Célian Ramis

8 mars : Aux USA, même ambivalence dans le sport et la culture

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Maison Internationale de Rennes
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Le 7 mars, l'Institut franco-américain de Rennes mettait sur la table la question de la promotion des femmes américaines à travers le sport et la culture, avec la venue d'Hélène Quanquin, spécialiste des mouvements féministes aux USA, à la Sorbonne.
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Elle n’est pas spécialiste du sport, a-t-elle précisé d’emblée, lors de la conférence qu’elle tenait le 7 mars, à l’Institut franco-américain. En revanche, la question des mouvements féministes aux Etats-Unis est le domaine de prédilection d’Hélène Quanquin, de Paris 3 – Sorbonne nouvelle.

La conférence ne pouvait pas mieux tomber. Le soir même, ou plutôt la nuit, la finale du championnat She Believes Cup (2e édition de la compétition visant à inciter les jeunes filles et les femmes à jouer au foot, réunissant les USA, la France, l’Allemagne et l’Angleterre) se déroulait à Washington et opposait l’équipe féminine de football des USA à celle de la France. Diffusée en direct sur C8, on pouvait assister à la victoire écrasante des Françaises, qui se sont imposées 3 à 0, face aux tenantes du titre.

Pour Hélène Quanquin, l’ascension des femmes dans le sport et la culture est due aux mouvements féministes. Parce que les femmes se sont battues pour se faire entendre et pour faire avancer leurs droits, vers l’égalité des sexes. Elles n’ont pas attendu la présidence de Donald Trump pour se mobiliser.

MOBILISATIONS FÉMINISTES

La marche du 21 janvier 2017, qui a réuni au lendemain de l’investiture plus de 4,5 millions de personnes aux USA – « la manifestation qui a réuni le plus de participant-e-s de toute l’histoire » - est en effet issue d’une tradition féministe basée sur le rassemblement.

Elles organisaient déjà des marches de femmes au début du XXe siècle, notamment en 1911 à New-York marquant leur volonté d’occuper l’espace ou encore en 1913 à Washington pour le droit de vote.

« Le mouvement féministe et suffragiste incorporait beaucoup d’éléments de la culture populaire, comme le théâtre, la chanson, les cartoons, la caricature… Toutefois, on voit que l’incorporation des revendications féminismes est graduelle. À cette époque, quand des femmes noires voulaient participer, certaines femmes blanches menaçaient de ne pas y participer. C’est l’époque de la ségrégation aux USA et le racisme est présent dans le féminisme. On parle alors pour ces marches de White women’s march. Pareil pour les revendications des femmes lesbiennes ! », développe la spécialiste des mouvements féministes américains.  

Elle poursuit :

« C’est là que l’on voit la différence avec janvier 2017. Dès novembre, dès l’élection, le comité d’organisation de la marche a voulu que l’événement réunisse tout le monde. Des blanches, des noires, des arabes, des latinas, des femmes voilées, des femmes trans, des hommes… ».

À quelques détails et années près, le féminisme américain connaît les mêmes vagues qu’en France et les années 60 et 70 représenteront également deux décennies importantes pour les droits des femmes, militant contre les discriminations liées au sexe, à la race et à l’ethnicité.

ÉGAL ACCÈS AUX SPORTS ET ACTIVITÉS

C’est dans ce contexte que sera adopté l’amendement Title IX qui protège les individus des discriminations basées sur le sexe dans les programmes éducatifs et activités recevant des fonds fédéraux (No person in the United States shall, on the basis of sex, be excluded from participation in, be denied the benefits of, or be subjected to discrimination under any education program or activity receiving Federal financial assistance.).

Un amendement qui enclenchera également une réflexion autour de la lutte contre le harcèlement sexuel dans les universités. Et qui empêchera, dans les écoles et facultés américaines, de restreindre la participation aux activités en raison de son sexe et de son genre. Et fera naitre également une loi imposant une réglementation de ce type dans les sports amateurs.

« Le sport fait partie intégrante de la vie des écoles et des universités américaines qui organisent beaucoup de compétitions. En 2002, 160 000 femmes y avaient participé. Maintenant, elles sont plus de 200 000. Il y a presque la parité. Et beaucoup de sportifs olympiques ont participé à ce type de compétition. Cela prouve l’incidence de certaines lois sur l’évolution du nombre de sportives de haut niveau », souligne Hélène Quanquin.

Et la dernière édition des JO, qui s’est déroulée à Rio en 2016, a mis en lumière plusieurs femmes athlètes, parmi lesquelles figurent l’équipe féminine de gymnastique – dont Simone Biles sera la plus médiatisée et mise en avant grâce à ses 4 médailles d’or -, Simone Manuel, première femme noire à remporter un titre olympique en natation ou encore Ibtihaj Muhammad, la première escrimeuse médaille à porter un voile lors de la compétition.

Pour les Etats-Unis, l’ensemble des performances les place au premier rang des JO de Rio avec 121 médailles. Dont 61 ont été gagnées par des femmes.

« Ce sont les deuxièmes Jeux olympiques qui marquent la supériorité des femmes aux USA, même si là c’est très léger. Elles ont remporté 27 médailles d’or, soit le même nombre que toute l’équipe britannique. »
indique la spécialiste.

POURTANT, LES HOMMES L’EMPORTENT…

Néanmoins, la promotion des femmes dans le sport interroge. Les performances prouvent leurs compétences et pourtant dans les médias quand Michael Phelps remporte l’argent, il remporte également le titre principal de Une, tandis que sur la même couverture, en plus petit, on inscrira la victoire de Katie Ledecky. Après tout, championne olympique à cinq reprises et championne du monde en grand bassin neuf fois, elle n’est que la détentrice des records du monde sur 400m, 800m et 1500m nage libre…

C’est ainsi que l’on constate l’ambivalence du domaine. D’un côté, le sport est un moyen pour promouvoir les droits des femmes. D’un autre, il est aussi un lieu d’inégalités subsistant entre les femmes et les hommes. Ces derniers gagnent plus d’argent, se réclamant d’un plus grand intérêt de la part des spectateurs/trices et par conséquent, des publicitaires et des sponsors.

Outre les mouvements féministes et les lois, les sportives doivent également se battre contre les préjugés, les idées reçues et les sportifs. À l’instar de Billie Jean King, grande joueuse de tennis, qui en 1973 a menacé de boycotter l’Open des Etats-Unis, revendiquant le droit des femmes à gagner le même salaire que les hommes en tournoi. La même année, elle crée une association de tennis féminin et bat Bobby Ricks – joueur réputé pour son machisme - en trois sets lors d’un match que ce dernier envisageait comme un moment voué à démontrer la supériorité masculine.

Pour Hélène Quanquin, « Billie Jean King a marqué l’histoire du tennis et l’évolution des droits des femmes dans ce sport. D’autant que c’est la première femme athlète à faire son coming-out. Ce qui lui coûtera plusieurs spots publicitaires, donc de l’argent. »

DANS LE CINÉMA, MÊME COMBAT

Les réflexions sexistes (des sportifs, des médias, des commentateurs sportifs…), la supériorité masculine très prégnante et les inégalités, notamment de salaires, se retrouvent également dans le domaine de la culture. En 2015 – 2016, cette problématique occupera une part importante du débat hollywoodien. Pour cause, l’affaire des piratages des mails de Sony qui fera découvrir à Jennifer Lawrence qu’elle était moins bien payée sur les pourcentages et les ventes du film.

Lors des cérémonies américaines, aux Oscars notamment, les voix féministes commencent à s’élever. Dans les discours de Patricia Arquette ou de Meryl Streep par exemple, l’égalité salariale est en première ligne des revendications. Suit ensuite le faible nombre de rôles principaux ou secondaires, mais importants, attribués aux femmes. Des messages que l’on entend également dans la bouche des anglaises Kate Winslet ou Emma Watson, et de plus en plus de la part des réalisatrices et actrices du cinéma français.

On notera alors que seules 28% environ des actrices obtiennent des rôles significatifs au cinéma et qu’aux Oscars seules 4 femmes ont été nominées dans la catégories des meilleur-e-s réalisateurs/trices dans l’histoire des récompenses. « Et les chiffres sont pires pour les femmes issues des minorités. On constate bien souvent que quand des femmes réalisent, il y a plus de rôles pour les femmes. », conclut Hélène Quanquin.

DANS LA MUSIQUE, PAREIL

Les chiffres sont révélateurs. Dans le secteur de la musique également. Moins de 5% des producteurs et ingénieurs sont des femmes, révèle la conférencière, qui enchaine immédiatement avec l’affaire Kesha. La chanteuse accuse son producteur, Dr Luke, de viol et demande alors à être libérée de son contrat, ce que le tribunal refusera, lui accordant seulement le droit de changer de producteur mais la sommant de rester chez Sony pour honorer l’acte signé.

La question tourne alors autour du pouvoir et de l’influence de l’industrie musicale, qui aurait tendance ces dernières années à instrumentaliser le féminisme. « Le pop féminisme serait-il la 4e vague ? », interpelle Hélène Quanquin. Le pop féminisme rassemble les chanteuses populaires actuelles, prônant leurs engagements féministes dans leurs discours et leurs chansons, comme Beyonce, en tête de cortège, Katy Perry, qui jusqu’à récemment hésitait tout de même à se revendiquer féministe, ou encore Miley Cirus, jugée plus trash.

UNE AMBIVALENCE PREGNANTE

Ce mouvement semble plus inclusif, à l’image de la marche de janvier 2017. Mais l’ambivalence persiste dans le secteur de la musique, du cinéma comme dans celui du sport. Là où on note des progrès, à ne pas négliger puisqu’ils influencent bon nombre de jeunes femmes, on ne peut nier également l’instrumentalisation marketing de ces milieux, régis par l’industrie, dans lesquels les inégalités persistent fortement.

« Les progrès sont liés aux mouvements féministes et à l’avancée de la législation. Mais on voit des limites à ce progrès. Les femmes n’ont toujours pas d’égal accès aux positions de pouvoir, sont toujours représentées de manière différente dans les médias et font face à un fonctionnement de l’industrie extrêmement inégalitaire. Pas seulement pour les femmes mais aussi pour les personnes issues des minorités. », conclut Hélène Quanquin.

À noter qu’en France, les mentalités stagnent aussi. La preuve avec les remarques sexistes – et racistes – des commentateurs sportifs. « Elles sont là nos petites françaises », pouvait-on entendre dans la nuit du 7 au 8 mars lors de la finale de la She Believes Cup. Aurait-on dit la même chose de l’équipe de France masculine ?

 

Célian Ramis

Héroïnes de A à Z

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De tous les pays, de toutes les origines sociales, de toutes les époques, les femmes ont marqué et continuent de marquer la grande Histoire. Marilyn Degrenne et Florette Benoit ont dressé et illustré leurs portraits dans L’ABC…Z des héroïnes.
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De tous les pays, de toutes les origines sociales, de toutes les époques, les femmes ont marqué et continuent de marquer la grande Histoire. Marilyn Degrenne et Florette Benoit ont dressé et illustré leurs portraits dans L’ABC…Z des héroïnes.

A comme aventurière, B comme boulangère, C comme coureure automobile, D comme dompteuse de puces, E comme espionne… À chaque lettre correspond un métier. Et une femme, au parcours rédigé par Marilyn Degrenne, et à l’univers illustré par Florette Benoit dans un ouvrage édité par l’association rennaise La balade des livres.

On y découvre la kényane Wangari Muta Maathai, biologiste, professeure d’anatomie en médecine vétérinaire et militante pour l’écologie, de l’américaine Maria Beasley, inventrice et femme d’affaires du XIXe siècle, de la marocaine Fatima Al Ifriki, journaliste et productrice TV, menacée de mort, de la russe Vera Ignatievna Giedroyc, princesse devenue la première chirurgienne de son pays, ou encore de la turque Sabiha Gökçen, première femme à devenir pilote de chasse.

« Lorsque l’on cherche des infos en bibliothèque sur des personnages illustres, il y a plus de références masculines. Comme dans les livres d’histoire ou de français. Et quand il y a des femmes citées, on retombe toujours sur les mêmes. »
explique Marilyn.

Les deux femmes se sont lancées à la recherche de toute une galerie de femmes audacieuses, combattives et militantes des libertés individuelles. Des héroïnes internationales, représentatives de la diversité, dont les noms n’ont pas été retenus, l’Histoire étant écrite majoritairement par les hommes.

« Les portraits sont denses, riches et constituent des abreuvoirs de connaissance. L’idée de cet album (à partir de 8 ans, ndlr) est que les gens se l’approprient. Et ils accrochent très vite au principe, comme s’il y avait besoin de ça, de la découverte de ses références féminines, pour prendre son élan, pour justifier sa propre audace. », souligne Florette.

Une manière d’aborder la place des femmes à travers les pays et les époques ainsi que l’évolution des droits, dont les acquis sont constamment menacés. « L’Histoire peut se répéter très vite, il faut être vigilant-e-s. Il est donc important de parler des luttes et des droits fondamentaux. Le livre permet de libérer des choses. », précise Marilyn.

L’ABC…Z des héroïnes constitue un support de réflexion pour tou-te-s, servant d’outil pour les établissements scolaires et les bibliothèques mais aussi au sein d’ateliers enfants et adultes menés par La balade des livres. Ces derniers donneront lieu à une exposition composée de nouveaux portraits de femmes, à découvrir dès du 7 au 31 mars à la Bibliothèque Cleunay. Le vernissage a lieu le 8 mars à 18h.

Célian Ramis

8 mars : Sur le terrain de l'égalité

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Maison Internationale de Rennes
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Ancienne footballeuse, championne de France multi sélectionnée dans l'équipe nationale, Nicole Abar s'engage depuis plusieurs années pour lutter contre les discriminations sexistes et éduquer filles et garçons à l'égalité, à travers le sport.
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En moins de dix ans, elle a remporté 8 titres en Championnat de France de football féminin, est devenue meilleure buteuse et a été sélectionnée en équipe de France. Depuis, elle défend le sport comme outils d’égalité entre les filles et les garçons, a monté le projet d’éducation « Passe la balle » et s’est vue confier la mission au sein du ministère de l’Education Nationale de mettre en place l’ABCD de l’égalité. Entre autre. Nicole Abar était l’invitée de Questions d’égalité, le 3 mars dernier, à la Maison Internationale de Rennes. Une conférence orale et en langue des signes.

Depuis qu’elle a chaussé les crampons dans sa jeunesse, elle n’a cessé de lutter contre les stéréotypes sur les terrains mais aussi en dehors. Un père algérien, une mère italienne, et elle, de sexe féminin, osant jouer au football, un sport que l’on pense (trop) souvent au masculin.

« Quand on est différent-e, on est mis à l’écart et on intériorise. Je me suis tue toute ma vie avec le racisme. Le sexisme, c’est la même chose, ce sont les mêmes mécanismes. C’est un regard que l’on pose sur vous, tout petit, quand on ne peut pas décrypter, que l’on n’est pas armé-e. Et enfant, on considère que c’est la norme. Et c’est stigmatisant ! », déclare-t-elle.

Elle se tient debout dans l’auditorium de la MIR et ne peut s’empêcher de bouger. Elle prend l’espace et nous tient à son discours. Elle connaît le milieu du sport, connaît les rouages du sexisme et du racisme et s’engage avec force et optimisme dans l’égal accès aux terrains, salles de sports, équipements, etc. des filles et des garçons.

SE METTRE EN COLÈRE

En 1998, le club dans lequel elle entraine refuse de faire évoluer les filles, qu’ils excluent, au profit des garçons. Pour Nicole Abar, il est temps de se révolter et de se mettre en colère : « Moi, j’avais déjà fait mon parcours mais les petites filles du club, qu’est-ce qu’elles allaient penser ? Elles allaient intérioriser, se dire que c’est normal qu’elles ne puissent pas jouer. Et là, pour la première fois, je me suis mise en colère. Les parents ont dit « Ok, on se bat ! » et on a fait en sorte que le club soit sanctionné au niveau des droits. »

Il faudra engager cinq années de procédures pour aboutira une jurisprudence condamnant le club, non pas au motif de la discrimination mais d’un refus de prestation au sein d’une association.

« Ce n’est pas si facile de se mettre en colère et de faire gagner un procès ! Les unes sont éduquées pour subir et les autres pour être des dominateurs. Les deux doivent progresser ensemble. », commente-t-elle.

Un discours qui rejoint celui de Chimamanda Ngozi Adichie prononcé en décembre 2012 et retranscrit dans l’ouvrage Nous sommes tous des féministes : « De nos jours, le déterminisme de genre est d’une injustice criante. Je suis en colère. Nous devons tous être en colère. L’histoire de la colère comme matrice d’un changement positif est longue. Outre la colère je ressens de l’espoir parce que je crois profondément en la perfectibilité de l’être humain. »

AGIR DÈS LA PETITE ENFANCE

Pareil pour Nicole Abar. C’est alors qu’elle réalise que pour changer les mentalités et déjouer la construction des stéréotypes de genre, il est fondamental de se tourner vers les petits, « quand ils sont encore tendres et que l’on peut faire passer des messages dans le jeu, le plaisir et le sourire. » Elle bâti à partir de là un projet basé sur la motricité, l’espace, les jeux, la verbalisation et le dessin afin « de les faire parler et leur faire prendre conscience de leurs propres représentations. »

Un programme qui existe toujours à Toulouse, et qui deviendra quelques années plus tard, le socle de la construction de l’ABCD de l’égalité, malheureusement renvoyé au tapis, sous la menace de certains parents – affiliés à la Manif pour tous – dénonçant « l’enseignement de la théorie du genre ».

Dans la salle, elle se place dans un coin, statique, et fixe ses pieds, illustrant ainsi le comportement d’une petite fille de 3 ans dans la cour de récréation. « Là, je ne vous vois plus, dit-elle, avant de traverser la pièce jusqu’en haut des escaliers de l’auditorium. Les petits garçons ont tout le reste ! Voyez comme j’embrasse le monde là ?! Comment je suis stimulée ?! Forcément, ma capacité cérébrale est stimulée d’une autre manière… » L’expérience est parlante et concluante.

SEXISME, RACISME… EN DÉJOUER LES ROUAGES

À l’instar de la vidéo qu’elle diffusera quelques minutes plus tard sur une classe de CE2, aux Etats-Unis qui expérimente la discrimination, en séparant les yeux bleus et les yeux marrons. Les uns bénéficiant de tous les droits, les autres d’aucun.

En terme de sexisme, elle l’illustre par un exercice de dessin avec les maternelles. Avec une fresque délibérément trop petite. Elle constate que les petits garçons font des grands dessins et les petites filles, des petits. « À 4 ans, elle a déjà compris que sa place était petite. », martèle-t-elle, face à une salle qui semble assommée. Et si son discours prend aux tripes, c’est parce qu’il est parlant et criant de vérités effarantes. Elle poursuit :

« Depuis 2003, j’en ai vu une seule prendre une chaise, monter dessus et faire un grand trait en disant : « ça, c’est ma place ! » ! Une seule ! »

Les stéréotypes, intégrés depuis le plus jeune âge et ponctués de « c’est pas si grave, on n’en meurt pas », nous handicapent et gâchent « des millions de talents », selon Nicole Abar, qui ajoute que les enfants ne sont pas ce qu’ils devraient être dans la mesure où nos idées reçues étant tellement prégnantes qu’ils font nos choix et non les leurs.

Un exemple révélateur de l’influence de notre regard est pour elle celui de la poupée : « Un petit garçon se dit que jouer à la poupée c’est nul. Les poupées, elles sont nulles. Lui, il préfère jouer avec son Action Man, vous savez, le soldat ?! Mais Action Man, c’est quoi ? C’est une poupée aussi. »

Ainsi, avec le programme Passe la balle, elle agit pour qu’aucun enfant, qu’il/elle se sente garçon ou fille, n’intègre les stéréotypes de genre. Une petite fille peut jouer au ballon et un petit garçon peut pleurer. Tou-te-s doivent être encouragé-e-s de la même manière et comprendre que l’échec fait parti de l’apprentissage.

« Quand on nait, on apprend à parler et à marcher. Quand on tombe, personne n’a l’idée de nous engueuler. Mais pour le reste, on a tendance à accabler. Ne pas réussir, ça fait parti de la réussite, c’est comme ça qu’on grandit. »
souligne l’ancienne championne de France.

Elle insiste dans son projet pour que jeux s’effectuent sur des grands espaces, pour qu’il y ait des courses, dans le but de développer la motricité des participant-e-s et leur faire prendre conscience de leurs corps dans l’espace.

Son objectif, elle le répète, persiste et signe : « Qu’ils courent tous, qu’ils tombent tous, qu’ils aient des boss tous, qu’ils pleurent tous, qu’ils se relèvent tous ! » Filles et garçons ensemble doivent combattre les discriminations. Exactement comme le font les footballeuses rennaises qui ont fondé l’association Le ballon aux filles.

LE BALLON À TOUTES LES FILLES !

Chaque année, elles organisent un tournoi de foot féminin, dans un quartier prioritaire de la ville, pour les licenciées et non licenciées. Les matchs étaient jusqu’alors arbitrés par des hommes, afin de les impliquer dans le projet. L’objectif est double : amener les filles et les femmes à chausser les crampons et prendre du plaisir à jouer ensemble et d’avoir osé. Et faire prendre conscience aux garçons et aux hommes que le sexe féminin n’est en rien un obstacle à la pratique sportive.

Au fil des années, les joueuses de l’association ont développé des actions en amont du tournoi. Des actions qui favorisent la découverte du football, la création du lien social et la lutte contre les préjugés sexistes. Et étant conscientes que dans les quartiers prioritaires comme en zone rurale, les filles sont peu nombreuses à pratiquer un sport à l’instar de la répartition filles/garçons dans l’espace public, elles ont la volonté forte d’amener le sport jusqu’à elles.

Une initiative qui affiche un bilan positif avec l’inscription de 80 à 150 filles par an en club, le versement des recettes reversées au projet Amahoro – projet humanitaire et solidaire en direction de Madagascar – ainsi que l’engagement participatif d’une vingtaine de bénévoles sur chaque tournoi et l’investissement des garçons au coude-à-coude avec les filles qui foulent le terrain.

Ainsi, elles investissent les pelouses mais aussi les espaces de débat et les établissements scolaires à Rennes, avec l’aide et le soutien de l’association Liberté couleurs. Le prochain tournoi aura lieu à Cleunay, le 27 mai prochain.

Célian Ramis

Orpheline, l'identité complexe et discontinue

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Ciné TNB, Rennes
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À l’occasion du festival Travelling, le réalisateur Arnaud des Paillères et la scénariste Christelle Berthevas ont présenté leur nouveau film, Orpheline, au ciné TNB de Rennes, vendredi 10 février.
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À l’occasion du festival Travelling, le réalisateur Arnaud des Paillères et la scénariste Christelle Berthevas ont présenté leur nouveau film, Orpheline, au ciné TNB de Rennes, vendredi 10 février.

Une directrice d’école est rattrapée par son passé, une jeune femme intègre le milieu des courses hippiques et des paris, une jeune fille découche et flirte avec une sexualité interdite, une enfant ne termine pas sa partie de cache cache. Pour incarner ces quatre moments de vie, Arnaud des Paillères réunit Adèle Haenel, Adèle Exarchopoulos, Solène Rigot et Vega Cuzytek.

De la trentaine à l’enfance, Orpheline remonte le cours de l’histoire d’une seule et même personne, jouée par quatre actrices loin de se ressembler. « Je voulais partager une émotion forte et préserver cette émotion particulière. Et pour préserver ces précipités – dans le sens chimique du terme – d’émotion, je devais choisir 4 actrices différentes. », explique le réalisateur.

VOYAGE DANS LE TEMPS

Cette émotion dont il parle tant est celle qu’il a ressenti à chaque fois que Christelle Berthevas lui a livré des bribes de son histoire personnelle. Une histoire qu’il qualifie d’exotique, « dans le sens où il s’agit de l’histoire d’une femme et ça je ne pourrais jamais savoir ce que c’est mais aussi dans le sens où elle parle également d’un milieu que je ne connais pas, celui du monde rural. Je suis tout le contraire, un homme, issu de la bourgeoisie, élevé en ville. Je suis très admiratif du parcours de Christelle, de qui elle était, et qui elle est. J’ai voulu explorer cet espace intime à travers son point de vue à elle, uniquement le sien. »

La scénariste s’est appuyée sur des textes déjà écrits par ses soins et des éléments de sa mémoire. Les plus proches en terme de temps mais aussi les moins douloureux, confie-t-elle. De là est né l’ensemble des personnalités incarnées dans le film. « Quand on raconte sa vie, ce n’est jamais linéaire. On se livre par bribe. Et on circule dans le temps. Sur la manière dont on a articulé le récit, on l’a fait à l’intuition et ainsi on a remonté le temps en laissant des trous plutôt que de démarrer de l’enfance. », précise Christelle Berthevas.

C’est là la base du long métrage qui s’émancipe ensuite de sa créatrice pour construire une histoire autonome et universelle. Le duo aborde alors la question de l’existence et de son mouvement perpétuel. Des changements qui s’opèrent constamment chez les individus. Produit brut et émouvant, la force d’Orpheline réside dans la faculté à placer et à définir chacune des femmes – qui ne partagent pas même leur prénom – dans l’instant présent. Il n’y a qu’en les mettant bout à bout qu’elles forment un ensemble.  

LA QUESTIONS DE L’IDENTITÉ

L’identité est au centre du film, visant à montrer toutes les complexités de l’être humain et toutes ses discontinuités. « Ça nous interroge sur ce que c’est un bon personnage. En faisant des bons dans le temps, sans expliquer les causes de la violence mais en montrant uniquement les conséquences, on laisse le spectateur se faire le film et imaginer les explications. Pas un spectateur n’a le même imaginaire et c’est ça qui est intéressant. Qu’est-ce qui fait l’identité d’un être ? C’est une histoire que l’on ne raconte pas souvent au cinéma. », interpelle le cinéaste.

Mais il ne s’agit pas uniquement de laisser place à l’imagination. De la laisser combler les trous. Orpheline permet subtilement d’éprouver le vécu d’une femme. Car au-delà des sauts dans le temps, le spectateur ne bénéficie que des informations détenues par Renée, Sandra, Karine et Kiki qui nous les partagent, à travers leurs yeux, souvent filmés en gros plan. Un moyen pour le duo Berthevas / Des Paillères de nous glisser dans la peau du personnage.

L’ENVIE D’ÉPROUVER

Le réalisateur y voit là un double objectif : « En partageant cette histoire, cela permet de réconcilier certaines femmes avec elles-mêmes. Il n’y a pas que de la violence dans le parcours. Cette femme, elle assume ses désirs, se trompe, se relève, éprouve, fait des expériences. Cela permet aussi de montrer aux hommes ce que c’est que d’être une femme. Je crois que c’est très important, surtout dans cette période de régression et d’oubli de ces inégalités dans lesquelles les femmes sont prises. »

Christelle Berthevas, lors de l’écriture, ne s’imaginait pas déclencher ce sentiment fort chez ses collaborateurs, majoritairement masculins, y compris du côté des producteurs. « J’ai également travaillé sur les personnages masculins. Je voulais montrer leurs aliénations. Eux aussi sont dans des prisons qui les empêchent tout autant dans leurs relations aux femmes que dans leurs relations aux autres. », souligne la scénariste.

Et le tout nous embarque dans un voyage psychologique bouleversant dont l’intrigue nous tient en éveil grâce aux réflexions dégagés par chacun des personnages, tou-te-s incarné-e-s par des acteurs/trices talentueux/euses et justes.

 

Sortie le 29 mars.

 

Célian Ramis

Girls, une exposition déculottée

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Hôtel Pasteur, Rennes
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L'exposition Girls qui a dévoilé les dessous d'une autre image des femmes, grâce à de jeunes artistes en devenir, aussi cru-e-s qu'intimistes, se termine à l'Hôtel Pasteur de Rennes, le 10 février.
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Jusqu'au 10 février prochain, l'exposition Girls mise en scène par le collectif Runbyfeu, dévoile, à l'Hôtel Pasteur de Rennes, les dessous de la véritable image des femmes de notre société contemporaine, grâce à de jeunes artistes en devenir, aussi cru-e-s qu'intimistes.

Alors que l'Hôtel Pasteur est en pleine rénovation intérieure, l'exposition Girls s'est invitée dans la cage d'escaliers du bâtiment. Suspendues aux rampes, des jupes se soulèvent sous les yeux des visiteur-e-s, dévoilant une intimité souvent mystifiée par la société actuelle. Sous l'effet artistique, le sexe féminin se désigne entre autre par une pilosité abondante, une lingerie en dentelle ensanglantée, ou encore par un miroir brisé, chaque buste racontant une histoire, un tabou.

Les interprétations concernant chaque buste peuvent ainsi diverger selon les vécus, les ressentis des visiteur-e-s, placé-e-s malgré eux/elles en position du voyeur. « Tout le monde regarde sous les jupes des filles », sourit Morgane Curt, co-fondatrice du collectif Runbyfeu face à certains regards surpris des spectateurs/trices.

Créé en janvier 2016 avec Alice Delauney, présidente de l'association, le collectif vise à promouvoir de jeunes artistes en devenir et à dynamiser la création artistique. « On cherche surtout à promouvoir des artistes sans critères particuliers, en étant ouvert à tous les styles, aussi bien l'écriture, la sculpture, ou encore la musique», explique Charlotte Velter, également co-fondatrice.

Girls est leur quatrième exposition, « cette dernière étant beaucoup plus officielle grâce au cadre dans lequel on l'expose, rajoute Charlotte en parlant de l'Hôtel Pasteur, car on avait l'habitude d'exposer dans des bars à Rennes au départ». « C'est notre plus grosse exposition, termine Morgane, et comme à chaque exposition, on choisit un thème selon les envies et inspirations de chacun. Et celui de la féminité s'est imposé naturellement ».

Un choix que partage Charlotte, qui expose actuellement ses photographies, représentant différents portraits de jeunes femmes :

« Ce que j'ai envie de capter dans mon travail, c'est un moment dans la vie de quelqu'un, qui appartient à son quotidien. Et avec cette exposition, l'idée était de rencontrer d'autres points de vues que les miens sur la féminité et les femmes en général ».

Un thème dont de nombreux jeunes artistes réuni-e-s pour l'occasion, se sont inspiré-e-s pour leurs œuvres, mêlant différents médiums artistiques, comme la peinture, la photographie ou encore le moulage. Face à cette première performance artistique dans la cage d'escaliers par le collectif Sans Titre, la suite de l'exposition s'annonce cependant plus classique, l'image de la nudité féminine devenant le fil conducteur, attirant le regard et quelques froncements de sourcils.

UN ENGAGEMENT FÉMINISTE IMPLICITE

C'est dans une ambiance baignée d'une certaine quiétude que l'artiste Charlotte V. nous montre à travers son objectif, des jeunes femmes modernes, fumeuses, pensives, portant des lunettes, des piercings, et fixant l'objectif avec détermination ou au contraire, le fuyant. Les couleurs sont à la fois vives et douces, les protagonistes en mouvement ou dans l'attente de quelque chose, observatrices d'une société en pleine stagnation tout en prônant le changement.

Loin de ces photographies intimistes, le corps féminin est revisité par certains artistes, à travers des poèmes à l'érotisme explicite mais aussi, par des tableaux, comme l’œuvre pop et décalée de l'artiste Misst1guett, qui donne sa vision tout en forme des femmes, comme maîtresses de la Vie et de la Mort.

Maîtresses aussi d'un corps leur appartenant de droit, et dont l'usage ne peut être monopolisé par la société, l'interprétation du tableau laissant envisager une possible vision autour de l'avortement et du choix de la fécondité.

Cette volonté de montrer les femmes sous un autre angle est affirmé également dans les œuvres de l'artiste suivante, Émilie Aunay, qui expose près de ses peintures, une œuvre particulière, celle d'un corps de femme moulée dans le plâtre. À partir de différentes parties du corps de plusieurs femmes, toutes générations confondues, l'artiste a reconstitué un corps féminin à l'apparence harmonieuse et bien proportionnée.

Une silhouette qui laisse perplexe quelques visiteur-e-s, dont Rémi, étudiant infirmier, qui ressent une certaine incompréhension concernant l'interprétation de certaines œuvres. « Je ne vois pas en quoi cette création est féministe, dit-il en désignant le mannequin de plâtre, pour moi elle représente juste l'image de la femme conforme aux canons habituels ». Laissé indifférent par l'exposition, ce visiteur souligne inconsciemment le manque d'engagement de l'exposition Girls.

Se désignant comme une exposition féministe mais sans parti pris, les jeunes femmes tenaient avant tout à se démarquer dans le milieu associatif, où le sexisme ordinaire est un réel problème au quotidien.

« Il n'est pas rare que l'on nous fasse la réflexion du genre, mais vous y arrivez toutes seules ?, explique Morgane. Du coup, on avait envie de surprendre en créant cette exposition, de prouver qu’on était capable de monter ce genre de projet, et ça marche », sourit la jeune femme.

PRÊTER ATTENTION AUX RECOINS DU FÉMININ

Pourtant, Girls cherche à montrer à travers ces œuvres les moindres recoins du corps féminin, allant jusqu'à effacer les limites du genre et développer l'imaginaire des spectateurs/trices, comme le démontre les œuvres de Jlacastagne. Ses peintures donnent l'impression d'être une fois de plus dans une situation de voyeurisme, véritable phénomène sociétale dans la réalité du quotidien.

Un effet accentué face à cette œuvre, poussant le visiteur à l'étudier de plus près pour tenter de comprendre ce qu'il voit. En peignant les moindres replis et recoins du corps des femmes, le peintre marque à l'état brut la beauté d'un corps nu, avec ses plis et les défauts que peuvent lui prêter la société, tout en démontrant  par exemple, que le sexe féminin imaginé est en réalité une paupière close.

Et prouver par la même occasion qu'un corps plissé par endroit ne peut être laid, contrairement aux normes de beauté habituelles. Frontière entre l'imaginaire et la réalité du sexe des femmes se dessine enfin à travers l’œuvre.

Une scène érotique très explicite est d'ailleurs mise en exposition, du même auteur, faisant disparaître les idées reçues sur le genre et la domination dans l'acte sexuel. La scène en devient par la suite, presque ordinaire et sans étiquette quant à savoir qui domine qui, l'acte devenant un plaisir partagé et non une consommation rapide et une soumission.

L'érotisme est aussi mis en évidence avec l'exposition d'un fanzine, Galante, mis en consultation libre avec sa consœur de papier, Citad'elles. Le premier, connu « pour aborder l'image des femmes à travers la notion de l'érotisme de manière très crue » se détache de Citad'elles, écrit par et pour les femmes incarcérées à la prison de Rennes. L'exposition permet ainsi de présenter un véritable panel de portraits et de situations de femmes, « où chacune d'entre elles sont représentées », rajoute Morgane.

UNE EXPOSITION POUR TOUS LES PUBLICS

La sexualité des femmes est donc abordée en toute légèreté, avec sa pilosité, sa lingerie, son sexe et ses règles, des sujets encore relativement tabous. Ces dernières sont croquées dans tous leurs états, par exemple sous forme de dessins aux traits simples sur un ton humoristique comme pour expliquer aux enfants qu'une femme boit du vin, fait la fête, crie, danse, saigne, s'arrondit et parfois, rugit.

Rugit contre une société qui impose beaucoup trop souvent une image encore biaisée, de l'image d'une femme conventionnée à des normes absurdes concernant son attitude en société mais aussi, sur son apparence.

« On espère qu'il y aura des enfants parmi les visiteur-e-s, nous confie Charlotte, c'est important pour eux de se retrouver face à ces images, dans le sens où il ne faut pas les éduquer dans le mysticisme du corps féminin comme on a l'habitude de faire encore aujourd'hui. Parce que nous sommes tou-te-s confronté-e-s à la question de la féminité dans sa vie ».

« C’est pour cela que l’exposition doit forcément passer par le nu », rajoute Camille Pommier, bénévole au sein de l’association. Ce qui amène à entraîner d'autres visiteur-e-s un peu perdus par cette audace assumée, à venir se rendre compte de cette nudité.

« Il y a des réfugié-e-s qui viennent prendre des cours de français à l'Hôtel Pasteur, alors quand ils/elles commencent à monter la cage d'escaliers, on va dire qu'ils/elles sont quelque peu surpris-es et on assiste à un sacré choc des cultures », raconte Morgane, amusée.

Une nudité plurielle qui ne devrait plus être aujourd'hui un tabou. Pourtant, la diffusion d'un modèle unique perdure encore. L’œuvre étrange de Polygon dénonce l’image d'une femme fantasmée et ultra sexualisée par les médias.

En utilisant des outils datant des années 80-90, l'artiste met en scène une version burlesque et visuellement agressive sur l'industrie musicale, montrant une image corrompue par le fantasme de corps démesurément maigres, épilés et maquillés à l'extrême. Une énième dénonciation qui ne manque pas de piquer l’œil désormais averti du visiteur.

Girls laissera sûrement indifférent-es certain-e-s mais en fera sourire d'autres, par le culot de quelques œuvres, par la douceur de ces regards volés, et donnera peut être l'envie de poser son épilateur et d'aller se promener en petite robe sans avoir honte des recoins d'un corps qu'il faut apprendre à aimer, contre une société qui nous empêche de le faire correctement. 

Célian Ramis

Fleur de tonnerre, sur les traces de l'Ankou au féminin

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Cinéma Gaumont Rennes
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Le 18 janvier sort au cinéma le premier long-métrage de fiction de Stéphanie Pillonca, Fleur de tonnerre. Avec Déborah François dans le rôle principal, elle nous emmène sur les traces d'Hélène Jégado, une des plus grandes tueuses en série.
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C’est sur l’ancien Champ de Mars de Rennes qu’a eu lieu l’avant-première de Fleur de tonnerre, le 11 janvier dernier, au cinéma Gaumont. Là où Hélène Jégado a perdu la tête, se sont rendues la réalisatrice et l’actrice Stéphanie Pillonca et Déborah François, afin de présenter le sombre destin de la plus grande empoisonneuse bretonne sur grand écran.

Déborah François n’a pas eu besoin de fouler le Champ de Mars pour y rejoindre les bourreaux de la Jégado puisque Stéphanie Pillonca, dans son film, a opté pour ne pas montrer son exécution. Pourtant, ce mercredi 11 janvier, les deux femmes s’avouent troublées de présenter le film en bordure de l’esplanade Charles de Gaulle.

« Dans une version du scénario, je devais monter à l’échafaud. Imaginer ma tête sous la lame, c’était trop dur, ça me bloquait. », explique l’actrice. Des derniers instants de vie d’Hélène Jégado, la réalisatrice n’a retenu que la confession au juge Vannier et le pardon auprès de l’aumônier Tiercelin, la veille de sa mise à mort qui surviendra le 26 février 1852.

« Il n’y a rien de plus beau que le pardon et cette femme demande pardon. C’est un peu une rédemption, j’aime cette vision-là (…) Le procès ne m’intéresse pas. L’avocat, qui était un très jeune avocat, a eu envie de la sauver, c’est très beau mais on sait qu’elle meurt donc ça ne m’intéressait pas. », souligne Stéphanie Pillonca. « Sans oublier qu’elle a été très absente de son procès. C’est à partir du moment où elle se livre au juge que ça devient intéressant. », ajoute Déborah François.

Le procès dont elles font l’évocation est relaté par Jean Teulé, en 2013, dans le livre Fleur de tonnerre, qui romance la plaidoirie de Magloire Dorange insistant sur l’inhumanité d’Hélène Jégado. L’adaptation cinématographique choisit au contraire de se centrer sur la part d’humanité de la tueuse en série nourrie petite aux « veillées de la ferme de Kerhordevin en Plouhinec où un feu d’ajoncs et de bouse flambait dans la cheminée pendant que les parents racontaient de trop féroces légendes bretonnes » (p.267, éditions Julliard).

Pour essayer de la comprendre. Elle, l’enfant de Plouhinec (Morbihan) à qui on attribue plusieurs dizaines d’assassinat, traumatisée par les racontars mystiques mais aussi et surtout par le manque d’amour et de soin, de la part de ses parents, notamment de sa mère, une femme froide et apathique. Voilà pourquoi la réalisatrice – qui signe ici son premier long-métrage de fiction – a choisi de dresser le portrait de la Jégado, subjuguée par la plume de Jean Teulé.

« Elle est fascinante. Fascinante dans sa solitude, son errance, sa folie, son déclin, mais aussi dans sa condition de femme, placée très jeune dans un presbytère – ça se faisait aussi à la ferme – pour réaliser les tâches avilissantes. J’ai été très sensible à ça. Sensible aussi au fait qu’elle est victime de sa propre criminalité, qu’elle est victime d’elle-même. Elle va semer la mort, c’est son attribut numéro 1.», s’enthousiasme Stéphanie Pillonca.

Et dans le film, Déborah François incarne avec merveille cette personnalité complexe et malade. Après avoir épluché autant les archives faisant part des actes d’Hélène Jégado que des carottes pour trouver la posture de la cuisinière que cette dernière a été, l’actrice n’a rien voulu laisser au hasard, allant même jusqu’à rencontrer des psychiatres expert-e-s en criminalité féminine.

« Il y a peu de chose spécifiquement sur elle. Le sexisme fait qu’on parle davantage des hommes qui tuent car c’est généralement plus spectaculaire. Pourtant, le poison, c’est très insidieux. Surtout pour elle, c’est la seule manière de tuer en mettant l’arsenic dans la nourriture puisqu’elle est cuisinière. Et c’est ça qui est fort car la nourriture fait vivre mais avec elle, ça peut aussi tuer. Elle a parfois rendu ses victimes malades, puis les a sauvées avant de les re-rendre malades, etc. Elle restait à leur chevet, tout le monde la trouvait dévouée, elle se rendait indispensable. », explique Déborah François, encore très investie dans son rôle.

Elle poursuit : « Je ne voulais pas faire une démonstration d’actrice mais bien rester au plus proche d’une personne malade mentale. Elle a tué 25 ans sans impunité ! J’ai travaillé sur la fixité du regard, mais aussi de certaines parties du corps, il fallait aussi que ça passe par des détails afin de rester subtile. Elle n’était pas schizophrène, on dit qu’elle avait des tendances schizo mais ne l’était pas. Elle était dans une psychose mais on ne sait pas si elle entendait réellement les voix. »

Fleur de tonnerre, ainsi que la surnommait sa mère, revendiquera être au service de l’Ankou, l’ouvrier de la mort et se convaincra d’avoir agi sur ses ordres. Jusqu’à devenir l’Ankou, ce qu’elle confesse à la fin de sa vie :

« Je voyais l’importance de l’Ankou dans la famille, me disais : « Je deviendrai importante. Je deviendrai ce qui les intéresse. » Du coup, j’ai tué mes parents, mes tantes maternelles, ma sœur. (…) Je suis devenue l’Ankou pour surmonter mes angoisses. Et ensuite je n’en avais plus puisque l’angoisse, ce fut moi. » (p.267, éditions Julliard).

L’actrice belge met son talent au service de ce personnage morbide et nous donne à entrevoir plusieurs facettes de la jeune femme, tantôt souillée, malmenée, endolorie et tantôt confiante, sûre d’elle et machiavélique. Elle manipule, hante, secoure, aime, protège et tue, sans explication et sans vergogne.

Stéphanie Pillonca nous emmène sur les traces d’une Hélène Jégado complexe, dont la sensibilité ne nous laisse pas indifférent-e-s. La réalisatrice réussit à se détacher de l’œuvre littéraire de Jean Teulé – qui se dévore avec ferveur et curiosité – en prenant des libertés quant à la chronologie et à l’histoire d’amour qu’elle partagera avec Matthieu Véron (interprété par Benjamin Biolay).

Toutefois, l’adaptation cinématographique n’écorche en rien l’esprit perturbé et troublant de la basse bretonne qui puise son énergie sur les chemins d’une Bretagne ésotérique, aux falaises écorchées et à la végétation luxuriante, sur fond social et économique en crise. Le film et le livre deviennent ainsi complémentaires pour découvrir et comprendre cet effroyable fait divers et se rappeler une époque pas si lointaine, qui apparaît pourtant comme révolue et presque confidentielle.

Pour son premier long-métrage de fiction, Stéphanie Pillonca frappe fort et bien, prenant le risque de mettre à l’écran, dès le 18 janvier, le portrait d’une femme, née en 1803, en Bretagne, tuant impunément et dont, néanmoins, l’Histoire n’a pas retenu le nom. La réalisatrice, amoureuse de la région, se saisit de l’affaire, convaincue en lisant le livre de son potentiel cinématographique. Et elle a raison, le résultat est brillant et ingénieux.

Célian Ramis

Environnement : Voir la vie en bio

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Location: 
Ile-et-Vilaine
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La filière bio est actuellement en plein développement. La prise de conscience est lente, les modes de consommation difficiles à modifier et pourtant, 2016 est une année record. Pourquoi un soudain essor ? Rencontre avec celles qui ont décidé d'en faire leur mode de vie.
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À l’heure où Bayer rachète Monsanto, à l’heure où 3 millions de décès par an sont dus à la pollution atmosphérique, à l’heure où les articles, reportages et enquêtes se multiplient sur la mauvaise qualité d’une grande quantité d’aliments que l’on ingère quasi quotidiennement, à l’heure où les scandales autour des cosmétiques, bourrés de perturbateurs endocriniens, pleuvent, que faire ?

Tirer la sonnette d’alarme pour annoncer une catastrophe écologique ? Pour prévenir des problèmes de santé publique ? C’est fait. C’est en train de se faire. La prise de conscience est lente, les mentalités difficiles à changer, les modes de consommation complexes à modifier.

Sans se revendiquer militantes ou activistes du bio, les femmes rencontrées ce mois-ci ne baissent pas les bras et s’engagent dans une filière correspondant à leur mode de pensées et d’actions. Vers un environnement respectueux de la nature, du territoire et de soi.

La filière du bio s’apprête à battre son record de croissance d’ici la fin de l’année 2016. Selon les estimations de l’Agence BIO, le marché devrait rapporter 6,9 milliards d’euros en France. Une augmentation significative (1 milliard supplémentaire par rapport à 2015) qui confirme l’envol du secteur qui ne cesse d’attirer et de fidéliser un grand nombre de consommatrices et de consommateurs. Dans l’Hexagone, seul 11% de la population ne consommerait pas encore - d’aucune façon – des produits issus de l’agriculture biologique. 

Le dernier Baromètre Agence BIO / CSA, réalisé en 2015, montre que 9 français-es sur 10 consomment bio. Occasionnellement, en tout cas. Contre environ 5 français-es sur 10 en 2003. L’étude révèle également que 65% en consomment régulièrement – au moins une fois par mois – soit 28% de plus qu’il y a 13 ans.

Les magasins spécialisés se multiplient, la grande distribution s’embarque dans l’aventure en y dédiant plusieurs rayons plus par peur de perdre ses client-e-s que par éthique et les producteurs-trices s’engagent de plus en plus vers la filière bio. Ainsi, en juin 2016, la France comptait 31 880 producteurs-trices (plus de 2 000 sont en Bretagne, plaçant la région en 6e position sur 14) avec l’installation de 21 nouvelles fermes bio par jour au cours des six premiers mois de l’année. Et recensait au total 46 218 entreprises bio sur le territoire.

Le phénomène n’est pas récent, les premières boutiques bio datant du milieu du XXe siècle. Mais les comportements sont lents et difficiles à changer. Qu’est-ce qui précipite soudainement ces bouleversements ? Les raisons pour douter des produits vendus dans le commerce ne manquent pas.

Les produits laitiers ne sont pas nos amis pour la vie, la règlementation en terme d’abattage des animaux ne sont quasiment respectées, les conditions d’élevage des volailles font froid dans le dos, manger 5 fruits et légumes gorgés de pesticides et d’engrais n’atteint pas vraiment l’objectif d’une alimentation saine, les composants des cosmétiques plein de perturbateurs endocriniens sont pour certains nocifs pour la santé, les produits d’entretien remplis d’éléments chimiques…

LA PRISE DE CONSCIENCE

À la télé, à la radio, dans les journaux, articles, enquêtes, reportages et documentaires sont accablants et unanimes : il y a urgence. Urgence en matière de santé publique mais aussi en matière d’environnement. Ce sont là les deux motivations principales des consommatrices-teurs bio, qui sont pour la plupart des femmes. Pourquoi ?Certainement parce que ce sont encore les femmes majoritairement qui sont chargées des courses, de l’alimentation du foyer et des tâches ménagères. Certainement parce que ce sont les femmes qui consomment le plus de cosmétiques.

Ou encore parce que ce sont les femmes qui font l’objet d’un marketing ardu et disposent – puisqu’elles sont identifiées comme responsables des achats, mais les hommes commencent aussi à être de plus en plus visés et assiégés par la consommation à outrance - d’un large choix de produits, plus toxiques les uns que les autres (dissolvant, couleurs de cheveux, vernis, déodorant, gels douche, shampooings…).

Si les étiquettes pleuvent aujourd’hui pour signaler l’absence de paraben, d’aluminium, de parfum de synthèse, d’OGM ou garantir l’élevage en plein air, etc., la confiance est brisée. Ras-le-bol de ne pas savoir précisément d’où vient le produit que l’on achète et ingère. Le respect des client-e-s doit primer, tout comme le respect de la planète et les valeurs portées par les producteurs-trices de l’agriculture biologique.

Tout en maintenant une forme de vigilance vis-à-vis de la mention bio, que les grandes marques souhaitent coller partout sans véritable gage ni caution d’une véritable origine naturelle. Les modes de consommation évoluent et glissent doucement vers un « mieux consommé ». Les questions ont besoin d’être posées quant à la composition d’un produit et le rapport de proximité devient vite une nécessité. On s’intéresse alors aux circuits courts, on prête attention à l’origine du produit, à la saison d’un fruit ou d’un légume, du territoire et de ses richesses végétales, animales, etc. Comme avant.

Si ce n’est qu’avant, il en allait d’une évidence. Le capitalisme et le consumérisme n’étant pas encore passés par là. Aujourd’hui, « y a plus de saison ! » Une phrase qui résume bien les attentes et les réflexes. On doit pouvoir trouver de tout, tout le temps, partout. Sur les étals des marchés et des hypermarchés, les mêmes fruits et légumes viennent de partout, à l’année. Les saisons évoluent - à qui la faute ?! - mais notre capacité d’adaptation, elle, semble figée.

Les chiffres croissants de la filière bio démontrent que la dernière partie de cette affirmation est erronée. L’adaptation est lente, mais pas figée. C’est le discours que tou-te-s les acteurs-trices du secteur assènent au cours des interviews ou des événements, de plus en plus nombreux, autour du bio.

En septembre, le réseau Scarabée Biocoop organisait la 2e édition du Scarabio Festival à Rennes, en octobre (les 8 et 9), c’est au tour du salon Ille & Bio de s’installer à Guichen pour fêter ses 25 ans et en novembre, démarrent à Paris les 9e Assises nationales de la Bio pour réunir les membres du secteur, les nouveaux-velles porteurs-teuses de projets ainsi que les financeurs, et on en passe.

Des marchés bio fleurissent, comme tel est le cas le mercredi après-midi dans la capitale bretonne, au début du mail François Mitterand, les restaurateurs-trices optent désormais pour la démocratisation du bio dans les assiettes et les parents d’élèves réclament que cela en soi ainsi dans les cantines scolaires.

Là encore, la machine est difficile à huiler mais elle est en marche. Les enfants devenant un public important à sensibiliser.

UN ENGAGEMENT PERSO ET PRO

C’est en partie parce qu’elles sont devenues mamans qu’elles se sont intéressées aux plantes, aux huiles essentielles et à leurs vertus. Depuis octobre 2010, Delphine Ferrari commercialise ses savons, qu’elle fabrique de manière artisanale dans son atelier à Laillé. Cinq ans plus tard, le même mois, Emilie Briot lance son entreprise, Cosmétiques en cuisine, devenant animatrice en cosmétiques et produits d’entretien bio et proposant des ateliers à domicile ou à son local, à Gévezé.

Toutes les deux partagent un point commun. Avant de lancer la savonnerie La Dryade, cela faisait plus de 4 ans que Delphine avait commencé à créer ses propres produits. « J’avais une peau particulière et c’était dur de trouver un savon efficace dans le commerce. J’ai fait alors mes cosmétiques avec des produits naturels, pas forcément en bio. C’était d’abord un loisir créatif. », explique-t-elle.

À ce moment-là, elle est juriste, responsable formation en ressources humaines. Elle tombe dans « la savonite aigue », comme elle le dit en plaisantant. Elle aime assembler les composants, découvrir leurs effets et apprécier leurs qualités hygiéniques, réparatrices et protectrices. La jeune femme, alors âgée d’une trentaine d’années à peine, met en place une procédure rigoureuse pour limiter les dangers liés à la manipulation de la soude caustique (le produit liant qui permet aux huiles de se transformer en savon).

« On a déménagé en Bretagne, mon fils était déjà né et en arrivant ici, je ne voulais pas poursuivre mon métier. Je me posais des questions quant à la nourriture et aux soins pour un enfant et je voulais vivre responsable. Puis je me suis intéressée à la question du « consommer local » et sain. »
poursuit-elle.

Emilie Briot est venue elle aussi au bio par l’entrée personnelle, tout d’abord. Pour ses enfants, puis pour sa famille plus largement. Après avoir utilisé des huiles essentielles pendant plusieurs années, elle se forme aromathérapie familiale, commence à tester et fabriquer ses propres produits cosmétiques et ménagers. Assistante commerciale à l’époque, elle entame une reconversion professionnelle et repart en formation pour cette fois pouvoir animer des ateliers.

« Aujourd’hui, les gens s’alarment davantage et s’inquiètent de ce qu’ils mangent et de ce qu’ils se mettent sur la peau, de ce qu’ils mettent sur la peau de leurs enfants. Ils viennent dans les ateliers pour le côté « C’est sympa de fabriquer son produit ». Et c’est vrai, mais le but est aussi de parler des produits naturels. J’en parle beaucoup avec les enfants car j’interviens 3 jours par semaine dans les écoles, sur le temps périscolaire. », précise Emilie, 36 ans.

D’un métier prenant à un autre, les deux professionnelles affichent pourtant un soulagement et une autre manière d’envisager le travail. Une manière de penser qui relève de l’ordre de la passion et de l’engagement et moins du labeur contraignant. Comme si elles avaient été replacées au centre de leur vie professionnelle.

LE BIO, UNE ÉVIDENCE

C’est ce qu’évoque Sophie Persehais, agricultrice en plantes aromatiques et médicinales, implantée à Baulon. Cheffe de l’exploitation Le champ de l’air depuis 2009, elle a adhéré à l’agriculture biodynamique il y a 3 ans.

« C’est un courant agricole que l’on ne peut pas résumer en 3 phrases dans un article mais en gros il place l’agriculteur au cœur d’un système agricole vu comme un organisme vivant. On travaille avec tous les éléments, comme la lune par exemple. Je ne vais pas entrer dans les détails mais ce qui est important, c’est que c’est une agriculture qui repose beaucoup sur l’observation. On prend le temps de faire, on prend le temps de se poser et de regarder nos plantes. Et ça définit le boulot qu’on a car on voit des choses que l’on n’aurait pas vu dans l’urgence. », analyse Sophie.

Pour elle, le bio était une évidence lors de son lancement. Ses parents travaillent en agriculture conventionnelle et possèdent les valeurs agricoles, les valeurs de la terre et du respect de l’environnement. Elles sont trois sœurs mais elle est la seule à vouloir reprendre des parcelles agricoles. « Une volonté politique de conserver les petites exploitations. », surenchérit-elle.

Pourtant, elle exercera dans un premier temps la profession de professeure en communication avant de se former dans le domaine de l’agriculture et d’enseigner la biologie végétale er l’agronomie :

« J’adore la biologie ! J’ai vite pu constater les effets de synthèse, des éléments chimiques et autres. Je voulais revenir sur les terres familiales, travailler en micro-ferme, être tout le temps dehors dans mon champ. C’était logique pour moi d’aller vers le bio, je ne me suis pas posée la question. »

Même discours du côté de la créatrice de jardins biologiques et écologiques Pauline Beunaiche. Elle étudie les Arts appliqués au lycée, en Mayenne, et le design aux Beaux-Arts de Rennes. Son intérêt pour la conception de l’espace l’oriente vers les jardins et vers son premier coup de cœur pour le Domaine de Chaumont-sur-Loire, qui organise chaque année le Festival international des jardins auquel elle participe avec d’autres étudiant-e-s des Beaux-Arts.

« Nous n’avons pas gagné mais j’ai découvert quelque chose de très riche. Le jardin est un espace de liberté et de création, je ne l’avais jamais pensé comme ça. Pourtant, je suis issue de la campagne, mes parents et mes grands-parents jardinent… », se souvient-elle.

Pauline se lance alors dans un BTS en aménagement paysager, effectue plusieurs stages auprès de différents paysagistes et part 6 mois vivre à Berlin et travailler dans un bureau d’études dont la démarche artistique influencera particulièrement la jeune créatrice, de retour en France il y a 6 ans, qui s’établit à son compte en fondant La Racinais.

« Je ne me suis jamais dit que j’allais faire du bio, j’ai juste fait comme ça, naturellement. La plupart des paysagistes agissent de cette façon. »
souligne-t-elle.  

UNE SENSIBILITÉ AU SAVOIR-FAIRE ARTISANAL

Toutes les quatre agissent à leur échelle, selon leurs savoir-faire. Des savoir-faire qui s’acquièrent au fil du temps, sur le terrain. La fabrication des cosmétiques répond évidemment à une réglementation quant au procédé, à la recette et aux ingrédients pour l’obtention d’une certification bio.

La saponification à froid demande un respect minutieux des consignes, du dosage et des températures. Le séchage des plantes aromatiques requiert l’absence de lumière. Et la création des jardins exige des compétences en terme de conception de plans, par exemple. Mais chacune se forme essentiellement dans la pratique. Une pratique artisanale et manuelle. Sans oublier, par conséquent, très physique.

Par les tests qu’elles effectuent, les ratés qu’elles ont déjà essuyé de nombreuses fois, le soin qu’elles mettent dans le quotidien et par la curiosité qu’elles accordent à leurs domaines. C’est en échangeant avec les collègues, en se documentant, en posant des questions aux herboristes, aux pharmacien-ne-s, en lisant et en prêtant attention aux retours des client-e-s qu’elles apprennent, se renouvellent, se perfectionnent. Et qu’elles se différencient, avec une signature propre.

Aujourd’hui, nombreuses sont les personnes qui se lancent dans la filière. Il n’y a qu’à voir les chiffres. La conversion des éleveurs de vaches laitières est fluctuante et un développement de l’ordre de 30% est attendu d’ici 2018 dans le secteur du lait bio.

Plusieurs centaines de domaines viticoles s’engagent également depuis le début de l’année et les ventes de vin bio enregistrent une hausse de 10% sur le premier semestre, du côté des grandes surfaces.

Delphine Ferrari et Sophie Persehais le confirment, toutes deux installées dans des domaines peu développés jusqu’il y a peu. « Quand j’ai fait mon premier marché en 2010 à Cesson-Sévigné, les gens découvraient la saponification à froid. Je devais expliquer à chaque fois le procédé. J’étais quasiment la seule savonnière sur le territoire. Peut-être que La Cancalaise existait déjà… Mais on a dû faire beaucoup de pédagogie, et ça fait aussi partie de notre objectif d’expliquer l’intérêt de ce procédé (qui conserve la glycérine, permettant de protéger la peau, partie souvent retirée des savons industriels, ndlr). Maintenant c’est le boom ! Tout le monde s’installe. Sept savonneries se sont créées à Rennes et aux environs. Il faut beaucoup de temps et de pratique pour établir une formule qui fonctionne. Moi je me suis laissée le temps. », signale Delphine.

Pour Sophie, même son de cloches : « Quand je me suis installée, j’étais une des premières fermes en plantes médicinales. Il y avait peu de producteurs en Bretagne. Maintenant on est une cinquantaine en France, dont 5 en Ille-et-Vilaine. Depuis 10 ans, ça intéresse plein de gens ! »

LES CIRCUITS COURTS ET LOCAUX

Une obligation, désormais ? Presque. C’est en tout cas une nouvelle attente, un nouveau besoin réclamé par les consommateurs-trices. Pour le bien-être personnel, pour l’environnement. Mais aussi pour la production territoriale. Savoir ce que l’on mange, savoir ce que l’on consomme dans l’assiette, dans les crèmes, dans les verres ou dans les produits ménagers, c’est aussi savoir à qui on les achète.

Comme les AMAP permettent d’assurer un revenu plus juste à la personne qui produit ce qu’elle met dans les paniers, on tend aujourd’hui à se tourner vers les regroupements de producteurs-trices, pour plus de visibilité et de proximité. Delphine Ferrari tient particulièrement à ce que ces matières premières soient issues de l’agriculture biologique et tant que possible proviennent du coin pour fabriquer ces savons sans huile de palme, sans conservateur, sans colorant, ni parfum de synthèse, sans huile minérale ou animale.

« Je tiens vraiment à travailler cette solidarité en impliquant les acteurs locaux dans ma démarche. En arrivant ici, j’ai vu tout le tissu bio qui existait et il est vraiment très riche. Ce qui est intéressant, c’est que je me servais par exemple de l’huile de colza, de l’huile de chanvre, du miel, que j’achète dans un périmètre proche de chez moi, pour l’alimentaire. Et je m’en sers pour les savons. C’est aussi une manière de faire découvrir des produits du quotidien utilisés différemment et qui sont faits ici, chez nous. Pour les matières premières qui viennent de loin, j’essaye de limiter et de faire en sorte qu’au moins, elles soient issues du commerce équitable. Je sous-traite également l’emballage des savons, une fois qu’ils ont séché (une pièce est dédiée au séchage après la coupe, ndlr). Toutes les semaines, je les amène à l’ESAT de Bruz qui rassemblent des travailleurs handicapés. », s’enthousiasme-t-elle.

Et fan de légendes celtiques, elle marque son attachement au territoire dans les 13 formules qu’elle a développées (ainsi que dans les 2 inédites de Noël) mais aussi dans les noms qu’elle donne à ses savons : Avalon, Lancelot, Beltane, Fée Morgane ou encore Brocéliande…

Cette manière de travailler se retrouve chez Pauline Beunaiche, qui entreprend des jardins pour des particuliers, des coopératives – comme tel est le cas actuellement avec le potager installé devant le magasin Biocoop de Bruz dont elle entretien le suivi – ou par exemple d’une maison de retraite. Des missions stimulantes puisqu’il lui faut répondre à une commande, des exigences mais aussi des adaptations selon les profils.

« Parfois, j’ai des demandes pour simplement dessiner et élaborer un plan de jardin. Mais quand je réalise, je travaille en local. Avec un créateur de rosiers ou une productrice de graines et plantes sauvages. Ce que j’aime bien faire aussi, c’est de travailler avec les semis. Les gens ont envie de mettre la main à la patte, on garde donc des coins pour les récupérer les graines et les replanter. Les gens demandent des jardins vivants avec un éco-système qui va intégrer les insectes, etc. », déclare-t-elle. Le geste écologique est donc important et se développe petit à petit, à des échelles différentes.

« Ça peut être des échanges de pieds de plante par exemple, je leur propose quand ils sont dans un rayon de 30 kms autour de Rennes. Ou alors ils sont en quête de solution pour limiter l’arrosage, le désherbage. Ça demande moins d’entretien et ça répond à une démarche écologique en même temps. », poursuit Pauline qui a à cœur également de développer des animations autour du potager de la Biocoop de Bruz.

Voilà peut-être les raisons d’un engouement lent mais solide et créateur de liens sociaux et solidaires. L’essor du bio prend un tournant, délaissant quelque peu les réticences d’un prix trop élevé des produits. D’où l’importance d’un changement des modes de comportement, vers une consommation plus raisonnable, certes plus chère mais peut-être aussi plus juste dans la rémunération du producteur ou de la productrice.

« Pour en vivre, ça prend du temps. Moi, je travaille en manuel, avec une seule cuve et je suis toute seule. Faut pas compter ses heures ! J’ai choisi de ne pas pratiquer des prix trop élevés, 5 euros pour un savon, ça va. Il faut trouver le juste prix en fonction du juste travail. », livre Delphine Ferrari, rejointe par Emilie Briot : « Il faut relativiser, moi mes ateliers ne sont pas très chers (19 euros pour un atelier dans lequel on réalisera un produit cosmétique type crème de jour, huile sèche pailletée, stick à lèvres, lait pour le corps, ndlr) mais ce qu’il faut voir, c’est surtout que l’on paye très cher les cosmétiques bio et non bio dans le commerce. Il faut donc trouver un équilibre pour être rentable mais pas hors de prix par rapport à ce que coûtent les matières premières. »

ET LES FEMMES DANS LE SECTEUR DU BIO ?

Sans se laisser porter par l’utopie d’un système alternatif qui romprait totalement avec le capitalisme et le patriarcat, la filière bio serait-elle plus égalitaire ? Pas de chiffres probants sur le nombre de femmes et d’hommes dans le secteur. Soit la marque d’un avenir qui cesse de réfléchir en terme de sexe et de genre. Soit un désintérêt total pour la répartition au sein de la production.

Quoi qu’il en soit, Sophie Persehais conclut sur une note positive et optimiste : « Je ne sais pas ce qu’il en est en règle générale mais je vois qu’on est pas mal de femmes dans le secteur. En tout cas, je pense que les petites exploitations et micro-fermes en bio facilitent l’intégration des femmes. Alors certes, en réunion, je vois bien qu’on est parfois 2 femmes pour 10 hommes mais je n’ai jamais ressenti que je n’avais pas ma place ici. Je dirais plutôt que l’on ressent qui fait du bio, qui fait du conventionnel. Qui fait du lait, qui n’en fait pas. Car dans le coin, y a pas de mal de productions laitières. C’est donc plus en terme de techniques que ça se joue qu’en terme femmes/hommes. Et autour de moi, je vois que nombreuses sont les femmes qui sont cheffes d’exploitation. À côté, j’ai une copine boulangère en bio, c’est elle qui fait le pain, c’est son mari qui vend. Ici, je suis cheffe d’exploitation, je suis tout le temps dans le champ ou à bosser la production, mon compagnon est salarié, c’est lui qui fait les livraisons et j’ai deux autres salariés. On est tous d’origines différentes et tout se passe bien. Parce qu’on communique. J’ai fait une formation sur la communication non violente. », dit-elle en rigolant. Voilà qui donne à réfléchir.

Depuis décembre 2015, Priscilla Zamord et Julie Orhant ont créé La Belle Déchette, projet de ressourcerie intégré au réseau national des ressourceries. La structure répond aux 4 fonctions du label : la collecte et le tri, la valorisation des objets de seconde main, la vente à moindre coût et la sensibilisation à l’environnement. Du 2 septembre au 29 octobre, ateliers, causeries et étude-action ont été menés à l’occasion d’une résidence à l’Hôtel Pasteur, à Rennes. En parallèle, pour alimenter la matériothèque et se procurer un camion, La Belle Déchette cherche à lever des fonds sur la plateforme de crowdfunding, helloasso.com.

YEGG : Comment est venue l’idée de ce projet ?

Julie : J’ai une formation Gestion de l’environnement et je travaille dans la gestion des déchets. Après un an passé à Madagascar pour une ONG, à travailler sur la sensibilisation à l’environnement et la gestion des déchets, ce projet a muri dans ma tête et j’ai écrit un projet très synthétique. J’en ai parlé à mon entourage. Une personne que nous avons en commun avec Priscilla nous a mis en relation.

Priscilla : Je viens plutôt du milieu culturel et j’ai glissé vers le secteur de l’insertion sociale par la culture puis l’insertion professionnelle. J’ai été responsable de l’ancienne friperie solidaire à Rennes Chez Rita Love. Après un Master en politique sociale et insertion, j’ai été embauchée à Bruxelles, dans une ressourcerie, sous forme de boutique.

Je suis revenue ici et j’ai travaillé à Rennes Métropole au service insertion et emploi et j’ai rencontré une personne qui m’a mise en lien avec Julie. Moi, j’avais l’idée de créer une structure mais je ne savais pas trop sous quelle forme, sachant que j’étais très très inspirée par le modèle belge et qu’on est à Rennes…

Qu’est-ce qui change ?

Priscilla : Ce n’est pas le même territoire, ce n’est pas la même culture du réemploi. Les pays nordiques sont très en avance, ça fait partie des pratiques quotidiennes. Avec Julie, on a un intérêt fort pour ce genre d’activité et en même temps une envie de faire quelque chose de local. Sans oublier la volonté de décloisonner les pratiques, c’est-à-dire qu’on est aussi dans un système très franco-français.

Tout le monde est mis dans une case. Ici on est dans un projet d’économie sociale et solidaire qui a des ambitions à la fois économiques, culturelles, environnementales et sociales. Il nous faut donc mettre tous ces acteurs là autour de la table et leur dire « on peut créer des éco-systèmes ensemble ».

Julie : Se faire rencontrer des élu-e-s de différents domaines et leur dire que ce serait bien de concilier les atouts des uns et des autres pour créer un projet, ce n’est pas si évident que ça ici. Ça bouscule.

Qu’est-ce qui n’est pas si évident ?

Julie : Je pense qu’il n’y a pas d’interrogations. Dans les mentalités, les déchets, l’environnement et la culture, ce n’est pas évident de les lier.

Priscilla : C’est culturel. Je pense que c’est aux porteurs de projet de secouer un peu les choses. C’est une mentalité liée à un système bureaucratique, pas simple, qui a des injonctions fortes. Mais globalement, on arrive tout de même à avoir des soutiens des collectivités territoriales sur chacun des volets et ça c’est une entrée positive.

Maintenant notre enjeu c’est de mettre les gens autour de la table pour créer des passerelles. C’est ce qu’on essaye de faire avec La Belle Déchette et notamment l’étude-action que l’on a lancé début septembre. Au premier comité de pilotage, il y avait autour de la table les partenaires et les financeurs de tous les domaines. C’était très innovant. C’est de la co-construction.

Qu’est-ce qui ressort des ateliers de la résidence ?

Priscilla : C’est intéressant de voir comment les ateliers de réemploi sont une entrée possible pour travailler la sensibilisation à l’environnement, l’artisanat, le bricolage. De manière valorisante. Pas dans la contrainte de la réparation mais la joie de la création. Et ça, sans distinction de genre. C’est une entrée hyper chouette d’un point de vue social pour travailler sur les modes de consommation.

On a commencé à réfléchir à un partenariat avec le CCAS. Pour proposer des ateliers aux bénéficiaires du RSA, montrer comment sans avoir beaucoup de sous on peut vivre en toute dignité, en ayant accès à des objets moins chers mais aussi en redonnant une seconde vie à leurs objets et en étant sur des modes de consommation plus économiques. Et puis les gens se rencontrent, c’est du lien social. Toujours dans la bienveillance et la générosité.

Vous avez étudié, Priscilla, la place des femmes dans l’ESS, qu’en est-il ?

Julie : Les entrepreneurs sont majoritairement des hommes. Dans le monde du déchet, ce sont des hommes. Ça détonne un peu que l’on soit 2 femmes à l’origine de ce projet.

Priscilla : Les gros postes, c’est toujours les mecs. Y a plein de nanas mais elles ne sont pas à des postes à responsabilité. Dans l’ESS, c’est pareil, les décisionnaires sont des hommes. L’ESS, il y a beaucoup de branche. Le care, services à la personne, oui c’est très genré. L’insertion par le recyclage, c’est plus masculin.

L’insertion sur de la vente textile, ça va être plus féminin. On est toujours dans les mêmes lectures. De temps en temps on peut nous prendre un peu de haut, il y a parfois une certaine forme de paternalisme.

Julie : Après, à nous de faire nos preuves.

Priscilla : Je pense qu’on doit faire encore plus nos preuves parce qu’on est des nanas.

Julie : Je suis d’accord avec toi.  

Priscilla : Je trouve ça assez scandaleux dans le secteur de l’ESS. C’est mon point de vue. L’économie sociale et solidaire est fondée sur des principes d’égalité et c’est un modèle opposable à l’économie capitaliste classique où il y a une forme d’accès aux droits à l’entreprenariat, l’égalité des salaires, etc.

Il faut toujours avoir une forme de vigilance pour qu’on ne reproduise pas les mêmes schémas que dans l’économie classique. Après c’est quand même un mouvement qui aujourd’hui prend beaucoup d’ampleur…

Il y a de quoi être optimistes alors !?

Priscilla : Oui, Rennes, ça bouge ! Plein de choses émergent, dans l’économie sociale ou  classique. Ça met du temps pour faire bouger les mentalités décisionnaires. Mais c’est une posture politique aussi que la Ville de Rennes doit prendre. On est très soutenues par l’ADEME et Rennes Métropole. La Ville est un peu plus timide. Ce n’est pas financier mais dans les échanges…

La plus value d’un projet comme ça, ça a un impact économique en terme de création d’emplois, ça a un impact en terme de marketing territorial, Nantes l’a compris il y a 10 ans, et ça a un impact social parce que Rennes est une ville forte qui a développé la carte Sortir, qui a permis à des gens qui n’ont pas de sous d’avoir un accès équitable à pas mal de choses. On peut être utiles socialement dans la ville. Ça a aussi un impact environnemental et politique.

Aujourd’hui, certes la Ville nous aide indirectement parce qu’on est à Pasteur. Mais on demande une prise de position, une écoute. C’est ce qu’on attend de la Ville.

Julie : Après, on va vite aussi. Et on sait que pour les politiques ça prend du temps. À nous de leur insuffler ce potentiel. Pas uniquement pour La Belle Déchette.

Tab title: 
Le respect, notion phare du bio
Reconversion des modes de consommation et d'actions
Vous prendrez bien une p'tite coupe ?
La belle déchette, le nouveau visage de l'ESS rennais

Célian Ramis

LGBTI : La lutte pour la liberté

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Rennes
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Face à une homophobie décomplexée et des vies en état d'urgence, la communauté LGBTI poursuit le combat et entend bien ne rien lâcher. Pour une évolution des mentalités.
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Juin 2016. Deux hommes qui s’aiment, c’est dégueux. Deux femmes qui s’aiment, c’est deux hétéros mal baisées. Un-e bisexuel-le, c’est un pd ou une gouine qui ne s’assume pas. Une personne transgenre, c’est un-e malade mental-e. Un-e enfant intersexe, c’est inconnu au bataillon quasiment.

Juin 2016, la parole LGBTIphobe est décomplexée, ordinaire, virulente. Juin 2016. Il y a encore des lesbiennes, homosexuels, bisexuels, trans, intersexe, qui souffrent de rejet, de violences physiques et/ou verbales, se suicident ou meurent sous les balles d’Omar Mateen dans la nuit du 11 au 12 juin, aux Etats-Unis, dans une boite gay d’Orlando.

Juin 2016. La Marche des Fiertés défile dans plusieurs villes françaises, dont la capitale bretonne, et l’affirme haut et fort : des vies sont en état d’urgence, le combat continue.  

Drapeaux arc-en-ciel, trans et bretons se sont côtoyés le 4 juin dernier dans un centre ville rennais pas librement accessible, à l’occasion de la Marche des fiertés, inaugurée dans la capitale bretonne en 1994. Manifestation festive et colorée, elle permet de mettre en lumière la communauté LGBTI (lesbienne, gay, bi, trans, intersexe) qui porte, à l’année, des revendications fortes et essentielles à l’avancée d’une société encore trop inégalitaire, aux libertés individuelles et à la survie des un-e-s et des autres.

Parti de l’esplanade Charles de Gaulle, le cortège fait masse boulevard de la Liberté, samedi 4 juin. Plus de 2000 personnes marchent, chantent et dansent pour ce que l’on appelait communément la gay pride, qui rapidement à Rennes – une des premières villes à arborer cet intitulé avec Marseille - se nommera la Gay & Lesbian pride avant de devenir la Marche des fiertés.

Les slogans scandés - « Qu’est-ce qu’on veut ? L’égalité des sexes. Pour qui ? Pour tous ! », « Hollande, Hollande, t’as perdu les pédales ! », « Y en a assez de cette société qui ne respecte pas les trans, les gouines et les pédés ! » - se mêlent aux pancartes brandies – « Retirez votre sexe de mon état civil », « La bite ne fait pas le genre », « Je veux des papiers sans être mutilé-e », « On veut des droits, pas ton avis » - et à l’ambiance joyeuse qui émane des manifestant-e-s qui bougent au rythme de La Yegros et sa chanson entrainante « Viene de mi ».

En tête de manif’, Selene Tonon, vice-présidente du CGLBT de Rennes, et Roxane Gervais, membre de l’association également, se relaient au mégaphone à s’en casser la voix. Mais tant pis, elles ne lâchent rien. « Au début de la Marche, un mec m’a traitée de travelo. Je lui ai lancé : « On vous fait des bisous » ! Il est devenu tout rouge… », rigole Roxane dont la réplique bien sentie sera reprise par la foule.

« Je me suis permise aujourd’hui parce qu’aujourd’hui je peux lui répondre sans avoir peur ! », poursuit-elle, aux bras de sa compagne. Parce qu’aujourd’hui, Julien Fleurence, président du CGLBT de Rennes, le réaffirme du haut du bus stationné à République pour les discours : « Nous sommes fièr-e-s de qui nous sommes et de ce que l’on a acquis ! » Mais précise qu’à présent le goût de l’amertume et de la désillusion prend le pas sur la satisfaction des avancées sociales, dont aucune en revanche n’est à noter cette année.

Que l’espace public est toujours le « théâtre des discriminations et des violences ». Que la société stagne concernant les revendications LGBTI et que la haine perdure. Et pour de conclure, que des « vies sont en état d’urgence ». Le thème de cette édition étant : « Debout face aux discriminations. Nos vies sont en état d’urgence ».

REVENDICATIONS PRIORITAIRES

Dans les grandes lignes, le combat s’oriente vers la lutte globale contre les LGBTIphobies, la sérophobie et toutes les formes de discriminations. Ainsi que la lutte pour le droit à disposer de son corps et le droit de vivre sa vie sociale, sentimentale et sexuelle. Mais est-ce seulement envisageable quand la mutilation génitale est l’unique réponse à la naissance d’un enfant intersexe ? Quand le changement d’état civil ne tient qu’à la seule appréciation d’un juge et non de la personne concernée ?

À cette question, le député PS Erwann Binet répond clairement : « On n’est pas propriétaire de son état civil en France », ce principe d’indisponibilité provenant droit de l’époque napoléonienne. Pas propriétaire de son corps non plus, visiblement. Avec la socialiste Pascale Crozon, ils ont proposé un amendement – au projet de loi « justice pour le XXIe siècle » - visant à faciliter le changement d’état civil pour les personnes trans.

Un engagement que le président Hollande avait pris lors de sa campagne électorale en 2011/2012. Pourtant, début 2016, une femme trans – suivant un traitement hormonal depuis plusieurs années et ayant eu recours à plusieurs reprises à des opérations chirurgicales - se voit refuser sa demande car elle ne peut prouver son « impossibilité définitive de procréer dans son sexe d’origine », le tribunal de grande instance de Montpellier ayant jugé qu’il en allait là de la seule condition capable « d’entrainer le caractère irréversible de la transformation exigé par la jurisprudence ».

Résultant d’une condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’Hommes (CEDH), la jurisprudence évoquée fait état de l’arrêt de la Cour de Cassation du 11 décembre 1992 indiquant :

« Lorsque, à la suite d’un traitement médico-chirurgical, subi dans un but thérapeutique, une personne présentant le syndrome du transsexualisme ne possède plus tous les caractères de son sexe d’origine et a pris une apparence physique le rapprochant de l’autre sexe, auquel correspond son comportement social, le principe du respect dû à la vie privée justifie que son état civil indique désormais le sexe dont elle a l’apparence. »

Une avancée certes, mais qui suppose la transidentité comme une maladie mentale et impose des expertises médicales et psychiatriques douloureuses et humiliantes. Selene Tonon, femme trans, le confirme : « Beaucoup pensent que c’est une maladie mentale (jusqu’en 2010, la transidentité figurait sur la liste des maladies mentales, ndlr). Nous ne sommes pas reconnu-e-s comme légitimes par notre cadre culturel. Ce n’est pas envisageable de socialement passer d’un sexe à l’autre. »

Ainsi en mai 2010, une circulaire émise par Michèle Alliot-Marie, alors ministre de la Justice, préconise que les magistrats « pourront donner un avis favorable à la demande de changement d’état civil dès lors que les traitements hormonaux ayant pour effet une transformation physique ou physiologique définitive, associés, le cas échéant, à des opérations de chirurgie plastique (prothèses ou ablation des glandes mammaires, chirurgie esthétique du visage…) ont entrainé un changement de sexe irréversible, sans exiger pour autant l’ablation des organes génitaux. » Et par changement de sexe irréversible, il faut comprendre stérilisation.

L’amendement proposé par les députés socialistes est adopté le 19 mai par l’Assemblée Nationale après avoir subi la modification du texte à travers 3 sous-amendements. Pour obtenir le changement de sexe de son état civil, une personne transgenre devra apporter, devant le tribunal de grande instance, tous les éléments dont elle dispose pour prouver qu’elle vit et est reconnue dans une identité de genre qui ne correspond pas à son sexe biologique.

Révolutionnaire selon Erwann Binet, ce dernier se félicite d’abaisser la procédure de 3 ans à 3 mois, d’avoir démédicaliser le processus (pourtant, certificats et attestations médicaux restent dans la liste des pièces pouvant être présentés) et d’avoir légèrement déjudiciarisé la démarche.

Pour les associations LGBTI, « c’est un pas en arrière, très hypocrite en plus puisque cela a été mis en place avant l’été afin d’éviter une nouvelle condamnation de la CEDH », selon Chloé M., co-présidente de l’association nantaise TRANS INTER action, rejointe par Antonin Le Mée, porte-parole de la Fédération nationale LGBT qui considère cet amendement « pourri par rapport aux autres pays européens » comme « un couteau dans le dos, un retour en arrière », motivé par l’agenda politique.

Ce qui le conforte dans l’idée que les thématiques LGBT ont été abandonnées par les politiques publiques, même s’il admet que niveau santé, certaines avancées – dues au « travail acharné des associations et à une vraie volonté de la ministre de la Santé, qui tranche avec le reste du gouvernement » - sont à souligner, malgré la lenteur des petits progrès (comme par exemple l’ouverture du don de sang aux hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes, à condition qu’ils n’aient eu aucun rapport au cours des 12 derniers mois…).

Ce que les structures, militant-e-s et individu-e-s demandent : le changement d’état civil libre et gratuit sur simple déclaration de la personne concernée à un officier d’état civil, comme l’a obtenu la Norvège en juin dernier.

ÉLOIGNEMENT À LA CITOYENNETÉ

Pourquoi ? Parce que leurs vies sont en état d’urgence.

« La manifestation Existrans existe depuis plus de 20 ans à Paris et les revendications n’ont quasiment pas bougé. On ne lâche pas le morceau. C’est une question de vie ou de mort. Il faut une prise de conscience politique mais aussi une prise de courage. Le manque de courage, on l’a vu lors du mariage pour tous. Le gouvernement n’a pas eu le courage de dire aux défenseurs de la Manif pour tous qu’ils/elles étaient homophobes, clairement. »
explique Selene Tonon.

En France, les personnes transgenres représenteraient entre 10 000 et 15 000 habitant-e-s. Le chiffre est vague. Au moins, il existe. Et donne une idée de ce que l’on sait des femmes et hommes trans. Soit pas grand chose. Si ce n’est qu’ils/elles s’opposent à la norme cisgenre (personne dont le genre vécu correspond au genre assigné à la naissance).

Concernant le quotidien ? L’imagerie populaire voudrait y voir un public fragilisé, instable psychologiquement. Et concrètement ? La difficulté à vivre sa transidentité est indéniable. Pas dans la difficulté à assumer sa différence vis-à-vis de la norme mais dans l’éloignement à la citoyenneté, aux droits fondamentaux et à la liberté d’être soi sans se justifier. Chloé M. le rappelle : « Ce n’est pas un choix, ce n’est pas une orientation sexuelle et ce n’est pas une pathologie. »

Toutefois, les humiliations et les discriminations quasi permanentes laissent à penser qu’ils et elles sont considéré-e-s comme une population de seconde zone. « On peut souffrir de discrimination à l’emploi, à la Caf, face à l’administration, ou quand on va retirer un recommandé à La Poste, quand on subit un contrôle policier. », précise-t-elle.

Cela parce que leur apparence physique ne sera pas cohérente à la mention du sexe sur les papiers d’identité ou au chiffre sur la carte vitale (1 pour les hommes, 2 pour les femmes). Parce que le prénom ne sera pas en adéquation avec ce qui est écrit sur les documents d’état civil.

« Sur ma boite aux lettres, je ne mets que mon nom de famille. Mais très concrètement, on est obligé-e-s de se dévoiler tous les jours. C’est vraiment du quotidien. », souligne le porte parole de la Fédération LGBT. À partir de là, certaines démarches et certains lieux provoquent l’insécurité. À des endroits, il faudra se justifier et, dans la plupart des cas, observer en face des regards critiques et jugeants, quand ils ne sont pas dubitatifs et soupçonneux.

À d’autres, la transidentité sera révélée de force. Sans que cela vienne de la personne concernée. « Quand on se rend au bureau de vote, les accesseurs peuvent être des voisin-e-s. Au quotidien, ils ne savent pas. Leur donner sa carte, c’est un outing forcé auprès de potentiel-le-s voisin-e-s ou ami-e-s qui ne savent pas. Et au moment de voter, le règlement veut que l’accesseur donne l’identité civile à voix haute. », explique Selene Tonon.

LIMITES DU GENRE

Méconnaissance, ignorance, clichés et représentations fausses s’accumulent autour de ce sujet. Les médias se focalisent sur la transition et la diversité des exemples, la pluralité des personnes transgenres, n’est que trop rare. La vice-présidente du CGLBT se base par exemple sur le film The danish girl, réalisé par Tom Hooper, sorti en 2015, racontant l’histoire de Lili Elbe, artiste danoise, connue pour être la première personne avoir eu recours à une opération chirurgicale :

« L’histoire est mal racontée. Le film la montre moins épanouie après sa transition. C’est un contresens ! La transition est instrumentalisée. »

Elle décrit alors une préférence pour la série Sense8, réalisée par Lana et Lily Wachowski et J. Michael Straczynski, qui suit 8 personnages, dont une femme transgenre, interprétée par une actrice transgenre. Sa seule présence ne suffit pas à séduire Selene Tonon, c’est aussi parce que « la transidentité fait partie des qualificatifs de cette personne mais ne la définit pas. Elle est aussi hackeuse, activiste, bloggeuse, informaticienne. Elle est dépeinte de manière réaliste et dans une dimension intéressante puisqu’on la voit évoluer socialement et qu’on ne parle pas d’elle qu’à travers sa transition et du fait qu’elle soit une femme trans. Dans Orange is the new black, j’adore Sophia Burset mais elle n’est montrée qu’à travers la problématique trans. On ne la voit jamais pour autre chose, tout tourne autour de ça, c’est dommage. »

Pour Antonin Le Mée, les représentations et possibilités de visibilité représentent des moyens de lutte contre les mentalités conservatrices. Mais il ne peut que constater que rare sont les personnes trans à être connues.

« On en voit, elles sont bien intégrées dans les milieux dans lesquels elles évoluent mais en effet, il n’y a pas beaucoup de représentation. La difficulté réside dans la situation précaire qui entoure souvent les personnes transgenres. Moi, je sais que j’ai mon employeur derrière moi, sinon je ne prendrais pas le risque de dire que je suis un homme transgenre. »
affirme-t-il.

Et les hommes, justement, sont encore moins présents dans les images, articles, témoignages, postes à responsabilité, etc. Dans l’opinion publique, « la transidentité égratigne la virilité. Et un homme trans, c’est quelqu’un qui s’élève au dessus de sa condition de femme, analyse Selene Tonon. Tout ce qui dévie des normes de genre provoque des hostilités. »

À la naissance, deux possibilités. Posséder un sexe féminin ou un sexe masculin. En fonction de cela, l’injonction sera de correspondre au plus près des assignations de genre attribuées à chaque sexe. Des assignations qui conditionneront des comportements, des tempéraments, des orientations scolaires et professionnelles et même des orientations sexuelles, la norme étant l’hétérosexualité, supposée ou avérée (si tant est que l’on puisse avérer un type de sexualité).

Et ces sexes de naissance définiront également une hiérarchisation : le masculin prévalant automatiquement sur le féminin. D’où le problème pour l’évolution des mentalités. Le conditionnement et le cadre culturel et éducatif actuel, inconsciemment, ne permettant pas aisément de comprendre le mal-être d’une personne non cisgenre.

Et ne permettant pas de comprendre la motivation d’un homme, supérieur par définition, à devenir une femme, inférieure par définition. Et ne permettant pas, surtout, d’admettre l’inverse. C’est par là penser qu’il s’agit d’un choix et non d’un besoin vital. C’est nier la violence véritable à naitre dans un corps biologique qui ne correspond pas à ce que l’on ressent.

L’IMPACT DE LA BINARITÉ

C’est nier également la possibilité de naitre avec les deux sexes, comme tel est le cas d’un enfant intersexe. Quand on parle de représentation, les personnes intersexuées figurent certainement parmi les plus invisibilisées.

« Les médecins estiment avoir le savoir. Le savoir c’est qu’on ne peut pas bien vivre avec les deux sexes. À la naissance, on choisit donc un sexe, pour l’enfant, sans son consentement, évidemment. On mutile un enfant. »
explique la co-présidente de TRANS INTER action.

Un acte barbare que l’on pense dans l’intérêt de l’individu-e, sans jamais tenir compte de la manière dont ils/elles vont grandir et ressentir ce vécu. « Ce serait plus sain de les laisser grandir puis choisir eux-mêmes. Surtout que la différence entre les filles et les garçons n’existe que sur les organes génitaux avant l’adolescence. Hormonalement, à 8 ans, il n’y a pas de différence. On voit une différence à la coupe de cheveux seulement (puisque dans l’idée stéréotypée, une fille a les cheveux longs et un garçon les cheveux courts, ndlr). C’est donc possible de le faire évoluer comme n’importe quel gosse. », signale Selene Tonon qui précise que l’acte de mutilation génitale sur un enfant intersexe est conforme à l’idée que l’on a de la binarité : « Et à cause de ça, on leur crée du dommage. »

Le mot est lâché, la binarité est problématique. Être homme ou être femme. Être hétéro ou être homo. La rigidité du système se reflète dans tous les aspects de la société. Et est flagrante au niveau administratif. Les formulaires ne donnent pas le choix : homme ou femme. 1 ou 2. Pas de place pour la nuance. Pas de place pour la complexité. Pas de place pour la liberté.

La liberté de ne pas vouloir se définir dans un langage binaire. La liberté de ne pas vouloir des cases et de leurs assignations sexuées. Antonin Le Mée l’explique parfaitement : « Il y a un blocage sur le genre, une dichotomie genre et sexe dont découle la répartition des rôles. Les formulaires ne donnent pas des droits mais ils participent à la construction de la société. Tout le monde est confronté à des problèmes de binarité. Mais on s’habitue car on évolue dans ce système et on finit par ne plus le voir. »

SEXISME ORDINAIRE ET DÉCOMPLEXÉ

La binarité découle d’un fait biologique, récupéré ensuite par une société rigide, préférant simplifier les données et les catégories, plutôt que d’être moralement attentive aux besoins des un-e-s et des autres. « Trop compliqué », dira la majorité de la population (blanche, hétéro, cis) qui se dira pourtant ouverte et favorable à la liberté sexuelle et à l’égalité des sexes.

Le sexisme, ordinaire et intégré, se greffe à la norme. Conservé et conforté sans remise en question, il peut en résulter alors les LGBTIphobies. En 2012/2013, le mariage pour tous verra naitre un mouvement d’opposition important, la Manif pour tous. Et verra les langues se délier. Le cadre politique laxiste entrainera les relents homophobes à exploser, sans complexe.

On tolérait les couples de même sexe mais on ne pourra accepter qu’ils obtiennent les mêmes droits que les couples de sexe opposé, ayant accès au mariage, à l’adoption et à la PMA. Voilà le discours que diffuse librement les opposant-e-s à l’union des couples homosexuels, hommes ou femmes. Un discours violent, agressif, insultant et humiliant qui amènera également une recrudescence d’agressions physiques ou verbales, comme le souligne chaque année le rapport de SOS Homophobie.

L’actualité récente est encore marquée de barbarie. Le massacre, à Orlando, d’une cinquantaine de personnes fréquentant dans la nuit du 11 au 12 juin la boite LGBT « Pulse » a fait trembler une partie de la population mondiale. La tuerie a ému, c’est certain. Mais finalement a beaucoup moins intéressé la presse que d’autres attentats survenus en 2015 et en 2016. Le 13 juin, place de la Mairie à Rennes, un rassemblement est organisé en hommage aux victimes et en soutien aux proches.

La vice-présidente du CLGBT prononce un discours et l’affirme : ce n’est pas une surprise. « Dans le sens où vu les tensions à l’échelle mondiale, on savait depuis un moment que ça nous pendait au nez un massacre LGBT. On a rapproché ça d’un acte terroriste, pour moi, c’est plus un problème de LGBTphobies. Et le fait que le tueur fréquentait la boite ne veut pas dire que ce n’est pas de l’homophobie. L’homophobie intériorisée existe et c’est tout aussi homophobe. », explique-t-elle.

Et si le mois de juin a vu un retour de la Manif pour tous à Rennes, autour de la famille et de la GPA, elle ne s’inquiète pas, le mouvement est mort dans l’œuf : « Il ne faut pas baisser nos gardes, les réac’ ne lâchent pas, et on ne peut pas les laisser parler comme ça dans le centre ville mais ils sont hyper minoritaires. À République, ils étaient quelques dizaines. En s’organisant la veille, les militant-e-s LGBT étaient 3 fois plus nombreux/euses. »

FAIRE BOUGER LES LIGNES

La Manif pour tous ne serait plus une menace a priori. Mais les LGBTIphobies décomplexées font toujours rage. La vice-présidente du CGLBT, le porte parole de la Fédération LGBT et la co-présidente de TRANS INTER action sont convaincu-e-s et unanimes : pour désarmorcer les phobies, cela doit passer par l’éducation. Pas n’importe laquelle. L’éducation populaire.

C’est à ce titre-là que l’association Aroeven Bretagne (Association Régionale des Œuvres Éducatives et des Vacances de l’Éducation Nationale) a créé le projet « X,Y,Z… », à la suite d’un constat porté par un groupe de militant-e-s souhaitant réfléchir aux nouvelles problématiques auxquelles ils/elles étaient confronté-e-s sur le terrain ou dans leur posture de formateurs/trices et intervenant-e-s en milieu éducatif et scolaire.

Les questions de genre apparaissent très rapidement, avec l’envie de prendre le temps d’explorer ce qui se fait sur le terrain, ce qui se fait ailleurs, avec en parallèle des recherches individuelles visant à l’apport de connaissances et la mise en perspective des problématiques. L’objectif : sensibiliser et éduquer aux discriminations sexistes.

Développé à Rennes, ce projet, visant un public de 13 à 18 ans mais aussi les acteurs éducatifs, prendra une dimension européenne, réunissant en octobre prochain 7 pays ayant répondu à l’appel à candidatures (l’Italie, Malte, la Turquie, l’Espagne, la Bulgarie, la Croatie et la Pologne). « L’idée pendant la formation européenne est d’échanger autour des bonnes pratiques, des réalités de chacun, des politiques nationales, locales, de partager des ateliers et des outils. », explique Geoffrey Vigour, coordinateur de projets et formateur à l’Aroeven.

Parmi les sujets proposés et retenus pour octobre : Les difficultés rencontrées par la communauté LGBTI, l’impact des images et de la presse, les rôles et les genres, l’impact de la culture et de l’Histoire sur les représentations ou encore la construction de la virilité et de la féminité. Conscient des discriminations liées au sexe, le groupe souhaite :

« ne pas s’enfermer dans l’égalité filles/garçons mais vraiment orienter le projet sur les discriminations liées à l’identité sexuelle, au genre. Ne pas s’arrêter à ce que la biologie définit, tout en étant prudents sur les questions que l’on ne connaît pas, que l’on ne maitrise pas. »

C’est pourquoi l’association d’éducation populaire ne compte pas œuvrer seule mais avec un tissu de partenaires spécialisés sur ces questions comme Liberté Couleurs, Questions d’égalité, le Planning Familial 35, l’académie de Rennes, la délégation Droits des femmes et égalité des sexes de la Ville de Rennes, pour n’en citer que quelques uns.

À la suite de la formation européenne, un plan d’actions devrait être mis en place. Viendront alors les temps d’échange avec les jeunes rencontrés lors de séjours éducatifs, d’interventions scolaires ou de BAFA. La volonté de l’Aroeven étant de discuter et donner la parole aux différents publics afin de réfléchir et s’organiser ensemble autour des solutions à apporter, à envisager.

« On pourra aussi à notre échelle sensibiliser et former les militant-e-s de l’Aroeven, qui peuvent être formateurs/trices BAFA, ou directeurs/trices, et ainsi faire des passerelles. », explique Geoffrey Vigour.

Antonin Le Mée en est convaincu également, la formation des professionnel-le-s, la sensibilisation d’un public, etc. participent à la déconstruction des petits mécanismes. « Au TEDex, j’ai fait une intervention sur la binarité. Les gens comprennent quand on leur explique. Ensuite, il y a l’effet ricochet : en changeant les choses autour de soi, la culture de l’égalité infuse. À petite échelle, je sensibilise les clients de ma boite, les gens de ma boite, les gens de la French tech qui me connaissent, les stagiaires, etc. ça touche du monde et c’est en éduquant que l’on fait bouger les choses. », dit-il.

Le message est clair : le combat est long, la confusion forte, la haine néfaste. Mais la lutte continue et ne s’essouffle pas. « Il ne faut rien lâcher. C’est l’opiniâtreté de certain-e-s qui fait que ça évolue. Les règles s’assouplissent car les plaintes s’accumulent, que la sensibilisation agit et que ça se diffuse dans les cercles de l’entourage de chacun. C’est long mais ça fonctionne. », conclut-il.

 

Tab title: 
LGBTI : Des vies en état d'urgence
Contre les LGBTphobies : ne rien lâcher !
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Charte de l'AJL : "Les médias contre l'homophobie"
Coming-out : l'intime est politique

Célian Ramis

#Trans2016 : Convocation d’artistes engagé-e-s

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Parc expo, Rennes
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La légende des Trans Musicales voudrait que le vendredi soit le meilleur soir du Parc expo. C’est pourtant la programmation de ce samedi 3 décembre qui a révélé les sensations les plus puissantes.
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La légende des Trans Musicales voudrait que le vendredi soit le meilleur soir du Parc expo. Pour la rédaction, c’est pourtant la programmation de ce samedi 3 décembre qui a révélé les sensations les plus puissantes.

AISHA DEVI – HALL 9 – 23H

Après une dizaine d’années à se produire sous le nom de Kate Wax, la voilà de retour sous son vrai nom, Aïsha Devi. Dans le hall 9, devant ses platines et son ordinateur, elle est plongée dans le noir. Seul un grand écran l’éclaire, diffusant images et vidéos à l’esthétique psychédélique subjuguante.

La programmation parle même de « créations psychédéliques et transhumanistes du photographe et vidéaste Emile Barret ». On ne savait pas réellement à quoi s’attendre, on se réservait la surprise pour le live. À l’écran, ce sont des images détourées de statuettes égyptiennes et incas et des gravures bibliques qui défilent avec en fond un homme au visage entièrement maquillé et au look tribal, qui danse une sorte de trans.

Au fur et à mesure du concert, les clips évoluent. On voit alors passer des têtes de mort, des dessins d’hommes éventrés, des dessins anatomiques ou encore des formes démultipliées à la manière d’un kaléidoscope. Aucun doute, l’œil est accroché.

Il est même fait prisonnier de cet étrange dispositif qui tend à dévoiler des images de plus en plus trash, laissant apparaître des scènes de domination, d’asservissement, quasiment de torture, ainsi que des corps déchiquetés et mangés par des humains avant de laisser place à des images de nains indiens.

Et malgré la violence de certains visuels, il est difficile d’en détourner le regard. Comme s’il s’agissait là d’un acte volontaire pour se laisser guider vers une hypnose certaine, clef d’un état de transe à venir. Car la musique que produit Aïsha Devi est plus qu’une incantation. Elle est un rite initiatique au chant chamanique.

Ces influences népalaises et orientales, qu’elle puise dans ses origines, résonnent dans les percussions mais aussi dans sa voix. Une belle voix amplifiée qui inonde par vagues récurrentes le hall 9. Ce sont surtout des vocalises qu’elle développe et qu’elle enveloppe de quelques paroles qui sonnent comme une langue ancienne et morte.  

Les modulations de sa voix impressionnent. Et viennent se fondre dans les sonorités techno et robotiques. Aïsha Devi nous plonge dans un univers plutôt angoissant dans lequel on avance très lentement, prudemment, face à une lumière aveuglante. On est comme happé-e-s par ce halo imaginaire hypnotisant et intriguant.

On est pris-es dans la toile de cette chimère envoutante. Notre esprit voudrait changer d’air mais notre corps s’y refuse. Il faut affronter les notes stridentes qui déraillent comme des cris. Des sons insupportables et intenables, comme si on nous cisaillait les tympans. Mais le hall 9, pas encore bondé, semble suspendu. En attente d’une explosion électro et post dubstep, qui arrive sans trop languir.

La foule se met doucement en mouvement, synchronisé et cadencé. Elle répond présente et partante à l’univers infernal et chaotique d’Aïsha Devi qui finit ces morceaux en atteignant le sublime à travers des a cappella surnaturels et purs, bruts. L’artiste soprano crée la déroute et on accepte rapidement cette expérience insolite.

Sa voix puissante et magnifiée nous hisse au sommet d’une chaine de montagnes népalaise, où la neige et la roche, divines, s’entrelacent, comme les mandalas et les dessins d’enfants qui s’enlacent sur le grand écran qui trône sur la scène du hall 9.

 

REYKJAVIKURDAETUR – HALL 8 – 2h10

On les attendait avec impatience depuis la découverte de la programmation. Les filles de Reykjavik – traduction littérale de Reykjavikurdaetur – sont nombreuses. Plus d’une dizaine foulent la scène du hall 8 pour y mettre le feu nourri de leur talent de rappeuses et leur féminisme exacerbé.

Elles arrivent vêtues chacune d’une chemise blanche et d’un dessous type body ou t-shirt et shorty et donnent le ton d’entrée de jeu. Elles assument tout. Elles ont la pêche, des choses à dire, des messages à faire passer et du plaisir à (se) procurer. Et surtout, elles affichent une véritable envie de faire ce que bon leur semble.

S’allonger, vapoter, danser ou autre, tout est permis pour ces Islandaises qui alternent entre l’anglais et leur langue maternelle. Leur rap est métissé. À la fois tranchant, il peut être également langoureux comme festif et joyeux, bestial comme combattif et cru.

Si elles chantent en solo, en duo ou en trio, les autres restent présentes. Ensemble, elles font poids, elles font corps, et cette unité massive donne la sensation que les membres du collectif possèdent la scène et la maitrisent.

Autant que les discours qu’elles diffusent. « Cette chanson parlait de moi et mon mec, qui est un naze. Donc appelez-moi ! », lance l’une à la fin d’une chanson. « Celle-là est dédiée à mon ex : FUCK YOU ! », scande une autre quelques minutes plus tard, ajoutant en conclusion : « Il va brûler en enfer, je vous le jure. »

Armées de leurs voix et de leurs textes cinglants, elles optent également pour une attitude terriblement rafraichissante. Une attitude rap parée de grands sourires qu’elles conserveront jusqu’au bout du concert. Sans oublier la fraicheur de leur jeunesse revigorante qui claque sur leurs visages enjoués.

Elles font rapidement tomber la chemise, mais pas forcément la serviette que certaines ont sur leurs épaules, telles des boxeuses prêtes à mettre leurs adversaires KO, à coups de palabres bien senties. Elles assument leur corps, leurs formes, leur féminité, leur masculinité, leur humanité, leur sensualité, etc. Elles sont inspirantes.

La musique, travaillée par la DJ derrière ses platines au fond de la scène, est rythmée, puissante, changeante et évolutive. Elle peut être déstructurée par moments, ronde sur d’autres temps mais toujours pleine de vibrations et de profondeurs. À cela s’ajoute une diversité des voix qui tirent parfois sur de la soul et du r’n’b.

Elles s’affichent libérées, n’hésitent pas à mimer des branlettes, faire des gros doigts d’honneur, se mettre la main sur le sexe ou encore à onduler le corps. Affranchies des assignations qu’elles combattent dans leurs chansons, elles se font du bien et nous font du bien. Nous donnent la hargne tout en nous apaisant l’esprit.

Et quand elles demandent qui a envie d’un doigt dans le cul, tout en interprétant une chorégraphie lascive en mode « chevaucheuses », le public s’emballe. Leurs sourires ne les quittent pas. Au contraire, ils s’agrandissent. Tout comme leur énergie mordante et enthousiaste. Elles parlent de sexualité, de sodomie, de plaisir. Car le droit de parler de sexe n’est pas l’apanage des hommes.

« Nous pouvons faire ce que nous voulons. Je peux porter ce que je veux porter, boire autant que je veux et ne pas demander l’autorisation. », lâchent-elles vers la fin du set. Reykjavikurdaetur a quelque chose de contagieux. Et on espère que le message girl power, d’émancipation, pour le droit à disposer de nos corps et de nos vies, sera entendu de tou-te-s.

 

SAUROPOD – HALL 3 – 2H30

C’est sur les chapeaux de roue donc que l’on déboule dans le hall 3, pour la deuxième moitié du concert de Sauropod. Le trio norvégien a déjà bien réchauffé le public de son rock saisissant qui nous embarque instantanément dans son univers, qui n’est pas sans rappeler celui de Nirvana.

Ou du moins le temps d’une chanson. Car lorsque Jonas Royeng (guitare et chant) et Kamilla Waal Larsen (basse et chant) donnent de la voix en chœur, l’ensemble fait davantage écho aux Pixies. Leurs influences rock alternatif des années 90 ne sont pas dissimulées.

Elles planent au dessus du groupe, sans toutefois tomber dans des imitations caricaturales ou lassantes. Au contraire, Sauropod propose une énergie nouvelle, renforcée par un jeu de batterie puissant et la rapidité du guitariste dans l’exécution des notes et accords, produisant un rock déjanté.

Les chansons passent comme des éclairs. L’effet est fulgurant. On n’en a jamais assez et on ne s’ennuie pas une seconde.

Le trio fait naitre un sentiment d’urgence. De celui que l’on aime voir aux Trans Musicales. De celui qui puise dans des guitares saturées et des chants viscéraux.

On se laisse alors complètement subjuguer par les créations de Sauropod, qui nous bringuebalent à toute berzingue dans des courses poursuites psychotiques. Lui a la mâchoire serrée, une voix nasale et la gorge striée de veines prêtes à éclater. Elle, a une voix aérienne, sécurisante et marquée de simplicité. Sans artifices.

Et quand ils allient leurs voix, l’osmose de leurs contrastes est sublime. Le trio renvoie le sentiment d’un besoin vital de s’exprimer. Une nécessité à être là et envoyer ce rock acidulé, qui ne manque pas de piquant, et s’emplit au fil des chansons d’émotions authentiques et communicatives.

C’est une évidence. Un plaisir qu’ils partagent entre la scène et le public et qui se voit sur leurs visages. Dans un bien autre style que les rappeuses islandaises, les punks rockeurs norvégiens apportent une touche rafraichissante à la musique et à la soirée, à travers une proposition forte et joviale.

L’opportunité de terminer la 38e édition des Trans Musicales par deux véritables coups de cœur. Dommage que les deux projets aient été superposés dans la programmation. Quoi qu’il en soit, on retiendra ces artistes parmi les révélations du cru 2016.  

Célian Ramis

Queen Kong, la liberté de l'imagination

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Le Triangle, Rennes
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Les 18 et 19 octobre, la compagnie La BaZooka présentait Queen Kong au Triangle. Un conte philosophique destiné au jeune public interprété par trois danseuses pleines d’énergie et d’humour.
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Les 18 et 19 octobre, la compagnie La BaZooka présentait son spectacle Queen Kong au Triangle, à l’occasion du festival Marmaille. Un conte philosophique destiné au jeune public interprété par trois danseuses pleines d’énergie et d’humour.

Le Prince n’est plus là et dans la forêt, les trois reines Kong dansent, jouent, courent, crient et chantent. C’est un univers fantasque et fantasmagorique que recrée ici la compagnie La BaZooka, dans un jeu de sons et de lumières. Car sur scène, c’est un décor épuré qui se présente à nous. Trois danseuses et un tas de bûches trônent face à la salle.

Elles pourraient être des nymphes. Des divinités de la Nature. Autour d’une bûche qui pleure sa souffrance ou son angoisse, elles tentent d’apaiser la source de ses cris. Leur langage est animal, primitif. Leur danse est légère et virevoltante.

S’engage alors un air d’opéra et résonne la voix de la célèbre cantatrice italienne, Cecilia Bartoli, qui soudainement habite la danseuse Taya Skorokhodova, déclenchant instantanément les rires des enfants. Un instant lyrique et poétique qui ne s’installe que pour quelques minutes avant que les créatures à l’enveloppe charnelle humaine ne se dissipent dans l’environnement qui les entoure.

L’apaisement ressenti au préalable se transforme alors en virée nocturne cauchemardesque. On s’imagine pris-es au piège d’un mauvais rêve. Peut-être encerclé-e-s par des bois malveillants, nous poursuivant avec une hache avant que les rôles ne s’inversent et qu’apparaisse une femme coussins et que les riffs rock ne transfigurent cette énergie négative en force puissante.

Dans Queen Kong, le trio joue à se faire peur, fuit à vive allure, saute, danse, s’amuse, trébuche, s’étale au sol et ressuscite. Les danseuses écoutent, observent, entrent dans un état proche d’une transe chamanique, sont menacées par une bête sauvage dont elles viennent à bout, en prenant les armes.

« Qu’est-ce que c’est le sauvage au féminin ? », s’interroge il y a 3 ans Sarah Crépin, chorégraphe et interprète pour La BaZooka. À cette époque, elle est intriguée par la relation entre le féminin et le sauvage, notion machinalement – et injustement - imaginée au masculin.

« J’avais besoin de la forêt, de me plonger dans cet univers. La forêt c’est le lieu de tous les possibles, de la quiétude, de la métamorphose, du danger. Un lieu où on est abrité-e, où il y a du passage et où on peut être au cœur de soi-même. Je voulais aller vers une féminité qui n’est pas lisse et qui est puissante et enfantine, dans le sens où dans l’enfance nous ne sommes pas encore modélé-e-s aux codes du citoyen. », explique Sarah Crépin.

Sur chaque spectacle, elle travaille avec Etienne Cuppens, metteur en scène de la compagnie. Ensemble, ils ont confronté leurs idées et envies. Ils procèdent par propositions et oppositions, en essayant toujours de ne pas s’encombrer des préconçus.

« C’est très sauvage comme manière de travailler. On a fonctionné à 4 sur la danse (avec Léa Scher et Taya Skorokhodova, les deux autres danseuses de Queen Kong, ndlr), en laissant une chance à la maturité des idées. Ne pas les balayer quand on pense que ça ne marche pas, mais prendre le temps de voir comment elles évoluent et comment elles peuvent exister dans le corps de chacune. », précise la chorégraphe.

Le metteur en scène la rejoint : « On ne veut pas figer les choses. On essaye d’agir de manière très libre. Par association d’idées, avec beaucoup d’improvisation et de l’évolution au fil des répétitions. C’est aussi un travail de transmission. On voit ce qui s’adapte aux corps des interprètes, ce qui se passe à travers la puissance du groupe et comment cela résiste au temps et à l’accueil des enfants selon les représentations. »

Un discours qui symbolise bien l’esprit de la compagnie, qui défend la volonté de réfléchir autour de la notion de libertés. Liberté individuelle mais aussi liberté au sein d’un groupe. Parce que l’idée du maitre et de l’élève, voir de l’esclave, figure dans l’ADN d’un-e danseur-euse, selon Sarah Crépin, qui ajoute :

« En grandissant, on a envie de ne plus se laisser dominer et c’est une lutte de tous les jours pour arriver à s’émanciper, de décider de sa vie, d’investir le monde, d’affirmer sa position. Dans Queen Kong, il y a beaucoup d’élans, des danses enfantines, des poursuites, des corps au sol, des bagarres… Ce sont des figures très riches, très intéressantes et libres ! »

Et ce ne sont pas Léa Scher et Taya Skorokhodova qui iront à l’encontre de cet esprit, après avoir éprouvé l’expérience « du sauvage et du noble, de l’animal que l’on met debout », selon Taya. Pour Léa, « le plateau est devenu un terrain de jeu, permettant énormément de libertés. »

Ce conte philosophique, et cubiste comme le définit justement Etienne Cuppens, convoque l’imaginaire de celles et ceux qui le découvre. « C’est ça la liberté individuelle, conclut Sarah Crépin. Pouvoir s’inventer des histoires avec son imaginaire, voyager, avoir son libre arbitre… C’est très précieux et il faut le préserver. »

 

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