Célian Ramis

"Dans le documentaire, il y a plus de réalisatrices car il y a moins de budget"

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Interview de Céline Dréan, réalisatrice et scénariste de documentaires à Rennes, à propos de la place des femmes dans le milieu du cinéma.
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Le 12 février, elle participait, aux côtés de Véronique Le Bris, journaliste et fondatrice du magazine en ligne Cine-Woman, à une table ronde animée par HF Bretagne sur la place des femmes dans le milieu du cinéma, précédée de la projection du film de Clara et Julia Kuperberg Et la femme créa Hollywood. Au Tambour (université Rennes 2), dans le cadre du festival Travelling. L’interview a été diffusée dans le numéro 78 de YEGG (mars 2019), on la retranscrit ici dans sa globalité car le sujet reste, malheureusement, toujours d’actualité. 

Le film s’attache à montrer que 1910 – 1920 est une période où les femmes à Hollywood ont de grandes responsabilités et tout d’un coup, plus rien. Que s’est-il passé ?

Je suppose qu’il y a un faisceau assez complexe de causes mais l’essentiel, c’est que l’argent est arrivé. Au départ, le cinéma était un art complètement expérimental, il n’y avait pas d’enjeu financier. C’était plutôt un endroit dans lequel venaient les personnes qui n’avaient pas de travail, c’est-à-dire les femmes, qui n’arrivaient pas à être embauchées ailleurs. C’est quand les industriels ont commencé à s’intéresser au cinéma et donc à y mettre de l’argent que l’enjeu a été modifié. Ce n’était plus seulement un enjeu de création mais c’était également un enjeu économique et c’est là que les hommes sont arrivés et ont pris le pouvoir. Ce qui est assez symptomatique – alors là je m’avance peut-être un peu – de plein d’autres domaines, comme les sciences par exemple.

Il y a un autre mouvement dans les années 80. Il y a des femmes réalisatrices et finalement ça ne perdure pas…

Alors, c’est pas comme ça que je voyais le truc. Si on prend les différents genres définis par le Centre National du Cinéma et de l’image animée (la fiction, le documentaire et l’animation), évidemment, il y a plus de femmes réalisatrices aujourd’hui. Mais le genre où il y en a le plus, c’est le documentaire. C’est le genre le plus pauvre. Avec les plus petits budgets.

Si on regarde en animation – je n’ai pas de chiffre précis mais on en a parlé pendant la table ronde - il semblerait qu’il y ait pas mal de femmes qui font des courts-métrages, qui sont sur des choses plus expérimentales où il n’y a pas beaucoup d’argent, mais sur le long-métrage, il n’y a quasiment pas de femmes. Peut-être une ou deux. Le passage au long-métrage ne se fait que pour les hommes alors qu’il y a pas mal de femmes en anim’ au départ.

Là, c’est pareil, c’est l’arrivée de l’argent, le fait que d’un coup l’enjeu économique est fort et donc les hommes prennent le pouvoir.

Comme si une femme ne pouvait pas gérer un budget trop élevé, n’avait pas les épaules, l’ambition, la capacité à en avoir la prétention. Je crois beaucoup à la manière dont on est éduquées… Peut-être que la génération qui arrive va se comporter différemment. J’ai tendance à vouloir être optimiste.

Je dévie un peu mais la dernière fois pendant la rencontre, il y avait quelques rangées d’étudiantes qui avaient l’air d’être assez engagées. Moi, j’ai fait des études de cinéma et j’ai strictement jamais entendu parler de ces femmes. Jamais, jamais. Alors que j’avais un prof de cinéma absolument merveilleux, qui était un ponte de l’histoire du cinéma, et je n’ai jamais entendu parler de ces femmes.

Et il y avait des jeunes filles qui disaient à la rencontre qu’elles avaient eu un cours, pas par l’histoire du cinéma mais par la sociologie je crois, par une prof qui venait d’arriver à la fac, où elles ont découvert tout ce pan de création du début d’Hollywood. Là, récemment. Alors je me dis que ça bouge. Et je me dis que si elles ont, elles, cette connaissance-là, elles auront probablement un rapport différent à la transmission.

Vous avez évoqué l’éducation, la manière dont on intègre des attitudes, comportements, etc. Le film montre les processus d’invisibilisation. Montre-t-il également les freins qu’ont les femmes à accéder à tous les postes ? 

Alors le film est vraiment sur l’invisibilisation, sur ce processus qui est quasiment un rapt. C’est vraiment incroyable… C’est tellement gros… Après, on continue dans l’histoire du cinéma, l’histoire du studio, le fait qu’il n’y ait plus de productrices (il y en a juste une), qu’il n’y ait qu’une seule femme à avoir eu un Oscar… Il n’y a jamais eu autant de femmes à faire du cinéma qu’à cette époque ! C’est quand même incroyable ! Aujourd’hui encore il y en a beaucoup moins qu’à cette époque. Il y aurait pu avoir un creux et après ça remonte tranquillement avec les années 70, avec les luttes pour l’égalité. Non, jamais on est revenues à ce niveau.

Pourquoi, alors ? Comme vous dites, il y a eu de nombreuses luttes féministes. Pourquoi le milieu du cinéma n’a pas été investi par ces questions-là comme aujourd’hui il commence à s’investir dans ces luttes ? 

Je crois vraiment que c’est l’argent qui explique tout ça. Et aussi, comme je le disais tout à l’heure, je crois beaucoup qu’on intègre dans la manière dans laquelle on est éduquées et dans toutes les choses inconscientes qui sont du coup difficiles à débusquer… Il s’agit pas de dire que tous les parents d’une génération ou d’une autre sont coupables ou pas, ce sont des choses qui sont très souterraines, qui se transmettent de manière souterraine.

Dans mon milieu, dans les gens qui sont autour de moi, mes collègues, dans ce que je connais et ce que je vis moi aussi, je suis absolument sure que nous les femmes on négocie quasiment jamais nos salaires. Et que les hommes les négocient. Pas parce qu’ils sont des gros requins et que nous on est nulles. Mais parce qu’ils ont l’habitude de négocier pour être payés à leur juste valeur et ils ont la prétention, au sens très positif du terme, de négocier.

Et nous, je crois vraiment, qu’on négocie peu ou pas. Je sais pas si on peut faire des généralités ou pas mais je crois qu’on a intégré quelque chose de l’ordre du ‘faut pas trop déranger, faut être sage, être appliquée, bien travailler’. C’est un peu cliché de dire ça mais c’est encore à l’œuvre. En tout cas dans ma génération. J’espère vraiment très sincèrement que ça diminue voire que ça disparaisse. Mais prétendre, avoir de l’ambition, se dire qu’on a envie de faire un truc… Ce sont des choses que les hommes font plus facilement que les femmes. Ils vont plus facilement vers des trucs ambitieux, avec une espèce de panache.

Des femmes peuvent le faire, évidemment ça existe. Mais si on le fait, je pense que ça nous coûte plus. La question de la légitimité, les femmes se la posent beaucoup plus que les hommes. Après, je pense aussi qu’il y a une histoire vraiment d’argent et de pouvoir. Parce que tant qu’il y aura principalement, et là je peux le dire très concrètement, des hommes de 50 – 60 ans à tous les postes, enfin à beaucoup de postes qui sont des lieux de pouvoir, c’est logique qu’il y ait une vision plus masculine des choses.

Un exemple très concret : il y a eu récemment une table ronde de travail sur des questions très importantes, sur l’audiovisuel public (la réforme de l’audiovisuel c’est hyper important pour nous), avec des enjeux très forts. Autour de cette table, il y avait une dizaine de personnes. Des gens à des postes importants de décision. Il y avait notamment France 3, plusieurs directeurs de France 3 région, des directeurs de la SCAM, les dirigeants des services culturels de la région et un modérateur. Donc une dizaine de personnes qui étaient tous des hommes de 50 – 60 ans et une femme qui venait représenter son directeur.

C’est symptomatique ! Ça n’enlève rien à leur valeur, ce sont des gens qui sont intéressants, comme partout, il y a des gens avec qui tu es d’accord, pas d’accord, que tu trouves brillants, d’autres pas intéressants, etc. Mais il n’empêche que ce sont tous des hommes. C’est très symptomatique à notre époque. Ça commence à changer mais ça prend du temps. 

C’est peut-être compliqué de faire bouger les choses quand les femmes sont réalisatrices mais qu’on sait que ce sont elles qui ont les plus petits budgets. On dit que les femmes sont souvent plus dans un cinéma indépendant. Elles ne sont pas à la tête des blockbusters, des productions, etc.

Ah non non non c’est vrai. A la SCAM, il y a un exemple sur les chiffres. Ils datent de 2014 – 2015 mais doivent probablement être assez actuels, même si ça pousse à la SCAM, avec un CA qui est en train de se féminiser. Mais, à la SCAM, il y a 35% de femmes sur presque 30 000 adhérents.

Si tu regardes dans la tranche des moins de 30 ans, il y a plus de 50% de femmes. Entre 30 et 40 ans, tu baisses à 48% de femmes. Après 40 ans, c’est à 37%. Après 50 ans, c’est 30%. Et après 60, c’est 25%. C’est quand même assez vertigineux comme chute. Il y a plus de 75% des plus de 50 ans à la SCAM qui sont des hommes.

Pour voir l’ampleur du truc, j’explique comment fonctionne la SCAM : tu as des grades. Quand tu arrives, tu es adhérent. Ensuite, en fonction du nombre d’heures de film que tu fais, tu montes en grade. Tu deviens sociétaire stagiaire, puis tu deviens sociétaire. Chaque grade a un nombre de voix différent à l’assemblée générale. Donc évidemment, plus tu es vieux, plus tu as fait des films, plus t’as une voix. Par définition, il y a moins de femmes qui sont sociétaires.

Evidemment, il y a une autre raison à ça, c’est la question des enfants. Moi je tiens à ce que l’on oublie pas ça. Des fois, on a tendance à oublier de parler de ça dans le milieu culturel parce que le milieu culturel il aime à penser qu’il est plus évolué que les autres de ce côté-là, du côté de la répartition des tâches, alors que c’est archi faux. En réalité, il est peut-être plus évolué en terme de répartition des tâches avant que les enfants arrivent.

Mais après… Quand tu veux faire des films, il faut que tu t’en ailles, tu dois pouvoir partir en repérage, en tournage. Comme quand tu veux prendre des responsabilités dans n’importe quel métier et que tu rentres tard parce que tu as des réunions, etc. Ça reste compliqué. Si tu es avec quelqu’un et que c’est toi qui prend le plus en charge l’organisation de la famille, tu ne peux pas partir trois semaines en tournage et ça c’est quand même une clé !

On entend de plus en plus en interview les actrices dirent qu’elles viennent d’avoir des enfants et qu’elles partent en tournage avec les enfants. Par contre, on n’entend pas les acteurs dirent qu’ils partent en tournage avec les bébés… 

Ouais et puis on entend des actrices qui sont à un niveau hyper élevé, qui peuvent avoir des nounous avec elles. Une technicienne son, une cheffe op’, une réalisatrice qui fait plutôt du documentaire, je peux te dire qu’il y aura pas de nounou, pas de budget pour ça.

Soit tu as quelqu’un d’autre qui peut assurer quand t’es pas là, soit t’as pas et t’as pas de solution. Moi, je me rappellerais toujours - et ça c’est arrivé à plein de femmes quelque soit leur milieu et leur travail – le premier festival où je suis allée après avoir eu ma première fille, un copain m’a dit ‘bah alors, qu’est-ce que t’as fait de ta fille ?’. Je suis absolument sure que personne n’a dit ça au père de ma fille quand il est sorti pour la première fois.

C’est comme la question posée aux femmes en politique, la fameuse ‘Qui va s’occuper des enfants ?’…

Ouais c’est exactement ça. Et je pense que c’est important de le redire. Y a une espèce d’impression que c’est fait mais en fait non c’est pas du tout fait et ça reste une plaie. Ça et l’argent.

Ce qui est hallucinant et que j’ai découvert en préparant la table ronde c’est qu’il y a 46% d’écart de salaire entre réalisateurs et réalisatrices. 46% ! C’est vachement plus que la moyenne nationale !

Ce qui ne veut pas dire que moi je gagne 46% de moins que mes collègues qui font des films à peu près sur les mêmes territoires que moi, avec à peu près les mêmes budgets que moi. C’est sur l’ensemble. Vu que les gros budgets vont aux hommes, ça crée une différence énorme. Ce qui crée une différence aussi énorme, c’est le fait qu’on ne confie pas à une femme des gros budgets. 46% c’est dingo !

Ça c’est en France. Depuis l’affaire Weinstein, forcément, on entend plus de choses. Notamment sur les violences sexuelles, et plus largement sur ce rapport de domination effectué par ces hommes âgés qui ont quasiment toujours été là, qui ont de l’influence. Les actrices américaines et anglaises commencent à parler. On pense à Meryl Streep, qui n’a pas attendu cette affaire pour faire des discours sur l’égalité, à Emma Watson, à Kate Winslet, etc. Il y a maintenant Time’s Up. En France, ça peine un peu… Qu’est –ce qu’on peut dire sur la situation en France ? 

À l’échelle de la fiction, je ne sais pas. Je ne comprends pas vraiment pourquoi on n’a pas le même phénomène. Est-ce que c’est lié – et ce serait affreux – à ce côté culture française, dragueur, comme on dit avec les italiens, le côté européen, latin, qui n’est pas du tout la même culture qu’aux Etats-Unis où il y a plus de puritanisme ? Ce serait lié à ce côté latin où il y aurait une acceptation plus grande du truc, intégré encore une fois par les hommes et les femmes ? Est-ce que la question financière est la même aux Etats-Unis et en France ?

En tout cas ce qui est sûr c’est que s’il y avait pas, j’ai l’impression, ce déséquilibre économique aussi grand, les femmes seraient probablement moins à la merci d’un homme. Il y a une histoire de pouvoir. Les hommes qui dominent les femmes et qui leur font subir des agressions sexuelles, des agressions, des humiliations, c’est parce qu’ils ont le pouvoir. S’ils avaient en face une femme qui avait le même pouvoir économique qu’eux, donc qui pourrait quitter la table sans prendre le risque de se faire virer ou autre, peut-être que ça changerait la donne.

La question de l’argent, c’est une clé ! Si ta survie économique dépend d’un homme, il a du pouvoir sur toi. Si ta survie économique ne dépend que de toi, que l’homme a le même niveau que toi, ça se rééquilibre. C’est comme dans un couple. S’il y a une grande différence de pouvoir économique et que ça ne se passe pas bien, y en a un qui tient l’autre, éventuellement. Si tu as une égalité de pouvoir, chacun est libre. Mine de rien, c’est vachement important.

En France, les réalisatrices commencent à parler de la question budgétaire mais leur parole reste remise en cause, ou en tout cas est minimisée. Et les actrices parlent plus des rôles qu’elles vont avoir. Ou ne pas avoir justement. Parce qu’elles vont disparaître après 40 – 50 ans… Elles dénoncent moins des inégalités en profondeur dans le milieu du cinéma. Parce qu’en même temps, on sait qu’elles sont face à une plus grande majorité de réalisateurs qui eux ont une vision masculine de la société.

Oui, elles ont souvent des rôles aussi qui sont en lien avec un homme. Aux César, si tu regardes la liste des nommé-e-s, en sortant des catégories qui sont genrées (meilleur comédien, meilleure comédienne…), les meilleurs films et les meilleurs réalisateurs – qui sont les catégories les plus prestigieuses – il y a peu de femmes. Il y a une seule femme meilleure réal’, c’est Tonie Marshall. Là pour les César 2019, sur 6 ou 7 personnes, il y a une seule femme, pour le film Pupilles, c’est Jeanne Herry. Et c’est une histoire liée à la maternité… Après, si tu regardes les autres catégories, tu as envie de chialer… 

Justement, Véronique Le Bris avec qui vous étiez lors de la table ronde, a créé le prix Alice Guy ! 

Oui, c’est vachement bien ! C’est vachement bien que le prix soit remis le jour des César, c’est un vrai symbole. C’est je pense son intention d’interpeler sur la quasi absence des femmes dans les cérémonies comme les César. Le prix Alice Guy, c’est une belle compétition, c’est un jury chouette. Et puis le chouette nom de cette femme, dont je n’avais jamais entendu parler, qui a tout appris à Méliès. C’est quand même fou ça ! Elle a fait 400 films, des films complètement fous, avant-gardistes et personne ne les connaît. C’est incroyable !

C’est le propos du film Et la femme créa Hollywood, de montrer que les femmes étaient à l’avant-garde d’Hollywood, qu’elles ont créé ce langage cinématographique que les hommes utilisent aujourd’hui encore. Elles ont été bannies de l’histoire…

Complètement !

Il y a un mouvement aujourd’hui de réhabilitation des femmes dans l’histoire, le film s’inscrit dans ce mouvement. 

Oui c’est vrai. On relit l’histoire à l’aune de cette donnée-là, d’invisibilisation qui a été forte. Même dans le milieu scientifique, il y a des tas de femmes qui ont été oubliées de l’histoire alors qu’elles ont fait des découvertes. C’est le même principe. J’imagine que dès que l’argent est arrivé, on a écarté les femmes. C’est un mouvement qui se fait parallèlement dans plein de secteurs.

Si on reprend ce dont on parlait sur les catégories genrées, on voit dans le cinéma, que si on prend l’animation, on va avoir pas mal de femmes. Qu’en est-il dans le documentaire ? 

Dans le documentaire, il y a beaucoup plus de femmes. Je n’ai pas de statistiques mais ça se voit à vue de nez. Dans le documentaire, il y a plus de femmes réalisatrices, de femmes productrices, mais c’est parce qu’il y a moins de budget. À un moment je me suis demandée si c’était pas aussi le côté ‘documentaire, c’est le regard sur le monde, la production de discours, le partage’ et donc ce serait l’apanage des femmes.

Mais on en a parlé avec Véronique Le Bris la dernière fois et elle me disait que non, c’était uniquement l’argent. La raison principale serait vraiment le manque de budget. Et même en documentaire, quand on parle de grosse collection, de série prestigieuse, de prime time, ce sont les hommes qui ont la majorité des budgets. Même dans les endroits avec plus de femmes, on n’arrive pas à passer le cap.

Et vous ne sentez pas de mouvement qui s’organise avec des femmes ? 

Si, si, il y en a. Dans l’animation, il y a un collectif qui s’appelle Les femmes s’animent, qui réfléchit, qui travaille et qui produit des choses intéressantes sur des conférences, des études, sur la question de l’héroïne, qu’est-ce qu’on propose pour les enfants, etc. Il y a ça mais à d’autres endroits, il y a d’autres choses. Dans HF Bretagne, qui a organisé la table ronde et qui travaille sur la question de l’égalité dans la culture, il est question de créer un sous groupe Cinéma. Ça s’organise.

Et puis il y a des choses aussi qui se passent au niveau des institutions. Depuis le 1erjanvier, il y a des nouvelles règles au CNC qui sont purement écrites pour pallier à l’inégalité entre les hommes et les femmes. C’est-à-dire qu’il y aura des bonus quand tu demanderas une subvention au CNC s’il y a une majorité de femmes au poste d’encadrant. C’est intéressant parce que ce n’est pas une histoire de quotas qui est compliquée. Parce qu’on a pas forcément envie d’être aidées parce qu’on est des femmes mais parce que les projets sont intéressants et qu’on a du talent.

Là, avec ce bonus, on essaye de pallier avec cette inégalité de base qui existe. D’autres mesures ont été prises par le CNC donc je pense que ça bouge. J’ai envie d’être optimiste. Mais c’est sur des choses vraiment profondes que c’est lent et donc comme toutes les choses qui sont liées à des collectifs la loi aide à faire avancer les choses. 

Il faudrait que les films passent au test de Bechdel pour attribuer les budgets… 

C’est ça ! L’autre truc aussi c’est que parmi ces nouvelles règles, les manifestations et les structures qui seront aidées par le CNC devront prouver la parité. Dans un festival aidé par le CNC par exemple, le comité de sélection devra justifier de la parité. C’est vachement intéressant ça aussi je trouve. Le festival de Berlin a pour la première fois eu une politique volontariste dans leur comité de sélection. Ils étaient à 40% et quelques de films réalisés par des femmes contre 17% l’année dernière.

Et je pense qu’ils vont être suivis. C’est un très gros festival et ils ont beaucoup communiqué là dessus. Après c’est une espèce de mode, mais tant mieux, allons-y, surfons dessus sans vergogne. Parce que ça va s’ancrer et puis à un moment plus personne n’en parlera parce que ce sera naturel. J’espère.

Encore une chose, quand je bossais à Vivement lundi !, il y avait une femme qui faisait de l’animation et une femme qui faisait du docu. Je pense pas qu’il y avait d’autres femmes, produites par Vivement lundi !, ou peut-être des co-réalisatrices. Aujourd’hui, il y en a plein ! Plein de jeunes femmes notamment. Qui font de l’animation. Et en docs aussi. J’en ai discuté avec eux justement. Et Aurélie Angebault, de Vivement lundi !, fait parti des Femmes s’animent. Elle me disait que ce n’est pas partout pareil en France. Loin de là. Ça bouge mais pas partout, pas aux mêmes vitesses.

Célian Ramis

L'origine du monde, source des malheurs

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Mise en mots et mise en corps se mêlent dans ce théâtre gestuel qui donne à entendre s’exprimer ici la moitié de l’humanité. Dans L’origine du monde, la compagnie Fiat Lux dresse un panorama non exhaustif des souffrances subies par les femmes.
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Mise en mots et mise en corps se mêlent dans ce théâtre gestuel qui donne à entendre s’exprimer ici la moitié de l’humanité. Celle que l’on oublie, celle que l’on ignore, celle que l’on minore, celle que l’on méprise, celle que l’on bafoue… Dans L’origine du monde, la compagnie Fiat Lux dresse un panorama non exhaustif des souffrances subies par les femmes. 

La tête nous tourne, vendredi 5 avril, en sortant de la représentation proposée, dans le cadre du festival Mythos, au centre culturel Pôle Sud, co-producteur du spectacle pensé et construit par la compagnie briochine Fiat Lux. Parce que pendant plus d’une heure, la pièce nous a assailli de témoignages de femmes.

Et quand les femmes témoignent de leur condition de femmes, c’est rarement joyeux. Mais c’est nécessaire pour donner à entendre, pour faire comprendre. Faire comprendre qu’à cause de leur sexe, de cette origine du monde pour reprendre le nom du tableau de Gustave Courbet – qui a peint là une partie du corps de Constance Quéniaux – elles seront les proies de nombreuses discriminations tout au long de leurs vies.

Pendant près de 2 ans, le metteur en scène Didier Guyon a travaillé à la création de ce spectacle, dont la première représentation a eu lieu en mars 2019. Dès janvier 2017, il a collecté des paroles de femmes, tout comme il avait procédé pour Dis moi, présenté en 2016, autour de la vieillesse. 

Des entretiens avec une cinquantaine de femmes, dont la durée oscille entre 1h et 1h30, il en a gardé des extraits mais surtout en a préservé l’essence pour la restituer avec le plus de véracité possible. Parce que l’intime est politique, il faut manier les témoignages avec soin et précaution et essayer au maximum de ne pas les manipuler.

Le récit nous plonge au cœur de la condition féminine, celle qui prend forme dès lors que la jeune fille devient femme. Un moment qui surviendrait aux premières colorations rougeâtres de nos culottes.

« Ma mère m’a dit « Un jour tu vas voir tu vas avoir du sang dans la culotte… ». Ça faisait belle lurette que je savais ça ! Fin de l’éducation sexuelle. »

Dès les premières règles, les femmes s’avèrent différentes les unes des autres. Mais rares sont celles qui le vivent avec joie et légèreté et nombreuses sont celles qui éprouvent de la honte. Une honte liée aux tabous autour des menstruations et plus largement du corps et de la sexualité.

De la ménarche déboussolée à la femme atteinte d’endométriose, on passe à l’escort militante se positionnant en faveur de l’accompagnement sexuel des personnes handicapées à la meuf qui adore sucer des bites mais qui aujourd’hui en est dégoutée.

« C’est comme les huitres. J’adorais ça, le matin au petit déjeuner avec du vin blanc et puis un jour j’ai été malade, j’en ai plus jamais mangé. C’est ça en fait. C’est ouf. »

Il y en a pour qui la sexualité est source d’épanouissement personnel mais aussi pour qui la thématique est complexe « parce que c’est une invitation à être soi et ce n’est pas si simple parce qu’on peut en avoir envie et peur à la fois. » Ou alors parce que leur orientation sexuelle n’est pas bien vue et leur homosexualité, elles n’en ont pas parlé à leurs familles. Ou encore parce que l’injonction à la virilité obstrue les rapports : 

« Y a des mecs qui me prennent la tête parce qu’ils peuvent pas bander. Si tu veux faire jouir une femme, t’es pas obligé de bander ! Peu importe la raison, ça finit toujours par être de la faute (des femmes), toujours ! »

Au fur et à mesure de la pièce, on avance crescendo vers les violences symboliques (in)visibles. Principalement autour de la maternité. Avortements cachés, accouchement douloureux, fausse couche, parcours PMA, mort du nourrisson… Les femmes intègrent rapidement et inconsciemment le poids des tabous, s’orientant instinctivement vers le silence, pour se protéger.

Et puis, il y a aussi les mauvaises mères. Celles qui partent travailler au lieu de rester dans le foyer pour s’occuper de l’éducation des enfants. Mais la société est bien faite et elles le paieront puisqu’elles se confronteront alors au sexisme des métiers genrés et au plafond de verre qui les empêchera d’atteindre des postes à responsabilités.

Les femmes n’ont pas les épaules pour gérer des gros budgets mais elles ont les visages tuméfiés et les dos fouettés. Elles sont nombreuses, malheureusement, à endurer les violences physiques, psychologiques et/ou sexuelles. Sont nombreuses aussi, malheureusement encore, à faire perdurer la culture du viol de génération en génération.

« Le système est bien construit, il est très difficile à remettre en cause. Il faut déconstruire les mères. »

Quand est-ce que le schéma de l’horreur s’arrête ? À la ménopause ? Ce moment où la femme arrête d’être une femme parce qu’elle ne peut plus concevoir d’enfant ? La pièce se termine sur un message d’espoir. Finalement, cet instant tant redouté ne devrait-il pas être le moment tant attendu ? Le plus beau jour dans la vie d’une femme libre ?

« Le corps se modifie et on peut enfin choisir sa vie. Je veux être libre, je veux plus qu’on m’emmerde, je veux vivre ma vie de femme, d’individu. »

Un individu doté de son passé, de la sagesse tirée de ses expériences, de ses souffrances vécues mais aussi d’un regain de vitalité, d’une envie de sexualité, etc. Un individu libéré du poids de la contraception et de ses conséquences. Mais également un individu qui vogue désormais dans les eaux de la vieillesse.

Comme pour les règles, elles ne sont pas égales dans la traversée de cette énième aventure réservée aux personnes ayant un utérus. Certaines veulent chanter à tue-tête « Libérée, délivrée », tandis que d’autres ont juste envie que ça s’arrête parce qu’elles subissent les bouffées de chaleur et autres déconvenues depuis 15 ans.

Le spectacle s’arrête, laissant les deux comédiennes entièrement nues sur le plateau avec le son de ce dernier témoignage affirmant le moment où la personne est devenue femme : quand elle a arrêté de se définir par rapport à l’homme. C’est le soulagement. Les nerfs à vif, on se laisse submerger par l’émotion d’un public aux applaudissements forts et sincères.

C’est douloureux d’entendre toutes ces paroles résumant des siècles de souffrances infligées, aujourd’hui encore, par des sociétés patriarcales qui plongent la moitié de l’humanité dans le silence et le mépris et une partie de l’autre dans le déni, sorte également de souffrance puisque la virilité, tant qu’elle n’est pas questionnée, restera source de malheurs et de frustrations pour l’intégralité des populations.

C’est douloureux et pourtant, on recommande L’origine du monde à quiconque souhaite satisfaire sa curiosité envers la condition féminine et l’égalité mais aussi en matière d’art social sublimé par la créativité et l’originalité de la compagnie Fiat Lux. 

Sans oublier le talent des comédiennes, Eléonore Gresset et Ian Su, qui réalise là une performance époustouflante. Jamais elles ne parlent durant la pièce. Leurs corps sont le réceptacle des paroles de celles qui témoignent. Et à travers elles et leur jeu se mêlent émotions violentes, fragilité, tendresse et parfois même humour.

Par du mime, du théâtre d’objet, de la danse des signes, des marionnettes, elles restituent les propos, diffusés en bande audio, des femmes qui osent exprimer leurs vécus et expériences, joyeux ou douloureux. De ce croisement du théâtre gestuel et du théâtre documentaire nait une intensité et une puissance à nous couper le souffle. Comme quand on reçoit un coup violent dans le haut du dos.

On ne peut plus respirer parce qu’une partie de l’humanité suffoque là devant nos yeux et dans le creux de nos oreilles. On ne peut plus respirer non plus parce que face à nous se joue le quotidien tragique de la société à laquelle on appartient. À la fin du spectacle, une bouffée d’oxygène vient nous réanimer.

Parce que le public salue avec hargne le travail de la compagnie Fiat Lux qui a le courage de porter une telle thématique sur les planches, dans la lignée de Marine Bachelot Nguyen ou de Julie Berès, entre autres, toutes deux présentes lors du festival Mythos. Si la noirceur de l’âme humaine trône sur le plateau, on finit par entrevoir un espoir.

Celui de la prise de paroles, celui de l’écoute, celui de la prise de conscience, celui de la transmission et enfin celui de l’éducation à l’égalité. On le sait, l’art en a le pouvoir et L'origine du monde vient nous le rappeler.

Célian Ramis

Suzane, histoires vraies sur fond d'électro

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C’est elle-même qui se définit « conteuse d’histoires vraies sur fond d’électro » et ça lui va plutôt bien. Suzane était sur la scène du Cabaret botanique, installé dans le parc du Thabor, le 3 avril à l’occasion du festival Mythos.
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C’est elle-même qui se définit « conteuse d’histoires vraies sur fond d’électro » et ça lui va plutôt bien. Suzane était sur la scène du Cabaret botanique, installé dans le parc du Thabor, le 3 avril à l’occasion du festival Mythos. 

Son EP n’est pas encore sorti mais il devrait arriver incessamment sous peu. D’ici quelques jours, signale la chanteuse pour qui tout s’est accéléré d’un coup. Dans la chanson éponyme, elle raconte son histoire.

Elle rêve d’être chanteuse. L’avignonnaise monte à Paris et trouve un boulot se serveuse plusieurs mois durant. Elle ne fait plus que rêver, désormais elle écrit également. Parce que les client-e-s l’inspirent. Elles puisent dans leurs histoires et dans les siennes pour composer des textes susceptibles de s’adresser à un large public.

Celle qui rêvait « derrière le bar en bois » de faire « l’Olympia » a relevé le défi jusqu’à le transformer en réalité. La voilà parée de sa tenue de scène, d’un synthétiseur, d’un mélodica, de sa voix et de son énergie. 

Parce qu’elle envoie, Suzane. Elle danse, elle mimique, elle joue la comédie, elle saute. Elle n’arrête pas. Et le public la suit, sans difficulté. L’ambiance est joyeuse, la chaleur monte vite dans le Magic Mirror. Très vite.

Elle nous raconte des histoires diverses et variées et nous présente une palanquée de personnages plus réalistes les uns que les autres. Parce que finalement, ils existent tous réellement. Elle les connaît, les a connus, les mélange à son vécu, les transpose dans notre époque ultra connectée.

Ça donne des chansons sur l’addiction aux smartphones et l’absurdité d’un quotidien passé à voir sa vie défiler à travers un écran, sur la flemme, sur l’éternelle insatisfaction, sur la dictature de la minceur et des régimes ou encore sur la peur de l’inconnue.

Suzane, c’est un peu la voix d’une jeunesse qui, impactée par la non remise en cause des générations précédentes, prend du recul sur la société et nous signale qu’elle n’est pas naïve, elle a bien lu entre les lignes.

Elle refuse de se taire, elle refuse de fermer les yeux, elle refuse l’inaction. Alors, elle met des mots sur ses émotions et exprime tel un Stromae – moins expérimentée, avouons-le – l’évidence d’un monde en déroute. Le sourire, le second degré, la musique électro, c’est entrainant et ça nous fait danser. Mais les mots qui claquent, ça nous frappent.

Si Suzane n’a pas la noirceur d’une Aloïse Sauvage ou l’imaginaire d’une Ladylike Lily, elle affirme qu’elle a elle aussi le verbe et qu’elle manie très bien la langue française. Sans l’imposer, le message est tout aussi brut que celui des artistes citées. Elle fait rebondir les mots, les plie, les confronte, les marie et s’en amuse et au passage, elle nous amuse également.

Parce qu’elle a un potentiel ardent digne d’un volcan s’apprêtant à entrer à éruption et parce qu’elle ne fait pas semblant. Influencée par Edith Piaf, Jacques Brel ou encore Françoise Hardy à qui elle rend hommage en revisitant « Laisse tomber les filles », elle laisse entendre son admiration et sa culture musicale auprès de ces artistes mais ne cherche pas à les imiter.

On entend Stromae dans le phrasé et la manière de raconter – qu’elle pense plutôt être empruntés à Orelsan – mais Suzane apporte ses propres histoires et son propre point de vue. Les attentats de novembre 2015, les violences sexistes et sexuelles à l’encontre des femmes, les préjugés, les jugements, elle les aborde avec franchise et subtilité à travers une galerie de personnages réalistes, loin d’une morale bienveillante et dangereuse. Ça fait du bien.

Célian Ramis

De la Palestine au Liban, le voyage de Layla Darwiche

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La conteuse Layla Darwiche navigue sur les flots de la tradition familiale et de la tradition orale pour nous conter Le voyage de Messaouda, dans le cadre du festival Mythos, le 4 avril à bord de la Péniche Spectacle.
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La conteuse Layla Darwiche navigue sur les flots de la tradition familiale et de la tradition orale pour nous conter Le voyage de Messaouda, dans le cadre du festival Mythos, le 4 avril à bord de la Péniche Spectacle. 

Messaouda, c’est une vieille femme qui habite au bord de la mer, dans un village de pêcheurs, près de Jaffa, en Palestine. À l’origine, ce n’est pas une femme de la mer mais de la montagne, là où avec son père elle a appris tous les secrets et toutes les vertus des fleurs et des plantes. Et là où avec sa mère, elle a appris à faire du pain.

Lorsqu’elle partait, petite, avec son père pour cueillir de quoi soigner les petits et les grands maux, elle regardait à l’horizon et observait les bateaux voguer sur la mer. Intriguée, elle se demandait ce qui pouvait bien se trouver de l’autre côté de cette ligne aquatique.

À ses 16 ans, elle a épousé un pêcheur et a pu pour la première fois, glisser ses pieds dans la mer. Dans son jardin, elle a cultivé des plantes et des aromates, de quoi préparer des onguents pour soigner les malades et aider les femmes lors des accouchements. Elle a élevé ses 11 enfants et a accompagné son mari jusqu’à la fin.

Toute sa vie, elle a continué à faire du pain, avec le secret de sa mère qui ajoutait dans la pâte, de l’huile d’olive et des plantes qu’elle cueillait le matin même dans son jardin. Lorsque le pain était prêt, bien cuit sur le saj chaud, son odeur était le signal qui faisait venir les voisines qui se racontaient alors leurs rêves, leurs difficultés et leurs journées.

Un matin, attendant que sa pâte lève, Messaouda a pris ses chaussures et est partie, comme chaque jour, marcher sur la plage. Apercevant au loin le port, elle s’en approche et s’émerveille devant un grand voilier en partance pour Beyrouth.

Beyrouth. De l’autre côté. Le rêve de Messaouda. Son voyage commence à cet instant. Embarquée sur le voilier, elle part à la découverte de cette petite ville entourée de remparts qui sent bon le jasmin et l’oranger.

Dévoiler la suite serait une injure à l’imagination de Layla Darwiche, conteuse sur le tard mais conteuse dans l’âme depuis toujours. Elle tient ça de sa grand-mère, à la « bouche fleurie », cette femme illettrée qui a bercé son enfance de ses contes, chants et poèmes et dont la maison au Liban était un refuge, loin du bruit des bombes.

Cet univers dans lequel Layla baigne est aussi celui de son père, conteur, et plus tard de sa sœur, Najoua Darwiche qui le 15 septembre dernier croisait récits imaginaires et contes traditionnels au détour d’une promenade entre la Prévalaye et Cleunay lors de la 4eédition de la fête de la biodiversité « Du champ à l’assiette ». 

Ce soir du 4 avril, c’est sur l’eau, à bord de la Péniche Spectacle, que l’on embarque avec Messaouda qui prend la mer. Au cours de son périple et de ses rencontres viennent s’ajouter d’autres contes. Des histoires dans l’histoire. Et parfois même des histoires dans les histoires.

Toutes sont emplies de messages et de valeurs. Sur la sagesse, la confiance, l’amour de soi, le fait de profiter de la vie, les relations amoureuses, l’accomplissement personnel, l’amitié. Avec toujours beaucoup de malice et d’ingéniosité, les personnages, incarnés par des humains ou des animaux, tissent eux-mêmes la toile de leurs aventures et deviennent acteurs de leur quotidien et de leur destin.

Il y avait longtemps que l’on ne s’était pas laissé-e-s conter la vie d’images en métaphores, de personnifications en intrigues à Mythos. C’est un plaisir de revenir à l’essence du festival avec Layla Darwiche qui maitrise l’art de la parole juste.

Inspirée par sa grand-mère, tant dans l’envie de conter que dans la joie de partager des émotions avec le public aux yeux brillants, on peut même l’apercevoir à travers Messaouda. Chaque détail compte et participe à nous faire voyager. On vibre avec la protagoniste qui prend vie grâce à la précision époustouflante de la narratrice.

On se retrouve pour la première fois dans le marché de Beyrouth. On sent la cardamome, le café, l’odeur du café et des galettes. On voit les gâteaux au miel et à la pistache et la viande qui rôtie. On passe de souk en souk, on apprécie le travail du teinturier, de ce sculpteur sur bois de cèdre un peu plus loin et de ce souffleur de verre.

On s’émerveille devant la place entourée de cyprès sur laquelle les femmes discutent d’un côté et les hommes fument le narguilé de l’autre. Les enfants, eux, prennent l’espace central, en mangeant leurs graines de courges. Et puis, le vieux monsieur arrive et on prend part nous aussi au cercle qui se forme devant lui.

On sent la chaleur de l’instant et on aime la brise qui nous caresse le visage. De Jaffa à Beyrouth et de Beyrouth à Jaffa, on s’éprend tendrement de cette vieille dame, déterminée à réaliser son rêve. À vivre pleinement. Elle est douce et forte, sage et fougueuse. On l’admire, tout autant que celle qui, de par son talent à nous faire oublier le présent, nous emmène dans sa somptueuse imagination.

Célian Ramis

Duras & Platini : un duel au sommet

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Quand Michel Platini s’entretient avec Marguerite Duras en décembre 87 dans les locaux de Libération, c’est une interview surréaliste. Quand Mohamed El Khatib s’empare de la thématique en avril 2019 à la Parcheminerie, c’est un spectacle drôle et social.
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Quand Michel Platini s’entretient avec Marguerite Duras en décembre 87 dans les locaux de Libération, c’est une interview surréaliste. Quand Mohamed El Khatib s’empare de la thématique en avril 2019 sur la scène de la Parcheminerie, lors du festival Mythos, c’est un spectacle drôle et social qui défile sous nos yeux. 

On avait aimé découvrir en 2016, à l’occasion de ce même festival, la pièce Moi, Corinne Dadat, écrite et mise en scène par Mohamed El Khatib. On avait aimé parce qu’il savait utiliser l’humour pour piquer à vif. 

Il réitère, les 4 et 5 avril, au théâtre de la Parcheminerie à Rennes, avec Duras & Platini, une grande intellectuelle et un monstre du football. Elle a écrit, entre autres, L’amant et a reçu le prix Goncourt pour celui-ci quelques années plus tôt. Il a été le capitaine des Bleus, champion d’Europe et plusieurs fois demi finaliste de la Coupe du monde. Cette année-là, il raccroche les crampons. 

De cette interview, il garde le souvenir de « quelque chose de complètement irréaliste, ou plutôt surréaliste, dans la mesure où moi je ne savais pas qui était Marguerite Duras, je n’avais pas conscience de son rayonnement intellectuel. Non je n’étais pas impressionné, puisque je ne mesurais pas l’importance de cette personne dans un monde littéraire dont j’ignorais tout ou presque. En revanche, j’avais été très intéressé, car j’ai toujours adoré le contact avec des gens qui n’étaient pas du football. Avec elle, j’étais servi, car j’étais certain qu’elle n’était jamais allée à un match de football. »

Mohamed El Khatib est très jeune lorsqu’il apprend que le Maroc est divisé en deux catégories : d’un côté, les supporters du Real de Madrid et de l’autre, les supporters du FC Barcelone. Il a 6 ans quand, devant la télé, son oncle hurle : « On a niqué la reine d’Angleterre ! ». 

La « main de Dieu » de Diego Maradona propulse, en 1986, l’Argentine en demi finale de Coupe du monde, face à l’Angleterre. « Trente ans plus tard, ce même Maradona adresse au Nigéria et au monde entier un doigt d’honneur. », souligne le metteur en scène. 

Pour lui, il n’y a pas de football sans politique. Et le lien football et littérature lui apparaît comme une évidence, les deux étant des surfaces de réparation de la démocratie. Les deux posant la question du récit et comment on raconte la vérité. C’est ce qu’il va mettre en perspective pendant cette heure de théâtre-documentaire du passé pour comprendre le présent.

Et c’est cette question de la vérité qui va être au cœur de l’échange entre Marguerite Duras et Michel Platini qui s’en souviendra comme d’un moment bien plus difficile que tous les matchs qu’il a joué.

Comme à son habitude, Mohamed El Khatib ne quitte pas le plateau et accompagne durant tout le spectacle les comédiens qu’il a choisi pour interpréter ce duel : Anne Brochet et Laurent Poitrenaux.

Ensemble, ils font renaitre une partie d’un entretien fort intéressant à analyser alors que 30 années se sont écoulées depuis. L’angélisme dont parle l’autrice à propos du footballeur, on le perçoit à son propos à elle. C’est beau la manière dont elle appréhende l’homme qu’elle a en face d’elle et la manière dont elle saisit le sport.

« C’est mon métier de regarder le monde »
dit-elle. 

Elle paraît naïve dans ces questions parce qu’en réalité elle l’est, vierge de tout intérêt pour la discipline footballistique. Tout comme Michel Platini avoue n’avoir aucune connaissance du domaine littéraire.

Mais Marguerite Duras a l’avantage et creuse rapidement l’écart. Sans chercher à le piéger, elle le pousse dans l’intellect et dans l’analyse de quelque chose de plus profond, de plus viscéral. Alors qu’il défend le sport comme un spectacle, elle s’enfonce dans les méandres de l’âme humaine pour comprendre ce qui mène à la folie les nations, provoquée par le ballon rond.

Elle évoque le drame du Heysel, survenu en mai 1985 à Bruxelles. Liverpool contre la Juventus. 39 morts et plus de 450 blessés. Parce que des grilles de séparation et un muret ont cédé à la pression et au poids des supporters.

Lui, il n’a pas vu, il était dans les vestiaires. Personne n’avait conscience de ce qui se déroulait à quelques mètres de là. Alors, oui, ils ont joué. Le football, c’est, encore une fois, du spectacle. Duras ne le lâche pas, elle le titille. Que ce soit en prononçant mal le mot « football » (qu’elle prononce « footballe » tout le long de l’interview, malgré les nombreuses rectifications de Platini) ou en cherchant avec insistance ce qui fascine tant dans « ce jeu démoniaque et divin ». 

Il n’y a aucune vérité dans le foot, lui rétorque l’ancien numéro 10 qui estime que le match parfait n’existe pas, sinon il y aurait tout le temps 0 – 0. Ce sont les erreurs qui font gagner l’équipe adverse. Ce sont les coups de génie dans une action. Les coups de folie. Qui peuvent être positifs comme négatifs.

Pour lui, le football, c’est le « seul truc français dont on parle dans le monde entier. » Et « la littérature ? »,soulève Duras. À ce moment-là, le public rigole. Mais la célèbre femme de lettres n’en est pas moins sérieuse. Au contraire, elle y va, lui rentre dedans, lui soulignant qu’elle est traduite dans plus de 30 pays « ce qui fait plus que l’Europe et l’Amérique du Sud ». Et paf ! 

Il ne se démonte pas et lui rend le taquet :

« Oui, mais si vous allez dans les favelas, la littérature n’est pas importante, le football, oui. »

Centré sur sa discipline et sa carrière, il ne s’aperçoit pas de l’ampleur intellectuelle de celle qui se trouve en face de lui. Et lui renvoie par moment de la condescendance. 

Une condescendance que l’on peut saisir peut-être parce qu’il y a 30 ans d’écart entre l’interview et la pièce de Mohamed El Khatib. À l’époque, cela était sans doute considéré comme normal. Toutefois, elle soulève la misogynie du foot, le racisme et le « pré-fascisme ». Ils parlent récupération politique, Platini refusant toute approche à cet instant, et envisagent l’avenir du joueur qui deviendra peu de temps après sélectionneur des Bleus.

Son tempérament de leader, acquis parce que les gens avaient besoin de lui, elle lui permet de l’analyser sans fausse pudeur. Elle a ce don de le faire accoucher de son moi profond. Sans le savoir, il se livre, se dévoile et dit « des choses importantes, même s’il n’en a pas encore conscience ». Elle est visionnaire Marguerite Duras. 

Son approche sensible des événements, sa capacité à analyser très rapidement les propos de l’autre, son intelligence sous couvert de naïveté… Elle nous fascine. Pendant quasiment tout le spectacle, on en oublie que Platini est le cœur de l’interview. Parce que finalement, elle est la tête mais en devient aussi le cœur encore plus que lui. Elle l’envoie sur la touche.

Si l’interview est qualifiée de duel, on voit sur scène un duo. Entre légèreté et dureté, c’est sans doute un bras de fer intellectuel qui s’engage là, sous nos yeux de novices ignorant jusqu’alors l’existence de cette interview qui est loin d’être surréaliste. Quand la littérature de Duras et le football de Platini rencontrent le mordant d’El Khatib, de Poitrenaux et de Brochet, c’est un moment d’extase sociale et politique qui s’installe.

Célian Ramis

Mélissa Laveaux, les notes engagées d'un coeur en Haïti

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Avec Radyo Siwèl, Mélissa Laveaux recompose le puzzle de l’Histoire d’Haïti, île natale de ses parents, avec son histoire personnelle. Mercredi 3 avril, elle contait l’occupation américaine mais surtout elle chantait la résistance et la liberté.
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Avec son troisième album Radyo Siwèl, Mélissa Laveaux recompose le puzzle de l’Histoire d’Haïti, île natale de ses parents, avec son histoire personnelle. Mercredi 3 avril, sous le Cabaret botanique de Mythos, dans le parc du Thabor, elle contait l’occupation américaine de 1915 mais surtout elle chantait la résistance et la liberté. 

Musicienne, compositrice et chanteuse, elle a pris son envol artistique depuis plus de 10 ans. Sur les deux albums précédents, elle chante en anglais, en français et en créole. Parce que ça représente bien là l’univers polyglotte dans lequel elle a grandit.

Née au Canada, à Montréal, elle va ensuite vivre à Toronto et Ottawa avant de poser ses valises à Paris dès le début de sa carrière. Sur France Culture, en mai 2018, elle explique : « Je me sens haïtienne dans la manière dont j’ai été élevée, dont je compose, dont je me situe par rapport au monde. Mais nous sommes tous en mouvement, donc mon haïtienneté change aussi. »

Sa musique est imprégnée de celle de Martha Jean-Claude, exilée à Cuba dans les années 50 qui chantait son Haïti. Et elle, se souvient d’entendre des bribes de conversations entre sa mère et ses tantes qui parlent en créole, langue qu’elle n’a jamais apprise, qu’elle ne connaît que par fragments.

Le pays aussi lui est inconnu jusqu’en 2016 lorsqu’elle ressent le besoin de séjourner quelques temps sur l’île. Là-bas, elle reconstitue une partie de son histoire familiale, son histoire personnelle, à travers la mémoire collective.

L’essence de Radyo Siwèl vient de là. Il n’est pas un retour aux racines, il est une continuité dans l’exploration de son identité. Elle qui fait vibrer le Magic Mirror de son rock caribéen s’empare de tout ce qu’on a lui a confié lors de son voyage et se réapproprie les chants folkloriques d’un Haïti colonisé qui n’a jamais capitulé. 

« Qu’est-ce que les gens chantaient à l’époque de l’Occupation américaine d’Haïti ? On ne connaît pas bien l’histoire de la musique haïtienne. Mais la musique haïtienne répond toujours au politique, il y a une tradition de riposte. », déclarait-elle sur France Culture

Cet album est donc marqué de l’histoire d’Haïti entre 1015 et 1934, chaque chanson est chantée en créole, accompagnée d’une base d’arpèges blues à la guitare électrique et de percussions aux influences caribéennes.

Mélissa Laveaux a un don pour insuffler de la légèreté là où réside un drame passé. Elle entraine avec aisance le public dans ses histoires qu’on ne comprend pas mais qu’on ressent. Elle nous guide, à travers l’histoire d’un président haïtien dont le chapeau tombe et qui se décide à le ramasser pour le remettre sur sa tête, alors que tout le monde lui dit que ça porte malheur. « Et il meurt », lance-t-elle avec le sourire. 

Dans la chanson suivante, « la malchance continue ». Sans trop en dire parce qu’elle sait qu’elle parle trop entre les morceaux, elle livre des indices : « jeune fille / pouvoirs magiques / chèvre / divorce de la chèvre / perte des pouvoirs magiques / son père qui meurt. »

Tout le concert est rythmé par sa bonne humeur, la puissance de sa voix et le croisement entre la chape de plomb de l’Occupation américaine et les chants de célébration et de victoire des Haïtiens « qui n’avaient pas de guitare électrique en 1934 mais qui ont chanté cette chanson après 20 ans d’occupation, on peut donc honorer le combat qu’ils ont mené contre les soldats ». 

L’engagement de Mélissa Laveaux ne se réduit pas à conter l’histoire des bons contre els méchants ou des victimes contre les bourreaux. Il est bien plus subtil que ça. Il réside dans chaque recoin de sa personnalité, dans chaque note de sa musique, dans chacun de ses choix artistiques.

Ce qu’elle livre sur scène ce soir-là, c’est aussi une partie de l’esprit d’Haïti qui perdure encore aujourd’hui là-bas mais aussi en elle puisque cet esprit a baigné dans l’éducation de ses parents quittant l’île pour le Canada.

« Quand les américains ont pris possession de l’île, ils ont interdit aux habitant-e-s de pratiquer le vaudou car ils avaient peur que les Haïtiens aient signé un pacte avec le diable. », explique-t-elle en guise d’introduction d’une de ses chansons. « Mais on s’en fout qu’ils nous tuent, on s’en fout, on fait ce qu’on veut. »

C’est ce vent de liberté que la musicienne vient insuffler. Elle qui par recherche d’une partie de son identité s’est permise de réinventer des sonorités, d’incruster des éléments bien à elle dans une histoire ciselée entre récit national, témoignages, expressions imagées de sa mère et de ses tantes, chansons populaires transmises par les Bann’ Siwèl (orchestres troubadours) et croyances spirituelles (parfaites pour torturer les esclavagistes).

Les textes, lourds de sens et de symboles, et la voix puissante de Mélissa Laveaux se marient à des mélodies entrainantes et dansantes. Emancipatrices. C’est le message de la chanteuse canadienne qui réussit à faire vivre le passé de son histoire familiale, sans en occulter la charge émotionnelle, et à se l’approprier pour en faire une belle branche de son arbre personnel, bien enraciné, qu’elle alimente en une multitude de feuilles et de prunes, appelées sirouelles (Siwèl, en créole).

Célian Ramis

Shannon Wright, l'émotion brute

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C’est un condensé d’émotions vives que distille Shannon Wright ce mardi 2 avril dans l’intimité du Cabaret botanique. Entourée de son batteur, sa guitare et son clavier, la musicienne envoute le public de sa voix chaude, ses mélodies lancinantes et son rock viscéral.
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C’est un condensé d’émotions vives que distille Shannon Wright ce mardi 2 avril dans l’intimité du Cabaret botanique, installé dans le parc du Thabor à l’occasion du festival Mythos. Entourée de son batteur, sa guitare et son clavier, la musicienne envoute le public de sa voix chaude, ses mélodies lancinantes et son rock viscéral. 

Quand elle arrive sur scène, le public s’électrise. Le temps d’accorder sa guitare, un silence d’église se répand dans le Cabaret botanique, suspendu aux doigts de la musicienne qui glissent sur les cordes et brisent instantanément le côté cérémonial de son entrée.

Sa voix grave et chaude est rapidement couverte par une guitare saturée qui révèle une urgence et une envie d’exploser chez l’artiste qui semble, dès les premières notes, mettre à nu son cœur à vif. Intrigante personnalité cachée derrière sa mèche, elle dévoile ici une musique complexe.

Il est parfois difficile de cerner son propos, son intention. Elle nous oblige alors à nous accrocher, à nous approcher. Pour deviner.

Elle attend que l’on soit tout près et là, elle nous assène d’émotions vives et brutes que l’on se doit d’avaler et de digérer précipitamment, afin d’en redemander l’instant suivant.

Du tonnerre qui gronde, elle passe à l’eau qui dort – avec l’œil bien ouvert - avec des balades à la voix soufflée. On attend le retour de la tempête, elle nous offre, sur des airs folk, une sorte d’apaisement avant de s’éloigner de son micro, tout en continuant de chanter et en faisant vibrer sa voix.

Shannon Wright sait transpercer les âmes parce que l’indifférence n’est pas envisageable dans son sillon. Au clavier désormais, elle délivre une voix complexe et complète, avec laquelle elle passe des graves et des aigues, quasiment avec des effets de distorsion.

Elle impressionne de par la puissance qu’elle met dans son chant, sans nécessairement envoyer à pleine balle.

La musicienne joue avec un fil sur lequel elle se tient à chaque instant. Elle a ce côté borderline qui la rend insaisissable.

Elle s’entoure de la nonchalance d’une Courtney Love et d’une touche Kim Gordon qui n’est pas sans rappeler la scène underground des années 90. Et là, elle frappe à nouveau de son rock alternatif viscéral.

Elle joue avec les rythmes, elle varie les intensités. Shannon Wright va là où on ne l’attend pas. Quand on se met à penser que ça ne décolle pas des masses, elle donne tout, un pied dans la retenue, un pied dans le lâcher prise. Elle nous déstabilise et on aime ça.

Et puis il y a ce côté lancinant, prédominant quand on écoute son album Division. Sur scène, elle le transpose d’une autre manière. Son corps balance, son corps se tend, son corps ondule. Ça se sent. Sa musique ne peut pas ne pas lui traverser le corps. C’est un tout. Sa tête, son corps, sa voix, ses instruments se mêlent dans un ensemble difficile à définir.

Et c’est mieux ainsi. Sauvage et indomptable, la musique de Shannon Wright ne se réfléchit pas, elle se vit, principalement dans le plus profond de l’esprit qui, forcément, impacte tout notre corps.

À l’écoute de sa discographie et à l’expérience du live, difficile de nous dire touché-e-s au cœur. En revanche, elle ne nous laisse pas indifférent-e-s et on s’avoue volontiers admiratifs/tives des émotions brutes et vives que Shannon Wright dégage et procure.

Célian Ramis

Face aux assignations sexistes et racistes, désobéir

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D’un pas décidé et d’un bloc, le regard bien droit et profond, les quatre comédiennes nous secouent dès leur entrée en scène. L’impact est imminent et puissant avec la pièce Désobéir de Julie Berès, présentée à l’Aire Libre, les 29 et 30 mars.
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D’un pas décidé et d’un bloc, le regard bien droit et profond, les quatre comédiennes nous secouent dès leur entrée en scène. L’impact est imminent et puissant avec la pièce Désobéir de Julie Berès, présentée au théâtre de l’Aire Libre, à St Jacques-de-la-Lande, les 29 et 30 mars. Dans le cadre du festival Mythos. 

Désobéir, elles le graffent au couteau dans le mur noir au fond de la scène. Dès les premières minutes, elles donnent le ton. Elles ne sont pas des filles sages. Elles sont des femmes plurielles et singulières. Complexes. Avec leurs rêves, leurs désillusions, leurs révoltes, leurs désirs et leurs espoirs.

Elles ont la flamme de celles qui combattent les assignations et injonctions parce qu’elles doutent, interrogent, trébuchent, remettent en question, souffrent, encaissent, crient et transforment colère et tristesse en boules d’énergie capables de les porter loin. Et surtout, elles parlent et partagent.

Dans Désobéir, Julie Berès croise les récits de vie, les réflexions et les questionnements des femmes observées et rencontrées à Aubervilliers lors d’une immersion documentaire proposée dans le cadre des « Pièces d’actualité » du théâtre de la Commune. 

La metteuse en scène s’empare alors de la Pièce d’actualité n°9 pour entrer en contact avec les femmes du 93, s’intéressant au départ à ce qui se joue dans le processus de radicalisation de celles qui, viscéralement marquées par les injustices et inégalités, se laissent séduire par les discours de Daech.

C’est Nour qui ouvre le bal dans une mise en scène très épurée. Le plateau vide, une chaise sur laquelle elle s’installe et son visage projeté en direct sur le mur, filmé par un Smartphone. Entièrement voilée, elle raconte la naissance en elle, au collège, de « ce sentiment très fort, le sentiment que rien n’est juste et qu’on nous élève dans le mensonge. » Un sentiment qui lui procure tristesse et honte. 

Sa relation épistolaire moderne – sms, Facebook, WhatsApp – avec Hassan, son obsession d’un monde meilleur, sa découverte de l’Islam défendant « les frères, les faibles et les opprimé-e-s » et son voyage intérieur l’apaisent. Elle décide de se voiler et apprend à vivre avec, à marcher avec, à affronter le regard de la société avec. 

N’en pouvant plus de ressentir de la haine, elle prend ses affaires et fugue pour rejoindre Hassan qui, à l’adresse indiquée, est absent. « Il a retourné la religion contre moi, je devenais folle de rage, folle de haine. », scande-t-elle, avant de découvrir qu’il s’était marié, révélation qui lui inflige « une douleur violente » : 

« Il salit tout ce en quoi je crois. Mais j’ai gardé les textos, mon voile et l’Islam. Parce qu’il est plus grand que moi et mes erreurs. Plus grand que ma colère, la France et tous ses racistes. »

Aujourd’hui, elle ne sait pas trop ce qu’elle a envie de faire mais se demande si les femmes peuvent être imam, comme au Canada, au Danemark ou en Afrique du Sud. « C’est trop beau », conclut-elle, avant de ranger sa chaise, quitter le plateau et y revenir pour ôter son voile et arracher la moquette. 

Elle laisse la place à Charmine qui raconte – tout en « poppant » (danse popping) – l’éducation par les coups qu’elle reçoit de son père iranien, sa mère qui la défend, les garçons avec qui elle traine parce qu’avec eux « on peut parler de tout et n’importe quoi et même des meufs, surtout des meufs ».

Elle dévoile cet épisode au cours duquel elle a menacé ses parents avec un couteau, épisode qui lui a valu un séjour à l’hôpital, au service pédopsychiatrie. L’enfermement provoque en elle une danse qui ne la quitte jamais et quand elle danse, elle sourit. Sa porte de sortie : le jour où sa mère a parlé. Où elle a dit toute la vérité aux médecins sur son mari qui bat sa fille depuis des années.

« De retour à la maison, c’était reparti. La danse était toujours là. J’ai arrêté les études et je dansais le popping. J’ai été prise dans toutes les écoles de danse et un jour ma mère m’a dit ‘j’ai une grande nouvelle, ton père te paye l’école de danse’ »
s’écrie la protagoniste qui laisse alors son corps s’exprimer pleinement sur la scène de l’Aire Libre. 

Ça tourne au battle quand une autre se joint à elle, suivie d’une troisième et d’une quatrième qui se met à chanter a cappella. « C’est un poème de chez toi ? », lui balance une des filles : « C’est doux, je trouve ça envoutant, je suis fan de ce qui est tellurique. Et puis cette transmission de la grand-mère à la mère puis à la fille. Ces générations de souffrance. Et puis tu passes du français à ta langue et on n’entend pas ton accent quand tu parles ! Moi, j’adore ta culture,PersepolisLes mille et une nuits, tout ça, j’adore. »

Le racisme « ordinaire », la prétendue bienveillance, les amalgames… le ton est à l’humour dans cette nouvelle partie du spectacle mais le fond est bien à la dénonciation des micros-agressions dont elles sont sans cesse victimes en tant que femmes ayant des origines « réelles ou supposées ».

En tant que femme noire, Séphora, qui a passé tous ses dimanches à l’église évangéliste quand son père a décidé d’un coup d’un seul d’être croyant, n’a pas accès au rôle d’Agnès dans L’école des femmesde Molière. 

Elle qui a trouvé sa liberté et sa sécurité en sortant de chez elle, en apprivoisant le dehors et en s’enfermant dans les bibliothèques pour y dévorer Les malheurs de Sophieet les écrits de Simone de Beauvoir, entre autres. Elle qui est tombée amoureuse du théâtre, s’est formée et a passé les auditions et a été repérée par le metteur en scène pour ce rôle.

« J’étais aux anges, j’ai appelé tout le monde ! Et puis il m’a rappelé un peu plus tard, il était en plein questionnement sur sa création. Il a eu peur que me faire jouer Agnès ne déplace la grille de lecture du spectateur. Je peux le comprendre… Mais je voudrais ce soir partager avec vous le texte d’Agnès. Est-ce que quelqu’un accepterait de me donner la réplique, en lisant le texte d’Arnolphe s’il vous plait ? Le monsieur, là, avec les lunettes ?! Oui, vous ! Lisez bien le texte qui va s’afficher sur le mur et surtout, quoi qu’il arrive avant la fin de la scène, continuez de lire.»,  explique Séphora. 

Evidemment, Désobéir dépoussière le dialogue et transforme la langue de Molière en langage urbain en situation de harcèlement de rue. Les quatre femmes réagissent, provoquant l’hilarité dans le public. Le décalage n’en est pas un. Il renforce simplement le schéma répétitif, à travers les époques, de la domination masculine. 

La discussion s’instaure entre Lou-Adriana, Charmine, Hatice et Séphora. Les mecs, la sexualité, le plaisir dans la domination, le tabou, la pudeur, le sentiment de soumission, elles abordent de nombreux sujets dont le rapport à la religion.

Leurs voix s’entremêlent, se confrontent, se croisent et se superposent dans un récit pluriel qui amène à envisager chaque thématique comme personnelle et intime. Rien n’est universel, tout est singulier à l’instar de chaque individu.

En quelques minutes, elles explosent les codes du féminisme universaliste. Parce qu’elles ont des points de vue différents et qu’à travers les quatre protagonistes qui brouillent les pistes entre témoignages personnels, paroles recueillies et fiction, ce sont les voix d’une multitude de femmes qui s’expriment sur la scène.

Des femmes que personne ne peut enfermer dans cases parce qu’elles parlent comme des lascars, qu’elles s’habillent de telle ou telle manière, qu’elles pratiquent ou non leur religion comme bon leur semble, qu’elles osent prendre la parole et l’espace, qu’elles se voilent, qu’elles ne se voilent pas mais comprennent celles qui le font, qu’elles dansent, qu’elles chantent, qu’elles rient, qu’elles pètent un câble, qu’elles s’insurgent…

Françaises, Iraniennes, Turques, noires, musulmanes, évangélistes, normandes, comédiennes, danseuses, mauvaises élèves, amoureuses de littérature, mariées, célibataires, non pratiquantes, athées, elles sont toutes des êtres humains en quête de liberté, portées par la révolte de leurs parcours semés d’embuches révélatrices des nombreuses injustices et inégalités.

Une révolte dans laquelle elles puisent afin de transformer la souffrance des épreuves et des injonctions en flammes de l’espoir et de l’accomplissement. Sans s’affranchir de tous les codes et s’émanciper de toutes les normes, elles questionnent, remettent en cause, dénoncent, échangent et partagent.

Pour pouvoir avancer, pour aller plus loin. Pour continuer de rêver aussi, dans cette société qui les amène à envisager de faire de la self défense « pour se défendre mais aussi pour porter nos couilles ». 

La puissance qui se dégage de cette pièce époustouflante de réalisme réside non seulement dans le talent des comédiennes Lou-Adriana Bouziouane, Charmine Fariborzi, Hatice Ozer et Séphora Pondi mais également dans la subtilité des croisements de témoignages intimes, de lâcher prises collectifs, de dialogues à l’unisson ou non et des tons donnés à chaque morceau qui nous font visiter une palette large d’émotions, du rire aux larmes.

Julie Berès nous donne à voir, à entendre mais aussi à réfléchir. Sur nous-mêmes, nos assignations, nos stéréotypes et nos préjugés. Mais aussi sur la source de nos révoltes et les multiples manières d’atteindre la résilience. Parce que comme les protagonistes, nous n’avons « aucune envie de partir avec des frustrations et des choses inachevées. » Tâchons de ne pas l’oublier. Et de rester modestes face à l’adversité.

Célian Ramis

"Récits de femmes" : le territoire comme point de départ pour se raconter

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Lire Récits de femmes, c’est entrer dans une partie de l’intimité de nos voisines. Au cœur du sud ouest rennais, la Maison de Suède a entrepris de recueillir la parole des femmes du quartier et de dresser leurs portraits.
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Lire Récits de femmes, c’est entrer dans une partie de l’intimité de nos voisines. De celles qui marquent de leur empreinte le territoire. Au cœur du sud ouest rennais, la Maison de Suède a entrepris de recueillir la parole des femmes du quartier et de dresser leurs portraits. Le 29 mars, à la MJC, était inauguré l’ouvrage collectif qui sera prochainement diffusé en libre distribution sur place, dans les bibliothèques, les centres sociaux et les MJC.

Inès, Julie, Karima, Lolita, Martine, Monique, Rachida, Valérie et Zarha se sont livrées à la plume d’Alice Dragon et à l’objectif de Frédérique Jouvin se racontant au fil des pages, grâce au travail d’Elsa Baudon. C’est de là que part le cœur du projet mais ce vendredi 29 mars, on comprend que c’est tout un quartier que fait palpiter la Maison de Suède.

Comme le dit le président de la MJC, Simon Victor, dans l’édito du livre : « Il existe, dans l’agglomération rennaise divisée en cinq quartiers, une petite cité nommée « ilot Suède » située dans le quartier de Bréquigny. Depuis quelques années, les habitant.e.s de cet ilot évoluent autour d’une petite structure : la MJC Maison de Suède. Dans ce lieu où se rencontrent les habitant.e.s de tous âges, où émergent des projets communs, un petit groupe de femmes ont appris à se connaître et à vivre ensemble au gré des années. »

Ce soir-là, autour de ce lieu, c’est vivant. Devant la salle, ça grouille de monde, d’enfants qui jouent, d’ami-e-s et de familles qui se retrouvent. Il y a des sourires, de la bienveillance dans les regards mais aussi beaucoup de joie et de fierté dans les yeux de celles qui ont participé au projet.

Fières d’avoir vu naitre les prémices du bouquin lors des ateliers de lutte contre les discriminations, proposés à l’occasion des rendez-vous à l’espace parents de la Maison de Suède. Fières de s’être livrées et de partager aujourd’hui une partie de leurs histoires intimes avec quiconque aura la volonté et la curiosité de se plonger dans leurs quotidiens, si bien racontés en textes et en images.

Si bien contés également puisque pour l’inauguration, c’est à travers la bouche et le corps de la comédienne Anaïs Vasseur que s’expriment les voix de nos Suédoises locales. Leurs épreuves, leurs espoirs, ce à quoi elles aspirent, ce en quoi elles croient. Comme par exemple la solidarité et l’entraide dans ce havre de pluralité.

De leur rapport à la religion à l’éducation des enfants, en passant par la case prison, le diagnostic d’un handicap, d’une maladie, la rencontre avec celui qui deviendra le mari de toute une vie, la révélation d’un métier passion… Elles dévoilent ici les grandes lignes qui jalonnent leurs parcours ainsi que les étapes marquantes de leur existence, tant dans les difficultés que dans les moments d’immense gaieté.

La barrière de la langue, le croisement des cultures, la vie en collectivité, ici, on en parle simplement et librement et on ne parle pas d’intégration, de diversité et de vivre ensemble (ou de « faire société »). Le livre n’emprunte pas la langue de bois bien lissée de la politique française, il souligne le quotidien, le vécu et le ressenti de ces femmes que la société voudrait bien enfermer dans des cases.

Les expériences de vie sont différentes mais elles ont toutes en commun l’envie de partager. Que ce soit à la Maison de Suède lors d’ateliers spécifiques ou d’événements ponctuels ou dans les lieux de vie des unes et des autres, elles insufflent ce côté « grande famille ». Et comme dans toutes les grandes familles, il y a des hauts et des bas, elles ne le nient pas.

Mais on sent leur envie de communier et d’apporter un regard différent sur ce quartier souvent stigmatisé et méconnu. On ressent ce lien fort qu’elles ont chacune construit avec la Maison de Suède qui bâtit un véritable pont entre les personnes désireuses de se rencontrer, de se rassembler. Majoritairement des femmes à en croire le bouquin. Majoritairement des mamans. Mais pas seulement.

Il y a une force contagieuse dans les propos. Qu’ils soient retransmis par Anaïs Vasseur, qui croise la narration indirecte avec un micro et la narration directe hors micro, par Alice Dragon, qui entre dans leur intimité tout en respectant leur pudeur, ou par Frédérique Jouvin, qui saisit leurs univers et environnements plus que leurs visages, ils racontent les femmes dans toute leur force, leur pluralité et leur complexité.

Toutes les participantes de cette création nous amènent à découvrir, avec simplicité, leurs histoires. Diverses mais croisées et communes de par leur attachement à leur territoire et à ce lieu de vie qu’est la Maison de Suède. Leurs histoires forment alors un morceau de l’Histoire du quartier que l’on peut alors observer à travers leurs yeux et leurs cœurs.

Dans la lignée de l’exposition Celles du Blosne racontent, réalisée par Christine Barbedet, Martine Sauvage et Stéphanie Priou, du livre Discrètes, paroles de Bretonnes, de Anne Lecourt ou encore du livre-spectacle Langues en exil féminin pluriel, réalisées par les membres de l’association Déclic femmes, Récits de femmes vient conforter l’idée que, même si elles sont souvent invisibilisées et que leurs paroles sont minorées, les femmes participent et font la vie du territoire et surtout osent, se dévoilent et prennent l’espace et la parole.

Célian Ramis

Dans les coulisses d'une création (2)

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Suite de la création Lou(ps) de la compagnie Erébé Kouliballets - Après plusieurs répétitions du quatuor amateur, nous vous emmenons dans les coulisses du duo professionnel qui était en résidence du 18 au 22 mars à la MJC de Pacé.
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Dans le numéro de février – YEGG#77, la rédaction consacrait son Focus aux coulisses de la création de Lou(ps),la nouvelle pièce chorégraphique de la compagnie Erébé Kouliballets, inspirée du conte du XIVe siècle Le petit chaperon rouge. Après plusieurs répétitions du quatuor amateur, nous vous emmenons dans les coulisses du duo professionnel qui était en résidence du 18 au 22 mars à la MJC de Pacé. 

Le vendredi après-midi, Morgane Rey, fondatrice et chorégraphe de la compagnie Erébé Kouliballets et Cécile Collin, danseuse professionnelle, dévoilaient au public la première version de leur duo qui s’insère dans la création globale Lou(ps),composée d’un solo de la narratrice, d’un duo et d’un quatuor.

Au départ, Cécile Collin devait interpréter le petit chaperon rouge et Morgane Rey, la forêt, la grand-mère et le loup. Finalement, la chorégraphe n’incarnera « que » les deux derniers. Lors de notre venue, le duo nous présente donc l’enchainement complet, non définitif :

« Je rentre dedans seulement depuis hier. Donc en fait je découvre… », souligne Morgane Rey, nous expliquant également qu’elles nous dévoilaient le dispositif tel qu’il sera montré à Pacé le 7 juin prochain et qui se différencie de la version présentée à Mordelles le 10 mai. 

« À Pacé, ce sera une déambulation extérieure et on viendra à l’intérieur pour le duo, alors qu’à Mordelles, tout sera dans la continuité. Mais là, dans la version de Pacé, quand le public entre dans la salle, Cécile est déjà en scène et répète quatre mantras qu’elle fait en plus grand dans son solo. », explique Morgane, avant de commencer. 

Elles dansent dans un cercle, formé au sol à la craie et délimité au niveau des points cardinaux par leurs chaussures. Elles alternent partitions synchronisées, solis et moments à deux. Tandis que Cécile danse, Morgane sort du cercle, passe derrière les rideaux, traverse le fond de la scène – à l’endroit où seront situés les musiciens – revient. Elle prend ses marques. Cécile jette un coup d’œil de temps en temps pour les parties synchronisées.

La thématique est la même que celle du quatuor et pourtant, la différence est frappante. Non pas dans la manière d’exécuter les mouvements – puisqu’on a montré dans le dossier que chacune dansait différemment, faisant la force également de la proposition – mais principalement dans ce qui s’en dégage.

On note une gestuelle très importante du côté de Cécile Collin passant d’une main posée sur le front, à une main sur le pubis, puis sur la cuisse, le genou, l’épaule et pour terminer, les fesses. Et l’enchainement se répète lentement. Comme si il était question d’un temps pour soi. Pour la découverte, l’exploration de son propre corps, amenant ainsi à une connaissance personnelle et intime, destinée à renforcer la personnalité de notre petit chaperon rouge.

« On est dans l’état, le sentiment, l’abstraction. Dans l’essence. Il est question des racines africaines, de la filiation, de transmission. On travaille aussi sur la relation dominé-e / dominant-e. Au début, quand je la place, je suis le loup, c’est très net. Le loup ouvre le bal, essaye de prendre l’espace mais n’y arrive pas. La grand-mère est dans la transmission mais elle se fait bouffer elle aussi par le petit chaperon. », explique Morgane qui souligne également une différence importante avec la version du quatuor : 

« Le quatuor raconte l’histoire du petit chaperon rouge alors qu’ici, ce sont des visites. Le loup et la grand-mère sont déjà morts, elle, elle est vivante et elle revisite ses morts. »

Pour préparer ce duo, les deux danseuses ont travaillé séparément en faisant des points étapes par moment au cours desquels Cécile Collin montrait à Morgane Rey l’avancée de son solo. Habituées à collaborer – Cécile Collin signe ici sa 4eparticipation à des créations de la compagnie Erébé Kouliballets – elles ont ressenti le besoin de « se reconnecter, de rentrer dans la matière et de retrouver de la confiance. »

« Parce que c’est quand même de l’intime, de l’âme. Et puis c’est très carnivore un chorégraphe. Ça bouffe du danseur quand même ! C’est chronophage et ça bouffe de l’humain. Comme le petit chaperon qui bouffe le loup et sa grand-mère. », rigole Morgane dont la réflexion est très sérieuse.

De son côté, la danseuse a donc élaboré sa chorégraphie autour des matériaux fournis par la chorégraphe, qui ne change pas ici son process et nourrit sa réflexion et celle de ses collaboratrices à partir de planches de dessin et de documentations variées :

« On s’est vues avec Morgane, elle m’a raconté sa version, sa réflexion, m’a donné des documents à lire, des vidéos de danse à regarder. Des vidéos qui souvent n’ont rien à voir avec Le petit chaperon rouge mais en fait ça, ça m’aide à m’imprégner de l’esprit de la pièce. Les discussions et les dessins m’aident beaucoup. C’est concret. »

Cécile poursuit, expliquant son petit chaperon rouge à elle, différent de celui interprété par Juliette Guillevin dans le quatuor, sans être moins intéressant et complet : « En fait, je suis partie d’une phrase qui dit que c’est la première racaille de l’histoire. Et ouais, c’est vrai, c’est ça. Et là, je dois donc faire une petite fille qui se construit tout en étant une adulte qui le raconte. Je me réimprègne en fait de l’état de petite fille, qui prend la confiance et y va ! Je revis ça comme dans un souvenir. »

Là se trouve le point commun entre les deux partitions. À chaque fois, on assiste au développement de la petite fille vers la femme. Un développement qui passe toujours par la confrontation au monde extérieur, la transmission de son aînée et le voyage intérieur pour en arriver à une découverte de soi.

Cette fois, le rapport à la sexualité et à la sensualité est moins prégnant. Car enrobé par des tensions plurielles, résultant d’une réflexion commune entre les deux professionnelles. « Il y a un viol normalement. On s’est demandées : est-ce qu’on part sur le viol et l’après ? Et en fait, on n’est pas restées là-dessus. On voulait vraiment plus parler du passage de l’enfant, enfin l’ado à la femme. », précise Cécile qui sans le vouloir lance une interrogation jusque là non pensée précisément : commence-t-elle enfant ou ado ?

Elle et Morgane réfléchissent, dialoguent, donnent des arguments et s’orientent de par le ressenti qu’elles en ont, principalement Cécile qui l’incarne à différentes étapes de sa « mue ». Sans réponse spécifique définissant un âge au personnage initial, elles concluent : « C’est juvénile ! ».

Des éléments qui peuvent aider la danseuse à parfaire sa partition. Non pas tellement d’un point de vue technique comme elle le souligne mais plutôt dans les intentions qu’elle donne à chaque mouvement. « Et puis savoir où tu es Morgane, bordel ! », faisant référence aux nombreux déplacements entrepris par Morgane lors de leur filage.

« En fait, c’est elle qui domine, t’as vu ça ?! », plaisante Morgane qui doit encore, lors d’une prochaine étape de travail, intégrer son solo à cette première matière déjà conséquente. « Faut joindre les deux bouts ! », lance-t-elle, fatiguée – parce qu’en plus des multiples répétitions avec la quatuor, le duo et le solo, elle donne des cours de danse au Triangle, à la maison de quartier Ste Thérèse, anime des stages de danse, effectue des résidences sur d’autres créations, gère le rétro-planning et l’organisation des dernières festivités préparatoires… - mais amusée, comme toujours, l’œil pétillant. 

 

LES DATES : 

  • Grande répétition le 1ermai 

  • La générale le 3 mai

  • La première le 10 mai à Mordelles

  • Déambulation extérieure et duo en intérieur le 7 juin à Pacé 

  • Représentation du solo de Cécile (le duo se décline également en solo) le 14 juin au métro Triangle (Rennes)

 

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