Célian Ramis
Santé : reconnaitre l'endométriose
Ça y est. Tu, puis murmuré, le terme « endométriose » commence enfin à être prononcé à voix haute. Mais reste encore pour la plupart de la population une vaste inconnue. Une maladie de bonnes femmes un peu douillettes. Pourtant, les personnes atteintes d’endométriose – entre 1 femme sur 7 et 1 femme sur 10 – sont loin d’être ces « petites natures » dépeintes dès les premières expressions de douleurs, qui surviennent en général dès les premières règles.
Hélas, leurs souffrances sont souvent ignorées, voire méprisées, par le corps médical. Pour que leurs paroles ne se confrontent plus à l’avenir à une maltraitance, que l’auteur et ancien médecin généraliste Martin Winckler qualifie de « systémique », des associations et initiatives militantes luttent pour diffuser l’information auprès du grand public, permettre aux femmes atteintes de la maladie de se réunir pour échanger entre elles et pour faire progresser la recherche, laissée jusqu’ici sur la touche par les pouvoirs publics.
« Lorsqu’on les interroge, la plupart des femmes atteintes sévèrement par cette maladie se plaignent d’avoir souffert depuis la puberté de douleurs gynécologiques violentes sans que le médecin ait évoqué une possible endométriose », peut-on lire sur le site d’EndoFrance, association française de lutte contre l’endométriose. Pourquoi ? Parce que la maladie est encore trop mal connue et que très peu reconnue. À nouveau, la question se pose : pourquoi ? Parce qu’elle concerne les personnes ayant un utérus. Soit la moitié de la population, en fait… Alors finalement, pourquoi ?
Depuis quelques années seulement se lève (doucement) le voile du tabou autour des règles. On ose davantage parler des difficultés du cycle. Le Syndrome Prémenstruel (SPM), les douleurs plus ou moins fortes lorsque surviennent les menstruations, le choix des protections hygiéniques et leurs compositions mystères, l’appréhension du syndrome du choc toxique, etc. On découvre des termes que l’on ignorait jusque là – même en ayant plus vécu réglées que le contraire – comme ménorragie, aménorrhée ou encore ménarche.
Si on sait que certains cycles sont réguliers et que d’autres ne le sont pas, que toutes les femmes ne ressentent pas les douleurs – quand l’utérus se contracte – de la même manière, on apprend en revanche qu’il n’est pas normal de s’entendre répondre « C’est normal » lorsque l’on exprime la souffrance provoquée par les règles. Car cette dernière peut être une conséquence directe de l’endométriose, souvent peu envisagée par les professionnel-le-s de la santé.
Le Dr Chrysoula Zacharopoulou, gynécologue chirurgienne, spécialiste de l’endométriose et co-créatrice avec Julie Gayet de l’association Info-Endométriose, explique, dans une interview accordée au magazine Psychologies :
« La société ne comprend pas la souffrance et le caractère handicapant de l’endométriose car elle ne connaît pas cette maladie. Elle est « cachée » avant tout par les patientes elles-mêmes car cela touche leur sphère intime, leurs règles et leur sexualité. Le regard de notre société sur le sujet de la douleur liée aux règles reste un tabou dont on évite déjà de parler entre femmes et davantage encore de manière publique. Et ce regard n’a jamais changé au cours des siècles, ni dans les différentes cultures. Dans une époque où l’image de la « femme parfaite » existe partout, à la télévision ou dans les magazines, parler de souffrance féminine liée aux règles n’est pas un sujet très intéressant, « ça casse l’ambiance ». La conséquence est que les femmes atteintes ne s’expriment pas, ne trouvent pas le courage de parler de leur maladie, d’être reconnues comme malades et vivent leurs souffrances en silence. Incomprises de tous. »
MULTIPLES ATTEINTES ET SYMPTOMES
La maladie est complexe. Pour les raisons évoquées par Chrysoula Zacharopoulou mais aussi parce qu’elle est multiple. En effet, elle peut prendre différentes formes et s’exprimer à travers plusieurs symptômes. D’où l’indispensable diffusion de l’information auprès du grand public, l’exigence d’une meilleure formation des professionnel-le-s de la santé et le besoin d’une écoute bienveillante des patientes.
Comme le souligne le Dr Estelle Bauville, gynécologue, obstétricienne et chirurgienne à l’Hôpital Sud de Rennes, lors d’une réunion organisée le 18 avril par l’antenne bretonne de l’association EndoFrance, « beaucoup de choses sont repérées à l’interrogatoire. C’est un peu policier, un peu cru parfois, mais ça nous aide. »
Malheureusement, aujourd’hui encore, tous les médecins ne détectent pas les signaux, souvent par méconnaissance de la maladie qui se révèle dans les « 5D » : dysménorrhée, dyspareunie, dysurie, douleurs pelviennes, dyschésie. Comprendre alors : règles douloureuses, rapports sexuels douloureux, difficultés à uriner, douleurs dans la zone du bas ventre et de la zone génitale, gêne à la défécation. « Ce n’est pas obligé d’avoir les 5 symptômes pour être atteinte d’une endométriose », précise le Dr Bauville, qui poursuit :
« Il faut savoir chercher les zones anormales, qui sont des petites tâches bleues. Bien regarder et bien chercher. Aller titiller. On doit rechercher toutes les anomalies, au niveau des trompes, des ovaires, voir s’ils sont collés ou s’ils sont figés alors qu’ils sont semi libres normalement. Lors de l’examen clinique, on regarde tous les organes avant de passer par voie vaginale. Et en effet, je le dis aux patientes quand je le fais : je vais rechercher les sensations douloureuses pour voir si les tissus bougent et trouver où se logent les anomalies. »
Clairement, qu’est-ce que c’est ? L’endométriose provient de l’endomètre, le tissu qui tapisse l’utérus et qui s’épaissit au fil du cycle pour accueillir une éventuelle grossesse. Sans fécondation, il s’évacue, par le vagin, au moment des règles. Mais il arrive que des cellules du tissu endométrial se développent en dehors de l’utérus, en remontant et migrant via les trompes. Ce qui provoque des lésions, des adhérences et des kystes ovariens – appelés endométriomes – dans les zones atteintes, qui peuvent dépasser le cadre génital et se loger dans l’appareil urinaire, l’appareil digestif ou même parfois dans les poumons.
« C’est la seule maladie bénigne qui métastase. C’est le même principe que le cancer mais l’endométriose ne tue pas, enfin pas la maladie en elle-même mais il peut y avoir des complications. », explique Manon Carbonnel, militante pour les droits des femmes, atteinte de la maladie. Accompagnée de Marianne Flahou, avec qui elle a fondé un premier groupe de paroles, à Rennes, début avril, à destination des personnes atteintes de l’endométriose, les deux femmes insistent : les symptômes peuvent différer d’une femme à une autre.
Vomissements, évanouissements, paralysie périodique du bas du dos… la maladie est handicapante. Et peut être silencieuse, également. « Tu peux avoir des grosses douleurs et être à un stade 1 et tu peux ne pas avoir de douleurs et être au stade 4 », précise Manon. D’où le fait que certaines femmes ne le découvrent que tardivement (voire pas du tout), notamment en arrêtant la pilule par exemple – puisque celle-ci peut masquer les symptômes – ou encore dans les cas de difficultés à concevoir un enfant. En effet, une grande proportion de patientes endométriotiques présente des signes d’infertilité.
« C’est très difficile pour les femmes qui sont dépistées très tardivement et apprennent en même temps qu’elles ne peuvent pas avoir d’enfants. Il y a beaucoup de colère à cause du diagnostic, long à établir, et de la prise en charge tardive. »
commente Corine, représentante d’EndoFrance en Bretagne.
Parce qu’avant de passer une échographie et une IRM avec un-e professionnel-le spécialiste de la question et dont l’unique objectif est de déceler des anomalies révélatrices de la maladie, il va falloir franchir un grand nombre d’étapes, dont la principale est la plus compliquée : la prise en compte de la parole de la patiente.
UN DIAGNOSTIC TROP LONG À ÉTABLIR
« Pendant plus de 20 ans, j’ai souffert de cette maladie. Je ne savais pas ce que c’était, les médecins non plus. À 12 ans, je me roulais par terre et ma mère me disait que ça irait mieux quand j’aurais un enfant… Mais ce n’est pas normal de se rouler par terre ou de ne pas réussir à marcher à cause de douleurs gynécologiques… Les seuls, en 2009, qui ont su me renseigner, étaient les membres d’EndoFrance. Vraiment, ça m’a sauvé la vie. J’ai pu savoir ce que j’avais, j’ai été opérée par un spécialiste et j’ai pu avoir des enfants. », signale Corine.
Pour Manon Carbonnel, il aura fallu presque 12 ans pour que la maladie soit diagnostiquée. Entre temps, elle a subi des humiliations et des violences gynécologiques : « J’ai payé bien cher des psys pour savoir si j’étais tarée ou pas. Qu’on arrête de me dire que j’étais hystérique, que c’était dans ma tête. » Une phrase entendue par un grand nombre de patientes souffrant de douleurs intenses que ce soit en consultation, après une échographie ou une IRM « normales ».
« J’ai eu de la chance que mon médecin traitant demande une 2e lecture de mon IRM à l’Hôpital Sud (où elle est désormais suivie, ndlr). Sinon on n’aurait pas trouvé. Ce n’est pas simple du tout même ensuite. Les rendez-vous durent 20 minutes, les médecins n’ont pas le temps et tu ne peux pas avoir toutes les infos. », s’insurge-t-elle.
De son côté, Marianne Flahou ressent également le manque d’écoute. Pour diagnostiquer sa maladie, il faudra 10 ans. Pourtant, sa mère en est atteinte également. Elle parle d’errance médicale, liée à la façon dont les médecins reçoivent la parole des femmes. Et décrit un parcours de longue haleine particulièrement fluctuant, entre recherches infructueuses, fatigue morale, douleurs assourdissantes et besoin de trouver la cause du mal :
« Tu as tellement mal qu’il faut trouver ce que c’est. Il faut être dans la persistance. On te dit que c’est dans ta tête, c’est un combat permanent. Moi, j’ai quand même entendu : ‘De toute manière, ça sert à rien, y a pas de traitement’… »
L'IMPORTANCE DE L'ÉCOUTE
Pour le Dr Bauville, « le traitement dépend des symptômes et de la volonté des patientes ». En général, elles sont orientées vers des traitements hormonaux (la pilule en continu, afin de provoquer une aménorrhée) ou une opération chirugicale (la cœlioscopie, par exemple, mais tout dépend de l’atteinte). Celle-ci est « diagnostique et thérapeutique car elle permet de voir l’étendue de la maladie et de traiter directement. »
Sans remettre en doute la bonne foi de l’équipe spécialisée de l’Hôpital Sud, les femmes sont nombreuses à se sentir insuffisamment informées et insuffisamment prises en compte pour décider de la suite ou pour faire confiance aux médecins, qui parfois déshumanisent la patiente. « En tant que malade, tu as le droit d’avoir le choix. De savoir ce qu’on te propose et ce que ça va te faire. », déclare Marianne.
Elle a un kyste logé entre le vagin et le rectum. Une intervention chirurgicale aurait nécessité l’usage d’une poche durant deux mois, lui a-t-on expliqué, et cela sans prendre en compte les éventuelles complications. Elle n’a pas souhaité s’orienter vers ce type de traitement et la prise de pilule a entrainé, chez elle, un état de dépression. Elle se rend auprès d’un spécialiste, à la Sagesse – qui dispose d’une équipe pluridisciplinaire :
« J’ai expliqué que je faisais une dépression et lui m’a demandé si j’avais des sécheresses vaginales. Je lui ai dit que non. Il était devant moi, il dictait le compte-rendu et a noté que je voulais arrêter parce que j’avais de la sécheresse vaginale. Je me suis sentie pas écoutée du tout. » Difficile de ne pas toujours revenir sur le manque, voire l’absence, d’écoute. Pourtant, comme le souligne le Dr Chrysoula Zacharopoulou, elle est essentielle :
« L’endométriose m’a rapidement intéressée car la relation, le dialogue et l’écoute des patientes sont au centre de la prise en charge. C’est le cas pour beaucoup de maladies pas forcément graves – dans le sens où la vie des patientes n’est qu’exceptionnellement en danger – mais qui entrainent néanmoins des douleurs chroniques avec toutes les conséquences que cela comporte : personnelles, sociales et professionnelles. »
Un point sur lequel la rejoint sans conteste l’auteur et ancien médecin Martin Winckler qui, en plus d’avoir abordé le rapport médecins/femmes dans Le chœur des femmes, dénonce la maltraitance médicale dans Les brutes en blanc. Il explique, dans une interview accordée à 20 Minutes :
« En France, on n’enseigne pas aux médecins qu’ils doivent partager leur savoir et que c’est au patient de décider. Mon objectif c’est de dire au grand public qu’il peut se défendre contre les médecins maltraitants. » Par là, il n’entend pas qu’il existe une poignée de « médecins méchants » mais parle justement d’une maltraitance systémique. Le médecin sait, le patient non. Surtout si le patient est une patiente.
Il faut « sortir de l’idéologie paternaliste » et diffuser les informations. « Les femmes doivent savoir qu’il est interdit de leur imposer une épisiotomie ou une péridurale, de faire une infiltration ou une ligature des trompes sans leur consentement. Ce sont ces témoignages de patientes qui m’ont motivé à écrire ce bouquin. Le mal que je ferai à la profession n’égalera pas le 100e des souffrances de ces patients maltraités. », conclut-il dans l’entretien, après avoir balayé d’un revers de la main l’argument du manque de temps :
« Aucun médecin n’a jamais eu le temps. Ce n’est pas une excuse pour se comporter comme un malpropre. La médecine, c’est 80% de relationnel. Or en France, on valorise le geste technique. »
PROBLÈME DE COMPRÉHENSION
Ce dialogue s’avère véritablement difficile à établir. D’un côté, les médecins se sentent jugés. Remis en question. De l’autre, les patientes pas écoutées. Pas prises au sérieux. Et le ton peut monter rapidement. C’était le cas lors de la dernière réunion organisée par EndoFrance à l’Hôpital Sud, le 18 avril dernier.
Une femme exprime la douleur ressentie à l’introduction de la sonde vaginale, une autre s’interroge sur le fait que lors de son parcours PMA – Procréation Médicalement Assistée – elle n’ait pas pu choisir entre des injections ou la prise du médicament Synarel. Les échanges restent cordiaux, même si des gênes, basées sur des incompréhensions mutuelles, se font ressentir.
« La parole se libère, on ne fait plus la médecine d’hier. L’industrie pharmaceutique essaye de faire des améliorations mais on ne nous propose rien de mieux pour faire notre métier. », finit par rétorquer le Dr Bauville. Quelques femmes présentes dans l’assemblée tentent d’expliquer leur point de vue : « Des petits choix peuvent nous aider. Mais on ne nous explique pas les choses. » Réponse instantanée de la gynécologue : « On n’est pas des robots ». En face, les patientes répliquent : « Nous, on le devient, surtout en PMA. »
Si la conférence se poursuit autour des différents types d’atteintes, les parcours de diagnostic et de prise en charge, l’ambiance n’est pas plus détendue. Au contraire. Une des personnes présentes témoigne de sa colère. Parce qu’en 2011, on lui détecte un stade 4, elle est alertée sur l’urgence à concevoir un enfant, si tel est son souhait. Elle a désormais des jumeaux mais a énormément souffert :
« Après 2 ans de FIV (Fécondation In Vitro), la maladie a proliféré. J’ai 42 ans et les conséquences sont graves. Ma vessie ne fonctionne plus correctement et si j’ai bien compris, je vais devoir subir l’auto-sondage a priori jusqu’à la fin de ma vie. Je suis en colère. Après un parcours de FIV, on doit nous suivre et je n’ai pas été suivie. »
Pour le Dr Jean Lévêque, du service gynécologie de l’Hôpital Sud, elle aurait dû d’elle-même recontacter les spécialistes. La discussion prend un air de confrontation. Parce qu’il renvoie aussitôt un sentiment de culpabilité et la sensation de ne pas écouter le vécu et le ressenti de ces femmes démunies face à un parcours de santé extrêmement long, douloureux et pénible, physiquement et moralement.
« Vous êtes dans une position défensive. On vous demande d’écouter, on est des patientes, on souffre, on a des situations différentes, on a des questions. Ce n’est pas votre métier que l’on critique ou que l’on accuse. Ne soyez pas agressif. », signifient-elles clairement au médecin, visiblement braqué.
Quelques jours plus tard, Corine le dit en toute honnêteté : « C’est la première fois que je le voyais comme ça. Ça m’a un peu refroidie. Je regrette que ce soit parti en confrontation. Après, il y a dans l’équipe de très bons gynécologues et je ne veux pas arrêter de travailler avec l’équipe de l’Hôpital Sud parce que ce à quoi vous avez assisté le 18 avril n’est pas représentatif. Ce qu’il faut comprendre, c’est que c’est très compliqué. Il y a toujours une phase de colère dans l’endométriose et le ton des femmes peut être agressif. Pour les filles qui étaient présentes la dernière fois, il faut savoir qu’elles ont peur. Il y en a une qui a une poche, une avec des problèmes de vessie et une qui n’arrive toujours pas à avoir d’enfant. C’est normal d’être énervée et d’avoir peur dans ce type de situation. Moi, je suis moins énervée aujourd’hui, parce que j’ai pu avoir des enfants et que j’ai trouvé un très bon gynéco. »
C’est là encore une difficulté dont parlent Manon Carbonnel et Marianne Flahou. Pas facile, disent-elles, de pouvoir établir un annuaire des « bon-ne-s praticien-ne-s ». Tout d’abord, pour des raisons de feeling qui diffère selon chaque personne. Ensuite, parce que tou-te-s, y compris les « médecins safe » (réputé-e-s bienveillant-e-s) ne connaissent pas forcément spécifiquement l’endométriose.
Changer régulièrement de médecin, de gynéco, voire de sage-femme, jusqu’à trouver la personne bienveillante et compétente. Qui donne les informations, explique le pourquoi du comment, pour que la patiente comprenne bien. Qui permet une relation de confiance parce qu’elle écoute, sans jugement, et parce qu’elle demande le consentement de la patiente avant de procéder à un examen.
« Moi, la pilule m’a coupé un long moment dans ma sexualité. Va expliquer ton intimité au médecin qui n’écoute pas ! Il faut y aller en mode warrior et c’est fatiguant de douter de ton médecin. Mon médecin traitant a dû me faire une fois un toucher vaginal. Déjà, il m’a proposé et pas imposé et m’a expliqué que j’allais certainement avoir des douleurs près des ovaires. Il a attendu que je lui dise si j’étais ok ou pas avant de le faire. »
explique Manon.
Elles est rejointe par Marianne : « Lorsque j’ai fait ma dernière échographie de contrôle, la professionnelle ne me regardait pas. Je pense qu’elle n’avait pas l’intention d’être malveillante mais j’ai dû insister pour capter son regard. Quand tu es au cœur de la maladie, que t’en chie, c’est dur. » Se sentir prise en compte dans sa globalité, dans sa parole, son corps, son vécu et son ressenti.
Les trois femmes sont d’accord : aujourd’hui, on parle davantage des règles et davantage de l’endométriose. On sait désormais que la maladie - connue depuis 1860, rappelle Manon – est réelle. Et non une histoire de bonnes femmes douillettes. Le Dr Jerry Coiffic, gynécologue-obstétricien à l’Hôpital Sud, le confirme :
« C’est un fardeau que vous portez. Ce n’est pas juste une lésion, ce sont des gênes, des douleurs. À nous, médecins, d’utiliser tous les mots/maux de la patiente pour la diagnostiquer. Souvent, ça arrive dès les premières règles. Et la femme va entendre dire « C’est normal » de la part de son entourage. Et le médecin va dire aussi « C’est normal ». On fera le diagnostic 10 ans plus tard. Pourquoi un délai si long ? Parce que ce n’est pas aussi simple… Il y a un mélange de chose qui fait qu’on a du mal à établir le diagnostic. »
Il prend le cas d’une patiente à lui : « Elle souffre de douleurs dans les rapports sexuels, de fatigue, de douleurs déclenchées dès qu’elle pratique une activité sportive… On a fait une batterie d’examens, ils sont normaux. Pour autant, est-ce qu’elle n’a pas une endométriose ? Dans 50% des cas de douleurs, les femmes ont une endométriose (…). Prenons l’exemple maintenant des personnes qui souffrent de migraines. Souvent, les IRM ne révèlent rien. Pourtant, ça ne veut pas dire que c’est une maladie imaginaire. »
La maladie est sortie de l’ombre mais elle reste encore une inconnue autant pour les professionnel-le-s de la santé que pour le grand public. On sait que les douleurs, particulièrement au moment des règles, sont intenses. Qu’elles sont handicapantes pour les femmes atteintes de l’endométriose, dans la vie privée (pas seulement dans le cadre du couple ou de la famille mais aussi dans les relations amicales) comme professionnelle.
On sait également que le diagnostic est long à établir, le traitement difficile à trouver et la guérison inexistante. « On n’en guérit pas, c’est un gros boulet. Comme la fibromyalgie. », précise Corine. La maladie peut évoluer ou stagner.
En revanche, on connaît moins les conséquences des traitements et des actes chirurgicaux, qui peuvent mener à des situations dramatiques en raison des complications. Et on connaît encore moins les origines de la maladie. Des hypothèses tendent à orienter vers des prédispositions génétiques – l’hérédité n’est pas encore reconnue – et vers des problématiques environnementales.
Une nouvelle hypothèse pourrait être celle des produits hygiéniques, mais le lien n’a pas été établi scientifiquement pour le moment. Sur le site de l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale), rien de sûr : « Des facteurs de susceptibilité individuelle doivent donc intervenir dans le développement de cette maladie. Ces facteurs pourraient être génétiques. Les chercheurs soupçonnent par ailleurs l’impact de certaines expositions environnementales. »
À l’heure actuelle, la recherche peine. Par manque de financement, ce qui souligne par conséquent un manque d’intérêt pour le sujet. « Je me suis orientée vers EndoFrance parce que l’association co-finance six projets de recherche, à hauteur de 58 000 euros (le projet Endoprint est d’ailleurs à l’initiative du Dr Jean Vialard et de son équipe à la clinique de la Sagesse, à Rennes, ndlr). », précise la représentante bretonne de la structure.
Elle insiste : il est urgent et indispensable de se tourner vers les pouvoirs publics. Pour renforcer les moyens dans les centres antidouleurs, « parents pauvres des financements alors que les patientes ne manquent pas », pour sensibiliser les CPAM « aux problématiques du non remboursement de certaines pilules très chères » mais aussi au fait que certaines formes d’endométriose entrainent un arrêt maladie de longue durée et pour former également les infirmières scolaires et sensibiliser plus largement toutes les personnes en contact avec les jeunes filles.
« Plus tôt elles sont informées, mieux c’est pour elles. Chaque femme a le droit de savoir si elle a une endométriose parce que ça peut tout changer pour concevoir un enfant. Je sais que l’on est dans une société qui voudrait penser « Un enfant si je veux, quand je veux » et je suis totalement d’accord avec cette idée mais il faut comprendre que ce n’est pas tellement applicable à une femme atteinte d’endométriose. Moi, j’agis activement pour que les femmes ne souffrent pas et pour qu’elles puissent avoir des enfants si elles le souhaitent. Et ça, ce n’est pas possible quand elles le découvrent trop tard. Et c’est très difficile quand elles l’apprennent au moment où elles essayent de concevoir. Elles ont le droit de savoir, de se préparer. », s’exclame Corine.
Tout cela rejoint l’idée de l’importance de l’information. Et de sa diffusion. Pour que les femmes n’aient plus à avoir honte d’être physiquement diminuées à cause des douleurs. Que les professeurs puissent prendre en compte que des collégiennes ou lycéennes souffrent de maux intenses et qu’elles ont peut-être besoin de s’allonger.
Aujourd’hui, des avancées s’opèrent. Parce que les personnes atteintes de la maladie ouvrent la voie vers des remèdes alternatifs, susceptibles d’atténuer la douleur. Comme les douches chaudes, la bouillotte sur le ventre, l’alliance d’un anti-inflammatoire avec un antispasmodique, des changements alimentaires, etc. Marianne Flahou l’explique :
« Comme l’endométriose prend des formes différentes, on souffre différemment. Moi j’ai cherché mes soins avec l’acuponcture, l’homéopathie, les changements alimentaires (il est recommandé de privilégier les aliments anti-inflammatoires, ndlr) et puis je travaille aussi sur mon hygiène de vie. Par exemple, je reste au lit quand j’ai mes règles. Mais ça, c’est parce que j’ai la chance de pouvoir le faire. »
Ce qui n’est pas le cas de toutes les femmes, comme le souligne Manon : « J’imagine même pas les caissières ou les serveuses par exemple. Comme Marianne le dit, on essaye de changer des choses dans nos vies. Moi, j’étais déjà végétarienne, je suis passée végétalienne. Changer des choses, c’est pour avoir moins mal mais la maladie est omniprésente. Sans oublier qu’on n’a pas d’accompagnement par des psychologues ou des sexologues, parce qu’il faut pas oublier la chute de libido. »
Pour Corine, il est également important de noter qu’une nouvelle génération de professionnel-le-s de la santé arrive petit à petit. Une génération parée à mieux chercher. Et surtout prête à prendre en compte la dimension humaine du rapport médecin/patient-e :
« Certain-e-s gynécos ne connaissent pas l’endométriose mais savent travailler avec des spécialistes. Les médecins ne doivent pas se sentir coupables de ne pas tout savoir. Ils ont le droit de dire « Je ne sais pas » et d’orienter vers un confrère ou une consœur. » Pourtant, les bonnes volontés se révèlent aujourd’hui encore insuffisantes et on se demande encore pourquoi le cycle menstruel reste survolé lors de la formation des médecins, gynécologues, infirmier-e-s scolaires (un plan du ministère de l’Éducation Nationale prévu en 2016 est toujours en attente…), etc.
Le monde de la santé n’étant pas exempt des préjugés et des tabous sexistes qui régissent la société, il est important que la parole se libère mais surtout que l’écoute soit active et bienveillante. Sans jugement face aux récits des femmes qui souffrent de la maladie et qui se confrontent à l’image permanente de la femme moderne, dont les alliées « Always », « Nana », « Vania » et autres, permettent même au moment des règles de vivre plusieurs journées dans une journée. Dans laquelle il n’y a pas de place pour les douleurs. Toutefois pas pour l’expression de ces douleurs.
Heureusement, des voix connues s’élèvent, comme celles, entre autres, de Lena Dunham, Imany ou encore Laëtitia Millot pour faire sortir l’endométriose de l’ombre et lutter avec les « endogirls » pour diffuser l’information, sensibiliser un large public, agir sur les pouvoirs publics, et soutenir les femmes en souffrance, désireuses d’échanger, de partager et de s’entraider.