Célian Ramis

Vers la reconstruction du corps et de l'esprit

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Les Marie Rose, c'est un salon de tatouage solidaire et thérapeutique, accessible à tou-te-s. Depuis, il est devenu un tiers-lieu safe d’accompagnement pluridisciplinaire post-traumatique.
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En août 2019, Marie Disserbo et Marie Charuel fondent les Marie Rose, un salon de tatouage solidaire et thérapeutique, accessible à tou-te-s. Depuis, il est devenu un tiers-lieu safe d’accompagnement pluridisciplinaire post-traumatique.

« Cette journée-là, j’ai fait 3 tatouages. Les dates de naissance en braille de mes trois enfants sur le poignet, un cœur pour mon conjoint sur le talon et une phrase « nec plane eadem nec plane altera » - « ni tout à fait la même ni tout à fait une autre » - pour moi sur la colonne vertébrale. » Cette journée-là, Emilie Lebrun, 38 ans, l’a passée au salon des Marie Rose, à Rennes. Parce qu’elle a combattu le cancer du sein et qu’elle a entendu parler de l’association, dont elle a immédiatement apprécié le projet : « J’avais déjà l’idée d’un tatouage avant de les contacter. Leur projet m’a plu. Le fait de pouvoir contribuer financièrement par ce biais à aider d’autres personnes m’a emballée. » Et puis, c’est pour elle une avancée, « une autre étape dans la reconstruction. » Emilie le formule : « Les tatouages m’aident à me réapproprier mon corps après l’épreuve de la maladie. » Une vraie démarche de reconstruction qui fait du bien, conclut-elle.

ENCRER, RESPIRER, PARTICIPER

Point majeur des Marie Rose, c’est bien un lieu d’accueil, d’écoute et d’accompagnement que le duo fondateur propose. Quand Marie Charuel rencontre Marie Disserbo, elles sont toutes les deux à un tournant important de leurs existences. La première est en pleine reconversion professionnelle, avec la volonté forte d’être tatoueuse, et la seconde, est récemment guérie d’un cancer du sein et réfléchit à l’idée d’un lieu non médicalisé. « Je venais de perdre ma mère, décédée de la maladie de Charcot, et j’avais lu un fabuleux article dans Causette sur le tatouage réel. Je voulais du sens ! Devenir tatoueuse pour aider les gens à se reconstruire après la maladie. », souligne Marie Charuel, alias James Blonde. Ainsi, en 2019, elles fondent leur structure d’accompagnement post traumatique, tout d’abord sous la forme d’un salon de tatouage solidaire et thérapeutique, ouvert à tou-te-s. « Tout le monde peut venir. Que ce soit pour un besoin thérapeutique ou esthétique. Une partie du prix est reversé dans un pot commun, ce qui permet de financer des tatouages pour des personnes qui n’en ont pas les moyens. », ajoute-t-elle.

Au départ près de la gare, les Marie Rose ont recherché un nouveau local et ont déménagé à Cleunay, leur permettant de développer leur projet dans un espace plus grand, afin d’y accueillir un panel d’activités pluridisciplinaires, dédiées à la diffusion d’informations mais pas uniquement : « Il y a un vrai trou dans la raquette dans les parcours de soin. Quand on est guéri-e-s physiquement, ce n’est pas forcément la fin. Psychologiquement, on en est où ? Surtout que les traumatismes sont divers et variés. On souhaite créer un lieu, toujours non médicalisé, qui permette de trouver un max d’infos mais aussi une écoute et un accueil particulier. Avoir un panel de professionnel-le-s, composé d’avocat-e, diététicien-ne, psychologue, sophrologue, sexologue, et des pratiques qui peuvent apporter des réponses à des traumas spécifiques. » A travers le tatouage notamment mais aussi un centre de ressources, « peut-être aussi une friperie solidaire avec des vêtements non genrés et un lieu de vie ouvert à tout le monde encore une fois, dans lequel on pourrait organiser des événements, des conférences, etc. » Il est toujours possible de les soutenir et de les aider via une campagne de financement participatif.

DES PARCOURS MULTIPLES ET PLURIELS

Deuil, maladies, accidents, grossesses extra-utérines, fausses couches, kyste enflammé, handicap dû à un traumatisme crânien non traité dans les temps, violences verbales, transition de genre, cicatrices, volonté de participer au projet… Nombreuses sont les raisons qui amènent les personnes à pousser la porte des Marie Rose. « Le tatouage est un acte qui permet de décider d’être maitre de son corps. Reprendre l’emprise sur son corps, ça revient quasiment à chaque fois dans les discussions. Car pour beaucoup, ils et elles ont subi des drames qui sont vécus comme imposés, puisque la personne n’a pas le contrôle dessus. On parle bien de subir des violences, subir la maladie, subir un accident. », commente la tatoueuse qui dans son quotidien rencontre tous les cas de figure. Pas de parcours type. Que des histoires de vie personnelles portées et ressenties de manière singulière. Qui donnent lieu à des dessins uniques, symbolisant ou non l’expérience de la personne. « Une femme malgache, adoptée à 14 mois, cherche à retrouver ses parents biologiques. Elle est venue pour se faire tatouer l’île de Madagascar. Une femme est venue pour une grossesse extra-utérine, elle a souhaité une étoile dans le bas du dos, au même niveau que l’utérus. Chaque personne est différente et chaque dessin aussi. », signale Marie. Elle le dit : il n’y a pas de règle dans le chemin de la reconstruction qui demeure propre à chacun-e. « Une femme a fait une fausse couche et est venue ici une semaine après. Une autre qui a eu un accident de cheval est venue des années après. Encore une autre est venue deux mois après le décès de son frère. Chacun-e fait son chemin différemment. », précise-t-elle.

UNE ÉTAPE LIBÉRATRICE          

Le tatouage, tel que le pratique James Blonde, peut s’avérer comme une étape importante vers l’apaisement moral, vers la sérénité d’un corps meurtri à un moment donné. Sans oublier le pouvoir d’une écoute bienveillante et non jugeante. Ce dont témoigne Emilie Lebrun : « Le contact avec Marie a été super dès les premiers échanges. Les temps passés en sa compagnie sont un réel plaisir. On se sent libre de poser les questions, de se livrer, on est en confiance. » Avoir le choix. De parler ou pas. D’expliquer leurs motivations ou non. Chacun-e est libre de livrer son récit ou de le garder pour soi. « C’est déjà une grosse étape d’être parvenue à nous contacter. Personnellement, j’estime que c’est bénéfique de parler mais chacun-e l’entend comme il ou elle peut. Nous, on propose une oreille attentive et un espace safe. Chaque personne est libre de parler ou pas. Tout le monde n’a pas envie de cette écoute et on respecte. », confie Marie Charuel. Faire en fonction des besoins. Un terme qui revient régulièrement dans les propos et les échanges. Des besoins qui peuvent être psychologiques et/ou physiques. De reprendre la main sur son corps. De ne plus subir ce qui fait le trauma.

« C’est une forme de catharsis. De résilience. Modifier son corps pour l’enjoliver ou le faire différent de ce qu’il a été. Le corps qui vieillit, le corps qu’on vient marquer… Il s’agit vraiment de la vie du corps ! »

Que l’on vienne pour un tatouage thérapeutique ou esthétique, Marie Charuel y voit là une vraie affirmation de la personne vis-à-vis de son corps : « C’est un acte puissant, de s’encrer le corps pour se le réapproprier ! Dans cette vie qui est la notre, le corps est exposé à tout va et en même temps, il est tabou. C’est hyper politique selon moi de dire « Mon corps m’appartient ! » !!! »

Célian Ramis

Femme, Vie, Liberté : la gronde du peuple iranien

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La sociologue et politologue Hanieh Ziaei décrypte les mouvements de contestation en Iran, au prisme du genre et du caractère indivisible des luttes réunissant femmes et hommes autour des valeurs de liberté et de démocratie.
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Invitée par l’Association franco-Iranienne de Bretagne, la sociologue et politologue Hanieh Ziaei a décrypté, le 8 mars à la Maison Internationale de Rennes, les mouvements de contestation en Iran, au prisme du genre et du caractère indivisible des luttes réunissant femmes et hommes autour des valeurs de liberté et de démocratie.

« Femme, Vie, Liberté ». Le slogan résonne. À travers l’Iran mais aussi bien au-delà des frontières érigées par l’État Islamique qui gouverne le pays depuis 44 ans. À Paris, le musée d’art moderne, le palais de Tokyo, l’école des Beaux-Arts et le palais de la Porte Dorée ont paré leurs façades d’affiches revendiquant le slogan, en soutien aux manifestations et au peuple iranien. À travers le symbole des cheveux, les visuels de Marjane Satrapi, Innejatz ou encore Roya Ghassemi dénoncent le contrôle policier et l’emprise omniprésente d’un état autoritaire. « L’esprit créatif émerge de ces mouvements. La quête de liberté et la lutte pour la liberté en sont au cœur. », souligne Hanieh Ziaei.

DE LA MORT D’UNE JEUNE FILLE À LA NAISSANCE D’UN MOUVEMENT

Septembre 2022. Mahsa Amini, étudiante iranienne de 22 ans, est arrêtée par la police des mœurs, aussi appelée police de la moralité. Elle décède quelques jours plus tard, le 16 septembre, suscitant la colère et l’indignation de tout un peuple.

« Elle a perdu la vie pour deux mèches de cheveux. La police a jugé qu’elle était « mal voilée ». Les manifestations éclatent partout en Iran. »
précise la sociologue.

La mobilisation populaire est forte, les affrontements, violents. À Paris, Montréal, Bruxelles ou encore Berlin, les témoignages de soutien affluent, démontrant selon Hanieh Ziaei l’intérêt et l’implication de certains pays pour la situation iranienne mais aussi le travail de sensibilisation et de diffusion de l’information de la diaspora. Face à la défense des valeurs démocratiques, l’Etat Islamique répond par une répression « sans limite dans le non respect des droits humains. » Elle salue le courage, principalement des femmes mais aussi des hommes : « La population, de divers âges, se mobilise au péril de sa vie pour défendre sa liberté. Parce qu’aller manifester dans l’espace public en Iran, c’est mettre sa vie en danger. Cette jeune génération ne veut plus accepter l’inacceptable. On voit qu’elle n’a plus rien à perdre. Elle est très connectée aux réseaux sociaux mais aussi aux réalités sociales. Et cela va au-delà parfois de la désobéissance civile. Il s’agit de refuser les diktats, la dictature. »

La mort de Mahsa Amini touche d’autres enjeux. Si la question du code vestimentaire est centrale, le décès d’une femme, jeune, issue d’une minorité ethnique (née à Saqqez, province iranienne du Kurdistan) ravive les tensions autour de toutes ces dimensions. « Sa mort donne naissance à un mouvement. », déclare la politologue. Elle poursuit : « C’est certain que le mouvement n’a pas la même intensité tout le temps, c’est normal. Sept mois après, il change de forme. La résistance s’organise différemment. » Par l’art, par exemple. Ainsi, les fontaines de Téhéran rougissent, symbolisant le sang versé, puisque ce sont, approximativement 520 morts comptabilisés en 2023 dans ces mobilisations. « En Iran, il n’y a pas de statistiques officielles, c’est très difficile d’avoir le chiffre exact. On a une estimation pour avoir une vision globale. », précise-t-elle. Elle parle de féminicides et d’infanticides comme pratiques usuelles de l’Etat Islamique, « et même de génocide avec les cas des empoisonnements, qui sont un exemple parmi d’autres… » Fondamental selon elle, c’est que désormais la communauté internationale ne fera plus la confusion entre le peuple iranien et le régime, en place depuis 44 ans : « On a bien une société à 2 vitesses. Deux mondes qui se confrontent. »

LA RÉPRESSION PAR LES EMPOISONNEMENTS

Depuis mars 2023, ce sont environ 300 attaques et 5000 personnes affectées que compte le pays. Les intoxications au gaz chimique visent majoritairement les écolières, collégiennes et lycéennes. Ces intimidations ne sont pas nouvelles. À l’automne déjà, rappelle Hanieh Ziaei, avait éclaté le scandale de l’eau contaminée à l’université. « On s’attaque aux établissements universitaires et scolaires car ils sont porteurs des mouvements de contestation. C’est pour ça qu’on vient les cibler. 25 des 31 provinces d’Iran ont été attaquées. », commente-t-elle. Elle raconte l’onde de choc, les crises de panique des élèves qui présentent toutes les mêmes symptômes (suffocation, vomissement,…) et crient « On ne veut pas mourir ». L’horreur. La responsabilité de l’Etat est très rapidement mise en cause : « L’Etat exerce un hypercontrôle et une surveillance omniprésente. Comment peut-il dire qu’il ne comprend pas ce qu’il se passe ? C’est là qu’apparait la contradiction, la faille dans le discours. »

Les médias visibilisent, de manière importante, ces crimes contre l’humanité – « c’est dans la juridiction du droit international ! » - qui pourtant sont loin d’être une nouveauté en Iran. Depuis l’avènement de l’Etat Islamique au pouvoir, le pays connait des séries de contestations et de protestations, remettant en question l’architecture institutionnelle.

DANS LA CONTINUITÉ

Les femmes, depuis longtemps, contestent contre le port du voile obligatoire. En 1980, elles revendiquent déjà par les slogans « Liberté, Egalité, c’est notre droit » et « Nous ne voulons pas du voile obligatoire » leur liberté de s’habiller comme elles le souhaitent. Et au fur et à mesure, la manière de porter le voile évolue. En 2017, elles protestent toujours à travers les Mercredis blancs. Par opposition, elles portent un voile blanc. En soutien, les hommes se parent également de blanc. « C’est là que l’on voit le caractère indivisible du peuple iranien. C’est un des rares pays où quand les femmes se mobilisent, les hommes aussi. En Afghanistan, pays voisin, quand on a attaqué les femmes, les hommes n’ont pas bougé. », analyse la sociologue :

« Ça dépasse l’identité de genre. Femmes et hommes combattent pour des valeurs communes. »

Elle souligne et insiste sur l’inscription de ce mouvement, de 2022, dans la continuité de plusieurs vagues de protestation, toujours accompagnées de la triple domination subie par les femmes : patriarcat, poids de l’idéologie et pratiques autoritaires. Dans les villes urbaines et périphériques, le mécontentement général gronde « et le visage de la contestation change en fonction des restrictions imposées par l’Etat. » Les espaces et les moyens varient, au même titre que les formes d’expression protestataire. Les mouvements se distinguent à chaque fois par leur côté pacifique, l’émergence de la créativité artistique, les hommages aux victimes pour ne pas les oublier. Campagne « Un million de signatures » en 2006, mort de Neda lors d’une manifestation contestant l’élection présidentielle en 2009, mouvement vert la même année… Seule la force de la répression déployée en face ne change pas. « Les différents mouvements s’inscrivent dans une continuité. À chaque fois, il y a un déclencheur et ensuite ça va plus loin : le peuple exprime son rejet du système. Et on est encore dans les mêmes revendications : la démocratie, la liberté, etc. Et les femmes sont toujours présentes dans les mouvements de contestations. », signale Hanieh Ziaei. 

Utilisation des réseaux sociaux pour diffuser l’information et donner une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, d’une part, inscriptions de message sur le corps des femmes, voile porté au niveau des épaules ou pas du tout, détournement des billets de banque, d’autre part lorsque le gouvernement coupe Internet dans le pays. « Les pancartes et slogans sont interdits. On attaque aussi le mobilier urbain parce que l’idéologie visuelle est très présente dans l’espace public. On tâche de rouge les visages des martyrs, comme on a coloré les fontaines de Téhéran. », rappelle la politologue. Tout comme on fait circuler des photos et des dessins, en soutien à des icônes de la contestation comme le leader étudiant Majid Tavakoli arrêté par les autorités qu’il tentait de fuir en portant le tchador traditionnel ou l’illustration « Share me » d’Homa Arkani.

LA RUPTURE ENTRE L’ÉTAT ET LE PEUPLE

Répressions, arrestations arbitraires, disparitions d’opposants politiques, contrôle total, surveillance omniprésente (« avec beaucoup de bavures »), lacunes organisationnelles se multiplient et s’amplifient, suscitant la méfiance sociale et le sentiment d’insécurité du peuple iranien qui remet en question la légitimité politique du gouvernement. Dans son travail, Hanieh Ziaei observe depuis 2005 un effritement graduel de la confiance de la population face à un Etat qui pratique aisément mensonges, corruptions et non-dits. Sans oublier la lenteur et l’inefficacité, voire l’inexistance, des réponses et actions face aux catastrophes naturelles et à la crise sanitaire. «

 Le bilan est lourd après 44 ans de gouvernance. Et cela explique pourquoi le peuple iranien est prêt à mettre sa vie en péril pour la liberté. Les pressions sont idéologiques, morales, sociales, économiques, l’ingérence de l’Etat dans la vie privée de ses citoyens est quotidienne et l’Etat ne garantit pas la sécurité et le bien-être de la population. »
conclut-elle.

Face à ce déploiement inouï de violentes répressions, le peuple iranien se soulève, scande sa colère et son indignation et brave les interdits pour revendiquer sa liberté et ses aspirations démocratiques pour leur pays.

 

 

 

Célian Ramis

Libérer les menstruations !

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En 2023, la précarité menstruelle reste un fléau que subissent toutes les personnes ayant leurs règles, et en particulier celles qui sont en situation de grande vulnérabilité économique.
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En 2023, la précarité menstruelle reste un fléau que subissent toutes les personnes ayant leurs règles, et en particulier celles qui sont en situation de grande vulnérabilité économique. Selon une étude de l’association Dons Solidaires, 1,7 millions de femmes en France n’ont pas les moyens d’acheter les protections périodiques nécessaires. Un chiffre qui ne prend pas en compte les personnes trans et les personnes non binaires menstruées.

On estime à 2 400, en moyenne, le nombre de jours durant lesquels du sang s’écoulera de l’utérus à la vulve, en passant par le vagin, de plus de la moitié de la population. Et pourtant, les personnes menstruées vont apprendre à taire ce phénomène biologique et intégrer la honte assignée à leur condition. Elles rougiront au supermarché, murmureront pour demander un tampon ou une serviette et se les refileront sous le manteau… Quand elles n’auront pas à choisir entre ça et leur alimentation. Entre ça et leur dignité.

« 30% des étudiantes disent qu’elles doivent choisir entre un paquet de pâtes et des protections périodiques. », signale Elise Thiebaut, journaliste et autrice, entre autre, de l’essai Ceci est mon sang. Le 24 mai, elle était présente à la table ronde « Femmes sans abris et règles », organisée à Askoria, à Rennes, par les associations Entourages et Bulles Solidaires.

Au total, 3 femmes sur 10 sont concernées par la précarité menstruelle, indique le dépliant distribué à l’entrée réalisé et illustré par la talentueuse facilitatrice graphique, Zèdegrafik. Elise Thiebaut poursuit,  précisant que les femmes sont également plus précaires puisque majoritairement investies dans les domaines du soin et des services à la personne, les fameux métiers rendus essentiels lors des confinements mais quotidiennement dévalorisés socialement et financièrement, et majoritairement dans des postes en CDD, à temps partiel, etc.

« Le seul fait d’avoir leurs règles est une raison de mal être. Surtout quand la situation sociale est difficile. Plus on est stigmatisées, plus la douleur est forte. , souligne-t-elle. 

FORTE INVISIBILISATION

Autour de la table, Myriam Jolivet et Elina Dumont, toutes deux anciennes SDF (les femmes représentent 40% des personnes sans abris), témoignent de leurs vécus. La première, membre du Comité de la rue, autrice et comédienne de la pièce Résis-tente, décrit dans un poème « l’errance d’un corps qui saigne » et aborde la condition de femme vivant dans la rue :

« Être une femme à la rue, c’est être une proie. On se masculinise, on s’enlaidit, on se déféminise. C’est notre première préoccupation : protéger notre enveloppe corporelle. Cette hyper vigilance, c’est déjà épuisant. »

La seconde, vice-présidente nationale du Comité de la rue, chroniqueuse radio dans l’émission « Les grandes gueules » sur RMC et autrice de Longtemps j’ai habité dehors, dénonce une réalité qu’elle a connu et qui perdure encore aujourd’hui :

« Oui, en 2022, des femmes prennent des journaux, des tissus dans les poubelles, etc. pour en faire des protections périodiques. Depuis 2020, je propose de mettre des distributeurs devant les pharmacies, via un système de jetons. Parce que quand on est à la rue, on n’a pas le même rapport au temps. Dans le système social, il y a des horaires de journée pour les douches, les bagageries, les structures d’accueil, etc. Il faut que ce soit ouvert 24h/24 et 7 j/7. »

Ensemble, elles posent la problématique du manque de formation et de sensibilisation des professionnel-le-s du social à la condition des personnes sexisées et de leurs cycles. Sarah Garcel confirme. Infirmière au sein de l’accueil de jour Le Puzzle, à Rennes, elle le dit : « C’est un sujet socialement tabou. Dans les formations dans le domaine de la santé, on ne parle pas de précarité menstruelle. C’est tabou pour tout le monde. »

D’autant plus quand les femmes cherchent à se rendre invisibles. « On reçoit très peu de femmes. 6% environ. Pour celles qui reviennent – et vraiment, elles sont très peu nombreuses – c’est un sujet qui n’est pas abordé. Souvent, elles s’en tiennent à la question de comment obtenir des protections. », explique-t-elle.

Même discours du côté de Sarah Placé, cheffe de service à l’Asfad, structure d’accueil et d’hébergement pour les femmes ayant subi des violences conjugales et intrafamiliales, à Rennes.

« Je peux témoigner, dans d’autres structures, des douches non estampillées femmes ou hommes ou qui n’ont pas de séparation femmes – hommes. Cela représente un risque pour les femmes. Ça m’est arrivé de voir 5 minutes avant la fermeture une femme qui prenait plein de sopalin pour en faire une serviette… Il faut réussir en mixité à isoler cette personne pour lui demander si elle a besoin de protection. Ce n’est pas simple ! Encore moins quand les femmes ne parlent pas français. On montre alors des images. Oser dire, oser demander, ce n’est pas simple. Il est important que les éducateurs et éducatrices soient à l’affut du moindre signe. Car il est facile de demander une brosse à dents mais pas de demander des tampons et des serviettes… », déclare-t-elle.

Au sein de l’Asfad, une semaine a été organisée autour de la précarité menstruelle. Alors même qu’il s’agit d’un espace dédié aux femmes, il est apparu des carences en la matière : « On pensait que c’était de l’ordre du non sujet car c’était une évidence. La question de l’hygiène est inclue à l’Asfad. Finalement, on s’est dit qu’on en parlait peu et pas précisément. Pendant cette semaine-là, on a parlé que de ça, on a affiché des protections périodiques partout, on a abordé le sujet des protections lavables, etc. On s’est aperçu que plein de femmes ne savaient pas comment marche le cycle menstruel… »

UN IMPENSÉ DE NOS VIES !

Le tabou perdure, profondément ancré dans les mentalités. Briser le silence autour des menstruations. Rompre avec les traditions archaïques d’isolement des personnes réglées. Pour Elise Thiebaut, la situation a évolué depuis qu’elle a publié Ceci est mon sang, en 2017. Mais la gêne et le dégoût qu’elle a perçu chez la plupart des gens, y compris de la part de certaines militantes féministes, et qui l’ont mené à explorer le sujet, se ressentent encore et toujours dans la société actuelle.

« Quand on a nos règles, on s’entend dire « Ça y est, tu es une femme ! ». C’est une arnaque ! Ce qui fait que l’on vous désigne comme femme réduit votre existence à cela et est entouré de honte ! On ne vous dit alors rien à ce sujet. Alors qu’on parle de son transit à table… »
signale la journaliste.

L’ignorance qui persiste face à ce tabou a de grandes conséquences sur la santé physique des personnes ayant un utérus (rapport à la douleur, diagnostic très long voire inexistant des endométrioses, des ovaires polykystiques, etc.) mais aussi sur leur santé mentale en raison du mépris que l’on porte aux menstruations (mauvaise estime de soi, dégoût, assimilation des sautes d’humeur et de l’état d’énervement aux règles, etc.).

« Cela mène à une situation où on a honte d’être ce qu’on est ! », s’insurge Elise Thiebaut qui poursuit : « 17 millions de femmes ont leurs règles en France. Dans les collèges, les lycées, les universités (hormis Rennes et Lyon, ndlr), les restaurants, les cafés, etc. il n’y a pas de protections périodiques ! Alors qu’il y a partout des préservatifs et qu’ils sont gratuits… Et c’est génial mais si on a ses règles, c’est plus compliqué. Dans les camps de migrant-e-s, des kits d’hygiène contiennent des rasoirs, des shampooings, etc. mais pas de protections hygiéniques ! C’est un impensé total de nos vies ! »

Elle revient sur une expérience pas du tout anecdotique lors d’un séjour dans un hôtel qui propose alors des chambres spécialement pour les femmes. Curieuse, elle teste. Résultat : « Le prix était deux fois plus élevé et il n’y avait que 2 protections périodiques. Il ne s’agissait pas pour moi d’avoir des règles hémorragiques ! » Les rires provoqués par ce commentaire sont nerveux et de courte durée. Parce qu’il révèle l’étendue de la problématique induite par une société patriarcale alliée à un système capitaliste. 

LES RAISONS D’UNE INACCESSIBILITÉ FLAGRANTE

Ainsi, la difficulté d’accès aux protections périodiques est pointée. « Trente milliards de dollars, soit 26 milliards d’euros : c’est ce que représente le marché annuel de la protection périodique, soit l’équivalent du PIB de Bahreïn, un archipel pétrolier du sud de l’Arabie saoudite qui va sans doute être ravi de l’apprendre. En France, selon le magazine professionnel de la consommation LSA, le chiffre d’affaires de l’hygiène féminine représentait, en 2014, 433 millions d’euros, dont 170 millions pour les serviettes hygiéniques, 103 millions pour les protège-slips et 49 millions pour les tampons, qui accusent cependant une baisse de 5% », peut-on lire dans Ceci est mon sang.

Et en plus de cela, il aura fallu attendre 2016 pour obtenir, grâce au combat et à la mobilisation du collectif féministe Georgette Sand, la suppression de la « taxe tampon », ramenant la TVA sur les protections périodiques à 5,5% au lieu de 20%. Malgré leur précarité, les personnes menstruées payaient plus cher leurs serviettes et tampons que n’importe quel autre produit essentiel.

D’où parfois le dilemme entre un paquet de pâtes et des protections périodiques. Des protections périodiques dont on ne connaît quasiment pas la composition. Des protections périodiques à propos desquelles l’information est faible et rare.

« Il y a un déficit d’informations et de formations. Il y a un risque de choc toxique quand on change sa protection avec des mains pas propres, quand on garde le tampon trop longtemps, etc. Quand on n’a pas la notion du temps parce qu’on est dans un présent de survie et qu’on oublie de changer son tampon, c’est très problématique ! », insiste Elise Thiebaut.

Ce présent de survie est relaté par Myriam Jolivet : « T’as déjà pas l’esprit en paix alors penser à aller ici et là pour ta dignité, être propre, faire gaffe à l’heure, etc… C’est trop fatiguant ! » Elina Dumont acquiesce et appuie : « Pour les personnes précaires, la serviette, on la retourne. Et on peut rajouter des couches (sous-entendu avec PQ ou sopalin, ndlr). Avec les tampons, non, on ne peut pas. Sachant que certaines femmes préfèrent ne pas mettre de tampons car si un mec te viole, il n’enlève pas le tampon… À la rue ou en grande précarité, faut vraiment être courageuse quand t’es une femme ! »

CASSER LE TABOU

Parler des règles permet d’approfondir de nombreux sujets, comme le signale Sarah Placé : « Cela permet de parler de ce qui se passe sous la ceinture : les douleurs liées aux règles, la précarité, les violences sexuelles, etc. Tout ce qui est hyper dur à dire ! »

Faire sauter le tabou parce qu’il « est chargé de pouvoir », selon Elise Thiebaut, et parler de nos corps, « pour revenir à ce qui est le plus important : l’humain, l’humanité, la question du vivant. » Partager, changer le regard sur l’autre, tendre la main. Et l’oreille. Pour Myriam Jolivet, « on habite tous la même planète, il faut se sentir concerné-e par l’autre. Je retiens toujours cette citation : « Sois toujours du côté de l’opprimé-e et tu ne te tromperas jamais ». Rien ne justifie d’opprimer quelqu’un ! »

L’information, la formation, l’accès aux protections périodiques doivent être des priorités des politiques publiques, qui se reposent trop souvent sur les engagements et volontés des associations et des militant-e-s qui ensemble collectent et distribuent gratuitement serviettes jetables et lavables, tampons, coupes et culottes menstruelles.

« Grâce à Bulles Solidaires, nous avons plus de stocks mais on nous demande peu des protections… », précise Sarah Garcel pointant là le cercle vicieux du tabou maintenu et garanti par un système à la fois patriarcal et capitaliste.

À l’instar de l’Ecosse qui en novembre 2020 a rendu gratuit l’accès aux protections périodiques, le gouvernement français doit se positionner concrètement contre la précarité menstruelle. Parce que non, les règles ne sont pas sales. Parce que non, les personnes qui ont leurs règles ne sont pas sales. Parce que non, notre santé physique et notre santé mentale ne sont pas négociables. 

Célian Ramis

Mue, la réappropriation de son corps après un cancer du sein

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Une histoire de corps. Une histoire de reconstruction psychique après un cancer du sein. Une histoire profondément humaine. Une histoire en images racontée par la photographe Anne-Cécile Estève et les personnes concernées.
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Une histoire de corps. Une histoire de reconstruction psychique après un cancer du sein. Une histoire de confiance. Une histoire d’esthétique. Une histoire profondément humaine. Une histoire en images racontée par la photographe Anne-Cécile Estève et les personnes concernées, à travers l’exposition Mue, présentée du 7 au 27 mars à l’Hôtel Dieu, à Rennes.

« J’ai eu un premier projet avec un chirurgien qui réparait les femmes excisées mais ce projet a été mis en stand by. J’ai rencontré la chirurgienne plasticienne Cécile Méal (spécialisée en chirurgie mammaire, elle exerce entre autre au Centre Eugène Marquis, ndlr) et je lui en avais parlé et elle, de son côté, elle me parlait des femmes qui vivaient mal leur cancer. », explique Anne-Cécile Estève.

De cette rencontre va naitre Mue, une exposition photographique sensible dévoilant les corps des femmes ayant vécu une ablation du sein à cause du cancer. « Toutes le vivent très mal. », précise la photographe. Parce qu’elles subissent, en plus, une difficulté invisible à propos de laquelle elles ne se sentent pas entendues :

« Une fois qu’elles sont guéries médicalement, les gens ne comprennent pas qu’elles ne soient pas guéries psychologiquement. Mais la reconstruction physique est différente de la reconstruction psychique. »

UN NOUVEAU REGARD

Ainsi, 17 femmes ont participé à la proposition artistique qui cherche avant tout à valoriser l’esthétique des corps présentés en noir et blanc. « J’avais vu plusieurs choses sur la thématique et j’avais fait des essais. Je savais déjà que je ne voulais pas imposer le nu. J’ai essayé avec une femme le cadre noir et blanc et ça m’a paru évident que c’était ça qu’il fallait faire. », signale Anne-Cécile Estève. 

Elle poursuit : « Je demande toujours s’il y a quelque chose qui ne leur plait pas chez elle pour être sure de ne pas accentuer leurs complexes et au niveau éclairage, je travaille avec une ou deux lumières studios qui me permettent de jouer sur l’esthétique. Car la question de la beauté doit leur convenir à elles ! »

Elle est parfois la première personne à qui la modèle dévoile son corps depuis l’opération chirurgicale. Il est alors crucial pour la photographe d’établir une relation de confiance, basée sur l’écoute et le non jugement.

« Je leur offre un nouveau regard. Mon regard devient leur miroir. Elles m’en ont parlé de ça : certaines sont incapables de se regarder dans le miroir justement. Les photos leur font du bien. Elles leur permettent d’accepter et de se réapproprier leur corps. »
souligne Anne-Cécile Estève

PETIT À PETIT

Pour cela, Anne-Cécile Estève les contacte dans un premier temps par téléphone. Afin de leur expliquer sa démarche dans les grandes lignes et surtout bien préciser l’importance de leur consentement et de leur engagement : à tout moment, elles peuvent dire stop, à tout moment, elles peuvent quitter le projet.

Une fois le contact établi, une première rencontre est organisée pour entrer davantage dans le vif du sujet, leur donner le temps de raconter leur histoire, d’exprimer leur rapport au corps. Avec attention, la photographe récolte leurs témoignages puis les synthétisent et les soumet à validation, tout comme elle le fera avec les visuels. « C’est important qu’elles consentent pleinement à l’exposition. », précise-t-elle.

La phase de la prise d’images pourra ensuite commencer : « J’aime bien le faire en deux fois parce que ça leur permet de cheminer entre la rencontre et la séance photos, que je fais chez elles. Il y en a une par exemple qui voulait arrêter le lendemain de notre discussion. Après une semaine de réflexion, elle a choisi d’accepter de poursuivre le projet. »

La peur de l’objectif se mêle ici au sentiment de honte ressenti par rapport à l’image qu’elles ont désormais de leur corps, souvent pensé comme hors norme puisqu’invisibilisé dans une société de l’apparence unique.

« C’est bien le problème avec la publicité, les médias, etc. concernant l’image des femmes, c’est qu’il y a un seul modèle de femme et pas 2, 3 ou plus. Une des participantes m’a dit qu’un jour elle avait cherché sur la plage des corps de femmes qui avaient subi une ablation du sein. Elle n’en a pas trouvé… Souvent, elles ont honte, elles se cachent. Certaines parlent même d’une ‘maladie sale’… »

SE FAIRE DU BIEN, PAR LA PHOTOGRAPHIE

Se réconcilier avec son image, son apparence, son corps. La démarche intéresse profondément Anne-Cécile Estève qui réfléchit, avec Cécile Méal, à la création d’une association fondée autour de la photographie thérapeutique.

« Quand j’ai photographié les compagnons bâtisseurs, je me suis rendue compte du bien que ça leur faisait de se trouver bien en photo. C’est un outil un peu différent qui permet d’aider les personnes avec leur image. Pas que les personnes malades. Ça agit sur la confiance en soi et la relation avec les autres. », commente-t-elle.

Vient la réflexion autour de cette image normative, réductrice et culpabilisante des femmes. Parce qu’elle représente l’injonction patriarcale à la minceur – voire à la maigreur – et à la beauté unique (blanche) qui objetise les femmes en les figeant dans une posture de désirabilité et les enferme dans une case. Ce que l’on nomme le « male gaze », le regard masculin et dont les femmes sont également imprégnées puisqu’elles sont elles aussi éduquées dans une société sexiste, raciste, LGBTIphobe, handiphobe et grossophobe.

« Il faut être sacrément bien avec soi-même pour lutter contre ça. J’ai bien conscience qu’en retravaillant mes photos, je gomme les rondeurs, cachent les cicatrices, etc. Mais l’objectif ici n’est pas de montrer la réalité de leurs poitrines ou les marques qu’on peut avoir sur le corps. Mon but, c’est de leur faire du bien. Qu’elles se réapproprient leur corps à travers mes photos. Ensuite, elles cheminent à leur rythme. Dans leurs témoignages, elles le disent : ça les aide à se réconcilier avec leur corps. Il y a même une 18efemme qui m’a contactée parce qu’elle a vraiment envie de participer au projet. Alors, ce ne sera pas pour cette expo mais j’ai vraiment envie de poursuivre. »

Avec Mue, Anne-Cécile Estève leur offre un espace bienveillant dans lequel elles peuvent lâcher prise, oser, s’autoriser à essayer, s’exprimer, arrêter tout, recommencer, etc. Le titre de l’exposition résonne dans cette mise en mouvement opérée entre les femmes photographiées et la photographe : 

« Elles commençaient toujours la prise de photo habillées. Au fur et à mesure, elles se déshabillaient, en cachant leurs seins. Il n’y avait aucune obligation ensuite d’enlever les mains de la poitrine. Pour trouver la bonne posture et être plus à l’aise, je les dirigeais un peu. S’étirer, se cambrer, danser… Je voulais du mouvement ! Mouvement, changement, émotions… ça va avec la mue, ce changement physique et/ou psychologique. J’aime ces mots ! Je crois que j’ai un truc avec le changement ! », rigole Anne-Cécile Estève.

  • Exposition à découvrir du 7 au 27 mars à l’Hôtel Dieu, à Rennes.

 

Célian Ramis

Les luttes féministes en voix et en mots

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Organisée par le collectif Nous Toutes 35 le 21 novembre dernier, la mobilisation contre les violences sexistes et sexuelles a rassemblé plus d’un millier de personnes sur l’esplanade Charles de Gaulle.
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Depuis plusieurs dizaines d’années, le 25 novembre est la journée internationale de lutte contre les violences faites aux personnes sexisées, en référence à l’assassinat, ce jour-là de 1960, des sœurs Mirabal commandité par le dictateur de la République dominicaine, Rafael Trujillo. Organisée par le collectif Nous Toutes 35 le 21 novembre dernier, la mobilisation contre les violences sexistes et sexuelles a rassemblé plus d’un millier de personnes sur l’esplanade Charles de Gaulle. 

Au sol sont placardés des messages. « Jessica, travailleureuse du sexe, écrasée volontairement au Bois de Boulogne à Paris ». « Manon, 19 ans, poignardée par son compagnon ». « Magdalena, 33 ans, poignardée par son ex compagnon, confinement ». « Korotoune, 30 ans, poignardée par son mari ». « Célène, 55 ans, tuée et dissimulée 4 mois par son conjoint ». « France, 56 ans, tuée par son ex ». « Lucette, 78 ans, abattue par son compagnon, 2econfinement ». 

Le 19 novembre, le compte du Collectif Féminicides par compagnons ou ex recensait, depuis le 1erjanvier 2020, 87 assassinats de femmes. Des meurtres perpétrés par leur conjoint ou ex conjoint. Deux jours plus tard, le 21 novembre, le procès de Jonathann Daval – assassin de Alexia Fouillot, son épouse au moment des faits en 2017 - se concluait sur la condamnation de ce dernier à 25 ans de réclusion. Le 20 novembre, à l’occasion du Jour du Souvenir Trans, les associations militantes listaient les 350 prénoms de personnes trans assassinées ou poussées au suicide. 

Dans la lutte conte les violences sexistes et sexuelles, pas de trêve. Les périodes de confinement exacerbent les violences patriarcales. L’isolement renforce les dangers, dans l’espace privé principalement, mais également dans l’espace public. Au sein de la foule masquée, des cartons sur lesquels sont écrits une lettre sont brandis, formant ainsi la phrase : « Covid à l’extérieur, violences à l’intérieur ».

OCCUPER L’ESPACE PUBLIC

Ce jour-là, la distanciation physique est exigée. Heureusement, elle n’empêche pas de « crier notre colère, de faire du bruit, de dénoncer les rouages du système patriarcal », comme le soulignent les membres de Nous Toutes 35 qui rappellent qu’occuper l’espace public est indispensable pour être vu-e-s et entendu-e-s. Dans le mégaphone, un slogan retentit : « Le silence ne nous protégera pas, on sera dans la rue tant qu’il le faudra. »

Un endroit depuis lequel on peut également interpeler les pouvoirs publics et le gouvernement qui multiplie les effets d’annonce – l’égalité femmes-hommes « grande cause du quinquennat »… - mais qui s’apprête à créer un marché public pour mettre en concurrence le numéro national gratuit et anonyme d’écoute des femmes victimes de violences sexistes et sexuelles (géré depuis 1992 par le 3919). 

Des moyens supplémentaires sont revendiqués. Pas du bla bla. Des hébergements alternatifs en nombre suffisant pour les personnes victimes de violences au sein de leur foyer, des formations pour les forces de l’ordre, les professionnel-le-s de la santé, du social, de l’éducation, etc., ainsi que des moyens financiers et humains pour toutes les structures accueillant et accompagnant les personnes sexisées.

REPRENDRE NOTRE SOUFFLE, DANS LA SORORITÉ

Militer peut être épuisant tant le combat et les souffrances infligées sont colossales. La mobilisation vient regonfler les motivations, renforcer les esprits et les envies, insuffler une énergie puissante et libératrice en soulignant l’importance du collectif. Durant plusieurs dizaines de secondes, les participant-e-s crient ensemble, lèvent les poings en l’air, dansent en reprenant l’hymne féministe créé par les militantes chiliennes de Las Tesis « Un violador en tu camino » (« Un violeur sur ton chemin »).

« Islamophobie et misogynoir, ne fuyons plus du regard », « Notre colère est dans la rue, riposte féministe », « Violeurs au pouvoir, police criminelle, révolution féministe », « + de meufs, - de keufs », « Real men are feminists », « Où est notre liberté ? », « Quand c’est non, c’est non », « Transwomen are women » ou encore « Dans 32 féminicides, c’est Noël ».

Les mots sont forts. Les mots sont justes. Ils sont écrits, brandis, lus, commentés. Ils sont aussi scandés, hurlés, étouffés, repris en chœur : « Femmes handis, face aux violences, tou-te-s uni-e-s ! », « Agresseur ! Violeur ! A ton tour d’avoir peur ! », « La rue elle est à qui ? Elle est à nous ! De jour comme de nuit, elle est à nous ! Avec ou sans voile, elle est à nous ! Avec ou sans poussette, elle est à nous ! », « Assez ! Assez ! Assez de cette société qui ne respecte pas les trans, les gouines et les pédés ! », « Ni patrie, ni patriarcat, solidaires, au-delà des frontières ! »

PRENDRE LA PAROLE

Et puis, il y a les discours. Les témoignages. Déclamés sur la scène ou enregistrés au préalable et transmis lors de la mobilisation. Les vécus sont poignants. Leur partage, émouvants. Ils démontrent l’ampleur des violences qui prennent des formes diverses et multiples et intègrent toutes les sphères de la société.

Le collectif Les dévalideuses dénoncent le validisme qui s’exerce au quotidien contre les personnes handicapées à qui l’accès à l’espace public est quasiment interdit :

« La question des violences qui s’accroit pendant le confinement touchait déjà majoritairement les femmes handicapées. Elles sont les grandes oubliées des campagnes de prévention. Le validisme existait avant le coronavirus, il n’a fait que s’amplifier par un phénomène de banalisation du mal. Le validisme existera sans doute encore après la crise mais nous, personnes handicapées, femmes, militantes, dévalideuses, nous nous battrons contre ce virus avec le féminisme comme meilleur remède. »

BRISER LE SILENCE

Plusieurs témoignages de femmes exilées en France sont diffusés. Leurs parcours sont différents mais ils sont tous jonchés de violences. Elles prennent la parole pour briser le silence et l’isolement dans lesquels on les enferme, en fermant les yeux sur leurs situations.

L’une (identité non diffusée) a fait le constat qu’elle avait épousé un homme violent, après le mariage. Elle a subi des violences pendant 4 ans : « Il me demandait pardon et je devais revenir car je n’avais nulle part où aller. À un moment, j’ai été hébergée 15 jours dans la famille et puis je me suis retrouvée dehors. D’abord dans un hôtel, puis dans un foyer. Avec mes deux enfants. Les enfants me disaient que c’était de ma faute, ça me faisait de la peine, je me sentais coupable car je m’étais mariée avec lui. »

Elle a ensuite été maltraitée et brutalisée par un homme qu’elle pensait être son ami. En échange d’une aide, il voulait de l’argent ou des faveurs sexuelles : « Il n’y avait pas de solution selon l’assistante sociale. Je devais retourner alors que je savais qu’il y avait des violences et du chantage. » Aujourd’hui, elle attend sa régularisation et sa santé se dégrade.

Une autre (identité non diffusée) parle en anglais et est traduite en français. Sa parole est retransmise à la 3epersonne : « Elle a vécu un mois dans la rue dans des endroits pas à l’abri, elle a appelé plusieurs fois le 115 mais ils n’ont jamais répondu. Maintenant, en ce moment, elle est dans un foyer avec des personnes âgées mais elle n’a pas beaucoup d’aide. Quand elle raconte son histoire, ils veulent profiter d’elle, lui disent de venir avec eux, de leur donner de l’argent mais elle n’en a pas, ou son corps. C’est vraiment difficile pour les femmes. »

DE LA DÉTRESSE AFFECTIVE À LA DÉTRESSE MATÉRIELLE

Régine Komokoli a 39 ans et élève seule ses trois filles. Elle est la co-fondatrice de Kune, un collectif de femmes de Villejean, à Rennes. Elle vient de la République centrafricaine et livre un témoignage poignant autour de son parcours, ses convictions et des raisons pour lesquelles la lutte contre les violences sexistes et sexuelles lui tient à cœur.

« Chaque histoire de vie est différente. Je vous livre mon témoignage. Je viens d’un pays où règne le chaos depuis plusieurs décennies. Je suis née en 1981, élevée dans une famille de tailleurs. J’ai vécu la brutalité économique, physique et psychologique dans mon enfance et adolescence. L’insécurité règne de jour comme de nuit. Violences sur les filles, le risque est permanent. Le viol est un moyen pour les milices de dominer les populations. J’ai payé cher ma condition de jeune adolescente. J’ai pris le chemin d’un exil sans retour. Je me suis sauvée dans tous les sens du terme. A 20 ans, je suis partie vers la France. »

Elle poursuit : « A l’issue d’un long parcours, j’ai acquis la nationalité française. J’ai été confrontée à la violence conjugale. Je suis actuellement en logement provisoire pour fuir les coups du père de ma 3efille. Je bénéficie d’une mesure de protection judiciaire grâce à une mesure d’éloignement de mon ancien conjoint violent. Les violences faites aux femmes ne s’arrêtent pas aux portes de l’Europe et de la France. Je connais la détresse des femmes. Je connais aussi l’angoisse terrible de devoir faire une valise avec les choses les plus importantes en quelques minutes. »

Elle détaille ensuite les diverses formes de détresses que les violences entrainent. Il y a la détresse affective, « faire comme si tout allait bien mais vivre l’angoisse des violences au jour le jour. »La détresse psychologique, « fuir le domicile conjugal est un saut dans l’inconnu et annonce des jours, des semaines et des mois difficiles. » La détresse familiale « car bien souvent les enfants sont témoins des violences et durablement marqués. » La détresse sociale « car fuir un conjoint violent c’est voir l’ensemble de sa vie bouleversée. Certains ont des difficultés de compréhension de l’administration, confrontés à un univers juridique qu’on ne connaît pas. » Et puis aussi la détresse matérielle, « c’est fuir avec le minimum pour soi et ses enfants, c’est régler une urgence l’une après l’autre et quand on a pensé avoir tout réglé, d’autres apparaissent. » 

Et la pire des détresses selon elle : « L’impossibilité d’expliquer une situation. Comment trouver les mots qui doivent être dits dans une langue qui est étrangère ? Il manque un travail de proximité, une maison des femmes comme à Saint-Denis. Un lieu sécurisé, un lieu où il existe un réel accueil, un lieu de paroles pour la mère et pour les enfants. Les coups ne blessent pas que le corps mais aussi les âmes. Il faut que les femmes issues de cultures différentes puissent être écoutées par des femmes issues de la même culture. »

Régine Komokoli conclut par des chiffres : « Entre 120 et 150 femmes se font tuer chaque année par leur conjoint ou ex conjoint, 220 000 sont victimes de violences. C’est une maladie sociale qui touche tous les milieux. C’est aussi le signe que la France reste un pays profondément patriarcal. Cela démontre aussi une chose : c’est à nous les femmes de prendre en main notre destin, c’est à nous de lutter pour nos droits ! »

LA TRANSPHOBIE TUE

La transphobie est également dénoncée lors des discours à travers une prise de parole d’Iskis – centre LGBT de Rennes. La veille, le 20 novembre, avait lieu comme chaque année la journée internationale du Souvenir Trans. Une occasion pour les personnes transgenres et leurs allié-e-s de célébrer la mémoire des personnes assassinées à cause de la transphobie. En un an, les associations ont recensé la mort de 350 personnes transgenres et non binaires.

« Cette année encore, les personnes exilées et les travailleureuses du sexe constituent la majorité des victimes qui ont été signalées. La transphobie trouve ses racines dans le sexisme. Quasi presque toutes les personnes victimes recensées sont des femmes transgenres ou des personnes féminines. Ce que les transphobes détestent ce sont les femmes, la féminité, la remise en question de la hiérarchie de genre. 

Si en France les meurtres sont moins nombreux que dans d’autres régions du monde, les violences à l’égard des personnes transgenres sont omniprésentes. Agressions, insultes sont monnaie courante. Mais la transphobie est parfois plus insidieuse. Les discriminations à l’embauche, l’accès au logement et l’accès à la santé. 

Les procédures légales de changement de prénom et de changement de mention de sexe sont longues, pénibles, parfois refusées sans raison. Les travailleureuses du sexe sont toujours laissé-e-s pour compte sans protection juridique. 

Cette transphobie systémique, étatique, tue partout dans le monde. Tue en France aussi. En 2020, en France, comme chaque année, on déplore dans notre pays le suicide de nombreuses personnes transgenres et notamment de jeunes femmes précaires, travailleuses du sexe, que l’Etat a laissé mourir dans le silence. 

Face à l’abandon des institutions, nous sommes obligé-e-s de compter sur le soutien communautaire. Avec la crise sanitaire, les demandes d’aide auprès des associations et des collectifs ont explosé. Soulignons la vulnérabilité de notre communauté. Certaines initiatives nous ont aussi montré à l’inverse sa résilience et sa force. 

Si nous ne pouvons pas compter sur le soutien de l’Etat, nous pouvons compter sur le soutien et l’entraide mutuelle. Stop aux violences sexistes ! Stop aux violences transphobes ! »

VALORISER LES PREMIÈRES DE CORVÉE

La commission Femmes de Solidaires 35 axe son discours sur « les premières de corvée ». Celles qui occupent des postes dévalorisés et pourtant essentiels, comme le prouvent les périodes de confinement : « La crise a eu un mérite, celui de révéler des métiers qui la plupart du temps sont invisibilisés parce qu’ils sont exercés par des femmes. Ces métiers ce sont ceux qu’on appelle les métiers du soin et des services à la personne. 

Quand on regarde les chiffres, ils sont assez parlants. À l’hôpital, les infirmières, à 87%, ce sont des femmes. Les aides soignantes, à 91%, ce sont des femmes. Dans les supermarchés, en caisse, à 76%, ce sont des femmes. Dans les métiers des services à la personne, les assistantes sociales, les aides à domicile, encore des femmes, à 97%. Ces métiers féminins sont des métiers parfois précaires, souvent sous-payés, très mal payés et très pénibles. 

Les métiers qui sont indispensables sont complètement dévalorisés, sous-payés. On se dit pourquoi ? On s’est trop habitué-e-s à ce que les femmes travaillent gratuitement. Gratuitement pour s’occuper des enfants. Gratuitement pour s’occuper des malades. Gratuitement pour s’occuper des personnes âgées. Ces métiers doivent être aujourd’hui reconnus à leur juste valeur. »

LES FEMMES KURDES COMBATTANTES POUR UNE SOCIÉTÉ LIBRE

Au tour des militantes de l’association des femmes kurdes à Rennes, Zin 35, de prendre la parole. Depuis la capitale bretonne, elles dénoncent la situation en Turquie et dans plusieurs villes du Kurdistan : « De plus en plus de femmes sont violées et massacrées. Des exécutions extra judiciaires ciblées ont même été effectuées contre des femmes ainsi même que des enfants et des familles entières. Une grande partie de ces massacres ont eu lieu au moyen d’attaques de drones utilisés à des fins militaires. Les incidents de violences policières, de tortures, d’harcèlements, de menaces de mort ou d’enlèvements qui servent également à détenir des militantes prouvent qu’une politique de guerre spéciale est appliquée à l’encontre des femmes. »

Elles rappellent que le nombre de femmes « qui ont été interdites de la sphère politique, de la vie publique ou du travail, uniquement pour des délits d’opinion et qui sont maintenant retenues en otage dans les prisons est d’environ 10 000. »

Les militantes revendiquent la justice contre les défenseurs des régimes fascistes qui commettent, comme elles le soulignent, systématiquement des massacres : « Nous déclarons que nous poursuivons notre résistance contre les féminicides par des campagnes de protestation. Il ne fait aucun doute qu’Erdogan a commis et continue de commettre non pas 100 mais des milliers de crime au cours de ces 18 années de pouvoir, c’est pourquoi nous allons régler nos comptes avec Erdogan, un des plus gros auteurs de féminicides avec notre campagne « 100 raisons pour le procès du dictateur ». » 

En tant que femmes kurdes, elles exigent « de l’ONU que les meurtres de femmes soient reconnus comme des féminicides génocides. Nous demandons que les féminicides soient officiellement reconnus comme un crime contre l’humanité au niveau international. En effet, les Nations Unies ont longtemps échoué à le faire encourageant les dictateurs comme Erdogan. Avec cette campagne, nous demandons justice et qu’Erdogan soit jugé. 

Nous accueillons la journée du 25 novembre sous la devise de l’auto-défense de la société libre contre les féminicides. Nous défendons un modèle de société libre contre les formes de violences envers les femmes. Du Kurdistan au Chili, de la Pologne au Soudan, des Etats-Unis à l’Iran, de l’Inde à l’Europe et en Turquie, unissons-nous pour mettre fin à l’ignorance, à l’oppression, aux harcèlements, aux violences sexuelles et sexistes, aux féminicides partout dans le monde. Les femmes, la vie, la liberté ! »

APPELS À LA SOLIDARITÉ CONTRE LES VIOLENCES POLICIÈRES ET CONTRE LES VIOLENCES FAITES AUX PERSONNES EXILÉES SANS PAPIERS

Le 25 novembre et le 8 mars ne constituent pas les deux seules dates durant lesquelles les militant-e-s se mobilisent et s’unissent pour protester contre les injustices. Lors des discours, deux appels au rassemblement et à la solidarité sont effectués. Le premier par Awa Gueye, fondatrice du collectif Justice et vérité pour Babacar Gueye, le 5 décembre 2020 à 14h, à Maurepas, à Rennes. Le rendez-vous est donné devant l’arrêt de bus Gast.

Elle lutte depuis 5 ans, avec et aux côtés d’autres familles de victimes « mutilées, assassinées par la police », comme l’a été son frère, Babacar. « En tant que femme noire, en tant que femme militante, je suis là avec vous, pour mener le combat ensemble. Depuis l’année dernière, depuis novembre dernier, je lutte avec Nous Toutes 35, avec le collectif Justice et Vérité pour Babacar et avec beaucoup d’autres collectifs un peu partout en France. Aujourd’hui, je ne me sens plus seule. Aujourd’hui, je vois que ma fille est là devant moi. Je ne me sens plus seule grâce à vous ! »

Le second par le groupe Femmes de la Marche des Solidarités, le 18 décembre 2020, à Paris, pour l’Acte IV des Sans-Papiers. En tant que combattantes, venues de différents pays, elles appellent toutes les femmes en exil en France à sortir de l’invisibilité et en tant que féministes portent les revendications pour la régularisation de tous et de tous sans conditions, pour la fermeture des prisons administratives, les CRA (centres de rétention adminstrative), qui les menacent, leur font peur et les obligent au silence et pour le droit de tou-te-s de vivre dans un endroit digne.

« Nous les femmes du monde entier subissons les violences patriarcales. Sur tous les continents, dans le monde entier. Celles d’entre nous qui parcourons le monde sans le droit de le faire à cause du préjudice de notre naissance, du lieu, de notre genre ou de notre sexe, nous sommes parties pour un monde meilleur au risque de nos vies. 

Une femme violentée administrativement mise à genoux est une femme affaiblie pour mieux l’abattre. Nous appelons à la sororité. Nous vous appelons nos sœurs à rejoindre notre combat pour la dignité. Ici en France, à la merci des hébergements contre services sexuels, des violeurs, des profiteurs de notre vulnérabilité administrative, du silence imposé par la situation d’illégalité. 

Nous dénonçons la violence institutionnelle qui construit notre misère et nous enferme dans la voix du silence. La honte doit changer de camp ! Soyons unies ! »

Rassemblons-nous. Mobilisons-nous. L’actualité démontre au quotidien la brutalité d’un système oppresseur aux multiples facettes. Croisons les vécus, écoutons nos adelphes, respectons les individus. Féministes tant qu’il le faudra.

Célian Ramis

Que sea ley, pour que comptent les voix et les corps des femmes en Argentine (et pas que)

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28 septembre. Journée internationale pour le droit à l’avortement. Un droit toujours refusé aux Argentines. Retour sur leur combat historique et puissant en 2018 à travers le film "Que sea ley", diffusé au cinéma L'Arvor, à Rennes.
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28 septembre. Journée internationale pour le droit à l’avortement. Un droit toujours refusé aux Argentines. On se souvient de leur combat historique et puissant en 2018 alors que le 7projet de loi visant la légalisation de l’IVG était étudié par les parlementaires. Le réalisateur Juan Solanas rend compte de la marée verte dans son film Que sea ley – traduit en français par Femmes d’Argentine – présenté le 28 septembre 2020 au cinéma L’Arvor, à Rennes. 

En juin 2018, le monde braque ses yeux sur l’Argentine qui s’embrase dans les mobilisations féministes pour le droit de disposer de son propre corps - et donc de choisir de mener une grossesse à terme ou non - et retient son souffle lorsque le 8 août, le Sénat est amené à voter le projet de loi concernant la légalisation de l’avortement présenté pour la septième fois.

Pas de suspens, évidemment, nous connaissons depuis deux ans l’issue du vote. Le projet de loi est rejeté à 38 voix contre 31 voix en faveur de la légalisation. Une actualité en chasse une autre et petit à petit, le monde médiatique délaisse l’Argentine et son combat.

La soirée organisée au cinéma L’Arvor, en partenariat avec le Planning Familial 35 et Amnesty International, à l’occasion de la Journée internationale pour le droit à l’avortement, agit non seulement comme une piqure de rappel mais également comme une sonnette d’alarme.

Parce que plus de 3000 argentines sont décédées des suites d’un avortement clandestin. Parce qu’elles sont toujours plus nombreuses à être rendues coupables d’agir contre une grossesse non désirée. Parce qu’elles sont sévèrement punies de ne pas vouloir mener cette grossesse à terme. Parfois – souvent - au prix de leur vie.

Aussi parce que la loi permettant l’avortement en cas de viol et/ou de danger pour la vie de la femme concernée n’est pas appliquée. Parce qu’en Argentine, les femmes qui ont de l’argent réussissent à avorter dans des « conditions plus acceptables », tandis que les plus pauvres – 36% de la population vit sous le seuil de pauvreté et 48% des mineur-e-s – risquent leur vie parce que l’Etat ne prend sa responsabilité face à l’Eglise.

On se rappelle donc ce mouvement argentin mais sans le connaître réellement. De loin. Ce lundi soir, on se le prend en pleine gueule. L’engouement, la révolte, la détermination. Les témoignages de femmes qui ont avorté clandestinement. Les parcours de combattantes rendues coupables par avance.

Les familles qui ont vécu et vivent encore le drame de leur-s fille-s décédée-s à la suite d’un avortement clandestin et d’une mauvaise prise en charge ensuite à l’hôpital dans le but de les punir. Les enfants, rendus orphelins de leurs mères.

Toutes ces paroles s’entremêlent aux sons et aux rythmes des batucadas qui rythment les manifestations et les mobilisations de milliers de femmes réunies dans l’espace public. Elles le disent, elles le savent, le combat se gagnera dans la rue. Alors, elles la prennent cette rue. Elles l’envahissent, crient leur colère, leur désarroi, chantent leur rage et prônent leur droit. Leur droit à disposer de leur propre corps. Leur droit à choisir si oui ou non, elles veulent mener la grossesse à terme et garder l’enfant.

Mais le poids du discours catholique et des évangélistes est encore trop lourd dans cette Argentine qui doit mener de front la lutte pour les droits des femmes et la séparation de l’Eglise et de l’Etat. Le couperet tombe, les larmes coulent. En août 2018, le projet de loi visant à légaliser l’avortement est rejeté. Mais le mouvement n’est pas figé, pas stoppé, pas affaibli.

LES ARGENTINES MÈNENT PLUSIEURS COMBATS DE FRONT

Après la projection, un temps d’échange est organisé. La présence de Marie Audran est une aubaine. Elle a vécu en Argentine pendant trois ans et notamment durant cette période. Son expérience et ses connaissances permettent ainsi de situer ce combat dans un contexte politique plus global.

Elle explique la symbolique du foulard vert qui s’inscrit dans « une tradition de luttes ». Elles rendent hommage (femmage, devrait-on dire) aux foulards blancs « des mères et des grands-mères qui se réunissaient pendant la dictature en Argentine, place de mai à Buenos Aires, et qui réclamaient la vérité et la justice pour leurs enfants disparus. »

« Elles ont repris le symbole du foulard blanc sur le foulard vert et établissent un lien entre le corps des femmes et l’État. Elles dénoncent la souveraineté de l’Etat sur le corps. Il y a aussi un foulard orange pour la lutte pour l’état laïc. Beaucoup de combats sont menés de front. Elles croient en l’importance de déconstruire le lien avec l’église.»
souligne Marie Audran.

Elle était sur place avant ce mois de juin 2018. Elle raconte : « Les anti avortements se sont mis à occuper la place à partir du moment où le congrès a voté le projet de loi. Avant, devant le congrès et partout ailleurs, c’était le vert qui était présent. »

Tous les mardis, les militantes au foulard vert se rassemblaient dans l’espace public, le lieu changeait en fonction des dates, et organisaient un débat. Marie Audran se souvient de « ce gros bouillonnement de mobilisation », impressionnée justement par la capacité de mobilisation et d’organisation des Argentines. 

En 2015 déjà, elles se soulevaient contre les féminicides et les violences machistes avec la naissance du mouvement Ni una menos. Le film le rappelle : en Argentine, une femme meurt toutes les 26h. Parce qu’elle est femme.

« À cette époque, arrive un président de droite libérale, après plusieurs mandats de centre gauche. Les femmes poussent un cri de rage avec Ni una menos. Et ce mouvement a essaimé dans différents pays d’Amérique du Sud. Dans un contexte d’explosion sociale, les militantes féministes luttent contre le néo-libéralisme. Elles vont prendre un grand protagonisme contre le néo-libéralisme. Ici, on assiste à une vraie révolution des consciences. Comme une des femmes le dit dans le film, une fois qu’on commence à regarder les choses sous l’angle féministe, on ne peut plus revenir en arrière. », commente Marie Audran. 

UNE LUTTE INSPIRANTE ET PUISSANTE

Marie-Françoise Barboux, membre de l’antenne rennaise d’Amnesty International ajoute : « C’est la 7fois que le projet était présenté mais c’était la 1èrefois qu’il prenait cette ampleur. Première fois que les femmes ont convaincu autant de député-e-s de tout bord politique. Espérons que le 8eprojet soit présenté en 2020. »

L’ampleur est colossale. Non seulement pour l’Argentine mais également pour l’Amérique du Sud. Dans le public, une spectatrice intervient à ce propos :

« Grâce aux Argentines, nous au Chili, on a pu lutter. La couleur verte, on l’utilise nous aussi maintenant. On a eu notre mai féministe. On a fait la grève contre le harcèlement des professeurs. Pour une éducation non sexiste. On veut toutes être vivantes ! Au Brésil ou au Mexique par exemple, le patriarcat est très très fort. Mais les femmes sont organisées. Elles utilisent des performances, grâce aux Argentines et à Las Tesis. Les luttes sont les mêmes. C’est très important et ça a commencé par l’Argentine. Que sea ley ! »

Que ce soit loi ! Que le droit de disposer de son propre corps soit le même pour tou-te-s, partout, peu importe le genre, le sexe, le milieu social, la province ou le pays dans laquelle / lequel on vit, son orientation sexuelle, son identité de genre, sa couleur de peau, etc. Que ce droit à l’avortement soit libre et gratuit. Sans condition. Que les femmes disposent de leur corps et accèdent à la santé. Que ce soit loi !

« L’avortement est légal lorsqu’il y a danger pour la vie de la femme. Mais en réalité, les recours en justice sont plutôt faits contre les médecins qui pratiquent des avortements clandestins. Il y a un poids très lourd qui pèse sur les médecins et les gynécos. La Cour Suprême a pourtant redit en 2012 qu’une femme n’a pas besoin de prouver le viol subi ou la mise en danger sur sa santé pour avorter. Mais dans les faits, les autorités n’appliquent pas la loi. », poursuit Marie-Françoise Barboux.

Marie Audran précise : « En 2019, deux filles de 11 et 12 ans ont été obligées d’accoucher à la suite des viols qu’elles ont subis. La loi n’est pas appliquée. »

Il faut se battre et il ne faut rien lâcher. Et surtout, s’informer. Si on le peut. Car on le sait, l’absence d’information, la problématique de l’accès à l’information et la mauvaise information constituent souvent la base des inégalités.

INFORMATIONS ET SOLIDARITÉ AVEC LES FEMMES DU MONDE ENTIER

Entre le discours prôné par les conservateurs qui utilisent l’argument de « la vie » (pro-life), l’absence d’éducation à la vie sexuelle et affective, l’accumulation des tabous autour de la sexualité et de la contraception (dont l’information ne circule pas toujours correctement) et les idées reçues sur la contraception et l’avortement, le débat est loin d’être apaisé.

Sans oublier le traitement médiatique réservé à ces thématiques qui véhicule bien souvent des clichés. Depuis quelques jours en France, la presse s’affole avec des titres chocs concernant le taux de recours à l’IVG qui en 2019 a atteint son chiffre le plus élevé. Depuis 2001, entre 215 000 et 230 000 avortements étaient pratiqués. L’an dernier, le chiffre était de 232 000.

Evidemment, la plupart des articles établissent ensuite un lien entre le recours à l’IVG et l’évolution des modes de vie de la société. Mais on crée un mouvement de panique, une gêne - par rapport à ce chiffre qui a légèrement augmenté – incitant au malaise, au pointage du doigt de ces jeunes filles qui auraient recours à l’IVG comme un moyen de contraception et à toutes ces femmes qui prendraient cette interruption volontaire de grossesse à la légère (oui, nous sommes dans une société où si une femme n’est pas traumatisée par un avortement, c’est qu’elle est certainement un être monstrueux).

Lundi soir, Lydie Porée du Planning Familial 35 le rappelle : « 72% des personnes qui ont recours à l’IVG avaient une contraception. » Voilà qui casse d’emblée un stéréotype visant à toujours rendre irresponsables les femmes et à justifier qu’on les infantilise, par conséquent.

En 2020, il faut le rabâcher encore et encore : les femmes ont le droit de disposer de leur propre corps. Ce droit, elles l’ont conquis. Ce droit, elles se battent pour le conserver. Face à la double clause de conscience des professionnel-le-s de la santé, face aux fermetures des centres d’IVG, face à une période de crise sanitaire (et économique par la même occasion) qui comme toujours retombe de plein fouet sur les femmes.

En France, l’avortement a été légalisé en 1975 mais la loi n’a pas toujours été ce qu’elle est aujourd’hui. Au départ, elle était votée pour 5 ans. Avec certaines conditions. Les militantes se sont battues, ardemment, pour faire progresser la loi et les mentalités. Elles se battent toujours et revendiquent aujourd’hui son accès libre et gratuit, pour tou-te-s, et l’allongement du délai légal à 14 semaines au lieu de 12 actuellement.

En Équateur, le président refuse aujourd’hui encore la dépénalisation de l’avortement, même en cas d’urgence médicale, alors que les Parlementaires avaient voté le projet de loi le 25 septembre dernier.

En Irlande, les Irlandaises peuvent choisir d’interrompre volontairement et légalement leur grossesse depuis le 1erjanvier 2019. En décembre dernier, seulement 10% des médecins acceptaient de pratiquer l’avortement là-bas. 

En Italie, l’accès à l’IVG se dégrade et les polémiques se multiplient quant à l’avortement médicamenteux, notamment.

Le droit à l’IVG, qui implique le droit à disposer de son propre corps, le droit à choisir d’avoir un enfant quand on veut, si on veut, est un combat du quotidien. Il souligne des inégalités profondes entre les hommes et les femmes d’un côté et entre les femmes du monde entier d’un autre.

Lundi 28 septembre, au cinéma L’Arvor, les trois intervenantes, Marie Audran, Marie-Françoise Barboux et Lydie Porée, prônent la solidarité et la circulation de l’information. Qu’uni-e-s, nous fassions bloc. Parce que nos voix comptent. Parce que nos corps comptent. Que sea ley.

Célian Ramis

En cette journée mondiale de l'hygiène menstruelle (et pas que), y a du taf...

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La taxe tampon, la non transparence des fabricants de tampons et serviettes sur la composition, l’inégal accès aux protections et aux informations concernant les menstruations… La liste démontrant l’ignorance et le mépris envers les personnes réglées est longue.
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La taxe tampon, la non transparence des fabricants de tampons et serviettes quant aux produits qui les composent, l’inégal accès aux protections hygiéniques et aux informations concernant les menstruations… La liste démontrant l’ignorance et le mépris envers les personnes réglées, et ce qu’elles vivent, est longue. En avril, s’est ajoutée à celle-ci les amendes de 135 euros pour celleux qui sortaient du confinement le temps d’acheter des protections périodiques. Pourquoi ? Parce qu’on ne les considère toujours pas, dans l’opinion publique, comme des produits de première nécessité. 

Pour le pain et le vin, aucun problème dès lors que l’on était muni-e-s d’une attestation dérogatoire de déplacement. Cela ne nous pose aucun souci, bien au contraire. En revanche, sortir de son domicile pour acheter des protections périodiques, là, ça coince. Plus que ça, ça déconne sévèrement puisque la verbalisation s’accompagnait d’une amende de 135 euros pour non respect des mesures de confinement.

Certains médias ont parlé de verbalisations abusives. On comprend l’idée mais dans la réalité, ça va plus loin, révélant ici la méconnaissance et le mépris concernant les menstruations. Oui, on peut attribuer le geste de la verbalisation à certains membres des forces de l’ordre et l’abus de leur autorité quant à la fouille des sacs mais on peut aussi mettre cela en perspective avec le manque d’une politique forte envers la nécessité des protections menstruelles.

LA TAXE TAMPON

Car il faut bien rappeler que c’est grâce à l’action du collectif Georgette Sand que celles-ci ont réduit la TVA à 5,5% au lieu de 20%. Une taxe appelée la « taxe tampon », appliquée jusqu’en 2015. Le 15 octobre de cette même année, l’Assemblée rejette la proposition de Catherine Coutelle, députée PS, visant à réduire la TVA sur les protections périodiques.

Les associations féministes se mobilisent autour du sujet et le collectif Georgette Sand, dont une pétition avait très rapidement recueilli plus de 26 000 signatures, organise une manifestation festive à Paris. D’autres rassemblements fleurissent, des initiatives aussi, à l’instar de celle de Culotte Gate : envoyer aux politiques des culottes tâchées de sang.

Les militantes rappellent alors qu’avoir ses règles, « ce n’est pas optionnel ». En décembre 2015, la réduction de la taxe tampon est finalement votée. C’est une première victoire qui a malheureusement le goût d’un sujet tué dans l’œuf. Comme si ce vote servait à faire taire les revendications féministes.

C’est bien mal connaître les militantes qui prônent les droits des femmes et l’égalité entre les sexes. Le tabou est loin d’être levé et les menstruations représentent un réel enjeu dans cette lutte. Il faudra attendre encore quelques années mais désormais le sujet a pris de l’ampleur et on en parle sous le terme de précarité menstruelle, englobant à la fois les inégalités économiques que les règles soulèvent mais aussi politiques, sociales, éducatives, etc. (Lire notre Focus : http://yeggmag.fr/focus/precarite-menstruelle-couleur-realite)

RÉVÉLER LA PRÉCARITÉ MENSTRUELLE

Le combat est loin d’être terminé et demande une mobilisation sur tous les fronts. De l’importance de faire reconnaître que le sang menstruel est rouge (et non bleu comme dans les publicités…) à la lutte pour la gratuité des protections périodiques, rien ne doit être laissé de côté.

En premier lieu, l’information apparaît capitale. Et là, attention, pas de raccourci. Tout le monde est concerné. Si ce sont les personnes porteuses d’un utérus qui sont en général menstrues, les autres doivent aussi être informées. Pour en finir avec le dégoût que suscitent la période des règles. Pour en finir avec la honte et la culpabilisation, et ainsi en finir avec la loi du silence. Pour apprendre au plus tôt que non, ce n’est pas normal d’avoir mal avant, pendant et/ou après les règles.

La méconnaissance et le mépris envers les personnes réglées et leurs vécus ont conduit à isoler des personnes en souffrance. Il y a l’exil menstruel qui existe toujours dans certaines zones du monde et il y aussi, en France notamment, une problématique au niveau du diagnostic de l’endométriose. On estime à 7 ans en moyenne, ce diagnostic.

Car la plupart des personnes exprimant ressentir des douleurs dues aux cycles ne seront pas prises au sérieux, pas écoutées, méprisées. On leur dira qu’elles sont douillettes, que c’est normal d’avoir mal, on minimisera leurs témoignages, on ne se concentrera pas sur la recherche des causes et des traitements de l’endométriose.

Ensuite, il est également impératif de prendre en compte la réalité économique des menstruations d’un côté, des femmes, des personnes trans, des personnes intersexes, des personnes non binaires, de l’autre, population souvent très précarisée.

Le budget alloué pour ce début de cycle ne se cantonne pas à l’achat de protections périodiques – qui représentent déjà un coût en soi – puisqu’il faut parfois prévoir l’achat de médicaments contre les douleurs, ainsi que l’achat de nouvelles culottes si besoin, de draps, etc.

VERS LA GRATUITÉ DES PROTECTIONS PÉRIODIQUES

L’accès aux savoirs et aux protections périodiques révèle de sévères inégalités entre les individus et un contrôle patriarcal omniprésent sur le corps des femmes, des personnes trans, des personnes intersexes ainsi que des personnes non binaires, des personnes handicapées et des personnes racisées. Toutes les personnes ne correspondant pas à la norme de l’homme, blanc, hétéro, cisgenre, valide…

Pour elles, l’accès à la santé et donc à l’hygiène menstruelle est un véritable parcours du / de la combattant-e. Heureusement, les actions visant à lutter contre la précarité menstruelle se multiplient. A titre d’exemple, Bulles Solidaires - qui œuvrent pour l’accès à l’hygiène et au bien-être des personnes en fortes difficultés financières – récoltent et distribuent des protections périodiques aux femmes précaires et/ou sans logements.

On voit aussi s’organiser des journées de distributions gratuites de protections périodiques – de toute sorte : serviettes jetables et serviettes réutilisables, tampons, tampons bios, coupe menstruelle… - à l’instar de l’événement organisé par Camille Troubat au centre social Kennedy le 9 mars dernier (http://yeggmag.fr/actualite/sororite-contre-precarite-menstruelle).

Il y en a aussi sur les campus de Rennes 1 et de Rennes 2, ce dernier s’étant également équipé de distributeurs gratuits de protections bios, Marguerite & cie. Du côté de Lille, l’université avait l’an dernier distribué 30 000 kits de protections périodiques aux étudiant-e-s, une grande première en France, inspirée du modèle écossais qui a désormais voté, en février 2020, la gratuité des protections périodiques.

Dans l’hexagone, l’avancée n’est pas aussi significative. Oui, les mutuelles étudiantes remboursent depuis quelques années l’achat de protections périodiques à leurs adhérentes. Entre 20 et 30 euros par an, ce qui est largement insuffisant. Pour toutes les autres personnes réglées vivant dans la précarité, ce sont encore aux associations de les aider. Les mesures gouvernementales et politiques ne sont à l’heure actuelle pas suffisantes et satisfaisantes.

LE 28 MAI

En plus des actions et initiatives féministes et militantes, organisées tout au long de l’année, le 28 mai est la journée mondiale de l’hygiène menstruelle. Le but : rompre le silence et briser le tabou autour des règles en communiquant et en échangeant avec les différents publics (on rappelle que tout le monde est concerné) autour de la thématique.

L’occasion également de rappeler que dans le monde 500 millions de femmes n’ont pas accès aux produits et infrastructures nécessaires pour vivre leurs règles de façon digne et que 1 femme sur 10 fait face à la précarité menstruelle, comme le souligne l’association M.A.Y (Menstruations And You), dont l’objectif est de lutter contre la précarité menstruelle avec et pour les jeunes.

Dans ce cadre-là, l’association a préparé un programme riche pour cette journée avec des promotions sur des protections périodiques mais aussi et surtout des témoignages, notamment celui d’Emilie Kyedrebeogo de Palobdé au Burkina Faso, des interviews (en live Instagram avec Ilayda de l’association turque We need to talk puis avec Molly de LYP en Angleterre), un grand quiz sur les règles et la précarité menstruelle, et du partage d’informations autour de groupes et d’associations en France qui luttent contre la précarité menstruelle.

www.may-asso.com/ Fb : M.A.Y Asso / Instagram : m.a.y.asso

DR

La mise à nu des infimier-e-s libérales, contre le Covid-19

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Pour choquer et alerter l’opinion publique, infirmières et infirmiers en profession libérale se sont allié-e-s pour créer une campagne choc, visant à dénoncer les conditions déplorables dans lesquelles iels doivent travailler face au Coronavirus.
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Iels se sentent comme les soldat-e-s sans armes envoyé-e-s au combat. Sans armures, iels sont envoyé-e-s nu-e-s au front, soigner leurs patient-e-s. Pour choquer et alerter l’opinion publique, infirmières et infirmiers en profession libérale se sont allié-e-s pour créer une campagne choc, visant à dénoncer les conditions déplorables dans lesquelles iels doivent travailler face au Coronavirus.

Une vidéo de 2’30. Des photos de 43 infirmières et infirmiers de huit départements français. Tou-te-s sont à poil. Un panneau cachant leur sexe ou leur poitrine. Le message suivant écrit dessus : « #Apoilcontrele #covid-19 #infirmiere ». En fond, des battements de cœur, entrecoupés par le silence, le temps de lire les textes placés entre les séries de photos.

« 2/3 des soignants contaminés à Wuhan (Chine) », « 9444 soignants contaminés en Espagne (28 mars 2020) », « 600 soignants contaminés – À l’Assistance Publique des Hôpitaux de Paris », est-il écrit, entre autres.

Cette campagne, accompagnée également d’une affiche réunissant les 43 infirmières et infirmiers nu-e-s avec leur pancarte, est à l’initiative de trois professionnelles dont fait partie Alexandra Cantarel, infirmière libérale à Rennes depuis 2009.

« Une infirmière de l’Hérault, Aurélie Mercier, s’est prise en photo à poil contre le Covid. Je l’ai contactée pour savoir si elle était d’accord qu’on reprenne l’idée pour en faire quelque chose. Une autre collègue des Pyrénées Orientales avait fait la même chose de son côté. Je ne le savais pas. Mais Aurélie nous a mise en lien. J’ai créé l’affiche pour que chacun-e puisse se prendre en photo avec. », nous explique-t-elle.

Le but : un choc. Choquer les gens. « Leur montrer qu’on y va, c’est notre métier et on l’aime, mais on y va à poil. Le gouvernement ne nous a pas fourni les tenues nécessaires. », s’indigne Alexandra Cantarel. 

UN QUOTIDIEN MODIFIÉ

Elle le dit clairement, par rapport à l’hôpital et par rapport à l’Est de la France et la région parisienne, « on a beaucoup moins à se plaindre. » Ce qui est loin de signifier que la situation est convenable pour iels non plus. « Ça commence à arriver en médecine de ville. Ma collègue est allée ce matin voir la première patiente Covid. », précise-t-elle.

Face à la recrudescence de personnes contaminées et confinées à domicile, les infirmier-e-s doivent organiser leur quotidien en conséquence. Sur le secteur de Rennes, « on s’est organisé-e-s en 4 cabinets. En règle générale, on voit entre 30 et 40 patient-e-s le matin et pareil le soir. Et on a beaucoup de patient-e-s en chimio. »

Impossible donc « d’intercaler les patient-e-s Covid au milieu de la tournée. » Iels ont décidé de détacher chaque jour un-e professionnel-le dédié-e aux personnes atteintes du Coronavirus. L’impact est multiple : sur l’organisation, sur le fait de travailler face à un virus nouveau dont tous les tenants et aboutissants ne sont pas encore connus et sur les mesures à prendre.

SOLIDARITÉ ET ENTRAIDE

Et là, ça coince sévère. « Sur nos tournées classiques, on prend des mesures, en mettant des masques et des blouses. On n’a pas besoin de cet équipement en temps normal. On met des gants bien sûr, et on peut être amené-e-s avec des patient-e-s bien précis à porter autre chose. Moi, j’ai fouillé dans mon stock H1N1, il est périmé mais c’est toujours mieux que d’y aller sans rien. », souligne Alexandra.

Les infirmier-e-s manquent drastiquement de moyens matériels. La dotation de l’État prévoit 18 masques par soignant-e-s, par semaine. Ce qui est largement insuffisant comme nous le confirme la professionnelle :

« Un masque a une validité de 4h maximum ! Et on voit 60/70 patient-e-s par jour ! Heureusement qu’on nous file des stocks. »

Des stocks proposés par des entreprises, des garagistes et même des patient-e-s. Pour que les infirmier-e-s s’équipent de blouses, de masques et de housses pour les sièges de leur voiture « car le virus reste actif quelques heures sur les surfaces non vivantes ».

Iels se sentent démuni-e-s et envoyé-e-s sur le terrain, à poil. Ce qui met non seulement les professionnel-le-s en danger mais aussi leurs familles et les patient-e-s. « J’ai des collègues dans l’Est qui ne vivent même plus chez elles. Ou isolées dans une autre pièce que celle où est leur famille. », ajoute-t-elle.

LE SYSTÈME DÉBROUILLE

« C’est un peu la démerde. Alors oui, c’est notre boulot d’aller soigner les patient-e-s, et ça, ce n’est vraiment pas le problème. La Sécu nous a appelé un par un pour savoir si on était d’accord d’aller chez des patients Covid. On est d’accord mais il faut qu’on nous donne les moyens ! », insiste Alexandra Cantarel.

Elle constate évidemment le manque d’anticipation de la part des gouvernements. Elle déplore le manque de réactions de la part du gouvernement actuel. Et les situations paradoxales auxquelles on assiste en ce moment.

« On se sent un peu comme des pestiféré-e-s. J’ai des collègues dont les patients les appellent pour dire qu’actuellement, ils refusent les soins pour ne pas risquer leur santé et ça s’entend. Mais quand on voit des collègues qui reçoivent des mots de la part de leurs voisin-e-s leur disant de déménager, qu’on se fait fracturer nos voitures (alors qu’on n’a pas de masques !!!), que ça va certainement arriver aussi à des cabinets… C’est dur ! »

Et paradoxalement, le rendez-vous est donné à 20h, aux balcons, pour applaudir les soignant-e-s. Une belle initiative selon elle mais qui doit continuer après la crise sanitaire : « Ça ne date pas d’hier. Ça fait plus d’un an que partout ça crie pour demander de l’aide dans le domaine de la santé. J’espère qu’après ça, les gens n’oublieront pas ! »

Soutenons les professionnel-le-s de la santé : « Restez chez vous ! », conclut Alexandra Cantarel qui espère que le message passe et génère un choc dans les mentalités.

 

Pour voir le diaporama, c’est par ici : https://youtu.be/5X-jZEyRDug

Le regroupement des photos et le montage ont été réalisés par David Ferriol.

Célian Ramis

La sororité, contre la précarité menstruelle

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Deux palettes de 110 kilos de serviettes périodiques (soit 32 000 serviettes), des boites de tampons, des coupes menstruelles ainsi que des serviettes lavables ont été distribuées gratuitement lundi 9 mars.
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Deux palettes de 110 kilos de serviettes périodiques (soit 32 000 serviettes), des boites de tampons, des coupes menstruelles ainsi que des serviettes lavables ont été distribuées gratuitement lundi 9 mars à l’espace social commun Kennedy à Rennes grâce à l’action « Les règles, on s’en tamponne », à l’initiative de Camille Troubat.

Il y a un vrai besoin à aider les personnes ayant leurs règles. Chaque début de cycle menstruel nécessite l’achat de protections hygiéniques qui - au-delà de leur impact environnemental catastrophique et des risques pour la santé (choc toxique mais aussi produits chimiques et pesticides dans la composition des tampons, etc.) - représentent un budget non négligeable.

« Dans la précarité menstruelle, on prend en compte l’achat des protections périodiques mais aussi les médicaments si besoin, pour calmer les douleurs, en sachant par exemple que le Spasfon n’est remboursé qu’à hauteur de 16%. On compte aussi les culottes à racheter, les draps, etc. Certaines n’ont même pas de quoi s’acheter de quoi se protéger pendant les règles. Entre ça et les douleurs, elles sont parfois immobilisées entre 1 et 3 jours. », explique Camille Troubat.

Elle est infirmière étudiante puéricultrice et, dans le cadre de ses études, a effectué un stage au sein de la protection maternelle et infantile, sur le quartier Villejean-Kennedy à Rennes. Sensibilisée à la problématique de la précarité menstruelle, elle a souhaité mener une action de santé publique à destination des femmes du CADA (Centre d’accueil des demandeurs d’asile).

Pour répondre au mieux aux besoins de celles-ci, Camille Troubat a établit un questionnaire et, avec des collègues, aidé les femmes qui ne parlaient pas ou peu la langue française à y répondre. En parallèle, l’association Bulles Solidaires a fait don de trois cartons de protections périodiques.

L’action fonctionne, elle décide de réitérer l’événement et de l’élargir. Elle obtient une aide financière du département, à hauteur de 500 euros, des dons solidaires, une palette de 110 kilos de serviettes jetables de la part de la banque alimentaire de Pacé (contient 16 000 serviettes) et réunit à l’espace social commun de Kennedy, deux sages femmes, des infirmières, une puéricultrice de PMI et des travailleuses sociales du CCAS et l’association M.A.Y Menstruations Are Yours.

Dans la salle, sont étalés sur les tables des paquets de serviettes jetables, des paquets de tampons avec ou sans applicateur, une coupe menstruelle, un carton rempli de tampon en vrac et des informations. Sur le choc toxique, sur les règles en général, sur la gratuité des protections périodiques pour toutes votée par le Parlement écossais, etc.

« Il y a eu beaucoup d’échanges, de conseils, d’infos données sur la cup, sur le stérilet, sur comment mettre un tampon, sur le tabou lié aux règles, sur les idées reçues, etc. Il y a même eu des conseils de livres pour les mamans qui n’osent pas parler de ça avec leurs filles. Dans la matinée, une cinquantaine de personnes sont venues, dont beaucoup d’étudiantes. Et cet après-midi, c’est environ une centaine de personnes. », souligne Camille Troubat.

L’événement est un succès. Elle décide même d’installer une table dehors, devant l’entrée de l’espace social commun Kennedy, afin de toucher également celles et ceux qui n’oseraient pas rentrer ou ne seraient pas au courant de l’action.

« Vous les vendez combien ? », demande une femme en passant sur la dalle. On lui explique alors que la distribution est gratuite : « Vous avez déjà entendu parler de précarité menstruelle ? » Non, répond-elle. La discussion s’enclenche et la jeune femme est invitée à aller à l’intérieur, où elle aura plus de choix et pourra également avoir toutes les informations nécessaires.

Les personnes curieuses et intéressées s’amassent dans l’espace de distribution. « C’est pour quoi cette action ? », s’interroge une autre femme. Elle est reconnaissante de cette initiative : « Quand on est toute seule, bon, ça va encore. Mais là, je viens de récupérer ma fille. Ça fait qu’on est deux à devoir avoir ça. Et là, c’est plus la même histoire… »

Les hommes aussi viennent récupérer des cartons ou des boites, pour leurs femmes et filles. Principalement des serviettes. « Vous savez si elles portent avec ou sans les rabats sur les côtés ? Vous savez à peu près leur flux ? » Souvent, ils ne trainent pas. Ils disent « oui, oui, c’est ça qu’elle met » mais n’entrent pas dans les détails. Pas de gêne affichée mais pas non plus l’envie de déblatérer sur les menstruations des femmes de leurs entourages. 

C’est là aussi que réside l’importance de ce type d’action. Que tout le monde soit concerné par les menstruations, par le coût infligé par une politique qui cautionne la marchandisation d’un produit de première nécessité, on le rappelle.

Si l’université Rennes 2 a installé un distributeur gratuit de protections périodiques biologiques, organisé des distributions gratuites également sur ses campus, tout comme l’a fait l’université Rennes 1, il est important de se mobiliser massivement pour lutter contre la précarité menstruelle.

L’initiative de Camille Troubat démontre que les besoins sont réels et importants, les femmes, les étudiant-e-s et les migrant-e-s étant déjà souvent les plus précaires, mais aussi que la solidarité et la sororité existent bel et bien. Encore une fois, ce sont les déterminations, les engagements et la sororité des militantes féministes qui permettent de faire évoluer les choses, et non nos dirigeant-e-s politiques.

Célian Ramis

L'intime, haut et fort

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Dans la santé sexuelle, il est question de prévention et de lutte contre les IST, de dépistage ou encore de vaccination contre les virus comme Papillomavirus. Mais aussi de choix, de respect et de plaisir !
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Dans la santé sexuelle, il est question de prévention et de lutte contre les IST, de dépistage ou encore de vaccination contre les virus comme Papillomavirus. Mais aussi de choix, de respect et de plaisir !

Selon la définition de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), la santé sexuelle « a besoin d’une approche positive et respectueuse de la sexualité et des relations sexuelles, et la possibilité d’avoir des expériences sexuelles qui apportent du plaisir en toute sécurité et sans contraintes, discrimination ou violence. »

C’est là-dessus que s’est basé le comité de coordination de la lutte contre les infections sexuellement transmissibles et le virus de l’immunodéficience humaine (COREVIH) qui, entre le 18 novembre et le 15 décembre, organisait – en parallèle des actions prévues autour de la journée mondiale de lutte contre le Sida (1erdécembre) - quatre « Semaines de la santé sexuelle » dans les départements bretons.

En Ille-et-Vilaine, c’est au début du mois que celle-ci s’est déroulée, proposant le 8 décembre à la maison de quartier Villejean à Rennes le spectacle Ouest Side Stories – À nos amours, créé par la webradio oufipo.org. Sur scène, deux musiciennes, un technicien et un micro. Au premier rang, cinq comédien-ne-s.

Tour à tour, ielles montent sur le plateau et prennent la parole pour exprimer un aspect de leur vie sexuelle et affective. Le premier baiser, l’idée qu’on en a, le rendez-vous, le goût des lèvres de Pierre. Une relation épistolaire, la première rencontre avec la peau d’une femme, le couple, l’entrave à la liberté, la rupture, le départ. Les signaux que l’on interprète, les râteaux, la confusion entre l’attirance et l’amitié, l’apprentissage et la découverte avant la recherche absolue d’une partenaire.

Les trajectoires sont différentes, les prises de paroles également mais l’essence est la même : livrer une partie de son intimité, sans la sacraliser ni la minorer. Pas de jugement dans les récits, ni même de commentaire. Simplement, un partage d’informations. Parmi lesquelles on trouve la religion, la préservation de la virginité, le tabou familial, et puis la rencontre d’un homme respectueux qui pense autrement, la confiance, les premières fois à 28 ans.

La vie avec cette femme rencontrée à 16 ans avec qui la sexualité est heureuse, les questions que l’on balaye et puis l’homosexualité, ou plutôt la bisexualité, la rencontre avec un homme, la vie de famille de avec six enfants dans une grande maison. Ça fait du bien de se rappeler que la sexualité, c’est une histoire d’individus et non de performance et d’injonctions. 

 

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