Célian Ramis

La résilience, entre rage, rap et paillette

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Un cri. Un hurlement. Une fête. Une pente glissante. Un tourbillon. Un spectacle coup de poing. Un spectacle qui fait du bien. Une histoire noire aux couleurs de l’arc-en-ciel. Trou témoigne du parcours d’une femme victime de viol en chemin vers la résilience.
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Un cri. Un hurlement. Une fête. Une pente glissante. Un tourbillon. Un spectacle coup de poing. Un spectacle qui fait du bien. Une histoire noire aux couleurs de l’arc-en-ciel. On pourrait s’y perdre mais pas du tout. Mathilde Paillette et Lauren Sobler nous ont guidé, le 15 mars dernier, à la MJC Bréquigny, avec agilité dans Trou, témoignant du parcours d’une femme victime de viol en chemin vers la résilience. 

« Je ne ferme pas ma gueule ! Je suis une enfant tombée du nid… Je ne ferme pas ma gueule ! » Elle chante de plus en plus fort. Avec ses samples, les voix et rythmiques prennent l’espace. Elles amplifient l’effet et donnent le ton : Paillette est une jeune femme libre, qui conduit des poids lourds, n’est pas biodégradable et est « méga giga indestructible. » Elle brille à l’infini et scintille, partout. Liberté, grain de folie, jovialité, légèreté… Paillette cultive tout ça en elle. Elle ne ferme pas sa gueule et elle a bien raison. Il y a chez elle cette insouciance et cette candeur de l’enfance. Et puis il y a aussi cette pression et ces injonctions de l’âge adulte, en particulier quand on est une femme. Elle passe beaucoup de temps sur les chantiers avec sa chatte, Cindy, qui adore regarder les grues et flirter avec. Mais ce jour-là, aux abords des travaux près de la gare, une grue écrabouille sa chatte et se barre, laissant Cindy meurtrie…

UNE QUÊTE COMPLEXE

Point de départ de l’histoire, le viol n’est pas directement au centre du spectacle qui s’attache, avec rage et panache, à valoriser la quête de Paillette vers la résilience. Pour cela, elle sera accompagnée de la resplendissante sirène, aux gros jambons, à l’allure décapante et aux airs de diva. Dans l’océan de larmes, le trou, le chemin qui pue, le pays magique… Paillette le dit : « Il ne faut pas mourir, je ne courberais pas l’échine. » Annihiler la souffrance. La faire disparaitre. La nier pour ne plus y penser. La colère, contre la culture du viol. L’ivresse, pour s’en échapper et ne plus étouffer. Mais même dans un pays enchanté, sans grues et sans mort-e-s, Paillette est hantée par les questions incessantes et culpabilisantes. Se justifier. Sans arrêt. Elle, la femme qui jouit sans honte et sans détour, la femme qui prend le mic’ face à un gang de mecs qui rappent, la femme qui n’a pas peur de se lancer à l’aventure, d’assouvir ses désirs et de l’ouvrir… Elle se perd. Ne sait plus ce qu’elle veut. Assaillie par la dureté des jugements, elle manque de souffle dans un univers qu’elle croyait bon mais qu’elle découvre nauséabond. Dès lors, une seule obsession : retrouver Cindy.

DE L’AUTRE CÔTÉ DU MIROIR

Cabossée, apathique… Sa chatte est abîmée. Comme les bras de Paillette et son cœur paillasson. Alors, face à la grue, elle se confronte et affronte sa colère, qu’elle libère dans un flot de paroles assassines. Elle renverse le stigmate et lui jette à la figure. Le propos est cinglant et cathartique. Empouvoirant. La sirène peut s’en aller désormais : « Tu sais la défendre maintenant et elle, elle te guide partout ». Cindy et Paillette ne font plus qu’une et avancent, conjointement, sur le chemin de la résilience. Puisqu’il est là le sujet principal de l’histoire de Trou qui déploie humour, poésie, rap et rage dans une pièce musicale contée qui nous happe et nous saisit avec force et finesse. Au fil de ses concerts, spectacles et travaux d’écriture, Mathilde Paillette a fini par réunir tous les morceaux en un seul, Trou en est l’aboutissement. Avec Lauren Sobler, dans le rôle de la sirène, la comédienne et musicienne nous propose une exploration d’émotions diverses et contradictoires qui mènent tout droit à l’explosion et l’apaisement. C’est riche, intense et éblouissant. Parce que le duo s’autorise à puiser dans l’imaginaire enfantin, à tirer les fils de l’insouciance et de l’innocence, à dire, hurler, mimer, danser, rapper… à entremêler le rire et l’horreur, à affirmer que non c’est non et à assumer de continuer à dire oui. Parce que le duo touche au cœur, sans user la corde sensible ni les cordes vocales. Là où le bât blesse, elles trouvent les mots pour renforcer le propos. Dans des situations pourtant si difficiles à décrire, elles parviennent à doser le témoignage tout en poésie, réalisme et en ressenti. 

PLONGER SANS FILET AVEC UN DUO DE TALENT

Paillette, protagoniste et artiste créatrice, s’affranchit des codes et des étiquettes. Elle convoque les émotions, les paroles, les styles, les notions et les concepts, les secoue et se les approprie. Ne pas déranger. Ne pas faire de bruit. Ne pas bouleverser l’ordre établi. Ne pas baigner dans la vulgarité. Ne pas déborder. Paillette et Sirène envoient tout péter. Elles prennent leur place et leur espace, elles vont trop loin, elles sombrent dans la caricature, elles crient, elles tapent des pieds, elles éclatent les carcans de leur condition de femmes, elles ne revendiquent pas un engagement en particulier. Elles disent, elles font, elles cherchent, elles questionnent, elles avancent, elles s’aident, elles expérimentent et ressentent, elles s’accompagnent, elles nous embarquent avec elles, dans leurs peurs, angoisses, combats, forces, singularités, univers artistiques, succès, etc. Et on plonge. On plonge avec elles dans le trou. On tombe dans le désarroi et la solitude et on comble le vide et le trauma. On remonte à la surface, avec la puissance de l’espoir et la force de la sororité. On se délecte de cette proposition sensible qui explore les recoins d’une âme en souffrance sur le chemin de la résilience. Avec son lot de doutes, de contradictions, de faiblesses, de déni mais aussi de forces, de capacités à rebondir, à s’adapter et à sublimer et à nuancer la noirceur de la réalité. Sans la renier. Ne pas juste survivre. Remonter à la surface, respirer et vivre.

Célian Ramis

Front de Mères, pour une lutte écolo, féministe et antiraciste

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Pour une lutte auto-organisée dans les quartiers populaires. Mais surtout pour le respect et la dignité des enfants et des parents ! À Maurepas, à Rennes, s'est implantée une antenne locale du syndicat national de parents, lancé à Bagnolet par Fatima Ouassak.
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Pour une lutte féministe, antiraciste et écologiste. Pour une lutte auto-organisée dans les quartiers populaires. Mais surtout pour le respect et la dignité des enfants et des parents. Ce sont là les engagements de l’organisation politique Front de mères, fondée à Bagnolet et implantée dans diverses villes de France, en Belgique et bientôt en Espagne. A Rennes, Priscilla Zamord et Aurélie Macé en sont membres. 

 

YEGG : Comment est né Front de mères à Rennes ?

Priscilla Zamord : Front de mères est né en 2021 à Rennes avec l’idée de voir comment on pouvait essayer de mener des luttes adaptées à notre territoire sur le droit des enfants, les parentalités, par rapport à des constats qu’on a pu faire sur des discriminations renforcées et une désenfantisation (c’est-à-dire considérer les jeunes mineurs parfois comme des adultes) de la part des institutions. Historiquement, on a fait venir Fatima Ouassak (fondatrice en 2016 du syndicat national, basé à Bagnolet, ndlr)pour une rencontre en 2021 à la Cohue qui nous a permis de faire le lien autour de son livre (La puissance des mères, ndlr),de rassembler, de commencer à se poser des questions et à monter un petit groupe en regardant les enjeux et les grosses problématiques des quartiers populaires concernant les enfants et les parents. On s’est mis au travail. 

Aurélie Macé : C’est très récent. C’était à l’automne 2021.

 

YEGG : Quelles sont les discriminations constatées ? 

Aurélie Macé : En tant que parent et parent délégué, c’est de se rendre compte que dans une école de quartier populaire ou une école de centre ville – ça dépend des écoles – il y a beaucoup de familles issues des diasporas ou de l’immigration post coloniale. Du coup, comment est-ce qu’entre parents, on peut faire réseau pour accompagner ces familles qui n’ont pas forcément accès à toutes les informations. Ce n’est pas que par rapport à l’action de la ville de Rennes ou de l’école, c’est comment est-ce que le quotidien est vécu quand tu te retrouves dans une situation d’OQTF (Obligation de quitter le territoire français, ndlr) ? Où est-ce que tu es hébergée quand tu es violentée par ton mari et qu’il se trouve à la sortie de l’école ? L’idée, c’est de se poser les questions de « Moi, j’emmène mon enfant à l’école là mais voilà ce qui se passe autour… »

Priscilla Zamord : Vous avez organisé un groupe de travail à ce propos. Pas en lien avec Front de mères mais vous avez eu quelques victoires.

Aurélie Macé : On s’est organisés entre parents, on s’est réuni-e-s en lien avec la ville pour voir comment on pouvait améliorer l’école et comment on pouvait être plus proches des parents en créant du contact et en traduisant ces contacts pour qu’ils soient accessibles. En étant disponibles auprès des assos d’accompagnement des migrants pour accompagner sur l’aspect de la vie quotidienne. En fait, c’est être à l’écoute des demandes et se rendre disponibles, essentiellement.

Priscilla Zamord : Le constat, c’est de se dire que dans les quartiers populaires, notamment à Maurepas, il y a eu des amendes discriminatoires pendant la période de confinement, avec des familles qui se retrouvent avec des sommes astronomiques à régler. C’était extrêmement compliqué le rapport police – population. Il y a aussi une problématique autour de la transmission et de la valorisation des mémoires des familles. Quelle est la place et la reconnaissance des langues des familles ? Quelle est la place et la reconnaissance des histoires, des mobilités aussi qu’ont pu vivre les enfants (le fait d’aller à l’étranger, de se déplacer pendant les vacances, pour moi c’était aux Antilles, pour d’autres ça va être au Maroc, en Algérie, etc.) et comment ces trajectoires-là, elles ne sont pas du tout suffisamment valorisées dans l’institution qu’est l’Education nationale ? Et puis il y a aussi des questions qui sont plutôt liées à la parentalité LGBT, aux enfants trans, par exemple. On a eu plusieurs exemples au niveau national d’enfants trans qui se sont suicidés ou qui ont vécu du harcèlement. Donc c’est aussi de voir comment on traite cette question-là. On pourrait se dire que dans les quartiers populaires, il n’y a pas d’enfants trans ou plus largement de jeunes LGBT, mais c’est qu’en fait, on ne les voit pas, ils sont invisibilisés. Il faut qu’on puisse créer des espaces safe pour accompagner les parents et les enfants. Qu’on soit en quartier populaire ou pas. Après, on ne peut pas nier les violences inter-quartiers à Rennes et c’est aussi comment on accompagne les mamans qui peuvent se retrouver dans des procédures judiciaires vis-à-vis de leurs enfants qui sont aussi stigmatisés, qui peuvent aussi être démunies en terme de ressources de droits, etc. Il y a tout un tas de chantiers. Il y a plein de constats, on ne va pas tout faire. Aujourd’hui, notre question, c’est comment on arrive à mobiliser, à rendre notre démarche accessible et fédératrice et surtout hyper simple. Et quand je dis simple, ça veut dire ambitieuse dans les objectifs mais simple dans la façon de faire. Il y a du génie politique dans les quartiers populaires mais ce n’est pas toujours évident de rendre visible et de faire de l’aller vers. Donc c’est aussi à nous de faire différemment, de se mettre dans l’action et d’organiser des choses.

Aurélie Macé : On a déjà eu des temps d’échanges entre nous.

Priscilla Zamord : Pour écouter les situations. On se contacte toutes les semaines mais après pour se rassembler, c’est un peu soumis aux conditions sanitaires. On fait des visios, on se voit, beaucoup à La Cohue. Et puis il y a des actions qu’on essaye de faire en alliance avec d’autres organisations. Je ne pouvais pas être là mais Aurélie, tu as participé à la Marche pour la vérité et la justice pour Babacar. Ça crée du lien avec d’autres collectifs.

Aurélie Macé : On était plusieurs de Front de Mères à être présent-e-s. À la fois pour montrer notre solidarité par rapport à Awa, la sœur de Babacar, dans sa démarche mais aussi pour faire le lien avec les collectifs Vérité et Justice, plus issus de Paris et de la région parisienne mais qui étaient tous présents. Et puis échanger sur les situations qu’on peut avoir à Rennes, notamment d’accompagner une des mamans pour faire le lien avec ce réseau et se rendre compte des réalités mais aussi de l’accompagnement qui peut être fait. Un des moments forts, c’était avec Assa Traoré, qui était présente, qui est d’origine malienne, et Lalla, elle-même d’origine malienne et membre de Front de Mères. C’était une rencontre forte parce qu’elles sont toutes les deux confrontées à la question de violences policières, à des degrés différents mais on est bien sur une échelle et un parcours malheureusement.

Priscilla Zamord : On parle des discriminations qui peuvent être liées à l’origine ethnique. On a eu les cas très concrets des amendes discriminatoires. On a parlé des LGBT. Mais il y a aussi l’engagement pour l’écologie. Ça c’est un peu le dénominateur commun : l’écologie sociale, populaire. Qui répond à des choses très pratico-pratiques mais qui met aussi en lumière des luttes qui ont été menées dans les quartiers populaires ou par des personnes racisées, invisibilisées. Le 10 mars, on a organisé une projection au Pôle Associatif de la Marbaudais avec Keur Eskemm et Extinction Rebellion sur l’écologie décoloniale, un film documentaire réalisé par deux jeunes citoyens qui se sont auto-organisés avec un financement participatif et qui ont fait un documentaire hyper bien sur le chlordécone aux Antilles. Il s’agit de valoriser des démarches auto-organisées sur des questions d’écologie et de s’approprier le combat, les luttes, etc. Keur Eskemm, ils sont à Maurepas, ils font un travail magnifique je trouve avec les jeunes. Et puis Exctinction Rebellion qu’on connaît aussi pour sa lutte écologique. Autant Front de Mères et Keur Eskemm, ça aurait peut-être été évident parce que c’est un peu le même territoire. Autant rencontrer Exctinction Rebellion, ce n’était pas une évidence en soi donc c’est vraiment chouette, cette alliance-là. Comme je l’ai dit, on commence avec beaucoup d’humilité dans les façons de faire mais avec une volonté très forte. On fait des actions simples, on y va, on s’y met, on voit ce que ça produit… C’est pour ça que c’est aussi un choix de commencer à Maurepas. À la base, on a été sollicité-e-s pour faire un projet « transquartierspopulaires » mais en fait, ça, ça vient après. Il faut d’abord qu’on consolide bien notre base, qu’on soit bien ancré-e-s dans un territoire, qu’on fasse des choses pratiques, qui servent aux gens, immédiates, avant de vouloir éventuellement travailler dans d’autres territoires. Et puis comme on a déjà à gérer la relation avec le national… Parce qu’aujourd’hui, il y a le QG à Bagnolet qui est ultra puissant avec Vertdragon qui est la première maison d’écologie populaire en France (avec l’alliance avec Alternatiba). C’est sur que c’est un peu les paillettes, parce qu’ils ont un super lieu, des moyens, un QG… Et puis Fatima et les autres militantes de Front de Mères, elles sont quand même bien ancrées à Bagnolet depuis des années et des années… Les habitants les connaissent et les identifient donc pour fédérer et faire venir des gens, c’est un peu plus simple. Parce qu’elles ont une histoire là-bas.

Aurélie Macé : Elles sont fédérées en tant que mamans d’élèves.

Priscilla Zamord : Donc le QG est à Bagnolet et autour il y a une antenne à Rennes, à Strasbourg, une en construction à Toulouse, en région parisienne, Pantin en cours aussi… Et puis il y a les alliances au-delà de la France. Il y a un Front de Mères très chouette et très puissant et dynamique à Bruxelles, co-créé par deux femmes dont une qui travaille dans les quartiers et une qui est avocate spécialisée dans la lutte contre les violences policières et qui a suivi des gros dossiers médiatiques en Belgique. Et puis il y a Front de Mères à Barcelone - inauguré publiquement au mois de mai - qui existe déjà. Et puis, il y a aussi des prémices à Rome. C’est chouette parce qu’on arrive à fleurir et à s’adapter aux territoires.

 

YEGG : Ce n’est pas une problématique nationale.

Priscilla Zamord : Non, la lutte contre les discriminations, l’écologie, la lutte contre les violences policières et la question de la transmission des mémoires et des héritages culturels, c’est un combat universel !

Aurélie Macé : Front de Mères est en structuration nationale et européenne et locale. C’est un syndicat. Il s’agit de trouver la forme qui correspond le mieux au fil du temps.

Priscilla Zamord : En étant dans l’auto-organisation ! Parce que pour l’instant, on n’a pas de fonds publics. Ce sont des adhésions et le financement d’une fondation. Et puis on est dans une logique de gouvernance partagée. Aurélie, toi, tu as cette expertise associative et jeunesse, et moi, c’est plutôt le champ ESS (Economie sociale et solidaire) donc on apporte cette volonté aussi de gouvernance partagée, vraiment une gouvernance démocratique, et d’être dans quelque chose de respectueux du territoire et de la forme que ça prend dans chaque ville. Ça n’a jamais été un plaquage de l’Île de France car les réalités sont différentes.

 

YEGG : Comment est-ce reçu par les familles, à Rennes ? 

Aurélie Macé : À Maurepas, du coup. Quand on en parle, quand on a pu être présentes et qu’on a pu échanger, il y a un écho positif et intéressé sur la démarche et les valeurs qui sont portées. Après de là à se réunir et s’engager, c’est une autre démarche. C’est pour ça qu’on ne veut pas multiplier les réunions mais vraiment être dans l’action et faire des choses concrètes pour réunir et fédérer des gens.

Priscilla Zamord : Nos réunions, c’est pour préparer les actions concrètes et sortir du discours. On est très au clair et aligné-e-s sur nos valeurs, sur la ligne politique qu’on défend, et c’est aussi grâce à tout le travail déjà fait par Bagnolet, avec le site, le manifeste, tout est au clair. On sait qui on est, où est-ce qu’on se situe et surtout où est-ce qu’on veut aller et qui sont les personnes/structures toxiques qu’il faut un peu dépolluer, on va dire.

Aurélie Macé : La rencontre avec Fatima Ouassak, qui avait eu lieu en septembre, a réuni toutes les personnes qui avaient pu lire son ouvrage et qui s’y reconnaissaient. Comme par exemple une des mamans que j’ai accompagnée, qui porte le voile, qui est hyper présente auprès de ses enfants, qui a poursuivi ses études, etc. Ça lui a redonné de la force de venir à cette rencontre. Et elle a vu comment elle pouvait s’engager à nos côtés mais aussi suivre un réseau.

Priscilla Zamord : On invite à nous rejoindre toutes les personnes qui se sentent concernées par le présent et l’avenir des générations actuelles et futures dans les quartiers populaires et qui sont outrées par les discriminations que peuvent vivre des enfants et cette déshumanisation qu’il y a parfois. On peut être papa, maman, ni maman, ni papa, tata, etc… Il n’y a pas d’obligation à avoir eu un enfant.

Aurélie Macé : Ça peut être aussi des personnes qui bossent dans l’Education nationale.

Priscilla Zamord : Oui, et c’est le cas d’ailleurs. Encore une fois, on est outré-e-s par les discriminations que peuvent générer l’Education nationale mais on n’est pas contre le corps enseignant. Bien au contraire, on les considère comme des allié-e-s et on est pour une meilleure reconnaissance de leur travail et de leurs conditions de travail. Il y a énormément d’autres professionnel-le-s de l’éducation nationale et populaire, parce que l’éducation, ce n’est pas que l’Education nationale, c’est aussi les médiateurs, éducateurs, animateurs, etc. qui veulent faire des choses pour être exemplaires mais qui n’ont pas forcément les outils et les ressources pour. Ils se confrontent à des murs. Et ces murs, ce sont bien ceux de l’institution. On fait bien la distinction entre les personnes et l’institution. A titre d’exemple, Goundo Diawara, historiquement secrétaire de Front de Mères, elle est CPE en banlieue parisienne, on a aussi une adhérente enseignante à Rennes… Il y a une diversité de profession au sein de Front de Mères, dont des demandeurs d’emplois, moi qui suis à côté élue, Aurélie qui est animatrice… Le dénominateur commun, c’est la dignité des enfants. Et la dignité des parents, particulièrement ceux issus de la diaspora, mais aussi de tous les parents. Les attaques haineuses de l’extrême droite consistent à dire qu’on n’est pas dans l’universalisme français, bah en fait pour nous, c’est tout le contraire. Moi ce que je trouverais universel, c’est que tout le monde se sente concerné par une discrimination ou une violence qu’a pu vivre un enfant.

 

YEGG : Certes l’organisation accueille tout le monde au-delà du genre, mais quelle dimension politique donne-t-on à ce terme de « mères » qui figure dans l’intitulé Front de Mères ?

Priscilla Zamord : En fait, c’est la mère dragon (rires). C’est la figure du dragon, de la dragonne, qui est parfaitement bien expliquée dans le livre de Fatima Ouassak : on veut absolument mettre à distance, déconstruire, et même éradiquer cette image de la mère tampon dans les quartiers populaires et cette somation de la part du gouvernement et de l’État qui en fait impose aux mères issues de l’immigration de « tenir leurs gamins », donc de les tenir à la maison, ce qui pose la question du droit à l’espace public, et de les tenir comme il faut pour qu’ils parlent bien français et puis éventuellement d’être présentes quand il s’agit d’apporter des loukoums, des accras de morue, du couscous dans les fêtes d’école ou les réunions. Alors, oui, il y a la convivialité, aucun souci mais par contre il est hors de question d’être assignées à ce rôle de mères tampons. C’est pour ça qu’on parle de mères dragons, on ne rigole pas du tout en fait. Il y a eu tellement de dinguerie ces derniers temps, je ne peux pas m’enlever de la tête cette image de collégiens ou lycéens, agenouillés par la police, c’est hyper violent.

Aurélie Macé : C’est une image forte et extrême et on ne veut pas de ça en France (et on ne s’arrête pas à la métropole) et dans nos quartiers.

Priscilla Zamord : Nous savons, et je vais rester vague parce que je fais attention, qu’il y a des forces de l’ordre qui se sont moquées de jeunes qui étaient en chantiers collectifs sur l’espace public, en présence d’éducateurs. Ils ont été humiliés et moqués et ce sont des situations qui sont inacceptables. On parlait des amendes discriminatoires pendant les périodes de confinement et encore maintenant. La semaine dernière, je participais à un débat au musée de l’histoire de l’immigration à Paris qui s’appelait « Banlieues en lutte : quel héritage et quel combat actuels ? » et en fait on voit bien que l’urgence, c’est de faire un inventaire – je ne sais pas si on peut dire comme ça – ou une démarche un peu archéologique pour mettre en évidence toutes les luttes qui ont émergé dans les quartiers populaires et qui ont abouti à des victoires. Ces victoires-là sont trop invisibilisées alors qu’elles sont inspirantes pour les habitants et les jeunes qui ont besoin de figures et d’être inspiré-e-s par des personnes. Et faire aussi l’inventaire des échecs. Et j’en viens à un sujet politique : la gauche a fait énormément de mal aux luttes des quartiers populaires et on l’a bien vu avec la Marche de l’égalité dont on fêtait les 40 ans qui a abouti à une instrumentalisation pour créer SOS Racisme et mettre sous cloche l’urgence de déconstruction et de mesures fortes. Ils ont créé SOS racisme et cette logique de Touche pas à mon pote comme si les gens n’étaient pas capables de s’auto-défendre et s’auto-organiser. Donc une approche un peu malsaine entre du caritatif et de l’instrumentalisation… Ça, évidemment, c’est hyper violent. C’est pour ça que je trouve que depuis 40 ans la gauche (dans son entièreté), elle a plutôt mis la lutte antiraciste sous le tapis et donc il y a une rupture de confiance de la part de certains habitants vis-à-vis de l’engagement politique parce qu’on a l’impression tout le temps d’être disqualifié-e ou d’être récupéré-e quand on a de la belle matière grise et qu’on fait de belles actions… On manque d’allié-e-s à gauche et on est attaqué-e-s à la jugulaire par l’extrême droite avec la néofascisation de la France et la monopolisation de l’espace médiatique par des ambassadeurs des ténèbres (de la droite extrême à l’extrême droite). Du coup, dès qu’on a une démarche qui revendique nos droits et tout simplement l’égalité, on est taxé-e-s d’indigénistes, de communautaristes, de wokistes, d’amish aussi. Et comme ça, c’est matraqué, ça ne donne pas envie de s’engager. Parce que ça fait peur. Il faut pouvoir gérer déjà au quotidien les habitants des quartiers populaires, l’impact des discriminations sur la santé, et en plus il faut s’engager en ayant une forme de courage et de solidité morale… Et physique et émotionnelle… pour faire face à ça. Donc quand on est en distorsion comme ça, entre plusieurs choses, soit on est dans l’abandon, soit on est dans le combat. Nous, ce qu’on essaye de faire avec Front de Mères, c’est de détricoter un peu les choses et d’essayer de montrer aux gens que par des choses très simples, on peut s’engager et essayer de trouver de la ressource collective pour essayer de mieux vivre son quotidien, mieux accompagner son gamin quand il a vécu une inégalité, une injustice ou une violence, changer les habitudes et valoriser les pratiques écologistes qui existent depuis super longtemps dans les quartiers populaires, comme le réemploi par exemple même si c’est parfois lié à la précarité… Il faut faire commun et se retrouver autour de moments joyeux.

Aurélie Macé : Je pense que c’est une des forces de Front de Mères. Cette image des mères qui s’occupent des enfants, qui font à manger, etc. Mais être femme, ce n’est pas cantonné à ça. C’est aussi se réunir ensemble et créer de la force dans ce qui est collectif. Et dans le livre de Fatima Ouassak, elle rappelle les autres mouvements de femmes, et ça redonne le pouvoir d’agir.

Priscilla Zamord : C’est très politique. Et dans la diversité des luttes, par exemple, Fatima, elle me parle toujours de Plogoff. Enfin, elle l’évoque souvent, l’importance du combat des femmes à Plogoff et je trouve ça génial. Voilà, Bagnolet-Finistère, même combat ! (Rires) Les alliances sont possibles à partir du moment où on est dans le respect et la non instrumentalisation des luttes. C’est pour ça que je ne parle pas de convergence des luttes. Je préfère alliance. Chacun est soi-même mais on travaille ensemble sur des projets qui nous réunissent de temps en temps, pour faire force.

 

YEGG : Et avec les forces féministes rennaises ? 

Priscilla Zamord : On a participé à la Coordination féministe qui a eu lieu en janvier à Rennes. Je suis intervenue le matin, j’ai co-animé un atelier sur l’écologie et le féminisme. Et Front de Mères a animé un atelier dans le cadre des événements organisés les 12 et 13 mars, à Maurepas(festival Big up, à la Maison de quartier de Villejean, ndlr).D’autres projets sont envisagés avec d’autres structures, je pense aux Marie Rose par exemple. Il y a des choses en perspective.

Aurélie Macé : Il y a du lien par exemple sur le quartier avec le GRPAS.

Priscilla Zamord : Je reviens sur les modalités d’engagement, de manière générale, pas que dans les quartiers populaires, le covid a produit des changements de pratique. On a vu plein de solidarités informelles inspirantes dans les quartiers. Je pense que c’était très très dur ce qu’ils vivaient et j’ai vu plus de solidarité dans le quartier à Maurepas que quand j’ai habité dans le quartier sud gare (où je vivais lors du premier confinement) et où mes voisins ne m’adressaient jamais la parole. Quand je disais bonjour, on ne me répondait pas. Ce n’est pas la seule raison mais ça a participé à me faire revenir à Maurepas. Il y a aussi une forme de bénévolat ou d’engagement qui peut être en pointillé et c’est pas grave. Selon les modes de garde, les temps de travail, etc. on peut venir en one shot, c’est pas grave en fait.

Aurélie Macé : On a envie de montrer qu’on est présentes et c’est pour ça qu’on ne peut pas être sur tous les quartiers aujourd’hui. On veut être bien à Maurepas et être présentes le jour où il y a besoin. C’est important d’être repérées comme ça le jour où il y a besoin, la maman puisse venir pour nous alerter sur une situation de discrimination.

Priscilla Zamord : Et nous, on essaye d’activer tous les réseaux ou de la ressource. Typiquement de l’accompagnement juridique, identifier le bon avocat, faire de la collecte de témoignages, etc.

Aurélie Macé : Et la maman n’a pas besoin d’être adhérente. Simplement savoir qu’elle peut interpeler un réseau de proximité.

Priscilla Zamord : On peut être militant ou activiste de manière ponctuelle. Chacun fait comme il peut. On peut avoir le pied dans plusieurs structures. L’hybridation du militantisme, il n’y a aucun souci avec !

 

YEGG : Concernant les alliances avec d’autres groupes, quand on regarde l’histoire par du féminisme, on voit cette alliance avec les femmes racisées, les personnes LGBTIQ+. Mais aujourd’hui, de cette histoire, on ne retient quasiment que des femmes blanches, hétéros, etc. Quand on pense aux années 70, on parle contraception, avortement, tout en blanc. Comment appréhendez-vous ces alliances pour que ça ne reste pas anecdotique ? Comment fait-on pour ne pas répéter l’histoire ?

Priscilla Zamord : La question de comment faire alliance pour ne pas être invisibilisées après, c’est une très bonne question. Qui résonne à plusieurs titres. Sans entrer dans les détails… je pense que Front de Mères a été tellement observatrice ou en connaissance de phénomènes comme ça de récupération – qui sont une forme de violences – qu’on repère assez vite les groupes mal intentionnés. On ne rigole pas du tout, je ne sais pas comment le dire autrement. Donc oui à l’alliance mais pas à n’importe quel prix. Pour moi, il y a un vrai contrat de réciprocité qu’il faut établir avec les autres organisations. Être dans quelque chose de coopératif mais pas dans quelque chose de l’ordre de la récupération. On est hyper au taquet là dessus. On a une expertise et des héritages où il y a eu tellement d’extorsion qu’on fait attention. Sur la lutte féministe, c’est pareil. On a une telle expertise d’usage au quotidien dans les quartiers populaires qu’on ne peut plus nous la faire à l’envers. Ce n’est plus possible. C’est plus sur la théorie où parfois je vois des glissements. Comme sur l’intersectionnalité par exemple. Y a moyen à un moment de juste revenir sur la genèse ? Kimberlé Crenshaw, juriste afroaméricaine, qui a définit l’intersectionnalité par l’origine ethnique et les discriminations qui venaient autour se compléter. Et aujourd’hui, je vois parfois des féministes qui ont complètement évacué la question de la discrimination raciale et qui se disent « tiens on va y mettre un peu de LGBT, de handicap, etc. ». Non, ça ne marche pas comme ça. Un peu de respect pour celles qui ont conçu, conscientisé, lutté… MeToo, c’est pareil. On dit que c’est Alyssa Milano qui l’a lancé aux Etats-Unis alors que non c’est une afroaméricaine, Tarana Burke, qui a lancé le hashtag. Elle a été complètement invisibilisée.

Aurélie Macé : Et justement le but de Front de Mères, c’est de rendre visibles les invisibles. Par les premières concernées. Ça fait partie des discussions dans le groupe sur la place des un-e-s et des autres. C’est important !

Priscilla Zamord : Et puis, un travail qu’il faudra qu’on fasse à un moment donné sur Front de Mères, localement, c’est de rendre visibles les personnes qui ont participé à des changements, des luttes, issues des minorités qui ont été invisibilisées, ou des personnes actuelles qui ne sont pas forcément dans des luttes mais qui sont des figures culturelles de cette diversité à Rennes et qu’on ne voit pas.

 

YEGG Magazine : Merci à vous.

Célian Ramis

Violences sexuelles : Les voix de la colère

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Action publique – L’association Prendre le droit a fait entendre les voix de 55 victimes de violences sexistes et sexuelles qui ont témoigné d’un mauvais accueil de la part des forces de l’ordre et de la Justice, dans le cadre d’un dépôt de plainte ou d’une enquête judiciaire.
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Action publique – Samedi 20 mars, l’association Prendre le droit a fait entendre les voix de 55 victimes de violences sexistes et sexuelles qui ont témoigné d’un mauvais accueil de la part des forces de l’ordre et de la Justice, dans le cadre d’un dépôt de plainte ou d’une enquête judiciaire.

« Vous avez eu des menaces ? Des coups ? Non ? Alors, ce n’est pas un viol… » Un policier, lors d’un dépôt de plainte pour viol. « Ce sont des choses qui arrivent dans un couple. » Un procureur, dans le cadre d’un procès pour viol conjugal. « Si c’était aussi dur que vous le décrivez, pourquoi êtes-vous restée 3 ans ½ avec lui ? Il fallait partir. » Même situation. « L’amnésie traumatique, c’est des conneries. À 12 ans, on se souvient de ce genre de choses. »

Un policier, lors d’un dépôt de plainte pour inceste. « Vous êtes sure que vous ne l’avez pas un peu provoqué ? Un peu chauffé ? ». Un policier, lors d’un dépôt de plainte pour viol digital. « Vous comprenez, il y a trop d’agressions sexuelles ici, faut pas s’attendre à quoi que ce soit. » Un gendarme, lors d’un dépôt de plainte pour viol. « Mais c’est quoi cette mode de porter plainte pour viol ? Depuis BalanceTonPorc, c’est devenu du n’importe quoi ! » Un policier, lors d’un dépôt de plainte pour viol. 

LA DOUBLE PEINE

Ce samedi de mars, à République, 55 témoignages recueillis par l’association rennaise Prendre le droit sur les réseaux sociaux via les hashtags #PayeTaJustice, #PayeTaPlainte et #PayeTaPolice sont déclamés à plusieurs voix par les bénévoles de la structure. Ce qu’elles dénoncent : le mauvais accueil des personnes victimes de violences sexistes et sexuelles par les forces de l’ordre et la Justice.

« Il y a une vraie double peine à être victime et à chercher une protection qui n’arrive pas. Et même qui broie les femmes car on leur dit que ce n’est pas si grave. C’est ce mécanisme qu’on dénonce. Le fait qu’on demande aux femmes de fournir la preuve qu’elles se sont débattues, qu’elles n’étaient pas consentantes, etc. »
nous explique Gabrielle Jarrier, militante féministe investie dans l’association depuis 2 ans.

Banalisation des faits, remise en cause des propos et de la sincérité des victimes, sexisme, découragement pour le dépôt de plainte… Les premiers contacts avec celles et ceux chargé-e-s d’enquêter et de rendre justice sont encore majoritairement problématiques, malgré les annonces du ministère de l’Intérieur qui début 2021 défendait que « 90% des femmes ayant porté plainte en 2020 pour des faits de violences conjugales étaient satisfaites de l’accueil en commissariats et gendarmeries. »

Peu convaincues par la réalité de ce pourcentage, considéré comme décalé par rapport à ce qui est constaté sur le terrain par le tissu associatif et militant, le collectif #NousToutes a lancé une enquête auprès de personnes ayant tenté de porter plainte ou ayant porté plainte pour des faits de violences conjugales, violences sexistes ou sexuelles. En 15 jours, 3 500 témoignages, venant majoritairement de femmes ainsi que de personnes non binaires, principalement majeures, ont été récoltés. Sur l’ensemble, 66% des répondantes font état d’une mauvaise prise en charge par les forces de l’ordre lorsqu’elles ont voulu porter plainte pour des faits de violences sexuelles. 

CULTURE DU VIOL

« C’est un problème de société. Si on a choisi de faire cet événement dans l’espace public, c’est parce que ce n’est pas un problème individuel. Il faut que les femmes s’organisent et que les hommes, socialisés en tant qu’hommes, entendent toutes ces choses. », souligne Gabrielle Jarrier.

Elle pointe là la culture du viol dont toutes les sphères de la société sont imprégnées. Et les phrases entendues par les victimes de violences sexistes et sexuelles, que ce soit dans les commissariats, les gendarmeries ou les tribunaux le prouvent régulièrement. Le mythe du prédateur est établi depuis longtemps, laissant penser que les agresseurs sont généralement racisés et tapis dans l’ombre d’une ruelle ou d’un parking, prêts à bondir sur les femmes qui rentrent seules le soir et la nuit.

Pourtant, 80% des agressions sexuelles et viols sont commis par des proches, membres de l’entourage ou de la famille, des victimes. Toutefois, la parole des personnes sexisées est banalisée, mise en doute, voire en accusation quant à sa tenue et son comportement. On condamne finalement celles qui franchissent les portes des forces de l’ordre et des parquets et on retourne le processus contre elles : elles sont culpabilisées, elles sont rendues coupables. Tout du moins, suspectes.

« Pourquoi n’avez-vous pas crié ? Pourquoi êtes-vous restée passive ? », « Allez, oubliez, ça arrive pendant les vacances de faire un faux pas. », « Comment était votre pyjama ? Parce que l’agresseur a surement eu des idées en vous regardant dormir ! », « Si vous n’aviez pas consommé d’alcool, il ne vous serait rien arrivé. », « On ne va pas fouiller à toutes les portes sous prétexte que vous êtes imprudente… ».

Et puis, dans certains cas, on défend l’accusé : « Vous savez, c’est sérieux, il risque la prison. Sa vie ne sera plus jamais la même. Vous êtes sure de vouloir continuer ? » ou encore « Il va se marier dans deux mois. Vous voulez lui gâcher la vie ou quoi ? Vous avez une idée du prix du traiteur ? » 

UN TRAITEMENT À LA RACINE, PAS UN PANSEMENT !

Pour la membre de Prendre le droit – Féministes pour un monde sans viol(s), il est urgent de faire évoluer les mentalités et de former tou-te-s les agent-e-s de la chaine policière et judiciaire, accueillant des victimes de violences sexistes et sexuelles. Elle rappelle les chiffres du ministère de l’Intérieur – là où à sa tête, Gérald Darmanin est visé par des enquêtes pour harcèlement et viol – ainsi que de l’enquête VIRAGE, réalisée en 2014, autour des violences : 80% des plaintes pour viols et agressions sexuelles sont classées sans suite, 1% des viols aboutit à une condamnation « et souvent, les peines ne sont pas bien lourdes » et 95% des affaires de violences sexistes et sexuelles sont perpétrées par des hommes.

Sans parler de tous les crimes de viols correctionnalisés, c’est-à-dire renvoyés vers le tribunal correctionnel qui requalifie l’acte ou les actes en agression-s sexuelle-s. « On ne peut pas comprendre les viols conjugaux sans formation. Ni même les différentes réactions qui peuvent survenir lors d’une agression, l’amnésie traumatique, etc. Ça touche aussi la santé mentale des femmes, c’est une question de santé publique : comment les traumas mettent les femmes au banc de la société quand elles pètent les plombs parce que la mémoire leur revient des années après sans que personne comprenne ! Souvent, on nous demande des formations. On n’est pas ultra d’accord sur le fait que ce soit encore une fois aux forces associatives de faire ça ! Ça devrait être une mission de service public. », commente Gabrielle Jarrier.

A la suite de leur rencontre avec le procureur Philippe Astruc, elle le dit clairement : « Il y a des avancées. Il veut renforcer le pré accueil car il le dit, tous les agents ne pourront pas être formés. En gros, il y a peu de moyens et des affaires, il y en a trop. Sur le pré accueil au commissariat de Rennes, on a des témoignages très différents. À la brigade des mœurs, il semble que ça s’arrange un peu. Mais ça manque toujours de bienveillance… Il faut un positionnement politique fort par rapport à tout ça. On ne veut pas des mesures pansements, on ne veut pas mieux vivre les violences : on veut les éradiquer à la racine ! Il y a beaucoup de chemin à parcourir. »

Alors pour l’association, qui à l’année accompagne de très nombreuses femmes victimes de violences dans les procédures juridiques mais aussi dans le conseil et l’orientation en vue d’une prise en charge, il est important de porter ces paroles dans l’espace public. Pour changer l’imaginaire collectif mais aussi pour aider celles qui se sentiraient isolées après avoir subi agression-s sexuelle-s, viol-s, violences conjugales, insultes, menaces, etc.

« Ça aide aussi dans la réparation de poser un discours féministe et de savoir qu’on n’est pas seules. Que ce n’est pas un coup de pas de bol, ça dépasse les cas individuels. »
explique la militante. 

Informer. Autour des lois mais aussi de ce qui régit les inégalités entre les hommes et femmes et permet à la domination masculine, mais aussi au racisme, des LGBTIphobies, du validisme, etc. de perdurer. Écouter les femmes victimes de violences sexistes et sexuelles. Sans remettre en cause son témoignage. En commençant par une parole toute simple : « Je te crois ». Prendre la parole et le droit, libérer l’écoute, des actions qui paraissent banales, et qui pourtant ont été confisquées aux personnes sexisées et racisées.

Célian Ramis

Remaniement : la riposte féministe

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Vendredi 10 juillet, femmes et hommes sont descendu-e-s dans les rues, un peu partout en France et même à l’étranger, pour protester contre le « gouvernement de la honte », à la suite du remaniement ministériel annoncé lundi 6 juillet.
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Vendredi 10 juillet, femmes et hommes sont descendu-e-s dans les rues, un peu partout en France et même à l’étranger, pour protester contre le « gouvernement de la honte », à la suite du remaniement ministériel annoncé lundi 6 juillet.

Il faut se réinventer, lançait Emmanuel Macron lors du confinement. Une citation qui rejoint le panthéon du langage politique ordurier qui n’a d’autre signification que celle de dire à la population d’aller se faire foutre. Pour trouver du travail, il suffit de traverser la rue. Pour affronter une crise sanitaire aux conséquences sociales et économiques désastreuses, il suffit de se réinventer.

Et pour faire taire les féministes ? Suffit-il de faire croire que l’égalité entre les femmes et les hommes est la grande cause du quinquennat ? Non, elles n’y croient pas, elles réclament une vraie volonté politique, des actes concrets, des moyens financiers et humains et des garanties sur le long terme.

Depuis l’arrivée de Macron à la présidence de la France, il y a eu l’affaire Weinstein, les mouvements Balance ton porc et Me too, les milliards de témoignages de femmes dénonçant sur les réseaux sociaux, dans les médias ou encore dans les arts et la culture, les violences sexistes et sexuelles subies parce qu’elles sont des femmes.

La vague violette est née. Et avec elle, une tempête de colère, d’incompréhension, de rage, de détermination et de puissance. Les féministes ne lâchent rien, les gouvernants le savent. Peu importe. Eux non plus ne lâchent rien. Ni le pouvoir, ni leurs privilèges. La plupart sont des hommes, blancs, cisgenres, hétérosexuels, bourgeois.

Dans les discours, ils prônent la diversité, l’égalité des chances et l’humanisme. Un joli terme bien utile pour universaliser la problématique et invisibiliser les nombreux mécanismes d’oppression et de domination auxquels ils adhèrent fermement. Dans les faits, ils défendent la liberté d’importuner (comprendre ici que les hommes jouissent de la liberté d’importuner les femmes) et les gauloiseries (comprendre ici la culture du viol dans son entièreté, pour plus de clarté, on conseille de lire le livre de Valérie Rey Robert, Culture du viol à la française). 

Ils tentent de semer la confusion entre les actes et les effets d’annonce – pma pour tou-te-s (dont les personnes transgenres sont exclues !), grenelle contre les violences conjugales, âge du consentement pour les mineur-e-s, enregistrement des plaintes en ligne, délai d’avortement… - mais ils se montrent très clairs sur leur ras-le-bol.

Ras-le-bol de faire semblant de s’intéresser à ce qui fondent les inégalités. Ras-le-bol des conneries des militantes féministes qui n’ont rien d’autre à foutre que de s’attaquer à la langue de Molière, à l’éducation de Jules Ferry, aux ambitions sportives de Pierre de Coubertin, au cinéma de Polanski et de Besson…

Elles cherchent clairement à détruire notre belle nation construite par les Grands Hommes pour les Grands Hommes. Où vont-elles s’arrêter ? Au gouvernement Castex I ? Il n’y a pas de doute, la réponse est non. Elles ne céderont pas à la menace du retour de bâton (le fameux « backlash » développé par l’autrice et journaliste, militante féministe, Susan Faludi dans son livre Backlash : la guerre froide contre les femmes, paru en 1993). 

Parce que le retour de bâton est une sorte d’épée de Damoclès au-dessus de la tête des femmes. Sortez des normes, des assignations, des sentiers battus, de votre condition de femme dans tout ce qu’elle comporte d’interdits et d’injonctions, et vous serez punies. Ouvrez vos gueules, tapez du poing sur la table, racontez vos vécus, et vous serez punies. Exposez-vous hors du cadre dans lequel on vous a enfermé depuis plusieurs décennies, et vous serez punies. Eloignez-vous des lignes que l’on a tracées autour de vous, et vous serez punies. Cassez les murs de votre prison sociale, et vous serez punies. Rompez soldates, et vous serez punies.

Il existe des échappatoires, il existe des possibles. Emmanuel Macron demande aux Français-es de se réinventer, les femmes, elles, savent que trop bien ce que c’est que de se réinventer. En permanence. Face aux violences sexistes et sexuelles. Face aux violences LGBTIphobes. Face aux violences racistes. Face aux violences classistes. Face aux violences validistes. Face à toutes ces violences en même temps. Face au croisement de plusieurs de ces violences.

Alors, ça pète de toute part. Parce que s’attaquer à ces inégalités, c’est creuser profondément pour en trouver les sources. Les sources du patriarcat, les sources du capitalisme. Les enjeux de l’esclavage, de la colonisation et de la période post-coloniale. Les conséquences qu’on réfute, qu’on ne veut pas entendre et qu’on ne veut pas voir.

On ne veut pas comprendre parce que comprendre, c’est déjà accepté qu’il n’y ait pas de retour en arrière possible. Et puis parce que ça implique une remise en question, une déconstruction de nos idées reçues et préconçues. Parce qu’enfin ça signifie d’interroger nos positionnements, notre manière de (ne pas) nous situer dans la société, de réaliser qu’on a des privilèges en tant qu’hommes blancs, en tant que femmes blanches, en tant que personnes valides, etc.

Écouter et entendre. Sans renvoyer à l’autre l’état d’un jugement hâtif et basé sur des stéréotypes, sur de l’inconscient patriarcal et raciste (ne mentons pas, qui ne l’a pas intégré en vivant dans une société comme celle de la France ?). Voilà ce dont le gouvernement va à l’encontre.

« Le signal est clair : la parole des victimes est encore une fois bafouée. », scande le collectif Nous Toutes 35 lors du rassemblement de ce vendredi 10 juillet 2020, place de la Mairie à Rennes. Au même moment, des milliers de femmes et d’hommes se mobilisent contre le remaniement de la honte à Ajaccio, Angers, Barcelone, Berlin, Caen, Dijon, Grenoble, Laval, Londres, Marseille, Metz, Montpellier, Montréal, Nantes, Nice, Orléans, Paris, Poitiers, Reims, Saint-Etienne, Sidney, Strarbourg, Tel Aviv, Toulouse, Toulon ou encore Valence (liste non exhaustive). 

Ce remaniement de la honte, c’est celui du 6 juillet 2020. Celui du gouvernement Castex I. Celui qui nomme Darmanin à l’Intérieur, Dupont-Moretti à la Justice et Moreno à l’Égalité femmes-hommes, la Diversité et l’Égalité des chances. Le premier est accusé de viols, l’enquête est en cours. L’autre tient ouvertement des propos sexistes. La troisième n’est pas à proprement parler ministre mais ministre déléguée. Et d’emblée, elle s’emmêle les pieds dans le tapis, comme le rappelle Nous Toutes 35 :

« Elle a déclaré qu’elle ne voulait surtout pas que les hommes se sentent gênés, qu’ils aient l’impression qu’il n’y en a que pour les femmes. » Au-delà de son discours, elle représente avec son statut de cheffe d’entreprise « la classe dominante » et réaffirme « une position conservatrice face aux discriminations. » Pour elle, la seule complémentarité est celle des femmes et des hommes. Les autres sont inexistants. Les autres, on ne veut pas les voir, on ne veut pas les entendre.

Ce vendredi soir, les manifestant-e-s sont venu-e-s en masse. À Rennes, devant l’Opéra, trône la banderole « Remaniement : c’est mâle parti ». Tout autour, on peut lire « Violeur homophobe sexiste », « Gouverné-e-s par la culture du viol », « Sous les masques la rage » ou encore « Culture du viol en marche ». 

Dans les rangs, on entend que ce remaniement est une insulte à toutes les femmes. Un crachat en pleine face. « La grande cause du quinquennat n’est qu’une façade », s’écrie une militante de Nous Toutes 35. Elle parle de « maintien des oppresseurs ». 

Avec la nomination d’un homme accusé de viol (une enquête est en cours, rappelons-le) et celle d’un avocat ultra médiatisé pour ces propos sexistes (non, nous n’emploierons pas le terme punchline, ce serait minimiser), le message est très fort : le gouvernement décide de complètement banaliser les violences faites aux femmes, que l’on peut également appeler les violences masculines.

L’Intérieur et la Justice sont des ministères régaliens. On s’interroge alors sur la responsabilité de l’Etat qui désavoue toute volonté d’égalité. Comment envisager d’avancer en ce sens lorsque « Les accusations de viol n’empêchent pas ni de recevoir un César ni de devenir ministre » ?

En réponse, on brandit souvent la présomption d’innocence. Faisant ainsi passer les militantes féministes pour des harpies hystériques qui font des raccourcis malaisants dans le but d’enrôler toute la population dans une révolution non réfléchie. On parle des femmes qui mentent, qui dénoncent des hommes pour se venger, qui portent plainte contre des hommes de pouvoir pour les faire tomber (et au passage, récolter quelques billets, n’oublions pas que les femmes sont vénales…).

En novembre 2019, Libérationinterroge Noémie Renard sur la définition de la culture du viol. L’autrice d’En finir avec la culture du violrépond : « Dans cette expression, le terme « culture » désigne l’ensemble des caractéristiques d’une société : ses traditions, ses valeurs, ses croyances, son humour. Une culture du viol constitue un ensemble d’attitudes qui minimisent la gravité de ce crime. Dans une culture du viol, les violences sexuelles sont courantes et demeurent impunies. En France, chaque année, 84 000 femmes et 14 000 hommes de 18 à 75 ans sont victimes de viol ou de tentative de viol. Un chiffre en deçà de la réalité, car il ne tient pas compte des mineurs, fréquemment victimes. On estime qu’une victime sur dix porte plainte et il y a une impunité judiciaire : seule une plainte sur dix aboutit à une condamnation. Cette impunité est aussi sociale. Beaucoup de célébrités accusées de violences sexuelles continuent leurs carrières : Roman Polanski accusé d’avoir violé plusieurs adolescentes, Donald Trump accusé de viol par plusieurs femmes, Patrick Bruel dénoncé par plusieurs esthéticiennes pour harcèlement ou agressions sexuelles. On dit souvent que les accusations peuvent détruire une carrière, mais ce n’est pas vraiment le cas dans les faits. »

Pourquoi protège-t-on majoritairement et ne condamne-t-on quasiment jamais les hommes accusés de viol-s, d’agression-s sexuelle-s, de harcèlement sexuel ? Pourquoi renvoie-t-on quasi systématiquement la honte et la culpabilité aux femmes qui osent se déclarer victimes ? Elles ont à un moment outrepassé leur condition, au sens des interdictions et des injonctions, de femme et elles ont été punies.

C’est de leur faute. On ne veut plus les entendre. Voilà ce que dit le gouvernement avec ce remaniement. Sommes-nous radicales de penser et d’affirmer cela ? Ainsi, soit-elle, comme titrait Benoite Groult en 1975. Mais pourquoi tout le temps prendre des pincettes ? Pour dire quoi en  plus ? Que tous les hommes ne sont pas des violeurs ? Que tous les hommes ne cassent pas la gueule de leur meuf ? 

Nous non plus, on ne dit pas ça. Mais on dit que dans un système qui perpétue les inégalités et répand dans toutes les sphères de la société des stéréotypes genrés, tout le monde intègre cette construction sociale qui divise les individus et les hiérarchise en fonction de leur sexe, de leur genre, de leur identité de genre, de leur orientation sexuelle, de leur couleur de peau, de leur santé mentale et/ou physique, etc.

La preuve : on nomme un homme accusé de viol au rang de chef de la police. Et quand on s’insurge, on nous brandit la présomption d’innocence ? Non, ce n’est pas sérieux. Les féministes ne sont pas contre les hommes et ne sont pas contre la Justice. Elles la critiquent, elles la remettent en cause, elles exigent des moyens conséquents, elles veulent la justice pour tou-te-s, la justice sociale, la justice équitable. Personne ne peut raisonnablement envisager de croire qu’elles sont contre la Justice, juste comme ça, par envie de faire chier. Mais n’importe qui peut s’y refuser par volonté de ne pas remettre le système oppressif en question.

« Nous ne nous laisserons pas faire ! Nous ne céderons pas à la peur ni à la volonté de nous faire taire ! », clâme Nous Toutes 35 en conclusion de son intervention, place de la Mairie à Rennes. 

Applaudissements. Cris. Rires. Poing en l’air. Et slogans repris en chœur : « Pas de violeur à l’Intérieur ! Pas de complice à la Justice ! So, so, so, solidarité avec les femmes et les minorités ! » Plus de 1 000 personnes qui hurlent de toute leur rage et qui tapent dans leur main, c’est fort, c’est puissant, c’est empouvoirant.

Et c’est émouvant. Les manifestant-e-s forment un cercle et lorsque l’on tourne sur soi-même, que l’on voit une femme avec un tee-shirt « Female are strong as well », une autre avec un tote bag Les culottéesde Pénelope Bagieu, plein d’autres avec des pancartes aux slogans militants et créatifs, et que l’on entend un millier de voix se réunir pour chanter « Nous sommes fortes, nous sommes fières, et féministes et radicales et en colère », ça nous prend aux tripes.

Alors l’espoir renait, l’espoir nous saisit les entrailles. Non, nous ne laisserons pas faire. Ce coup-là, comme tous les autres coups qu’on a pris et que nos sœurs ont pris, nous ne les oublierons pas. Nous nous battrons. Pour nos droits, pour nos idées, pour l’égalité. Les retours de bâtons ne nous font pas peur. Ils sont notre quotidien.

Il faut se réinventer, dit Emmanuel Macron. Nous ne l’avons pas attendu. Chaque jour, nous réinventons nos féminités, nos masculinités, notre non binarité. Chaque jour, nous réinventons nos libertés et nous luttons pour les concrétiser.

Célian Ramis

Awa Gueye : « Je veux la Justice, je veux un procès, il faut continuer à se battre ! »

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Ni oubli, ni pardon. Samedi 6 juin, des milliers de personnes ont répondu à l’appel du Collectif Justice et Vérité pour Babacar Gueye, à Rennes. Près de 4 000 se sont mobilisées contre les violences policières et ont affirmé que « Sans justice, pas de paix ».
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Ni oubli, ni pardon. Samedi 6 juin, des milliers de personnes ont répondu à l’appel du Collectif Justice et Vérité pour Babacar Gueye, à Rennes. Sur l’esplanade Charles de Gaulle, iels étaient environ 4 000 à se mobiliser contre les violences policières et à affirmer que « sans justice, pas de paix ».

La marche « Laissez-Nous Respirer », à l’appel de 38 familles de victimes de violences policières et de collectifs de blessés, aurait du avoir lieu le 13 mars dernier. Mais le Covid et la menace du confinement arrivant ont forcé les organisateur-rice-s à reporter l’événement.

Entre temps, en avril, Jimmy, Mohamed, Boris, Malik, Dine ou encore Romain, sont décédés à la suite d’un plaquage ventral, tués par balles ou morts en garde-à-vue, à Toulouse, Béziers, Angoulême, La Courneuve, Albi ou encore à Saint-Denis.

Le 23 mai, la chanteuse Camelia Jordana est invitée dans l’émission On n’est pas couché, sur France 2. Elle y déclare que face à un flic, quand elle a les cheveux frisés, elle ne se sent pas en sécurité, explique que c’est le cas pour milliers de personnes racisées en France et dénonce les violences policières à leur encontre, en raison de leur couleur de peau.

Son discours crée la polémique et chacun-e y va de son commentaire socio-philosophico-éthique. Et finalement, le fond du débat se décale et devient le sujet de conversation d’hommes blancs médiatiques et politiques se rejoignant sur la conclusion suivante : non, il n’existe pas de violences policières, comme continue de l’affirme Christian Jacob, non, les Français-es ne se sentent pas en insécurité face aux forces de l’ordre, oui, Camelia Jordana ferait mieux de se taire plutôt que d’inciter la population à la haine anti-flics.

Deux jours après la diffusion d’ONPC, aux Etats-Unis, George Floyd est interpellé par quatre policiers qui le menottent et le plaquent au sol sur le ventre. L’homme est immobilisé à terre, incapable de respirer puisque les policiers le maintiennent plaquer. L’un des agents exerce une pression avec son genou sur le cou de l’homme afro-américain.

Des témoins filment la scène, des passants réclament que les policiers arrêtent le plaquage et l’aident, George Floyd ne cesse de répéter qu’il ne peut plus respirer. Rien n’y fait, la pression à son cou est maintenue jusqu’à l’arrivée de l’ambulance. Il décède. Les autopsies concluent à un homicide.

Les quatre policiers sont licenciés et des enquêtes sont ouvertes. Mais surtout, les vidéos de l’interpellation et du meurtre de George Floyd sont diffusées sur les réseaux sociaux, secouant la population américaine puis mondiale. Des émeutes débutent à Minneapolis, ville dans laquelle le crime a été commis, puis se propagent dans le reste des Etats-Unis.

Quatre ans plus tôt en France, Adama Traoré est lui aussi mort asphyxié à la suite de son interpellation par les gendarmes. Depuis, sa sœur Assa Traoré mène le mouvement Vérité et Justice pour Adama. Ce 2 juin 2020, elle lance un appel à la mobilisation et rassemble plus de 20 000 personnes à Paris, malgré l’interdiction de la Préfecture.

Le samedi suivant, le 6 juin, le rassemblement qui doit se tenir sur l’esplanade Charles de Gaulles à Rennes est lui aussi interdit par arrêté préfectoral. Pourtant, plusieurs milliers de personnes se réunissent à cet endroit-même pour affirmer que « Les oppressions sont faciles à ignorer quand elles fonctionnent en notre faveur », « Black Lives Matter », « Black Trans Lives Matter », « La police est raciste », « Ne pas dénoncer, c’est encourager » ou encore que « Ce n’est pas un combat contre les blancs mais contre le racisme mondial ».

La foule, condensée de pancartes, resserre les rangs devant Awa Gueye, la sœur de Babacar Gueye, assassiné par la police à Rennes en 2015. Cinq balles dans le corps. Des versions qui diffèrent, des faits qui ne corroborent pas ensemble. Des flics qui viennent à la place des pompiers. L’arme qui a tué Babacar qui disparaît des scellés. Un non lieu. Et surtout des questions en suspens.

Awa Gueye se bat pour obtenir les réponses. Se bat pour « rendre hommage à mon petit frère, Babacar et à toutes les personnes assassinées par la police. » Quand elle déclara « Nous sommes George Floyd », la foule scande avec elle. Elle dénonce le racisme d’État, ce qui a causé la mort de son frère : 

« On doit nous donner le respect. Personne ne mérite cette mort ! Les policiers qui ont tué Babacar, ils ont porté plainte contre Babacar. La honte ! Quelle honte ! Ils sont venus chez moi pour me faire peur. Moi, je me suis dit Awa, bats-toi ! Aujourd’hui, je suis fière de moi, je suis capable et j’ai réussi à faire ouvrir le dossier à nouveau. » 

Elle ne lâchera pas, elle ne cédera pas à leur tentative d’intimidation. « Les policiers, ils salissent toujours les personnes (qu’ils assassinent). Pour faire taire les familles. Les familles, on est là, on est forts et on continue de se battre. Je demande la reconstitution des faits. Et toutes les personnes qui étaient là à ce moment-là doivent être là. Pompiers, policiers, tout le monde. Je veux la Justice, je veux un procès, je vous informerais et tout le monde doit être là ! On veut la Justice, on veut un procès, il faut continuer à se battre ! », lance Awa Gueye. 

Poing en l’air, le regard déterminé, elle est une figure importante de la lutte contre les violences policières et racistes. Parce qu’elle, comme Assa Traoré et de nombreuses familles de victimes, elle se bat pour faire éclater la vérité et contre l’impunité qui protège les assassins de leurs frères, maris, pères, sœurs, ami-e-s, etc.

Pour faire reconnaître que toutes ces victimes ne sont pas des cas isolés. Allan, Angelo, Lamine, Adama, Babacar, Zyed, Bouna, Breonna, George, Abou, Ricardo et d’autres ont été, sont et seront tué-e-s en raison de leur couleur de peau. Aux Etats-Unis, en France, et ailleurs.

Leur visage et leur nom sont présents au sein du rassemblement. Sur des pancartes, dans les slogans, sur les pulls. Les poings sont en l’air, les mains claquent, les voix s’énervent et le rythme s’accélère. La foule demande la justice pour Adama, pour Babacar, pour Angelo, pour Allan.

Ce dernier est décédé le 9 février 2019, « victime de la police de Saint-Malo », déclare une proche de la famille. Elle poursuit : « Il était avec son papa quand ils ont été arrêtés, ils l’ont laissé mourir en cellule tout seul. Son papa l’a appris le lendemain. Ils ont détruit une famille ce jour-là. Ils ont détruit un papa. Une famille entière qui ne se remettra jamais de cette injustice. »

Elle précise que l’affaire n’avance pas. Qu’elle traine même. Alors la famille a choisi de délocaliser le procès à Rennes. A quelques mètres des prises de paroles, une pancarte flotte dans les airs : « Qui appelle-t-on quand la police tue ? » Une minute de silence suit les discours. « Laissez-Nous Respirer !», enchainent en chœur les manifestant-e-s, gravant cette lutte, ignorée jusqu’ici de la majorité des personnes blanches et du gouvernement.

Car si le pouvoir en place, comme ceux qui l’ont précédé, tente de canaliser la gronde, prétextant que les violences policières n’existent pas et profitant de la politique de l’autruche en matière de privilège blanc, la gênante réalité ne peut plus être contenue. Et en France, on peut pas se cacher derrière une comparaison avec les Etats-Unis, laissant penser que dans l’hexagone, les choses ne sont pas si pires…

Il y a ce groupe Facebook, TN Rabiot Police Officiel, qui réunit 8000 policiers s’échangeant des messages racistes, sexistes, homophobes et qui parfois appellent au meurtre. Il y a le Defenseur des droits Jacques Toubon qui plaide pour une analyse systémique des discriminations subies par 18 personnes noires, arabes, ou perçues comme telles, dans le 12earrondissement de Paris entre l’été 2013 er 2015.

Dans son rapport, il écrit : « Les discriminations liées à l’origine à l’encontre des groupes de personnes s’inscrivent dans un ensemble de représentations et de préjugés qui traversent la société. » Il parle alors de discrimination systémique. Une grande première pour une instance étatique. 

Interrogée sur le racisme au sein de la police, Christiane Taubira peine à généraliser, soulignant que « chaque dérapage individuel tâche l’institution entière. » Un discours en demi teinte qui n’occulte cependant pas la responsabilité collective du racisme. 

Du côté des manifestant-e-s, on continue de l’affirmer : « Ni oubli, ni pardon. Sans justice, pas de paix. » Justice pour Adama, Babacar, Angelo, Allan, George et tous les autres. Awa Gueye insiste : personne ne la fera taire, elle poursuit le combat et espère retrouver les 4000 personnes présentes et plus à ses côtés pour continuer.

Célian Ramis

Violences conjugales : à travers les générations

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Paulin-e Goasmat pose son regard sur un sujet qui traverse les époques : les violences conjugales. Des années 70 à aujourd’hui, la domination masculine perdure et enferme les victimes dans la culpabilité et la honte.
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Réalisateur-e de fictions courtes, Paulin-e Goasmat investit la thématique de la 10édition du Nikon Film festival « Une génération », pour poser son regard sur un sujet qui traverse les époques : les violences conjugales. Des années 70 à aujourd’hui, la domination masculine perdure, profitant du silence qui règne autour de cette chape de plomb, enfermant ainsi les victimes dans la culpabilité et la honte. À l’heure où Céline Sciamma et Iris Brey prônent le female gaze sur grands et petits écrans, Dix ans X-Y-Z s’inscrit parfaitement dans ce regard intime nous invitant à faire l’expérience au moment même où la protagoniste la vit. Ici, pas besoin de s’identifier pour comprendre. On regarde, on écoute, mais surtout on ressent.

Sur le bureau d’une enfant faisant ses devoirs, la télévision est allumée : « Savez-vous qu’il y a en France des femmes battues ? » Nous sommes en octobre 1975 et une chaine diffuse un micro-trottoir sur les violences conjugales. Des hommes répondent à la question :

« J’ai entendu, j’ai pas vu mais y en a certainement eu depuis tout le temps », « Dans certaines circonstances oui », « Disputées disons… oui, un geste malheureux », « Quelques petites gifles oui, trois fois rien », « Je bats pas la mienne, mais des fois j’en ai envie quand même hein », « oh vous savez y en a qui aime ça par habitude vous savez », « Des hommes battus, ça, certainement y en a moins que des femmes… ».

La petite fille éteint le poste. Mais dans une autre pièce de l’appartement résonne la dispute de ses parents. Celle-là, elle ne peut pas l’arrêter. Elle met de la musique pour ne plus entendre les cris et les insultes. Du lecteur de vinyles dans une chambre au papier peint à motifs des années 70 sur lequel on épingle l’affiche de Retour vers le futur, on passe à un lecteur CD dans une chambre aux murs blancs ornés de guirlandes lumineuses et de posters de Mon voisin Totorro et d’Harry Potter.

Et toujours, en fond, quand la musique se coupe, les engueulades incessantes. La pré-adolescente se saisit de son téléphone et de ses écouteurs, dernier refuge, avant que sa mère n’entre dans sa chambre, le ventre bien arrondi de sa grossesse et l’œil très noirci des coups qu’elle subit.

« T’inquiète pas mon chat, ça va aller », dit-elle, fixant la caméra. C’est comme si elle nous défiait de son regard qui semble nous interpeler pour nous dire « Vous voyez, vous savez, mais vous ne faites rien ». Le ressenti est glaçant. Ce coup-là ne nous marque pas le visage mais se grave dans nos chairs et dans nos tripes. Parce que comme le montre si bien Paulin-e Goasmat, le problème n’est ni nouveau, ni méconnu. 

UNE THÉMATIQUE INSPIRANTE

« Aujourd’hui, la seule différence, c’est qu’aucun homme n’accepterait de dire ça à visage découvert. On pourrait entendre les mêmes phrases mais les hommes seraient masqués. », nous dit Paulin-e Goasmat, réalisateur-e de fictions courtes et de clips. Chaque année, iel regarde la thématique du Nikon Film Festival sur laquelle iel fait régulièrement réfléchir et travailler ses étudiant-e-s à l’école d’art MJM Rennes. 

Pour cette nouvelle édition, ce sera « Une génération », un thème qui lui plait et qu’iel partage avec une amie, Gabrielle Pichon comédienne et autrice pour l’écriture, qui s’effectue en deux jours, fin août. En septembre, le gouvernement lance son grenelle contre les violences conjugales et à cette occasion, ressort un micro-trottoir de 1979, qu’iel va donc reproduire dans son court-métrage. Iel lance un appel sur les réseaux sociaux et découvre avec joie que les réponses sont nombreuses :

« On a passé une heure place de la Mairie à retourner ce micro-trottoir et l’implication des gens m’a beaucoup touché-e. J’ai appelé Gabrielle, qui m’avait annoncé qu’elle était enceinte et qui a accepté de jouer la mère et c’est ma belle fille qui a joué la fille. On a pris le temps de parler de ce sujet avec elle. On a deux filles, on est une famille homoparentale tournée vers une éducation non genrée et féministe. Elle a du construire une histoire qu’elle ne vit pas dans son quotidien. On a tourné à la maison, c’est un film intime avec une équipe pro. »

Pour Paulin-e, Dix ans X-Y-Z n’a pas vocation à interpeler les pouvoirs publics mais plutôt à rentrer dans les foyers et dans les consciences. 

QUE LA HONTE CHANGE DE CAMP

Pour déconstruire l’image préconçue que l’on se fait de la victime, qui reste dans la relation comme si elle cautionnait d’être frappée. Et pour cela, Paulin-e Goasmat réalise un court-métrage percutant et sensible dans lequel iel joue avec les espaces temps qui finissent pas se confondre.

Car depuis les années 70 et la diffusion de ce micro-trottoir, les violences conjugales se perpétuent et les coups assénés par les conjoints ou ex-conjoints tuent, en France, plus d’une centaine de femmes par an. En 2019, 149 ont été assassinées par des hommes. Non par amour, non par passion.

« Il faut du courage pour parler, il faut du courage pour partir. Avant les coups, il y a les mots, le poids des mots, la violence, le rabaissement pour dominer la victime. J’ai fait le choix du hors champs pour les parents car il n’y a pas besoin de voir la violence pour la subir. On le voit, l’enfant a besoin de se déconnecter de ça. Dans le film, il n’y a pas de jugement. Il faut que la honte change de camp. Quand quelqu’un-e ose parler, on lui reproche de briser la famille. Ce n’est pas normal de culpabiliser les victimes. Ici, j’aborde aussi les victimes collatérales : les enfants. Sans oublier que la mère est enceinte. Le trauma peut perdurer sans que l’on s’en rende compte. », souligne Paulin-e.

Iel le dit, son court-métrage est militant, et le féminisme n’est pas un gros mot. Son objectif : que Dix ans X-Y-Z soit vu et que le message circule. En effet, c’est essentiel, un support comme celui qu’iel a créé avec son équipe. Pour faire prendre conscience d’une réalité, pour ouvrir des discussions, pour faire jaillir des interrogations et des paroles qui peut-être n’osaient pas s’affirmer, que ce soit dans l’intimité ou dans l’espace public.

Parce qu’iel sait que parfois, en lisant un témoignage ou en visionnant un documentaire ou un film, on met tout à coup des mots sur un ressenti.

« Je pense qu’il faut parler pour faire évoluer la société et les rapports humains. Il n’y a pas une journée où je ne reprends pas une personne sur l’homophobie, le racisme, le sexisme. Je n’ai plus envie de me taire ! »
conclut Paulin-e Goasmat. 

Iel nous fait du bien. Son engagement anime son discours et ses créations. Déjà dans le film court Conquérantes, on avait été marqué-e-s de son habileté à jouer des temporalités pour fixer son objectif sur le continuum que représentent les violences sexistes. Une fois encore, on adhère totalement à sa proposition et on la recommande sans modération. 

 

Célian Ramis

L'art de pointer une sombre réalité

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Le nom annonce la couleur : Concerto pour salopes en viol mineur. Pièce proposée par La Divine Bouchère, elle dresse un état des lieux « froid et sarcastique », autour de la question du viol et du statut de victime.
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Le nom annonce la couleur : Concerto pour salopes en viol mineur. Pièce proposée par la compagnie brestoise La Divine Bouchère, écrite par l’autrice et comédienne Jessica Roumeur, elle dresse un état des lieux « froid et sarcastique », autour de la question du viol et du statut de victime. Le 26 novembre dernier, juste après la conférence de la militante féministe Valérie Rey Robert sur la Culture du viol à la française, le quatuor finistérien a présenté sur la scène du Tambour, à l’université Rennes 2, son spectacle, issu du projet « Silence on viole ». 

Sur scène, quatre femmes s’installent sur un canapé et enfilent des perruques sur un concerto de Vivaldi. Les violons s’emballent, les personnages aussi. Beaucoup de gestes, beaucoup de paroles que l’on ne distingue pas tant les voix se couvrent entre elles. Jusqu’à ce que retentisse un « Salope ! ». La musique stoppe net.

Au micro, une des femmes raconte : « Un jour, j’avais 16 ans, c’est ce soir-là que c’est arrivé. Tout le monde s’amusait, j’avais reçu beaucoup de cadeaux. Lui, je le trouvais beau, je souriais, j’étais contente. Je suis montée, il était là, il m’a suivi, j’étais contente. Il m’a embrassé, j’étais contente. Il a fermé la porte, m’a bloqué les bras, je pouvais plus respirer. Il a sorti son sexe, ça passait pas. J’ai crié, il a dit « Ta gueule ». Il allait vite et fort. Il a fourré son sexe dans ma bouche et il m’a dit « Tu vois, c’était pas la peine de gueuler ». »

Il y a des mots que l’on a du mal à prononcer, comme le mot « vagin ». Il y a des phrases que l’on prononce trop facilement, comme « il va t’arriver des bricoles ». Il y a des situations qui nous obligent à détacher notre corps de notre esprit pour ne pas mourir sur le coup, comme au moment des violences sexuelles et/ou physiques.

Et il y a ces réactions faussement compatissantes qui se répètent, les « Oh la pauvre » et les « C’est atroce », avant de se transformer en soupçons, humiliations et culpabilisation, et finalement de devenir des insultes. « La salope ! », « C’est vrai que c’est la honte. », « Salope, salope, salope, salope ». De nouveau, Vivaldi envahit le plateau. Jusqu’au bouquet final. L’apothéose de cet ascenseur émotionnel dont le voyage aura duré 30 minutes.

« J’ai laissé le silence commander ma vie. Ça va aller maintenant. Je suis une guerrière parce que j’ai dit alors qu’on voulait que je me taise. Parce que je refuse d’être la petite chose meurtrie que la société voudrait. J’ai trouvé moi-même le rédemption. J’ai mon casque et mon armure. C’est pas poli mais j’ai gueulé comme un animal mutilé par sa blessure. J’ai dit les mots qu’on veut taire. J’ai dit « viol » et j’ai dit « je » ! ».

Les quatre femmes quittent leurs perruques. 

SILENCE ON VIOLE

Bim. Grosse claque dans la gueule. Coup de boule, comme dit l’autrice. Elles nous secouent Anaïs Cloarec, Louise Forlodou, Véronique Heliès et Jessica Roumeur, dans cette pièce qui trouve son origine dans le projet « Silence on viole », une campagne artistique contre le viol, qui s’est déroulée du 9 novembre au 15 décembre 2013, à Brest.

« C’est une plasticienne, Marion Plumet, qui a eu cette idée parce qu’en général, les campagnes de prévention sont bourrées de clichés. Elle m’a proposé de me joindre à elle en tant qu’autrice. », explique Jessica Roumeur qui nous indique rapidement qu’à l’âge de 16 ans, elle a subi un viol : « J’avais jamais pensé à écrire autour de ça. Marion aussi a été victime d’un viol, ainsi que d’autres femmes que l’on connait. C’est un véritable fléau. »

Une vingtaine d’artistes se sont réuni-e-s autour de ce projet qui entame une démarche de réveil des consciences mais surtout de libération de la parole, face à la loi du silence imposée par la culture du viol. Le spectacle va ainsi commencer à voir le jour et va être étoffé, à partir de témoignages, d’imagination, d’analyse et d’observations. Depuis que s’est-il passé ?

Du côté des mentalités, pas grand chose. Du côté des chiffres, on est passé de 75 000 viols comptabilisés par l’enquête ENVEFF à 89 000 (enquête désormais intitulée Virage). Par an, en France. Et plus de 220 000 agressions sexuelles. « Depuis qu’on joue la pièce, #Metoo a fait pas mal de remous. Et on entend des paroles qui font du bien. On avance, par à-coups. Mais les chiffres ne diminuent pas. Après le spectacle, on propose toujours un temps d’échange parce qu’après 30 minutes aussi intenses, il faut en discuter et prévoir des respirations communes. », signale l’autrice, qui précise que Concerto pour salopes en viol mineurne tend pas à exposer des solutions mais à dresser « un état des lieux froid et sarcastique ».

Elle le dit, ce n’est pas un « sujet glamour » et il est hors de question d’enjoliver la sombre réalité et de produire du sensationnalisme. « Les médias s’en chargent déjà », glisse-t-elle. 

SILENCE SUR LES PLANCHES

Côté diffusion, ça coince : « Quand on a monté la campagne, on nous disait d’aller voir plutôt la Santé, et côté Santé, on nous disait d’aller voir plutôt la Culture. Personne ne veut s’en charger. Pourtant, dans l’art, on parle de plein de choses ! Mais le viol, on ne veut pas voir, on ne veut pas dire. La parole se libère mais pas partout et pas pour tout le monde. Dans la réalité, c’est encore un parcours de la combattante. Quand on dit viol, c’est comme si on mettait un coup de poing ou qu’on faisait un attentat. Comme ça touche aux parties génitales, on parle de sexualité, d’intimité, alors que c’est un crime ! L’intime est politique ! »

Serait-ce une tache dans la programmation ? Nous, on dirait plutôt que c’est un spectacle indispensable. Engagé et intelligent, tant dans le fond que dans la forme. La mise en scène est épurée et les costumes, les attitudes et les témoignages donnent une touche d’émissions-témoignages tires larmes, animées par (anciennement) Jean-Luc Delarue, Sophie Davant, Faustine Bollaert ou encore Evelyne Thomas.

« On a donné un esthétique télévisuelle car dans ces émissions, les paroles des victimes sont souvent instrumentalisées pour accentuer le sensationnalisme. », explique Jessica Roumeur. La compagnie La Divine Bouchère met en mots et en perspective les voix, les accusations, les hypocrisies, les jugements et les malaises qui se confrontent et se confondent avec les récits des victimes. C’est intense, brut et bouleversant. La violence qui en émane n’est pas décuplée, elle est simplement le miroir de la réalité qu’il nous faut regarder bien en face. 

Depuis, la partition de Vivaldi accompagne comme une ritournelle cette phrase déclamée par une comédienne et qui claque dans nos oreilles et nous glace le sang : « C’est un jeu sans règles dans lequel tu n’as aucune chance de gagner. » Déjouons la fatalité, battons-nous contre le sexisme, allons le dire et l’entendre dans les théâtres. Entre autre. 

 

 

Célian Ramis

Trans 2019 : Les tripes à l'air avec Lous and The Yakuza

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Après Jeanne Added et Aloïse Sauvage, c'était au tour de Lous and The Yakuza de monter sur la scène de l'Aire Libre, à l'occasion des TransMusicales 2019.
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Chaque année, aux Trans, c’est un peu le suspens : qui sera l’artiste en création à l’Aire Libre ? La réponse attise la curiosité, principalement parce que c’est sur cette scène que se propulsent certaines carrières, à l’instar par exemple de Jeanne Added ou Aloïse Sauvage. Du 4 au 8 décembre, c’est Lous and The Yakuza qui était en résidence et en concert tous les soirs à St-Jacques-de-la-Lande. 

En première partie, le duo d’Alber Jupiter nous hypnotise et nous transcende. Entièrement instrumental – guitare / batterie – et psychédélique, les musiciens renno-nantais nous envoient loin, très loin dans les étoiles en quelques morceaux post-rock.

La voix de Marie-Pierra Kakoma nous ramène directement sur notre fauteuil. « Une vie de merde, c’est juste une vie de merde. », chante-t-elle. Ce qui paraît être une évidence banale, ou une banale évidence, prend une autre tournure avec la chanteuse, autrice, compositrice de Lous and The Yakuza.

Les sujets abordés sont lourds de sens et parfois graves. Elle les interprète avec calme et légèreté. Sans jamais leur enlever cette substance sérieuse et pesante. Simplement, elle déplace le point d’impact. Capte l’attention de par son air naturellement joyeux et sa manière d’angliciser bon nombre de termes quand elle s’adresse au public. Et bam, elle frappe.

« Je sens comme un courant d’air entre les jambes de ta mère… », entame-t-elle rapidement dans son set. La prostitution ne sera pas l’unique et seul tabou qu’elle lèvera pendant le spectacle. Elle parle aussi de violences sexuelles, relatant dans une autre chanson l’histoire d’un viol, à travers le point de vue de l’agressée et le point de vue de l’agresseur. 

Et aborde également le problème du racisme. Dans le texte, elle souligne « Pourquoi le noir n’est-il pas une couleur de l’arc-en-ciel », précisant que les noir-e-s doivent sans cesse « se défendre, se taire, se débattre, se battre jusqu’à la muerte. » Face au public, elle explique : « Cette chanson, « Solo », je l’ai écrite pour les gens de ma communauté, c’est-à-dire les noir-e-s. Parce que quand on est noir-e en Europe, on fait face à beaucoup de racisme et on se sent seul-e. »

Comme un fil conducteur, la solitude traverse quasiment tous les morceaux qu’elle présente et qui figureront prochainement - au printemps 2020 - sur son premier album. Depuis quelques mois, l’artiste belge a dévoilé à plusieurs reprises son parcours de vie, relatant une période durant laquelle elle a vécu dans la rue.

Elle s’en inspire pour sa musique, qui mêle pop, r’n’b et chanson française, mais ne raconte pas précisément son vécu. Elle puise dedans, et ce qu’elle nous restitue semble plutôt appartenir à des choses de l’ordre de l’observation et du ressenti.  

Accompagnée de deux musiciens et de deux choristes, elle délivre une voix au service de ses récits. Sur le fil du rasoir, comme si elle allait dérailler. Et finalement, elle ne rompt jamais. On sent sa puissance mais la chanteuse de Lous and The Yakuza n’entre pas dans la performance vocale. Elle utilise sa voix comme instrument et moyen d’expression pour sortir le fond de ses tripes.

La proposition est sensible et joyeuse. Très entrainante, Marie-Pierra Kakuma n’hésitant pas à faire lever le public à plusieurs reprises pour le faire danser. N’hésitant pas non plus à directement aller dans le public « pour être là ensemble ».

Sa proximité surprend son audience, bousculée dans les habituelles conventions d’une salle de théâtre. Celle-ci s’en amuse et embarque même les plus sceptiques dans un spectacle basé sur le jeu de clair-obscur, autant dans la forme que dans le fond.

Célian Ramis

Rassemblement politique et syndical contre les féminicides

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Le 27 septembre se tenait, à Rennes, le premier des 3 rassemblements, destinés à rappeler au gouvernement que les moyens et actions « promis-es » contre les violences conjugales ne sont pas à la hauteur des besoins et des attentes.
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« Forces politiques de gauche et de progrès, syndicats, associations féministes et d’accompagnement des femmes victimes » (selon le communiqué) ont lancé à Rennes trois appels au rassemblement pour lutter contre les violences faites aux femmes. Vendredi 27 septembre se tenait, à République, le premier d’entre eux, destiné à rappeler au gouvernement et son Grenelle contre les violences conjugales que les moyens et actions « promis-es » ne sont pas à la hauteur des besoins et des attentes. 

Du 3 septembre au 25 novembre 2019, le gouvernement a lancé le Grenelle contre les violences conjugales. Très décrié pour l’absence de réels moyens – financiers mais pas que - mis en place pour lutter contre les inégalités hommes/femmes, on peut se demander s’il s’agit là d’une énième action de communication pour affirmer que l’égalité entre les femmes et les hommes figure en tête de liste des priorités du quinquennat macronien ?

Le Grenelle fait en tout cas miroiter des places d’hébergement supplémentaires pour les femmes victimes de violences, un dispositif d’accès à des logements, l’ouverture 24h/24 et 7j/7 du numéro d’urgence 3919…

Quand ? Avec quels moyens ? Les réponses restent vagues et imprécises dans tous les discours de Marlène Schiappa, secrétaire d’Etat chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, qui dressait un premier bilan quinze jours après le lancement en grande pompe du Grenelle.

Sans budget supplémentaire, les associations et structures féministes, les dispositifs d’aide aux femmes victimes de violences conjugales, ne peuvent intervenir à hauteur de l’urgence et de la demande. Sans formation des forces de l’ordre, des travailleurs sociaux, du personnel des enseignant-e-s, des professionnel-le-s de la santé, des membres de la Justice, les féminicides resteront atrocement nombreux et terriblement impunis.

LE LONG COMBAT DES ASSOCIATIONS

Depuis le début de l’année, plus de 110 femmes ont été tuées par leurs conjoints ou ex-conjoints. C’est bien ce que rappellent les messages collés ou pochés sur les murs et trottoirs de la ville de Rennes depuis plusieurs semaines par des militantes féministes, invitant les Rennais-es à se mobiliser contre les féminicides et à prendre part à la marche contre les violences faites aux femmes, organisée par le collectif Nous Toutes 35, le 23 novembre (la manifestation aura également lieu dans d’autres villes de France).

C’est ce que dénoncent tout au long de l’année les militantes féministes, à travers des conférences, des happenings, des mobilisations, etc., alertant sur les (mauvais) traitements médiatiques et judiciaires qui minimisent souvent la parole des victimes et l’acte en lui-même, le caractérisant de « drame passionnel » ou de « drame familial ».

Au quotidien, les associations féministes œuvrent, au sein d’une plateforme d’aide aux victimes (Asfad, CIDFF, UAIR, Planning Familial 35, SOS Victimes 35), à la mise en sécurité, l’aide, l’accompagnement et la reconstruction des femmes victimes de violences, soutenues par les collectivités à hauteur de leurs faibles enveloppes, les budgets Droits des femmes et Egalité entre les femmes et les hommes étant toujours largement insuffisants.

MOBILISATION POLITIQUE ET SYNDICALE

À République, le 27 septembre, on aperçoit les drapeaux des Jeunes Socialistes, de la France Insoumise, de la CGT, de Solidaires, de Lutte Ouvrière, d’Iskis – centre LGBT de Rennes et de Zin 35 (association des femmes kurdes à Rennes). Des pancartes « Aux femmes assassinées, la patrie indifférente », « La jeunesse emmerde le Front Patriarcal » ou encore « 17 – Je me fais battre par mon mari – Merci de patienter - + 1 morte » trônent contre les arcades.

« Monica, Pascale, Séverine, Nadine, Béatrice, Charline, Patricia, une femme, Céline, Josette, Gaëlle, une femme, Ginette, Ilal, Julie, Georgette, Dolores, Dalida, Sandra, une femme, Mouna, Mariette, Dounia, Justine… », les 110 prénoms des femmes assassinées par leurs conjoints ou ex-conjoints depuis le 1erjanvier 2019 sont déclamés au micro. 

Les discours rappellent qu’elles ont été « fusillées, poignardées, brûlées, défenestrées, égorgées, noyées, étouffées, tuées à coups de marteau… ». Que 60 000 euros par Département ne suffisent pas, là où il en faudrait minimum 6 millions. Que « la lutte a besoin de moyens à la hauteur des enjeux » afin que les associations, collectivités, etc. puissent combattre « ce fléau social ».

Plusieurs dizaines de personnes ont répondu ce jour-là à l’appel des « Forces politiques de gauche et de progrès, des syndicats, des associations féministes et d’accompagnement des femmes victimes ». Pourtant, sur place, elles sont peu nombreuses les associations féministes et d’accompagnement des femmes victimes.

OÙ SONT LES ASSOS ?

« Certaines sont venues avec leur drapeau, comme Iskis ou Zin, l’association des femmes kurdes. Il y avait aussi des représentants qui sont venus à titre individuel. Je crois que les associations ont la volonté de rester neutres politiquement, ce que je comprends. », explique Béatrice Hakni-Robin, membre de la Fédération socialiste d’Ille-et-Vilaine. 

Mais aucune ne figure dans les signataires de l’appel, ni n’est mentionnée dans les discours. On s’interroge, au même titre que certaines militantes présentes, sur l’intention de ce rassemblement politique et syndical.

« Il est important de se mobiliser sur ces grands sujets de société pour modifier nos rapports, inscrits dans notre société et fondés sur des rapports de domination. », souligne Béatrice Hakni-Robin.

Mais qu’en est-il de ces sujets-là au sein des partis politiques et des syndicats, non exempts des rapports de domination et des violences engendrées par les inégalités entre les hommes et les femmes ? « C’est vrai que ces sujets-là ne sont pas très discutés dans nos partis et syndicats. C’est l’occasion qu’ils soient mis à l’agenda politique. Il est temps que ces violences qui font aujourd’hui parties de la normalité passent dans l’inacceptable, l’interdit.»

Elle poursuit : « Je sais combien les associations sont mobilisées et que leurs combats sont solides et nombreux. Il faut que le politique s’engage dans ce combat là. Et je suis convaincue que le politique a tout son sens dans ce rassemblement face au Grenelle car on n’entend pas les associations à ce propos. Je ne vois pas de réactions associatives. », souligne Béatrice Hakni-Robin. 

VIGILANCE FACE AU GRENELLE

Pourtant, les réactions sur les réseaux sociaux ont été nombreuses. Toutes appelant à la vigilance face à ce Grenelle, afin qu’il ne soit pas qu’une action de communication. Dans son communiqué national, le Planning Familial écrit, le 5 septembre :

« Si nous pouvons saluer la présence de plusieurs ministres (au lancement du Grenelle, ndlr),montrant que la question doit être transversale et traitée à tous les niveaux, ainsi que l’annonce de certaines mesures demandées par les associations concernant l’autorité parentale ou l’audit de 400 commissariats pour améliorer l’accueil des victimes de violences de couple, nous regrettons que certaines annonces et bilans fassent écho à divers rapports et préconisations déjà existants : les bracelets électroniques, la généralisation des prises de plaintes à l’hôpital, l’augmentation des places d’hébergement ou encore des mesures de prévention à l’école… »

Véronique Séhier, qui signe le communiqué, détaille également : « Nous déplorons le manque d’annonces budgétaires qui accompagnement ces annonces : il faudrait 6 millions d’euros au moins pour garantir aux 12 millions d’élèves, prévention et éducation dès le plus jeune âge lors des séances d’éducation à la sexualité (permettant de comprendre les violences, et les notions d’intimité et de protection), une campagne de prévention régulière dans les établissements scolaires et pour le grand public afin de faire évoluer les mentalités. Il faudrait encore pour la formation des policiers, des professionnel-le-s sociaux, médicaux, enseignant-e-s et toujours de l’argent pour garantir aux victimes une prise en charge rapide et une protection (quand il faut parfois 3 semaines pour avoir une ordonnance de protection faute du manque de professionnel-le-s…). Toutes ces mesures devant s’accompagner d’une augmentation du nombre de professionnel-le-s sur le terrain dans tous ces domaines…

Nous regrettons également le manque d’annonces concernant la santé, quand nous voyons le nombre important de violences dépistées lors de consultations gynécologiques et l’impact sur la santé des victimes, le manque d’annonces concernant la prise en charge des auteurs de violences : nous ne pouvons plus tolérer que les auteurs sortent de prison sans avoir été pris en charge de manière éducative et psychologique, comme c’est le cas depuis longtemps au Canada. »

ASSOCIATIONS ET COLLECTIFS FÉMINISTES : QUEL APPEL ?

À Rennes, le Planning Familial ne s’est pas encore positionné concernant les rassemblements organisés par les forces politiques et syndicales, comme nous l’explique Mathilde Lefèvre, présidente du PF 35, mais devrait apporter une réponse dans les prochaines semaines, pour le 2erassemblement, fixé au 17 octobre, à République.

Du côté de Nous Toutes 35, Appoline Morinière signale que le collectif n’avait pas les forces nécessaires à ce moment-là (en raison de la rentrée et de la préparation de la marche du 23 novembre) pour être présentes en nombre ni le 27 septembre ni dans l’organisation de la mobilisation. Et indique également que Nous Toutes 35, en tant que jeune collectif, n’a pas souhaité – voyant qu’aucune association féministe n’était signataire de l’appel - être la seule organisation à prendre position.

« Nous avons donc décliné la proposition tout en partageant les réserves et critiques émises au sujet du Grenelle et en étant convaincues qu’une mobilisation d’ampleur sur le sujet des violences faites aux femmes est nécessaire. », conclut la militante. 

L’association Osez le Féminisme 35 a été prévenue par mail « qu’avait lieu ce rassemblement mais ce n’était pas un message qui nous invitait à la co-organiser/être signataires, il s’agissait de nous inviter à diffuser l’info dans nos réseaux. » Plusieurs militantes de la structure s’y sont rendues à titre personnel. 

Le prochain rendez-vous politique et syndical contre les féminicides aura lieu le 17 octobre, avec ou sans les associations féministes. Quoi qu’il en soit, une mobilisation d’ampleur est attendue comme chaque année à l’occasion du 25 novembre, journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes. Cette année, la marche est prévue le 23 novembre. Et après ? Qu'en sera-t-il du rassemblement politique et syndical autour des violences faites aux femmes ?

Célian Ramis

À qui appartient la ville ?

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Rennes
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C’est une question qui ne laisse jamais les sceptiques indifférents… Et par sceptiques, on entend celles et ceux qui pensent l’égalité acquise ou quasi acquise mais la question de la ville et du genre révèle de profondes inégalités encore très actuelles.
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C’est une question qui ne laisse jamais les sceptiques indifférents… Et par sceptiques, on entend celles et ceux qui pensent l’égalité acquise ou quasi acquise mais la question de la ville et du genre révèle de profondes inégalités encore très actuelles. 

En 2019, Françoise Heritier, Paulette Nardal, Hubertine Auclert, Alice Guy-Blaché ou encore Rosa Luxembourg rejoindront Marguerite Yourcenar, Louise Bourgeois, Aurélie Nemours, Clara Zetkin ou encore Christine de Pisan dans les 12,67% des rues qui portent à Rennes des noms de femmes.

Lorsque la compagnie KF les énonce toutes, lors du café citoyen organisé par les quartiers « Les Suds » à la conciergerie Au P’tit Blosneur le 19 mars dernier, ça réagit dans l’assemblée : « Y a pas beaucoup de boulevard avec un nom de femmes ! », souligne une habitante, avant que sa voisine ne signale à son tour qu’au départ l’hôpital sud de Rennes était baptisé Anne de Bretagne « mais personne ne l’a jamais appelé comme ça ». 

La soirée s’anime autour de la question de la place des femmes dans l’espace urbain. À l’occasion de son master de sociologie, Cynthia Nadarajah a, en 2016, mené une enquête sur la répartition femmes – hommes dans l’espace public rennais, auprès d’un échantillon âgé de 18 à 29 ans.

UN CONSTAT QUI NE CHANGE PAS

Ainsi, elle constate chez les femmes une adaptation des comportements, le soir et la nuit, dans les zones qu’elles ne connaissent pas bien et dans les lieux majoritairement occupés par les hommes. On appelle cela les stratégies d’évitement.

« Il y a un couvre feu virtuel, elles ont dans leurs sacs des bombes lacrymos, des matraques, elles mettent leurs écouteurs, regardent leurs téléphones, font tout pour ne pas paraître disponibles, changent de tenue pour rentrer, etc. Ce qui apparaît, c’est qu’il y a un décalage entre les violences ressenties et les violences effectives car la plupart des violences contre les femmes se font dans la sphère privée. Mais depuis le plus jeune âge, les femmes intègrent l’insécurité de l’extérieur. On leur dit de ne pas faire du stop, de ne pas rentrer seule, on leur donne moins de liberté que leurs frères. », souligne-t-elle avant de conclure : 

« Cela se traduit par un usage plus utilitaire de l’espace urbain pour les femmes. Les hommes occupent l’espace, les femmes s’y occupent. ». 

De la cour d’école dans laquelle les garçons prennent le centre pour jouer au ballon aux rues devenues le théâtre d’un harcèlement de rue quotidien, les violences sont banalisées et entretenues par le déni d’un système patriarcal sexiste qui s’affiche dans les noms de rues, d’établissements publics et privés et les équipements sportifs.

Une observation et une analyse que l’on retrouve aussi du côté d’Edith Maruéjouls, géographe du genre qui au sein de Genre et ville a créé le bureau d’études L’ARObE (L’Atelier Recherche OBservatoire Egalité) et de Yves Raibaud, également géographe du genre et auteur du livre La ville faite par et pour les hommes : dans l’espace urbain, une mixité en trompe-l’œil. Sans oublier la réalisatrice Eléonor Gilbert qui met l’accent dans son documentaireEspacesur la répartition genrée de la cour de récré, les inégalités et les injustices que cela crée. 

FAIRE BOUGER LES POLITIQUES PUBLIQUES…

En 2015, les deux dernières personnes citées sont invitées par la Ville de Rennes à intervenir, séparément, sur le sujet. C’est un véritable déclic pour la municipalité, même si la question interpelle depuis longtemps les militantes féministes rennaises – par exemple, l’association Questions d’égalité avait invité en janvier 2011 la sociologue, formatrice et animatrice de marches exploratoires Dominique Poggi pour une conférence sur « Comment mettre fin aux violences contre les femmes dans les espaces publics » et avait invité en novembre 2015 la sociologue et auteure de l’ouvrage Genre, violences et espaces publics, la vulnérabilité des femmes en question, Maylène Lieber pour une conférence sur « Harcèlement de rue – Quelles conséquences pour les femmes ? Comment agir ? » - et le Conseil consultatif à l’égalité entre les femmes et les hommes. 

La libération de la parole, la multiplication des preuves et la mise en mot du harcèlement de rue semblent enfin avoir réussi à atteindre les politiques publiques mais pas toutes les politiques publiques, seulement les plus volontaires en terme d’égalité entre les sexes, à l’instar de Rennes qui ne fait pas figure d’exception mais se positionne tout de même sur une thématique quasiment vierge de toute avancée.

Dans les villes de France, la moyenne des rues portant des noms de femmes s’élève à 6%. La capitale bretonne en compte le double mais cela reste encore largement insuffisant. Depuis quelques années (2015, également), ont été instaurées sur le territoire – pour l’instant, uniquement dans les quartiers prioritaires et stigmatisés – des marches exploratoires réalisées par des groupes exclusivement composés de femmes.

Parce qu’il a été remarqué « que les femmes étaient moins nombreuses dans les espaces de consultations de tous les quartiers et que leurs paroles sont souvent déconsidérées », explique Geneviève Letourneux, conseillère municipale déléguée aux Droits des femmes et à l’égalité. Elle poursuit :

« Les marches exploratoires sont vues comme un sas avant de revenir dans les commissions traditionnelles. »

En empruntant un parcours sur plusieurs temps – en journée et en soirée – les participantes développent leurs ressentis aussi bien sur les aspects et lieux positifs que les aspects et lieux négatifs. Elles abordent alors les stratégies d’évitement mises en place et révèlent le non partage de l’espace public.

COMBATTRE LE SEXISME LATENT

Pour Geneviève Letourneux, « il ne faut pas s’en tenir à l’aspect sécurité / insécurité. Il faut dépasser ça pour parler de la ville fonctionnelle, la ville des usages, etc. Que chacune prenne sa place plutôt que d’apprendre à rester à sa place. Et pour cela, il faut trouver des manières nouvelles de faire. »

Inviter les femmes à prendre l’espace comme à l’occasion du 8 mars ou du 25 novembre, développer des parcours dans la ville comme le fait Histoire du féminisme à Rennes, valoriser le matrimoine (lors des journées du matrimoine, organisées par HF Bretagne mais aussi à l’année en donnant leurs noms à des rues, équipements sportifs, établissements, etc.).

Proposer des stages Riposte, de self-défense physique et orale, ou encore des stages d’apprentissage du vélo. Développer la médiation, à destination des jeunes filles puisque celles ci n’osent pas s’y rendre (parce qu’ils sont principalement occupés par des garçons), autour des city stades.

Compter, mesurer, étudier l’impact de ces actions en terme d’égalité, « ce n’est pas suffisamment fait ». Voilà pourquoi du 15 avril au 31 mai, la Ville de Rennes lance pour la première fois une enquête sur le ressenti discriminatoire. Chacun-e est libre d’y participer puisque le questionnaire sera publié sur Internet. 

En pleine actualité sur les urinoirs installés du jeudi au samedi pour que ces Messieurs évitent de pisser n’importe où dans la rue, les Rennaises pourraient bien dénoncer un sexisme latent puisqu’elles, sont priées de se retenir dans l’espace public, les toilettes publiques dédiées aux femmes, avec accès à des protections hygiéniques ayant été radiées des possibilités.

DANS L’ESPACE PUBLIC, LES FEMMES DÉRANGENT

Le ressenti discriminatoire, Morgane Rey, danseuse et chorégraphe de la compagnie Erébé Kouliballets, peut en parler pendant des heures. Lors du café citoyen, elle entre sans détour dans le vif du sujet :

« Depuis 30 ans, on danse en rue. On se fait systématiquement insulter dans la rue. Et pas que dans les quartiers stigmatisés ! »

Quand les percussionnistes se joignent à elles, elles sont moins agressées. Mais dès qu’elles ressortent seules, « c’est reparti comme en 14 ! Là je rigole mais je rigole pas quand ça m’arrive avec les danseuses. ». Elle poursuit : 

« Avant, le 8 mars, à 8h, on dansait en culotte, soutif, porte-jarretelles ! On oserait jamais faire ça maintenant. On a fait un trio par exemple sur la burqa, on ne le referait pas maintenant, ce serait impensable. Aujourd’hui, on demande systématiquement à des gens qu’on connaît de nous accompagner pour parer quand on danse en rue. Le corps de la femme dérange. Comme si c’était trop pour les gens qu’une femme prenne l’espace public. Avec mes danseuses, on a fait un cercle de paroles, elles m’ont demandé si on pouvait pas aller dans des endroits plus « doux » comme des parcs ou des plages… Moi, je les comprends et puis je veux pas les mettre en danger. Mais c’est fou d’en arriver là ! »

Pour la maitresse de conférences en sociologie Isabelle Danic, « la revendication à l’égalité peut être vue comme transgressive… » Mais pour la chorégraphe, il ne s’agit nullement d’une transgression. Certes, la compagnie a toujours été engagée mais danser dans la rue, au-delà d’un acte militant, est un acte artistique. Seulement, « on a vite compris qu’on n’avait pas notre place dans l’espace public. Il y a un vrai souci à travers une place, une rue, etc. Les femmes n’ont pas envie de se faire remarquer par les hommes qui sont en plein centre de l’espace. »

L’EMPOWERMENT COLLECTIF

La solution, pour l’instant, qu’elle a trouvé et à laquelle elle a recours : la sororité. Et justement, dans le public, une femme témoigne. Elle habite le quartier et connaît bien les cafés du coin. Non par addiction à l’excitant mais parce que régulièrement, elles sont toute une bande à y aller en même temps pour boire leur jus. Et par la même occasion, pour montrer que les femmes sont là et qu’elles comptent bien y rester.

Son témoignage, qui prône l’empowerment collectif, est joyeux et militant. Mais il souligne bien la problématique actuelle : il est nécessaire de se réunir à plusieurs pour « affronter » l’espace public urbain et se le réapproprier. Les femmes sont aujourd’hui obligées de crier haut et fort qu’elles ne sont pas cantonnées à la sphère privée. La ville doit se construire ensemble, pour tout le monde. Le chemin est encore long et prend bel et bien le nom de toutes les femmes désireuses d’une égalité réelle au sein de la cité.

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