qu’est pour elle la précarité menstruelle, elle répond :

« Comme ça, je pense au prix des protections hygiéniques. J’en ai beaucoup acheté avant la cup. Mais en fait, c’est plus que ça. C’est le fait que les règles soient considérées comme dégueu, tabou, comme quelque chose à cacher. La précarité menstruelle n’est pas juste liée au prix des tampons et des serviettes mais aussi au manque d’informations qu’on a sur les règles si on ne fait pas la démarche d’aller chercher plus loin. »

Sa démarche au départ, elle le dit, n’était pas consciemment féministe. En commençant à travailler sur le sujet « de façon intuitive », elle a fait des choix pas forcément réfléchis mais qui l’ont mené à mieux comprendre le fonctionnement de son corps, de son cycle et aussi à mieux protéger sa santé. Plus tard, elle a fait des liens avec sa recherche académique :

« C’était une porte d’entrée vers toutes les études féministes et vers la connaissance de mon corps aussi. Par exemple, c’est au moment où j’ai commencé à faire une performance à chaque menstruation, performance qui était censée fonctionner selon mon cycle naturel, que j’ai arrêté la pilule pour retrouver le temps décidé par mon corps pour l’arrivée des règles, et aussi parce que j’avais entendu que la pilule provoquait des maladies. À ce moment-là, j’ai commencé à me rendre compte de quand est-ce que les règles arrivaient. Le fait de les laisser couler sur un tissu ou sur la terre m’a permis de me rendre compte de la quantité de sang versée, qui était d’ailleurs beaucoup moins importante que ce que je croyais. »

Aujourd’hui, elle connaît mieux son cycle et s’étonne d’autant plus de tous les tabous liés aux règles : « On a d’autres pertes au cours du cycle et ça ne choque personne. » Pour elle, en tout cas, le mémoire et les performances l’ont amenée à de nombreuses lectures et réflexions sur le sujet mais aussi à apprécier la beauté de la couleur du sang menstruel et de son mouvement lorsqu’il se dissout dans l’eau. Voilà pourquoi elle a choisi la coupe menstruelle, bien avant le scandale autour de la composition des tampons et des serviettes.

À ce propos, elle nous livre son opinion : « Les fabricants ont toujours su que c’était de la merde à l’intérieur mais on en parle aujourd’hui parce qu’il y a un nouveau marché à prendre. On en voit partout maintenant des culottes menstruelles, des tampons bios, des serviettes lavables, etc. C’est bien mais ce n’est pas nouveau. »

Ce que Lis Peronti retient particulièrement de tout cet apprentissage menstruel, c’est que « travailler sur les règles m’a aussi fait prendre l’habitude d’échanger sur ses sujets avec différentes personnes, que ça soit des bio ou techno femmes ou desbio ou techno hommes(termes utilisés par Beatriz Preciado dans Testo Junkie. Sexe, drogue et biopolitique). Et connaître le vécu ou l’opinion des autres est la chose la plus enrichissante dans cette recherche artistique. »

Et même sans démarche artistique, on la rejoint : échanger et partager les vécus et opinions, en prenant soin d’écouter en premier lieu les personnes concernées, est enrichissant et nécessaire à la déconstruction du tabou et des stéréotypes autant autour des règles que du genre. 

SOURCE DE SOUFFRANCES

Car ce tabou autour des règles peut être une source de violence à l’encontre de celles à qui on ne permet pas l’expression de leurs souffrances et à qui on dit que la douleur est uniquement dans leur tête. Mais aussi à l’encontre de celles qui n’osent pas l’exprimer et qui demandent, en chuchotant à l’oreille de leurs copines, si elles n’ont pas un tampon et qui le cachent ensuite dans le revers de leur manche ou encore de celles qui intègrent malgré elles un sentiment de honte et de peur.

Le silence et la méconnaissance qui règnent autour de cette thématique sont également à la base de la lenteur du diagnostic de l’endométriose, qui touche entre 1 femme sur 7 et 1 femme sur 10. Il faut en moyenne 7 ans pour diagnostiquer l’endométriose. Pourquoi ? Parce que le corps médical est mal informé, mal formé. Parce qu’une femme expliquant que tous les mois elle est handicapée par son cycle (transit perturbé, gênes urinaires, gênes ou douleurs lors des rapports sexuels, fortes douleurs utérines, incapacité à marcher au moment des règles, etc.) ne sera pas réellement écoutée et prise en charge, encore aujourd’hui, en 2019.

L’alliance des charges symboliques, émotionnelles et physiques qui s’ajoutent et s’imbriquent provoque une première forme de précarité, dans le sens de fragilité, contre laquelle les femmes luttent, bien conscientes qu’au premier signe de « faiblesse », elles seront renvoyées à la thèse essentialiste, c’est-à-dire à leur prétendue nature et fonction première : celle d’enfanter et de s’occuper du foyer.

Aujourd’hui, et cela est d’autant plus vrai avec le développement de l’image (fausse) de la Wonder Woman, une femme doit pouvoir affronter sans ciller et sans transpirer une double, voire une triple journée. La charge mentale s’accumule et pourtant, elle reste toujours suspectée de ne pas pouvoir y parvenir. De ne pas être assez forte, de ne pas pouvoir garder son sang froid et de ne pas avoir les épaules assez solides.

Alors, en plus des taches domestiques et de son travail, elle doit aussi penser à la contraception et aux protections hygiéniques, sans oublier les multiples remèdes de grand-mère ou les médicaments à prendre en cas de douleurs.

LES INÉGALITÉS SE CREUSENT

« Le tabou des règles est l’un des stéréotypes sexistes qui affecte la quasi-totalité des filles et des femmes dans le monde. », signale l’ONG internationale CARE. Si la majorité des femmes éprouvent de la honte concernant leurs règles, il existe aussi une partie de la population féminine touchée par l’isolement social, voire l’exil menstruel.

Au Népal, notamment, avec la pratique du chhapaudi, un rituel pourtant interdit visant à exiler les femmes du domicile familial pendant leurs règles, une brutalité à laquelle elles sont confrontées en raison de leurs menstruations encore pensées comme signe d’impureté et source de malheurs.

Selon les pays, les croyances diffèrent : dans certains coins d’Amérique du Sud, on pensera que côtoyer des femmes réglées peut provoquer des maladies, tandis qu’ailleurs, on pensera que le sang qui souille la terre la rend stérile. Elles seront alors tenues à l’écart de leur maison mais aussi de leur travail si celui-ci par exemple consiste à la culture et aux récoltes dans les champs. Dans la religion juive également, l’exil menstruel peut être appliqué, un rituel sera alors à suivre pour réintégrer le foyer. Afin de se laver et de redevenir pure.

Au-delà de la précarité sociale imposée par cette exclusion et de l’humiliation engendrée par celle-ci – et des morts fréquentes des exilées asphyxiées par les fumées du feu qu’elles ont allumé pour se réchauffer, mordues par des serpents, agressées, etc. – leur quotidien est affecté depuis très longtemps.

Ce n’est que depuis le 2 janvier que des femmes ont pu se rendre dans le temple d’Ayyappa à Sabarimala (dans la région du Kerala en Inde), après que la Cour suprême indienne ait levé l’interdiction, pour les femmes menstruées, d’accéder aux lieux sacrés hindous. Malgré tout, elles n’ont pas pu franchir les marches du temple, obligées d’emprunter l’entrée du personnel pour se protéger des réactions hostiles de certains croyants. 

ISOLEMENT ET DÉSCOLARISATION

Malheureusement, en Inde, la population féminine est habituée dès le plus jeune âge à être rejetée à cause des règles, comme le montre le documentaire Les règles de notre liberté (en anglais Period. End of sentence) diffusé en France, en février 2019, sur Netflix.

Dans le village de Kathikhera, située en zone rurale, avoir ses menstruations est véritablement synonyme de précarité. Ce qui apparaît dans les silences filmés par la réalisatrice Rayka Zehtabchi lorsque le mot « règles » est prononcé. Les femmes du village n’ont pas accès aux protections hygiéniques, trop chères, qu’elles ne connaissent que de « réputation », comme une légende urbaine.

Elles, elles se tapissent le fond des sous-vêtements avec du papier journal ou des tissus usagés. Comme le font en France les femmes SDF, les détenues n’ayant pas l’argent nécessaire pour cantiner ou encore les personnes les plus précaires, étudiantes comprises dans le lot.

Selon l’ONG Care, elles sont environ 500 millions de filles et de femmes dans le monde à ne pas avoir accès aux protections hygiéniques. Autre problématique mondiale qui en découle : la déscolarisation des jeunes filles. En Afrique, 1 fille sur 10 manque l’école lors de ses menstruations.

En Inde, 23 millions de filles arrêtent l’école à cause de leurs règles. Soit par manque d’accès aux produits d’hygiène, soit parce que les toilettes ne sont pas séparées dans les établissements. Dans tous les cas, la honte l’emporte. 

Les femmes de tous les pays ne vivent pas à la même échelle le même degré d’exclusion face aux stéréotypes et au tabou des règles. Si on revient à notre propre plan national, on ne peut pas parler de déscolarisation des jeunes filles mais certaines ont des absences répétées au fil de leur cursus justifiées par le début de leur cycle, que ce soit à cause des complications physiques – nausées, douleurs, diarrhées, fatigue… - ou en raison de l’hygiène.

Mais aussi de cette fameuse peur qui rend les adolescentes « indisposées » pendant les cours de natation. On voit aussi dans l’Hexagone une certaine réticence à réfléchir à la mise en place du congé menstruel, comme cela s’applique dans d’autres pays, comme l’Italie ou le Japon. Parce qu’on craint des abus, nous répond-on régulièrement.

En clair, des abus de la part des femmes qui profiteraient de l’occasion pour prendre des jours de congé alors qu’elles n’ont pas leurs règles ou qu’elles n’ont aucune difficulté avec celles-ci. Certainement un abus justifié par une soudaine envie de faire les boutiques... C’est croire en la frivolité des femmes et en un manque de cadre législatif qui viendrait entourer la loi.

C’est surtout ne pas considérer que les règles puissent entrainer de vraies difficultés et constituer un handicap dans le quotidien d’une partie des femmes dont on profit e qu’elles ont intégré le risque de précarité dans laquelle cela les mettrait si elles se permettaient des absences répétées au travail, aussi justifiées soient-elles.

LA SITUATION DES FEMMES EN GRANDE PRÉCARITÉ

Parler des règles, montrer un vêtement tâché par les menstruations, ça choque. Là où une porte s’ouvre en direction de la prise de conscience, c’est sur l’accès aux protections hygiéniques pour les plus démuni-e-s. Et elle ne s’opère pas en un claquement de doigts.

Il a fallu le concours de plusieurs actions, notamment associatives et médiatiques, et un film grand public Les invisibles de Louis-Julien Petit (lire notre critique dans YEGG#77 – Février 2019) pour que l’on commence à ouvrir les yeux sur une réalité jusqu’ici très peu prise en compte.

Une réalité que relate le sondage IFOP publié le 19 mars dernier et réalisé pour Dons solidaires : 8% des Françaises, soit 1,7 million de femmes, ne disposent pas suffisamment de protections hygiéniques et 39% des femmes bénéficiaires d’associations sont concernées.

Conséquence : 1 femme sur 3 (sur ce pourcentage) « ne change pas suffisamment de protection ou à recours à l’utilisation de protections de fortune. », souligne le communiqué. Là encore, on recroise la précarité sociale puisque, selon le sondage toujours, 17% des femmes en grande précarité renoncent à sortir à l’extérieur durant la période des règles et se retrouvent parfois en incapacité de se rendre à un entretien d’embauche ou un rendez-vous professionnel, par manque de protections hygiéniques. Un fait que l’on sait dangereux pour la santé et propice au Syndrome du Choc Toxique. 

Trop souvent, on oublie les exclues du débat dont font parties les détenues et les femmes SDF. Elles ont rarement voix au chapitre parce que par confort, on oublie celles qui n’en disposent pas et parce qu’elles pâtissent d’une image stéréotypée due à leur condition. Et pourtant, elles aussi ont leurs règles, et elles aussi ont le droit à la dignité.

Le 19 mars, L’Obs et Rue89 révèlent la précarité sanitaire que subissent les femmes incarcérées qui selon les établissements disposent de protections périodiques de mauvaise qualité souvent à des prix trop élevés, particulièrement pour celles qui ne cantinent pas.

« De nombreuses détenues utilisaient des tissus, des draps ou encore des serviettes de bain qu’elles mettaient dans leurs culottes », témoigne une ancienne détenue tandis que d’autres fabriquent des coupes menstruelles artisanales : « Elles utilisent une bouteille en plastique qu’elles découpent afin de n’en garder que la partie supérieure. Pour éviter de s’arracher les parois internes, la cup de fortune doit être lissée contre un mur. »

Le système débrouille côtoie alors le facteur risque sanitaire. Et s’applique également aux femmes SDF. Corinne Masiero, comédienne dans Les invisibles notamment, a vécu elle aussi dans la rue et dit au média Brut :

« Tout est dix fois plus problématique quand t’es une gonzesse, dix fois plus. Un truc tout con : quand t’as tes règles et que t’as pas de quoi t’acheter des trucs, alors tu vas chouraver des serviettes, des machins et tout. Mais des fois t’as pas eu le temps ou t’as pas pu, comment tu fais ? Tu te mets des journaux, des machins… on en parle jamais de ça. Pourquoi ces trucs là, c’est pas remboursé par la Sécu par exemple ? » 

AGIR POUR LES AIDER

Lors de notre reportage au Salon bien-être solidaire fin novembre à Vitré, organisé par l’association brétillienne Bulles Solidaires, Anaëlle Giraurdeau, alors stagiaire au sein de la structure, expliquait que l’impact de la sensibilisation des passantes à ce propos était important lors des collectes effectuées à l’entrée des supermarchés.

La majorité de la société ne réalise pas qu’être une femme dormant à la rue signifie également ne pas avoir de quoi s’acheter des protections hygiéniques. D’où la mobilisation de Bulles Solidaires, créée en septembre 2017 par Laure-Anna Galeandro-Diamant afin de récolter des échantillons et produits d’hygiène corporelle (non entamés et non périmés) pour tou-te-s lors de collectes, via le bouche à oreille, le démarcharge des pharmacies, instituts de beauté et hôtels ou encore grâce aux points de collecte disposés dans certains magasins du centre ville, à l’Ecole des Hautes Etudes de la Santé Publique de Rennes, ou encore dans des commerces vitréens.

Ces produits sont ensuite redistribués aux occupant-e-s des établissements avec lesquels l’association travaille comme le Secours populaire, le foyer Saint Benoit de Labbre à Rennes, Le Puzzle, etc. Mais aussi à l’occasion des maraudes organisées dans la ville. Collecter serviettes, tampons et coupes menstruelles est alors essentiel pour les femmes en grande précarité car à l’heure actuelle, les associations venant en aide aux personnes sans abris sont principalement spécifiques à la question du logement et à celle de l’alimentation.

Bulles Solidaires réalise donc une mission particulière sur un terrain presque vierge à ce niveau-là, à l’échelle locale, et n’en oublie pas les besoins des femmes. Sur le plan national, Règles élémentaires est la première association depuis 2015 à collecter des produits d’hygiène intime à destination des femmes sans abris et mal logées. Initiée par Tara Heuzé-Sarmini, la structure a réussi à organiser plus de 150 collectes en France et à redistribuer plus de 200 000 tampons et serviettes à plus de 20 000 femmes bénéficiaires.

La dynamique crée des émules. Le 16 mai prochain, une soirée autour de la précarité menstruelle est organisée à Askoria, à Rennes, par Aux règles citoyen-ne-s, un collectif de travailleurs-euses sociaux en formation dans l’école.

« Les femmes en situation de précarité sont les premières victimes. Elles sont déjà vulnérables et en plus, elles doivent se cacher à cause des tâches et c’est très difficile d’aller demander une protection hygiénique à quelqu’un dans la rue, c’est tellement tabou dans notre société actuelle… »
signale les membres du collectif.

En creusant le sujet, ielles ont l’idée d’une collecte mais rapidement se pose la question de la forme : « Une collecte c’est bien mais si en plus on peut sensibiliser autour de ça, c’est mieux ! On a donc fixé le prix de la soirée à une boite de tampons ou de serviettes qui seront ensuite données à Bulles Solidaires. »

Si le collectif souhaite provoquer des rencontres, des échanges et des débats entre professionnel-le-s du secteur social, futur-e-s professionnel-le-s, associations féministes (ou pas), il tient à ce que le grand public, hommes comme femmes donc, soit convié, intéressé et concerné. Ainsi, le débat sera précédé de la diffusion du film Les invisiblespour faire le pont avec la précarité menstruelle, un sujet large qui touche un grand nombre de femmes.

RENDRE LES PROTECTIONS HYGIÉNIQUES ACCESSIBLES

Et parmi les plus impactées, on trouve également la population étudiante dont les revenus sont souvent faibles voire inexistants. Pour une boite de tampons ou de serviettes, il faut compter entre 3 et 8 euros. Pendant une période de règles, les femmes peuvent utiliser les deux sortes de protection, pour ne pas dormir avec un tampon ou une coupe menstruelle, et ainsi réduire le risque d’infection.

Aussi, il faudra certainement prévoir l’achat de boites d’anti-inflammatoires ou autres médicaments, l’investissement dans une bouillote, etc. Et rien dans la liste ne peut être répertorié comme produit de confort. C’est pourquoi en janvier, l’université de Lille, sur les conseils de Sandrine Rousseau, fondatrice de l’association Parler, ancienne élue EELV et actuellement professeure d’économie à la fac, a décidé au début de l’année 2019 de distribuer gratuitement 30 000 kits de protections hygiéniques, contenant tampons, serviettes et coupes menstruelles réutilisables.

Une idée qui a été inspirée par le modèle écossais. En effet, le pays qui avait déjà investi pour lutter contre la « period poverty » auprès des femmes en grande précarité réitère son action auprès des étudiantes à présent, en levant 5,7 millions d’euros afin de fournir aux 395 000 élèves d’Ecosse des protections hygiéniques gratuites. Dans les écoles, collèges et universités sont, depuis la rentrée scolaire, accessibles tampons, serviettes, serviettes lavables et coupes menstruelles.

La réforme crée des émules là encore puisque début mars, la newsletter pour adolescentes « Les petites Glo » - la petite sœur des « Glorieuses » – lançait le mouvement #StopPrécaritéMenstruelle afin de demander la gratuité des protections hygiéniques dans tous les établissements scolaires français. 

Johanna Courtel est étudiante à l’université Rennes 2. Début avril, son projet de protections périodiques en accès libre – co-piloté avec une autre étudiante – figurait parmi les 10 lauréats qui seront financés par le budget participatif de la faculté.

« Il existait déjà un projet de l’Armée de Dumbledore, une organisation politique de Rennes 2, pour installer 3 distributeurs de protections hygiéniques. C’est bien mais c’était limité. Là, l’idée est d’installer des meubles avec des tampons, des serviettes, des cups, en libre accès. Et que les produits soient le moins toxiques possible. On veut privilégier le bio et la qualité, des produits respectueux pour nous et pour la nature. », explique-t-elle, précisant qu’elle ne connaît pas encore la date de mise en fonction des installations et du premier ravitaillement.

« Peut-être que beaucoup vont hésiter à en prendre au début mais l’objectif est vraiment que les personnes s’habituent à ce que ce soit gratuit. À ce que ce soit normal que ce soit gratuit,poursuit-elle. En tant que femmes, depuis qu’on a nos règles, on sait que c’est la galère. Dès la naissance, on sait qu’on va être précaires. En plus de ça, on doit payer plus de choses avec un moindre salaire… Etudiante, je me suis déjà retrouvée à la fin du mois avec du sopalin dans la culotte car j’ai préféré m’acheter à manger qu’acheter des protections. » 

UNE BATAILLE À POURSUIVRE

Mais avant même d’être contrainte à tester le « dépannage menstruel » que de nombreuses femmes connaissent au cours de leur vie, Johanna Courtel avait déjà conscience de la problématique, notamment grâce à la campagne médiatisée du collectif Georgette Sand qui a ardemment lutté contre la taxe tampon et obtenu gain de cause en décembre 2015 lorsque l’Assemblée nationale a voté l’abaissement de la taxe de 20% à 5,5%, reclassant ainsi les protections hygiéniques injustement qualifiées de « produits de luxe » à la catégorie « produits de première nécessité ».

Bonne nouvelle donc ! Pas tant que ça en fait, indique le collectif Georgette Sand dans un article paru dans Ouest France : « Malheureusement, l’abaissement de la TVA n’a pas été répercuté sur les produits des grandes marques. Maintenant que nous avons pu constater que la baisse de la TVA n’est qu’un cadeau pour les marques qui leur permet d’augmenter leurs marges sans faire monter leurs prix, nous avons conscience que cette taxe n’est plus la question. Il faut prendre conscience que le sujet est une question de santé publique. Des décisions comme celle prise par la LMDE d’allouer une somme de son forfait étudiant au remboursement des protections hygiéniques est un progrès que nous saluons. »

Dans le fait que la parole se libère petit à petit et que les exemples d’actions concrètes se développent, l’étudiante rennaise y sent le vent tourner et saisit l’occasion du budget participatif pour apporter sa pierre à l’édifice. Pour elle, le vote des étudiant-e-s en faveur de son projet marque l’importance de répondre désormais à un besoin bien réel de lutte contre la précarité.

Tout comme sur le campus, on trouve une épicerie solidaire, on trouvera prochainement des protections périodiques en libre service : « C’était important aussi de ne pas mettre un moment spécifique durant lequel les gens viennent se servir. Parce qu’en faisant ça, je pense que plus de gens vont s’autoriser à en prendre alors que si ça se faisait devant tout le monde pendant une permanence, beaucoup de personnes n’oseraient pas. Et quand on a pas une bonne protection hygiénique ou qu’on a oublié d’en prendre d’autres, on n’est pas à l’aise, on est moins aptes à écouter, à se concentrer. On pourrait parfaitement ne pas être dans cet état si justement on savait que, même si on oublie d’en mettre dans son sac ou qu’on n’a pas les moyens d’en acheter, on va pouvoir en trouver sur place. Dans les toilettes par exemple, pour que ce soit un lieu plus intime. »

L’ESPACE PUBLIC, ENCORE ET TOUJOURS GENRÉ…

Les toilettes, c’est encore un autre sujet dans le sujet. Mais là, on ne parle plus de l’université mais de l’espace public. À Rennes, tandis que la municipalité installe des urinoirs en forme de kiwi, de pastèque et autres fruits pour que ces messieurs arrêtent de pisser où bon leur semble lors des soirées arrosées du jeudi au samedi, personne ne s’inquiète du devenir de nos abricots qui marinent dans la sauce airelles chaque jour de nos règles.

Et ça ne me passe pas inaperçu dans les médias, avec en tête de fil le site Alter1fo qui par deux fois interpelle sur la question. En janvier, d’abord, on peut lire l’article « Précarité menstruelle : Rennes manque une occasion de « régler » la question » dans lequel le rédacteur Politistution dévoile qu’un projet concernant l’augmentation du nombre de toilettes pour femmes n’a pas pu être mis au vote du budget participatif de la ville car entre autre « la ville de Rennes dispose déjà de sanitaires publiques et aucun emplacement n’a pu être trouvé pour en construire de nouvelles. »

Il revient dessus en mai se saisissant de l’actualité chaude des urinoirs mobiles pour souligner, à juste titre, qu’il s’agit là encore d’un privilège de mâles. Il conclut son article :

« Les toilettes publiques restent finalement révélateurs des inégalités entre les sexes et ne doivent pas accentuer l’hégémonie masculine dans la ville. »

De par cette phrase, il pointe une nouvelle problématique qui enfonce encore davantage les femmes dans la précarité menstruelle. Les villes pensées par et pour les hommes permettant uniquement aux femmes de se déplacer dans l’espace public mais pas de l’occuper comme les hommes le font.

Encore moins quand elles ont leurs règles et qu’elles n’ont pas d’autres choix pour changer leurs protections que d’aller dans un bar ou rentrer chez elle, si leur domicile n’est pas trop éloigné. Alors des urinoirs en forme de fruits, c’est bien joli mais c’est quand même discriminatoire, même si on est équipé-e-s d’un pisse-debout, c’est ce que développe Virginie Enée, journaliste pour Ouest France, dans son billet d’humeur daté du 6 mai :

« Alors oui, une cabine de toilette mixte ne coûte certainement pas le même prix. Probablement que cela prend plus de place dans l’espace public et que c’est moins ludique qu’un urinoir déguisé en pastèque ou en kiwi. Mais justifier une inégalité par l’incivilité de certains, c’est ni plus ni moins qu’une discrimination. Réclamons des cabines de toilettes publiques dans une citrouille, type carrosse de Cendrillon. (Sinon nous aussi, on se soulagera sur ses roues.) »

LES TOILES D’ARAIGNÉE, C’EST SALE… 

De nombreux facteurs convergent, créant ainsi une précarité menstruelle qui pourrait s’apparenter à une toile d’araignée, tissée autour du tabou des règles pour coincer les femmes dans leur émancipation. Comme le souligne Lis Peronti, les règles ne sont qu’une partie du cycle, et non l’entièreté et surtout pas la fin comme on vise souvent à le penser. Bien au contraire même puisqu’en réalité l’arrivée des règles marque le début du cycle.

Elles ne sont pas donc pas synonymes de la fin, dans le sens de l’échec de la femme dans son soi-disant rôle premier et majeur de procréatrice, mais le début, le renouveau, l’instant de tous les possibles. La possibilité de choisir son mode de vie, son mode de contraception, son corps.

De plus en plus de comptes, comme Dans Ma culotte, SPM ta mère ou encore Mes règles et moi, se créent sur les réseaux sociaux, utilisant la toile non pour nous coller à une matière et se faire dévorer ensuite mais pour dénoncer la précarité menstruelle, briser le tabou et dévoiler la couleur de la réalité, parce que non ce qui coule dans nos culottes n’est pas bleu comme le montre la publicité, mais bel et bien rouge.

Montrer le sang - comme l’a fait la youtubeuse Shera Kirienski en posant en pantalon blanc tâché et comme l’a fait auparavant Lis Peronti - participe à ne plus cautionner les mythes et les mensonges qui entretiennent la précarité menstruelle dans sa globalité. Les initiatives fleurissent. Au Canada, par exemple, au musée de Kitchener, en Ontario, a dévoilé l’exposition Flow pour démystifier les règles et aider les femmes qui se sentent stigmatisées à cause de ça à s’émanciper.

Sinon, sans prendre l’avion plusieurs heures durant, on peut de chez nous, en toute intimité si on a honte (en espérant ensuite qu’on aura le courage d’en parler avec d’autres, au café, puis dans le bus, puis au milieu d’une foule ou mieux, à table) regarder le super documentaire d’Angèle Marrey, Justine Courtot et Myriam Attia, 28 jours, disponible sur YouTube.

Ou encore on peut participer à la campagne Ulule de financement participatif afin d’aider Leslye Granaud pour la réalisation et diffusion de son documentaire SPM ta mèrequi interroge hommes et femmes sur leur rapport aux menstruations. 

Mise en garde (qui arrive bien trop tard, tant pis) : après tout ça, vous ne penserez plus que les règles, c’est dégueu et vous prônerez le choix pour toutes les femmes d’en parler librement ou de garder ça pour elles. Car si cela ne doit pas virer à l’injonction au témoignage, il est urgent de se libérer des sentiments de honte et d’humiliation qui entourent toutes les personnes ayant leurs règles.

De garantir l’accès aux protections hygiéniques à toutes les personnes ayant leurs règles, sans conditions. D’apprendre à toutes les filles et à tous les garçons l’anatomie des un-e-s des autres et d’ouvrir la voix aux personnes désireuses de connaître davantage leur cycle que l’écoféminisme met en parallèle du cycle de la Nature. Mais ça, c’est un autre sujet. Et c’est pour bientôt.

 

 

Tab title: 
Les règles de la précarité
La précarité menstruelle : pas qu'une affaire de femmes
Aimer son cycle, c'est possible ?
Alerte : vulves et vagin pollué-e-s

Célian Ramis

Lutte contre l'excision : la démarche inspirante d'ACZA

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Fille et petit fille de matrone – appelée aussi exciseuse – Martha Diomandé, fondatrice de l’association rennaise ACZA, lutte depuis plusieurs années contre l’excision dans son village natal, en Côte d’Ivoire mais également aux alentours.
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Fille et petit fille de matrone – appelée aussi exciseuse – Martha Diomandé, fondatrice de l’association rennaise ACZA, lutte depuis plusieurs années contre l’excision dans son village natal, en Côte d’Ivoire mais également aux alentours. Le 20 mars, à la Maison Internationale de Rennes, la militante expliquait la démarche de la structure et les avancées engendrées par leur travail, respectueux des individus et des traditions. 

Pour que l’excision s’arrête, il faut respecter les traditions. Cela peut paraître contradictoire mais pas du tout. Martha Diomandé en est convaincue. « L’excision, c’est quoi ? Bon, on le sait, c’est l’ablation du clitoris. Mais au-delà de ça, c’est quoi ? Chez moi, c’est le passage de l’enfance à l’âge adulte. Mais ailleurs, ça peut être un acte de bravoure. Il y a plusieurs significations. On ne peut donc pas généraliser et chaque peuple sait pourquoi il le fait. Ça, l’Occident doit en prendre compte et l’accepter. D’où on vient, la lutte ne fait que commencer. », souligne-t-elle. 

Ce qu’elle pointe ici, c’est qu’il est impossible de débarquer dans un village imprégné des traditions dont fait partie l’excision et d’interdire cette pratique. La loi existe déjà depuis plus de 20 ans et pourtant, l’excision est encore pratiquée.

« Au début, c’était difficile pour moi. En parler comme un crime, c’était enlever une partie de moi. Il fallait déjà que j’aille dans mon pays pour voir l’impact de l’excision dans la société. J’ai découvert que dans ma région, l’excision était faite à 100% alors que c’est interdit dans le pays. On était encore au stade 0 et le tabou était réel dans ces villages-là. », se souvient Martha Diomandé. 

EXPLIQUER LA DÉMARCHE, SANS BRUSQUER

Son village, elle l’a quitté âgée de 7 ans. Excisée, elle ne se sent pas ni se considère comme une victime. Son objectif est clair : que la pratique de l’excision s’arrête complètement. Sans user de discours agressif ou haineux. Elle tient à respecter les individus et les traditions :

« L’idée était vraiment de créer une association pour repartir de 0 avec tout le monde. Les premières années, nous n’avons pas parlé d’excision. Nous sommes allées au village, nous avons demandé, sur la tombe de ma grand-mère, son autorisation pour mener ce travail. On a rassemblé les femmes pour travailler ensemble mais pas autour de l’excision dans un premier temps. »

D’abord, l’association ACZA a rencontré les chefs de village. Pour expliquer la démarche et obtenir la permission. Le feu vert a donc été donné par les hommes également, que Martha définit comme complémentaires des femmes.

Ensuite, les rassemblements de femmes ont visé la valorisation de leurs connaissances et savoir-faire. Parce qu’il est inenvisageable d’interdire l’excision sans proposer des solutions alternatives. Des solutions qui doivent venir d’elles et non être imposées par les Occidentales/taux.

« Si on veut toucher les matrones, il faut réfléchir à un projet qui les valorise sinon elles n’arrêteront pas. Elles ne peuvent pas perdre leurs connaissances et leur notoriété. Moi, je suis née au village grâce aux matrones. Elles sont donc, pour certaines, accoucheuses. La majorité d’entre elles pratique les accouchements. On peut donc leur faire une formation. Pas pour qu’elles deviennent sages-femmes comme ici. Pas pour leur apprendre un enseignement académique. Juste pour compléter leurs savoir-faire et pour valoriser leurs connaissances. », souligne la fondatrice de l’association. 

VALORISER LES CONNAISSANCES ET COMPÉTENCES

Dans ces temps de formation, elle et son équipe y voient une aubaine pour parler de la transmission. Entre femmes, elles peuvent parler librement. Petit à petit, le lien de confiance se crée et se renforce. Parce que la démarche d’ACZA se distingue de la démarche coloniale à laquelle elles ont l’habitude d’être confrontées.

Ce sont des moments pendant lesquels on leur explique, sans les juger, que les excisions peuvent provoquer, plus tard, des accouchements difficiles, et même, parce qu’elles ne nettoient le couteau qu’après la 7eou 8efille excisée, la transmission du VIH, si l’une d’entre elles est contaminée.

« C’est à nous de créer des stratégies pour qu’elles nous écoutent sans être frustrées. Elles n’ont pas besoin de nous, elles n’ont pas demandé à ce que l’on vienne. Le premier projet pilier a fonctionné avec les matrones. On a pu sensibiliser, sans heurter. Il faut analyser le sens de l’excision sur le territoire concerné et adapter le projet. », indique Martha. 

Une fois formées, les matrones ont donc eu besoin d’un lieu. L’association ACZA a impulsé la construction d’une Maison des femmes, inaugurée en 2016 à Kabakouma. Un espace pour sensibiliser, faire des réunions, valoriser les plantes que les matrones connaissent si bien. Mais aussi pour pratiquer des accouchements à moindre coût :

« À l’hôpital, c’est 10 000 francs. Les femmes qui vivent en milieu rural n’ont pas les moyens d’accoucher là-bas. À la Maison des femmes, c’est 4000 francs dispatchés : 1500 pour la matrone, 500 pour l’association et les 2000 restants partagés entre les femmes ayant assisté la matrone. »

Soixante enfants sont nés dans la Maison des femmes et le premier baptême a été célébré : « C’est un premier pas vers le passage à l’âge adulte. Pour garder la tradition, tout en enlevant l’étape de l’excision qui arrive plus tard dans la vie des jeunes filles. Et là ce sont les matrones qui s’en occupent. Trois mois après la naissance, les bébés vont dans leur case pour une cérémonie de bénédiction. Il faut que les matrones soient importantes à tout moment de la vie de l’enfant, sans passer par l’excision. »

UNE LUTTE LENTE QUI PROGRESSE

Toutes les matrones n’ont pas cessé la pratique de l’excision mais l’association ACZA progresse doucement vers son objectif initial, bien consciente que la lutte prendra du temps. Une deuxième Maison des femmes verra bientôt le jour à Mangouin, la construction étant quasiment achevée.

« C’est allé très vite pour la deuxième, c’est là qu’on voit qu’on travaille dans cette région depuis longtemps. Les chefs de village portaient les t-shirts de l’association « Non à l’excision ». Le projet est arrivé à un niveau très important, il y a un vrai échange, un vrai dialogue et beaucoup beaucoup de progrès aussi au niveau des formations. », s’enthousiasme Martha Diomandé. 

En 1h30 à peine, elle n’a pas le temps de parler du projet dans tous ses détails et ramifications. Mais dans sa globalité, oui. Dans sa philosophie et dans son apport au quotidien. Parce qu’au projet de parrainage, quatre villages ont adhéré et 100 enfants sont aujourd’hui équipés d’une tenue d’école « Non à l’excision », d’un kit scolaire complet et peuvent désormais être scolarisés parce que l’association prend en charge les frais d’inscription.

C’est un échange de bon procédé. La famille accepte de ne pas exciser la jeune fille, l’association lui permet grâce à l’aide financière d’avoir accès à l’éducation scolaire.

« On ne veut pas vérifier si la jeune fille se fait malgré tout exciser. Car s’il n’y a pas de confiance, ça ne marche pas. Là-bas, si c’est non, c’est non. Si c’est oui, c’est oui. Et on parraine déjà des enfants de 4 villages. Il y a même un directeur qui nous demande de construire une cantine tellement on a scolarisé de jeunes filles. Ce sont des avancées énormes ! Ça veut dire qu’il y a maintenant une nouvelle génération qui grandit au village sans être excisée. Et cette génération ne fera donc pas excisée la suivante. Avec mes tantes, mes copines, on est excisées, on se raconte des histoires communes. Mais cette génération nouvelle, ces histoires-là, elle ne les vivra pas, elle les apprendra à l’école. Les choses avancent, le tabou est en train de se briser mais on garde la tradition. », précise Martha Diomandé, passionnée et passionnante. 

ET POUR LES FEMMES EXCISÉES ?

En plus des nombreux voyages que la structure fait jusqu’au village en Côte d’Ivoire – trois fois par an parce que « sinon, ça n’avance pas, il faut travailler tout le temps, tout le temps, tout le temps » - l’association ACZA développe de nombreuses stratégies permettant d’atteindre l’objectif de l’arrêt complet et définitif de l’excision. Et met également en place une plateforme pour écouter et conseiller les personnes ayant des questions à ce sujet. 

Chaque semaine, le mercredi après-midi, se tient une permanence à l’Espace des 2 rives à Rennes. Les personnes - des femmes et des familles originaires de partout - peuvent être orientées par des avocats, la Cimade, le MRAP, l’UAIR ou venir par elles-mêmes. Pour un soutien psychologique, un accompagnement dans la demande d’asile ou la protection des filles et femmes exposées à un risque d’excision.

Il arrive aussi qu’elles viennent à la permanence, à Rennes, ou qu’elles appellent quand elles ne sont pas en France, pour une démarche de reconstruction du clitoris. Pour Martha Diomandé, difficile d’entrevoir cette solution comme « une solution miracle ». Pour elle, ce qui est préférable dans un premier temps, c’est de connaître son corps.

Elle insiste sur ce point : « Moi, je ne veux pas me faire réparer car j’ai appris à connaître mon corps et j’ai mon plaisir donc je ne vois pas pourquoi je le ferais. Il faut aussi prévenir celles qui veulent le faire qu’on peut en souffrir physiquement et mentalement de cette reconstruction. La réparation, c’est une solution mais ce n’est pas la seule solution et ce n’est pas pour toutes les femmes. Il faut donner le choix aux femmes et que ce soit une vraie réflexion. »

Grâce à l’annuelle élection de Miss Africa, organisée à Rennes en novembre, ACZA sensibilise le grand public autour de cette thématique et récolte des fonds qui serviront à payer des reconstructions du clitoris à des femmes qui désirent profondément avoir accès à cette opération.

« J’ai reçu le témoignage d’une femme qui a fait un énorme blocage lorsqu’à son accouchement, ils ont découvert qu’elle était excisée. Elle a fait un blocage parce qu’elle a eu honte de son corps. Tellement elle a fait un blocage, son mari va voir ailleurs et lui dit. C’est pour ça qu’elle veut un clitoris. On va lui payer la réparation. », conclut Martha Diomandé. 

Loin d’une démarche colonisatrice, encore présente dans bon nombre d’ONG et de missions humanitaires, l’action et la réflexion que développe l’association ACZA sont inspirantes et bienveillantes et font comprendre que la lutte contre l’excision concerne tout le monde.

 

Célian Ramis

Corps en souffrance : Les forces de la liberté

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Les manières de se réapproprier son corps sont aussi nombreuses que les souffrances que l’on peut endurer en tant que femmes. Comment la reconstruction trouve-t-elle soutien et force dans l'énergie d'un collectif non mixte ?
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Du 5 au 29 mars, la Ville de Rennes met l’accent sur les luttes passées, actuelles et à venir en matière de droits des femmes, en vue de l’égalité entre les femmes et les hommes. La thématique de cette année : « Des esprits libres, des corps libres, construisons ensemble l’égalité ».

De par les violences sexistes et sexuelles, de par la pression d’une société basée sur l’apparence, de par la construction sociale et culturelle, de par des maladies impactant les zones intimes de la féminité, le corps est mis régulièrement à l’épreuve.

De quelles manières peut-on se réapproprier son corps lorsque celui-ci a été mis en souffrance ? Quel est l’apport de cette démarche individuelle lorsque celle-ci est intégrée à un collectif, quasi exclusivement composé de femmes concernées de près ou de loin par les mêmes problématiques ?

Le corps des femmes constitue un enjeu politique très fort dans les rapports de domination. Preuve en est avec le viol comme arme de guerre mais aussi comme base de conception d’une culture qu’on répand dans les médias, les œuvres cinématographiques et artistiques, dans l’éducation genrée et sexiste, dans les publicités, etc. La culture du viol contraint à penser que les hommes sont sujets et dominent les femmes qui elles sont objets. De cette société aux valeurs patriarcales intégrées et transmisses de génération en génération découle donc l’idée que le corps des femmes ne leur appartient pas entièrement, pas réellement. Elles n’en disposent pas librement. Grand nombre de souffrances viennent chatouiller, ou plutôt poignarder, nos bourrelets, seins, vergetures, utérus, culs, jambes et amas de cellulite. Et pourtant, ces corps combattent, main dans la main avec l’esprit, contre les injonctions, les épreuves, les difficultés. Pour la réappropriation des corps, plus libres, plus réels, plus vivants. 

Les petites filles sont éduquées dans l’idée qu’elles sont fragiles, discrètes, sensibles. Mais aussi dans l’idée qu’elles vont devoir souffrir. Souffrir pour être belle, enfanter dans la douleur, se tordre à l’arrivée des règles… Le paradoxe de l’injonction à être femme. Douillettes, elles doivent serrer les dents et les fesses. Une vie de souffrance, d’injustices et de discriminations les attend, mieux vaut les préparer dès la petite enfance, à endurer les épreuves de la féminité et à payer les dérives de la masculinité toxique. Pourquoi ?

DE DÉESSES À IMPURES

Au moment des premières règles – appelées les ménarches – les filles intègrent le poids de la honte et de la peur, transmis de manière plus ou moins inconsciente dans l’imaginaire collectif. Dans l’essai Le mythe de la virilité, la philosophe Olivia Gazalé démontre que pendant un temps les femmes, de par le pouvoir de donner la vie, étaient érigées en déesses.

Elles étaient alors vénérées jusqu’à la découverte que « la procréation n’est plus le privilège exclusif et magique de la femme, cette prérogative sacrée au nom de laquelle il avait fallu, durant des millénaires, l’adorer, la prier et lui faire des offrandes, mais une affaire de semence mâle et de labour viril du sillon matriciel. »

Dès lors, la femme ne devient rien d’autre « que le réceptacle destiné à recueillir le précieux liquide séminal. Tandis que son ventre est discrédité, le sperme devient un objet de culte, au même titre que la fascinante machine dévolue à son intromission dans le ventre féminin : le phallus. »

Depuis, les femmes enceintes sont sacralisées, les femmes menstruées dénigrées. Le moment des règles représentant l’impureté, les non fécondées sont mises de côté, écartées, exilées, exclues (l’exil menstruel existe encore dans certains endroits, comme le Népal où le rituel est pourtant interdit par le gouvernement depuis 2005).

À cela, la philosophe ajoute : « Au commencement de l’histoire, les règles auraient donc été considérées, dans certaines cultures, comme sacrées, avant que les religions patriarcales ne les stigmatisent et assimilent la femme à l’animalité dans ce qu’elle peut avoir de plus répugnant, l’obligeant à s’éloigner périodiquement de la communauté humaine à la première goutte de sang et à se décontaminer avant d’y être réintégrée. »

LA DÉPOSSESSION DU CORPS

Ainsi, le tabou perdure, les jeunes filles intégrant cet héritage inconscient et patriarcal qui participe à leur invisibilisation dans la société. Elles grandissent avec la peur de la tâche de sang sur le pantalon, la peur des mauvaises odeurs, la honte d’évoquer et de nommer précisément les menstruations.

« Cette peur d’être trahie par son corps en permanence, c’est la base de la dépossession de nos corps. », expliquait justement la réalisatrice militante Nina Faure, auteure du documentaire Paye (pas) ton gynéco, lors de sa venue à Rennes le 27 novembre dernier.

Et en s’emparant de nos corps, les hommes pensent détenir le pouvoir suprême. Et vont plus loin, comme le souligne Olivia Gazalé dans son chapitre « La légitimation de l’exclusion par l’infériorité féminine » : « Il se pourrait en outre que le sang menstruel ait joué un rôle encore plus important dans l’histoire de la construction des sexes que la simple exclusion temporaire des femmes du lit conjugal ou de la maison. Il est possible qu’il soit aussi la cause (ou plutôt le prétexte) de leur exclusion permanente de certaines professions, et cela dès l’époque des chasseurs-cueilleurs, donc bien avant l’apparition des grandes religions. Une division des tâches qui est aussi un partage du monde en deux, entre une sphère masculine, très vaste, mais hermétiquement close, et une sphère féminine, beaucoup plus limitée, faite d’empêchements, d’entraves et d’interdits. »

CONTRÔLER LE SEXE FÉMININ

Le corps des femmes n’a donc pas toujours été l’apanage des hommes mais l’est devenu depuis très longtemps et divise l’humanité en deux catégories dont l’une est soumise à l’autre, dans une violence inouïe. Dans Le mythe de la virilité toujours, l’autrice démontre de nombreuses symboliques à ce propos.

Si le vagin est un antre obscur puisque caverneux et a priori dangereux, les hommes n’ont pas d’autre choix que de l’accepter pour engendrer des fils. Mais le clitoris lui a bien trop de puissance sur la jouissance et d’inutilité scientifique sur la reproduction : « L’idée est simple : sans clitoris, pas de jouissance, donc moins de risque d’adultère. » 

L’excision est donc une protection supplémentaire contre l’infidélité de la femme, dont la figure dominante est celle de la femme à l’insatiable sexualité. « Cette opération dangereuse, qu’elle prenne la forme d’une ablation du clitoris ou d’une infibulation, s’est pratiquée et se pratique encore à une très large échelle à travers le monde. Elle n’a toujours pas disparu en France, où elle est exécutée clandestinement, dans des conditions d’hygiène désastreuses, par des communautés venues du Mali, du Sénégal, de Mauritanie, de Gambie ou de Guinée. »

Elle analyse également le viol comme arme politique, « arme de destruction massive », comme l’écrit Annick Cojean dans Le Monde en 2014, pour parler de la situation en Syrie mais ces termes sont applicables également au Viêtnam, au Rwanda, en Bosnie, en Centrafrique et au Soudan du Sud, rappelle Olivia Gazalé :

« Engrosser la femme de l’ennemi est la meilleure façon d’étendre son empire et d’anéantir la lignée d’en face. C’est donc un meurtre contre la filiation, le meurtre symbolique de la communauté, l’extension du domaine de la folie génocidaire. Quand tout commence et tout finit dans le ventre des femmes… »

Un ventre bien contrôlé qui dans les années 70 prendra également la forme d’un crime peu connu et reconnu que la politologue féministe Françoise Vergès met en avant dans Le ventre des femmes – Capitalisme, racialisation, féminisme : les stérilisations et avortements forcés à la Réunion pratiqués par des médecins blancs, sur ordre du gouvernement français. 

LES RAPPORTS DE DOMINATION PERSISTENT

Si aujourd’hui on aime à penser une évolution certaine grâce aux luttes féministes des années 60 et 70 pour l’accès à la contraception et à l’avortement ainsi que la libération sexuelle, on se fourvoie. Les combats ont permis d’obtenir des droits, c’est une réalité, heureusement.

Mais ces droits conquis sont sans cesse menacés, principalement par les montées des extrêmes au pouvoir un peu partout dans le monde mais aussi par la perpétuation des traditions archaïques et misogynes. Fin janvier 2019, une jeune népalaise de 21 ans décède durant son exil menstruel (rappelons encore une fois que le rituel chhaupadi est interdit depuis 14 ans maintenant).

Fin février 2019, une jeune argentine de 11 ans accouche par césarienne à la suite d’un viol commis par le compagnon de sa grand-mère (en Argentine, l’avortement est illégal mais autorisé en cas de viol, sauf quand la Justice laisse trainer les dossiers de demande d’avortement afin de dépasser le délai pour le pratiquer…).

Début mars 2019, en France, 30 femmes ont été tuées depuis le 1er janvier par leur compagnon ou ex compagnon. Le corps des femmes reste un enjeu terriblement actuel dans les rapports de domination. La souffrance corporelle et psychologique comme héritage maternel n’est ni entendable ni tolérable.

Les voix des femmes sont nombreuses à s’élever contre ces diktats essentialistes, visant à faire croire à la population que cela serait « naturel » chez les femmes de subir leurs cycles ou d’accoucher dans la douleur, et autres sornettes du genre. Les violences gynécologiques et plus largement médicales sont sévèrement dénoncées ces derniers mois mais peu prises au sérieux, dans le sens où la parole des femmes reste remise en cause et que les formations ne sont toujours pas composées de modules continus concernant l’accueil et l’écoute des patientes.

Car il est nécessaire aujourd’hui de déconstruire le rapport de domination qui place le sachant sur un piédestal et le patient – particulièrement lorsque celui-ci est une personne de sexe féminin, une personne transgenre, une personne racisée, une personne intersexe, une personne non binaire, une personne homosexuelle, bisexuelle, pansexuelle, etc. – dans une position d’infériorisation.

« On a toujours été conditionnées pour souffrir. C’est une construction sociale et culturelle et on voit la force de cette création qui se transmet de génération en génération. Ça a une incidence sur notre manière de concevoir nos cycles… J’ai été libérée le jour où j’ai compris que non, on n’a pas à souffrir ! »
explique Lucie Cavey, 39 ans, professeure de yoga (HappyKorpo) qui anime des cours notamment au sein de la structure O’nidou.

Elle constate, pour sa génération, un manque d’éducation et de transmission quant au corps féminin et son fonctionnement. Un sujet tabou, souvent tu dans les familles, ou peu évoqué, rarement enseigné au cours de la scolarité, que l’on soit dans le public ou dans le privé.

« Je pense que c’est important d’être éduquées à ces questions-là dès l’enfance. Je suis d’une génération où avec mes parents je n’ai pas eu l’impression d’avoir une transmission sur les cycles, les règles, la sexualité, etc. Et ça m’a manqué. En tant que mère, j’en parle à mes filles. Je n’ai aucun tabou par rapport à ça, je veux pouvoir répondre à toutes les questions pour qu’elles ne soient pas surprises ensuite. », poursuit-elle. 

FIN DU SILENCE ?

La surprise, on en parle de plus en plus. La surprise de ne recevoir aucune information en consultation gynécologique autour de tous les moyens de contraception. La surprise de n’être que trop rarement consultées quant à notre consentement face à un examen médical, en particulier quand celui-ci nécessite une pénétration dans le corps. La surprise d’être traitées uniquement comme un corps dont on ne s’occuperait pas bien si le médecin n’était pas là pour nous rappeler les bases, un corps qui ne renfermerait rien d’autre que des organes, des tissus, des vaisseaux sanguins, etc.

La surprise d’être violentées verbalement – et sexuellement dans certains cas – à travers des réflexions sexistes, LGBTIphobes, racistes, grossophobes, handiphobes… Le silence a duré parce que les femmes avaient – encore aujourd’hui – intégré l’infériorisation et la dépossession de leur corps.

« Aujourd’hui par exemple l’accouchement est devenu un acte médical et la grossesse une maladie. J’ai des ami-e-s qui vivent des démarches de PMA (Procréation Médicalement Assistée) et qui me racontent, je suis horrifiée. C’est un moment qui est dur physiquement et psychologiquement, durant lequel leur corps est fragilisé par le problème de fertilité et les traitements et elles passent de médecin en médecin, pénétrées d’examen en examen… C’est très difficile. », précise Lucie qui pointe alors la déshumanisation ressentie par de nombreuses femmes – et hommes – face au corps médical.

Pour elle, il faut « qu’en tant que femmes on s’affirme, on demande des informations face aux professionnel-le-s, qu’on apprenne et qu’on ose dire non, que l’on refuse leur façon de faire quand ça nous va pas, qu’on les oblige à nous respecter. Certaines personnes concernées le font déjà et ce sont elles qui font bouger les choses. Il est important de mieux connaître notre corps pour être plus sereines et vivre tout ça de manière moins passive, comme par exemple je pense à l’accouchement, où on ne nous dit pas qu’on peut bouger même une fois qu’on a eu la péridurale mais c’est possible ! Il faut retrouver ou gagner en confiance pour oser dire les choses et affirmer nos choix. Si on ne dit rien, le protocole médical sera suivi, point. Quand le corps médical voit arriver une femme bien décidée, il laisse faire et vient en soutien. » 

DÉPOSSÉDÉES PAR LA MALADIE

Annie, 58 ans, et Chantal, 63 ans, sont toutes les deux membres de l’équipage des Roz’Eskell, pratiquant le dragon boat  - le bateau dragon est un type de pirogue – activité proposée par l’association CAP Ouest (Cancer Activité Physique) pour les femmes ayant été atteintes du cancer du sein. Pour Chantal, pas question de se laisser manipuler sans comprendre le pourquoi du comment :

« Je veux tout savoir pour comprendre et choisir. C’était une étape pour moi pour accepter la maladie. À ce moment-là, on est actrices de la survie immédiate. Mais quand les soins sont terminés, il y a un grand vide. Parce qu’après ça, tu fais l’inventaire des dégâts et il y en a sur le plan social, physique, professionnel, financier… Et puis on rentre avec des drains à la maison, on ne sait pas quoi en faire… Surtout que maintenant ils essayent de tout faire en ambulatoire… Moi j’avais envie de rester à l’hôpital, qu’on s’occupe de moi. Je me sentais pas reconnue et vulnérable. »

Pour Annie, le temps s’est accéléré au moment de la nouvelle. Tout s’est enchainé rapidement : « Après les examens qu’on m’a fait passer, je m’attendais à ce qu’on me dise que j’ai un cancer du sein mais ça m’est tombé dessus du jour au lendemain et surtout je ne m’attendais pas à la mammectomie. En une semaine, hop, tu passes au bloc. Tu y rentres avec deux seins, tu ressors avec un seul. Et tu vois que c’est plat, même s’il y a des pansements. À ce moment-là, on est complètement dirigées par les médecins. On est dépossédées de ce qu’on peut faire de notre corps à cause de la maladie. »

FEMMES AU-DELÀ DES ÉPREUVES

Face au cancer du sein, qui touche un peu plus de 50 000 femmes par an, les réactions sont diverses, en fonction des individus. « Avec le cancer, on a un corps meurtri, un corps fatigué. Lors de mon premier cancer, j’ai pas entendu. Le deuxième, j’étais vraiment très fatiguée. La question de la réappropriation, ça va être ‘Comment je me réapproprie un corps fatigué ?’. La mammectomie par contre, ça met un coup sur le plan de la féminité, de la sexualité. Et ça, on n’en parle pas en consultation. Moi je me suis dit ‘Bon tu étais une femme avant et bien tu restes une femme !’ », déclare Chantal qui arrive désormais à affirmer qu’elle se sent mieux, qu’elle se sent bien.

Pour Annie, le travail mental a été différent. « Le regard du conjoint est important et mon regard à moi aussi bien sûr. Le fait de mettre la prothèse le matin, l’enlever le soir… À ce moment-là, j’avais l’impression que tout le monde le voyait, que c’était marqué sur ma figure. Moi, je matais les seins de toutes les femmes, je pouvais pas m’en empêcher. Alors, avec une prothèse, tu ne t’habilles plus pareil, tu fais attention aux habits par rapport à ta poitrine. T’es obligée d’aller dans des boutiques spécialisées pour la lingerie pour avoir des trucs moches comme tout. Tu te dis que plus jamais tu pourras mettre des jolis petits soutifs… Ça prend du temps, la réappropriation se fait en plusieurs temps, petit à petit. Moi, j’ai opté pour la reconstruction mammaire, j’ai fini récemment. Maintenant je ne regarde plus les seins des autres et j’arrive à dire que j’ai deux seins ! », affirme-t-elle, sourire aux lèvres.

Si elles s’accordent à dire que la féminité n’est pas définie que ou par la poitrine, elles parlent toutes les deux d’une nouvelle et d’un passage traumatisants et bouleversants lorsque les médecins annoncent et réalisent la mammectomie. Sans oublier les complications qui peuvent survenir post opération.

« J’ai eu une nécrose à la suite de ça, ça a été deux mois de pansement à domicile. C’est un peu traumatisant. », confie Chantal. Un point libérateur pour elle est survenu lorsque son chirurgien a employé le terme de « mutilation » :

« Ça m’a fait énormément de bien de l’entendre dire ça. Parce que oui, c’est une mutilation. Et ça m’a fait du bien de l’entendre au moment j’allais faire la reconstruction. » 

SE CONNECTER À SON CORPS, À SON CYCLE

Le travail d’acceptation et de réappropriation peut être long, fastidieux et intense face à la maladie, même en cours de rémission ou en rémission. On parle pour les femmes principalement de cancer du sein, mais il existe aussi l’endométriose qui peut entrainer le corps et l’esprit dans de grandes souffrances. Ici, liées au cycle menstruel.

Lucie Cavey anime régulièrement chez O’nidou des séances Happy Moon durant lesquelles le cycle est spécifiquement le sujet (la prochaine aura lieu le 5 avril, de 19h30 à 21h30), et tous les jeudis midis, un cours de yoga doux à destination des femmes :

« L’idée est de pouvoir se réapproprier son corps. On n’est pas obligées d’être victimes de nos cycles. On peut s’appuyer sur chaque période du cycle pour mieux les vivre et essayer de travailler des postures qui soutiennent l’énergie. On a tous de l’énergie masculine et de l’énergie féminine mais comme on vit dans une société très masculine, on ne sait plus trop ce qu’est l’énergie féminine. Dans les cours de yoga doux, je leur demande comment elles vont, comment elles se sentent et où elles en sont en gros dans les cycles et à partir de là, j’adapte la séance. Car il y a des postures qui peuvent faire du bien plus à une période qu’à une autre. »

La professionnelle pratique également le yoga régénérateur (dont la prochaine séance aura lieu le 24 avril de 19h30 à 21h30), une pratique spécifique à réaliser allongée, en étant soutenue par des coussins, des couvertures, etc. dans un but de relâchement total pour mettre le corps au repos.

Ce qui permet non seulement de recharger les batteries mais également d’amener de la respiration dans le bas ventre et l’utérus. Pour elle, corps en activité et corps au repos doivent aller de pair dans la journée, non de manière simultanée mais différenciée, toujours dans l’écoute de son corps :

« On peut prendre appui sur nos cycles et pour ça on doit s’autoriser à écouter son propre rythme. Et on doit être libre d’en parler, ça c’est encore problématique. Dans les cours de yoga, on va pouvoir par exemple travailler des postures qui peuvent soulager l’endométriose ou les règles douloureuses. Il y a un poids social très fort autour des règles. Même les douleurs au moment de l’ovulation, on en parle très peu. Je travaille actuellement là-dessus au niveau personnel, il est important de mieux se connaître, de dédramatiser et d’oser affirmer qu’à certains moments du cycle, on a besoin de repos. Il est important que les femmes reprennent le rôle de leur vie. Personne ne peut savoir à notre place. Et c’est pareil avec le corps des femmes enceintes. C’est notre corps et personne ne peut décider ou savoir à notre place. »

Dans les groupes, elle a des femmes de différents âges, avec (ou sans) des problématiques diverses, de l’endométriose à la ménopause en passant par la démarche de PMA et les cycles irréguliers, qui en sont à des étapes différentes de leur vie de femme à part entière.

Ce qui l’intéresse, c’est de les mener vers l’écoute de leurs besoins et de leurs possibilités. En cherchant à reconnecter le corps et l’esprit quand ceux-ci se sont décalés :

« L’automassage par exemple est un bon moyen d’être en connexion : le fait de palper, toucher. On ne le fait quasiment jamais parce que c’est un tabou. Mais c’est important de toucher le bassin, le ventre, les seins, le pubis et ça permet d’enlever les tabous par rapport à ça. En observant son corps et les énergies qui y circulent tout comme les tensions, on apprend beaucoup de choses. »

PORTÉES PAR L’ÉNERGIE COLLECTIVE

À partir de démarches individuelles dans un objectif individuel, de reconstruction personnelle et de réappropriation d’un corps en souffrance ou ayant été en souffrance, elles vont trouver de la liberté et du soutien dans le collectif. Au moment ou à la période où survient la mise en difficulté du corps, la personne vit seule l’épreuve.

« Même quand tu es entourée, que tes proches sont présents, tu es seule dans la maladie, le cancer isole, tu es seule au bloc. », souligne Chantal qui a rejoint les Roz’Eskell peu de temps après la création de l’activité par l’association CAP Ouest, tandis qu’au départ, elle ne souhaitait pas intégrer une groupe de femmes :

« Je n’ai jamais été qu’avec des femmes donc ce n’était pas évident pour moi. Rapidement, j’ai été convaincue par l’énergie collective. Quand on est fatiguée, on peut s’arrêter de pagayer pour souffler et le bateau avance quand même. Et puis en dragon boat, on pagaie vers l’avant. Ça donne de l’espoir de toutes faire avancer le bateau ensemble. C’est une activité qui est bonne pour le drainage lymphatique, une activité physique adaptée pendant ou après le traitement. Et c’est un tremplin pour revenir ensuite vers une activité physique ordinaire. On vit des choses tellement exceptionnelles qu’on y reste. »

Annie est devenue une dragon lady fin 2014, en venant avec une amie à elle également atteinte d’un cancer du sein : « Déjà, ça nous permet de faire autre chose et de ne pas être définies que par les rendez-vous médicaux. Et puis, on est allées à la vogalonga de Venise. Avoir un but comme ça, c’est un défi à relever. Fin 2014, j’étais encore en chimio. En mai 2015, j’étais à Venise avec l’équipe. Et comme dit Chantal, quand on est sur l’eau, on le dit à chaque fois aux nouvelles, on arrête dès qu’on est fatiguées, on se repose et un jour, elles aussi pagaieront pour celles qui auront besoin de se reposer. C’est sportif comme activité. Il faut faire à son rythme. On doit adapter à celles qui sont fatiguées, qui arrivent, qui sont encore en traitement, etc. même si on aurait envie de progresser davantage, de faire en plus une équipe mixte, pas uniquement réservé aux personnes malades, etc.» 

LA SORORITÉ, POUR SOUFFLER ET AVANCER

Finalement, elles expriment là une appropriation complète de l’activité en elle-même qui leur a permis non seulement de reprendre le sport mais aussi de trouver un groupe porteur d’énergie dans lequel elles ont évolué et gagné en confiance. L’appréhension de Chantal s’est évaporée rapidement :

« En fait, j’ai vraiment envie de parler de sororité. On a développé une certaine sororité entre nous, même si on s’entend mieux avec certaines personnes que d’autres, ça c’est normal. Avant ça, j’avais un rapport à la féminité, que j’ai encore aujourd’hui, où je pense que chacun est comme il est mais moi je ne me maquillais jamais, je ne portais jamais de tenues extravagantes. Là, d’être avec des femmes qui mettent des boucles d’oreille, du rouge à lèvre, etc. ça donne envie. Par exemple, je pense en ce moment à me faire un vrai tatouage car l’encre du tatouage fait lors de la reconstruction est éphémère. Je n’aurais pas envisagé ça avant. Mais y a pas d’âge pour un tatouage ! Peut-être en fait tout simplement que le fait de partager cette activité entre femmes me permet de m’autoriser à plus de choses. »

Pendant son cancer et son traitement, Annie était très vigilante à l’image qu’elle renvoyait quant à son physique. Ne pas porter la perruque n’a pas été une option envisageable : « Je ne serais pas sortie sans ! Aujourd’hui, les femmes assument plus et viennent aux entrainements sans leur perruque. Aujourd’hui, je me dis que je pourrais le faire. Parce que j’ai parcouru tout ce chemin ! C’est une sacrée école d’aller sur le bateau. Je ne vais pas rester là toute ma vie mais pour l’instant, j’ai envie de cocooner les nouvelles, de prendre soin des unes des autres, d’être bienveillante. Et quand on est bien avec soi, on est bien généralement avec les autres. On ne parle pas forcément beaucoup de la maladie ou autre mais ça arrive que l’une d’entre nous évoque des douleurs, ou parle d’un rendez-vous (Chantal intervient : « Si elle n’a personne pour l’accompagner on peut lui proposer de venir avec elle si elle le souhaite. »), des médicaments. Quand certaines ont su que j’avais fait de la reconstruction mammaire, elles sont venues me poser des questions. On échange. »

ESPACE DE LIBERTÉ ET D’ÉCHANGES

De la même manière, Lucie Cavey évoque la sororité dans les cours de yoga doux, un espace dans lequel les unes et les autres peuvent partager des vécus et expériences communs et/ou différents mais aussi des lectures ou autres.

« Les femmes pour la plupart ne sont plus en lien avec leurs cycles. On ne leur apprend pas à écouter, observer, prendre le temps de se reposer quand c’est nécessaire et ça l’est. Ici, on est entre nous, c’est un chouette espace d’échanges où on peut dire librement qu’on est à la masse, comment on vit sa PMA, etc. On peut libérer la parole et apprendre des unes et des autres. Il y a des femmes qui ont des enfants, d’autres qui essayent d’en avoir, d’autres qui n’en veulent pas, des femmes qui travaillent, d’autres non, par choix ou pas…», commente Lucie qui rejoint également le discours d’Annie et Chantal concernant le vecteur boostant et stimulant du collectif sécurisant et bienveillant.

Elles expriment toutes un gain ou regain de confiance en elles, ayant eu alors la preuve de leurs capacités et de leur ancrage en tant que femme malgré l’épreuve subie. « Il n’y a pas une seule manière de vivre ses cycles ou les difficultés de manière générale. Le groupe fait ressortir la multiplicité d’une base commune. », conclut la professeure de yoga.

Un propos global qui se retrouve également du côté de l’association rennaise ACZA qui lutte contre l’excision à travers des actions de sensibilisation et de partage dans les témoignages et les événements, comme tel est le cas avec l’élection de Miss Afrika ou encore avec la marche contre l’excision  - qui a eu lieu le 1erdécembre – à l’occasion de laquelle des membres de la structure, victimes d’excision dans leur enfance, avait exprimé cette sororité.

Une sororité essentielle à la libération de la parole qui s’accompagne en parallèle – pas toujours – d’une reconstruction chirurgicale du clitoris. Une sororité qui agit donc en soutien à une démarche personnelle de réparation dans certains cas et de réappropriation du corps et qui peut participer à l’acceptation, au mieux-être et au bien-être. 

NE PLUS ACCEPTER D’ÊTRE DÉPOSSÉDÉES

Travailler sur la confiance en soi permet donc de lutter contre le processus de dépossession du corps dont parle Nina Faure puisque cela va permettre de au moins diminuer la peur d’être lâchées ou trahies par notre propre corps à n’importe quel instant. Et de cette réflexion, on peut tirer la ficelle jusqu’à la représentation de nos corps dans l’espace public.

Le « clac clac » des talons va prévenir qu’une femme traverse la rue, la jupe va attirer l’attention sur les formes, les jambes et les fesses. Peut-être va-t-elle remonter et sa porteuse, être insultée, harcelée, agressée. Parce qu’elle est seule en pleine nuit. Depuis petites, les filles sont éduquées à la peur de l’inconnu, la peur de l’espace public – nocturne particulièrement – et la peur du prédateur.

Elles intègrent des injonctions et des assignations, imposant alors des stratégies d’évitement – ne pas rentrer seule, mettre des baskets pour rentrer, emprunter des trajets que l’on sait plus fréquentés et mieux éclairés, ne pas perdre le contrôle – que les garçons en majorité n’apprennent pas de leur côté…

La femme serait fragile et l’homme un prédateur en proie à ses pulsions sexuelles. Deux idées reçues toxiques mais largement diffusées et médiatisées dans ce qu’on appelle la culture du viol. De l’image de la femme-objet que l’homme peut posséder dans la sphère publique comme dans la sphère privée découlent le harcèlement de rue, les violences sexistes et sexuelles, incluant également les violences conjugales.

RENFORCER SA CONFIANCE 

« Depuis 5 ans, on a un cours spécifique pour les femmes et on a de plus en plus de femmes présentes. L’augmentation a été fulgurante. Il y avait environ une dizaine de personnes au départ maintenant on a 48 inscrites le mercredi et 45 le jeudi. Il y a parmi elles des femmes qui viennent pour des problèmes de violences par leur compagnon ou ex compagnon. Les violences sexuelles, faut bien le rappeler, c’est pas l’image du prédateur qui les attend dans la rue, c’est à 80% commis par des personnes de l’entourage ou des connaissances. De plus en plus de jeunes femmes qui viennent à cause du harcèlement de rue. », explique Frédéric Faudemer, coach en self défense et krav maga chez Défenses Tactiques, qui anime le cours Amazon training.

Il souhaite à l’avenir que le cours soit dirigé par des femmes, actuellement en formation pour devenir coachs : « Moi, je suis un gars, c’est compliqué, je ne vis pas ce qu’elles, elles vivent au quotidien. Et puis dans ce cours, spécifique aux femmes, les filles se gèrent entre elles. Elles se viennent en aide. Quand il y a des cas lourds, elles m’en réfèrent, je peux faire le lien avec mes collègues de la gendarmerie qui n’est pas toujours formée à ces problématiques mais qui en prend conscience pour améliorer l’accueil et l’écoute. Pour l’instant, c’est une collègue femme qui intervient, spécialisée dans ce domaine. »

L’objectif du cours : proposer une discipline basée sur le renforcement musculaire, l’entrainement du cardiovasculaire, la gestion du stress et l’analyse des risques. Morgane, 28 ans, secrétaire de l’association SOS Victimes 35, et Fanny, 26 ans, juriste pour la même structure souhaitant intégrer la police, suivent les séances depuis respectivement 3 ans et un an et demi (et devraient, selon Frédéric, pouvoir prendre le lead à la rentrée prochaine).

Parce qu’elles ont conscience « que contre un homme, on n’est pas à arme égale ». Ici, elles apprennent « des choses simples », pour « acquérir des réflexes », et pouvoir prendre la fuite en cas de situation dangereuse ou agression. « Il faut que ça devienne des réflexes. Pour pouvoir réagir en automatique malgré l’adrénaline sur le moment. », signale Morgane, rejointe par Fanny : « On n’aime pas prendre des coups mais le corps s’habitue ainsi à l’impact, à la douleur. »

Ainsi, le corps se renforce dans sa tonicité musculaire, dans sa capacité à encaisser et esquiver. Dans l’objectif toujours de se dégager. De fuir. Fanny et Morgane insistent sur ce point :

« On ne peut pas nier la différence physique entre les hommes et les femmes. On ne vient pas là pour apprendre à mettre des coups. Mais on apprend à être des femmes responsables, conscientes et citoyennes. C’est important aussi d’avoir conscience des limites qu’on a au niveau corporel et psychologique. Ici on apprend à avoir conscience de nos corps, de nos corpulences et surtout de nos potentiels corporels. » 

LA HARGNE DES GUERRIÈRES

Au-delà de l’apport des mécanismes, les femmes participantes peuvent aussi trouver un espace de sororité et de liberté, pour parler et pour souffler. Relâcher la pression qui pèse parfois sur leurs épaules que ce soit par rapports à des agressions subies ou le poids social d’une société aux valeurs patriarcales :

« Beaucoup de personnes viennent se reconstruire ici. On voit rapidement quand ce sont des personnes qui ont vécu des situations traumatisantes. Elles arrivent, elles sont assez renfermées, elles peuvent aussi fondre en larmes parfois sur certains exercices qui se rapprochent de ce qu’elles ont vécu. Le fait d’être une communauté de femmes fait qu’on est là pour écouter, pour échanger et puis aussi pour encourager ! »

La reconstruction passe par la réappropriation de son corps pour ne plus le ressentir comme fragile. Sans dire que l’entrainement les rend invincibles, les femmes renforcent l’assurance de leurs corps et esprit. « L’assurance, c’est très important. Ça se voit tout de suite dans la rue. Quand une femme longe les murs, on la repère. Déjà marcher avec de l’assurance diminue le risque d’agression. », souligne Fanny.

Morgane précise : « Ici, on apprend plein de petites choses pour savoir réagir n’importe quand. On apprend à se défendre avec un sac à main, un magazine, une ceinture, un portable, des talons, un parapluie, des clés… Tous les objets du quotidien qu’on pourrait avoir avec nous ou autour de nous. On n’est pas démunies, c’est ça aussi qu’on apprend. Amazon training, c’est la figure de la guerrière ! Ça a tout son sens. On est des femmes guerrières. On peut être grave fières de nous toutes. »

Si elles sont majoritairement âgées entre 20 et 30 ans, tous les âges et tous les profils se côtoient au sein des cours du mercredi et du jeudi soirs, dans le quartier Ste Thérèse. C’est là qu’aura lieu samedi 9 mars une journée de stage à la self défense réserveé aux femmes. L’occasion de découvrir dans un cadre bienveillant que chaque femme est en capacité de s’affranchir des diktats de son sexe et genre. 

Les manières de se réapproprier son corps sont aussi nombreuses que les souffrances que l’on peut endurer, particulièrement en tant que femmes. Si la reconstruction nécessite au départ une volonté personnelle, elle peut trouver du soutien et de la force dans l’énergie collective d’un groupe non mixte, ayant vécu ou vivant des difficultés similaires ou diverses. De chaque rencontre ressort la puissance symbolique, libératrice et émancipatrice des groupes de femmes bien résolues à unir corps et esprits dans un combat au féminin pluriel.

Tab title: 
Lutter contre la dépossession du corps
La sororité, comme arme de réappropriation du corps
Regards sur les luttes

Célian Ramis

Femmes "chimiotées" : la force de vivre !

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Maison des associations, Rennes
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Entre la projection du film Les belles combattantes, l’exposition éponyme et les témoignages de trois femmes ayant été atteintes du cancer du sein, le sujet de la soirée était bel et bien celui de la résilience et du souffle de vie.
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C’est une soirée sur le fil de l’émotion que proposait l’association Yadlavie le jeudi 14 mars à la Maison des Associations de Rennes. Entre la projection du film Les belles combattantes, l’exposition éponyme et les témoignages de trois femmes ayant été atteintes du cancer du sein, le sujet était bel et bien celui de la résilience et du souffle de vie.

« C’est un film d’espoir », lance la photographe Karine Nicolleau, à qui l’on doit Les belles combattantes– à (re)découvrir sur TVR samedi 16 mars à 14h pour le documentaire et à voir à la Maison des Associations jusqu’au 12 avril pour l’exposition. 

Ainsi, durant une trentaine de minutes, l’association Yadlavie - créée en 2012 - nous permet de partager une petite partie du quotidien des Roz’Eskell (association CAP Ouest) lors de leur séjour en Chine, au pays du dragon boat, les répétitions de la comédienne Sonia Rostagni, co-auteure du spectacle 649 eurosautour du cancer du sein, et les entrainements des Riposteuses (association Solution Riposte) pratiquant l’escrime à visée rééducative. 

Dans le film, ce qui prime, ce sont les rires, les sourires, les paroles et réflexions autour des vécus des unes et des autres. Sans voyeurisme, elles livrent ici une intimité sensible de laquelle jaillit une énergie positive et une volonté inouïe de vie. Se déroule alors instantanément le fil puissant d’une oscillation entre force et fragilité qui suspend le temps pour ne laisser transparaitre que l’émotion brute et authentique.

UNE CONSCIENCE PLUS AIGUE DE LA VIE

Dans l’intitulé de la soirée, elles sont « Femmes « chimiotées » : femmes envers et contre tout ». Elles ont subi et affronté le(s) cancer(s) du sein, elles sont en rémission ou non. Les protocoles médicaux, la dépossession de leur corps, le regard des autres sur elles et leur propre regard…

Elles doivent désormais vivre avec. Elles se sont découvertes des forces insoupçonnées jusqu’ici et parlent « d’une conscience, aujourd’hui, plus aigue de la vie, du fait qu’il faut profiter davantage des choses. »

Pour Anne Patault, vice-présidente de la région Bretagne, chargée de l’égalité, de l’innovation sociale et de la vie associative, son « espèce de chance » a été de ne plus craindre la vieillesse :

« Pendant toute une époque, j’avais peur de vieillir. Maintenant, j’espère vieillir. Je me projette en vieille dame et ça me fait plaisir. »

Un point sur lequel la comédienne Sonia Rostagni la rejoint : « Chaque année supplémentaire, c’est toujours ça de pris ! »

Son spectacle, 649 euros, elle le définit comme une évidence : « Une manière de sublimer par l’art le cancer. De faire d’un truc très moche un truc esthétique. Avec une mise en scène pensée de manière à ce que je ne rejoue pas tous les soirs mon cancer à moi. Même si j’ai eu un cancer, je joue un personnage. Je suis une femme, n’importe quelle femme. Et puis la pièce permet aussi de sortir du pathos et de transmettre les choses avec humour. Ça a été un mécanisme de défense très puissant pour moi, l’humour. Je n’ai jamais autant ri que pendant la maladie. »

LES INJONCTIONS DANS LE CANCER

Si elles refusent de parler du cancer comme d’une chance, comme tel est ressenti d’une participante dans le film, elles s’accordent à aborder l’angle du changement post opération. En nuançant toutefois.

« Ça m’a donné des orientations de vie un peu différentes. J’étais un peu indolente avant, j’avais tendance à laisser filer le temps. La leçon que m’a donné la maladie c’est la notion du temps qui nous est compté. Aujourd’hui, j’ai une sorte d’impatience par rapport à des réalisations de projets par exemple. Je suis devenue plus fonceuse. Quand je suis convaincue de quelque chose, maintenant j’y vais. », souligne Anne Patault.

Même discours du côté de Sonia Rostagni :

« Des traits de caractère se sont affirmés. Je me suis découverte encore plus. »

Pour Maryse Théron, syndicaliste et membre des Roz’Eskell, pas question de se soumettre aux injonctions « de faire ça, de dire ça, de vivre le cancer de telle ou telle manière. » Elle le dit et l’affirme : 

« Je n’aime pas les injonctions ! Il n’y a pas plus de raisons de vivre ces injonctions attribuées aux femmes qui ont eu un cancer que d’autres ! On n’est pas obligées de changer parce qu’on a eu un cancer. Certaines étaient insupportables avant la maladie et le restent après. La maladie apprend l’humilité. On prend une conscience un peu plus aigue de notre mortalité. »

CHACUNE SON EXPÉRIENCE ET SON RESSENTI

Elles ne sont pas des expertes du cancer. Elles sont des femmes ayant vécu, chacune à sa manière, son ou ses cancers du sein. Ce soir-là, sans détour et sans langue de bois, les trois intervenantes témoignent de leurs expériences et ressentis individuels pouvant trouver des points de résonnance dans l’épreuve subie par le collectif.

« Ma mère commençait son Alzheimer. J’ai du lui réannoncer 100 fois que j’étais malade. J’ai fini par me dire que c’était pas plus mal qu’elle oublie. Mon entourage a été ni trop envahissant ni trop dans la compassion. C’est un équilibre difficile à trouver mais c’est important. Mais il faut savoir qu’on est toujours tout seul dans la maladie. C’est un parcours solitaire, même si j’ai toujours été accompagnée pendant les chimios ou qu’une amie venait me chercher… », précise Anne Patault qui soulève alors la question de ce que l’on peut attendre de son entourage pendant la maladie. 

Il y a ce que l’on dit aux autres, ce que l’on ressent et vit réellement. Il y a ce que l’on est capable d’endurer, ce qu’on dit aux enfants. Il y a celles et ceux qui supportent et prennent sur elles/eux, d’autres qui ne sont pas en mesure de soutenir et qui s’en vont. Il y a les médecins et les protocoles, ceux qui soignent un individu et ceux qui traitent un symptôme. Et puis la vie qui continue en parallèle. En dehors de la personne qui au même moment affronte la maladie.

Etre sujet, c’est le point sur lequel insiste Maryse Théron. Ne pas se laisser posséder par les autres, par leurs angoisses, leurs émotions, leurs conseils et savoirs.

« Être soi même son sujet. C’est moi, c’est mon cancer. C’est moi qui dit si je vais ou vais pas, qui dit ce que je fais, ce que je fais pas, etc. C’est important de se réapproprier soi-même. »
affirme-t-elle, précisant qu’il ne faut pas sous estimer le poids de la maladie. 

RETOUR À LA VIE PROFESSIONNELLE

Pas facile dans une société capitaliste avide de rentabilité et de productivité de se retirer pendant un temps de la vie professionnelle. La peur de se détacher, de se déconnecter, de ne pas retrouver sa place à son retour, la peur de ne pas être comprise en revenant par le biais d’un mi temps thérapeutique, la peur d’être jugée, la peur d’être larguée.

Si Maryse évoque le dispositif Cancer at work, prévu dans le plan Cancer pour faciliter le retour ou l’accompagnement à l’emploi, elle parle aussi d’une grande méconnaissance de la maladie.

« Les employeurs sont démunis. Il y a encore beaucoup de travail à réaliser pour informer et sensibiliser les équipes, les managers, etc. Le plan Cancer c’est bien mais il faut y mettre des moyens et pas que des discours politiques », précise-t-elle, indiquant également un manque cruel d’égalité dans l’information et l’accès à la prévention et au dépistage du cancer, notamment en direction des femmes précaires « qui n’ont pas le temps de s’occuper d’elles parce qu’elles doivent gérer les enfants, la maison, etc. »

LA HARGNE DES COMBATTANTES

Au fil de la discussion, on retrouve la même sensation que pendant le film ou l’exposition, face aux photographies de Karine Nicolleau dans la galerie de la Maison des Associations. Réunies par le cancer du sein, sur des clichés en couleur ou en noir et blanc, à bord d’un dragon boat, à croiser le sabre et l’épée, à une table ronde, elles délivrent un message fort qui encourage la force de vivre.

Elles ont le sourire des survivantes et la hargne des combattantes. Parce qu’elles ont puisé en elles des ressources auxquelles elles ne pensaient pas faire appel, elles ont découvert des forces en elles insoupçonnées.

« Il faut beaucoup d’amour de soi même pour continuer de se regarder avec douceur. »
conclut Anne Patault.

Une belle leçon de vie qu’elles partagent avec générosité lors des échanges à l’occasion de la soirée.

Célian Ramis

Avortement : Mon corps, mes droits !

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Avortement : retour sur la conquête d'un droit sans cesse contesté et menacé. En 2018, les luttes pour le droit à l'avortement, en France comme dans le monde, restent terriblement d'actualité.
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Courant avril, le Groupe féministe de Fougères apprend que l’avortement chirurgical n’est plus pratiqué au Centre Hospitalier de Fougères. Le 26 mai, une large majorité d’Irlandais-es se proclament en faveur de la légalisation de l’Interruption Volontaire de Grossesse.

Le 8 août, les sénateurs argentins rejettent le projet de légalisation de l’avortement. Le 11 septembre, Bernard de Rochambeau, président du Syndicat national des Gynécologues, déclare au micro de Valentine Oberti (émission Quotidien, sur TMC) que l’IVG serait un homicide.

Le 10 octobre, le pape François met en parallèle le recours à l’avortement et le fait d’engager un tueur à gages. En France comme dans le reste du monde, en 2018, les femmes ne peuvent toujours pas disposer pleinement de leur corps, sans être jugées, forcées à se justifier et culpabilisées. Pourquoi faut-il constamment défendre le droit à l’avortement ?

L’an dernier, à l’occasion du 28 septembre, journée internationale pour le droit à l’avortement, les associations féministes rennaises mettaient le point sur le i de « conquis » et non de « acquis ». L’accès à l’IVG n’est toujours pas garanti partout… Et surtout n’est pas égal partout… Il est sans cesse contesté, discuté, entravé. En toute impunité. Si les luttes d’hier ne doivent pas être oubliées, il est important de comprendre pourquoi elles restent aujourd’hui encore terriblement d’actualité. 

Le 5 avril 1971, Le Nouvel Observateur diffuse, ce que l’on nomme aujourd’hui, le « Manifeste des 343 salopes ». Soit un texte signé par des femmes célèbres et des anonymes, dans lequel elles revendiquent avoir avorté clandestinement et réclament la légalisation de l’Interruption Volontaire de Grossesse.

Le 12 octobre 2018, L’Obs publie « Mon corps, mes droits ». Un hommage aux 343 Françaises et leur courage, 47 ans auparavant. Cette fois, elles sont militantes, élues, citoyennes, viennent de 28 pays d’Europe et affirment que l’avortement est un droit qui doit être sûr et légal dans tous les pays. La boucle est bouclée ? Loin de là.

La gronde des femmes n’a de cesse de retentir pour dénoncer les inégalités et défendre le droit à disposer de son propre corps. Et donc de décider d’avoir un enfant ou non. Sans être culpabilisées. Sans être jugées. 

LUTTES ACHARNÉES

L’été 71 voit naitre le mouvement Choisir. Pour l’éducation sexuelle et la contraception, pour l’abrogation de la loi de 1920 (qui définit l’avortement comme un crime et assimile la contraception à l’avortement) et pour la gratuité de la défense des femmes poursuivies en justice.

Parmi les signataires du manifeste et les créatrices du mouvement, on trouve la militante et avocate Gisèle Halimi qui défend l’année suivante Marie-Claire, une jeune fille de 16 ans, qui après avoir été violée, a avorté avec la complicité de sa mère – jugée également aux côtés de 3 autres femmes majeures.

Le procès de Bobigny reste aujourd’hui encore dans les mémoires. Car il a secoué l’opinion, mettant en avant que, chaque année, des milliers de femmes ont recours à des avortements clandestins, au péril de leur vie ou de leur santé. En avril 1973, des militant-e-s du Planning Familial, du Mouvement de Libération des Femmes et du Groupe Information Santé fondent le MLAC : le Mouvement pour la Liberté de l’Avortement et de la Contraception.

De très nombreux débats houleux plus tard et moins de deux ans après, la loi Veil - portée par Simone Veil, alors ministre de la Santé - est promulguée pour 5 ans et autorise les interruptions volontaires de grossesse jusqu’à 10 semaines. Si aujourd’hui, on la brandit comme le haut symbole des luttes féministes, cette première version n’est qu’une étape dans l’histoire du droit à l’avortement.

À l’époque, l’argument est principalement sanitaire. On s’efforce de limiter les IVG « à des cas de nécessité », pour empêcher « qu’elles ne deviennent un moyen de réguler les naissances », souligne le site gouvernemental sur l’IVGLa loi est adoptée définitivement en décembre 1979 mais l’opposition est forte, considérant que l’avortement a été banalisé à tort.

Les générations suivantes devront renouveler les mobilisations et les luttes pour obtenir le remboursement de cet acte en 1982, la création du délit d’entrave à l’IVG en 1993, la prolongation à 12 semaines de grossesse en 2001 (aujourd’hui, la volonté étant d’augmenter le délai légal, sur les modèles anglais et hollandais, permettant aux femmes d’avorter jusqu’à 24 semaines de grossesse), la gratuité pour toutes en 2013, la suppression de la notion de détresse en 2014 ou encore la suppression du délai de réflexion de 7 jours en 2016. 

DUR, DE FAIRE ÉVOLUER LES MENTALITÉS

Dans le monde, « une femme meurt toutes les 9 minutes d’un avortement clandestin ». C’est ce qu’a rappelé en mai dernier Véronique Séhier, co-présidente du Planning Familial. Soit environ 47 000 décès, chaque année, sans oublier qu’elles sont également des milliers à subir des complications et/ou mutilations.

Si 56 millions de femmes ont recours à l’avortement chaque année - chiffre stable depuis 2010 -, peu de pays l’autorisent pleinement. 95% l’acceptent pour sauver la vie des femmes enceintes mais, comme le souligne le Planning Familial dans son Focus de février 2017, «la loi qui nécessite la formation des professionnel-le-s, la disponibilité des services, l’information et la rapidité d’intervention, n’est toujours pas appliquée. »

En dehors de Malte, du Salvador, du Nicaragua, du Chili, de Haïti, du Honduras et de la République Dominicaine – qui interdisent drastiquement l’avortement et ne prévoient aucune exception légale pour sauver la vie de la personne enceinte – nombreux sont les pays à imposer des conditions pour y avoir accès : en cas de viol ou d’inceste, malformation fœtale, danger pour la santé physique et/ou mentale... 

Et ce droit, aussi incomplet soit-il, est sans cesse mis à mal, bousculé. Comme ce fut le cas en Espagne en 2014 lorsque le gouvernement de Mariano Rajoy essayait de le supprimer alors qu’il avait été conquis 4 ans auparavant. Un projet abandonné à la suite des nombreuses et massives mobilisations s’indignant d’un tel retour en arrière.

On retrouve quasiment le même cas en 2016 puis début 2018 dans un des pays européens des plus restrictifs en matière de droit à l’avortement : la Pologne. Entre ces deux vagues rétrogrades, le Conseil de l’Europe fait connaître ses inquiétudes au sein d’un rapport qui pointe du doigt un recul des droits des femmes concernant l’accès à la contraception et à l’avortement.

Le commissaire aux droits de l’Homme, Nils Muiznieks, épingle notamment l’Arménie, la Géorgie, la Macédoine, la Russie et la Slovaquie qui adoptent « des mesures renforçant les critères à remplir pour les femmes afin d’avoir accès à l’avortement. » 

LA MONTÉE DES DISCOURS CONSERVATEURS

Outre Atlantique, ce sont les Argentin-e-s ont dû faire face, le 8 août dernier, au rejet du projet de légalisation de l’avortement par le Sénat. La déception est immense. Mais la bataille n’est pas perdue. En janvier, le tweet de Muriel Santa Ana affirmant avoir avorté illégalement délie les langues en Argentine, où les militantes féministes se battent depuis longtemps.

La multiplication des témoignages mène à un projet de légalisation en avril, occupe les débats et pousse des millions de personnes à se réunir dans la rue pour manifester pour l’accès à ce droit, sans condition et restriction. Sans oublier que la mobilisation dépasse les frontières et que le foulard vert, symbole de la lutte des militant-e-s pro-choix, atteint le Chili, l’Équateur, le Pérou, la Colombie et le Mexique.

À cette occasion, Danielle Bousquet, présidente du Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes, rappelle l’importance de réaffirmer le droit des femmes à disposer de leur corps. Tout comme l’a fait l’Irlande, en mai dernier, en se positionnant largement en faveur du 36eamendement.

C’est pourtant, comme la Pologne, un des pays européens les plus restrictifs en matière d’avortement, autorisé uniquement en cas de danger pour la vie de la femme enceinte. Et ce depuis 2012 seulement. Cette année-là, le 21 octobre marque la mort de Savita Halappanavar, femme de 31 ans, qui décède dans un hôpital irlandais où elle est venue pour de fortes douleurs, signes d’une fausse couche.

Sa demande, d’interrompre sa grossesse, est refusée à cause du 8eamendement de la Constitution, adopté en 1983, qui interdit formellement toute pratique de l’IVG. Elle meurt d’une septicémie. En 2013, la loi est alors légèrement modifiée. Les autres raisons sont toujours passibles de plus d’une dizaine d’années d’emprisonnement.

Malgré un cadre ultra conservateur, le pays, à force de luttes militantes acharnées, fait basculer la tendance jusqu’à obtenir le droit à l’avortement jusqu’à 12 semaines de grossesse et jusqu’à 24 en cas de raisons exceptionnelles. 

Si on peut se réjouir d’une telle avancée, personne ne peut néanmoins crier victoire. Parce que les discours religieux et les discours extrêmes s’élèvent. De partout. Début septembre, le président du Syndicat des gynécologues évoque l’avortement en parlant d’homicide.

Quelques jours plus tard, c’est le pape François qui compare l’IVG à un tueur à gage. Régulièrement, les interventions d’Emile Duport, fondateur et porte-parole du mouvement Les Survivants, rappellent que pour certain-e-s, l’IVG reste profondément assimilé à un crime.

« Il a fait son retour sur les plateaux TV, invité par Cyril Hanouna qui faisait une émission « Balance ton poste » et lançait le débat : « pour ou contre l’avortement ? ». C’est décourageant ! Mais l’an dernier, les Survivants devaient faire un tour de France, en commençant par Saint-Malo, et demandaient des fonds via HelloAsso pour le faire. Comme c’est la même plateforme qui héberge des campagnes du Planning Familial, on l’a contactée pour soulever l’incohérence et elle a annulé les dons. Ils n’ont donc pas pu faire leur tournée ! », explique Loren, militante féministe et membre de la commission IVG, contraception du Planning Familial 35.

Le 23 octobre, au soir, une dizaine de femmes assiste et participe à la réunion de la commission, qui se déroule au local de l’antenne rennaise. 

NE PAS SE LAISSER FAIRE ET AVANCER

Si les propos rétrogrades et conservateurs les agacent au plus haut point, les militantes en parlent, échangent mais surtout essayent de ne pas perdre de l’énergie en combattant les provocations.

Ensemble, elles cherchent plutôt à réfléchir à comment orienter et comment faire circuler les informations, souvent détournées par les anti-choix via des sites Internet se présentant comme officiels mais destinés à finalement culpabiliser les personnes en recherche de réponses à leurs questions concernant l’IVG et les démarches à suivre. Et par conséquent, à les détourner de leur objectif initial.

La devise du Planning Familial fracasse leur bêtise de par sa simplicité : libres de nos choix. Chacune doit pouvoir disposer de son corps comme elle l’entend.

« Je suis venue là parce qu’en 2016, j’étais en Argentine et que là-bas l’avortement est illégal. Je me suis intéressée à la question en France et j’ai compris que ce n’était pas acquis du tout. », souligne Valentine, membre également de la commission, rejointe par Loren qui s’est investie ici, en étant une des référentes, pour défendre la liberté du corps et la liberté des femmes, revendications fortement inscrites dans l’ADN de l’association féministe.

Pour elles, la meilleure contraception, c’est celle que l’on choisit. Et l’information délivrée par les professionnel-le-s de la santé autour de la question doit être totale et complète selon les besoins et les envies :

« On ne doit pas préjuger des choix des personnes selon leurs origines réelles ou supposées, leurs âges, leurs classes sociales, leurs orientations sexuelles, etc. »

La lutte passe par l’éducation, qui malheureusement peine encore alors que la loi de 2001 prévoit des cycles d’intervention réguliers tout au long du parcours scolaire. Mais là encore les résistances se dévoilent, la loi n’étant appliquée que partiellement, livrée à la bonne volonté des établissements. 

Pour autant, les militantes ne se découragent pas. Au contraire. La réunion est l’occasion de faire le point sur les actions passées et à venir.

« Valentine, Loren et moi avons fait une conférence à Sciences Po, le 26 septembre (organisée par l’association étudiante Georges Sand, autour de la thématique « Droit à l’avortement : une lutte toujours d’actualité », ndlr). Nous avons opté pour l’angle des luttes actuelles qui nous semblaient importantes, avec l’Argentine, l’Irlande, etc. La salle était remplie et les retours ont été très bons. Les gens étaient vraiment intéressés par le sujet. », annonce Chloé, elle aussi référente de la commission, avant d’évoquer le rassemblement du 28 septembre, place de la Mairie à Rennes à l’occasion de la journée internationale pour le droit à l’avortement. 

« ON PEUT JOUIR ET SE REPRODUIRE ! » : LAISSEZ-NOUS CHOISIR ! 

Ce jour-là, aux alentours de 18h, les banderoles affluent de messages militants : « Otez vos rosaires de nos ovaires », « #Ireland : My body my choice », « Un cintre pour ranger ! Non pour avorter ! », « T’habites à Fougères ? Range tes ovaires », « Woman’s right are human rights », « Mon corps, le mien, pas celui du médecin » ou encore « L’IVG, j’y VEIle », « Simone Veil au Panthéon, loi Veil dans la Constitution ».

Les militant-e-s se réunissent. Les passant-e-s s’approchent. Et au milieu, deux femmes âgées d’environ 70-80 ans lisent les pancartes et échangent à ce propos. « « Plutôt jouir que se reproduire, laissez-nous choisir ! » Oui ! Et on peut jouir ET se reproduire ! », dit la première à son amie qui lui répond : « Et surtout, on peut se reproduire quand on veut ! ». Ce à quoi la première lui rétorque, hilare : « Bah oui, parce que jouir, c’est quand on peut ! » La discussion est réjouissante.

Et le rassemblement, loin – hélas – de combler chaque centimètre pavé de la place, réunit plusieurs générations de femmes (et quelques hommes) alliées dans le combat des femmes pour la liberté. Avant que l’Hymne des femmes retentissent à l’unisson, les prises de parole s’enchainent, appelant à la solidarité dans le monde entier pour obtenir un droit à l’avortement légal, libre et gratuit, partout.

« C’est un choix personnel, ce droit doit être accessible à tou-te-s. Nous exigeons de nos gouvernements qu’ils garantissent ce droit fondamental. », déclare le Planning Familial 35. L’association Osez le Féminisme 35 complète :

« Le droit à l’IVG est toujours menacé ! Le 11 septembre, Bernard de Rochambeau qualifie l’avortement d’homicide. Nous rappelons que l’entrave à l’IVG est un délit ! ».

Les discours des unes et des autres exigent la formation de tou-te-s les professionnel-le-s de la santé aux techniques d’IVG, la diffusion de l’information et l’éducation. Les militantes des Effronté-e-s Rennes signalent également :

« On nous rabat les oreilles avec l’entrée de Simone Veil au Panthéon. Mais nous ne pouvons pas nous satisfaire de symboles. Nous nous sommes réjouies avec la victoire de nos sœurs irlandaises. Nous avons été déçues avec nos camarades argentines. Nos voisines belges luttent encore pour la légalisation. Nous sommes debouts. Nous sommes des héritières et nous ne nous laisserons pas dire ce que nous devons faire. Un enfant, si je veux, quand je veux, avec qui je veux ! »

Des positions auxquelles adhèrent les Jeunes communistes 35 qui pointent « le refusdu droit de disposer de son corps » mais aussi « la désinformation encore répandue, notamment sur Internet » et le manque « de conditions matérielles et humaines, comme à Fougères. »

L’ACCÈS À L’IVG : TOUJOURS TRÈS COMPLIQUÉ

Lors de la réunion de la commission IVG, contraception, tout comme au moment du rassemblement, plusieurs points cruciaux des luttes actuelles sont abordées : le délit d’entrave à l’IVG et la double clause de conscience. Le premier a été défini à l’époque, en 1993, pour pénaliser les groupes qui perturbent les établissements pratiquant l’IVG ou menacent les centres hospitaliers.

En 2017, le délit d’entrave à l’IVG est étendu au numérique, afin de pénaliser également les sites qui cherchent intentionnellement à induire les femmes en erreur. Pourtant, aujourd’hui encore, les opposant-e-s au droit de choisir – dont les sites de désinformation sont connus et réputés - ne sont toujours pas inquiétés, sanctionnés ou jugés (la peine encourue est de deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende), comme le souligne France Inter, le 17 mars 2018.

Un peu plus d’un mois plus tôt, à deux reprises, la devanture du local du Planning Familial de Rennes est taguée et recouverte d’affiches clairement orientées anti-choix. L’entrave à l’IVG n’est pas retenue et reconnue. 

Autre inquiétude forte : la double clause de conscience des professionnel-le-s de la santé. Pour comprendre, le conseil national de l’Ordre des médecins expliquait dans un rapport publié en 2011 que :

« La clause de conscience, c’est, pour le médecin, le droit de refuser la réalisation d’un acte médical pourtant autorisé par la loi mais qu’il estimerait contraire à ses propres convictions personnelles, professionnelles ou éthiques. »

Le problème majeur, dans le cas de l’IVG, est que cette clause est double puisqu’elle figure dans la loi de 1975. Fin septembre, la sénatrice Laurence Rossignol a déposé, avec 71 sénateurs socialistes, une proposition de loi pour supprimer la clause de conscience inhérente à l’Interruption Volontaire de Grossesse.

L’opposition s’insurge, les anti-choix aussi. Pourtant, ils n’ont apparemment pas été nombreux à s’insurger et à user de leur clause de conscience dans les années 60/70 lorsque l’État français encourageait l’IVG et la contraception dans les départements d’outre mer…

Combien de médecins blancs ont refusé d’obéir à l’ordre de pratiquer, en juin 1970, à La Réunion, des milliers d’avortements non consentis et de stérilisations forcées ? (Lire sur le sujet : Le ventre des femmes – Capitalisme, racialisation, féminisme, de la politologue Françoise Vergès, publié en mars 2017, aux éditions Albin Michel).

Le paradoxe est troublant et montre que le corps des femmes n’appartient pas aux femmes, surtout quand elles sont racisées. De même pour les personnes trans, les intersexes, les non binaires, etc. 

Pour la sénatrice, cette clause de conscience est « aujourd’hui le symbole d’un pouvoir médical qui s’arroge le droit de contester la loi et continue de se mobiliser pour contrôler le corps des femmes. » Là où les femmes doivent en permanence justifier du pourquoi elles souhaitent interrompre leur grossesse, les médecins, eux, n’ont pas à le faire.

La loi leur demande simplement de signaler leur refus sans délai à la patiente et de les informer immédiatement de noms de praticien-ne-s susceptibles de pratiquer l’intervention. « Les propos tenus par Bernard de Rochambeau sont scandaleux ! Heureusement, il n’est pas le représentant de tou-te-s les gynécos ! Apparemment, le syndicat représente 20% de la profession. On n’en peut plus de la double clause de conscience… Après, un médecin qui ne veut pas pratiquer l’avortement, c’est mieux pour les femmes qu’il ne le fasse pas. Mais pas qu’on leur dise qu’ils ont une clause particulièrement pour cet acte ! Par contre, ce qui est très très important, c’est cette obligation à informer les patientes dans les temps. Et ça, il faut vraiment qu’on réfléchisse à comment on communique autour de cette obligation. », s’insurgent les membres de la commission du PF35. 

L’AFFAIRE DE FOUGÈRES INQUIÈTE 

Visiblement, l’information ne circule pas dans tous les cabinets et centres hospitaliers. Le groupe féministe de Fougères en témoigne depuis plusieurs mois, alertant sur la situation inquiétante du Centre Hospitalier de Fougères. Hélène et Catherine, membres du groupe, expliquent :

« Nous avons été alerté-e-s par des ami-e-s sur le fait qu’il n’y avait plus là-bas de mammographies. L’une de nous a alors posé la question au conseil municipal, quant à la santé des femmes. Entre temps, nous avons appris par une participante du groupe qu’il y avait également des difficultés d’accès à l’IVG. On a demandé à des femmes - se faisant passer pour des personnes souhaitant avorter ou avoir des réponses à ce sujet - de téléphoner à l’hôpital, pour voir la réaction. Et ça a été assez affligeant. L’accueil n’était pas à la hauteur. Elles nous ont signalé qu’il y avait des blancs dans la conversation, qu’on leur répondait « On ne peut rien pour vous ». Au mieux, on leur disait d’appeler à Rennes et on leur donner le téléphone de l’Hôpital Sud. Alors, certes, il y a des cars qui font le trajet Fougères – Rennes mais encore faut-il pouvoir y aller ! Parce que si on vit en dehors de Fougères, je vous raconte pas et ensuite une fois à Rennes, il faut reprendre d’autres transports pour aller jusqu’à l’hôpital ! »

C’est la double peine. Aucune IVG chirurgicale n’est pratiquée, aucun accès à Rennes n’est facilité et mis en place. « En fait, le médecin qui pratiquait les avortements est parti à la retraite en juin 2017. Un autre gynéco a donc fait les IVG jusqu’en décembre puis a invoqué sa clause de conscience. On ne comprend pas. Les IVG médicamenteuses sont autorisées mais pas les IVG chirurgicales. Et puis, quelle est la différence entre une chirurgie et une IVG chirurgicale ? En gros, ce n’est pas un acte assez glorieux pour eux ? », s’interrogent les militantes qui ont immédiatement envoyé des courriers au directeur de l’établissement hospitalier, au maire de Fougères (également président du Centre Hospitalier), à l’agglomération de Fougères et à l’Agence Régionale de Santé.

« On n’a pas eu de réponse de Fougères agglo mais l’ARS a rappelé que c’était une mission que l’hôpital se devait de proposer et le directeur nous a reçu-e-s. Nous nous sommes senties écoutées et entendues. En fait, en juin dernier, le directeur venait tout juste d’arriver et avait pris 3 semaines de congé paternité. Il ne connaissait donc pas encore tous les services mais a bien entendu nos questionnements. », soulignent Hélène et Catherine.

L’intervention du groupe féministe de Fougères, et leur détermination à ne rien lâcher, a permis d’obtenir plusieurs points capitaux pour les femmes souhaitant avorter : que le protocole soit clairement signifié sur le site et expliqué aux femmes tout comme la démarche à suivre pour se rendre à Rennes, qu’un nouvel échographe s’installe à Fougères afin d’accéder à la datation de la grossesse (nécessaire ensuite aux démarches), que les mineures qui en font la demande puissent bénéficier d’un transport jusqu’à Rennes payé par l’hôpital.

« On ne l’a pas encore obtenu mais on demande, et c’est important, un arrêt maladie d’une journée minimum pour aller à Rennes. Quand on est en CDI, ou en CDD depuis longtemps à la limite, ça peut passer mais quand on est en situation de précarité, ce n’est pas évident de quitter son boulot pour aller avorter. Et c’est important de pouvoir le faire dans les temps ! », insistent les deux militantes qui veillent - avec le reste du groupe, la vigilance de leurs entourages et le soutien et l’appui de structures comme le Planning Familial – à ce que leurs revendications soient prises en compte :

« Il faut de la vigilance là-dessus car le dérapage n’est pas loin. Il y a un vrai retour en arrière au niveau des services de santé dédiés aux femmes, que ce soit pour l’IVG ou les mammographies, où là aussi normalement on devrait obtenir l’arrivée d’un radiologue spécialisé. On est très motivées et on va maintenir le cap. On reste sur le qui vive et certaines sympathisantes continuent d’appeler l’accueil de l’hôpital et constatent que ce n’est pas encore top top… On défend les droits des femmes, la liberté de parole, la liberté de conscience et le service public ! On a un vrai rôle. S’il n’y avait pas de groupe féministe à Fougères, il n’y aurait plus rien pour l’IVG ! »

CHANGER LA MANIÈRE DE PENSER

L’an dernier, le Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes demandait un moratoire sur la fermeture des centres IVG, 130 ayant été fermés entre 2001 et 2011, et ajoutait par la même occasion que la structure souhaite « le développement de l’offre de proximité, en accordant aux Centres de planification et d’éducation familiale (CPEF) et aux maisons médicales pluridisciplinaires la possibilité de pratiquer des IVG par aspiration », précise l’article « Accès à l’IVG : encore trop de freins », publié le 18 janvier 2017 sur francetvinfo.fr.

Si la France n’atteint pas encore les 70% de médecins invoquant cette clause spécifique comme en Italie, pour autant, il faut rester alertes et vigilant-e-s. Car les femmes sont quasi systématiquement culpabilisées. Si la loi permet l’accès libre et gratuit à tou-te-s à l’avortement, nombreuses sont celles qui témoignent d’un mauvais accueil, voire d’un jugement acerbe, agressif et violent face à leur décision ou leurs interrogations. 

France Culture dédiait une émission, « Les pieds sur terre », à la parole de celles qui ont vécu le refus brutal d’un-e praticien-ne. Renvoyées à leur irresponsabilité et réduites à leur rôle de reproductrices et génitrices, elles racontent et livrent ce qu’elles ont ressenti à ce moment-là, souvent incrédules face à la violence de la réaction et souvent contraintes à se remettre en question alors qu’elles n’auraient pas dû être amenées à se justifier. 

DÉSACRALISER L’ACTE

Le traumatisme de l’avortement doit être déconstruit. Parce que l’argument énoncé par Simone Veil – « Aucune femme ne recourt à l’avortement par gaieté de cœur. » - lors de son discours à l’Assemblée en novembre 1974 n’est plus valable. À l’époque, les femmes faisant appel à celles que l’on nommait les tricoteuses ou les faiseuses d’ange pouvaient perdre (et ont perdu) la vie, tout comme celles qui les aidaient (Sur le sujet : L’événement, écrit par Annie Ernaux / Une affaire de femmes, réalisé par Claude Chabrol / 4 mois 3 semaines 2 jours, réalisé par Cristian Mungiu / Histoire d’A, réalisé par Charles Belmont et Martielle Issartel).

Des décennies plus tard, on associe toujours à tort IVG et mise à mort d’un enfant, sans le dire précisément. L’idée reste, et démontre alors que les femmes ne disposent pas encore véritablement de leur corps. Comme si elles ne pouvaient pas être en adéquation avec leur décision. Comme si elles ne pouvaient pas sereines.

D’où l’importance de la diffusion de l’information et de l’éducation. Aux droits, aux choix, à la liberté. C’est ce que prône la commission IVG, contraception du Planning Familial 35, dont les membres travaillent depuis plusieurs mois à l’écriture et l’élaboration de vidéos YouTube, d’environ 4 à 5 minutes, sur plusieurs thématiques, telles que la diversité des orientations sexuelles, la question du choix et du consentement, les IST, la contraception et l’avortement.

« L’idée avec des vidéos un peu humoristiques, c’est de toucher un public jeune, allant des collégien-ne-s aux trentenaires. Pour ce projet, on collabore avec Iskis – Centre LGBT de Rennes. C’est important que tout le monde puisse se reconnaître dedans. »
souligne Marie, qui œuvre avec Laure, à la concrétisation de ce gros projet. 

Parce que l’acte doit être déstigmatisé. Et ce que fait brillamment le blog IVG, je vais bien, merci ! (blog.jevaisbienmerci.net) qui a publié le livre J’ai avorté et je vais bien, merci. Une BD décomplexante qui tord le cou à toutes les idées reçues et qui s’accompagne depuis septembre 2018 de « 2 ans après : le bilan » (à découvrir sur mylittleivg.wordpress.com).

Dès les premières illustrations, on sourit : « Wahou ! Salut tout le monde ! / Comment ça va depuis deux ans ? / Moi ? Ça va super ! / Alors, le bilan deux ans après… / Déjà les anti-IVG sont nuls en prédiction du futur. / Parce que contrairement à ce qu’ils m’ont gentiment annoncé / Je n’ai pas été traumatisée. »

Trop souvent soumises à l’injonction à la maternité, les femmes perçoivent l’avortement comme un échec et comme le symbole de la faute commise. Celle de tomber enceinte. Parce qu’elles n’ont pas veillé à rigoureusement se protéger. Les luttes féministes s’imbriquent.

Pour mettre en avant la capacité des femmes à choisir et à disposer des mêmes droits que ceux des hommes. Le combat pour le droit à l’avortement, étendu au combat pour le garder et l’étendre à tous les pays, dans les mêmes conditions d’accès (les mouvements féministes demandent d’ailleurs l’inscription du droit à l’avortement dans la Charte européenne des droits fondamentaux), n’est pas isolé et rejoint les revendications portées sur la liberté de disposer de son propre corps.

Un corps qui n’est pas forcément blanc, pas forcément mince, pas forcément intégré aux normes cisgenres, pas forcément en partage… Les militantes insistent, et nous aussi : libres de nos choix. 

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Célian Ramis

PMA pour tou-te-s : L'urgence !

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Le projet de loi aurait du voir le jour en 2013, et plus récemment celui qui devait être rédigé à l’automne 2018, puis début 2019 a été repoussé à juin 2019 puis de nouveau repoussé... Pourquoi ?
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C’est la thématique qu’ont choisi de développer le Collectif breton pour la PMA et l’association Georges Sand lors d’une conférence organisée le 29 janvier dernier, à l’IEP de Rennes. 

«J’avais 33 ans quand Najat Vallaud-Belkacem a annoncé que ça allait se faire. Moi qui ne voulait pas aller à l’étranger… J’en ai maintenant 40. C’est une urgence parce que je ne suis pas sûre qu’on ait réellement parlé de la PMA, de la technique médicale pour concevoir un enfant. On a entendu des discours pour beaucoup lesbophobes et transphobes. C’est un imaginaire extrêmement néfaste qui se construit en France depuis 2012. », déclare Alice Coffin, journaliste militante féministe lesbienne, qui dénonce la lesbophobie d’État nichée derrière le report systématique* d’un projet de loi encadrant l’extension de la PMA aux couples lesbiens, femmes célibataires et personnes trans.

Elle parle de « grande mythologie, grande fable, autour de la PMA ». Les politiques la promettent depuis maintenant 7 ans sans jamais tenir leurs engagements. Violences des non-actes, des discours relayés par les médias, invisibilisation des personnes concernées, manque de représentation…

Alice Coffin analyse un ensemble de faisceaux indiquant que les pouvoirs en place discriminent ardemment les lesbiennes. « Les mois à venir vont être durs. La Manif pour tous a eu des effets désastreux et il y a un vrai lien entre les propos relayés par les politiques et les agressions LGBTphobes. », conclut-elle, pessimiste mais toujours activiste.

Discriminations flagrantes, lâcheté politique, mauvais traitement médiatique, la liste des impunités est longue et toxique puisqu’elle conduit une partie de la population, privée de droits égaux à ceux des hétéros cisgenres, à l’asphyxie. Une liste à laquelle Florence Bertocchio, militante transgenre, ajoute la transphobie de la Justice et de la Santé.

La question de la conservation des gamètes est épineuse. Y avoir recours avant un traitement entrainant la stérilité, oui. Y avoir recours avant un traitement entrainant la stérilité dans le cas d’une transition, non.

« On nous dit ‘Vous n’avez qu’à adopter’ alors que c’est très compliqué d’obtenir l’agrément pour l’adoption quand on est une personne trans et ‘Vous n’avez qu’à avoir des enfants avant la transition’ mais jeune on ne pense pas toujours aux enfants qu’on voudra ou non plus tard. C’est important de pouvoir conserver ses gamètes pour pouvoir y avoir accès même après une transition. », déclare-t-elle, s’appuyant sur des décisions judiciaires clairement transphobes et un cas concret de contentieux opposant une femmes trans et un CECOS.

Les deux militantes démontrent l’urgence absolue qu’il y a à établir cette loi. Pour donner les mêmes droits à tou-te-s. Peu importe le sexe, le genre et l’orientation sexuelle. 

* Le projet de loi aurait du voir le jour en 2013, et plus récemment celui qui devait être rédigé à l’automne 2018, puis début 2019 a été repoussé à juin 2019.

Célian Ramis

Pour se réapproprier son corps : "Appelons une vulve une vulve"

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CRIJ, Rennes
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« La médecine moderne s’est construite sur les cendres de la chasse aux sorcières », nous informe Nina Faure, réalisatrice militante du documentaire Paye (pas) ton gynéco, diffusé au CRIJ de Rennes.
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« La médecine moderne s’est construite sur les cendres de la chasse aux sorcières »,nous informe Nina Faure, réalisatrice militante du documentaire Paye (pas) ton gynéco, diffusé au CRIJ de Rennes le 27 novembre dernier lors d’une soirée organisée par le Planning Familial 35. Une explication qui permet de comprendre – sans excuser – le caractère patriarcal et sexiste de ce secteur et d’envisager, ensemble, des solutions pour lutter individuellement et collectivement contre les violences gynécologiques et obstétricales. 

« Un acte médical n’a pas à être douloureux ou humiliant. », signale en guise d’introduction Aurore, militante au PF 35 et animatrice de la soirée consacrée aux violences gynécologiques. Ce soir-là, la salle du 4 Bis est pleine à craquer, plusieurs personnes assistant à la conférence assises sur le sol ou debout au fond de la salle. 

« Ce n’est pas un hasard que nous soyons aussi nombreuses. Je me souviens quand le #Payetonutérus a été lancé, très vite, il y a eu 7000 témoignages sur Twitter. C’est ce qui m’a fait me questionner car je pensais que je n’étais pas victime. Il a fallu lire les témoignages des autres pour réaliser que j’avais été exposée à ça, aux remarques sexistes. », souligne ensuite Nina Faure. 

Avant la projection de son documentaire, mis en ligne sur YouTube le 27 juin 2018, elle en précise la genèse : « J’avais un projet de film sur le désir féminin. J’ai fait pas mal d’entretiens avec des femmes et j’ai constaté qu’elles parlaient beaucoup des violences gynécologiques. Le film ne montre pas l’entièreté du sujet mais sert à ouvrir le débat ». 

Elle milite pour une redéfinition des pratiques ainsi qu’une redéfinition de ce qu’est le corps dans l’espace social en tant que personne ayant un vagin. Et donc pour la déconstruction des idées patriarcales, très répandues encore dans la médecine moderne. Ce que confirme Elinore, médecin généraliste en exercice depuis 3 ans au Planning Familial de Rennes :

« Déconstruire plein de trucs a été un apport énorme dans ma pratique ! »

OUTILS DE PRISE (ET DE RÉVEIL) DE CONSCIENCE

« Et bah je ne vous excite pas des masses quand même ! ». Ce sont les propos d’un gynécologue face à Nina Faure, en caméra cachée lors d’une consultation, en mesurant sa tension. En réaction, elle écrit au site Gyn&co sur lequel elle a trouvé le contact du praticien afin que ce dernier soit retiré de la liste. 

La suite de son documentaire est tout aussi choquante. Au niveau du langage employé – on n’utilise pas le terme pénétration en médecine mais invasif et ce terme ne s’applique pas aux examens gynécologiques – tout comme au niveau des témoignages d’étudiant-e-s en médecine et des arguments affligeants des représentants du secteur.

D’une vingtaine de minutes environ, Paye (pas) ton gynéco sert d’outils, non seulement en terme de prise de conscience mais également comme moyen d’ouvrir le débat et de réfléchir ensemble à l’objectif commun, selon la formule du médecin et écrivain, Baptiste Beaulieu, « Soignants, soignés, réconciliés ». 

« Je suis allée voir les représentants pour essayer de comprendre pourquoi ils réagissent dans le déni, dans la négation du problème. Il y a une volonté de ne pas remettre en question l’autorité de la blouse blanche. La profession est marquée par cette volonté de protection corporatiste, c’est très patriarcal. »
explique la réalisatrice. 

L’autorité de la blouse blanche. Une des bases du problème. Parce que le médecin « est dans la position du sachant, et donc dans une position de domination. », souligne Elinore. Ce qui explique qu’il soit difficile pour les femmes de réagir ou de contester lorsqu’elles font face, jambes écartées, pieds dans l’étrier et tête du praticien au niveau de leur vulve, à des remarques ou actes sexistes et sexuel-le-s. 

Il s’agit, comme le signale Aurore - en réagissant au conseil de Martin Winckler, recommandant aux patientes de quitter le cabinet sur le champ, sans payer -  d’« une barrière symbolique ».

Et le symbole est très prégnant dans l’histoire de la gynécologie moderne : « Le speculum a été inventé par un tortionnaire qui le testait sur des esclaves ! Il y a là un rapport de domination de genre et de race. La médecine moderne s’est construite sur les cendres de la chasse aux sorcières. Les femmes ont été brûlées parce qu’elles étaient autonomes, émancipées, détenaient un savoir populaire sur le corps des femmes, concernant notamment l’avortement, la contraception et la grossesse… » 

Et ça, ça dérange. Et parce que ça dérange, le pouvoir ecclésiastique le détruit pour construire une médecine non mixte. « C’est en 1871 que les femmes sont réintroduites. Il s’agit d’une infirmière, envoyée sur le front de guerre et qui opère avec des outils conçus par des hommes. Le speculum, les forceps,… Il y a dans ces termes une puissance symbolique ! », ajoute Nina Faure. 

DÉPOSSÉDÉES DE NOS CORPS

Le Syndicat National des Gynécologues et Obstétriciens a toujours été présidé par des hommes (Bernard de Rochambeau, qui considère qu’un avortement est synonyme d’un homicide, occupe actuellement le poste). La représentation sociale du médecin est donc ainsi : homme, blanc, hétéro, cis, bourgeois.

« Je suis étonnée de l’incapacité de certains médecins à expliquer les choses aux patientes. Expliquer le corps et son fonctionnement, c’est là le devoir du médecin. Sans ça, il ne peut pas y avoir de réappropriation du corps. Parfois, en consultation, pas toujours mais j’essaye de le faire, je propose à la patiente de mettre elle-même le speculum, je demande si elle veut voir le col de l’utérus, etc. »
énonce Elinore, dans une démarche bienveillante et militante. 

Aux méthodes patriarcales s’ajoutent le manque d’écoute, d’empathie et l’application rigoureuse de certaines idées qui ont la vie dure. Comme le frottis par exemple utilisé dans le cadre du dépistage du cancer du col. Pour Elinore, « il est conseillé mais pas obligatoire. Certains médecins se disent qu’il faut le faire tous les ans, c’est comme ça, pas autrement. Mais non… »

Aujourd’hui, il est préconisé dès l’âge de 25 ans. Pas avant. Comme de nombreuses femmes, Nina Faure l’a pourtant vécu bien avant cela : « J’ai eu le menu complet dès le début ! Je trouve que c’est une conception qui nous amène à penser que notre corps est tout le temps malade et que l’on ne peut pas détecter quand il y a quelque chose. C’est la base de la dépossession : nous donner peur de notre corps en pensant qu’il peut nous trahir en permanence. 

Alors tous les ans, on nous fait venir pour le check up. C’est pas un contrôle technique ! C’est impossible de s’éloigner de cette conception alors qu’on peut très bien sentir quand on ressent une gêne, on peut observer nos pertes, etc. Avec un speculum, j’ai pu observer mon col, constater mon cycle, découvrir une partie de moi, le visualiser dans l’espace. Avant, l’intérieur de mon vagin était totalement abstrait pour moi. Mais ça a vraiment du sens dans la réappropriation du corps. »

SE RÉAPPROPRIER NOS CORPS, NOS VULVES, NOS VAGINS

Il faut attendre septembre 2017 pour qu’un manuel de SVT publie enfin un schéma du clitoris. Dans tous les autres livres scolaires, il est le grand absent. Comme dans le livre du médecin et animateur TV, Michel Cymes, Quand ça va, quand ça va pas : le corps expliqué aux enfants (et aux parents) 

« Il a totalement oublié le clitoris parce que soi-disant on ne parle pas de ça aux enfants. La page suivante, il parle érection… Et puis de manière générale, on parle du pénis pour les garçons et du vagin pour les filles, alors que chez les filles, il y a le clitoris, la vulve, le vagin… ça change l’histoire ! »

Pour elle, l’éducation à la sexualité (non sexiste) doit être intégrée dans les programmes de SVT dont les ouvrages doivent proposer des schémas anatomiques exacts. Pour ne pas laisser penser que le sexe féminin est un point. Un trou. Un rien.

« Le langage est un moyen puissant de représentation. On dit que chez les garçons, le sexe est dehors et chez les filles, le sexe est dedans. Mais NON ! La vulve est dehors. Une partie du clitoris aussi. Souvent, on dit vagin à la place de vulve. Il faut appeler une vulve une vulve ! C’est une vraie libération d’utiliser les bons mots et en plus ça fait du bien à tout le monde ! », scande la réalisatrice.

Parce que l’histoire n’est pas écrite « par les personnes qui ont un vagin », il est nécessaire aujourd’hui de redéfinir les termes du débat. D’un autre point de vue. Celui des femmes. Pour des représentations plus justes. Mais aussi pour accéder à une relation plus égale entre les médecins et les patient-e-s. 

Par sa posture de sachant-e, le/la professionnel-le de la santé domine la personne qui s’en remet à lui/elle. Quand s’ajoute des critères de sexe, la parole des femmes est minimisée et celles-ci, dès le plus jeune âge, intègrent cela comme étant la norme. Douleurs et gênes dans le bas ventre, inconfort lors de l’examen, cycle menstruel invivable et handicapant au quotidien… ce seraient elles qui exagèrent, car « ce n’est rien ». Le même rien que le sexe féminin. 

« On n’arrête pas de se dire ‘je ne suis pas victime, je vais m’en remettre’, mais non ! Même principe qu’avec les blagues, les remarques sexistes, etc. L’enchainement des petites blagues fait que notre existence est affaiblie et on n’a même plus les moyens de répondre. C’est un continuum de violences. Jusqu’à la domination. »
souligne Nina Faure. 

Les solutions sont multiples. Il y en a « toute une palette ». Au niveau individuel, elle conseille « ce qui fait du bien, ce qui fait se sentir bien avec soi. » Partir du cabinet d’un-e médecin sexiste et malveillant-e, écrire à l’établissement de santé dans lequel la personne a été violentée, maltraitée, aller (essayer de) porter plainte au commissariat…

Elle croit particulièrement au collectif pour échanger d’abord des témoignages puis réfléchir ensemble à des ressources pour amener la société à évoluer vers un traitement digne et bienveillant des personnes dans le suivi médical.

« Il faut redéfinir ce qui se passe socialement et cela se fait grâce à toutes les actions militantes. La société sexiste est partout. Quand on veut s’en défendre, on s’y re-confronte tout de suite après. Se regrouper entre femmes est un puissant outil politique. Car ça permet de prendre conscience de notre condition, ça nous arme. Être entourée de femmes, pour moi, a été une étape nécessaire pour me former et me défendre intellectuellement. »

Difficile de légitimer sa parole quand on se sent seule, anormale. On craint les « tu exagères », les « mais non, ce n’est rien », les « ça va, y a plus grave, arrête un peu ». Les femmes prennent l’habitude de voir leurs paroles minimisées. Avec le temps, elles apprennent à vivre leurs souffrances et leurs difficultés en silence. 

Heureusement, grâce aux féminismes et aux nombreuses luttes des militantes (qui n’ont pas attendu le mouvement #MeToo et #BalanceTonPorc), les témoignages se multiplient pour ne plus subir de violences dont font grandement partie les violences gynécologiques et obstétricales.

Cependant, les résistances sont malheureusement très coriaces et la déconstruction a du mal à s’opérer. Si les militantes des années 70 revendiquaient déjà le droit à disposer de leurs corps, en prônant le recours à l’auto-examen comme moyen de se les réapproprier (documentaire Clito va biendu groupe Femmes de Quimper en 1979 – Lire notre article « Sortir de l’ombre le tabou du corps et de la sexualité », 12 octobre 2018, yeggmag.fr), elles sont encore minoritaires celles qui le pratiquent.

Ce soir-là, Nina Faure est venue avec son kit, montrant différents speculums et expliquant qu’avec quelques outils et accessoires, il est possible d’observer sa vulve, son vagin, son col de l’utérus. Apprendre à distinguer comment notre sexe est bâti. Apprendre à repérer les changements lors du cycle. Apprendre à concevoir son sexe, y compris la partie interne qu’on ne voit pas et dont on ne nous parle pas mais qui existe bel et bien.

ÉDUCATION ET FORMATION, DES ENJEUX MAJEURS

L’éducation a un rôle fondamental à jouer et pourtant, la loi de 2001 n’est toujours pas appliquée dans tous les établissements, censés dispenser des séances d’éducation aux sexualités et à la vie affective à plusieurs reprises dans l’année, que ce soit en élémentaire, au collège ou au lycée.

Pareil dans la formation des étudiant-e-s en médecine. Elinore le confirme :

« Pendant nos études de médecine, on n’est pas formé-e-s à la sexualité, aux particularités féminines. Seulement à l’angle reproductif en gynéco… »

Pourtant, la formation est indispensable pour combattre les normes sexistes qui régissent nos sociétés, tout comme les médecins devraient être formé-e-s à la transmission de l’information. On le voit avec « la norme de la contraception » définie « en fonction de l’âge », souligne la médecin du PF35 : 

« Quand une femme est jeune, on va forcément lui donner la pilule, sauf si elle demande autre chose. C’est au médecin de lui donner toutes les informations sur les différentes contraceptions mais aussi sur les effets indésirables de la pilule, que ce soit sur l’humeur, la libido, etc. 

À 30 ans, beaucoup de femmes ne veulent plus la pilule. Peut-être que le médecin qui lui a donné la pilule au départ n’a pas abordé la question du désir, etc. Ce n’est pas normal. Tout comme ça ne devrait pas être un problème d’obtenir un stérilet quand on est jeune… »

Elle regrette également que la question du consentement ne soit pas automatique. Au Planning Familial, « une affiche dans la salle d’attente dit qu’ici il n’y a pas d’examen non consenti et surtout, qu’il n’y a pas toujours d’examen. Ce n’est pas obligatoire. »

Les examens intrusifs, les positions pour les pratiquer, l’écoute lors de la consultation, l’information complète (afin d’être personnalisée), l’empathie… Il est maintenant essentiel que toutes ces thématiques soient posées sur la table et discutées.

La médecine moderne ne doit pas continuer de se développer au détriment des femmes comparées à des juments lors du 42econgrès national des gynécologues et obstétriciens, qui a eu lieu les 6 et 7 décembre 2018 et qui a alors diffusé une diapo contenant les propos suivants : 

« Les femmes c’est comme les juments, celles qui ont de grosses hanches ne sont pas les plus agréables à monter, mais c’est celles qui mettent bas le plus facilement. »

Heureusement, le président du syndicat, Israel Nisand a expliqué, en s’excusant, qu’il s’agissait d’une maladresse. On aurait peut-être pu y croire (en fait non) si les intitulés des master-class au programme n’étaient pas « Ces prétendues violences obstétricales : les enjeux juridiques » et « Comment se prémunir des plaintes pour attouchements sexuels ».

On se réjouit alors de la diffusion du documentaire de Nina Faure, Paye (pas) ton gynéco, de soirées comme celle organisée par le Planning Familial le 27 novembre affichant complet et d’actions militantes libérant la parole et permettant de petit à petit se construire, dans l’individuel comme dans le collectif. 

Pour que chacun-e se réapproprie son corps, sa vulve, son vagin, son clitoris, ses fesses, ses seins, ses hanches, etc.

Célian Ramis

"C'est quoi un bon parent ?", une campagne pour l'extension de la PMA !

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« PMA, L’égalité n’attend pas », conclut la nouvelle campagne lancée et largement diffusée sur les réseaux sociaux le 10 octobre par SOS Homophobie « C’est quoi un bon parent ? #BonsParents ».
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« PMA, L’égalité n’attend pas », conclut la nouvelle campagne lancée et largement diffusée sur les réseaux sociaux le 10 octobre par SOS Homophobie « C’est quoi un bon parent ? #BonsParents ». 

Plus de 70% des Français-es se déclarent en faveur de l’extension de la PMA aux couples lesbiens et aux femmes célibataires. Tout comme le Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes et le Défenseur des droits. Ou encore le Comité consultatif national d’éthique qui a renouvelé le 25 septembre dernier l’avis positif déjà émis en 2017.

« C’est un combat de près de 20 ans. Dix pays de l’Union Européenne ont déjà ouvert la PMA à tou-te-s sans que les conséquences énoncées par les opposants soient vérifiées. Il y a en France une grande hypocrisie car depuis longtemps, des enfants sont élevés par des couples de même sexe. En 2013, la promesse n’a pas été tenue. En 2018, elle doit l’être, c’est un engagement électoral, et la France doit entrer dans la liste des pays qui autorisent les couples lesbiens à accéder à la PMA. La reconnaissance de ces familles est essentielle et l’extension du droit existant doit se faire peu importe la situation maritale, l’orientation sexuelle, etc. ».

Elsa, membre des Effronté-e-s Rennes – association membre du Collectif breton pour la PMA, au même titre que Iskis – Centre LGBTI+ Rennes, SOS Homophobie Bretagne, Aedelphe et le Planning Familial 35 – dénonce la libération et l’impunité des discours homophobes portés par les élus au sein même des institutions et rappelle l’urgence à passer à l’action : « Les familles homoparentales existent déjà, il faut changer le regard sur ces familles. »

DONNER LA PAROLE AUX CONCERNÉES

Outre la propagande « Un papa, une maman, un enfant » de la Manif pour tous – et la grande responsabilité des médias qui leur donnent la parole sans modération, à l’instar des 4 pages que Libération leur a dédié début octobre – Dominique, membre du Planning Familial 35 soulève une différence importante de traitement et de point de vue : 

« On lit beaucoup qu’une PMA, dans le cadre d’un couple hétéro, c’est pour résoudre un problème médical. Et dans le cadre d’un couple homo, c’est pour résoudre un problème sociétal. Mais pourtant, on ne guérit pas la stérilité avec la PMA. Dans tous les cas, il s’agit de répondre à un désir d’enfant par des moyens médicaux. »

Le débat autour de l’extension de la PMA est souvent animé et agité. Parce que les opposants, minoritaires, sont trop souvent exposés dans les médias. L’absence des personnes concernées au sein même des échanges et des décisions, voilà ce que dénonce la tribune signée par 88 femmes lesbiennes et bies ayant eu recours à une PMA à l’étranger, diffusée sur FranceInfo :

« Pour cinq opposants, combien de lesbiennes avez-vous interrogées ? Le décalage est criant et le combat médiatique, inégal, dès le départ. Car, quand bien même vous nous donneriez la parole équitablement, nous ne viendrions qu’avec nos vécus, nos émotions, nos familles, auxquels vous n’accordez pas le dixième de l’attention que vous portez aux « spécialistes », « analystes » ou « éditorialistes » qui glosent sur nos situations de vie. »

DES FAMILLES COMME LES AUTRES

Principalement, ce qu’elles mettent en avant dans la tribune, c’est l’évidence de l’amour qu’elles portent à leurs enfants et leurs familles :

« Ne vous inquiétez pas pour nos enfants. Ils ont été désirés. Ils ont été attendus, parfois longtemps. Ils sont aimés. »

C’est là le propos de la nouvelle campagne, commandée par SOS Homophobie. Une famille normale. Deux femmes et un enfant. Une famille normale. Qui s’occupe de son enfant. Qui rit avec lui, le gronde, le somme de faire ses devoirs, le câline, partage des instants avec, etc.

« Ce n’est pas le fait d’être un homme ou une femme qui fait de nous un bon parent. Mais la question est déjà d’en avoir le droit. Dans cette campagne, on se bat contre les discours de haine et surtout on montre une famille normale avant tout. Avec de l’amour, du quotidien. La campagne sera déclinée pour tous les publics aussi longtemps qu’il le faudra. Nous exigeons un débat respectueux ! », souligne Véronique, coordinatrice régionale de SOS Homophobie Bretagne, précisant que la distribution de tracts continue et que prochainement, une conférence sur le sujet sera organisée à Rennes.

DES PARCOURS LOURDS

Le débat, en plus d’être inégalitaire de par la mauvaise répartition de la parole et la frilosité à dénoncer la lesbophobie existante, est sombrement teinté de méconnaissance vis-à-vis du sujet et des démarches.

« Nous nous sommes heurtées à plusieurs obstacles. Déjà : où aller procréer ? Il faut trouver un médecin en France qui accepte de nous suivre, il faut trouver le pays, trouver les moyens d’aller à l’étranger et le temps d’y aller en fonction des traitements et de nos emplois du temps. », signale Marion, membre de SOS Homophobie Bretagne, qui après 3 années environ de parcours PMA en Espagne, s’apprête à devenir mère d’une petite fille, portée par sa compagne Gladys. 

Puis à toutes ses difficultés, s’ajoute celle des finances : « Il faut compter entre 1000 et 1500 euros pour l’acte, mais ça dépend de chaque établissement. Puis, il faut prévoir aussi le budget pour le voyage et l’hébergement. Sans oublier que ça ne marche pas toujours du premier coup. Officieusement, on dit qu’en moyenne, il faut 4 inséminations. Nous, on a eu de la chance, ça a fonctionné à la 2einsémination. »

Le parcours PMA à l’étranger peut entrainer la précarisation du couple qui ne cesse d’avancer les frais pour les traitements en France et qui paye les trajets et les nuits sur place.

« Ça met dans la précarité des couples de personnes qui sont en général déjà discriminées à l’embauche… Sans oublier que pour les couples déjà précaires, c’est impossible d’envisager une PMA à l’étranger. »
précise Elsa.

Les femmes s’orienteront peut-être alors vers une PMA artisanale. Une procédure dangereuse dans les cas où le donneur n’est pas une personne proche, digne de confiance, et compliquée en terme juridique. Encore une fois, la société ferme les yeux. La lourdeur des parcours ne pèse que trop peu dans les mentalités des opposant-e-s.

Rarement dans les débats, on interroge des femmes concernées ayant eu recours à la PMA, avec succès ou non. Parce que l’insémination peut rater, parce que la grossesse peut ne pas être menée jusqu’au terme, parce que les femmes peuvent souffrir d’endométriose, etc.

Marion le confirme : « Le parcours a été très lourd. Gladys souffre d’une insuffisance ovarienne. Il fallait faire des injections, des échographies, prendre les traitements, etc. On a avancé quasiment 400 euros par mois pendant 3 ans. C’est très compliqué. Au boulot, il faut rester dans le secret, le stress s’installe, un infirmier allait sur son lieu de travail pour les injections, ça oblige à se justifier… Ensuite, il faut partir en 24/48h à l’étranger pour l’insémination. Je tiens un commerce, c’est une contrainte lourde de fermer le commerce comme ça.»

TOUJOURS PLUS D’INÉGALITÉS

Elle pointe des inégalités aberrantes à l’arrivée du bébé due au vide juridique qui régit la venue d’un enfant dans une famille homoparentale :  

« Gladys est la mère biologique de l’enfant. Moi, à la naissance de notre fille, je n’aurais aucun droit juridique sur l’enfant. S’il arrivait quelque chose à Gladys, l’enfant ne me reviendrait pas. Pourtant, cette petite fille, on l’a conçue toutes les deux. Il y a un vide juridique. Nous sommes mariées depuis 2 ans, ma femme porte mon nom de famille, nous avons un livret de famille. Mais notre fille aura le nom de jeune fille de Gladys. Il faudra un nouveau livret de famille puis lorsque l’adoption sera acceptée, il faudra faire un 3elivret de famille. »

Plusieurs différences donc différencient les familles hétéros et les familles homos. Pour pouvoir adopter l’enfant, le couple doit être marié, le droit obtenu lors du mariage pour tous devenant ainsi une injonction pour les couples lesbiens souhaitant fonder une famille avec un enfant.

Ensuite, la reconnaissance, comme le signale Véronique : « C’est quelque chose qui n’arrive pas à un couple hétérosexuel qui bénéficie d’une présomption de parentalité. Puis l’enfant peut être reconnu à la mairie par le père, sans qu’on lui demande un test ADN pour prouver qu’il est bien le père. Il y a urgence à agir pour l’extension de la PMA. »

Urgence, en effet, à établir l’égalité des droits pour les couples et les familles. Urgence également à changer les mentalités pour qu’enfin les couples lesbiens soient libres de procréer, sans y ajouter le poids du regard de la société :

« Surtout qu’à entendre toujours des messages de haine, ça devient encore plus compliqué de faire la démarche et d’aller jusqu’au bout. Personnellement, j’ai préféré être accompagnée par un psy. Je me posais plein de questions. Des questions que la plupart des gens ne se posent pas au moment d’avoir un enfant. C’est dur psychologiquement. Il faut beaucoup s’aimer dans le couple pour faire ça. Et nous, on s’aime énormément. »

 

Célian Ramis

Sortir de l'ombre le tabou du corps et de la sexualité

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Dans le documentaire, Clito va bien, nous sommes en juillet 1979 et une quinzaine d’activistes a choisi de briser les tabous qui régissent alors la société et particulièrement la vie des femmes.
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« Pourquoi est-ce fou en 2018 de montrer un sexe féminin, avec des poils en plus ? », interroge Justine Caurant, militante féministe. Aux côtés de Marie Lintanf, bénévole au Planning Familial 35, elle anime un temps d’échanges avec le public, à la suite de la projection de Clito va bien, court-métrage réalisé par le groupe Femmes de Quimper en 1979, diffusé le 8 juin dernier au cinéma Le Triskel, à Betton, lors du Festival du Film de l’Ouest, organisé par Courts en Betton. 

« J’ai très bien vécu la ménopause. Ma vie sexuelle ne s’en est pas trouvé modifiée. Mais des déséquilibres existent, les ovaires vieillissent. C’est un problème de société : la femme qui ne peut plus procréer. Elle n’est plus baisable, plus consommable. Mais ça peut être un âge formidable ! (…) On ne veut plus jouer le rôle que la société veut nous faire jouer. »

C’est ainsi que commence le film documentaire, Clito va bien, réalisé par le groupe Femmes de Quimper, avec l’aide du Planning Familial 29. Nous sommes en juillet 1979 et une quinzaine d’activistes a choisi de briser les tabous qui régissent alors la société et particulièrement la vie des femmes.

Elles se mettent à nue, au sens propre et au sens figuré, et livrent leurs rapports au corps. Un corps souvent déshumanisé par la médecine de l’époque. Les femmes se confrontent souvent aux « C’est rien », « C’est dans la tête », « Ce n’est pas grave », en parlant de leurs menstruations et des douleurs qui peuvent les accompagner. Ou lors d’une grossesse :  

« Mon premier accouchement ne s’est pas bien passé du tout. À 6 mois, j’ai eu des douleurs et le médecin m’a dit « Ce n’est rien, ce n’est pas grave ». J’ai accouché deux jours plus tard d’un prématuré de 6 mois qui est mort 2h après. » 

Elles veulent connaître leur corps, explorer par elles-mêmes les tissus, membranes, cavités qui le composent, apprendre les gestes à faire pour en prendre soin. Parce que le corps médical « ne tient jamais compte de nos propres désirs », les militantes revendiquent leur droit de « choisir ce dont nous avons besoin nous-mêmes ».

L’auto-examen – seins et sexe - représente alors la réappropriation du corps et des savoirs ainsi qu’une manière de changer le rapport patiente/médecin, vers une relation plus égalitaire.

« À l’école, on apprend la digestion, l’ouïe, la vue, la reproduction mais pas tellement le reste. On peut facilement mettre les doigts dans son nez mais les doigts dans son vagin, c’est pas si évident. », souligne une des femmes, qui explique ensuite comment introduire un speculum dans son propre vagin dans l’optique de découvrir et d’observer son col de l’utérus et ses muqueuses, à l’aide d’un miroir et d’une lampe torche. 

AU-DELÀ DES TABOUS

Dans la veine des luttes féministes des années 70, les militantes s’organisent pour conquérir des droits face aux institutions et aux professionnels de la santé. Plus largement, elles combattent pour leur liberté et leur émancipation face aux assignations genrées et imposées par la société patriarcale. Reprendre en main leur corps pour jouir d’un rapport plus égalitaire, oui, mais aussi pour jouir tout court :

« J’ai essayé d’atteindre l’orgasme par la masturbation mais je n’arrive pas à dépasser la culpabilité. »

Elles sont conditionnées et culpabilisées dès la petite enfance. La sexualité sert à la procréation, non au plaisir. « On n’a pas de plaisir, on fait semblant. La première fois, c’est un cap à passer. Tant mieux si le type est sympa et qu’il te respecte. C’est rarement l’extase, souvent douloureux. Tu es préoccupée par l’image de toi que tu montres plutôt que par ton propre plaisir. », commente une femme, précisant également qu’en plus il n’existe qu’une manière de faire l’amour :

« L’homme sur la femme. L’homme pénètre la femme. » Certaines n’avaient jamais entendu parler de la masturbation, jamais entendu parler du clitoris. Elles ont appris, seules, à expérimenter l’organe du plaisir :

« Un jour, j’ai essayé, je suis allée jusqu’au bout et c’était bien. On est plus autonome que par rapport au partenaire éventuel. »

40 ANS PLUS TARD…

Et aujourd’hui, où en sommes-nous ? Entend-on encore qu’avoir mal avant et pendant les règles, c’est normal ? Parle-t-on librement des menstruations ? de la ménopause ? de l’accouchement ? de l’avortement ? de la masturbation ?

« Dans les années 70, ces groupes informels, non mixtes, qu’étaient les groupes Femmes – qui n’existent plus – étaient des espaces d’éveil de la conscience féministe. Ce sont des questions encore très actuelles qu’elles posent dans le film. C’est intéressant la lucidité de ces femmes face au manque d’informations dont elles souffrent, aux besoins qu’elles ont, quant au blocage autour de la nudité, qu’elles dépassent pour le documentaire… Aujourd’hui, où sont ces espaces de paroles ? Ils sont très rares et pourtant il y a de vrais besoins. », regrette la militante rennaise Justine Caurant.

En témoignent les personnes présentes lors de la projection, qui prennent la parole pour exprimer un sentiment de dépossession de son propre corps par le corps médical :

« 40 ans plus tard, on est toujours au même endroit. À nous d’aller chercher les infos, tout le temps, et parfois, il faut aller chercher très loin ! C’est très intéressant de voir ça et très troublant en même temps. »

Pour Marie Lintanf, membre du Planning Familial 35, c’est une agréable surprise de découvrir ce court-métrage d’une trentaine de minutes qui attaque directement par le sujet de la ménopause. « On n’en parle pas actuellement, même dans les milieux féministes. Et là, elles commencent par ça ! », s’enthousiasme-t-elle, ravie de voir qu’elles osent également filmer un accouchement « ce qui ne se ferait plus aujourd’hui et que je n’avais jamais vu avant, même dans le film Regarde, elle a les yeux grands ouverts (1980), où on voit un avortement. »

Les deux militantes féministes s’accordent et attirent l’attention du public sur les dangers d’un manque d’éducation à la vie sexuelle et affective, dont les formations sont rendues facultatives dans les établissements scolaires, malgré la loi de 2001. 

Si la discussion est (trop) rapidement interrompue pour laisser place à une autre projection, elle est impactante de par sa mise en perspective de 40 ans d’évolution faussement positive. Car si on montre dans les médias et les arts une sexualité de plus en plus libérée, on n’autorise de moins en moins la création d’espaces collectifs permettant aux individus, et particulièrement aux femmes, de briser les tabous qui les encombrent viscéralement.

Célian Ramis

Plaisirs après 60 ans, oh que oui !

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La sexualité des séniors n’est désormais plus un sujet tabou... Une aussi grosse intox que lorsque David Pujadas, en mars 2017, annonce au JT de France 2 que le patriarcat n’existe plus depuis la fin des années 60…
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La sexualité des séniors n’est désormais plus un sujet tabou, nous informe le magazine Notre temps. Une aussi grosse intox que lorsque David Pujadas, en mars 2017, annonce au JT de France 2 que le patriarcat n’existe plus depuis la fin des années 60…

« Il existe peu d’études sur la sexualité des plus de 69 ans. Pourtant, elle est toujours présente. 70% des plus de 70 ans ont une sexualité active. », déclare Aude Théaudin, gériatre au Centre de prévention Bien Vieillir AGIRC ARRCO de Rennes. Le 11 juillet dernier, elle y animait une conférence autour de la thématique « Continence et sexualité des séniors ».

Aujourd’hui encore, la représentation de la vieillesse – notamment pour les femmes -, associée à de rapports sexuels épanouis, a tendance à gêner, voire à dégouter. Mona Chollet, journaliste et auteure, le souligne dans Sorcières, la puissance des femmes invaincues :

« En 2006, Thérèse Clerc, qui était bisexuelle, a tourné dans le (merveilleux) film de Jean-Luc Raynaud L’Art de vieillir. « Ce sont des histoires nobles de cul, expliquait-elle avec malice trois ans plus tard. Nous l’avons diffusé la semaine dernière à des jeunes du lycée : ils sont restés comme assommés. Je leur ai dit : ‘’Écoutez, les enfants, cela vous dérange à ce point ?’’ Il faut croire, on n’a rien pu en tirer. En revanche, les vieux sont assez contents… » Dans une séquence du film de Camille Ducellier Sorcières, mes sœurs, la même Thérèse Clerc se masturbe devant la caméra. C’était en 2010 ; elle était alors âgée de quatre-vingt trois ans. »

Passée la ménopause et ainsi la capacité à se reproduire, la société renvoie l’idée que les femmes sont inutiles. Mais on peut y voir également une libération dans la sexualité due, en partie, à la disparition du risque de grossesse.

« L’érotisme se modifie, les pratiques aussi. Tout dépend de la manière dont on voit sa sexualité »
signale Aude Théaudin.

Des conséquences découlent du tabou et du manque d’information. La ménopause peut entrainer des carences en œstrogène et de la sécheresses vaginale qui modifient la lubrification du sexe et irritent l’organe génital. L’andropause peut entrainer une baisse de testostérone et de libido, sans négliger la modification de la perception de la montée de l’éjaculation.

Ne pas savoir que ces changements ne sont pas une fatalité favorise l’anxiété, la mésestime de soi et la dépression. « On peut en parler avec l’Association pour le Développement de l’Information et de la Recherche sur la Sexualité, ou avec des psychologues et des sexologues. », conclut la gériatre qui précise :

« On évolue et la société doit évoluer par rapport à ça. »

 

 

 

 

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