Célian Ramis

Dans les coulisses d'une création (2)

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Suite de la création Lou(ps) de la compagnie Erébé Kouliballets - Après plusieurs répétitions du quatuor amateur, nous vous emmenons dans les coulisses du duo professionnel qui était en résidence du 18 au 22 mars à la MJC de Pacé.
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Dans le numéro de février – YEGG#77, la rédaction consacrait son Focus aux coulisses de la création de Lou(ps),la nouvelle pièce chorégraphique de la compagnie Erébé Kouliballets, inspirée du conte du XIVe siècle Le petit chaperon rouge. Après plusieurs répétitions du quatuor amateur, nous vous emmenons dans les coulisses du duo professionnel qui était en résidence du 18 au 22 mars à la MJC de Pacé. 

Le vendredi après-midi, Morgane Rey, fondatrice et chorégraphe de la compagnie Erébé Kouliballets et Cécile Collin, danseuse professionnelle, dévoilaient au public la première version de leur duo qui s’insère dans la création globale Lou(ps),composée d’un solo de la narratrice, d’un duo et d’un quatuor.

Au départ, Cécile Collin devait interpréter le petit chaperon rouge et Morgane Rey, la forêt, la grand-mère et le loup. Finalement, la chorégraphe n’incarnera « que » les deux derniers. Lors de notre venue, le duo nous présente donc l’enchainement complet, non définitif :

« Je rentre dedans seulement depuis hier. Donc en fait je découvre… », souligne Morgane Rey, nous expliquant également qu’elles nous dévoilaient le dispositif tel qu’il sera montré à Pacé le 7 juin prochain et qui se différencie de la version présentée à Mordelles le 10 mai. 

« À Pacé, ce sera une déambulation extérieure et on viendra à l’intérieur pour le duo, alors qu’à Mordelles, tout sera dans la continuité. Mais là, dans la version de Pacé, quand le public entre dans la salle, Cécile est déjà en scène et répète quatre mantras qu’elle fait en plus grand dans son solo. », explique Morgane, avant de commencer. 

Elles dansent dans un cercle, formé au sol à la craie et délimité au niveau des points cardinaux par leurs chaussures. Elles alternent partitions synchronisées, solis et moments à deux. Tandis que Cécile danse, Morgane sort du cercle, passe derrière les rideaux, traverse le fond de la scène – à l’endroit où seront situés les musiciens – revient. Elle prend ses marques. Cécile jette un coup d’œil de temps en temps pour les parties synchronisées.

La thématique est la même que celle du quatuor et pourtant, la différence est frappante. Non pas dans la manière d’exécuter les mouvements – puisqu’on a montré dans le dossier que chacune dansait différemment, faisant la force également de la proposition – mais principalement dans ce qui s’en dégage.

On note une gestuelle très importante du côté de Cécile Collin passant d’une main posée sur le front, à une main sur le pubis, puis sur la cuisse, le genou, l’épaule et pour terminer, les fesses. Et l’enchainement se répète lentement. Comme si il était question d’un temps pour soi. Pour la découverte, l’exploration de son propre corps, amenant ainsi à une connaissance personnelle et intime, destinée à renforcer la personnalité de notre petit chaperon rouge.

« On est dans l’état, le sentiment, l’abstraction. Dans l’essence. Il est question des racines africaines, de la filiation, de transmission. On travaille aussi sur la relation dominé-e / dominant-e. Au début, quand je la place, je suis le loup, c’est très net. Le loup ouvre le bal, essaye de prendre l’espace mais n’y arrive pas. La grand-mère est dans la transmission mais elle se fait bouffer elle aussi par le petit chaperon. », explique Morgane qui souligne également une différence importante avec la version du quatuor : 

« Le quatuor raconte l’histoire du petit chaperon rouge alors qu’ici, ce sont des visites. Le loup et la grand-mère sont déjà morts, elle, elle est vivante et elle revisite ses morts. »

Pour préparer ce duo, les deux danseuses ont travaillé séparément en faisant des points étapes par moment au cours desquels Cécile Collin montrait à Morgane Rey l’avancée de son solo. Habituées à collaborer – Cécile Collin signe ici sa 4eparticipation à des créations de la compagnie Erébé Kouliballets – elles ont ressenti le besoin de « se reconnecter, de rentrer dans la matière et de retrouver de la confiance. »

« Parce que c’est quand même de l’intime, de l’âme. Et puis c’est très carnivore un chorégraphe. Ça bouffe du danseur quand même ! C’est chronophage et ça bouffe de l’humain. Comme le petit chaperon qui bouffe le loup et sa grand-mère. », rigole Morgane dont la réflexion est très sérieuse.

De son côté, la danseuse a donc élaboré sa chorégraphie autour des matériaux fournis par la chorégraphe, qui ne change pas ici son process et nourrit sa réflexion et celle de ses collaboratrices à partir de planches de dessin et de documentations variées :

« On s’est vues avec Morgane, elle m’a raconté sa version, sa réflexion, m’a donné des documents à lire, des vidéos de danse à regarder. Des vidéos qui souvent n’ont rien à voir avec Le petit chaperon rouge mais en fait ça, ça m’aide à m’imprégner de l’esprit de la pièce. Les discussions et les dessins m’aident beaucoup. C’est concret. »

Cécile poursuit, expliquant son petit chaperon rouge à elle, différent de celui interprété par Juliette Guillevin dans le quatuor, sans être moins intéressant et complet : « En fait, je suis partie d’une phrase qui dit que c’est la première racaille de l’histoire. Et ouais, c’est vrai, c’est ça. Et là, je dois donc faire une petite fille qui se construit tout en étant une adulte qui le raconte. Je me réimprègne en fait de l’état de petite fille, qui prend la confiance et y va ! Je revis ça comme dans un souvenir. »

Là se trouve le point commun entre les deux partitions. À chaque fois, on assiste au développement de la petite fille vers la femme. Un développement qui passe toujours par la confrontation au monde extérieur, la transmission de son aînée et le voyage intérieur pour en arriver à une découverte de soi.

Cette fois, le rapport à la sexualité et à la sensualité est moins prégnant. Car enrobé par des tensions plurielles, résultant d’une réflexion commune entre les deux professionnelles. « Il y a un viol normalement. On s’est demandées : est-ce qu’on part sur le viol et l’après ? Et en fait, on n’est pas restées là-dessus. On voulait vraiment plus parler du passage de l’enfant, enfin l’ado à la femme. », précise Cécile qui sans le vouloir lance une interrogation jusque là non pensée précisément : commence-t-elle enfant ou ado ?

Elle et Morgane réfléchissent, dialoguent, donnent des arguments et s’orientent de par le ressenti qu’elles en ont, principalement Cécile qui l’incarne à différentes étapes de sa « mue ». Sans réponse spécifique définissant un âge au personnage initial, elles concluent : « C’est juvénile ! ».

Des éléments qui peuvent aider la danseuse à parfaire sa partition. Non pas tellement d’un point de vue technique comme elle le souligne mais plutôt dans les intentions qu’elle donne à chaque mouvement. « Et puis savoir où tu es Morgane, bordel ! », faisant référence aux nombreux déplacements entrepris par Morgane lors de leur filage.

« En fait, c’est elle qui domine, t’as vu ça ?! », plaisante Morgane qui doit encore, lors d’une prochaine étape de travail, intégrer son solo à cette première matière déjà conséquente. « Faut joindre les deux bouts ! », lance-t-elle, fatiguée – parce qu’en plus des multiples répétitions avec la quatuor, le duo et le solo, elle donne des cours de danse au Triangle, à la maison de quartier Ste Thérèse, anime des stages de danse, effectue des résidences sur d’autres créations, gère le rétro-planning et l’organisation des dernières festivités préparatoires… - mais amusée, comme toujours, l’œil pétillant. 

 

LES DATES : 

  • Grande répétition le 1ermai 

  • La générale le 3 mai

  • La première le 10 mai à Mordelles

  • Déambulation extérieure et duo en intérieur le 7 juin à Pacé 

  • Représentation du solo de Cécile (le duo se décline également en solo) le 14 juin au métro Triangle (Rennes)

 

Célian Ramis

"Mais vous êtes fous ?", un thriller intime sans jugement néfaste

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Cinéma Gaumont, Rennes
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Audrey Diwan passe derrière la caméra à la réalisation de son premier long-métrage "Mais vous êtes fous ?". Le 26 mars, elle était au cinéma Gaumont, pour le présenter en avant-première, accompagnée de Céline Sallette.
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Audrey Diwan, la scénariste de La FrenchAmi Ami et HHhH passe derrière la caméra à la réalisation de son premier long-métrage Mais vous êtes fous ?. Le 26 mars, elle était à Rennes, au cinéma Gaumont, pour le présenter en avant-première, accompagnée de l’actrice principale Céline Sallette. 

Le film pose la question de la confiance, « ce qui sous-tend la question de tous les couples », souligne Audrey Diwan. Ici, elle met en scène Roman (Pio Marmaï) et Camille (Céline Sallette), en couple depuis plusieurs années et parents de deux petites filles. Seulement, son quotidien à lui ne ressemble pas tout à fait à ce que sa famille imagine. Addict à la cocaïne, il va mettre en péril l’équilibre familial. 

Plusieurs années en arrière, la réalisatrice lit dans le journal quelques lignes d’un article intitulé « Un couple parisien drogue ses enfants ». Quelques jours plus tard, elle rencontre l’amie d’une amie qui en regardant ses enfants à elle lui dit : « Tu as de la chance de les avoir toi. »

« On venait de lui retirer ses deux enfants, elle était en état de sidération totale. Elle-même était soupçonnée. Ça m’a interpelée, son état de sidération, la manière dont elle parlait de l’histoire et l’envie malgré tout de comprendre son mari. C’est l’alliage de tout ça qui m’a donné envie de l’adapter au cinéma. », souligne Audrey Diwan. 

DÉVELOPPER LE TRHILLER INTIME

Parce que Roman contamine sa famille, une enquête policière est lancée et les deux filles sont placées chez leurs grands-parents le temps de définir si la contamination était volontaire ou non. Audrey Diwan nous plonge donc au cœur de l’intimité d’un couple, d’une famille et en même temps d’un thriller haletant. Un thriller intime, comme elle le définit.

« Tous les détails prennent une dimension énorme, il y a du double sens dans tout », précise-t-elle. Séparation conjugale, séparation familiale, séparation du secret. Manque du psychotrope, manque affectif. « Ça parle du poison qui finit par agir. Le poison du secret qui finit par se distiller partout et pourrit la relation intime. », ajoute Céline Sallette, dont le jeu est une fois encore d’une justesse et d’une intensité à couper le souffle.

Face à ce couple, pas de jugement de la part de la réalisatrice : « Je n’aime pas le cinéma moral. Je veux que le film pose des questions, amène un chemin de compréhension mais surtout pas qu’il soit jugeant ou qu’il explique au spectateur ce qu’il doit comprendre. C’est au contraire super de voir que chacun-e y voit, y comprend, ce qu’il/elle veut. »

LOIN DE LA CARICATURE

Avant de réaliser le film, Audrey Diwan a repris contact avec la femme qu’elle avait rencontré, qui lui avait raconté une partie de son histoire, afin de lui proposer de participer au scénario. Proposition qu’elle a accepté à condition que le père de ses enfants puisse également y prendre part.

« Ils l’ont donc fait ensemble. Moi, ce qui m’intéressait, même si j’ai apporté de la fiction dans l’histoire, c’était de recueillir la parole exacte. Mon côté journaliste… », souligne la réalisatrice, qui a exercé le métier de journaliste plusieurs années durant, co-fondant le magazine gratuit Stylist

Ainsi, elle peut présenter au public une vision non manichéenne de cette histoire vraie, adaptée pour le cinéma, et non simpliste. Avec un homme bien sous tout rapport, enfermé dans son mensonge, qui n’apportera aucune explication sur son addiction à la cocaïne et fera tout pour s’en sortir seul. Et une femme droite dans ses bottes qui va entrer dans le mensonge sans vraiment le vouloir, sans se considérer comme une victime.

« Elle rentre dans le mensonge, déjà parce que pendant toutes ces années, elle n’a rien vu. Mais n’a-t-elle vraiment rien vu ou préfère-t-elle ne rien voir ? Il y a peut-être eu des gestes, des attitudes, de manque ou de moments sous drogue qu’elle a vu mais qu’elle a choisi d’interpréter différemment. Et ce qu’elle va découvrir, c’est une forme de vérité mais pas forcément toute la vérité. Elle croit que ça va s’arrêter rapidement donc elle le défend mais en fait elle est dépassée. Ça se sédimente en elle. », explique Céline Sallette. 

La confiance est rompue. Mais l’amour est toujours là. Une fois l’affaire judiciaire derrière eux, comment faire pour se retrouver et avancer à nouveau ensemble ? « On est dans le même décor, la même familiarité mais l’intime a changé, les sentiments ont changé. Il y a quelque chose d’irrémédiablement différent. », livre la réalisatrice qui s’est indéniablement profondément liée à l’histoire de ce couple : 

« Après ma rencontre avec cette femme, l’histoire a continué de résonner en moi pendant plusieurs années. C’est devenu une nécessité pour moi d’en faire un film. La question du couple, de la confiance, ça résonnait en moi. Je voulais pouvoir en faire une lecture personnelle. »

TRANSCENDER LE PERSONNAGE

Elle connaît Céline Sallette depuis 10 ans. Parce qu’elle l’a interviewée dans sa vie de journaliste. Et que l’interview est devenue une discussion. La discussion, une amitié. Connaissant son talent, Audrey Diwan écrit le rôle sur mesure pour elle. Parce qu’elle sait qu’elle est capable de tout. Que quand elle joue, elle n’est pas dans la peau du personnage, elle est le personnage et cette aliénation totale finit par transcender le personnage.

Elle crève l’écran. Dès qu’elle apparaît, on ne lâche pas du regard. Son regard, intense et subtil, renforce chaque détail et accompagne ses partenaires de jeu : « C’est un voyage intérieur, le jeu de l’acteur. Le public aussi vit un voyage intérieur en regardant un film mais l’acteur le fait plus en conscience, dans un cadre professionnel, ça reste un métier. Mais oui, on marche sur un fil quand on joue. Un peu en dehors de la réalité, comme dans un rêve. On peut comparer ça à la jouissance. Quand on jouit, on est dans une sorte de transe. »

Ce qu’elle aime dans le scénario, c’est la question de la dépendance multiple : « C’est 90% de l’humanité ! Des dépendances, il y en a des milliers. L’âme humaine est faite de ça. » Et Audrey Diwan, dans Mais vous êtes fous ?,manie en toute intelligence et avec talent le scénario, le rythme et les doubles, voire triples, interprétations possibles dans chaque situation, renforcées par le jeu impeccable des acteurs dont les intentions décuplent les émotions que se prennent en pleine tronche le spectateur. 

Au cinéma le 24 avril 2019.

Femmes kurdes, combattantes face aux répressions

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Emprisonnées, en exil, assassinées, torturées, en grève de la faim… Les femmes kurdes résistent et mènent de front lutte contre le patriarcat, guerres géopolitiques, combat contre la répression historique de leur peuple et révolution pour le droit et la liberté d’expression.
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Emprisonnées, en exil, assassinées, torturées, en grève de la faim… Les femmes kurdes résistent et mènent de front lutte contre le patriarcat, guerres géopolitiques, combat contre la répression historique de leur peuple et révolution pour le droit et la liberté d’expression. Dimanche 10 mars - soit 11 jour avant le Newroz, fête traditionnelle célèbrant le nouvel an kurde - l’association Amitiés kurdes en Bretagne faisait la lumière sur ces combattantes à l’occasion de la table ronde « Du féminicide à l’emprisonnement : l’engagement des femmes en Turquie », à la MIR. Dans le cadre de la programmation du 8 mars à Rennes. 

Elle a fui son pays et en témoigne ce soir-là, à la Maison Internationale de Rennes. « En tant que femmes, dans tous les espaces et dans tous les moments de nos vies, nous subissons l’oppression et les persécutions du patriarcat. En tant que journalistes – qui est un métier plutôt considéré comme masculin – nous subissons l’oppression et les persécutions de nos collègues hommes et les persécutions du pouvoir. », indique Duygu Erol, journaliste kurde en exil à Rennes. 

Son parcours, qu’elle partage brièvement avec la salle, démontre le croisement entre ses engagements. En Turquie, elle a d’abord collaboré avec Jinha, la première agence de presse dont les membres étaient des femmes et dont la ligne éditoriale visait à « tendre le micro aux femmes et à défendre les droits des femmes ». 

Une initiative militante courageuse au slogan bien trempé, emprunté à Virginia Woolf : « Nous publierons sans nous poser la question de ce qu’ils diront… »

Pour simplement effectuer leur travail de journalistes, elles sont régulièrement interpelées par la Police, arrêtées, violentées. Déterminées, elles poursuivent malgré les intimidations leur mission : l’information.

« Jusqu’en 2016… Un soir, un décret est passé, interdisant la publication de plusieurs médias dont Jinha. Le fait que nos locaux soient sous scellés ne nous a pas découragées. Nous avons continué notre travail de journaliste. », souligne Duygu Erol. 

Un nouvel organe de presse est lancé : Sujin. Même combat : « arrêtées par la Police, inquiétées, violentées sur le terrain mais toujours déterminées. » Un nouveau décret vient l’interdire à nouveau. Nait alors sur le même modèle JinNewsqui clame « Avec le crayon des femmes, suivre la vérité ». 

Pour Duygu, « la même détermination continue mais la tradition de la persécution se poursuit aussi. Certaines des journalistes sont en prison. Certaines ont rejoint la grève de la faim. Le problème de la démocratie en Turquie ne se résoudra pas tant qu’on n’aura pas trouvé une solution au problème kurde. Aujourd’hui, je suis ici mais où que nous soyons en tant que journalistes femmes nous continuons avec détermination. Nous avons besoin de voir votre solidarité et votre soutien pour que l’on puisse poursuivre ! » 

DÉNONCER, INFORMER, ILLUSTRER

Zehra Dogan, artiste, auteure, journaliste, fondatrice de l’agence féministe Jinha, accusée comme plus d’une centaine de journaliste d’être membre d’une organisation terroriste, a été libérée le 24 février 2019 après deux incarcérations entre 2016 et aujourd’hui. 

Le 10 mars, elle ne pouvait être physiquement présente à Rennes pour la table ronde. Mais jusqu’au 31 mars, le carré Lully de l’Opéra expose ses dessins et tableaux, réalisés durant deux périodes : celle des « jours clandestins » à Istanbul en 2017 - période durant laquelle elle est en liberté provisoire et attend la décision de la Cour d’appel - et celle de « l’emprisonnement ».

À la prison de Diyarbakir, elle dessine avec ce qu’elle trouve. Du papier journal, du curcuma, de la teinture de cheveux, des stylos, du persil, de l’aspirine, du sang menstruels, des tissus provenant de t-shirts usagés… Elle écrit : « Chaque fois que mes amies coupent leurs cheveux, elles m’apportent une mèche, en me disant « tiens, tu feras des pinceaux ». Je n’aurais jamais imaginé qu’un jour je peindrais avec des pinceaux si précieux. »

En août 2018, de la geôle d’Amed, elle signe un texte militant puissant : « Et j’écoute comme toujours ma conscience. Et ma conscience me dit « continue ton art, et quoi qu’il arrive continue de dessiner et raconter ». Je l’écoute et je décide, encore une fois, de continuer. C’est cela être une femme dans le système patriarcal. Depuis cinq mille ans, nous sommes maudites, considérées comme dégoutantes. C’est un impératif des religions monothéistes que de maudire son propre grain, la semence dont il vient, les ovules… Dans le judaïsme, entre autres, lorsqu’une femme a ses règles, c’est ne touche rien, mange dans une assiette différente, dort dans un autre lit, et même pour que l’abondance ne disparaisse pas, elle est mise en dehors de la maison. »

Elle poursuit, quelques lignes plus loin : « C’est comme cela que j’ai trouvé le sens pour faire face à tout cela. J’ai voulu que les toutes patriarcaux/les ressentent, qu’ils/elles soient dégoutéEs de la femme dégoutante. Imaginez un députée, une future élue emprisonnée… Et la décision que j’ai pris de dessiner les initiatives de Leyla Güven, car les photos sont interdites, et qu’il n’y a pas de papier adéquat. Alors j’ai dessiné sur des papiers d’emballage déchirés, qui emballent les citrons. A votre avis, rien que cette interdiction, qu’il n’y ait pas un seul papier à dessin, n’est-elle pas à elle seule une situation dégoutante ? Bref, considérez vous-même, est-ce mes dessins qui sont dégoutants ou mon quotidien ? »

GRÈVE DE LA FAIM

Journaliste-artiste-militante-kurde, Zehra Dogan dénonce, où qu’elle soit, les violences de l’état turc d’Erdogan et ne cesse, sous la pression et les menaces, de raconter les exécutions – notamment du jeune kurde Kemal Kurkut tué en 2017 à Diyarbakir – les victoires de « la force armée féminine qui avance sur Raqqa pour mettre fin aux souffrances des femmes » ou encore les grèves de la faim comme ce fut le cas à la prison de Sakran à cette époque.

Mais aussi celle qui se poursuit actuellement en 2019 et qui a été entamée en novembre 2018 par celle dont parle Zehra Dogan dans son texte, Leyla Güven. Députée d’opposition (Parti démocratique des peuples) à Diyarbakir, elle a été emprisonnée en Turquie pendant un an. Une manière pour elle de protester contre « le fait qu’Abdullah Ocalan, le chef historique du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), soit maintenu à l’isolement », signale un article publié dans le journal hebdomadaire Marianne. 

Si quelques articles en font état, peu de médias français relèvent et révèlent l’ampleur du mouvement, qui n’a pas atteint que Leyla Güven mais un grand nombre de personnes, y compris en France, puisque la grève de la faim est soutenue à Strasbourg notamment par des militant-e-s.

« Leyla Güven est une députée kurde qui a été enfermée pour ses idées. Elle a été libérée car là-bas il y a eu une de grosses campagnes à propos de la grève. Mais ici, ce n’est pas relayée. », se désole Mukadder Deniz, membre du Mouvement des femmes kurdes en France, présente lors de la table ronde à Rennes. 

« Quatorze camarades sont en grève de la faim à Strasbourg. Les Kurdes jouent un rôle majeur dans l’opposition et en Turquie il y a emprisonnement dès que quelqu’un prononce un discours de paix envers le peuple kurde ou dénonce la politique répressive d’Erdogan. La fin de l’isolement est la seule solution pour la paix au Moyen Orient. Il y a actuellement 7000 personnes dans le monde entier en grève de la faim. Tous les habitants de Turquie subissent cette guerre de la répression. C’est l’émancipation des peuples qui est ciblée. Les prisons sont pleines à craquer de prisonniers politiques isolés. », explique une militante de Strasbourg, contactée via Skype en direct de la MIR ce 10 mars. 

Elle poursuit, faisant état de la situation de santé des camarades en grève. Une grève commencée depuis 84 jours : « Ils ont des soucis médicaux, des pertes de poids, des spasmes cardiaques ou musculaires et les conséquences vont continuer. Leur détermination et leurs consciences éveillées sont pour un futur possible en Turquie dans une démocratie. Leur détermination nous emmènera vers l’objectif commun : faire réagir le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements et le Conseil de l’Europe qui siègent à Strasbourg, d’où la grève ici, et qui ont le pouvoir de sanction sur la Turquie. Pour que les institutions réagissent au plus vite avant qu’il ne soit trop tard. »

TRIPLE MEURTRE

La situation est critique et les médias rechignent à s’y intéresser. Parce qu’il y a des enjeux de pouvoir, des enjeux politiques, de relations entre la France et la Turquie, surtout à une époque où l’on renforce la surveillance des djihadistes quittant l’Hexagone et l’Europe, en passant par la Turquie.

« En 2016, il y a des accords de sécurité entre Caseneuve et ses homologues turcs. L’assassinat ne devient plus une priorité. », souligne Jacques Massey, journaliste indépendant. L’assassinat qu’il mentionne, c’est celui de Fidan Dogan, Sakine Cansiz et Leyla Soylemez, trois militantes kurdes retrouvées exécutées par plusieurs balles dans la tête, le 10 janvier 2013 au Centre d’Information sur le Kurdistan, à Paris. 

« Il y a aujourd’hui des intérêts croisés entre la France et la Turquie avec des logiques d’apaisement et un renforcement de la coopération. Les pays essayent d’éviter les blocages tout en évitant d’aggraver la situation. », conclut le journaliste. 

Élucider donc le triple meurtre de ces femmes et demander à la Turquie, dont les services secrets pourraient être impliqués, de rendre des comptes n’est pas la priorité. Loin de là. La situation est encore moins importante quand elle est hors de nos frontières.

Pour Mukadder Deniz, « le peuple kurde est opprimé depuis des siècles. Un martyr de plus pour nous, ce n’est pas la fin du monde. Ce n’est pas facile de dire ça mais c’est la réalité. Nous sommes prêts à ça pour que le peuple kurde soit libre. Les médias s’en foutent de la situation. Ne reste plus que la grève de la faim pour se faire entendre. Lorsqu’ils et elles prennent la décision de la grève de la faim, ils et elles savent qu’au bout, il y a la mort. C’est consternant que les autorités européennes ne réagissent pas. Je suis d’origine kurde, je vis ici mais je suis touchée par ce qui se passe en Turquie. »

LES FEMMES EN LUTTE

Elle attire l’attention sur la situation des femmes, rappelant que les femmes kurdes se battent depuis plusieurs d’années pour l’émancipation des femmes et pour la libération du peuple kurde. Si de nombreuses images montraient des femmes au sein des forces armées kurdes lors de la bataille de Kobané en Syrie, en 2014, ce n’est pas pour rien.

Elles ont lutté. « Parce qu’aucune révolution ne peut se faire dans une société où les femmes y sont esclaves. Elles sont en colère et en résistance contre les tortures, les arrestations, elles sont en recherche de la liberté et l’engagement est croissant dans presque toutes les régions kurdes. », précise la membre du Mouvement des femmes kurdes en France.

Mukadder Deniz cite quelques dates clés, comme en 1987 avec la création de l’Union des femmes patriotiques du Kurdistan, en 1993 avec la guérilla féminine pour entrer la création d’une armée féminine, en 1995 avec la fondation de l’Union des femmes libres du Kurdistan, en 1999 avec la création du Parti des femmes travailleuses du Kurdistan ou encore en 2002, avec la fondation du Parti de libération des femmes.

« Tout cela participe à développer la place des femmes dans l’armée, les activités sociales, la politique, l’économie, etc. Et à donner du courage et de la confiance. Ainsi que des compétences pour s’organiser et gérer leurs vies. C’est une révolution sociale, culturelle, etc. Qui s’est même ouverte avec le Parti de libération des femmes, visant à intégrer l’expérience des femmes kurdes avec d’autres nations. Pour renforcer le dialogue avec des pays du monde entier. Et puis, elles ont mis en place des aides pour les femmes persécutées, ayant vécu ou qui vivent des violences. Les femmes sont présentes au quotidien pour les femmes kurdes mais aussi pour toutes les femmes, tous les combats. », conclut avec puissance Mukadder Deniz.

Célian Ramis

« C’est logique que MeToo soit arrivé des comédiennes quand on connaît notre Histoire ! »

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Maison Internationale de Rennes
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Metteuse en scène, autrice et chercheuse, Aurore Evain dépoussière l’Académie française et l’histoire des arts.
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Metteuse en scène, autrice et chercheuse, Aurore Evain dépoussière l’Académie française et l’histoire des arts, notamment l’histoire du théâtre, grâce à ses nombreuses recherches et publications sur le matrimoine et le terme « autrice ». Le 16 mars, elle animait une conférence, organisée par HF Bretagne, à la Maison Internationale de Rennes. Dans le cadre du 8 mars. 

Le 28 février 2019, l’Académie française fait le choix de la modernité : la moitié de l’humanité peut enfin apparaître dans les noms de métier. Un sujet qui n’est pas nouveau puisqu’il a maintes fois été mis sur le tapis poussiéreux des Immortels, au 19esiècle mais aussi dans les années 80 lorsqu’Yvette Roudy créa, au ministère des Droits de la femme, une commission de terminologie, présidée par l’écrivaine féministe Benoite Groult. 

L’Institution se réveille et estime aujourd’hui qu’il n’existe « aucun obstacle de principe » à la féminisation des métiers. Pourquoi a-t-on dû attendre si longtemps avant de pouvoir officiellement parler d’une autrice ?

Parce que soi-disant, le terme est moche à l’oreille. Question d’habitude… Une habitude qui a été perdue puisqu’Aurore Evain, à travers ses recherches au cours de l’Histoire, met en évidence que le terme a été balayé, déprécié et oublié.

« Tant que dans les inconscients collectifs, on transmet des violences symboliques, on ne s’en sortira pas. », souligne la conférencière, évoquant ici un langage et une Histoire sexistes.

LES MOTS ONT UN SENS

Au Moyen-Âge, les couples mariés déclaraient leur patrimoine et leur matrimoine. Aujourd’hui, si le patrimoine est largement valorisé, représentant l’Histoire commune, matérielle ou immatérielle, le matrimoine a disparu, excepté dans les agences matrimoniales.

« Le matrimoine a été rétréci à la sphère privé, à la famille, au mariage. On avait ce terme au Moyen-Âge et on l’a effacé. Ça en dit long sur notre Histoire. En 3 syllabes, il nous rend sonore et visible l’histoire des créatrices. », souligne Aurore Evain qui poursuit : « On pense que c’est un néologisme, qu’on parle actuellement de matrimoine par effet de comm’ mais pas du tout. Ce n’est pas un néologisme comme chez les anglais par exemple qui ont créé « herstory », en rapport à « history ». C’est bien un terme qui existe dans la langue française. »

L’objectif à atteindre selon elle : pouvoir parler d’héritage culturel. Ne plus faire de distinction entre les biens culturels transmis par les pères et les biens culturels transmis par les mères. « Mais d’abord, il faut rendre visible le matrimoine. », précise-t-elle. Ainsi, en 2012, elle instaure avec le mouvement HF les journées du matrimoine, un événement soutenu et valorisé chaque année à Rennes par HF Bretagne. 

L’ORIGINE DE SES RECHERCHES

Aurore Evain s’est formée au métier de comédienne dans plusieurs Conservatoires à Paris. En parallèle, elle a suivi un cursus d’études théâtrales à la Sorbonne Nouvelle. Elle n’a encore jamais travaillé sur une pièce écrite par une femme et s’interroge sur sa place de comédienne. Car dans l’imaginaire et les attendus, la comédienne est « jeune, jolie, sensible, pas trop intellectuelle… »

Pourtant, quand on pense au théâtre, au cinéma, on pense stars au féminin. En arrivant en maitrise, elle va voir Martine de Rougemont, historienne du théâtre qui a pendant un temps dirigé l’institut des études théâtrales à la Sorbonne Nouvelle.

« Elle était la seule à l’époque à diriger des travaux sur les femmes de théâtre. Je lui ai dit que je voulais travailler sur une étude comparative des actrices professionnelles en Europe. Sur pourquoi brusquement on a accepté, aux 16eet 17esiècles, que les femmes montent sur scène alors qu’avant les hommes se travestissaient pour jouer les rôles de femmes ? », interpelle Aurore Evain. 

Aujourd’hui encore, en études théâtrales, on continue de taire l’Histoire des actrices professionnelles. De taire l’apparition des femmes dans le milieu du théâtre. « C’est pourtant une véritable révolution ! Esthétique, sociale, économique, religieuse, politique… Une révolution ! Corneille, Molière, Racine… n’auraient jamais écrit comme ça s’ils n’avaient pas eu des comédiennes. », scande la chercheuse. 

Elles ont fait bouger l’Histoire des arts, ont secouer et fait bouger les mentalités autour des rapports femmes-hommes : « C’est logique que MeToo arrive des comédiennes quand on connaît notre Histoire ! »

LES FEMMES MONTENT SUR LES PLANCHES ET TOMBENT LE MASQUE

Il y a dans l’image des premières comédiennes l’idée de femmes faciles, de prostituées, de courtisanes. Pourtant, il faut savoir lire et écrire pour le théâtre : « Elles vont se servir du métier de comédienne pour échapper à la situation de prostitution. Elles ne vendent plus leur corps mais leur image. »

Elles, ce sont celles que l’on appelle les courtisanes honnêtes. Elles savent danser, chanter, font preuve d’une grande culture et d’une capacité à improviser poétiquement. Elles vont apparaître dans un répertoire littéraire plus précieux et élaboré, de la Commedia dell’arte. Et la grande nouveauté, la véritable révolution esthétique, c’est que les femmes enlèvent les masques et jouent à visage découvert.

Ainsi, elles marquent profondément l’histoire artistique italienne et là-bas « on ne parle pas de la Commedia dell’arte sans parler du rôle des femmes, alors qu’en France, on commence par l’époque où les femmes sont déjà là. »

Dans cette période, on sort du Moyen-Âge et de l’image d’Eve, de femme pécheresse, séductrice des âmes pour les porter en enfer. On assiste à l’éclosion de Vénus grâce à la beauté de ces courtisanes honnêtes et de leurs improvisations. Non seulement l’esthétique est nouvelle, mais aussi l’économie évolue. Le théâtre devient une entreprise avec les troupes de théâtre.

ELLES PARCOURENT L’EUROPE

« Les troupes circulent en Europe et les troupes italiennes finissent par arriver en Espagne, alors en pleine Inquisition. On autorise, on interdit, on ré-autorise les comédiennes sur scène. Jusqu’à ce qu’elles l’emportent. L’Eglise a besoin d’allié-e-s. Sur scène, ce sont de nouveaux rapports femmes-hommes, de nouveaux modèles du féminin qui s’expérimentent, en direct. Toute la société s’interroge sur ces femmes. », explique Aurore Evain. 

Elle insiste là encore sur le lien avec le mouvement MeToo lancées par les actrices, sans oublier Time’s up. Parce que d’un côté, elles étaient des créatrices et de l’autre, des objets sexuels. « La question du harcèlement se posait déjà. Aujourd’hui, on vit la continuité de l’histoire. Toujours cette image entre Eve et Marie. », précise la metteuse en scène. 

En France, on ne dispose que de très peu d’études sur le sujet. Mais ce que l’on sait, c’est qu’à cette époque, le théâtre farcesque détient le monopole à Paris et la Commedia dell’arte n’y trouve pas sa place dans un premier temps :

« Les troupes vont revenir un peu plus tard et là ça prendra. Parce qu’entre temps, la préciosité sera arrivée… Les premières comédiennes seront les reines et les princesses, en France comme en Angleterre. Catherine de Medicis met en scène ses filles. Elles sont belles, intelligentes, capables d’émouvoir. C’est la naissance des égéries. »

Mais en Angleterre, pays où le travestissement règne avec le théâtre shakespearien, c’est un autre cas de figure puisqu’en 1630 les puritains, qui viennent de prendre le pouvoir, font fermer les théâtres. L’aristocratie désertant l’île pour venir sur le continent découvre les comédiennes et à son retour, rouvre les théâtres et y placent les comédiennes.

« C’est un théâtre plutôt libertin où les comédiennes sont les maitresses du pouvoir. On demande quand même aux vieux comédiens leur autorisation pour faire jouer les comédiennes. À ce moment-là, des femmes vont écrire pour le théâtre dans un répertoire plus féministe comme le fera Olympe de Gouges en France plus tard, sur les mariages forcés, le divorce, etc. », souligne Aurore Evain. 

LES FEMMES ÉCRIVENT DU THÉÂTRE ? 

Découvrir l’histoire inconnue de l’apparition des actrices professionnelles est déjà un choc pour celle qui a suivi des études théâtrales sans jamais en entendre parler. Découvrir que les femmes écrivent du théâtre va constituer un deuxième choc :

« Je ne pensais même pas que des femmes avaient écrit avant Marguerite Duras. Je venais de terminer ma première pièce et je me sentais illégitime. Elle a bien tourné mais pourtant je ressentais un problème d’invisibilisation. »

Elle retourne voir Martine de Rougemont qui a déjà eu une étudiante en 1988 à avoir réalisé un travail pionnier sur les femmes dramaturges entre le 16e siècle et le 19e siècle. Elle se lance dans les recherches sur le sujet et fait face aux grands historiens « qui dénigrent ces femmes puisqu’ils ne les connaissent pas, ils pensent qu’elles ne valent pas la peine. »

Aurore Evain, alors âgée de 24 / 25 ans, se heurte à une institution en plein doute et rencontre une résistance dans la langue française : « Bon, une fois que j’ai dit femmes dramaturges, dramaturges femmes, auteures… je suis face à une résistance de la langue. »

Elle découvre dans les registres de l’Académie française « part d’autrice ». Elle fouille et voit apparaître ce terme également dans les comptes-rendus de périodiques de l’époque. « En fait, « autrice » existe depuis l’Antiquité et depuis l’Antiquité, on lui fait la guerre. Le terme en latin était utilisé dans les premiers temps du christianisme. Sur les tombes, on pouvait lire par exemple « autrice de travail », ça voulait dire ouvrière. », mentionne la conférencière. 

Un grammairien, non chrétien, va alors pondre une règle absurde qui symbolise bien les enjeux du terme « autrix ». Il va choisir que lorsque le terme est employé pour désigner une autorité, une source et une origine, il doit être au masculin, tandis qu’il sera accepté au féminin pour désigner ce qui relève du développement.

OÙ SONT LES AUTRICES ? 

Au Moyen-Âge, les grandes créatrices, souvent des abbesses, se réclament au féminin, comme Christine de Pisan par exemple qui se définit « escrivaine » et parle même de matrimoine. À la Renaissance, les reines et princesses se déclarent autrices de paix. Au 16esiècle, l’imprimerie est apparue et on édite des livres, écrits par des femmes qui commencent à être de plus en plus nombreuses à être éduquées.

Au 17esiècle, les dramaturges sont appelées autrices. Elles deviennent nombreuses à écrire. Nombreuses à avoir besoin de gagner leur vie par l’écriture. C’est alors que Richelieu crée l’Académie française et que naissent les dictionnaires, qui jusqu’ici étaient des annexes français-latin dans lesquelles figurait le terme autrice. 

« L’Académie française n’est pas neutre puisqu’il n’y a que des hommes. Dans le dictionnaire, autrice disparaît. Le mot actrice par contre entre dans le dictionnaire. C’est marrant ce que l’on constate : quand « auteur » prend ses lettres de noblesse, « autrice » disparaît. Quand « acteur » se réduit à comédien (et n’est plus généralisé puisque son féminin est apparu), « actrice » apparaît dans le dictionnaire. C’est un affaiblissement de la fonction de l’actrice. »

L’Académie française ne s’arrêtera pas là. Elle s’attaque désormais aux accords, utilisant dans un premier temps la règle de l’accord de proximité avant que celui-ci ne se transforme en la règle que l’on connaît désormais : le masculin l’emporte sur le féminin. Pourquoi ? Parce que le masculin est défini comme le genre le plus noble.

« C’est marrant parce qu’à l’époque de l’accord de proximité, on peut lire, notamment dans les écrits de Vaugelas, qu’ils avaient du mal à s’adapter à l’oreille. Ils vont donc vraiment se forcer pour effacer le féminin, c’est une instrumentalisation idéologique de la langue. »

DÉMASCULINISER LA LANGUE FRANÇAISE

À travers son déroulé chronologique et historique, Aurore Evain démontre qu’aujourd’hui l’enjeu n’est pas de féminiser la langue française mais bel et bien de la démasculiniser. Parce que l’usage du féminin dans les noms de métiers, mais pas que, n’est pas phénomène nouveau. N’est pas phénomène du tout d’ailleurs.

En quelques centaines d’années, nous avons perdu la mémoire de notre histoire. Autant celle de notre langue que de nos arts. Et cela renforce les inégalités puisqu’au fil des siècles l’Histoire a été transmise avec les violences symboliques que développe la metteuse en scène, chercheuse et autrice.

S’il n’y a aucun « obstacle de principe », pour reprendre les dires de l’Académie française, on voit bien un réel combat pour faire disparaître la moitié de l’humanité du langage. « Fin février, finalement, autrice est acceptée. C’est une réponse à Marie-Louise Gagneur (romancière qui avait interpelé l’Académie sur le rapport entre féminisation des noms de métiers et légitimation du statut, en 1891, ndlr) 130 ans plus tard ! », lance Aurore Evain qui insiste sur une question à laquelle chacun-e ferait bien de répondre : 

« Pourquoi a-t-on mis autant de temps et d’énergie à effacer le féminin de la langue française ? »

Avant de conclure sur cette partie, elle précise : « On dit parfois que la féminisation du langage n’est pas une priorité. Qu’il y a d’autres choses avant. Comme il y a eu le droit de vote, de nombreuses luttes, aujourd’hui l’égalité salariale. Hubertine Auclert (journaliste, écrivaine et militante féministe 19e/20esiècles) et d’autres militantes se sont battues pour le droit de vote mais aussi pour la féminisation des termes et d’autres combats. Il n’y a pas de hiérarchie, de priorités. Je peux militer pour la féminisation des termes sans que ça m’empêche de lutter pour l’égalité des salaires. C’est un tout ! Ce sont des outils de légitimation. »

On rejoint son point de vue. Effacer de l’Histoire les femmes artistes, les inventrices, les scientifiques, les intellectuelles et autres revient à effacer la moitié de l’humanité. Accorder la langue au masculin, c’est également effacer cette même moitié de l’humanité. C’est faire comprendre qu’elle n’a pas sa place dans la société. Et c’est empêcher les nouvelles générations de trouver la leur.

Valorisons donc notre matrimoine pour avancer ensemble vers un héritage culturel plus juste, riche, équilibré et humain.

La transmission d'un féminin libre

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On aime. C’est sensible, c’est tendu, c’est violent. C’est puissant. C’est lucide et intelligent parce que la pièce ne prétend pas avoir la vérité absolue, juste la spontanéité d’un discours qui n’a pas été réfléchi mais qui sent le vécu et les tripes.
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Pièce remarquée lors du off du festival d’Avignon, Les yeux de ta mèreétait présentée mercredi 13 mars à la Maison des Associations par la compagnie L’Insoumise. Lors d’une soirée organisée dans le cadre du 8 mars, par Déclic Femmes, avec la compagnie Ty Pestac et le Mouvement de la Paix.

On aime. C’est sensible, c’est tendu, c’est violent. C’est puissant. C’est lucide et intelligent parce que la pièce ne prétend pas avoir la vérité absolue, juste la spontanéité d’un discours qui n’a pas été réfléchi mais qui sent le vécu et les tripes.

Pour écrire, la comédienne Violeta Gal-Rodriguez s’est librement inspirée du texte de Pauline Sales, Le Groenland : « J’ai fait une formation théâtrale au Chili et là-bas, ils désacralisent les textes. Ce n’est pas du tout comme ici. Ça m’a permis de m’éloigner de l’original. Mais ce texte m’obsédait depuis 7 ans. Quand je suis devenue mère, j’ai ressenti l’urgence à le mettre en scène. »

Elle découvre Lula Heldt dans un cabaret, sur une musique d’Eric Satie et reste suspendue dans l’espace et le temps. Elle l’embarque avec elle dans l’aventure de l’Insoumise. « C’était évident qu’il fallait contraster la violence du texte avec quelque chose de très onirique. », souligne Violeta Gal-Rodriguez. 

Dans Les yeux de ta mère, on assiste à un dialogue entre une mère et sa fille, qui errent dans les rues de la ville en pleine nuit. Seulement, on n’entend pas les réponses de l’enfant, certainement adolescente ou jeune femme. On devine parfois des accusations, des jugements, des condamnations peut-être. Pour le comportement d’une mère « pas normale ». 

Pourtant cette mère, elle l’aime, sa fille. Elle la pousse, l’encourage à marcher droit devant, à s’éloigner des jupons de sa génitrice, à parcourir le monde, à suivre son propre chemin. Pourtant, on comprend qu’elle lui adresse le reproche de son absence. « Tu veux une mère normale et comme tout le monde ? Ne cherche pas, ça n’existe pas. », lui répond alors la protagoniste. 

Au bord de la scène, après la représentation, Violeta Gal-Rodriguez et Lula Heldt ne rentrent pas dans les détails du propos et du message. Simplement, elles indiquent que pour elles, il s’agit de l’histoire d’une femme qui se perd d’un point de vue géographique et d’un point de vue philosophique.

Toutefois, c’est avec une incroyable lucidité que la mère évoque son couple, son rapport à l’éducation, son ressenti par rapport à la féminité et aux injonctions. « Le quotidien nous rend robot. Pourquoi les autres envahissent les femmes à ce point-là ? Que veux-tu que je fasse dans ce siècle, ce pays, etc. si ce n’est me réaliser ? (…) Il faut savoir se battre dans un monde de brutes pour trouver sa place. Quand tu es née, j’avais besoin autour de moi de toutes les femmes. », clame-t-elle à la fin. 

Parce qu’elle est « toutes les femmes ici et maintenant, là. Les femmes en moi. Je suis la reine des neiges, la princesse Leïa, Frida Kahlo, Elisabeth Badinter, Simone Veil, Simone de Beauvoir, je suis Colette. Ah ouais là, putain, je suis une maman !!! »

Libération, émancipation, diktats et violences vont de pair dans ce spectacle qui pourrait être un drame mais qui n’est en réalité qu’un échantillon d’un quotidien de femme. La beauté, ici, réside dans la transmission mère-fille qui s’opère alors, provoquée par cet égarement.

Comme si elle brisait l’héritage des inconscients de cette inévitable condition de femme à laquelle les filles sont condamnées dès la naissance : « Entravée, vidée, absente, migraineuse… nerveuse, incapacité à garder son calme, aboyer, se répéter, pleurer en voiture, se rendre compte que tout part d’en bas. Qu’ils pensent tous à ça. À ce trou qui me rend comme ça. »

Le constat est âpre mais la fatalité n’est pas la conclusion du récit dont les mots résonnent au son du violoncelle et des chants de Lula Heldt, accentuant tantôt le côté dramatique, tantôt le côté sarcastique et humoristique. Le texte prend alors une dimension internationale et universelle, la musicienne jouant les musiques du monde avec sensibilité et poésie.

On s’égare, nous aussi, en réfléchissant aux normes, assignations et injonctions imposées aux femmes et aux filles. À ce travail d’équilibriste qu’elles entreprennent au fil de leurs vies pour répondre à ce que l’on attend d’elles tout en réussissant à progressivement briser leurs chaines. À une époque où féminin et masculin entrent en crise, la pièce distille espoir et bienveillance.

 

Célian Ramis

Femmes "chimiotées" : la force de vivre !

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Location: 
Maison des associations, Rennes
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Entre la projection du film Les belles combattantes, l’exposition éponyme et les témoignages de trois femmes ayant été atteintes du cancer du sein, le sujet de la soirée était bel et bien celui de la résilience et du souffle de vie.
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C’est une soirée sur le fil de l’émotion que proposait l’association Yadlavie le jeudi 14 mars à la Maison des Associations de Rennes. Entre la projection du film Les belles combattantes, l’exposition éponyme et les témoignages de trois femmes ayant été atteintes du cancer du sein, le sujet était bel et bien celui de la résilience et du souffle de vie.

« C’est un film d’espoir », lance la photographe Karine Nicolleau, à qui l’on doit Les belles combattantes– à (re)découvrir sur TVR samedi 16 mars à 14h pour le documentaire et à voir à la Maison des Associations jusqu’au 12 avril pour l’exposition. 

Ainsi, durant une trentaine de minutes, l’association Yadlavie - créée en 2012 - nous permet de partager une petite partie du quotidien des Roz’Eskell (association CAP Ouest) lors de leur séjour en Chine, au pays du dragon boat, les répétitions de la comédienne Sonia Rostagni, co-auteure du spectacle 649 eurosautour du cancer du sein, et les entrainements des Riposteuses (association Solution Riposte) pratiquant l’escrime à visée rééducative. 

Dans le film, ce qui prime, ce sont les rires, les sourires, les paroles et réflexions autour des vécus des unes et des autres. Sans voyeurisme, elles livrent ici une intimité sensible de laquelle jaillit une énergie positive et une volonté inouïe de vie. Se déroule alors instantanément le fil puissant d’une oscillation entre force et fragilité qui suspend le temps pour ne laisser transparaitre que l’émotion brute et authentique.

UNE CONSCIENCE PLUS AIGUE DE LA VIE

Dans l’intitulé de la soirée, elles sont « Femmes « chimiotées » : femmes envers et contre tout ». Elles ont subi et affronté le(s) cancer(s) du sein, elles sont en rémission ou non. Les protocoles médicaux, la dépossession de leur corps, le regard des autres sur elles et leur propre regard…

Elles doivent désormais vivre avec. Elles se sont découvertes des forces insoupçonnées jusqu’ici et parlent « d’une conscience, aujourd’hui, plus aigue de la vie, du fait qu’il faut profiter davantage des choses. »

Pour Anne Patault, vice-présidente de la région Bretagne, chargée de l’égalité, de l’innovation sociale et de la vie associative, son « espèce de chance » a été de ne plus craindre la vieillesse :

« Pendant toute une époque, j’avais peur de vieillir. Maintenant, j’espère vieillir. Je me projette en vieille dame et ça me fait plaisir. »

Un point sur lequel la comédienne Sonia Rostagni la rejoint : « Chaque année supplémentaire, c’est toujours ça de pris ! »

Son spectacle, 649 euros, elle le définit comme une évidence : « Une manière de sublimer par l’art le cancer. De faire d’un truc très moche un truc esthétique. Avec une mise en scène pensée de manière à ce que je ne rejoue pas tous les soirs mon cancer à moi. Même si j’ai eu un cancer, je joue un personnage. Je suis une femme, n’importe quelle femme. Et puis la pièce permet aussi de sortir du pathos et de transmettre les choses avec humour. Ça a été un mécanisme de défense très puissant pour moi, l’humour. Je n’ai jamais autant ri que pendant la maladie. »

LES INJONCTIONS DANS LE CANCER

Si elles refusent de parler du cancer comme d’une chance, comme tel est ressenti d’une participante dans le film, elles s’accordent à aborder l’angle du changement post opération. En nuançant toutefois.

« Ça m’a donné des orientations de vie un peu différentes. J’étais un peu indolente avant, j’avais tendance à laisser filer le temps. La leçon que m’a donné la maladie c’est la notion du temps qui nous est compté. Aujourd’hui, j’ai une sorte d’impatience par rapport à des réalisations de projets par exemple. Je suis devenue plus fonceuse. Quand je suis convaincue de quelque chose, maintenant j’y vais. », souligne Anne Patault.

Même discours du côté de Sonia Rostagni :

« Des traits de caractère se sont affirmés. Je me suis découverte encore plus. »

Pour Maryse Théron, syndicaliste et membre des Roz’Eskell, pas question de se soumettre aux injonctions « de faire ça, de dire ça, de vivre le cancer de telle ou telle manière. » Elle le dit et l’affirme : 

« Je n’aime pas les injonctions ! Il n’y a pas plus de raisons de vivre ces injonctions attribuées aux femmes qui ont eu un cancer que d’autres ! On n’est pas obligées de changer parce qu’on a eu un cancer. Certaines étaient insupportables avant la maladie et le restent après. La maladie apprend l’humilité. On prend une conscience un peu plus aigue de notre mortalité. »

CHACUNE SON EXPÉRIENCE ET SON RESSENTI

Elles ne sont pas des expertes du cancer. Elles sont des femmes ayant vécu, chacune à sa manière, son ou ses cancers du sein. Ce soir-là, sans détour et sans langue de bois, les trois intervenantes témoignent de leurs expériences et ressentis individuels pouvant trouver des points de résonnance dans l’épreuve subie par le collectif.

« Ma mère commençait son Alzheimer. J’ai du lui réannoncer 100 fois que j’étais malade. J’ai fini par me dire que c’était pas plus mal qu’elle oublie. Mon entourage a été ni trop envahissant ni trop dans la compassion. C’est un équilibre difficile à trouver mais c’est important. Mais il faut savoir qu’on est toujours tout seul dans la maladie. C’est un parcours solitaire, même si j’ai toujours été accompagnée pendant les chimios ou qu’une amie venait me chercher… », précise Anne Patault qui soulève alors la question de ce que l’on peut attendre de son entourage pendant la maladie. 

Il y a ce que l’on dit aux autres, ce que l’on ressent et vit réellement. Il y a ce que l’on est capable d’endurer, ce qu’on dit aux enfants. Il y a celles et ceux qui supportent et prennent sur elles/eux, d’autres qui ne sont pas en mesure de soutenir et qui s’en vont. Il y a les médecins et les protocoles, ceux qui soignent un individu et ceux qui traitent un symptôme. Et puis la vie qui continue en parallèle. En dehors de la personne qui au même moment affronte la maladie.

Etre sujet, c’est le point sur lequel insiste Maryse Théron. Ne pas se laisser posséder par les autres, par leurs angoisses, leurs émotions, leurs conseils et savoirs.

« Être soi même son sujet. C’est moi, c’est mon cancer. C’est moi qui dit si je vais ou vais pas, qui dit ce que je fais, ce que je fais pas, etc. C’est important de se réapproprier soi-même. »
affirme-t-elle, précisant qu’il ne faut pas sous estimer le poids de la maladie. 

RETOUR À LA VIE PROFESSIONNELLE

Pas facile dans une société capitaliste avide de rentabilité et de productivité de se retirer pendant un temps de la vie professionnelle. La peur de se détacher, de se déconnecter, de ne pas retrouver sa place à son retour, la peur de ne pas être comprise en revenant par le biais d’un mi temps thérapeutique, la peur d’être jugée, la peur d’être larguée.

Si Maryse évoque le dispositif Cancer at work, prévu dans le plan Cancer pour faciliter le retour ou l’accompagnement à l’emploi, elle parle aussi d’une grande méconnaissance de la maladie.

« Les employeurs sont démunis. Il y a encore beaucoup de travail à réaliser pour informer et sensibiliser les équipes, les managers, etc. Le plan Cancer c’est bien mais il faut y mettre des moyens et pas que des discours politiques », précise-t-elle, indiquant également un manque cruel d’égalité dans l’information et l’accès à la prévention et au dépistage du cancer, notamment en direction des femmes précaires « qui n’ont pas le temps de s’occuper d’elles parce qu’elles doivent gérer les enfants, la maison, etc. »

LA HARGNE DES COMBATTANTES

Au fil de la discussion, on retrouve la même sensation que pendant le film ou l’exposition, face aux photographies de Karine Nicolleau dans la galerie de la Maison des Associations. Réunies par le cancer du sein, sur des clichés en couleur ou en noir et blanc, à bord d’un dragon boat, à croiser le sabre et l’épée, à une table ronde, elles délivrent un message fort qui encourage la force de vivre.

Elles ont le sourire des survivantes et la hargne des combattantes. Parce qu’elles ont puisé en elles des ressources auxquelles elles ne pensaient pas faire appel, elles ont découvert des forces en elles insoupçonnées.

« Il faut beaucoup d’amour de soi même pour continuer de se regarder avec douceur. »
conclut Anne Patault.

Une belle leçon de vie qu’elles partagent avec générosité lors des échanges à l’occasion de la soirée.

Célian Ramis

Mythos 2019 : Gagnez des places pour le concert d’Aloïse Sauvage (mais pas que !)

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Du 29 mars au 7 avril, le festival Mythos revient à Rennes et aux alentours. Chaque année, lectrices et lecteurs peuvent remporter des places pour des spectacles et des concerts. Tentez-votre chance !
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Du 29 mars au 7 avril, le festival Mythos revient à Rennes et aux alentours. Chaque année, lectrices et lecteurs peuvent remporter des places pour des spectacles et des concerts. Tentez-votre chance en nous envoyant un mail à redaction@yeggmag.fr en précisant votre nom, votre prénom et l’événement pour lequel vous jouez (les personnes gagnantes remportent une place et non les deux).

 

• THÉÂTRE : PIÈCE D’ACTUALITÉ N°9 – DÉSOBÉIR / JULIE BERÈS / THÉÂTRE DE L’AIRE LIBRE : 2 PLACES

Un spectacle à ne pas manquer. Parce qu’il dresse le portrait croisé de quatre jeunes femmes et se fait le récit d’une émancipation chargée qui en devient politique. Sur scène, leurs témoignages, chargés des révoltes et des rêves les plus inattendus, brisent un à un les stéréotypes qui épinglent le visage féminin de la banlieue. Des tentatives de réconciliation aux luttes les plus radicales, elles affirment un désir d’égalité valable pour chacun(e). Entre fidélité et refus du poids de l’héritage, entre désirs immenses et sentiments d’impasse de l’époque, Julie Berès et son équipe entreprennent de sonder les rêves et les révoltes des jeunes femmes d’aujourd’hui.

Vendredi 29 mars, 21h.

 

• CONCERTS : ALOÏSE SAUVAGE - CANINE - FAKEAR - SARA ZINGER / CABARET BOTANIQUE : 2 PLACES

Aloïse Sauvage : Elle a marqué la création des TransMusicales en décembre 2018 au théâtre de l’Aire Libre et nous a mis une sacrée baffe. De par sa présence, sa prestance, sa musique brute et son écriture réalistico-poétique. Elle s’affiche, telle une Jeanne Added ayant foulé la même scène quelques années avant elle (dont le concert est complet lors du festival), en artiste très prometteuse qui ose prendre des risques et assumer ses ambitions. 

Canine : Son chant intrigue. Sa musique fait danser, penser, songer. Le travail des voix s’avère impressionnant : elles mêlent la chaleur du gospel et la profondeur du chant tribal à des sonorités très modernes, entre soul futuriste et pop cosmique. Elle nous entraine aisément avec elle et nous fait plonger dans un univers hors du réel. 

Fakear : Rapidement, il est devenu l’un des leaders de la scène électronique actuelle, couronné d’un disque d’or. L’énergie communicative qu’il déploie en live conquit facilement son public. Cette année, l’artiste présente All Glows, son nouvel album empreint d’une jungle de sonorités végétales. Une invitation à la contemplation, un appel à l’oubli de soi. 

Sara Zinger : Elle est DJ et productrice et sans aucun doute l’une des révélations de la musique électronique de l’an dernier. Ancrée dans la scène musicale underground, elle s’affiche comme une authentique icône contemporaine. 

Samedi 30 mars, 21h. 

 

• CONCERT : ANNE PACEO / CABARET BOTANIQUE : 2 PLACES 

Elle n’aime pas définir sa musique. Elle n’aime pas les cases. Ça tombe bien, nous non plus. Sur scène, elle nous fait voyager, frissonner, nous émouvoir, sourire. C’est ce qui compte pour elle à travers son travail. L’artiste présente son nouvel album, Bright Shadows, et convoque les énergies du jazz et de la world music pour nous faire tourner la tête. 

Vendredi 5 avril, 18h. 

 

Note pour les personnes gagnantes : Les billets seront à récupérer à la billetterie de chaque représentation 30 minutes avant le début du spectacle. Pour les concerts se déroulant au Cabaret botanique, les billets seront à récupérer à l’accueil presse du festival.

Célian Ramis

Mad'âmes : les artistes indisciplinées du street art

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Pas de doute, ces indisciplinées aux pinceaux bien pendus n’ont pas fini de transformer autant l’urbanisme que les mentalités. « On n’a pas fini de nous voir sur les murs de la ville », conclut Maya Wnu, l’œil frétillant.
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Les femmes ne sont pas artistes. Les femmes ne font pas du street art. Le street art ne peut se définir que si l’on utilise uniquement de la peinture en bombe… Formulé ainsi, ce discours n’a pas de sens. Ni formulé autrement d’ailleurs. Une preuve supplémentaire en acte avec l’exposition collective MAD’ÂMES à découvrir jusqu’au 16 février à l’Impermanence galerie, à Rennes. Les huit artistes réunies mêlent leurs univers divers dans une fresque murale devant laquelle il est conseillé de prendre le temps de s’arrêter. Pour observer, se perdre dans les détails, voyager, rêver, s’émerveiller… Pour respirer, tout simplement. 

Dos à l’entrée de Beaulieu, le restaurant Le Tournebride. Et en contrebas, un parking et un accès à l’Impermanence galerie. Par les escaliers, nous accédons à cet espace dans lequel s’attèlent les artistes de l’exposition collective à venir. Le lendemain, le 18 janvier, aura lieu le vernissage de MAD’ÂMES.

Bibiche Zède, Christine (2 x) Ammour, Maïté Rouault, Valérie Martin, Maya Wnu, Helena Gath, Eve le Trévedic et Anne-Laure Chevallier œuvrent ensemble à la transformation du mur - mis à disposition par le restaurant - en une grande fresque onirique, contrastée et poétique.

On joue à s’éloigner pour profiter de la vue d’ensemble et à se rapprocher pour observer chaque détail, ce qui relève de la mission impossible. De l’origine du monde à la végétation, en passant par les éléments célestes et la faune, l’œuvre, ornée par ci par là d’or et de cuivre, est envoutante.

Les couleurs fluos du paysage se marient au noir et blanc des personnages et les différents univers propres à chaque artiste viennent créer une sorte de symbiose harmonieuse agrémentée par les nombreux rires du collectif qui, malgré le froid et la grisaille, s’applique joyeusement à la métamorphose de la façade.

SANS REVENDICATION ?

À l’invitation de Maya Wnu et Thiago Ritual, gérant-e-s de l’Impermanence galerie, elles ont toutes répondu positivement, sans se connaitre. Pour « la notion de plaisir, de désir. On nous invite à dessiner sur les murs, on dit oui ! Pour le faire, pour être ensemble, pour avoir du plaisir ! », souligne Eve le Trévedic.

L’idée initiale : réunir des univers artistiques que le duo apprécie - dans une exposition à découvrir à l’intérieur de la galerie - et les mélanger dans une fresque murale. « C’est une exposition collective féminine mais pas féministe. Même si certaines sont féministes, il n’y a pas forcément ici de revendication. C’est surtout le mot « artiste » qui intéresse. », explique Maya.

Sa description nous intrigue. On cherche alors à décortiquer le propos : « On veut arrêter d’être cataloguées comme des artistes femmes. C’est une expo normale d’artistes et on ne devrait pas avoir besoin de revendiquer qu’on est des artistes. On est des artistes, point barre. »

Malheureusement, comme le souligne Thiago Ritual, dans le milieu artistique – comme dans le reste de la société – les femmes disposent de moins d’espace de diffusion que les hommes qui eux sont plus souvent programmés et programmateurs.

Pour Bibiche Zède, « on est obligé-e-s de passer par le sexe des gens avant de se faire reconnaître comme artistes à part entière. » Ce qu’elle critique fermement :

« Artiste femme. On n’est pas obligé-e-s de savoir que j’ai des ovaires !!! » 

Ce n’est pas nouveau, partout où elles sont et vont, les femmes doivent redoubler d’effort pour prouver leurs valeurs et leurs talents. Surtout quand elles investissent un domaine pensé comme essentiellement masculin. « Les femmes ont du talent et ça peut déranger les hommes dans une société patriarcale. », insiste Valérie Martin, rejointe par Christine (2 x) Ammour :

« C’est notre image artistique qui nous relie, qu’on soit homme ou femme. » Finalement, la revendication est évidente : être considérée pour son talent et non pas pour son sexe. Une demande pleine de sens pourtant toujours pas « naturelle » puisqu’il faut encore en passer par des démonstrations des inégalités bien vivaces. 

« ON FAIT CE QU’ON VEUT ! »

Au fil de la discussion, les arguments et anecdotes autour de la place des femmes dans le street art se multiplient. « Il y a une représentation masculine du street art. On imagine des hommes avec des bombes. Alors voir une femme peindre un mur au pinceau, c’est trop ! Au Brésil, il y a plein de nanas dans ce milieu, elles sont intégrées à la scène artistique, c’est normal là-bas. », commente Thiago.

Helena Gath confirme : « En Amérique latine, en Italie, en Espagne, c’est beaucoup plus ouvert à tous les genres, styles, sexes qu’ici. Au Pérou par exemple, on voit beaucoup de femmes – principalement parce que ce sont les maitresses - peindre les murs extérieurs des écoles maternelles et primaires avec des pinceaux. »

Durant les deux journées de réalisation de la fresque, elles ont constaté le passage de plusieurs artistes reconnus dans la discipline et se sont senties observées, jugées, « comme attendues au tournant », précise Eve. Maya, qui a arrêté de peindre dans la rue parce qu’elle était la seule femme, rigole :

« Y en un qui est venu me voir pendant que je dessinais l’oiseau et qui m’a demandé ‘Mais c’est quoi le message ? Pourquoi un oiseau ?’. Je lui ai répondu que c’était parce que j’avais pas la place de faire un poney ! Et il a continué : ‘Mais pourquoi au pinceau ?’ Pour d’autres, on avait du mal à savoir ce qu’ils pensaient. Enfin, y en a 1 ou 2 qui ont dit quand même que ça leur plaisait pas. On ne dirait pas ça aux graffeurs. »

Derrière les rires, elles dénoncent le paternalisme condescendant et méprisant visant à faire sentir aux femmes qu’elles ne sont que des femmes et ainsi les amener à renoncer. Mais c’est mal connaître les MAD’ÂMES qui avec cette exposition et cette fresque murale – qui visiblement casse doublement les codes en raison des outils utilisés et du sexe des artistes – lancent « un crew » de street art du même nom.

« On fait ce qu’on veut ! On montre qu’on est là, qu’on existe, qu’on fait des trucs, rétorque Bibiche Zède. Toute peinture murale n’a pas besoin d’être validée par les graffeurs. » 

CE N’EST QUE LE DÉBUT ! 

Le collectif permet donc d’accentuer la visibilité de chacune, de développer des réseaux et de faire infuser dans les esprits que le talent n’est pas défini par le sexe de l’artiste. Après tout, que sait-on de Banksy ou de War ? Sans connaître leurs identités, on les imagine au masculin. Ici, les MAD’ÂMES s’affranchissent des codes et des normes.

En liant leurs arts, elles prennent leur pied et livrent au grand public une fresque murale onirique et poétique. L’étincelle est créée par l’assemblage des techniques (collage, pochoir, peinture, etc.) et de leurs savoir-faire et le croisement de leurs univers alors mis en dialogue. « Ce sont des univers qui créent un univers. Quand on regarde les étoiles, on en regarde plein et c’est ce qui fait l’univers. », s’amusent à déclarer Bibiche Zède et Eve le Trévedic.

Pas de doute, ces indisciplinées aux pinceaux bien pendus n’ont pas fini de transformer autant l’urbanisme que les mentalités. « On n’a pas fini de nous voir sur les murs de la ville », conclut Maya Wnu, l’œil frétillant. 

 

 

Célian Ramis

Heureux comme Lazzaro : À couper le souffle

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Cinéville Colombier, Rennes
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Alice Rohrwacher offre au 7e art un troisième film subtil, intelligent, juste et puissant. Sur l’innocence, les migrations, l’exploitation, le bonheur, la lutte des classes, l’écologie, le ridicule et la persistance. Sublime et profond.
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C’est une ingénieuse merveille qu’a réalisé la cinéaste Alice Rohrwacher avec son film Lazzaro Felice, projeté le 18 janvier dernier lors de l’inauguration du festival du film italien Filmissimo, au cinéville Colombier de Rennes. 

Le film met une première claque. La réalisatrice une seconde. De celles qui font du bien parce qu’elles permettent de regarder le monde avec simplicité mais sans naïveté. De s’émerveiller devant la bonté pure d’un être humain, malgré la brutalité de l’exploitation avilissante d’abord de toute une communauté pour en arriver ensuite à l’effet grossissant de toute une société.

« En italien, ‘lazzaro’ désigne un homme qui vit dans la rue. ‘Lazzaro felice’ est une expression locale, difficile à traduire en français, mais ça désigne un homme qui n’a rien et qui est heureux. », précise Alice Rohrwacher, présente ce soir-là à Rennes.

Lazzaro, c’est un simple d’esprit qu’elle refuse de juger. C’est un saint de la religion du « nous », les humains. Si son film est plein de grâce, emprunt de références bibliques et de spiritualité, il n’en est pas moins très cartésien et réaliste. Hors du temps et de la civilisation, les paysan-ne-s de l’Inviolata, hameau rural du centre de l’Italie, travaillent à la solde de la marquise, réduit-e-s en esclavage, sans en avoir conscience.

La révélation de la grande escroquerie les propulse directement dans le monde moderne où là encore, ils/elles sont à la marge. « Ce sont des gens qui restent toujours dehors. En dehors des luttes. », souligne la réalisatrice qui a, plus jeune, vécu dans une zone proche de l’Inviolata :

« Quand on est arrivé-e-s en Ombrie avec mes parents, nous avons habité une maison qui venait d’être laissée par ces gens-là. J’ai grandi dans le vide qu’ils avaient laissé. » Marquée par ses souvenirs personnels,Lazzaro Felice (en français, Heureux comme Lazzaro) ne peut être détaché de son vécu et ressenti :

« J’ai fait des études classiques, pas de cinéma. Mais j’aimais le cinéma. Le documentaire. C’est le hasard de la rencontre avec mon producteur qui m’a fait venir au cinéma. Je crois qu’on fait des films parce qu’il y a des choses qu’on n’arrive pas à dire. C’est plus simple avec les images qu’avec les paroles. Ce n’est pas un film autobiographique mais moi aussi j’ai quitté la campagne pour aller à la ville. Même si je ne suis pas Lazzaro, j’ai partagé son regard pendant un moment. J’imaginais toujours avoir Lazzaro à côté de moi. »

Alice Rohrwacher offre au 7eart un troisième film subtil, intelligent, juste et puissant. Sur l’innocence, les migrations, l’exploitation, le bonheur, la lutte des classes, l’écologie, le ridicule et la persistance. Sublime et profond. 

Célian Ramis

Ode à nos corps libres !

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MJC Le Grand Cordel, Rennes
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Présumés atypiques, bien moulés dans la norme, complexés, sacralisés, dépossédés, hypersexualisés… certains corps sont exposés, d’autres dissimulés. Tous sont politiques.
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Présumés atypiques, bien moulés dans la norme, complexés, sacralisés, dépossédés, hypersexualisés… certains corps sont exposés, d’autres dissimulés. Tous sont politiques. C’est ce qu’a affirmé le collectif Les Femmes Libres dans l’exposition présentée du 10 au 21 décembre 2018 à la MJC du Grand Cordel à Rennes.

« Pourquoi cette thématique ? Parce qu’on parle tout le temps du corps. Il est politique parce qu’il faut se battre sans arrêt pour l’acceptation du corps, de soi-même… Et c’est pas gagné ! » Entre consternation et espoir, Petite Poupée 7, fondatrice du collectif d’artistes féministes et queer Les Femmes Libres, milite par les arts pour une plus juste représentation des corps. Parce qu’ils sont multiples, au-delà de la perception patriarcale largement médiatisée et diffusée dans les pubs, les jeux vidéos, les films, etc.

« On se questionne beaucoup sur notre corps. Est-ce que je suis grosse ? Est-ce que je suis belle quand même ? On se compare aux autres, on a peur des vêtements que l’on porte et de ce qu’ils renvoient… C’est politique d’arriver à se dire que l’on s’accepte comme on est ! Le corps est libre ! », s’enthousiasme-t-elle.

L’expo vient casser les clichés d’un corps féminin idéalisé et fantasmé pour proclamer la diversité des genres et des corps. Dans « Mon corps est politique », la question n’est plus de savoir si sur la photo ou la peinture se tient un homme ou une femme mais plutôt comment chacun-e incarne son enveloppe charnelle et se perçoit. Et ce à quoi ça nous renvoie.

Les œuvres sont véritablement fascinantes, impactantes. Tant dans la réflexion artistique que politique. Les esthétiques se mélangent et dans la simplicité du propos nait la force du message qui tend à rendre beaux tous les corps ainsi qu’à les désacraliser afin de se distancer de la morale et des normes infligées par une société imprégnée de conventions conservatrices qui ne font que renier la multiplicité des possibilités.

« Modifier son corps dans son sexe et son genre, perdre du poids, muscler son corps en faisant du sport, c’est pareil. Si on ne voit pas ça au même niveau, c’est à cause de notre échelle de valeurs. Ma transition vers le féminin, niveau corporel, n’a pas été contraignante ou violente dans ma chair. Pourtant, c’est une violence inouïe pour la société. », explique Selene Tonon, alors présidente d’Iskis, centre LGBT+ de Rennes, invitée à animer une causerie au sein même de l’exposition, le 13 décembre dernier.

Elle dénonce le conditionnement des femmes, cis et trans, au dégoût de soi, à la comparaison permanente et aux jugements néfastes et revendique l’émancipation pour tou-te-s. 

 

Artistes exposé-e-s : Douxerose, Jorgasme, Céline Bernier, Briel Hughes Pécourt, Hugo Le Fevre Dolci, PP7 et Sofia Tabouche.

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