Célian Ramis

Corps en souffrance : Les forces de la liberté

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Les manières de se réapproprier son corps sont aussi nombreuses que les souffrances que l’on peut endurer en tant que femmes. Comment la reconstruction trouve-t-elle soutien et force dans l'énergie d'un collectif non mixte ?
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Du 5 au 29 mars, la Ville de Rennes met l’accent sur les luttes passées, actuelles et à venir en matière de droits des femmes, en vue de l’égalité entre les femmes et les hommes. La thématique de cette année : « Des esprits libres, des corps libres, construisons ensemble l’égalité ».

De par les violences sexistes et sexuelles, de par la pression d’une société basée sur l’apparence, de par la construction sociale et culturelle, de par des maladies impactant les zones intimes de la féminité, le corps est mis régulièrement à l’épreuve.

De quelles manières peut-on se réapproprier son corps lorsque celui-ci a été mis en souffrance ? Quel est l’apport de cette démarche individuelle lorsque celle-ci est intégrée à un collectif, quasi exclusivement composé de femmes concernées de près ou de loin par les mêmes problématiques ?

Le corps des femmes constitue un enjeu politique très fort dans les rapports de domination. Preuve en est avec le viol comme arme de guerre mais aussi comme base de conception d’une culture qu’on répand dans les médias, les œuvres cinématographiques et artistiques, dans l’éducation genrée et sexiste, dans les publicités, etc. La culture du viol contraint à penser que les hommes sont sujets et dominent les femmes qui elles sont objets. De cette société aux valeurs patriarcales intégrées et transmisses de génération en génération découle donc l’idée que le corps des femmes ne leur appartient pas entièrement, pas réellement. Elles n’en disposent pas librement. Grand nombre de souffrances viennent chatouiller, ou plutôt poignarder, nos bourrelets, seins, vergetures, utérus, culs, jambes et amas de cellulite. Et pourtant, ces corps combattent, main dans la main avec l’esprit, contre les injonctions, les épreuves, les difficultés. Pour la réappropriation des corps, plus libres, plus réels, plus vivants. 

Les petites filles sont éduquées dans l’idée qu’elles sont fragiles, discrètes, sensibles. Mais aussi dans l’idée qu’elles vont devoir souffrir. Souffrir pour être belle, enfanter dans la douleur, se tordre à l’arrivée des règles… Le paradoxe de l’injonction à être femme. Douillettes, elles doivent serrer les dents et les fesses. Une vie de souffrance, d’injustices et de discriminations les attend, mieux vaut les préparer dès la petite enfance, à endurer les épreuves de la féminité et à payer les dérives de la masculinité toxique. Pourquoi ?

DE DÉESSES À IMPURES

Au moment des premières règles – appelées les ménarches – les filles intègrent le poids de la honte et de la peur, transmis de manière plus ou moins inconsciente dans l’imaginaire collectif. Dans l’essai Le mythe de la virilité, la philosophe Olivia Gazalé démontre que pendant un temps les femmes, de par le pouvoir de donner la vie, étaient érigées en déesses.

Elles étaient alors vénérées jusqu’à la découverte que « la procréation n’est plus le privilège exclusif et magique de la femme, cette prérogative sacrée au nom de laquelle il avait fallu, durant des millénaires, l’adorer, la prier et lui faire des offrandes, mais une affaire de semence mâle et de labour viril du sillon matriciel. »

Dès lors, la femme ne devient rien d’autre « que le réceptacle destiné à recueillir le précieux liquide séminal. Tandis que son ventre est discrédité, le sperme devient un objet de culte, au même titre que la fascinante machine dévolue à son intromission dans le ventre féminin : le phallus. »

Depuis, les femmes enceintes sont sacralisées, les femmes menstruées dénigrées. Le moment des règles représentant l’impureté, les non fécondées sont mises de côté, écartées, exilées, exclues (l’exil menstruel existe encore dans certains endroits, comme le Népal où le rituel est pourtant interdit par le gouvernement depuis 2005).

À cela, la philosophe ajoute : « Au commencement de l’histoire, les règles auraient donc été considérées, dans certaines cultures, comme sacrées, avant que les religions patriarcales ne les stigmatisent et assimilent la femme à l’animalité dans ce qu’elle peut avoir de plus répugnant, l’obligeant à s’éloigner périodiquement de la communauté humaine à la première goutte de sang et à se décontaminer avant d’y être réintégrée. »

LA DÉPOSSESSION DU CORPS

Ainsi, le tabou perdure, les jeunes filles intégrant cet héritage inconscient et patriarcal qui participe à leur invisibilisation dans la société. Elles grandissent avec la peur de la tâche de sang sur le pantalon, la peur des mauvaises odeurs, la honte d’évoquer et de nommer précisément les menstruations.

« Cette peur d’être trahie par son corps en permanence, c’est la base de la dépossession de nos corps. », expliquait justement la réalisatrice militante Nina Faure, auteure du documentaire Paye (pas) ton gynéco, lors de sa venue à Rennes le 27 novembre dernier.

Et en s’emparant de nos corps, les hommes pensent détenir le pouvoir suprême. Et vont plus loin, comme le souligne Olivia Gazalé dans son chapitre « La légitimation de l’exclusion par l’infériorité féminine » : « Il se pourrait en outre que le sang menstruel ait joué un rôle encore plus important dans l’histoire de la construction des sexes que la simple exclusion temporaire des femmes du lit conjugal ou de la maison. Il est possible qu’il soit aussi la cause (ou plutôt le prétexte) de leur exclusion permanente de certaines professions, et cela dès l’époque des chasseurs-cueilleurs, donc bien avant l’apparition des grandes religions. Une division des tâches qui est aussi un partage du monde en deux, entre une sphère masculine, très vaste, mais hermétiquement close, et une sphère féminine, beaucoup plus limitée, faite d’empêchements, d’entraves et d’interdits. »

CONTRÔLER LE SEXE FÉMININ

Le corps des femmes n’a donc pas toujours été l’apanage des hommes mais l’est devenu depuis très longtemps et divise l’humanité en deux catégories dont l’une est soumise à l’autre, dans une violence inouïe. Dans Le mythe de la virilité toujours, l’autrice démontre de nombreuses symboliques à ce propos.

Si le vagin est un antre obscur puisque caverneux et a priori dangereux, les hommes n’ont pas d’autre choix que de l’accepter pour engendrer des fils. Mais le clitoris lui a bien trop de puissance sur la jouissance et d’inutilité scientifique sur la reproduction : « L’idée est simple : sans clitoris, pas de jouissance, donc moins de risque d’adultère. » 

L’excision est donc une protection supplémentaire contre l’infidélité de la femme, dont la figure dominante est celle de la femme à l’insatiable sexualité. « Cette opération dangereuse, qu’elle prenne la forme d’une ablation du clitoris ou d’une infibulation, s’est pratiquée et se pratique encore à une très large échelle à travers le monde. Elle n’a toujours pas disparu en France, où elle est exécutée clandestinement, dans des conditions d’hygiène désastreuses, par des communautés venues du Mali, du Sénégal, de Mauritanie, de Gambie ou de Guinée. »

Elle analyse également le viol comme arme politique, « arme de destruction massive », comme l’écrit Annick Cojean dans Le Monde en 2014, pour parler de la situation en Syrie mais ces termes sont applicables également au Viêtnam, au Rwanda, en Bosnie, en Centrafrique et au Soudan du Sud, rappelle Olivia Gazalé :

« Engrosser la femme de l’ennemi est la meilleure façon d’étendre son empire et d’anéantir la lignée d’en face. C’est donc un meurtre contre la filiation, le meurtre symbolique de la communauté, l’extension du domaine de la folie génocidaire. Quand tout commence et tout finit dans le ventre des femmes… »

Un ventre bien contrôlé qui dans les années 70 prendra également la forme d’un crime peu connu et reconnu que la politologue féministe Françoise Vergès met en avant dans Le ventre des femmes – Capitalisme, racialisation, féminisme : les stérilisations et avortements forcés à la Réunion pratiqués par des médecins blancs, sur ordre du gouvernement français. 

LES RAPPORTS DE DOMINATION PERSISTENT

Si aujourd’hui on aime à penser une évolution certaine grâce aux luttes féministes des années 60 et 70 pour l’accès à la contraception et à l’avortement ainsi que la libération sexuelle, on se fourvoie. Les combats ont permis d’obtenir des droits, c’est une réalité, heureusement.

Mais ces droits conquis sont sans cesse menacés, principalement par les montées des extrêmes au pouvoir un peu partout dans le monde mais aussi par la perpétuation des traditions archaïques et misogynes. Fin janvier 2019, une jeune népalaise de 21 ans décède durant son exil menstruel (rappelons encore une fois que le rituel chhaupadi est interdit depuis 14 ans maintenant).

Fin février 2019, une jeune argentine de 11 ans accouche par césarienne à la suite d’un viol commis par le compagnon de sa grand-mère (en Argentine, l’avortement est illégal mais autorisé en cas de viol, sauf quand la Justice laisse trainer les dossiers de demande d’avortement afin de dépasser le délai pour le pratiquer…).

Début mars 2019, en France, 30 femmes ont été tuées depuis le 1er janvier par leur compagnon ou ex compagnon. Le corps des femmes reste un enjeu terriblement actuel dans les rapports de domination. La souffrance corporelle et psychologique comme héritage maternel n’est ni entendable ni tolérable.

Les voix des femmes sont nombreuses à s’élever contre ces diktats essentialistes, visant à faire croire à la population que cela serait « naturel » chez les femmes de subir leurs cycles ou d’accoucher dans la douleur, et autres sornettes du genre. Les violences gynécologiques et plus largement médicales sont sévèrement dénoncées ces derniers mois mais peu prises au sérieux, dans le sens où la parole des femmes reste remise en cause et que les formations ne sont toujours pas composées de modules continus concernant l’accueil et l’écoute des patientes.

Car il est nécessaire aujourd’hui de déconstruire le rapport de domination qui place le sachant sur un piédestal et le patient – particulièrement lorsque celui-ci est une personne de sexe féminin, une personne transgenre, une personne racisée, une personne intersexe, une personne non binaire, une personne homosexuelle, bisexuelle, pansexuelle, etc. – dans une position d’infériorisation.

« On a toujours été conditionnées pour souffrir. C’est une construction sociale et culturelle et on voit la force de cette création qui se transmet de génération en génération. Ça a une incidence sur notre manière de concevoir nos cycles… J’ai été libérée le jour où j’ai compris que non, on n’a pas à souffrir ! »
explique Lucie Cavey, 39 ans, professeure de yoga (HappyKorpo) qui anime des cours notamment au sein de la structure O’nidou.

Elle constate, pour sa génération, un manque d’éducation et de transmission quant au corps féminin et son fonctionnement. Un sujet tabou, souvent tu dans les familles, ou peu évoqué, rarement enseigné au cours de la scolarité, que l’on soit dans le public ou dans le privé.

« Je pense que c’est important d’être éduquées à ces questions-là dès l’enfance. Je suis d’une génération où avec mes parents je n’ai pas eu l’impression d’avoir une transmission sur les cycles, les règles, la sexualité, etc. Et ça m’a manqué. En tant que mère, j’en parle à mes filles. Je n’ai aucun tabou par rapport à ça, je veux pouvoir répondre à toutes les questions pour qu’elles ne soient pas surprises ensuite. », poursuit-elle. 

FIN DU SILENCE ?

La surprise, on en parle de plus en plus. La surprise de ne recevoir aucune information en consultation gynécologique autour de tous les moyens de contraception. La surprise de n’être que trop rarement consultées quant à notre consentement face à un examen médical, en particulier quand celui-ci nécessite une pénétration dans le corps. La surprise d’être traitées uniquement comme un corps dont on ne s’occuperait pas bien si le médecin n’était pas là pour nous rappeler les bases, un corps qui ne renfermerait rien d’autre que des organes, des tissus, des vaisseaux sanguins, etc.

La surprise d’être violentées verbalement – et sexuellement dans certains cas – à travers des réflexions sexistes, LGBTIphobes, racistes, grossophobes, handiphobes… Le silence a duré parce que les femmes avaient – encore aujourd’hui – intégré l’infériorisation et la dépossession de leur corps.

« Aujourd’hui par exemple l’accouchement est devenu un acte médical et la grossesse une maladie. J’ai des ami-e-s qui vivent des démarches de PMA (Procréation Médicalement Assistée) et qui me racontent, je suis horrifiée. C’est un moment qui est dur physiquement et psychologiquement, durant lequel leur corps est fragilisé par le problème de fertilité et les traitements et elles passent de médecin en médecin, pénétrées d’examen en examen… C’est très difficile. », précise Lucie qui pointe alors la déshumanisation ressentie par de nombreuses femmes – et hommes – face au corps médical.

Pour elle, il faut « qu’en tant que femmes on s’affirme, on demande des informations face aux professionnel-le-s, qu’on apprenne et qu’on ose dire non, que l’on refuse leur façon de faire quand ça nous va pas, qu’on les oblige à nous respecter. Certaines personnes concernées le font déjà et ce sont elles qui font bouger les choses. Il est important de mieux connaître notre corps pour être plus sereines et vivre tout ça de manière moins passive, comme par exemple je pense à l’accouchement, où on ne nous dit pas qu’on peut bouger même une fois qu’on a eu la péridurale mais c’est possible ! Il faut retrouver ou gagner en confiance pour oser dire les choses et affirmer nos choix. Si on ne dit rien, le protocole médical sera suivi, point. Quand le corps médical voit arriver une femme bien décidée, il laisse faire et vient en soutien. » 

DÉPOSSÉDÉES PAR LA MALADIE

Annie, 58 ans, et Chantal, 63 ans, sont toutes les deux membres de l’équipage des Roz’Eskell, pratiquant le dragon boat  - le bateau dragon est un type de pirogue – activité proposée par l’association CAP Ouest (Cancer Activité Physique) pour les femmes ayant été atteintes du cancer du sein. Pour Chantal, pas question de se laisser manipuler sans comprendre le pourquoi du comment :

« Je veux tout savoir pour comprendre et choisir. C’était une étape pour moi pour accepter la maladie. À ce moment-là, on est actrices de la survie immédiate. Mais quand les soins sont terminés, il y a un grand vide. Parce qu’après ça, tu fais l’inventaire des dégâts et il y en a sur le plan social, physique, professionnel, financier… Et puis on rentre avec des drains à la maison, on ne sait pas quoi en faire… Surtout que maintenant ils essayent de tout faire en ambulatoire… Moi j’avais envie de rester à l’hôpital, qu’on s’occupe de moi. Je me sentais pas reconnue et vulnérable. »

Pour Annie, le temps s’est accéléré au moment de la nouvelle. Tout s’est enchainé rapidement : « Après les examens qu’on m’a fait passer, je m’attendais à ce qu’on me dise que j’ai un cancer du sein mais ça m’est tombé dessus du jour au lendemain et surtout je ne m’attendais pas à la mammectomie. En une semaine, hop, tu passes au bloc. Tu y rentres avec deux seins, tu ressors avec un seul. Et tu vois que c’est plat, même s’il y a des pansements. À ce moment-là, on est complètement dirigées par les médecins. On est dépossédées de ce qu’on peut faire de notre corps à cause de la maladie. »

FEMMES AU-DELÀ DES ÉPREUVES

Face au cancer du sein, qui touche un peu plus de 50 000 femmes par an, les réactions sont diverses, en fonction des individus. « Avec le cancer, on a un corps meurtri, un corps fatigué. Lors de mon premier cancer, j’ai pas entendu. Le deuxième, j’étais vraiment très fatiguée. La question de la réappropriation, ça va être ‘Comment je me réapproprie un corps fatigué ?’. La mammectomie par contre, ça met un coup sur le plan de la féminité, de la sexualité. Et ça, on n’en parle pas en consultation. Moi je me suis dit ‘Bon tu étais une femme avant et bien tu restes une femme !’ », déclare Chantal qui arrive désormais à affirmer qu’elle se sent mieux, qu’elle se sent bien.

Pour Annie, le travail mental a été différent. « Le regard du conjoint est important et mon regard à moi aussi bien sûr. Le fait de mettre la prothèse le matin, l’enlever le soir… À ce moment-là, j’avais l’impression que tout le monde le voyait, que c’était marqué sur ma figure. Moi, je matais les seins de toutes les femmes, je pouvais pas m’en empêcher. Alors, avec une prothèse, tu ne t’habilles plus pareil, tu fais attention aux habits par rapport à ta poitrine. T’es obligée d’aller dans des boutiques spécialisées pour la lingerie pour avoir des trucs moches comme tout. Tu te dis que plus jamais tu pourras mettre des jolis petits soutifs… Ça prend du temps, la réappropriation se fait en plusieurs temps, petit à petit. Moi, j’ai opté pour la reconstruction mammaire, j’ai fini récemment. Maintenant je ne regarde plus les seins des autres et j’arrive à dire que j’ai deux seins ! », affirme-t-elle, sourire aux lèvres.

Si elles s’accordent à dire que la féminité n’est pas définie que ou par la poitrine, elles parlent toutes les deux d’une nouvelle et d’un passage traumatisants et bouleversants lorsque les médecins annoncent et réalisent la mammectomie. Sans oublier les complications qui peuvent survenir post opération.

« J’ai eu une nécrose à la suite de ça, ça a été deux mois de pansement à domicile. C’est un peu traumatisant. », confie Chantal. Un point libérateur pour elle est survenu lorsque son chirurgien a employé le terme de « mutilation » :

« Ça m’a fait énormément de bien de l’entendre dire ça. Parce que oui, c’est une mutilation. Et ça m’a fait du bien de l’entendre au moment j’allais faire la reconstruction. » 

SE CONNECTER À SON CORPS, À SON CYCLE

Le travail d’acceptation et de réappropriation peut être long, fastidieux et intense face à la maladie, même en cours de rémission ou en rémission. On parle pour les femmes principalement de cancer du sein, mais il existe aussi l’endométriose qui peut entrainer le corps et l’esprit dans de grandes souffrances. Ici, liées au cycle menstruel.

Lucie Cavey anime régulièrement chez O’nidou des séances Happy Moon durant lesquelles le cycle est spécifiquement le sujet (la prochaine aura lieu le 5 avril, de 19h30 à 21h30), et tous les jeudis midis, un cours de yoga doux à destination des femmes :

« L’idée est de pouvoir se réapproprier son corps. On n’est pas obligées d’être victimes de nos cycles. On peut s’appuyer sur chaque période du cycle pour mieux les vivre et essayer de travailler des postures qui soutiennent l’énergie. On a tous de l’énergie masculine et de l’énergie féminine mais comme on vit dans une société très masculine, on ne sait plus trop ce qu’est l’énergie féminine. Dans les cours de yoga doux, je leur demande comment elles vont, comment elles se sentent et où elles en sont en gros dans les cycles et à partir de là, j’adapte la séance. Car il y a des postures qui peuvent faire du bien plus à une période qu’à une autre. »

La professionnelle pratique également le yoga régénérateur (dont la prochaine séance aura lieu le 24 avril de 19h30 à 21h30), une pratique spécifique à réaliser allongée, en étant soutenue par des coussins, des couvertures, etc. dans un but de relâchement total pour mettre le corps au repos.

Ce qui permet non seulement de recharger les batteries mais également d’amener de la respiration dans le bas ventre et l’utérus. Pour elle, corps en activité et corps au repos doivent aller de pair dans la journée, non de manière simultanée mais différenciée, toujours dans l’écoute de son corps :

« On peut prendre appui sur nos cycles et pour ça on doit s’autoriser à écouter son propre rythme. Et on doit être libre d’en parler, ça c’est encore problématique. Dans les cours de yoga, on va pouvoir par exemple travailler des postures qui peuvent soulager l’endométriose ou les règles douloureuses. Il y a un poids social très fort autour des règles. Même les douleurs au moment de l’ovulation, on en parle très peu. Je travaille actuellement là-dessus au niveau personnel, il est important de mieux se connaître, de dédramatiser et d’oser affirmer qu’à certains moments du cycle, on a besoin de repos. Il est important que les femmes reprennent le rôle de leur vie. Personne ne peut savoir à notre place. Et c’est pareil avec le corps des femmes enceintes. C’est notre corps et personne ne peut décider ou savoir à notre place. »

Dans les groupes, elle a des femmes de différents âges, avec (ou sans) des problématiques diverses, de l’endométriose à la ménopause en passant par la démarche de PMA et les cycles irréguliers, qui en sont à des étapes différentes de leur vie de femme à part entière.

Ce qui l’intéresse, c’est de les mener vers l’écoute de leurs besoins et de leurs possibilités. En cherchant à reconnecter le corps et l’esprit quand ceux-ci se sont décalés :

« L’automassage par exemple est un bon moyen d’être en connexion : le fait de palper, toucher. On ne le fait quasiment jamais parce que c’est un tabou. Mais c’est important de toucher le bassin, le ventre, les seins, le pubis et ça permet d’enlever les tabous par rapport à ça. En observant son corps et les énergies qui y circulent tout comme les tensions, on apprend beaucoup de choses. »

PORTÉES PAR L’ÉNERGIE COLLECTIVE

À partir de démarches individuelles dans un objectif individuel, de reconstruction personnelle et de réappropriation d’un corps en souffrance ou ayant été en souffrance, elles vont trouver de la liberté et du soutien dans le collectif. Au moment ou à la période où survient la mise en difficulté du corps, la personne vit seule l’épreuve.

« Même quand tu es entourée, que tes proches sont présents, tu es seule dans la maladie, le cancer isole, tu es seule au bloc. », souligne Chantal qui a rejoint les Roz’Eskell peu de temps après la création de l’activité par l’association CAP Ouest, tandis qu’au départ, elle ne souhaitait pas intégrer une groupe de femmes :

« Je n’ai jamais été qu’avec des femmes donc ce n’était pas évident pour moi. Rapidement, j’ai été convaincue par l’énergie collective. Quand on est fatiguée, on peut s’arrêter de pagayer pour souffler et le bateau avance quand même. Et puis en dragon boat, on pagaie vers l’avant. Ça donne de l’espoir de toutes faire avancer le bateau ensemble. C’est une activité qui est bonne pour le drainage lymphatique, une activité physique adaptée pendant ou après le traitement. Et c’est un tremplin pour revenir ensuite vers une activité physique ordinaire. On vit des choses tellement exceptionnelles qu’on y reste. »

Annie est devenue une dragon lady fin 2014, en venant avec une amie à elle également atteinte d’un cancer du sein : « Déjà, ça nous permet de faire autre chose et de ne pas être définies que par les rendez-vous médicaux. Et puis, on est allées à la vogalonga de Venise. Avoir un but comme ça, c’est un défi à relever. Fin 2014, j’étais encore en chimio. En mai 2015, j’étais à Venise avec l’équipe. Et comme dit Chantal, quand on est sur l’eau, on le dit à chaque fois aux nouvelles, on arrête dès qu’on est fatiguées, on se repose et un jour, elles aussi pagaieront pour celles qui auront besoin de se reposer. C’est sportif comme activité. Il faut faire à son rythme. On doit adapter à celles qui sont fatiguées, qui arrivent, qui sont encore en traitement, etc. même si on aurait envie de progresser davantage, de faire en plus une équipe mixte, pas uniquement réservé aux personnes malades, etc.» 

LA SORORITÉ, POUR SOUFFLER ET AVANCER

Finalement, elles expriment là une appropriation complète de l’activité en elle-même qui leur a permis non seulement de reprendre le sport mais aussi de trouver un groupe porteur d’énergie dans lequel elles ont évolué et gagné en confiance. L’appréhension de Chantal s’est évaporée rapidement :

« En fait, j’ai vraiment envie de parler de sororité. On a développé une certaine sororité entre nous, même si on s’entend mieux avec certaines personnes que d’autres, ça c’est normal. Avant ça, j’avais un rapport à la féminité, que j’ai encore aujourd’hui, où je pense que chacun est comme il est mais moi je ne me maquillais jamais, je ne portais jamais de tenues extravagantes. Là, d’être avec des femmes qui mettent des boucles d’oreille, du rouge à lèvre, etc. ça donne envie. Par exemple, je pense en ce moment à me faire un vrai tatouage car l’encre du tatouage fait lors de la reconstruction est éphémère. Je n’aurais pas envisagé ça avant. Mais y a pas d’âge pour un tatouage ! Peut-être en fait tout simplement que le fait de partager cette activité entre femmes me permet de m’autoriser à plus de choses. »

Pendant son cancer et son traitement, Annie était très vigilante à l’image qu’elle renvoyait quant à son physique. Ne pas porter la perruque n’a pas été une option envisageable : « Je ne serais pas sortie sans ! Aujourd’hui, les femmes assument plus et viennent aux entrainements sans leur perruque. Aujourd’hui, je me dis que je pourrais le faire. Parce que j’ai parcouru tout ce chemin ! C’est une sacrée école d’aller sur le bateau. Je ne vais pas rester là toute ma vie mais pour l’instant, j’ai envie de cocooner les nouvelles, de prendre soin des unes des autres, d’être bienveillante. Et quand on est bien avec soi, on est bien généralement avec les autres. On ne parle pas forcément beaucoup de la maladie ou autre mais ça arrive que l’une d’entre nous évoque des douleurs, ou parle d’un rendez-vous (Chantal intervient : « Si elle n’a personne pour l’accompagner on peut lui proposer de venir avec elle si elle le souhaite. »), des médicaments. Quand certaines ont su que j’avais fait de la reconstruction mammaire, elles sont venues me poser des questions. On échange. »

ESPACE DE LIBERTÉ ET D’ÉCHANGES

De la même manière, Lucie Cavey évoque la sororité dans les cours de yoga doux, un espace dans lequel les unes et les autres peuvent partager des vécus et expériences communs et/ou différents mais aussi des lectures ou autres.

« Les femmes pour la plupart ne sont plus en lien avec leurs cycles. On ne leur apprend pas à écouter, observer, prendre le temps de se reposer quand c’est nécessaire et ça l’est. Ici, on est entre nous, c’est un chouette espace d’échanges où on peut dire librement qu’on est à la masse, comment on vit sa PMA, etc. On peut libérer la parole et apprendre des unes et des autres. Il y a des femmes qui ont des enfants, d’autres qui essayent d’en avoir, d’autres qui n’en veulent pas, des femmes qui travaillent, d’autres non, par choix ou pas…», commente Lucie qui rejoint également le discours d’Annie et Chantal concernant le vecteur boostant et stimulant du collectif sécurisant et bienveillant.

Elles expriment toutes un gain ou regain de confiance en elles, ayant eu alors la preuve de leurs capacités et de leur ancrage en tant que femme malgré l’épreuve subie. « Il n’y a pas une seule manière de vivre ses cycles ou les difficultés de manière générale. Le groupe fait ressortir la multiplicité d’une base commune. », conclut la professeure de yoga.

Un propos global qui se retrouve également du côté de l’association rennaise ACZA qui lutte contre l’excision à travers des actions de sensibilisation et de partage dans les témoignages et les événements, comme tel est le cas avec l’élection de Miss Afrika ou encore avec la marche contre l’excision  - qui a eu lieu le 1erdécembre – à l’occasion de laquelle des membres de la structure, victimes d’excision dans leur enfance, avait exprimé cette sororité.

Une sororité essentielle à la libération de la parole qui s’accompagne en parallèle – pas toujours – d’une reconstruction chirurgicale du clitoris. Une sororité qui agit donc en soutien à une démarche personnelle de réparation dans certains cas et de réappropriation du corps et qui peut participer à l’acceptation, au mieux-être et au bien-être. 

NE PLUS ACCEPTER D’ÊTRE DÉPOSSÉDÉES

Travailler sur la confiance en soi permet donc de lutter contre le processus de dépossession du corps dont parle Nina Faure puisque cela va permettre de au moins diminuer la peur d’être lâchées ou trahies par notre propre corps à n’importe quel instant. Et de cette réflexion, on peut tirer la ficelle jusqu’à la représentation de nos corps dans l’espace public.

Le « clac clac » des talons va prévenir qu’une femme traverse la rue, la jupe va attirer l’attention sur les formes, les jambes et les fesses. Peut-être va-t-elle remonter et sa porteuse, être insultée, harcelée, agressée. Parce qu’elle est seule en pleine nuit. Depuis petites, les filles sont éduquées à la peur de l’inconnu, la peur de l’espace public – nocturne particulièrement – et la peur du prédateur.

Elles intègrent des injonctions et des assignations, imposant alors des stratégies d’évitement – ne pas rentrer seule, mettre des baskets pour rentrer, emprunter des trajets que l’on sait plus fréquentés et mieux éclairés, ne pas perdre le contrôle – que les garçons en majorité n’apprennent pas de leur côté…

La femme serait fragile et l’homme un prédateur en proie à ses pulsions sexuelles. Deux idées reçues toxiques mais largement diffusées et médiatisées dans ce qu’on appelle la culture du viol. De l’image de la femme-objet que l’homme peut posséder dans la sphère publique comme dans la sphère privée découlent le harcèlement de rue, les violences sexistes et sexuelles, incluant également les violences conjugales.

RENFORCER SA CONFIANCE 

« Depuis 5 ans, on a un cours spécifique pour les femmes et on a de plus en plus de femmes présentes. L’augmentation a été fulgurante. Il y avait environ une dizaine de personnes au départ maintenant on a 48 inscrites le mercredi et 45 le jeudi. Il y a parmi elles des femmes qui viennent pour des problèmes de violences par leur compagnon ou ex compagnon. Les violences sexuelles, faut bien le rappeler, c’est pas l’image du prédateur qui les attend dans la rue, c’est à 80% commis par des personnes de l’entourage ou des connaissances. De plus en plus de jeunes femmes qui viennent à cause du harcèlement de rue. », explique Frédéric Faudemer, coach en self défense et krav maga chez Défenses Tactiques, qui anime le cours Amazon training.

Il souhaite à l’avenir que le cours soit dirigé par des femmes, actuellement en formation pour devenir coachs : « Moi, je suis un gars, c’est compliqué, je ne vis pas ce qu’elles, elles vivent au quotidien. Et puis dans ce cours, spécifique aux femmes, les filles se gèrent entre elles. Elles se viennent en aide. Quand il y a des cas lourds, elles m’en réfèrent, je peux faire le lien avec mes collègues de la gendarmerie qui n’est pas toujours formée à ces problématiques mais qui en prend conscience pour améliorer l’accueil et l’écoute. Pour l’instant, c’est une collègue femme qui intervient, spécialisée dans ce domaine. »

L’objectif du cours : proposer une discipline basée sur le renforcement musculaire, l’entrainement du cardiovasculaire, la gestion du stress et l’analyse des risques. Morgane, 28 ans, secrétaire de l’association SOS Victimes 35, et Fanny, 26 ans, juriste pour la même structure souhaitant intégrer la police, suivent les séances depuis respectivement 3 ans et un an et demi (et devraient, selon Frédéric, pouvoir prendre le lead à la rentrée prochaine).

Parce qu’elles ont conscience « que contre un homme, on n’est pas à arme égale ». Ici, elles apprennent « des choses simples », pour « acquérir des réflexes », et pouvoir prendre la fuite en cas de situation dangereuse ou agression. « Il faut que ça devienne des réflexes. Pour pouvoir réagir en automatique malgré l’adrénaline sur le moment. », signale Morgane, rejointe par Fanny : « On n’aime pas prendre des coups mais le corps s’habitue ainsi à l’impact, à la douleur. »

Ainsi, le corps se renforce dans sa tonicité musculaire, dans sa capacité à encaisser et esquiver. Dans l’objectif toujours de se dégager. De fuir. Fanny et Morgane insistent sur ce point :

« On ne peut pas nier la différence physique entre les hommes et les femmes. On ne vient pas là pour apprendre à mettre des coups. Mais on apprend à être des femmes responsables, conscientes et citoyennes. C’est important aussi d’avoir conscience des limites qu’on a au niveau corporel et psychologique. Ici on apprend à avoir conscience de nos corps, de nos corpulences et surtout de nos potentiels corporels. » 

LA HARGNE DES GUERRIÈRES

Au-delà de l’apport des mécanismes, les femmes participantes peuvent aussi trouver un espace de sororité et de liberté, pour parler et pour souffler. Relâcher la pression qui pèse parfois sur leurs épaules que ce soit par rapports à des agressions subies ou le poids social d’une société aux valeurs patriarcales :

« Beaucoup de personnes viennent se reconstruire ici. On voit rapidement quand ce sont des personnes qui ont vécu des situations traumatisantes. Elles arrivent, elles sont assez renfermées, elles peuvent aussi fondre en larmes parfois sur certains exercices qui se rapprochent de ce qu’elles ont vécu. Le fait d’être une communauté de femmes fait qu’on est là pour écouter, pour échanger et puis aussi pour encourager ! »

La reconstruction passe par la réappropriation de son corps pour ne plus le ressentir comme fragile. Sans dire que l’entrainement les rend invincibles, les femmes renforcent l’assurance de leurs corps et esprit. « L’assurance, c’est très important. Ça se voit tout de suite dans la rue. Quand une femme longe les murs, on la repère. Déjà marcher avec de l’assurance diminue le risque d’agression. », souligne Fanny.

Morgane précise : « Ici, on apprend plein de petites choses pour savoir réagir n’importe quand. On apprend à se défendre avec un sac à main, un magazine, une ceinture, un portable, des talons, un parapluie, des clés… Tous les objets du quotidien qu’on pourrait avoir avec nous ou autour de nous. On n’est pas démunies, c’est ça aussi qu’on apprend. Amazon training, c’est la figure de la guerrière ! Ça a tout son sens. On est des femmes guerrières. On peut être grave fières de nous toutes. »

Si elles sont majoritairement âgées entre 20 et 30 ans, tous les âges et tous les profils se côtoient au sein des cours du mercredi et du jeudi soirs, dans le quartier Ste Thérèse. C’est là qu’aura lieu samedi 9 mars une journée de stage à la self défense réserveé aux femmes. L’occasion de découvrir dans un cadre bienveillant que chaque femme est en capacité de s’affranchir des diktats de son sexe et genre. 

Les manières de se réapproprier son corps sont aussi nombreuses que les souffrances que l’on peut endurer, particulièrement en tant que femmes. Si la reconstruction nécessite au départ une volonté personnelle, elle peut trouver du soutien et de la force dans l’énergie collective d’un groupe non mixte, ayant vécu ou vivant des difficultés similaires ou diverses. De chaque rencontre ressort la puissance symbolique, libératrice et émancipatrice des groupes de femmes bien résolues à unir corps et esprits dans un combat au féminin pluriel.

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Lutter contre la dépossession du corps
La sororité, comme arme de réappropriation du corps
Regards sur les luttes

La transmission d'un féminin libre

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On aime. C’est sensible, c’est tendu, c’est violent. C’est puissant. C’est lucide et intelligent parce que la pièce ne prétend pas avoir la vérité absolue, juste la spontanéité d’un discours qui n’a pas été réfléchi mais qui sent le vécu et les tripes.
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Pièce remarquée lors du off du festival d’Avignon, Les yeux de ta mèreétait présentée mercredi 13 mars à la Maison des Associations par la compagnie L’Insoumise. Lors d’une soirée organisée dans le cadre du 8 mars, par Déclic Femmes, avec la compagnie Ty Pestac et le Mouvement de la Paix.

On aime. C’est sensible, c’est tendu, c’est violent. C’est puissant. C’est lucide et intelligent parce que la pièce ne prétend pas avoir la vérité absolue, juste la spontanéité d’un discours qui n’a pas été réfléchi mais qui sent le vécu et les tripes.

Pour écrire, la comédienne Violeta Gal-Rodriguez s’est librement inspirée du texte de Pauline Sales, Le Groenland : « J’ai fait une formation théâtrale au Chili et là-bas, ils désacralisent les textes. Ce n’est pas du tout comme ici. Ça m’a permis de m’éloigner de l’original. Mais ce texte m’obsédait depuis 7 ans. Quand je suis devenue mère, j’ai ressenti l’urgence à le mettre en scène. »

Elle découvre Lula Heldt dans un cabaret, sur une musique d’Eric Satie et reste suspendue dans l’espace et le temps. Elle l’embarque avec elle dans l’aventure de l’Insoumise. « C’était évident qu’il fallait contraster la violence du texte avec quelque chose de très onirique. », souligne Violeta Gal-Rodriguez. 

Dans Les yeux de ta mère, on assiste à un dialogue entre une mère et sa fille, qui errent dans les rues de la ville en pleine nuit. Seulement, on n’entend pas les réponses de l’enfant, certainement adolescente ou jeune femme. On devine parfois des accusations, des jugements, des condamnations peut-être. Pour le comportement d’une mère « pas normale ». 

Pourtant cette mère, elle l’aime, sa fille. Elle la pousse, l’encourage à marcher droit devant, à s’éloigner des jupons de sa génitrice, à parcourir le monde, à suivre son propre chemin. Pourtant, on comprend qu’elle lui adresse le reproche de son absence. « Tu veux une mère normale et comme tout le monde ? Ne cherche pas, ça n’existe pas. », lui répond alors la protagoniste. 

Au bord de la scène, après la représentation, Violeta Gal-Rodriguez et Lula Heldt ne rentrent pas dans les détails du propos et du message. Simplement, elles indiquent que pour elles, il s’agit de l’histoire d’une femme qui se perd d’un point de vue géographique et d’un point de vue philosophique.

Toutefois, c’est avec une incroyable lucidité que la mère évoque son couple, son rapport à l’éducation, son ressenti par rapport à la féminité et aux injonctions. « Le quotidien nous rend robot. Pourquoi les autres envahissent les femmes à ce point-là ? Que veux-tu que je fasse dans ce siècle, ce pays, etc. si ce n’est me réaliser ? (…) Il faut savoir se battre dans un monde de brutes pour trouver sa place. Quand tu es née, j’avais besoin autour de moi de toutes les femmes. », clame-t-elle à la fin. 

Parce qu’elle est « toutes les femmes ici et maintenant, là. Les femmes en moi. Je suis la reine des neiges, la princesse Leïa, Frida Kahlo, Elisabeth Badinter, Simone Veil, Simone de Beauvoir, je suis Colette. Ah ouais là, putain, je suis une maman !!! »

Libération, émancipation, diktats et violences vont de pair dans ce spectacle qui pourrait être un drame mais qui n’est en réalité qu’un échantillon d’un quotidien de femme. La beauté, ici, réside dans la transmission mère-fille qui s’opère alors, provoquée par cet égarement.

Comme si elle brisait l’héritage des inconscients de cette inévitable condition de femme à laquelle les filles sont condamnées dès la naissance : « Entravée, vidée, absente, migraineuse… nerveuse, incapacité à garder son calme, aboyer, se répéter, pleurer en voiture, se rendre compte que tout part d’en bas. Qu’ils pensent tous à ça. À ce trou qui me rend comme ça. »

Le constat est âpre mais la fatalité n’est pas la conclusion du récit dont les mots résonnent au son du violoncelle et des chants de Lula Heldt, accentuant tantôt le côté dramatique, tantôt le côté sarcastique et humoristique. Le texte prend alors une dimension internationale et universelle, la musicienne jouant les musiques du monde avec sensibilité et poésie.

On s’égare, nous aussi, en réfléchissant aux normes, assignations et injonctions imposées aux femmes et aux filles. À ce travail d’équilibriste qu’elles entreprennent au fil de leurs vies pour répondre à ce que l’on attend d’elles tout en réussissant à progressivement briser leurs chaines. À une époque où féminin et masculin entrent en crise, la pièce distille espoir et bienveillance.

 

Célian Ramis

Femmes "chimiotées" : la force de vivre !

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Location: 
Maison des associations, Rennes
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Entre la projection du film Les belles combattantes, l’exposition éponyme et les témoignages de trois femmes ayant été atteintes du cancer du sein, le sujet de la soirée était bel et bien celui de la résilience et du souffle de vie.
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C’est une soirée sur le fil de l’émotion que proposait l’association Yadlavie le jeudi 14 mars à la Maison des Associations de Rennes. Entre la projection du film Les belles combattantes, l’exposition éponyme et les témoignages de trois femmes ayant été atteintes du cancer du sein, le sujet était bel et bien celui de la résilience et du souffle de vie.

« C’est un film d’espoir », lance la photographe Karine Nicolleau, à qui l’on doit Les belles combattantes– à (re)découvrir sur TVR samedi 16 mars à 14h pour le documentaire et à voir à la Maison des Associations jusqu’au 12 avril pour l’exposition. 

Ainsi, durant une trentaine de minutes, l’association Yadlavie - créée en 2012 - nous permet de partager une petite partie du quotidien des Roz’Eskell (association CAP Ouest) lors de leur séjour en Chine, au pays du dragon boat, les répétitions de la comédienne Sonia Rostagni, co-auteure du spectacle 649 eurosautour du cancer du sein, et les entrainements des Riposteuses (association Solution Riposte) pratiquant l’escrime à visée rééducative. 

Dans le film, ce qui prime, ce sont les rires, les sourires, les paroles et réflexions autour des vécus des unes et des autres. Sans voyeurisme, elles livrent ici une intimité sensible de laquelle jaillit une énergie positive et une volonté inouïe de vie. Se déroule alors instantanément le fil puissant d’une oscillation entre force et fragilité qui suspend le temps pour ne laisser transparaitre que l’émotion brute et authentique.

UNE CONSCIENCE PLUS AIGUE DE LA VIE

Dans l’intitulé de la soirée, elles sont « Femmes « chimiotées » : femmes envers et contre tout ». Elles ont subi et affronté le(s) cancer(s) du sein, elles sont en rémission ou non. Les protocoles médicaux, la dépossession de leur corps, le regard des autres sur elles et leur propre regard…

Elles doivent désormais vivre avec. Elles se sont découvertes des forces insoupçonnées jusqu’ici et parlent « d’une conscience, aujourd’hui, plus aigue de la vie, du fait qu’il faut profiter davantage des choses. »

Pour Anne Patault, vice-présidente de la région Bretagne, chargée de l’égalité, de l’innovation sociale et de la vie associative, son « espèce de chance » a été de ne plus craindre la vieillesse :

« Pendant toute une époque, j’avais peur de vieillir. Maintenant, j’espère vieillir. Je me projette en vieille dame et ça me fait plaisir. »

Un point sur lequel la comédienne Sonia Rostagni la rejoint : « Chaque année supplémentaire, c’est toujours ça de pris ! »

Son spectacle, 649 euros, elle le définit comme une évidence : « Une manière de sublimer par l’art le cancer. De faire d’un truc très moche un truc esthétique. Avec une mise en scène pensée de manière à ce que je ne rejoue pas tous les soirs mon cancer à moi. Même si j’ai eu un cancer, je joue un personnage. Je suis une femme, n’importe quelle femme. Et puis la pièce permet aussi de sortir du pathos et de transmettre les choses avec humour. Ça a été un mécanisme de défense très puissant pour moi, l’humour. Je n’ai jamais autant ri que pendant la maladie. »

LES INJONCTIONS DANS LE CANCER

Si elles refusent de parler du cancer comme d’une chance, comme tel est ressenti d’une participante dans le film, elles s’accordent à aborder l’angle du changement post opération. En nuançant toutefois.

« Ça m’a donné des orientations de vie un peu différentes. J’étais un peu indolente avant, j’avais tendance à laisser filer le temps. La leçon que m’a donné la maladie c’est la notion du temps qui nous est compté. Aujourd’hui, j’ai une sorte d’impatience par rapport à des réalisations de projets par exemple. Je suis devenue plus fonceuse. Quand je suis convaincue de quelque chose, maintenant j’y vais. », souligne Anne Patault.

Même discours du côté de Sonia Rostagni :

« Des traits de caractère se sont affirmés. Je me suis découverte encore plus. »

Pour Maryse Théron, syndicaliste et membre des Roz’Eskell, pas question de se soumettre aux injonctions « de faire ça, de dire ça, de vivre le cancer de telle ou telle manière. » Elle le dit et l’affirme : 

« Je n’aime pas les injonctions ! Il n’y a pas plus de raisons de vivre ces injonctions attribuées aux femmes qui ont eu un cancer que d’autres ! On n’est pas obligées de changer parce qu’on a eu un cancer. Certaines étaient insupportables avant la maladie et le restent après. La maladie apprend l’humilité. On prend une conscience un peu plus aigue de notre mortalité. »

CHACUNE SON EXPÉRIENCE ET SON RESSENTI

Elles ne sont pas des expertes du cancer. Elles sont des femmes ayant vécu, chacune à sa manière, son ou ses cancers du sein. Ce soir-là, sans détour et sans langue de bois, les trois intervenantes témoignent de leurs expériences et ressentis individuels pouvant trouver des points de résonnance dans l’épreuve subie par le collectif.

« Ma mère commençait son Alzheimer. J’ai du lui réannoncer 100 fois que j’étais malade. J’ai fini par me dire que c’était pas plus mal qu’elle oublie. Mon entourage a été ni trop envahissant ni trop dans la compassion. C’est un équilibre difficile à trouver mais c’est important. Mais il faut savoir qu’on est toujours tout seul dans la maladie. C’est un parcours solitaire, même si j’ai toujours été accompagnée pendant les chimios ou qu’une amie venait me chercher… », précise Anne Patault qui soulève alors la question de ce que l’on peut attendre de son entourage pendant la maladie. 

Il y a ce que l’on dit aux autres, ce que l’on ressent et vit réellement. Il y a ce que l’on est capable d’endurer, ce qu’on dit aux enfants. Il y a celles et ceux qui supportent et prennent sur elles/eux, d’autres qui ne sont pas en mesure de soutenir et qui s’en vont. Il y a les médecins et les protocoles, ceux qui soignent un individu et ceux qui traitent un symptôme. Et puis la vie qui continue en parallèle. En dehors de la personne qui au même moment affronte la maladie.

Etre sujet, c’est le point sur lequel insiste Maryse Théron. Ne pas se laisser posséder par les autres, par leurs angoisses, leurs émotions, leurs conseils et savoirs.

« Être soi même son sujet. C’est moi, c’est mon cancer. C’est moi qui dit si je vais ou vais pas, qui dit ce que je fais, ce que je fais pas, etc. C’est important de se réapproprier soi-même. »
affirme-t-elle, précisant qu’il ne faut pas sous estimer le poids de la maladie. 

RETOUR À LA VIE PROFESSIONNELLE

Pas facile dans une société capitaliste avide de rentabilité et de productivité de se retirer pendant un temps de la vie professionnelle. La peur de se détacher, de se déconnecter, de ne pas retrouver sa place à son retour, la peur de ne pas être comprise en revenant par le biais d’un mi temps thérapeutique, la peur d’être jugée, la peur d’être larguée.

Si Maryse évoque le dispositif Cancer at work, prévu dans le plan Cancer pour faciliter le retour ou l’accompagnement à l’emploi, elle parle aussi d’une grande méconnaissance de la maladie.

« Les employeurs sont démunis. Il y a encore beaucoup de travail à réaliser pour informer et sensibiliser les équipes, les managers, etc. Le plan Cancer c’est bien mais il faut y mettre des moyens et pas que des discours politiques », précise-t-elle, indiquant également un manque cruel d’égalité dans l’information et l’accès à la prévention et au dépistage du cancer, notamment en direction des femmes précaires « qui n’ont pas le temps de s’occuper d’elles parce qu’elles doivent gérer les enfants, la maison, etc. »

LA HARGNE DES COMBATTANTES

Au fil de la discussion, on retrouve la même sensation que pendant le film ou l’exposition, face aux photographies de Karine Nicolleau dans la galerie de la Maison des Associations. Réunies par le cancer du sein, sur des clichés en couleur ou en noir et blanc, à bord d’un dragon boat, à croiser le sabre et l’épée, à une table ronde, elles délivrent un message fort qui encourage la force de vivre.

Elles ont le sourire des survivantes et la hargne des combattantes. Parce qu’elles ont puisé en elles des ressources auxquelles elles ne pensaient pas faire appel, elles ont découvert des forces en elles insoupçonnées.

« Il faut beaucoup d’amour de soi même pour continuer de se regarder avec douceur. »
conclut Anne Patault.

Une belle leçon de vie qu’elles partagent avec générosité lors des échanges à l’occasion de la soirée.

Célian Ramis

Création : Que tu es puissante mon enfant !

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Si les contes véhiculent bon nombre de clichés sexistes, la compagnie de danse afrocontemporaine Erébé Kouliballets propose une autre version du Petit chaperon rouge. Entrez dans les coulisses d'une création écoféministe.
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En octobre 2018, Morgane Rey, chorégraphe et fondatrice de la compagnie Erébé Kouliballets – créée intentionnellement le 8 mars 1988 – nous proposait de suivre sa nouvelle création de danse afrocontemporaine autour du conte du Petit chaperon rouge.

Magnifique invitation que nous nous sommes empressé-e-s d’accepter car non seulement elle nous a embarqué de l’autre côté du miroir en nous donnant accès aux répétitions mais aussi aux réflexions, à la construction d’un spectacle résolument féministe, à l’apprentissage d’un langage et d’une partition ainsi qu’à des moments forts essentiels à la naissance d’une complicité artistique et d’un collectif qui ensuite se dévoilent sur scène sans qu’on n’en connaisse les ressorts.

Bienvenue dans les rouages d’une mécanique joyeusement bien huilée.

Âmes sensibles, s’abstenir ! Parce qu’ici les oiseaux ne chantonnent pas gaiment sur l’épaule d’une enfant candide. Parce qu’ici personne d’autre qu’eux-mêmes ne viendra sauver les personnages des dangers de la vie. Parce qu’ici, il est question de sang, de sexe, de violences, de féminin et de masculin, de dépassement de soi et de transmission. Parce qu’ici la compagnie Erébé Kouliballets flanque les frères Grimm, Charles Perrault et leur morale patriarcale au tapis, reprenant le conte originel issu de la tradition orale du XIVe siècle. Rassurez-vous, nul besoin de vous asseoir ou de vous accrocher à vos sièges, il suffit simplement de connecter corps et esprits à cette création féministico-rock’n’roll pour que libération et émancipation s’opèrent. 

Le 25 octobre, dans la salle Escapade de l’espace Le Goffic à Pacé, Morgane Rey, Delphine Chilard, Juliette Guillevin et Pauline Gérard sont allongées, ventres contre le sol, visages relevés les uns en direction des autres. Elles n’ont pas encore l’entièreté de la trame mais sont d’accord sur l’esprit général : que tout le monde sorte gagnant-e, grâce au respect et à l’écoute. Si cela paraît clair, les propos ne nous sont pourtant pas tout à fait compréhensibles ou plutôt accessibles.

« Le petit chaperon rouge, direction. La forêt, lien terre ciel. La grand-mère, ancrage. Le loup, le poids. Les quatre personnages forment une entité. On n’a pas la même force quand on est tout seul que quand on est quatre. Imaginez donc votre force seule qui s’additionne à celle des autres. L’énergie du conflit devient positive. Alors si je récapitule, on a petit chaperon – grand-mère – loup, petit chaperon – forêt – loup,… Les triangles donnent l’espace scénique ! Parfait. On va reprendre la trame de chaque solo. C’est chouette de commencer ce travail, je suis contente ! », enchaîne Morgane Rey, chorégraphe de la compagnie de danse afrocontemporaine, Erébé Kouliballets.

On comprend les mots, perçoit l’idée mais le message reste brouillé à certains niveaux. Tandis que les danseuses s’échauffent, on feuillette leurs carnets de bord, outil incontournable dans la pratique de la professionnelle. Il y a des textes, des poèmes, des collages, des couleurs, des mots, des illustrations dont celles réalisées par Gustave Doré sur le Petit chaperon rouge, des formes, des matières… et même des exercices et des annotations.

« Dans ce poème, je veux que tu tires ton intention de ça. Lis ce mot et tu te le répètes en boucle. Toi, tu te nourris en regardant ça et de ce dessin, tu tires un mot qui t’amène à une dynamique. » 

PREMIERS PAS

Chacune se concentre, déambule, tâtonne, effectue son mouvement en boucle jusqu’à saisir l’esprit de son personnage avant d’interpréter les solos en duo : « Allez on fait un duo petit chaperon – grand-mère. Dans ce duo, le petit chaperon doit dominer la grand-mère, on inversera après. »

Juliette, troublée, abandonne la peau du petit chaperon un instant : « Faut que je sois méchante ? » Ce à quoi Morgane lui rétorque :

« Dominer ne veut pas dire méchante. Mais tu dois avoir un impact sur elle. Là on cherche, c’est la première séance. Te bile pas. »

C’est un ping-pong verbal et chorégraphique qui se dévoile sous nos yeux ébahis et légèrement perdus. Les discussions sont essentielles dans l’exploration profonde de l’histoire et ses interprétations, le ressenti face à un vieux conte que l’on cherche ici à transposer dans sa complexité et dans la modernité et l’énergie corporelle que l’on veut donner à l’intention initiale.

Morgane observe, enregistre dans sa mémoire, interromps l’échange chorégraphique, invite les danseuses à creuser davantage dans le mouvement, dans la connexion au corps, dans la puissance du squelette. Toujours en partant d’un mot, d’une idée, d’un sentiment :

« Ok on refait. Le petit chaperon, tu me rajoutes du cross fit. La grand-mère en version prada. Et le loup, plus fort qu’une libellule. »

Si les trois danseuses se connaissent des cours qu’elles suivent ensemble au Triangle avec la chorégraphe, les séances de travail créent une connexion spécifique, une complicité se tisse au fil des idées et des éclats de rire, qui sont nombreux dans cette ambiance sérieuse et décontractée, caractéristiques propres à la pétillante Morgane Rey. La répétition se termine par une danse de réjouissance du Mali et des exercices collectifs de relaxation à partir d’éléments naturels. 

LA CONSTRUCTION DES FILLES, FIL CONDUCTEUR DE LA COMPAGNIE

Le 25 octobre donc, à l’espace Le Goffic de Pacé, la création amateure Loups– qui vient graviter autour de la pièce professionnelle Lou, écrite par Morgane Rey et interprétée par elle-même et Cécile Colin (partie que nous aborderons dans d’autres articles) - vient de se concrétiser.

Encore un peu hésitante, bancale dans le déroulé de l’histoire, elle va au fur et à mesure rassembler les pièces du puzzle, se développer, s’affirmer, prendre en confiance et en maturité. À l’instar de leur petit chaperon rouge à elles.

« C’est une histoire d’initiation. La forêt dans plusieurs pays d’Afrique est considérée comme un lieu d’initiation. Je trouvais important d’avoir cette entité qui n’est contre personne. Et puis on se demande aussi ce que va devenir ce petit chaperon. Pour nous, c’est une guerrière. Aidée de la sororité, elle va mettre une tannée au loup mais ce n’est pas dans une vision du bien contre le mal, c’est plus complexe. », souligne Morgane qui fait germer le projet depuis plus d’une année à travers des recherches, des croquis, de la documentation, etc.

C’est sa méthode de travail à elle qui envisage toujours des pièces autour de la construction et du développement des filles et des femmes. Des pièces à jouer en intérieur comme en extérieur, un point auquel elle tient particulièrement, défendant fermement la place des femmes dans l’espace public et notamment l’importance de la danse en rue qui donne à montrer des corps en mouvement, des corps dynamiques, des corps actifs. 

Si elle s’est tardivement définie féministe, elle a pourtant souvent dans sa carrière envoyé valdinguer les cadres et les normes. À ses débuts, dans son adaptation de Cendrillon, le prince est homo, le père effacé et la mère maltraitante. L’an dernier, son spectacle Femmes souriant à l’invisible – à (re)découvrir le 8 mars prochain le midi au parc du Thabor et l’après-midi au Blosne – explorait la figure de la sorcière contemporaine dans son origine première, soit son lien aux savoirs et aux connaissances de la Nature, sa puissance créatrice et son pouvoir de guérison.

Pas étonnant donc qu’ici elle fasse une croix sur les moralistes Perrault et Grimm pour revenir à l’essence même du conte et lui redonner une fraicheur écoféministe. Exit le côté cul-cul la praline et romanesque, la compagnie Erébé Kouliballets ajoute sa touche. Une touche bien plus réaliste et humaniste, qui ne mâche pas ses mots et ses propos mais bel et bien le loup et la grand-mère. 

FÉMININ/MASCULIN, DOMINÉE/DOMINANT ?

« Quand je préparais le Petit chaperon rouge, j’ai fait un cercle de paroles au centre social du Blosne. Ça y allait ! C’était super, les nanas, avec leur tricot, qui se lâchaient, elles ont sorti des trucs, j’en revenais pas. Ça a beaucoup parlé du masculin et du féminin. J’adore ça. Qu’est-ce qu’un mec ? Qu’est-ce qu’une nana ? Comment je traduis ça avec mon corps ? Perso, je suis passionnée par le corps, c’est un espace qui me sert autant à moi qu’au collectif et dont je peux me servir pour travailler encore longtemps.»

Pour chaque mouvement, chercher d’où vient la puissance dans le corps, dans l’abstraction du squelette. Pouvoir puiser autant dans son énergie féminine que dans son énergie masculine. Dans ses cours comme dans sa pratique, elle travaille sur ces points-là, tout en cherchant à provoquer la discussion, le débat.

Autour de la signification pour les unes et les autres de la domination, de la soumission. Et propose de considérer ces concepts et sentiments différemment, par le biais de l’élément positif, celui de l’apprentissage et de la transmission.

« On peut imaginer le côté dominé sans le côté négatif. Le dominant a la maitrise. Le dominé peut être dans l’acceptation. C’est dur, hein, d’accepter ? Enlevez de votre tête l’idée d’oppression. On peut accepter la domination comme état transitoire. Quand on apprend quelque chose par exemple, on l’apprend de quelqu’un qui possède le savoir. Moi, j’ai été éduquée par des maitres en danse. À ce moment-là, on accepte la domination et on ne parle pas de soumission ou d’oppression. J’ai passé plusieurs mois avec les femmes maliennes sur la question de la domination et elles disent que nous les occidentales, on n’est pas honnêtes à ce sujet, en prétendant ne jamais être dominées. Il y a toujours des endroits où on est dominé-e-s. Moi, je suis dominée par la danse, il me faut ma piquouze toutes les semaines. », s’anime Morgane qui pourrait continuer des heures durant, alternant discours théorisé et concrétisation corporelle, le corps étant alors traversé par le souvenir de l’expérience et l’émotion.

Les systèmes de croyances dans lesquels chacun-e est éduqué-e influe nécessairement sur nos personnalités. Dans ces pièces, la compagnie Erébé Kouliballets interroge le passage au cours duquel la jeune fille va se construire femme et les éléments auxquels elle va s’allier et se confronter pour y parvenir et en ressortir plus mature et plus forte. 

Dénuer son personnage de morale patriarcale apparaît ainsi comme fondamental pour entrevoir les capacités et les rouages de ce développement mais aussi pour voir éclore de manière limpide les entraves de la société actuelle à l’émancipation des jeunes femmes. 

SE RÉAPPROPRIER LES CONTES : QUEL INTÉRÊT ?

De cette libération, tout le monde en profite. Le petit chaperon rouge, le loup et la grand-mère. « Les contes ont une raison d’être, ils font partis de notre patrimoine mais je pense que c’est important de se les réapproprier. Quand on raconte Le Petit chaperon rougeaux enfants, c’est pour leur faire peur. Il faut transformer cette peur. En tant qu’institutrice, je me pose la question parce qu’il y a des trucs qui me gênent : ce côté tout noir ou tout blanc, ce côté bon contre méchant. Ce n’est pas assez nuancé. Et très sexiste ! Je m’amuse à leur raconter de manière différente, en parlant du chaperon vert par exemple. Dans la pièce, ici, de la vision grand méchant loup et petit chaperon naïf, on passe à un conte initiatique. De la petite fille à la femme, avec un côté cannibale, comme un rite de passage. », commente Delphine Chilard, 38 ans.

Dans Loups, elle est la grand-mère. Une femme âgée et forte « qui peut dire ‘attention’, ‘j’en connais un paquet’ pour protéger sa petite fille mais qui va finalement lâcher en se disant que le petit chaperon n’agit pas forcément comme elle l’aurait fait mais qui accepte que les choses se passent différemment. »

Un personnage caractérisé par la transmission de son savoir et l’acceptation de la jeune génération à laquelle elle n’appartient plus. « Qui laisse la place et qui accepte la transformation », précise la danseuse.

Pour Pauline Gérard, qui à 24 ans enfile le costume du loup, ce dont il faut se méfier, c’est la manière dont on se transmet le conte. Comme une fable moralisatrice ou comme une simple histoire ?

« Ce n’est pas le même impact imaginaire. Personnellement, je n’ai pas trop été nourrie aux contes, ce ne sont pas mes repères, je ne peux donc pas dire s’il y a des conséquences. Mais en travaillant sur la création, je me suis replongée dans le conte et ça m’a bien confirmé le côté cliché dont je me souvenais avec le grand méchant loup et le petit chaperon rouge mis en garde du danger. », souligne-t-elle.

Pas facile dans ce contexte d’aller puiser à l’intérieur de soi pour faire vivre cet animal terrifiant : « Je tâtonne encore mais je commence à le percevoir ce loup, de notre version qui n’a pas de méchant. Tout est fait pour arriver à l’acceptation. Ce loup, il est un obstacle pour le petit chaperon mais pour lui-même aussi. Peut-être surtout pour lui-même. » Tout le monde doit apprendre de ses erreurs.

Que l’on soit rigide, en proie à ses pulsions ou naïve. Loups propose de mêler les expériences pour s’enrichir et s’épanouir dans une personnalité complexe, complète et affirmée. Liant sagesse, animalité, nature et désirs de faire ces expériences. 

« Tout le monde va apprendre de tout le monde. On n’a pas encore le dénouement(au moment de l’interview, réalisée en amont du dossier, ndlr) mais on ne veut pas du côté moralisateur et binaire. On ne veut pas non plus dire comme Perrault : ‘petite fille ne sois pas trop naïve sinon ce sera ta faute’… », explique Juliette Guillevin qui se dit très proche de son personnage du petit chaperon rouge :

« Je me retrouve dans son côté un petit peu naïf, dans le côté ‘tout est beau, tout le monde est cool’, j’ai tendance à voir le positif dans les choses et dans les gens. Et j’ai eu des expériences qui m’ont fait grandir. Ce qui est marrant également, c’est que Pauline et moi, on se ressemble pas mal, tout en étant des opposées sur certains points et qu’au final, la ligne est fine entre le loup et le petit chaperon rouge. »

LA PEUR DU LOUP

Remettre les choses en perspective et en mouvement, pour bouleverser l’ordre établi. Chez Perrault, la morale est amorale dans la vision manichéenne dont il est d’usage dans les contes. Le mal triomphe sur le bien. La petite fille meurt. Et c’est toute la lignée des femmes que l’on place sur le banc des accusées.

La mère, pour avoir laissé son enfant courir le risque de sortir seule, la grand-mère, pour avoir été en incapacité de la protéger également, et évidemment, la petite fille qui a fait confiance à un inconnu. Pas n’importe quel inconnu. Le loup, l’allégorie sexuelle de l’homme. Celui qui séduit les filles avec de belles paroles, de beaux discours, pour les déflorer. Moralité : femmes, enseignez donc à vos filles à craindre l’extérieur et particulièrement les hommes.

« La peur du loup » revient dans les entretiens avec Morgane, Delphine, Pauline et Juliette. Aucune des quatre en occulte l’image. Si le reste du conte ne retient pas particulièrement l’attention des petit-e-s devenu-e-s grand-e-s – mais qui pourtant s’inscrit bel et bien l’inconscient collectif – cette partie en revanche les marque au fer rouge.

Dans Loups, pas question de présenter une forêt sombre et effrayante, une grand-mère passive, un loup méchant par nature et un petit chaperon rouge victime de sa condition.

« Oui, quand elle rencontre le loup, elle se jette dans sa gueule, elle tourne autour, elle veut y aller ! »
ajoute Juliette.

Le 26 janvier, c’est encore à l’espace Le Goffic de Pacé qu’on les retrouve. Dans une autre salle, en présence de Lucie – qui incarne la forêt – et en (recherche et essais de) costumes.

« Recommence, plus doucement, assume. Ce n’est pas parce que tu vas lentement qu’il n’y a pas de tension. Entre ton pubis et ton front, tout est en éveil, en tension. La première fois, c’est juvénile, enfantin. La deuxième fois, c’est carrément sexuel, intentionnellement. C’est la grand-mère qui remet de l’ordre là-dedans. Le loup profite du moment où elles sont à terre. Pauline, arrête de sourire, t’es le loup ! Faut d’ailleurs que j’arrête de t’appeler Pauline pour que tu te mettes dans le peau du loup… La grand-mère remonte le loup et le laisse se confronter au petit chaperon. Ne souris pas Juliette, ce sont les premiers moments qu’on fixe cellulairement, tu ne vas plus réussir à t’en défaire ! Hop, là, danse de séduction de malienne. Ok…Il faut que vous bloquiez le périnée quand vous sautez. Là, ça se voit que vous n’avez pas le périnée bloqué. », commente, en même temps que les filles dansent, Morgane Rey dont l’objectif est désormais de fixer le déroulé. 

Les soli auxquels nous avions assisté fin octobre forment à présent un quatuor. Et si lors de la répétition, la chorégraphe leur conseille d’économiser leurs énergies, la trame et l’esprit de la pièce deviennent palpables. Et on finit par comprendre leur langage. 

ENCOURAGER LES EXPÉRIENCES

Si on retrouve cette même dynamique volontaire et bienveillante, se dévoile ici toute la combattivité du propos. On s’éloigne définitivement de la version patriarcale pour se rapprocher « de celle qui est diffusée en Inde, au Maroc, dans les pays slovaques, où la jeune fille dévore la grand-mère et le loup. Investie du savoir de la grand-mère, elle domine et bat le loup et se sert du masculin et du féminin pour avancer. »

Aucune histoire de chasseur venu sauver la fillette et sa grand-mère. Aucune histoire non plus de prédateur sexuel et de viols. Seulement la menace que prolifère la société à ce sujet. Ici, peur, danger, violence, sexe, espace extérieur, ne sont pas des ennemis ou des armes d’éducation massive mais des réalités, des expériences, des sentiments investis sainement. Aucune épreuve amenant à la construction et au développement personnel ne se fait en douceur.

Considérant la forêt comme un lieu allié d’initiation, le petit chaperon découvre par elle-même, tout en puisant dans le savoir de son ainée, sa féminité et entraperçoit une partie de sa sexualité à laquelle elle se frotte consciemment, testant ainsi ses propres limites. Elle affronte sa peur et embrasse sa curiosité et ses désirs.

Personnage moderne qui questionne son rapport à la société, le petit chaperon s’affranchit des normes actuelles en choisissant de s’écouter et de se faire confiance. En acceptant sa position de dominée jusqu’à devenir dominante. « Dans nos contradictions et dans nos rencontres, c’est là qu’il se passe des trucs. », s’enthousiasme la chorégraphe.

Ça se ressent dès à présent dans le travail collectif du quatuor qui a commencé le matin même à répéter avec les percussionnistes et musiciens jazz – style choisi pour sa symbole de liberté et d’émancipation et sa grande potentialité en terme d’improvisation - Sébastien David, Briac Soury et ses élèves.

L’émotion nait de cette vision partagée d’une leçon de vie saine, libérée des assignations de genre et des injonctions constantes et intolérables qui placent les individus en situation de survie. Le discours change et au lieu de se crisper au son des mises en garde - « Ne parle pas aux inconnus » / « Ce n’est pas très prudent de sortir toute seule » / « Tu ne devrais peut-être pas t’habiller comme ça… Enfin, faudra pas te plaindre. » - on lit désormais dans les mouvements de leur corps et les intentions qu’elles y mettent un autre son de cloche.

Les filles, allez-y. Sortez. Explorez. Assumez votre curiosité, votre envie d’expérimenter. Ne culpabilisez pas face au loup. Ecouter son désir, le provoquer, jouer avec, l’assouvir n’a rien d’avilissant. Au contraire, il n’en sera que plus libérateur, tant qu’il est manié dans le respect et la bienveillance. 

LES BIENFAITS D’UN APPRENTISSAGE FÉMINISTE

Une autre forme d’apprentissage est possible. Et il est résolument féministe. « On n’a pas eu besoin de formuler le côté féministe de la pièce, c’était assez inné. On partage ça dans nos vies respectives. Sans se le dire formellement, on partage le même combat, on remet en cause(l’ordre établi, ndlr). Ici, on n’a pas vu un petit chaperon qui subit mais qui provoque, sans que ce soit péjoratif. », analyse Pauline Gérard, rejointe par Delphine Chilard :

« On est toutes de fait dans le partage du féminisme et des droits des femmes et sur scène, ce que je vois, ce sont des femmes avec un sacré charisme ! »

L’évidence n’est pas contredite par Juliette Guillevin : « On est quatre femmes à faire la pièce et Morgane en est à l’initiative donc forcément c’est féministe ! C’est alternatif et contemporain comme Morgane sait le faire. On tire nos mouvements de nous. De qui on est, de nos émotions et de nos intentions. En ça, ça forme une pièce féministe. Humaniste. »

Elles n’ont pas les mêmes parcours et les mêmes expériences en matière de danse. Du classique à la danse africaine, en passant par le contemporain et surtout le hip hop, Pauline a atterrit dans les cours de Morgane Rey en effectuant un stage au Triangle, il y a plus d’un an. Appréciant le mélange de danse africaine et de danse contemporaine, la liberté d’y ajouter sa propre expérience, mais aussi le travail sur la respiration et la relaxation, elle décide de poursuivre son apprentissage.

Tout comme Delphine qui n’a pas quitté la chorégraphe depuis 10 ans. Avant, elle avait fait du flamenco, de la danse contact et de la danse bretonne : « J’avais pris un stage de danse africaine au Triangle avec une amie à elle. Elle est venue faire un partage et je l’ai suivie dès lors. J’aime son rapport à la danse, au partage, à la création, à sa manière de nous apprendre des choses avec rigueur pour qu’ensuite on les transforme. »

Juliette, elle, a quasiment toujours pratiqué du modern jazz. Mais a testé plusieurs styles, du hip hop au charleston, en passant par le contemporain et le classique, en intégrant une association vannetaise dont la mission est de créer des spectacles de danse dont les profits sont reversés aux Restos du cœur du Morbihan. 

« Je voulais faire de la danse contemporaine quand je suis arrivée à Rennes l’an dernier. J’ai appelé le Triangle mais il n’y avait pas de place dans tous les cours. Je suis allée en danse africaine, le groupe m’a plu et la pédagogie de Morgane aussi. Et surtout, je n’avais jamais connu ça, ce rapport corps/esprit connecté en permanence. J’adore la danse parce que ça me permet d’exprimer des choses que j’ai en moi et Morgane met des mots dessus. J’ai compris des trucs que je n’avais jamais compris avant. Dans l’écoute de soi, l’écoute des autres. Dans la connexion du plexus solaire avec le sol qu’on amène vers le ciel en fonction des émotions, etc. Je ne peux pas donner d’exemple concret, ce sont des sensations que j’ai. Des choses qui m’apparaissent comme une évidence une fois qu’elle les a formulées. », décortique la danseuse de 25 ans. 

LIBERTÉ ET ÉMANCIPATION

Il apparaît évident en les écoutant que la manière d’être et de travailler de Morgane Rey transparait dans le propos de la pièce et le processus de création. Que ce soit dans les cercles de paroles, dans les rencontres individuelles qu’elle a instauré avec chaque danseuse afin de créer un lien de confiance et approfondir chaque personnage indépendamment des autres, dans le soin qu’elle apporte à la création et à la tenue des carnets de bord, dans les discussions qu’elle provoque en cours ou dans son langage dessiné, les trois femmes en éprouvent un sentiment de liberté et d’investissement réel.

Si elles précisent être encore et toujours en apprentissage face aux feuilles que Morgane leur donne – sur lesquelles elle dessine le mouvement qu’elle a en tête – elles s’approprient la partition, chacune avec son style, son corps et sa danse.

« Je fonctionne beaucoup avec des photos, des textes et des peintures. Je suis vite allée vers le dessin pour retranscrire mes partitions chorégraphiques. C’était très enfantin au départ et puis j’ai affiné. J’ai vu qu’il y avait une bonne réception de cette méthode. En fait, je ne dessine pas réellement, je retranscris l’énergie du mouvement dans le trait. C’est une manière très minimaliste d’aborder la danse, qui est pratique, pas compliquée et qui laisse la liberté à chacun-e d’y mettre du sien. J’aime que les gens puissent investir ce que je leur propose. », explique Morgane Rey.

Pour Delphine Chilard, de nombreux effets positifs en émanent : « En fait, elle nous transmet des pas puis on s’en inspire et on en crée d’autres. Sans faire n’importe quoi bien sûr. Au niveau du corps, ça m’ancre au fur et à mesure. J’apprends à habiter mon corps, le connaître. Pas que dans le mouvement mais dans un tout. La danse africaine me donne conscience de tout un tas de choses dans mon corps. Et avec les feuilles en plus, on apprend à faire confiance à comment on va interpréter ce qu’elle dessine. C’est un fil conducteur puis il faut le sentir dans son corps. Tu explores, tu poses des questions, tu prends confiances au fur et à mesure. Je crois que c’est ça qui impacte mon quotidien de manière poussée. Parce que dans un groupe de confiance, on apprend à lâcher prise, on apprend à se fier à notre capacité à ressentir et à transformer. »

Exit le manichéen et le binaire. Sous la forme d’un solo amateur (la conteuse), d’un duo professionnel (le petit chaperon rouge et Morgane dans les 3 rôles : forêt-grand-mère-loup) et d’un quatuor amateur, la compagnie Erébé Kouliballets aime explorer la complexité, la modernité, le mélange et le métissage, l’équilibre du féminin et du masculin. Pour tendre vers plus d’authenticité et de liberté. On admire la capacité à le faire sans lisser ou édulcorer la réalité.

Au contraire, on est soulagé-e-s de cette réappropriation libératrice d’un conte qui une fois envahi par la morale patriarcale devient toxique pour la construction des jeunes filles. Ici, le rouge qui domine la pièce n’est pas celui de la faute et de la culpabilité mais bel et bien celui qui coule dans nos veines et nos culottes, et teinte nos tentes, véritables espaces de paroles entre femmes, de partage, d’écoute et d’échanges.

Sans oublier la forme artistique qui vient dynamiser nos vécus, expériences et questionnements pour les mettre en relief et en mouvement :

« La danse, c’est l’indépendance du corps ! L’exercice de la liberté ! La danse est une façon de dire non aux injonctions, d’allers vers la résilience. » 

Rendez-vous le 10 mai à l’Antichambre de Mordelles pour découvrir Lou(ps) et sur yeggmag.fr pour suivre les étapes en attendant la représentation. 

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Dans les coulisses d'une création
Se (ré)approprier l'Histoire
Des contes sans sexisme !

Célian Ramis

Violences : la bataille contre le sexisme

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Face à l'étendue des violences exercées à l'encontre des femmes, il n'est pas toujours évident de réagir. Manifestations, témoignages, écoute, empathie, solidarité, coups de gueule... Les combattantes d'aujourd'hui ont mille façons d'agir individuellement et:ou collectivement.
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« Le temps de la colère, les femmes / Notre temps est arrivé / Connaissons notre force, les femmes / Découvrons nous des milliers ! Reconnaissons-nous, les femmes / Parlons-nous, regardons-nous / Ensemble, on nous opprime, les femmes / Ensemble, révoltons-nous ! »

Le 24 novembre dernier, à Rennes comme ailleurs en France ce même jour, l’Hymne des femmes parcourait les rangs de la marche contre les violences sexistes et sexuelles.

Elles (et ils) étaient plusieurs milliers, main dans la main, à dénoncer toutes les violences à l’égard des femmes, à affirmer que « Non c’est non » et à revendiquer le droit à être les égales des hommes. D’une seule voix, elles ont prôné leur droit à la liberté.

Fin 2017, l’affaire Weinstein, #MeToo et #BalanceTonPorc agissaient en véritable accélérateur des consciences. La société, ahurie, découvrait une partie de l’ampleur des violences contre les femmes... En 2018, la question bouillonnante de la place des femmes n’a pas cessé d’agiter l’actualité française, européenne et internationale. Et pour chaque avancée, il a fallu essuyer les retours de bâton d’un patriarcat malheureusement très implanté et infusé dans toutes les sphères de la société. Susan Faludi, essayiste et gagnante du Pulitzer, l’écrivait déjà en 1991, dans son livre Backlash : « En effet, il s’agit d’un phénomène récurrent : il revient à chaque fois que les femmes commencent à progresser vers l’égalité, une gelée apparemment inévitable des brèves oraisons du féminisme. » (Newsletter n°16 des Glorieuses, 26 décembre 2018, « Après le retour de bâton, la révolution »). Heureusement, nombreuses sont les révoltées, militantes, résistantes et combattantes du quotidien. Marianne, symbole de liberté, a désormais des milliers de visages.

On oublie souvent qu’un des plus forts symboles de la République est une femme. On oublie souvent de la citer. Pourtant, elle est une guerrière affranchie de ses entraves. Une femme qui ose prendre les armes pour défendre ses droits et sa liberté. Une personnalité qui aujourd’hui représente la citoyenneté dans sa globalité et qui prend de temps à autre des allures de grandes stars, telle une Brigitte Bardot ou une Catherine Deneuve (celle-là même qui début 2018 signait une tribune réclamant le droit à être importunée, avant de présenter ses excuses face à une polémique dépassant les meilleures attentes d’un patriarcat qui savoure bien paisiblement devant son écran la bataille des femmes contre les femmes).

Récemment, cinq Marianne ont attiré l’attention des médias à l’occasion d’une action éclair le 15 décembre lors d’une manifestation des gilets jaunes à Paris. Sur les Champs Elysées, seins nus, corps et visages recouverts de peinture argentée et gilets à capuche rouge, elles s’opposent, immobiles et en silence, à un cordon de CRS. Selon Franceinfo, il s’agirait d’une performance que l’on devrait à l’artiste luxembourgeoise, habituée des happenings, Déborah de Robertis.

On aime l’image, on aime le message, on aime imaginer une Marianne aux multiples visages, profils, parcours et origines. Lesbienne, trans, noire, grosse, mince, hétéro, bi, activiste ou non, croyante ou non, issue de la classe ouvrière ou de la classe bourgeoise, occupant une fonction plus ou moins importante ou recherchant un emploi. Peu importe, face aux violences, elle lutte. Avec acharnement. Sa quête toujours en tête : la liberté. 

LES VIOLENCES, QUELLES VIOLENCES ? 

En 2018, 22% de violences supplémentaires à l’encontre des femmes sont constatées par le ministère de l’Intérieur, ayant présenté les chiffres de la délinquance en septembre dernier. Une augmentation peu surprenante qui va de pair avec l’après #MeToo et #BalanceTonPorc, mouvements qui ont permis de rassembler les témoignages des femmes victimes de violences, révélant davantage l’ampleur des inégalités entre les femmes et les hommes.

Révélant également le silence plombant et les nombreuses conséquences des idées reçues qui régnaient depuis tout ce temps au-dessus de ces sujets. Que sait-on réellement des violences exercées à l’encontre des femmes ? Après deux ans d’enquête sur les féminicides, la journaliste essayiste Titiou Lecoq fait le bilan dans Libération, le 3 janvier 2019 dans un article intitulé « Meurtres conjugaux : deux ans de recensement, plus de 200 femmes tuées et tant de victimes autour ».

Elle décortique et analyse les maux et les mots : « Il y a un point commun : ce sont des hommes qui tuent des femmes parce qu’ils considèrent qu’elles doivent leur appartenir. Qu’elles n’ont pas le droit de partir, de tromper, de refuser, de crier, de reprocher, de faire la gueule, d’agir comme bon leur semble. Ils ne supportent pas qu’elles soient des personnes libres et indépendantes. Ils ne tuent jamais par amour. Ils ne tuent pas parce qu’ils aiment trop. Ils tuent pour posséder, et posséder ce n’est pas et ce ne sera jamais aimer. » 

Elle poursuit, bien décidée à ce que l’on appelle un chat un chat et un meurtre un meurtre : « Mais le plus terrible au milieu de toutes ces horreurs, c’est qu’il y ait encore des procureurs pour déclarer :

« C’est une séparation qui se passe mal. » Autre phrase fausse : tous les trois jours une femme meurt sous les coups de son compagnon. Nous devrions la rayer de nos formules toutes faites. Ces femmes ne meurent pas sous les coups. Elles sont tuées. Parfois elles sont battues à mort, mais pas toujours. Outre que cette phrase passe sous silence l’intention meurtrière, elle invisibilise l’étendue du phénomène en ne prenant pas en compte les survivantes. La réalité, c’est que presque tous les jours, en France, un homme tente de tuer sa compagne ou son ex-compagne. » 

Autre vérité dont elle fait état dans son article : il s’agit bel et bien de tentatives d’homicide et les chiffres ne prennent en compte que les meurtres commis par le partenaire ou l’ex-partenaire. « Si on ne parle que d’une femme tuée tous les trois jours, c’est uniquement parce que le taux de réussite n’est pas de 100%. », souligne-t-elle, à raison. 

DROIT DE VIE ET DE MORT 

Certaines s’en sortent. D’autres sont tuées parce qu’elles ont refusé les avances d’un homme. D’autres encore se suicident. Malgré tout, elles restent souvent présumées coupables. Elles ont dû le chercher, elles ont dû le mettre en colère, elles ont dû le provoquer...

Début janvier, la décision de la Commission d’indemnisation des victimes frappe les mentalités. Rappelons les faits : un soir en 2013, au Mans, la police intervient au domicile d’un couple. En effet, l’homme vient d’agresser un ami commun. Les forces de l’ordre conseillent à sa compagne de ne pas rester dans l’appartement mais il n’y a plus de train pour rejoindre sa famille, elle n’obtient aucune réponse favorable du 115 et de son entourage, elle dort sur place.

Quelques heures plus tard, il la défenestre, la frappe à nouveau au sol, le tout causant sa paraplégie. Il est condamné à 15 ans de prison mais la commission d’indemnisation des victimes ne retient qu’une indemnisation partielle, établissant qu’il y a un partage de responsabilité et que la femme a commis une faute civile en restant chez elle. L’information choque. 

Et pourtant, régulièrement, les femmes sont placées sur le banc des accusées tandis qu’elles dénoncent des situations dont elles sont victimes. Violences conjugales, féminicides, agressions sexuelles, viols... Les faits sont minimisés, les témoignages peu pris en compte et les plaignantes culpabilisées, voire humiliées.

« La folie prend la forme de notre société, et dans une société sexiste où les femmes, leurs corps, leurs vies, sont toujours soumises au contrôle, dans une société où elles n’ont pas encore acquis leur droit réel à exister en tant que telles, la folie des hommes reflète les processus de domination sous-jacents qui font nos implicites sociaux. Elle cristallise le sexisme ordinaire comme un précipité chimique et le transforme en son point le plus extrême : le droit de vie et de mort. », explique Titiou Lecoq dans Libération.

PAS UNIQUEMENT PHYSIQUES 

Plus percutantes dans les esprits, les violences physiques et sexuelles sont souvent les premières citées, les plus médiatisées aussi. On pense aux femmes battues, aux femmes violées, aux femmes mutilées. Pourtant, les violences prennent diverses formes et se nichent dans bien des détails. 

Quand on lui demande à quoi cela fait référence pour elle, Morgane, 44 ans, répond : « Aux coups, aux gifles, aux baffes, aux coups de pied dans le ventre. Au viol. Aux mains aux fesses et à toutes les agressions sexuelles du même type. À un mari, un concubin, un conjoint qui forcerait sa femme, sa concubine, sa conjointe à avoir un rapport sexuel. Mais les discriminations professionnelles (salaires, plafond de verre, postes à responsabilités inaccessibles, etc.) et privées (tâches ménagères, charge mentale et émotion- nelle) peuvent aussi être violentes... Une blague sexiste, un commentaire dans la rue sont des violences, un collègue qui mate ton boule, un autre qui met des calendriers de femmes nues dans son bureau, etc. c’est violent ! » 

Virginie, 31 ans, pense instantanément à la violence psychologique. Celle qui peut mener ensuite à la violence physique. « Ça commence toujours en général par le psychologique. Ça me fait penser à mon expérience personnelle familiale, à ce qu’a vécu ma mère, à ce qu’ont vécu mes sœurs. J’ai grandi avec un père pervers narcissique. On dit que c’est un terme à la mode, moi, je trouve ça dur qu’on dise ça car ça décrédibilise. Je ne crois pas que ce soit à la mode, simplement, aujourd’hui on met enfin un mot sur une attitude dangereuse des hommes comme ça. Il y a aussi des femmes, je sais, mais ce sont généralement des hommes. À cause de lui, on a vécu des violences psychologiques et de la manipulation psychologique parce qu’on était des femmes et donc qu’on avait aucune valeur. Après, j’ai subi d’autres violences, comme malheureusement 90% des femmes de mon âge : des relations non consenties, des regards sur nos corps qui nous ont fait beaucoup de mal parce qu’on ne voulait pas être regardées comme ça, des violences de rue gratuites qui s’ajoutent à celles de la rue (peur de l’inconnue, peur de se faire agresser, etc.). C’est la double peine. », analyse-t-elle. 

LA DOUBLE PEINE 

Interroger les femmes sur leurs vécus de femmes, c’est prendre le risque de s’exposer à des violences inouïes. Parce qu’elles ont toutes, la plupart du temps, des récits lourds, qu’ils aient été conscientisés ou non. 

Pour Anne, 40 ans, c’est en répondant à la question qu’elle en vient à réaliser que subir de la violence quand on est une femme est quasiment une norme acceptée :

« Je ne m’intéresse pas particulièrement au sujet mais je trouve qu’il est de plus en plus visible dans les médias. Assez, je ne sais pas, car finalement c’est montré, mais seulement montré. Étrangement, à l’idée de l’avoir vécue cette violence, j’aurais dit que non au premier abord. Mais en fait, si. Se faire traiter de « connasse », « pétasse », etc. est d’une violence déjà incroyable. Sans aller jusqu’aux insultes, cela peut passer par des remarques régulières très rabaissantes. Et là, ce qui peut faire peur c’est que ça en devient banal. Et je me rends compte en répondant à cette question, que j’ai failli banaliser ce qui a pu m’arriver, pensant que « quand même il y a pire et que j’avais qu’à ceci...cela. » C’est dingue le mécanisme de culpabilisation qui se met en place ! »

De son côté, Virginie évoque aussi ce rapport à la normalité : « Je pensais que tout le monde vivait ça. Que c’était normal. J’en ai toujours vécu et vu dans mon voisinage, mon entourage... Comme si on devait subir ça parce qu’on n’avait pas le choix. En faisant une thérapie, j’ai réalisé que je n’avais pas à subir quelque chose que je n’accepte pas. Par là, je suis arrivée à en parler avec des amies qui lisaient, se renseignaient sur le sujet. Mais là, on a 30 ans, on est entre adultes, c’est plus simple en quelque sorte. Je voudrais que la prise de conscience arrive plus tôt. Que dès l’école, le collège, le lycée, la parole se libère. Je me rappelle cette époque-là, avec la peur d’être une salope, d’être considérée comme une salope, une fille facile. C’est une violence et ça m’a toujours énormément pesé. » 

APPRENDRE À SE TENIR À SA PLACE... 

Dès la petite enfance, l’éducation genrée va venir inculquée aux filles et aux garçons de nombreuses assignations dues à leur sexe. Elles aiment le rose, jouer à la poupée et au poney, sont douces, discrètes, polies. Elles rêvent d’être chanteuses, coiffeuses ou actrices. Elles feront des études littéraires et seront puéricultrices, institutrices ou assistantes sociales.

Ils aiment le bleu, jouer au foot et à la bagarre, parlent forts, prennent toute la place, se font sans cesse reprendre en classe parce qu’ils sont indisciplinés. Ils rêvent d’être médecins, astronautes, sportifs de haut niveau ou encore ingénieurs. Ils feront des études scientifiques et deviendront médecins, astronautes, sportifs de haut niveau ou encore ingénieurs. 

C’est caricatural ? Non. Le champ des possibles, pour les filles, se réduit à mesure qu’elles grandissent. Car depuis leur tendre enfance et cette chère poupée qu’elles coiffent, habillent, promènent en poussette et changent, cette chère dinette, grâce à laquelle elles ont cuisiné tant de bons petits plats à leurs poupées, ce bon vieux package ‘balai, serpillière’ avec lequel elles ont tellement amusé leurs parents en mettant de l’eau partout sur le sol, elles ont été conditionnées à s’occuper de la sphère privée : tâches domestiques et éducation des enfants sont leur grand dada, quand elles ne sont pas occupées à rêver du prince charmant des Disney et des contes pour enfants. 

Doucement mais surement, bien imprégnées de la culture du viol diffusée en masse dans les publicités, les jeux vidéos, les films, les médias, etc. elles intègrent qu’elles sont des objets à disposition des hommes et traitent au quotidien avec une charge mentale à nous faire péter les plombs dès le petit matin. Les violences sont vicieuses, pernicieuses, tapies dans l’ombre mais constamment et confortablement installées dans les souliers pas du tout douillets de la moitié de l’humanité qui subit, persuadée que « c’est normal ». 

Les injonctions sont nombreuses et sortir des assignations, c’est s’exposer à un rappel à l’ordre : quand une femme outrepasse sa fonction, elle paye une note plus ou moins salée et traumatisante. Cela peut être dans un commissariat où l’on ne prendra pas sa plainte parce qu’au moment des faits elle avait bu ou qu’elle a suivi le mec chez lui avant de lui dire « Non », un Non qui veut pourtant dire Non. 

Cela peut être dans l’entourage proche ou professionnel persuadé que celle qui dénonce « exagère» parce que « franchement, Marc, de la compta, c’est un gars bien, propre sur lui, beau gosse » qui n’a aucune raison de s’en prendre à Annabelle, une « fille banale ».

On la changera peut-être de service si elle persiste dans ses dires. On éloignera une femme de son foyer si son mari s’avère vraiment violent. On cherchera à atténuer les propos, à nuancer les actes mais rarement à traiter la source du problème. Et les femmes en pâtissent, souvent dans le plus grand silence. 

« Je me suis sentie très vulnérable face à la brutalité masculine, physiquement bien sûr mais mentalement aussi quand mes agresseurs ont ri de moi... Tous les jours, mes amies et collègues subissent des réflexions, des discriminations, sont contraintes de prouver qu’elles sont capables de bien faire leur boulot, qu’elles sont légitimes à leur poste, qu’elles n’ont pas à attendre l’assentiment de quiconque (généralement un ou des mecs) pour porter une jupe courte, pour rire fort et gras, pour bouffer avec les mains des frites bien grasses, pour draguer, pour picoler, pour baiser, avorter, enfanter, pour faire la vaisselle et de la couture si elles veulent, ou pas. Bref, la violence, c’est aussi ça, que chacun de nos gestes, chacune de nos paroles, chacun de nos choix, soient dictés par le patriarcat, soit épié et condamné quand ça ne colle pas aux codes de notre bonne vieille société patriarcale. », s’insurge Morgane, bien lasse et scandalisée « d’être traitée d’hystérique dès que tu émets une idée et c’est pire quand tu gueules légitimement contre un truc. »

Elle poursuit :

« La violence c’est de vouloir faire de nous de pauvres petites choses fragiles, douces, soumises, dociles, à la cuisine, au supermarché, avec les mômes mais surtout pas dans les sphères politiques, entrepreneuriales, financières, à des hauts postes, au comptoir des cafés, etc. ça non, surtout pas et ça, c’est violent. » 

DIFFICILES À NONCER 

Depuis longtemps, les femmes dénoncent les inégalités. En attestent les luttes féministes et les avancées obtenues grâce à cela. Malgré tout, les résistances perdurent et les retours de bâton sont bel et bien présents. Les militantes sont traitées de feminazies, d’anti-hommes, de mal baisées, etc. Parce qu’elles osent mettre en évidence les conséquences d’un patriarcat trop peu remis en question et souvent jugé comme obsolète.

Rappelons-nous de ce fameux JT de France 2, présenté par un David Pujadas sûr de lui en annonçant que la fin du patriarcat datait des années 60... On a alors tendance à vouloir très vite éteindre le feu dès lors qu’une femme souffle sur les braises et réanime la flamme d’une lutte complexe puisqu’elle touche à l’ensemble d’un système social et politique, profondément sexiste, raciste, classiste et LGBTIphobe.

Difficile là-dedans de faire entendre sa voix sans que celle-ci ne soit isolée, méprisée, décrédibilisée, voire assassinée, comme tel est le cas de la brésilienne Marielle Franco, tuée en mars 2018. Elle dérangeait une partie de la classe politique. Ses opposants l’ont tuée. Alexia Daval aussi dérangeait son mari. Elle l’étouffait, il parait. Il l’a tuée. L’opinion publique est secouée.

Mais le doute subsiste pour certain-e-s qui persistent à penser qu’elle détient une partie de la responsabilité de sa propre mort. Fallait pas faire chier. Fallait pas atteindre la virilité de son homme. L’ambivalence est le meilleur allié du patriarcat qui aime semer le doute, diviser. 

Et même avec une conscience politique et engagée autour de ces sujets, il est très compliqué de prendre conscience, de nommer, de dénoncer et de ne pas culpabiliser. Manon, 25 ans, s’intéresse de près à ces thématiques.

« Ma grand-mère maternelle est une ancienne femme battue, j’ai donc toujours eu conscience de cette violence physique. Le sujet a souvent été évoqué dans les repas de famille car ma grand-mère disait que mon grand-père était un connard et ma mère répliquait qu’elle aurait dû partir plus tôt. Personnellement, j’ai été violée mais j’ai mis plusieurs années à me rendre compte que c’était un viol malgré le fait que j’avais déjà un éveil féministe à l’époque. Cela ne m’a pas empêché de subir des violences psychologiques de la part des hommes. Au quotidien, je ne sais pas si je vis des violences. J’ai la chance de ne pas subir de harcèlement. Peut-être en ligne où les hommes ont facilement tendance à m’ajouter sur Facebook ou Instagram car ils me trouvent jolie. Pour moi, qu’on puisse être attiré par moi est une violence depuis mon adolescence. C’est quelque chose que je n’ai jamais recherché, que je n’ai pas demandé mais on me le fait comprendre quand même.» 

La question du consentement apparait dans le débat comme extrêmement complexe. Parce qu’il y aurait le « Non qui veut dire Oui » et la fameuse zone grise. Celle de l’hésitation, celle des signaux brouillés, voire contradictoires. Rapidement, des explications viennent éclairer la problématique pour montrer de manière assez efficace en quoi elle est, en réalité, très simple. Déjà, Non veut dire Non. Ensuite, il suffit de poser des questions, d’écouter la personne et de la respecter dans ses choix, y compris si celle-ci change d’avis en cours de route. 

Dans sa vidéo Tea Consent, Blue Seat Studios utilise la métaphore de la tasse de thé pour démontrer la simplicité de la question : « Si vous êtes capable de comprendre qu’il est totalement ridicule d’obliger quelqu’un à boire du thé alors que cette personne n’en veut pas, et si vous êtes capable de comprendre quand les personnes ne veulent pas de thé, est-ce si difficile de comprendre ce raisonnement lorsqu’il s’agit de sexe ? Qu’il s’agisse de thé ou de sexe, le consentement, c’est primordial. » 

Pourtant, on cherche encore les preuves de consentement dans les tenues ou attitudes des femmes. Une jupe courte, un sourire, un silence sont encore, dans l’imaginaire collectif, des signaux d’encouragement, des marques de désir d’être convoitées et objetisées, jusqu’à l’agression sexuelle ou le viol.

Et quand certaines tentent d’expliquer les rouages et conséquences de la culture du viol, comme l’a fait la youtubeuse Marion Seclin à propos du harcèlement de rue, elles reçoivent insultes, menaces de viols et de mort. Plus les femmes témoignent, plus en face se multiplient les démonstrations de misogynie, de sexisme, de racisme et d’homophobie. 

NIER LA MOITIÉ DE L’HUMANITÉ

En élisant des Donald Trump, Jair Bolsonaro, en acquittant des Denis Baupin ou Georges Tron, en répudiant l’écriture inclusive, en demandant (en Andalousie, extrême droite, janvier 2019) de réduire les mesures contre la violence machiste, en considérant un string comme une preuve de consentement de la part d’une victime de viol, en proclamant – sans explication complète – qu’une femme peut jouir pendant un viol, en comparant en toute impunité les femmes à des juments et l’avortement à un homicide, en ne légalisant pas le droit à l’IVG partout et sans condition, en demandant à la première footballeuse détentrice du ballon d’or si elle sait twerker, en jugeant la tenue d’une des meilleures joueuses de tennis non correcte, en rétablissant dans les programmes scolaires les rôles genrés des femmes et des hommes, en pénalisant une joueuse de tennis sous prétexte qu’elle change son tee-shirt sur le cour... on envoie un message fort et violent : les femmes sont inférieures aux hommes. Pourquoi ? On ne sait pas mais c’est ainsi et pas autrement. 

« C’est notre quotidien à nous, les femmes, et nier ce qui préoccupe la moitié de la population est violent. Il est violent de nier le plaisir féminin, d’infantiliser les femmes enceintes ou de les réduire à des corps disponibles et utiles à l’humanité qu’on peut toucher, conseiller, ausculter. Il est violent de nier la surmédicalisation des grossesses et des accouchements qui dépossèdent les femmes de leurs corps, faire de leur utérus un bien commun. Il est brutal de faire de la fausse couche un tabou, réduisant la femme à la procréatrice, à celle qui doit forcément enfanter, devenir mère pour s’épanouir en tant que femme et qui là échoue et ne doit pas le dire ni le montrer. Ou bien considérer qu’il ne s’est rien passé, qu’il n’y a pas eu de grossesse, donc pas de souffrances. », dénonce à juste titre Morgane. 

PATRIARCAT CACA 

Le corps des femmes est en permanence jugé et fait l’objet de constantes injonctions paradoxales, réduisant sa propriétaire à un objet que l’on peut façonner à sa guise. Un objet fragile mais toujours responsable des malheurs qui lui arrivent. Les agressions sexistes et sexuelles ne sont que peu punies. Du dépôt de plainte à la condamnation, c’est le parcours de la combattante. Puissance plusieurs millions.

Car il faudra se justifier, répondre à des accusations déguisées en procédure judiciaire, tomber sur la bonne personne au commissariat, qui accepte de faire son travail et de prendre la plainte. De là, de nombreuses épreuves attendent encore la victime qui tout au long du chemin sera, souvent, mise sur le banc des accusées tandis que son agresseur ne sera, généralement, pas inquiété. 

Heureusement, une lueur d’espoir transparait. Ce qui avant se murmurait uniquement entre les femmes, et restait entre les femmes, commence à s’ébruiter et les expériences concordent. Depuis des générations, des siècles, les femmes subissent la violence de leur condition imposée, la violence physique, la violence psychologique, la violence sexuelle, la violence sexiste, les violences gynécologiques, la violence du silence.

Aujourd’hui, à travers les réseaux sociaux, les #MeToo et #BalanceTonPorc, les tumblr Paye ta shnek, Paye ta blouse, Paye ta police, Paye ton journal, Paye ta robe, etc., les femmes crient au grand jour l’horreur de leurs vécus face à un système qui les ignore, que ce soit dans un cabinet médical, au poste de police, dans les entreprises, dans la rue ou à la maison. 

Et elles vont plus loin puisque le 24 novembre plusieurs milliers de femmes ont défilé dans les rues à l’occasion de la marche contre les violences sexistes et sexuelles.

À Rennes, c’est la première fois qu’une manifestation féministe dévoile cette ampleur-là. Malgré les dissensions entre les #NousToutes et #NousAussi, ce sont les associations, les militant-e-s, les élu-e-s, les citoyen-ne-s qui foulent le pavé ensemble, réuni-e-s autour de l’image qui fera le plus réagir dans le cortège. Celle d’un petit garçon, sur les épaules de son papa, portant fièrement la pancarte : « Patriarcat caca ». 

OSER, PARLER, SE LIBÉRER 

Ce jour-là, la revendication principale est celui du droit à l’égalité, évidemment, mais surtout du droit à la liberté. Les femmes exigent, à juste titre, le respect. Le respect de leur personne en tant qu’individu. En tant qu’humain. Il faut lever les tabous autour des conditions de vie des femmes. Sortir du silence pour pouvoir se réapproprier son corps, (re)devenir sujet et non objet.

« Le silence détruit des vies quand on n’arrive pas à comprendre, à analyser ce qui nous est arrivé, ce qui nous arrive et que l’on vit avec la culpabilité. Ça donne des adultes borderline sur le plan psychologique. Pour moi, parler est la seule clé pour sortir de cette impasse. Maintenant, j’ai décidé de toujours écrire et diffuser quand je subis des violences. Pour arrêter de culpabiliser et pour déculpabiliser les personnes qui vivent la même chose. Dire et communiquer, c’est pour moi la clé de la résilience. Et ça évite d’être en colère contre soi, envers soi-même. Ça permet d’arrêter de se faire du mal pour des choses dont on n’est pas responsables. », souligne Virginie qui avoue à quel point tout cela est usant. 

Et à quel point il n’est pas toujours évident ou possible de prendre du recul, de prendre sur soi pour expliquer aux autres en quoi ils sont blessants ou violents (parce que les femmes se doivent toujours de rester calmes pour évoquer ces sujets, sous peine d’être traitées d’hystériques et donc d’être décrédibilisées) :

« En fait, c’est hyper contextuel. On ne peut pas demander à tout le monde, tout le temps, d’avoir la patience de déconstruire, d’expliquer les choses de la même manière à ton cercle proche qu’à un mec qui insiste dans un bar. C’est difficile de déconstruire. On se prend de la violence et en plus c’est à nous d’expliquer, on a le droit d’être fatiguées, de ne pas avoir envie de le faire. Malheureusement, certains ne comprennent pas ça et ne comprennent pas les explications. Perso, ça m’est arrivé d’en venir aux mains, d’utiliser la violence physique pour sauver ma peau ou celle de mes potes. Et là encore on se prend le revers de la médaille parce que c’est un moment très violent et destructeur. » 

Son conseil : après une situation de violence, prendre le temps au calme d’analyser les événements et essayer de mettre des mots et des émotions dessus. Se remettre en question sans prendre la responsabilité de ce qu’il s’est passé. Ne plus avoir peur de parler.

« Et si on n’y arrive pas seule, je conseille vraiment d’aller en thérapie. C’est extrêmement libérateur et ça permet d’avoir moins peur des autres et moins peur d’oser faire des choses. On peut aussi suivre des comptes Instagram sur le féminisme ou lire des bouquins, y en a des milliards là-dessus ! Moi, c’est vraiment Annie Ernaux qui m’a aidé à mettre des mots, à déconstruire, tellement elle est dans une description et une déconstruction totale de plein d’événements de sa vie. », conclut-elle. 

Y A DU BOULOT... POUR TOUT LE MONDE ! 

Chacun-e peut à son échelle bousculer l’ordre établi. Faire évoluer les mentalités. Comme Manon qui essaye d’aborder ce type de sujets avec sa cousine de 13 ans, pour la sensibiliser dès le plus jeune âge à l’importance de l’égalité entre les sexes. Ou Anne qui dans ses cours, majoritairement remplis de garçons, cherche à leur inculquer les valeurs de respect et de communication bienveillante.

Lutter contre les discriminations est un exercice difficile, qui demande du temps et de l’investissement : « C’est très difficile car ça appartient à l’humain et tout ce qui appartient à l’humain est lié à un individu et toute sa complexité. Ce n’est pas une machine qu’on répare ou un programme. Mais déjà la communication de base, la communication non violente, la gestion des émotions... C’est important parce que je me dis que tout ceci vient d’une colère enfouie, d’une frustration, d’un égo bien trop présent. Il faut apprendre à donner de la valeur et à se donner de la valeur. Je pense que ça passe par donner la place à chacun-e avec ce qu’il/elle est, à autoriser et s’autoriser de dire les choses et tout ça dès le plus âge. » 

Un point sur lequel Morgane la rejoint entièrement puisqu’elle milite pour une éducation non genrée, déjà auprès de ses enfants. Mais elle milite aussi de multiples façons : « En m’insurgeant contre toutes les violences quotidiennes que je vois, j’entends, je vis. En gueulant, au risque de passer pour une hystérique, une féminazie. Avec Les Héroïnes (émission diffusée un vendredi par mois sur la radio Canal b que l’on recommande vivement d’écouter – les podcasts sont sur le site, ndlr) chaque mois. En écoutant mes amies, mes relations féminines, les victimes, quel que soit ce qu’elles ont vécu (un « salope » dans la rue ou pire), en leur faisant comprendre que je suis avec elles, que je compatis. Je n’ai jamais eu à m’interposer ou à prendre la défense d’une fille, d’une femme, dans la rue, dans un espace public, ou aider, mais je sais que je le ferais. » 

Elle défend l’idée que ce ne sont pas uniquement aux petites filles d’être éduquées aux risques qu’elles
encourent en grandissant.Mais aux petits garçons également d’apprendre le consentement, le respect, l’égalité. Pour avancer, la liste est longue :

« Ouhlala, faut tout changer ! Mettre des modules spéciaux dans les études de gynécologie et les formations de flics et gendarmes, légiférer sur le congé paternité, partager la charge mentale (si les petites filles ne sont pas éduquées comme leur mère, la charge mentale n’existera plus), former correctement flics, gendarmes, gynécos, accompagner les victimes, condamner lourdement les violeurs, les agresseurs, les maris violents, virer Marlène Schiappa (secrétaire d’Etat à l’Egalité entre les femmes et les hommes, ndlr), mettre de vrais moyens sur la table, arrêter de nous traiter d’hystériques, etc. Mais aussi transparence des salaires et condamnation des entreprises qui payent moins leurs salariées que leurs salariés à diplôme et compétences égaux, application des lois déjà existantes, etc. » 

Sans oublier comme le signale Manon de s’arrêter et s’interroger sur le langage employé : « Putain, PD, etc. Cela vient d’expressions sexistes et homophobes. Reprendre les personnes quand elles emploient des termes dégradants envers les minorités. Ne pas désigner quelqu’un que par son physique. » 

LIBERTÉ, ÉGALITÉ, SORORITÉ

On peut donc chacun-e agir contre le sexisme systémique. Par le biais d’une association, d’abonnements à des newsletters féministes, les réseaux sociaux (avec bienveillance), en étant attentives/tifs aux divers comportements autour de nous, en écoutant les récits et témoignages des femmes sans systématiquement les remettre en question, en osant parler, en utilisant l’écriture inclusive, en diffusant l’idée que « Non » c’est « Non », en ne parlant pas à la place des autres, en s’indignant contre les inégalités, en ouvrant l’œil face aux publicités, en interrogeant les rôles des personnages féminins dans les séries, films, livres, etc. Il n’y a que l’embarras du choix. Encore faut-il en avoir la volonté. Mais l’espoir y est. 

Car malgré la fatigue et l’épuisement dus à la lutte, les femmes ne lâchent pas prise. Que ce soit dans la newsletter des Glorieuses ou dans le post de Paye ta shnek rédigé le 4 janvier sur Facebook, le message est clair : les retours de bâton ne nous feront pas reculer, nous aurons toujours la force et le courage d’aller de l’avant.

« Si vous avez l’impression de ne rien pouvoir faire pour changer les choses, sachez qu’être solidaire de toutes les femmes, même très différentes de vous, c’est déjà un acte de résistance immense. Soyons plus que jamais solidaires. Je ne sais plus qui disait qu’on ne peut pas gagner un match sans la moitié de l’équipe. Et bien la moitié manquante, en 2019, j’en suis sûre et certaine : elle va secouer le monde entier. », écrit PTS. Pour nos combattantes aux mille visages, une devise : Liberté, égalité, sororité.

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Violences sexistes : lutter contre le fléau au quotidien
Combattantes aux mille visages
Non à l'excision

Célian Ramis

Solidarité : le droit à la dignité !

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L'hygiène et le prendre soin, au coeur de la solidarité envers les personnes les plus démunies. Reportage au CHRS de Vitré, qui accueillait Bulles Solidaires pour un Salon bien-être.
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En France, on comptabilise 9 millions de personnes pauvres, dont 3 millions en situation de privation matérielle grave. Nombreuses sont les associations à œuvrer, difficilement en vu des faibles moyens à leur disposition, en direction des personnes les plus démunies, que ce soit en matière d’hébergement, d’alimentation ou de vêtements.

Qu’en est-il de l’hygiène ? Point souvent considéré comme relevant du détail, il est au contraire essentiel dans l’estime et la (re)construction de soi. La preuve lors du Salon bien-être solidaire, organisé par l’association Bulles Solidaires, le 25 novembre dernier au Centre d’hébergement et de réinsertion sociale de Vitré.  

Pour lutter contre l’exclusion et la grande précarité, le ministère des Solidarités brigue plusieurs axes de travail : l’égalité des chances dès le plus jeune âge, la garantie des droits fondamentaux des enfants, la garantie d’un parcours de formation pour tous les jeunes, une orientation vers des droits sociaux plus accessibles, plus équitables et plus incitatifs à l’activité et l’investissement pour l’accompagnement de tous vers l’emploi. En attendant la mise en place concrète des 5 engagements de la stratégie pauvreté, hors langue de bois, blabla gouvernemental et promesses inatteignables concernant les leviers d’action, il faut agir. Sur le terrain. 

Aux Tertres Noirs, les couloirs en pierre de l’ancien monastère de Vitré sont investis par les stands de distribution de vêtements, de produits d’hygiène et cosmétiques ou encore de collation. Les cris vainqueurs des enfants s’égosillant au baby foot résonnent joyeusement dans l’établissement et animent la foule qui attend patiemment devant la porte vitrée du salon éphémère de coiffure, installé pour l’occasion.

Cette occasion, c’est l’événement organisé l’après-midi du dimanche 25 novembre par l’association Bulles Solidaires, au Centre d’Hébergement et de Réinsertion Sociale (CHRS) : le Salon solidaire Bien-être, réunissant des professionnelles de la coiffure, de l’esthétique et du massage - venues ce jour-là bénévolement – et des membres de l’association renno-vitréenne.

Un exemple concret de solidarité démontrant l’importance du prendre soin dans les parcours des personnes en grande précarité. Souvent, on pense l’hygiène comme secondaire dans la vie et les besoins des individus les plus démunis. À tort.

Son importance est reconnue dans la construction de sa propre image et donc l’estime de soi et la confiance, essentielles pour se sentir bien, ou au moins mieux, dans son corps mais aussi pour pouvoir effectuer des démarches nécessaires au retour à l’emploi et à l’autonomie. 

COMBLER LE MANQUE

Le recours à la socio-esthétique n’est pas rare en milieu hospitalier ou dans les maisons de retraite. Dans des situations de perturbation de l’estime de soi, d’isolement social, de fatigue physique et/ou morale, les soins d’hygiène et de beauté participent à retrouver une certaine image de soi et peut également aider à renouer un contact social.

Parce qu’ils constituent un instant privilégié dans l’écoute et l’attention mais aussi dans le rapport au corps et aux conséquences des vécus, que ce soit après ou pendant le traitement d’un cancer, dans le constat des effets du vieillissement, dans la reconstruction personnelle après avoir subi des violences ou encore dans une période de grandes difficultés financières et matérielles.

Dans le cas de la lutte contre l’exclusion et la pauvreté et dans l’accompagnement des personnes défavorisées, la priorité est mise sur l’alimentation, les vêtements et l’hébergement. L’hygiène faisant plutôt l’objet d’actions ponctuelles.

« Il y a plein d’assos dans ce secteur. Peu sont spécifiques à l’hygiène. On a appelé les structures parisiennes et rennaises pour leur demander ce qu’elles pensaient du projet et elles nous ont dit de foncer ! Parce qu’il y a une forte demande. », nous expliquait Laure-Anna Galeandro-Diamant, en mars dernier.

Bulles Solidaires, l’association qu’elle a fondée et qu’elle préside depuis septembre 2017, a pour vocation de collecter des échantillons et produits d’hygiène corporelle – non entamés, non périmés – via le bouche à oreille, le démarchage de pharmacies, les instituts de beauté et hôtels, les boites de collecte et les actions devant les supermarchés. « Au début, on s’est dit qu’on allait compter mais on a vite été dépassé-e-s. On a commencé à peser à partir de septembre 2018. On avait 198 kilos de produits collectés. », souligne Laure-Anna.

En octobre, le chiffre monte en flèche. Près de 680 kilos récoltés en six collectes. « C’est trop trop bien ! », s’enthousiasme Anaëlle Giraurdeau, 20 ans. En étude pour devenir éducatrice spécialisée à l’école Askoria de Rennes, elle a effectué un stage de plusieurs mois dans l’association dont la présidente effectue la même formation :

« On a fait pas mal de missions différentes. La récolte de produits dans des magasins comme Biocoop ou Avril ou devant les supermarchés, la promo de l’association au festival Tam Tam, le tri et la préparation des colis pour le Secours populaire, le foyer Saint Benoit Labre de Rennes, les structures comme Le Puzzle, Leperdit, etc. On a trié les produits selon les besoins. On a tout un tableau avec le public de chaque établissement et le nombre de personnes. Ça aide à cibler au mieux les besoins.

Si par exemple, c’est une structure dans laquelle il y a beaucoup d’hommes, on va mettre davantage de rasoirs, de mousse à raser, etc. Si c’est une structure qui accueille plutôt les familles, on va mettre des couches, des biberons, etc. Pour les femmes, plutôt des tampons ou des serviettes. Pendant les collectes, on en parlait pas mal avec les gens en les sensibilisant : vous êtes une femme, vivant dans la rue, vous n’avez pas de tampons ou de serviettes, vous faites comment ? »

DROIT À LA DIGNITÉ

Autre volet de l’association : la distribution. À travers les maraudes ou les salons. En 2017, un salon de coiffure éphémère et solidaire a eu lieu sur la place de la République à Rennes, auquel Bulles Solidaires a participé avant d’organiser son propre événement au CHRS de Vitré en avril puis en novembre.

« Je suis aussi en formation d’éducatrice spécialisée, j’aurais pu être allégée du stage car j’avais déjà une expérience dans le social mais auprès d’un autre public. En découvrant l’association, il m’est apparu essentiel de s’intéresser au côté hygiène. J’ai donc voulu faire mon stage ici. J’attendais vraiment les maraudes. C’est à nous d’aller vers eux, de sortir de notre cadre. Dans la rue, on passe devant les gens sans les regarder, sans leur parler. J’avais envie de rencontrer ce public qu’on marginalise beaucoup trop. Parfois en collecte devant les supermarchés, les gens étaient surpris qu’on récolte des produits d’hygiène et plusieurs produits d’hygiène. On a eu le droit à « Les gens dans la rue veulent choisir ? » ou « Du déodorant ? Pour mettre du propre sur du sale ? ». Ce sont des gens comme tout le monde qui ont le droit d’avoir une estime correcte d’eux-mêmes. », précise Manon Le Pennec, 19 ans. 

Le Salon solidaire Bien-être se veut convivial, dédié au prendre soin des résident-e-s du lieu mais aussi aux bénéficiaires des Restos du cœur, de l’Epicerie solidaire, du réseau partenarial de l’AIS 35 (Association pour l’Insertion Sociale). Et c’est un succès. Malgré l’annulation de certaines professionnelles survenue à la dernière minute, le public lui est au rendez-vous et déambule entre les différents stands et les différentes salles.

Entre la pose de vernis et la coupe de cheveux, les produits sont à disposition des participant-e-s. Maquillage, dentifrice, gel douche, shampooing, crème hydratante pour le visage, les mains et le corps, tampons, démaquillant, masques pour le visage, cotons, tétines, soins pour le change des bébés, les un-e-s et les autres passent devant, observent, demandent l’autorisation et prennent ce dont ils et elles ont besoin et envie. Pareil avec les habits ou les jeux.

« On a connu l’association grâce à un article dans le journal. On a rencontré Laure-Anna et le premier salon s’est très très bien passé. Certains ont dit que ça permettait de reprendre confiance. Ils changent de regard sur eux mais le regard des autres sur eux change aussi ! Ça fait beaucoup ! », confie Manuella Martineau, animatrice au CHRS de Vitré.

La cheffe de service, Guillemette Rebours, confirme : « Tout le travail ici consiste à accompagner les personnes d’un point de vue global. La confiance en soi et l’estime de soi ne sont pas des sujets faciles à aborder. Venir prendre soin de soi, pour eux qui n’ont pas une bonne image d’eux-mêmes, n’est pas facile. Sur le premier salon, il y a eu de très bons retours parce que les personnes se sont senties choyées. C’est pourquoi on le refait. Et c’est une action qui ne s’arrête pas à aujourd’hui. Ensuite, à nous ici de faire en sorte que la personne garde cette image-là. »

La structure dispose de 33 places, attribuées par une commission, en chambres individuelles ou en studios, ces derniers étant majoritairement attribués à des femmes seules ou avec enfants. Aussi, 15 places supplémentaires sont prévues pour l’hébergement d’urgence.

« Dans ce cas, il s’agit d’une mise à l’abri, qui va de trois jours à une semaine, selon les besoins. Sinon, au CHRS,les personnes peuvent y accéder pendant 6 mois, ce qui laisse le temps de se poser. La durée est renouvelable. Elles sont là parce qu’à un moment donné de leurs parcours, elles ont besoin d’être accompagnées dans leurs démarches et/ou hébergées. Parce que selon où elles en sont, avoir un logement autonome est encore compliqué. Ici, nous proposons des ateliers d’adaptation à la vie active avec des moniteurs d’activité. Ça peut être du maraichage, le travail du bois, le chauffage, la cuisine, l’entretien des locaux. Ce sont des ateliers, pas un travail, mais qui permettent de retrouver un rythme de vie. », explique-t-elle. 

L’ÉMOTION DU TEMPS DONNÉ ET PARTAGÉ

L’organisation d’un événement plaçant au centre de celui-ci leur bien-être est accueillie avec beaucoup d’émotions. C’est ce dont témoignent Zara, 49 ans, et Dominique, 58 ans. « C’est un bon geste. Une bonne initiative pour les gens qui n’ont pas le temps et les moyens de prendre soin d’eux. », dit la première, rejointe par son amie :

« Ça apporte du réconfort, du partage. Ça fait plaisir, c’est du temps qu’on nous donne gratuitement, un dimanche, et c’est un très bon moment. Je suis allée au salon de coiffure faire un rafraichissement. J’ai pu discuter avec la coiffeuse. Au maquillage et au vernis, pareil, j’ai échangé avec la personne et j’ai reçu des conseils par rapport à mes besoins. »

Elles le confient sans difficulté, elles se sentent parfois abandonnées. Et se délaissent. Pendant un temps, Dominique ne portait que des habits noirs : « Ma fille m’a boostée, j’ai ressorti les couleurs, me suis reprise en main. Je suis ici depuis un an. On a envie de montrer une belle image de nous. Ce renouveau, ça redonne confiance en nous. On se dit qu’on peut être comme avant, ne pas se négliger et rester dans le contexte ! » Zara approuve. Et ajoute en souriant :

« C’est l’occasion de se « coquiner » ! D’être désirable pour soi-même, c’est important ! On prend soin de nous. Les personnes donnent de leur temps pour nous, l’échange est bien passé et c’est un bel accueil qui donne envie de revenir ! On a envie de remercier tout le monde, l’association, les bénévoles, les professionnelles, le CHRS, tout ça c’est grâce à eux ! »

À côté d’elles, Alexandra, originaire d’Arménie, le visage radieux, écoute attentivement et discrètement. Elle s’apprête à se faire masser, des étoiles dans les yeux en entendant le commentaire de la personne précédente, fraichement sortie de la salle : « C’est la première fois qu’on me fait un massage. Elles ont des mains de fée, c’est génial ! »

Un ressenti qu’Alexandra partagera quelques dizaines de minutes plus tard : « Ça fait du bien ! Je sais que j’ai mal parce que je suis vieille mais ça fait du bien ! » Elle poursuit en rigolant :

« Je n’ai pas besoin de me faire coiffer, d’avoir du maquillage ou des ongles… Mais l’épaule, oui, j’ai mal. C’est important ça. »  

PRENDRE SOIN DES PETITES ACTIONS

Dans les couloirs, grouillent les échanges autour de ce que chacun-e vient de vivre et les conseils aux un-e-s et aux autres entre les « Ça te va super bien ! », « Moi je suis pas très maquillage, par contre le soin des mains, j’ai adoré », « Tu n’es pas allée te faire coiffer ? Tu devrais y aller, y a plus trop de monde » ou encore les « T’as testé le massage ? C’est top ! », « Wah ça te va très bien ce vernis, pour le maquillage, je suis d’accord mais léger, hein ?! », « Vous avez des préservatifs ou du gel pour les cheveux ? ».

Dans les salles, règne l’harmonie de l’ambiance intimiste et paisible instaurée à cet effet. Hommes et femmes déambulent d’une pièce à l’autre, poussé-e-s par la curiosité et l’envie de profiter de ces instants suspendus de soin et de cocooning.

« En maraude, les gens sont assez surpris mais sont heureux qu’on leur propose des produits d’hygiène, ils n’ont pas l’habitude. Au début, ils disent souvent non puis ils reviennent nous voir. Qu’on prenne soin des personnes qui sont ici, c’est une pause pour elles. Elles se font chouchouter. Les personnes en situation de grande précarité, c’est un sujet tabou. Moi, je n’ai jamais été confrontée à ça et ça me plait d’abattre les barrières, de pouvoir être en contact avec elles. La distribution, c’est l’opportunité d’un vrai contact humain. Ce sont des personnes humaines, comme vous et moi malgré les difficultés. Les petites actions sont vraiment utiles. C’est important de faire ces petites actions. », commente Anaëlle Giraurdeau. 

PARTAGE DE L’INTIME

Du don de produits d’hygiène et de beauté à la capacité d’écoute, tout le monde peut agir par solidarité. Selon son temps et ses moyens. Ou même ses compétences.

« Ça les a marqué-e-s et ça leur a fait plaisir qu’on vienne bénévolement. Et nous, ça nous fait plaisir de les voir content-e-s, de les aider. Ça donne un coup de boost à tout le monde ! »
précise Marine Simon, 20 ans, coiffeuse en apprentissage, venue avec sa responsable et une collègue.

D’autres professionnelles ont annulé à la dernière minute. Malgré cela, près de cinquante personnes - enfants, femmes et hommes - ont pu bénéficier du salon de coiffure solidaire. Un terme qui prend d’autant de sens lorsque c’est une participante qui prend au pied levé le remplacement d’une des coiffeuses attendues à l’événement.

« Je venais aujourd’hui pour me faire coiffer pour un entretien demain. J’ai filé un coup de main aujourd’hui mais je me suis fait coiffer quand même ! J’ai participé au prendre soin et on a pris soin de moi. C’est un échange de bons procédés ! », s’enthousiasme Cécile Justal, 48 ans.

Les sourires illuminent les visages, les mercis pleuvent, dans la formulation comme dans le regard. C’est un après-midi sous le signe de la solidarité et de la bienveillance, de l’écoute et du partage de l’intime. Un après-midi bien-être durant lequel personne n’est exclu, malgré l’idée reçue que l’on pourrait avoir visant à penser que les hommes se tiendraient à l’écart.

« Ça c’est super bien ! Je le dis aux bénévoles au début : les parfums et les crèmes hydratantes ne doivent pas être distribués qu’aux femmes. Les hommes sont tout aussi coquets et apprécient ces moments où l’on s’occupe d’eux. Tout le monde en a besoin, de se faire bichonner… On arrête de penser aux tracas. », livre Laure-Anna Galeandro-Diamant, dressant un premier bilan à chaud, vers 17h, lorsque tout le monde remballe. 

L’EFFET DOMINO

Visages, mains, cheveux, ongles, épaules et dos ont été choyés, massés, crémés, vernis, selon les besoins et les envies. Tout le monde n’a pas toujours osé pousser la porte de chaque salle, mais la possibilité a été offerte. De participer à une activité, de se restaurer, de prendre des produits ou des vêtements, de profiter des soins corporels, de recevoir des conseils. D’être écouté-e-s, considéré-e-s.

« Il s’est passé plein de choses. En terme d’échange, ça a été très riche. Une femme m’a dit qu’elle était battue, surendettée… Juste le fait d’être là, avec elle, a fait qu’elle m’a confié ça. », souligne la présidente de Bulles Solidaires, légèrement étourdie par le poids de la journée – et des semaines précédant la concrétisation de l’événement – et le flot d’informations et d’émotions circulant encore dans l’ancien monastère. 

Quelques heures auparavant, elle se réjouissait de l’aide spontanée qu’avaient proposé deux participants au Salon pour ranger le lieu, au fur et à mesure.

« J’adore, c’est super chouette ! C’est un autre volet de l’association : le peu que je fais permet aux gens de voir à quel point ça leur plait de s’investir. Les stagiaires se sont éclaté-e-s, les bénévoles aussi, les intervenant-e-s aussi. On peut tou-te-s le faire. Il suffit d’insuffler cette motivation, cette envie et de prendre exemple. Mes parents m’ont donné l’envie de m’engager très tôt mais n’importe qui peut le faire ! C’est une question de temps. Avant, je n’avais jamais monté d’association, d’événement comme celui-là… Tout le monde peut le faire ! », conclut Laure-Anna, 24 ans, optimiste solidaire convaincue de « l’effet domino dans le sens positif ! »

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L'instant suspendu du prendre soin
Une solidarité au service du bien-être
Tou-te-s concerné-e-s !

Célian Ramis

Urgence écologique : se reconnecter à la Nature

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L'urgence écologique résonne de toute part. À l'heure où les lobbys agissent sans retenue pour l'utilisation des pesticides, les citoyen-ne-s affirment leur mécontentement et leur volonté d'un avenir plus sain. Avec des abeilles et des coquelicots !
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Les articles se multiplient, les appels à la mobilisation et la prise de conscience retentissent aux quatre coins du monde, les initiatives citoyennes et militantes fleurissent, les événements de sensibilisation et d’information s’enchainent. De partout, on entend l’alarme de l’urgence écologique.

Excepté peut-être pour les député-e-s s’accrochant au glyphosate, qui eux/elles n’entendent que le doux son des cloches du pouvoir et des lobbys agricoles, industriels et pharmaceutiques… Une puissance qui a, en quelques décennies, exercé des pressions incroyablement dangereuses et ravageuses, menaçant la planète entière, faune, flore, terre, air, mer et humain-e-s inclus-es.

Aujourd’hui, si la catastrophe écologique semble inévitable, il ne faut pour autant pas renoncer à la sauvegarde de l’environnement qui passe par le respect et la transmission des savoirs autour de cette Nature.

Pas besoin de prendre la voiture des dizaines de kilomètres durant pour profiter d’un bout de nature. Elle est partout autour de nous. On l’écrabouille, on l’use, on en abuse, on la maltraite. Dès lors que l’humain stoppe son intervention, elle reprend ses droits. Il n’y a qu’à se rendre place Sainte Anne pour le constater : après quelques mois d’inactivité du côté des marches de l’église, c’est un vrai champ de verdure qui pousse à son aise, loin de la main humaine obnubilée par « les mauvaises herbes ». Par manque d’esthétique devant les maisons, par les nuisances qu’elles pourraient provoquer, par ignorance de leurs vertus gastronomiques ou médicinales. Un savoir, auparavant détenu par les femmes que l’on désignait comme sorcières, qu’il est bon de réintroduire pour voir fleurir des éco-systèmes - essentiels à la sauvegarde de la planète - qui disparaissent rapidement et brutalement.  

Il suffit de se laisser conter des histoires (grinçantes) de vieilles femmes avides de jeunesse, de cordonnier désespéré de trouver l’amour et de consommation raisonnable pour s’apercevoir que la nature est omniprésente autour de nous. Pas après pas.

Samedi 15 septembre, à l’occasion de la 4eédition de la fête de la biodiversité cultivée - Du champ à l’assiette, Najoua Darwiche nous baladent de ces récits imaginaires de l’éco-centre de la Taupinais au cœur du quartier Cleunay, en passant par la micro-ferme Perma G’Rennes et la passerelle surplombant la rocade.

Hors des sentiers de la Prévalaye et du parc de la Guérinais, la conteuse choisit de nous faire voyager à chaque arrêt. Un bord de route laissé en friche, un espace boisé, un coin de pelouse, un terrain de maraichage… À l’image du reste de Rennes, la partie Sud Ouest de la capitale bretonne, à quelques pas du centre ville, regorge de verdure, d’arbres fruitiers, de plantes et fleurs comestibles et/ou médicinales. C’est ce que nous invite à découvrir ce même après-midi, Mikaël Hardy, permaculteur fondateur de Perma G’Rennes :

« Les plantes sont riches. L’Homme a toujours pratiqué la nature, pour la santé, la maison, l’alimentation. Depuis les années 1970-1980 et l’arrivée des grandes surfaces, on a oublié notre instinct de glaneurs. Il ne faut pas oublier notre passé de chasseurs-cueilleurs. » 

Au fil d’une balade « Plantes usuelles et comestibles », la Prévalaye dévoile son haut potentiel - souvent ignoré des habitant-e-s – regroupant un certain nombre d’espèces issues de la famille botanique des rosacées. Mais pas seulement.

Sur quelques mètres, le guide signale la présence de pissenlits, utiles pour nettoyer le corps des toxines, de viorne obier, dont le bois robuste peut servir à fabriquer des flûtes ou des armatures de paniers, de ronces, avec lesquelles on peut - après avoir enlevé les épines – faire de la ficelle (et même des menottes, à une époque), de châtaigniers, dont la liqueur est bonne pour la gorge, de cornouillers mâles, dont le bois sert à fabriquer des manches de marteaux, d’aubépine épineuse, dont le fruit comestible a un effet bénéfique sur le sommeil, ou encore d’ortie, plante qui stimule les défenses immunitaires. 

REDORER LE BLASON DES HERBORISTES

Le 26 septembre dernier, le sénateur écologiste du Morbihan, Joël Labbé, a rendu public les recommandations de la mission d’information du Sénat sur le développement de l’herboristerie et des plantes médicinales.

Car depuis 1941, année au cours de laquelle le régime de Vichy a supprimé le certificat d’État d’herboristerie, « les herboristes ne peuvent plus officiellement se revendiquer comme tel » et « ne peuvent vendre qu’un nombre restreint de plantes, l’essentiel des plantes médicinales appartenant au monopole pharmaceutique.(…) pour un herboriste, dire qu’une tisane de thym est bonne contre le rhume le place hors la loi.», indique la pétition « Réhabilitons les métiers de l’herboristerie », qui précise qu’il y a « pourtant une demande et une place pour la vente de plantes médicinales hors pharmacie, pour les petits maux du quotidien et le maintien en forme. »

Hormis quelques remèdes de grand-mère qui nous restent en mémoire, nous avons perdu au fil des années et des siècles les connaissances que détenaient nos ancêtres sorcières, brûlées, entre autre, pour ce savoir. Aujourd’hui, la gelée royale est une gélule à prendre dès l’entrée dans l’hiver, la propolis, un spray pour la gorge et la phytothérapie consiste à prendre un cachet d’Euphytose avant d’aller au lit.

Produits de la ruche ou extraits de plantes, nous ne les connaissons guère sous leurs formes originelles et naturelles. Surtout, on ne sait plus, de manière générale, composer avec et selon la nature. On veut consommer ce que l’on veut quand on le veut, peu importe la saison et la provenance. Triste constat alors que les plantes sauvages, comestibles, usuelles et/ou médicinales fleurissent partout autour de nous. En ville, on les arrache. À la campagne, on les détruit à coups de pesticides.  

SE RECONNECTER À LA NATURE

Au cœur de la Prévalaye, ancienne zone de maraichage jusque dans les années 80, Mikaël Hardy a aménagé son terrain d’un demi hectare, « soit la moitié d’un stade de foot », en septembre 2016. Auparavant, il a travaillé 15 ans dans l’étude et la protection de la biodiversité :

« Mon rôle, c’était de dire aux autres quoi faire... Personne ne l’appliquait. Maintenant, je montre qu’il n’y a pas de frein. On peut optimiser la surface, valoriser l’espace et protéger l’environnement. Ce qui est plus difficile, c’est de connecter de la rentabilité économique à tout ça mais ça se fait. »

Lors de la fête Du champ à l’assiette, il conduit un groupe d’intéressé-e-s à sa ferme urbaine en les faisant entrer par un petit chemin sauvage et naturel, bordant la mare. « Je vous demande d’y passer en silence, pour peut-être entendre les grenouilles, écouter les oiseaux… Pour se reconnecter à la Nature. », précise-t-il.

Cette phrase revient souvent, joyeusement et passionnément au cours de sa visite. Se reconnecter à la Nature, faire avec la Nature, aménager autant que possible des éco-systèmes, créer et faire avec la biodiversité, comprendre comment tout cela fonctionne, valoriser les mauvaises herbes…

« En décembre 2016, j’ai fait mon premier marché mais je n’avais encore rien récolté puisque je venais d’arriver. J’ai fait de la cueillette sauvage dans la zone de la Prévalaye, que j’ai transformé en confitures pour avoir de l’argent pour ensuite pouvoir produire. L’argent de la première saison m’a permis d’aménager le site. En général, les premiers légumes arrivent en juin. Avant, je vends des mauvaises herbes. », explique Mikaël.

Parti d’une friche, il a pensé le design – issu d’un processus de diagnostic écologique - et a travaillé avec le potentiel du sol, riche en vie (graines, vers de terre, etc.), alimenté par l’implantation de seigle, la mise en place de paillage, etc., et les capacités du terrain pour y accueillir plusieurs espèces interagissant ensemble, dans un temps donné et un climat donné :

« Les microclimats donnent naissance à la végétation. On cherche à créer des lisières, là où deux écosystèmes vont s’embrasser, là où deux éco-systèmes vont se rencontrer. On peut créer des jardins avec différents microclimats. »

Toute l’année, il ouvre sa ferme au grand public le samedi après-midi et donne également des cours de permaculture. Des cours d’écologie, en somme, avec un état d’esprit visant 3 grands principes : prendre soin de l’humain, prendre soin de la planète, répartir les richesses équitablement.

« Il ne s’agit pas simplement d’aménager son terrain en permaculture mais de voir sa vie en permaculture. Consommer juste ce dont on a besoin. Partager. Faire des concessions (pas d’électricité sur le terrain, pas d’engins à moteur...). Ne pas arroser, ne pas désherber. », détaille-t-il, avant de conclure sur une phrase qui vient percuter notre cerveau de plein fouet : « Il faut réapprendre aux plantes à parler. Les plantes parlent. » À nous, donc, de les écouter. 

DES COQUELICOTS, ENCORE ET TOUJOURS

Et donc de les préserver. Une tâche bien difficile par les temps qui courent… Malgré le vote des députés, qui ont renouvelé dans la nuit du 14 au 15 septembre dernier leur volonté de ne pas inscrire l’interdiction du glyphosate dans la loi, des initiatives citoyennes et militantes existent, perdurent et naissent, à l’instar au niveau local des Amis de la Prévalaye, d’Incroyables comestibles, de la Nature en ville, de Perma G’Rennes, du Jardin des Mille Pas, de la Clé du champ, de la Fête des possibles, du Scarabio festival, de la fête Du champ à l’assiette, etc.

Au niveau national, ce qui agite et anime actuellement le débat et les consciences pour un avenir plus engagé en faveur de la nature et moins en faveur de celle des lobbys, c’est l’appel des 100 pour l’interdiction de tous les pesticides de synthèse. Un appel que nous relayons ici dans son intégralité :

« Les pesticides sont des poisons qui détruisent tout ce qui est vivant. Ils sont dans l’eau de pluie, dans la rosée du matin, dans le nectar des fleurs et l’estomac des abeilles, dans le cordon ombilical des nouveau-nés, dans le nid des oiseaux, dans le lait des mères, dans les pommes et les cerises. Les pesticides sont une tragédie pour la santé. Ils provoquent des cancers, des maladies de Parkinson, des troubles psychomoteurs chez les enfants, des infertilités, des malformations à la naissance. L’exposition aux pesticides est sous-estimée par un système devenu fou, qui a choisi la fuite en avant. Quand un pesticide est interdit, dix autres prennent sa place. Il y en a des milliers. 

Nous ne reconnaissons plus notre pays. La nature y est défigurée. Le tiers des oiseaux y ont disparu en quinze ans ; la moitié des papillons en vingt ans ; les abeilles et les pollinisateurs meurent par milliards ; les grenouilles et les sauterelles semblent évanouies ; les fleurs sauvages deviennent rares. Ce monde qui s’efface est le nôtre et chaque couleur qui succombe, chaque lumière qui s’éteint est une douleur définitive. Rendez-nous nos coquelicots ! Rendez-nous la beauté du monde ! 
Non, nous ne voulons plus. À aucun prix. Nous exigeons protection. 

Nous exigeons de nos gouvernants l’interdiction de tous les pesticides de synthèse en France. Assez de discours, des actes. »

IMPACT COLOSSAL SUR LA SANTÉ

Ces derniers mois – ou plus exactement ces dernières années mais les discours ne sont entendus et relayés que depuis peu - nous assistons à une déferlante de sonneries d’alarme. Elles retentissent, les sirènes de l’urgence écologique. Parce que les pesticides font des ravages colossaux.

Sur la nature, avec par exemple une gestion catastrophique des forêts en France, comme le montre François-Xavier Drouet dans son film Le temps des forêts, sorti au cinéma le 12 septembre. Calqué sur l’agriculture productiviste intensive, le réalisateur explique dans une interview à l’Obsles conséquences de ce modèle : 

« Dans les forêts où on ne trouve qu’un seul type d’arbre, il n’y a pas ou peu de biodiversité. Mon film s’ouvre sur une scène tournée dans une forêt du Limousin. On y voit des rangées d’arbres uniformes. Il règne dans cette forêt un profond silence, il n’y a aucun bruit d’oiseaux. Pourquoi ? Tout simplement parce qu’ils n’ont pas de quoi se nourrir ou construire leur nid. Ces plantations en monoculture sont des plus en plus privilégiées alors qu’elles appauvrissent considérablement les sols et la biodiversité. » 

Les forêts sont pourtant nourricières et peuvent servir d’inspiration pour le développement de « synergies entre les différents règnes minéral, fongique, végétal, animal et humain », comme l’indique le centre de recherche en permaculture, la Forêt Nourricière, association créée en 2011 autour des recherches de Franck Nathié et qui accompagne des projets d’éco-villages ou d’installations permacoles professionnelles ou familiales vers leur autonomie alimentaire, énergétique et organisationnelle.

Ce sont aussi des impacts conséquents sur la santé. À cause des perturbateurs endocriniens et autres saletés composant les produits nocifs et toxiques répandus très largement dans la nature, les sols, les eaux et l’air. On les ingère à travers l’alimentation, on les respire au quotidien, on se les étale sur la peau, on tapisse les fesses des bébés avec et on les introduit dans les vagins des femmes… 

Quoi de mieux pour le développement des maladies telles que Parkinson, dont le lien avec les pesticides a été reconnu – le 7 mai dernier, un décret est entré en vigueur reconnaissant cette maladie neurodégénérative comme maladie professionnelle pour les agriculteurs – ou autres pathologies bien lourdes, comme le diabète ou l’endométriose (dont la causalité environnementale n’est toujours pas reconnue officiellement mais fortement suspectée) ? 

On avance, lentement, vers la prise de conscience, tout en continuant d’agir comme si de rien n’était. On se goinfre de toutes les richesses que peut nous offrir la planète, sans jamais se soucier de son avenir. Par confort. C’est ce que montre le (très chouette) court-métrage animé Thermostat 6, diffusé par le médiaUsbek et Ricaet réalisé pour leur projet de fin d’études à l’école des Gobelins par Maya Av-ron, Marion Coudert, Mylène Cominotti et Sixtine Dano. 

SAUVER NOTRE PATRIMOINE VÉGÉTAL

L’appel des 100 dépasse désormais le cadre formel d’une pétition. Il devient une mobilisation citoyenne dans toute la France. Chaque mois, un rassemblement sera organisé pour défendre nos droits d’évoluer sur une planète sans pesticides, à compter du 5 octobre (puis le 2 novembre, le 7 décembre et le 4 janvier). À Rennes, le rendez-vous est donné – pour chaque date – place de la Mairie, dès 18h. Pour affirmer à l’unisson que nous voulons des coquelicots, du cœur de la ville jusqu’aux champs les plus isolés. 

« Les coquelicots sont des bio-indicateurs. Quand on ne les voit plus, ça veut dire qu’ils sont impactés. Faut se poser des questions… » Dimanche 16 septembre, une quinzaine de personne est réunie, à l’occasion de la Fête des possibles, dans la pépinière spécialité dans la production de plantes sauvages locales de Floridée’o, située à Bruz.

Thao Ngo, éco-conceptrice, en est la fondatrice.  À 52 ans, son « trip », sa motivation « pour se lever et savoir pourquoi on se lève », c’est de « partir à la sauvegarde de l’environnement, parce qu’il y a une disparition énorme de la flore locale. » L’idée : « lister les espèces menacées et partir à la recherche de la graine pour relancer la production. Si on ne les sauve pas, toutes les fleurs du massif armoricain vont disparaître. Il y a malheureusement dans l’imaginaire collectif une connotation péjorative quand on pense aux plantes sauvages. On pense à « sales ». Mais tout a un rôle. »

Sur son terrain, elle met en culture une grande diversité de végétaux, disponibles ensuite sous forme de plants et de semences. Tous les prélèvements de semences sont réalisés par l’équipe afin de garantir l’origine locale des plantes.

« On étudie les différents éco-systèmes, les biotopes, comment recréer les milieux des plantes sauvages. Ça devient très très demandé. Au début de notre projet, personne ne voulait y croire. Mais on oublie que ces plantes ont toujours été présentes. Mais l’évolution, l’urbanisme,… font qu’elles disparaissent. On peut tous et toutes en mettre 2 ou 3 dans nos jardins pour sauvegarder l’environnement. », présente Thao.

Une partie de son activité consiste également à étudier et rechercher les plantes locales phytoépuratrices et phyto-rémédiation que Floridée’o cultive dans des bassins extérieurs. :

« Selon les problèmes, on fait des études pour trouver les plantes adaptées. Ça peut être des cours d’eau contaminés à cause des nitrates des agriculteurs par exemple, on met certains types de plantes. »

Dans son discours, on ressent évidemment les principes de permaculture. Ne pas retourner le sol mais le faire vivre. Associer les cultures. Arroser le moins possible. Laisser agir le monde microbien. Amener les espèces en dormance à s’épanouir comme elles l’entendent. Puis, aller sensibiliser les gens.

« Pour notre patrimoine végétal ! Faut avoir de la salive pour tout ça, je peux vous le dire ! Je vais dans des écoles, j’interviens avec les détenues de la prison des femmes, je travaille avec les collectivités, les entreprises (Yves Rocher, EDF,…), les agriculteurs (on peut utiliser les plantes pour faire du compost et amender les terrains au lieu d’utiliser des engrais chimiques, notamment en cas de problème de phosphore), les apiculteurs. Il faut former les responsables des services verts des municipalités, les élu-e-s. T’en convainc un et puis hop, les élections arrivent et il faut tout recommencer ! Parce que l’obstacle, c’est en partie les élu-e-s, ce sont eux/elles qui signent… », avoue-t-elle sans langue de bois et sans frilosité aucune même si c’est Floridée’o qui a bâti les ilots de plantes sauvages flottant désormais sur les bords de la Vilaine (à voir depuis la passerelle Saint Germain). 

UNE AUTRE VIE DANS LA VILLE

Ce jour-là, les discussions sont passionnées. Pascal Branchu, apiculteur et membre de La Nature en ville, prône, tout comme Thao Ngo, l’acceptation de la végétation en milieu urbain. Que ce soit devant les maisons, les bâtiments municipaux, etc., il faut perdre l’habitude d’arracher toutes les mauvaises herbes. Car elles participent à dépolluer l’air, à créer de la vie.

« La question est de voir comment on peut délaisser le minéral pour le végétal, petit à petit. Le minéral assèche l’air, créer des problèmes de santé, des allergies. On a besoin du végétal et de l’humidité dans l’air. », explique-t-il.

L’association citoyenne œuvre, grâce aux multiples participations bénévoles, à la création d’actions en faveur de la biodiversité, pour réussir à atteindre l’objectif d’une ville vivrière.

« On programme tous les dimanches des films au Cinéville de Rennes et pendant le débat qui suit la projection, on cherche aussi à recruter des bénévoles pour nous aider. On a eu plus de 600 volontaires pour planter des arbres fruitiers. On fait ça avec les écoles aussi. Sur les espaces publics. À la Poterie, dans la coulée verte, dans la zone sud de la gare, on peut planter des poiriers, du houblon, des vignes… Y en a plein des endroits comme ça dans Rennes ! On met de la nourriture dans la ville. On peut chacun-e faire sa part de colibri, c’est très bien, mais ensemble, c’est encore mieux ! Ça crée de la solidarité, du lien social, de jardiner dans les parcelles d’Incroyables comestibles ! », s’enthousiasme Pascal. 

AU SERVICE DE L’HUMAIN

C’est bien connu, la Nature a des vertus thérapeutiques pour l’humain. D’où l’aménagement de jardins partagés, de jardins de soins ou de végétation luxuriante dans les maisons de retraite, les structures accueillant des personnes en situation de handicap ou encore dans les maternités.

Sur la pépinière de Floridée’o, on trouve de tout. Des tomates poussent au milieu des fleurs de tabac, de l’origan, de la guimauve ou encore de l’onagre. Cette « primevère du soir », comme on l’appelle, est utilisée pour la prévention du cancer du sein, nous prévient Thao qui s’est beaucoup servie des plantes lorsque le sien est survenu :

« En tant qu’asiatique, culturellement, on se soigne beaucoup par les plantes naturelles. Quand je suis tombée malade, je me suis pas mal renseignée. Beaucoup de livres parlent de tout ça, il suffit de creuser. Aujourd’hui, on commence à se ré-intéresser à tout ça, à tous les bienfaits du thé vert, du curcuma, de la verveine citronnée… les gens galèrent mais je me mets à leur service pour les informer. Et puis, quand ils viennent ici, ils m’apprennent aussi plein de choses, partagent des recettes de grands-mères, c’est passionnant. Ce côté citoyen et humaniste… C’est vraiment avec mes tripes que je travaille. C’est le travail de bien plus qu’une vie de connaître tout ça et de découvrir les plantes.»

En lui disant qu’elle poursuit ici le travail des sorcières, elle nous guide vers une des serres dans lequel se trouvent d’autres plantes. Dont certaines spécifiques pour apaiser et accompagner les femmes dans leurs maux, leurs cycles, leurs corps et leurs souffrances. Si on connaît des remèdes naturels pour diminuer les douleurs dues aux menstruations, Thao en revanche nous fait découvrir le tamier, une belle plante verte aux petits fruits rouges.

« On l’appelle aussi Herbe à la femme battue. C’est moche hein ?! Parce qu’on la frotte contre les bleus, les hématomes, pour la cicatrisation des plaies… », souffle-t-elle. 

En silence, on établit un lien entre l’écologie et les droits des femmes. Thao, elle, le dit à voix haute : « C’est pareil, ça ne rapporte rien, donc les gens ne s’y mettent pas ! »

Dommage car les plantes parlent, comme le dit Mikaël Hardy, et nous enrichissent d’un passé et d’un avenir communs. Qu’il faut préserver, protéger, apprendre à connaître et à respecter. L’éco-conceptrice ne se décourage pas : « Pour nous je sais qu’il est trop tard. Mais c’est pour les générations futures qu’il faut se battre. » Quel monde voulons-nous leur laisser ?

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Arrêtons de faire taire les plantes
Préservons la Nature en ville (et pas que...)
À table
Prendre soin

Célian Ramis

PMA pour tou-te-s : L'urgence !

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Le projet de loi aurait du voir le jour en 2013, et plus récemment celui qui devait être rédigé à l’automne 2018, puis début 2019 a été repoussé à juin 2019 puis de nouveau repoussé... Pourquoi ?
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C’est la thématique qu’ont choisi de développer le Collectif breton pour la PMA et l’association Georges Sand lors d’une conférence organisée le 29 janvier dernier, à l’IEP de Rennes. 

«J’avais 33 ans quand Najat Vallaud-Belkacem a annoncé que ça allait se faire. Moi qui ne voulait pas aller à l’étranger… J’en ai maintenant 40. C’est une urgence parce que je ne suis pas sûre qu’on ait réellement parlé de la PMA, de la technique médicale pour concevoir un enfant. On a entendu des discours pour beaucoup lesbophobes et transphobes. C’est un imaginaire extrêmement néfaste qui se construit en France depuis 2012. », déclare Alice Coffin, journaliste militante féministe lesbienne, qui dénonce la lesbophobie d’État nichée derrière le report systématique* d’un projet de loi encadrant l’extension de la PMA aux couples lesbiens, femmes célibataires et personnes trans.

Elle parle de « grande mythologie, grande fable, autour de la PMA ». Les politiques la promettent depuis maintenant 7 ans sans jamais tenir leurs engagements. Violences des non-actes, des discours relayés par les médias, invisibilisation des personnes concernées, manque de représentation…

Alice Coffin analyse un ensemble de faisceaux indiquant que les pouvoirs en place discriminent ardemment les lesbiennes. « Les mois à venir vont être durs. La Manif pour tous a eu des effets désastreux et il y a un vrai lien entre les propos relayés par les politiques et les agressions LGBTphobes. », conclut-elle, pessimiste mais toujours activiste.

Discriminations flagrantes, lâcheté politique, mauvais traitement médiatique, la liste des impunités est longue et toxique puisqu’elle conduit une partie de la population, privée de droits égaux à ceux des hétéros cisgenres, à l’asphyxie. Une liste à laquelle Florence Bertocchio, militante transgenre, ajoute la transphobie de la Justice et de la Santé.

La question de la conservation des gamètes est épineuse. Y avoir recours avant un traitement entrainant la stérilité, oui. Y avoir recours avant un traitement entrainant la stérilité dans le cas d’une transition, non.

« On nous dit ‘Vous n’avez qu’à adopter’ alors que c’est très compliqué d’obtenir l’agrément pour l’adoption quand on est une personne trans et ‘Vous n’avez qu’à avoir des enfants avant la transition’ mais jeune on ne pense pas toujours aux enfants qu’on voudra ou non plus tard. C’est important de pouvoir conserver ses gamètes pour pouvoir y avoir accès même après une transition. », déclare-t-elle, s’appuyant sur des décisions judiciaires clairement transphobes et un cas concret de contentieux opposant une femmes trans et un CECOS.

Les deux militantes démontrent l’urgence absolue qu’il y a à établir cette loi. Pour donner les mêmes droits à tou-te-s. Peu importe le sexe, le genre et l’orientation sexuelle. 

* Le projet de loi aurait du voir le jour en 2013, et plus récemment celui qui devait être rédigé à l’automne 2018, puis début 2019 a été repoussé à juin 2019.

Célian Ramis

Mad'âmes : les artistes indisciplinées du street art

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Pas de doute, ces indisciplinées aux pinceaux bien pendus n’ont pas fini de transformer autant l’urbanisme que les mentalités. « On n’a pas fini de nous voir sur les murs de la ville », conclut Maya Wnu, l’œil frétillant.
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Les femmes ne sont pas artistes. Les femmes ne font pas du street art. Le street art ne peut se définir que si l’on utilise uniquement de la peinture en bombe… Formulé ainsi, ce discours n’a pas de sens. Ni formulé autrement d’ailleurs. Une preuve supplémentaire en acte avec l’exposition collective MAD’ÂMES à découvrir jusqu’au 16 février à l’Impermanence galerie, à Rennes. Les huit artistes réunies mêlent leurs univers divers dans une fresque murale devant laquelle il est conseillé de prendre le temps de s’arrêter. Pour observer, se perdre dans les détails, voyager, rêver, s’émerveiller… Pour respirer, tout simplement. 

Dos à l’entrée de Beaulieu, le restaurant Le Tournebride. Et en contrebas, un parking et un accès à l’Impermanence galerie. Par les escaliers, nous accédons à cet espace dans lequel s’attèlent les artistes de l’exposition collective à venir. Le lendemain, le 18 janvier, aura lieu le vernissage de MAD’ÂMES.

Bibiche Zède, Christine (2 x) Ammour, Maïté Rouault, Valérie Martin, Maya Wnu, Helena Gath, Eve le Trévedic et Anne-Laure Chevallier œuvrent ensemble à la transformation du mur - mis à disposition par le restaurant - en une grande fresque onirique, contrastée et poétique.

On joue à s’éloigner pour profiter de la vue d’ensemble et à se rapprocher pour observer chaque détail, ce qui relève de la mission impossible. De l’origine du monde à la végétation, en passant par les éléments célestes et la faune, l’œuvre, ornée par ci par là d’or et de cuivre, est envoutante.

Les couleurs fluos du paysage se marient au noir et blanc des personnages et les différents univers propres à chaque artiste viennent créer une sorte de symbiose harmonieuse agrémentée par les nombreux rires du collectif qui, malgré le froid et la grisaille, s’applique joyeusement à la métamorphose de la façade.

SANS REVENDICATION ?

À l’invitation de Maya Wnu et Thiago Ritual, gérant-e-s de l’Impermanence galerie, elles ont toutes répondu positivement, sans se connaitre. Pour « la notion de plaisir, de désir. On nous invite à dessiner sur les murs, on dit oui ! Pour le faire, pour être ensemble, pour avoir du plaisir ! », souligne Eve le Trévedic.

L’idée initiale : réunir des univers artistiques que le duo apprécie - dans une exposition à découvrir à l’intérieur de la galerie - et les mélanger dans une fresque murale. « C’est une exposition collective féminine mais pas féministe. Même si certaines sont féministes, il n’y a pas forcément ici de revendication. C’est surtout le mot « artiste » qui intéresse. », explique Maya.

Sa description nous intrigue. On cherche alors à décortiquer le propos : « On veut arrêter d’être cataloguées comme des artistes femmes. C’est une expo normale d’artistes et on ne devrait pas avoir besoin de revendiquer qu’on est des artistes. On est des artistes, point barre. »

Malheureusement, comme le souligne Thiago Ritual, dans le milieu artistique – comme dans le reste de la société – les femmes disposent de moins d’espace de diffusion que les hommes qui eux sont plus souvent programmés et programmateurs.

Pour Bibiche Zède, « on est obligé-e-s de passer par le sexe des gens avant de se faire reconnaître comme artistes à part entière. » Ce qu’elle critique fermement :

« Artiste femme. On n’est pas obligé-e-s de savoir que j’ai des ovaires !!! » 

Ce n’est pas nouveau, partout où elles sont et vont, les femmes doivent redoubler d’effort pour prouver leurs valeurs et leurs talents. Surtout quand elles investissent un domaine pensé comme essentiellement masculin. « Les femmes ont du talent et ça peut déranger les hommes dans une société patriarcale. », insiste Valérie Martin, rejointe par Christine (2 x) Ammour :

« C’est notre image artistique qui nous relie, qu’on soit homme ou femme. » Finalement, la revendication est évidente : être considérée pour son talent et non pas pour son sexe. Une demande pleine de sens pourtant toujours pas « naturelle » puisqu’il faut encore en passer par des démonstrations des inégalités bien vivaces. 

« ON FAIT CE QU’ON VEUT ! »

Au fil de la discussion, les arguments et anecdotes autour de la place des femmes dans le street art se multiplient. « Il y a une représentation masculine du street art. On imagine des hommes avec des bombes. Alors voir une femme peindre un mur au pinceau, c’est trop ! Au Brésil, il y a plein de nanas dans ce milieu, elles sont intégrées à la scène artistique, c’est normal là-bas. », commente Thiago.

Helena Gath confirme : « En Amérique latine, en Italie, en Espagne, c’est beaucoup plus ouvert à tous les genres, styles, sexes qu’ici. Au Pérou par exemple, on voit beaucoup de femmes – principalement parce que ce sont les maitresses - peindre les murs extérieurs des écoles maternelles et primaires avec des pinceaux. »

Durant les deux journées de réalisation de la fresque, elles ont constaté le passage de plusieurs artistes reconnus dans la discipline et se sont senties observées, jugées, « comme attendues au tournant », précise Eve. Maya, qui a arrêté de peindre dans la rue parce qu’elle était la seule femme, rigole :

« Y en un qui est venu me voir pendant que je dessinais l’oiseau et qui m’a demandé ‘Mais c’est quoi le message ? Pourquoi un oiseau ?’. Je lui ai répondu que c’était parce que j’avais pas la place de faire un poney ! Et il a continué : ‘Mais pourquoi au pinceau ?’ Pour d’autres, on avait du mal à savoir ce qu’ils pensaient. Enfin, y en a 1 ou 2 qui ont dit quand même que ça leur plaisait pas. On ne dirait pas ça aux graffeurs. »

Derrière les rires, elles dénoncent le paternalisme condescendant et méprisant visant à faire sentir aux femmes qu’elles ne sont que des femmes et ainsi les amener à renoncer. Mais c’est mal connaître les MAD’ÂMES qui avec cette exposition et cette fresque murale – qui visiblement casse doublement les codes en raison des outils utilisés et du sexe des artistes – lancent « un crew » de street art du même nom.

« On fait ce qu’on veut ! On montre qu’on est là, qu’on existe, qu’on fait des trucs, rétorque Bibiche Zède. Toute peinture murale n’a pas besoin d’être validée par les graffeurs. » 

CE N’EST QUE LE DÉBUT ! 

Le collectif permet donc d’accentuer la visibilité de chacune, de développer des réseaux et de faire infuser dans les esprits que le talent n’est pas défini par le sexe de l’artiste. Après tout, que sait-on de Banksy ou de War ? Sans connaître leurs identités, on les imagine au masculin. Ici, les MAD’ÂMES s’affranchissent des codes et des normes.

En liant leurs arts, elles prennent leur pied et livrent au grand public une fresque murale onirique et poétique. L’étincelle est créée par l’assemblage des techniques (collage, pochoir, peinture, etc.) et de leurs savoir-faire et le croisement de leurs univers alors mis en dialogue. « Ce sont des univers qui créent un univers. Quand on regarde les étoiles, on en regarde plein et c’est ce qui fait l’univers. », s’amusent à déclarer Bibiche Zède et Eve le Trévedic.

Pas de doute, ces indisciplinées aux pinceaux bien pendus n’ont pas fini de transformer autant l’urbanisme que les mentalités. « On n’a pas fini de nous voir sur les murs de la ville », conclut Maya Wnu, l’œil frétillant. 

 

 

Célian Ramis

Heureux comme Lazzaro : À couper le souffle

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Cinéville Colombier, Rennes
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Alice Rohrwacher offre au 7e art un troisième film subtil, intelligent, juste et puissant. Sur l’innocence, les migrations, l’exploitation, le bonheur, la lutte des classes, l’écologie, le ridicule et la persistance. Sublime et profond.
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C’est une ingénieuse merveille qu’a réalisé la cinéaste Alice Rohrwacher avec son film Lazzaro Felice, projeté le 18 janvier dernier lors de l’inauguration du festival du film italien Filmissimo, au cinéville Colombier de Rennes. 

Le film met une première claque. La réalisatrice une seconde. De celles qui font du bien parce qu’elles permettent de regarder le monde avec simplicité mais sans naïveté. De s’émerveiller devant la bonté pure d’un être humain, malgré la brutalité de l’exploitation avilissante d’abord de toute une communauté pour en arriver ensuite à l’effet grossissant de toute une société.

« En italien, ‘lazzaro’ désigne un homme qui vit dans la rue. ‘Lazzaro felice’ est une expression locale, difficile à traduire en français, mais ça désigne un homme qui n’a rien et qui est heureux. », précise Alice Rohrwacher, présente ce soir-là à Rennes.

Lazzaro, c’est un simple d’esprit qu’elle refuse de juger. C’est un saint de la religion du « nous », les humains. Si son film est plein de grâce, emprunt de références bibliques et de spiritualité, il n’en est pas moins très cartésien et réaliste. Hors du temps et de la civilisation, les paysan-ne-s de l’Inviolata, hameau rural du centre de l’Italie, travaillent à la solde de la marquise, réduit-e-s en esclavage, sans en avoir conscience.

La révélation de la grande escroquerie les propulse directement dans le monde moderne où là encore, ils/elles sont à la marge. « Ce sont des gens qui restent toujours dehors. En dehors des luttes. », souligne la réalisatrice qui a, plus jeune, vécu dans une zone proche de l’Inviolata :

« Quand on est arrivé-e-s en Ombrie avec mes parents, nous avons habité une maison qui venait d’être laissée par ces gens-là. J’ai grandi dans le vide qu’ils avaient laissé. » Marquée par ses souvenirs personnels,Lazzaro Felice (en français, Heureux comme Lazzaro) ne peut être détaché de son vécu et ressenti :

« J’ai fait des études classiques, pas de cinéma. Mais j’aimais le cinéma. Le documentaire. C’est le hasard de la rencontre avec mon producteur qui m’a fait venir au cinéma. Je crois qu’on fait des films parce qu’il y a des choses qu’on n’arrive pas à dire. C’est plus simple avec les images qu’avec les paroles. Ce n’est pas un film autobiographique mais moi aussi j’ai quitté la campagne pour aller à la ville. Même si je ne suis pas Lazzaro, j’ai partagé son regard pendant un moment. J’imaginais toujours avoir Lazzaro à côté de moi. »

Alice Rohrwacher offre au 7eart un troisième film subtil, intelligent, juste et puissant. Sur l’innocence, les migrations, l’exploitation, le bonheur, la lutte des classes, l’écologie, le ridicule et la persistance. Sublime et profond. 

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