Célian Ramis

Le combat bouleversant contre l'écocide vietnamien

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Marine Bachelot Nguyen retrace le combat que Tran To Nga poursuit à plus de 80 ans contre les firmes agro-industrielles responsables de l’épandage de l’agent orange au Vietnam, contaminant la population sur plusieurs générations.
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Coup de cœur assuré pour ce spectacle coup de poing écrit et mis en scène par Marine Bachelot Nguyen, joué le 14 avril au théâtre du Vieux St Etienne, au festival Mythos. Dans Nos corps empoisonnés, l’autrice retrace le combat que Tran To Nga poursuit à plus de 80 ans contre les firmes agro-industrielles responsables de l’épandage de l’agent orange au Vietnam, contaminant et condamnant la population sur plusieurs générations. 

Tribunal d’Evry, mai 2021. Tran To Nga a 79 ans et cela fait 6 ans qu’elle attend l’ouverture de ce procès intenté à l’encontre de 14 multinationales, semeuses de souffrances et de morts et représentantes de l’impérialisme occidental. Des millions de corps exposés et contaminés à l’agent orange, destiné à détruire le maquis et stopper la guérilla communiste lors de la guerre du Vietnam.

Un diabète de type 2, un cancer du sein, un cancer du foie… Son corps comme pièce à conviction, elle incarne l’ensemble des victimes dont le mal s’est répandu de génération en génération. Avec tout le talent qu’on lui connait, Marine Bachelot Nguyen tisse son théâtre documentaire au croisement de l’histoire personnelle de Tran To Nga et du drame collectif, humain et écologique, dû à l’épandage de l’agent orange. Entre fiction narrative et faits réels documentés, on embarque dans ce récit poignant et bouleversant.

UNE VIE D’ENGAGEMENTS

Sa vie entière est liée aux combats. Enfant lors de la guerre d’indépendance, ses parents intègrent la résistance. La mort de son père, l’arrestation de sa mère, son départ de Saïgon – seule – pour rejoindre son beau-père à Hanoï, sa rencontre avec la forêt, l’obtention de son diplôme de chimie… et puis son engagement dans la lutte contre l’impérialisme américain. Tran s’engage dans le Front National de Libération du Sud Vietnam, prend le chemin de la piste, rejoint le comité central, travaille pour l’agence de presse et termine agente de liaison avant d’être arrêtée, interrogée et torturée alors qu’elle est enceinte de 4 mois et déterminée à ne pas parler. Après la libération et le départ des soldats américains, Tran To Nga devient directrice d’une école de jeunes filles et n’en perd pas sa conscience politique et militante, désillusionnée par le renouveau du parti qui vient d’accéder au pouvoir.

C’est la période des guerres qu’Angelica Kiyomi Tisseyre Sékiné nous raconte minutieusement. Accompagnée d’images d’archives et de vidéo, elle décrit le paysage, l’engouement, la force et le courage, l’enthousiasme, la peur, le désarroi. Le climat de guerre, la tension mais aussi les joies, les liens qui se nouent, les vécus qui s’embrasent et s’entrelacent. Elle nous embarque avec elle dans les galeries souterraines, dans la forêt vietnamienne, on traverse le pays avec elle et ses compagnons d’unité, on vibre avec elle lorsqu’elle retrouve sa sœur, puis sa mère, on pleure la mort de son bébé, on craint les bombardements et puis on sent cette pluie gluante qu’elle reçoit sur les épaules et on sait que ce n’est pas un herbicide quelconque.

LE CHOC

Les feuilles tombent, puis les troncs, et enfin les racines. Tout est dévasté, la terre est devenue hostile, les eaux et les nappes phréatiques sont contaminées. Le vivant est détruit. Les vivants, aussi, à petit feu. « Le mal a commencé à faire son nid dans mon corps », dit la protagoniste dont le corps et l’état de santé qui se dégradent et se délitent sont « la preuve vivante de l’écocide ». La guerre ne s’est pas arrêtée en 1975 pour Tran comme pour les millions de victimes atteintes des syndromes inventoriés comme conséquences de l’agent orange. Le combat se poursuit depuis la France où elle agit, manifeste, fédère et milite, jusque dans ce tribunal d’Evry où elle s’entoure en pensée de toutes les femmes qui l’ont inspirée et accompagnée et de toutes les personnes pour qui elle se bat. Elle est vivante, clame-t-elle. On la trouve également courageuse, forte et digne. Ses paroles - de sa bouche ou de celle de la comédienne - croisent les mots de son avocat dont des extraits de plaidoirie sont restitués dans le spectacle. Le récit est puissant, porté à la fois par l’écriture de Marine Bachelot Nguyen et par le jeu d’Angelica Kiyomi Tisseyre Sékiné.

La trame narrative met en résonnance la vie d’engagement politique de Tran To Nga pour son pays et sa liberté avec le combat juridique et moral qu’elle mène. Tout est lié, certes, mais le spectacle fait jaillir l’évidence, la brutalité et la violence de tous ces événements. Ne reste plus que le choc et la sidération. Ainsi que l’admiration pour cette personnalité déterminée et inspirante mais aussi pour l’autrice et metteuse en scène et pour la comédienne. Un spectacle bouleversant.

Célian Ramis

Écrire les luttes féministes algériennes au pluriel

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Le 13 mars, Amel Hadjadj, militante féministe et co-fondatrice du Journal Féministe Algérien, est revenue sur l'histoire des luttes des femmes, d'hier et d'aujourd'hui, en Algérie, à la Maison Internationale de Rennes.
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Le 13 mars, l’association de Jumelage Rennes-Sétif invitait Amel Hadjadj, co-fondatrice du Journal Féministe Algérien, à la Maison Internationale de Rennes pour une conférence sur les luttes féministes, d’hier et d’aujourd’hui, en Algérie. 

« L’Histoire a été écrite par les hommes, pour les hommes. », rappellent la militante féministe Amel Hadjadj. « On manque de ressources et d’archives. On retrouve toujours les mêmes figures féminines dans l’Histoire. Il y en a 6 ou 7 qui reviennent régulièrement. », précise-t-elle. Le matrimoine algérien est minimisé. Ainsi, dans le récit féministe que les militantes entreprennent de raconter, un grand travail est effectué à ce niveau-là. « Les femmes sont la moitié de la société. 44 millions de personnes en Algérie. 22 millions de femmes donc… », souligne-t-elle. Une moitié d’humanité qui a besoin de connaitre son héritage sans que celui-ci soit amputé d’une partie de son histoire et sans que celui-ci soit dénaturé par les stéréotypes de genre. « On décrit les femmes pendant la guerre comme infirmières. C’est très bien, il en fallait mais on minimise leur rôle. Pendant la guerre de libération, les femmes poseuses de bombes ont pris des risques énormes ! Certaines sont mortes, SDF, dans l’anonymat… Pour transporter les armes, il fallait des femmes car les hommes se faisaient fouiller. Si elles se faisaient prendre, elles étaient violées, emprisonnées, etc. », scande Amel Hadjadj. Aux détracteurs qui estiment que la réhabilitation des femmes à travers l’Histoire est un argument biaisé pour simplement se donner une légitimité, elle répond :

« Je veux qu’on rende justice à ces femmes ! » 

SCOLARISATION ET TRAVAIL 

C’est en 1947 qu’est créée la première association de femmes en Algérie - l’Association des femmes musulmanes algériennes – venant préciser ici la spécificité de la condition des femmes. Quelques années plus tard, l’indépendance est déclarée et l’Algérie organise sa première assemblée constituante. Les femmes y sont quasiment absentes. « Elles sont 5 ou 6 sur plus d’une centaine de personnes ! Même les progressistes disaient que les femmes devaient retourner en cuisine… », signale Amel Hadjadj. L’Union des femmes organise la première manifestation le 8 mars 1965. Les pancartes prônent le soutien à toutes les femmes dans le monde vivant encore sous l’oppression du colonialisme mais ce jour-là est aussi l’occasion de revendiquer leur droit de travailler. 

« Seulement 3% des algériennes travaillaient après l’indépendance. Le patriarcat et la mentalité algérienne acceptaient les enseignantes et les infirmières… » Elles se battent également pour la scolarisation des filles et des ainés, de manière générale, souvent envoyés tôt au travail pour aider le patriarche. À Alger, elles marchent du centre de la ville jusqu’à la baie où elles jettent leurs voiles : « C’est un acte éminemment politique mais cela n’a rien à voir avec le débat sur le port du voile. Il s’agit là d’un symbole : elles jettent le voile que portent les femmes au foyer. Les travailleuses, elles, ont une autre tenue. Elles luttent ici pour le travail. »

INSTAURATION DU CODE DE LA FAMILLE

Vont se multiplier les projets de loi concernant un code de la famille. Les codes français (civil, pénal, etc.) seront traduits. « Cela ne s’inscrivait pas du tout dans le reste des progressions du pays. Cela amenait la société vers quelque chose qu’elle n’avait jamais vécue ! », explique la militante. Après deux versions avortées – que les femmes des parlementaires ont faites fuiter auprès des étudiantes pour qu’elles les dénoncent – le code de la famille est promulgué en 1984. Dedans figure, entre autres, « le devoir d’obéissance à son mari et à la famille de son mari et tout un tralala… ». Amel Hadjadj réagit :

« C’est toute une idéologie qui opprimait les femmes des autres pays qu’on a importé ici. Aux luttes pour la scolarisation et le travail, s’ajoute l’abrogation du code de la famille. »

À cette époque, c’est un parti unique qui gouverne le pays. D’autres mouvances s’organisent en souterrain, dans la clandestinité, et font naitre à la fin des années 80 – à la création du multipartisme - des associations luttant contre cette répression politique à l’encontre des femmes. « Mais les années 90 arrivent et avec elles, le terrorisme. » Les féminicides se multiplient. Elles meurent parce qu’elles refusent de porter le voile. Elles meurent parce qu’elles s’assument féministes. Le mouvement est meurtri et entame les années 2000 fatigué. Les associations historiques des années 80/90 disparaissent quasiment toutes. 

UNE NOUVELLE DYNAMIQUE

La société algérienne n’est plus la même, signale Amel Hadjadj : « Il y a eu une rupture. On n’est plus dans l’organisation. Certains traumas de l’Histoire du pays n’arrivent pas à être dépassés. Beaucoup de féministes de ces années sont d’ailleurs venues vivre en France. Ma génération arrive et finalement, on revient inconsciemment à la clandestinité. Des associations naissent, les sujets ne sont plus les mêmes… » On y parle harcèlement, communauté LGBT, violences, etc. mais le contexte ne les rend ni visibles ni audibles. Un tournant s’opère en 2015 et, comme elle le dit, la force des réseaux sociaux met en lien des féministes d’hier et d’aujourd’hui et fait la lumière sur l’ampleur des féminicides. « On organise des rencontres intergénérationnelles féministes algériennes. Ce n’est pas simple de se comprendre et de comprendre les traumatismes des anciennes. », poursuit-elle.

En 2016, à Constantine, sa ville natale, un nouveau féminicide pousse les militantes à organiser un sit-in : « L’assassin était en cavale, il fallait qu’on diffuse partout sa photo. Des sit-in ont été organisés à Constantine, à Alger, à Oran et ailleurs. Le bruit incroyable que ça a suscité a permis d’arrêter l’assassin. Et ça nous a obligé à sortir du cocon des réseaux sociaux ! » En 2019, elles réalisent qu’un mouvement d’ampleur s’organise : « J’ai déménagé à Alger pour avoir plus de liberté et pour pouvoir lutter. Un mouvement grandiose se passe. Le collectif féministe d’Alger se cache toujours mais il y a une vraie volonté de rencontrer les autres. » Un besoin immense de reprendre en main l’histoire effacée de toutes les femmes dont le rôle a été minimisé, bafoué, méprisé, écarté, etc. Des carrés féministes s’instaurent dans la capitale mais aussi à Oran et en Kabylie. « Les survivantes des années 90 reprennent les associations qui avaient disparu. Ce qui n’a pas plu à tout le monde. Mais tant pis, le principal, c’est de s’organiser. », se réjouit la militante féministe. 

DES FÉMINISMES, AU PLURIEL !

Né ainsi le renouveau des dynamiques féministes. Elles sont de plus en plus dans l’espace public mais aussi dans les sports et d’autres secteurs de la société. Elles s’imposent. Mais cela n’est pas suffisant. De nombreuses revendications perdurent et les militantes sont sans cesse attaquées et décrédibilisées. « On a essayé de mettre les féministes dans les cases de tous les traumas, y compris ceux qui n’ont pas été traités. Pour moi, il y a une urgence à décoloniser les luttes. La peur des autres, de son passé et la violence sont encore présentes. En plus du patriarcat… La révolution, c’est pas les bisounours. Il faut continuer de sortir et de s’organiser malgré les divergences et les rejets. », commente Amel Hadjadj. Les médias et partis politiques adaptent leurs discours, intégrant de plus en plus les problématiques et revendications féministes. En parallèle, est créée l’association du Journal Féministe Algérien. « En 2015, on a ouvert une page sur les réseaux sociaux pour annoncer le sitting. On a eu de l’impact. On couvre tout ce qui se fait, les mouvements féministes, les lettres ouvertes, etc. Il faut continuer à s’organiser. », insiste-t-elle. Elle poursuit :

« Le vécu nous a poussé à réaliser qu’il n’y a pas un seul féminisme, mais plusieurs. C’est pour ça qu’on a fondé l’association. On veut rassembler toutes les femmes, qu’elles soient toutes représentées, qu’elles puissent toutes s’exprimer. »

L’idée : aller à la rencontre des groupes locaux, à travers tout le pays, afin de les accompagner dans leurs luttes. « On travaille à un manifeste des mouvements féministes algériens, pour créer le rapport de force. », signate-t-elle. Intrinsèquement liées aux territoires, les revendications diffèrent selon les zones : manque de gynéco, taux minime de travailleuses, absence de maternité… « Il y a des luttes qui sont plus visibles que d’autres. Notre association lutte pour qu’on ait toutes le même niveau d’informations. », insiste Amel Hadjadj. Visibiliser tous les combats sans les hiérarchiser et les prioriser. Valoriser les militantes, leur courage, leur diversité, leur pluralité, singularité et résilience. « En 2019, proche d’une des frontières Sud de l’Algérie, a lieu un viol collectif d’enseignantes dans leur logement de fonction. En mai 2021, une manifestation est organisée contre le viol. Des femmes sont venues de partout ! Elles n’ont pas simplement dénoncé les viols, les violences et l’insécurité, elles ont aussi réaffirmé leur volonté de travailler. Malgré le drame, elles ont dit : « On n’arrêtera pas de travailler ! » Il n’y a pas une seule région dans le pays où il n’y a pas de femmes en mouvement. », poursuit-elle avec hargne.

De nouvelles générations de militantes féministes émergent en Algérie et Amel Hadjadj témoigne de l’ampleur grandissant de l’engouement. Les revendications se multiplient. Les mouvements prônent la liberté d’être et d’agir, la pluralité des voix et des voies de l’émancipation, la diversité des identités et l’importance de la reconnaissance et de la prise en considération de toutes les personnes concernées, leurs spécificités, leurs trajectoires, traumatismes, souffrances et moyens d’organisation. 

Célian Ramis

Femme, Vie, Liberté : la gronde du peuple iranien

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La sociologue et politologue Hanieh Ziaei décrypte les mouvements de contestation en Iran, au prisme du genre et du caractère indivisible des luttes réunissant femmes et hommes autour des valeurs de liberté et de démocratie.
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Invitée par l’Association franco-Iranienne de Bretagne, la sociologue et politologue Hanieh Ziaei a décrypté, le 8 mars à la Maison Internationale de Rennes, les mouvements de contestation en Iran, au prisme du genre et du caractère indivisible des luttes réunissant femmes et hommes autour des valeurs de liberté et de démocratie.

« Femme, Vie, Liberté ». Le slogan résonne. À travers l’Iran mais aussi bien au-delà des frontières érigées par l’État Islamique qui gouverne le pays depuis 44 ans. À Paris, le musée d’art moderne, le palais de Tokyo, l’école des Beaux-Arts et le palais de la Porte Dorée ont paré leurs façades d’affiches revendiquant le slogan, en soutien aux manifestations et au peuple iranien. À travers le symbole des cheveux, les visuels de Marjane Satrapi, Innejatz ou encore Roya Ghassemi dénoncent le contrôle policier et l’emprise omniprésente d’un état autoritaire. « L’esprit créatif émerge de ces mouvements. La quête de liberté et la lutte pour la liberté en sont au cœur. », souligne Hanieh Ziaei.

DE LA MORT D’UNE JEUNE FILLE À LA NAISSANCE D’UN MOUVEMENT

Septembre 2022. Mahsa Amini, étudiante iranienne de 22 ans, est arrêtée par la police des mœurs, aussi appelée police de la moralité. Elle décède quelques jours plus tard, le 16 septembre, suscitant la colère et l’indignation de tout un peuple.

« Elle a perdu la vie pour deux mèches de cheveux. La police a jugé qu’elle était « mal voilée ». Les manifestations éclatent partout en Iran. »
précise la sociologue.

La mobilisation populaire est forte, les affrontements, violents. À Paris, Montréal, Bruxelles ou encore Berlin, les témoignages de soutien affluent, démontrant selon Hanieh Ziaei l’intérêt et l’implication de certains pays pour la situation iranienne mais aussi le travail de sensibilisation et de diffusion de l’information de la diaspora. Face à la défense des valeurs démocratiques, l’Etat Islamique répond par une répression « sans limite dans le non respect des droits humains. » Elle salue le courage, principalement des femmes mais aussi des hommes : « La population, de divers âges, se mobilise au péril de sa vie pour défendre sa liberté. Parce qu’aller manifester dans l’espace public en Iran, c’est mettre sa vie en danger. Cette jeune génération ne veut plus accepter l’inacceptable. On voit qu’elle n’a plus rien à perdre. Elle est très connectée aux réseaux sociaux mais aussi aux réalités sociales. Et cela va au-delà parfois de la désobéissance civile. Il s’agit de refuser les diktats, la dictature. »

La mort de Mahsa Amini touche d’autres enjeux. Si la question du code vestimentaire est centrale, le décès d’une femme, jeune, issue d’une minorité ethnique (née à Saqqez, province iranienne du Kurdistan) ravive les tensions autour de toutes ces dimensions. « Sa mort donne naissance à un mouvement. », déclare la politologue. Elle poursuit : « C’est certain que le mouvement n’a pas la même intensité tout le temps, c’est normal. Sept mois après, il change de forme. La résistance s’organise différemment. » Par l’art, par exemple. Ainsi, les fontaines de Téhéran rougissent, symbolisant le sang versé, puisque ce sont, approximativement 520 morts comptabilisés en 2023 dans ces mobilisations. « En Iran, il n’y a pas de statistiques officielles, c’est très difficile d’avoir le chiffre exact. On a une estimation pour avoir une vision globale. », précise-t-elle. Elle parle de féminicides et d’infanticides comme pratiques usuelles de l’Etat Islamique, « et même de génocide avec les cas des empoisonnements, qui sont un exemple parmi d’autres… » Fondamental selon elle, c’est que désormais la communauté internationale ne fera plus la confusion entre le peuple iranien et le régime, en place depuis 44 ans : « On a bien une société à 2 vitesses. Deux mondes qui se confrontent. »

LA RÉPRESSION PAR LES EMPOISONNEMENTS

Depuis mars 2023, ce sont environ 300 attaques et 5000 personnes affectées que compte le pays. Les intoxications au gaz chimique visent majoritairement les écolières, collégiennes et lycéennes. Ces intimidations ne sont pas nouvelles. À l’automne déjà, rappelle Hanieh Ziaei, avait éclaté le scandale de l’eau contaminée à l’université. « On s’attaque aux établissements universitaires et scolaires car ils sont porteurs des mouvements de contestation. C’est pour ça qu’on vient les cibler. 25 des 31 provinces d’Iran ont été attaquées. », commente-t-elle. Elle raconte l’onde de choc, les crises de panique des élèves qui présentent toutes les mêmes symptômes (suffocation, vomissement,…) et crient « On ne veut pas mourir ». L’horreur. La responsabilité de l’Etat est très rapidement mise en cause : « L’Etat exerce un hypercontrôle et une surveillance omniprésente. Comment peut-il dire qu’il ne comprend pas ce qu’il se passe ? C’est là qu’apparait la contradiction, la faille dans le discours. »

Les médias visibilisent, de manière importante, ces crimes contre l’humanité – « c’est dans la juridiction du droit international ! » - qui pourtant sont loin d’être une nouveauté en Iran. Depuis l’avènement de l’Etat Islamique au pouvoir, le pays connait des séries de contestations et de protestations, remettant en question l’architecture institutionnelle.

DANS LA CONTINUITÉ

Les femmes, depuis longtemps, contestent contre le port du voile obligatoire. En 1980, elles revendiquent déjà par les slogans « Liberté, Egalité, c’est notre droit » et « Nous ne voulons pas du voile obligatoire » leur liberté de s’habiller comme elles le souhaitent. Et au fur et à mesure, la manière de porter le voile évolue. En 2017, elles protestent toujours à travers les Mercredis blancs. Par opposition, elles portent un voile blanc. En soutien, les hommes se parent également de blanc. « C’est là que l’on voit le caractère indivisible du peuple iranien. C’est un des rares pays où quand les femmes se mobilisent, les hommes aussi. En Afghanistan, pays voisin, quand on a attaqué les femmes, les hommes n’ont pas bougé. », analyse la sociologue :

« Ça dépasse l’identité de genre. Femmes et hommes combattent pour des valeurs communes. »

Elle souligne et insiste sur l’inscription de ce mouvement, de 2022, dans la continuité de plusieurs vagues de protestation, toujours accompagnées de la triple domination subie par les femmes : patriarcat, poids de l’idéologie et pratiques autoritaires. Dans les villes urbaines et périphériques, le mécontentement général gronde « et le visage de la contestation change en fonction des restrictions imposées par l’Etat. » Les espaces et les moyens varient, au même titre que les formes d’expression protestataire. Les mouvements se distinguent à chaque fois par leur côté pacifique, l’émergence de la créativité artistique, les hommages aux victimes pour ne pas les oublier. Campagne « Un million de signatures » en 2006, mort de Neda lors d’une manifestation contestant l’élection présidentielle en 2009, mouvement vert la même année… Seule la force de la répression déployée en face ne change pas. « Les différents mouvements s’inscrivent dans une continuité. À chaque fois, il y a un déclencheur et ensuite ça va plus loin : le peuple exprime son rejet du système. Et on est encore dans les mêmes revendications : la démocratie, la liberté, etc. Et les femmes sont toujours présentes dans les mouvements de contestations. », signale Hanieh Ziaei. 

Utilisation des réseaux sociaux pour diffuser l’information et donner une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, d’une part, inscriptions de message sur le corps des femmes, voile porté au niveau des épaules ou pas du tout, détournement des billets de banque, d’autre part lorsque le gouvernement coupe Internet dans le pays. « Les pancartes et slogans sont interdits. On attaque aussi le mobilier urbain parce que l’idéologie visuelle est très présente dans l’espace public. On tâche de rouge les visages des martyrs, comme on a coloré les fontaines de Téhéran. », rappelle la politologue. Tout comme on fait circuler des photos et des dessins, en soutien à des icônes de la contestation comme le leader étudiant Majid Tavakoli arrêté par les autorités qu’il tentait de fuir en portant le tchador traditionnel ou l’illustration « Share me » d’Homa Arkani.

LA RUPTURE ENTRE L’ÉTAT ET LE PEUPLE

Répressions, arrestations arbitraires, disparitions d’opposants politiques, contrôle total, surveillance omniprésente (« avec beaucoup de bavures »), lacunes organisationnelles se multiplient et s’amplifient, suscitant la méfiance sociale et le sentiment d’insécurité du peuple iranien qui remet en question la légitimité politique du gouvernement. Dans son travail, Hanieh Ziaei observe depuis 2005 un effritement graduel de la confiance de la population face à un Etat qui pratique aisément mensonges, corruptions et non-dits. Sans oublier la lenteur et l’inefficacité, voire l’inexistance, des réponses et actions face aux catastrophes naturelles et à la crise sanitaire. «

 Le bilan est lourd après 44 ans de gouvernance. Et cela explique pourquoi le peuple iranien est prêt à mettre sa vie en péril pour la liberté. Les pressions sont idéologiques, morales, sociales, économiques, l’ingérence de l’Etat dans la vie privée de ses citoyens est quotidienne et l’Etat ne garantit pas la sécurité et le bien-être de la population. »
conclut-elle.

Face à ce déploiement inouï de violentes répressions, le peuple iranien se soulève, scande sa colère et son indignation et brave les interdits pour revendiquer sa liberté et ses aspirations démocratiques pour leur pays.

 

 

 

Célian Ramis

8 mars : tou-te-s en grève !

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Le patriarcat ne tombera pas tout seul, organisons-nous pour lui péter la gueule ! Plus qu’un slogan de manifestation, c’est une ligne de conduite. Les militant-e-s féministes répondent à l’appel et œuvrent sans relâche à la grève féministe du 8 mars.
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Le patriarcat ne tombera pas tout seul, organisons-nous pour lui péter la gueule ! Plus qu’un slogan de manifestation, c’est une ligne de conduite. Les militant-e-s féministes répondent à l’appel et œuvrent sans relâche à la grève féministe qui se profile à l’horizon du 8 mars prochain (et du suivant, et du suivant du suivant, et ainsi de suite). À Rennes, les membres de Nous Toutes 35 s’y préparent, conciliant militantisme et festivités comme armes de lutte contre le patriarcat et le capitalisme. 

Depuis le 8 novembre, le célèbre air des années 90 signé Gala envahit l’espace public rennais. Dalle du Colombier, parvis de la gare, parc du Thabor, place Sainte-Anne ou encore sur les campus, les militant-e-s ont organisé tous les mois un flashmob, invitant à la grève féministe. En ce 8 mars 2023, le rendez-vous est donné sur l’esplanade Charles de Gaulle afin de danser ensemble, se mobiliser, s’échauffer et faire entendre les nouvelles paroles de la chanson : « Patriarcat au feu, et les patrons au milieu ! » Le ton est donné. Les corps en mouvement dans l’espace public, la synchronisation des gestes – la choré peut s’apprendre grâce à un tuto YouTube – et le volume à fond : le message est clair. 

Bloquer le pays. Prendre la rue. Prendre le droit de se mettre en grève. Exprimer les revendications. Exposer les conditions de vie des personnes sexisées. Si les femmes s’arrêtent (de travailler, de gérer les tâches ménagères et l’éducation des enfants, etc.), le monde s’arrête. Sans le travail reproductif pris en charge par les femmes, en parallèle de leur travail productif, le monde s’écroule. S’organiser pour faire force et mettre KO le capitalisme. De punchlines en réflexions et liens sur la manière dont sont articulés les rapports de domination, les militant-e-s de Nous Toutes 35 échangent sur le pourquoi du comment d’une grève féministe, inscrite à l’ordre du jour de leur séance plénière qui se déroule à l’Hôtel Pasteur, quelques jours avant le festival. Constats autour du travail domestique non rémunéré et ses conséquences, de son invisibilisation et sa participation à la dépendance économique des femmes à leurs maris, rendant inopérant le principe d’égalité entre les individus, des formes de violences qui en découlent opérant dans l’intimité du foyer et analyse des leviers à actionner pour briser les chaines de l’oppression exercée sur les minorités de genre par le patriarcat. L’enjeu du festival est rappelé : « Se rencontrer et se rendre compte que l’on fait corps autour de ça. Et ensuite, construire le mouvement de la grève générale. Le festival, c’est une étape avant la grève. »

DES GRÈVES INSPIRANTES

Pour faire bouger les lignes et obtenir des droits, les femmes ont souvent eu recours à des grèves massives (sociales, sexuelles, domestiques, etc.). En France, on se rappelle de la série de grèves menée au début du XXe siècle (1905 et 1924) par les sardinières de Douarnenez. Ouvrières des conserveries de poisson, elles se sont mobilisées et unies pour protester contre la pénibilité du travail et réclamer une augmentation des salaires. En Islande, c’est la grève d’octobre 1975 qui marque les esprits, réunissant près de 90% des femmes du pays dont une large majorité manifestera dans les rues de Reykjavik. Les grévistes exigent l’obtention de l’égalité entre les hommes et les femmes et la reconnaissance de leur rôle dans l’économie du pays et la gestion des familles. En clair, elles démontrent qu’elles sont indispensables. Tout simplement. Un message fort envoyé à la société qui va devoir faire évoluer drastiquement ses mentalités. Une inspiration pour les Espagnoles qui le 8 mars 2018 ont répondu massivement à l’appel de 8-M, fédération d’associations féministes, alliée aux syndicats : concerts de casseroles dans Madrid, arrêts des métros et des trains, défilés devant les enseignes commerciales, journaux télévisés sans présentatrices… Elles dénoncent toutes les formes de discriminations et de violences à l’encontre des personnes sexisées. Sans elles, tout s’arrête, elles l’ont encore prouvé et nos voisines suisses n’ont pas hésité l’année suivante, en 2019, a impulsé la grève des femmes dans leur pays, réclamant en premier lieu la fin des inégalités salariales – elles dénoncent les différences de salaire durant les carrières mais également les conséquences sur la retraite, les femmes étant les principales impactées par les réformes retraite… - et la reconnaissance sociale et financière des postes et secteurs occupés par les femmes, et en second lieu la fin des violences sexistes et sexuelles de manière globale.

C’est un fait, tout est lié. De l’injonction à gérer l’espace privé et les tâches qui y sont assignées à la culture du viol, en passant par l’inégal accès et la faible représentativité au travail, à la santé, à la scène politique comme culturelle et artistique, les militant-e-s féministes attaquent de front le système patriarcal dans son ensemble afin de déconstruire les mécanismes d’oppression exercés à tous les niveaux de la société. Les 11 et 12 juin, au festival Mars ou grève, les camarades suisses sont présent-e-s pour partager leurs expériences. « Ce qui nous a fait le plus de bien, c’est qu’elles ont montré que c’était possible ! Elles sont parties d’un terrain où tout était à construire. Elles ont beaucoup tafé et l’engrenage s’est enclenché. Et c’est une des plus grosses mobilisations sociales ! C’est inspirant ! », s’enthousiasme Mélissa, membre de Nous Toutes 35. Elle est accompagnée de Val et d’Aline, toutes deux également militantes au sein du collectif féministe. « C’est une source d’inspiration et d’admiration. Et puis de voir toutes ces marées vertes et violettes sur les villes d’Amérique du sud, d’Amérique centrale, d’Inde, d’Europe, etc. On a envie de ça, de quelque chose de global qui renverse le système capitaliste et patriarcal. Pas juste à Rennes. C’est pour ça que c’est nécessaire de construire ça massivement. », souligne Val.

SE RASSEMBLER POUR PESER

Rien ne se fait en un claquement de doigts. Déboulonner les stéréotypes et rôles genrés, intégrés dès le plus jeune âge et infusés dans toute la société de manière plus ou moins pernicieuse, de manière plus ou moins consciente, demande du temps et des moyens. Pour expliquer d’où proviennent les inégalités, comment elles s’expriment et comment elles perdurent. Il est primordial de fédérer et de s’organiser. « À Rennes, en 2019, on était plusieurs à vouloir monter une structure féministe dans l’objectif d’organiser la manifestation du 25 novembre (journée internationale de lutte contre les violences sexistes et sexuelles faites à l’encontre des personnes sexisées, ndlr). On s’est posé la question de lancer une inter orga ou un collectif. L’idée n’était pas de remplacer les associations féministes existantes mais de coordonner les énergies. À cette époque, les collages commençaient aussi. Entre le 25 novembre et le 8 mars (journée internationale pour les droits des femmes, ndlr), on a bien posé les bases du collectif. », explique Aline. L’année 2020 est bousculée par la crise sanitaire et les confinements qui révèlent la précarité des métiers essentiels et surtout de celles qui les font tourner. « À ce moment-là, Nous Toutes 35 était en contact avec différents collectifs nationaux indépendants. Une poignée s’est organisée et c’est comme ça qu’est née la Coordination féministe. », poursuit Val. Autour de la question « Comment traiter la crise sanitaire d’un point de vue féministe et s’organiser politiquement en temps de confinement ? » s’affinent l’idée et la volonté de transformer profondément et radicalement la société. Après une première mobilisation axée sur un déconfinement féministe, interpelant l’opinion publique quant aux conditions des premières de cordée et de corvées et demandant une revalorisation de leurs statuts et de leurs salaires, éclosent les premières Rencontres nationales féministes, organisées par la Coordination féministe et Nous Toutes 35 (qui fait parti du regroupement national), à Rennes. 

GELER LE PAYS

Nous sommes en janvier 2022 et là encore le propos est à la grève générale. Quelques mois plus tard, la manifestation du 8 mars prend lieu et place le jour même et non comme à son habitude le week-end précédant ou suivant la journée internationale. Un premier pas qui ancre dans les mentalités la faisabilité d’une grève à venir… Une invitation à arrêter de travailler, à l’instar du mouvement #3Novembre9h22 (en 2021), #4Novembre16h16 (en 2020) ou #5Novembre16h47 (en 2019) qui marque le moment de l’année où les femmes commencent à travailler bénévolement, en raison de l’écart des salaires. À la différence que l’effet ici est réduit, malgré la volonté de pointer et de visibiliser cette inégalité criante. La grève féministe va plus loin puisqu’elle tend à geler le pays, bien au-delà de la symbolique. En arrêtant de travailler le 8 mars et en refusant de réaliser les tâches domestiques assignées, elles dépassent la revendication d’égalité salariale. Pour les militantes de Nous Toutes 35, « c’est là que s’articule le mouvement en terme de revendications féministes, en soulignant les différentes dimensions du travail productif (salarié) et du travail reproductif (domestique). » Elles initient une prise de conscience qui pourrait s’avérer spectaculaire. Réaliser le poids des femmes et minorités de genre dans la société et leur impact si elles démissionnent de leurs rôles sexuels et genrés, c’est prendre conscience du pouvoir qu’elles ont, c’est faire comprendre que sans elles, rien n’est possible. C’est imposer leurs revendications et conditions dans l’espace et le débat public pour une refonte complète du système, pour un fonctionnement égalitaire. Qui doit également prendre en compte les nombreuses discriminations qui s’articulent au croisement du sexisme et des rapports de domination en raison des origines réelles ou supposées, du handicap, de la classe sociale, de l’orientation affective et sexuelle, de l’identité de genre, etc. Sans oublier la dimension des territoires (milieu rural, milieu urbain, centre ville, quartiers populaires, etc.).

MOBILISER TOU-TE-S LES PERSONNES CONCERNÉES

La grève féministe, c’est un état d’esprit dans lequel les personnes concerné-e-s se mettent : « On ne peut pas vérifier dans les foyers que tout le monde est en grève. Il ne faut pas être trop puriste. J’aimerais personnellement qu’on arrête tout mais la construction va se faire pas à pas. » Les femmes peuvent débrayer toute la journée, une heure, une minute, porter un badge, rejoindre le mouvement après la journée de boulot. Elles font ce qu’elles peuvent. Car il est nécessaire de penser aux conditions sine qua non au déroulement de la grève. « Si on veut que tout s’arrête, il faut penser les effets en cascade. », souligne Val. Elle explique : « Si les enseignantes se mettent en grève, les enfants sont renvoyés à la maison. Et là, qui va les prendre en charge en général ? Si on s’arrête, des personnes vont rester seules, notamment les enfants, les personnes fragilisées, les personnes handicapées (les métiers de l’éducation, des services à la personne, de la santé, etc. étant majoritairement occupés par les femmes, ndlr). La question se pose : comment on construit la grève autour des enjeux et de la forme avec des alternatives pour ne pas mettre à mal les personnes dont on s’occupe majoritairement ? Il ne faut pas que ça retombe sur les femmes elles-mêmes. » Et que l’on ne reproduise pas les schémas dénoncés, à savoir que ce ne soit pas uniquement les femmes blanches, aisées, cisgenres, valides, hétérosexuelles qui soient en mesure d’affirmer la grève, biaisant une partie des revendications en s’octroyant la parole des concernées absentes. « La question des enfants est centrale. Comment organiser la garde des enfants et transformer ça en sujet collectif ? », interroge Mélissa, qui poursuit plus globalement : « On a besoin de savoir précisément comment ça se passe dans les différents métiers, pour apporter des réponses alternatives à la grève si elles ne peuvent pas y participer entièrement ou pour pouvoir s’organiser afin qu’elles y participent. Et pour ça, on a besoin des syndicats. »

COLLABORER AVEC LES SYNDICATS

S’atteler à la tâche colossale de l’organisation d’une grève générale, on l’aura compris, ne peut s’effectuer seul-e et séparément. Unir les forces mais aussi les compétences et savoirs. Et en cela, chaque collectif, association et syndicat est expert-e du secteur qu’il défend, du secteur dans et sur lequel il opère. « Là, je parle en mon nom et non en celui de Nous Toutes 35. Pour moi, il est important de travailler avec les syndicats. Si on veut mobiliser sur les lieux de travail, on va avoir du mal à le faire sans eux. Je sais que certain-e-s ont peur qu’on ne soit que la caution paillettes (comprendre ici que la collaboration serve de faire valoir à l’action des syndicats qui en collant l’étiquette féministe pourrait être tenté de se débarrasser du travail de remise en cause du système patriarcal au sein même de leurs pratiques et de leurs organisations, ndlr). Mais je pense qu’il faut travailler ensemble à des revendications communes. Les syndicats ont un pied là où nous on n’est pas organisé-e-s, sur des sujets sur lesquels on n’a pas de prise. », commente Aline. Depuis plusieurs années, le collectif rennais s’active à penser la relation partenariale avec notamment la commission féministe de Solidaires et « un peu » FO, la CGT et la CNT, dans le cadre des manifestations des 8 mars et 25 novembre.

Les premières marches sont donc déjà gravies. Si les militantes s’accordent à établir que les énergies et les modes opératoires ne sont pas nécessairement similaires entre engagement militant et engagement syndical, force est de constater que sur le terrain d’une grève générale féministe, il y a tout intérêt à faire alliance. « C’est important de s’emparer de la question de l’exploitation dans les métiers du soin, d’entretien, d’aides à domicile, d’aides soignantes, etc. Car il s’agit là de travail reproductif mais salarié. Sous payé… Notre rôle est de réappuyer sur ces points et de bien indiquer nos raisonnements et revendications aux syndicats. », analyse Val. Aline poursuit la réflexion : « Les secteurs fortement féminisés sont souvent sous syndicalisés. Il nous faut construire les rencontres vers ces personnes employées. En prenant en compte que dans les secteurs tels que les aides à domicile, il n’y a pas forcément de lieux de travail fixes. Si on a envie de diffuser largement cette idée de grève, les syndicats sont indispensables car, eux, ont un accès plus simples aux salarié-e-s que pour nous. S’ils ne suivent pas, on le fera quand même mais ça marchera moins bien. » 

RÉPANDRE L’INFORMATION

Les militantes montrent bien à quel point la situation est complexe et transversale à tous les niveaux de la société. L’ampleur de la tâche ne les démonte pas. Elles savent que le travail va être long. Elles savent que le travail va être compliqué. Leur détermination et leur volonté s’affichent à la hauteur de la mission. Echanges, partages des vécus et des expériences et réflexions sont au cœur de leurs opérations. Au sein du collectif, de la Coordination féministe et des Rencontres nationales (dont la deuxième édition est organisée du 13 au 17 juillet 2022 à Grenoble), la parole se veut libre et l’écoute bienveillante. Il est question de visibilité et de lutte contre l’invisibilisation du travail reproductif non rémunéré, de l’exploitation des personnes sexisées dans les secteurs du care, de l’inégale répartition du travail productif mais aussi de violences conjugales et intrafamiliales, de féminicides et de violences sexuelles. Un propos lourd à porter, difficile à faire reconnaître, parfois même décourageant. Et pourtant, les militant-e-s sont là, répondent présent-e-s et affirment leur adelphité, comme le signalait en février dernier Lisa de la Coordination féministe (lire notre Focus « Inclusion : croiser les forces » / Numéro 95 – Printemps 2022) : « On est pour un militantisme qui ne soit pas du sacrifice. Ça ne veut pas dire que c’est simple à organiser un événement comme on a fait à Rennes, ça veut simplement dire que la balance de force et de bien que ça nous apporte pèse plus que la difficulté. Ça nous donne de la force pour la suite. Des fois, on se sent seul-e-s. Echanger avec des personnes qui ont les mêmes difficultés, ça fait du bien. On s’envoie des messages de cœurs, d’étoiles, on discute dans la joie et la bonne humeur. C’est un mélange de rage et de paillettes ! »

En réunion à l’Hôtel Pasteur, les membres de Nous Toutes 35 évoquent les joies du militantisme et font part du plaisir procuré par des événements qui mêlent engagement et festivités, à l’instar de Big Up organisé en marge du 8 mars à la Maison de quartier de Villejean, à Rennes, ou le festival Mars ou grève. Elles le disent, l’objectif de ce week-end, c’est « de faire un premier pas vers la diffusion de cette grève du 8 mars », « d’appâter avec des animations et des concerts des personnes qui ne seraient pas venues autrement » et « toucher un maximum de gens, en plantant la graine pour dire qu’une grève massive aura lieu en 2023, et rencontrer des gens qui sont intéressés. » Sans oublier que ces événements permettent également aux militant-e-s de s’auto-former sur les questions féministes. « On n’a pas de recette magique. Il faut diffuser l’info, la rabâcher partout, tout le temps. Partout où on va, il faut en parler. Afficher le drapeau « Grève féministe 2023 », partout, tout le temps. Et puis, il faut qu’on réussisse à construire des revendications qui parlent de nos vies quotidiennes pour que ça parle. Les féministes suisses ont écrit un manifeste en 19 points en disant « Si tu te reconnais, viens faire grève avec nous ! ». Il faut qu’en septembre, on ait ça aussi ! », scande Aline. 

Et surtout faire passer le mot : une grève générale féministe massive n’est pas seulement envisageable et envisagée, elle est déjà sur les rails, elle est possible et elle est largement susceptible de fonctionner. Ensemble, on s’arrête tou-te-s. Le 8 mars 2023. Le 8 mars 2024. Le 8 mars 2025. Parce que nos voix comptent. Que nos existences comptent. 

Célian Ramis

Solidarité avec les femmes du quartier

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Combien de féminicides faudra-t-il encore pour que les politiques publiques prennent les mesures adéquates ? C’est la question que pose Kuné, le collectif de femmes de Villejean.
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Villejean, Rennes – Le 12 avril, c’est le choc. Marie, 45 ans, a été tuée, étranglée par son mari à son domicile sous les yeux de leurs deux filles. Le 23 avril, une Marche blanche réunissait plusieurs centaines de personnes dans le quartier. Combien de féminicides faudra-t-il encore pour que les politiques publiques prennent les mesures adéquates ? C’est la question que pose Kuné, le collectif de femmes de Villejean.

Déjà 64 femmes tuées par leur conjoint ou ex conjoint depuis le début de l’année. Et toujours la même rengaine : dans la plupart des cas, elles avaient déjà porté plainte pour des faits de violences conjugales ou intrafamiliales. « La police nous a dit que depuis la mort de Marie et la Marche, 236 femmes avaient porté plainte. Son décès a fait peur aux femmes du quartier. », déclare Régine Komokoli, co-fondatrice du collectif Kuné. 

MAIN DANS LA MAIN

« En esperanto, ça veut dire Faire ensemble. Nous sommes des femmes de Villejean, migrantes de Normandie et d’un peu plus bas aussi. », rigole-t-elle. Le collectif prend vie en 2020. Alors qu’elle anime un atelier de couture avec les femmes voilées, la crise sanitaire et le confinement secouent la planète. Elles répondent par un élan de solidarité en créant des masques.

« On sert à quelque chose, on participe à l’effort national ! », signale-t-elle, en poursuivant : « On a fixé ça à Villejean : on se mêle de nos affaires dans nos quartiers ! » Elles envoient une énergie colossale au service de la vie du quartier et de la création de lien social. Elles organisent des événements fédérateurs, à l’instar des repas solidaires, qui mobilisent les acteur-ice-s de la dalle Kennedy et tissent des partenariats avec les structures et associations des environs, dans une démarche solidaire et écologique, basée sur le respect et la valorisation des savoirs et compétences : « Selon les affinités, les envies, on organise des événements. La participation est libre. »

Rencontrer les habitant-e-s, les prendre en considération et revendiquer la richesse des forces créatives et ingénieuses des quartiers populaires. Faire entendre leurs voix. « On n’est pas des assisté-e-s, on veut rendre la dignité à chacun-e. Il y a 52 nationalités qui se côtoient, c’est chouette, on valorise tout le monde ! », s’enthousiasme Régine Komokoli.

Son dynamisme et son aplomb sont représentatifs de la détermination et de l’engagement de Kuné qui comptabilise déjà 31 actions visant à visibiliser les bonnes initiatives de Villejean afin d’en redorer l’image souvent stigmatisée dans le cliché du territoire populaire.

« On est une vingtaine de femmes dans le collectif et on est toutes co-présidentes. L’idée, c’est de s’émanciper, sortir, réaliser son rêve. Je suis élue au Département parce que les femmes de Kuné m’ont portées. On veut améliorer la vie du quartier. »
affirme-t-elle.

Son sourire s’estompe : « On ne pensait pas enterrer une amie. »

FRUIT DU SYSTÈME PATRIARCAL

Le drame de la mort de Marie n’est pas un fait isolé. En France, chaque année, une femme meurt tous les trois jours, assassinée par un homme de sa famille. À Villejean, en avril, c’est le coup de massue, l’électrochoc. Ça n’arrive pas qu’aux autres. « Elles touchent toutes les femmes et encore plus particulièrement les femmes issues de la diversité », clame la co-fondatrice de Kuné. Sans oublier les personnes LGBTIQ+, les femmes handicapées, etc.

Dans une société patriarcale, les mécanismes de domination s’intègrent dès la petite enfance et se transmettent dans l’éducation (maison, école, loisirs), les arts et la culture, les médias, la publicité, etc. Les violences sexistes et sexuelles s’exercent à tous les niveaux et dans tous les domaines et l’espace privé reste un des espaces les plus dangereux pour les personnes sexisées souvent soumises à l’emprise psychologique, physique et/ou économique du compagnon, frère ou père.

« Je suis restée dedans pendant 20 ans. En venant d’un autre pays, il y a souvent de la dépendance administrative, du chantage des familles au pays et une banalisation des violences. Moi, je me suis retrouvée dans la rue puis à l’hôtel et aujourd’hui encore, je suis en hébergement d’urgence. C’est une réalité que souvent les gens ne voient pas. Je suis partie en 2019 et je subis encore les conséquences. J’ai des marques de coups de couteaux dans le dos. », confie Régine Komokoli. 

UNE MAISON DES FEMMES À RENNES ?

Le sentiment de culpabilité s’empare de son quotidien. Parce que Marie avait signalé les violences infligées et qu’elle était sur le point de partir :

« On a organisé la Marche et on a emmené beaucoup de monde avec nous. Il faut que les victimes puissent sortir du silence et les témoins aussi. On essaye de se rattraper… »

Mobilisé à chaque manifestation féministe – les 8 mars, 25 novembre et autres dates selon les actualités – le collectif investit l’espace public aux côtés des militantes, prend la parole et instaure, en partenariat avec Nous Toutes 35, un départ de cortège depuis Villejean, sans oublier le soutien et la collaboration à Big Up, organisé à la Maison de quartier en mars dernier.

Face au micro, Régine Komokoli défend les droits des femmes, rappelle les rouages de la domination masculine et n’oublie pas d’insister sur les ponts à créer et à consolider entre toutes les femmes et les minorités auxquelles elles appartiennent. Les mots sont puissants et les actions concrètes. Mais les moyens manquent.

Pourtant, la création d’un lieu dédié à l’accueil et l’accompagnement des femmes victimes de violences à Rennes est lancée officiellement depuis mars 2022 par le CHU, l’Asfad – centre d’accueil des victimes de violences familiales – et la municipalité, et devrait ouvrir ses portes à l’été 2023 à l’Hôpital sud. Sur le papier, ce lieu pluridisciplinaire s’inspire de la Maison des femmes de Saint-Denis, prévoyant un cadre d’accueil et d’écoute bienveillant-e-s, un accès aux soins et un accompagnement social, administratif et juridique, sans oublier un espace multimédia, des ateliers de reconstruction d’estime de soi, l’hébergement de la ligne téléphonique départementale de la plateforme de lutte contre les violences conjugales (02 99 54 44 88), etc.

« L’équipement est également pensé comme un lieu thérapeutique, avec des espaces de vie et de repos et, par exemple, la possibilité d’y déposer des affaires, d’y laver son linge et de se faire à manger. », indique le communiqué à ce sujet.

UNE PERMANENCE D’ÉCOUTE ET DE SOUTIEN

Pour le collectif de femmes de Villejean, le projet ne répond pas à l’urgence et aux attentes. « À l’hôpital ?! Qu’est-ce que ça veut dire ? Les femmes victimes ne sont pas malades. Et puis, le mec qui veut retrouver sa victime, il n’a qu’à prendre le métro ! Sans oublier que c’est un accueil de jour… La victime doit rentrer chez elle le soir. Ça change complètement le projet… », regrette Régine Komokoli.

Elle poursuit : « On a travaillé sur moi. En tant que personne test, je me suis confiée, j’ai tout dit. Et je n’ai même pas été associée à la suite. On m’a éloignée du projet à cause de mon histoire. Je ne peux pas me détacher de ce qui m’est arrivé, je suis un témoin vivant. Et il y en a plein d’autres… » Le temps manque pour se laisser envahir par la colère et le désarroi. D’ici là, que fait-on ? Kuné réfléchit aux actions possibles pour répondre à la réalité.

« C’est un problème de société qui devrait être traité en société, à travers les politiques de l’Etat. C’est un vrai mépris des femmes et des enfants. On est tout le temps sollicitées pour des questions de violences. On écoute les gens, on les reçoit mais ça ne suffit pas, on n’est pas formées. », réagit la co-présidente.

En juin, elles convoquent la presse sous l’arbre à palabres du square du Docteur Zamenhof. L’occasion de rappeler le constat que les femmes ouvrières, précaires, issues de la diversité, sans papiers ou sans statut sont souvent laissées sans moyens et sans écoute, d’exiger une réponse politique digne de l’ampleur du problème et surtout d’annoncer la mise en place dès septembre d’une permanence d’écoute bénévole et associative, menée de front par Kuné, les structures féministes et de quartier.

« Certaines d’entre nous guérissent de leurs souffrances. Mais ça ne résout pas le problème. Ça fait du bien de pouvoir pleurer et d’être écoutées. Mais comme je le disais, on n’est pas toutes formées. Alors, on va se lancer en mode financement participatif pour aider les femmes de Villejean à se former. »
souligne Régine Komokoli.

Elles demandent l’obtention d’un local fixe et confidentiel pour instaurer une relation de confiance avec toutes les bénéficiaires. En attendant, elles investissent les espaces tels que l’arbre à palabres et le hall de la Maison de quartier de Villejean. 

Kuné lance un appel fort et puissant : « Il faut agir pour que toutes les victimes de violences puissent sortir de la culture du silence. Que tout le monde puisse s’approprier le sujet ! » Dire stop au système patriarcal, sa diffusion et sa transmission. Rompre l’isolement et briser les rouages de la domination masculine. Solidarité et sororité. 

Célian Ramis

Matrimoine : La mémoire des femmes

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Femmes du passé et d’aujourd’hui, militantes, comédiennes, metteuses en scène, autrices et chercheuses universitaires… Elles nous proposent de visiter le matrimoine. À travers une mise en mots, en scène et en réseau.
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Femmes du passé et femmes d’aujourd’hui, militantes, comédiennes, metteuses en scène, autrices et chercheuses universitaires… Elles nous proposent de visiter le matrimoine. À travers une mise en mots, en scène et en réseau, elles participent à valoriser et visibiliser toutes celles qui ont œuvré à l’avancée de la société. 

Elles ont marqué l’Histoire. Que ce soit dans le domaine de la philosophie, des sciences, des sports, de la théologie, du monde médical, des technologies, de la politique, de l’économie, du social, des arts et de la culture… elles ont toujours été présentes et ont toujours pensé le monde et agi pour concrétiser leurs idées. Elles sont pourtant reléguées aux tâches ménagères et domestiques, confinées au sein de l’espace privé, au travail de reproduction…

Méprisées, ignorées, oubliées de l’Histoire, cet héritage biaisé, réducteur et sexiste, nous amène à nous construire à travers un vide, un silence, une absence. L’apprentissage scolaire, le langage, les médias ainsi que les institutions artistiques et culturelles ne donnent pas accès à notre matrimoine. Iels nous enseignent et inculquent les valeurs de notre patrimoine. Un terme qui n’est pas neutre puisqu’il inscrit le masculin comme élément central de l’ADN commun des êtres humains.

RENDRE LE RÉCIT COMPLET

Or, les femmes, de tous temps et de toutes origines, ont créé elles aussi le monde d’hier et d’aujourd’hui et pensé le monde de demain. On ne les retient pas ? Parce que l’Histoire est écrite par les hommes, blancs, cisgenres, hétérosexuels, valides, bourgeois, etc. pour les hommes blancs, cisgenres, hétérosexuels, valides, bourgeois, etc.

Le matrimoine redonne aux enfants et aux adultes de quoi rêver leur vie en grand. De quoi se projeter. De quoi se réinventer. Oser. Se sentir légitimes. S’autoriser. Heureusement, militantes, chercheuses, historiennes, femmes de lettres et artistes partent à la conquête de notre héritage issu des femmes.

Elles incarnent des vies oubliées, négligées, elles dépoussièrent des siècles de méconnaissance et d’ignorance et font (re)surgir toutes ces figures de l’ombre. Là, sur scène. Au milieu de brodeuses, au détour d’un cimetière ou devant un pupitre. Elles les rendent vivantes. Elles les rendent présentes. Elles les rendent actrices de leurs destins et chemins. Elles nous les donnent à voir, à entendre, à comprendre, à découvrir.

Pour nous découvrir autrement. Pour regarder l’Histoire et la société à travers un prisme plus complet. Et par là, elles interrogent également la place et le rôle des femmes dans le secteur des arts et de la culture. Elles se mettent en mouvement, elles se mettent en réseau et activent des cercles de puissance, aussi épanouissants que valorisants.

FAIRE PARLER LES MORTES

« À chaque fois qu’on joue, c’est juste dingue l’énergie qu’il y a ! Quand ça commence, ça me bouleverse. C’est une grande émotion de voir ces oubliées. On fait parler les mortes… », s’enthousiasme Laure Fonvieille, metteuse en scène et costumière au sein la compagnie La mort est dans la boite. Son credo : « Toute vie mérite récit ! Toute vie vaut la peine d’être racontée ! »

Et ça, elle le démontre à chaque représentation de Celles d’en dessous, spectacle joué pour la première fois en 2019 au cimetière de l’Est et en novembre 2021 au cimetière du Nord, à Rennes (la création a été adaptée également dans différents cimetières de Strasbourg et de Nantes).

Près de leur tombe, les femmes se racontent et nous font partager leurs exploits, difficultés, engagements, métiers, quotidiens, etc. Ainsi, le 1ernovembre, on palpitait au rythme des récits de dame Hélène de Coëtlogon, alias la sainte aux pochons (Camille Kerdellant), de la directrice d’hôtel, résistante et déportée Anne-Marie Tanguy (Sophie Renou), de Marie Brune, illustre inconnue à la vie bien remplie (Manon Payelleville), d’Hélène Jégado, célèbre empoisonneuse (Sandrine Jacquemont), et de Joëlle Guillevic, alias Jo Manix, autrice de BD (Inès Cassigneul).

« On se rend dans le cimetière quand les services funéraires sont capables de nous faire une visite comprenant 10 – 15 femmes. J’en choisis 5, en fonction de la diversité des personnes, mais aussi en fonction de l’emplacement de la tombe, de la matière que je vais trouver aux archives, etc. On fait également appel aux familles, quand c’est possible, pour avoir des infos. Je fais toutes les recherches, j’adore mener des enquêtes sur toutes ces femmes, aller interviewer les gens, avoir les faits, essayer de palper ce qu’elles étaient puis je transmets aux comédiennes. », explique Laure Fonvieille.

Elle poursuit : « Elles sont là, elles sont présentes, elles ont fait des choses mais on efface leurs traces… C’est passionnant ! En général, on trouve des bribes d’infos car des personnes ont déjà enquêté avant. Pour Jo Manix, son amoureux a œuvré pour que ses livres soient publiés. Sinon, on l’aurait oubliée… Comme dans les encyclopédies sur le théâtre, les femmes sont réduites, enlevées progressivement. » 

TRANSMETTRE DES MODÈLES

Omettre toute une moitié de l’humanité, c’est priver chaque génération de son histoire dans toute son entièreté et de figures aux histoires fabuleuses, réalistes, contrastées et extraordinaires.

Ainsi, dans le nouveau spectacle de la compagnie Nos combats ordinaires intitulé Elles, l’autre mémoire, les comédiennes Caroline Alaoui et Lety Pardalis restituent, sous la forme de portraits ludiques et modulables selon la configuration dans laquelle elles jouent, la parole – entre autres - de Vanessa Nakate, militante écologiste ougandaise, Temple Grandin, scientifique et chercheuse autiste américaine, Wu Zetian, unique impératrice de Chine, Sonita Alizadeh, rappeuse afghane ou encore Thérèse Clerc, militante féministe.

« On a eu envie d’utiliser le théâtre pour parler des femmes dont on ne parle pas assez. Ce sont des femmes d’origines et d’époques différentes, d’âges et de champs d’exploration différents. Parce que les femmes ont toujours fait des choses exceptionnelles ! »
souligne Caroline Alaoui.

À travers des lectures vivantes, humoristiques et/ou poétiques, elles relatent leurs parcours et actions inspirantes : « Cela permet de transmettre et donner à voir des modèles qu’on n’a pas eu le loisirs d’avoir dans notre enfance et/ou adolescence. Et ça crée une différence pour chaque vie, sur la manière de se construire, dans la façon de se rêver, de s’imaginer… » C’est là bien l’objectif de la valorisation du matrimoine. 

SUBVERTIR LES LÉGENDES

Il comble le vide, rétablit l’équilibre et chasse l’absence de ces figures féminines dont les témoignages, passant par le théâtre documentaire ou la fiction, ou le mélange des deux, délivrent un message puissant. La transmission opère et interroge alors l’impact des représentations sur l’ensemble des sociétés et leur vision des filles et des femmes.

De la même manière que l’on questionne l’aspect moralisateur et sexiste transmis dans les contes, la comédienne de la compagnie Sentimentale foule, Inès Cassigneul, s’intéresse de près depuis plusieurs années à la légende oubliée d’Elaine d’Astolat, morte d’amour, qu’elle a choisi de subvertir dans son spectacle Vierges maudites !. 

« J’ai découvert ce personnage quand j’étais ado, par le biais d’un tableau lors d’un voyage à Londres. J’étais sous le charme, je me suis vraiment identifiée et j’ai acheté l’affiche. C’était comme un miroir. En fait, c’était un modèle morbide car il s’agissait du moment où elle meurt. L’association érotisme et beauté était très troublante. Je suis partie de cette confusion-là pour écrire. », commente Inès Cassigneul.

Dans son spectacle, Elaine, au départ tisseuse, devient brodeuse : « La broderie est présente chez mes deux grands-mères. J’ai appris pour avoir un lien avec elles. Quand j’ai rencontré la brodeuse Muriel Fry, j’ai décidé de faire intervenir ce savoir faire technique dans la création. » Est venue alors l’idée de confectionner la tapisserie comme élément de décor qui servirait la narration pour sa première création La carte d’Elaine, en 2019.

À cela s’ajoute une nouvelle broderie reconstituant le voyage de la vierge au lys et l’envie de faire monter les brodeuses sur scène. « Elles ne sont pas souvent vues, pas souvent montrées. On a l’image de la femme au foyer, soumise, etc. qui brode. Souvent, elles n’ont pas eu la reconnaissance qu’elles méritaient pour leurs ouvrages. Il y a là un point commun avec Elaine qui est un personnage secondaire des légendes arthuriennes. Un personnage érotisé quand elle meurt. Une jeune fille sans destin qui meurt dès qu’elle sort à l’extérieur. À ce récit ultra sexiste, je lui ai tordu le cou. », analyse l’artiste.

Elle dénonce et critique un modèle néfaste pour l’éducation sentimentale des jeunes filles. Elle réactualise le propos en aventure initiatique dans laquelle Elaine part à la recherche du Chevalier sans nom, relatée dans un « matrimoine imaginaire ».

Elle explique : « Je pars d’une fiction totale, imaginant un poème qu’une autrice du 19esiècle aurait pu écrire parce que je me suis questionnée sur l’absence de transmission. L’histoire retient plus d’auteurs que d’autrices, alors j’invente des autrices carrément. Et des personnages de femmes dans des fictions passées. Il y a des héroïnes qui servent le patriarcat : on doit en tirer autre chose. On ne peut pas en rester au sacrifice, à la mort. On peut aussi en faire une source d’empowerment, quelque chose qui répare. Et la broderie, ça répare aussi… C’est important de changer de point de vue sur l’Histoire, déplacer le regard. Régénérer une héroïne pour la rendre vivante et réinventer une œuvre textile pour faire corps entre les femmes et les brodeuses. »

Brillants et libérateurs, tous ces spectacles proposés encouragent une plongée dans un univers bien plus vaste et inspirant que le modèle présenté et entrainent également une introspection personnelle, menant souvent à interroger sa propre place dans la société. 

PUISER L’ÉNERGIE CRÉATRICE

Parce qu’en parlant de se rêver en grand, Caroline Alaoui ne fait pas uniquement référence à l’effet positif qui s’instaure alors entre ces récits et le public. Mais aussi à l’impact que cela a sur elle en tant qu’artiste. Il y a celles qui s’expriment sur la scène et celles qui les incarnent. Et toutes forment et participent à notre matrimoine.

« Le travail que je fais autour d’Elaine, c’est la première écriture de cette ambition-là pour moi. De là est venu tout un cheminement autour de la narration. Je suis comédienne et je me suis rendue compte ici de mon désir d’écrire des histoires, plus fort encore que le désir d’incarner les personnages. », confie Inès Cassigneul.

Elle prend l’exemple du Portrait de la jeune fille en feu de Céline Sciamma : « (Re)convoquer des figures d’autrices et de personnages de fiction est source d’énergie et de force. » Cela participe à s’identifier et potentiellement déterrer des questions plus profondes. Et à questionner son rapport à la légitimité, problématique souvent relatée par les personnes sexisées et minorités oppressées, faiblement représentées dans les arts et la culture comme dans le reste de la société.

« Je me dis toujours metteuse en scène et costumière mais c’est vrai que sur ce spectacle, je suis aussi autrice. Manon Payelleville et Camille Kerdellant co-écrivent leurs textes aussi. Oui, je suis autrice. De plus en plus, je l’assume. Ça me plait ! »
se réjouit Laure Fonvieille.

Pareil du côté de Caroline Alaoui : « Au départ, on pensait adapter des œuvres autour du matrimoine et puis en se mettant à l’écriture, on a fini par écrire nos textes et à en faire une création à proprement parler. La question de la légitimité est toujours centrale. En tant que jeunes autrices, il faut toujours se convaincre que nos mots sont à la hauteur. Les temps de recherches étaient très nourrissants, empouvoirants. De ce travail est née l’envie de mettre en parallèle ces femmes et ce qui résonnait en nous (pas dans l’immédiat mais ce sera certainement pour une suite). Et ça nous a posé la question de la place des femmes dans le milieu théâtral. Et nous a poussé à avoir une réflexion sur comment on estimait la valeur de notre travail en tant que créatrices. S’autoriser à rêver grand. À rêver normal, en fait. Au contact de toutes ces femmes, dont on parle et avec qui on travaille, on a pris confiance en nous. »

Et sa consœur et camarade de jeu Lety Pardalis s’est découverte plus engagée : « Ça m’a fait avancer dans mon féminisme. Découvrir toutes ces histoires extraordinaires, ça permet de réaliser le combat de certaines femmes… Et d’être plus vigilantes à ne pas se faire substituer sa place. »

SE RELIER LES UNES AUX AUTRES

Toutes s’accordent sur le caractère puissant et inspirant de cette (ré)appropriation du matrimoine. Rendre visibles les femmes du passé, les femmes du quotidien, les femmes de l’ombre, comme celles qui sont dans la lumière. Un cercle vertueux qu’elles mettent en lien et perspective également avec la puissance du collectif, la puissance du réseau.

« Avec Lety, on s’est rencontrées par les Compagnies du 35. Ça permet de créer de la rencontre entre pairs. On a eu envie de travailler ensemble et on a choisi pour les regards extérieurs des personnes qui nous intéressaient artistiquement. Que ce soit des femmes nous convenait parfaitement car cela permet un peu de rétablir la balance. On connaissait Julie Michel par le collectif Deter et Frédérique Mingant par les Compagnies du 35. Marie Karedwen a réalisé le visuel car elle fait partie de L’imprimerie nocturne et on s’est beaucoup inspirées pour ce spectacle de la revue qu’elle a faite sur F comme Fières. », précise Caroline Alaoui.

Sans oublier HF Bretagne dont fait activement partie Laure Fonvieille : « C’est comme ça que j’ai connu Caroline par exemple. Après, en tant que costumière, je connais pas mal de créatrices. Je partirais bien faire un tour de Bretagne des metteuses en scène ! Parce qu’elles sont là, elle font des choses. On parle ici d’artisanat et vraiment ce n’est pas un gros mot ! J’ai d’ailleurs la broderie en commun avec Inès ! »

Et c’est en allant voir la tapisserie présentée un jour par Inès Cassigneul au musée de Bretagne qu’elle lui propose de participer à la création Celles d’en dessous. « On a fait le constat qu’on était plusieurs à faire du théâtre et de la broderie. C’est un art qui a traversé les luttes féministes du 20esiècle. Les Suffragettes brodaient des bannières. On s’est dit qu’on pouvait nous aussi faire nos bannières pour les manifestations ! », souligne l’interprète de Jo Manix. Elle attire l’attention sur l’importance des chercheuses :

« Elles sont hyper importantes dans l’émergence du matrimoine. On a souvent tendance à les oublier. Je pense qu’il faut les chercher et les écouter. Parce que oui, il y a un courant mainstream qui s’intéresse au matrimoine mais ce sont surtout les chercheuses d’université, les petites maisons d’édition, etc. qui délivrent à ce sujet une information de qualité ! »

Ne pas oublier celles qui œuvrent à rendre le matrimoine tout aussi vivant que les spectacles qu’elles écrivent, créent et mettent en scène. Et profiter de l’éclairage qui lui ait fait actuellement.

« Je ne me fais pas d’illusion. Quand je mourrais, le patriarcat existera encore. Mais je continue de militer ! Pour que l’on soit autant payées que les hommes, et autant reconnues. On gagne des petites batailles et c’est important, j’espère que ça restera et que l’on inscrira les Journées du Patrimoine et du Matrimoine. Je ne me fais pas d’illusions, je sais que l’on sera toujours plus dur-e-s dans la critique envers les femmes. Mais rappelons-nous que le talent n’est pas dans la génétique ni dans les testicules ! », scande Laure Fonvieille en rigolant.

Toutes participent à la création d’une dynamique commune faisant ressortir un tas de facettes de l’Histoire des femmes, du matrimoine, de l’héritage commun. Un héritage vivant !

Célian Ramis

Pour un nouveau modèle de musée

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Que disent nos musées de notre Histoire ? Que nous inspirent les œuvres exposées ? Qui créent les tableaux et les toiles exposé-e-s et étudié-e-s ? Qui réalisent les expos, inventaires, médiations, etc. ? Pourquoi n’avons-nous pas en France un musée de l’histoire féministe ?
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Que disent nos musées de notre Histoire ? Que nous inspirent les œuvres exposées ? Qui créent les tableaux et les toiles que l’on s’empresse d’aller voir ou d’étudier ? Qui réalisent les expositions, inventaires des collections, médiations, etc. ? Pourquoi n’avons-nous pas en France un musée de l’histoire féministe ? L’association musé.e.s s’empare de ces questions et les décortique à l’aune du sexe et du genre, posant la question des représentations dans la sphère muséale.

Elles se sont rencontrées au musée de Bretagne, à Rennes. En tant que contractuelles ou stagiaires sur différents postes. Documentaliste, médiatrice, chargée de coopération culturelle, chargée d’inventaire des collections, chargée de projets et de la communication, constructrice  ou encore organisatrice d’expositions… Elles partagent des fonctions et des compétences complémentaires dans le domaine muséal mais pas que.

« Nous sommes devenues plus que des collègues et les questions de féminisme sont apparues. En mars 2021, j’ai cherché si un livre existait sur la place des femmes dans les musées en France. Rien… Il y a des articles qui en parlent ou des initiatives de structures qui abordent ces questions-là. J’ai proposé aux filles qu’on le fasse, ce livre. Toutes étaient partantes. On s’est lancées ! », sourit Eloïse Jolly.

Accompagnée de Lucie Doillon, Maryne Fournier, Marie-Lucile Grillot, Bonnie Heinry, Juliette Lagny et Sarah Lemiale, l’aventure commence officiellement en mai 2021 à travers la création de l’association musé.e.s, destinée à sensibiliser les publics aux problématiques féministes et valoriser les initiatives existantes dans la sphère muséale. 

LES CHIFFRES PARLENT…

À l’instar de tous les secteurs des arts et de la culture – et de la société – les chiffres sont consternants. L’association a même conçu un jeu de cartes, permettant de relier les éléments chiffrés avec leur signification.

Ainsi, on peut accoler le nombre 1 à la seule femme, Laurence des Cars, ayant travaillé à la tête du musée du Louvre en 228 ans d’histoire, accoler l’année 2022 à la première nomination d’une femme, Alexia Fabre, à la tête de l’école des Beaux-Arts de Paris ou encore - grâce au diagnostic réalisé par HF Bretagne sur la place des femmes dans l’art contemporain et le spectacle vivant en Bretagne - accoler les pourcentages de 21% à la part de femmes dans les acquisitions de collections de structures d’art contemporain en Bretagne et de 30% à la part d’expositions monographiques dédiées à une artiste femme dans 47 structures d’art contemporain en Bretagne en 2019.

Pourtant, les femmes sont majoritaires dans les écoles supérieures d’art… « On ne pose pas simplement la question des représentations au sein des collections mais aussi dans les équipes. Et quand on regarde dans les postes de direction, le nombre de femmes diminue. », regrette Eloïse Jolly, constatant par là les mêmes mécanismes d’effacement des personnes sexisées au fil des carrières et des hiérarchies que dans les autres branches culturelles et artistiques. 

UNE REMISE EN QUESTION NÉCESSAIRE

L’évolution est lente. Les membres de musé.e.s le disent : au vu des chiffres, la situation s’améliore très faiblement. « J’ai travaillé au musée des Beaux-Arts à Rennes et on ne se questionnait pas vraiment sur ces sujets-là. Hormis une exposition du type de Créatrices (en 2019, le musée a présenté 80 œuvres autour de l’émancipation des femmes par l’art, ndlr), on ne creuse pas tellement les sujets en profondeur. Dans les inventaires que l’on fait, on utilise numériquement des mots-clés. Ils sont au masculin… Pour conservateur par exemple, il faut ajouter le mot « femme »… Au musée de Bretagne, on commence à voir une féminisation des termes. », explique Bonnie Heinry.

Une volonté de changement existe mais une remise en question est nécessaire. Et elle doit se faire par le prisme des représentations de sexe, de genre, de races, de classes, d’orientation sexuelle et affective, de handicaps, etc.

« Il y a des endroits où les équipes sont engagées. C’est par exemple le cas avec le FRAC Bretagne qui a lancé Société Mouvante pour interroger des points comme ceux-là. Ce que l’on veut faire, c’est donner des clés, parler des méthodes pour y parvenir en s’adaptant aux publics. Certains articles vont être plus percutants que d’autres et cela va peut-être créer des prises de conscience. Parce que oui, c’est bien de faire une expo sur les femmes et les artistes femmes. Mais l’impact est limité si on en fait une et puis plus rien. Ou si on ne prend pas en compte dans cette expo les travaux des chercheuses, etc. sur le sujet. Pareil, ce travail doit être intégré aussi dans les expos permanentes… », commente Eloïse Jolly.

UN LIVRE POUR SECOUER LES CONSCIENCES

Leur ambition est aussi forte que leur détermination. Depuis plusieurs mois, l’association musé.e.s travaille à un livre de grande envergure auto-édité – soumis en partie au financement participatif sur la plateforme Kiss Kiss Bank Bank – imprimé en Bretagne et intitulé Guide pour un musée féministe – Quelle place pour le féminisme dans les musées français ?. 

La sortie et la diffusion, elles l’espèrent courant juin 2022. Elles se sont entourées d’une illustratrice, Louise Laurent, à la réalisation de la couverture et des visuels, ainsi que d’une vingtaine de contributeur-ice-s rédigeant les deux premières parties articulées autour du constat de départ, du panorama des recherches sur le sujet et de la parole de celles et de ceux qui œuvrent à la mise en place d’initiatives inspirantes.

« On a défini les parties de manière à ce que le livre soit très complet. Et balaye l’ensemble de la France avec différents types de structures, de musées, d’étudiantes, de doctorantes, etc. », signale Bonnie Heinry, rejointe par Eloïse Jolly : « On s’est adressé à des chercheuses mais aussi des étudiantes ayant écrit des mémoires à ce propos. Car ce n’est pas parce qu’on n’a pas fini ou fait de thèse qu’on n’a pas fourni un travail de qualité ! Et puis, ça donne une plus grande prise de liberté et de format. Il y a parfois des articles, parfois des interviews. Certaines parties sont co-écrites à plusieurs… »

Elles ont également récolté, pour la troisième et dernière partie, les témoignages de militant-e-s et de visiteur-euse-s de musées afin de restituer leurs ressentis, vécus, points de vue et analyses mais aussi de nous faire voyager en utopie féministe. 

POUR DES MUSÉES FÉMINISTES ! 

« Il y a des personnes qui ne se rendent pas compte que des femmes ont créé. Ou qu’elles n’ont pas été que des muses… », souligne Bonnie, pointant là l’impact de l’absence de représentation des femmes dans l’espace muséal, dans les collections présentées comme dans les équipements mis en place.

Parce qu’elles rappellent aussi qu’en 2020, une femme s’est vue refuser l’entrée du musée d’Orsay sous prétexte de sa tenue, impliquant par là qu’il y aurait un code vestimentaire à respecter… C’est plutôt de formation que les équipes en place ou sous-traitantes auraient besoin...

« L’art est sacralisé en France. C’est encore un milieu fermé et conservateur. », confie la chargée d’inventaires. « On est là face à l’universalisme à la française… Le citoyen est un homme, blanc, hétéro… Si on visite la Maison Poincaré (lieu d’exposition autour des mathématiques qui ouvrira ses portes en janvier 2023 à Paris, ndlr), en tant que filles et que femmes, ça a un impact sur nous si on voit des mathématiciennes. », ajoute la chargée de projets et de communication.

Sinon, le discours, seulement vu, relaté, interprété et imagé au masculin seulement, est erroné. À l’étranger, aux Etats-Unis, en Allemagne ou au Vietnam par exemple, existent des musées dédiés à l’histoire des femmes. Alors, les membres de l’association ont décidé à travers leur livre de s’intéresser à ce que serait un « monde idéal féministe dans un musée » en posant la questions aux concerné-e-s.

Visibilité des femmes dans les parcours, visites guidées féministes, médiations autour de la dominance cisgenre mais aussi plus largement de l’imprégnation patriarcale dans les œuvres présentées, augmentation des salaires, respect du personnel et du code du travail, valorisation des postes occupés par les personnes sexisées… Les idées, inspirations et créativités ne manquent pas, il y a matière à (re)penser le système muséal en direction de l’égalité des genres et des représentations :

« Les musées sont issus de l’argent public. L’accès pour tou-te-s doit être une question primordiale ! »

 

 

  • Engagements artistiques et militants

Ce ne sont pas des musées mais des galeries d’exposition, des espaces dédiés ou hybrides qui croisent les disciplines artistiques et culturelles et portent fièrement les couleurs de l’engagement, dans son sens le plus global et nous imprègnent d’une multiplicité de représentations, souvent – malheureusement – absentes des structures institutionnelles.

À Rennes, l’Hôtel Pasteur accueillait notamment en février dernier la première exposition de peinture d’Emma Real Molina, Bleu onirique, autour de la représentation corps féminin et de sa diversité. En remontant de quelques centaines de mètres en direction de la place Sainte Anne, c’est à la Chambrée que l’on peut se délester d’un lieu – lancé en 2021 par Louise Quignon, Clémence Lesné et Laurence Perron - valorisant la photographie contemporaine, les personnes sexisées et les créativités queer.

Fin février, c’est du côté de l’ancienne brasserie Saint-Hélier que la galerie drama a ouvert ses portes et inauguré son arrivée avec l’exposition écoféministe de Caroline Ruffault, J’aurais pu être une plante verte mais je suis un arbre, explorant le lien entre le vivant et le corps des femmes. Benjamin Massé, artiste rennais à l’initiative de la galerie, et Kora, de la maison d’artistes Ulysse, dirigent le lieu qu’iels entrevoient comme un relai de propositions artistiques, alternatives, voire militantes, avec une attention particulière en direction des artistes du coin.

Photographies, peintures, sculpture… drama n’a pas vocation à afficher un seul style mais entend bien naviguer entre des esthétiques variées « que l’on peut croiser dans des événements, comme des mini showcase par exemple, avec du théâtre, des arts plastiques, de la musique… », souligne Kora.

Pour Benjamin Massé, c’est « l’exigence dans la manière d’exposer, le rapport populaire et l’ouverture sur l’espace public » qui prime. Lancer la galerie avec une exposition écoféministe réalisée par une artiste malouine leur apparaît comme une évidence : « On la connaît depuis un certain temps. C’est sa première exposition photo solo. On l’a accompagnée pour produire, accrocher, oser et investir dans son travail. C’est super intéressant d’ouvrir sur une exposition poétique et militante ! Et puis, c’est important de réfléchir à la parité hommes-femmes en terme de choix des artistes. Là, ça parle de la place des femmes, de leurs corps, du lien avec le vivant… Ça propose de renouer avec le vivant, de s’interroger sur la société de consommation… »

Benjamin Massé s’enthousiasme de l’enchainement qui se fera ensuite avec le travail de l’artiste Mardi Noir, connu pour ses détournements d’affiches et de marques symbolisant le capitalisme. « Ça offre une réflexion sur les messages et l’espace public au sens large ! », se réjouit-il.

Alors oui, la galerie se dit engagée. Pour la mise en valeur des discours et visions des artistes. Pour la diversité des points de vue défendus. Pour le goût de la radicalité, du tranché, de l’art brut et de l’étrange. Kora et Benjamin Massé souhaitent « éviter les convenances », « ne pas cloisonner le lieu » et surtout « interroger ».

Célian Ramis

Lumières sur les féminicides à l'encontre des personnes sexisées

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C’est une marche lumineuse et quasi silencieuse qui s’est lancée depuis République ce jeudi 25 novembre, journée internationale de lutte contre les violences sexistes et sexuelles.
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C’est une marche lumineuse et quasi silencieuse qui s’est lancée depuis République ce jeudi 25 novembre, journée internationale de lutte contre les violences sexistes et sexuelles. À Rennes, à l’appel du collectif NousToutes35, plusieurs centaines de personnes se sont réunies pour une manifestation en femmage aux victimes de féminicides.

ON NE NAIT PAS FEMME MAIS ON EN MEURT - Chaque année, plus d’une centaine de femmes meurent en France, tuées par leur conjoint ou ex conjoint. Le 24 novembre, le compte Féminicides par compagnons ou ex indiquait que ce nombre était porté à 103 depuis le 1erjanvier 2021. Depuis, 2 autres féminicides ont été recensés.

Samedi 20 novembre, l’association Ouest Trans organisait un rassemblement dans la capitale bretonne pour la Journée du Souvenir Trans – Trans Day of Remembrance (TDoR) – afin de commémorer la mémoire des personnes trans assassinées ou poussées au suicide. Cette année, selon les chiffres du Trans Murder Monitoring, ce sont 375 personnes trans tuées, soit 7% de plus que l’an dernier.

La structure rappelle : « Ce que ce chiffre nous montre c’est que certaines personnes trans sont plus touchées par cette violence que d’autres. Dans ces chiffres, on trouve quasiment exclusivement des femmes trans, une grande partie d’entre elles sont aussi travailleuses du sexe, racisées ou migrantes. L’intersection entre les différentes oppressions, la transmisogynie, la putophobie, le racisme, la xénophobie est d’autant plus dangereuse. Le climat actuel ouvertement islamophobe et raciste et les politiques visant à criminaliser les travailleuses du sexe vont dans ce sens-là et ce sont donc sur ces points que nous devons lutter. »

En effet, à la suite de la marche de ce 25 novembre et de la projection du filmEmpower au 4 Bis à Rennes, Doris, secrétaire du Strass (Syndicat du travail sexuel en France) et fondatrice des Pétrolettes (Association de développement communautaire pour lutter contre les violences faites aux femmes et autres minorités avec et pour les travailleur.ses du sexe) souligne que les assassinats de travailleuses du sexe ne sont pas pris en compte au même titre que les meurtres de femmes dans le cadre des violences conjugales. 

VOUS N’AUREZ PLUS JAMAIS LE CONFORT DE NOS SILENCES

La banderole trône en tête du cortège qui s’élance de République jusqu’à l’esplanade Charles de Gaulle, en passant par l’avenue Janvier et la gare. À 18h, bougies et flambeaux s’embrasent parmi la foule qui brandit lumières, drapeaux syndicaux et militants et pancartes, rappelant que « Céder n’est pas consentir » ou encore la lutte « contre les violences sexistes et sexuelles au travail ». 

La sono laisse entendre des chants partisans, contre les féminicides. Pas de prise de paroles militantes ce soir-là, le collectif NousToutes35 souhaitant les réserver pour la grande marche organisée ce samedi 27 novembre, mais la foule fait tout de même entendre sa voix et entame l’hymne qui rythme les manifestations féministes. « Nous sommes fortes, nous sommes fières, et féministes et radicales et en colère ! »

Une autre manifestation a réuni plusieurs milliers de personnes ce samedi 27 novembre pour dénoncer l’ensemble des violences sexistes et sexuelles subies par les personnes sexisées. Un départ était donné à 14h de Kennedy, Henri Fréville et Joliot-Curie, en direction de l’esplanade Charles de Gaulle, d’où est parti le cortège à 15h. Prochainement, on en (re)parle sur yeggmag.fr !

Célian Ramis

Violences sexuelles : Les voix de la colère

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Action publique – L’association Prendre le droit a fait entendre les voix de 55 victimes de violences sexistes et sexuelles qui ont témoigné d’un mauvais accueil de la part des forces de l’ordre et de la Justice, dans le cadre d’un dépôt de plainte ou d’une enquête judiciaire.
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Action publique – Samedi 20 mars, l’association Prendre le droit a fait entendre les voix de 55 victimes de violences sexistes et sexuelles qui ont témoigné d’un mauvais accueil de la part des forces de l’ordre et de la Justice, dans le cadre d’un dépôt de plainte ou d’une enquête judiciaire.

« Vous avez eu des menaces ? Des coups ? Non ? Alors, ce n’est pas un viol… » Un policier, lors d’un dépôt de plainte pour viol. « Ce sont des choses qui arrivent dans un couple. » Un procureur, dans le cadre d’un procès pour viol conjugal. « Si c’était aussi dur que vous le décrivez, pourquoi êtes-vous restée 3 ans ½ avec lui ? Il fallait partir. » Même situation. « L’amnésie traumatique, c’est des conneries. À 12 ans, on se souvient de ce genre de choses. »

Un policier, lors d’un dépôt de plainte pour inceste. « Vous êtes sure que vous ne l’avez pas un peu provoqué ? Un peu chauffé ? ». Un policier, lors d’un dépôt de plainte pour viol digital. « Vous comprenez, il y a trop d’agressions sexuelles ici, faut pas s’attendre à quoi que ce soit. » Un gendarme, lors d’un dépôt de plainte pour viol. « Mais c’est quoi cette mode de porter plainte pour viol ? Depuis BalanceTonPorc, c’est devenu du n’importe quoi ! » Un policier, lors d’un dépôt de plainte pour viol. 

LA DOUBLE PEINE

Ce samedi de mars, à République, 55 témoignages recueillis par l’association rennaise Prendre le droit sur les réseaux sociaux via les hashtags #PayeTaJustice, #PayeTaPlainte et #PayeTaPolice sont déclamés à plusieurs voix par les bénévoles de la structure. Ce qu’elles dénoncent : le mauvais accueil des personnes victimes de violences sexistes et sexuelles par les forces de l’ordre et la Justice.

« Il y a une vraie double peine à être victime et à chercher une protection qui n’arrive pas. Et même qui broie les femmes car on leur dit que ce n’est pas si grave. C’est ce mécanisme qu’on dénonce. Le fait qu’on demande aux femmes de fournir la preuve qu’elles se sont débattues, qu’elles n’étaient pas consentantes, etc. »
nous explique Gabrielle Jarrier, militante féministe investie dans l’association depuis 2 ans.

Banalisation des faits, remise en cause des propos et de la sincérité des victimes, sexisme, découragement pour le dépôt de plainte… Les premiers contacts avec celles et ceux chargé-e-s d’enquêter et de rendre justice sont encore majoritairement problématiques, malgré les annonces du ministère de l’Intérieur qui début 2021 défendait que « 90% des femmes ayant porté plainte en 2020 pour des faits de violences conjugales étaient satisfaites de l’accueil en commissariats et gendarmeries. »

Peu convaincues par la réalité de ce pourcentage, considéré comme décalé par rapport à ce qui est constaté sur le terrain par le tissu associatif et militant, le collectif #NousToutes a lancé une enquête auprès de personnes ayant tenté de porter plainte ou ayant porté plainte pour des faits de violences conjugales, violences sexistes ou sexuelles. En 15 jours, 3 500 témoignages, venant majoritairement de femmes ainsi que de personnes non binaires, principalement majeures, ont été récoltés. Sur l’ensemble, 66% des répondantes font état d’une mauvaise prise en charge par les forces de l’ordre lorsqu’elles ont voulu porter plainte pour des faits de violences sexuelles. 

CULTURE DU VIOL

« C’est un problème de société. Si on a choisi de faire cet événement dans l’espace public, c’est parce que ce n’est pas un problème individuel. Il faut que les femmes s’organisent et que les hommes, socialisés en tant qu’hommes, entendent toutes ces choses. », souligne Gabrielle Jarrier.

Elle pointe là la culture du viol dont toutes les sphères de la société sont imprégnées. Et les phrases entendues par les victimes de violences sexistes et sexuelles, que ce soit dans les commissariats, les gendarmeries ou les tribunaux le prouvent régulièrement. Le mythe du prédateur est établi depuis longtemps, laissant penser que les agresseurs sont généralement racisés et tapis dans l’ombre d’une ruelle ou d’un parking, prêts à bondir sur les femmes qui rentrent seules le soir et la nuit.

Pourtant, 80% des agressions sexuelles et viols sont commis par des proches, membres de l’entourage ou de la famille, des victimes. Toutefois, la parole des personnes sexisées est banalisée, mise en doute, voire en accusation quant à sa tenue et son comportement. On condamne finalement celles qui franchissent les portes des forces de l’ordre et des parquets et on retourne le processus contre elles : elles sont culpabilisées, elles sont rendues coupables. Tout du moins, suspectes.

« Pourquoi n’avez-vous pas crié ? Pourquoi êtes-vous restée passive ? », « Allez, oubliez, ça arrive pendant les vacances de faire un faux pas. », « Comment était votre pyjama ? Parce que l’agresseur a surement eu des idées en vous regardant dormir ! », « Si vous n’aviez pas consommé d’alcool, il ne vous serait rien arrivé. », « On ne va pas fouiller à toutes les portes sous prétexte que vous êtes imprudente… ».

Et puis, dans certains cas, on défend l’accusé : « Vous savez, c’est sérieux, il risque la prison. Sa vie ne sera plus jamais la même. Vous êtes sure de vouloir continuer ? » ou encore « Il va se marier dans deux mois. Vous voulez lui gâcher la vie ou quoi ? Vous avez une idée du prix du traiteur ? » 

UN TRAITEMENT À LA RACINE, PAS UN PANSEMENT !

Pour la membre de Prendre le droit – Féministes pour un monde sans viol(s), il est urgent de faire évoluer les mentalités et de former tou-te-s les agent-e-s de la chaine policière et judiciaire, accueillant des victimes de violences sexistes et sexuelles. Elle rappelle les chiffres du ministère de l’Intérieur – là où à sa tête, Gérald Darmanin est visé par des enquêtes pour harcèlement et viol – ainsi que de l’enquête VIRAGE, réalisée en 2014, autour des violences : 80% des plaintes pour viols et agressions sexuelles sont classées sans suite, 1% des viols aboutit à une condamnation « et souvent, les peines ne sont pas bien lourdes » et 95% des affaires de violences sexistes et sexuelles sont perpétrées par des hommes.

Sans parler de tous les crimes de viols correctionnalisés, c’est-à-dire renvoyés vers le tribunal correctionnel qui requalifie l’acte ou les actes en agression-s sexuelle-s. « On ne peut pas comprendre les viols conjugaux sans formation. Ni même les différentes réactions qui peuvent survenir lors d’une agression, l’amnésie traumatique, etc. Ça touche aussi la santé mentale des femmes, c’est une question de santé publique : comment les traumas mettent les femmes au banc de la société quand elles pètent les plombs parce que la mémoire leur revient des années après sans que personne comprenne ! Souvent, on nous demande des formations. On n’est pas ultra d’accord sur le fait que ce soit encore une fois aux forces associatives de faire ça ! Ça devrait être une mission de service public. », commente Gabrielle Jarrier.

A la suite de leur rencontre avec le procureur Philippe Astruc, elle le dit clairement : « Il y a des avancées. Il veut renforcer le pré accueil car il le dit, tous les agents ne pourront pas être formés. En gros, il y a peu de moyens et des affaires, il y en a trop. Sur le pré accueil au commissariat de Rennes, on a des témoignages très différents. À la brigade des mœurs, il semble que ça s’arrange un peu. Mais ça manque toujours de bienveillance… Il faut un positionnement politique fort par rapport à tout ça. On ne veut pas des mesures pansements, on ne veut pas mieux vivre les violences : on veut les éradiquer à la racine ! Il y a beaucoup de chemin à parcourir. »

Alors pour l’association, qui à l’année accompagne de très nombreuses femmes victimes de violences dans les procédures juridiques mais aussi dans le conseil et l’orientation en vue d’une prise en charge, il est important de porter ces paroles dans l’espace public. Pour changer l’imaginaire collectif mais aussi pour aider celles qui se sentiraient isolées après avoir subi agression-s sexuelle-s, viol-s, violences conjugales, insultes, menaces, etc.

« Ça aide aussi dans la réparation de poser un discours féministe et de savoir qu’on n’est pas seules. Que ce n’est pas un coup de pas de bol, ça dépasse les cas individuels. »
explique la militante. 

Informer. Autour des lois mais aussi de ce qui régit les inégalités entre les hommes et femmes et permet à la domination masculine, mais aussi au racisme, des LGBTIphobies, du validisme, etc. de perdurer. Écouter les femmes victimes de violences sexistes et sexuelles. Sans remettre en cause son témoignage. En commençant par une parole toute simple : « Je te crois ». Prendre la parole et le droit, libérer l’écoute, des actions qui paraissent banales, et qui pourtant ont été confisquées aux personnes sexisées et racisées.

Célian Ramis (ouverture avec Maryse Berthelot)

Féminismes : Révolution !

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Vivons-nous actuellement une révolution féministe ? Enquête sur les enjeux des féminismes d'aujourd'hui.
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À l’occasion du 8 mars, le célèbre magazine féminin Marie Claire publie un numéro collector. Huit couvertures, réalisées par la photographe Charlotte Abramow – réalisatrice du clip « Balance ton quoi », d’Angèle – et huit femmes, choisies pour représenter « Les visages de l’espoir ».

Avec Leïla Bekhti, Juliette Binoche, Lous and the Yakuza, Grace Ly, Annie Ernaux, Elisa Rojas, Aïssa Maïga et Odile Gautreau, nous sommes loin des 8 femmes de François Ozon. Presque 20 ans plus tard, l’histoire féministe a encore évolué. Désormais, elle s’écrit au pluriel. Il était temps. Petite histoire d’une grande révolution ! 

Aujourd’hui, les femmes comptent. Elles comptent leurs mortes, assassinées par leur compagnon ou ex compagnon. Elles comptent leurs mortes, tuées ou poussées au suicide parce qu’elles sont trans. Elles comptent le nombre de personnes sexisées victimes de harcèlement de rue, harcèlement sexuel, harcèlement moral, d’agression-s sexuelle-s, viol-s, de violences conjugales.

Elles comptent les écarts de salaire. Elles comptent la répartition sexuée des métiers et des fonctions, dans les institutions, les lieux de pouvoir et de décision, dans les lieux de représentation. Elle compte le nombre de personnes noires dans la salle lors de la cérémonie des César (mais ça, en France, on n’aime pas du tout, sauf si c’est une personne blanche ou un homme racisé - et encore - qui le fait). L’heure est à la prise en compte. De tou-te-s. Malgré les résistances, on avance.

Cette révolution, elle est colossale. Parce que oui, il s’agit bien d’une révolution. Pas de suspens. Au début de cette enquête, une interrogation : vivons-nous actuellement une révolution féministe ? Autour de nous, dans les manifestations, sur les réseaux sociaux, les mots associés au féminisme se multiplient et se croisent.

Riposte, vague, révolution… Les termes claquent. Ils sont forts et puissants et ils s’embrasent ainsi alliés à la détermination des militant-e-s, toujours plus nombreux-euses dans leurs actions. Ils interpellent, également.

RIPOSTE ET VAGUES FÉMINISTES

Le 6 juillet 2020, Gérald Darmanin est nommé ministre de l’Intérieur et Eric Dupont-Moretti, ministre de la Justice. Le duo renforce l’affront : le gouvernement nie clairement et explicitement les droits des femmes en nommant grand manitou de la police un homme accusé de viols et garde des sots, un antiféministe notoire.

Quelques jours plus tard, des mobilisations féministes occupent l’espace public pour dénoncer l’hypocrisie du président Macron et de sa (fausse) grande cause du quinquennat. Les militantes brandissent des pancartes, prônant « la riposte féministe », expression largement reprise lors des manifestations autour du 25 novembre, journée internationale de lutte pour l’élimination des violences sexistes et sexuelles à l’encontre des personnes sexisées.

Au-delà du débat que cela génère sur la présomption d’innocence – quid de celle des victimes que l’on positionne d’office en vilaines menteuses ? – on se questionne sur le terme « riposte ». La définition nous indiquant qu’il s’agit d’une action vigoureuse de défense, une réponse instantanée faite à un interlocuteur agressif, son usage dans un tel contexte nous apparaît très à propos.

C’est un volet de l’histoire du féminisme. Une histoire que l’on décompose en « vagues ». Un terme qui provoque un malaise chez Mathilde Larrère, historienne, spécialisée dans les mouvements révolutionnaires du XIXe siècle. Ainsi, en introduction de son ouvrage Rage against the machisme, elle décortique cette notion de vague, partant du postulat que nous en sommes, dans le monde entier, à la troisième avec des mobilisations et manifestations importantes dans le monde pour le droit à l’IVG (Irlande, Argentine, Pologne…) et contre les violences sexistes et sexuelles et leur impunité, avec #NiUnaMenos, repris dans de nombreuses langues. On fait de l’hymne des Chiliennes « Un violador en tu camino » un chant contestataire international. 

« « Troisième vague », donc… La « seconde » étant celle des années 1970, et la « première », celle des Suffragettes de la fin du XIXe siècle. Mais avant ? Il n’y aurait rien ? Pas de vague ? Calme plat ? Toutes ces femmes qui ont lutté pour leurs droits avant la fin du XIXe siècle, on les oublie ? Voilà bien ce qui me gêne dans cette terminologie : l’effacement de décennies de combats et de bataillons de combattantes. », analyse-t-elle.

Elle poursuit un peu plus loin : « L’autre défaut de cette image des vagues est de tendre à associer une vague à une lutte – le droit de vote pour la première, l’IVG pour la seconde, et la bataille du corps et de l’intime pour la troisième. Une lecture qui, déjà, ne laisse pas de place aux combats féministes pour le travail, pour le droit au travail, pour les droits des travailleuses ; lesquels s’inscrivent pleinement sur la longue durée et suivant un calendrier qui leur est propre.

Donc une lecture qui évacue le prisme de la classe et de la lutte des classes, pourtant menée aussi au féminin, et parfois même contre le mouvement ouvrier. Les ouvrières ne sont pas les seules invisibilisées par cette lecture : les femmes racisées, les homosexuelles, peinent aussi à trouver place dans le roman national féministe. Qui plus est, à trop associer une vague à une lutte, on en oublierait que tout au long de l’histoire des luttes des femmes, presque toutes les revendications ont été portées ensemble. (…)

Les luttes se croisent, se répondent et tendent donc la main dans le temps. Finalement, la discontinuité des luttes féministes est plus à chercher dans l’écoute sélective des revendications des femmes, et la mémoire plus sélective encore qu’on en a, que dans le contenu de leurs revendications. »

UNE RÉVOLUTION LENTE ET PROGRESSIVE

Si on schématise rapidement, il y a des moments de fortes mobilisations donnant lieu à des avancées, toujours accompagnées de leur retour de bâton, le fameuxbacklashdont parle Susan Faludi dans son livre éponyme paru au début des années 90, et des moments de creux, durant lesquels on pense le féminisme en sommeil.

C’est alors penser que les personnes oppressées peuvent s’octroyer le loisir de stopper leurs luttes pour leurs droits et leur dignité. Néanmoins, il y a bel et bien des périodes plus fédératrices que d’autres. Ainsi, Mathilde Larrère explique :

« Les vagues ne correspondent finalement pas à des moments où des femmes prennent la parole (ce qu’elles tentent toujours de faire) mais plutôt aux rares moments où l’on daigne les écouter, les entendre – pour assez vite tenter de les faire taire et les renvoyer aux fourneaux. Les femmes profitent souvent des séquences révolutionnaires qui, généralement, permettent à d’autres voix que celles des dominants de s’exprimer. C’est vrai tout au long du XIXe siècle mais aussi après 1968. »

De là nait notre interrogation initiale : qu’est-ce qui caractérise précisément ce mouvement global de luttes ? La révolution ? Pas celle de 1789, non, même si l’historienne la place en point de départ des luttes des femmes, qu’elle différencie des luttes de femmes qui avaient déjà lieu en amont :

« Parce que la Révolution accouche de la citoyenneté, de l’espace public, des libertés publiques, parce que des femmes commencent en tant que femmes, entre femmes, un processus d’organisation, d’association dans leur lutte, et, ce faisant, deviennent un mouvement. »

Une révolution féministe de longue haleine a bel et bien lieu. Avec des hauts et des bas. Avec des victoires et des échecs. Une révolution qui comme le disait la poétesse afro-féministe Pat Parker en 1980 n’est « ni propre, ni jolie, ni rapide ». Lors d’une conférence à Oakland, elle déclarait :

« Je suis féministe révolutionnaire parce que je veux être libre. Et il est absolument crucial que, vous qui êtes ici présentes, vous vous impliquiez dans la révolution en partant du principe que c’est pour vous que vous faites la révolution. »

Cette révolution, elle est culturelle, nous précise Mathilde Larrère, dans le sens où les féminismes influent sur les changements profonds des mentalités. 

Dans nos imaginaires et dans les dictionnaires, l’association révolution et violences opère instantanément. La spécialiste nous indique que c’est là une idée reçue :

« Elle est construite par le discours anti-révolutionnaire justement. La violence n’est pas systématique. Si on prend la révolution des Œillets, ce n’est pas violent. Dans une révolution, il y a renversement d’un ordre établi. Dans les luttes féministes, il s’agit par exemple non pas de renverser l’ordre des sexes mais de l’équilibrer. La violence qui peut survenir émane de l’ordre qui se défend. Si l’ordre se laisse renverser, il n’y a pas de violence. Il faut faire attention : on pense violences et révolution comme un couple alors qu’on n’associe pas colonisation et violences… »

Parfois galvaudé, parfois remis en cause, parfois admis parce que tombé dans le langage commun, il y a des indicateurs auxquels se fier pour pouvoir qualifier un mouvement de révolutionnaire. La masse en est un, l’impression de soulèvement « parce qu’on ne fait pas une révolution à 10. » La fusion est essentielle également :

« Des groupes qui ne sont pas forcément d’accord en général s’allient pour renverser l’ordre. Ça on le retrouve dans les féminismes, le côté polyvoque, à plusieurs voix. Tout comme la nécessité d’une masse interclassiste : dans une révolution, il n’y a jamais que les bourgeois-es ou que les prolétaires… C’est le cas aussi des révolutions féministes. »

Et puis l’objectif de renverser un ordre, en l’occurrence ici l’ordre patriarcal afin d’équilibrer les rapports entre les femmes et les hommes. 

AFFRONTER L’ORDRE PATRIARCAL

C’est un ordre terriblement enraciné. Dans toutes les sphères de la société. Des siècles de domination masculine ont entravé les droits des femmes. Les combats pour rétablir l’équilibre sont nombreux. Ils sont même gigantesques et exigent une volonté et une détermination solides, minutieuses, de tous les instants. Fatiguant. Être sur tous les fronts. Impossible.

Les luttes des femmes s’inscrivent dans une (r)évolution progressive et se heurtent à la fois à l’obscurantisme religieux, à la force du capitalisme – qui aime à faire penser qu’il œuvre pour le confort et l’émancipation des femmes – ainsi qu’aux sceptiques, aux privilégié-e-s qui résistent et aux faux semblants d’un monde qui grâce à son siècle des Lumières, aux progrès scientifiques et à l’industrialisation des territoires se réclame moderne et revendique fièrement « Liberté, Égalité, Fraternité ».

Voilà, Fraternité. Droits de l’Homme. Patrimoine. Vous l’entendez, là, l’invisibilisation des femmes ? Vous la sentez venir l’uniformisation du langage vers un neutre parfaitement inexistant dans la langue (binaire) française ? On connaît bien la chanson : ces termes englobent autant le masculin que le féminin mais on ajoute une nuance pas du tout anodine : le masculin l’emporte sur le féminin.

C’est ce qu’on nous a appris à l’école. Tout comme le fait que ce sont les hommes qui ont marqué l’Histoire. Des hommes, blancs, cisgenres, hétérosexuels, bien placés dans l’échelle sociale. Ainsi, la norme est instaurée. Si vous en êtes exclu-e-s, sortez les rames, vous allez galérer à trouver votre place dans la société !

Engagée en faveur des droits civils et politiques des femmes et l’abolition de l’esclavage, Olympe de Gouges s’offusque de ce processus en 1791 et rédige la désormais célèbre Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne. Elle s’indigne que les femmes aient été écartées de la rédaction de la Constitution et appelle celles-ci à s’unir et faire corps avec la société.

Ainsi, elle pointe l’isolement de la gent féminine et cela rejoint le propos de Mathilde Larrère : à la suite de la Révolution, les femmes constatant qu’elles ne sont ni écoutées, ni entendues, ni prises en compte, vont s’organiser en non mixité. La bande dessinée Histoire(s) de femmes – 150 ans de lutte pour leur liberté et leurs droits, réalisée par Marta Breen et Jenny Jordahl, prend comme point de départ - sur un plan international - le congrès antiesclavagiste qui a lieu en Angleterre en 1840.

Dans la délégation américaine, des femmes sont présentes, embarrassant fortement les hommes qui les autorisent, grands seigneurs, à assister au rassemblement. Cachées derrière un rideau... Scandalisées par cette injustice, plusieurs femmes rédigent elles aussi une déclaration sur l’égalité des sexes sur le modèle de la déclaration d’indépendance américaine, qui fut présentée à la convention abolitionniste de Seneca Falls, état de New York, en 1848.

« Ce rassemblement est considéré comme l’acte fondateur du mouvement féministe », nous indique la BD qui enchaine la page suivante sur la lutte des femmes contre l’esclavage. 

FAIRE CORPS AVEC (UNE PARTIE DE) LA SOCIÉTÉ

Elles y ont participé, notamment avec Harriet Tubman, qui s’est libérée de sa condition d’esclave et a aidé de nombreux-euses autres à s’enfuir. À la fin de la guerre civile en 1865, les noirs obtiennent le droit de vote. Les femmes, non. Harriet Tubman prend part à la première association américaine pour le droit de vote des femmes, l’ancienne esclave Sojourner Truth prononce un discours dans lequel elle pointe les inégalités entre les droits des hommes et les femmes de couleur, et pourtant ce que l’on retient et que l’on montre de cette période historique outre-Atlantique mais aussi européenne, notamment en Angleterre avec le mouvement des Suffragettes, est entièrement blanche.

Si antiesclavagisme et antisexisme se sont côtoyés dans cette moitié du XIXe siècle, distinction est ensuite faite entre les femmes non blanches, laissées sur le bas côté, et les femmes blanches. Ces dernières accèdent à l’éducation, réduite certes et principalement destinée à les préparer aux assignations de genre et aux métiers manuels précaires, à la pénibilité incontestablement néfaste.

Elles militent pour l’obtention de droits sociaux et l’accès à la citoyenneté, et cela passe par le droit de s’exprimer et donc par le droit de voter. Faiblement écoutées, voire inconsidérées dans leur demande, elles passent à l’action, se forment pour certaines à l’auto-défense, comme le montre notamment la BD Jujitsuffragettes de Clément Xavier et Lisa Lugrin, et prennent les armes.

Explosions, incendies, manifestations, grève de la faim… les militantes finiront, non sans polémique, par se faire entendre et obtenir gain de cause. Victoire marquante. Les dates diffèrent d’un pays à l’autre : en France, c’est 1944. Pour autant, elles sont loin d’être libres puisqu’elles sont encore sous la tutelle des pères, des maris ou des frères.

Mais les travailleuses, et notamment les ouvrières, prennent petit à petit part au mouvement et œuvrent pour des revalorisations salariales et des conditions décentes de travail. En Bretagne, l’histoire régionale est marquée par les mouvements des Penn Sardin, par exemple. Elles ne seront pas les seules.

CHOISIR OU SUBIR ?

Elles ont fourni l’effort de guerre, démontré leurs capacités à gérer de front travail et gestion du foyer, maintenant elles veulent choisir. Dans la deuxième partie du XXe siècle, c’est la sexualité et la maternité qui sont visées. « Un enfant, si je veux, quand je veux ! »

Le slogan retentit dans les années 70. Les femmes veulent maitriser leur contraception. Depuis 1920, la publicité anticonceptionnelle est interdite, tout comme il est interdit aux médecins de divulguer des informations à ce sujet à l’égard de leurs patientes.

En 1942, le gouvernement de Pétain, définit l’avortement comme un crime à l’encontre de l’Etat. Il est passible de la peine de mort. Ce n’est qu’en 1967 que la loi Neuwirth sur la contraception est adoptée mais il faudra attendre encore 5 ans avant qu’elle ne soit remboursée par la Sécurité sociale, ce qui obligatoirement crée des inégalités entre les femmes.

Tout comme la loi Veil de 1975 autorisant l’IVG d’abord pour 5 ans, puis reconduite définitivement en 1979 – et depuis elle est constamment menacée. Il faudra attendre la loi Roudy de 1988 pour que l’avortement soit remboursé par la Sécurité sociale. 

Ce sont là des droits conquis, des droits arrachés. Par des longues luttes acharnées. À la sueur du front. De très nombreuses femmes sont mortes à la suite d’avortements clandestins, d’autres sont mortes condamnées parce qu’elles avaient aidé des consœurs à interrompre leur grossesse, à l’instar de Marie-Louise Giraud, faiseuse d’anges dénoncée par son mari et guillotinée en 1943, incarnée par Isabelle Huppert dans le film Une affaire de femmes, de Claude Chabrol.

Depuis les militantes ne cessent de défendre ce droit, particulièrement menacé aujourd’hui encore et terriblement inégal selon les pays qui décident des conditions dans lesquelles une femme peut y accéder (danger pour la santé ou la vie de la mère, grossesse après un viol, nombre de semaines légales d’aménorrhées…).

Sans parler de la double clause de conscience, spécifiquement inscrite dans la loi d’une part et celle accordée aux médecins d’autre part. Intrinsèque à ce droit, c’est la liberté du corps que les féministes défendent. Le droit de disposer de leur corps comme elles le souhaitent. Le droit de choisir. L’histoire des luttes des femmes ne s’arrête pas là, évidemment.

En parallèle, les combats pour l’émancipation se poursuivent. Pouvoir travailler sans autorisation du mari, posséder un chéquier sans autorisation du mari, obtenir à travail égal un salaire égal… L’autonomie est le maitre mot de cet énorme coup de pied dans la fourmilière.

Le capitalisme l’entend et se fait un plaisir de répondre aux besoins des femmes en leur concevant des appareils électroménagers sur mesure, taillés pour leur confort. Merci Moulinex ! Le leurre est de courte durée mais participe à faire accepter la double journée des femmes, désormais présentées comme des Super Femmes, capables d’entreprendre travail, courses, ménage, éducation des enfants, repas, tout ça en n’oubliant pas de répondre aux injonctions à la beauté parce qu’avec tout ça, il ne s’agirait pas de « se laisser aller »...

Parce que oui, la femme parfaite et unique, est mince, hétéro, cisgenre, blanche, mère accomplie, épouse comblée, travailleuse épanouie et amie fidèle. Ça y est, l’égalité est là, elle est acquise. Celles qui poursuivent le combat sont des hystériques, rabat joie, surement lesbiennes parce que mal baisées. Waw, pause. Interruption des programmes. La réalité proposée est un écran de fumée. Nocive. Réductrice et oppressante. 

UN RÉCIT PARTIEL

A force d’être bercé-e-s à l’ambiance Disney et aux rayons bleus pour les garçons et roses pour les filles, on se serait laissé-e-s berner ? Pas tout le monde. Pas tout le temps. Il existe des périodes durant lesquelles les causes féministes mobilisent moins, voire beaucoup moins. Le terme est carrément diabolisé, rejeté.

Cependant, il y a toujours des militantes pour rompre l’ordre patriarcal. Pour dénoncer les travers capitalistes, sexistes et racistes. Pourtant, des années 70, on ne retient qu’un récit partiel. L’avortement est illégal et on se bat pour le rendre légal. En métropole. Parce qu’au même moment, à La Réunion, des milliers d’avortements et de stérilisations sont pratiqué-e-s par des médecins blancs sans le consentement des femmes, stigmatisées en raison de leur couleur de peau comme l’analyse Françoise Vergès dans Le ventre des femmes – Capitalisme, racialisation, féminisme.

Et puis, on a oublié les réflexions sur l’hétéronormativité. Dans les années 60-70, l’identité lesbienne devient une identité collective, portée politiquement, signale Mathilde Larrère dans Rage against the machisme :

« On leur doit alors une grande partie de la production théorique et pratique. Les lesbiennes ne s’en sont pas moins retrouvées marginalisées, à l’intérieur du mouvement LGBT, qui reproduisait la domination masculine des gays, et à l’intérieur du mouvement féministe, les obligeant à construire des espaces d’autonomie entre les deux. C’est ainsi que nait, en avril 1971, le mouvement des Gouines rouges autour, notamment, de Marie-Jo Bonnet, Christine Delphy et Monique Wittig. Ce sont elles qui ont permis de comprendre à quel point la domination masculine repose sur l’hétérosexualité obligatoire et sur les contraintes qui pèsent sur le corps et la sexualité des femmes. »

On a aussi sans doute oublié que le célèbre procès survenu dans les années 70 à l’issue duquel le viol deviendra enfin un crime, on le doit à la lutte acharnée d’Anne Tonglet et Araceli Castellano pour que les viols qu’elles ont subi près de Marseille ne soient pas correctionnalisés mais bel et bien jugés devant une cour d’assise. Le couple lesbien sera défendu par l’avocate féministe franco-tunisienne Gisèle Halimi. 

Les chemins semblent séparés, divisés. Impossibles à réconcilier ? Rien n’est moins sûr. Le renouveau déboule et accrochez-vous, ça va souffler fort. Le mouvement ne ronronne pas, il hurle ! S’il y a parfois incompréhension entre les générations, ce sont bel et bien les combats de nos ainées que l’on poursuit.

Malgré les dissensions et les tentatives pour éteindre le feu, le flambeau est passé. Le féminisme est appelé à se renouveler et à ne plus s’écrire et se retenir au singulier. Cette histoire est plurielle, tout autant que les militantes sont plurielles. Les femmes ne sont pas une masse homogène. Et ça, il va falloir en tenir compte.

Parce que des femmes aiment des femmes, parce que des femmes naissent assignées hommes, parce que des personnes ne se reconnaissent pas dans la binarité du genre, parce que des femmes sont handicapées, parce que des femmes sont non blanches, parce que des femmes sont mutilées à la naissance pour être définies comme femmes, parce que des femmes vivent des oppressions multiples, parce que des femmes sont voilées, parce que des femmes ne veulent pas d’enfant, etc.

Refuser les injonctions. Accepter les paradoxes. Écouter les personnes concernées. S’affranchir des normes. Sortir de la domination. Penser d’autres rapports sociaux. S’approprier son corps. Le revendiquer. Voilà les enjeux des féminismes actuels. Un idéal aujourd’hui accessible pour demain parce que les luttes d’hier ont eu lieu. Mais bien souvent, on les oublie, en partie. Et l’histoire des luttes féministes n’est pas enseignée à l’école. Ne ferait-elle pas partie de l’Histoire ?

S’il y a des féminismes, c’est parce que comme le dit Priscilla Zamord, « il n’y a pas un féminisme qui prend en compte toutes les formes d’oppression. » Vice-présidente en charge des Solidarités, de l’Égalité et de la Politique de la ville au sein de Rennes Métropole et conseillère municipale à la ville de Rennes, elle figurait dans le binôme tête de liste des écologistes lors de la campagne électorale en 2020.

Engagée dans l’économie sociale et solidaire, elle a notamment co-fondé l’association d’insertion par la culture La Distillerie, à Fort-de-France en Martinique, et la ressourcerie La Belle Déchette à Rennes. Priscilla Zamord se présente comme bretonne d’outre mer, militante écologiste, anticapitaliste, antiraciste et féministe.

« C’est important de pouvoir se situer. Ces engagements, nourris par mon expérience personnelle et les vécus des femmes, je les rassemble sous la grande bannière de l’écologie politique. J’ai vécu des discriminations en tant que femme métisse perçue comme noire qui se revendique queer. C’est une identité hybride et je n’ai pas envie de choisir mon identité selon le jour de la semaine, ni ma lettre LGBTI… »
explique-t-elle.

Ses propos rejoignent ceux d’Aurélia Décordé Gonzalez, fondatrice et directrice de déCONSTRUIRE, association rennaise d’éducation populaire travaillant sur l’articulation des rapports de domination raciste et sexiste. Elle ne peut pas choisir le lundi d’être noire, le mardi d’être femme, le mercredi directrice, etc.

Elle est un tout et ne peut scinder son identité en fragments. L’absence d’imbrication des luttes, et plus particulièrement l’absence de prise en compte des oppressions au croisement des questions raciales et du genre, c’est ce qu’elle a non seulement ressenti mais surtout constaté en s’investissant dans des associations féministes puis des associations antiracistes.

Ainsi, poursuit Priscilla Zamord : « Il est nécessaire de déconstruire ces oppressions qui sont liées. Tout est lié ! »

TOUT EST LIÉ

Si des mobilisations et événements militant-e-s ont lieu toute l’année, il y a tout de même deux dates qui s’inscrivent depuis longtemps dans le calendrier : le 8 mars, journée internationale des droits des femmes, et le 25 novembre, journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes. La première provient des luttes ouvrières et suffragistes.

Dans ce contexte, Clara Zetkin propose la création d’une journée internationale des femmes, en 1910 lors de la conférence des femmes socialistes. En 1917, la grève des ouvrières de Saint-Pétersbourg ancre le 8 mars comme la date traditionnelle reconnue officiellement par l’ONU en 1977 et instaurée en France en 1982. La seconde provient de l’assassinat - commandité par le dictateur Rafael Trujillo – des militantes politiques dominicaines Patria, Minerva et Maria Teresa Mirabal, le 25 novembre 1960.

Ainsi, la République Dominicaine propose en leur honneur une journée de lutte contre les violences faites aux femmes. En décembre 1999, l’assemblée générale de l’ONU reconnaît officiellement cette date comme la Journée internationale pour l’élimination des violences contre les femmes.

Elles sont emblématiques ces dates et marquent désormais les nombreuses luttes contre les violences sexistes et sexuelles à l’égard des personnes sexisées. Une évolution qui prône l’inclusion des personnes trans, intersexes et non binaires dans le combat global. En quelques décennies, les manifestations organisées par les associations et structures militantes ont vu les rangs se grossir. Drastiquement même ces dernières années.

C’est l’ère des mouvements #MeToo avec en France, la naissance du collectif Nous Toutes et l’appel à la politisation et l’inclusion - lors de la marche du 24 novembre 2018 - de plusieurs autres regroupés sous l’intitulé Nous Aussi, soulignant le caractère collectif de l’oppression patriarcale.

L’IMPACT DE METOO

#MeToo, c’est une explosion. Une déferlante. Les réseaux sociaux éclatent magistralement les murs invisibles qui empêchent les femmes du monde entier de démontrer que certains de leurs vécus sont communs. Là où avant, on pouvait se réfugier derrière une parole isolée et la stigmatiser, on est désormais obligé-e-s de reconnaître l’existence d’une problématique globale. 2017 marque un tournant vertigineux dans la grande histoire des féminismes.

A moins qu’on ait encore négligé une partie de cette histoire… ? Il suffit de taper « mouvement metoo » sur un moteur de recherche pour découvrir qu’il a été lancé 10 ans auparavant. Par Tarana Burke. Travailleuse sociale afro-américaine, elle se définit comme survivante d’une agression sexuelle et crée en 2007 le « Me Too Movement » en soutien aux victimes d’agressions sexuelles dans les quartiers défavorisés.

L’actrice Alyssa Milano, le 15 octobre 2017, soit quelques jours après les révélations édifiantes visant le producteur Harvey Weinstein – condamné en mars 2020 à 23 ans de réclusion pour viols et agressions sexuelles – écrit sur Twitter : « Si vous avez été harcelé-e-s ou agressé-e-s sexuellement, écrivez « me too » en réponse à ce tweet. » Un cataclysme planétaire s’en suit, inondant les réseaux sociaux et l’actualité médiatique.

Des millions de messages, en moins de 24h, témoignent du caractère systémique et genré des violences sexuelles. Le lendemain, Alyssa Milano tweete à nouveau : elle vient de découvrir un précédent mouvement #MeToo et partage alors le combat de Tarana Burke. Pourtant, on retiendra que c’est l’actrice qui en est à l’initiative. Nouvelle invisibilisation des femmes racisées.

Le mouvement poursuit sa route et essuie de nombreuses polémiques. En France, le lancement du #BalanceTonPorc par la journaliste Sandra Muller crée un débat virulent et touche un enjeu central : on tolère que les femmes témoignent des faits subis mais on s’insurge si elles dénoncent publiquement et nommément leurs agresseurs.

Rage et panique se lisent dans les discours de celleux qui argumentent « que cela nuirait à la vie de ceux qui sont visés » par des accusations systématiquement prônées comme mensongères. Servant simplement à assouvir une vengeance personnelle. Un discours que l’on retrouve du côté des forces de l’ordre quand une personne sexisée tente de porter plainte.

Si le hashtag MeToo est davantage usité, car beaucoup plus politiquement correct et sans lien avec les animaux et donc une quelconque volonté spéciste (oui, critique est faite aussi sur cet aspect), les militantes font front. Elles ne lâcheront pas, elles ne lâcheront rien.

On brandit la présomption d’innocence à chaque fois qu’un homme – de pouvoir – est visé ? Elles brandissent la présomption de sincérité des victimes. Elles hurlent leurs colères et combattent d’une main le mythe de la virilité et de l’autre le mythe du prédateur. La masculinité toxique et hégémonique doit être déconstruite en parallèle des réflexions sur la féminité unique, instituées par le patriarcat et le capitalisme.

Rien de vraiment nouveau dans les rangs militants. C’est du côté de l’opinion publique que les choses commencent à bouger. Doucement. Très doucement. Et pourtant, il s’agit là de la grande cause du quinquennat ! Emmanuel Macron s’engage pour l’égalité entre les femmes et les hommes.

De la réduction du ministère des Droits des Femmes, transformé en secrétariat d’État, à la nomination de Gérald Darmanin comme ministre de l’Intérieur, alors qu’il est accusé et visé par une enquête judiciaire pour viols et harcèlement sexuel, en passant par la volonté de mettre en concurrence le 3919, service dédié à l’aide et l’écoute des victimes de violences sexistes, il ne cesse de prouver ses engagements en la matière…

DÉCONSTRUCTION DES MYTHES ET DU LANGAGE

Heureusement, des actions concrètes sont mises en place et elles sont nombreuses sur le territoire. Fruits d’une course de fond entamée avant le coup d’accélérateur MeToo. Harcèlement de rue, extension de la PMA pour tou-te-s, taxe rose, question de la parité (et du sexisme) en politique, lutte contre les violences…

À chaque fois, les militantes procèdent à un travail de pédagogie, souvent fixé à tort par la population comme une injonction, tentant d’expliquer les causes profondes de ces conséquences. Soit une société patriarcale dans laquelle on grandit tou-te-s en s’imprégnant des stéréotypes et assignations de genre, produits de constructions sociales qui perdurent au fil des générations. On essentialise le féminin et le masculin.

Le premier se rapportant à tout ce qui attrait aux soins, à la douceur et la maternité. Le second à tout ce qui est en lien avec la force, le courage, la réflexion, la stratégie… Bref tout le reste, en somme, excepté le domaine du sensible. En parallèle, travail est fait sur le langage comme vecteur des inégalités : il y a certes la question de la neutralité, et par là même de l’invisibilisation de toutes les personnes qui se genrent au féminin, mais aussi des images véhiculées quand la presse parle de « drames passionnels » ou de « femmes battues ».

Ces images, on les intègre. On réduit les assassinats de centaines de femmes par an en France à une dispute qui aurait mal tourné. On réduit les milliers de femmes par an qui subissent coups et blessures certes mais aussi insultes, crachats, pressions économiques, affectives, intimidations, menaces, agressions sexuelles et/ou viols de la part de leur partenaire.

On répand l’idée que l’espace public, principalement de nuit, est dangereux pour les femmes qui ne devraient pas rentrer seules chez elles car là, tapis dans l’ombre d’une ruelle mal éclairée ou d’un parking délabré, attend un prédateur. Alors que dans plus de 80% d’agressions sexuelles et viols, les victimes connaissent leur agresseur. On exclut les personnes trans du sujet du cycle utérin lorsqu’on le relie uniquement aux femmes et non aux personnes sexisées.  

Les militantes œuvrent donc pour l’emploi de termes précis : menstruations ou règles, protections périodiques plutôt qu’hygiéniques, vulve, vagin, clitoris, féminicides, violences conjugales, harcèlement sexuel, agressions sexuelles, viols plutôt que rapports non désirés, consentement.

Dans les manifestations féministes, on remplace petit à petit certains passages de « L’hymne des femmes » des années 70 - « Nous sommes le continent noir » et « Levons-nous femmes esclaves » - jusqu’à ne plus le chanter du tout. À la place, on préférera entonner en chœur « Nous sommes fortes, nous sommes fières, et féministes et radicales et en colère ! » et danser sur « Un violador en tu camino » du collectif féministe chilien Las Tesis.

On nomme les actes et on nomme les agresseurs présumés ou reconnus coupables. Gérald Darmanin, Luc Besson, Roman Polanski, Gérard Depardieu, Patrick Poivre d’Arvor, Alain Duhamel, Georges Tron, Richard Berry, François Asselineau, Denis Baupin, Dominique Strauss-Kahn, Dominique Boutonnat, Christophe Ruggia, David Hamilton, Gabriel Matzneff et bien d’autres sont visés par des accusations de harcèlement sexuel, d’agressions sexuelles, de viols, d’abus de pouvoir et d’autorité, sur des enfants et/ou sur des adultes.

Ils ont en commun d’être des hommes blancs, de pouvoir, bénéficiant majoritairement d’une impunité totale. On est là bien loin de l’image stéréotypée du prédateur qui dans le mythe décrit l’agresseur type comme étant racisé, pauvre, migrant, peu éduqué, à la dérive, livré à ses pulsions bestiales…

Au gratin, en revanche, on trouvera des excuses et on retournera la culpabilité directement sur la victime. On pourra toujours prétendre à la vénalité de la femme vengeresse ou inventer des formules toutes faites, comme (au hasard) : « Séparer l’homme de l’artiste ». Une bien belle phrase qui nous fait perdre du temps de cerveau pendant que ces Messieurs profitent de leur liberté…

Petit à petit, le mur s’effrite et on déconstruit progressivement les profils type des agresseurs mais aussi des victimes. La mauvaise victime, celle qui avait peut-être bu ou pris de la drogue, celle qui était en mini jupe, celle qui a dragué le mec, a accepté d’aller chez lui puis a dit non, celle qui ne se souvient plus précisément des faits, celle qui poursuit sa vie sans traumatisme apparent, celle qui ne s’est pas débattue face à l’agresseur, celle qui vient porter plainte dix ans plus tard, celle qui ne pleure pas durant sa déposition.

La bonne victime, celle qui a subi un viol dans le parking ou la ruelle sombres, a identifié son agresseur, établi malgré les pleurs en continu une plainte aux forces de l’ordre qui n’ont qu’à cueillir le pauvre mec qui avec un peu de chance est déjà fiché, celle qui ensuite n’arrivera plus à trouver goût à la vie.

Celle qui est blanche, celle qui est cisgenre, celle qui est hétérosexuelle. Celle qui est valide. Alors que selon Mémoire Traumatique et Victimologie, les enfants en situation de handicap ont près de 3 fois plus de risques d’être victimes de violences sexuelles que les enfants dans leur ensemble et que selon l’Agence des droits fondamentaux de l’Union Européenne, 35% des femmes handicapées subissent des violences physiques ou sexuelles de la part de leur partenaire, contre 19% des femmes dites valides.

LES HANDIFÉMINISTES DÉBOULONNENT LE VALIDISME

Pourtant, lors de la première marche organisée par Nous Toutes, Céline Extenso scrute les images de la manifestation : la question du handicap et du genre échappe aux revendications. Nous sommes en 2019, l’actrice Adèle Haenel brise le tabou des violences sexistes et sexuelles dans le milieu du cinéma.

Elle témoigne de son vécu dans Médiapart et accuse le réalisateur Christophe Ruggia d’attouchements et de harcèlement sexuel. Elle était alors âgée de 12 à 15 ans. Elle fait état de la honte qu’elle a ressenti, puis de la colère qui s’est installée, jusqu’à ce qu’elle rompe le silence comme un acte viscéral.

Si #MeToo peinait au démarrage en France, Adèle Haenel vient de l’ancrer dans l’hexagone et d’ouvrir la voie, grâce à sa voix, à de nombreuses autres femmes qui vont à leur tour dénoncer les violences subies et les agresseurs l’année suivante, à l’instar de la patineuse Sarah Abitol qui un an plus tard sort du silence quant aux violences commises par son entraineur Gilles Beyer, accusé également par Hélène Godard, ou encore de l’actrice Nadège Beausson-Diagne, violée à plusieurs reprises à l’âge de 9 ans par un ami de la famille.

À l’époque, en 2019, les propos d’Adèle Haenel secouent les mentalités et quelques semaines plus tard, le 23 novembre, elles sont des dizaines de milliers à envahir et occuper l’espace public dans une manifestation historique. Toutefois, Céline Extenso constate la sous représentation des femmes handicapées dans la rue, sur les pancartes ou dans les slogans, comme dans la presse.

« C’est un énorme problème puisqu’au contraire, les femmes handicapées sont beaucoup plus victimes de violences que les valides, mais notre absence connaît sans doute plusieurs raisons. Il y a d’abord les freins concrets à la présence des personnes handicapées dans les milieux militants (ce manque d’inclusivité n’est évidemment pas spécifique au féminisme). Le manque d’accessibilité physique des rassemblements, les entraves communicationnelles, la fatigue chronique et le manque de disponibilité générale consécutifs à nos handicaps compliquent énormément notre activité militante. », analyse-t-elle. 

Elle poursuit : « En France, le discours sur le handicap a historiquement été capté par les grosses associations gestionnaires. Elles sont principalement portées par des personnes valides et véhiculent donc de lourds relents validistes, empreints de médicalisation et d’institutionnalisation dans des établissements spécialisés. Après un mouvement handi radical mais trop éphémère dans les années 70 (le Comité de Lutte des Handicapés, auteur entre autres du journal Les handicapés méchants) une voix militante a peiné à se faire entendre. Timidement d’abord dans les années 2000, mais principalement depuis environ 5 ans. Il est évident que l’avènement des réseaux sociaux a été un formidable outil facilitateur pour nous rassembler malgré nos handicaps et leurs contraintes ! »

Et c’est justement sur Twitter qu’elle lance un appel pour rassembler les motivées et ensemble déboulonner le validisme. Un an plus tard, né le collectif handiféministe Les Dévalideuses, reconnu depuis mars 2021 association officielle. Le but : donner de la visibilité aux femmes handicapées dans le féminisme.

« Je suis tétraplégique, myopathe, mais nous tenons à la diversité de notre collectif. Les Dévalideuses vivent tous types de handicap, physiques, sensoriels, cognitifs, psys, maladies chroniques, visibles ou invisibles, de naissance ou acquis sur le tard… Chacun implique une expérience différente, parfois très différente, mais nous faisons front contre un ennemi commun : le validisme. »
explique Céline Extenso.

Le validisme, comme elle nous l’explique précisément, c’est l’oppression que subissent spécifiquement les personnes handicapées et qui repose sur l’idée que leur vie vaut moins que celle des personnes valides, parce que l’on se figure qu’elles possèdent moins de capacités. 

« Le validisme peut pendre la forme d’un rejet franc, mais peut aussi se cacher sous la forme d’un « validisme gentil », entre pitié, héroïsation et infantilisation, qui fait malheureusement tout autant de dégâts. La psychophobie ou la grossophobie sont des formes de validisme. », précise-t-elle.

Dans un communiqué récent, les Dévalideuses soulignent que leur objectif est triple : informer le grand public autour du validisme pour lui faire comprendre de quoi il s’agit mais aussi quels sont les vécus des femmes handicapées, bousculer les institutions pour créer un impact politique concret et durable sur la société et aussi visibiliser les femmes handicapées, valoriser l’histoire de la communauté handie et revendiquer la fierté de cette identité.

Entre féminisme et anti-validisme, les points communs sont clairs et nombreux : « décrédibilisation, infantilisation (le validsplaining vaut bien le mansplaining), contrôle de nos corps, de nos sexualités, injonction ou au contraire pour nous interdiction de procréer, difficulté d’accéder à une indépendance financière, violences sexistes et sexuelles exacerbées pour les femmes handicapées… On se rejoint sur un besoin d’émancipation, d’autonomie, d’auto-détermination, contre une classe qui voudrait nous contrôler. »

Mais aussi dans le syndrome de l’imposteur, note-t-elle plus tard. Construire des ponts avec d’autres luttes, cela apparaît évident : il faut croiser les thématiques du handicap avec le féminisme mais aussi les questions de « racisme, des LGBTIphobies, de la grossophobie, putophobie ou encore du capitalisme. »

Ce dernier évaluant « les êtres selon leur utilité, leur capacité à produire de la richesse, dans une course toujours plus standardisée, où nos spécificités et nos lenteurs ne trouvent pas leur place. Et sur l’autre versant du capitalisme, puisqu’on n’est pas jugés assez rentables, nous ne sommes même pas considérés comme des consommateurs à part entière. » 

Il est urgent de questionner la place des personnes handicapées dans la société tout comme la place des femmes handicapées au sein des luttes féministes. « Ne reléguez plus le validisme en fin de liste… dans le meilleur des cas. », signale Céline Extenso qui appelle les milieux militants à être des alliés « à la hauteur ».

Elle établit deux façons complémentaires de les aider sur le terrain. D’une part, en rendant les lieux de rendez-vous accessibles aux personnes en fauteuil mais en réfléchissant également à des dispositifs pour les personnes ayant des difficultés de communication, de compréhension, de fatigue ou de douleurs diverses.

Et d’autre part, en allant à leur rencontre quand cela ne leur est pas possible de se mobiliser physiquement, en amplifiant leurs voix et leurs actions, comme cela a par exemple été le cas à plusieurs reprises dans les manifestations 25 novembre et 8 mars à Rennes, où leurs témoignages ont pu être enregistrés à distance et diffusés lors de la mobilisation.

« Oui, c’est exigeant, bien sûr ça demande pas mal d’anticipation et de réflexion, mais il est impensable qu’un mouvement se dise inclusif sans penser systématiquement à tout ça, en amont de ses événements publics ou même réunions internes.» 
affirme-t-elle.

RENDRE VISIBLES LES COMBATS

La militante handiféministe le dit : la lutte contre le validisme devient de plus en plus connue dans les milieux militants mais est encore loin d’être bien ancrée dans les mentalités : « Nous n’avons plus le temps d’attendre qu’on nous fasse une place. Les réseaux sociaux nous permettent une meilleure inclusion, mais en même temps, les militants handis sont régulièrement critiqués : militer en ligne serait tout juste du spectacle, pas du « vrai activisme ». »

Et pourtant, aujourd’hui, les réseaux sociaux détiennent un pouvoir faramineux. Aussi dangereux qu’utiles, ils permettent la prise de parole de toutes les personnes n’ayant pas accès aux médias et peuvent transformer cette expression individuelle en mouvement collectif. Ils donnent à voir et à entendre et permettent également de bouleverser les représentations.

De montrer une population bien plus variée et plurielle que celle que l’on réduit trop souvent dans les médias mais aussi les arts et la culture à un noyau d’élite de gens extraordinaires érigés en modèles pas tellement accessibles au commun des mortel-le-s. Non ou trop peu représentatifs de ce qui se joue là, au quotidien, dans les foyers, les entreprises, l’environnement, en somme dans les vies de celles et ceux qui vivent la réalité et avec elle, les inégalités et discriminations. 

« Il y a encore beaucoup de travail pour faire comprendre la nécessité de rendre visibles et légitimes les spécificités des un-e-s et des autres. Il y a des spécificités de la part des minorités qui subissent des discriminations et il y a des mécanismes globaux : on connaît les mécanismes de la stigmatisation, de la marginalisation, des stéréotypes, de l’invisibilisation… Mais on ne peut pas mettre tout le monde dans le pot commun. On ne vit pas tous et toutes la même chose et le combat est spécifique en fonction de sa situation. », analyse la sociologue des médias, Marie-France Malonga.

Les femmes noires ne vivent pas toutes les mêmes sexisme et racisme, en fonction de la carnation de leur peau mais aussi en fonction de leur orientation sexuelle, identité de genre, handicap, tout comme les femmes blanches ne vivent pas le même sexisme entre elles et avec les femmes racisées.

Une femme noire à la peau foncée ne vit pas le même racisme et sexisme qu’une femme perçue comme asiatique. Une femme perçue comme arabe ne vit pas le même racisme et sexisme qu’une femme voilée perçue comme arabe. Le podcast Kiffe ta race, produit et animé par Rokhaya Diallo et Grace Ly en fait état à travers des discussions, questionnements et analyses basé-e-s sur une approche et une histoire intersectionnelles. 

« C’est très très long de changer les représentations médiatiques. C’est plus simple de changer le quantitatif que le qualitatif. », nous dit Marie-France Malonga. Elle a fait sa thèse en Science de l’information et de la communication sur les liens entre public et télévision à travers la question de la place des minorités ethniques – et particulièrement noires – à l’antenne.

Avant cela, lors de son master, elle a été à l’initiative et a dirigé l’étude historique qui a ouvert le Baromètre de la diversité au sein du Conseil Supérieur Audivisuel. Plus de 800 programmes analysés, soit plus de 250 heures de visionnage des propositions diffusées sur TF1, France 2, France 3, Canal + et M6 durant une semaine du mois d’octobre 1999. Elle constate, sans surprise, une sous représentation nette des populations non blanches.

« Elles sont peu représentées aux postes de premier plan. Ça ne voulait pas dire qu’elles n’existaient pas mais elles étaient marginalisées, invisibilisées. Parmi les minorités, les plus représentées étaient les populations noires, surtout du fait des productions américaines, dans la fiction notamment. On voyait très peu de magrébins, d’arabes, encore moins d’asiatiques ! »
souligne-t-elle.

Même si elle ne plait pas à tout le monde, cette étude, que certains journalistes vont qualifier de profilage raciste, crée une première prise de conscience de la part des chaines publiques mais aussi privées qui commencent alors à modifier leurs cahiers des charges. En 2009, l’étude est systématisée, elle devient un Baromètre de la diversité, aux critères élargis prenant désormais en compte les catégories socioprofessionnelles, le handicap, le sexe, l’âge, l’origine perçue ou encore les territoires (ruraux, urbains, banlieues, etc.).

En janvier 2020, le CSA a lancé l’Observatoire de l’égalité, de l’éducation et de la cohésion sociale en adéquation avec sa volonté de s’intéresser aux questions intersectionnelles, qui jusque là n’étaient pas mesurées. « Ce sont dans les intentions d’amélioration de l’institution mais c’est encore très confidentiel. », précise Marie-France Malonga.

Lier féminisme et questions raciales, c’est une évidence pour la professionnelle : « Les médias ont un rôle à jouer pour sortir les femmes et les minorités de l’essentialisation. C’est très long et complexe de lutter contre les visions stéréotypées dans les médias. Parce qu’il n’y a pas toujours la conscience de ce qu’est un stéréotype. On reproduit certaines choses inconsciemment. Il y a des avancées de la part de l’institution mais ça reste très compliqué. Avec la représentation des femmes issues des minorités non blanches, on est dans une impasse car il n’y a pas de statistiques ethniques. Pas d’outils pour lutter contre les stéréotypes diffusés. »

Et pour que les minorités elles-mêmes puissent proposer des solutions, encore faut-il qu’elles puissent s’exprimer ! Dans des mouvements collectifs, ajoute Marie-France Malonga. Dans le milieu du petit écran, les années 90 et 2000 marquent une époque durant laquelle émerge la parole individuelle des anonymes qui peuvent témoigner dans des émissions type « Ça se discute », « Vie privée vie publique » ou encore « C’est mon choix ».

On entre dans l’intimité des gens et à travers la télévision, cette intimité entre dans les foyers des français-es. Avec l’émergence des réseaux sociaux, cette parole est amplifiée et facilitée dans le processus collectif, la rendant légitime et visible partout dans le monde.

« C’est très intéressant je trouve ce qui se passe dans cette façon de se mobiliser collectivement. Ça va en parallèle avec le mouvement MeToo. On décrie les réseaux sociaux, avec ses dérives de haine en ligne et de déshumanisation de la société, mais en terme de visibilité donnée aux personnes qui n’arrivent pas à avoir des représentations médiatiques, c’est très important. Ils rendent la mobilisation plus grande, plus rapide et connectent des individus qui peuvent se regrouper et se rendre visibles.

On voit aussi émerger des médias alternatifs qui apportent un éclairage particulier sur ces questions d’égalité. Ils cohabitent avec les médias mainstream, ce qui ne veut pas dire que les médias mainstream doivent se dédouaner de ces thématiques. Les deux peuvent cohabiter, ce n’est pas contradictoire. Il y a de la place pour tout le monde et ce qui est important c’est de montrer un autre type de paroles ! », s’enthousiasme la sociologue.

UNE SOCIÉTÉ À DEUX, TROIS, QUATRE VITESSES…

Cantonnées à leur rôle reproducteur et sexuel, les femmes sont rarement présentées comme des expertes. Quand les femmes sont racisées, la société ajoutent sur elles des stéréotypes liées à leur couleur de peau, leurs origines réelles ou supposées et leur sexe.

Les clichés peuvent changer également selon l’orientation sexuelle, l’identité de genre, le handicap, la classe sociale. Nombreuses sont les voix qui s’élèvent pour dénoncer ces oppressions et leurs spécificités. En 2018, par exemple, paraît Noire n’est pas mon métier, un ouvrage collectif initié par l’actrice Aïssa Maïga. Seize professionnelles du cinéma témoignent et analysent les vécus communs et conjoints du sexisme et du racisme.

Ensemble, elles dénoncent le manque de personnes noires dans les films et la représentation stéréotypée qui s’en dégage les rares fois où elles apparaissent à l’écran. Mamas africaines, prostituées ou mères célibataires dépassées, les rôles ne proposent pas de choix, n’offrent pas une palette réaliste, ne cassent pas les stéréotypes, au contraire, ils les renforcent.

« Il y a eu une visibilité assez grande autour de ce livre et de ces artistes qui ont pu exprimer le problème de la représentation des femmes noires. Il y a eu beaucoup de retombées médiatiques, ça a eu un impact mondial (elles marquent les esprits également lors de la montée collective des marches du festival de Cannes, la même année, ndlr) ! Mais quand on voit les réactions face au discours d’Aïssa Maïga à la cérémonie des César, on voit bien que le problème n’est pas réglé du tout. », commente Marie-France Malonga.

Nous sommes le 28 février 2020 et la question des droits des femmes est au centre de la cérémonie à l’issue de laquelle Roman Polanski se verra décerner le prix du meilleur réalisateur et Adèle Haenel, criant « La honte », partira avec Céline Sciamma... Avant cela, dans la salle Pleyel, tout le monde se marre à chaque vanne de Florence Foresti, et tout à coup, tout le monde regarde ses pieds.

Ambiance pesante. Aïssa Maïga est en train de prononcer son discours. Face à la grande famille du cinéma, elle n’hésite pas à partager un geste qu’elle exécute depuis deux décennies : « Compter lors des réunions du métier. » Et c’est sur les doigts d’une main généralement qu’elle compte le nombre de personnes non blanches présentes. Les mots sont puissants et ce soir-là, comme à de nombreuses reprises, l’actrice sait s’en servir pour briser le silence et les tabous.

« On a survécu au whitewashing, au blackface, aux tonnes de rôles de dealers, de femmes de ménages à l’accent bwana, on a survécu aux rôles de terroristes, à tous les rôles de filles hypersexualisées… Et en fait, on voudrait vous dire, on ne va pas laisser le cinéma français tranquille. (…) On est une famille, on se dit tout non ? Vous tous qui n’êtes pas impactés par les questions liées à l’invisibilité, aux stéréotypes ou à la question de la couleur de peau… la bonne nouvelle, c’est que ça ne va pas se faire sans vous. Pensez inclusion. Ce qui se joue dans le cinéma français ne concerne pas que notre milieu hyper privilégié, cela concerne toute la société, n’est-ce pas monsieur qui est sur votre téléphone portable là ? », clame-t-elle.

Un discours d’une telle force, c’est intense et hypnotisant. Galvanisant en même temps. Ce n’est pas une autre parole qui doit être portée, diffusée, entendue. Ce sont toutes les paroles reléguées à la marge - parce que comme elles viennent chatouiller nos privilèges de personnes blanches, cisgenres, hétérosexuelles, valides, elles dérangent - qu’il faut écouter et prendre en compte. Véritablement.

Égaliser la réception des paroles. Pas simplement s’en servir de levier à l’occasion avant de les replacer dans les oubliettes de l’Histoire.

« On ne laissera rien passer ! Fini d’aller au casse-pipe pour être récupérées ! On ne peut pas être juste des défricheuses puis ensuite être mises sur le côté. C’est de la marge que viennent de nombreuses avancées politiques. C’est vrai avec les personnes racisées comme avec le mouvement queer. C’est le même mécanisme. Le mouvement a été récupéré, vidé de son sens avec des étapes ultra violentes de rejet total ! »
s’indigne l’élue écologiste Priscilla Zamord. 

RECONQUÉRIR LA PRISE DE PAROLE

En mars 2019, Arrêt sur images analyse l’opposition féministes universalistes contre féministes intersectionnelles dans un article qui révèle que les premières se sentent lésées dans les médias là où les deuxièmes y sont en vérité moins invitées. Le média amène la preuve scientifique par un comptage, processus qui encore une fois permet de mieux rendre compte de la réalité et de prendre conscience que certaines voix sont souvent laissées en marge du débat public.

Nadiya Lazzouni est journaliste, productrice et fondatrice de Speak up channel, média sur YouTube dans lequel elle pense, crée et développe des contenus et des concepts d’émission comme actuellement « The Nadiya Lazzouni Show » ou prochainement « Droit de cité ».

L’objectif : reconquérir la prise de parole. Elle prend la parole mais aussi, elle la donne. À celles et ceux qui trop souvent sont invisibilisé-e-s. Juriste de formation en droit des affaires, elle a par la suite repris ses études pour travailler dans des ONG en sciences politiques.

« Entre temps, j’ai porté le hijab, ce qui réduit le champ des possibles… En 2012, j’ai 27 ans quand je décide de le porter. C’est l’aboutissement pour moi d’un cheminement et d’une réflexion spirituelle. Je mène mes choix et j’essaye d’aller au bout. Pas question de renoncer à une de mes identités ! Ce n’est pas le voile qui m’a fermé les portes mais les racistes. J’ai galéré à trouver un job. », explique-t-elle.

Elle a des spécificités et pour ces spécificités, elle est discriminée. C’est pour cela que des années plus tard, elle crée son propre média. Même combat pour Priscilla Zamord : « Au fil de l’eau, j’ai trouvé des leviers pour m’émanciper. Très jeune, je me suis rendu compte que ça allait être compliqué au niveau de l’emploi. Comme je suis une machine à projets, j’ai décidé de créer mes activités. »

Enfant, la normande Nadiya Lazzouni réalise qu’au travers de la télévision, elle n’existe pas. Elle n’est pas représentée en tant que française musulmane racisée. Ce qui lui donne le sentiment d’être exclue de la société.

« Pour une ado, c’est hyper compliqué pour construire un être apaisé. Pour être apaisé-e, on a besoin de reconnaissance. Et cette société, elle ne nous montre pas de manière reluisante. Je me suis lancée le défi de reconquérir cet espace dont on est absents sans s’enfermer dans un ghetto intellectuel visant à dire que quand on est musulmanes, on doit parler de ça et pas d’autre chose. Dans « The Nadiya Lazzouni Show », les questions sont beaucoup plus inclusives. Pour inviter tout le monde à s’intéresser aux expertes et aux experts. »

Elle place au cœur de sa pratique journalistique bienveillance, reconnaissance et représentations plurielles :

« C’est important de pouvoir s’identifier physiquement à une femme musulmane, voilée, qui porte un message bienveillant et inclusif. Ça casse l’image de la femme soumise, aliénée, analphabète que l’on fait porter à la femme musulmane. Alors notre présence dérange mais elle a le mérite de déconstruire les idées reçues. On peut alors se rendre compte que les musulmans que l’on dit séparatistes ne s’inscrivent pas dans un mouvement communautariste. C’est un leurre, un mensonge. »

La journaliste dénonce l’hypocrisie d’une société qui prône la singularité des êtres et qui cultive l’idée qu’il est important de se distinguer mais qui ne tolère pas que la masse soit polymorphe. Marie-France Malonga approuve :

« Il y a une forme de diabolisation des mouvements des minorités. On a peur d’individus qui ont des petites armes, beaucoup plus infimes que les armes des dominants. On accuse les minorités de diviser le corps social alors que non. Elles n’ont pas de volonté d’exclusion mais au contraire, elles ont une volonté d’inclusion. Il faut s’organiser, se rassembler, nommer. Comment faire du féminisme si on ne parle pas des femmes ? »

Entre temps, le projet de loi « Séparatisme » se durcit – parce qu’apparemment, c’est toujours possible de faire pire - au Sénat début avril.

Au cœur du texte, l’interdiction du port du voile pour les accompagnatrices de sortie scolaire et les mineures dans l’espace public, ainsi que la volonté de dissoudre les associations « qui interdisent à une personne ou un groupe de personnes à raison de leur couleur, leur origine ou leur appartenance ou non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée de participer à une réunion. »

Les réunions en non mixité rassemblant uniquement des hommes sont donc à l’abri. Pareil pour les réunions en non mixité rassemblant uniquement les femmes.

« Au lieu de s’offusquer sur les réunions non mixtes, on devrait s’offusquer de l’absence de diversité et de mélange sur l’ensemble des sphères de la société depuis très longtemps ! Ce serait beaucoup plus intéressant. Même chose avec « la discrimination positive » (je n’aime pas ce terme, je préfère parler d’action positive ou volontariste). On s’en offusque alors que la discrimination négative, non, là, tout va bien ! C’est un déni face à la question des inégalités que vivent certaines citoyennes et certains citoyens de notre société ! », réagit la sociologue des médias.

Ainsi, on nie les spécificités de certains groupes à qui on confisque la parole. Le parallèle est établi avec le féminisme universaliste brandi en France et qui prône une voix universelle – et par là unique - de l’émancipation des femmes à travers le monde entier.

« On ne se reconnaît pas dans ce féminisme, qui est un féminisme occidental et ethnocentré. Il est important de redéfinir le féminisme et établir un rapport égalitaire entre toutes les femmes. Parce que là, la lutte est commune tant qu’on remet en question l’ordre établi du patriarcat mais quand on remet en question les privilèges des personnes blanches, là, on assiste à la reproduction des travers qu’on reproche au système. »
analyse Nadiya Lazzouni.

Elle l’exprime clairement : aujourd’hui, la parole se libère et des réseaux sociaux émergent des voix singulières et différentes. Nait aussi la solidarité entre les féminismes minoritaires : LGBTI, afroféministes, féministes musulmanes, féministes décoloniales. « Pour s’organiser vers un féminisme plus inclusif et bienveillant. », précise-t-elle.

Elle poursuit : « On devient de plus en plus des sujets, on nous invite un peu plus qu’avant, on nous permet d’amener de la nuance. Et c’est important que l’on soit représenté-e-s car la France du quotidien n’a rien à voir avec l’image qu’on nous donne à voir. On est beaucoup à vouloir créer une société plus inclusive mais la télévision a un pouvoir sacré, elle s’impose chez nous. »

Les médias sont pour elle des lieux privilégiés pour changer les mentalités. Elle croit en l’impact de la visibilisation des minorités dans les lieux de reconnaissance. Et elle a raison d’y croire. Le 18 septembre 2020, la ville de Caen a inauguré la rue Nadiya Lazzouni : « Une reconnaissance personnelle et familiale ! Une première en France ! Je ne peux que rester positive ! » 

REDONNER DU POUVOIR

Partir du vécu. En juin 2019, le site Reporterre publie un entretient avec Fatima Ouassak. Elle est politologue, co-fondatrice de Front de mères, premier syndicat de parents d’élèves des quartiers populaires, présidente du réseau Classe/Genre/Race et autrice du livre La puissance des mères.

Elle explique : « Je ne lutte jamais sur des questions idéologiques en fait. Par exemple, je n’ai jamais milité sur la Palestine, même si je suis profondément pro-palestinienne. Il faut que cela parte d’un vécu. »

Elle défend depuis longtemps la lutte locale, notamment au sein des quartiers. Elle découvre, à travers sa fille, qu’un-e enfant de deux ans et demi peut subir du racisme. Elle co-écrit avec Diaratou Kebe le texte « l’école, c’est la guerre ». Elle raconte alors à Reporterre :

« Il est très très dur, très antiraciste. Politiquement, le texte se tient. Mais après quand on conduit sa fille à l’école, on se retrouve face aux enseignantes qu’on a démontées dans le texte. Stratégiquement, on ne peut pas faire cela, cela ne mène à rien sinon à pourrir sa vie quotidienne. Par ailleurs, tenir un discours politique localement est plus compliqué pour les habitants des quartiers populaires.

Dans une ville comme Bagnolet, qui ne compte que 30 000 habitants, une grande partie de la population est ce que l’on appelle « municipalisée » : il y a toujours dans la famille ou parmi les amis quelqu’un qui travaille à la mairie ou qui a une demande de logement social en cours. Quand vous voulez mobiliser les gens des quartiers populaires, c’est difficile, non pas parce qu’ils ne sont pas courageux mais parce qu’ils se disent que s’ils vont trop loin, leur mère, leur frère ou leur sœur va perdre son boulot, que la demande de logement ne va pas aboutir. Cela limite largement la politisation du discours. » 

Partir du vécu. Elle l’applique dans le syndicat de parents d’élèves des quartiers populaires qu’elle a créé, Front de mères. Elle se positionne en tant que mère :

« J’ai eu cette impression d’avoir été dépossédée de l’accouchement, de mon rôle de mère en fait. Le mouvement féministe a tendance – ce que je comprends – à dire qu’il faut arrêter de renvoyer systématiquement les femmes à leur rôle de reproductrices. Mais est-ce que cela ne nous a pas dépossédées du pouvoir que l’on a sur l’éducation et la reproduction ? Le Front de mères sert à voir comment on se réapproprie notre pouvoir de mère, pas en tant que mère au foyer mais en tant que mère comme sujet politique qui gère l’éducation, la transmission, la parole publique. Réinvestir cette question peut révolutionner l’ensemble des questions politiques. »

Elle est une militante inspirante pour de nombreuses personnes, dont Priscilla Zamord qui adhère non seulement à l’idée d’alliances dans les luttes comme celle d’Assa Traoré et d’Alternatiba mais aussi au syndicat Front de mères.

« La politisation des mères dans les quartiers prioritaires est un mouvement impensé, voire malmené dans les questions de féminismes et de politique. On voit « les mamans des cités » comme bonnes à faire des gâteaux mais pas à débattre. Là, il y a un espace safe où on peut être soi. Sans compartimenter son identité.

Les femmes sont un vrai sujet politique, que ce soit dans les questions de parentalité heureuse, dans l’égalité des traitements, les questions de violences sexuelles sur les adultes comme sur les enfants et sur l’histoire et la transmission. L’expérience de la marge doit être prise en compte. Je me souviens quand j’étais enfant, j’allais aux Antilles l’été et cette expérience de la mobilité n’a jamais été valorisée dans ma scolarité. », souligne l’élue pour qui il est nécessaire de regarder la vérité en face dans le cadre de la lutte contre les discriminations.

Cela passe, en local, par l’Observatoire métropolitain de lutte contre les discriminations mais aussi l’élaboration d’un vrai plan sur l’égalité femmes-hommes, à l’instar de celui qui est mis en place déjà sur la ville de Rennes, pour embarquer les 43 communes de Rennes Métropole dans ce combat. 

Partir du vécu. Pour faire jaillir des sujets et des enjeux parfois oubliés ou négligés par les militant-e-s. Autre exemple de politisation de la maternité : le compte instagram Matergouinité, lancé par Elsa et Lisa, deux femmes lesbiennes en colocation à Bagnolet, visant à mettre en valeur des maternités, comme l’homoparentalité, la monoparentalité ou la transparentalité, trop peu visibles dans les médias.

L’objectif : déconstruire le regard marginalisé que l’on se figure à ce sujet. Rendre visibles ces familles et les rendre légitimes. Parce que leur invisibilisation crée des stéréotypes et du tabou avec lesquels il est pourtant urgent de rompre, l’extension de la PMA pour tou-te-s se heurtant trop souvent à des idéologies conservatrices et dangereuses.

Régulièrement, à Rennes, les militant-e-s féministes et LGBTIQ+ sont invité-e-s à contre-manifester contre les mobilisations revendiquant encore et toujours « Un papa, une maman, un enfant »… On remet en question la capacité des femmes lesbiennes, célibataires et des personnes trans à investir la fonction parentale et dénie complètement leur droit au choix de fonder ou non une famille.

On met un mouchoir sur le sujet tout comme sur toutes les questions également d’accompagnement et de reconnaissance de toutes les personnes ayant des difficultés à concevoir, ayant vécu fausse-s couche-s ou perte-s d’un enfant à la naissance, post partum, etc.

LES HOMMES NE SONT PAS LA NORME

Alice Coffin est journaliste, activiste féministe et LGBTIQ+, co-fondatrice de la Conférence lesbienne* européenne (* : pour les femmes qui aiment au moins les femmes, inclusif de la transidentité, de la non binarité et de la bisexualité), co-fondatrice de l’Association des Journalistes LGBT, élue écologiste au conseil de Paris et autrice de l’ouvrage Le génie lesbien. Elle y explique qu’elle est parfois invitée sur les plateaux télé des chaines d’info en continu :

« Pour parler féminisme. Ou de la PMA. Ce sont rarement des sollicitations directes. Souvent, c’est une copine féministe hétéro, initialement conviée, qui fait savoir à la chaine qu’il serait préférable, pour aborder un sujet concernant les lesbiennes, de faire appel à une lesbienne. Il m’est arrivé de patienter dans une loge, avant d’entrer en studio, en compagnie de plusieurs hommes. Je suis alors dans cette pièce la seule femme, la seule lesbienne, la seule à plancher, jour après jour, depuis des années, sur la PMA. Je suis aussi, pendant ce temps d’attente, la seule à bosser, à réviser mes chiffres, à préparer des notes. Certains, parmi les hommes invités, n’y connaissent rien mais cela ne les affole pas. Ils devisent, balancent une idiotie sexiste. »

Plusieurs pages plus tard, elle explique qu’elle a à plusieurs reprises été bâillonnée en tant que journaliste féministe et lesbienne. Alors qu’elle travaille pour 20 Minutes, elle doit faire un article sur la manière dont vivent et travaillent les journalistes depuis le 7 janvier 2015. Elle interviewe des reporters de BFMTV, de L’Express, de France 4, de France 3 Picardie, de La voix du nord, de La Provenceet Isabelle Germain, la rédactrice en chef des Nouvelles News, site d’info féministe.

Celle-ci souligne à juste titre qu’après les attentats survenus à la rédaction de Charlie Hebdo, les hommes étaient encore plus nombreux à être invités sur les plateaux télé. « La solliciter m’avait été reproché par ma hiérarchie. Elle y percevait un signe de mon « militantisme féministe et pro-LGBT ». Attester qu’en temps d’attentats ou de coronavirus les hommes saturent l’espace médiatique relève pourtant de l’information. », écrit-elle.

Tout comme Nadiya Lazzouni en a témoigné, Alice Coffin a elle aussi subi le manque de représentation, la coupant d’une partie de son identité. « Je suis passée à côté de dix ans de ma vie parce que je n’avais pas d’exemples de lesbiennes auxquels m’identifier. À cause de ceux qui confinent l’homosexualité à la sphère privée. Un quart des ados LGBT a déjà fait une tentative de suicide. L’absence de personnalités out en France a un lien direct avec l’écho donné à la haine de la Manif pour tous, le suicide des adolescents LGBT, le report systématique du vote de la PMA, les discriminations qui visent l’ensemble des minorités françaises et pas juste les homosexuels. « Familiarity breeds acceptance », disent les Américains. La familiarité engendre l’acceptation. Quand des politiques ont pour collègue un député gay, quand des journalistes ont pour consœur une reporter lesbienne, quand des sportifs ont un coéquipier homo, ils, elles hésitent avant de balancer une insulte homophobe. », analyse la journaliste.

Aujourd’hui, la question des représentations est essentielle. Et ça, les productions télévisées l’ont (plutôt) bien compris, proposant des contenus qui valorisent la pluralité et la complexité de chaque identité et qui tendent à distribuer les paroles restées jusque là sous les radars, à l’instar par exemple de francetv.slash, alors qu’elles soulignent et symbolisent les préoccupations et les enjeux actuels.

Pas uniquement de la nouvelle génération, même si forcément le renouveau militant impacte davantage la jeunesse. Qui s’en saisit comme le signalent Mathilde Larrère et Marie-France Malonga qui voient leur cours sur leur matière au prisme du genre se remplir au fil des années, surtout depuis MeToo. Toutes les deux le disent, le féminisme est de moins en moins perçu comme un gros mot, au contraire, aujourd’hui, il devient revendiqué par de nombreuses personnes.

Toutefois, la sociologue des médias le rappelle : « Militer ne doit pas être une injonction ! » À chacun-e son féminisme. Tout comme la femme guerrière et combattive ne doit pas être une injonction. À chacun-e ses forces et ses failles. Ne pas tomber dans une autre image unique. Il n’y a pas non plus de profil type de la militante féministe. Ça n’existe pas.

LES LIEUX DE POUVOIR ET DE DÉCISION, ENCORE DES BASTIONS MASCULINS

Du côté des pouvoirs politiques, ça rame encore cependant. Parce que la politique ainsi que le reste des lieux de pouvoir sont toujours pensé-e-s comme étant des mondes d’hommes, blancs, hétéros, cisgenres. Souvenons-nous la Une du Parisienlors du premier confinement, s’interrogeant sur le monde d’après, avec en photo 4 hommes blancs et vieux.

Ce n’est pas le seul exemple, malheureusement. Et ça, Alice Coffin en parle merveilleusement bien. Au début de son livre Le génie lesbien, elle raconte :

« « À poil ! » Ils sont députés, directeurs de théâtre ou de journal, ministres, grands intellectuels, grands artistes, grands savants, chefs d’entreprise, présidents de fédération. « Salopes ! » Dans les augustes salles de l’Assemblée nationale, du palais Brongniart, de la Maison de la Chimie, sous la coupole des Académies, ils déambulent, se tapent dans le dos, « Salut mon vieux, ça va mon vieux ? ». « Connasses ! » Les imprécations qu’ils lancent lorsque nous interrompons leurs tables rondes, leurs conférences, les racontent. « On veut voir vos seins ! » Ils hurlent, ils éructent. Ils sont furieux, hors d’eux. Ils ne sont plus entre eux. »

Cela fait maintenant 11 ans qu’elle a rejoint le collectif La Barbe, un groupe d’activistes déboulant dans les lieux de pouvoir où les hommes se réunissent en non-mixité, sans que personne n’y voit aucun mal, sans que personne ne hurle au communautarisme.

« Pendant nos interventions, nous posons, face au public, comme les hommes politiques des débuts de la IIIe République. Le regard fier, la barbe frémissante, avec, à la main, des écriteaux ornés des mots « Splendide », « Épatant » ou « Merveilleux », et un tract de félicitations dont le titre, très ironique, varie selon les circonstances. « Les substantifiques mâles » pour congratuler ces messieurs de la gastronomie, « Je veux que l’on soit homme », emprunté au Misanthrope, pour célébrer les quatorze auteurs et quatorze metteurs en scène au programme du théâtre de l’Odéon, « Citizen Ken » pour encenser les dirigeants de la presse quotidienne régionale. », poursuit la militante qui témoigne également des brutalités dont elles font parfois l’objet lors de leurs actions.

Malgré des avancées, les personnes sexisées ne sont pas encore prises en considération dans leur entièreté. Oui, la nomination de Kamala Harris en tant que vice-présidente des Etats-Unis est une heureuse nouvelle. Tout comme la réélection de Jacinda Ardem au poste de Première ministre de la Nouvelle-Zélande. Pareil pour Rose Christiane Ossouka au Gabon (premier mandat) et bien d’autres, à l’instar des pays nordiques par exemple. Ce sont là des exemples démontrant qu’elles peuvent accéder aux sphères de décision. Mais pour l’instant, elles restent minoritaires. 

TEMPÊTE DE MACHOS

En 1981, Yvette Roudy devient la première ministre des Droits des Femmes. On lui doit entre autre le remboursement de l’IVG et des lois concernant l’égalité professionnelle. Dans son livre Lutter toujours, elle explique « qu’un ciel de machos lui est tombé sur la tête ».

Elle se souvient : « Sans doute, dans l’ivresse heureuse des débuts de mon mandat, ai-je oublié un moment la puissance du machisme que nous affrontions. Une nouvelle loi, mon dernier grand chantier, allait pourtant me le rappeler. Et faire basculer notre ministère dans la partie la plus sombre de son histoire. (…)

La loi antisexiste devait permettre aux associations féministes de déposer plainte lorsqu’elles jugeaient qu’une publicité affichée sur la voie publique portait atteinte à la dignité de la femme. Raconter la vague de haine qui s’est abattue sur moi ne servirait à rien, mais il convient d’en prendre la mesure. Si tous, soutiens et opposants à la loi, étaient d’accord pour reconnaître l’image dégradante de la femme dans la publicité, sous couvert d’humour et de désir, le droit de réponse et les répressions qui pourraient s’ensuivre ont provoqué une levée de boucliers et de violences que je n’avais pas anticipée. »

Aujourd’hui, le combat du corps se poursuit et rejoint celui qu’Yvette Roudy avait commencé : « Je proposais d’arrêter d’utiliser le corps des femmes pour vendre des produits qui n’avaient rien à voir avec lui, et on me traitait de tyran qui menaçait la liberté d’expression, de puritaine réactionnaire. Et tout cela principalement depuis mes propres rangs idéologiques. (…)

Et le gouvernement qui me soutenait au départ m’a lâchée quand son électorat masculin s’est dressé vent debout contre moi. Il fallait abandonner la loi. Simone de Beauvoir m’a soutenue, les femmes de mon ministère aussi. Mais le Parti socialiste, à l’heure qu’il est, n’a toujours pas fait son mea culpa. »

Un regret pour celle qui croit en l’association féminisme et socialisme de Clara Zetkin. Priscilla Zamord le dit sans détour, rares sont les élu-e-s qui s’assument et s’affirment féministes, encore moins antiracistes. Sans doute de peur d’être étiqueté-e-s, jugé-e-s, réduit-e-s à leur militantisme. Ou aussi parce que : « On pense que c’est censé être inné quand on est de gauche. Mais non, en fait. » 

Pour l’ancienne ministre des Droits des Femmes, « il faut repartir de la base, repenser la politique autrement, dès ses fondements. Pour cela, je conseille aux jeunes générations non pas de faire du féminisme avec les outils traditionnels, pensés et créés par des hommes, mais plutôt de créer leurs propres outils. Le premier et le plus fondamental : un parti politique. » Une piste peut-être pour une révolution politique qui a pour le moment encore un peu de mal à décoller. 

« La plupart des révolutions sont ratées. Ce n’est pas grave. Il y a des choses qui restent mais il faut remettre des couches pour ne plus retourner en arrière. Peut-être qu’en politique, ça n’a pas encore fonctionné mais au niveau des mentalités, ça bouge. Les jeunes générations bénéficient d’une plus grande conscientisation féministe (et écologiste, ndlr). La brèche est ouverte. Autour de la bataille de l’intime, de l’égalité salariale, de la réflexion intersectionnelle… MeToo est devenu révolutionnaire.

Pas juste autour des violences sexistes et sexuelles, même si cela engage une réflexion profonde autour des problématiques salariales notamment (si on a autant de patronnes que de patrons, il y aura beaucoup moins de harcèlement, etc.), on prend conscience que les inégalités sont sociales et économiques. Durant la loi retraite, les femmes ont montré que cette loi serait plus catastrophique pour elles. Toutes les mesures ont des conséquences en terme de genre. C’est net. », analyse l’historienne, spécialiste des mouvements révolutionnaires, Mathilde Larrère.

Pour autant, les choses bougent. En novembre 2019, 250 acteur-ice-s du monde politique, associatif, artistique et militant appelaient à l’occasion des élections municipales un #MeToo des territoires. Sous cette appellation transparait la volonté de dénoncer les violences sexistes et sexuelles qui sévissent dans les sphères de pouvoir. Au sein des partis politiques, l’omerta subsiste.

En mars 2021, 150 élu-e-s, militant-e-s, collaborateur-ice-s, candidat-e-s aux élections régionales, parlementaires, responsables d’association et artistes ont à nouveau signé un manifeste sur le sujet, demandant la mise à l’écart des candidats accusés de violences à l’encontre des personnes sexisées. 

L’INTIME EST POLITIQUE

Si les lieux de décision et de pouvoir restent, aujourd’hui encore, des bastions de la virilité masculine, les féminismes sont éminemment politiques. Depuis plusieurs décennies, les militantes le disent : l’intime est politique. Le passage du privé au public, c’est ça qui brise les tabous, qui délie les langues, qui transforme l’expérience individuelle en vécu collectif.

Et celui des femmes, et plus largement des personnes sexisées, il se vit dans la chair. Dans le corps. Que ce soit à cause de la précarité et la pénibilité du travail, professionnel et domestique, et/ou que ce soit à cause des violences sexistes et sexuelles. On a relégué les femmes à la sphère privée et le corps, à l’intimité.

Non dans une volonté de pudeur, certainement pas. Il s’agit plutôt de dissimuler, cacher, taire tout ce qui attrait au corps. Le sang des menstruations, c’est dégoutant ! Les poils sous les aisselles et sur les jambes des femmes, c’est répugnant ! L’accouchement, gerbant ! Les tétons qui pointent sous le tee-shirt, provoquant ! Les vergetures sur les seins, les hanches et les cuisses ou encore la cellulite, c’est ragoutant !

Le corps des femmes est contrôlé. Épié. Scruté. Jugé. En permanence. Soumis au regard masculin qui soit le sexualise, soit le réduit à sa capacité reproductive. Et ce regard masculin est intégré aussi bien par les hommes que par les femmes, qui sont dépossédées de leur corps et de leurs connaissances à propos de celui-ci.

Se le réapproprier, ou se l’approprier tout court, est une bataille de longue haleine qui nécessite de déconstruire les injonctions qui pèsent lourdement sur nos épaules, nos bourrelets et nos capitons graisseux.

Ne pas porter de soutien-gorge. Tous les jours, de temps en temps ou dans certaines situations spécifiques. Ne pas s’épiler. Ne pas se maquiller. Ou ne pas se lisser les cheveux. Ou ne jamais mettre de jupe et de robe. Ne pas cacher son tampon dans sa main ou sa poche quand on va changer de protection périodique. O

ser dire « J’ai mes règles ». Exiger des professionnel-le-s de la santé des explications sur chaque examen effectué. Dire que non, ce n’est pas normal d’avoir mal avant ou pendant les menstruations. Explorer son corps et son sexe. Les caresser, les regarder dans un miroir (accompagné d’une lampe torche pour observer l’intérieur du vagin), tester, expérimenter. Pour savoir ce que l’on aime et ce que l’on n’aime pas. Nommer les différentes parties de notre sexe. Connaître nos cycles.

Ce sont là des exemples d’actions qui paraissent aujourd’hui plus abordables parce que les militantes féministes portent publiquement ces sujets-là depuis plusieurs décennies, incitant à réfléchir autour des taches assignées par le combot patriarcat-capitalisme et les moyens de nous en affranchir.

Cela ne veut pas dire que toutes les personnes sexisées doivent arrêter de s’épiler, de porter un soutien-gorge, se masturber, jouir, aimer le sexe, parler de leurs règles à table, ne pas désirer d’enfant, etc. Cela veut dire qu’en partageant, à travers les témoignages, les actions collectives, les débats, les expériences de cette féminité normative mais aussi les vécus et ressentis de féminités alternatives, les un-e-s et les autres peuvent s’en saisir pour rompre l’isolement, constater la pluralité des possibilités et s’émanciper de ces oppressions, si on le souhaite et de la manière dont on le souhaite.

L’espace privé et l’intimité sont des sujets politiques. Qui permettent de briser les tabous et de réfléchir individuellement et collectivement aux tenants et aboutissants des silences placés sur ces thématiques. Chacun-e peut s’en saisir. À son rythme. Mais il est important qu’on accède aux informations, que les paroles puissent circuler librement et que le choix soit donné et respecté.

Avoir la possibilité d’exprimer ce que l’on vit dans son corps (et dans sa tête) qu’il s’agisse des bouleversements du temps, des cycles menstruels, de l’endométriose, du cancer du sein, des conséquences et traumatismes de violences sexuelles, de fausses couches, de stress à l’idée que le fœtus ne soit pas viable, de la grossesse, dans les rapports sexuels, la ménopause, etc.

Ne pas se dire que sans soutien-gorge et avec mini-jupe un soir en ville, on prend des risques. Ne pas penser que parce qu’on ne veut pas d’enfant, parce qu’on n’allaite pas un enfant, parce qu’on ne prend pas de plaisir en faisant l’amour, parce qu’on n’a jamais joui, etc. on n’est pas normales…

Nos corps nous appartiennent mais un contrôle social a été imposé dessus. Nos désirs font désordre et court-circuitent parfois les assignations de genre. Aucune femme ne doit se sentir obligée de témoigner de son vécu. Aucune personne transgenre ne doit se justifier du sexe qu’elle a entre les jambes. Personne ne doit être entravée dans son corps et sa manière de vivre dedans et avec. L’intime est politique.

REPENSER LE MILITANTISME FÉMINISTE

Le renouveau féministe, Aurore Koechlin en fait état dans le livre La révolution féministe. Elle milite dans des collectifs depuis les années 2010, a effectué un master en Etudes de genre à Paris 8 puis en sociologie du genre et fait une thèse sur la gynécologie. Elle commence par intégrer un syndicat étudiant avant de se tourner vers des collectifs non mixtes.

Ce qui au départ devait être un article sur son parcours militant et autour de l’émergence d’une réflexion liant les questions de genre à celles de classe, de race, d’orientation sexuelle, et d’identité de genre est devenu un livre qui dresse un panorama politique et sociologique des années 70 à aujourd’hui, dans une dimension internationale et le contexte MeToo.

« C’est un ouvrage dans lequel j’interroge les stratégies à mettre en place pour ce mouvement naissant. C’est quoi le féminisme ? Pourquoi on se bat ? Et comment on se bat ? La difficulté, c’est que le féminisme s’est construit comme un mouvement très unifié dans lequel l’axe « Femme » était le plus important. Plus important que la classe, la race, etc. Aujourd’hui, il faut imposer ces questions dans l’agenda féministe. Il faut qu’on ait ce débat, qu’on pose ces questions. C’est important, notamment face à une loi comme celle sur le séparatisme. On ne doit pas laisser le féminisme être instrumentalisé. Féminisme et antiracisme sont au centre de ce débat. », nous explique-t-elle.

Dans le fait que le gouvernement s’approprie ce mouvement, elle y voit la puissance contestatrice : « C’est une façon de le pacifier que de l’intégrer au sommet de l’Etat. Après, pour obtenir concrètement l’application de certaines revendications, on ne peut pas totalement se détourner de lui. C’est là où pour moi il faut faire émerger clairement les revendications militantes. Le mouvement est actuellement très fort, c’est une lame de fond qui bouscule tout et qui pour cela est attaqué de toute part. Il est important de continuer ce mouvement et de le faire converger avec d’autres mouvements comme l’antiracisme, l’antivalidisme, etc. et les mouvements sociaux. »

Ce qu’elle défend, c’est de repenser notamment le travail reproductif et d’imaginer d’autres manières de s’organiser. Par les cantines collectives, les crèches collectives, par exemple. Pour faire sortir le travail domestique de son cadre genré et privé. Là aussi, les militantes le disent et le répètent : le privé est politique.

Parce que dans la sphère privée, on enferme les femmes, laissant penser que leur rôle consiste à faire et éduquer les enfants et à entretenir le foyer. Dans cette sphère-là, on tait les violences conjugales et familiales. Le privé est politique : on dénonce de plus en plus les blessures, les insultes, les viols, les menaces au sein du couple et dans les familles mais aussi l’enfermement domestique et maternel.

Toutefois, comme expliqué précédemment, chaque personne a le droit de souhaiter rester à la maison pour s’occuper des enfants, de la vaisselle, du ménage, etc. Le problème pointé dans le débat résidant dans le fait que cette personne est majoritairement et depuis longtemps de sexe et de genre féminin.

« Le premier confinement a démontré que le travail reproductif (domestique, éducatif, soins, etc.) est extrêmement dévalorisé dans la sphère privée comme dans le cadre du service public. Il est relégué au bas de l’échelle… Et là, il est apparu comme essentiel. C’est-à-dire comme un travail qui ne peut pas être confiné, qui ne peut pas être mis en pause.

On a pu constater que ce travail essentiel, il est majoritairement occupé par des femmes, racisées. Mais ça n’a duré que quelques semaines. Depuis, il n’y a pas eu de changement dans notre organisation sociale, pas de revalorisation malgré les promesses gouvernementales. Mais on ne repart pas de 0. Je crois malgré tout qu’il va en rester des traces. »

Et encore une fois, il est nécessaire d’investir les espaces de pouvoir. Sinon, on le voit, ces questions sont établies comme non prioritaires et c’est encore aux militantes de redoubler d’acharnement. Pour que la PMA soit enfin ouverte à tou-te-s sans laisser sur le côté les lesbiennes, les personnes trans, les femmes célibataires. Pour que le congé paternité soit une vraie mesure satisfaisante et appliquée et pas uniquement sur 7 jours obligatoires.

Pour que le délai légal d’avortement soit allongé de 12 à 14 semaines de grossesse. Pour que l’on fixe un âge décent au consentement sexuel. Pour que l’allocation aux adultes handicapés soit individualisée. Pour que les réunions en non mixité soient reconnues comme utiles aux personnes concernées. Pour l’autodétermination des personnes trans. Pour la gratuité des protections périodiques. Pour la dignité et le respect de toutes les personnes. 

UN POINT DE BASCULEMENT

Si Aurore Koechlin n’envisage pas que la révolution féministe soit encore advenue, elle précise néanmoins : « On pourra dire qu’il y a révolution, quand les bases plus profondes seront réorganisées. Les féminismes ont un aspect profondément révolutionnaire car ils touchent à tous les aspects de nos vies que ce soit vies privées ou vies publiques. Parler de ce que vivent les femmes, des minorités de genre, du système hétéro, de la masculinité hégémonique, etc. C’est là le pouvoir créateur du féminisme : développer d’autres possibles. On le voit par exemple dans la littérature SF (science fiction, ndlr)que les femmes investissent. Ça nous pousse à penser un autre monde ! »

Un monde dans lequel le « male gaze » n’est pas au centre… Pour Céline Extenso qui nous répond avec une note d’humour, pareil, nous sommes aux portes d’une révolution à venir :

« Je crois qu’elle n’a jamais été aussi proche. Nous sommes de plus en plus nombreuses à la rêver, avec la ferme intention de ne pas nous complaire dans le seul « rêve ». J’ai l’impression qu’on s’organise, qu’on s’entraide, qu’on fourbit nos armes comme jamais. Évidemment, on ne peut pas dévoiler tous les détails du plan maintenant, il faut garder un peu de surprise ! »

On parle là d’une révolution plus globale. Parce que la révolution féministe a bel et bien déjà commencé. Depuis plus de 150 ans, elle progresse et participe au changement des mentalités. Avec des flux et des reflux comme on l’a vu. Avec des périodes d’ébullition, des retours de bâton, des phases d’écoute, des phases de rejet. La société a affronté des crises qui ont à chaque fois impacté les droits des femmes.

 

Toujours le féminisme a rebondi et a permis des mobilisations aux ampleurs toujours plus grandes. Le mouvement avance et s’il demande une prise en compte des femmes à part entière, il doit aussi entendre la critique qui parvient des militantes racisées, handicapées, LGBTIQ+, etc. Pour que les spécificités des un-e-s et des autres ne soient plus vécues comme marginales et hors-normes et ne soient pas victimes de la reproduction des mécanismes de domination que le féminisme combat. 

Dans une interview accordée au magazine Antidote en octobre 2020, Lauren Bastide, journaliste féministe, créatrice et animatrice du podcast La poudre explique :

« Je pense que non seulement une révolution féministe va avoir lieu, mais aussi une révolution écologique, antiraciste, anticapitaliste et une révolution du genre, tout est intrinsèquement lié. J’ai l’impression que toute cette prise de conscience est en train d’avoir lieu.

Je pense qu’il y a de plus en plus de personnes qui comprennent que le combat d’Assa Traoré contre les violences policières rejoint le combat des féministes contre les violences faites aux femmes et contre le viol, rejoint le combat anticapitaliste contre la mainmise de 1% des êtres humains sur 99% des ressources mondiales, rejoint le combat écologique de Greta Thunberg. Tout ça, c’est la même histoire, une histoire d’oppression d’un tout petit nombre de dominant-e-s sur un nombre écrasant de dominé-e-s. Pour moi, si la révolution féministe a lieu demain, elle se fera par cette convergence-là. »

TROUVER NOS POINTS D’ALLIANCE

Combattre ce qui nous divise. Cela ne veut pas dire que nous devons penser tou-te-s de la même manière. Ou même ressentir de la même manière. Le rapport au corps diffère, tout comme la pression face aux injonctions diverge également. On ne place pas tou-te-s le curseur de la liberté au même endroit et ne vivons pas la même urgence à s’affranchir et s’émanciper de telle ou telle assignation.

En revanche, nous devons nous accorder pour fonder une société basée sur la dignité et le respect des êtres humains, autant que sur l’environnement. On a beau parler de solidarité féminine, la sororité est loin d’être innée chez les personnes sexisées. Tout simplement, parce qu’on ne l’a pas appris.

On nous a peut-être même bien inculqué le contraire. Les filles aiment les commérages et les coups dans le dos. Elles se jalousent et se critiquent. Meilleures rivales pour la vie. Un tas de conneries difficiles à contrer malgré tout. C’est sans doute là un enjeu crucial des féminismes. Briser les injonctions. Sans les remplacer par d’autres injonctions.

Briser le cercle de victimisation dans lequel on nous enferme régulièrement. Sans nier les inégalités, discriminations et violences que nous vivons spécifiquement. Briser la hiérarchisation des souffrances. Sans prendre la place et la parole de celles qui vivent des expériences différentes des nôtres.

C’est inspirant tout ce qui se passe actuellement au sein des féminismes. Fatiguant parfois mais surtout stimulant et enrichissant. Le 8 mars dernier, Rachida du Collectif Sans Papiers de Rennes rappelait :

« Nous migrantes, réfugiées, sans papiers, demandeuses d’asile, nous les femmes et les personnes lesbiennes, gays, bis, trans, nous sommes parmi vous à l’appel international pour une grève féministe. Nous avons l’interdiction formelle de travailler pour survivre et pourtant nous sommes ici avec vous. » 

Son discours est puissant. Elle démontre l’importance de l’inclusion de tou-te-s dans les luttes féministes. Parce que nombreuses sont celles qui ont été oubliées, négligées, méprisées. Rachida demande aux militantes de les soutenir et d’être à leurs côtés dans leurs combats :

« Il ne nous suffit pas d’avoir une place parmi vous sur vos estrades militantes. Nous féministes prolétaires que notre courage de survivre a amené ici pour trouver refuge, nous nous sommes échappées des guerres produites par le patriarcat et le capitalisme de nos pays. Nos pays maintenus dans la misère. Nous venons chercher parmi vous solidarité et refuge. Quelque soit les barrières qui nous opposent, il est en notre pouvoir de les affranchir. (…) Tant que l’imbrication de la violence patriarcale et raciste ne sera pas vaincue, nous ne pourrons pas triompher ensemble.

Tant que la liberté des migrantes n’est pas prise de partout comme un combat général, nous ne pourrons pas être ensemble sur la place mais resterons divisées dans les maisons, les villes, les lieux de travail. C’est pourquoi le 8 mars nous nous joignons à vous, à la lutte des femmes, contre les violences, l’exploitation patriarcale, c’est pourquoi le 8 mars, nous demandons un permis de séjour illimité et sans conditions. Nous appelons tout le monde à soutenir cette demande. Faire du 8 mars un point de départ pour continuer cette lutte ensemble. De la force transnationale et la grève un instrument général ! Soutenez-nous, nous avons besoin de vous. »

Se soutenir. Avancer ensemble. Construire réflexions et stratégies à partir des récits et expériences des personnes concernées. Sans prendre leur place. Sans parler à leur place. Doris, travailleuse du sexe et trésorière du STRASS dont elle est la référente en Bretagne, et créatrice des Pétrolettes, association de développement communautaire, le formule parfaitement : 

« Nous vous donnons rendez-vous pour poursuivre ensemble la réflexion et les luttes et trouver ensemble des solutions à notre émancipation. La libération des travailleuses du sexe sera l’œuvre des travailleuses du sexe elles-mêmes. » 

Son discours analyse les rapports de domination hommes – femmes depuis le système féodal jusqu’à aujourd’hui. Le contrôle des femmes par les hommes. La protection offerte par les hommes aux femmes qui en échange offriront du travail gratuitement. Le viol comme arme de guerre pour détruire la crédibilité du protecteur. Le couple hétérosexuel et la famille comme seule garante de la sécurité des femmes, « alors même que la famille et le couple sont une des plus dangereuses (structures, ndlr) pour elles. »

SOMMES-NOUS DE MAUVAISES FÉMINISTES ?

Au quotidien, à chaque étape de la rédaction de ce dossier, à chaque point de vue controversé que l’on retransmet et diffuse, à chaque critique que l’on établit dans une réflexion globale de comment avancer ensemble, on se demande si nous sommes de mauvaises féministes. Pas que dans le cadre professionnel, d’ailleurs.

On se pose la question régulièrement dans nos vies privées. On ne sent pas toujours légitimes, on ne sent pas assez féministes. Et puis, un jour, Roxane Gay écrit et publie Bad feminist. Ça nous interpelle, on le lit et on respire.

« Le féminisme est imparfait, mais quand il est au meilleur de sa forme, il donne les moyens de naviguer dans les remous du changement de climat culturel. Le féminisme m’a certainement aidée à trouver ma propre voix. Le féminisme m’a aidée à me convaincre que ma voix avait de l’importance, même dans un monde où tant d’autres voix exigent qu’on les entende. Comment réconcilier les imperfections du féminisme avec tout le bien qu’il peut faire ?

À la vérité, ce mouvement est imparfait parce qu’il est dirigé par des gens, et que les gens sont imparfaits par nature. Pour une raison quelconque, en matière de féminisme, nous plaçons la barre à une hauteur déraisonnable, nous voulons qu’il remplisse toutes nos exigences et qu’il fasse toujours les meilleurs choix. », analyse-t-elle.

Elle poursuit un peu plus loin : « Le féminisme m’a apporté la paix. Le féminisme m’a donné des principes qui me guident dans mon écriture, mais je sais aussi que ce n’est pas dramatique quand je ne suis pas à la hauteur de la féministe idéale qui est en moi. Les femmes de couleur, les femmes queer et les femmes transgenres devraient être mieux intégrées dans le projet féministe. Les femmes de ces groupes ont été honteusement abandonnées par le Féminisme avec un grand F, et à de nombreuses reprises. C’est une vérité crue, et douloureuse. (…)

Mais on ne répare par une injustice par une autre. Les erreurs du féminisme n’impliquent pas que l’on doive le rejeter totalement. Nous ne sommes pas tous obligés de croire au même féminisme. Le mouvement peut être pluriel, à condition que nous respections les différents féminismes que nous portons en nous, à condition que nous nous en souciions assez pour tenter de réduire les fractures qui nous séparent. »

Et ce n’est là que l’introduction d’un ouvrage authentique, construit et libérateur. Comme il y en a plein, à l’instar des ouvrages de Mona Chollet et notamment Sorcières – la puissance invaincue des femmes mais aussi de la littérature féministe qui émerge dénonçant la charge mentale comme l’a si bien fait Emma ainsi que les violences gynécologiques et obstétricales, entre autres, et de nombreuses autres thématiques indispensables à l’évolution des mentalités. Et c’est pourquoi le travail sur le matrimoine et la valorisation des œuvres réalisées par des personnes sexisées, racisées, handicapées, trans, etc. est fondamental.

La thématique de l’éducation à l’égalité n’est pas un détail. Depuis les années 90, le marketing genré a envahit les rayons des magasins mais aussi les esprits. Le rose pour les filles, le bleu pour les garçons. On a beau lutter, les stéréotypes résistent. Dans Éduquer sans préjugés, Manuela Spinelli et Amandine Hancewicz, co-autrices et co-fondatrices de Parents & Féministes, décryptent les différences de traitement des filles et des garçons dans une société encore largement imprégnée de croyances et de constructions sociales patriarcales.

Dès la naissance, les pleurs des bébés sont analysés à l’aune du sexe de l’enfant, auquel on attribue toute une série d’assignations et d’attentes qui vont de pair. L’influence de ces injonctions est connue : elles entrainent des choix que ce soit dans les activités artistiques, sportives, dans les loisirs, dans la manière de s’habiller, d’interagir avec son environnement mais aussi dans le cursus scolaire et l’orientation professionnelle. 

DES EXISTENCES EFFACÉES, NÉGLIGÉES

Sans oublier qu’en occultant plus de la moitié de l’humanité de l’Histoire, on l’invisibilise. Quelle place dans la société peut-on s’octroyer quand dès les premières années de construction personnelle, on ne se voit pas à la télévision, dans les émissions d’actu et de débat mais aussi dans les films et les séries, dans les récits littéraires, les BD, les peintures exposées dans les musées, etc. ?

Quelle histoire nous est donnée à voir et à entendre lorsque l’on aborde les périodes de colonisation ? De quels points de vue situe-t-on ces récits, notamment en matière de décolonisation ? Dans les manuels scolaires, aucune place n’est attribuée aux groupes oppressés.

Depuis 2001, une loi oblige les établissements scolaires à dispenser des cours autour de la vie sexuelle et affective dans sa globalité, et sa pluralité, chaque année. Pourtant, ils sont majoritaires à ne pas le faire. Depuis 2017 seulement, on représente dans son anatomie complète le clitoris pour les classes de seconde.

Dans un seul manuel de SVT. Deux ans plus tard, cinq manuels sur sept le représentent. Entre temps, en 2018, Mme de Lafayette devient la première femme de lettres, décrite comme « la première plume féminine » dans certains médias, à être étudiée au programme de Terminale L en vue des épreuves du baccalauréat.

Dans les livres d’histoire, on parle rapidement d’Olympe de Gouges et de Simone Veil. Qu’en est-il de toutes les autres ? De toutes celles qui ont marqué les arts et la culture, les sports, la politique, les sciences, etc. ? N’ont-elles pas mérité d’être étudiées ?

Depuis plusieurs années, des livres entiers s’écrivent sur toutes ces femmes et elles sont nombreuses. Elles sont citoyennes, avocates, chirurgiennes, navigatrices, pilotes, footballeuses, étudiantes, militantes, lesbiennes, transgenres, intersexes, atteintes d’endométriose, grosses, minces, maigres, anorexiques, boulimiques, handicapées mentales, en fauteuil roulant, au chômage, mères de famille, juives, musulmanes, catholiques, athées, criminelles, violentes, cuisinières, artistes, journalistes, scientifiques, noires, arabes, asiatiques, non binaires, apatrides, orphelines, bourgeoises, prolétaires, ouvrières, femmes de ménage, caissières, diplomates, élues, ministres, polyamoureuses, dessinatrices, travailleuses du sexe, enseignantes… Elles sont plurielles.

Elles ont des parcours atypiques, des parcours dits classiques et linéaires. Elles ont fait des découvertes scientifiques, dont elles ont été dépossédées, elles n’ont pas voulu d’enfant, elles ont subi des violences, elles ont combattu les discriminations, elles ont été incarcérées pour des crimes qu’elles ont commis, elles n’ont jamais obtenu justice, elles ont fait de leur corps une arme de déconstruction, elles ont des tatouages, iels ne se reconnaissent pas dans le pronom féminin, iels veulent un langage plus inclusif, iels exigent un enseignement incluant des modèles variés et réalistes, mêlant les origines, les couleurs de peau, les points de vue, les handicaps, les orientations sexuelles, les identités de genre, les possibles.

Parce qu’il s’agit là de l’histoire d’une évolution. D’une évolution des mentalités face à des personnes qui ont toujours existé mais n’ont pas toujours eu l’espace nécessaire pour parler en toute sécurité et encore moins l’écoute adéquate. 

Il y a le besoin de s’identifier mais aussi le besoin de découvrir. Dans un cadre sécurisé et bienveillant. Pas dans un contexte où on exclut les personnes handicapées du cursus dit classique, où les enfants découvrent qu’ils/elles sont noir-e-s parce que les autres se moquent et les insultent, où les mères qui portent le voile n’ont pas le droit d’accompagner les sorties scolaires, où on interdit aux filles l’accès à l’établissement parce que leurs tenues sont considérées comme « non républicaines » et où une fille transgenre a peur de porter des robes parce que l’école ne la reconnaît pas dans son genre.

C’est le cas de Sasha, 7 ans, dont le combat qu’elle porte avec sa famille a été filmé dans le documentaire Petite fille, de Sébastien Lifshitz. Elle est bouleversante, cette enfant qui doit vivre le déni de l’institution face à sa transidentité et le rejet du conservatoire qui refuse qu’elle s’habille comme les autres petites filles.

Accompagnée et soutenue par ses parents et ses frères, ainsi que la pédopsychiatre, Sasha fait bouger les lignes et heureusement, obtient des avancées. De cette diffusion - sur Arte en début d’année et désormais sur Netflix – émerge une nouvelle prise de conscience. 

Petite fille constitue un témoignage, une lutte familiale qui mérite d’être portée par le collectif. C’est une partie du récit concernant la transidentité. Car là encore, les parcours diffèrent et les difficultés montrées dans le film ne sont pas exhaustives et ne sont pas les mêmes d’un-e individu à l’autre.

L’histoire racontée dans la BD Appelez-moi Nathan, signée Catherine Castro et Quentin Zuttion, n’est pas la même que celle relatée dans Je suis Sofia, de Céline Gandner et Maël Nahon. L’éducation à l’égalité est fondamentale pour favoriser l’inclusion sans effacer les différences. Pour que chacun-e trouve sa voix et sa place. Son chemin d’émancipation.

Et pour cela, l’information - et son accès, surtout - est un enjeu capital dans la transmission. On peut par exemple suivre le compte instagram de la militante Lexie, agressively_trans, dont le livre Une histoire de genres – Guide pour comprendre et défendre les transidentités a été publié en février dernier. 

NE PAS HIÉRARCHISER LES VÉCUS ET LES COMBATS

Nous ne portons pas tou-te-s les mêmes combats au sein de la lutte contre les inégalités et les discriminations. Les féminismes ne sont pas une exception. À l’intérieur de ce mouvement polymorphe, il est important de s’écouter et de se respecter. Sans hiérarchiser.

Comme le disent Mathilde Larrère et Aurore Koechlin, il est plutôt sain que les différents sujets portés soient débattus, rabattant parfois les cartes des luttes et des stratégies à mener. Tant que les critiques sont constructives et qu’elles amènent à faire évoluer les réflexions. On aime le discours d’Alice Coffin à ce sujet.

Dans une interview accordée à National Geographic, elle répond à la question « Quel est le plus grand défi pour les femmes aujourd’hui ? » :

« Se Soutenir. Faire bloc face à l’adversité. Cela requiert de se battre pour les femmes de minorités particulièrement opprimées. Les femmes migrantes, racisées, lesbiennes, précaires, toutes celles qui, en plus du sexisme structurel et quotidien, affrontent d’autres violences et discriminations. Mais cela implique, aussi, d’éviter toute critique publique envers d’autres femmes en position de pouvoir. C’est un exercice difficile, car certaines n’agissent pas en féministes, mais il me semble indispensable, si nous ne voulons pas entretenir la misogynie. Concentrons, en public, nos attaques contre les hommes. »

On sait, on voit déjà de nombreuses personnes grimacer à la lecture de cette dernière phrase. « #NotAllMen », peut-on souvent lire en commentaire des articles ou post qui parlent des féminismes. Elles sont perçues comme radicales celles qui parlent des hommes et des violences masculines. Tout comme les militant-e-s antiracistes qui brandissent #BlackMatterLives et qui se voient rétorquer que TOUTES les vies comptent. Encore une fois, on nie le côté systémique des violences sexistes et sexuelles et des violences racistes. 

Les féminismes regorgent de force, de détermination, font place à des cheminements individuels et collectifs, amènent à repenser ce que nous voulons pour nous et celles et ceux qui nous entourent. Les féminismes mènent des révolutions multiples qui ne concernent pas uniquement les femmes mais globalement le monde dans lequel on vit.

Les rapports sociaux, environnementaux, économiques, politiques, et la manière dont ils sont traités dans toutes les sphères de la société. À présent, le mouvement même se renouvelle à travers les critiques qui lui sont faites dans la façon de prendre en considération les voix et les points de vues des groupes dits minoritaires. Une révolution dans la révolution. 

Se libérer de l’universalisme est un enjeu féministe du XXIe siècle. Ecouter, prendre en compte, agir ensemble mais sans prendre la place des concernées. Sororité avec les femmes sans papiers, les femmes sans domicile, les femmes travailleuses du sexe, les femmes racisées, les femmes voilées, les femmes détenues, les femmes handicapées, les personnes non binaires, les personnes trans, les lesbiennes, les personnes intersexes, les femmes qui ne veulent pas d’enfant…

Il reste encore de nombreux sujets qui cristallisent encore les divisions et les impensés au sein du mouvement féministe. Poser des questions, interroger la famille traditionnelle, repenser les rapports au corps et leur monétisation, mettre au travail la question des privilèges, oui, des discussions peuvent avoir lieu, des débats sont nécessaires.

Mais ce qui est inenvisageable, c’est de laisser ces personnes sur le côté sous prétexte qu’elles ne conviennent pas à nos modes de pensée, à nos idéologies militantes. Sinon, on reproduit les mécanismes de domination que le patriarcat a instauré, tout comme le capitalisme, le racisme, etc.

On peut ne pas être d’accord mais on doit s’unir dans l’adversité malgré les dissensions, sans se juger et se lyncher. Le 8 mars dernier, l’association déCONSTRUIRE partageait sur sa page Facebook un extrait de La parole aux négresses, écrit par Awa Thiam en 1978 et qui résonne encore aujourd’hui :

« La solution aux problèmes des femmes sera collective et internationale. Le changement de leur statut sera à ce prix ou ne sera pas. Que l’on veuille bien jeter un coup d’œil sur l’histoire de la condition féminine. Parcourue ou illustrée de luttes, elle n’a guère cessé d’évoluer, mais à une allure telle qu’il apparaît que les femmes qui luttent pour leur libération et corrélativement pour celle de leurs sociétés entreprennent une lutte de longe haleine. En d’autres termes, nous dirons qu’il s’agit non d’une course de vitesse mais d’une course de fond. Que les femmes s’arment en conséquence pour la mener à bien. »

NOUS SOMMES FORTES, NOUS SOMMES FIÈRES…

La révolution féministe a lieu depuis longtemps. Elle est plurielle. Il nous faut reconnecter les histoires du passé aux luttes actuelles. Comprendre l’impact de ces histoires erronées, partielles. Parce qu’elles ont été écrites par les hommes pour les hommes, nous avons besoin de les explorer pour savoir d’où nous venons et d’où viennent les autres. Nous avons besoin d’entendre les voix des groupes oppressés pour pouvoir davantage appréhender leurs vécus et leurs ressentis.

Et prendre en compte les besoins. Considérer les personnes sexisées dans toute leur complexité. Parce que les assignations nous divisent, nous opposent et nous blessent. Les féminismes sont des outils individuels et collectifs pour construire un projet de société affranchi des systèmes de domination. Une utopie ? Peut-être ! Pas tant que ça…

Quand on voit les avancées sur quelques dizaines d’années, à l’échelle de l’humanité, c’est un tour de force magistrale. Ce sont des personnes sexisées et racisées que toutes ces victoires sont survenues. Avec les réseaux sociaux, on assiste à une explosion des initiatives, comptes, chaines proposant d’autres discours, d’autres façons de penser, d’autres modèles.

Les militantes prennent leur place et prennent la parole, à travers les podcasts notamment, outil incontournable de la reconquête de l’espace médiatique et de la déconstruction des codes et des normes. De plus en plus, elles occupent l’espace public, et elles sont de plus en plus nombreuses.

Elles appellent à combattre les féminicides mais aussi les violences policières et les lois rétrogrades. Les mots résonnent dans le mégaphone mais pas seulement. Ils sont aussi pochés sur les trottoirs, tagués sur les ponts, collés sur les murs des villes. Impossible de passer à côté.

On peut toujours détourner le regard, tourner la tête, nos yeux ont balayé les mots du regard et ils ne sont pas faciles à effacer. Et tandis que l’on rentre chez nous, à la lumière déclinante du jour, les ombres du patriarcat surgissent sous nos pas nous murmurant de raser les murs et de presser nos foulées. Alors, dans la tête, on entonne une ritournelle qui nous accompagne et nous donne le sourire :

« Nous sommes fortes, nous sommes fières, et féministes et radicales et en colère… Nous sommes fortes, nous sommes fières, et féministes et radicales et en colère… NOUS SOMMES FORTES, NOUS SOMMES FIÈRES, ET FÉMINISTES ET RADICALES ET EN COLÈRE… Nous sommes fortes, nous sommes fières, et féministes et radicales et en colère… »

Ça veut dire quoi ? Ça veut dire qu’on fait ce qu’on peut. Ça veut dire qu’on fait ce qu’on veut. Et que allié-e-s à nos adelphes d’hier, d’aujourd’hui et de demain, à travers le monde entier, nous allons compter ! Nous comptons déjà ! 

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La révolution sera féministe ou ne sera pas !
Féministes, tant qu'il le faudra !
Déferlante médiatique
Ça secoue !
Misandrie, vous dites ?

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