Célian Ramis (ouverture avec Maryse Berthelot)

Poils et tétons : rien à cacher !

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Les poils et les tétons dérangent quand ils apparaissent sur le corps des femmes. Pourquoi ? Qu'en pensent les personnes concernées ?
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Couvrez ces tétons et lissez vos guiboles ! Soyez décentes, Mesdemoiselles et Mesdames. Un peu de « bon sens », bordel de cul ! Nos gouvernants l’exigent de vous. Conformez-vous. Et éduquez vos filles pour que dès à présent, elles adoptent une tenue républicaine.

Sortez du droit chemin, de ces prétendu-e-s « codes » et « réglementations » - invoqué-e-s pour clore une polémique, lancée accessoirement par nos dirigeants qui surenchérissent à leur propre connerie – et vous serez punies. WTF les gars ? Nos corps, nos choix !

Nous sommes en 1830. Eugène Delacroix vient de peindre La liberté guidant le peuple. Au centre de son tableau, entourée d’hommes, trône Marianne, dans le feu de l’action, une arme dans une main, un drapeau français dans l’autre. Elle est conquérante. Elle est puissante cette femme du peuple à l’allure de déesse grecque.

Nous sommes en 2020. Elle tourne la tête, interloquée par cet homme qui charge son fusil et le pointe dans sa direction : « C’est tenue correcte exigée ici. Range-moi ce nibard ! Et puis baisse le bras, sérieux, la touffe de poils accrochée à ton aisselle, ça fait dégueu. T’es pas une meuf ou quoi ? » Alors, Marianne rentre chez elle, la mine blafarde.

Elle enfile un vieux futal troué, un tee-shirt « Sans Hermione, Harry serait mort dans le tome 1 », monte sur les barricades en courant, brandi son bras, tend son poing en l’air, lève le majeur et crie « Liberté, égalité, sororité ! » 

Les femmes ont des tétons et des poils. Les hommes ont des tétons et des poils. Jusque là, tout va bien. Nous sommes bel et bien de la même espèce. Oui, mais quand on parle des hommes et des femmes, on aime bien jouer au jeu des 7 différences, histoire de légitimer la hiérarchisation existante.

Sinon les arguments misogynes et sexistes ne tiennent plus et ça, c’est franchement (pas) dommage. Ainsi, il a été décidé que le poil serait viril et, par conséquent, masculin. Le couperet tombe et rase les poils naissant sur le corps des femmes. Pour les tétons, c’est une autre histoire.

Car quand ils sont sur le corps d’une femme, ils cristallisent à eux seuls les deux figures féminines que l’on voudrait opposer : la mère et l’amante. Ce qui nourrit l’enfant dans les premiers mois de vie – ou années, ou jamais - alimente également le fantasme masculin et dans les deux cas, on exige que cela se passe dans l’intimité de l’espace privé. Les seins, il faut les deviner.

Entrevoir cette chair ferme et galbée, c’est - dans l’imaginaire collectif intégré par la majorité des individus - une mise en bouche pour ces Messieurs. Comment résister quand les tétons se mettent à pointer ou qu’on peut à travers le vêtement les voir se dessiner ? Il est plus facile de blâmer la femme considérée comme une tentatrice : qu’on la foute au bucher ! Non mais sérieusement ?

ÇA DÉRANGE, POILS AUX PHALANGES ?

Ils dérangent ces poils et ces tétons, voire ces poils aux tétons. On ne veut pas les voir sur le corps des femmes, sous peine de s’octroyer le droit de juger, d’insulter, d’harceler, voire de menacer et de punir, les personnes concernées. Début septembre, Mélanie poste sur Twitter une photo d’elle.

Elle reçoit pendant plusieurs jours des milliers de messages haineux et insultants. Sur la photo, on voit ses poils. C’est ça qui choque. C’est ça qui donne la gerbe. C’est ça qui, pensent ses assaillant-e-s, leur donne le droit de la menacer de mort. Nombreuses sont les réactions inverses, créant ainsi le mouvement #JeGardeMesPoils. Heureusement.

Mais dans la réalité, les femmes qui affichent et assument leurs poils sont encore minoritaires, par rapport au nombre de bouches qui condamnent et de doigts qui pointent ces dangereuses sorcières, ces traitresses de leur sexe et de leur genre ! Elles transgressent la norme, elles sont coupables.

Elles laissent sur leur corps ces poils qui poussent là, naturellement, sans qu’elles n’aient rien demandé mais sans qu’elles n’aient rien fait non plus pour les y empêcher. C’est barjot ? Oui, complètement. On vit dans un monde où ne pas s’épiler quand on est définie en tant que femme provoque un scandale.

On vit dans un monde où la plupart des femmes enlèvent leurs poils en pensant qu’il s’agit là d’une corvée ainsi que de temps (et d’argent) perdu. Elles le font parce qu’on leur a appris qu’il fallait en passer par là pour être une femme. Elles le font par conformisme d’abord, par habitude ensuite.

Elles le font parce que sinon, elles seront rappelées à l’ordre. Elles le font par peur d’être rappelées à l’ordre. Par peur de ne plus plaire. Parce qu’on leur apprend à plaire aux autres avant elles-mêmes. Et le poil, il ne plait pas.

Mais à qui est-ce qu’il ne plait pas ? À partir de quel moment demande-t-on aux personnes définies et perçues comme appartenant à la gent féminine de retirer cette pilosité ? Et pourquoi se permet-on de rejeter, jusqu’à la haine, celles qui s’écartent de l’idéal du corps glabre (dépourvu de poils) ? Un idéal imposé, rappelons-le…

TERRIBLE ADOLESCENCE…

Les tétons, et les seins plus largement, viennent également interroger notre perception du féminin, de la féminité. De ce que doit être une femme et quels comportements, physiques et sociaux, elle doit adopter en société, à savoir dans l’espace public. Elle doit être sexy, donc sans poils.

Parce que les poils sont considérés comme répugnants sur le corps d’une femme. Mais elle ne doit pas être trop sexy, donc sans tétons apparents parce que les tétons sont considérés comme excitants sur le corps d’une femme. D’un autre côté, ils sont aussi la source par laquelle peuvent se nourrir les bébés.

Quelle ambivalence alors face à ce sein si fantasmé et hypersexualisé, que l’on brandit et que l’on offre à la bouche du nourrisson ! C’est à en choper le tournis de constater la brutalité de l’effet provoqué par un allaitement en terrasse de café ou par un téton pointé sous un tee-shirt.

On pense que durant l’enfance, les différences entre les filles et les garçons ne sont pas perçues à travers le sexe (on se fourvoie, clairement, iels apprennent à les distinguer). La puberté accroit cet l’écart, créé par le regard de la société et des adultes. La voix qui mue, les poils qui poussent, les seins qui se développent, les menstruations, l’acnée… L’adolescence, c’est terrible. D’autant plus si notre corps ne se moule pas dans la norme de ce que doit être un homme et dans la norme de ce que doit être une femme.

Pour la première catégorie, la masculinité hégémonique exige une voix qui mue vers une tonalité grave et une peau qui se recouvre de poils. Pour la seconde catégorie, la féminité unique impose une peau lisse et douce et des seins fermes et galbés, assez gros de préférence, mais tout dépend de la décennie dans laquelle on grandit…

Que se passe-t-il dans la tête des filles quand elles découvrent que leurs seins poussent de manière aléatoire et anarchique ? Que leur poitrine ne se développe pas comme celles des copines ou comme celles des égéries des publicités et des magazines féminins ? Que ressentent celles qui ont principalement joué et trainé avec les garçons durant toute la primaire et qui, au moment même où apparaissent deux piqures de moustique sous le tee-shirt, sont envoyées sur la touche ?

Il n’y a qu’à voir Tomboy de Céline Sciamma ou lire Lily a des nénés de Goeff pour constater que les seins qui poussent sur le corps des filles sont motifs d’exclusion et de rejet. Elles ne peuvent plus faire partie de la bande de mecs qui jusque là les traitaient comme des copains.

Pourquoi les seins des filles et des femmes constituent-ils un prétexte de mise à l’écart, une source de débat et de discrimination et pourquoi complexent-ils celles qui les portent ? Les questions se bousculent et s’entremêlent au fur et à mesure que s’accumulent dans l’actualité des informations plus aberrantes les unes que les autres. 

UNE HISTOIRE SANS FIN…

Il y a les publications sur les réseaux sociaux censurées parce que l’algorithme décèle que les photos dévoilent soi-disant trop de peau nue et/ou des tétons. En août 2019, Le Télégramme relatait le combat de la photographe Stéphanie Rouprich dont les pages ont été supprimées par Facebook parce qu’elle y publiait ses photos de nu artistique.

Pour les contourner, il faut placer des caches sur les tétons et/ou faire pression en dénonçant massivement le procédé (et encore…). Et puis, il y a, en juillet 2020, ce sondage Ifop, réalisé pour Xcams auprès d’un échantillon de 3 000 français-es, sur le « no bra », le fait de ne plus porter de soutien-gorge.

Il révèle que pour 20% des interrogé-e-s « le fait qu’une femme laisse apparaître ses tétons sous un haut devrait être, pour son agresseur, une circonstance atténuante en cas d’agression sexuelle ».Traduction : elle l’a bien cherché ! Au même titre que si elle porte une jupe et/ou un décolleté et/ou qu’elle sort le soir dans les bars et/ou qu’elle s’alcoolise et/ou qu’elle rentre chez elle toute seule durant la nuit…

Il y a ce que les médias ont qualifié de « tétongate » : Anaëlle Guimbi est évincée de l’élection de Miss Guadeloupe (en vue de l’élection de Miss France 2021) pour avoir posé seins nus dans le cadre d’une campagne de dépistage du cancer du sein. Il y a aussi cette polémique qui nait le 20 août 2020 sur la plage de Sainte-Marie-la-Mer, là où deux gendarmes vont contraindre plusieurs femmes pratiquant le topless à mettre un haut de maillot de bain car cela choquerait soi-disant des enfants.

La gendarmerie parle de « maladresse » et explique que dans un souci d’apaisement, il a été demandé « aux personnes concernées si elles acceptaient de couvrir leur poitrine après leur avoir expliqué le sens et l’origine de leur démarche. » Face aux forces de l’ordre, difficile de s’opposer.

Mais pourquoi dans un souci d’apaisement, ne va-t-on pas discuter avec cette famille ou ne leur propose-t-on pas d’aller s’installer sur une autre plage en leur expliquant que le topless n’est pas interdit sur cette plage, puisqu’aucun arrêté municipal ne le précise, et donc que les femmes peuvent libérer leurs seins si elles le souhaitent ? Pourquoi se permet-on de « demander » aux personnes concernées de mettre un haut de maillot de bain ?

Demande-t-on aux hommes d’enfiler un tee-shirt sur la plage parce que des enfants sont choqués de voir leurs tétons ? La ville de Paris pourrait-elle juger indécent le fait qu’un homme à Paris-Plages porte un slip de bain qui lui moule le paquet (le règlement interdit les strings et les monokinis, jugés comme des tenues indécentes) ?

Non. Ce sont toujours les femmes qui pâtissent des regards et des jugements hétéronormés sur leurs corps et tenues. Le fameux male gaze, dont parlent notamment Céline Sciamma et Iris Brey dans le cinéma. 

TROP OU PAS ASSEZ… À QUI DE JUGER ?

On emmerde les femmes portant le burkini. On emmerde les femmes portant le monokini. Soit elles sont trop. Soit elles ne sont pas assez. Et même quand elles ne dévoilent pas entièrement leurs seins mais que ceux-ci sont confortablement installés dans un décolleté, on peut les juger trop présents, donc indécents et par conséquent, on interdira à la personne l’accès… au musée par exemple !

Sauf si elle accepte de mettre sa veste par dessus sa robe. C’est ce qui est arrivé à Tô’ – son nom d’utilisatrice Twitter – pas plus tard que le 8 septembre dernier à l’entrée du musée d’Orsay. Elle écrit dans une lettre ouverte :

« Je me demande si les agents qui voulaient m’interdire d’entrer savent à quel point ils m’ont sexualisée, obéissent à des dynamiques sexistes, et si le soir en rentrant ils estiment avoir été dans leur bon droit de ne pas respecter les miens. Je questionne la cohérence avec laquelle les représentants d’un musée national peuvent interdire l’accès à la connaissance et la culture sur la base d’un jugement arbitraire qui détermine si l’apparence d’autrui est décente. Je ne suis pas que mes seins, je ne suis pas qu’un corps, vos doubles standards ne devraient pas être un obstacle à mon droit d’accès à la culture et la connaissance. »

Voilà un discours qui s’applique également aux dirigeant-e-s d’établissements scolaires interdisant l’accès à l’enseignement aux collégiennes et lycéennes qui portent des croc tops, des jupes courtes et des shorts en raison de la potentielle excitation que cela pourrait provoquer du côté des élèves masculins…

Ainsi donc les filles et les femmes entraveraient les valeurs et le fonctionnement de la République de par les tenues qu’elles portent ou du soutien-gorge qu’elles ne portent pas. Le sujet est placé actuellement au cœur du débat. Mais c’est aux hommes que l’on demande de s’exprimer. Jean-Michel Blanquer, Emmanuel Macron, Alain Finkielkraut… Ce sont leurs paroles, leurs opinions, leurs conseils avisés qui en appellent au « bon sens » et à « la tenue républicaine », que l’on sollicite et que l’on répand dans la presse. 

Les femmes, encore une fois, n’ont pas voix au chapitre. Leur corps sont comme toujours étalés et jugés sur la place publique. Ils sont coupables ! Ils excitent les hommes avec leurs petits, moyens ou gros tétons ronds qui transpercent leurs hauts. Ils répugnent les hommes avec leurs poils drus, bouclés ou colorés qui s’affichent sous leurs aisselles, sur leurs jambes, leurs bras ou encore leurs pubis.

Elles n’ont pas choisi mais elles sont condamnées. Leur châtiment : intégrer l’idée que leur corps ne leur appartient pas et se soumettre en permanence aux injonctions paradoxales qu’on leur assaille depuis la petite enfance. Tout ça, en silence. Evidemment. Pourtant, ce sont bel et bien leurs voix qui devraient être entendues, qui devraient compter.

LE SOUTIF : DEPUIS QUAND ET POURQUOI ?

« J’ai dû commencer à en porter vers 12-13 ans je pense… Je n’en suis même pas sûre. C’est ma mère qui a pris l’initiative de m’en faire porter. C’était juste des soutiens-gorge sans armature. Après réflexion, ça devait sûrement être pour éviter qu’on me fasse des remarques ou qu’on voit les tétons qui pointent. » Camille, 25 ans.

« J’ai commencé à en porter à partir de la 6e/ 5eje dirais… Je crois que lorsque j’ai commencé à vouloir porter des soutiens-gorge, c’est parce que je souhaitais avoir de la poitrine. Clairement vu la petitesse de ma poitrine de l’époque, je n’en avais pas d’utilité physique. », Lise, 22 ans. 

« Au début, à mes 11 ans, parfois j’oubliais d’en mettre mais plus ma poitrine se formait, plus j’avais des remarques de mes copines de mon âge qui me disaient que je devais en porter. Par la suite, c’est devenu une habitude, une norme, je ne me voyais pas sans. Il faut savoir que toutes mes représentations féminines autour de moi en portaient un et critiquaient celles qui n’en portaient pas. » Audrey, 22 ans.

« Je ne sais plus bien exactement (quand j’ai commencé à en porter), au collège, je dirais, vers 13 ans peut-être. Je crois hélas que ça a été systématique, comme la majorité des jeunes filles aujourd’hui, on fait comme tout le monde, on ne se pose la question, c’est la normalité, on se sent devenir femme en portant cette camisole ! On parle plus aux jeunes filles de mettre un soutif que de leurs premières règles ! » Laura, 32 ans.

« J’ai commencé à la fin du collège, quand un garçon m’a dit qu’on voyait mes tétons à travers mon tee-shirt. »
Nina, 35 ans.

« J’ai porté des soutiens-gorge pendant environ 14/15 ans. Je me souviens qu’à l’époque du collège, c’était vraiment important pour l’image, d’avoir des bretelles de soutien-gorge visibles, qui dépassaient des débardeurs. C’est à ce moment que j’étais très heureuse d’avoir des brassières, puis de véritables soutiens-gorge. Sans nécessité autre que l’image que ça pouvait me renvoyer. D’ailleurs je ne me suis dit jamais posé la question de l’utilité, c’était simplement une étape vers « la vie de femme ». » Enthea, 30 ans.

« J’ai mis très longtemps à en porter : pré ado, adolescente, je n’avais que des très petits seins (bonnet A trop grand) et ne voyais donc pas l’utilité du « soutien ». J’ai dû commencer vers 17 ans. Ensuite adulte, j’en ai porté (mais avec de grandes difficultés pour trouver une taille adéquate et confortable – bonnets trop grands / molletonnés tout en ayant un tour de torse trop serré – brassières disponibles seulement pour enfants…) pour des occasions particulières : port de robes moulantes, de vêtements transparents, allaitement. Ce n’est que la pression sociale (camarades filles de l’école, du collège, du lycée) qui m’a poussée à demander à en porter, pour faire « comme les autres », pour m’intégrer.

Par exemple, à l’âge de 11 ans, j’ai été la seule fille à me présenter à la piscine uniquement en slip de bain lors du 1erjour des séances scolaires. Le haut du maillot bikini n’est pas un soutien-gorge en soi mais en l’occurrence il a cette fonction de cache seins. Ensuite, adulte, la pression de « conformité » a continué. Femme mariée, puis vivant en union libre, je mettais donc un soutien-gorge pour « remplir » les vêtements que je portais à l’endroit adéquat, pour ressembler à l’image que je pensais devoir montrer pour être une femme, mais seulement de façon ponctuelle quand le « flottement » était trop flagrant, tout en étant complexée, en attendant que le fait d’avoir des enfants « me les fasse pousser » (je sais c’est bizarre… Scoop : ça n’a pas fonctionné) » Béa, 56 ans.

« Au début de ma transition, ça me faisait plaisir de porter un soutif.»
Gwenn Loona, 43 ans.

« J’ai commencé à avoir de la poitrine tôt, environ en CM2. Ça ne me dérangeait pas mais je jouais beaucoup avec les garçons, je n’étais pas pudique sauf qu’un jour, on se déguisait et je me suis changée devant eux, sans trop penser au fait que je commençais à avoir des seins. Ils ont vu, ils étaient gênés donc ça m’a gênée aussi. Je me suis ensuite dit que si je portais un soutien-gorge, ce serait mieux. » Léna, 21 ans.

« Avec le traitement hormonal, j’ai eu une poitrine naissante à 18 ans. J’étais excitée de voir mon corps se transformer comme je le souhaitais. J’ai mis un soutien-gorge bien push up ! C’était un moyen de mettre en avant ma poitrine, c’est un symbole de la féminité. J’en rêvais depuis le début de mon adolescence, surtout que ma jumelle, elle, en portait. Du coup, j’en portais tout le temps sauf pour dormir. Le reste du temps, c’était inconcevable de ne pas en porter. Ça me légitimait en tant que femme. » Vanessa, 28 ans.

« Pour moi, c’était normal d’en porter. J’ai grandi, j’ai eu des seins, j’ai eu honte. Ma mère était seins nus sur la plage pourtant mais une fille m’a dit « Tu mets pas de soutien-gorge ? ». Finalement, on ne se pose pas de question la première fois qu’on enfile un soutien-gorge. Alors qu’il n’y avait pas d’injonction à ça dans ma famille. Je l’ai fait pour être comme tout le monde, pour être comme les filles de mon âge. » Eva, 25 ans. 

PASSAGE OBLIGÉ…

Pour notre enquête journalistique, nous avons interrogé 32 personnes concernées par les injonctions à l’épilation et au port du soutien-gorge (lire notre encadré sur le sujet). Sur l’ensemble des réponses, 100% des personnes ont indiqué avoir déjà porté un soutien-gorge, une brassière ou une bralette.

Lors de la puberté, majoritairement, pour les femmes cisgenres, lors de la transition, pour les femmes transgenres. Avec ou sans armatures, les répondant-e-s expliquent que ce geste, parfois attendu avec impatience lors de l’enfance, est souvent motivé par l’envie de « faire comme les grandes », par « mimétisme ».

Il peut aussi être « un mal nécessaire », selon les situations, comme en témoigne Loreleï, 42 ans : « J’ai une taille qui varie du 40 au 44. Mon soutien-gorge affiche 90D/E le plus souvent, même lorsque je descends à mon poids minimal, je reste à 90D. J’aurais aimé pouvoir ne pas porter cet accessoire qui trop souvent est inconfortable, même dans les grandes marques. J’ai essayé les corsets, les brassières, tous les modèles plus ou moins vantés pour leur confort. C’est malheureusement très onéreux pour un résultat aléatoire. Le poids de ma poitrine trop sensible se répercute sur les bretelles, générant du petit inconfort à la blessure (taches violettes, abrasions) car j’ai aussi la peau très sensible. Malheureusement, si je me passe de tout soutien, ma poitrine attirée par la gravité tire sur les tissus et mes seins deviennent douloureux au moindre mouvement. Je passe invariablement la fin de la journée les bras croisés, quasi sans bouger. »

Dans la plupart des cas, les jeunes filles semblent intégrer l’idée qu’enfiler un soutien-gorge est un passage obligé, non pas pour le confort et la santé, mais pour la symbolique qu’il représente : il est un des leviers qui nous propulse vers le statut de femme. 

ET LES POILS, MÊME COMBAT ?

Et qui dit femme, dit imberbe. Surprenant puisque la journaliste et autrice Morgane Soularue nous apprend dans son livre Cheveux et autres poils que « filles et garçons ont le même nombre de follicules pileux (petit trou sur la peau dans lequel le cheveu et le poil naissent. Toute notre peau ou presque en contient.) : 4 millions environ, placés aux mêmes endroits du corps. »

Ainsi, les cheveux apparaissent à la naissance et le reste de la pilosité survient à la puberté. Là, les hormones s’en mêlent : « Le corps des garçons produit plus d’hormones androgènes, comme la testostérone. Et plus on a de testostérone, plus on est poilu… »

Globalement, le corps des femmes compte moins de poils (toutefois, on sait qu’en raison du syndrome des ovaires polykystiques par exemple, une pilosité importante est susceptible de se développer) mais il en compte quand même. Problème : « Un peu tabous, les poils véhiculent un tas d’idées reçues. On a tendance à les associer à un manque d’hygiène, en particulier sous les bras, car on les croit responsables de la transpiration. »

Un argument que l’autrice dément immédiatement après. Toutefois, même si le poil n’a rien à voir là-dedans, la pilosité est genrée et le rasoir devient dès la puberté un autre levier nous propulsant vers le statut de femme (et qui nous fait payer plus cher, merci la taxe rose…).

Parmi les 32 répondant-e-s, 25 ont témoigné de leur rapport à leurs poils. Tout comme pour le port du soutien-gorge, 100% des personnes ont indiqué avoir déjà eu recours à l’épilation.

« Par peur du regard des autres. » Manon, 24 ans.

« Par souci esthétique et d’intégration. » Elodie, 25 ans.

« Je détestais les poils et j’avais l’impression d’être sale. Je l’ai ressenti (la pression, l’obligation à l’épilation) à mon adolescence et quand j’ai commencé à avoir des rapports sexuels. » Gaëlle, 39 ans.

« En y réfléchissant, c’était sûrement par mimétisme et parce que je me sentais obligé.e à cause de la pression de la société. » Ange, 24 ans.

« Pour faire comme tout le monde car je ressentais le regard des autres notamment au lycée et au collège. Ayant une maman qui ne s’épile pas, j’ai eu un modèle qui me disait « fais ce que tu veux » mais je n’ai pas compris tout de suite son message, j’avais honte quand elle levait les bras. Dès mes 13 ans, j’ai commencé à me raser les aisselles, les jambes, l’entrejambe. » Audrey, 22 ans.

« À l’adolescence, je me suis épilée les aisselles à cause des odeurs de transpiration. Entre 18 et 25 ans, je me suis épilée les jambes ou le sexe pour la piscine (pression sociétale) ou pour les relations intimes. » Sophie, 31 ans. « Au collège, j’avais des poils sous les bras. J’étais hyper fière et ma meilleure pote m’a prise à part pour me dire de les enlever. Je suis passée de la fierté à la honte. Je me suis sentie tellement bête. » Eva, 25 ans.

« Pour ne pas être stigmatisée, rentrer dans le moule. J’ai eu une puberté précoce. J’étais complexée et dans ma famille, il y a un tabou autour de la puberté. Je voyais ma grande sœur qui était tout le temps épilée alors j’ai commencé à le faire, en piquant ses outils. » Chloé, 29 ans.

« Une meuf au lycée m’a dit que ça la gênait. Je me suis épilée. Ma mère aussi me met la pression sur mes poils. Mais moi je les aime mes poils ! » Loona, 20 ans.

« J’ai eu un mec gros connard. Au lieu de me dire ce qu’il aimait ou ce qu’il n’aimait pas, il me l’a dit par texto, avec des émoticônes : Mouton – Ciseaux – Cochon – Aubergine – Abricot. Traduction : avec mes poils, je suis dégueulasse, une fois épilée, il pourra me baiser. » Elly, 30 ans.

Grande classe…

INJONCTIONS, INJONCTIONS, INJONCTIONS

Les réactions sont variées mais sans appel. Le kit de la féminité se compose de maquillage, d’un lisseur, d’un rasoir, de crème dépilatoire, de tampons, serviettes ou coupes menstruelles, d’un soutien-gorge avec ou sans armature ou encore une brassière… Et on le vend aux jeunes filles de plus en plus tôt comme en témoigne notamment Florence Braud, fin août, sur Twitter :

« Tu as 8 ans, tu mesures environ 128 cm, tu joues encore aux petites voitures et à la dinette, mais surtout, surtout, n’oublie pas de mettre ta brassière rose REMBOURRÉE pour ta rentrée en CE2 !!! #SexismePasNotreGenre. » Elle accompagne la publication d’une photo de la dite brassière rose rembourrée « Girls by Athena » et poursuit : « Sérieusement, c’est quoi l’idée ? Quel est le message envoyé aux gamines de 8 ans ? À quel moment une marque se dit que oh, et si on faisait complexer les fillettes qui n’ont pas de seins ? (Parce que oui, c’est bien connu, à 8 ans c’est important d’avoir des seins…). »

Quatre ans plus tôt, elle avait déjà rédigé un billet de blog sur le sujet et songe que dans quatre ans, il sera toujours d’actualité. La discussion s’anime sur le réseau social. De nombreuses femmes commentent, scandalisées elles aussi par le produit fustigé mais majoritairement, elles témoignent de la difficulté, voire de la « galère » à trouver un haut de maillot de bain non rembourré pour les pré-adolescentes et les adolescentes.

Rares sont celles qui s’indignent au même titre que Florence Braud qui recadre parfois le débat : « Plusieurs personnes me répondent dans les commentaires (de manière parfois agressive) que les coques servent « à cacher les tétons qui pointent ». Ok. En quoi est-ce un problème des tétons qui pointent à 8 ans ? Et même, à 20, 40 ou 80 ans ? »

Injonction à porter un soutien-gorge, injonction à cacher ses tétons, injonctions à épiler ses poils… « Les injonctions sont de plus en plus nombreuses et surtout de plus en plus précoces. », nous signale Camille Froidevaux-Metterie, philosophe féministe et autrice. Celle qui a écrit La révolution du féminin dédie un chapitre aux seins quelques années plus tard dans Le corps des femmes – la bataille de l’intime, puis récemment tout un livre intitulé Seins – En quête d’une libération.

Parce qu’elle a découvert et pris conscience que les seins sont singulièrement absents des initiatives de réappropriation du corps, « grands oubliés de la dynamique d’émancipation » comme elle le formule en titre de son introduction.

« Il est important de replacer le féminisme dans le temps long de l’histoire. Les années 1970 ont été celles du second grand moment féministe (après la bataille pour le droit de vote), celui qui visait à libérer les femmes du carcan de leur corps procréateur. Mais, dans les décennies qui ont suivi, ces sujets corporels ont disparu du champ féministe. Depuis le début des années 2010, une nouvelle génération de féministes se ressaisit de chaque centimètre cube du corps des femmes. La dynamique à l’œuvre est puissante.

Elle témoigne de ce que les femmes ont décidé de se réappropier leurs corps sexués et intimes, sur le versant négatif de la lutte contre les injonctions objectivantes comme sur le versant positif de l’exploration de toutes les dimensions de nos vies incarnées. On ne se défait évidemment pas rapidementde décennies de formatage mais le foisonnement des initiatives me fait penser que les plus jeunes ont de la chance.», explique-t-elle.

Dans son livre Seins – En quête d’une libération, Camille Froidevaux-Metterie donne une place prépondérante aux vécus et ressentis des femmes qui témoignent et à leurs seins, photographiés toujours nus, toujours de deux manières : en portrait, le corps orienté de ¾, et en portrait encore mais avec les mains dans le champ. Jamais le visage n’apparaît :

« Les seins peuvent être comme des visages. Après avoir fait le portrait des seins, je demandais aux femmes de faire entrer leurs mains dans le cadre, cela faisait entrer une partie de leur personnalité mais aussi leurâge. » 

On lit l’ouvrage et on respire. Nos seins sont tous différents. D’une diversité infinie, comme le dit et le démontre l’autrice. C’est la représentation que l’on en fait qui est unique. Les seins, en forme de demi pomme, bien ronds, fermes et galbés, « ce sont des seins irréels, ils existent évidemment mais de manière minoritaire. » 

GROSSE PRESSION, GROS COMPLEXES

Visant à faire croire qu’ils constituent la norme, il s’agit là d’un idéal, impossible, à atteindre. En pratique, ça donne source à de nombreux complexes. Comme en témoigne Julie, 30 ans :

« À l’adolescence, j’étais très complexée par ma petite poitrine asymétrique. J’enviais beaucoup ma sœur et son bonnet D, et je pensais qu’en portant de gros push-up (parfois même en dormant), j’allais « dresser » mes seins à remonter. Après des années de baleines douloureuses et de bretelles tombantes insupportables, je suis passée aux brassières rembourrées. Je voulais des seins ronds, bien dessinés. J’avais une idée très précise de ce que devait être le corps de la femme, aussi bien au sujet de la poitrine que de toutes les autres parties de son corps. Je n’étais d’ailleurs pas très heureuse dans ma peau puisque le reflet du miroir était loin de me renvoyer l’image de cette femme idéalisée. »

Elle nous précise ensuite :

« Au sujet de ce corps féminin idéalisé : le premier modèle a été ma mère : mince, fine de visage, sensuelle sans être apprêtée, plutôt menue, la poitrine bien présente sans être imposante. J’ai grandi en entendant que je ressemblais surtout à mon père. À l’adolescence, cet idéal s’est cristallisé autour de ces jeunes filles minces, le ventre hyper plat, la poitrine haute et le corps ferme. Bonjour clichés… Je ne fais pas dans l’originalité, mais c’est un modèle qui m’a été imposé par les pages « ados » du catalogue La Redoute quand je commandais des vêtements, les actrices de mon âge qui jouaient dans les films à succès, les copines de classe qui restaient minces et attirantes. Et ce, toujours au naturel. »

Jeunes, on se compare et on se soumet à la pression d’une société qui depuis longtemps objective le corps des femmes. Dans Seins – En quête d’une libération, Camille Froidevaux-Metterie écrit :

« L’apparition des seins est aussi immaîtrisable qu’inéluctable, elle inscrit la fille dans une histoire qui est à la fois la sienne propre et celle de toutes les femmes, une histoire dont le cours est par ailleurs inflexible. Elle peut se couper les cheveux, ne porter que des pantalons, refuser tout signe extérieur de féminité, elle ne pourra se défaire de ses seins, sauf à se faire opérer. Têtue, leur présence figure l’évidence d’une condition sexuée définie à l’aune de l’ordonnancement phallocentré du monde. On peut dire que les seins fonctionnent tout à la fois comme l’augure, la preuve et l’emblème de la féminité entendue comme un mixte de disponibilité sexuelle et de dévouement maternel.

Leur renflement indique que la fille est désormais soumise au regard des hommes, bientôt prête à « accueillir » leurs mains et leurs sexes, susceptible d’être fécondée. Personne ne l’annonce en ces termes mais les concernées le savent et développent des comportements qui en témoignent : honte, dissimulation, comparaison, détestation ou, à l’inverse, exposition, exaltation, séduction, jouissance. Les seins signifient, et imposent même, la présence inesquivable du féminin. »

RÉÉDUCATION DES MENTALITÉS

Le féminin, et c’est là que se niche la problématique, est une construction sociale. La société l’associe à la douceur, au calme, au côté maternel, à tout ce qui s’apparente au soin et à l’aide aux personnes mais aussi à la nature, etc. Les petites filles sont éduquées en direction de cette idéal de féminité : les cheveux longs, lisses, éventuellement noués d’un ruban rose, portant des robes et des chaussures vernies, elles ne font pas de bruit, sont studieuses et sérieuses, toujours prêtes à aider leur prochain, à consoler leurs camarades, elles jouent à la poupée et à la dinette quand elles ne sont pas occupées à lire des bouquins (de préférence sur les chevaux et les dauphins) et elles n’ont aucun sens de l’orientation (oui, nous aussi on s’est étouffé en l’écrivant).

En grandissant, elles apprendront qu’elles sont faites pour créer la vie et éduquer les enfants… et entretenir la maison… et satisfaire leur mari. Depuis quelques années, elles doivent également réussir à tout prix leur carrière professionnelle (sans non plus dépasser Monsieur…).

Notons donc qu’en 2020, la vision (rétrograde) hétéronormée domine toujours le monde et la féminité s’incarne désormais dans un méli mélo mêlant Blanche-Neige et Wonder Woman, une Barbie des temps modernes. Et cette dernière n’a ni tétons, ni poils. En plus de 50 ans, les femmes ont conquis des droits et des libertés pour elles et leurs corps. Mais elles n’y sont autorisées que dans une certaine mesure.

« Les femmes apprennent à bien gérer leur corps. Par exemple, on intègre l’idée qu’il faut être bien épilée avant un rendez-vous. C’est une injonction qui bride la sexualité féminine. Il y a un lien entre femme objectivée et femme épilée. Le poil, il dérange énormément sur le corps d’une femme. Cette barrière franchie qu’on ne veut pas voir dérange la virilité de ces messieurs ! Je trouve ça très intéressant de pouvoir repenser les genres. », explique Enthea, photographe et co-fondatrice, avec Amandine Petit-Martin, du projet de rééducation visuelle collective Soyeuses, à suivre sur Internet et sur Instagram.

Elle trouve que les poils au soleil, c’est beau : « Mais c’est souvent l’été qu’on complexe par rapport à ça. En même temps, on nous apprend depuis qu’on a 10 – 12 ans qu’il faut enlever nos poils… Alors quand vient la saison des shorts et des jupes… »

Partout autour de nous, dans les magazines, sur les panneaux publicitaires, en couverture de bouquins et de BD, dans les clips, les séries et les films, les femmes sont sans poil. L’objectif de Soyeuses : proposer de nouveaux modèles. Avec des femmes non épilées.

« Je ne fais pas des photos à la chaine. Je travaille avec un-e modèle, pas avec une statue. On discute beaucoup avant que je fasse les photos. On échange, on tourne autour du sujet. C’est hyper important de les photographier en tant que sujets. On a toutes une histoire, on a toutes des histoires différentes. Et le poil est là au milieu de tout ça. On a toutes une pilosité différente. Des cheveux longs, des poils courts, très marqués ou invisibles… », souligne Enthea. 

La première photo visible sur le site montre une femme au crane rasé et aux jambes poilues qui allaite son enfant. On scrolle et on découvre une série de photographies sublimes et captivantes. Toutes les femmes y sont différentes. Leur pilosité aussi. Ce qu’on regarde, c’est l’ensemble de la photo. On ne focalise pas sur les poils qui souvent apparaissent dans un second temps. Ils sont de l’ordre du détail et n’ont rien de choquant.

« On veut montrer de nouvelles manières de vivre librement en tant que femmes. La question du poil est beaucoup tournée en dérision mais elle est très symptomatique de ce que l’on impose aux femmes. Faut qu’on puisse faire ce qu’on veut ! Mais ça prend du temps… Sur le poil, le regard n’est pas neutre encore ! »
précise la photographe.  

UTILITÉ VS ESTHÉTIQUE & DOMINATION

La question de la représentation, de ce que l’on donne à voir des femmes, est cruciale. Elle traverse l’Histoire. Cheveux, barbes, types de coiffure… sont des marqueurs de rangs et de classes sociales. Ils désignent également notre appartenance à un groupe spécifique, une communauté, etc.

Mais ils véhiculent également des stéréotypes et des assignations, principalement genrés et sexués. Dans Cheveux et autres poils, Morgane Soularue rappelle la fonction des poils : « Nos cheveux et nos poils ne sont pas là pour rien, ni pour faire joli ni pour nous embêter. Très utiles, ils ont beaucoup à raconter et en disent longs sur nous. »

En effet, elle explique leur rôle d’isolants thermiques, permettant de réguler notre température corporelle selon les saisons et de protéger l’épiderme contre les rayons du soleil. Elle précise : « Si on a moins besoin de ce rôle isolant qu’à la préhistoire, le poil et le cheveu ont toujours un rôle social et esthétique. »

Les cils et les sourcils empêchent les impuretés et la sueur de rentrer dans nos yeux, les poils de nez et d’oreille barrent la route aux poussières extérieures et les poils sous les aisselles et sur les organes génitaux réduisent « les irritations et les inflammations liées aux frottements des vêtements, aux impuretés et plis de la peau. »

Toutefois, par souci esthétique, on exige de la moitié de l’humanité qu’elle éradique ces poils de la surface de sa peau, pubis compris ! « Dans les productions pornographiques des années 70, les mottes foisonnantes étaient pourtant légion. Le site web Waxing Nostalgic retrace en quelques photos les évolutions des pubis des playmates du magazine Playboyà travers les âges. Jusqu’aux années 80, elles dévoilent des sexes en totale liberté pileuse. À partir des années 90, le ticket de métro devient la norme. Au-delà de 2005, les poils ont totalement disparu. », écrit Stéphane Rose dans Défense du poil contre la dictature de l’épilation intime.

Quelques pages plus loin, il cite la psychanalyste Daniela Litoiu-Colliard : « depuis cinquante ans, les femmes se sont « masculinisées » en s’appropriant de plus en plus des rôles tenus jusqu’alors par les hommes. Elles sont désormais ministres, chefs d’entreprise, chefs de famille… Elles arrivent même à faire des enfants sans les hommes ! Leur imposer l’épilation permet aux hommes de conjurer la peur profonde qu’ils éprouvent face à la puissance de la femme et sa nature sauvage, incarnée par ses poils. Comme s’ils avaient peur d’être castrés par ces femmes… Le fantasme du sexe glabre qui renvoie à la pré-puberté rejoindrait-il celui de la puissance masculine qui ne peut se vivre devant une femme mûre et velue ? »

QUI DÉTIENT LE CORPS DES FEMMES ? 

Les poils font débander les hommes, coupons-les (les poils…). Les tétons font bander les hommes, cachons-les (les tétons…). L’un comme l’autre, ils sont obscènes. Chez les femmes. Ils renvoient à la sexualité. Des hommes. Hétéros. Cisgenres. La norme absolue. La perfection. Le pouvoir. De détenir le corps des femmes. De déposséder les femmes de leurs propres corps. 

« Pendant très longtemps, les femmes ont dû demeurer des corps « à disposition », dans les deux fonctions sexuelle et maternelle. En tant qu’organes de l’allaitement et organes de plaisir, les seins condensent ces deux fonctions. Ils ont un rôle instrumental dans la vie sexuelle, ils servent d’appâts. Pourexciteret attirer le regard, ils doivent être suffisamment visibles, suffisamment gros donc. Mais une fois la relation sexuelle engagée, les femmes regrettent que les seins ne soient pas suffisamment investis par leurs partenaires masculins. », analyse Camille Froidevaux-Metterie. 

Montrer une partie des seins serait recommandé donc mais les aréoles et les tétons sont bannis de la vision autorisée. Pour toutes les raisons invoquées par la philosophe, le soutien-gorge est l’arme idéale : il permet de donner cette forme bien arrondie, cette impression de fermeté, cet effet de nichons remontés-collés-serrés et de dissimuler aréoles et tétons par la même occasion. Et va dès lors jusqu’à dissimuler les « vrais seins ».

On ne sait pas, on ne sait plus ce à quoi ressemble les poitrines des femmes qui tentent par divers procédés d’atteindre cette demi pomme, qui donnera tant envie aux hommes de croquer dedans. On complexe, on compare, on jalouse, on envie, on rejette, on fait des tours de passe passe, on négocie…

On lâche l’affaire ? Pas dans une dimension d’échec, non, loin de là. Dans une dynamique de confort, d’émancipation personnelle, de militantisme collectif… Les raisons ne manquent pas à celles qui rejoignent Free The Nipple et No Bra. D’ailleurs, aucune obligation de revendiquer une appartenance à un mouvement, c’est là l’idée : avoir le choix. Avoir le choix de faire ce que l’on veut. S’épiler ou pas. Porter un soutif ou pas.

Tout comme les seins ont des formes différentes, que les aréoles et les tétons varient d’une personne à l’autre dans leur couleur, texture, taille, que les poils poussent plus ou moins lentement, plus ou moins selon les endroits du corps, qu’ils sont fins ou drus, etc., les personnes qui ont témoigné auprès de la rédaction dans le cadre de ce dossier ont des raisons, des réactions, des ressentis et des vécus plus ou moins différent-e-s d’arrêter, progressivement, définitivement, par alternance ou pas du tout le port du soutien-gorge (de la brassière ou de la bralette) et/ou l’épilation.

Souvent, elles se rejoignent sur les injonctions subies en tant que personnes définies et/ou perçues en tant que femmes et leurs conséquences. Elles relatent des expériences communes dues à leur sexe et à leur genre mais font part de parcours personnels, résultant de leur émancipation individuelle mise en résonnance avec les réflexions collectives naissant autour du corps des femmes et de la réappropriation de celui-ci par les un-e-s et les autres.

PAS À PAS

Oui, le confinement a aidé certaines femmes à s’interroger sur leur rapport à leur corps. Plus précisément à questionner les diktats esthétiques qui pèsent sur la gent féminine, principalement. Elles ont pu expérimenter le naturel. Elles ont pu constater que le ciel ne leur tombait pas sur la tête lorsqu’elles laissaient leurs poils pousser et leurs seins en liberté.

Elles ont pu découvrir que leur poitrine avait réellement besoin de soutien ou au contraire que le soutien-gorge n’était qu’une contrainte supplémentaire vis-à-vis de leur corps. Il y en avait qui le savaient déjà et d’autres qui n’ont pas eu le temps / la chance / le loisirs / l’opportunité / l’envie / ou autre d’explorer le sujet. La démarche n’est pas neutre.

La déconstruction face aux assignations de genre et injonctions à la pudeur et à la dissimulation n’est pas appréhendée et vécue de la même manière par tou-te-s. De manière globale, les répondant-e-s ont démontré dans leurs récits un épanouissement incontestable à partir du moment où elles avançaient à leur rythme, selon leurs choix, décidés du jour pour le lendemain ou appliqués pas à pas. Il y a parfois un déclic. Parfois, non.

Pour Julie, 30 ans, c’est un séjour à la campagne. Pour Agathe, 24 ans, ce sont d’abord les périodes de vacances, puis le confinement. « Je fais du topless sur la plage, ça ne me dérange pas. Mais je suis surprise souvent d’être quasi la seule. Quand j’étais petite, on allait sur des plages nudistes et je me souviens qu’il y avait quasiment que des hommes. C’est surprenant quand même… Pendant les vacances, j’ai l’habitude d’abandonner le soutien-gorge. Pendant le confinement, je n’en mettais plus du tout. Par contre, je travaille avec des enfants et j’en mets dans ce cadre-là. Quand je sors, parfois, dans la rue, je le sens pas donc je préfère porter un bandeau. »

Pareil pour Vanessa, 28 ans : « Pendant le confinement, j’étais chez moi. Je n’avais pas besoin de sortir. À part pour faire quelques courses et je n’en mettais pas pour y aller. Je n’ai eu aucun regard particulier… Quand j’ai repris le boulot (en présentiel, ndlr), j’ai mis un soutien-gorge le premier jour mais je ne me suis pas sentie bien. Je sentais physiquement la différence. Dès le lendemain, je n’en ai plus mis. Si on voit mon téton, ce n’est pas grave, je ne montre pas mes seins ! Oui, une pointe peut apparaître mais je ne cherche pas à la faire apparaître.»

Pour Lucile, 33 ans, c’est la pratique du Qijong qui a été l’élément déclencheur, il y a quatre ans : « Quand il fallait écarter les bras, ouvrir le plexus solaire, remplir la cage thoracique d’air, j’étais tout simplement gênée par mon soutien-gorge. Au départ, je l’enlevais pour pratiquer puis le remettais après. Ensuite, plus j’ai pratiqué, ressenti le bien-être de mettre mon corps en mouvement, et plus je n’avais pas du tout envie de retourner dans un vêtement qui me serrait. »

Cela suscite des réactions : « Pour ma mère, c’était très étrange de faire ce choix et en même temps assez osé je crois. Quand je lui en ai parlé, elle m’a dit que ça allait se voir. Ah, on allait voir ma poitrine. Et puis, elle a rajouté, bon tu es encore jeune. Alors si c’est une jolie poitrine, on peut retirer le soutien-gorge ? Je lui ai alors demandé si elle avait remarqué que je n’en portais pas depuis le début de notre conversation. Ah bah non. Une croyance, une peur. J’ai continué de vivre sans soutien-gorge. Je ressens plus de liberté dans mes mouvements, j’ai aussi moins chaud l’été et mon portefeuille s’en porte bien ; pour avoir de la qualité, il faut y mettre le prix quand même. Aujourd’hui, je suis enceinte, mes seins ont un peu grossi mais j’ai encore moins l’envie de me sentir étriquée dans des vêtements.

Je témoigne parce que la sage-femme qui me suit a remarqué que je ne portais pas de soutien-gorge en m’auscultant et m’a dit : « Mais vous ne portez pas de soutien-gorge ? Non. Mais vous n’avez pas une petite poitrine ? Non. Ah parce que j’ai une ado qui ne veut pas en porter et je cherche des arguments pour qu’elle en porte. Donc cela me fait réfléchir. » Je ne veux pas convaincre les mamans de dire à leurs ados de ne pas porter de soutien-gorge, je souhaite juste que chacune nous puissions avoir le choix. Si on hésite à passer à l’action, que ce soit pour mettre un soutien-gorge ou pour le retirer, on peut le voir comme une expérience pendant quelques jours et relever comment cela se traduit dans notre corps, sur notre respiration, sur notre bien-être, sur notre confiance en soi. »

Elle conseille également à toutes les personnes craignant le regard des autres de démarrer le no bra en hiver puisqu’en général, les couches de vêtements s’accumulent sur notre corps à cette période. Sans se sentir contraintes non plus. Elle enfile un débardeur léger par exemple quand il fait froid et qu’elle n’a pas envie que ses tétons entrent en contact direct avec le tissu qui les couvre. Comme cela peut être le cas en période de règles ou quelques jours avant le début des menstruations.

Camille, 25 ans, réfléchit actuellement au no bra, elle a du mal à accepter sa poitrine au naturel : « Si je passe au no bra, je pense que je porterai un soutien-gorge (ou un bandeau ou une brassière) sous des vêtements où il y a risque de tout voir, ou pour une occasion particulière. Je porterai un soutien-gorge ou une brassière à cause du SPM (syndrome pré-menstruel, ndlr), j’ai la poitrine plus sensible avant mes règles et du coup, j’ai mal en descendant/montant les escaliers, quand ils bougent trop, donc je préfère en porter pendant cette période. »

Elle craint que l’on voit ses tétons. Elle craint les remarques. « Et le fait aussi qu’un sein puisse malencontreusement sortir de la tenue aussi. Mais globalement je suis à l’aise dans un soutien-gorge, ça ne me dérange pas d’en porter, je trouve ça beau, et selon le modèle ça peut faire une belle poitrine. J’essaie d’apprendre à aimer ma poitrine au naturel et pas seulement avec un soutien-gorge, c’est pour ça que je tente le no bra parfois chez moi. »

Nina, 35 ans, a commencé à mieux accepter son corps et ses « seins pas énormes ». Elle passe progressivement à des brassières et à des soutiens-gorge sans armatures. Si pendant l’été et les vacances, elle s’en passe aisément, en revanche, quand la rentrée de septembre arrive, elle rempile :

« Je suis prof au collège, je pense que ce ne serait pas du tout accepté. J’ai déjà eu des soucis avec ma cheffe parce que je portais des shorts, je n’ose même pas imaginer si je me pointais sans soutif. J’ai déjà vu une collègue le tenter sans souci, mais personnellement mes tétons pointent très souvent, et je n’assumerais pas. C’est connoté sexuellement et ça attire le regard. »

Ainsi, elle l’avoue, elle est gênée si dans la rue, un jour où elle ne porte pas de soutien-gorge, elle croise un voisin ou un élève. « Cette année, pour la première fois, je suis frustrée de ne pas pouvoir poursuivre le no bra à la rentrée. Je cherche des brassières légères du coup, et peut-être qu’avec des tee-shirts côtelés où on ne voit pas trop les détails, je tenterai le coup. », poursuit-elle.

Mais ça ne l’empêche pas de se sentir de plus en plus épanouie : « Après l’allaitement de mes jumelles et de mon fils, j’ai cru devoir dire au revoir à mon plaisir d’avoir des seins. J’ai commencé leur deuil. Et puis ça s’est remis peu à peu. Alors je profite ! Je les aime, mon homme aussi. Je ne me cache plus quand je me ballade torse nu à la maison. Il y a quinze ans, c’était l’inverse. Même dans l’intimité je les cachais. » 

OUI, MAIS…

Certaines l’enlèvent car il crée une gêne, un inconfort ou même des douleurs. C’est le cas de Léna, 21 ans : « Je commençais par ne plus en mettre quand on ne pouvait pas forcément voir mes tétons, puis au fur et à mesure, je me suis écartée du regard que pouvaient avoir les gens donc je n’en ai plus porté du tout. Par confort, puis par militantisme. »

Pour Manon, 24 ans, il est quasiment impossible d’imaginer de ne pas en porter, avec son 95E : « Même si j’entends beaucoup de témoignages de personnes qui ont une forte poitrine et qui arrive à ne plus en porter, ce n’est pas le cas pour moi. Quand je suis chez moi et que je n’en porte pas j’ai très vite mal au dos. Et un autre problème que j’ai découvert : la transpiration ! Je transpire de ouf de sous les seins avec l’effet peau contre peau, c’est désagréable et ça fait des traces sur le t-shirt donc super… Je pense que c’est un de mes plus gros freins, même si je me remusclais le dos, j’aurais trop peur de ne pas porter un soutif au boulot et d’avoir des traces de transpi sous les seins… »

Elly, 30 ans, de son côté explique que c’est en changeant de milieu professionnel qu’elle a pu se libérer peu à peu de cette injonction. « Quand je travaillais au bar, un client m’a dit un jour « Tu n’as pas le droit de parler sans nichons ». J’ai acheté un push up. Je ne me sentais pas en sécurité « sans nichons »… Si tu as le téton qui pointe par exemple au bar, tu te fais insulter… le matin, quand je partais bosser, je mettais une armure en quelque sorte. Mes cheveux roses m’ont protégée aussi de pas mal de connards. Aujourd’hui, je mets un soutif ou je n’en mets pas, selon mes fringues ou selon par exemple si je vais en rendez-vous pro, genre pour obtenir des subventions… Et je me sens apte à parler dans n’importe quelle situation ! », lance-t-elle.

Gwenn Loona, 43 ans, travaille également dans un bar : « Dans cet univers, t’as pas la même liberté. Il y a à la fois la haine des trans et à la fois l’érotisation des corps des femmes. Tout ce que je suis. Je suis obligée de mettre un soutien-gorge au bar. » En dehors, elle choisit, sa fille aussi.« J’ai élevé mes enfants seule, j’ai une fille et une garçon. Mes enfants ont eu une éducation féministe et ma fille se libère des carcans, c’est elle qui décide. On ne veut pas rentrer dans la dynamique de l’ancien monde. On s’en libère en tant que mère et fille en train de vivre notre puberté en même temps, ensemble. Bah, on se marre bien ! »

En revanche, pour Loona, 20 ans, impossible de se sentir en sécurité sans enfiler une brassière : « L’insécurité se traduit partout. Même chez moi. Je dors avec. J’ai vraiment vachement peur du regard des autres. » 

L’INTIME EST POLITIQUE

Il y a des tonnes de motivation pour ne plus porter de soutien-gorge. Des tonnes de manière de le faire. Par alternance, en hiver, pendant les vacances, chez soi, dans les lieux identifiés (par la personne concernée) comme étant sécurisés et bienveillants, en portant un débardeur léger, en mettant une bralette, en portant des caches tétons, progressivement. Ou définitivement. Par confort, par militantisme, par choix. Il y a aussi des raisons d’en porter.

Parce qu’on a des problèmes de dos, une peau sensible, qu’on trouve nos seins beaux aussi dans de la lingerie, qu’on s’en sert comme un accessoire de séduction, qu’on n’assume pas d’avoir les tétons qui pointent, qu’on a une poitrine un brin ou très handicapante si elle n’est pas soutenue, pour faire du sport, etc.

Il y a aussi des stéréotypes et des peurs. Les tétons qui pointent sont signe d’excitation sexuelle chez les femmes. Cliché, ce n’est pas la seule explication. Une femme qui ne porte pas de soutien-gorge est une allumeuse. Cliché. Une femme qui ne porte pas de soutien-gorge et qui ne s’épile pas est une lesbienne qui veut ressembler à un homme. Cliché encore et encore.

Mais ceux-ci ont la vie dure et le problème perdure car majoritairement, on accable les femmes que l’on décrète fautives et responsables « d’aguicher », de « l’avoir cherché ». Quand on prend la problématique par l’autre bout, on prend conscience que le souci vient non pas des femmes mais du regard sexualisé que l’on porte sur elles, en tant qu’objets.

« La première fois que j’ai enlevé mon soutif pour dormir avec un gars, c’était pour être libre, pas pour qu’on couche ensemble. Il m’a violée. »
déclare Sadbh, 18 ans.

Quand va-t-on enfin écouter et prendre au sérieux les femmes ? On renvoie sans cesse le corps à l’intime. Il l’est. Et l’intime est politique. Si les Femen utilise leurs poitrines comme un outil d’action et un vecteur de messages, toutes les femmes ne sont pas obligées de revendiquer leurs libertés sur leurs seins.

Chaque démarche compte. De celle qui se pose des questions sur le pourquoi du comment à l’activiste torse nu, elles se battent pour arracher leurs droits comme les militantes des années 70 ont arraché leurs soutifs (la légende veut qu’elles les aient brûlés…). Chacune à son échelle et à son rythme, selon ses envies et possibilités.

« C’est une déconstruction sociale importante, ça change la vision que l’on a de soi et celle que l’on a des autres. Ce qui est dommage, c’est que quand on essaye de se déconstruire, genre du soutif, on va trouver des femmes qui vont nous mettre dans la tête qu’il faut en mettre. On ne devrait pas se juger, on devrait être solidaires ! Quand on fait les choses en sachant pourquoi on les fait, on est moins dans la souffrance. Quand on a le choix, on vit mieux les choses. Les poils sont beaux, les tétons aussi sont beaux. Et ils ne sont pas forcément sexuels. Moi, je trouve personnellement qu’avec des poils, on ressent plus de choses… », commente Eva, 18 ans. 

UN SENTIMENT DE RÉAPPROPRIATION

Qu’elles apprécient ou non, ou pas trop, ou de temps en temps, leurs seins, les répondant-e-s qui composent autour du no bra parlent toutes de réappropriation de cette partie-là de leur corps. Décomplexées pour certaines, libres de leurs mouvements pour d’autres. Ou les deux. Lili, 38 ans, les trouve « plus beaux, plus libres ! »

Coraline, 19 ans, porte maintenant des hauts moulants sans complexes : « Au début, j’avais des caches-tétons mais que lorsque je portais des habits moulants, sachant que je portais habituellement des habits fluides voire oversize et que j’ai une forte poitrine donc mes tétons se voient moins. Mais un coup, j’en ai perdu un en ville et je m’en suis rendue compte qu’en rentrant chez moi. Après j’avais la flemme d’en racheter une paire alors que j’en avais encore un et puis je me suis dit que si c’était arrivé alors c’était un signe et que je ne devais pas en porter et qu’au fond, moi je m’en fiche, je n’ai aucun problème avec le fait que mes tétons se dessinent à travers mon haut ! »

Rebecca, 30 ans, fait même des randonnées sans soutif : « Avant, j’étais dans l’optique que je ne supportais pas le contact direct de mes seins avec les textiles… En fait non. Une question d’habitude, de changement de pensée et d’acceptation de son corps. Je fais des randonnées sans et je suis même allée courir dans les montagnes sans. Je trouve ma poitrine encore plus belle ainsi. Certes, je porte des soutifs si le t-shirt est transparent ou qu’un sein pourrait s’échapper du décolleté. Sinon il n’est plus question que je porte ces instruments. Je suis persuadée que j’en respire mieux. Fin du saucissonnage pulmonaire ! »

Gaëlle, 39 ans, se sent enfin libre : « Libre de mes choix, libre de mon corps ! »

Et pourtant, ça n’a pas toujours été simple : « Pendant très longtemps, j’ai été complexée à cause de mon petit 85A, tout le monde me disait que ce n’était pas féminin, que je ressemblais à une petite fille, que je ne pourrais jamais allaiter. Psychologiquement, ça a été très difficile pendant près de 25 ans. »

À 38 ans, Sophie, du blog Woods Witch, ressent elle aussi pour la première fois l’acceptation :

« Je crois que c’est la plus belle victoire à mes yeux. Je suis ce qu’on appelle une plus size et rares sont celles qui ont une si petite poitrine par rapport à leur poids. Accepter mon corps fut la bataille de ma vie sous bien des aspects et j’ai encore beaucoup de chemin à parcourir. »

Si elle éprouve un sentiment de réappropriation de son corps à travers le no bra, c’est « parce que c’est un choix en pleine conscience et non pas un choix pour se conformer aux critères sociaux. Cela aide à s’assumer telle que l’on est. » Pour Elodie, 25 ans, ne pas porter de soutien-gorge, « c’est comme ne pas avoir d’écharde dans le doigt. »

COMPOSER À SA MANIÈRE

On pourrait encore et encore et encore retranscrire et partager les récits de nos répondant-e-s. Nombreux, fournis ou synthétiques. Le sujet les inspire et les anime. On ressent le besoin de parler de leurs ressentis intimes, qui deviennent au fur et à mesure qu’on les croise pour les analyser, des vécus communs, même si encore une fois, toutes les personnes ayant témoigné n’adoptent pas toutes la même trajectoire et les mêmes réactions.

Et c’est bien heureux. Puisqu’il est question de choix. Ce qu’elles expriment justement, c’est bien le fait qu’elles ne le sentent pas ce choix au départ, lors de leur puberté. Alors, elles l’ont pris et ont fait à leur manière, comme elles veulent, comme elles peuvent. La plupart ont entamé en parallèle ou en décalé des démarches similaires concernant d’autres aspects de leur quotidien, toujours en lien avec leur corps.

Comme Sophie, mentionnée ci-dessus, qui a au même moment arrêté la pilule : « Je pense qu’une fois que l’on entreprend certaines démarches, de remise en question sur ces choix de vie de femme, à un moment donné la question du port du soutien-gorge se pose, d’où cette corrélation finalement je suppose. »

Souvent – par conséquent, pas tout le temps – elles ont donc développé des réflexions autour de l’épilation et de leur rapport à leurs poils. Lise, 28 ans, continue « de trouver la lingerie belle, ou sexy, en certaines circonstances », tout comme Vanessa, 28 ans, aime s’en parer par moment dans l’intimité de son couple, mais, poursuit Lise :

« Quel plaisir de m’en être libérée au quotidien ! Je fais un parallèle entre la libération de mes seins et la pousse de mes poils. Je n’assume pas encore totalement de porter une robe courte lorsque mes jambes sont poilues de plusieurs mois, mais depuis quelques années, je suis beaucoup moins à l’affût du moindre poil qui repousse. L’aisselle est l’endroit qui me dérange le moins lorsqu’elle est poilue. Je trouve même que c’est un symbole de féminité assumé, et en certaines circonstances, cela me plait d’avoir les dessous de bras poilus (je me rends bien compte que je suis soumise aux injonctions, et que c’est bien parce qu’on voit de plus en plus de femmes l’assumer que cela me plait !). »

LE POIDS DU REGARD

Elle est loin d’être la seule à laisser ses poils d’aisselle tranquilles, à assumer ses poils de jambes en hiver, à chasser à la pince à épiler les poils de l’entrejambe qui dépassent du maillot de bain l’été ou encore à se sentir mal à l’aise lorsqu’elles exposent leur pilosité aux regards extérieurs. Il semble, au vu des témoignages, que l’épilation soit une injonction plus difficile à combattre que le port du soutien-gorge.

Ce qui pourrait s’expliquer par le fait que les seins, qu’ils soient apparents dans leur ensemble ou en partie, restent synonymes de féminité, là où les poils sont eux considérés comme un symbole de virilité. Et la virilité appartient dans la construction sociale au masculin.

Ainsi, les femmes subissent dès la puberté la pression quant à leur pilosité. Loreleï, 42 ans, parle même de « dictature sociale », « avec des commentaires automatiques au moindre poil oublié. Bien que je ne porte jamais de jupe ni de robe courte, en sorties comme dans l’intimité, il me fallait être totalement impeccable. » 

Il lui a fallu« attendre d’être maman pour assumer d’exhiber des jambes aussi poilues qu’une chenille de papillon de nuit, même dans les lieux publics comme un supermarché, en jupe jusqu’aux genoux. Je garde l’habitude de m’épiler les aisselles à la pince à épiler une fois par semaine, et celle d’entretenir un buisson court dans la culotte, à coups de ciseaux, pour des raisons d’hygiène : c’est plus vite lavé et ça ne retient pas d’odeurs. Au final, je fais de sacrées économies de temps depuis 4 ans ! »

Les commentaires dont elle parle, elle n’est pas la seule à en être assaillie. Quasiment toutes les personnes ayant témoigné de leur rapport à leurs poils en ont fait mention. Comme le soutien-gorge, l’épilation constitue une norme de féminité et celles qui la transgressent, consciemment ou non, sont rappelées à l’ordre.

« J’ai commencé par laisser pousser mes poils de jambes. Ma mère, qui est pourtant féministe, m’a déjà demandé un jour si je voulais vraiment mettre une robe pour aller au resto avec mes grands-parents… Après ça, j’ai laissé pousser mes poils sous les aisselles ! », rigole Sadbh, 18 ans.

Le regard des autres, elle passe outre. Au maximum. Béa, 56 ans, se souvient qu’une camarade de classe lui avait dit qu’elle était moche justement parce qu’elle était poilue des jambes.

« Ensuite, c’est moi qui me suis chargée moi-même de m’auto-critiquer sur les poils qui pointaient hors de mes collants par exemple. Un homme avec qui j’ai eu une relation sexuelle m’a demandé de raccourcir mes poils de pubis, considérés comme trop touffus et longs : j’ai découvert à cette occasion la mode du « ticket de métro », que je n’ai pas appliquée. Aucun autre homme ne m’a fait de commentaire à leur sujet. Je ne m’épile plus du tout depuis bientôt 15 ans, depuis que j’ai mis mon second compagnon dehors. », souligne Béa qui avoue qu’en couple, elle ressent le besoin « de paraître conforme à l’image féminine glabre ».

Ainsi, « en tant que femme hétéro ne m’épilant pas, je dois admettre que l’absence de besoin d’épilation pour être dans la norme (pour plaire) fait partie de mes raisons pour rester célibataire. Songer à retrouver une relation implique pour moi de retourner inévitablement dans ces préoccupations dont je ne veux plus. »

Pour Chloé, 29 ans, être acceptée telle qu’elle est est devenu un critère dans son couple. « Mes aisselles, je les vois comme la barbe pour les mecs. Je coupe quand j’ai envie. Pour les jambes en revanche… pourquoi m’abimer la peau pour une norme sociale ? Je vois pas trop l’intérêt… À une époque, je l’ai fait. Et en étant célibataire, mon premier réflexe a été d’aller chez l’esthéticienne alors que je ne m’étais pas épilée les cuisses depuis deux ans ! C’est triste ! Je veux quelqu’un qui m’accepte. Je veux bien expliquer, discuter. Je ne suis pas là pour faire de la pédagogie mais je suis ouverte à la discussion. Avec mon copain actuel, on a déconstruit au fur et à mesure.

Et aujourd’hui, ce n’est plus un sujet pour moi. Cette réflexion, elle date de mes 20 ans. J’ai lu beaucoup de littérature féministe (pas que sur ce sujet), j’ai suivi beaucoup de comptes sur Twitter et Instagram et j’ai vu beaucoup de photos de femmes pas épilées. Aujourd’hui, pour moi, les poils, ils sont présents. Ils sont ni beaux, ni moches, ils sont là c’est tout. Comme n’importe quoi d’autre. Comme mes sourcils par exemple ! Et maintenant, quand je vois des jambes lisses, je ne trouve pas ça beau. Pas naturel. », explique-t-elle. 

L’ÉPILATION, UNE OBLIGATION… POUR LES FEMMES ?

Léna, 21 ans, a diminué progressivement son recours au rasoir. Elle ne fait que de temps en temps les aisselles. Des remarques et des regards insistants, elle en a essuyé « mais je les rembarre directement. » Quand ça provoque une discussion, elle le dit, elle se montre ferme sur la question :

« Une fille qui s’épile si c’est son choix, ainsi soit-il, elle dispose de son corps et je comprends l’envie de s’épiler (douceur, etc.). Par contre, un homme qui exige ou fait des remarques sur l’épilation, je ne tolère pas et mon discours est : je suis contre l’épilation, pour être frontale et leur afficher leur connerie. Donc mon discours change selon l’interlocuteur. J’explique aussi calmement que pour moi, s’épiler, c’est se faire mal uniquement pour des stéréotypes, des constructions de normes débiles que la société tente d’imposer, et je ne l’accepte pas. »

En couple ou célibataire, elle entretient le même rapport à l’épilation : « M’épiler le maillot, ça me gêne plus que de ne pas le faire, une chatte sans poils ressemble à celle d’une enfant de 10 ans, non merci, et ça me fait me sentir nue. Je suis bi, en couple avec une fille depuis plusieurs mois. J’en parle souvent, car j’aime la discussion. Elle, elle s’épile les aisselles et les jambes car elle en a pris l’habitude et elle se sent mal de ne pas le faire. Moi je ne le fais pas et elle l’accepte totalement, il n’y a aucun problème, exigence ni tabou sur l’épilation, chacune fait ses choix et on s’aime comme ça. »

De son côté, Camille, 25 ans, essaye de dépasser la peur que ses poils gênent ou embêtent ses partenaires. Elle avait déjà l’habitude de laisser pousser ses poils en hiver, elle a, depuis le confinement, arrêté de s’épiler « pour mieux les apprécier au naturel et apprendre à trouver ça normal sur moi. »

Plus jeune, elle a ressenti une sorte d’obligation à l’épilation : « On ne voit que ça à la télé / dans la rue par exemple et parce que je pensais que mes partenaires n’aimeraient pas les poils. Mais je n’ai jamais aimé m’épiler (en même temps, qui apprécie ?), ça m’a toujours énervé de devoir m’épiler alors que les hommes font ce qu’ils veulent (et encore, c’est pas toujours hyper bien vu les hommes qui s’épilent). Ça m’a toujours gonflé de perdre une heure de temps et de l’argent pour m’épiler… »

C’est en allant chez l’esthéticienne qu’une sorte de pression est apparue « sur deux zones qui ne me dérangeaient pas, je parle des poils sur les pieds et entre le nombril et le pubis. L’esthéticienne m’a demandé pendant une séance « Je fais cette partie-là aussi ? », j’étais gênée, du coup j’ai dit oui et depuis les poils sur ces zones se voient plus qu’avant, je suis obligée de continuer parce que je n’arrive pas encore à les accepter. J’ai aussi des poils sur les tétons que je n’arrive pas à accepter, alors que ceux des hommes c’est totalement ok… »

Pareil pour Ange, 24 ans, qui n’aime pas ses poils sur les tétons, ces trois poils au menton comme iel dit, les cheveux longs et les poils entre les sourcils. Iel a subi « des regards surpris et dégoûtés, et énormément de remarques blessantes de ma famille. » Iel nous livre en conclusion :

« Je rêve d’un monde où les personnes ayant été assignées femme à la naissance pourrait être vraiment libres de faire ce qu’elles souhaitent, parce que nous avons déjà beaucoup de pression dans nos vies, donc ce serait une véritable libération pour nous. »

POUVOIR FAIRE SES CHOIX

Chacun-e appréhende et vit ses poils différemment. Coraline, 19 ans, n’a jamais eu honte de ses poils. Dans sa famille, pas d’injonction à l’épilation. Elle a déjà utilisé des techniques pour se raser, que ce soit la crème dépilatoire ou le rasoir mais elle ne supporte pas ça :

« J’ai donc décidé d’arrêter de me faire du mal juste pour plaire (ne pas déranger) aux autres. Et puis… je les aime bien mes poils ! Au début, tu as peur. J’appréhendais plus pour les poils que pour les tétons. À la plage, cet été, j’avais un peu d’appréhension mais je n’ai pas touché à mes aisselles et j’ai juste fait les côtés du maillot (ce qui pourrait se voir) mais j’ai vite regretté parce que personne ne m’a regardée, personne ne m’a fait de remarque. J’ai eu peur pour rien. Je me suis sentie libre ! »

Pour Sophie, 31 ans, c’est le mariage et la maternité qui lui ont permis de déconstruire les normes sociales. Elle se détache petit à petit du regard des gens. Elle fait maintenant ses propres choix quant à l’épilation ou non et les zones.

« J’étais lasse de dépenser de l’argent et d’avoir des poils incarnés. Et aussi parce que j’ai appris que j’allais être maman. Je voulais être en paix avec moi pour mieux accompagner ce futur enfant dans l’acceptation de son corps. J’ai une fille et ce sera un challenge. J’ai la chance d’avoir un mari féministe et un noyau familial/amical avec qui nous pouvons aborder librement différents sujets. »

Elly, 30 ans, défend ardemment la possibilité de chacun-e à faire ses choix. À prendre conscience des injonctions qui pèsent sur nos corps. « C’est important de se déconstruire et que les gens autour de nous le fassent aussi. Quand on se prend des remarques, je me dis que c’est à ces personnes là de se déconstruire ! Mes poils, ça me concerne moi, pas les autres. Même en étant super féministe, je viens de payer 1300 euros pour me faire épiler les demis jambes et le maillot au laser. Même si j’aime mes poils, j’ai trop subi, j’ai pris trop cher ! », s’indigne-t-elle. 

UNE QUESTION DE REPRÉSENTATION ?

La pression sociale, les injonctions à la féminité, le manque de choix apparaissent très clairement dans tous les témoignages. Tout comme le manque de représentations et d’alternatives face à cette féminité normative et unique imposée. Le besoin d’échanger autour de ce sujet, de se libérer des carcans, de voir d’autres modèles pour se sentir enfin un peu plus libres de leurs choix pour leur corps revient fréquemment dans les récits de ces femmes, cisgenres, transgenres, personnes non binaires, hétéros, bis, lesbiennes, pansexuelles, blanches, noires, racisées.

Zoé Royer a 24 ans, elle est étudiante à l’université Paris II en information et communication et a rédigé un mémoire sur les mouvements en ligne de libération de la pilosité féminine.

« Je me suis mise dans les mouvements Instagram sur la libération du corps des femmes et j’ai vu tout ça évoluer. Il y a un réel enjeu derrière tout ça. Ça peut paraître rigolo, les poils, mais les garder, c’est symbolique, ça participe à la réappropriation du corps des femmes qui se détournent du corps glabre. Ça montre leur émancipation ! Rendre le poil visible, ça le normalise. Les comptes qui montrent des photos de femmes assumant leurs poils permettent de se sentir moins seule, de libérer la parole et de se montrer sans avoir à faire face au regard direct des autres. Alors oui, on peut être victime de remarques et de commentaires, avec des emojis qui vomissent, on peut être victime de menaces de viols, c’est très grave. Mais sur les réseaux sociaux se créent des communautés autour de ce sujet pour être plus fortes et plus nombreuses et c’est important. », analyse Zoé Royer.

Travailler sur cette thématique l’a aidée elle aussi à se poser des questions, prendre conscience et à voir un peu plus ses poils comme la continuité de son corps :

« Comme mes cheveux ! Je me sens mieux avec mes poils que sans. Mais j’ai toujours encore un peu le problème de ce que les autres vont penser. Des fois, je suis dans l’état d’esprit où je m’en moque et parfois, non. Ça dépend de la tenue, du lieu où je vais, de qui je vais voir… »  

CENSURE, PATRIARCAT ET CAPITALISME…

Les mentalités évoluent. Lentement, très lentement. Le corps des femmes est encore largement commenté dans nos sociétés. On peine à accorder aux personnes concernées le droit d’en disposer comme elles le souhaitent et on interroge régulièrement la population à propos des tenues des femmes, afin de juger si celles-ci sont décentes ou indécentes. Républicaines ou non.

Alors bien sûr, on progresse mais l’actualité vient nous rappeler que la marge de manœuvre est étroite. De nombreux comptes, Instagram notamment, sont dédiés à la valorisation des corps dans leur grande pluralité et complexité. L’impact est indéniable. On prend conscience que ce que l’on nous présente comme la norme est en fait un idéal à atteindre.

Il ne prend pas en compte la réalité des corps, surtout ceux des femmes, toujours en mouvement mais toujours contraints à se dissimuler et à se conformer. Elles sont aujourd’hui très nombreuses à refuser de poursuivre cette course à la perfection et à l’apparence.

Cela prend du temps et une injonction ne doit pas être remplacée par une autre. Alors, chacun-e a son rythme. D’autres modèles s’affichent désormais sur les réseaux sociaux mais la bataille de l’intime n’est pas sans conséquence. Car en face, l’enjeu est de taille. Tant financièrement que socialement. Les comptes militants se voient censurer, les photos dévoilant soi-disant trop de peau, trop de nudité, trop de tétons, sont supprimées, les femmes avec des poils et/ou des cheveux courts sont diabolisées.

Pour Audrey, 22 ans, « toutes œuvres et artistes ont un rôle à jouer pour faire changer les mentalités en rappelant que les femmes comme les hommes sont des humains qui ont juste des poils et que rien n’est sale, ni moins sexy ou moins viril. Le poil ne devrait jouer aucun rôle dans la société si ce n’est de nous protéger. Dans une société comme la notre, c’est possible de faire évoluer les mentalités. Elles ne sont pas le problème, c’est plus le capitalisme qui aura beaucoup à perdre sans le marché du poil. »

Les marques surfent sur la vague, comme Veet par exemple qui opte pour le slogan « Vos poils, vos choix, nos produits ». Ou Sloggi qui table sur une publicité post-confinement :

« Laissez-nous deviner, les articles les moins portés dans votre placard en ce moment sont les soutiens-gorge ? N’est-ce pas ? Eh bien, croyez-nous, vous n’êtes pas la seule. Mais ne plus jamais porter de soutien-gorge n’est pas non plus la solution. Nous ne voulons pas que vous renonciez à votre sentiment de liberté et de confort absolu, c’est pourquoi nous avons la solution pour que vous ne sentiez plus votre soutien-gorge, non seulement à la maison, mais aussi partout où la vie vous mène ! Parce que chez Sloggi, le confort est notre priorité numéro une, deux et trois ! Découvrez nos sous-vêtements au confort absolu avec 20% de réduction ! »

CHANGER NOS REGARDS, DÉCULPABILISER ET CHOISIR ! 

L’idée n’est pas de tout abandonner, de tout boycotter. Simplement de faire changer nos regards sur nos propres corps. Nous offrir davantage de bienveillance envers eux. Se détacher au fur et à mesure de ce que pense la société. Composer avec ce que l’on a, ce que l’on est.

Faire bouger les lignes de la féminité et de la masculinité vers quelque chose de moins réducteur et oppressant, vers quelque chose de plus libre et personnel. Comme le dit Klaire fait Grr en conclusion de son livre Au poil ! :

« il est possible que la perception du poil soit un jour totalement bousculée, mais en attendant, peut-être pourrions-nous prendre un peu de recul, et considérer l’épilation totale comme un choix esthétique optionnel et non comme une obligation absolue sous peine de honte intersidérale ? Tout comme peindre ses ongles en orange fluo, réaliser un brushing impeccable, s’offrir un piercing du genou ou porter des faux-cils sont aujourd’hui des options, s’épiler les aisselles ne pourrait-il pas un jour devenir une simple éventualité parmi d’autres ? Ça semble relever encore de la science-fiction, et pourtant… »

Et pourtant, le mouvement est en route. On voit poindre des avancées et ça fait du bien. On se réjouit de la sortie prochaine par exemple du livre jeunesse Tata de la barbe sous les bras, d’Anne-Cécile Morizur et Florence Dollé, publié en novembre aux éditions Goater.

Certaines ne se sentent pas en sécurité, n’osent pas, y vont petit à petit, commencent en hiver, en vacances, puis grignotent du terrain sur leur corps. D’autres ne se sentent pas prêtes du tout, envient celles qui y parviennent, suivent des comptes Instagram et autres lectures et visuels féministes qui les accompagnent dans leur prise de conscience et leur déconstruction.

D’autres encore franchissent le cap et ne souhaitent plus jamais toucher à un rasoir, des bandes de cire, un arracheur de poils ou entrer dans un salon esthétique. Et puis d’autres encore se lancent des défis, ne pas se raser pendant plusieurs mois, ne pas porter de soutien-gorge pour aller au supermarché, achètent des bouquins féministes sur le rapport au corps, témoignent en toute sincérité pour que d’autres à leur tour se posent des questions ou expriment leurs pensées…

On l’a dit, on le redit, les réactions, ressentis et vécus sont différents selon les personnes. Et c’est bien là que tout le monde a un rôle à jouer. Ne pas juger, se montrer solidaire, éviter les regards insistants et les remarques désobligeantes. Parce que le corps de la personne ne concerne que la personne.

C’est là dessus qu’il est primordial et essentiel d’avancer. Et de se questionner sur ce qui nous dérange réellement quand une femme affiche ses poils ou ses tétons.

Qu’est-ce qui nous fait violence dans le fait de les voir apparaître sur le corps des femmes ? De quoi a-t-on peur ? Que les genres soient troublés ? Qu’on ne puisse plus définir une femme simplement à partir de son corps et de son apparence ? Que les individus s’approprient leur propre corps et qu’iels décident en leur pleine conscience pour celui-ci ? Posons-nous la question : qu’est-ce qui nous dérange ?

Au fond, demandons-nous : en quoi ça nous concerne qu’une personne définie et perçue en tant que femme affiche ses poils, pointe sous son débardeur, se balade en croc top, en jupe, en short, avec un voile sur la tête, des baskets, des talons, un jogging ou un poncho ? En quoi ça nous concerne ?

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Poils et tétons : ras-le-bol des injonctions !
No bra ou pas ? Épilation ou non ? La question du choix !
La voix des concerné-e-s

Célian Ramis

Le potager urbain, vecteur d'égalité

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Au Potager des Cultures, « il y a une volonté d’avoir de la transmission de savoir. Ce n’est pas un jardin partagé, c’est une micro ferme urbaine, les bénévoles réalisent un engagement citoyen. On ne récolte pas le fruit de son travail, tout ce qui est produit est donné à l’épicerie solidaire. »
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Du 6 avril au 29 mai, Le Potager des Cultures accueille l'exposition « Cultivons notre jardin », des extraits de la BD Le potager Rocambole, de Laurent Houssin, réalisée avec Luc Bienvenu. L’occasion également de découvrir les lieux, un potager citoyen et engagé, qui défend la mixité, l'environnement et l'égalité. Des valeurs partagées par les auteurs de la BD et par Hélène Brethes, coordinatrice de l’association des Cols Verts, qui depuis 2018 porte le projet et ses engagements…

Exposées sur des grandes planches en bois au milieu des plantes, des aromates et des légumes, des bulles dessinées trônent fièrement dans le potager. La culture côtoie les cultures. Et dans cette BD d’ailleurs, il est aussi question de cultures. Depuis le 6 avril et jusqu’au 29 mai, l’exposition « Cultivons notre jardin », en partenariat avec la librairie L’Établi des Mots et Spéléographies, est visible au sein de cette micro-ferme rennaise. 

On y trouve des extraits de la bande-dessinée Le potager Rocambole – La vie d’un jardin biologique, dans laquelle l’auteur Laurent Houssin se place en une sorte de disciple de Luc Bienvenu, avec qui il réalise l’ouvrage et qui n’est autre que le créateur des splendides jardins de Rocambole, situés à Corps-Nuds, à quelques kilomètres de Rennes. 

Leçons de jardinage, transmission des savoirs mais aussi d’une passion pour la terre ainsi que tout ce qui vit et pousse dedans… et tout ça, à l’observation et l’expérience. Loin des étiquettes. Un propos qui fait écho avec les valeurs du lieu : elle véhicule une volonté de rendre accessible au plus grand nombre la diversité végétale, le travail du sol, la découverte du potager… 

Et Hélène Brethes, coordinatrice de l’association des Cols Verts le souligne : ça permet d’attirer les curieux-ses ! Mais aussi de faire découvrir le quartier, grâce aux 3 lieux d’exposition. Quand on lui demande comment le projet prend sens aujourd’hui, à la suite des trois confinements, elle répond : « Déjà de se faire plaisir, d’avoir une expo à l’extérieur, on n’a pas besoin de QR code, juste des panneaux, un potager et ça le fait très bien ! »

LE POTAGER DES CULTURES, UN LIEU D’ACCUEIL, DE DÉCOUVERTE ET D’APPRENTISSAGE 

Elle le précise d’emblée, au Potager des Cultures, « il y a une volonté d’avoir de la transmission de savoir, le potager des cultures ce n’est pas un jardin partagé, c’est une micro ferme urbaine, c’est-à-dire que les bénévoles ici ils réalisent un engagement citoyen. Ici, on ne récolte pas le fruit de son travail, tout ce qui est produit est donné à l’épicerie solidaire. »

Et cette distinction a une importance majeure. L’association des Cols Verts Rennes, lorsqu’elle s’installe sur les lieux et organise la création du potager, c’est d’abord dans une démarche et une perspective citoyenne. En 2018 le projet est voté au budget participatif et l’année suivante, le site est inauguré. 

Cette même année, Hélène Brethes se saisit du sujet et met un point d'orgue à ce que la participation soit citoyenne. Elle insiste tout le long de la consultation : tout le monde peut donner son avis. De la mère dont les enfants jouent dans le quartier au conseiller familial du centre social. Il y a une volonté de réunir, pour réfléchir le projet ensemble, de la gouvernance à l’aménagement. 

Quand le potager ouvre, elle précise à nouveau : c’est important que le potager soit accessible à tout le monde. Les profils sont variés et tous sont les bienvenus : les habitant-e-s, les personnes en situation de handicap, les personnes à la rue, celles qui se questionnent sur la valeur de leur travail ou encore celles qui portent des valeurs écologistes : l'objectif est de créer une véritable mixité. 

Cette volonté de mixité, d’apprentissage, de découverte, elle se lit jusque dans le nom du potager. Le Potager des Cultures, c’est la volonté de croiser la culture du sol avec la culture avec un grand C, grâce à sa proximité avec le Triangle et ses expositions. 

Historiquement, le potager est aussi installé là où se déroulait la fête des cultures : un moment de croisement, intergénérationnel, de diversité. Le nom répond à un besoin. « La sémantique est importante. Quand le projet est né, quand on parlait de ferme urbaine, tout le monde pensait aux vaches et aux tracteurs. Si on voulait que le projet aboutisse il fallait que les habitant-e-s puissent mieux situer de quoi il s’agissait : d’un potager, d’un lieu de rencontres. », précise Hélène. 

LE POTAGER, POUR CASSER LES CLICHÉS 

En s’installant, Hélène a aussi un objectif précis : casser les clichés. Et pour lutter contre, engager une maraîchère, ça avait du sens pour elle. Aline Desurmont, salariée depuis 2019, montre à tous les publics qu’une femme agricultrice, c’est possible ! Et en plus, d’attirer un public féminin, de le mettre plus à l’aise dans la ferme urbaine. 

Parce que les clichés ont la peau dure : si la chambre d’agriculture essaie de donner plus de voix aux agricultrices et à leurs parcours et rôles, leur reconnaissance n’est que très récente. En nous conseillant le visionnage du documentaire Nous Paysans, elle rappelle que le statut d'agricultrice n’existe que depuis peu. 

Si le terme agricultrice apparaît pour la première fois en 1961 dans Le Petit Larousse il faut attendre 1999 pour qu’elles soient considérées comme « conjointes collaboratrices » et c’est seulement en 2006, qu’elles deviennent des agricultrices à part entière et peuvent s’émanciper de leurs maris. Pour elle : “C’est encore un métier d’homme même s’il se diversifie”.

A l’inverse, l’agriculture urbaine attire surtout des femmes. Pour Hélène : « L'agriculture urbaine fait un peu un pied de nez, parce qu’il y a majoritairement des femmes. On nous rétorque qu'on ne nourrira pas le monde, ce n’est pas ce qu’on veut faire ! On n’est pas prise au sérieux, pourtant (l’agriculture urbaine), ça peut être porteur. » 

Cet écart, Hélène l’explique par son volet social, qui attire davantage les femmes. Mais encore une fois, même si la majorité des bénévoles sont des femmes car, comme l’analyse la coordinatrice, « le don de soi on l’apprend plus aux femmes », on retrouve cette volonté tenace d'attirer tous les publics, montrer que le bénévolat, c’est pour tout le monde, quel que soit le genre.

Au-delà du genre, il est aussi question de briser les clichés autour de l'agriculture de manière générale : montrer que c’est un secteur porteur auprès des jeunes. Hélène veut casser l’image de l’agriculteur avec lequel elle a grandi : « C’est montrer que l’agriculture, ça n’a pas de sexe, que ça peut être autant des nanas que des mecs, c’est montrer que l’agriculture peut être un secteur porteur et pas juste un truc de bouseux, parce que moi, j’ai grandi avec cette image, et je veux montrer autre chose ». 

Aline, maraîchère des Cols Verts, a quitté son travail de juriste dans le droit de l'environnement pour se réorienter vers un métier qui avait du sens pour elle : « Je voulais faire quelque chose dont l'énergie servirait à empêcher l'effondrement écologique ».

Pour elle, la meilleure manière d’utiliser cette énergie, c’est à travers l’agriculture biologique. Elle se forme, découvre le métier, les difficultés, elle déchante aussi : c’est un métier difficile physiquement et précaire. En arrivant au Potager des Cultures, elle rejoint ses valeurs. Elle veut redonner au métier d'agriculteur ses lettres de noblesse : un métier technique, avec de la réflexion et beaucoup de connaissances. 

LE POTAGER, POUR L’ÉGALITÉ 

Pour Hélène, aucun doute, le potager est vecteur d’égalité. Ouvert à tout le monde, elle rappelle : « Il y a une grosse mixité dans les bénévoles et les bénéficiaires, des personnes en situation de handicap, des enfants, des femmes, des adultes, et pour nous l’équité, ça passe par la valorisation de chaque personne sur la ferme. Les personnes sur la ferme ne sont pas de la main d’œuvre, c’est un apprentissage gratuit donc égalitaire, ça permet à des personnes de se révéler. » De plus, lelieu permet une proximité : pour venir au potager, pas besoin de voiture, il est au cœur du quartier du Blosne.

Elle soulève aussi l'importance de mobiliser et d’aller chercher les mères. Car le potager peut être un soutien éducatif, faire venir les enfants, leur faire découvrir le potager, comme un cahier de vacances. Majoritairement encore en charge de l’éducation des enfants, en les faisant venir sur les lieux, c’est aussi leur permettre de se réapproprier l’espace. Pour cela des ateliers en non-mixité sont organisésavec la volonté d’instaurer un climat de confiance. 

Aline appuie les propos d'Hélène : pour elle, le potager peut permettre l’égalité, il est synonyme de mixité, d'intergénérationnalité. Dans le potager, elle fait faire aux hommes et aux femmes les mêmes tâches. Il permet aussi de se poser des questions. En partageant son expérience, Aline est fière de permettre à des jeunes de s’interroger, de se questionner sur leur avenir et les valeurs qu’ils veulent y attacher. 

Elle le reconnaît, les rencontres avec les services civiques et les bénévoles lui ont redonné envie de s'intéresser aux questions d’égalité, de comprendre les mouvements féministes. Pour elle, le potager c’est avant tout un échange. 

Le potager est politique, il peut être un lieu d’apprentissage, de diversité et vecteur d’égalité. Des valeurs défendues dans la BD Le potager Rocambole, mais aussi par le potager collectif de Rennes 2 qui propose un espace d’apprentissage participatif à portée de tou-te-s. Comme le Potager des Cultures, il fait vivre les lieux en mêlant cultures et Culture : on y retrouvait une exposition féministe dans le cadre du 8 mars et on y découvre depuis le mois d’avril une fresque anti-carcérale. Une manière de politiser un lieu fondamentalement citoyen. Alors, cultivons notre jardin !

Célian Ramis

Solidarité avec les personnes LGBTI+ de Pologne

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Le 17 mai, journée mondiale contre l’homophobie, la biphobie et la transphobie, l'association Iskis - Centre LGBTI+ de Rennes organisait une action symbolique en soutien aux personnes LGBTI+ de Pologne.
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Il y a seulement 31 ans que l’OMS – Organisation Mondiale de la Santé – a retiré l’homosexualité de la liste des maladies mentales. C’est le 17 mai 1990 que la décision a été prise et aujourd’hui, la date symbolise la Journée mondiale contre l’homophobie, la biphobie et la transphobie.

Une action symbolique a eu lieu dans la matinée du 17 mai 2021, dans le quartier du Blosne, à l’initiative de l’association Iskis – Centre LGBTI+ de Rennes. « Chaque année, ce jour-là, nous faisons particulièrement attention à visibiliser, soit des questions générales concernant les droits et les luttes des personnes LGBTI soit un point précis, dans l’espace public. », nous explique les militant-e-s.

Iels sont peu nombreux-ses. Trois seulement. Au croisement de l’avenue de Pologne et du boulevard de Yougoslavie, les membres d’Iskis ont pour autant à cœur de soutenir les personnes LGBTI+ de Pologne, dénonçant les politiques virulentes exercées par les partis conservateurs et d’extrême droite, actuellement au pouvoir.

Depuis 2019, plus de 100 zones « sans idéologie LGBT » ont été recensées. Concrètement, des collectivités polonaises autorisent les commerçant-e-s à interdire l’accès à leurs boutiques à des personnes LGBTIQ+ et s’octroient le droit de couper les subventions à des initiatives pro-LGBTIQ+. 

Et quand on ne prône pas leur exclusion totale, on en appelle « au moins » à la discrétion. Traduction : on veut voir uniquement des personnes hétéros et cisgenres, pour le reste, on ne veut pas le savoir. Mais vivre caché-e-s en permanence quand la population renie votre existence, ça ne s’appelle pas vivre…

« ON N’EN PEUT PLUS DE CE SILENCE ! »

En réponse, l’Union Européenne a coupé les subventions à seulement 6 de ces zones en 2020 et en mars 2021 s’est proclamée « zone de liberté » pour les personnes LGBTIQ+. Des « mesures » largement insuffisantes face aux violences d’une politique drastiquement stigmatisante et discriminatoire.

« On avait déjà organisé une mobilisation il y a trois ans par rapport à la situation en Pologne. On constate que rien n’a bougé. Ça s’enlise même. », déclare les militant-e-s d’Iskis qui ont organisé cette action à l’appel de Solidarités LGBTI+ Pologne, dont l’association a rejoint le mouvement. « On n’en peut plus de ce silence ! », poursuivent-iels.

Iels dénoncent l’utilisation du sujet et des droits des personnes LGBTI+ pour plaire à un certain électorat. En effet, le parti au pouvoir, parmi lequel figure PiS (Droit et justice), vise par des campagnes de haine les personnes LGBTI+ au nom des valeurs traditionnelles familiales. Un papa, une maman, un enfant…

« Ça crée un climat de fond propice aux attaques contre les droits de la population LGBT. Et c’est une attaque envers tous les individus. Car cela concerne aussi les personnes qui viennent sur le territoire. En Erasmus ou autre. Ce qu’on pose aujourd’hui, c’est la question des droits humains. Faut-il agir ou se taire ? », signale Iskis.

L’association, ainsi que Solidarités LGBTI+ Pologne, somment les gouvernant-e-s français-es au même titre que l’Union Européenne de réagir, sans plus tarder, par des mesures concrètes et fortes. Sans « fausse pudeur ». « La Pologne n’est pas éloignée de nous. Nous partageons un socle commun de lois européennes. Si on laisse faire en Pologne, qu’est-ce qui empêche cette haine de se répandre dans les autres pays ? », s’inquiètent les militant-e-s.

« ON CRAINT UNE SITUATION SIMILAIRE »

Iels le disent : « En Pologne, la restriction des droits LGBTI est promue par des partis fascisants. En France, des partis fascisants prennent aussi place dans les médias. On craint une situation similaire. »

Pinkwashing en période électorale, discours LGBTIphobes décomplexés, lâcheté politique face, entre autre, à l’extension de la PMA pour tou-te-s… les violences sont quotidiennes également en France. L’action de ce 17 mai est symbolique mais lance un message clair : l’Union Européenne, ainsi que nos dirigeant-e-s, doivent assumer une position claire et ne plus cautionner les actes haineux et discriminants envers une partie de la population.

De l’injure aux meurtres, en passant par les humiliations, agressions physiques et/ou sexuelles et les discriminations (à l’emploi, au logement, etc.), les LGBTIphobies ne sont pas anecdotiques. Elles sont nombreuses et plurielles, relevant du sexisme, du racisme, du validisme, etc.

Dans son rapport 2020, SOS Homophobie – qui a enregistré une augmentation de 26% des témoignages - signale : « Le nombre d’agressions physiques rapportées par les personnes trans a plus que doublé, avec une augmentation de 130%. Les violences physiques dont sont victimes les personnes LGBTI sont une réalité indéniable qui reste ancrée dans notre société. »

Sans oublier que la crise sanitaire mondiale a exacerbé les violences à l’encontre des personnes sexisées, des personnes LGBTIQ+ ainsi que des personnes racisées et des personnes handicapées.

La situation est alarmante. La réaction doit être à la hauteur. Que ce soit dans les politiques européennes et nationales, avec des positionnements clairs et forts comme l’extension de la PMA pour tou-te-s, l’adoption pour les familles LGBTI, l’auto-détermination des personnes trans, l’obtention du titre de séjour pour les personnes exilées menacées par les LGBTIphobies, etc. comme dans les médias, les films et les séries, le sport, la littérature, etc.

Les représentations non stéréotypées et stigmatisantes sont essentielles et indispensables à la déconstruction d’une société patriarcale qui sanctionne faiblement des agissements de marginalisation, d’exclusion et de violences.

Célian Ramis

Ce sont les féminicides qu'il faut stopper et non les militantes !

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Jeudi 1er avril, des militantes féministes ont appelé au rassemblement place de la Mairie à Rennes, pour dire stop aux féminicides. Les prises de parole ont été interrompues par les forces de l’ordre, contraignant les organisatrices à dissoudre la mobilisation.
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Ce jeudi 1er avril, plusieurs militantes féministes ont appelé au rassemblement place de la Mairie à Rennes, sur fond d'occupation de l'Opéra, pour dire stop aux féminicides et plus largement aux violences à l’encontre des personnes sexisées. Le message est partiellement passé puisque les prises de parole ont été interrompues par les forces de l’ordre, contraignant les organisatrices à dissoudre la mobilisation.

Jennifer, 35 ans, tuée au couteau par son conjoint. Deux enfants ont également été tués (11 et 16 ans). Avril 2020.

Anonyme, 52 ans, retrouvée inanimée après avoir été battue à mort par son conjoint. Mai 2020.

Virginie, 45 ans, tuée par arme à feu par son conjoint gendarme. Juillet 2020.

Anonyme, 37 ans, poignardée puis égorgée par son ex-mari en attente d’un jugement pour violence conjugale. Juillet 2020.

Laetitia, 38 ans, abattue au fusil de chasse par son mari qui a ensuite dissimulé le corps. Octobre 2020.

Anonyme, 76 ans, étranglée par son mari « parce qu’il était à bout de nerfs ». Octobre 2020.

Ces crimes sont inscrits sur les pavés ce midi du premier avril, place de la Mairie, à Rennes. Les passant-e-s s’arrêtent, lisent, repartent ou s’arrêtent quelques minutes, interpelé-e-s par les affiches qui jonchent le sol aux côtés de messages tout aussi forts : « Y’a pas mort d’homme ! y’a juste mort de femme », « Le sexisme tue tous les jours », « Police, justice, classement sans suite : vous êtes complices » ou encore « Dans 2 féminicides, c’est Pâques ».

Le décompte est glaçant : « Déjà 475 féminicides que Macron a nommé les violences faites aux femmes comme grande cause du quinquennat ». Plus d’une centaine de femmes ont été tuées par leur conjoint ou ex-conjoint en 2020. Depuis le 1er janvier 2021, ce sont déjà 27 femmes assassinées par leur compagnon ou ex compagnon, selon le recensement du compte Féminicides par compagnons ou ex.

Récemment, près de Rennes, c’est le meurtre de Magali Blandin qui secoue. Assassinée en février 2021 par son mari, à coups de batte de base-ball. « Comme la grande majorité des femmes tuées par leurs conjoints ou ex, elle avait porté plainte pour violences conjugales (la plainte avait été classée sans suite). Comme la grande majorité des femmes tuées par leurs conjoints ou ex, elle avait demandé de l’aide, mais n’a pas été prise au sérieux. », signale le tract distribué et lu au micro à l’occasion du rassemblement.

LES MOTS ONT UN SENS

La question du langage est centrale. La société n’assiste pas à une libération de la parole de la part des personnes sexisées. MeToo ainsi que tous les mouvements permettant les témoignages massifs dénonçant les violences sexistes et sexuelles ont amené le grand public à les écouter davantage.

Les militantes féministes insistent depuis plusieurs années pour faire évoluer les mentalités à ce sujet : on ne tue jamais par amour. Pourtant, dans les médias ou dans les procédures d’accueil des victimes, dans les enquêtes et les procès, on entend encore parler de « crime passionnel », de « drame familial ». Le tract le mentionne, ajoutant : « Dans la bouche de l’avocat du meurtrier de Magali Blandin, il l’a tuée « parce qu’il tient énormément à la famille ». »

Sans oublier le processus d’inversion de la culpabilité que l’on brandit sans vergogne dans de nombreux cas de féminicides, à l’instar de l’affaire Alexia Daval, tuée par son conjoint Jonathann Daval dont les avocats avaient dressé un portrait de femme castratrice. De quoi légitimer son crime : si elle a ôté la virilité de son époux, celui-ci peut lui ôter la vie.

Durant les prises de parole, les militantes rappellent :

« Ce sont des crimes de possession. Un homme s’octroie le droit de vie et de mort sur sa compagne qui n’a pas le droit selon lui d’exister sans lui. On voulait juste rappeler qu’avec l’épidémie du covid, il y a une explosion des violences masculines faites aux femmes. Selon les données de l’ONU en septembre, le confinement du printemps a fait augmenter ces agressions, ces viols, ces meurtres de 30% en France. »

Et puis, il y a ces phrases que les victimes entendent dans les commissariats ou les tribunaux, visant à les décourager de porter plainte ou d’aller au bout de la procédure : « Ça pourrait changer la vie de Monsieur à tout jamais, c’est pas rien ! » C’est ce dont témoigne cette militante ce midi-là :

« J’interviens aujourd’hui en tant que militante au sein du NPA, en tant que femme, en tant que femme lesbienne, en tant que mère d’une jeune femme, et j’ai aussi été cette enfant qui a grandit au milieu de la violence conjugale. Je repense à ma mère qui quand elle avait tenté de porter plainte contre cet homme violent, le père, elle s’était entendue dire « Vous êtes sure Madame que ce serait pas un gros préjudice pour votre mari ? Il risque la prison quand même. » Alors elle est repartie. C’était il y a plus de 40 ans. Ça n’a pas tellement changé. »

EXIGER DES MOYENS À LA HAUTEUR DU PROBLÈME

Le rassemblement vise encore une fois à réclamer des moyens satisfaisants. Pas des effets de communication ou de « beaux » discours sur l’importance de lutter contre les violences patriarcales. Non, des moyens, des vrais. À la hauteur de l’ampleur et de l’étendue des violences sexistes et sexuelles qui cautionnent qu’une femme meurt tous les 3 jours environ des coups de son conjoint, dont on essaye d’amoindrir le geste.

Les militantes féministes exigent non seulement la mise à disposition de structures d’hébergement pouvant accueillir les femmes victimes de violences conjugales, la formation des agent-e-s de toute la chaine juridico-policière, mais surtout la lutte profonde contre la culture du viol, contre la culture patriarcale visant à réduire les femmes au statut d’objet appartenant aux hommes.

La liste des revendications est longue et non exhaustive : « Dire notre colère ne suffit pas. En tant que femme, comme en tant que personne subissant les oppressions et les violences patriarcales, nous devons nous organiser pour faire entendre notre colère. Et pour obtenir des victoires contre ce système. Nous devons exiger des mesures immédiates, la mise sous protection effective de la victime dès la première alerte, la simplification des démarches pour porter plainte, pour quitter le domicile conjugal, éloigner l’agresseur, l’accès facilité aux services de santé spécialisés, des personnels spécialisés formés en nombre suffisant dans tous les services concernés : police, justice, éducation et bien d’autres, l’application de la loi afin que l’agresseur soit tenu éloigné, des places d’hébergement sécurisés et en nombre suffisant pour les femmes et leurs enfants, un accès au droit d’asile immédiat pour les femmes et personnes LGBTQI étrangères, plus de moyens aux associations féministes et LGBTQI qui assurent les missions de service public d’accompagnement et de soutien, des campagnes régulières d’information et d’éducation populaire, des moyens encore pour la mise en place effective pour l’éducation à la vie sexuelle et affective à l’Education nationale…»

« JE SUIS UNE FEMME ET JE VEUX POUVOIR ME SENTIR LIBRE »

Et puis, il y a ce témoignage de Louise. Exceptionnellement, nous le retranscrivons ici dans son intégralité :

« Je suis une femme, j’ai 17 ans et je fais partie des 97%. Alors que je croyais être invincible, que j’étais sûre de ne jamais subir de violences, il y a deux ans je suis tombée dans le filet d’un violeur. J’en ai parlé avec mes sœurs, chacune d’entre elles m’ont alors confié qu’elles aussi avaient subi des violences. 

La violence, elle a de multiples facettes. C’est difficile de savoir où est-ce qu’elle commence et quand elle s’arrête. Il y a les violences physiques, qui passent par les coups, les gestes qui nous font mal au corps. 

Les violences sexuelles : viols, attouchements, refus d’une contraception, harcèlement de rue, non respect du consentement. En France, 30% des femmes subiront des violences de la part de leur actuel ou ancien compagnon et 97% d’entre elles seront victimes de viol-s ou harcèlement sexuel. 

Il y a les violences psychologiques, qui ne laissent pas de traces visibles mais alimentent un mal être constant. L’agresseur utilise les mots pour détruire sa proie. Il dévalorise son comportement, son apparence, son caractère, sa personnalité. La torture psychologique se fait aussi par des actes qu’on pourrait percevoir comme de la jalousie excessive mais qui sont en réalité néfastes et dangereux. Contrôler la totalité des faits et gestes de quelqu’un, l’empêcher de travailler, d’avoir une vie sociale, d’avoir une indépendance, faire en sorte d’être essentiel pour ne jamais être remplacé, tel est le mode opératoire d’un pervers narcissique. 

Les violences peuvent être économiques lorsque l’agresseur ne paye pas la pension alimentaire, contrôle l’argent de sa victime ou l’empêche d’utiliser son salaire. 

Les mariages précoces et fermés, les mutilations génitales et les exploitations sexuelles sont aussi des violences que les femmes subissent. Dans le monde, environ 650 millions de femmes ont été mariées de force et 200 000 autres sont victimes de mutilation génitale. 

Les violences peuvent avoir lieu n’importe où et n’importe quand. Au travail comme dans la rue, au sein d’un couple comme dans la famille, à l’école comme dans les transports ou même les milieux hospitaliers. Peu importe leur durée, les violences sont anormales et pourtant si banalisées. 

Comment expliquer que 80% des plaintes sont classées sans suite, que les féminicides ont lieu tous les 3 jours ? Comment expliquer qu’au moment où je lis ces mots quelqu’un quelque part en France subit un viol ? Comment expliquer qu’une femme ne puisse pas se sentir en sécurité dans la rue ? Qu’elle ne se sente pas légitime à porter les vêtements qu’elle aime ? Qu’elle soit insultée selon ses pratiques sexuelles ? 

Je suis une femme, j’ai 17 ans et j’ai peur. Il y a tout un tas de choses effrayantes dans la vie d’une adolescente mais les violences que les femmes subissent sont effroyables et m’inquiétent car on n’est jamais à l’abri d’un sifflement ou d’un regard… 

Je suis une femme et je veux pouvoir me sentir libre et en sécurité. Partout et tout le temps. Sensibilisons les plus jeunes pour nous assurer un avenir, éduquons-les loin du patriarcat. Agresseurs, changez de camp ! Battez la société dans laquelle nous sommes enfermé-e-s plutôt que de vous défouler sur nos corps ! »

La mobilisation est interrompue par les forces de l’ordre qui exigent la dissolution de l’assemblée. Les organisatrices ont repoussé ce moment par respect envers la femme qui s’exprime. Le symbole est fort, et il est lourd, pesant. Interrompre la parole des femmes dans l’espace public en usant de son autorité… C’est choquant. Et cela renforce la colère entendue dans chaque prise de parole, y compris dans celles qui n’ont pas pu prendre le micro.

« Si la police était aussi efficace dans les violences faites aux femmes, ce serait vraiment le top ! », sera le mot de la fin et sera accompagnée par une levée des voix en chœur : « Nous sommes fortes, nous sommes fières, et féministes et radicales et en colère ! ». Espérons que la chanson reste dans la tête des flics…

 

Célian Ramis

Le cinéma documentaire à l'aune du genre

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Du 8 au 29 mars, Docs au féminin a réglé sa focale sur les luttes féministes et les personnes sexisées. Sans oublier celles qui créent, écrivent, produisent, réalisent, sélectionnent et partagent des visions et des points de vue, des émotions et des tranches de vie.
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Du 8 au 29 mars, Docs au féminin a réglé sa focale sur les luttes féministes et les portraits de personnes sexisées à travers une série de longs et courts métrages documentaires, diffusés en ligne ou à travers des vitrines, à l’occasion du 8 mars à Rennes. Sans oublier celles qui créent, écrivent, produisent, réalisent, œuvrent à la mise en place de l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, sélectionnent et partagent des visions et des points de vue, des émotions et des tranches de vie.

En février 2019, on rencontrait la réalisatrice Céline Dréan pour parler avec elle de la place des femmes dans le milieu du cinéma. Elle venait de participer avec Véronique Le Bris, journaliste et fondatrice du magazine en ligne Cine-Woman à une table ronde sur le sujet, animée par HF Bretagne dans le cadre du festival Travelling. 

Cet événement était précédé de la projection du film de Clara et Julia Kuperberg, Et la femme créa Hollywood qui s’attache à montrer qu’au départ, dans les années 1910 - 1920 les femmes étaient présentes dans la création cinématographique, et pas qu’un peu ! Elles étaient en nombre, compétentes et à des postes à responsabilité. Mais depuis que s’est-il passé ? 

« Je suppose qu’il y a un faisceau assez complexe de causes mais l’essentiel, c’est que l’argent est arrivé. Au départ, le cinéma était un art complètement expérimental, il n’y avait pas d’enjeu financier. C’était plutôt un endroit dans lequel venaient les personnes qui n’avaient pas de travail, c’est-à-dire les femmes, qui n’arrivaient pas à être embauchées ailleurs. C’est quand les industriels ont commencé à s’intéresser au cinéma et donc à y mettre de l’argent que l’enjeu a été modifié. Ce n’était plus seulement un enjeu de création mais c’était également un enjeu économique et c’est là que les hommes sont arrivés et ont pris le pouvoir. Ce qui est assez symptomatique – alors là je m’avance peut-être un peu – de plein d’autres domaines, comme les sciences par exemple. », nous avait alors répondu Céline Dréan.

La situation a-t-elle beaucoup évolué depuis ? Oui, c’est indéniable. Il y a désormais davantage de réalisatrices que dans les années 50. Mais pour la professionnelle, il y a encore de nombreux écarts, notamment dans la répartition femmes-hommes selon les genres cinématographiques. Dans le documentaire, notamment, encore une fois très imprégné de l’esprit expérimental, et peu étiqueté « gros budgets ».

Le cinéma, comme le reste des arts et de la culture, n’est pas un secteur qui fait exception. Il est empreint, à l’instar de tous les domaines de la société, d’une éducation genrée, permise par un système global reposant sur des mécanismes de domination : sexisme, racisme, validisme, LGBTIphobie, grossophobie, classisme, âgisme, etc. Les oppressions pouvant se croiser et se cumuler.

Compter, c’est une des premières étapes essentielles à la prise de conscience générale. C’est ce que rappelle Elise Calvez, membre de HF Bretagne, association œuvrant pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes dans les arts et la culture, mardi 23 mars.

Elle animait, en visio, une table ronde autour de la place des femmes dans le cinéma documentaire, à l’occasion de Docs au féminin, réunissant Natalia Gómez Carvajal, chargée de la programmation, Claire Rattier-Hamilton, chargée de mission court-métrage et documentaire à la Région Bretagne, Marine Ottogalli, co-réalisatrice de Ayi, et Leïla Porcher, co-réalisatrice de Je n’ai plus peur de la nuit. 

DES CHIFFRES ÉDIFIANTS, ENCORE…

Du côté de la Scam, la Société civile des auteurs multimédia, l’enquête concernant la répartition des autrices et des auteurs sur une décennie (2009 – 2019) montre une évolution très faible du nombre d’autrices membres de la structure. En 2009, elles représentent 36%. Dix ans plus tard, 37%. Le chiffre est dérisoire.

En mars 2021, le CNC publie son étude sur « La place des femmes dans l’industrie cinématographique et audiovisuelle », de 2010 à 2019, montrant que différents métiers au sein même du secteur de la production cinématographique sont encore profondément genrés et les salaires des femmes encore inférieurs à ceux des hommes (37,3% d’écart entre un réalisateur et une réalisatrice concernant le salaire moyen).

Les postes de scripte et assistant-e scripte, costumier-e et habilleur-euse et de coiffeur-euse et maquilleur-euse sont principalement occupés par des femmes, tandis que les professions techniques comme machiniste, électricien-ne et éclairagiste sont largement occupées par des hommes.

Inégalités encore avec les films français agréés encore majoritairement réalisés ou co-réalisés par des hommes à 74,1%. Et ils coûtent plus chers. En 2019, le devis moyen des films français réalisés par des femmes est inférieur d’environ 2 M€ à celui des hommes.

« Ces écarts s’expliquent en partie par l’absence de très grosses productions réalisées par des femmes et l’importance du genre documentaire au sein des films réalisés par des femmes, genre moins coûteux à produire »
indique l’étude du CNC dans sa synthèse. 

LA RÉGION S’Y MET DOUCEMENT

En région, la question des chiffres est complexe, comme l’explique Claire Rattier-Hamilton, chargée de mission Court-métrage et Documentaire à la région Bretagne. Elle a récolté des données à la demande du festival mais insiste sur le fait qu’elles sont à prendre avec précaution. Il n’y a pas encore d’étude précise et officielle sur le sujet.

Ainsi, en 2020, tout genre confondu, elle constate qu’il y a eu plus de projets portés par des hommes aidés au niveau de la production « mais c’est un tout petit peu moins flagrant en développement et en écriture. »Ainsi, les écarts se resserrent : « On a aidé plus de projets en développement et en écriture portés par les femmes. »

D’un point de vue financier, les projets portés par les femmes demandent moins de budget pour les aides à la production. Et l’écart n’est pas fin : « Environ 29 000 euros pour les femmes et environ 47 000 euros pour les hommes. » En revanche, ce qu’elle note, c’est qu’au final, les hommes obtiennent un budget inférieur à leur demande initiale et les femmes obtiennent « à peu près » ce qu’elles demandent.

Elise Calvez le souligne : l’évolution est lente et modeste malgré la prise en compte de ces préoccupations, globalement dans de nombreux secteurs des arts et de la culture depuis plusieurs années. Il faut compter pour établir des données chiffrées parlantes et révélatrices d’une problématique profonde. Il faut compter pour établir une prise de conscience significative.

S’outiller pour comprendre d’où viennent les problématiques, ces sources d’inégalités qui persistent et pouvoir ainsi analyser ces écarts qui non seulement perdurent mais aussi se creusent au fil des échelles que l’on étudie. On sait notamment grâce au diagnostic chiffré établi en 2019 par HF Bretagne sur la place des femmes dans le spectacle vivant et les arts visuels que les femmes représentent :

« 60% des étudiant-e-s, 40% des artistes actif-ves, 20% des artistes aidé-e-s par des fonds publics, 20% des dirigeant-e-s, 20% des artistes programmé-e-s, 10% des artistes récompensé-e-s. »

ÉMERGENCE D’UNE NOUVELLE GÉNÉRATION

Cette évolution lente et modeste dont Elise Calvez parlait amène tout de même à faire bouger quelques lignes. Heureusement. Avec l’arrivée par exemple de davantage de réalisatrices mais aussi de productrices. En 2020, par exemple, Claire Rattier-Hamilton précise que la région a aidé 16 productrices et 17 producteurs. Pour que ce chiffre soit satisfaisant, il doit se pérenniser.

Ce constat est partagé également par Leïla Porcher qui a travaillé pour son premier long-métrage avec une équipe quasi exclusivement féminine parce que ses productrices étaient entourées de femmes sur tous les postes, excepté le mixage : « On a sans doute été préservées de ce que ça représente dans la confrontation au quotidien. »

Celle qui a d’abord entrepris des études d’anthropologie avant de se former en documentaire et réalisation à Aix-Marseille, précise : « Dans ma formation, on était une majorité de femmes. À la sortie, par contre, les gens que je connais et qui ont poursuivi en réalisation sont des hommes. »

Marine Ottogalli, elle, a une formation de technicienne. Ce qui l’anime dans le cinéma, c’est d’être cheffe opératrice. Les chiffres cités précédemment ne sont, selon elle, pas surprenants : « Ils me parlent, surtout sur le fait que les femmes arrivent dans la production. »

Ce qu’elle remarque principalement, c’est la difficulté qu’ont les femmes, en règle générale, à imposer un salaire : « Ce sont les hommes autour de moi qui font monter les salaires, souvent. Mais après, je pense aussi qu’il y a une question de personnalité, au-delà de la question du genre. »

Si très rares sont les modèles de cheffes opératrices, en revanche, la réalisatrice précise que dans ces influences lui viennent principalement des femmes, à l’instar de Chantal Akerman. Si elle a eu davantage d’hommes mentors dans son parcours, en revanche « après, dans les stages ou les postes d’assistante, ce sont des femmes qui m’ont aidée à monter dans ma carrière. » 

VISIBILISER LES FEMMES

De son côté, Leïla Porcher regrette de n’avoir bénéficié d’aucun modèle de réalisatrices. « J’aurais aimé en avoir. C’est avec Anna Roussillon que j’ai découvert que c’était possible, que oui, on pouvait arriver à ce type d’écriture, etc. », explique-t-elle. Sur le relationnel avec les hommes dans ce secteur, elle n’en a pas encore fait l’expérience.

En revanche, elle l’affirme : le film Je n’ai plus peur de la nuit n’aurait pas pu être réalisé par des hommes. « La société kurde est ségréguée sexuellement. Je pense que ça aurait été impossible d’accès pour des hommes. En tout cas, ils n’auraient pas pu développer les liens qu’on a pu avoir. Nous avons passé beaucoup de temps avec ces femmes, des combattantes kurdes, déjà ça a changé notre regard mais je pense aussi qu’en tant que femmes, on avait moins de risque de tomber dans l’exotisation et la romantisation. », analyse-t-elle.

Au départ du projet documentaire d’Ayi, l’idée était de montrer les cuisines de rue. Au bout de la première année, Marine Ottogalli et Aël Théry ont choisi d’axer autour de la figure d’Ayi, « tellement charismatique que tout s’est polarisé autour d’elle. » Le film est devenu un portrait de femme migrante dans un quartier de Shangaï, racontant « l’émancipation d’une femme partie de son village où elle s’occupait de sa famille et qui a choisi de partir et de trouver une place en ville. »

Donner à voir des luttes féministes et des portraits de femmes. C’est là l’objectif de Docs au féminin, géré par Natalia Gómez Carvajal, sa chargée de programmation au sein de Comptoir du doc depuis septembre 2020. Elle avait l’espoir que l’événement se déroule en présentiel mais la gestion gouvernementale de la situation sanitaire a contraint les salles de cinéma et lieux de culture a fermé leurs portes.

Prévoir les projections en ligne, cela pose question au sein de la structure qui défend l’espace du cinéma comme opportunité de faire du lien et de rencontrer le public. Ainsi, Docs au féminin s’est inspiré d’une initiative grenobloise et a organisé le 13 et 20 mars des séances de courts-métrages, diffusés dans les vitrines de commerces du centre ville et de Maurepas.

Concernant la diffusion via une plateforme ciné, un avantage se profile rapidement : si la manifestation est d’ordinaire organisée à Rennes – aux Champs libres – cette année, tout le monde pourra bénéficier de ses séances gratuitement, sans barrières géographiques.

« Les violences sexistes et sexuelles existent de partout. Surtout dans les foyers, on le sait et on le voit bien depuis les confinements. Là, on fait entrer des films documentaires qui parlent de ces sujets, par différents biais, directement dans les foyers. »
souligne Natalia Gómez Carvajal.

Du 8 au 29 mars, 4 films ont été proposés tous les lundis soirs : In search de Beryl Magoko et Jule Katinka Cramer, sur le rapport à l’excision d’une femme kenyane qui va ensuite découvrir la chirurgie réparatrice, Ayi de Marine Ottogalli et Aël Théry, sur le combat d’une femme migrante qui cuisine dans la rue en évitant les forces de l’ordre dans un quartier de Shangai, The Giverny document de Ja’Tovia Gary sur les conséquences des représentations coloniales des femmes noires sur l’intégrité de leurs corps ainsi que leurs résiliences, et Je n’ai plus peur de la nuit, de Leïla Porcher et Sarah Guillemet, sur la formation politique et militaire des combattantes kurdes. 

Natalia Gómez Carvajal nous explique sa manière de procéder pour la sélection de films : « Je regarde un maximum de films sans regarder si c’est fait par un homme ou une femme. C’est vraiment un choix. Je lis le synopsis, s’il me plait, je regarde. Je fais au ressenti. À chaque fois, ça a été des films réalisés par des femmes. J’étais contente ! J’avoue que si ça n’avait été que des hommes à la réalisation, je me serais posée des questions… Ensuite, je travaille avec un groupe de programmation, cette année, constitué de 8 – 9 personnes qui ont vu tous les films et suivi tous les échanges. »

L’objectif a été rempli selon la chargée de programmation qui s’enthousiasme de pouvoir proposer, au sein de la thématique vaste des femmes et des luttes féministes, des visions plurielles et diverses. Pas uniquement centré sur l’occident, sur le corps blanc, etc.

« On aborde dans le festival également la question des identités de genre. Et on réfléchit et on est preneur-euse-s de proposition d’un nom qui pourrait justement inclure davantage toutes les identités de genre. », souligne Natalia Gómez Carvajal.

UN MOMENT DE BASCULEMENT

On questionne la place des femmes et des minorités de genre dans les différents secteurs de la société. On réalise un travail profond de réhabilitation de celles-ci dans l’Histoire. On valorise le matrimoine. On déconstruit au fur et à mesure ce qui fondent les inégalités profondes de notre société. On dénonce les violences sexistes et sexuelles. On compte. Aussi bien en terme de chiffres que dans les récits et les parcours.

« On est peut-être à un moment de basculement. », nous dit la chargée de programmation de Docs au féminin. Elle poursuit : « Ce qui est intéressant avec les deux réalisatrices qui étaient présentes à la table ronde, c’est que pour toutes les deux c’était leur premier film et qu’elles représentent cette nouvelle génération qui arrive avec des nouvelles réalisatrices, des nouvelles productrices. Elles osent davantage. »

Pour elle, les études sont encore très difficiles à analyser et ne peuvent pas tout à fait être considérées comme photographie fidèle et globale du secteur du cinéma : « Mais c’est intéressant car ça interroge. Il y a des choses à creuser à mon avis. Comme cette chute que l’on constate : en ce qui concerne les aides à l’écriture, les femmes demandent partout. Mais ensuite au moment du développement, il y a un écart. Ce qu’il faut voir, c’est que ce sont les boites de production qui font les demandes d’aides financières. Est-ce qu’elles osent demander plus quand ce sont des projets portés par des hommes ? Il faut creuser la question. »

Numériser les projets aiderait à suivre précisément tout le trajet du dossier pour l’analyser plus en détail et en profondeur. La question est encore très complexe et Elise Calvez le signale également : du côté de HF Bretagne, aucun groupe Cinéma n’a encore été constitué. L’appel est lancé. Pour compter, décrypter, prendre conscience, informer, sensibiliser, former, faire bouger les lignes ensemble.

Célian Ramis

De Gisèle Halimi à aujourd'hui : de l'intime au collectif

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Dans le cadre du 8 mars, l'association Déclic femmes organisait une conférence intitulée « Générations féministes, de Gisèle Halimi à la vague #MeToo », animée par l’autrice engagée, Jessie Magana, mardi 16 mars.
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« Chaque pas du féminisme est un pas pour les femmes migrantes ». C’est le postulat de départ de Fatima Zédira, fondatrice – en 1995 – et directrice de l’association rennaise Déclic Femmes qui en 26 ans a accueilli et accompagné entre 400 et 500 femmes exilées. Dans le cadre du 8 mars, la structure organisait une conférence intitulée « Générations féministes, de Gisèle Halimi à la vague #MeToo », animée par l’autrice engagée, Jessie Magana, mardi 16 mars. 

Gisèle Halimi, dans ses discours, ses écrits et ses actes en tant qu’avocate, autrice et députée, a toujours accompagné Fatima Zédira. Elle a d’abord défendu les indépendantistes tunisiens avant de venir en France et de s’inscrire au barreau de Paris. « Elle a découvert une justice instrumentalisée, au service de la domination coloniale. », précise la directrice de Déclic Femmes.

Elle s’est rapidement engagée dans le féminisme, créant avec Simone de Beauvoir entre autre, l’association Choisir la cause des femmes. Le procès de Bobigny, dans lequel elle défend une jeune femme ayant avorté à la suite d’un viol (en 1972, l’IVG est illégal) mais aussi sa mère, désignée complice, et trois autres femmes, ainsi que le « procès du viol », à la suite duquel l’avocate va brillamment réussir à faire changer la loi, figurent parmi les procès historiques du siècle dernier.

« Gisèle Halimi porte la cause des femmes jusqu’à ce qu’elles soient prises en compte. »
déclare Fatima Zédira en introduction de la conférence.

Au quotidien, elle œuvre avec les bénévoles pour l’insertion socio-professionnelle et l’apprentissage de la langue française des personnes exilées mais aussi et surtout pour « l’intégration réelle, celle qui prend en compte la dignité et l’histoire de la personne. »

Elle le rappelle, un migrant sur deux est une femme : « Une femme souvent diplômée, compétente ! Les femmes migrantes doivent être incluses dans le féminisme. Ce sont des richesses et non des poids. L’association fait l’interface entre les femmes et le pays d’accueil. Cette année encore, on a des femmes qui se sont inscrites en M2, en doctorat, etc. De par leur statut de femmes et de migrantes, elles subissent : discriminations, barrière de la langue, non équivalence des diplômes, manque de connaissances des dispositifs dans le pays d’accueil, manque de réseau (et donc isolement), manque de mobilité… Ces freins font qu’elles sont exposées à de nombreuses violences. »

Pendant le confinement, Fatima Zédira le dit clairement, la question des violences à l’encontre des femmes exilées s’est posée « encore plus fort que d’habitude. » L’association a rencontré Jessie Magana, autrice engagée dans les combats féministes mais aussi anti-racistes. 

Elle a notamment écrit Les mots pour combattre le sexisme, Des mots pour combattre le racisme, avec Alexandre Messager aux éditions Syros, Riposte – comment répondre à la bêtise ordinaire aux éditions Actes sud junior, Des cailloux à ma fenêtre aux éditions Talents Hauts ou encore Rue des Quatre-Vents – au fil des migrations, aux éditions des Eléphants.

Récemment, elle a signé le nouvel album de la collection Petites et grandes questions, chez Fleurus, Tous différents mais tous égaux ? et toutes les questions que tu te poses sur le sexisme, le racisme et bien d’autres discriminations et début mars est paru son roman Nos elles déployées, aux éditions Thierry Magnier. Sans oublier qu’en mai son livre Gisèle Halimi : non au viol, publié chez Actes sud junior en 2013, sera réédité. 

RENCONTRE AVEC GISÈLE HALIMI

En 2009, Jessie Magana écrit son premier livre édité, Général de Bollardière : non à la torture (dans la même collection chez Actes sud junior). La guerre d’Algérie fait partie de son histoire familiale, à travers son père, et c’est en effectuant des recherches sur le sujet qu’elle tombe sur Gisèle Halimi.

« Elle est féministe dans toutes les dimensions du terme ! Elle lutte pour les droits des femmes mais aussi pour elle-même. Et je trouve que c’est un modèle intéressant à montrer aux jeunes. Je n’aime pas tellement le terme « modèle », je trouve qu’il renvoie l’idée de se conformer… Je dirais plutôt source d’inspiration ! », explique l’autrice. 

Peu de temps après éclate l’affaire DSK. C’est un déferlement médiatique qui montre que le combat que Gisèle Halimi a porté pour faire reconnaître le viol en crime est toujours d’actualité :

« La notion de consentement, l’inversion de la charge sur la victime… Elle a fait changer la loi en 1978 mais en 2011, on en était toujours à avoir les mêmes comportements et remarques dans les médias… »

Pendant la conférence, elle raconte comment Gisèle Halimi, dans cette décennie qui va marquer l’histoire des féminismes, se saisit d’un cas particulier et l’érige en procès de société. Avec l’avortement tout d’abord lors du fameux procès de Bobigny où elle défend Marie-Claire et sa mère, entre autres.

« En 72, elle fait venir à la barre experts, politiques, journalistes, médecins, etc. et fait le procès de l’avortement. Elle a ensuite été menacée, comme elle l’avait été en défendant les indépendantistes algériens. C’était une remise en question de ce qu’elles étaient en tant que femmes qui prennent la parole, comme pour Simone Veil. En 78, elle reproduit ça avec le procès de deux jeunes femmes violées, Anne Tonglet et Araceli Castellano. Au départ, l’affaire est envoyée en correctionnelle pour coups et blessures. Mais les deux femmes obtiennent la requalification du procès. Gisèle Halimi prend leur défense et là encore, elle gagne. Non seulement elle gagne le procès mais elle gagne une nouvelle loi qui précise le viol et empêche sa correctionnalisation (dans le texte, car dans les faits, nombreuses sont les victimes à voir leur affaire requalifiée en agression sexuelle plutôt qu’en viol, ndlr). », précise Jessie Magana. 

Et le 16 mars 2021, quelques heures avant l’échange organisé par Déclic Femmes, les député-e-s fixaient à l’Assemblée nationale l’âge du consentement à 15 ans. Malgré le « procès du viol », l’affaire DSK, l’affaire Weinstein, et de nombreuses autres, les violences sexistes et sexuelles sont toujours terriblement prégnantes. Pourtant, l’arsenal judiciaire ne manque pas.

PARLER, PRENDRE LA PAROLE, DÉNONCER… ET ÊTRE ÉCOUTÉ-E-S ET ENTENDU-E-S…

Nous subissons toujours la lenteur de l’évolution des mentalités, précise Jessie Magana. Les mentalités évoluent plus lentement que la loi. Toutefois, les militantes féministes ne lâchent rien et c’est parce qu’elles œuvrent au combat et à la reconnaissance des droits et des choix et qu’elles prennent la parole et dénoncent les violences sexistes et sexuelles que l’autrice réédite Gisèle Halimi : non au viol, actualisant le propos dans un contexte nouveau, en pleine effervescence féministe.

« Avec les réseaux sociaux, les #, des actrices, chanteuses, femmes comme vous et moi sans audience médiatique ont pu s’exprimer. Grâce à ces mouvements, la parole d’une femme devient mondiale. », s’enthousiasme-t-elle.

Au départ, Jessie Magana est éditrice. Elle publie les récits et les imaginaires d’auteurs et autrices. Un jour, elle ressent le besoin de parler en son propre nom : « J’ai mis du temps à trouver ma voix et ma voie. Et j’ai choisi de m’adresser en priorité aux jeunes mais mes livres peuvent aussi être lus par les vieux… Quand on écrit pour la jeunesse, on est considéré-e-s un peu en marge. Et puis on a tendance à considérer qu’il faut avoir un ton neutre. J’essaye, dans tous mes livres, d’avoir un point de vue engagé pour transmettre mes combats et inciter à l’action. La littérature peut changer le monde ! »

Elle va réveiller l’adolescente qu’elle était. Une adolescente qu’elle décrit comme un peu seule dans sa révolte. « Je ne viens pas d’une famille de militants mais le sentiment d’injustice me suit depuis mon enfance. Ma conscience politique s’est construite au collège, par les rencontres et les livres. », souligne-t-elle, précisant qu’elle est née en 1974, « l’apogée du féminisme », mais lorsqu’elle grandit, dans les années 80 et 90, elle est « dans le creux de la vague… ».

Dans ces décennies de fin de siècle, les militantes sont traitées d’hystériques de service. Elles luttent pour du vent, se dit-on dans l’imaginaire collectif, puisque la contraception, c’est ok, l’avortement, c’est ok, l’accès à l’emploi, aussi… Alors quoi encore ? « À cette époque, seule la réussite individuelle comptait. Si on n’était pas une femme épanouie, si on était une femme victime de violences par exemple, bah, c’était de notre faute… », se remémore-t-elle.

Jessie Magana se souvient encore de la solitude en manif. Elles n’étaient pas très nombreuses à prendre la rue et occuper l’espace public pour défendre les droits déjà conquis et ceux à conquérir. Elle n’est pas amère vis-à-vis de cette période, elle dit même que finalement ça l’a forgée et lui a permis d’avoir du recul :

« Je considère que j’ai un rôle de trait d’union entre les générations. Et ça, ça m’intéresse beaucoup dans mon travail de transmission. »

LA QUESTION DE LA TRANSMISSION

Son nouveau roman, Nos elles déployées, répond parfaitement à ce pont entre les générations. Elle a écrit une première version il y a 15 ans. Sans réponse favorable de la part des maisons d’édition, elle l’a enfermé dans un tiroir mais la jeune fille, son héroïne, a lutté pour ressurgir, parler et trouver sa place.

Jessie Magana a retravaillé son histoire. Ou plutôt l’histoire de Solange, lycéenne dans les années 70 qu’elle traverse aux côtés de sa mère, Coco, et ses ami-e-s militantes féministes. En 2018, Solange est devenue mère à son tour et sa fille est héritière de deux générations différentes de femmes.

L’autrice explore ici les cheminements de ses personnages pour trouver leurs propres voix/voies et s’inscrire chacune dans leur propre contexte de lutte collective et d’épanouissement personnel. On aime son écriture, poétique et réaliste, son sens du détail et sa manière de nous intégrer à des événements historiques que nous n’avons pas vécu. Dans Nos elles déployées, on sent l’ambiance et on la vit. C’est un roman cinématographique qui met nos sens en éveil et nous plonge dans la vie de Solange, sur fond, très présent, de révolution féministe. 

Des réflexions sur le corps, les choix, la liberté, la parentalité, le sexe, les normes sociales, les conventions patriarcales mais aussi les complexes, les paradoxes, les oppositions… « L’intime est politique, c’est ce que je voulais faire avec ce roman. Créer une alternance entre l’intime et le collectif. Et je voulais parler du rapport au féminisme mais aussi du rapport à l’autre. Entre femmes mais aussi entre deux pays, Solange va aller en Algérie. C’est important de ne pas rester dans le contexte franco-français. Ce qui nous rassemble, c’est d’être ou de nous considérer femmes. On se retrouve dans la sororité. », souligne-t-elle.

UN RÉCIT INTIME ET COLLECTIF

Elle ne gomme pas les différences. Elle fait simplement en sorte que cela ne divise pas les femmes : « On utilise souvent les différences des femmes pour les diviser. On le voit à travers les questions d’identité de genre, de race, de religion, etc. Même au sein du mouvement féministe, avec les pro prostitution ou pas, la reconnaissance et l’inclusion de la transidentité dans les débats féministes… Il y a toujours un espace de dialogue d’opinions différentes mais l’expérience intime de la féminité nous rassemble. Il y a toujours eu des conflits, même dans les années 70 entre les gouines rouges et les mouvements plus axés féminisme d’État. Ça fait partie du plaisir de brasser les idées, de débattre ensemble, etc. »

Jessie Magana insiste, ce n’est pas seulement un roman de lutte, c’est aussi un récit qui questionne notre rapport à l’intime, nos manières et possibilités de nous construire à travers des désirs contradictoires, de s’affranchir des injonctions, en l’occurrence ici celle de la mère de Solange qui lui assène d’être libre, notre rapport à l’amour et à comment écrire l’amour. C’est un récit intense et enthousiasmant, profondément humain et vibrant.

Un récit qui résonne jusqu’en Afrique subsaharienne puisque ce soir-là, depuis Dakar, Odome Angone suit la conférence, elle est universitaire, ses travaux sont orientés sur l’afroféminisme et elle témoigne :

« Ici, être féministe est toujours un gros mot. Des femmes font entendre leurs voix au-delà des assignations. On nous reproche d’être contaminées par le discours occidental. Mais ce n’est pas un concept exogène, c’est une réalité que l’on vit au quotidien. »

Elle à Dakar, nous à Rennes. Toutes derrière nos écrans, en train de partager un instant suspendu de luttes féministes qui dépassent largement les frontières. Y compris celles de la définition pure du sexisme pour nous faire rejoindre celle de l’intersectionnalité.

Pour Jessie Magana, c’est d’ailleurs cela chez Gisèle Halimi qui inspire aujourd’hui les jeunes générations. Avocate engagée pour la cause des femmes, elle devient une figure intersectionnelle et rebelle, dans une société où les féminismes évoluent au pluriel, vers une prise en compte comme l’a formulé Fatima Zédira de la dignité et de l’histoire de la personne.

 

 

Célian Ramis

Combattantes du monde des sciences

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Le combat des scientifiques. C’était notre première idée de titre. On ne voulait pas dire « femmes scientifiques ». Et parce qu’on n’avait pas envie de dire « le combat des femmes dans le milieu des sciences ». Mais voilà, quand on est face à un terme neutre, on pense au masculin.
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Le combat des scientifiques. C’était notre première idée de titre. Parce qu’on n’avait pas envie de dire « femmes scientifiques ». Et parce qu’on n’avait pas envie de dire « le combat des femmes dans le milieu des sciences ». Mais voilà, quand on est face à un terme neutre, on pense au masculin. Et on invisibilise la bataille qu’elles ont mené et mènent encore actuellement pour être reconnues en tant que telles : des scientifiques à part entière, respectées et reconnues pour leurs recherches et travaux.

Sa fille l’accompagne un jour au laboratoire. Elle a 3 ans. Elle sait que sa mère est une scientifique mais c’est en la voyant en tenue blanche qu’elle réalise et dit « Tu es vraiment une scientifique, maman ! Je veux être scientifique plus tard ! » En entendant ces mots, Jane Willenbring, géologue, fond en larmes. Des larmes de joie mais aussi de terreur : 

« Parce quej’ai imaginé qu’elle serait traitée comme une moins que rien. »

C’est ainsi que démarre Picture a scientist, un film documentaire réalisé aux Etats-Unis en 2020 par Sharon Shattuck et Ian Cheney, et diffusé ce jeudi 11 mars sur Vimeo en amont de la table ronde autour des inégalités et discriminations subies et vécues par les femmes dans les sciences, organisée par l’université Rennes 1 dans le cadre du 8 mars. 

LA QUESTION DE LA REPRÉSENTATION

Aux genres féminin et masculin, on attribue des images. En terme de carrières professionnelles, on imagine les femmes dans les métiers du soin et de l’éducation et les hommes dans les postes à responsabilités, la politique et les sciences.

« Les femmes sont sous-représentées dans les sciences. Ce n’est pas notre place, c’est ça le message. Il y a des règles : les hommes les écrivent, ils les connaissent. Pas nous. »
nous dit le documentaire en introduction.

Picture a scientist explore les tenants et les aboutissants de cette sous-représentation, en donnant la parole à des scientifiques qui se sont battues et se battent encore pour faire valoir la place qu’elles occupent et la place qu’elles méritent. Leurs témoignages mettent en lumière l’isolement subi et le travail acharné qu’elles doivent fournir pour accéder à la reconnaissance.

« J’étais dans une école privée pour filles. On ne nous apprenait pas les maths et les sciences. Plus tard, j’ai suivi un cours de bio et ça m’a changée. Je ne pouvais pas imaginer vivre sans cette science. », explique Nancy Hopkins, biologiste. Marquée par le cancer de sa mère, elle a voulu très tôt s’orienter vers la recherche contre la maladie.

Rares sont les femmes qui sont encouragées à prendre et poursuivre la voie des sciences. C’est ce qu’a démontré l’enquête réalisée dans le cadre du livre Égalité en science ! Une approche globale des inégalités femmes-hommes en mathématiques, informatique et science : comment les mesure ? comment les réduire ? présenté lundi 8 mars par les professeures émérites Colette Guillopé et Marie-Françoise Roy dans une conférence organisée également par l’université Rennes 1. 

Dans le documentaire, la chimiste Raychelle Burk témoigne de la double discrimination qu’elle subit en tant que femme racisée : « Je n’ai pas été encouragée pendant mes études. Il n’y a pas de profe noire de chimie… »

Le seul personnage auquel elle peut se référer est celui de Uhura dans la série SF Star Trek, alors seule scientifique noire portée à l’écran. Dans la réalité, 2,2% des femmes noires ont des doctorats.

Elle raconte que souvent on la prend pour la femme de ménage, qu’on l’ignore en réunion et qu’elle reçoit des mails de critiques déplacées, inappropriées, qu’on ne ferait pas à une femme blanche, encore moins à un homme blanc. Et explique, les larmes aux yeux, l’énergie qu’elle dépense en répondant à ces messages. Des temps qu’elle ne consacre pas à ses travaux.

C’est ça souligne-t-elle qu’il faut avoir en permanence à l’esprit. C’est que les autres ne passent pas une partie de leur temps à recevoir des mails plombants de par le sexisme et le racisme qu’ils diffusent et à devoir formuler des réponses, pour ensuite pouvoir reprendre le cours de ses recherches.

Elle est la seule professeure noire de son établissement. D’autres chiffres apparaissent comme flagrants d’un système raciste et sexiste : 7% des doyens et moins de 3% des recteurs sont des femmes de couleur.

« Plus on monte dans la tour d’ivoire, plus c’est blanc. On s’habitue à être insultées, mal traitées… et c’est à nous qu’on demande d’être polies… Tu essayes de rentrer dans le moule mais certains ne te considèrent toujours pas. »
déplore-t-elle.

UNE IMAGE BIEN ANCRÉE DANS LES MENTALITÉS

Les femmes doivent redoubler d’effort pour être acceptées. Pas seulement pour rentrer dans le moule de l’institution qui comme l’évoque Raychelle Burk exige un certain type de comportement, un certain type d’habillement, un certain type de langage, etc. comme dans n’importe quel groupe social. Il faut surtout entrer dans le moule du genre.

« Il faut beaucoup bosser, il faut prendre de l’élan pour faire une carrière dans les sciences en tant que femme. On devait être gentilles, jamais déplaisantes. Sinon, on ne voulait pas de nous et on ne nous accordait pas les crédits nécessaires à nos recherches. », souligne Nancy Hopkins. 

Les mentalités n’ont que trop peu évoluer à ce sujet. Deux tests le prouvent dans le documentaire. Le premier établit deux CV. En réalité, ils sont identiques au détail près que l’un est censé être le CV d’une femme et l’autre, celui d’un homme. Pas de suspens : c’est le CV de l’homme qui obtient le plus de résultats positifs. Plus embauchable et mieux rémunéré. Effarant.

Le deuxième est effectué auprès d’un groupe constitué d’hommes et de femmes. A l’écran, la colonne de gauche dévoile un prénom masculin et la colonne de droite, un prénom féminin. La sociologue donne les consignes : dès que les participant-e-s entendent des mots en lien avec les sciences, ils et elles doivent l’attribuer au prénom masculin et dire « gauche », même principe quand ils entendent des mots en lien avec la sphère privée, ils et elles doivent l’attribuer au prénom féminin et dire « droite ».

Les réponses sont prononcées instantanément et d’une seule et même voix. Mais quand la professionnelle inverse les deux prénoms, ça cafouille et le résultat est plus long à être obtenu, et ce dans une certaine cacophonie.

Eugénie Saitta est enseignante-chercheuse auprès du laboratoire Arènes de l’IUT de Rennes. Elle est invitée par l’université Rennes 1 et sa chargée de mission Parité, Nicoletta Tchou, ce jeudi 11 mars à commenter le documentaire et par conséquent cette difficulté à envisager les femmes dans des carrières scientifiques.

Pour elle, le témoignage de Raychelle Burk révèle l’importance et le rôle des modèles féminins qui « ouvrent l’imaginaire des possibles ». Elle aborde deux effets principaux : 

« Il y a l’effet de socialisation primaire qui se fait dans la famille, le système éducatif, etc. Les petits garçons sont encouragés à la compétition et les petites filles à la docilité. Et il y a l’effet d’intériorisation des schémas qui jouent ensuite sur la construction et les choix des individus. »

En d’autres termes, ne pas encourager les filles dans la voie des sciences, là où on encourage les garçons que l’on représente et érige en modèles dans ces carrières, c’est leur faire croire qu’elles n’en ont pas les capacités. Ainsi, elles vont intérioriser cette idée, allant même jusqu’à se saboter inconsciemment. Par conséquent, lors du choix des études et des métiers, elles ne vont pas être nombreuses à s’orienter dans les domaines scientifiques, excepté pour les sciences sociales.

LES INJUSTICES ÉPISTÉMIQUES

Difficile d’expliquer son ressenti et de dénoncer son vécu quand les mots nous manquent. Ceux-là même qui permettent de nommer les situations. Sur ce point précis, les avancées sont indéniables. Grâce à Kimberlé Crenshaw par exemple, la notion d’intersectionnalité entre dans le langage et surtout libère de très nombreuses personnes qui peuvent enfin exprimer les discriminations qu’elles subissent et qui s’articulent entre les questions raciales, de genre et de classe. Et surtout, le terme apporte une reconnaissance à leur vécu.

Un jour, Nancy Hopkins s’apprête à assister à la conférence du biologiste Francis Crick. Pour elle, c’est un génie, elle l’admire énormément. Elle est assise à son bureau lorsque celui-ci déboule dans la pièce, met ses mains sur la poitrine de Nancy et lui demande sereinement sur quoi elle travaille.

« On ne parlait pas de harcèlement sexuel à cette époque. Je ne voulais pas l’embarrasser alors j’ai fait comme si rien ne s’était passé. », témoigne-t-elle.

Aujourd’hui, on parlerait d’agression sexuelle. La biologiste sait que la situation est anormale. Elle sent que le geste n’est pas approprié mais l’absence de vocabulaire spécifique à ce vécu néglige la gravité des faits. Les mots comptent. D’autant plus que sans eux, il est aisé pour le groupe dominant de remettre en cause le discours du groupe dominé, surtout si l’individu est isolé ou en minorité.

La philosophe Miranda Fricker, comme l’explique Eugénie Saitta lors de la table ronde, conceptualise « les injustices épistémiques », désignant l’ensemble des mécanismes permettant de décrédibiliser la parole, en l’occurrence des personnes sexisées et racisées.

LES MOTS COMPTENT…

D’un côté des personnes victimes d’un langage qui ne se met pas au service de leurs expériences, de l’autre des personnes qui abusent de paroles dures et néfastes, dans l’intention de nuire véritablement. Raychelle Burk en témoigne lorsqu’elle parle des mails déplacés qu’elle reçoit, au racisme et sexisme latents et ravageurs. Pour répondre, elle met du temps et de l’énergie pour trouver justement les bons mots.

Elle évoque également les insultes auxquelles elle s’est habituée. C’est dramatique. Elle que l’on voit travailler dans la bonne humeur, le partage et l’échange, a toujours en tête ce climat de tension dont on essaye de lui faire croire qu’elle est responsable. La force qu’elle met dans un sourire est décuplée. La question de la charge et de la santé mentale des femmes racisées n’est pas nommée en tant que telle dans le documentaire mais mériterait un film en lui-même.

L’hostilité, le climat tendu, les insultes… Tout cela représente la partie immergée de l’iceberg, la métaphore étant omniprésente dans Picture a scientist. La partie émergée est elle constituée des violences sexuelles. 

Jane Willenbring raconte sa première mission en Antarctique avec Dave Marchant. Pareil que pour Nancy, elle l’admire, le trouve brillant et se réjouit de cette expédition qui se déroule bien au départ, lorsque le groupe (Dave Marchant, le frère de Dave Marchant, Adam Lewis et elle) est encore à la base, avec de nombreux autres scientifiques.

Le groupe part en mission et c’est là que Jane commence à subir des insultes de la part de son mentor Dave, qui la traite de salope et de pute, « pour rigoler » à la suite d’un sketch dans lequel le comique faisait mention de « Jane la salope ». Chaque discussion est douloureuse : « Je voulais juste parler de science ! »

Lorsqu’elle va aux toilettes, en pleine nature, il lui jette des cailloux. « C’était humiliant ! », scande-t-elle. Elle arrête de s’hydrater durant la journée, commence à avoir du sang dans les urines et son corps développe de nombreuses infections urinaires. A un autre moment, il l’appelle pour lui faire observer des cristaux. Elle s’approche, il lui jette les cendres à la figure, elle s’en prend dans les yeux. Ça, c’est quand il n’est pas trop occupé à la pousser d’u haut d’une colline…

Jane Willenbring n’a de cesse de se contenir pour paraître désinvolte :

« Mon avenir dépendait de lui ! »

Tout comme cette étudiante qui témoigne sous anonymat. Elle rêvait d’être astronaute et devait obtenir un doctorat pour poursuivre son ambition. En arrivant auprès de Dave Marchant, celui-ci lui répond qu’il ne veut pas accompagner une fille. Son CV ne laissait pourtant pas de doute quant à cette partie de son identité.

Ensuite, c’est harcèlement et insultes tous les jours. Il va jusqu’à lui dire très clairement qu’elle n’obtiendrait jamais de financements pour ses recherches et qu’il s’en assurerait directement. Quand elle porte l’affaire à la présidence de son université, on lui répond que Dave Marchant est trop influent et rapporte trop d’argent pour le virer. À la place, on lui demande à elle de s’en aller. « Sans doctorat, je ne pouvais pas être astronaute », conclut-elle, désemparée. 

Le désarroi, le sentiment d’illégitimité, la perte de confiance et d’estime en soi et ainsi sa capacité à réfléchir et travailler – déjà souvent pas bien grande puisqu’aucun encouragement n’a été reçu, ni aucune marque de reconnaissance – participent à décourager de nombreuses scientifiques qui quittent leur domaine d’activité.

LA PRISE DE CONSCIENCE ET LE TEMPS DE L’ACTION

Pour Anne Siegel, combattre le haut de l’iceberg tout comme la partie immergée est compliqué et complexe. Mais pas impossible, évidemment : « C’est le solidarité des femmes mais aussi de certains hommes que nait la prise de conscience. À partir de là, on peut avancer. Il y a au départ un sentiment d’illégitimité puis la parole se répand et la prise de conscience mène au collectif, ça dépasse alors l’individuel, le sentiment individuel d’imposture par exemple. »

Dans le film documentaire, on voit ce cheminement à travers le parcours de Nancy qui à un moment se met à venir le soir au labo et à mesurer les surfaces occupées dans les labos, constatant des inégalités flagrantes entre l’espace décerné aux femmes et celui décerné aux hommes. Elle écrit une lettre au président du MIT à propos du sexisme systémique mais avant de lui transmettre, elle demande à une collègue, à l’occasion d’un déjeuner, si elle peut la lui lire.

Elle a peur. Peur que sa collègue la juge. Peut que sa collègue ne la comprenne pas. Peur que sa collègue l’exclut pour avoir oser parler, dénoncer. Sa peur est balayée par non seulement la compréhension de sa collègue mais aussi et surtout le partage du même sentiment et des mêmes expériences.

Il y a seulement 15 femmes sur 6 départements au MIT, elles vont aller à leur rencontre, échanger avec elles, et former un groupe pour lutter ensemble contre les discriminations qu’elles subissent en tant que femmes. Elles vont bosser, œuvrer, compter ! Et les chiffres, forcément, sont une arme redoutable.

« Les chiffres ont prouvé la vérité ! Moins de surface pour les femmes dans les labos, moins de salaires. Pas de garde d’enfants sur les campus universitaires, etc. Sans les femmes, on perd la moitié des talents ! »
s’insurge-t-elle. 

De l’individuel au collectif, les phases se succèdent, sans règle absolue et sans mesure exacte du temps que cela prend. Tout dépend des individus. Tout dépend des combats. Tout dépend des contextes… Eugénie Saitta synthétise :

« D’abord, on expérimente individuellement des choses qui nous mettent mal à l’aise. Ensuite, il y a la mise en commun des expériences, souvent sur des temps informels, entre femmes. On le voit avec Nancy et sa collègue, qui vont s’allier. La prise de conscience individuelle peut prendre du temps à arriver au collectif. »

Pour faire reconnaître leur juste place, les scientifiques vont devoir se battre sans relâche, ce qui équivaut comme le dit très bien Raychelle Burk à dépenser une énergie qui n’est pas mise dans le travail. Mais qui profite aux générations futures. Car si elle n’avait pas de modèle, hors fiction, de profe de chimie noire, elle incarne pour ses étudiant-e-s, stagiaires et collaborateur-ice-s la possibilité de changer la norme, qui en l’état est excluante et discriminatoire.

Jane Willenbring a décidé des années plus tard de porter plainte contre Dave Marchant, sachant qu’il reproduisait son comportement avec d’autres personnes. Le combat est long, très long, trop long. Mais aboutit finalement à la destitution du géologue de son poste à l’université.

« C’est très difficile de porter plainte contre son directeur de thèse, de stage, de recherches… à cause de la logique de pouvoir. On le voit, il rapporte énormément d’argent à l’université, c’est lui qui a le pouvoir. »
commente Eugénie Saitta.

LENTEMENT, DES AVANCÉES…

Le rapport remis au MIT par Nancy Hopkins et ses collègues obtient un retentissement important. Le président de la structure s’engage à leurs côtés, alors même qu’il sait qu’il devra essuyer de nombreuses et sévères critiques de ses homologues pétris dans la mentalité patriarcale, et 9 autres universités lancent le mouvement de la réflexion et de l’action en faveur de l’égalité.

Sangeeta Bhatia est ingénieure et a bien conscience qu’elle bénéficie de certains privilèges obtenus grâce aux combats de leurs ainées et même de leurs contemporaines qui ont repris le flambeau et ouvrent le champ des possibles en focalisant l’attention sur l’essentielle inclusion de tous les individus.

Anne Siegel met l’accent sur les avancées en cours, à l’échelle locale de l’IRISA, laboratoire informatique de Rennes, domaine dans lequel les femmes sont encore sous-représentées :

« On constate une volonté depuis 3 – 4 ans de faire bouger les lignes. Le groupe de travail sur l’égalité est devenu un comité et on a mis en place plusieurs dispositifs comme le Club sandwich sur le temps du midi, pour que les femmes discutent entre elles de plein de sujets différents, mais aussi le mentorat, qui n’est pas réservé aux femmes, mais permet un accompagnement pour identifier les verrous dans les carrières et vies personnelles. Ça permet de limiter l’isolement et de faire justement émerger les prises de conscience. »

Le film documentaire Picture a scientistse referme sur la conclusion que l’évolution est constante mais encore insuffisante. Des biais existent encore et les faits de harcèlement – dans son sens le plus large – créent des fuites dans le système. 

Anne Siegel aborde l’effet Matilda, conceptualisée par Margaret Rossiter dans les années 80, qui désigne le fait de nier ou oublier les découvertes et la contribution des femmes aux recherches scientifiques. On peut alors lire l’ouvrage Ni vues ni connues – Panthéon, histoire, mémoire : où sont les femmes ?, écrit par le collectif Georgette Sand, qui dédie un chapitre aux découvertes des femmes que les hommes se sont attribuées. 

Enfin, elle prend un exemple qui en dit long, celui du prix nobel de physique attribué en 2020 à un tri d’expert-e-s, Roger Penrose, Reinhard Genzel et Andrea Ghez : « Celle-ci est la seule à ne pas avoir de page wikipédia… » Pas de commentaire. L’action s’impose. 

 

 

Célian Ramis

Histoires de femmes, inspirantes et puissantes

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Le matrimoine s’expose en portraits et récits de vie de 12 femmes qui ont marqué l’Histoire et qui pourtant en ont été oubliées ou exclues. L’exposition virtuelle Histoires de femmes offre la possibilité d’une rencontre avec des personnalités fortes et puissantes.
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Le matrimoine s’expose en portraits et récits de vie de 12 femmes qui ont marqué l’Histoire et qui pourtant en ont été oubliées ou exclues. L’exposition virtuelle Histoires de femmesse visite sur le site de l’université Rennes 2, nous offrant la possibilité d’une rencontre avec des personnalités fortes et puissantes.

Il y a Agnodice, la première gynécologue de la Grèce Antique. Il y a Mavia, la reine guerrière de l’Arabie antique. Il y a Wu Zeitan, la première impératrice chinoise. Il y a Christine de Pizan, la première écrivaine à vivre de son art. Il y a Nzinga, reine et combattante du Ndongo et du Matamba. Il y a Zitkala-Sa, la protectrice de la culture améridienne. Il y a aussi Maud Stevens Wagner, la première tatoueuse reconnue.

Il y a Gabriela Mistral, la première écrivaine d’Amérique latine à recevoir le prix Nobel de littérature. Il y a Anna Iegorova, une des plus grandes pilotes de l’armée soviétique durant la Seconde guerre mondiale. Il y a Christine Jorgensen, une des premières femmes transgenres aux USA. Il y a Cui Xuiwen, première artiste chinoise dont les œuvres ont été exposées au Tate Modern Museum à Londres. Et enfin, il y a Marie-Amélie Le Fur, athlète handisport multi-médaillée des Jeux Paralympiques.   

On n’en connaissait très peu. On se réjouit de les découvrir dans cette exposition conçue par Léa Tanner, Noémie Choisnet, Ysé Debroise, Euxane Desdevises et Quentin Catheline, étudiant-e-s en Master 2 Médiation du patrimoine et Histoire de l’Europe, à Rennes 2.

« En master 1, on devait réaliser un projet. La seule consigne était que ça devait être pour la fac. Sur le reste, on était totalement libres. On a choisi de dédier cette exposition aux étudiant-e-s à qui on a proposé un sondage sur les réseaux sociaux. Ils pouvaient choisir entre 3 sujets : les ports et voyageurs bretons, l’indépendance de la Bretagne et celui-ci sur les femmes qui a été retenu. », explique Noémie Choisnet. 

LA DÉCOUVERTE DU MATRIMOINE

Il y a des noms qu’elles connaissent – au départ, le groupe est constitué des 4 étudiantes – comme celui de Christine de Pizan, et d’autres, comme Nzinga, qu’on leur conseille. Elles s’inspirent des Culottéesde Pénélope Bagieu, de Viragod’Aude GG pour voir ce qui a déjà été fait, et éviter la redite, et puisent leurs matières sur Internet. « En M1, c’était la première du covid… », rappelle Ysé Debroise.

« Au début, on avait quelques autres portraits, comme celui de Clémence Royer mais après quelques recherches, on s’est aperçues qu’elle était eugéniste. On a décidé de ne pas la mettre. De rester plus politiquement correct. On voulait montrer des femmes capables d’aller à l’encontre de la pensée générale mais surtout des femmes qui nous inspirent et sont en lien avec nos convictions. », nous racontent-elles à plusieurs voix.

Pour élaborer cette exposition, le groupe souhaite visibiliser des femmes issues de tous les horizons : « Les femmes sont dans toutes les disciplines. Elles y sont légitimes. On va de l’Antiquité jusqu’à aujourd’hui et on a essayé de prendre des femmes qui viennent de pays différents, en dehors de l’Europe. Nous sommes 4 femmes blanches, on ne voulait pas centrer sur ce qu’on connaissait déjà. »

Les recherches sont fructueuses. L’Histoire a été écrite par des hommes et pour des hommes et a largement occulté la place des femmes, peu importe les domaines, les périodes et les continents. Réhabiliter le matrimoine est un travail de longue haleine. Un travail indispensable dans la déconstruction d’un système sexiste et raciste.

UN AUTRE REGARD

« Découvrir toutes ces femmes, ça donne de l’espoir ! On a une licence d’Histoire et en Histoire, on ne parle que des hommes. Là, c’est inspirant, ça nous donne des exemples. Même si bon, souvent la réussite d’une femme est décrite de manière négative… En général, la mort suit… », souligne Euxane Desdevises.

Noémie Chesnais enchaine : « Oui ou alors, on les connaît parce que ce sont les femmes des rois… ». Là, elles ne sont pas femmes de. Elles ont une identité propre et des parcours singuliers. « Pour les reines, elles le sont certes devenues parce que le père, le frère ou le neveu sont décédés mais elles ont régné pendant longtemps, ont fait des choses et étaient respectées par leur peuple. », précise Ysé Debroise, encore admirative des récits explorés.

Notamment celui de Gabriela Mistral, poétesse chilienne, qui a reçu le prix Nobel de littérature avant un homme : « Elle a fait plein de choses ! Et pourtant elle est inconnue ! Je pense en effet que le fait d’être une femme joue beaucoup… »

Pour Quentin Catheline, la découverte était totale. « Je n’en connaissais aucune mais ma non connaissance m’a donné envie de découvrir et de faire découvrir. De produire quelque chose de bien pour que ça donne envie justement (…) Ça questionne et ça nous amène à porter un autre regard sur les autres régions du monde et l’histoire. », commente-t-il.

Conscient des processus d’invisibilisation qui se jouent à travers des siècles de domination patriarcale, le groupe témoigne de l’impact bénéfique que représente l’accès à ce type de connaissances et de ressources.

Ainsi, l’exposition qui aurait dû être installée à la Mezzanine, sur le campus de Rennes 2, s’adapte à la crise et devient virtuelle. Pour chaque portrait, un dessin réalisé par un-e étudiant-e volontaire – principalement issue de leur Master ou de leurs entourages – une map monde situant la zone d’origine et de vie ainsi qu’un texte retaçant dans les grandes lignes le parcours de la protagoniste, en français et en anglais.

Un QR code est à flasher sur chaque figure présentée afin d’y trouver des ressources supplémentaires. Des sites d’infos, des vidéos des Culottées… cela permet d’en savoir plus, si on souhaite aller plus loin dans les recherches. Et pourquoi pas s’en inspirer pour d’autres projets.

« Ce serait bien que quelqu’un reprenne le flambeau après nous. Vraiment ! Il y a encore tellement de femmes à découvrir ! », s’enthousiasme Léa Tanner.

L’exposition est visible sur le site de l’université Rennes 2, jusqu’au 19 mars.

 

 

 

Célian Ramis

Les premières de corvée, contre le patriarcat

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8 mars 2021. Poings et majeurs en l’air, l’espoir perdure, les forces s’organisent, le combat progresse. Les féminismes poursuivent l’écriture de notre Histoire. Commune.
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Pari risqué mais défi relevé : les personnes sexisées ont pris la rue, occupé l’espace public et élevé leurs voix ce lundi 8 mars, journée internationale de luttes pour les droits des femmes, et ont répondu à l’appel d’une grève féministe. À Rennes, elles étaient des milliers – entre 2500 et 3000 - à manifester, organisant pour la première fois un départ depuis l’université Rennes 2 à Villejean, traversant le CHU de Pontchaillou, avant de rejoindre le cortège massif à République. 

Lundi 8 mars, un peu avant midi. Les rayons du soleil transpercent la fraicheur saisissante de la fin de l’hiver. Le campus paraît endormi. Il est en réalité endolori du manque de ses étudiant-e-s, contraint-e-s au distanciel. À quelques centaines de mètres du métro, à l’arrière du bâtiment L, le potager de Rennes 2, géré par l’association Ar Vuhez, s’anime au son des luttes qui convergent en son sein.

« MORT AU PATRIARCAT, PAS AU CLIMAT – Luttes féministes et écologistes doivent s’unir. Nous proposons un premier pas en accueillant sur le potager des artistes rennais-es qui invitent à penser le féminisme par le prisme des identités, des violences, des revendications, le tout dans le cadre écologique du POTAGER. Car un potager ne fait pas que pousser des plantes, il fait aussi mûrir l’esprit. »
indique une pancarte trônant sur une butte. 

Du 8 au 15 mars, la Semaine interassociative contre le sexisme et Ar Vuhez permettent à des œuvres photographiques, des créations dessinées et des collages, de côtoyer herbes et plantes, y compris celles qui font du bien à la chatte comme l’explique Guillemette Bourdillon, herboriste toulousaine, dont le fanzine « Les amies plantes de ma chatte – Petits et grands maux de la vulve, du vagin, de l’utérus : les plantes qui soignent ! » est mis à disposition à l’entrée du potager.

On serpente le lieu, découvrant le collage de Céline Drouin sur le sexisme, les photos réalisées par Michaël Delavenne de personnes aux poitrines taguées de messages revendiquant la liberté des femmes à disposer de leur corps ou dénonçant l’analogie du corps des femmes et des proies comestibles.

Il y a aussi la série de dessins de Léa Julienne qui capte notre regard et attire notre attention de par leur esthétique semblable à celles des comics. Chaque planche dévoile une femme et est ornée d’une phrase qui souligne la toxicité des relations que la protagoniste a subi. « They will tell you you look like a whore » au dessus du visage d’une femme voilée qui se maquille les lèvres. « They will lie in order to possess you » au dessus d’une jeune fille en mini jupe qui semble converser sur son téléphone. « They will let you think you are the problem » au dessus d’une femme à la chevelure bleue, le corps nu. « They will tell you how you can or cannot dress » au dessus d’une femme noire en sous-vêtements dont le reflet du miroir atténue sa carnation.

Et puis, au fond du potager, deux photographies nous interpellent. Elles sont issues de la série Abysses, réalisée par Elodie Poirier. Ça nous effraie et ça nous subjugue. Des portraits pris jusqu’à la taille, les corps sont nus, épurés, dans un décor noir et sur la peau, des taches qui semblent provenir de l’intérieur même du sujet photographié et jaillir sur leur corporalité extérieure. Fascinant. 

CRÉATIVITÉS ET FORCES DÉBORDANTES

La journée démarre bien. Elle sera stimulante et émouvante. Inspirante. Enième preuve, s’il en fallait encore, de la créativité et de la force débordantes des militant-e-s féministes. Assises dans l’herbe, devant le potager, elles prennent marqueurs et cartons et fabriquent leurs banderoles pour la manifestation pendant qu’une autre bombe un clitoris géant confectionné par ses soins.

« Soyez FORT comme des femmes », « En moyenne, 94 000 femmes sont victimes de viol ou tentative de viol chaque année » ou encore « En 2019, 84% des mort-e-s en couple sont des femmes. ACABlé-e-s » et bien d’autres slogans, voilà le groupe paré qui rejoint le lieu de rendez-vous quelques mètres plus loin. 

Cette année, un cortège part de Villejean. Une nouveauté qui s’affiche comme un symbole. Désormais, le féminisme devra être pluriel et inclusif. On prône la solidarité avec les femmes du monde entier, on fait entendre la colère des féministes de l’université comme de celles des quartiers populaires, on dénonce les violences sexistes et sexuelles en appelant à une riposte féministe, on parle d’hétérorisme, on danse sur l’hymne des féministes chiliennes de Las Tesis « Un violador en tu camino », on s’affirme « fières, fortes, et radicales et en colère »,on réclame des moyens pour les travailleuses, « du fric pour la santé, pas pour les flics ni l’armée », on exige le respect de nos droits et de nos libertés. 

Une heure et demie plus tard, c’est plus d’une centaine de personnes qui déboule de la fac, après avoir traversé le site du CHU à Pontchaillou, et qui se joint au rassemblement à République qui démarre non pas en fanfare mais en chants tout de même avec Colectiva !,projet de la Ko-compagnie qui devait avoir lieu le week-end précédent place de la Mairie.

Si l’événement a été annulé en raison de la crise sanitaire, les voix s’élèvent malgré tout dans l’espace public à travers les textes engagés chantés par le chœur de femmes qui entraine de nombreuses militantes à se joindre à elles. Dans l’air, l’intensité des énergies festives et militantes qui bouillonnent et crépitent est palpable. C’est un jour de luttes. Il nous faut le rendre mémorable. Le marquer de nos ferveurs et de nos déterminations mais aussi de nos joies et de nos rages.

Les poings en l’air, les slogans au bout des lèvres masquées, les drapeaux flottent dans la froideur de ce début mars et la noirceur de nos réalités, les noms des femmes assassinées par leur compagnon ou ex compagnon siègent à nos pieds sur le sol pavé, les panneaux claquent et résistent au vent frais et à la fatigue des bras levés, les messages sont guerriers.

« Respecte mon existence ou affronte ma résistance », « Nos familles trans sont belles », « Le monde qui vient devra s’habituer partout à la présence de nos filles, de vos filles », « La révolution sera féministe ou ne sera pas »,« Mon corps mon choix », « Homos et hétéros égaux en droits – l’hétérorisme des intégristes ne fait pas loi », « Université sexiste ? Riposte syndicale et féministe », « Ovaires et contre tous », « On ne rasera ni les murs, ni nos chattes ».

On ne rasera ni les murs, ni nos chattes. Non, les murs serviront désormais de lieux d’expression féministe. Les colleuses ont prévenu : « Eduquez vos fils ». Impossible de rater le message qui trône sur la station de métro République. En chemin, lorsque le cortège s’élance vers la place de Bretagne, on croise aussi des affiches revendiquant la gratuité des protections menstruelles, disposées sur les devantures des restaurants fermés et façades des immeubles : « Saigner ne devrait pas être un luxe » et « Ras la cup de devoir payer – 24 €, c’est ce que paye en moyenne une personne pour ses règles chaque mois. »

LES PREMIÈRES DE CORVÉE À LA TRIBUNE

Précarité menstruelle et plus globalement précarité tout court. Voilà le thème au cœur de cette journée internationale de luttes contre le patriarcat qui met en lumière « les premières de corvée ». Le syndicat Solidaires le rappelle : « Premières de corvée à la maison, premières de corvée au travail, et à poste égal, on n’est toujours pas à salaire égal… », soulignant qu’il y a toujours 25% d’écart salarial entre les hommes et les femmes.

Sortir de l’invisibilisation. Prendre la parole et se faire entendre. Occuper l’espace public et le remplir de nos vécus, de nos corps, de nos identités de genre, de nos conditions, de nos oppressions, de nos discriminations. Les crier, les vivre, les faire résonner, les montrer.

À la tribune, les prises de parole, traduites également en langue des signes françaises, se succèdent et elles font du bien. Elles boostent nos motivations, complètent nos réflexions, alimentent nos imaginaires en terme de stratégies à mettre en place et de chemins encore à parcourir.

L’inclusion en est le maitre mot. Le départ du cortège depuis Villejean est un moyen d’y parvenir. « La voix des femmes des quartiers populaires est rarement entendue. J’aime autant vous dire qu’on va en parler longtemps de notre passage et j’espère qu’il y en aura d’autres. », scande Régine Komokoli, porte-parole de Kune, collectif des femmes de Villejean. Ensemble, elles œuvrent « pour continuer de gagner pas à pas (leur) place dans la société en tant que femmes, en tant que travailleuses, en tant qu’immigrées, en tant que femmes travailleuses immigrées. »

Elle poursuit : « Nous ne sommes pas de grandes intellectuelles, nous ne faisons pas de bruit, nous agissons sur notre quotidien, nous sommes représentatives de la diversité de la France d’aujourd’hui. Certaines d’entre nous sont bretonnes, normandes, d’Afrique du nord, de l’ouest et du centre. Certaines sont retraitées, d’autres sont salariées, en intérim, étudiantes en attente d’un premier emploi. Certaines sont des mamans solos, d’autres sont en couple. Pourtant nous nous sommes mises ensemble. Parce qu’au-delà de nos différences d’âge, de travail, d’origines, nous partageons l’immense bonheur d’être femmes entre nous. Nous nous sommes mises ensemble parce que nous avons du respect et de la considération pour les parcours de vie. Respect et considération, c’est ce qui nous manque le plus, nous les femmes des quartiers populaires dans cette société encore fortement marquée par le patriarcat. »

Précarité des familles, précarité des femmes. Mères ou non, célibataires ou non, ce sont toujours les plus mal payées, majoritairement employées à temps partiel, en intérim ou en CDD. Avec des écarts de salaire avoisinant les 25% entre les femmes et les hommes. « C’est comme si chaque jour, à partir de 15h40, les femmes travaillaient gratuitement. Nous voulons l’abandon définitif de la réforme des retraites qui constitue une double peine pour les femmes. Nous ne voulons pas payer les conséquences de cette crise. », signale la CGT.

« FAIRE DU 8 MARS UN POINT DE DÉPART POUR CONTINUER CETTE LUTTE ENSEMBLE »

Et ça, c’est quand elles peuvent travailler. Car Rachida, du Collectif Sans Papiers de Rennes le rappelle :

« Nous migrantes, réfugiées, sans papiers, demandeuses d’asile, nous les femmes et les personnes lesbiennes, gays, bis, trans, nous sommes parmi vous à l’appel international pour une grève féministe. Nous avons l’interdiction formelle de travailler pour survivre et pourtant nous sommes ici avec vous. »

Son discours est puissant. Elle démontre l’importance de l’inclusion de tou-te-s dans les luttes féministes. Parce que nombreuses sont celles qui ont été oubliées, négligées, méprisées. Rachida demande aux militantes de les soutenir et d’être à leurs côtés dans leurs combats :

« Il ne nous suffit pas d’avoir une place parmi vous sur vos estrades militantes. Nous féministes prolétaires que notre courage de survivre a amené ici pour trouver refuge, nous nous sommes échappées des guerres produites par le patriarcat et le capitalisme de nos pays. Nos pays maintenus dans la misère. Nous venons chercher parmi vous solidarité et refuge. Quelque soit les barrières qui nous opposent, il est en notre pouvoir de les affranchir. (…) Tant que l’imbrication de la violence patriarcale et raciste ne sera pas vaincue, nous ne pourrons pas triompher ensemble. Tant que la liberté des migrantes n’est pas prise de partout comme un combat général, nous ne pourrons pas être ensemble sur la place mais resterons divisées dans les maisons, les villes, les lieux de travail. C’est pourquoi le 8 mars nous nous joignons à vous, à la lutte des femmes, contre les violences, l’exploitation patriarcale, c’est pourquoi le 8 mars, nous demandons un permis de séjour illimité et sans conditions. Nous appelons tout le monde à soutenir cette demande. Faire du 8 mars un point de départ pour continuer cette lutte ensemble. De la force transnationale et la grève un instrument général ! Soutenez-nous, nous avons besoin de vous. »

Se soutenir. Avancer ensemble. Construire réflexions et stratégies à partir des récits et expériences des personnes concernées. Sans prendre la place des personnes concernées. Sans parler à la place des personnes concernées. Doris, travailleuse du sexe et trésorière du STRASS dont elle est la référente en Bretagne, et créatrice des Pétrolettes, association de développement communautaire, le formule parfaitement :

« Nous vous donnons rendez-vous pour poursuivre ensemble la réflexion et les luttes et trouver ensemble des solutions à notre émancipation. La libération des travailleuses du sexe sera l’œuvre des travailleuses du sexe elles-mêmes. »

Son discours analyse les rapports de domination hommes – femmes depuis le système féodal jusqu’à aujourd’hui. Le contrôle des femmes par les hommes. La protection offerte par les hommes aux femmes qui en échange offriront du travail gratuitement. Le viol comme arme de guerre pour détruire la crédibilité du protecteur. Le couple hétérosexuel et la famille comme seule garante de la sécurité des femmes, « alors même que la famille et le couple sont une des plus dangereuses (structures, ndlr)pour elles. »

Elle poursuit : « La théoricienne Silvia Federici explique comment les chasses aux sorcières, la criminalisation de la prostitution ou les viols en bande organisée participent de la même logique répressive au contrôle des femmes. Il s’agit d’interdire l’accès à l’espace public, d’enfermer dans la sphère domestique, familiale, privée. Au passage, cela permet de rendre acceptable aux hommes des classes inférieurs la transition vers un capitalisme moderne puisqu’il devient le chef de la famille, petite entreprise artisanale dont il est le patron. 

La criminalisation du travail sexuel représente une attaque contre une forme de solidarité organisée entre les femmes. Les lois sur le proxénétisme en particulier prétendent protéger les femmes prostituées contre l’exploitation, en criminalisant toute forme de relation et d’organisation avec des parties tierces, y compris les travailleuses du sexe entre elles. On se retrouve contraintes de travailler en toute isolation, à la merci de toute forme d’agressions. »

Les prises de parole sont riches de points de vue peu médiatisés et souvent décriés dans la société actuelle qui, comme le démontre Doris, trie les gentil-le-s et les méchant-e-s et marginalisent, voire criminalisent, toutes les personnes n’entrant pas docilement ou pas du tout dans les cases binaires d’une vision manichéenne.

DÉCONSTRUIRE LA NORME BLANCHE, MASCULINE, HÉTÉRO, CIS, VALIDE

Au sein des féminismes, les sujets sont multiples. Parce qu’on touche ici à un système de domination profondément ancré dans les mentalités, au même titre que le racisme, les LGBTIphobies, le validisme, etc. La norme est blanche, masculine, bourgeoise, hétérosexuelle, cisgenre, nourrie essentiellement à la viande rouge histoire de garantir sa virilité.

Ne pas répondre aux critères de cette norme occidentale qui se pense et se déclare universelle, c’est entrer dans la catégorie des minorités. Des minorités qui mises ensemble représentent bien plus de la moitié de l’humanité… Et pourtant, on reste inégales-inégaux en droits dans le quotidien.

« Pandémie, libéralisation, violences sexistes et sexuelles, injonctions et précarité, pour toutes ces raisons et bien d’autres encore, nous sommes ici aujourd’hui pour occuper la rue et réclamer des mesures gouvernementales concrètes revendiquant notre place en tant que personnes essentielles et victimes du patriarcat. Merci d’être ici aujourd’hui pour les femmes incarcérées, les victimes des LGBTIphobies, les femmes sans papiers, les travailleuses, les étudiantes, les mères, pour toutes ! », déclare Rebecca, de Solidaires étudiants.

Elle prend place à la tribune avec Chloé, de la Fédération Syndicale Etudiante, qui dénonce la précarité des étudiants et notamment des étudiantes qui constituent 58% des boursier-e-s. Sans oublier la précarité menstruelle qui touche 1,7 millions de françaises et de français « amenant renoncement à toute vie sociale ou impérative comme aller en cours. » Pour elle, l’annonce gouvernementale concernant l’accès aux protections menstruelles dans toutes les cités universitaires du CROUS n’est qu’une « mesure pansement ». Elle conclut : 

« Puisqu’il faut travailler pour survivre, mettons fin aux restrictions légales des possibilités d’emploi pour les femmes voilées, afin de lutter contre les discriminations à l’embauche d’un gouvernement raciste et sexiste qui nous le prouve jour après jour. »

La parentalité est également abordée à l’occasion de ce 8 mars à Rennes. Parce que l’extension de la PMA à tou-te-s n’est toujours pas obtenue de manière satisfaisante. Ce combat de longue date et de longue haleine trouve évidemment sa place dans les revendications féministes. Dans la question du choix. Dans la question des libertés individuelles.

Alors, le Planning Familial 35 rappelle que ce que l’on veut c’est l’accès à la PMA « pour toutes les personnes en capacité de porter un enfant, seules ou en couple et (que cela, ndlr)mette fin à l’hypocrisie actuelle qui oblige encore ces personnes aujourd’hui à partir à l’étranger ou à se débrouiller toutes seules. »

La prise de parole est commune avec Iskis – centre LGBTI de Rennes qui ajoute :

« Cette loi qui contribue à la reconnaissance de la diversité des familles doit aussi acter l’égalité de droit entre toutes les familles, entre tous les parents quelque soit leur identité de genre ou orientation sexuelle, et entre tous les enfants quelque soit leur mode de conception. En effet, nous refusons qu’un enfant soit stigmatisé en raison de son mode de procréation. Nous refusons toute indication relative à la PMA dans l’acte de naissance des enfants. Nous voulons que les choix des personnes soient respectés, que la diversité des familles soit reconnue, nous voulons la PMA maintenant et dans de bonnes conditions. »

« EN ROUTE VERS LA FIN DU PATRIARCAT »

Les luttes féministes sont nombreuses et ce 8 mars, comme tous les autres jours de l’année, on est convaincu-e-s que la révolution sera féministe ou ne sera pas. Parce qu’elle concerne l’intégralité de la société. Les confinements, les multiples MeToo, l’accumulation des témoignages et les actions au quotidien le démontrent : les personnes sexisées existent, elles sont là, présentes, elles participent tout autant si ce n’est plus au vu de toute la charge mentale qu’elle porte à la société.

Les sortir de l’invisibilité, les sortir de la précarité, leur rendre leur dignité et leur droit de vivre comme bon leur semble est indispensable. Les rages s’expriment avec force et enthousiasme mais aussi failles et désespoir parce que les combats sont aussi complexes, entiers et paradoxaux que tout individu.

Sans oublier une touche d’humour avec la performance de NousToutes35 qui explique l’organisation du cortège à la manière des hôtesses de l’air munies de pancarte demandant aux mecs cisgenres de se placer derrière la tête de cortège :

« Le Service d’Autoprotection Pailletté – le SAP – et l’ensemble de son équipage repérable par des pancartes violettes portées en sandwich sont heureux de vous accueillir pour cette manifestation « En route vers la fin du patriarcat » Nous sommes le 8 mars, à Rennes, à République et la température actuelle est… chaud bouillante nan ?

Nous vous proposons d’assurer votre confort durant cette marche en encadrant un cortège de tête en mixité choisie. Pour cela, nous vous rappelons que le principe de ce cortège est de laisser les personnes concernées prendre la tête. 

Les consignes pour ce cortège vont vous être présentées. Accordez-nous quelques instants d’attention merci. Vous êtes une femme, une personne non binaire, intersexe, un homme trans, vous êtes les bienvenu-e-s devant. Vous êtes un homme cisgenre, c’est-à-dire que votre genre ressenti homme est celui qu’on vous a assigné à la naissance. Alors votre place, en tant qu’allié de nos luttes, est derrière le cortège de tête. Vous pensez que le patriarcat c’est du pipi de chat et vous êtes arrivé-e-s ici par hasard, alors nous vous demanderons d’évacuer la manifestation. 

Le covid étant toujours parmi nous, merci de faire bien attention à mettre vos masques. Le SAP se tient à votre disposition en cas de difficulté dans le cortège de tête. Un service d’ordre plus classique se tient également à votre disposition dans le reste de la manifestation. Nous vous invitons à regagner la place qui vous sie dans la manifestation et nous vous souhaitons un très bon parcours. 

Car le patriarcat ne tombera pas tout seul, organisons-nous pour lui péter la gueule !!! »

Poings et majeurs en l’air, l’espoir perdure, les forces s’organisent, le combat progresse. Les féminismes poursuivent l’écriture de notre Histoire. Commune.

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