Célian Ramis

Libérer les menstruations !

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En 2023, la précarité menstruelle reste un fléau que subissent toutes les personnes ayant leurs règles, et en particulier celles qui sont en situation de grande vulnérabilité économique.
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En 2023, la précarité menstruelle reste un fléau que subissent toutes les personnes ayant leurs règles, et en particulier celles qui sont en situation de grande vulnérabilité économique. Selon une étude de l’association Dons Solidaires, 1,7 millions de femmes en France n’ont pas les moyens d’acheter les protections périodiques nécessaires. Un chiffre qui ne prend pas en compte les personnes trans et les personnes non binaires menstruées.

On estime à 2 400, en moyenne, le nombre de jours durant lesquels du sang s’écoulera de l’utérus à la vulve, en passant par le vagin, de plus de la moitié de la population. Et pourtant, les personnes menstruées vont apprendre à taire ce phénomène biologique et intégrer la honte assignée à leur condition. Elles rougiront au supermarché, murmureront pour demander un tampon ou une serviette et se les refileront sous le manteau… Quand elles n’auront pas à choisir entre ça et leur alimentation. Entre ça et leur dignité.

« 30% des étudiantes disent qu’elles doivent choisir entre un paquet de pâtes et des protections périodiques. », signale Elise Thiebaut, journaliste et autrice, entre autre, de l’essai Ceci est mon sang. Le 24 mai, elle était présente à la table ronde « Femmes sans abris et règles », organisée à Askoria, à Rennes, par les associations Entourages et Bulles Solidaires.

Au total, 3 femmes sur 10 sont concernées par la précarité menstruelle, indique le dépliant distribué à l’entrée réalisé et illustré par la talentueuse facilitatrice graphique, Zèdegrafik. Elise Thiebaut poursuit,  précisant que les femmes sont également plus précaires puisque majoritairement investies dans les domaines du soin et des services à la personne, les fameux métiers rendus essentiels lors des confinements mais quotidiennement dévalorisés socialement et financièrement, et majoritairement dans des postes en CDD, à temps partiel, etc.

« Le seul fait d’avoir leurs règles est une raison de mal être. Surtout quand la situation sociale est difficile. Plus on est stigmatisées, plus la douleur est forte. , souligne-t-elle. 

FORTE INVISIBILISATION

Autour de la table, Myriam Jolivet et Elina Dumont, toutes deux anciennes SDF (les femmes représentent 40% des personnes sans abris), témoignent de leurs vécus. La première, membre du Comité de la rue, autrice et comédienne de la pièce Résis-tente, décrit dans un poème « l’errance d’un corps qui saigne » et aborde la condition de femme vivant dans la rue :

« Être une femme à la rue, c’est être une proie. On se masculinise, on s’enlaidit, on se déféminise. C’est notre première préoccupation : protéger notre enveloppe corporelle. Cette hyper vigilance, c’est déjà épuisant. »

La seconde, vice-présidente nationale du Comité de la rue, chroniqueuse radio dans l’émission « Les grandes gueules » sur RMC et autrice de Longtemps j’ai habité dehors, dénonce une réalité qu’elle a connu et qui perdure encore aujourd’hui :

« Oui, en 2022, des femmes prennent des journaux, des tissus dans les poubelles, etc. pour en faire des protections périodiques. Depuis 2020, je propose de mettre des distributeurs devant les pharmacies, via un système de jetons. Parce que quand on est à la rue, on n’a pas le même rapport au temps. Dans le système social, il y a des horaires de journée pour les douches, les bagageries, les structures d’accueil, etc. Il faut que ce soit ouvert 24h/24 et 7 j/7. »

Ensemble, elles posent la problématique du manque de formation et de sensibilisation des professionnel-le-s du social à la condition des personnes sexisées et de leurs cycles. Sarah Garcel confirme. Infirmière au sein de l’accueil de jour Le Puzzle, à Rennes, elle le dit : « C’est un sujet socialement tabou. Dans les formations dans le domaine de la santé, on ne parle pas de précarité menstruelle. C’est tabou pour tout le monde. »

D’autant plus quand les femmes cherchent à se rendre invisibles. « On reçoit très peu de femmes. 6% environ. Pour celles qui reviennent – et vraiment, elles sont très peu nombreuses – c’est un sujet qui n’est pas abordé. Souvent, elles s’en tiennent à la question de comment obtenir des protections. », explique-t-elle.

Même discours du côté de Sarah Placé, cheffe de service à l’Asfad, structure d’accueil et d’hébergement pour les femmes ayant subi des violences conjugales et intrafamiliales, à Rennes.

« Je peux témoigner, dans d’autres structures, des douches non estampillées femmes ou hommes ou qui n’ont pas de séparation femmes – hommes. Cela représente un risque pour les femmes. Ça m’est arrivé de voir 5 minutes avant la fermeture une femme qui prenait plein de sopalin pour en faire une serviette… Il faut réussir en mixité à isoler cette personne pour lui demander si elle a besoin de protection. Ce n’est pas simple ! Encore moins quand les femmes ne parlent pas français. On montre alors des images. Oser dire, oser demander, ce n’est pas simple. Il est important que les éducateurs et éducatrices soient à l’affut du moindre signe. Car il est facile de demander une brosse à dents mais pas de demander des tampons et des serviettes… », déclare-t-elle.

Au sein de l’Asfad, une semaine a été organisée autour de la précarité menstruelle. Alors même qu’il s’agit d’un espace dédié aux femmes, il est apparu des carences en la matière : « On pensait que c’était de l’ordre du non sujet car c’était une évidence. La question de l’hygiène est inclue à l’Asfad. Finalement, on s’est dit qu’on en parlait peu et pas précisément. Pendant cette semaine-là, on a parlé que de ça, on a affiché des protections périodiques partout, on a abordé le sujet des protections lavables, etc. On s’est aperçu que plein de femmes ne savaient pas comment marche le cycle menstruel… »

UN IMPENSÉ DE NOS VIES !

Le tabou perdure, profondément ancré dans les mentalités. Briser le silence autour des menstruations. Rompre avec les traditions archaïques d’isolement des personnes réglées. Pour Elise Thiebaut, la situation a évolué depuis qu’elle a publié Ceci est mon sang, en 2017. Mais la gêne et le dégoût qu’elle a perçu chez la plupart des gens, y compris de la part de certaines militantes féministes, et qui l’ont mené à explorer le sujet, se ressentent encore et toujours dans la société actuelle.

« Quand on a nos règles, on s’entend dire « Ça y est, tu es une femme ! ». C’est une arnaque ! Ce qui fait que l’on vous désigne comme femme réduit votre existence à cela et est entouré de honte ! On ne vous dit alors rien à ce sujet. Alors qu’on parle de son transit à table… »
signale la journaliste.

L’ignorance qui persiste face à ce tabou a de grandes conséquences sur la santé physique des personnes ayant un utérus (rapport à la douleur, diagnostic très long voire inexistant des endométrioses, des ovaires polykystiques, etc.) mais aussi sur leur santé mentale en raison du mépris que l’on porte aux menstruations (mauvaise estime de soi, dégoût, assimilation des sautes d’humeur et de l’état d’énervement aux règles, etc.).

« Cela mène à une situation où on a honte d’être ce qu’on est ! », s’insurge Elise Thiebaut qui poursuit : « 17 millions de femmes ont leurs règles en France. Dans les collèges, les lycées, les universités (hormis Rennes et Lyon, ndlr), les restaurants, les cafés, etc. il n’y a pas de protections périodiques ! Alors qu’il y a partout des préservatifs et qu’ils sont gratuits… Et c’est génial mais si on a ses règles, c’est plus compliqué. Dans les camps de migrant-e-s, des kits d’hygiène contiennent des rasoirs, des shampooings, etc. mais pas de protections hygiéniques ! C’est un impensé total de nos vies ! »

Elle revient sur une expérience pas du tout anecdotique lors d’un séjour dans un hôtel qui propose alors des chambres spécialement pour les femmes. Curieuse, elle teste. Résultat : « Le prix était deux fois plus élevé et il n’y avait que 2 protections périodiques. Il ne s’agissait pas pour moi d’avoir des règles hémorragiques ! » Les rires provoqués par ce commentaire sont nerveux et de courte durée. Parce qu’il révèle l’étendue de la problématique induite par une société patriarcale alliée à un système capitaliste. 

LES RAISONS D’UNE INACCESSIBILITÉ FLAGRANTE

Ainsi, la difficulté d’accès aux protections périodiques est pointée. « Trente milliards de dollars, soit 26 milliards d’euros : c’est ce que représente le marché annuel de la protection périodique, soit l’équivalent du PIB de Bahreïn, un archipel pétrolier du sud de l’Arabie saoudite qui va sans doute être ravi de l’apprendre. En France, selon le magazine professionnel de la consommation LSA, le chiffre d’affaires de l’hygiène féminine représentait, en 2014, 433 millions d’euros, dont 170 millions pour les serviettes hygiéniques, 103 millions pour les protège-slips et 49 millions pour les tampons, qui accusent cependant une baisse de 5% », peut-on lire dans Ceci est mon sang.

Et en plus de cela, il aura fallu attendre 2016 pour obtenir, grâce au combat et à la mobilisation du collectif féministe Georgette Sand, la suppression de la « taxe tampon », ramenant la TVA sur les protections périodiques à 5,5% au lieu de 20%. Malgré leur précarité, les personnes menstruées payaient plus cher leurs serviettes et tampons que n’importe quel autre produit essentiel.

D’où parfois le dilemme entre un paquet de pâtes et des protections périodiques. Des protections périodiques dont on ne connaît quasiment pas la composition. Des protections périodiques à propos desquelles l’information est faible et rare.

« Il y a un déficit d’informations et de formations. Il y a un risque de choc toxique quand on change sa protection avec des mains pas propres, quand on garde le tampon trop longtemps, etc. Quand on n’a pas la notion du temps parce qu’on est dans un présent de survie et qu’on oublie de changer son tampon, c’est très problématique ! », insiste Elise Thiebaut.

Ce présent de survie est relaté par Myriam Jolivet : « T’as déjà pas l’esprit en paix alors penser à aller ici et là pour ta dignité, être propre, faire gaffe à l’heure, etc… C’est trop fatiguant ! » Elina Dumont acquiesce et appuie : « Pour les personnes précaires, la serviette, on la retourne. Et on peut rajouter des couches (sous-entendu avec PQ ou sopalin, ndlr). Avec les tampons, non, on ne peut pas. Sachant que certaines femmes préfèrent ne pas mettre de tampons car si un mec te viole, il n’enlève pas le tampon… À la rue ou en grande précarité, faut vraiment être courageuse quand t’es une femme ! »

CASSER LE TABOU

Parler des règles permet d’approfondir de nombreux sujets, comme le signale Sarah Placé : « Cela permet de parler de ce qui se passe sous la ceinture : les douleurs liées aux règles, la précarité, les violences sexuelles, etc. Tout ce qui est hyper dur à dire ! »

Faire sauter le tabou parce qu’il « est chargé de pouvoir », selon Elise Thiebaut, et parler de nos corps, « pour revenir à ce qui est le plus important : l’humain, l’humanité, la question du vivant. » Partager, changer le regard sur l’autre, tendre la main. Et l’oreille. Pour Myriam Jolivet, « on habite tous la même planète, il faut se sentir concerné-e par l’autre. Je retiens toujours cette citation : « Sois toujours du côté de l’opprimé-e et tu ne te tromperas jamais ». Rien ne justifie d’opprimer quelqu’un ! »

L’information, la formation, l’accès aux protections périodiques doivent être des priorités des politiques publiques, qui se reposent trop souvent sur les engagements et volontés des associations et des militant-e-s qui ensemble collectent et distribuent gratuitement serviettes jetables et lavables, tampons, coupes et culottes menstruelles.

« Grâce à Bulles Solidaires, nous avons plus de stocks mais on nous demande peu des protections… », précise Sarah Garcel pointant là le cercle vicieux du tabou maintenu et garanti par un système à la fois patriarcal et capitaliste.

À l’instar de l’Ecosse qui en novembre 2020 a rendu gratuit l’accès aux protections périodiques, le gouvernement français doit se positionner concrètement contre la précarité menstruelle. Parce que non, les règles ne sont pas sales. Parce que non, les personnes qui ont leurs règles ne sont pas sales. Parce que non, notre santé physique et notre santé mentale ne sont pas négociables. 

Célian Ramis

Mue, la réappropriation de son corps après un cancer du sein

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Une histoire de corps. Une histoire de reconstruction psychique après un cancer du sein. Une histoire profondément humaine. Une histoire en images racontée par la photographe Anne-Cécile Estève et les personnes concernées.
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Une histoire de corps. Une histoire de reconstruction psychique après un cancer du sein. Une histoire de confiance. Une histoire d’esthétique. Une histoire profondément humaine. Une histoire en images racontée par la photographe Anne-Cécile Estève et les personnes concernées, à travers l’exposition Mue, présentée du 7 au 27 mars à l’Hôtel Dieu, à Rennes.

« J’ai eu un premier projet avec un chirurgien qui réparait les femmes excisées mais ce projet a été mis en stand by. J’ai rencontré la chirurgienne plasticienne Cécile Méal (spécialisée en chirurgie mammaire, elle exerce entre autre au Centre Eugène Marquis, ndlr) et je lui en avais parlé et elle, de son côté, elle me parlait des femmes qui vivaient mal leur cancer. », explique Anne-Cécile Estève.

De cette rencontre va naitre Mue, une exposition photographique sensible dévoilant les corps des femmes ayant vécu une ablation du sein à cause du cancer. « Toutes le vivent très mal. », précise la photographe. Parce qu’elles subissent, en plus, une difficulté invisible à propos de laquelle elles ne se sentent pas entendues :

« Une fois qu’elles sont guéries médicalement, les gens ne comprennent pas qu’elles ne soient pas guéries psychologiquement. Mais la reconstruction physique est différente de la reconstruction psychique. »

UN NOUVEAU REGARD

Ainsi, 17 femmes ont participé à la proposition artistique qui cherche avant tout à valoriser l’esthétique des corps présentés en noir et blanc. « J’avais vu plusieurs choses sur la thématique et j’avais fait des essais. Je savais déjà que je ne voulais pas imposer le nu. J’ai essayé avec une femme le cadre noir et blanc et ça m’a paru évident que c’était ça qu’il fallait faire. », signale Anne-Cécile Estève. 

Elle poursuit : « Je demande toujours s’il y a quelque chose qui ne leur plait pas chez elle pour être sure de ne pas accentuer leurs complexes et au niveau éclairage, je travaille avec une ou deux lumières studios qui me permettent de jouer sur l’esthétique. Car la question de la beauté doit leur convenir à elles ! »

Elle est parfois la première personne à qui la modèle dévoile son corps depuis l’opération chirurgicale. Il est alors crucial pour la photographe d’établir une relation de confiance, basée sur l’écoute et le non jugement.

« Je leur offre un nouveau regard. Mon regard devient leur miroir. Elles m’en ont parlé de ça : certaines sont incapables de se regarder dans le miroir justement. Les photos leur font du bien. Elles leur permettent d’accepter et de se réapproprier leur corps. »
souligne Anne-Cécile Estève

PETIT À PETIT

Pour cela, Anne-Cécile Estève les contacte dans un premier temps par téléphone. Afin de leur expliquer sa démarche dans les grandes lignes et surtout bien préciser l’importance de leur consentement et de leur engagement : à tout moment, elles peuvent dire stop, à tout moment, elles peuvent quitter le projet.

Une fois le contact établi, une première rencontre est organisée pour entrer davantage dans le vif du sujet, leur donner le temps de raconter leur histoire, d’exprimer leur rapport au corps. Avec attention, la photographe récolte leurs témoignages puis les synthétisent et les soumet à validation, tout comme elle le fera avec les visuels. « C’est important qu’elles consentent pleinement à l’exposition. », précise-t-elle.

La phase de la prise d’images pourra ensuite commencer : « J’aime bien le faire en deux fois parce que ça leur permet de cheminer entre la rencontre et la séance photos, que je fais chez elles. Il y en a une par exemple qui voulait arrêter le lendemain de notre discussion. Après une semaine de réflexion, elle a choisi d’accepter de poursuivre le projet. »

La peur de l’objectif se mêle ici au sentiment de honte ressenti par rapport à l’image qu’elles ont désormais de leur corps, souvent pensé comme hors norme puisqu’invisibilisé dans une société de l’apparence unique.

« C’est bien le problème avec la publicité, les médias, etc. concernant l’image des femmes, c’est qu’il y a un seul modèle de femme et pas 2, 3 ou plus. Une des participantes m’a dit qu’un jour elle avait cherché sur la plage des corps de femmes qui avaient subi une ablation du sein. Elle n’en a pas trouvé… Souvent, elles ont honte, elles se cachent. Certaines parlent même d’une ‘maladie sale’… »

SE FAIRE DU BIEN, PAR LA PHOTOGRAPHIE

Se réconcilier avec son image, son apparence, son corps. La démarche intéresse profondément Anne-Cécile Estève qui réfléchit, avec Cécile Méal, à la création d’une association fondée autour de la photographie thérapeutique.

« Quand j’ai photographié les compagnons bâtisseurs, je me suis rendue compte du bien que ça leur faisait de se trouver bien en photo. C’est un outil un peu différent qui permet d’aider les personnes avec leur image. Pas que les personnes malades. Ça agit sur la confiance en soi et la relation avec les autres. », commente-t-elle.

Vient la réflexion autour de cette image normative, réductrice et culpabilisante des femmes. Parce qu’elle représente l’injonction patriarcale à la minceur – voire à la maigreur – et à la beauté unique (blanche) qui objetise les femmes en les figeant dans une posture de désirabilité et les enferme dans une case. Ce que l’on nomme le « male gaze », le regard masculin et dont les femmes sont également imprégnées puisqu’elles sont elles aussi éduquées dans une société sexiste, raciste, LGBTIphobe, handiphobe et grossophobe.

« Il faut être sacrément bien avec soi-même pour lutter contre ça. J’ai bien conscience qu’en retravaillant mes photos, je gomme les rondeurs, cachent les cicatrices, etc. Mais l’objectif ici n’est pas de montrer la réalité de leurs poitrines ou les marques qu’on peut avoir sur le corps. Mon but, c’est de leur faire du bien. Qu’elles se réapproprient leur corps à travers mes photos. Ensuite, elles cheminent à leur rythme. Dans leurs témoignages, elles le disent : ça les aide à se réconcilier avec leur corps. Il y a même une 18efemme qui m’a contactée parce qu’elle a vraiment envie de participer au projet. Alors, ce ne sera pas pour cette expo mais j’ai vraiment envie de poursuivre. »

Avec Mue, Anne-Cécile Estève leur offre un espace bienveillant dans lequel elles peuvent lâcher prise, oser, s’autoriser à essayer, s’exprimer, arrêter tout, recommencer, etc. Le titre de l’exposition résonne dans cette mise en mouvement opérée entre les femmes photographiées et la photographe : 

« Elles commençaient toujours la prise de photo habillées. Au fur et à mesure, elles se déshabillaient, en cachant leurs seins. Il n’y avait aucune obligation ensuite d’enlever les mains de la poitrine. Pour trouver la bonne posture et être plus à l’aise, je les dirigeais un peu. S’étirer, se cambrer, danser… Je voulais du mouvement ! Mouvement, changement, émotions… ça va avec la mue, ce changement physique et/ou psychologique. J’aime ces mots ! Je crois que j’ai un truc avec le changement ! », rigole Anne-Cécile Estève.

  • Exposition à découvrir du 7 au 27 mars à l’Hôtel Dieu, à Rennes.

 

Célian Ramis

Les luttes féministes en voix et en mots

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Organisée par le collectif Nous Toutes 35 le 21 novembre dernier, la mobilisation contre les violences sexistes et sexuelles a rassemblé plus d’un millier de personnes sur l’esplanade Charles de Gaulle.
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Depuis plusieurs dizaines d’années, le 25 novembre est la journée internationale de lutte contre les violences faites aux personnes sexisées, en référence à l’assassinat, ce jour-là de 1960, des sœurs Mirabal commandité par le dictateur de la République dominicaine, Rafael Trujillo. Organisée par le collectif Nous Toutes 35 le 21 novembre dernier, la mobilisation contre les violences sexistes et sexuelles a rassemblé plus d’un millier de personnes sur l’esplanade Charles de Gaulle. 

Au sol sont placardés des messages. « Jessica, travailleureuse du sexe, écrasée volontairement au Bois de Boulogne à Paris ». « Manon, 19 ans, poignardée par son compagnon ». « Magdalena, 33 ans, poignardée par son ex compagnon, confinement ». « Korotoune, 30 ans, poignardée par son mari ». « Célène, 55 ans, tuée et dissimulée 4 mois par son conjoint ». « France, 56 ans, tuée par son ex ». « Lucette, 78 ans, abattue par son compagnon, 2econfinement ». 

Le 19 novembre, le compte du Collectif Féminicides par compagnons ou ex recensait, depuis le 1erjanvier 2020, 87 assassinats de femmes. Des meurtres perpétrés par leur conjoint ou ex conjoint. Deux jours plus tard, le 21 novembre, le procès de Jonathann Daval – assassin de Alexia Fouillot, son épouse au moment des faits en 2017 - se concluait sur la condamnation de ce dernier à 25 ans de réclusion. Le 20 novembre, à l’occasion du Jour du Souvenir Trans, les associations militantes listaient les 350 prénoms de personnes trans assassinées ou poussées au suicide. 

Dans la lutte conte les violences sexistes et sexuelles, pas de trêve. Les périodes de confinement exacerbent les violences patriarcales. L’isolement renforce les dangers, dans l’espace privé principalement, mais également dans l’espace public. Au sein de la foule masquée, des cartons sur lesquels sont écrits une lettre sont brandis, formant ainsi la phrase : « Covid à l’extérieur, violences à l’intérieur ».

OCCUPER L’ESPACE PUBLIC

Ce jour-là, la distanciation physique est exigée. Heureusement, elle n’empêche pas de « crier notre colère, de faire du bruit, de dénoncer les rouages du système patriarcal », comme le soulignent les membres de Nous Toutes 35 qui rappellent qu’occuper l’espace public est indispensable pour être vu-e-s et entendu-e-s. Dans le mégaphone, un slogan retentit : « Le silence ne nous protégera pas, on sera dans la rue tant qu’il le faudra. »

Un endroit depuis lequel on peut également interpeler les pouvoirs publics et le gouvernement qui multiplie les effets d’annonce – l’égalité femmes-hommes « grande cause du quinquennat »… - mais qui s’apprête à créer un marché public pour mettre en concurrence le numéro national gratuit et anonyme d’écoute des femmes victimes de violences sexistes et sexuelles (géré depuis 1992 par le 3919). 

Des moyens supplémentaires sont revendiqués. Pas du bla bla. Des hébergements alternatifs en nombre suffisant pour les personnes victimes de violences au sein de leur foyer, des formations pour les forces de l’ordre, les professionnel-le-s de la santé, du social, de l’éducation, etc., ainsi que des moyens financiers et humains pour toutes les structures accueillant et accompagnant les personnes sexisées.

REPRENDRE NOTRE SOUFFLE, DANS LA SORORITÉ

Militer peut être épuisant tant le combat et les souffrances infligées sont colossales. La mobilisation vient regonfler les motivations, renforcer les esprits et les envies, insuffler une énergie puissante et libératrice en soulignant l’importance du collectif. Durant plusieurs dizaines de secondes, les participant-e-s crient ensemble, lèvent les poings en l’air, dansent en reprenant l’hymne féministe créé par les militantes chiliennes de Las Tesis « Un violador en tu camino » (« Un violeur sur ton chemin »).

« Islamophobie et misogynoir, ne fuyons plus du regard », « Notre colère est dans la rue, riposte féministe », « Violeurs au pouvoir, police criminelle, révolution féministe », « + de meufs, - de keufs », « Real men are feminists », « Où est notre liberté ? », « Quand c’est non, c’est non », « Transwomen are women » ou encore « Dans 32 féminicides, c’est Noël ».

Les mots sont forts. Les mots sont justes. Ils sont écrits, brandis, lus, commentés. Ils sont aussi scandés, hurlés, étouffés, repris en chœur : « Femmes handis, face aux violences, tou-te-s uni-e-s ! », « Agresseur ! Violeur ! A ton tour d’avoir peur ! », « La rue elle est à qui ? Elle est à nous ! De jour comme de nuit, elle est à nous ! Avec ou sans voile, elle est à nous ! Avec ou sans poussette, elle est à nous ! », « Assez ! Assez ! Assez de cette société qui ne respecte pas les trans, les gouines et les pédés ! », « Ni patrie, ni patriarcat, solidaires, au-delà des frontières ! »

PRENDRE LA PAROLE

Et puis, il y a les discours. Les témoignages. Déclamés sur la scène ou enregistrés au préalable et transmis lors de la mobilisation. Les vécus sont poignants. Leur partage, émouvants. Ils démontrent l’ampleur des violences qui prennent des formes diverses et multiples et intègrent toutes les sphères de la société.

Le collectif Les dévalideuses dénoncent le validisme qui s’exerce au quotidien contre les personnes handicapées à qui l’accès à l’espace public est quasiment interdit :

« La question des violences qui s’accroit pendant le confinement touchait déjà majoritairement les femmes handicapées. Elles sont les grandes oubliées des campagnes de prévention. Le validisme existait avant le coronavirus, il n’a fait que s’amplifier par un phénomène de banalisation du mal. Le validisme existera sans doute encore après la crise mais nous, personnes handicapées, femmes, militantes, dévalideuses, nous nous battrons contre ce virus avec le féminisme comme meilleur remède. »

BRISER LE SILENCE

Plusieurs témoignages de femmes exilées en France sont diffusés. Leurs parcours sont différents mais ils sont tous jonchés de violences. Elles prennent la parole pour briser le silence et l’isolement dans lesquels on les enferme, en fermant les yeux sur leurs situations.

L’une (identité non diffusée) a fait le constat qu’elle avait épousé un homme violent, après le mariage. Elle a subi des violences pendant 4 ans : « Il me demandait pardon et je devais revenir car je n’avais nulle part où aller. À un moment, j’ai été hébergée 15 jours dans la famille et puis je me suis retrouvée dehors. D’abord dans un hôtel, puis dans un foyer. Avec mes deux enfants. Les enfants me disaient que c’était de ma faute, ça me faisait de la peine, je me sentais coupable car je m’étais mariée avec lui. »

Elle a ensuite été maltraitée et brutalisée par un homme qu’elle pensait être son ami. En échange d’une aide, il voulait de l’argent ou des faveurs sexuelles : « Il n’y avait pas de solution selon l’assistante sociale. Je devais retourner alors que je savais qu’il y avait des violences et du chantage. » Aujourd’hui, elle attend sa régularisation et sa santé se dégrade.

Une autre (identité non diffusée) parle en anglais et est traduite en français. Sa parole est retransmise à la 3epersonne : « Elle a vécu un mois dans la rue dans des endroits pas à l’abri, elle a appelé plusieurs fois le 115 mais ils n’ont jamais répondu. Maintenant, en ce moment, elle est dans un foyer avec des personnes âgées mais elle n’a pas beaucoup d’aide. Quand elle raconte son histoire, ils veulent profiter d’elle, lui disent de venir avec eux, de leur donner de l’argent mais elle n’en a pas, ou son corps. C’est vraiment difficile pour les femmes. »

DE LA DÉTRESSE AFFECTIVE À LA DÉTRESSE MATÉRIELLE

Régine Komokoli a 39 ans et élève seule ses trois filles. Elle est la co-fondatrice de Kune, un collectif de femmes de Villejean, à Rennes. Elle vient de la République centrafricaine et livre un témoignage poignant autour de son parcours, ses convictions et des raisons pour lesquelles la lutte contre les violences sexistes et sexuelles lui tient à cœur.

« Chaque histoire de vie est différente. Je vous livre mon témoignage. Je viens d’un pays où règne le chaos depuis plusieurs décennies. Je suis née en 1981, élevée dans une famille de tailleurs. J’ai vécu la brutalité économique, physique et psychologique dans mon enfance et adolescence. L’insécurité règne de jour comme de nuit. Violences sur les filles, le risque est permanent. Le viol est un moyen pour les milices de dominer les populations. J’ai payé cher ma condition de jeune adolescente. J’ai pris le chemin d’un exil sans retour. Je me suis sauvée dans tous les sens du terme. A 20 ans, je suis partie vers la France. »

Elle poursuit : « A l’issue d’un long parcours, j’ai acquis la nationalité française. J’ai été confrontée à la violence conjugale. Je suis actuellement en logement provisoire pour fuir les coups du père de ma 3efille. Je bénéficie d’une mesure de protection judiciaire grâce à une mesure d’éloignement de mon ancien conjoint violent. Les violences faites aux femmes ne s’arrêtent pas aux portes de l’Europe et de la France. Je connais la détresse des femmes. Je connais aussi l’angoisse terrible de devoir faire une valise avec les choses les plus importantes en quelques minutes. »

Elle détaille ensuite les diverses formes de détresses que les violences entrainent. Il y a la détresse affective, « faire comme si tout allait bien mais vivre l’angoisse des violences au jour le jour. »La détresse psychologique, « fuir le domicile conjugal est un saut dans l’inconnu et annonce des jours, des semaines et des mois difficiles. » La détresse familiale « car bien souvent les enfants sont témoins des violences et durablement marqués. » La détresse sociale « car fuir un conjoint violent c’est voir l’ensemble de sa vie bouleversée. Certains ont des difficultés de compréhension de l’administration, confrontés à un univers juridique qu’on ne connaît pas. » Et puis aussi la détresse matérielle, « c’est fuir avec le minimum pour soi et ses enfants, c’est régler une urgence l’une après l’autre et quand on a pensé avoir tout réglé, d’autres apparaissent. » 

Et la pire des détresses selon elle : « L’impossibilité d’expliquer une situation. Comment trouver les mots qui doivent être dits dans une langue qui est étrangère ? Il manque un travail de proximité, une maison des femmes comme à Saint-Denis. Un lieu sécurisé, un lieu où il existe un réel accueil, un lieu de paroles pour la mère et pour les enfants. Les coups ne blessent pas que le corps mais aussi les âmes. Il faut que les femmes issues de cultures différentes puissent être écoutées par des femmes issues de la même culture. »

Régine Komokoli conclut par des chiffres : « Entre 120 et 150 femmes se font tuer chaque année par leur conjoint ou ex conjoint, 220 000 sont victimes de violences. C’est une maladie sociale qui touche tous les milieux. C’est aussi le signe que la France reste un pays profondément patriarcal. Cela démontre aussi une chose : c’est à nous les femmes de prendre en main notre destin, c’est à nous de lutter pour nos droits ! »

LA TRANSPHOBIE TUE

La transphobie est également dénoncée lors des discours à travers une prise de parole d’Iskis – centre LGBT de Rennes. La veille, le 20 novembre, avait lieu comme chaque année la journée internationale du Souvenir Trans. Une occasion pour les personnes transgenres et leurs allié-e-s de célébrer la mémoire des personnes assassinées à cause de la transphobie. En un an, les associations ont recensé la mort de 350 personnes transgenres et non binaires.

« Cette année encore, les personnes exilées et les travailleureuses du sexe constituent la majorité des victimes qui ont été signalées. La transphobie trouve ses racines dans le sexisme. Quasi presque toutes les personnes victimes recensées sont des femmes transgenres ou des personnes féminines. Ce que les transphobes détestent ce sont les femmes, la féminité, la remise en question de la hiérarchie de genre. 

Si en France les meurtres sont moins nombreux que dans d’autres régions du monde, les violences à l’égard des personnes transgenres sont omniprésentes. Agressions, insultes sont monnaie courante. Mais la transphobie est parfois plus insidieuse. Les discriminations à l’embauche, l’accès au logement et l’accès à la santé. 

Les procédures légales de changement de prénom et de changement de mention de sexe sont longues, pénibles, parfois refusées sans raison. Les travailleureuses du sexe sont toujours laissé-e-s pour compte sans protection juridique. 

Cette transphobie systémique, étatique, tue partout dans le monde. Tue en France aussi. En 2020, en France, comme chaque année, on déplore dans notre pays le suicide de nombreuses personnes transgenres et notamment de jeunes femmes précaires, travailleuses du sexe, que l’Etat a laissé mourir dans le silence. 

Face à l’abandon des institutions, nous sommes obligé-e-s de compter sur le soutien communautaire. Avec la crise sanitaire, les demandes d’aide auprès des associations et des collectifs ont explosé. Soulignons la vulnérabilité de notre communauté. Certaines initiatives nous ont aussi montré à l’inverse sa résilience et sa force. 

Si nous ne pouvons pas compter sur le soutien de l’Etat, nous pouvons compter sur le soutien et l’entraide mutuelle. Stop aux violences sexistes ! Stop aux violences transphobes ! »

VALORISER LES PREMIÈRES DE CORVÉE

La commission Femmes de Solidaires 35 axe son discours sur « les premières de corvée ». Celles qui occupent des postes dévalorisés et pourtant essentiels, comme le prouvent les périodes de confinement : « La crise a eu un mérite, celui de révéler des métiers qui la plupart du temps sont invisibilisés parce qu’ils sont exercés par des femmes. Ces métiers ce sont ceux qu’on appelle les métiers du soin et des services à la personne. 

Quand on regarde les chiffres, ils sont assez parlants. À l’hôpital, les infirmières, à 87%, ce sont des femmes. Les aides soignantes, à 91%, ce sont des femmes. Dans les supermarchés, en caisse, à 76%, ce sont des femmes. Dans les métiers des services à la personne, les assistantes sociales, les aides à domicile, encore des femmes, à 97%. Ces métiers féminins sont des métiers parfois précaires, souvent sous-payés, très mal payés et très pénibles. 

Les métiers qui sont indispensables sont complètement dévalorisés, sous-payés. On se dit pourquoi ? On s’est trop habitué-e-s à ce que les femmes travaillent gratuitement. Gratuitement pour s’occuper des enfants. Gratuitement pour s’occuper des malades. Gratuitement pour s’occuper des personnes âgées. Ces métiers doivent être aujourd’hui reconnus à leur juste valeur. »

LES FEMMES KURDES COMBATTANTES POUR UNE SOCIÉTÉ LIBRE

Au tour des militantes de l’association des femmes kurdes à Rennes, Zin 35, de prendre la parole. Depuis la capitale bretonne, elles dénoncent la situation en Turquie et dans plusieurs villes du Kurdistan : « De plus en plus de femmes sont violées et massacrées. Des exécutions extra judiciaires ciblées ont même été effectuées contre des femmes ainsi même que des enfants et des familles entières. Une grande partie de ces massacres ont eu lieu au moyen d’attaques de drones utilisés à des fins militaires. Les incidents de violences policières, de tortures, d’harcèlements, de menaces de mort ou d’enlèvements qui servent également à détenir des militantes prouvent qu’une politique de guerre spéciale est appliquée à l’encontre des femmes. »

Elles rappellent que le nombre de femmes « qui ont été interdites de la sphère politique, de la vie publique ou du travail, uniquement pour des délits d’opinion et qui sont maintenant retenues en otage dans les prisons est d’environ 10 000. »

Les militantes revendiquent la justice contre les défenseurs des régimes fascistes qui commettent, comme elles le soulignent, systématiquement des massacres : « Nous déclarons que nous poursuivons notre résistance contre les féminicides par des campagnes de protestation. Il ne fait aucun doute qu’Erdogan a commis et continue de commettre non pas 100 mais des milliers de crime au cours de ces 18 années de pouvoir, c’est pourquoi nous allons régler nos comptes avec Erdogan, un des plus gros auteurs de féminicides avec notre campagne « 100 raisons pour le procès du dictateur ». » 

En tant que femmes kurdes, elles exigent « de l’ONU que les meurtres de femmes soient reconnus comme des féminicides génocides. Nous demandons que les féminicides soient officiellement reconnus comme un crime contre l’humanité au niveau international. En effet, les Nations Unies ont longtemps échoué à le faire encourageant les dictateurs comme Erdogan. Avec cette campagne, nous demandons justice et qu’Erdogan soit jugé. 

Nous accueillons la journée du 25 novembre sous la devise de l’auto-défense de la société libre contre les féminicides. Nous défendons un modèle de société libre contre les formes de violences envers les femmes. Du Kurdistan au Chili, de la Pologne au Soudan, des Etats-Unis à l’Iran, de l’Inde à l’Europe et en Turquie, unissons-nous pour mettre fin à l’ignorance, à l’oppression, aux harcèlements, aux violences sexuelles et sexistes, aux féminicides partout dans le monde. Les femmes, la vie, la liberté ! »

APPELS À LA SOLIDARITÉ CONTRE LES VIOLENCES POLICIÈRES ET CONTRE LES VIOLENCES FAITES AUX PERSONNES EXILÉES SANS PAPIERS

Le 25 novembre et le 8 mars ne constituent pas les deux seules dates durant lesquelles les militant-e-s se mobilisent et s’unissent pour protester contre les injustices. Lors des discours, deux appels au rassemblement et à la solidarité sont effectués. Le premier par Awa Gueye, fondatrice du collectif Justice et vérité pour Babacar Gueye, le 5 décembre 2020 à 14h, à Maurepas, à Rennes. Le rendez-vous est donné devant l’arrêt de bus Gast.

Elle lutte depuis 5 ans, avec et aux côtés d’autres familles de victimes « mutilées, assassinées par la police », comme l’a été son frère, Babacar. « En tant que femme noire, en tant que femme militante, je suis là avec vous, pour mener le combat ensemble. Depuis l’année dernière, depuis novembre dernier, je lutte avec Nous Toutes 35, avec le collectif Justice et Vérité pour Babacar et avec beaucoup d’autres collectifs un peu partout en France. Aujourd’hui, je ne me sens plus seule. Aujourd’hui, je vois que ma fille est là devant moi. Je ne me sens plus seule grâce à vous ! »

Le second par le groupe Femmes de la Marche des Solidarités, le 18 décembre 2020, à Paris, pour l’Acte IV des Sans-Papiers. En tant que combattantes, venues de différents pays, elles appellent toutes les femmes en exil en France à sortir de l’invisibilité et en tant que féministes portent les revendications pour la régularisation de tous et de tous sans conditions, pour la fermeture des prisons administratives, les CRA (centres de rétention adminstrative), qui les menacent, leur font peur et les obligent au silence et pour le droit de tou-te-s de vivre dans un endroit digne.

« Nous les femmes du monde entier subissons les violences patriarcales. Sur tous les continents, dans le monde entier. Celles d’entre nous qui parcourons le monde sans le droit de le faire à cause du préjudice de notre naissance, du lieu, de notre genre ou de notre sexe, nous sommes parties pour un monde meilleur au risque de nos vies. 

Une femme violentée administrativement mise à genoux est une femme affaiblie pour mieux l’abattre. Nous appelons à la sororité. Nous vous appelons nos sœurs à rejoindre notre combat pour la dignité. Ici en France, à la merci des hébergements contre services sexuels, des violeurs, des profiteurs de notre vulnérabilité administrative, du silence imposé par la situation d’illégalité. 

Nous dénonçons la violence institutionnelle qui construit notre misère et nous enferme dans la voix du silence. La honte doit changer de camp ! Soyons unies ! »

Rassemblons-nous. Mobilisons-nous. L’actualité démontre au quotidien la brutalité d’un système oppresseur aux multiples facettes. Croisons les vécus, écoutons nos adelphes, respectons les individus. Féministes tant qu’il le faudra.

Célian Ramis

Que sea ley, pour que comptent les voix et les corps des femmes en Argentine (et pas que)

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28 septembre. Journée internationale pour le droit à l’avortement. Un droit toujours refusé aux Argentines. Retour sur leur combat historique et puissant en 2018 à travers le film "Que sea ley", diffusé au cinéma L'Arvor, à Rennes.
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28 septembre. Journée internationale pour le droit à l’avortement. Un droit toujours refusé aux Argentines. On se souvient de leur combat historique et puissant en 2018 alors que le 7projet de loi visant la légalisation de l’IVG était étudié par les parlementaires. Le réalisateur Juan Solanas rend compte de la marée verte dans son film Que sea ley – traduit en français par Femmes d’Argentine – présenté le 28 septembre 2020 au cinéma L’Arvor, à Rennes. 

En juin 2018, le monde braque ses yeux sur l’Argentine qui s’embrase dans les mobilisations féministes pour le droit de disposer de son propre corps - et donc de choisir de mener une grossesse à terme ou non - et retient son souffle lorsque le 8 août, le Sénat est amené à voter le projet de loi concernant la légalisation de l’avortement présenté pour la septième fois.

Pas de suspens, évidemment, nous connaissons depuis deux ans l’issue du vote. Le projet de loi est rejeté à 38 voix contre 31 voix en faveur de la légalisation. Une actualité en chasse une autre et petit à petit, le monde médiatique délaisse l’Argentine et son combat.

La soirée organisée au cinéma L’Arvor, en partenariat avec le Planning Familial 35 et Amnesty International, à l’occasion de la Journée internationale pour le droit à l’avortement, agit non seulement comme une piqure de rappel mais également comme une sonnette d’alarme.

Parce que plus de 3000 argentines sont décédées des suites d’un avortement clandestin. Parce qu’elles sont toujours plus nombreuses à être rendues coupables d’agir contre une grossesse non désirée. Parce qu’elles sont sévèrement punies de ne pas vouloir mener cette grossesse à terme. Parfois – souvent - au prix de leur vie.

Aussi parce que la loi permettant l’avortement en cas de viol et/ou de danger pour la vie de la femme concernée n’est pas appliquée. Parce qu’en Argentine, les femmes qui ont de l’argent réussissent à avorter dans des « conditions plus acceptables », tandis que les plus pauvres – 36% de la population vit sous le seuil de pauvreté et 48% des mineur-e-s – risquent leur vie parce que l’Etat ne prend sa responsabilité face à l’Eglise.

On se rappelle donc ce mouvement argentin mais sans le connaître réellement. De loin. Ce lundi soir, on se le prend en pleine gueule. L’engouement, la révolte, la détermination. Les témoignages de femmes qui ont avorté clandestinement. Les parcours de combattantes rendues coupables par avance.

Les familles qui ont vécu et vivent encore le drame de leur-s fille-s décédée-s à la suite d’un avortement clandestin et d’une mauvaise prise en charge ensuite à l’hôpital dans le but de les punir. Les enfants, rendus orphelins de leurs mères.

Toutes ces paroles s’entremêlent aux sons et aux rythmes des batucadas qui rythment les manifestations et les mobilisations de milliers de femmes réunies dans l’espace public. Elles le disent, elles le savent, le combat se gagnera dans la rue. Alors, elles la prennent cette rue. Elles l’envahissent, crient leur colère, leur désarroi, chantent leur rage et prônent leur droit. Leur droit à disposer de leur propre corps. Leur droit à choisir si oui ou non, elles veulent mener la grossesse à terme et garder l’enfant.

Mais le poids du discours catholique et des évangélistes est encore trop lourd dans cette Argentine qui doit mener de front la lutte pour les droits des femmes et la séparation de l’Eglise et de l’Etat. Le couperet tombe, les larmes coulent. En août 2018, le projet de loi visant à légaliser l’avortement est rejeté. Mais le mouvement n’est pas figé, pas stoppé, pas affaibli.

LES ARGENTINES MÈNENT PLUSIEURS COMBATS DE FRONT

Après la projection, un temps d’échange est organisé. La présence de Marie Audran est une aubaine. Elle a vécu en Argentine pendant trois ans et notamment durant cette période. Son expérience et ses connaissances permettent ainsi de situer ce combat dans un contexte politique plus global.

Elle explique la symbolique du foulard vert qui s’inscrit dans « une tradition de luttes ». Elles rendent hommage (femmage, devrait-on dire) aux foulards blancs « des mères et des grands-mères qui se réunissaient pendant la dictature en Argentine, place de mai à Buenos Aires, et qui réclamaient la vérité et la justice pour leurs enfants disparus. »

« Elles ont repris le symbole du foulard blanc sur le foulard vert et établissent un lien entre le corps des femmes et l’État. Elles dénoncent la souveraineté de l’Etat sur le corps. Il y a aussi un foulard orange pour la lutte pour l’état laïc. Beaucoup de combats sont menés de front. Elles croient en l’importance de déconstruire le lien avec l’église.»
souligne Marie Audran.

Elle était sur place avant ce mois de juin 2018. Elle raconte : « Les anti avortements se sont mis à occuper la place à partir du moment où le congrès a voté le projet de loi. Avant, devant le congrès et partout ailleurs, c’était le vert qui était présent. »

Tous les mardis, les militantes au foulard vert se rassemblaient dans l’espace public, le lieu changeait en fonction des dates, et organisaient un débat. Marie Audran se souvient de « ce gros bouillonnement de mobilisation », impressionnée justement par la capacité de mobilisation et d’organisation des Argentines. 

En 2015 déjà, elles se soulevaient contre les féminicides et les violences machistes avec la naissance du mouvement Ni una menos. Le film le rappelle : en Argentine, une femme meurt toutes les 26h. Parce qu’elle est femme.

« À cette époque, arrive un président de droite libérale, après plusieurs mandats de centre gauche. Les femmes poussent un cri de rage avec Ni una menos. Et ce mouvement a essaimé dans différents pays d’Amérique du Sud. Dans un contexte d’explosion sociale, les militantes féministes luttent contre le néo-libéralisme. Elles vont prendre un grand protagonisme contre le néo-libéralisme. Ici, on assiste à une vraie révolution des consciences. Comme une des femmes le dit dans le film, une fois qu’on commence à regarder les choses sous l’angle féministe, on ne peut plus revenir en arrière. », commente Marie Audran. 

UNE LUTTE INSPIRANTE ET PUISSANTE

Marie-Françoise Barboux, membre de l’antenne rennaise d’Amnesty International ajoute : « C’est la 7fois que le projet était présenté mais c’était la 1èrefois qu’il prenait cette ampleur. Première fois que les femmes ont convaincu autant de député-e-s de tout bord politique. Espérons que le 8eprojet soit présenté en 2020. »

L’ampleur est colossale. Non seulement pour l’Argentine mais également pour l’Amérique du Sud. Dans le public, une spectatrice intervient à ce propos :

« Grâce aux Argentines, nous au Chili, on a pu lutter. La couleur verte, on l’utilise nous aussi maintenant. On a eu notre mai féministe. On a fait la grève contre le harcèlement des professeurs. Pour une éducation non sexiste. On veut toutes être vivantes ! Au Brésil ou au Mexique par exemple, le patriarcat est très très fort. Mais les femmes sont organisées. Elles utilisent des performances, grâce aux Argentines et à Las Tesis. Les luttes sont les mêmes. C’est très important et ça a commencé par l’Argentine. Que sea ley ! »

Que ce soit loi ! Que le droit de disposer de son propre corps soit le même pour tou-te-s, partout, peu importe le genre, le sexe, le milieu social, la province ou le pays dans laquelle / lequel on vit, son orientation sexuelle, son identité de genre, sa couleur de peau, etc. Que ce droit à l’avortement soit libre et gratuit. Sans condition. Que les femmes disposent de leur corps et accèdent à la santé. Que ce soit loi !

« L’avortement est légal lorsqu’il y a danger pour la vie de la femme. Mais en réalité, les recours en justice sont plutôt faits contre les médecins qui pratiquent des avortements clandestins. Il y a un poids très lourd qui pèse sur les médecins et les gynécos. La Cour Suprême a pourtant redit en 2012 qu’une femme n’a pas besoin de prouver le viol subi ou la mise en danger sur sa santé pour avorter. Mais dans les faits, les autorités n’appliquent pas la loi. », poursuit Marie-Françoise Barboux.

Marie Audran précise : « En 2019, deux filles de 11 et 12 ans ont été obligées d’accoucher à la suite des viols qu’elles ont subis. La loi n’est pas appliquée. »

Il faut se battre et il ne faut rien lâcher. Et surtout, s’informer. Si on le peut. Car on le sait, l’absence d’information, la problématique de l’accès à l’information et la mauvaise information constituent souvent la base des inégalités.

INFORMATIONS ET SOLIDARITÉ AVEC LES FEMMES DU MONDE ENTIER

Entre le discours prôné par les conservateurs qui utilisent l’argument de « la vie » (pro-life), l’absence d’éducation à la vie sexuelle et affective, l’accumulation des tabous autour de la sexualité et de la contraception (dont l’information ne circule pas toujours correctement) et les idées reçues sur la contraception et l’avortement, le débat est loin d’être apaisé.

Sans oublier le traitement médiatique réservé à ces thématiques qui véhicule bien souvent des clichés. Depuis quelques jours en France, la presse s’affole avec des titres chocs concernant le taux de recours à l’IVG qui en 2019 a atteint son chiffre le plus élevé. Depuis 2001, entre 215 000 et 230 000 avortements étaient pratiqués. L’an dernier, le chiffre était de 232 000.

Evidemment, la plupart des articles établissent ensuite un lien entre le recours à l’IVG et l’évolution des modes de vie de la société. Mais on crée un mouvement de panique, une gêne - par rapport à ce chiffre qui a légèrement augmenté – incitant au malaise, au pointage du doigt de ces jeunes filles qui auraient recours à l’IVG comme un moyen de contraception et à toutes ces femmes qui prendraient cette interruption volontaire de grossesse à la légère (oui, nous sommes dans une société où si une femme n’est pas traumatisée par un avortement, c’est qu’elle est certainement un être monstrueux).

Lundi soir, Lydie Porée du Planning Familial 35 le rappelle : « 72% des personnes qui ont recours à l’IVG avaient une contraception. » Voilà qui casse d’emblée un stéréotype visant à toujours rendre irresponsables les femmes et à justifier qu’on les infantilise, par conséquent.

En 2020, il faut le rabâcher encore et encore : les femmes ont le droit de disposer de leur propre corps. Ce droit, elles l’ont conquis. Ce droit, elles se battent pour le conserver. Face à la double clause de conscience des professionnel-le-s de la santé, face aux fermetures des centres d’IVG, face à une période de crise sanitaire (et économique par la même occasion) qui comme toujours retombe de plein fouet sur les femmes.

En France, l’avortement a été légalisé en 1975 mais la loi n’a pas toujours été ce qu’elle est aujourd’hui. Au départ, elle était votée pour 5 ans. Avec certaines conditions. Les militantes se sont battues, ardemment, pour faire progresser la loi et les mentalités. Elles se battent toujours et revendiquent aujourd’hui son accès libre et gratuit, pour tou-te-s, et l’allongement du délai légal à 14 semaines au lieu de 12 actuellement.

En Équateur, le président refuse aujourd’hui encore la dépénalisation de l’avortement, même en cas d’urgence médicale, alors que les Parlementaires avaient voté le projet de loi le 25 septembre dernier.

En Irlande, les Irlandaises peuvent choisir d’interrompre volontairement et légalement leur grossesse depuis le 1erjanvier 2019. En décembre dernier, seulement 10% des médecins acceptaient de pratiquer l’avortement là-bas. 

En Italie, l’accès à l’IVG se dégrade et les polémiques se multiplient quant à l’avortement médicamenteux, notamment.

Le droit à l’IVG, qui implique le droit à disposer de son propre corps, le droit à choisir d’avoir un enfant quand on veut, si on veut, est un combat du quotidien. Il souligne des inégalités profondes entre les hommes et les femmes d’un côté et entre les femmes du monde entier d’un autre.

Lundi 28 septembre, au cinéma L’Arvor, les trois intervenantes, Marie Audran, Marie-Françoise Barboux et Lydie Porée, prônent la solidarité et la circulation de l’information. Qu’uni-e-s, nous fassions bloc. Parce que nos voix comptent. Parce que nos corps comptent. Que sea ley.

Célian Ramis

En cette journée mondiale de l'hygiène menstruelle (et pas que), y a du taf...

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La taxe tampon, la non transparence des fabricants de tampons et serviettes sur la composition, l’inégal accès aux protections et aux informations concernant les menstruations… La liste démontrant l’ignorance et le mépris envers les personnes réglées est longue.
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La taxe tampon, la non transparence des fabricants de tampons et serviettes quant aux produits qui les composent, l’inégal accès aux protections hygiéniques et aux informations concernant les menstruations… La liste démontrant l’ignorance et le mépris envers les personnes réglées, et ce qu’elles vivent, est longue. En avril, s’est ajoutée à celle-ci les amendes de 135 euros pour celleux qui sortaient du confinement le temps d’acheter des protections périodiques. Pourquoi ? Parce qu’on ne les considère toujours pas, dans l’opinion publique, comme des produits de première nécessité. 

Pour le pain et le vin, aucun problème dès lors que l’on était muni-e-s d’une attestation dérogatoire de déplacement. Cela ne nous pose aucun souci, bien au contraire. En revanche, sortir de son domicile pour acheter des protections périodiques, là, ça coince. Plus que ça, ça déconne sévèrement puisque la verbalisation s’accompagnait d’une amende de 135 euros pour non respect des mesures de confinement.

Certains médias ont parlé de verbalisations abusives. On comprend l’idée mais dans la réalité, ça va plus loin, révélant ici la méconnaissance et le mépris concernant les menstruations. Oui, on peut attribuer le geste de la verbalisation à certains membres des forces de l’ordre et l’abus de leur autorité quant à la fouille des sacs mais on peut aussi mettre cela en perspective avec le manque d’une politique forte envers la nécessité des protections menstruelles.

LA TAXE TAMPON

Car il faut bien rappeler que c’est grâce à l’action du collectif Georgette Sand que celles-ci ont réduit la TVA à 5,5% au lieu de 20%. Une taxe appelée la « taxe tampon », appliquée jusqu’en 2015. Le 15 octobre de cette même année, l’Assemblée rejette la proposition de Catherine Coutelle, députée PS, visant à réduire la TVA sur les protections périodiques.

Les associations féministes se mobilisent autour du sujet et le collectif Georgette Sand, dont une pétition avait très rapidement recueilli plus de 26 000 signatures, organise une manifestation festive à Paris. D’autres rassemblements fleurissent, des initiatives aussi, à l’instar de celle de Culotte Gate : envoyer aux politiques des culottes tâchées de sang.

Les militantes rappellent alors qu’avoir ses règles, « ce n’est pas optionnel ». En décembre 2015, la réduction de la taxe tampon est finalement votée. C’est une première victoire qui a malheureusement le goût d’un sujet tué dans l’œuf. Comme si ce vote servait à faire taire les revendications féministes.

C’est bien mal connaître les militantes qui prônent les droits des femmes et l’égalité entre les sexes. Le tabou est loin d’être levé et les menstruations représentent un réel enjeu dans cette lutte. Il faudra attendre encore quelques années mais désormais le sujet a pris de l’ampleur et on en parle sous le terme de précarité menstruelle, englobant à la fois les inégalités économiques que les règles soulèvent mais aussi politiques, sociales, éducatives, etc. (Lire notre Focus : http://yeggmag.fr/focus/precarite-menstruelle-couleur-realite)

RÉVÉLER LA PRÉCARITÉ MENSTRUELLE

Le combat est loin d’être terminé et demande une mobilisation sur tous les fronts. De l’importance de faire reconnaître que le sang menstruel est rouge (et non bleu comme dans les publicités…) à la lutte pour la gratuité des protections périodiques, rien ne doit être laissé de côté.

En premier lieu, l’information apparaît capitale. Et là, attention, pas de raccourci. Tout le monde est concerné. Si ce sont les personnes porteuses d’un utérus qui sont en général menstrues, les autres doivent aussi être informées. Pour en finir avec le dégoût que suscitent la période des règles. Pour en finir avec la honte et la culpabilisation, et ainsi en finir avec la loi du silence. Pour apprendre au plus tôt que non, ce n’est pas normal d’avoir mal avant, pendant et/ou après les règles.

La méconnaissance et le mépris envers les personnes réglées et leurs vécus ont conduit à isoler des personnes en souffrance. Il y a l’exil menstruel qui existe toujours dans certaines zones du monde et il y aussi, en France notamment, une problématique au niveau du diagnostic de l’endométriose. On estime à 7 ans en moyenne, ce diagnostic.

Car la plupart des personnes exprimant ressentir des douleurs dues aux cycles ne seront pas prises au sérieux, pas écoutées, méprisées. On leur dira qu’elles sont douillettes, que c’est normal d’avoir mal, on minimisera leurs témoignages, on ne se concentrera pas sur la recherche des causes et des traitements de l’endométriose.

Ensuite, il est également impératif de prendre en compte la réalité économique des menstruations d’un côté, des femmes, des personnes trans, des personnes intersexes, des personnes non binaires, de l’autre, population souvent très précarisée.

Le budget alloué pour ce début de cycle ne se cantonne pas à l’achat de protections périodiques – qui représentent déjà un coût en soi – puisqu’il faut parfois prévoir l’achat de médicaments contre les douleurs, ainsi que l’achat de nouvelles culottes si besoin, de draps, etc.

VERS LA GRATUITÉ DES PROTECTIONS PÉRIODIQUES

L’accès aux savoirs et aux protections périodiques révèle de sévères inégalités entre les individus et un contrôle patriarcal omniprésent sur le corps des femmes, des personnes trans, des personnes intersexes ainsi que des personnes non binaires, des personnes handicapées et des personnes racisées. Toutes les personnes ne correspondant pas à la norme de l’homme, blanc, hétéro, cisgenre, valide…

Pour elles, l’accès à la santé et donc à l’hygiène menstruelle est un véritable parcours du / de la combattant-e. Heureusement, les actions visant à lutter contre la précarité menstruelle se multiplient. A titre d’exemple, Bulles Solidaires - qui œuvrent pour l’accès à l’hygiène et au bien-être des personnes en fortes difficultés financières – récoltent et distribuent des protections périodiques aux femmes précaires et/ou sans logements.

On voit aussi s’organiser des journées de distributions gratuites de protections périodiques – de toute sorte : serviettes jetables et serviettes réutilisables, tampons, tampons bios, coupe menstruelle… - à l’instar de l’événement organisé par Camille Troubat au centre social Kennedy le 9 mars dernier (http://yeggmag.fr/actualite/sororite-contre-precarite-menstruelle).

Il y en a aussi sur les campus de Rennes 1 et de Rennes 2, ce dernier s’étant également équipé de distributeurs gratuits de protections bios, Marguerite & cie. Du côté de Lille, l’université avait l’an dernier distribué 30 000 kits de protections périodiques aux étudiant-e-s, une grande première en France, inspirée du modèle écossais qui a désormais voté, en février 2020, la gratuité des protections périodiques.

Dans l’hexagone, l’avancée n’est pas aussi significative. Oui, les mutuelles étudiantes remboursent depuis quelques années l’achat de protections périodiques à leurs adhérentes. Entre 20 et 30 euros par an, ce qui est largement insuffisant. Pour toutes les autres personnes réglées vivant dans la précarité, ce sont encore aux associations de les aider. Les mesures gouvernementales et politiques ne sont à l’heure actuelle pas suffisantes et satisfaisantes.

LE 28 MAI

En plus des actions et initiatives féministes et militantes, organisées tout au long de l’année, le 28 mai est la journée mondiale de l’hygiène menstruelle. Le but : rompre le silence et briser le tabou autour des règles en communiquant et en échangeant avec les différents publics (on rappelle que tout le monde est concerné) autour de la thématique.

L’occasion également de rappeler que dans le monde 500 millions de femmes n’ont pas accès aux produits et infrastructures nécessaires pour vivre leurs règles de façon digne et que 1 femme sur 10 fait face à la précarité menstruelle, comme le souligne l’association M.A.Y (Menstruations And You), dont l’objectif est de lutter contre la précarité menstruelle avec et pour les jeunes.

Dans ce cadre-là, l’association a préparé un programme riche pour cette journée avec des promotions sur des protections périodiques mais aussi et surtout des témoignages, notamment celui d’Emilie Kyedrebeogo de Palobdé au Burkina Faso, des interviews (en live Instagram avec Ilayda de l’association turque We need to talk puis avec Molly de LYP en Angleterre), un grand quiz sur les règles et la précarité menstruelle, et du partage d’informations autour de groupes et d’associations en France qui luttent contre la précarité menstruelle.

www.may-asso.com/ Fb : M.A.Y Asso / Instagram : m.a.y.asso

DR

La mise à nu des infimier-e-s libérales, contre le Covid-19

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Pour choquer et alerter l’opinion publique, infirmières et infirmiers en profession libérale se sont allié-e-s pour créer une campagne choc, visant à dénoncer les conditions déplorables dans lesquelles iels doivent travailler face au Coronavirus.
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Iels se sentent comme les soldat-e-s sans armes envoyé-e-s au combat. Sans armures, iels sont envoyé-e-s nu-e-s au front, soigner leurs patient-e-s. Pour choquer et alerter l’opinion publique, infirmières et infirmiers en profession libérale se sont allié-e-s pour créer une campagne choc, visant à dénoncer les conditions déplorables dans lesquelles iels doivent travailler face au Coronavirus.

Une vidéo de 2’30. Des photos de 43 infirmières et infirmiers de huit départements français. Tou-te-s sont à poil. Un panneau cachant leur sexe ou leur poitrine. Le message suivant écrit dessus : « #Apoilcontrele #covid-19 #infirmiere ». En fond, des battements de cœur, entrecoupés par le silence, le temps de lire les textes placés entre les séries de photos.

« 2/3 des soignants contaminés à Wuhan (Chine) », « 9444 soignants contaminés en Espagne (28 mars 2020) », « 600 soignants contaminés – À l’Assistance Publique des Hôpitaux de Paris », est-il écrit, entre autres.

Cette campagne, accompagnée également d’une affiche réunissant les 43 infirmières et infirmiers nu-e-s avec leur pancarte, est à l’initiative de trois professionnelles dont fait partie Alexandra Cantarel, infirmière libérale à Rennes depuis 2009.

« Une infirmière de l’Hérault, Aurélie Mercier, s’est prise en photo à poil contre le Covid. Je l’ai contactée pour savoir si elle était d’accord qu’on reprenne l’idée pour en faire quelque chose. Une autre collègue des Pyrénées Orientales avait fait la même chose de son côté. Je ne le savais pas. Mais Aurélie nous a mise en lien. J’ai créé l’affiche pour que chacun-e puisse se prendre en photo avec. », nous explique-t-elle.

Le but : un choc. Choquer les gens. « Leur montrer qu’on y va, c’est notre métier et on l’aime, mais on y va à poil. Le gouvernement ne nous a pas fourni les tenues nécessaires. », s’indigne Alexandra Cantarel. 

UN QUOTIDIEN MODIFIÉ

Elle le dit clairement, par rapport à l’hôpital et par rapport à l’Est de la France et la région parisienne, « on a beaucoup moins à se plaindre. » Ce qui est loin de signifier que la situation est convenable pour iels non plus. « Ça commence à arriver en médecine de ville. Ma collègue est allée ce matin voir la première patiente Covid. », précise-t-elle.

Face à la recrudescence de personnes contaminées et confinées à domicile, les infirmier-e-s doivent organiser leur quotidien en conséquence. Sur le secteur de Rennes, « on s’est organisé-e-s en 4 cabinets. En règle générale, on voit entre 30 et 40 patient-e-s le matin et pareil le soir. Et on a beaucoup de patient-e-s en chimio. »

Impossible donc « d’intercaler les patient-e-s Covid au milieu de la tournée. » Iels ont décidé de détacher chaque jour un-e professionnel-le dédié-e aux personnes atteintes du Coronavirus. L’impact est multiple : sur l’organisation, sur le fait de travailler face à un virus nouveau dont tous les tenants et aboutissants ne sont pas encore connus et sur les mesures à prendre.

SOLIDARITÉ ET ENTRAIDE

Et là, ça coince sévère. « Sur nos tournées classiques, on prend des mesures, en mettant des masques et des blouses. On n’a pas besoin de cet équipement en temps normal. On met des gants bien sûr, et on peut être amené-e-s avec des patient-e-s bien précis à porter autre chose. Moi, j’ai fouillé dans mon stock H1N1, il est périmé mais c’est toujours mieux que d’y aller sans rien. », souligne Alexandra.

Les infirmier-e-s manquent drastiquement de moyens matériels. La dotation de l’État prévoit 18 masques par soignant-e-s, par semaine. Ce qui est largement insuffisant comme nous le confirme la professionnelle :

« Un masque a une validité de 4h maximum ! Et on voit 60/70 patient-e-s par jour ! Heureusement qu’on nous file des stocks. »

Des stocks proposés par des entreprises, des garagistes et même des patient-e-s. Pour que les infirmier-e-s s’équipent de blouses, de masques et de housses pour les sièges de leur voiture « car le virus reste actif quelques heures sur les surfaces non vivantes ».

Iels se sentent démuni-e-s et envoyé-e-s sur le terrain, à poil. Ce qui met non seulement les professionnel-le-s en danger mais aussi leurs familles et les patient-e-s. « J’ai des collègues dans l’Est qui ne vivent même plus chez elles. Ou isolées dans une autre pièce que celle où est leur famille. », ajoute-t-elle.

LE SYSTÈME DÉBROUILLE

« C’est un peu la démerde. Alors oui, c’est notre boulot d’aller soigner les patient-e-s, et ça, ce n’est vraiment pas le problème. La Sécu nous a appelé un par un pour savoir si on était d’accord d’aller chez des patients Covid. On est d’accord mais il faut qu’on nous donne les moyens ! », insiste Alexandra Cantarel.

Elle constate évidemment le manque d’anticipation de la part des gouvernements. Elle déplore le manque de réactions de la part du gouvernement actuel. Et les situations paradoxales auxquelles on assiste en ce moment.

« On se sent un peu comme des pestiféré-e-s. J’ai des collègues dont les patients les appellent pour dire qu’actuellement, ils refusent les soins pour ne pas risquer leur santé et ça s’entend. Mais quand on voit des collègues qui reçoivent des mots de la part de leurs voisin-e-s leur disant de déménager, qu’on se fait fracturer nos voitures (alors qu’on n’a pas de masques !!!), que ça va certainement arriver aussi à des cabinets… C’est dur ! »

Et paradoxalement, le rendez-vous est donné à 20h, aux balcons, pour applaudir les soignant-e-s. Une belle initiative selon elle mais qui doit continuer après la crise sanitaire : « Ça ne date pas d’hier. Ça fait plus d’un an que partout ça crie pour demander de l’aide dans le domaine de la santé. J’espère qu’après ça, les gens n’oublieront pas ! »

Soutenons les professionnel-le-s de la santé : « Restez chez vous ! », conclut Alexandra Cantarel qui espère que le message passe et génère un choc dans les mentalités.

 

Pour voir le diaporama, c’est par ici : https://youtu.be/5X-jZEyRDug

Le regroupement des photos et le montage ont été réalisés par David Ferriol.

Célian Ramis

La sororité, contre la précarité menstruelle

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Deux palettes de 110 kilos de serviettes périodiques (soit 32 000 serviettes), des boites de tampons, des coupes menstruelles ainsi que des serviettes lavables ont été distribuées gratuitement lundi 9 mars.
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Deux palettes de 110 kilos de serviettes périodiques (soit 32 000 serviettes), des boites de tampons, des coupes menstruelles ainsi que des serviettes lavables ont été distribuées gratuitement lundi 9 mars à l’espace social commun Kennedy à Rennes grâce à l’action « Les règles, on s’en tamponne », à l’initiative de Camille Troubat.

Il y a un vrai besoin à aider les personnes ayant leurs règles. Chaque début de cycle menstruel nécessite l’achat de protections hygiéniques qui - au-delà de leur impact environnemental catastrophique et des risques pour la santé (choc toxique mais aussi produits chimiques et pesticides dans la composition des tampons, etc.) - représentent un budget non négligeable.

« Dans la précarité menstruelle, on prend en compte l’achat des protections périodiques mais aussi les médicaments si besoin, pour calmer les douleurs, en sachant par exemple que le Spasfon n’est remboursé qu’à hauteur de 16%. On compte aussi les culottes à racheter, les draps, etc. Certaines n’ont même pas de quoi s’acheter de quoi se protéger pendant les règles. Entre ça et les douleurs, elles sont parfois immobilisées entre 1 et 3 jours. », explique Camille Troubat.

Elle est infirmière étudiante puéricultrice et, dans le cadre de ses études, a effectué un stage au sein de la protection maternelle et infantile, sur le quartier Villejean-Kennedy à Rennes. Sensibilisée à la problématique de la précarité menstruelle, elle a souhaité mener une action de santé publique à destination des femmes du CADA (Centre d’accueil des demandeurs d’asile).

Pour répondre au mieux aux besoins de celles-ci, Camille Troubat a établit un questionnaire et, avec des collègues, aidé les femmes qui ne parlaient pas ou peu la langue française à y répondre. En parallèle, l’association Bulles Solidaires a fait don de trois cartons de protections périodiques.

L’action fonctionne, elle décide de réitérer l’événement et de l’élargir. Elle obtient une aide financière du département, à hauteur de 500 euros, des dons solidaires, une palette de 110 kilos de serviettes jetables de la part de la banque alimentaire de Pacé (contient 16 000 serviettes) et réunit à l’espace social commun de Kennedy, deux sages femmes, des infirmières, une puéricultrice de PMI et des travailleuses sociales du CCAS et l’association M.A.Y Menstruations Are Yours.

Dans la salle, sont étalés sur les tables des paquets de serviettes jetables, des paquets de tampons avec ou sans applicateur, une coupe menstruelle, un carton rempli de tampon en vrac et des informations. Sur le choc toxique, sur les règles en général, sur la gratuité des protections périodiques pour toutes votée par le Parlement écossais, etc.

« Il y a eu beaucoup d’échanges, de conseils, d’infos données sur la cup, sur le stérilet, sur comment mettre un tampon, sur le tabou lié aux règles, sur les idées reçues, etc. Il y a même eu des conseils de livres pour les mamans qui n’osent pas parler de ça avec leurs filles. Dans la matinée, une cinquantaine de personnes sont venues, dont beaucoup d’étudiantes. Et cet après-midi, c’est environ une centaine de personnes. », souligne Camille Troubat.

L’événement est un succès. Elle décide même d’installer une table dehors, devant l’entrée de l’espace social commun Kennedy, afin de toucher également celles et ceux qui n’oseraient pas rentrer ou ne seraient pas au courant de l’action.

« Vous les vendez combien ? », demande une femme en passant sur la dalle. On lui explique alors que la distribution est gratuite : « Vous avez déjà entendu parler de précarité menstruelle ? » Non, répond-elle. La discussion s’enclenche et la jeune femme est invitée à aller à l’intérieur, où elle aura plus de choix et pourra également avoir toutes les informations nécessaires.

Les personnes curieuses et intéressées s’amassent dans l’espace de distribution. « C’est pour quoi cette action ? », s’interroge une autre femme. Elle est reconnaissante de cette initiative : « Quand on est toute seule, bon, ça va encore. Mais là, je viens de récupérer ma fille. Ça fait qu’on est deux à devoir avoir ça. Et là, c’est plus la même histoire… »

Les hommes aussi viennent récupérer des cartons ou des boites, pour leurs femmes et filles. Principalement des serviettes. « Vous savez si elles portent avec ou sans les rabats sur les côtés ? Vous savez à peu près leur flux ? » Souvent, ils ne trainent pas. Ils disent « oui, oui, c’est ça qu’elle met » mais n’entrent pas dans les détails. Pas de gêne affichée mais pas non plus l’envie de déblatérer sur les menstruations des femmes de leurs entourages. 

C’est là aussi que réside l’importance de ce type d’action. Que tout le monde soit concerné par les menstruations, par le coût infligé par une politique qui cautionne la marchandisation d’un produit de première nécessité, on le rappelle.

Si l’université Rennes 2 a installé un distributeur gratuit de protections périodiques biologiques, organisé des distributions gratuites également sur ses campus, tout comme l’a fait l’université Rennes 1, il est important de se mobiliser massivement pour lutter contre la précarité menstruelle.

L’initiative de Camille Troubat démontre que les besoins sont réels et importants, les femmes, les étudiant-e-s et les migrant-e-s étant déjà souvent les plus précaires, mais aussi que la solidarité et la sororité existent bel et bien. Encore une fois, ce sont les déterminations, les engagements et la sororité des militantes féministes qui permettent de faire évoluer les choses, et non nos dirigeant-e-s politiques.

Célian Ramis

L'intime, haut et fort

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Dans la santé sexuelle, il est question de prévention et de lutte contre les IST, de dépistage ou encore de vaccination contre les virus comme Papillomavirus. Mais aussi de choix, de respect et de plaisir !
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Dans la santé sexuelle, il est question de prévention et de lutte contre les IST, de dépistage ou encore de vaccination contre les virus comme Papillomavirus. Mais aussi de choix, de respect et de plaisir !

Selon la définition de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), la santé sexuelle « a besoin d’une approche positive et respectueuse de la sexualité et des relations sexuelles, et la possibilité d’avoir des expériences sexuelles qui apportent du plaisir en toute sécurité et sans contraintes, discrimination ou violence. »

C’est là-dessus que s’est basé le comité de coordination de la lutte contre les infections sexuellement transmissibles et le virus de l’immunodéficience humaine (COREVIH) qui, entre le 18 novembre et le 15 décembre, organisait – en parallèle des actions prévues autour de la journée mondiale de lutte contre le Sida (1erdécembre) - quatre « Semaines de la santé sexuelle » dans les départements bretons.

En Ille-et-Vilaine, c’est au début du mois que celle-ci s’est déroulée, proposant le 8 décembre à la maison de quartier Villejean à Rennes le spectacle Ouest Side Stories – À nos amours, créé par la webradio oufipo.org. Sur scène, deux musiciennes, un technicien et un micro. Au premier rang, cinq comédien-ne-s.

Tour à tour, ielles montent sur le plateau et prennent la parole pour exprimer un aspect de leur vie sexuelle et affective. Le premier baiser, l’idée qu’on en a, le rendez-vous, le goût des lèvres de Pierre. Une relation épistolaire, la première rencontre avec la peau d’une femme, le couple, l’entrave à la liberté, la rupture, le départ. Les signaux que l’on interprète, les râteaux, la confusion entre l’attirance et l’amitié, l’apprentissage et la découverte avant la recherche absolue d’une partenaire.

Les trajectoires sont différentes, les prises de paroles également mais l’essence est la même : livrer une partie de son intimité, sans la sacraliser ni la minorer. Pas de jugement dans les récits, ni même de commentaire. Simplement, un partage d’informations. Parmi lesquelles on trouve la religion, la préservation de la virginité, le tabou familial, et puis la rencontre d’un homme respectueux qui pense autrement, la confiance, les premières fois à 28 ans.

La vie avec cette femme rencontrée à 16 ans avec qui la sexualité est heureuse, les questions que l’on balaye et puis l’homosexualité, ou plutôt la bisexualité, la rencontre avec un homme, la vie de famille de avec six enfants dans une grande maison. Ça fait du bien de se rappeler que la sexualité, c’est une histoire d’individus et non de performance et d’injonctions. 

 

Célian Ramis

Précarité menstruelle : la couleur de la réalité

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Mais qu’est-ce qui horrifie tant quand on parle des règles ? Il semblerait que le fait de savoir qu’une femme en face de nous est en train de saigner soit perturbant. Voire dégoûtant si elle ose le dire ouvertement. « J’ai mes règles », ça glace le sang.
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Les médias en parlent beaucoup en ce moment. Quasiment depuis un an. Le concept de précarité menstruelle vise à dénoncer la charge financière qui émane de l’achat de protections périodiques et qui incombe uniquement aux personnes ayant leurs règles. La revendication est claire : l’accès gratuit pour tou-te-s à ces produits de première nécessité, et non de confort.

Mais en pointant seulement l’aspect économique, on en oublierait presque que la précarité menstruelle dépasse largement le côté pécunier qui finalement est une conséquence du tabou engendré et entretenu par le patriarcat…

Au cours du transport des kits Virilité, l’accessoire « poche de sang » a certainement dû être bien secoué… Parce que les bonhommes, ils ont le cœur bien accroché pour faire la guerre, dépecer les animaux tués à la chasse, opérer des êtres vivants, jouer à des jeux vidéos bien belliqueux ou encore pour ne pas détourner le regard pendant un épisode de Game of Thrones. Mais paradoxalement, on leur attribue la grande capacité à tourner de l’œil à la vue du sang, que ce soit pour une prise de sang ou un accouchement. Pas étonnant donc qu’ils aient un petit haut-le-cœur dès qu’on mentionne que tous les mois, nous les femmes, on saigne, phénomène créé par la non fécondation de l’ovule qui s’évacue avec une partie de notre endomètre via notre vagin, pour finir absorbé par un tampon ou une éponge, récupéré par une coupe menstruelle ou une serviette hygiénique ou encore évacué aux toilettes ou dans le bain ?! Peu importe, ça sort. C’est cyclique. Point barre. 

Mais qu’est-ce qui horrifie tant – les hommes et les femmes - quand on parle des règles ? Il semblerait que le fait de savoir qu’une femme saigne au moment même où elle se tient debout juste en face de nous à la machine à café et discute de manière tout à fait normale soit perturbant. Voire dégoûtant si elle ose le dire ouvertement. « J’ai mes règles », ça glace le sang. Cette image implicite d’un ovule non fécondé qui vient s’écraser par filets et caillots de sang dans la culotte, ça répugne… 

ZUT À LA FIN !

Ras-la-culotte de tous ces mythes oppressants autour des menstruations ! Ras-la-serviette de voir les visages se crisper quand le mot « règles » vient à être prononcé ! Ras-le-tampon de la vieille réflexion disant de se mettre aux abris pour ne pas essuyer le courroux de la harpie menstruée ! La coupe est pleine, évidemment.

Peut-être que cette soi-disant bande d’hystériques mal lunées l’est à cause des fortes douleurs ressenties avant, pendant et après ce fameux moment du cycle ou à cause des milliers d’euros dépensés pour s’acheter des produits hygiéniques imbibés pour la plupart de pesticides et de composés chimiques…

Ou tout simplement parce qu’elle a été éduquée dans la peur de la tâche et de l’odeur du sang et qu’elle a intégré depuis l’adolescence que « règles » équivaut à « impure ». Le cycle des femmes inquiète et dégoute. Nous, forcément on voit rouge et on milite pour que tout le monde se sente concerné, pas directement par nos vagins ensanglantés mais par tous les à côté.

Actuellement, nombreuses sont les publicités qui nous sollicitent au fil de la journée, sur les réseaux sociaux principalement, pour nous filer LA solution pour vivre paisiblement nos règles et sauter de joie à la première coulée… Chouette des nouvelles culottes de règles méga absorbantes ! Aussi écolos soient-elles, ça interpelle. Vivre sereinement nos règles n’est pas qu’une histoire de culotte tâchée ou pas tâchée, de vulve au sec ou à la fraiche ! Non, c’est bien plus complexe et complet que ça.

#ERROR

On touche ici à un système global de connaissance du corps des femmes et son fonctionnement cyclique. Souvent, on le connaît peu, on le connaît mal. En France, en 2016, le Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes (HCEfh) a révélé qu’une fille de 15 ans sur quatre ignore qu’elle possède un clitoris et 83% ne connaissent pas son unique fonction érogène.

On l’appelle « minou », « chatte », « zezette », « abricot », « moule », etc. On les nomme « ragnagnas », « trucs » ou carrément « les anglais débarquent ». On pense qu’au moment des règles, les femmes ratent la mayonnaise (en Argentine, c’est la crème fouettée, au japon, les sushis et en Italie, l’ensemble des plats) et sont énervées sans raison aucune pendant leur durée entière.

Si la majorité de la population a tendance à minimiser, il serait une erreur de penser que l’utilisation des termes exacts est à négliger. Pire, à penser que cela constitue un danger ! Car apprendre aux enfants que les petites filles ont entre les jambes à l’extérieur un pubis, un clitoris et une vulve et à l’intérieur, un vagin et un utérus, c’est déjà briser le tabou visant à laisser croire que là où les garçons ont un pénis bien apparent, elles n’ont « rien ».

Les premières menstruations déboulent dans la culotte, c’est la panique et l’incompréhension. Ce passage que tout le monde imagine comme un symbole de l’évolution de fille à femme peut être un véritable séisme pour qui n’y est pas préparé-e et un moment de solitude si aucun espace de parole libre et d’écoute bienveillante n’a été créé que ce soit au sein de la famille, de l’entourage et/ou de l’école.

On passe de l’innocence enfantine à la femme potentiellement active sexuellement. Sans information anatomique. On passe du « rien » à la possibilité d’avoir un enfant, et cela même sans comprendre comment notre cycle fonctionne. Et quand à cela on ajoute des complications type fortes douleurs au moment des règles pour lesquelles on nous explique qu’avoir mal, c’est normal, on apprend à souffrir en silence, à serrer la mâchoire et à redoubler d’effort pour faire taire la douleur.

Peut-être sera-t-on diagnostiquées plus tard d’une endométriose, du syndrome des ovaires polykystiques, du Syndrome PréMenstruel et même de trouble dysphorique prémenstruel. Heureusement, les combats féministes permettent de faire avancer la cause et des personnalités issues des milieux artistiques – actrices, chanteuses, etc. – témoignent de leurs vécus et des parcours chaotiques qu’elles ont enduré de nombreuses années durant afin de faire reconnaître les maladies et les conséquences physiques et psychologiques que cela inclut.

Aussi, de supers ouvrages existent pour en apprendre plus au sujet des règles comme Sang tabou de Camille Emmanuelle, Le grand mystère des règles de Jack Parker, Cycle féminin et contraceptions naturelles de Audrey Guillemaud et Kiffe ton cycle de Gaëlle Baldassari (les deux derniers étant écrit par des Rennaises – lire l’encadré).

Sans oublier le livre Les règles… Quelle aventure ! d’Elise Thiebaut et Mirion Malle à destination des préados et ados, filles et garçons. Cela participe à la découverte de soi et de l’autre, car comme le disent Elise Thiebaut et Mirion Malle à juste titre « rendre les règles invisibles, c’est rendre les femmes invisibles. »

SUR LE FIL DE L’EXPÉRIENCE

Lis Peronti est une artiste-chercheuse installée à Rennes depuis plusieurs années. Elle y a notamment fait un mémoire autour des menstruations et des performances durant lesquelles elle a laissé le sang de ses règles couler sur une robe blanche ou un pantalon (lire le focus « Menstruations : ne plus avoir honte de ses règles » - yeggmag.fr – août 2017).

Aujourd’hui, elle continue son travail de recherches et de restitution sous forme artistique, mêlant savoirs théoriques et vécus personnels, autour du sexe féminin. Quand on lui demande ce qu’est pour elle la précarité menstruelle, elle répond :

« Comme ça, je pense au prix des protections hygiéniques. J’en ai beaucoup acheté avant la cup. Mais en fait, c’est plus que ça. C’est le fait que les règles soient considérées comme dégueu, tabou, comme quelque chose à cacher. La précarité menstruelle n’est pas juste liée au prix des tampons et des serviettes mais aussi au manque d’informations qu’on a sur les règles si on ne fait pas la démarche d’aller chercher plus loin. »

Sa démarche au départ, elle le dit, n’était pas consciemment féministe. En commençant à travailler sur le sujet « de façon intuitive », elle a fait des choix pas forcément réfléchis mais qui l’ont mené à mieux comprendre le fonctionnement de son corps, de son cycle et aussi à mieux protéger sa santé. Plus tard, elle a fait des liens avec sa recherche académique :

« C’était une porte d’entrée vers toutes les études féministes et vers la connaissance de mon corps aussi. Par exemple, c’est au moment où j’ai commencé à faire une performance à chaque menstruation, performance qui était censée fonctionner selon mon cycle naturel, que j’ai arrêté la pilule pour retrouver le temps décidé par mon corps pour l’arrivée des règles, et aussi parce que j’avais entendu que la pilule provoquait des maladies. À ce moment-là, j’ai commencé à me rendre compte de quand est-ce que les règles arrivaient. Le fait de les laisser couler sur un tissu ou sur la terre m’a permis de me rendre compte de la quantité de sang versée, qui était d’ailleurs beaucoup moins importante que ce que je croyais. »

Aujourd’hui, elle connaît mieux son cycle et s’étonne d’autant plus de tous les tabous liés aux règles : « On a d’autres pertes au cours du cycle et ça ne choque personne. » Pour elle, en tout cas, le mémoire et les performances l’ont amenée à de nombreuses lectures et réflexions sur le sujet mais aussi à apprécier la beauté de la couleur du sang menstruel et de son mouvement lorsqu’il se dissout dans l’eau. Voilà pourquoi elle a choisi la coupe menstruelle, bien avant le scandale autour de la composition des tampons et des serviettes.

À ce propos, elle nous livre son opinion : « Les fabricants ont toujours su que c’était de la merde à l’intérieur mais on en parle aujourd’hui parce qu’il y a un nouveau marché à prendre. On en voit partout maintenant des culottes menstruelles, des tampons bios, des serviettes lavables, etc. C’est bien mais ce n’est pas nouveau. »

Ce que Lis Peronti retient particulièrement de tout cet apprentissage menstruel, c’est que « travailler sur les règles m’a aussi fait prendre l’habitude d’échanger sur ses sujets avec différentes personnes, que ça soit des bio ou techno femmes ou desbio ou techno hommes(termes utilisés par Beatriz Preciado dans Testo Junkie. Sexe, drogue et biopolitique). Et connaître le vécu ou l’opinion des autres est la chose la plus enrichissante dans cette recherche artistique. »

Et même sans démarche artistique, on la rejoint : échanger et partager les vécus et opinions, en prenant soin d’écouter en premier lieu les personnes concernées, est enrichissant et nécessaire à la déconstruction du tabou et des stéréotypes autant autour des règles que du genre. 

SOURCE DE SOUFFRANCES

Car ce tabou autour des règles peut être une source de violence à l’encontre de celles à qui on ne permet pas l’expression de leurs souffrances et à qui on dit que la douleur est uniquement dans leur tête. Mais aussi à l’encontre de celles qui n’osent pas l’exprimer et qui demandent, en chuchotant à l’oreille de leurs copines, si elles n’ont pas un tampon et qui le cachent ensuite dans le revers de leur manche ou encore de celles qui intègrent malgré elles un sentiment de honte et de peur.

Le silence et la méconnaissance qui règnent autour de cette thématique sont également à la base de la lenteur du diagnostic de l’endométriose, qui touche entre 1 femme sur 7 et 1 femme sur 10. Il faut en moyenne 7 ans pour diagnostiquer l’endométriose. Pourquoi ? Parce que le corps médical est mal informé, mal formé. Parce qu’une femme expliquant que tous les mois elle est handicapée par son cycle (transit perturbé, gênes urinaires, gênes ou douleurs lors des rapports sexuels, fortes douleurs utérines, incapacité à marcher au moment des règles, etc.) ne sera pas réellement écoutée et prise en charge, encore aujourd’hui, en 2019.

L’alliance des charges symboliques, émotionnelles et physiques qui s’ajoutent et s’imbriquent provoque une première forme de précarité, dans le sens de fragilité, contre laquelle les femmes luttent, bien conscientes qu’au premier signe de « faiblesse », elles seront renvoyées à la thèse essentialiste, c’est-à-dire à leur prétendue nature et fonction première : celle d’enfanter et de s’occuper du foyer.

Aujourd’hui, et cela est d’autant plus vrai avec le développement de l’image (fausse) de la Wonder Woman, une femme doit pouvoir affronter sans ciller et sans transpirer une double, voire une triple journée. La charge mentale s’accumule et pourtant, elle reste toujours suspectée de ne pas pouvoir y parvenir. De ne pas être assez forte, de ne pas pouvoir garder son sang froid et de ne pas avoir les épaules assez solides.

Alors, en plus des taches domestiques et de son travail, elle doit aussi penser à la contraception et aux protections hygiéniques, sans oublier les multiples remèdes de grand-mère ou les médicaments à prendre en cas de douleurs.

LES INÉGALITÉS SE CREUSENT

« Le tabou des règles est l’un des stéréotypes sexistes qui affecte la quasi-totalité des filles et des femmes dans le monde. », signale l’ONG internationale CARE. Si la majorité des femmes éprouvent de la honte concernant leurs règles, il existe aussi une partie de la population féminine touchée par l’isolement social, voire l’exil menstruel.

Au Népal, notamment, avec la pratique du chhapaudi, un rituel pourtant interdit visant à exiler les femmes du domicile familial pendant leurs règles, une brutalité à laquelle elles sont confrontées en raison de leurs menstruations encore pensées comme signe d’impureté et source de malheurs.

Selon les pays, les croyances diffèrent : dans certains coins d’Amérique du Sud, on pensera que côtoyer des femmes réglées peut provoquer des maladies, tandis qu’ailleurs, on pensera que le sang qui souille la terre la rend stérile. Elles seront alors tenues à l’écart de leur maison mais aussi de leur travail si celui-ci par exemple consiste à la culture et aux récoltes dans les champs. Dans la religion juive également, l’exil menstruel peut être appliqué, un rituel sera alors à suivre pour réintégrer le foyer. Afin de se laver et de redevenir pure.

Au-delà de la précarité sociale imposée par cette exclusion et de l’humiliation engendrée par celle-ci – et des morts fréquentes des exilées asphyxiées par les fumées du feu qu’elles ont allumé pour se réchauffer, mordues par des serpents, agressées, etc. – leur quotidien est affecté depuis très longtemps.

Ce n’est que depuis le 2 janvier que des femmes ont pu se rendre dans le temple d’Ayyappa à Sabarimala (dans la région du Kerala en Inde), après que la Cour suprême indienne ait levé l’interdiction, pour les femmes menstruées, d’accéder aux lieux sacrés hindous. Malgré tout, elles n’ont pas pu franchir les marches du temple, obligées d’emprunter l’entrée du personnel pour se protéger des réactions hostiles de certains croyants. 

ISOLEMENT ET DÉSCOLARISATION

Malheureusement, en Inde, la population féminine est habituée dès le plus jeune âge à être rejetée à cause des règles, comme le montre le documentaire Les règles de notre liberté (en anglais Period. End of sentence) diffusé en France, en février 2019, sur Netflix.

Dans le village de Kathikhera, située en zone rurale, avoir ses menstruations est véritablement synonyme de précarité. Ce qui apparaît dans les silences filmés par la réalisatrice Rayka Zehtabchi lorsque le mot « règles » est prononcé. Les femmes du village n’ont pas accès aux protections hygiéniques, trop chères, qu’elles ne connaissent que de « réputation », comme une légende urbaine.

Elles, elles se tapissent le fond des sous-vêtements avec du papier journal ou des tissus usagés. Comme le font en France les femmes SDF, les détenues n’ayant pas l’argent nécessaire pour cantiner ou encore les personnes les plus précaires, étudiantes comprises dans le lot.

Selon l’ONG Care, elles sont environ 500 millions de filles et de femmes dans le monde à ne pas avoir accès aux protections hygiéniques. Autre problématique mondiale qui en découle : la déscolarisation des jeunes filles. En Afrique, 1 fille sur 10 manque l’école lors de ses menstruations.

En Inde, 23 millions de filles arrêtent l’école à cause de leurs règles. Soit par manque d’accès aux produits d’hygiène, soit parce que les toilettes ne sont pas séparées dans les établissements. Dans tous les cas, la honte l’emporte. 

Les femmes de tous les pays ne vivent pas à la même échelle le même degré d’exclusion face aux stéréotypes et au tabou des règles. Si on revient à notre propre plan national, on ne peut pas parler de déscolarisation des jeunes filles mais certaines ont des absences répétées au fil de leur cursus justifiées par le début de leur cycle, que ce soit à cause des complications physiques – nausées, douleurs, diarrhées, fatigue… - ou en raison de l’hygiène.

Mais aussi de cette fameuse peur qui rend les adolescentes « indisposées » pendant les cours de natation. On voit aussi dans l’Hexagone une certaine réticence à réfléchir à la mise en place du congé menstruel, comme cela s’applique dans d’autres pays, comme l’Italie ou le Japon. Parce qu’on craint des abus, nous répond-on régulièrement.

En clair, des abus de la part des femmes qui profiteraient de l’occasion pour prendre des jours de congé alors qu’elles n’ont pas leurs règles ou qu’elles n’ont aucune difficulté avec celles-ci. Certainement un abus justifié par une soudaine envie de faire les boutiques... C’est croire en la frivolité des femmes et en un manque de cadre législatif qui viendrait entourer la loi.

C’est surtout ne pas considérer que les règles puissent entrainer de vraies difficultés et constituer un handicap dans le quotidien d’une partie des femmes dont on profit e qu’elles ont intégré le risque de précarité dans laquelle cela les mettrait si elles se permettaient des absences répétées au travail, aussi justifiées soient-elles.

LA SITUATION DES FEMMES EN GRANDE PRÉCARITÉ

Parler des règles, montrer un vêtement tâché par les menstruations, ça choque. Là où une porte s’ouvre en direction de la prise de conscience, c’est sur l’accès aux protections hygiéniques pour les plus démuni-e-s. Et elle ne s’opère pas en un claquement de doigts.

Il a fallu le concours de plusieurs actions, notamment associatives et médiatiques, et un film grand public Les invisibles de Louis-Julien Petit (lire notre critique dans YEGG#77 – Février 2019) pour que l’on commence à ouvrir les yeux sur une réalité jusqu’ici très peu prise en compte.

Une réalité que relate le sondage IFOP publié le 19 mars dernier et réalisé pour Dons solidaires : 8% des Françaises, soit 1,7 million de femmes, ne disposent pas suffisamment de protections hygiéniques et 39% des femmes bénéficiaires d’associations sont concernées.

Conséquence : 1 femme sur 3 (sur ce pourcentage) « ne change pas suffisamment de protection ou à recours à l’utilisation de protections de fortune. », souligne le communiqué. Là encore, on recroise la précarité sociale puisque, selon le sondage toujours, 17% des femmes en grande précarité renoncent à sortir à l’extérieur durant la période des règles et se retrouvent parfois en incapacité de se rendre à un entretien d’embauche ou un rendez-vous professionnel, par manque de protections hygiéniques. Un fait que l’on sait dangereux pour la santé et propice au Syndrome du Choc Toxique. 

Trop souvent, on oublie les exclues du débat dont font parties les détenues et les femmes SDF. Elles ont rarement voix au chapitre parce que par confort, on oublie celles qui n’en disposent pas et parce qu’elles pâtissent d’une image stéréotypée due à leur condition. Et pourtant, elles aussi ont leurs règles, et elles aussi ont le droit à la dignité.

Le 19 mars, L’Obs et Rue89 révèlent la précarité sanitaire que subissent les femmes incarcérées qui selon les établissements disposent de protections périodiques de mauvaise qualité souvent à des prix trop élevés, particulièrement pour celles qui ne cantinent pas.

« De nombreuses détenues utilisaient des tissus, des draps ou encore des serviettes de bain qu’elles mettaient dans leurs culottes », témoigne une ancienne détenue tandis que d’autres fabriquent des coupes menstruelles artisanales : « Elles utilisent une bouteille en plastique qu’elles découpent afin de n’en garder que la partie supérieure. Pour éviter de s’arracher les parois internes, la cup de fortune doit être lissée contre un mur. »

Le système débrouille côtoie alors le facteur risque sanitaire. Et s’applique également aux femmes SDF. Corinne Masiero, comédienne dans Les invisibles notamment, a vécu elle aussi dans la rue et dit au média Brut :

« Tout est dix fois plus problématique quand t’es une gonzesse, dix fois plus. Un truc tout con : quand t’as tes règles et que t’as pas de quoi t’acheter des trucs, alors tu vas chouraver des serviettes, des machins et tout. Mais des fois t’as pas eu le temps ou t’as pas pu, comment tu fais ? Tu te mets des journaux, des machins… on en parle jamais de ça. Pourquoi ces trucs là, c’est pas remboursé par la Sécu par exemple ? » 

AGIR POUR LES AIDER

Lors de notre reportage au Salon bien-être solidaire fin novembre à Vitré, organisé par l’association brétillienne Bulles Solidaires, Anaëlle Giraurdeau, alors stagiaire au sein de la structure, expliquait que l’impact de la sensibilisation des passantes à ce propos était important lors des collectes effectuées à l’entrée des supermarchés.

La majorité de la société ne réalise pas qu’être une femme dormant à la rue signifie également ne pas avoir de quoi s’acheter des protections hygiéniques. D’où la mobilisation de Bulles Solidaires, créée en septembre 2017 par Laure-Anna Galeandro-Diamant afin de récolter des échantillons et produits d’hygiène corporelle (non entamés et non périmés) pour tou-te-s lors de collectes, via le bouche à oreille, le démarcharge des pharmacies, instituts de beauté et hôtels ou encore grâce aux points de collecte disposés dans certains magasins du centre ville, à l’Ecole des Hautes Etudes de la Santé Publique de Rennes, ou encore dans des commerces vitréens.

Ces produits sont ensuite redistribués aux occupant-e-s des établissements avec lesquels l’association travaille comme le Secours populaire, le foyer Saint Benoit de Labbre à Rennes, Le Puzzle, etc. Mais aussi à l’occasion des maraudes organisées dans la ville. Collecter serviettes, tampons et coupes menstruelles est alors essentiel pour les femmes en grande précarité car à l’heure actuelle, les associations venant en aide aux personnes sans abris sont principalement spécifiques à la question du logement et à celle de l’alimentation.

Bulles Solidaires réalise donc une mission particulière sur un terrain presque vierge à ce niveau-là, à l’échelle locale, et n’en oublie pas les besoins des femmes. Sur le plan national, Règles élémentaires est la première association depuis 2015 à collecter des produits d’hygiène intime à destination des femmes sans abris et mal logées. Initiée par Tara Heuzé-Sarmini, la structure a réussi à organiser plus de 150 collectes en France et à redistribuer plus de 200 000 tampons et serviettes à plus de 20 000 femmes bénéficiaires.

La dynamique crée des émules. Le 16 mai prochain, une soirée autour de la précarité menstruelle est organisée à Askoria, à Rennes, par Aux règles citoyen-ne-s, un collectif de travailleurs-euses sociaux en formation dans l’école.

« Les femmes en situation de précarité sont les premières victimes. Elles sont déjà vulnérables et en plus, elles doivent se cacher à cause des tâches et c’est très difficile d’aller demander une protection hygiénique à quelqu’un dans la rue, c’est tellement tabou dans notre société actuelle… »
signale les membres du collectif.

En creusant le sujet, ielles ont l’idée d’une collecte mais rapidement se pose la question de la forme : « Une collecte c’est bien mais si en plus on peut sensibiliser autour de ça, c’est mieux ! On a donc fixé le prix de la soirée à une boite de tampons ou de serviettes qui seront ensuite données à Bulles Solidaires. »

Si le collectif souhaite provoquer des rencontres, des échanges et des débats entre professionnel-le-s du secteur social, futur-e-s professionnel-le-s, associations féministes (ou pas), il tient à ce que le grand public, hommes comme femmes donc, soit convié, intéressé et concerné. Ainsi, le débat sera précédé de la diffusion du film Les invisiblespour faire le pont avec la précarité menstruelle, un sujet large qui touche un grand nombre de femmes.

RENDRE LES PROTECTIONS HYGIÉNIQUES ACCESSIBLES

Et parmi les plus impactées, on trouve également la population étudiante dont les revenus sont souvent faibles voire inexistants. Pour une boite de tampons ou de serviettes, il faut compter entre 3 et 8 euros. Pendant une période de règles, les femmes peuvent utiliser les deux sortes de protection, pour ne pas dormir avec un tampon ou une coupe menstruelle, et ainsi réduire le risque d’infection.

Aussi, il faudra certainement prévoir l’achat de boites d’anti-inflammatoires ou autres médicaments, l’investissement dans une bouillote, etc. Et rien dans la liste ne peut être répertorié comme produit de confort. C’est pourquoi en janvier, l’université de Lille, sur les conseils de Sandrine Rousseau, fondatrice de l’association Parler, ancienne élue EELV et actuellement professeure d’économie à la fac, a décidé au début de l’année 2019 de distribuer gratuitement 30 000 kits de protections hygiéniques, contenant tampons, serviettes et coupes menstruelles réutilisables.

Une idée qui a été inspirée par le modèle écossais. En effet, le pays qui avait déjà investi pour lutter contre la « period poverty » auprès des femmes en grande précarité réitère son action auprès des étudiantes à présent, en levant 5,7 millions d’euros afin de fournir aux 395 000 élèves d’Ecosse des protections hygiéniques gratuites. Dans les écoles, collèges et universités sont, depuis la rentrée scolaire, accessibles tampons, serviettes, serviettes lavables et coupes menstruelles.

La réforme crée des émules là encore puisque début mars, la newsletter pour adolescentes « Les petites Glo » - la petite sœur des « Glorieuses » – lançait le mouvement #StopPrécaritéMenstruelle afin de demander la gratuité des protections hygiéniques dans tous les établissements scolaires français. 

Johanna Courtel est étudiante à l’université Rennes 2. Début avril, son projet de protections périodiques en accès libre – co-piloté avec une autre étudiante – figurait parmi les 10 lauréats qui seront financés par le budget participatif de la faculté.

« Il existait déjà un projet de l’Armée de Dumbledore, une organisation politique de Rennes 2, pour installer 3 distributeurs de protections hygiéniques. C’est bien mais c’était limité. Là, l’idée est d’installer des meubles avec des tampons, des serviettes, des cups, en libre accès. Et que les produits soient le moins toxiques possible. On veut privilégier le bio et la qualité, des produits respectueux pour nous et pour la nature. », explique-t-elle, précisant qu’elle ne connaît pas encore la date de mise en fonction des installations et du premier ravitaillement.

« Peut-être que beaucoup vont hésiter à en prendre au début mais l’objectif est vraiment que les personnes s’habituent à ce que ce soit gratuit. À ce que ce soit normal que ce soit gratuit,poursuit-elle. En tant que femmes, depuis qu’on a nos règles, on sait que c’est la galère. Dès la naissance, on sait qu’on va être précaires. En plus de ça, on doit payer plus de choses avec un moindre salaire… Etudiante, je me suis déjà retrouvée à la fin du mois avec du sopalin dans la culotte car j’ai préféré m’acheter à manger qu’acheter des protections. » 

UNE BATAILLE À POURSUIVRE

Mais avant même d’être contrainte à tester le « dépannage menstruel » que de nombreuses femmes connaissent au cours de leur vie, Johanna Courtel avait déjà conscience de la problématique, notamment grâce à la campagne médiatisée du collectif Georgette Sand qui a ardemment lutté contre la taxe tampon et obtenu gain de cause en décembre 2015 lorsque l’Assemblée nationale a voté l’abaissement de la taxe de 20% à 5,5%, reclassant ainsi les protections hygiéniques injustement qualifiées de « produits de luxe » à la catégorie « produits de première nécessité ».

Bonne nouvelle donc ! Pas tant que ça en fait, indique le collectif Georgette Sand dans un article paru dans Ouest France : « Malheureusement, l’abaissement de la TVA n’a pas été répercuté sur les produits des grandes marques. Maintenant que nous avons pu constater que la baisse de la TVA n’est qu’un cadeau pour les marques qui leur permet d’augmenter leurs marges sans faire monter leurs prix, nous avons conscience que cette taxe n’est plus la question. Il faut prendre conscience que le sujet est une question de santé publique. Des décisions comme celle prise par la LMDE d’allouer une somme de son forfait étudiant au remboursement des protections hygiéniques est un progrès que nous saluons. »

Dans le fait que la parole se libère petit à petit et que les exemples d’actions concrètes se développent, l’étudiante rennaise y sent le vent tourner et saisit l’occasion du budget participatif pour apporter sa pierre à l’édifice. Pour elle, le vote des étudiant-e-s en faveur de son projet marque l’importance de répondre désormais à un besoin bien réel de lutte contre la précarité.

Tout comme sur le campus, on trouve une épicerie solidaire, on trouvera prochainement des protections périodiques en libre service : « C’était important aussi de ne pas mettre un moment spécifique durant lequel les gens viennent se servir. Parce qu’en faisant ça, je pense que plus de gens vont s’autoriser à en prendre alors que si ça se faisait devant tout le monde pendant une permanence, beaucoup de personnes n’oseraient pas. Et quand on a pas une bonne protection hygiénique ou qu’on a oublié d’en prendre d’autres, on n’est pas à l’aise, on est moins aptes à écouter, à se concentrer. On pourrait parfaitement ne pas être dans cet état si justement on savait que, même si on oublie d’en mettre dans son sac ou qu’on n’a pas les moyens d’en acheter, on va pouvoir en trouver sur place. Dans les toilettes par exemple, pour que ce soit un lieu plus intime. »

L’ESPACE PUBLIC, ENCORE ET TOUJOURS GENRÉ…

Les toilettes, c’est encore un autre sujet dans le sujet. Mais là, on ne parle plus de l’université mais de l’espace public. À Rennes, tandis que la municipalité installe des urinoirs en forme de kiwi, de pastèque et autres fruits pour que ces messieurs arrêtent de pisser où bon leur semble lors des soirées arrosées du jeudi au samedi, personne ne s’inquiète du devenir de nos abricots qui marinent dans la sauce airelles chaque jour de nos règles.

Et ça ne me passe pas inaperçu dans les médias, avec en tête de fil le site Alter1fo qui par deux fois interpelle sur la question. En janvier, d’abord, on peut lire l’article « Précarité menstruelle : Rennes manque une occasion de « régler » la question » dans lequel le rédacteur Politistution dévoile qu’un projet concernant l’augmentation du nombre de toilettes pour femmes n’a pas pu être mis au vote du budget participatif de la ville car entre autre « la ville de Rennes dispose déjà de sanitaires publiques et aucun emplacement n’a pu être trouvé pour en construire de nouvelles. »

Il revient dessus en mai se saisissant de l’actualité chaude des urinoirs mobiles pour souligner, à juste titre, qu’il s’agit là encore d’un privilège de mâles. Il conclut son article :

« Les toilettes publiques restent finalement révélateurs des inégalités entre les sexes et ne doivent pas accentuer l’hégémonie masculine dans la ville. »

De par cette phrase, il pointe une nouvelle problématique qui enfonce encore davantage les femmes dans la précarité menstruelle. Les villes pensées par et pour les hommes permettant uniquement aux femmes de se déplacer dans l’espace public mais pas de l’occuper comme les hommes le font.

Encore moins quand elles ont leurs règles et qu’elles n’ont pas d’autres choix pour changer leurs protections que d’aller dans un bar ou rentrer chez elle, si leur domicile n’est pas trop éloigné. Alors des urinoirs en forme de fruits, c’est bien joli mais c’est quand même discriminatoire, même si on est équipé-e-s d’un pisse-debout, c’est ce que développe Virginie Enée, journaliste pour Ouest France, dans son billet d’humeur daté du 6 mai :

« Alors oui, une cabine de toilette mixte ne coûte certainement pas le même prix. Probablement que cela prend plus de place dans l’espace public et que c’est moins ludique qu’un urinoir déguisé en pastèque ou en kiwi. Mais justifier une inégalité par l’incivilité de certains, c’est ni plus ni moins qu’une discrimination. Réclamons des cabines de toilettes publiques dans une citrouille, type carrosse de Cendrillon. (Sinon nous aussi, on se soulagera sur ses roues.) »

LES TOILES D’ARAIGNÉE, C’EST SALE… 

De nombreux facteurs convergent, créant ainsi une précarité menstruelle qui pourrait s’apparenter à une toile d’araignée, tissée autour du tabou des règles pour coincer les femmes dans leur émancipation. Comme le souligne Lis Peronti, les règles ne sont qu’une partie du cycle, et non l’entièreté et surtout pas la fin comme on vise souvent à le penser. Bien au contraire même puisqu’en réalité l’arrivée des règles marque le début du cycle.

Elles ne sont pas donc pas synonymes de la fin, dans le sens de l’échec de la femme dans son soi-disant rôle premier et majeur de procréatrice, mais le début, le renouveau, l’instant de tous les possibles. La possibilité de choisir son mode de vie, son mode de contraception, son corps.

De plus en plus de comptes, comme Dans Ma culotte, SPM ta mère ou encore Mes règles et moi, se créent sur les réseaux sociaux, utilisant la toile non pour nous coller à une matière et se faire dévorer ensuite mais pour dénoncer la précarité menstruelle, briser le tabou et dévoiler la couleur de la réalité, parce que non ce qui coule dans nos culottes n’est pas bleu comme le montre la publicité, mais bel et bien rouge.

Montrer le sang - comme l’a fait la youtubeuse Shera Kirienski en posant en pantalon blanc tâché et comme l’a fait auparavant Lis Peronti - participe à ne plus cautionner les mythes et les mensonges qui entretiennent la précarité menstruelle dans sa globalité. Les initiatives fleurissent. Au Canada, par exemple, au musée de Kitchener, en Ontario, a dévoilé l’exposition Flow pour démystifier les règles et aider les femmes qui se sentent stigmatisées à cause de ça à s’émanciper.

Sinon, sans prendre l’avion plusieurs heures durant, on peut de chez nous, en toute intimité si on a honte (en espérant ensuite qu’on aura le courage d’en parler avec d’autres, au café, puis dans le bus, puis au milieu d’une foule ou mieux, à table) regarder le super documentaire d’Angèle Marrey, Justine Courtot et Myriam Attia, 28 jours, disponible sur YouTube.

Ou encore on peut participer à la campagne Ulule de financement participatif afin d’aider Leslye Granaud pour la réalisation et diffusion de son documentaire SPM ta mèrequi interroge hommes et femmes sur leur rapport aux menstruations. 

Mise en garde (qui arrive bien trop tard, tant pis) : après tout ça, vous ne penserez plus que les règles, c’est dégueu et vous prônerez le choix pour toutes les femmes d’en parler librement ou de garder ça pour elles. Car si cela ne doit pas virer à l’injonction au témoignage, il est urgent de se libérer des sentiments de honte et d’humiliation qui entourent toutes les personnes ayant leurs règles.

De garantir l’accès aux protections hygiéniques à toutes les personnes ayant leurs règles, sans conditions. D’apprendre à toutes les filles et à tous les garçons l’anatomie des un-e-s des autres et d’ouvrir la voix aux personnes désireuses de connaître davantage leur cycle que l’écoféminisme met en parallèle du cycle de la Nature. Mais ça, c’est un autre sujet. Et c’est pour bientôt.

 

 

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Les règles de la précarité
La précarité menstruelle : pas qu'une affaire de femmes
Aimer son cycle, c'est possible ?
Alerte : vulves et vagin pollué-e-s

Célian Ramis

Lutte contre l'excision : la démarche inspirante d'ACZA

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Fille et petit fille de matrone – appelée aussi exciseuse – Martha Diomandé, fondatrice de l’association rennaise ACZA, lutte depuis plusieurs années contre l’excision dans son village natal, en Côte d’Ivoire mais également aux alentours.
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Fille et petit fille de matrone – appelée aussi exciseuse – Martha Diomandé, fondatrice de l’association rennaise ACZA, lutte depuis plusieurs années contre l’excision dans son village natal, en Côte d’Ivoire mais également aux alentours. Le 20 mars, à la Maison Internationale de Rennes, la militante expliquait la démarche de la structure et les avancées engendrées par leur travail, respectueux des individus et des traditions. 

Pour que l’excision s’arrête, il faut respecter les traditions. Cela peut paraître contradictoire mais pas du tout. Martha Diomandé en est convaincue. « L’excision, c’est quoi ? Bon, on le sait, c’est l’ablation du clitoris. Mais au-delà de ça, c’est quoi ? Chez moi, c’est le passage de l’enfance à l’âge adulte. Mais ailleurs, ça peut être un acte de bravoure. Il y a plusieurs significations. On ne peut donc pas généraliser et chaque peuple sait pourquoi il le fait. Ça, l’Occident doit en prendre compte et l’accepter. D’où on vient, la lutte ne fait que commencer. », souligne-t-elle. 

Ce qu’elle pointe ici, c’est qu’il est impossible de débarquer dans un village imprégné des traditions dont fait partie l’excision et d’interdire cette pratique. La loi existe déjà depuis plus de 20 ans et pourtant, l’excision est encore pratiquée.

« Au début, c’était difficile pour moi. En parler comme un crime, c’était enlever une partie de moi. Il fallait déjà que j’aille dans mon pays pour voir l’impact de l’excision dans la société. J’ai découvert que dans ma région, l’excision était faite à 100% alors que c’est interdit dans le pays. On était encore au stade 0 et le tabou était réel dans ces villages-là. », se souvient Martha Diomandé. 

EXPLIQUER LA DÉMARCHE, SANS BRUSQUER

Son village, elle l’a quitté âgée de 7 ans. Excisée, elle ne se sent pas ni se considère comme une victime. Son objectif est clair : que la pratique de l’excision s’arrête complètement. Sans user de discours agressif ou haineux. Elle tient à respecter les individus et les traditions :

« L’idée était vraiment de créer une association pour repartir de 0 avec tout le monde. Les premières années, nous n’avons pas parlé d’excision. Nous sommes allées au village, nous avons demandé, sur la tombe de ma grand-mère, son autorisation pour mener ce travail. On a rassemblé les femmes pour travailler ensemble mais pas autour de l’excision dans un premier temps. »

D’abord, l’association ACZA a rencontré les chefs de village. Pour expliquer la démarche et obtenir la permission. Le feu vert a donc été donné par les hommes également, que Martha définit comme complémentaires des femmes.

Ensuite, les rassemblements de femmes ont visé la valorisation de leurs connaissances et savoir-faire. Parce qu’il est inenvisageable d’interdire l’excision sans proposer des solutions alternatives. Des solutions qui doivent venir d’elles et non être imposées par les Occidentales/taux.

« Si on veut toucher les matrones, il faut réfléchir à un projet qui les valorise sinon elles n’arrêteront pas. Elles ne peuvent pas perdre leurs connaissances et leur notoriété. Moi, je suis née au village grâce aux matrones. Elles sont donc, pour certaines, accoucheuses. La majorité d’entre elles pratique les accouchements. On peut donc leur faire une formation. Pas pour qu’elles deviennent sages-femmes comme ici. Pas pour leur apprendre un enseignement académique. Juste pour compléter leurs savoir-faire et pour valoriser leurs connaissances. », souligne la fondatrice de l’association. 

VALORISER LES CONNAISSANCES ET COMPÉTENCES

Dans ces temps de formation, elle et son équipe y voient une aubaine pour parler de la transmission. Entre femmes, elles peuvent parler librement. Petit à petit, le lien de confiance se crée et se renforce. Parce que la démarche d’ACZA se distingue de la démarche coloniale à laquelle elles ont l’habitude d’être confrontées.

Ce sont des moments pendant lesquels on leur explique, sans les juger, que les excisions peuvent provoquer, plus tard, des accouchements difficiles, et même, parce qu’elles ne nettoient le couteau qu’après la 7eou 8efille excisée, la transmission du VIH, si l’une d’entre elles est contaminée.

« C’est à nous de créer des stratégies pour qu’elles nous écoutent sans être frustrées. Elles n’ont pas besoin de nous, elles n’ont pas demandé à ce que l’on vienne. Le premier projet pilier a fonctionné avec les matrones. On a pu sensibiliser, sans heurter. Il faut analyser le sens de l’excision sur le territoire concerné et adapter le projet. », indique Martha. 

Une fois formées, les matrones ont donc eu besoin d’un lieu. L’association ACZA a impulsé la construction d’une Maison des femmes, inaugurée en 2016 à Kabakouma. Un espace pour sensibiliser, faire des réunions, valoriser les plantes que les matrones connaissent si bien. Mais aussi pour pratiquer des accouchements à moindre coût :

« À l’hôpital, c’est 10 000 francs. Les femmes qui vivent en milieu rural n’ont pas les moyens d’accoucher là-bas. À la Maison des femmes, c’est 4000 francs dispatchés : 1500 pour la matrone, 500 pour l’association et les 2000 restants partagés entre les femmes ayant assisté la matrone. »

Soixante enfants sont nés dans la Maison des femmes et le premier baptême a été célébré : « C’est un premier pas vers le passage à l’âge adulte. Pour garder la tradition, tout en enlevant l’étape de l’excision qui arrive plus tard dans la vie des jeunes filles. Et là ce sont les matrones qui s’en occupent. Trois mois après la naissance, les bébés vont dans leur case pour une cérémonie de bénédiction. Il faut que les matrones soient importantes à tout moment de la vie de l’enfant, sans passer par l’excision. »

UNE LUTTE LENTE QUI PROGRESSE

Toutes les matrones n’ont pas cessé la pratique de l’excision mais l’association ACZA progresse doucement vers son objectif initial, bien consciente que la lutte prendra du temps. Une deuxième Maison des femmes verra bientôt le jour à Mangouin, la construction étant quasiment achevée.

« C’est allé très vite pour la deuxième, c’est là qu’on voit qu’on travaille dans cette région depuis longtemps. Les chefs de village portaient les t-shirts de l’association « Non à l’excision ». Le projet est arrivé à un niveau très important, il y a un vrai échange, un vrai dialogue et beaucoup beaucoup de progrès aussi au niveau des formations. », s’enthousiasme Martha Diomandé. 

En 1h30 à peine, elle n’a pas le temps de parler du projet dans tous ses détails et ramifications. Mais dans sa globalité, oui. Dans sa philosophie et dans son apport au quotidien. Parce qu’au projet de parrainage, quatre villages ont adhéré et 100 enfants sont aujourd’hui équipés d’une tenue d’école « Non à l’excision », d’un kit scolaire complet et peuvent désormais être scolarisés parce que l’association prend en charge les frais d’inscription.

C’est un échange de bon procédé. La famille accepte de ne pas exciser la jeune fille, l’association lui permet grâce à l’aide financière d’avoir accès à l’éducation scolaire.

« On ne veut pas vérifier si la jeune fille se fait malgré tout exciser. Car s’il n’y a pas de confiance, ça ne marche pas. Là-bas, si c’est non, c’est non. Si c’est oui, c’est oui. Et on parraine déjà des enfants de 4 villages. Il y a même un directeur qui nous demande de construire une cantine tellement on a scolarisé de jeunes filles. Ce sont des avancées énormes ! Ça veut dire qu’il y a maintenant une nouvelle génération qui grandit au village sans être excisée. Et cette génération ne fera donc pas excisée la suivante. Avec mes tantes, mes copines, on est excisées, on se raconte des histoires communes. Mais cette génération nouvelle, ces histoires-là, elle ne les vivra pas, elle les apprendra à l’école. Les choses avancent, le tabou est en train de se briser mais on garde la tradition. », précise Martha Diomandé, passionnée et passionnante. 

ET POUR LES FEMMES EXCISÉES ?

En plus des nombreux voyages que la structure fait jusqu’au village en Côte d’Ivoire – trois fois par an parce que « sinon, ça n’avance pas, il faut travailler tout le temps, tout le temps, tout le temps » - l’association ACZA développe de nombreuses stratégies permettant d’atteindre l’objectif de l’arrêt complet et définitif de l’excision. Et met également en place une plateforme pour écouter et conseiller les personnes ayant des questions à ce sujet. 

Chaque semaine, le mercredi après-midi, se tient une permanence à l’Espace des 2 rives à Rennes. Les personnes - des femmes et des familles originaires de partout - peuvent être orientées par des avocats, la Cimade, le MRAP, l’UAIR ou venir par elles-mêmes. Pour un soutien psychologique, un accompagnement dans la demande d’asile ou la protection des filles et femmes exposées à un risque d’excision.

Il arrive aussi qu’elles viennent à la permanence, à Rennes, ou qu’elles appellent quand elles ne sont pas en France, pour une démarche de reconstruction du clitoris. Pour Martha Diomandé, difficile d’entrevoir cette solution comme « une solution miracle ». Pour elle, ce qui est préférable dans un premier temps, c’est de connaître son corps.

Elle insiste sur ce point : « Moi, je ne veux pas me faire réparer car j’ai appris à connaître mon corps et j’ai mon plaisir donc je ne vois pas pourquoi je le ferais. Il faut aussi prévenir celles qui veulent le faire qu’on peut en souffrir physiquement et mentalement de cette reconstruction. La réparation, c’est une solution mais ce n’est pas la seule solution et ce n’est pas pour toutes les femmes. Il faut donner le choix aux femmes et que ce soit une vraie réflexion. »

Grâce à l’annuelle élection de Miss Africa, organisée à Rennes en novembre, ACZA sensibilise le grand public autour de cette thématique et récolte des fonds qui serviront à payer des reconstructions du clitoris à des femmes qui désirent profondément avoir accès à cette opération.

« J’ai reçu le témoignage d’une femme qui a fait un énorme blocage lorsqu’à son accouchement, ils ont découvert qu’elle était excisée. Elle a fait un blocage parce qu’elle a eu honte de son corps. Tellement elle a fait un blocage, son mari va voir ailleurs et lui dit. C’est pour ça qu’elle veut un clitoris. On va lui payer la réparation. », conclut Martha Diomandé. 

Loin d’une démarche colonisatrice, encore présente dans bon nombre d’ONG et de missions humanitaires, l’action et la réflexion que développe l’association ACZA sont inspirantes et bienveillantes et font comprendre que la lutte contre l’excision concerne tout le monde.

 

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