Célian Ramis

Féminismes : Ne rien lâcher !

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Les mobilisations féministes s'intensifient. Mais les mentalités progressent lentement. Trop lentement. Quelles sont les résistances qui perdurent ?
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Des centaines de milliers de femmes, et d’hommes, dans les rues le 23 novembre, en France, pour protester contre les inégalités entre les sexes… Du jamais vu au cours de cette dernière décennie ! Ce jour-là, les femmes ont montré qu’il n’était désormais plus possible de penser la société sans se préoccuper de l’égalité.

Pour autant, nous ne sommes qu’aux prémices qu’une très lente révolution. Si les projecteurs sont davantage braqués sur cette moitié de la population - longtemps oubliée, méprisée et discriminée – leurs paroles et leurs témoignages sont sans cesse remis en question. D’où vient ce « Oui, mais… » ? Et comment le combattre ? 

Ça gronde. De partout, ça gronde. Les raisons de cette colère, elles sont nombreuses. Trop nombreuses. Depuis très longtemps. Les inégalités ne sont pas apparues avec l’affaire Weinstein, en octobre 2017, et le combat n’a pas commencé avec le mouvement #Metoo. Il ne faut pas s’y tromper, ces événements constituent des étapes (essentielles) dans la prise de conscience et non des acquis.

On ne va pas retracer ici l’histoire des luttes féministes et on ne va pas non plus pouvoir dresser un bilan simplement sur une année. Parce que, là, fin 2019, nous ne sommes qu’au début du chemin. Comme le signale l’autrice afrobrésilienne Joice Berth :

« Nous avons connu de grandes avancées, mais les problèmes sont si importants que les avancées semblent petites ! Et ces avancées ne vont pas faire marche arrière, malgré la vague conservatrice. Il existe un intérêt et une conscientisation plus grande des individus blancs envers les questions raciales, un intérêt et une conscientisation plus grande des groupes masculins envers les questions féministes. »

On progresse. Lentement. Très lentement. Trop lentement. Quelles sont ces résistances auxquelles on se bute encore trop souvent ?

« Une de touchée, toutes concernées, c’est toutes ensemble qu’il faut lutter, c’est toutes ensemble qu’on va gagner ! » Il y a des femmes exilées, avec ou sans papiers, des femmes kurdes, d’anciennes détenues, des femmes handicapées, d’anciennes victimes de violences, des femmes racisées, des militantes féministes de longue date et des femmes qui manifestent pour la première fois, des étudiantes, des femmes engagées dans le mouvement des gilets jaunes, des membres d’associations, des femmes trans, des artistes, des personnes queer, des lesbiennes, des hétéros, des bis, et il y a des alliés.

À Rennes, le 23 novembre, elles sont plus de 4000 à battre le pavé à l’occasion de la Journée internationale pour l’élimination des violences faites aux femmes (dont la date est fixée au 25 novembre, en hommage aux trois sœurs Mirabal, militantes dominicaines assassinées sur les ordres du dictateur Trujillo, le 25 novembre 1960).

Plus de 4000 personnes qui scandent haut et fort que la rue, elle est à aussi elles, « de jour comme de nuit, avec ou sans voile, à pied ou en fauteuil, avec ou sans poussette, avec ou sans maquillage… » Elles veulent des droits, elles veulent avoir le choix. De s’approprier leur corps, de décider de leur vie, de ne plus avoir peur, d’être respectées, de donner leur consentement, de prendre la parole. De ne plus mourir sous les coups de leur conjoint ou ex-conjoint.

« Vous n’aurez plus jamais le confort de nos silences ». C’est écrit en lettres majuscules sur une grande banderole. Tout comme « Abuse de l’amour, pas des femmes » est écrit sur une pancarte. Et tout comme les prénoms des victimes de féminicides sont inscrits sur des tee-shirts, portés par des manifestantes situées en début de cortège.

Il y a Babeth, 43 ans, battue à mort par son conjoint. Stéphanie, 39 ans, égorgée par son compagnon. Céline, 41 ans, poignardée par son ex. Evidemment, elles ne sont pas que trois : du 1erjanvier au 31 décembre 2019, 149 femmes ont été tuées pour la mauvaise raison qu’elles étaient femmes.

Alors, les militantes chantent avec force et hargne : « Le patriarcat ne tombera pas tout seul, organisons-nous pour lui piétiner la gueule ! »

#NOUS TOUTES

À Rennes, plus de 4000 personnes ont répondu à l’appel du collectif Nous Toutes 35, né en septembre 2018 pour s’ériger contre les violences patriarcales, organiser les manifestations du 25 novembre, protester devant les cinémas contre la projection de J’accuse de Polanski, sensibiliser les un-e-s et les autres aux diverses problématiques concernant les droits des femmes, rappeler dans les cortèges que les femmes sont encore une fois les grandes perdantes de la réforme des retraites (lire encadré), etc.

À Paris, 49 000 personnes ont défilé contre les violences faites aux femmes, à l’appel de sa grande sœur, à l’échelle nationale, Nous Toutes. Une marée violette s’est abattue sur la France, faisant de ce 23/25 novembre 2019 une date historique. Les organisatrices comptabilisent 150 000 manifestant-e-s contre les violences sexistes et sexuelles.

Du jamais vu depuis le début du siècle. Il faut dire que cette année, niveau égalité des sexes, c’était plutôt les montagnes russes. Dans un article publié le 28 décembre sur le site de Libération, le quotidien national titre « Un an dans la vie des femmes – Dans les rues, sur les terrains de foot, dans l’espace : 2019, l’onde féministe ». Ça claque ! Et pourtant, on n’arrive pas à se réjouir.

Oui, on a avancé. Légèrement. Mais en lisant le papier de Libé,on croit avoir gagné toutes les batailles et ce, sans même se fatiguer. Oublier (ou ignorer) la complexité et la difficulté de chaque avancée, c’est renier le travail minutieux et courageux de toutes les militantes et c’est prétendre que les résistances n’ont pas été nombreuses et scandaleuses.

Oui, les femmes ont revendiqué à plusieurs reprises leur droit au respect, en tant que sujet et non en tant qu’objet. Pendant le tour de France, elles ont affirmé en avoir ras-le-bol d’être traitées comme des potiches (lancement du #PasTaPotiche), comme le sont en général toutes les hôtesses d’accueil, métier réservé à la gent féminine, évidemment.

Côté sport, on a pu découvrir de nombreuses footballeuses venues en France disputer la coupe du monde de foot et mettre en lumière le manque de femmes dans l’arbitrage, dans les institutions ou encore en tête de sélection. Début novembre, l’actrice Adèle Haenel secouait le cinéma français, et plus largement la société, en dénonçant publiquement les attouchements et le harcèlement sexuel subis dans son adolescence à cause du cinéaste Christophe Ruggia.

Quelques semaines avant son interview, les astronautes américaines Jessica Meir et Christina Koch ont effectué ensemble une mission en extérieur de la station spatiale internationale, une grande première depuis la création de cette dernière en 1998.

L’article mentionne également les avancées obtenues, en France, contre la précarité menstruelle, l’arrivée du clitoris dans, désormais, 5 manuels scolaires sur 7, l’émergence de plusieurs personnalités militantes comme Greta Thunberg, Carola Rackete ou encore des femmes gilets jaunes, le retour de l’écoféminisme, la chorégraphie des chiliennes contre le viol, et termine sur une liste d’événements positifs comme la féminisation des noms de métiers, l’égalité salariale pour les footballeuses australiennes, le droit de voyager sans la permission d’un homme pour les saoudiennes, la création d’un musée entièrement dédié au vagin à Londres, etc. 

OUI, MAIS…

C’est impressionnant, inspirant et exaltant. Mais ce que Libérationoublie, c’est de rappeler à quel point toutes ces avancées, ces victoires, ces droits conquis – qui jamais ne sont acquis – sont imprégné-e-s de souffrances et de persévérance. Rien de ce qui est accordé aux femmes ne l’est par bonté d’âme.

Tout est obtenu à la sueur du front des militantes qui se battent sans relâche pour une égalité réelle entre les femmes et les hommes. Rappelons-nous que Greta Thunberg fait régulièrement l’objet d’attaques, d’insultes, de menaces, que la motivation de Carola Rackete a aussi été remise en question dans certains journaux (et pas que d’extrême droite), que les footballeuses sont encore largement moins payées que les hommes et sont encore jugées en comparaison avec les footballeurs et non sur leurs performances à elles.

Que l’astronaute Anne McClain aurait dû partir en mission avec Christina Koch mais faute de combinaison adaptée à sa taille, le binôme a été mixte (et quand quelques mois plus tard, une nouvelle mission a réuni deux femmes, un journal – Le Dauphiné, pour ne pas le citer - a titré « Deux femmes sortent seules dans l’espace, une première », on appréciera (pas) la mention de « seules » alors qu’elles sont en duo), que les Argentines n’ont toujours pas le droit d’avorter, que des femmes d’Amérique latine se retrouvent en prison pour fausse couche.

Que l’Assemblée nationale a fini par adopter l’extension de la PMA aux lesbiennes et aux femmes célibataires fin septembre après un nombre incalculable de reports (le projet de loi date de 2013…) mais a rejeté l’ouverture de la PMA aux personnes transgenres, que les personnes les plus précaires sont toujours les femmes, particulièrement si elles sont racisées, que fin 2019 une femme transgenre a été jetée dans le vide (et elle n’a pas été la seule, cette année et les années précédentes, à subir des atrocités).

Que les femmes sont toujours minoritaires dans les programmations culturelles et artistiques, qu’elles ne sont pas partout libres d’agir sans l’autorisation des hommes, ou encore que chaque année, en France, plus d’une centaine de femmes meurent sous les coups de son conjoint ou ex-conjoint, et que plusieurs centaines de milliers de femmes sont victimes de violences sexuelles, et quasiment toutes les femmes subiront au cours de leur vie des violences sexistes. Entre autre.

LE PARCOURS DE LA COMBATTANTE

Le 23 novembre, sur l’esplanade Charles de Gaulle, à Rennes, la manifestation marque un temps d’arrêt, c’est l’heure des discours. L’heure de rappeler qu’une femme qui subit des violences sexuelles porte rarement plainte et quand elle le fait, c’est là que commence le parcours de la combattante. Au commissariat, peu de professionnel-le-s la prendront au sérieux :

« Nous sommes reçues par de l’indifférence alors que nous aurions besoin d’être soutenues ! »

L’association rennaise Prendre le droit – Féministes pour un monde sans viol(s) insiste notamment sur ce parcours de la combattante :

« Le refus de prendre la plainte est une pratique courante à Rennes. Aux yeux de la justice et de la société, une femme pas consentante est censée résister mais les marges de manœuvre pour résister sont réduites par l’éducation reçue, la dépendance matérielle au conjoint, la précarité de son travail, etc. Sans oublier le mutisme lié à la peur. À toutes les étapes qui suivent le dépôt de plainte, il faudra répéter ce qui a déjà été dit, se justifier, et attendre. Rares sont les femmes victimes qui arrivent jusque-là, les affaires étant souvent classées sans suite. »

Les militantes dénoncent l’absence de volonté politique face à une société construite sur et autour de la culture du viol, ainsi que les injonctions paradoxales qui assaillent les femmes.

« On attend des femmes qu’elles soient passives en général et on attend d’elles qu’elles résistent farouchement aux agresseurs. Là, tout à coup, elles devraient être très actives. Stop à l’impunité des violences sexuelles, il faut remettre le monde à l’endroit ! »
concluent-elles.

Culture du viol, impunité, violences sexuelles… Les mots sont lâchés et ils viennent claquer dans nos esprits et dans nos tripes. C’est cette culture du viol qui permet aux agresseurs de faire subir des violences sexuelles et sexistes, en toute impunité. Il faut donc la débusquer, la traquer, la décrypter, pour l’analyser et la comprendre. Cette culture du viol, elle est une arme du patriarcat.

CHAUSSER LES LUNETTES DE L’ÉGALITÉ

Le patriarcat, il ne faut ni le sous-estimer, ni le surestimer. Sans dire qu’il faut l’estimer tout court… il nous faut regarder la réalité bien en face pour comprendre de quoi il s’agit, pour pouvoir y faire face. On est toujours un peu gêné-e-s avec l’expression « Chausser les lunettes de l’égalité ».

On l’entend de la bouche des politiques, des communicant-e-s, des expert-e-s des questions d’égalité et on se dit que cette expression entre parfaitement bien dans le moule de la langue de bois et finit donc par être galvaudée. On comprend l’image qui s’en dégage.

Forcément, c’est très simple. Les lunettes nous aident à obtenir de la clarté. Il y a donc une notion de correction de la vision du monde à laquelle on a pourtant été élevé-e-s toute notre vie durant. En cas de souci d’optique, on règle notre focale à partir d’un élément brouillé qui se lisse au fur et à mesure de la netteté donnée.

Mais dans le cas des inégalités, on part d’un paysage lissé pour arriver à percevoir enfin l’hypocrisie, la noirceur et la crasse du monde dans lequel on vit. Ça n’a pas de sens ! Et pourtant, si. Et cette démarche est même indispensable pour déblayer le chemin et l’accès à des relations horizontales et respectueuses.

Sinon, on continue de penser qu’Alain Finkielkraut fait vraiment de l’humour quand il déclare à la télévision : « Je viole ma femme tous les soirs ». Sinon, on continue de minimiser la portée des propos de types comme le chirurgien belge Jeff Hoeyberghs qui balance lors d’une conférence organisée par l’association des étudiants catholiques flamands que « Les femmes veulent des privilèges mais n’écartent plus les jambes ».

Souvent, on leur trouve des excuses. « Ce sont des gros cons de conservateurs », « Ce sont des gros cons d’extrême droite », « Ouais mais faut pas réagir à ça, c’est de la provoc’ ». En gros, une certaine catégorie - un peu à la marge de la société – a le droit à ce genre de sorties fumeuses parce qu’elle est identifiée comme ayant des pensées nauséabondes.

Finalement, tout le monde le sait donc personne n’y prête attention. Un peu comme pour les agissements de Dominique Strauss Kahn ou de Denis Baupin, de Harvey Weinstein ou de Luc Besson... pour n’en citer que quelques uns. 

LA CULTURE DU VIOL, À LA FRANÇAISE

Ce processus, visant à minimiser, n’est pas issu de la naïveté humaine mais de la culture du viol. La remettre en question, c’est perdre le confort d’être excusé à son tour pour un comportement qui sera peut-être jugé comme un peu déviant par la société (qui fermera les yeux selon la fonction et le pouvoir de l’accusé) alors qu’il est en réalité un délit ou crime.

En février 2019, la militante Valérie Rey Robert, créatrice du blog Crêpe Georgette, publie, aux éditions Libertalia, un essai intitulé Une culture du viol à la française, sous-titré « Du « troussage de domestique » à la « liberté d’importuner » », dans lequel elle commence par définir ce qu’est le patriarcat.

Ainsi, on peut lire : « Le patriarcat est défini par les féministes comme un système politique où les hommes tirent bénéfice de l’oppression féminine. » Elle poursuit en synthétisant la démonstration de l’autrice du Mythe de la virilité :

« La philosophe Olivia Gazalé détermine six axes qui définissent la domination masculine : la confiscation de la parenté, l’appropriation des femmes, la diabolisation du sexe féminin, la justification de la violence par la culpabilité féminine, la légitimation de l’exclusion par l’infériorité féminine, et le partage de l’espace et la division sexuelle du travail. »

Le 26 novembre, Valérie Rey Robert animait une conférence au Tambour, à l’université Rennes 2, dans le cadre des Mardis de l’égalité. En guise d’introduction, elle justifie le titre de son bouquin. Si on parle de culture du viol, c’est bien parce qu’il y a un ensemble d’idées reçues à propos de violeurs et des victimes de viol(s).

Des idées reçues qui se transmettent de génération en génération « et qui imprègnent tout, de la législation au langage, en passant par la perception des victimes. » Elle va encore plus loin puisqu’elle accole à la culture du viol l’idée qu’elle pourrait avoir une identité territoriale. Elle est vue ici à travers son angle « à la française ».

La militante explique : « La culture du viol dépend du pays dans lequel on est. Si on prend les affaires DSK de 2011 et de 2015, on s’aperçoit que des éditorialistes français défendent l’idée que les américains n’ont rien compris aux relations à la française. En gros, l’hétérosexualité française est fondée sur la domination et ils défendent une sorte d’identité française du gentleman qui a une sexualité un peu dure. Si on compare, Trump est dans le même genre mais personne n’aurait idée de le qualifier de gentleman ! »

Partout, on minimise les violences sexuelles. En France, on parlera alors de gauloiseries, de gaudrioles, on dira que c’est flatteur et que ça fait parti de notre patrimoine.

« Dès qu’on dénonce des violences sexuelles, on passe pour des traitresses à la nation, on trahit la manière dont on a envisagé l’hétérosexualité… Deux événements ont été marquants dans ma vie de féministe : le meurtre de Marie Trintignant et les affaires DSK. Dans le premier cas, on a excusé Bertrand Cantat et dans le deuxième, beaucoup de gens étaient prêts à excuser DSK. C’est pour ça que c’est important de bien définir les termes car ce qui n’est pas nommé n’existe pas. Il faut donc bien parler de sexisme, de patriarcat et de culture du viol. », souligne-t-elle. 

DE VICTIMES À ACCUSÉES

Dans les années 70, les féministes américaines constatent un grand nombre de témoignages autour des violences sexuelles et réalisent qu’il y en a trop pour qu’ils soient analysés comme des faits séparés et isolés. Il faut les rassembler pour comprendre que le viol est systémique dans la société.

C’est là qu’apparaît l’usage du concept de la « culture du viol ». Un concept qui va pourtant disparaître du langage pendant 30 ans, jusqu’à la connexion entre quatre événements. Deux viols collectifs secouent l’actualité étatsunienne. Dans chacune des affaires, soit les violeurs appartiennent à des familles de pouvoir, soit ils sont joueurs de football (lycéens, étudiants).

Dans chacune des affaires rendues publiques, les victimes vont être harcelées et insultées et les violeurs, soutenus et impunis pour le crime en question. Journalistes et membres de la population acculent les jeunes filles d’avoir bu et adulent les jeunes garçons qui sont la fierté de la ville de par leurs prouesses sportives.

Troisième événement : une femme en Inde décède des suites d’une hémorragie due au viol qu’elle a subi. Le message politique lancé à ce moment-là : les gentilles filles qui restent à la maison ne rencontrent pas ces problèmes-là. Alors que des ponts, entre les différentes affaires, se créent mettant en lumière un continuum de violences aux ressorts identiques, survient un quatrième élément, dans un autre registre. Il vient du chanteur Robin Thicke et de sa chanson « Blurred lines », sortie en 2013.

La phrase « You’re a good girl I know you want it » cristallise à elle seule la culture du viol, présumant qu’un homme sait qu’une femme veut du sexe, même si celle-ci semble dire le contraire. « C’est une phrase que beaucoup de filles et de femmes entendent au moment du viol. », signale Valérie Rey Robert.

Dans son livre, elle écrit que « Dans Against our will : men, women and rape, Susan Brownmiller démontre que les violences sexuelles ont été vues comme un moyen de contrôle des femmes en s’assurant par le viol ou la menace de viol de les garder sous le contrôle des hommes : le viol est« un processus conscient d’intimidation par lequel tous les hommes maintiennent toutes les femmes dans la peur ». Le livre fut très mal accueilli tant la thèse semblait scandaleuse à une époque où on pensait le viol comme extrêmement rare. » 

Aujourd’hui, on sait que c’est un demi-million de femmes majeures qui chaque année sont victimes de violences sexuelles, de toute nature, en France métropolitaine. Les chiffres sont accablants : un viol toutes les 8 minutes et moins de 10% des victimes qui portent plainte. Pourquoi ?

Les raisons sont multiples entre le(s) traumatisme(s), la peur des représailles, la peur de ne pas être crues, la peur d’être mal reçues par les forces de l’ordre et/ou les professionnel-le-s de la santé et même par l’entourage mais aussi l’image que la société renvoie aux victimes, les faisant passer pour les coupables. La cause : le sexisme. 

FOURBES, MENTEUSES ET HYSTÉRIQUES…

« On éduque les hommes en pensant que les femmes sont fourbes avec la représentation d’Eve, de Pandore ou encore des femmes fatales des films des années 30. Le personnage de la femme manipulatrice est très ancré et il est très difficile de s’en défaire y compris quand on est une femme. Les femmes ont peur d’être violées et les hommes ont peur qu’on les accuse faussement de viol. Le président Macron s’est fendu d’une déclaration appelant à faire attention aux fausses accusations. Mais peu d’accusations sont fausses. 4% selon le FBI. Alors oui, elles existent notamment de la part des ados, des personnes atteintes d’une maladie mentale ou des personnes qui ont une addiction. Et pourtant, ce sont les publics les plus susceptibles de subir des violences sexuelles. », développe Valérie Rey Robert qui embraye sur le mythe des hystériques :

« On dit que les femmes exagèrent. Les victimes exagèrent très rarement. Elles sont souvent dans le doute permanent, surtout que souvent, elles connaissent le violeur. »

Près de 90% des violences sexuelles sont commises par des personnes de l’entourage. Mais le mythe du prédateur est profondément imprégné dans nos sociétés patriarcales. On a l’image de l’homme qui rode, qui traque sa proie et qui l’attaque de nuit, dans une ruelle sombre, une impasse ou un parking. 

Quand une victime ne décrit pas une agression dans le sillage de cette vision erronée, on la questionne sur sa tenue vestimentaire, sur son comportement, sur son mode de vie. Etait-elle seule au moment des faits ? Portait-elle une jupe ou une robe ? Un décolleté ? N’a-t-elle pas envoyé des signaux à son agresseur ? Avait-elle bu ? Etait-elle droguée ? A-t-elle l’habitude de rentrer seule le soir ? N’a-t-elle pas aguiché son agresseur ? On présume qu’elle a consenti à l’acte sexuel mais qu’elle ne l’a finalement pas assumé :

« Ça fait parti des idées reçues, l’idée que les femmes chercheraient à être violées… On ne peut pas chercher un viol. Si on est dans une situation de fantasme, et que l’on demande au partenaire de simuler une agression sexuelle ou un viol, on est dans le consentement, on n’est pas dans un viol. On crée un scénario avec l’autre, on sait ce qui va se passer, ce n’est pas la même chose ! »

ELLES DISENT NON MAIS PENSENT OUI… MAIS BIEN SÛR !

Autre problématique que la militante décrit dans son ouvrage et dans sa conférence : la pulsion masculine comme signe de virilité. Un homme doit être hétérosexuel et cisgenre et doit avoir envie de sexe en permanence, doit coucher avec de nombreuses femmes et, évidemment, s’en vanter auprès des autres.

« La vérité, c’est que DSK et Baupin, ce sont juste des pauvres types qui insistaient auprès des femmes et les violaient. Ça ne va pas plus loin. », s’indigne Valérie Rey Robert. Selon l’enquête Virage, réalisée par l’Ined depuis 2005, ce sont environ 89 000 viols et tentatives de viols sur des femmes comptabilisés chaque année en France. À 90% par des hommes connus. Et pourtant, subsiste l’idée commune que le viol est commis par un inconnu.

« En tant que femme, on doit se méfier de l’extérieur. La responsabilité du viol repose donc sur les femmes. Elles ne disparaissent pas la nuit à ce que je sache ! Elles ont la trouille. Dans la journée, il y a 50% d’hommes et 50% de femmes dans les transports parisiens. La nuit, 70% d’hommes et 30% de femmes…

Les filles et les femmes sont éduquées par la société entière pour faire attention. L’impact, c’est qu’elles développent tout un tas de stratégies pour éviter de rentrer seules, de rentrer tard, etc. Elles subiront l’opprobre de leurs proches si elles veulent rentrer seules. Vous passez une bonne fin de soirée quand on vous dit ‘Tu ne t’étonneras pas si tu te fais violer’… », développe l’autrice.

Dans les films, les publicités, la littérature ou encore les médias, la culture du viol est omniprésente. Les situations dans lesquelles les femmes disent non mais pensent oui se multiplient. L’idée que les hommes ne peuvent pas résister aussi. Tout comme l’idée qu’il suffit d’insister auprès d’une femme pour qu’elle cède (puisque celle-ci en réalité en a fortement envie mais n’ose pas se l’avouer… évidemment).

Et quand la fille se défend et dénonce les agissements, rebelote : défense du violeur qui ne voulait pas faire du mal mais avait tout simplement mal interprété les signaux, et humiliation et culpabilisation de la victime qui l’a sans doute « bien cherché ». 

CULTURE DU VIOL ET DU RACISME ! 

Sauf dans des cas spécifiques. Si l’homme est atteint de maladie mentale, si l’homme est déjà connu des services de police, si l’homme est très laid ou si l’homme est étranger. Particulièrement s’il est noir ou arabe.

« Au moment de l’abolition de l’esclavage se répandait l’idée que les afroaméricains, s’ils étaient en liberté, allaient violer les femmes. Il y a eu beaucoup d’allégations à ce moment-là et de lynchages. L’idée de l’arabe violeur va perdurer longtemps après l’indépendance de l’Algérie. On sépare donc la gaudriole à la française et le viol barbare (on vise les tournantes dans les cités puisque perdure l’idée depuis le début des années 2000 que les jeunes noirs et arabes de banlieue n’ont rien de mieux à faire que de violer des femmes) des arabes et des africains vus comme des sauvages. », souligne la fondatrice de Crêpe Georgette, qui insiste :

« Il n’y a pas de portrait type du violeur. Il y en a dans toutes les classes sociales, ils n’ont pas de caractéristiques particulières, ce ne sont pas des hommes qui vivent en dehors de la société. Dans toutes les foules, les femmes ne sont pas en sécurité. A la Fête de la bière en Allemagne, les serveuses et les femmes présentes se plaignent d’agressions sexuelles et de viols. Dans tous les lieux réunissant plein de mecs, il y en a ! Lors de la Coupe du monde de football masculin, c’était pareil. »

Et pourtant, ce sont les hommes d’origine – réelle ou supposée - étrangère ou les hommes musulmans qui déclenchent la compassion (envers la victime) de l’opinion publique. Valérie Rey Robert prend l’exemple des agressions de la nuit de la Saint Sylvestre, du 31 décembre 2015 au 1erjanvier 2016, à Cologne en Allemagne, et de Tariq Ramadan en France :

« Des gens qui n’ont jamais donné leur avis sur les violences sexuelles se mettent à faire des éditos très rapidement sur les viols et très longuement sur l’Islam. Pour Tariq Ramadan, il n’y a rien de différent par rapport à d’autres hommes de pouvoir, d’autres hommes politiques qui ont abusé de leur fonction. C’est le cas de Polanski, de DSK, etc. Il n’y a rien de spécifique aux arabes. »

Dans son livre, elle écrit : « Encore aujourd’hui, ce stéréotype raciste perdure et les viols de femmes blanches par des hommes noirs sont davantage décrits dans les journaux américains. Le 17 juin 2015, le suprématiste blanc Dylann Roof entre dans une église de Charleston aux Etats-Unis et tue neuf Africains-Américains. Avant qu’il ne commence à tirer, l’une des futures victimes, Tywanza Sanders, lui demande pourquoi il agit ainsi.

Dylann Roof déclare alors : « Je dois le faire. Vous violez nos femmes et vous prenez le contrôle du pays. » Ces préjugés, particulièrement assassins pour les Africains-Américains dans leur ensemble mais plus spécialement pour les hommes, ont également des conséquences dramatiques pour les femmes africaines-américaines victimes de violences sexuelles. Le ministère de la Justice américain souligne que pour une femme blanche qui porte plainte, cinq ne le font pas. Et pour une femme noire qui porte plainte, il y en a 15 qui s’y refusent. »

Alors, oui, on le répète, on avance parce que les femmes dénoncent davantage publiquement leurs agressions, viols, leurs agresseurs et violeurs. Mais il reste un long chemin à parcourir avant que la prise de conscience, qui commence à peine à titiller les matières grises des un-e-s et des autres, ne s’applique à tout le monde, au quotidien. 

LES RÉSISTANCES AVANT LA PRISE DE CONSCIENCE

Quand Adèle Haenel parle, on l’écoute, on la croit et on la soutient (en majorité, car, forcément, il y a toujours des sceptiques, des défenseurs de la cause mâle, des anti féministes…). Tant mieux, c’est important. Mais quand c’est Madame Toutlemonde qui décrit ce qu’elle a subi de la part de son conjoint, là, on est moins convaincu-e-s.

Pareil, on grince des dents si c’est Madame Jefaiscequejeveux qui veut porter plainte contre son agresseur dont elle n’a pas l’identité complète mais chez qui elle est allée après avoir bu plusieurs verres. C’est capital que des personnes notoires brisent le silence. On a besoin, malheureusement, d’entendre des témoignages pour comprendre les mécanismes des violences sexuelles, surtout quand elles sont orchestrées par des hommes qui usent et abusent de leur fonction et/ou de leur image.

Qu’ils soient le mari, le professeur, le metteur en scène, le député ou l’entraineur. Ils sont le mâle dominant et ils le font savoir. Et savent surtout que, dans la société, règne l’impunité. Combien de David Hamilton, Guillaume Dujardin, Roman Polanski, Harvey Weinstein, Denis Baupin, Bill Cosby et autres se pavanent en toute liberté, détruisant massivement les vies de filles et de femmes ?

En quoi sont-ils différents des soldats qui punissent par le viol les habitantes du pays mis à feu et à sang ? Pourquoi n’arrive-t-on pas à les regarder de la même manière ? Pourquoi les excuse-t-on ? Qu’est-ce qui fait qu’on minimise pour certains et pas pour d’autres ?

« L’injonction à porter plainte est très forte lorsqu’on dit avoir été victime d’un certain type de violences sexuelles ; a contrario nous serons plutôt découragés si les violences vécues ne sont pas considérées comme telles ou minimisées. Toutes les victimes savent qu’elles auront affaire à un entourage dubitatif lorsqu’elles parleront. Il en sera sans doute de même avec la police et le système judiciaire. Les premières réactions d’Emmanuel Macron et d’Edouard Philippe aux hashtags #balancetonporc et #metoo, hashtags et témoignages sur les violences sexuelles subies, furent qu’il fallait faire attention aux possibles mensonges, aux exagérations probables et à ne pas empêcher toute possibilité de séduction entre hommes et femmes ; ces opinions très communément partagées et faisant partie des idées reçues sur le viol contribuent à éviter que les victimes parlent et portent plainte.

Depuis, le réalisateur Luc Besson a été accusé par plusieurs femmes de viols et agressions sexuelles et cela a eu très peu de retentissement en France, y compris dans les médias, à tel point que le New York Timess’est interrogé sur « le silence du cinéma français ». Les acteurs Gérard Depardieu et Philippe Caubère ont également été accusés sans qu’à aucun moment il y ait une couverture médiatique comparable à celle de Weinstein aux Etats-Unis.

En revanche, lorsque l’actrice Asia Argento, fer de lance de #metoo, fut à son tour soupçonnée, le Tout-Paris médiatique et réactionnaire fit des gorges chaudes de l’accusation. Encore une fois, on constatait avec ces réactions le mépris pour les victimes de violences sexuelles. », écrit la militante féministe dans son essai Une Culture du viol à la française

L’AMNÉSIE SÉLECTIVE

On remarquera également qu’en novembre, on l’a déjà mentionné, le cinéma français était bouleversé par le témoignage d’Adèle Haenel qui lançait une véritable dynamique pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles. Quelques semaines plus tard, arrive à l’affiche J’accuse de Roman Polanski.

Et là, on oublie tout. Parce que Polanski bénéficie de l’aura du génie mâle qui offre au monde sa vision extraordinaire à travers ses chefs d’œuvre. Tout ce qu’on a à lui reprocher c’est d’aimer un peu trop les jeunes femmes. Oui, parce qu’un homme qui agresse les femmes, les viole, profite de sa notoriété pour exercer une emprise et les contraindre à des actes sexuels, c’est juste un homme « qui aime trop les femmes ».

Encore cette idée de l’homme viril qui assume sa mission de butiner toutes les jeunes filles en fleur, par pure bonté d’âme et sens du sacrifice. Le débat est lancé : doit-on et peut-on séparer l’homme de l’artiste ? Une nouveauté ? Non, la question est souvent posée, laissant supposer que le problème est réglé. Mais qui invite-t-on à débattre du sujet ? Qui s’exprime ? Les réactions sont effarantes.

De la part d’Arthur Nauzyciel, directeur du TNB qui justifie le maintient des séances au ciné-TNB, de la part de la Ligue des droits de l’Homme qui défend la position d’Arthur Nauzyciel ou encore de la part de Paris Matchqui titre en Une une citation de Polanski, qui accorde une interview exclusive : « On essaie de faire de moi un monstre ».

Du côté d’Harvey Weinstein, même topo. Fin décembre, il voit le début de son procès arriver à grande vitesse (pas comme lui, qui arrive au tribunal en déambulateur). Récemment opéré du dos, il « accepte » une interview dans le New York Post, dans laquelle il dévoile son sentiment « d’avoir été oublié ».

Pauvre de lui ! Lui qui a été « pionnier », comme il le dit, en matière de droits des femmes à Hollywood. Pas étonnant que leur stratégie de défense ou de communication joue sur la victimisation de leur propre personne…

« Il faut cesser la solidarité avec ces hommes. Ce n’est pas facile de renoncer à cette virilité mais c’est la seule chose à faire si on veut être un allié des féministes. Le viol ne concerne pas uniquement les filles. »

Elles sont plus nombreuses à subir des agressions sexuelles et des viols, c’est certain. Mais ce n’est pas « un problème de filles ». C’est un problème de société, infusée dans la culture du viol. Cette même culture du viol qui vise à penser que les hommes ne sont pas violés. Le viol est une arme punitive. Un acte de sanction. D’humiliation. De destruction

. Parce qu’il est homosexuel, transgenre, non binaire, étranger, pas dans la norme, un homme peut être victime d’agressions sexuelles et/ou de viols. Et on peut même en rire, paraît-il !

Au cours de sa conférence, donnée dans le cadre des Mardis de l’égalité, Valérie Rey Robert diffuse un extrait du film Gangsterdam, de Romain Levy, avec Kev Adams. Dans la scène, un homme menace deux autres avec une arme, pendant que ses copains se retournent pour ne pas voir ça.

Un des amis, visiblement très préoccupé par le sort des deux méchants à deux doigts de se faire buter, propose alors une alternative plus soft : qu’un des gangsters suce l’autre gangster. Ces derniers n’ont pas du tout envie mais sont quand même bien soulagés de ne pas crever. Tout est bien qui finit bien...

Dans la joie et la bonne humeur, on est censé-e-s assister à cette scène de fellation forcée, donc de viol, dans un climat très homophobe ? Le film, diffusé en mars 2017, qui parle de « viol cool » a heureusement fait un flop. Mais peut-on se réjouir que seulement 370 000 personnes (principalement des ados) aient vu cette scène (sans parler de toutes les autres répliques qui seraient apparemment de même acabit concernant les arabes, les juifs, les prostitués, etc.) ?

Quand arrêtera-t-on de produire et de diffuser des films qui contiennent des signes forts de la culture du viol, mais aussi de racisme et de LGBTIphobie ?

On ne peut pas cautionner que ce soit la confusion entre violences et sexualité, le soi-disant flou autour du consentement (la fameuse zone grise), ce pseudo humour qui en fait reflète exactement ce que pensent les personnes qui écrivent le scénario, réalisent le film et jouent les rôles des personnages… Il nous faut regarder les œuvres artistiques avec un autre regard. 

ÉCOUTER LES FEMMES

Et écouter celles qui à un moment donné ont été victimes. Et surtout ne pas s’arrêter aux idées reçues que l’on a autour du viol, comme l’explique Valérie Rey Robert dans son ouvrage :

« Entretenir la culture du viol ne signifie évidemment pas qu’on est soi-même un violeur. Lorsque la créatrice de mode Donna Karan dit, en défense d’Harvey Weinstein, que « les femmes cherchent les ennuis en s’habillant de cette manière », elle entretient la culture du viol en alimentant une des plus vieilles idées reçues en la matière. Mais, bien sûr, elle ne viole personne par cette parole. Il convient donc bien de dissocier les deux. Entretenir la culture du viol signifie que par ses mots ou ses actes on entretient un climat où la victime est culpabilisée et le violeur excusé, pas qu’on viole. »

Par des mots, par des actes ou par de l’indifférence. Quand on parle d’un viol, notre esprit se réfère à un schéma construit sur des idées reçues. La femme est blanche, porte une jupe ou une robe, rentre seule chez elle la nuit, l’homme est racisé, issu de la classe populaire, en situation de précarité, et a surement un physique « atypique » ou banal.

La femme est entièrement dans la norme de beauté : hétéro, cis, mince, sans handicap physique ou mental. Sur le site de Nous Toutes 35, le jour de la manifestation, on peut lire l’intervention des Dévalideuses, un collectif féministe qui lutte contre les idées reçues sur le handicap :

« Aujourd’hui nous défilons pour protester contre toutes les violences que nous subissons. Nous toutes. Enfin, sauf les femmes handicapées. C’est comme les vieilles, on va éviter d’y regarder de trop près, et on va aussi éviter de les imaginer avec des relations sexuelles, c’est trop dérangeant. Et puis de toute façon, personne n’oserait leur faire du mal, n’est-ce pas ? Vous y croyez vraiment ? Qu’une population fragilisée comme celle-ci constituée de personnes dépendantes aux soins, soit épargnée des violences physiques et sexuelles perpétrées par les hommes ? Avec le handicap, le catalogue des violences s’agrémente de mille possibilités. »

Elles listent rapidement, mais efficacement, les difficultés que vont rencontrer les femmes handicapées qui dénoncent les violences sexuelles subies :

« Peu importe votre handicap, votre déposition ne sera pas entendue par la police. Vous serez infantilisée et poussée vers la porte dès la première manifestation de votre différence. (…) Le milieu médical ne sera pas en reste. Racisée, votre douleur ne sera pas prise au sérieux. Queer, transgenre, ces sujets là seront balayés d’un revers de la main. Vous êtes handicapée, c’est déjà bien assez. »

Les militantes poursuivent leur discours : « Et puis bon, violer une femme handicapée, c’est presque lui faire une fleur, personne ne voudrait d’elle sans ça. Les hommes consentant à être en couple avec des femmes handicapées sont un peu des héros à leur manière non ? »

Les Dévalideuses appellent à la réflexion, à l’écoute et à la sororité. « Malgré ce climat délétère, nous vivons des romances, des histoires de cul et des histoires d’amour. Mais l’inquiétude est là, omniprésente, et le prix de la confiance donnée tellement élevé. Si vous décidez d’officialiser votre couple, votre AAH sera réduite à peau de chagrin, et votre subsistance totalement dépendante de votre conjoint. Vous connaissez les difficultés à quitter un mari maltraitant.

Ajoutez-y le ou les handicaps de votre choix, et vous aurez une vague idée de ce qu’une trop grande partie des femmes handi vivent. C’est pourquoi nous faisons entendre notre parole en cette journée dédiée à la lutte contre les violences faites aux femmes, et appelons à plus d’inclusion et de sororité dans les milieux féministes, et à terme dans la société dans son ensemble. Merci de nous écouter et de faire porter nos mots. »

TOLÉRANCE SOCIALE ET SEXISME AMBIVALENT

En janvier 2019, le Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes publiait pour la première fois un état des lieux du sexisme en France. L’occasion, s’il y a encore à le prouver, que le sexisme persiste et surtout qu’une « tolérance sociale » face à ce sexisme perdure.

Cette tolérance sociale s’applique dans ce que l’on voudrait considérer comme des détails du quotidien – et qui sont en fait très révélateurs de la puissance et de l’impact du sexisme – mais aussi dans les affaires de violences physiques et sexuelles. En pensant que ce n’est pas si grave, qu’il y a des sujets plus préoccupants et prioritaires, qu’on n’est pas concerné-e parce qu’on est un homme ou parce qu’on est une femme, blanche, mince, hétéro, cisgenre, etc.

Parce qu’aucun domaine, aucun secteur d’activités, n’est épargné par le sexisme, la lutte contre ce fléau est essentielle. Déconstruire les idées reçues et leur degré d’imprégnation dans les mentalités est un travail minutieux, qui demande rigueur, engagement et patience. Ça demande aussi de se répéter sans cesse.

Répéter que le sexisme, comme le dit Danielle Bousquet, présidente du HCE f/h, « n’est pas une fatalité et n’a rien de naturel », c’est une construction sociale inculquée depuis la petite enfance. Parce que fin 2019, on parle toujours différemment aux petites filles et aux petits garçons qui n’ont toujours pas accès à une répartition équitable des espaces tels que les cours de récréation. On pense encore qu’elles sont plus douces et maternelles et qu’ils sont plus bruyants et forts.

On pense encore que ce qu’on leur dit à cet âge-là et que les jouets qu’on leur donne, en fonction de leur sexe et de leur genre, n’ont pas d’incidence sur la manière dont ils et elles vont se percevoir et évoluer avec cette vision. L’éducation est genrée. La société est genrée. Dans Une culture du viol à la française, Valérie Rey Robert reprend une citation de Marie Sarlet et Benoit Dardenne pour exprimer l’idée d’un sexisme ambivalent :

« La coexistence du sexisme bienveillant et du sexisme hostile crée le sexisme ambivalent : ‘Être à la fois hostile et bienveillant est d’une efficacité redoutable pour maintenir son groupe dans son état de subordination.’ »

Ce sexisme ambivalent se retrouve à chaque période durant laquelle on note des avancées capitales pour les droits des femmes. Des périodes troubles, voire chaotiques, mais néanmoins clés dans les luttes et les progrès opérés. 

L’IMPORTANCE DE NOMMER

Multiplier les voix de celles qui ne sont pas entendues, rendre visible ce que l’on ne veut pas voir. Le 23 novembre, sur l’esplanade Charles de Gaulle, Olga monte sur le camion de l’organisation et prend le micro : « Je suis citoyenne, je suis française, je suis victime de violences conjugales. Le 11 septembre 2019, je suis partie de la maison. »

Elle a été étranglée dans la salle de bain par son compagnon. Elle a demandé de l’aide, on lui a dit de porter plainte et d’aller à l’hôpital. Elle a posé plusieurs mains courantes, appelé le 3919, obtenu des certificats médicaux, sans que « rien ne se passe », si ce n’est dans la sphère intime, où elle est violentée physiquement, psychologiquement, sexuellement et économiquement. Pendant 3 ans.

« Je suis allée voir des assos, voir le psy, j’ai un avocat, rien ne se passe. Mes plaintes sont là-bas depuis 1 an et demi. Monsieur manipule tout le monde. Il faut se battre, il faut déposer plainte tout de suite. Parler autour de vous sur ce que vous fait Monsieur à la maison, le dire à ses ami-e-s, le dire à ses collègues. »
conclut-elle, fortement applaudie par la foule.

Il en faut du courage pour prendre la parole et livrer le récit des violences subies, que ce soit une fois ou à plusieurs reprises. Car comme le souligne la pièce de théâtre Concerto pour salopes en viol mineur– présentée par la compagnie brestoise La divine bouchère au Tambour de Rennes 2 le 26 novembre, à la suite de la conférence de Valérie Rey Robert – celles qui osent s’exposent au regard apitoyé de la société, d’abord en tant que victime, ou plutôt en tant que pauvre chose, puis rapidement elles entendront ce que répète la voix off :

« Salopes de putain d’allumeuses en string léopard qui te disent non mais pensent oui, qui te provoquent du regard et qui pleurent quand tu leur rentres dedans. »

Les comédiennes le disent : « C’est un jeu sans règles dans lequel tu n’as pas la moindre chance de gagner. » Mais rappelons-nous, ce n’est pas une fatalité et la pièce s’achève sur la notion de résilience :

« Je suis une guerrière parce que j’ai dit alors qu’on voulait que je me taise. Parce que je refuse d’être la petite chose meurtrie que la société voudrait. J’ai trouvé moi-même la rédemption. J’ai mon casque et mon armure. C’est pas poli mais j’ai gueulé comme un animal mutilé par sa blessure. J’ai dit les mots qu’on veut taire. J’ai dit « viol » et j’ai dit « je » ! »

Evidemment, on peut transposer, il n’y a pas que le viol dont la loi du silence vient à être brisée. Les menstruations, les inégalités salariales, la charge mentale, les assignations genrées, les injonctions paradoxales, l’endométriose, la ménopause, la domination masculine, la précarité, la sexualité, la vulve, le clitoris, l’orgasme et on en passe. Les sujets sont variés mais leur point commun est qu’ils ont été rendus tabous.

Parce que comme disait Simone de Beauvoir, « nommer, c’est dévoiler et dévoiler, c’est agir ». L’animatrice de France Inter Giulia Foïs, le 19 septembre dernier, tape à juste titre un coup de gueule intitulé « Le viol n’est pas une sexualité », dans lequel elle rappelle justement cette citation et y ajoute celle d’Albert Camus : « Mal nommer les choses, c’est ajouter du malheur au monde ».

Les mots ont un sens et le langage est révélateur de la société. Encore une fois, oui, on avance. On reconnaît désormais le terme « autrice » qu’Aurore Evain révèle dans ses conférences comme n’étant pas récent, et on féminise les noms de métiers. C’est un début.

Un début de prise de conscience que les femmes ont leur place dans tous les secteurs de la société. Elles sont la moitié de l’humanité, il est impossible de conserver cette règle patriarcale prétendant que le masculin l’emporte sur le féminin. Sinon, on invisibilise les femmes et non, ce n’est pas un combat secondaire.

Le langage est utilisé au quotidien et fait passer dans l’inconscient collectif des messages forts. Si la gent féminine est évincée de la langue française, elle est amputée par conséquent de son droit à la parole. Ainsi, dans sa chronique, la journaliste a raison d’insister à propos des termes employés dans une étude américaine sur le consentement dévoilant qu’aux Etats-Unis « plus de 6,5% des femmes ont connu un premier rapport non consenti. » Elle s’indigne :

« Ça s’appelle un viol. Pas un rapport non consenti. Même si c’est plus doux. Même si c’est plus joli. »

Et note que le silence protège toujours les agresseurs. 

LES MOTS ONT UN SENS

Tuer une femme parce qu’elle est femme est un féminicide et non un drame passionnel. Depuis septembre, dans plusieurs villes en France, des militantes placardent des mots pleins de sens sur les murs et les trottoirs, sous forme de collages et de pochoirs. À Rennes, on ne peut pas passer à côté :

« On ne veut plus compter nos mortes », « Lucette, 80 ans, tuée par son mari, 84eféminicide », « Papa, il a tué maman », « Honorons nos mortes, luttons pour les vivantes, le 23/11 sortons dans la rue », « On ne tue jamais par amour », « Espérance de vie des femmes transgenres noires : 35 ans », « Elle le quitte, il la tue », « Féminicides : police complice », « Vanessa 36 ans tuée par balle par un client 2018 », « 109 hommes ont tué leur (ex) femme », « Voilée ou pas, c’est mon choix », « Dans 40 féminicides, c’est Noël » ou encore « On ne nait pas femme on en meurt », « Le sexisme est partout nous aussi »,« Violeur à ton tour d’avoir peur ».

Ces mots, ces phrases, ces vérités, il faut les lire, les entendre, les comprendre. Ce ne sont pas des « slogans chocs » comme l’écrit Le parisien, c’est une sombre réalité. Pour ces affichages, effectués sans autorisation, plusieurs militantes des Collages Féminicides, notamment à Paris et à Lyon, ont été interpellées par les forces de l’ordre. Les membres des collectifs s’interrogent :

« Nous mettons trois minutes à coller nos affiches et les forces de l’ordre réussissent à intervenir dans ce temps record. Pourquoi ne se déplacent-elles pas si vite quand des femmes en danger les appellent à l’aide ? »

Mettre des mots sur les difficultés, sur les situations spécifiques, sur les paradoxes, sur les freins, les empêchements, les tabous. Sur nos vécus. Le 28 novembre 2019, à la Maison des Associations, le groupe d’entraide Le poids des maux, en lien et avec la Société bretonne de psycho criminologie et psycho victimologie, organisait le 2ecolloque inversé, dans le cadre du 25 novembre à Rennes.

Cette journée se nomme : « Ça s’appelle violences conjugales… et après ? » Oui, les mots ont un sens. « Violences conjugales, ce sont des mots faciles à prononcer mais ce n’est pas si simple de les entendre et c’est plus compliqué encore de les comprendre. Pour les personnes qui vont témoigner, je préfère parler d’anciennes victimes car on n’est pas des victimes ad vitam aeternam. », signale la créatrice du groupe d’entraide en guise d’introduction.

Elle laisse ensuite la parole à la présidente d’honneur du colloque inversé. Muriel Salmona est psychiatre et présidente de l’association Mémoire traumatique et victimologie. Personnalité engagée, elle est reconnue par la presse en tant qu’experte. Pour elle, il faut « échanger, parler ».

Elle partage le constat que beaucoup de choses se sont passées en cette année 2019 et rend hommage aux 138 femmes (décompte au 28 novembre) tuées depuis le début de l’année par leur conjoint ou ex-conjoint :

« Pourquoi, pourquoi, pourquoi le terme féminicide s’est vraiment imposé en 2019 ? C’est grâce aux professionnel-le-s et aux médias qui ont fait l’effort de mieux nommer. Surtout, ce sont toutes les personnes qui ont été victimes qui font avancer les choses, qui se battent, qui se mobilisent. Toutes les lois qui ont changé la donne ont été votées grâce aux victimes. Ce colloque est dans cette lignée, dans l’importance de ce qui a à être révélé, changé, reconnu. »

BRISER LA LOI DU SILENCE

Oui, on voit poindre à l’horizon une prise de conscience de la société, un réveil des politiques (nous, on dirait plutôt de la récupération…) qui ont ainsi organisé plusieurs mois durant le Grenelle des violences conjugales et une mobilisation plutôt solide et solidaire. Muriel Salmona en appelle tout de même à la prudence :

« Souvent, les faits sont connus des forces de l’ordre mais les femmes et les enfants ne sont pas protégé-e-s. Il y a une absence de prise en compte de la gravité de ce qu’elles vivent. »

Des mesures, à la suite du Grenelle, ont été annoncées. Mais le travail est immense et la psychiatre en rappelle les grandes lignes : prendre en compte, dans le décompte, les tentatives de meurtres, ne pas reconnaître les agresseurs comme des bons pères, prendre en compte les conséquences psychotraumatiques dans la nécessité de soins – « Ça ne viendrait à l’idée de personne de ne pas soigner quelqu’un qui a une fracture ! Là ce sont des atteintes neurologiques mais c’est pareil. » - ne jamais abandonner aucune victime de violences, passer par le soin, passer par l’information (et la solidarité sur les réseaux sociaux)…

« La mobilisation se met en place mais on est encore loin du compte. » Assises à ses côtés, plusieurs femmes sont présentes sur la scène pour témoigner de leurs vécus. « Il y a 15 ans, j’ai rencontré le prince charmant. C’est pas marqué sur leur front qu’ils vont vous détruire entièrement. Je viens d’arriver à Bordeaux, je suis déjà isolée. J’ai un bon terrain car j’étais victime de viol déjà. Dès le début, je commence à beaucoup attendre, attendre, attendre et à m’en vouloir. La première soirée a été en fait un viol, je m’en suis rendue compte 14 ans après. », déclare Julie qui ouvre la première table ronde « Comment en arrive-t-on à pouvoir se dire victime de violences conjugales ? ».

Elle tombe amoureuse. La première insulte arrive au bout de 6 mois, un soir en boite. « Là, je me dis que je suis nulle, que je ne vaux rien, que je ne suis qu’une pute. J’intègre ces paroles-là à mon manque de confiance en moi. Malheureusement, je tombe enceinte. Heureusement, la nature est bien faite et j’avorte. Je change d’appartement, il veut les clés. Il vient juste pour me violer. Il m’insulte, me détruit psychologiquement et sexuellement. Je suis capable d’avoir des réactions envers les autres mais je suis incapable de conscientiser sur le mec avec qui je suis. », poursuit-elle.

Le déclic survient après un nouvel an. Il arrive à 23h55, l’insulte, la déshabille, la viole avec un couteau, la met devant le miroir en lui disant qu’elle est moche et il la douche :

« Et puis, j’oublie. C’est là où je me suis dit qu’il y avait un problème. Mettre les mots dessus, ça a mis 14 ans. »

Une deuxième Julie enchaine avec le récit de son expérience. Elle a une fille de 7 ans et est partie depuis 3 ans et demi. Elle se dit de nature optimiste, très positive, « la petite nana d’1m50 qui ne lâche jamais. » Ce jour-là, à la Maison des Associations, elle s’exprime :

« J’ai envie de pouvoir parler librement, sans avoir peur. Je ne sais pas depuis 2 ans où est le père de ma fille, il m’a menacée de mort 30 ou 40 fois, j’ai été battue, je suis terrifiée. J’ai tout à apprendre encore. Je m’autorise à avoir rien compris, j’accepte de partir de 1. Je suis fière d’avoir réussi à protéger ma fille. Une partie de moi est morte là-bas. Une autre est là et veut vivre et non plus survivre. »

Elle raconte qu’elle entend encore ses pas traverser l’appartement alors qu’elle vient de lui écrire une lettre lui expliquant ce qu’elle ressentait. A peine le temps de mettre sa fille de quelques mois dans son lit et il l’attrape et lui fait manger sa lettre. Aurore, elle, confie à l’assemblée - constituée de professionnel-le-s sociaux, de psychologie mais aussi des forces de l’ordre, de la justice, de la santé, de victimes de violences conjugales et d’emprise et de personnes se sentant concernées par le sujet - qu’elle n’a pas réussi à protéger sa fille.

Enfant, elle a rencontré des problèmes de santé, a grossi et a vécu du harcèlement scolaire. « Quand cet homme est tombé amoureux de moi, la faille était là et je me suis laissée avoir. Il m’a mis une claque la première fois parce que je n’étais pas d’accord avec lui. Il s’est excusé. Je suis tombée enceinte. Il était adorable au début. Ils le sont tous au début. On habitait chez mes parents, on a pris notre propre appartement et c’est là que ça a vraiment commencé. », dit-elle.

Il la bouscule, elle lui trouve des excuses. Elle cherche du travail, ses amis à lui disent que sa place à elle est à la maison. Il lui tire les cheveux, lui crache à la figure :

«Puis les coups sur la tête. C’était de pire en pire, je me retrouvais régulièrement au sol. Il y a des moments où on attend juste que ça passe. On n’est plus là moralement. On ne ressent rien, ça vient après. » Il crache au visage de sa fille lorsque celle-ci a 3 ans. Elle décide de partir pour de bon. « J’ai tout fait pour que ce mari et ce père ne puisse pas m’approcher. Personne n’a voulu m’écouter dans les institutions. Il s’en est pris à ma fille sexuellement parlant, elle avait 6 ans. Il s’en est sorti tranquillement, je dirais. », conclut-elle. 

LES HOMMES, TOUJOURS LES HOMMES

Au tour de Rachel de relater son histoire. Pas le temps, elle est interrompue par une autre intervenante qui tient à préciser que là, les témoignages viennent de femmes mais que cela arrive également aux hommes. Et tient à préciser aussi qu’elle était signataire de la tribune sur la liberté d’importuner.

C’était en janvier 2018. Dans Le Monde paraissait une tribune signée par un collectif de 100 femmes qui dénonçaient – à travers les hashtags Metoo et Balancetonporc – « une justice expéditive (qui) a déjà ses victimes, des hommes sanctionnés dans l’exercice de leur métier, contraints à la démission, etc., alors qu’ils n’ont eu pour seul tort que d’avoir touché un genoux, tenté de voler un baiser, parlé de choses « intimes » lors d’un diner professionnel ou d’avoir envoyé des messages à connotation sexuelle à une femme chez qui l’attirance n’était pas réciproque. »

Culture du viol, quand tu nous tiens ! À la française, ajouterait Valérie Rey Robert, la tribune commençant ainsi : 

« Le viol est un crime. Mais la drague insistante ou maladroite n’est pas un délit, ni la galanterie une agression machiste. »

Encore une fois, les mots ont du sens. L’article parle de « drague insistante ou maladroite », au même titre que l’étude américaine parle de « rapport non consenti ». On ne nomme pas exactement le problème. Dans le premier cas, il s’agit de harcèlement de rue (ainsi que de harcèlement moral et/ou sexuel au travail, dans les transports en commun, etc.), dans le second, de viol. 

On peut même ajouter qu’on entend encore parler de « femmes battues ». Il s’agit là de violences conjugales, un terme qui marque non seulement que les violences surviennent au sein du couple et sont effectuées par le partenaire mais aussi que les coups ne sont pas uniquement physiques, ils peuvent être psychologiques, sexuels, économiques, etc., et même tout ça à la fois. À chaque fois, le phénomène se produit majoritairement des hommes envers les femmes.

Rappeler fréquemment que certains hommes en sont victimes eux aussi, c’est nier l’effet de masse, la culture du viol, et c’est nier que la domination masculine est un système. On montre là à quel point hommes et femmes ont intégré la culture patriarcale, avec ses assignations, ses injonctions, ses paradoxes, ses violences et ses conséquences, mais aussi à quel point on craint - si en parlant des vécus spécifiques aux femmes on ne souligne pas que TOUS les hommes ne sont pas des connards – d’être étiquetée féministes anti-hommes.

Ce sont pourtant ces deux points-là, qui sèment souvent le trouble dans les esprits, qu’il faut combattre. Non, être féministe, revendiquer son droit à se balader tranquillement dans la rue sans être harcelées, son droit à s’approprier son corps, son droit à faire ses propres choix concernant sa carrière, sa vie sociale, sa vie familiale, son droit d’être reconnue en tant qu’individu (et pas en tant qu’objet, qu’elle n’est pas), son droit à la parole, son droit d’être valorisée pour son expertise, son droit d’être qui elle est (et non qui elle doit être) avec sa personnalité à elle, sa couleur de peau, sa tenue vestimentaire, sa religion ou non, ses comportements, son orientation sexuelle, son origine sociale, son groupe social, sa profession, etc. ne veut pas dire être contre les hommes. Les féminismes amènent à déplacer le regard, depuis trop longtemps androcentré, ethnocentré et hétéronormé. 

NON, LES FÉMINISTES NE SONT PAS DES RABAT-JOIES

On dit que désormais, les femmes parlent. Elles ont toujours parlé mais n’ont pas été écoutées. N’ont pas été médiatisées. Voilà, ce qui change. L’écoute, l’intérêt et le relais que l’on apporte maintenant aux témoignages. Il faut écouter, il faut entendre. Que ce soit le premier réflexe.

Celui qui remplace la remise en cause, les questions accusatrices, la curiosité malsaine. Il faut être critique, c’est certain. Pas envers les femmes qui relatent les violences sexistes et sexuelles subies mais plutôt envers un système vicieux qui se dédouane sans arrêt de ses responsabilités et se répètent de génération en génération. Soyons attentives et attentifs à ce qui se joue autour de nous.

Entre effet de communication, marketing (et pinkwashing), récupération et procédés bien ficelés depuis des lustres, il y a de quoi se faire avoir vite fait et en beauté. La lutte pour l’égalité entre les individus se doit d’être exigeante. Non, les féministes ne sont pas des rabat-joies. Elles réclament le droit à l’égalité, au respect et à la dignité. Et pour cela, elles pointent et interrogent ce qui tend et sous-tend les relations entre les hommes et les femmes.

Elles revendiquent leur liberté et brisent au fur et à mesure les tabous et les silences qui figent chaque idée reçue dans le marbre du patriarcat et du capitalisme. Elles témoignent, démontrent, expliquent, enquêtent, relatent, analysent, dénoncent, expérimentent, et concluent : rien ne différencie l’homme de la femme, si ce n’est son sexe (et encore est-ce un critère finalement ?).

Elles décryptent alors les freins et les mécanismes, communs à toutes les oppressions, et les étalent sur la place publique. En réaction, méprise, humiliation et condamnation. Elles disent non, elles disent stop. Le 23 novembre 2019, la marée violette a battu le pavé. C’était beau, exaltant, grisant.

Parce que ce jour-là, la mobilisation symbolisait ce nouveau tournant dans les combats féministes, qui s’installe depuis plusieurs années déjà. Un nouveau souffle, peut-être. Le 24 novembre, le journal Sud Ouesttitre en Une : « Ils crient ‘Assez’ ». L’enthousiasme retombe comme un soufflé. Pas parce qu’une publication a le pouvoir de nous ruiner le moral mais parce que, comme d’habitude, « le masculin l’emporte sur le féminin ».

Quelques jours plus tôt, en ouvrant l’édition du dimanche du Télégramme, on s’attarde sur la Une du journal des sports. Que des mecs. Non, une femme apparaît également. On compare les titres. Concernant les hommes : « Brest tombe sur deux as », « Nicolas Benezet : C’est l’Amérique », « Cycle cross : championnat d’Europe Van der Poel attendu », « Guingamp : merci Nolan Roux ! » et « Voile : Brest Atlantique : de la casse sur « Macif » ».

Concernant la seule femme : « Handball : Isabelle Gullden : maman est de retour ». Grosse claque. On lit le résumé :

« Alors que le Brest Bretagne Handball affronte Buducnost (Monténégro) ce dimanche en Ligue des champions, l’internationale suédoise Isabelle Gullden retrouve peu à peu ses marques, après avoir donné naissance à son fils en juillet dernier. »

S’INTÉRESSER À LA MOITIÉ, OUBLIÉE, DE L’HUMANITÉ

Ce ne sont pas des exemples isolés. Combien de médias se contentent de faire les gros titres avec le décompte des féminicides pour se donner bonne conscience ? Combien de médias réfléchissent au nombre d’expertes interrogées ? À l’image qu’ils renvoient en ne prenant pas soin de penser que les mots ont un sens ?

Combien de radios ou de chaines de télévision diffusent des émissions bourrées de clichés sexistes, racistes, LGBTIphobes, grossophobes, handiphobes, etc. ? De spectacles ou de sketches d’humoristes qui trouvent drôles de rabaisser et d’humilier les femmes, les étrangers, les homosexuels, les handicapés, etc. ?

La culture du viol repose sur le sexisme latent et la tolérance sociale envers les inégalités et les discriminations. Alors, oui, on avance. Parce que les femmes se sont battues et se battent toujours pour un meilleur accès à l’information, à une information de qualité, et pour la diffusion de cette information.

Parler de sexualité, de règles, d’endométriose, de viols, d’agressions sexuelles, d’épilation, de masturbation, de transidentité, d’intersexuation, de féminicides, de violences conjugales, de charge mentale, d’inégalité salariale, d’emprise, d’abus de pouvoir, de complexes, de normes, de transgression des normes, d’homosexualité, de parentalité, de religion, de la déconstruction de la féminité, d’homoparentalité, de PMA pour tou-te-s, de harcèlement, de féminisation de la langue, d’écriture inclusive, de racisme, de liberté, de droits, de choix, de minceur, d’obésité, de corps en tout genre, de prostitution, de l’allongement du congé paternité, d’avortement, de stratégies d’évitement, de précarité menstruelle, de manspreading, de vulve, de clitoris, de vagin, de contraception, du voile, etc. ça fait partie de la vie de 50% de la population mondiale.

C’est important d’en parler. Sans juger. Juste écouter, se renseigner, s’interroger sur ce qui constitue le quotidien de la moitié de l’humanité. Laisser s’exprimer pleinement les personnes concernées (parce qu’on peut aussi écouter un débat sur les féminismes entre Eric Zemmour, Christophe Barbier, Eugénie Bastié et Catherine Millet, mais là, ça n’apporte rien à part des souffrances et une furieuse envie d’en finir avec la vie).

Ne rien lâcher. C’est compliqué, surtout quand la justice nous met des bâtons dans les roues en ordonnant le réaffichage de la campagne anti-IVG dans les gares parisiennes. Derrière les panneaux « La société progressera à condition de respecter la maternité », « La société progressera à condition de respecter la paternité » et « La société progressera à condition de respecter la vie » se trouve Alliance Vita, « association pour la dignité humaine qui vient en aide aux personnes fragilisées par les épreuves de la vie ».

« On ne nait pas femme, on en meurt », signale un message du collectif Collages Féminicides Rennes. Elles haussent le ton, les féministes. Et elles ont bien raison. De faire retentir leur voix à l’unisson dans le Roazhon Park en chantant L’Hymne des femmes avant un match de coupe du monde, en instaurant un nouvel hymne mondial grâce à la chorégraphie Un violador en tu camino (Un violeur sur ton chemin) du collectif féministe chilien Las Tesis.

Bien raison de faire des chroniques sur les sexualités, d’exposer la multiplicité des corps, de manifester, d’enquêter sur les violences sexuelles et sexistes dans tous les domaines d’activités, de compter et de comptabiliser en pourcentage le nombre de femmes et le nombre d’hommes dans chaque secteur, de dénoncer les inégalités, de parler de leurs vécus, de dire non, de résister, de s’opposer, d’exiger de meilleures conditions de vie pour elles mais aussi pour eux et les générations à venir, de protéger la planète, de faire ce qui leur plait. Nous ne sommes qu’aux prémices d’une (lente) révolution sociétale. Ne soyons pas dupes, ne lâchons rien.

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Féministes : la lutte s'intensifie
Les voix de la colère
Priorité du quinquennat...

Célian Ramis

Alors, bac ou pas bac ?

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À situation exceptionnelle (non anticipée), mesures exceptionnelles. C’est inédit ce qui se passe pour les lycéen-ne-s en classe de Terminale. Les épreuves du Bac n’auront pas lieu. C'est-à-dire ?
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À situation exceptionnelle (non anticipée), mesures exceptionnelles. C’est inédit ce qui se passe pour les lycéen-ne-s en classe de Terminale. Les épreuves du Bac n’auront pas lieu, a annoncé Edouard Philippe hier soir. Forcément, son discours suscite réactions et interrogations…

Le 2 avril, le premier ministre fait part de deux possibilités à explorer, concernant le baccalauréat. Ce matin, le ministre de l’Education a tranché : les épreuves seront validées sur la base du contrôle continu. Soit les notes obtenues depuis le début de l’année scolaire, période de confinement exclue.

Cela vaut également pour le brevet et les baccalauréats technologiques et professionnels. Seule l’épreuve de français, pour les élèves de première, est maintenue à l’oral. Les coefficients restent les mêmes, les mentions aussi.

Pour les candidat-e-s de terminale ayant obtenu entre 8 et 9,9 sur la base du contrôle continu, iels pourront passer des oraux de rattrapage. Les élèves pourront aussi se présenter à la session de septembre, tout comme les candidat-e-s libres.

Sur Twitter, c’est la déferlante de réactions de la part des concerné-e-s. Et c’est assez amusant. Déjà de constater que les plus nombreux à s’enthousiasmer de cette nouvelle sont majoritairement des garçons, qui revendiquent le fait d’avoir triché toute l’année pour obtenir leur baccalauréat sans aller à l’examen et ainsi faire un pied de nez à leurs professeur-e-s leur disant « Le jour du bac, vous ne pourrez pas tricher. »

Ensuite, iels regrettent de ne pas pouvoir connaître les joies des résultats et les grosses soirées de fête qui suivent la fin des examens mais annoncent très rapidement qu’iels ne comptent plus suivre les cours en ligne dispensés par leurs professeur-e-s. En revanche, les cours sont fixés jusqu’au 4 juillet et ça les ravit nettement moins, selon les gifs employés.

Et puis, il y a celles et ceux qui comprennent que pour elles et eux, c’est foutu : « Ça ce fait tellement pas, les profs nous mettent tous des notes assez basses car ils sont exigeants pour qu’on ai notre bac et au final on aura même pas l’occasion de prouver qui on est. HONTE À LA FRANCE ET SON SYSTÈME ÉDUCATIF NUL. » (Une réponse de prof ne tarde pas à arriver : « Ou on voit aussi des élèves qui ne font rien de l’année et qui essaient de se réveiller 1 semaine avant les épreuves. »).

Finalement, cette mesure et les arguments des lycéen-ne-s – soulignant également leur frustration de ne pas passer les examens pour lesquels on les prépare depuis le début de leur scolarité – démontrent que ce système est sans doute à repenser entièrement.

Enfin c’est le tweet de Marie de Montpensier qui attire toute notre attention : « Attendez vous êtes en train de me dire qu’à cause d’un virus… l’épreuve de littérature est annulée… donc ma dernière chance pour être le sujet de l’épreuve tombe à l’eau #BAC2020 »

Remettons les choses dans leur contexte : La princesse de Montpensier, écrit par Mme de La Fayette, est le premier texte rédigé par une autrice à avoir fait son entrée dans les œuvres étudiées pour le baccalauréat littéraire. En 2017.

Oui, ça fait mal. Et quand on va sur son compte, c’est là qu’on voit que les lycéennes réagissent, constatant en effet qu’en trois ans, La princesse de Montpensierne sera jamais tombée dans les sujets du bac. Une info que notent également les garçons. Et ça, c’est peut-être réjouissant. De voir une nouvelle génération d’élèves, sensibles aux questions de parité.

Définitivement, le système doit être repensé. Les autrices, compositrices, femmes politiques, actrices de l’Histoire, les sportives, etc., doivent être étudiées dès le plus jeune âge (et pas que les femmes blanches hétérosexuelles cisgenres et valides).

Et même en confinement, on peut les découvrir par différents biais. Grâce aux Culottéesde Pénélope Bagieu, série adaptée en dessins animés (avec la voix de Cécile de France), à la mini série d’Arte sur Les espionnes racontentou encore sur la plateforme Matilda Education.

Aucun rapport avec le baccalauréat ? Pas si sûr-e-s.

Célian Ramis

La clitocratie en pérille mortelle

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Bienvenue en Matriarcate. Ici, les menstruations ne sont pas une taboue, la féminine l'emporte sur la masculine et les petites filles jouent avec des armes à feu. Vous l'aurez compris, ici, les femmes dominent depuis la Nuit des temps...
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Jeudi 12 mars, la maison de quartier de Villejean accueillait, un an après la représentation de Contes à rebours, la comédienne et autrice Typhaine D. qui présentait son one woman show féministe La pérille mortelle. Un spectacle drôle et engagé.

Et si on imaginait un monde dans lequel le ciel est le sol et le sol est le ciel ? Ou un monde dans lequel les autres animaux sont décrétés supérieurs et tuent les humains pour en manger la viande et les foies gras ? Et en profitent pour accrocher dans leur salon leurs trophées de chasse ? La tête de Polanski, comme ça au hasard… Ou un monde dans lequel les outils de jardinage sont inversés et c’est bien le bordel parce que dans ce cas on se roule des râteaux et on se fout des pelles ?

Un monde dans lequel les truies dénonceraient les porcs sur Twitter avec le #balancetonhomme. Ou encore un monde dans lequel 90% de la population mondiale posséderait presque toutes les richesses mondiales, les 10% restant étant des hommes, blancs, pauvres.

Et si on allait un peu plus loin et on imaginait un monde dans lequel les femmes détiennent le pouvoir et dominent les hommes ? Alors oui, on la voit venir Typhaine D. mais on se laisse embarquer par curiosité et par plaisir dans sa proposition de société inversée. Comme elle le dit si bien : « Ça a beau être sans conséquence l’imagination, c’est un peu subversif… »

Nous voilà donc en Matriarcate, où la règle grammaticale de la française est simple : la féminine l’emporte sur la masculine. Ici, les petits garçons sont éduqués à la passivité et à la douceur, éduqués pour s’occuper des autres et des tâches domestiques. Ce sont eux qui dans les contes attendent patiemment du haut de leur tour d’être délivrés par la princesse. Eux qui souffrent du syndrome du schtroumpf.

En Matriarcate, les femmes exhibent fièrement leurs menstruations et les manuels scolaires sont remplis de clitoris et de vulves. En SVT, en classe de 4e, on étudie toute l’année l’organe sexuel féminin dans sa fonction reproductrice mais aussi dans sa fonction de plaisir, et on accorde tout juste une demi journée à l’organe sexuel masculin. 

Les poils sur les femmes sont super féminins et automatiquement dégueulasses et moches sur les hommes, obligés d’être minces. Les femmes, elles, ont des dérogations donnant droit à la bedaine. Elles sont les héroïnes, ils sont les oubliés de l’Histoire. On ne connaît que les femmes de Cro Magnone et de Néandertale, « les copines qui mettaient du sang de menstruation partout. » Puis vinrent les fama erectus, les fama sapiens, etc.

En Matriarcate, on sait soigner l’endométriose, les femmes ne souffrent plus de douleurs menstruelles, les hommes développent des tas de complexes et un des plus gros tabous est l’érection hors mariage. « Mais vous avez quand même des privilèges les copains, on vous ouvre la porte quand vous passez ! », scande Typhaine D. cynique à souhait.

On rit à l’évocation de cette énumération aussi jouissive que sa veste pleine de pins pour les droits des femmes. On rit encore plus quand elle revient en « vieille femelle dominante », animant une conférence de rédaction. À l’ordre du jour : la représentation des hommes dans les médias. Non pas pour creuser la problématique en profondeur, non, plutôt pour trouver « comment on justifie qu’on y arrive pas, à la parité… »

En Matriarcate, il existe plusieurs techniques. Celle du « On n’était pas au courant ». Celle du « On n’y est pour rien et d’ailleurs nous, dans notre entreprise, on en cherche des hommes ». Celle du « C’est de leur faute à eux, nous on leur propose des postes à responsabilités et ils n’en veulent pas ». Ou encore celle de l’empathie : « J’ai trop de respect pour mes amis réalisateurs pour faire l’offense de les sélectionner parce qu’ils sont des hommes ». 

Elle en profite pour faire un point langage. Sur l’écriture « inclu-excessive ». L’argument est choc : les mots ne sont pas au féminin, ils sont neutres, tout le monde a bien compris qu’au féminin, on ne parle pas des femmes mais de tout le monde.

« On ne va quand même pas doublé tous les mots ?! Comme ma copine Jine Delajardine, les MeToo, # machin… Je suis fatiguée ! »
poursuit-elle. 

Un féminicide donc vaut aussi bien pour le meurtre d’une femme que d’un homme. C’est évident. Il est important de continuer de parler de crimes passionnels, de drames familiaux, etc. Et surtout de bien accentuer sur le profil des agresseuses : femmes noires migrantes précaires. Il est impératif que les hommes continuent de penser que ce sont des faits isolés et qu’ils n’ont pas de liens entre eux : 

« C’est importante. Ils ne doivent pas se rendre compte que c’est une système matriarcale. »

C’est d’autant plus jubilatoire quand elle fait apparaître une membre prestigieuse de l’Académie Française : Aline Finkielkroute qui a légèrement modifié son nom, sinon ça se prononçait « Finkielkrotte ».

Et elle y va franchement : « Chères consœurs ovariennes, chères éjaculeuses de Sainte Cyprine, mes chères comatriotes. » Et elle ne lésine pas sur les « Elle était une fois » et « La féminine l’emporte sur la masculine. » Elle enfonce le clou : « La genre féminine est neutre ». Et elle frappe, même après avoir mis ses adversaires à terre : « La langue ne vous concerne que quand on vous la demande. »

Elle est odieuse, méprisante, misandre et perverse. Et elle ne s’appuie que sur des discours et des propos réellement tenus par des hommes, dans le but de rabaisser les femmes. Comme ceux qui ont été étalés dans Valeurs actuelles, criant ici à la nouvelle terreure masculiniste, et arguant qu’ils préfèrent le foot masculin et cassent l’ambiance en soirée.

« Leur écriture incultive et obscène, c’est une pérille mortelle ! », scande-t-elle en conclusion de ce brillant spectacle à l’épilogue savoureux, puisque Typhaine D. rend une femmage à Michèle Sardousse, à la guitare électrique. Evidemment, une femmage à ce glorieux titre sur les « hommes des années 2020, hommes jusqu’au bout du frein ».

On se marre vraiment pendant le one woman show de Typhaine D. Parce qu’elle gratte la merde en profondeur et avec, elle éclabousse le patriarcat, et ça, forcément, ça nous met en joie. Ça fait du bien d’en rire d’ailleurs. La comédienne réussit là où de nombreuses personnalités échouent. Car inverser les rôles est un exercice périlleux et elle, le fait avec beaucoup de talent.

Féminiser l’ensemble de son langage est une gymnastique qui demande rigueur et entrainement. Déjà, c’est impressionnant. Ensuite, ce qui fonctionne avec l’artiste, en parallèle de son enthousiasme, son cynisme et sa légèreté, ce sont les exemples et les arguments dont elle se saisit pour faire basculer le cours des événements.

C’est parce qu’elle est renseignée, c’est parce qu’elle maitrise le sujet lorsque celui-ci est à l’endroit, c’est parce qu’elle comprend et saisit les mécanismes de domination, qu’elle parvient à les renverser et les inverser. Et au passage, à nous faire rire, de par ses choix de thématiques, mais aussi de par ses mimiques et du rythme qu’elle donne à son spectacle. 

Tout ce qu’elle relate est affreux, dans les faits. Mais qu’est-ce qu’elle les met bien en perspective ! On est ébahi-e-s par sa prestation et par l’énergie que ça dégage et procure dans la salle. Elle contrecarre les discours haineux visant à réduire les féministes à des hystériques rabat-joie et pointent toutes les dissonances de nos sociétés actuelles en matière d’égalité femmes-hommes. 

De l’éducation dès la petite enfance aux institutions phallocentrées, en passant par les tabous autour du sexe, qu’il s’agisse des menstruations, de l’organe ou de la sexualité, par l’histoire écrite par et pour les hommes ou encore par les injonctions et les violences faites aux femmes, elle ratisse large (ou elle pelle large, si on se trouve dans un monde où les outils de jardinage ont été inversés) mais elle ratisse bien (ou elle pelle bien, on aura compris). On regrette en revanche que l'inversion reste au niveau de la dominance présupposée : femme blanche cisgenre hétérosexuelle.

C’est extrêmement libérateur de s’autoriser à rire en écoutant et en regardant Typhaine D. sur scène. D’imaginer les mecs à notre place et de s’imaginer, nous les meufs, à leur place, tel que cela est présenté dans La pérille mortelle, c’est drôle. Et cela n’implique pas que l’on soit pour l’inversion des rôles. Simplement, elle démontre qu’il est urgent de déplacer notre regard, mais aussi et surtout le curseur entre les individus. 

 

Célian Ramis

L'éducation à l'égalité, pas encore gagnée...

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Le 12 mars, le CIDFF 35 réunissait à la MIR, Geneviève Guilpain, enseignante-chercheuse et philosophe, et Janine de Nascimento, présidente de l’association Égalité par Éducation, pour parler éducation à l'égalité.
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« Former à l’égalité : défi pour une mixité véritable ». L’intitulé est un peu barbare et pourtant, l’enjeu est important. Jeudi 12 mars, le CIDFF 35 réunissait à la MIR, Geneviève Guilpain, enseignante-chercheuse et philosophe, et Janine de Nascimento, présidente de l’association Égalité par Éducation, pour une conférence autour du sujet. 

En règle générale, ce qui profite au patriarcat, c’est la confusion qui règne dans les esprits, soit par manque d’information, soit par un trop plein de concepts et de notions à comprendre et à intégrer. En guise d’introduction, Géneviève Guilpain proposait donc de mettre à plat certains points. Histoire de commencer sur un pied d’égalité.

Ainsi, elle commence par définir la mixité, soit le mélange de personnes des deux sexes dans une même communauté. Dans Le mélange des sexes, l’anthropologue Françoise Héritier explique que pour pouvoir parler de mixité, il faut qu’au moins 30% du groupe soit constitué par des femmes (la conférence tourne autour de la mixité entre les deux sexes et n’aborde pas un autre type de mixité).

Juridiquement, elle rappelle que tout est ouvert et mixte. Ça, c’est dans la théorie, puisque dans la pratique, les loisirs et les métiers, par exemple, sont genrés. Pour certains, comme professeur-e-s des écoles, le mélange s’effectue très peu. On compte 90% d’institutrices en maternelle et 80% en élémentaire.

« Les textes sont là pour garantir la mixité mais elle n’est pas réelle. Par exemple, la langue française est extrêmement genrée. Il y a aussi une confusion : la mixité n’est pas l’égalité. On peut poser la question de l’occupation des cafés par exemple : est-ce que ce sont des lieux de mixité ou de pseudo mixité ? À certains endroits, les femmes ne se sentent pas ou plus autorisées à les fréquenter. On peut poser la question aussi de la rue : est-ce que les femmes et les hommes se comportent de la même manière dans l’espace public ? Prenons l’école maintenant, la cour de récréation est-elle un endroit mixte ? Filles et garçons peuvent fréquenter les écoles mixtes depuis 1975 mais l’occupation de nos espaces est fortement différente et inégale dans nos cours de récréation… Enfin si on veut prendre encore un exemple, il y a celui de la prise de parole. Il peut y avoir 80% de femmes dans la salle, c’est souvent un homme qui pose la première question après une conférence.»

La mixité ne signifie ni la parité, ni l’égalité. Et Geneviève Guilpain l’affirme : on ne peut pas aller trop loin dans l’égalité. « Les féministes ne sont pas trop égalitaires. Ça n’a pas de sens de dire qu’elles sont trop égalitaires. Tout comme ça ne veut rien dire de parler des sexes opposés. Hommes et femmes ne s’opposent pas. Ça vient de l’idée récurrente que la différence entre les deux sexes relève d’une complémentarité naturelle… », souligne-t-elle. 

Cette approche philosophique date du 18esiècle et de Jean-Jacques Rousseau et son traité sur l’éducation, Emile ou de l’éducation. Les hommes et les femmes ne seraient pas comparables. Ainsi, comme ils sont différents, leur destinée sociale ne peut pas être identique. Jean-Jacques Rousseau en conclut qu’il faut les éduquer de manière différente. 

« Quand on forme à l’égalité, c’est déterminant de montrer que les stéréotypes s’enracinent dans une Histoire et dans des systèmes. Il faut agir avec tact et ne pas stigmatiser les individus. C’est une organisation générale qui est en cause, et non pas un individu seul. »

commente-t-elle, en présentant quelques dates clés :

19esiècle : division sexuée des savoirs et séparation des corps. 1850 : la loi Falloux ordonne l’ouverture des écoles aux filles. 1924 : unification des programmes. 1971 : 50% des étudiants sont des femmes. 1975 : la loi Haby rend la formation scolaire obligatoire entre 6 et 16 ans.

En somme, ce qu’elle préconise dans un premier temps, c’est de bien définir les termes et de les mettre en perspective dans leur contexte historique et patriarcal. Ensuite, concrètement, l’observation par chaque enseignant-e de ses propres pratiques, de ce qui se passe dans ses cours, dans la répartition de la parole en classe mais aussi dans la répartition des espaces en maternelle, comme en élémentaire.

« Les enseignants laissent faire car ils ne s’en rendent pas compte. Ils sont persuadés de mettre en place une pédagogie égalitaire. »
souligne-t-elle.

Pour autant, elle ne juge pas outre mesure le personnel enseignant qui n’est pas exempt de l’absorption des stéréotypes genrés inculqués depuis la petite enfance. On reste dans le général et dans le politiquement correct, soit. Pour Geneviève Guilpain, il est donc important de travailler sur la formation des enseignant-e-s mais aussi sur les outils d’accompagnement et d’éducation, comme les manuels scolaires par exemple, « encore aujourd’hui assez archaïques ».

Elle conseille en conclusion d’enrôler les élèves dans ces démarches, comme le propose Edith Maruejouls, spécialiste de la géographie du genre. Les élèves peuvent être initiés aux recherches sociologiques pour apporter les preuves menant ensuite à la déconstruction. L’enseignante-chercheuse donne l’exemple d’un plan de la cour de récréation, réalisé par un collégien.

C’est le même principe qu’avait utilisé la réalisatrice Eléonor Gilbert dans son court-métrage Espace, dans lequel une fille nous explique la répartition genrée et très inégalitaire de sa cour de récréation. Le documentaire a été diffusé à Rennes à plusieurs reprises aux Champs Libres, dans le cadre des Docs au féminin, organisés par Comptoir du doc. 

IMPLIQUER LES ÉLÈVES

C’est justement pour pourfendre les stéréotypes en tous genres avec les personnes concernées qu’est née l’association Egalité Par Education, aussi appelée ÉPÉ. La mission : éduquer à l’égalité en créant des outils pédagogiques à mettre à disposition des jeunes.

Dans cet axe, la BD Égaux sans égo a été créé à la suite des réponses reçues à un questionnaire ainsi que d’un débat autour d’un film. Leurs paroles ont été recueillies et adaptées en cinq histoires regroupées autour des thématiques Image vestimentaire, Sport, Ordis et jeux vidéos, Mixité des filières et Relations amoureuses et sexualité.

« On ne comptait pas en rester là, relate Jeanine de Nascimento. Sur le temps scolaire et sur le temps périscolaire, des jeunes ont mis en scène nos histoires. Leurs histoires. Et ils ont présenté ça à la biennale de l’égalité à Lorient en 2014. Il y a eu aussi plusieurs forums lycéens organisés. »

En 2016, elle s’exporte au Maroc à l’occasion du premier festival de la BD ado. En 2017, le 8 mars précisément, une version numérique – travaillée en collaboration avec le réseau Canopé – est mise en ligne. La course d’orientation, qui a été présentée à la biennale, est même interactive.  

En 2018, ÉPÉ propose un concours à la manière des Lettres persanes, en Belgique, en France, en Tunisie et au Maroc. Cette matière donne lieu à un roman graphique, Au carrefour des mondes, élaboré par l’autrice Gwénola Morizur et la dessinatrice Laëtitia Rouxel, toutes deux artistes rennaises. 

Dans celui-ci, se croisent mondes terrestre, intergalactique et mondes intérieurs des adolescent-e-s. Et surtout engendre une réflexion sur les questions de sexisme qui traverse nos sociétés. « Le roman graphique est présent dans les collèges et les lycées. Il est mis à la disposition des élèves. L’éducation, c’est notre grande affaire. », termine Jeanine de Nascimento. 

Multiplier les actions en direction des personnels éducatifs et en direction des élèves. Les amener conjointement à une réflexion autour l’éducation à l’égalité, en les faisant participer à cette évolution et construction. Un travail de longue haleine qui a le mérite de chercher des solutions et des outils ludiques pour nous faire avancer ensemble, vers plus de mixité et vers l’égalité.

 

Célian Ramis

En mathématiques, comment résoudre l’équation de l’égalité ?

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Les mathématiciennes étaient mises à l'honneur à la MIR le 11 mars, dans le cadre de l'exposition "Remember Maryam Mirzakhani" et de la conférence sur la place des femmes dans les mathématiques.
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Les filles, elles sont nulles en math. Elles n’ont pas l’esprit scientifique. C’est plutôt un truc de garçon. Evidemment, ce sont des idées reçues et des stéréotypes issus d’une construction sociale agissant à travers l’éducation genrée dès le plus jeune âge, qui influe ensuite sur l’orientation scolaire, les choix universitaires et enfin sur les carrières professionnelles.

À la Maison Internationale de Rennes, 18 tableaux ornent la galerie du 10 au 17 mars dans l’exposition Remember Maryam Mirzakhani, orchestrée par le Committee for Women in Mathematics (Comité pour les Femmes en Mathématiques) en 2018 autour de celle qui reste aujourd’hui encore la seule femme à avoir obtenu la médaille Fields en 2014, lors du Congrès International des Mathématiciens.

Actuellement, dans le monde, circule 20 copies de cette exposition dont les droits sont donnés gratuitement par le CWM en fonction de la cohérence du projet examiné. Le 15 octobre 2019, l’université Rennes 1 la dévoilait pour la première fois à Rennes à l’occasion de l’inauguration de son amphithéâtre Maryam Mirzakhani.

À chaque fois, il est exigé de bien respecter le format et l’ordre des affiches, établies selon le parcours de cette femme, née en Iran en 1977 et qui grandit à Téhéran. Au lycée, elle étudie dans un établissement dédié aux filles exceptionnellement douées et très vite, elle remporte la médaille d’or lors des Olympiades Mathématiques Internationales, en 1994 et en 1995.

Tous les posters renvoient à une thématique de sa vie. Que ce soit à travers des photos de famille, des photos de sa fille Anahitah qui pensait, voyant sa mère faire des dessins sur des feuilles, que celle-ci était une artiste peintre, d’elle en train de travailler. Mais aussi à travers des mots, de concepts et de citations. Jusqu’à la compilation d’articles de journaux abordant sa mort en 2017, à la suite d’un cancer du sein.

Elle est un formidable exemple de réussite, dépassant les frontières des assignations genrées. Mais aussi une exception. Malgré elle. Elle est la première et unique mathématicienne à avoir obtenu la médaille Fields à ce jour. Une médaille remise tous les 4 ans, à 4 lauréat-e-s âgé-e-s de moins de 40 ans.

« Sur 55 ou 56 titulaires, il n’y a eu qu’une seule femme depuis que la médaille a été créée, en 1936 je crois. Maryam a eu un destin tragique puisqu’elle est décédée à 40 ans. Elle n’a pas pu donner son exposé dans ce cadre-là car elle était déjà atteinte du cancer du sein. Mais elle voulait dédier sa distinction à toutes les femmes qui viendraient après elle. »
précise Marie-François Roy, présidente du CWM.

UN MONDE DE MECS…

Le 11 mars, après le vernissage de l’exposition, le laboratoire de mathématiques de Rennes 1 proposait de poursuivre les réflexions autour d’une conférence sur la place des femmes dans les mathématiques, animée par Nicoletta Tchou, chargée de mission Parité et lutte contre les discriminations et maitresse de conférences en mathématiques.

Le monde des mathématiques est reconnu comme majoritairement masculin. Les femmes représentent 30%, dans le monde, à la base des mathématiques, c’est-à-dire dans les écoles de formation. Dans les revues et dans les lauréat-e-s des prix, elles ne sont plus que 10% et ce pourcentage n’a pas évolué depuis 50 ans, ce qui n’est pas le cas dans d’autres disciplines scientifiques, comme la chimie par exemple.

« Depuis 1996, jusqu’à 2016, la part des filles en série S est passée de 42% à 47%. La pente est faible mais quand même, on voit une augmentation du nombre de filles en S. On voit en revanche, dans le suivi post bac, que les études médicales sont plus choisies par les filles qui avaient des profils scientifiques au lycée que les sciences dures ou l’ingénierie. En fait, dès qu’il y a de l’humain dans l’intitulé, il y a globalement plus de filles. », souligne Nicole Guenneuguès, chargée de mission égalité filles-garçons au sein du rectorat.

De son côté, Christophe Ritzenthaler, responsable de la commission Parité de l’Institut de recherche mathématique de Rennes, fournit des chiffres nationaux et locaux. En France, on comptabilise 21% de femmes dans le secteur des mathématiques dans les universités. Un chiffre stable depuis 1996. Elles sont 27% à être maitresses de conférences et autour de 10% au niveau supérieur. Dans les mathématiques dites « pures », on compte 31 femmes pour 467 hommes.

« Et ce n’est pas plus réjouissant à Rennes. En fait, on perd à chaque étage. Plus on progresse dans les échelons, plus on perd les femmes. Parmi les doctorant-e-s et post-doctorant-e-s, il y a environ 30% de femmes et 10% au niveau supérieur. », précise-t-il. 

Avec la commission, il s’est replongé dans des études concernant le recrutement. Il en partage une avec la salle. 127 CV, en biologie, sont fournis à un comité de recrutement composé de manière paritaire. Parmi les CV, certains sont identiques, sauf qu’un exemplaire est au nom d’une femme et qu’un autre exemplaire est au nom d’un homme. Résultat : plus de postes sont proposés aux hommes, « avec des meilleurs salaires ! »

DES LEVIERS À ACTIONNER

Les discriminations ne s’effectuent pas toujours de manière consciente. Le sexisme commence dès le plus jeune âge à travers l’éducation genrée. On ne parle pas de la même manière aux filles qu’aux garçons, on n’attend pas d’elles et d’eux les mêmes comportements et compétences, on privilégie les qualités d’écoute et d’empathie pour les filles et des qualités d’actions pour les garçons.

« Un des premiers leviers, c’est celui de la formation des personnels. Au-delà des mathématiques. Femmes et hommes enseignant-e-s ont aussi des représentations stéréotypées. Ça se voit avec les mêmes copies, le regard, les encouragements et les commentaires ne sont pas les mêmes. Quand on attend quelque chose de nous, on a tendance à aller vers cet attendu. Pour les garçons, c’est plus de savoir compter. Pour les filles, de savoir parler. »
explique Nicole Guenneuguès.

Au sein de l’académie, différentes actions sont mises en place, comme par exemple une journée de formation à destination des professeur-e-s de mathématiques pour lutter contre la menace du stéréotype, une journée Filles et Maths composée de conférences animées par des mathématiciennes, de speed meetings et d’un théâtre forum sur les stéréotypes, ou encore un partenariat avec Orange sur la base de marrainages, afin de travailler sur la confiance en soi et le poids du modèle.

Un projet interdisciplinaire, dont nous fait part Marie-Françoise Roy, a permis d’interroger 32 000 scientifiques (50% de femmes et 50% d’hommes) sur leurs conditions, vécus et ressentis afin d’établir un diagnostic assez précis et représentatif de la situation et de construire une base de données des initiatives à travers le monde.

Sur le site du projet (gender-gap-in-sciences.org), on retrouve donc l’enquête globale qui témoigne qu’environ un quart des femmes ont eu une expérience personnelle de harcèlement sexuel durant leurs études ou au travail, et que les écarts de salaire sont significatifs entre les hommes et les femmes, la parentalité ayant un impact très différent sur les vies des hommes et des femmes.

On trouve également l’étude des modes de publication qui analyse des millions de publication, de 1970 à aujourd’hui dans les domaines de l’astronomie, les mathématiques, la chimie ou encore la physique théorique. Résultat : moins de 10% d’autrices dans les revues renommées en 1970 / 20% d’autrices dans les revues renommées en 2020. Sauf en mathématiques, où elles restent à moins de 10%.

Enfin, l’enquête délivre des recommandations aux parent-e-s et enseignant-e-s, aux organisations locales (départements scientifiques des universités, centres de rencontres, groupes de recherche dans l’industrie) ainsi qu’aux unions scientifiques.

A titre d’exemple, parent-e-s et enseignant-e-s peuvent encourager à des activités non mixtes adaptées pour stimuler la confiance des filles en elles-mêmes et leurs capacités à s’exprimer, ou encore utiliser des livres et des médias promouvant l’égalité femmes-hommes et mettant en évidence les contributions des femmes dans les sciences.

Les organisations locales peuvent créer une atmosphère de travail respectueuse et de qualité, définir des bonnes pratiques pour prévenir, signaler et résoudre les cas de harcèlement sexuel et de discrimination au travail, ou encore prendre en compte l’impact de la parentalité sur les carrières des femmes.

Les unions scientifiques peuvent travailler collectivement au changement de culture et de normes pour réduire les différents aspects des inégalités entre femmes et hommes, et peuvent encourager la diversification des prix scientifiques mais aussi encourager la présence de femmes dans les comités éditoriaux, etc.

« Il y a beaucoup d’initiatives pour que la situation évolue. Mais c’est extrêmement lent. Car c’est le reflet d’autres problèmes dans la société. Le problème ne va pas être facile à résoudre car on rencontre des blocages profonds. Il y a des actions à faire à tous les niveaux, à tous les étages. »
commente la présidente du Committee for Women in Mathematics.

DES AVANCÉES ET DES RÉSISTANCES…

En effet, on sait que le sexisme est systémique, comme le racisme, les LGBTIphobies, le validisme, etc. On doit donc travailler sur la déconstruction des stéréotypes auprès des adultes et sur la construction d’un modèle et de valeurs égalitaires. Dès le plus jeune âge, une nouvelle pédagogie doit être pensée et appliquée. Et le travail est en cours. Malheureusement, on sait que toutes les villes, tous les territoires, ne s’accordent pas sur les mêmes enjeux, à la même vitesse, ce qui creuse également les inégalités dans le sujet de l’égalité.

Toutefois, il est évident que les initiatives sont à encourager. Christophe Ritzenthaler intervenait le 11 mars sur quelques exemples d’axes mis en place : « La commission a été créée en 2018 et nous avons donné 3 axes. Un par année. Le premier, c’est de regarder le recrutement. Le deuxième, le vivre ensemble. Et le troisième concerne les questions d’enseignement. »

En France, il est interdit de créer des postes spécifiques, pour les femmes. « Mais on peut sensibiliser nos collègues, transmettre les statistiques, échanger. Dans le comité de recrutement, on a mis en place un couple de veilleurs chargé de vérifier que l’on n’a pas fait d’oubli dans le recrutement. », signale-t-il. 

Même chose du côté des séminaires où il a fallu également discuter de la faible présence des femmes. En un an, leur présence a quasi doublé dans les événements organisés :

« Il suffit que les collègues se rendent un peu compte. Et c’est pareil pour les financements de colloques et de séminaires. On met maintenant des conditions. »

Il y a donc un travail à réaliser pour permettre la prise de conscience de tout ce qui se joue au niveau des inconscients, des impensés. Il y a aussi un travail de sensibilisation et d’échanges. Le comité a donc également fait appel au théâtre forum, outil ludique et interactif qui met en scène les situations de discrimination et demande la participation des volontaires, dans le public, pour proposer des manières de dénouer le problème.

Et puis, il y a les résistances. Dans les couloirs du labo, un affichage permanent valorise les mathématiciennes en Europe. « Par deux fois, les panneaux ont été vandalisés. », conclut-il. C’est souvent là que ça coince. Dans la phase de valorisation. Parce que nombreuses sont les personnes à ne pas comprendre pourquoi on met l’accent sur les femmes et non sur les femmes et les hommes. 

Le sexisme est systémique. Il se niche dans le quotidien et dans ce qui semble être du détail. En mathématiques, comme en littérature, on retient les noms des hommes qui ont marqué l’histoire. Parce qu’on étudie uniquement les auteurs et les mathématiciens et quasiment jamais les autrices et les mathématiciennes. Pourtant, nombreuses sont leurs contributions à l’histoire, et par conséquent à ce qui donne la société dans laquelle nous évoluons actuellement.

Célian Ramis

Girl power ou comment passer de la femme futile à la femme fatale

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Du mouvement féministe punk aux tee-shirts prônant le Girl Power en grosses lettres, en passant par les Spice Girls, les Totally Spies et Beyonce, le slogan symbolisant l’émancipation des femmes est-il une mascarade pilotée par le capitalisme ?
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Du mouvement féministe punk aux tee-shirts prônant le Girl Power en grosses lettres, en passant par les Spice Girls, les Totally Spies et Beyonce, le slogan symbolisant l’émancipation des femmes est-il une mascarade pilotée par le capitalisme ? Dans le cadre des Mardis de l’égalité, à l’université Rennes 2, Camille Zimmermann, doctorante en Etudes culturelles au laboratoire LIS (Littérature, Imaginaire, Société) à l’université de Lorraine, décortiquait le 10 mars dernier la question en analysant l’histoire du Girl Power à travers la culture populaire. 

Sur l’écran, deux photos. Celle du haut montre Britney Spears qui joue la gladiatrice en petite tenue (à l’occasion d’une pub pour Pepsi, réunissant Pink, Beyoncé et Britney Spears contre Enrique Iglesias) et prône le Girl power. Celle du bas montre Brienne de Torth, vêtue de son armure, accompagnée du message : « Bitch please ».

« Est-ce que l’une ou l’autre a raison ? Les deux ont-elles raison de revendiquer le girl power ? La réponse est complexe. En tout cas, ce que l’on voit, c’est que les deux s’en sentent capables. », commente Camille Zimmermann, avant de remonter le temps et nous emmener dans la période post 68 et post féministe.

Mai 68 marque un élan humaniste au sein duquel la société tente de se porter davantage vers les luttes sociales, dont celles concernant les droits des femmes. Mais comme le souligne la doctorante, « c’est une période étouffée dans l’œuf, l’élan humaniste s’essouffle, il y a le choc pétrolier de 73, la montée du chômage, la mise en place des politiques de rigueur aux Etats-Unis et en Europe, et arrivent alors les valeurs néolibérales et donc individualistes. »

En parallèle, on assiste au développement de l’idéologie post féministe. Celle que Susan Faludi théorise comme le « backlash », c’est-à-dire le retour de bâton. En résumé, on remercie les féministes pour leurs combats et on dit qu’il est temps de passer à autre chose, car ça y est l’égalité est là.

On encourage les femmes à être plus ambitieuses et moins discrètes, et en même temps, on signale quand même que les luttes militantes ont un peu donné lieu à des générations de femmes désormais perdues dans leur identité de genre. Et on fait passer celles qui poursuivent leurs engagements pour des hystériques. C’est là nier toutes les problématiques sexistes restantes.

Le mouvement punk vient transgresser les normes et les interdits et s’affiche comme anticonsumériste et anticapitaliste. Le Do It Yourself ne s’applique pas seulement aux vêtements ou aux objets mais aussi à la musique, dans la manière de produire et de diffuser les disques.

« Certes, le mouvement punk est toujours dans la rupture mais il devient, après des débuts prometteurs, machiste comme les autres milieux. Les femmes ne profitent pas de l’entraide prônée entre les musiciens, pour apprendre à faire de la guitare, brancher son ampli, etc. Les femmes punkEs subissent beaucoup de harcèlement et souvent de présomption d’incompétence également. »
précise Camille Zimmermann.

La réaction arrive dans les années 90 avec le mouvement des Riot Grrrl dont on dit que Kathleen Hannah est la figure de proue (lire notre focus sur le sexisme dans les musiques actuelles, YEGG#87 – Janvier 2020). Le mouvement se crée « un studio à soi », comme aime le dire la doctorante qui fait là référence à Virginia Woolf. Les musiciennes instaurent un espace d’entraide et de paroles, c’est au même moment que naissent les ladyfest. 

Elles répondent à trois problématiques : l’hégémonie masculine dans le milieu du punk, l’hypocrisie de l’idéologie post féministe et l’austérité qu’elles sentent parfois dans la pensée féministe. Elles montent sur scène en sous-vêtements pour des raisons politiques, elles parlent de masturbation, du tabou des règles et créent le Girl Power qui apparaît pour la première fois en Une du deuxième numéro de Bikini Kill fanzine.

Très rapidement, les médias les pulvérisent. Notamment, la presse musicale qui les décrédibilise en écrivant qu’elles ne savent pas ce qu’elles font. Dans les concerts, elles sont interrompues par les hommes qui imitent le cri du loup ou qui gueulent « A poil », hypersexualisant leurs corps et les réduisant au statut d’objs.

Pour autant, le Girl Power n’est pas jeté à la poubelle. Sur la scène musicale et la scène médiatique, arrivent les Spice Girls. Cinq femmes castées selon un plan marketing. Un groupe 100% féminin fabriqué de toute pièce qui revendique le Girl Power, tout en effaçant le côté musiciennes des punkEs et en tablant uniquement sur leurs physiques et leurs apparences.

Dans leurs chansons, elles exigent le respect dans leurs relations amoureuses. Point. Le capitalisme a pris l’idée du Girl Power en y ajoutant l’idéologie post féministe. On l’appose désormais à la production culturelle à destination de la jeunesse et on fabrique des success story en romantisant la manière dont une jeune fille partie de rien est devenue une star.

C’est l’ascension vers la gloire et la notoriété qui est mise en valeur, non les compétences et le talent. C’est là un formidable marché qui s’ouvre au capitalisme qui s’engouffre dans la brèche pour exploiter de nouvelles opportunités de ce « marché de filles ». On crée le marketing genre et la taxe rose.

« Les petites filles peuvent jouer aux voitures ! Mais pas celles de leurs frères… Non, il faut qu’elles soient roses et avec fleurs. », souligne Camille Zimmermann.

Le nouveau Girl power est dépolitisé et sa « transgression » est contrôlée, de manière à servir les intérêts du marché. Mais on note tout de même au fil du temps une amélioration de la figure de l’héroïne. On s’éloigne petit à petit du modèle de la jeune fille docile, obéissante, qui attend le prince Charmant. A présent, elle n’est plus dans la passivité, elle se bat et sauve des vies.

On le voit dans Buffy contre les vampires, dans Charmed, dans Xena, dans Sydney Foxet un peu plus tard dans le dessin animé les Totally Spies… Les fictions mettant en avant des filles et des femmes explosent dans les années 90. Et on constate que les filles font des objets roses des objets de fierté d’une identité de genre. Les accessoires et autres, roses, à froufrous, pailletés, etc. deviennent des symboles de réappropriation et des moyens d’asseoir leur supériorité sur les hommes. C’est ce qu’une chercheuse va nommer le syndrome du pinky frilly dress (robe rose à froufrous).

« Finalement, on passe d’un carcan à un autre. Les femmes ne sont plus dans l’attente mais elles sont dans des rôles de femmes fatales. Et le cahier des charges est très exigeant. Il faut être mince, avec des formes quand même pour être aguicheuse, entrer parfaitement dans les normes et les canons de beauté, dont les standards sont purement occidentaux. Quand il y a des femmes noires, souvent, elles ont un teint assez clair et elles ont les cheveux lisses. »
analyse Camille Zimmermann.

Elle montre alors comment la beauté est utilisée en tant que plus value de l’héroïne qui va pouvoir user de ses charmes auprès des hommes pour obtenir ce qu’elle veut. Lors des transformations, comme celle de Sailor Moon par exemple, on va insister sur leurs gestes gracieux et les changements opérés… qui se limitent souvent à de l’esthétique : elles ont après transformation, des bijoux, du vernis, des bottes à talons : « On remarque que ce ne sont quand même pas les vêtements les plus pratiques pour partir au combat en général… »

Mais le Girl power, dirigé par le capitalisme, donne l’idée que les femmes se réapproprient des critères de beauté, alors qu’en fait on revalide simplement les codes de la féminité déjà imposés. La capacité d’empuissancement est dont limitée par ce fameux cahier des charges qui standardise les femmes.

Côté réflexion, elles ne font pas non plus la démonstration de bien réfléchir à toutes les situations dans lesquelles elles s’engagent. C’est souvent le cas de Buffy par exemple qui fonce dans le tas et apprend ensuite à travers son observateur quels sont les tenants et aboutissants.

« On ne leur attribue pas l’esprit critique, alors que l’intellect est quand même un élément clé pour l’émancipation… », souligne la doctorante. 

Elles sont belles mais futiles, elles se comparent entre elles et n’adhèrent pas à la sororité. Elles ne disposent pas librement de leur corps, des savoirs et des pouvoirs (leurs pouvoirs sont souvent limités). Selon la règle du triple refus mis en perspective par Françoise Héritier, elles n’ont pas les moyens de s’émanciper réellement.

Aujourd’hui, on constate que le Girl power se répand également dans la communication institutionnelle. Les marques s’en emparent à tour de bras. Indesit sur la répartition des tâches, Nana sur la force physique des filles et les clichés, Barbie sur les femmes dans l’Histoire, etc.

Le point positif que note la conférencière, « c’est qu’ils ont enfin remis le message à l’endroit. Maintenant, les pubs disent ‘tu es aussi forte qu’un homme, ne laisse pas la société te dire le contraire’. »

On voit aussi des icônes pop comme Pink, Beyoncé ou Miley Cirus, plus engagées qu’avant. Et plus de célébrités osent annoncer qu’elles sont pansexuelles, bisexuelles, homosexuelles, et/ou transgenres.

En parallèle, on lâche un peu du lest sur l’hypersexualisation des héroïnes et sur le male gaze. On y va plus franchement sur les problématiques féministes comme la menace autour du droit à l’avortement, la culture du viol, les institutions patriarcales, etc. Les héroïnes réfléchissent davantage et on voit apparaître une nouvelle figure : celle de la leadeuse. Elle se bat, entraine avec elle et inspire.

La femme n’est plus unique, elle est enfin plurielle et on commence à intégrer la diversité de genre, d’orientation sexuelle, d’ethnie et de culture dans les productions culturelles. La sororité est montrée à l’écran, notamment à travers l’excellente scène de Sex Education(saison 2) réunissant plusieurs lycéennes dans un bus, en soutien à une des jeunes filles présentes, ayant subi quelques jours plus tôt une agression sexuelle. 

« Alors, sommes-nous encore dans la mascarade  du Girl Power ? Quelque part, oui. Le féminisme présenté n’est pas ultra militant, pas très approfondi. Il est souvent convenu. Surtout si le budget est gros. On reproche un manque d’approfondissement dans les postures, on parle souvent d’un féminisme pop, qui serait un féminisme blanc. Ce qui peut paraître surprenant puisqu’on a parlé de Beyoncé et de Chimamanda Ngozi Adichie, qu’on accuse de ne pas vouloir vraiment la fin des inégalités mais juste de vouloir prendre leur place auprès des hommes. », précise Camille Zimmermann.

Elle poursuit tout de même sur une nuance dans cette mascarade car on ne peut que constater que l’évolution est réelle. Le féminisme n’est plus un gros mot et l’image de la militante a changé.

Elle ajoute : 

« Je me méfie des injonctions à la perfection des femmes et encore plus des injonctions à la perfections des féministes. »

On peut aussi voir les accusations à l’encontre de Beyoncé et de Chimamanda Ngozi Adichie comme des attaques sexistes et racistes, visant à les décrédibiliser aux yeux des femmes blanches et de limiter l’impact émancipateur que leurs messages pourraient avoir sur les femmes noires.

Peut-on toutefois établir que le Girl Power est une mascarade ? Est-il synonyme de féminisme ? Ou simplement un gros fourre-tout ? Pour Camille Zimmermann, il est un outil de mesure sociétal avant tout. Il indique quel est le féminisme à la mode, le féminisme qu’on peut se permettre, le féminisme qui ne prend pas le risque de faire perdre des auditeurs ou des téléspectateurs :

« Il sert à savoir quelles sont les causes féministes validées par le grand public qui vont devenir économiquement viables. On remarque que les queer commencent à être accepté-e-s mais les femmes voilées, pas du tout. Ou quand on met un personnage voilé, il est extrêmement stéréotypé. »

En conclusion, Camille Zimmermann explique : « L’expression Girl power n’est pas un slogan de militantisme. C’est un outil de mesure tout simplement. Il montre où est la moyenne entre le conservateur et le progressisme. »

Après sa conférence, elle est accompagnée de Laure Fonvieille, metteuse en scène, costumière et co-présidente d’HF Bretagne, et de Manuela Spinelli, co-fondatrice et ancienne présidente d’Osez le féminisme 35, et co-fondatrice et secrétaire de l’association Parents & Féministes, à Rennes, pour une table-ronde.

Aucune des deux militantes n’utilise le terme Girl power et leurs associations non plus. « On parle plutôt de sororité. Ce qui est différent du Girl power car avec la sororité, on n’est pas dans un côté capitaliste. Au contraire. », signale Laure Fonvieille, à propos d’HF Bretagne. 

« Dans le théâtre contemporain, il y a des offres culturelles très intéressantes. Il n’y a pas besoin d’être Beyoncé. En fait, on aborde beaucoup la question du matrimoine. On a un héritage culturel, composé du patrimoine, ce qui nous vient des pères, et du matrimoine, ce qui nous vient des mères. C’est un axe par lequel on milite. Il n’y a pas que Frida Kahlo »
précise-t-elle. 

Manuela Spinelli, avec l’association Parents & Féministes, essaye également de proposer une offre culturelle plus large mais met l’accent principalement sur l’analyse et la déconstruction des stéréotypes genrés et la valorisation d’une offre à contre courant : « On met en avant ce qui nous paraît relever d’une conscience féministe plus honnête dans les livres, les séries, les magazines… »

Evidemment, le travail est colossal. Parce que dès la naissance de l’enfant, voire même déjà lors de la grossesse si on connaît le sexe du futur enfant, on l’envisage différemment selon si c’est une fille ou un garçon. On ne s’adresse pas à l’enfant de la même manière, on n’allaite pas forcément de la même manière, on ne répond pas aux pleurs de la même manière, etc. Tout leur univers dès leur arrivée parmi nous est genré.

Les parcours ensuite sont bien connus. Il y a les assignations de genre, la division des tâches et des rôles, l’encouragement des garçons, la disparition des filles. Et dans les arts et la culture, on le sait bien grâce aux diagnostics, suivis et analyses d’HF que les femmes sont très présentes dans les écoles et puis, plus on monte dans l’échelle sociale des reconnaissances et financements, plus les femmes sont mises sur la touche.

« Les femmes ont moins de sous pour créer, elles sont donc aussi moins distribuées. On nous dit souvent qu’on ne programme pas un sexe mais un talent. Mais le talent, c’est avant tout du travail, de la visibilité et des moyens. Le problème est systémique. Les dessins animés qui sont moins genrés, peut-être qu’ils ont moins de moyens et moins de visibilité. », commente Laure Fonvieille. 

C’est systémique. Elle le redit car sur les plateaux de théâtre par exemple, mais ce n’est pas la seule discipline dans ce cas-là, il n’y a que très rarement des actrices et acteurs gros-se-s, noir-e-s, arabes, etc : « Aïssa Maïga l’a dit lors de la cérémonie des César, il faut que ça change ! »

Elle est rejointe par Manuela Spinelli :

« Oui, on valide le point de vue des dominants. Moi, ce qui me fait le plus peur, c’est l’homogénéité des corps. Cette norme ferme et nette de laquelle on n’arrive pas à se libérer. On rentre toujours dans le domaine d’un corps fait pour être regardé. Il manque des corps sujets, qui agissent, qui pensent, qui se connaissent. Parce que la privation de la connaissance de son propre corps, c’est un élément clé de la soumission des femmes. »

Après cette conférence, ça tourne et ça tourne dans nos têtes. Nous qui avons grandi avec les Spice GirlsBuffy contre les vampires,Charmed et qui maintenant écoutons Beyoncé après avoir dévoré les deux saisons de Sex Educationen très peu de temps. Sommes-nous tombé-e-s dans le panneau du capitalisme ? Parce qu’on l’a prôné nous aussi cet esprit Girl power, sans réellement le connaître et chercher à le comprendre. 

Et puis on réfléchit et on se dit que ce ne sont pas là nos seules références en matière de féminismes. On a lu des livres, des BD et des essais, on a regardé films, séries et documentaires sur les différentes problématiques d’hier et aujourd’hui, on a rencontré et on rencontre toujours des tonnes de femmes, militantes ou non, et on a écouté et écoute toujours leurs visions et leurs analyses de la société actuelle.

Peut-être qu’en effet le Girl power n’est qu’un outil de mesure. On y voit tout de même une certaine source d’inspiration, qui ne doit pas se limiter à cette simple offre culturelle. La curiosité doit nous mener à explorer toutes les richesses que les individus ont à nous apporter.

Célian Ramis

Les femmes et les LGBTIQ+, toujours sur la touche du football

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Sa conférence-performée se présente comme un match de football dont elle est l’organisatrice, la joueuse, la commentatrice et l’arbitre en même temps. Mais le jeu se déroule ici sur le terrain des inégalités.
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C’est au sous-sol du TNB que résonnent, ce dimanche 9 février, les airs de coupes du monde de football. « Magic in the air », de Magic System, ou encore « Waka Waka », de Shakira, Hortense Belhôte les ralentit, en les accompagnant au ukulélé. Cet après-midi-là, la comédienne, metteuse en scène et historienne de l’art présentait sa conférence-performée Une histoire du football féminin, dans le cadre des Menaces d’éclaircie (festival Waterproof / Les Tombées de la Nuit).

Sa conférence-performée se présente comme un match de football dont elle est l’organisatrice, la joueuse, la commentatrice et l’arbitre en même temps. Mais le jeu se déroule ici sur le terrain des inégalités. Lors de la première mi-temps, Hortense Belhôte se concentre sur la première partie du XXe siècle, époque durant laquelle les femmes commencent à s’émanciper.

PREMIÈRE MI-TEMPS

Au sortir de la Première guerre mondiale, non seulement les femmes investissent les terrains de football mais elles créent également des organisations pour les femmes. Dans les années 1920, le peintre mexicain Angel Zarraga peint d’ailleurs une série sur les Footballeuses.

Dans l’Hexagone, elles jouent en coupe de France et intriguent les journalistes. Jeunes, pas mariées, ouvrières, dactylos… certaines sont là pour l’effort musculaire, d’autres pour la compétition et l’envie de gagner, et d’autres encore viennent de familles sportives.

Mais en parallèle, les critiques pleuvent et s’abattent sur la gent féminine. Fortement impliqué dans l’essor et le développement des sports, et connu pour être le rénovateur des Jeux Olympiques, Pierre de Coubertin ne s’illustre pas dans l’accompagnement des femmes dans le milieu sportif. Si celles-ci veulent exercer une activité, qu’elles le fassent mais en toute discrétion et sans public…

Les arguments sexistes se multiplient : pour (soi-disant) des raisons esthétiques, médicales, financières et morales, les femmes feraient mieux de ne pas se mettre au sport. Ou au moins, de ne pas trop en faire.

« Violette Morris est une sportive, footballeuse, lanceuse de poids, lanceuse de disque, aviatrice, qui fait aussi du waterpolo… Et qui s’affiche bisexuelle. Elle est exclue pour atteinte aux bonnes mœurs. »
explique Hortense Belhôte. 

En 1929, gros krach boursier. Montée du chômage. Les femmes rentrent à la maison, « Marie Claire et Vogue prennent en charge la culture féminine. » En 1941, le gouvernement de Vichy interdit vigoureusement la pratique du football féminin. L’arbitre Belhôte siffle : « Fin de la première mi-temps. Autant vous dire qu’on ne mène pas. »

DEUXIÈME MI-TEMPS

La deuxième mi-temps est dédiée à la seconde partie du XXe siècle, époque qui connaît l’essor de la télévision et voit le football devenir une histoire de gros sous. Après 30 ans d’absence, les footballeuses sont de retour.

Nous sommes dans les années 70 et les femmes luttent pour l’accès légal à la contraception, à l’avortement, le partage de l’autorité parentale ou encore pour le droit à disposer librement de leurs salaires.

C’est aussi l’âge d’or des filles du stade de Reims, et certaines font le tour du monde pour la reconnaissance du football féminin. Mais elles ne sont toujours pas considérées comme professionnelles. Pour cela, il faudra attendre encore plusieurs dizaines années.

« Après ses années rebelles, le football féminin va être mis sous la tutelle de la Fifa. On réécrit alors l’Histoire et on dit qu’ont lieu les premiers championnats officiels dans les années 80/90. »
souligne l’historienne de l’art.

La deuxième mi-temps touche à sa fin : « Et le match est toujours un peu nul. » Mais l’issue n’est pas encore déterminée. Sonne alors l’heure des « tirs au (dé)but du XXIe siècle ». Heureusement, depuis une dizaine d’années, le vent tourne et on retransmet à la télévision française les matchs des footballeuses. 

TIRS AU BUT

Panini édite son premier album à l’effigie des joueuses. En parallèle, la coupe du monde de football masculin, en 2010, est une catastrophe. Brigitte Henriques, ancienne footballeuse française et internationale, devient vice-présidente de la Fédération Française de Football. Sa mission : féminiser le football.

Les femmes sont plus que jamais sous les feux des projecteurs. Mais à quel prix ? Là où avant, on leur filait des maillots trop grands, on les faisait jouer sur des terrains pourris le dimanche après-midi, désormais on les expose face aux médias et au public, avec des maillots cintrés et des shorts courts.

« Elles passent à la télé et doivent changer de visage. Le slogan, l’an dernier, pour la coupe du monde de football féminin, c’était quand même « Le moment de briller »… Et la mascotte apparaissait avec les cheveux longs, du maquillage et faisait des cœurs avec ses doigts… »
commente la comédienne. 

Elle dénonce le sexisme et la lesbophobie qui règne dans le milieu du football. Si à l’OL, on encourage les femmes à parler de leurs maris et de leurs enfants, on laisse encore une fois sur la touche les lesbiennes.

Côté mecs, même combat, l’homosexualité n’est pas mieux traitée, rappelle-t-elle, indiquant qu’a lieu le premier coming-out en 1990. L’auteur de celui-ci se suicide en 1998.

Pour Hortense Belhôte, l’instant est au débrief. Malgré les embuches, les femmes résistent et percent à la fois les stratégies d’attaque et les stratégies de défense du patriarcat. Pour autant, peut-on penser qu’elles ont gagné le match ?

DEBRIEF

On est ravi-e-s de retrouver Hortense Belhôte, dont on avait déjà fortement apprécié la conférence-performée « Les arts du sexe », au Diapason (Rennes 1) en décembre 2017. Toujours aussi percutante, pertinente et militante.

Avec ses diapos, son humour, sa voix, son esprit et son corps, elle nous plonge sans difficulté aucune dans l’histoire du football féminin, grâce aux recherches effectuées dans les ouvrages de Laurence Prudhomme-Poncet, profe d’EPS et autrice, et de Béatrice Barbusse, handballeuse et sociologue du sport.

Mais avant cela, ce qui motive sa démarche, c’est sa participation au spectacle de danse contemporaine de Mickaël Phelippeau, Footballeuse,et son expérience personnelle avec le ballon rond, au sein du collectif Les dégommeuses, qu’elle ne nomme pas dans la conférence mais dans une interview à Libération : 

« J’ai aussi fait l’expérience d’un autre football, dans le club des Dégommeuses, qui au-delà du sport est aussi un club militant, luttant pour le droit des femmes, des personnes LGBT et des migrants. J’ai pu donc, grâce au football, voyager, jouer des matchs dans des compétitions internationales, me permettant de me rendre compte des nombreuses questions sociales que l’on peut déceler à travers le football, notamment auprès des populations vulnérables que sont les réfugiés ou encore les populations LGBT de certains pays du monde. De fait, tout l’enjeu a été de restituer ces deux choses : d’une part mon histoire personnelle, avec ma passion pour le foot et mon engagement militant, et d’autre part l’histoire des femmes dans ce sport, afin de gagner en vérité et en profondeur. »

C’est une réussite. Elle distille avec agilité et habileté des analyses géopolitiques, de l’Afrique du Sud à l’Afghanistan, entre deux dates, deux citations ou encore deux photos de Wiltord et de Cissé, pour mettre en perspective le contexte et les conditions dans lesquelles s’intègre l’histoire de ce football, qui à l’image des injonctions paradoxales est toujours trop ou pas assez.

Ainsi, dans la conférence-performée d’Hortense Belhôte, il y a du contenu scientifique, de l’expérience personnelle, du sens critique, de la légèreté, de l’engagement et plus encore. Elle se saisit d’un sujet encore sous-exploité qui pourtant nous apparaît depuis l’an dernier, et la médiatisation autour de la coupe du monde, comme étant largement traité.

C’est là toute la puissance et la subtilité du travail et de la création de la comédienne. Produire du divertissement au sens noble du terme, en nous ouvrant les yeux sur les angles morts du patriarcat et du capitalisme. On la suit avec plaisir et on en redemande.

Célian Ramis

Rokhaya Diallo : « Ne pas voir les couleurs, c’est un luxe »

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Le 21 janvier, la journaliste, autrice, militante antiraciste Rokhaya Diallo était à l’université Rennes 2, au Tambour précisément, pour échanger, dans le cadre des Mardis de l’égalité, autour de la thématique du corps.
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Le 21 janvier, la journaliste, autrice, militante antiraciste Rokhaya Diallo était à l’université Rennes 2, au Tambour précisément, pour échanger, dans le cadre des Mardis de l’égalité, autour de la thématique du corps, et particulièrement quand celui-ci sort du cadre normatif. Un cadre normatif imposé par les personnes dominantes, blanches, occidentales, cisgenres, hétérosexuelles, valides…

« Ne pas voir les couleurs, c’est un luxe. », explique Rokhaya Diallo qui souligne que pour les personnes racisées, voir les couleurs est justement une acuité qu’il leur faut développer pour survivre au quotidien. 

D’où l’introduction des podcasts de Kiffe ta racedans lesquels Grace Ly et elle, toutes deux animatrices de l’émission, demandent à leurs invité-e-s si ielles se situent sur le plan racial et si oui, comment : « C’est important de dire que quelque soit le groupe social auquel on appartient, on a un rapport situé à la race. Ensuite, on essaye de voir comment la question raciale est entrée dans leur vie. »

Comme de nombreuses personnes racisées, Rokhaya Diallo a découvert, en France, qu’elle était une femme noire à travers le regard des autres. Dans l’Hexagone, pays qui est le sien, elle le dit, elle a toujours été traitée comme une femme noire.

Penser que se situer, s’affirmer en tant que personne blanche ou en tant que personne racisée, n’a pas d’impact au quotidien pour soi et pour les autres, c’est nier le rapport de domination qui existe. Elle parle de processus :

« Noir-e, c’est une construction socio-historique liée à la domination. Noir ou blanc, c’est une altérité radicale qui permettait de justifier qu’on asservisse la population. Noir-e est un processus et non une description parce que les noir-e-s ne sont pas noir-e-s réellement, il y a une carnation très variée de la peau noire. Et les blanc-he-s ne sont pas blanc-he-s, on se rapproche plus du beige… »

Et souvent la valeur d’une personne croit et décroit en fonction de la clarté de sa peau. Plus la peau est claire, plus la personne est valorisée. Plus la peau est foncée, plus la personne est dévalorisée. Et l’Histoire a montré avec la théorie de la goutte de sang que les humains dominants pouvaient aller très loin : aux Etats-Unis, cette règle affirmait que quiconque avait ne serait-ce qu’un ancêtre d’ascendance africaine était considéré comme noir et pouvait donc être potentiellement réduit en esclavage.

LES AUTRES, LES NON-BLANC-HE-S

Rokhaya Diallo note également que l’on désigne les personnes racisées par des couleurs mais que l’on ne nomme jamais les blanc-he-s. « C’est la question de Qui a le droit de nommer ? Qui a le droit de réagir ? », interroge-t-elle. La couleur de peau sert à souligner que la personne n’est pas blanche. Soit pas dans la norme établie par un rapport de domination, qui subsiste encore profondément aujourd’hui. 

De même, « on ne décrit jamais la forme des yeux sauf pour désigner les personnes asiatiques. Et quand une minorité nomme la majorité et dit donc « blanc-he-s », on dit que les membres de cette minorité sont racistes. Il n’y a qu’à voir les réactions extrêmement hostiles qu’il y a eu lorsque Lilian Thuram a parlé des blancs. »

Elle le dit, le démontre et insiste : ne pas voir les couleurs est un luxe de privilégié-e-s. Un luxe qui dénote également une touche d’hypocrisie. D’un côté, on ne voit pas les couleurs. D’un autre, on interroge sans cesse les personnes non blanches sur leurs origines (réelles ou supposées). 

« Ça n’a aucun sens de ne pas voir les couleurs. C’est absurde. Peut-on être maquilleuse sans voir les couleurs ? Peut-on être coiffeur sans voir les couleurs ? Non. Nous, on ne peut pas se permettre de ne pas voir ce que ça implique dans le quotidien. »
déclare-t-elle. 

La militante en vient à aborder la question raciale d’un point de vue publicitaire, commercial. Pour elle, pas question de penser que les entreprises sont militantes, quand elles proposent des poupées Barbie racisées ou quand elles sortent un hijab de running, mais :

« Il y a des femmes musulmanes aussi veulent aller courir ou veulent à la piscine. Les entreprises ont des raisons commerciales, marketing. Comme Barbie. Je ne pense pas que ce soit la révolution féministe chez Mattel mais c’est important pour les petites filles, et les petits garçons, de voir des poupées handicapées par exemple. Ça n’empêche pas d’avoir un regard critique. Mais ça répond à des besoins. Tout le monde n’a pas le luxe de pouvoir boycotter une entreprise capitaliste qui traite mal ses employé-e-s. Encore une fois, c’est une question de privilèges. »

Elle rappelle la réalité par exemple des personnes noires qui ne trouvent pas en supermarché de shampooing adapté à leurs cheveux. Ou de produits cosmétiques adaptés à leurs teints. Il faut alors se tourner vers une boutique spécialisée, penser à s’y rendre puis s’y rendre. La charge mentale des personnes racisées est une question négligée, voire même méprisée.

SYMBOLES DE L’IMPENSÉ

Les inégalités sont profondes et restent encore largement impensées quand il s’agit de les regarder et de les analyser à travers la question raciale. Et des écarts se creusent quand certaines personnes médiatisées à outrance, à l’instar des Kardashian, s’approprient un héritage.

« La silhouette associée aux femmes noires était considérée comme vulgaire. La Vénus Hottentote a été étudiée même après sa mort, comme un corps anormal, comme un corps de cirque. Un corps qu’aujourd’hui les Kardashian essayent de reproduire. Et ça, ça leur rapporte de l’argent ! Elles en tirent des bénéfices alors que les femmes noires qui sont naturellement comme ça sont considérées comme vulgaires ! »

À la question « Est-ce là de l’appropriation culturelle ? », Rokhaya Diallo répond du tac au tac que « l’appropriation culturelle, c’est quand Kim Kardashian essaye de déposer le mot « kimono » comme original. Alors que tout le monde sait que « kimono » existe déjà et ce que ça désigne. »

L’exemple fait rire et sourire dans la salle. Mais finalement, elle pointe là une réalité qui existe et agit dans le quotidien, sans que l’on envisage sa violence, en tant que personne située dans la norme blanche occidentale. Tout comme elle avait souligné dans une émission la problématique du sparadrap, qu’elle évoque comme symbole de l’impensé.

« Les personnes non dominantes doivent sans cesse s’adapter. On prend la couleur du sparadrap comme acquise. Alors, on m’a dit « Oui, mais le sparadrap, il est pas vraiment blanc, c’est plus beige, plus foncé. » Oui, enfin le sparadrap il a quand même une teinte plus proche de la peau des blanc-he-s que de la mienne. Il y a le sparadrap mais il y a l’oreillette à la télévision, les collants, on dit « couleur chair »… ou même les chaussons de danse ! Les danseuses noires, elles teignent leurs chaussons en noir. Vous imaginez là encore le temps qu’elles y passent ? C’est du temps où elles ne dansent pas. Il faut sans cesse s’adapter, passer du temps à se renseigner, aller chercher le produit, colorer les trucs… Au CAP coiffure, ne pas savoir coiffer les cheveux crépus n’est pas un critère pour le diplôme. Qu’est-ce que ça veut dire ? Ça veut dire que si tu as des cheveux crépus, peut-être que dans ton salon de coiffure, on ne va pas savoir s’occuper de toi. Qu’il va falloir te renseigner sur l’endroit où te faire coiffer, que ça va coûter cher, peut-être même finalement que tu vas pas être coiffé-e. Il faut habiter les grandes villes et mettre une logistique en place.», précise-t-elle. 

Pour son exemple du sparadrap, elle sera cyberharcelée pendant 15 jours. Parce que comme elle le dit, elle a fait exister sur la sphère publique un sujet qui n’avait jamais été traité. « Cette agressivité est liée par le fait qu’ils aient contraints de se positionner par rapport à ça. », précise l’autrice de La France tu l’aimes ou tu la fermes ?.

JUSQU’OÙ VA LA STIGMATISATION, LE MÉPRIS, LA MOQUERIE ?

Le corps non blanc est pensé et vu comme un corps hors norme. Pire, il est pensé et vu comme un corps qu’on peut habiter. Dont on peut se parer pour se déguiser. C’est bien là l’enjeu du blackface que Rokhaya Diallo tient à traduire en français par le terme barbouillage, soulignant ici l’ancrage de cette pratique - visant à se grimer pour ressembler aux personnes noires – en France (mais aussi en Europe, dans les pays esclavagistes).

« Quand on se déguise, on met un costume qui représente une profession ou une personnalité connue. On ne se déguise pas en autre humain. C’est là la manière la plus brutale de déshumaniser l’autre. On imite pour se moquer. On animalise, on décrédibilise une partie de la population. Et souvent dans des espaces où ces personnes sont minorisées. »
scande Rokhaya Diallo. 

Elle fait référence notamment au sketch « Le chinois » de Gad Elmaleh et Kev Adams : « Ils font un sketch en se déguisant et en se moquant alors que les personnes asiatiques sont complètement invisibilisées. Y a quasi 0 asiatique à la télévision française. C’est une dépossession de l’humanité des gens concernés et une dévalorisation de leur culture. »

Elle conclut son intervention dans le cadre des Mardis de l’égalité sur le titre de son dernier ouvrage Ne reste pas à ta place ! (sous-titré : Comment s’accomplir en ne faisant rien de ce qui était prévu). Un titre qui a pu déranger certaines personnes concernées, craignant qu’une injonction en remplace une autre.

L’autrice se justifie : l’intitulé n’a pas été voulu comme une injonction. « C’est un privilège que j’ai eu dans mon parcours. Et j’ai bien conscience que quand on appartient à un groupe opprimé, on n’a pas forcément la possibilité individuellement de s’extraire des injonctions et des oppressions. », poursuit-elle.

Le message, c’est de ne pas stigmatiser les personnes qui subissent une oppression, tout comme il est également très important, l’a-t-elle souligné précédemment dans son discours, d’arrêter de juger les femmes voilées en France et de leur ordonner d’ôter leurs voiles. Pour Rokhaya Diallo, il est important de célébrer « les victoires individuelles » et de « s’encourager les un-e-s les autres pour nos petite victoires. »

Sans se fixer des objectifs irréalisables, il est bon « de savoir que l’on peut avoir un impact chacun-e à son échelle. » Reconnaître ses privilèges en fait parti. Ainsi, une des premiers leviers que l’on peut actionner à titre individuel, c’est une remise en question autour de nos pratiques.

« Quand on est de gauche souvent on refuse de se poser des questions sur nous même, sur nos erreurs, sur nos fautes. La faculté à se remettre en question doit être intégrée. La gauche a besoin de revoir son histoire, c’est la gauche initialement qui était coloniale. », souligne-t-elle.

Il nous faut abandonner la rhétorique post-colonialiste et raciste. Celle qui consiste à vouloir penser « que la colonisation n’a pas eu que des mauvaise côtés… ». « On nous parle des routes mais qui a construit les routes dans le pays colonisés ? Pas ceux qui ont colonisé, je pense pas ! Les habitants n’en avaient pas les besoins, il ne faut pas inverser les choses. », resitue-t-elle dans le contexte.

Il y a aussi celle qui consiste à dire « Je suis pas raciste, je suis marié à une personne noire. » Rokhaya Diallo dégage cette absurdité avec une répartie bien sentie :

« Mais dans ce cas-là, ça veut dire qu’aucun homme hétérosexuel n’est macho ! Personne ne dit « Je suis pas sexiste, je suis marié à une femme ». Et quand l’exemple ne passe pas avec une femme, ça ne passe nulle part ! » 

Ecouter les personnes concernées. Ne pas stigmatiser. Réfléchir à nos pratiques et à nos privilèges. Se situer clairement. Cela constitue la base, la première marche. On peut aussi écouter les podcast de Kiffe ta race, suivre les événements organisés par des structures telles que déCONSTRUIRE à Rennes et même se rendre dans la bibliothèque de l’association. À nous de nous renseigner. À nous de faire le chemin. Pour être des allié-e-s et non des passeurs-euses de rapports de domination.

Célian Ramis

L'intime, haut et fort

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Dans la santé sexuelle, il est question de prévention et de lutte contre les IST, de dépistage ou encore de vaccination contre les virus comme Papillomavirus. Mais aussi de choix, de respect et de plaisir !
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Dans la santé sexuelle, il est question de prévention et de lutte contre les IST, de dépistage ou encore de vaccination contre les virus comme Papillomavirus. Mais aussi de choix, de respect et de plaisir !

Selon la définition de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), la santé sexuelle « a besoin d’une approche positive et respectueuse de la sexualité et des relations sexuelles, et la possibilité d’avoir des expériences sexuelles qui apportent du plaisir en toute sécurité et sans contraintes, discrimination ou violence. »

C’est là-dessus que s’est basé le comité de coordination de la lutte contre les infections sexuellement transmissibles et le virus de l’immunodéficience humaine (COREVIH) qui, entre le 18 novembre et le 15 décembre, organisait – en parallèle des actions prévues autour de la journée mondiale de lutte contre le Sida (1erdécembre) - quatre « Semaines de la santé sexuelle » dans les départements bretons.

En Ille-et-Vilaine, c’est au début du mois que celle-ci s’est déroulée, proposant le 8 décembre à la maison de quartier Villejean à Rennes le spectacle Ouest Side Stories – À nos amours, créé par la webradio oufipo.org. Sur scène, deux musiciennes, un technicien et un micro. Au premier rang, cinq comédien-ne-s.

Tour à tour, ielles montent sur le plateau et prennent la parole pour exprimer un aspect de leur vie sexuelle et affective. Le premier baiser, l’idée qu’on en a, le rendez-vous, le goût des lèvres de Pierre. Une relation épistolaire, la première rencontre avec la peau d’une femme, le couple, l’entrave à la liberté, la rupture, le départ. Les signaux que l’on interprète, les râteaux, la confusion entre l’attirance et l’amitié, l’apprentissage et la découverte avant la recherche absolue d’une partenaire.

Les trajectoires sont différentes, les prises de paroles également mais l’essence est la même : livrer une partie de son intimité, sans la sacraliser ni la minorer. Pas de jugement dans les récits, ni même de commentaire. Simplement, un partage d’informations. Parmi lesquelles on trouve la religion, la préservation de la virginité, le tabou familial, et puis la rencontre d’un homme respectueux qui pense autrement, la confiance, les premières fois à 28 ans.

La vie avec cette femme rencontrée à 16 ans avec qui la sexualité est heureuse, les questions que l’on balaye et puis l’homosexualité, ou plutôt la bisexualité, la rencontre avec un homme, la vie de famille de avec six enfants dans une grande maison. Ça fait du bien de se rappeler que la sexualité, c’est une histoire d’individus et non de performance et d’injonctions. 

 

Célian Ramis

Celles du dessous racontées par celles du dessus

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Le 21 septembre 2019, ce sont Simone Alizon, Christine Papin, Odette Séveur, Raymonde Tillon et Maria Aubault qui sont Celles d’en dessous et leurs récits de vie, souvent délaissés ou méprisés par l’Histoire, composent une partie de notre Matrimoine.
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« Je vous appelle à la rescousse, je vous appelle à mon secours, femmes en qui j’ai pris ma source, mais dont l’image tourna court, qui ne demeurez dans l’histoire, que sous la forme de portraits, Ô vous dont l’œuvre dérisoire, jour après jour se défaisait, je vous appelle et je commence, derrière l’immobilité, de vos maintiens de convenance, à deviner la vérité, et quand monte en moi la colère, que, désespérément, je crois, retrouver au bout de la lumière, c’est vos visages que je vois. », chantait Anne Sylvestre dans Portrait de mes aïeules, en 1977. Le 21 septembre 2019, ce sont Simone Alizon, Christine Papin, Odette Séveur, Raymonde Tillon et Maria Aubault qui ont repris cette chanson, au cimetière de l’Est, à Rennes. Elles sont Celles d’en dessous et leurs récits de vie, souvent délaissés ou méprisés par l’Histoire, composent une partie de notre Matrimoine. 

Devant leur tombe, chacune leur tour, elles nous content leurs histoires personnelles. Il y a Simone Alizon qui, durant la seconde guerre mondiale, s’engage avec sa sœur Marie dans la résistance. Toutes les deux arrêtées en 1942, elles sont déportées à Auschwitz, rasées « aisselles et pubis compris, marquées comme des bêtes. » Sa frangine décède à 22 ans, et Simone, elle, est envoyée ailleurs pour travailler à l’armement nazi, là où avec d’autres, elles saboteront le boulot. Elle a 20 ans lorsque survient la Libération.

Christine Papin, elle, meurt en 1937, à l’asile public d’aliénés de Rennes. Condamnée à mort quatre ans plus tôt, c’est la faim qui la précipite dans la tombe. Avec sa sœur cadette, Léa, elles travaillaient au service de la famille Lancelin, au Mans. Jusqu’au soir où elles arrachèrent les yeux de Madame et sa fille et les tabassèrent jusqu’à leur dernier souffle. La scène du crime sera retrouvée nettoyée, le duo, nu, dans le lit de leur patronne et le double assassinat sera avoué sans motif ni préméditation. 

Y A-T-IL UNE VIE QUI NE MÉRITE PAS D’ÊTRE RACONTÉE ?

Quelques centaines de mètres plus loin, c’est la cousine Odette que l’on retrouve. Dans les années 30, « ne voulant pas (s)e réduire aux tâches ménagères », Odette Séveur répond à une annonce pour une émission à destination des enfants, sur une radio locale. En direct du cimetière de l’est, elle anime ce jour-là son fameux programme « Les matinées enfantines de cousine Odette ».

Enjouée, elle nous parle de l’historique du lieu et avec son énergie débordante nous cite quelques épitaphes dont la splendide « Si le paradis existe, attends moi au bar ». Aujourd’hui, elle donne son nom à un square rennais, heureuse qu’il y ait là «une aire de jeux pour les enfants ! »

Raymonde Tillon a elle aussi son avenue à Rennes, qu’elle partage avec son deuxième mari Charles Tillon. Grande militante pour le Front populaire, elle s’engage, lorsque la guerre éclate, dans la résistance et est arrêtée sur dénonciation, condamnée à 20 ans de travaux forcés. Elle mène la prison à la révolte, est envoyée dans différents camps en Allemagne en 1944, sabote les ateliers d’armement et sort de là 35 kilos à peine.

Mais Raymonde Tillon ne va pas s’arrêter là. À Marseille, elle reprend ses engagements politiques et devient responsable de la commission féminine de la CGT, avant de devenir députée et de figurer parmi les 33 premières élues à l’Assemblée nationale. La citoyenneté s’ouvre aux femmes :

« Je pense à Olympe de Gouges et sa déclaration. Il aura fallu 150 ans pour obtenir le droit de vote. Avec le combat de Louise Michel, d’Hubertine Auclert, de Séverine, des suffragettes et de bien d’autres. »

Et enfin il y a Maria Aubault, « une femme, une épouse, une travailleuse, une mère, une grand-mère, une arrière grand-mère, une arrière arrière grand-mère », décédée à l’âge de 107 ans. Elle se présente à nous, en 1930, elle est âgée de 23 ans et c’est le jour de son mariage.

Elle ne le sait pas encore mais elle va mettre au monde 4 enfants, va vivre dans une ferme avant de venir habiter à Rennes, de connaître les restrictions et les arrestations durant la guerre, elle va travailler à l’usine Monnier, subir 2 paralysies faciales dues au froid et à la fatigue des ménages, va aller au bal rue Ginguené, faire des voyages, marcher sur les bords de la Vilaine, perdre son fils ainé traumatisé par la guerre d’Algérie, va voir ses petits enfants grandir et être fière de sa descendance. En 2015, la grippe l’emporte. « Y a-t-il une vie qui ne mérite pas d’être racontée ? »

LEUR RENDRE LA PAROLE

La proposition initiée par la compagnie La mort est dans la boite est exaltante. Créée au départ en amateur, entre étudiant-e-s de Rennes 2, elle se professionnalise en 2010 et réalise des pièces, classées dans la catégorie Théâtre documentaire. C’est grâce à son nom que la structure est repérée par Nathalie Bidan, chargée du patrimoine funéraire.

« Elle fait des visites autour des sépultures remarquables et a constaté que ce sont quasiment que des hommes dont elle parle, souligne Laure Fonvieille, metteuse en scène. Je suis aussi co-présidente d’HF Bretagne et je suis très attachée au matrimoine. » Le spectacle Celles d’en dessous répond à une demande pour le cimetière de l’est, là où sont enterrées une criminelle, une animatrice radio, une politique mais aussi des inconnues, comme Maria Aubault, entre autre :

« C’est la grand-mère d’un ami. Il a interviewé son entourage pour nous apporter de la matière. Ça me plaisait énormément d’avoir une inconnue. On en a besoin, et moi la première, de voir que telle ou telle femme a vécu telle chose, a subi telle chose, etc. On se dit que ça arrive à d’autres femmes et que nous aussi on peut le faire ! Et puis, ça permet aussi de ne pas connaître que Frida Kahlo… »

DES FEMMES INSPIRANTES

Réhabiliter celles du dessous par celles du dessus, c’est l’engagement ici de Laure Fonvieille, combinant son militantisme, son métier de metteuse en scène et celui de costumière. Elle bâtit le projet avec Sophie Renou (Raymonde Tillon), et toutes les deux s’entourent d’une brillante équipe de comédiennes parmi lesquelles figurent Gaëlle Hérault (Simone Alizon), Sandrine Jacquemont (Christine Papin), Camille Kerdellant (Odette Séveur) et Manon Payelleville (Maria Aubault).

La première représentation, jouée le 2 juin 2019, fait carton plein avec 120 personnes présentes. Rebelote en septembre, avec une jauge volontairement réduite à une petite centaine de curieuses-eux arpentant les rues pavées du cimetière de l’est, à la découverte et à la rencontre de celles qui ont vécu hier. Pour certaines, les ressources sur leur vie étaient limitées, pour d’autres, il a fallu trier.

« On a écrit en trois jours avec les comédiennes qui sont vraiment parties prenantes de leur scène. On a monté ça avec la chanson d’Anne Sylvestre et aussi la déclaration d’Olympe de Gouges, les deux me tenaient à cœur. », souligne Laure Fonvieille. On ressent un réel plaisir à assister à cette déambulation, aussi engagée que créative, à la fluidité et l’équilibre très maitrisés grâce aux formes rythmées et variées des récits, mêlant poésie, violences, épreuves de la vie, combats du quotidien et militantisme politique.

« Quand on voit Maria Aubault, Simone Alizon, Raymonde Tillon, etc. et la richesse de leurs vies, ça fait du bien ! Y a pas que des grands hommes ! C’est chouette parce qu’il y a de tout. »
précise la metteuse en scène.

Raconter d’autres histoires, ouvrir son regard, attiser la curiosité, rendre possible les mêmes choses pour les filles et pour les garçons, intégrer la notion d’égalité dans le vocabulaire, les arts et les autres secteurs de la société… Valoriser le matrimoine à la même hauteur que le patrimoine, parce que non, le masculin ne l’emporte pas sur le féminin. 

 

  • DES DATES À VENIR ?

  • Le spectacle Celles d’en dessous n’a pour l’instant pas d’autres dates annoncées. Mais il y a de fortes possibilités pour qu’une adaptation se fasse au cimetière du nord, à Rennes. La ville de Strasbourg, également intéressée, a contacté Laure Fonvieille. La metteuse en scène, enthousiaste, explique qu’elle doit d’abord se rendre sur place afin de s’assurer pouvoir trouver de la matière. On n’en doute pas… Il faut donc rester à l’affut de l’actualité de la compagnie La mort est dans la boite (l’occasion de découvrir une compagnie locale qui développe des pièces de théâtre super intéressantes !) : https://cielmdb.com

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