Célian Ramis

Solidarité : le droit à la dignité !

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L'hygiène et le prendre soin, au coeur de la solidarité envers les personnes les plus démunies. Reportage au CHRS de Vitré, qui accueillait Bulles Solidaires pour un Salon bien-être.
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En France, on comptabilise 9 millions de personnes pauvres, dont 3 millions en situation de privation matérielle grave. Nombreuses sont les associations à œuvrer, difficilement en vu des faibles moyens à leur disposition, en direction des personnes les plus démunies, que ce soit en matière d’hébergement, d’alimentation ou de vêtements.

Qu’en est-il de l’hygiène ? Point souvent considéré comme relevant du détail, il est au contraire essentiel dans l’estime et la (re)construction de soi. La preuve lors du Salon bien-être solidaire, organisé par l’association Bulles Solidaires, le 25 novembre dernier au Centre d’hébergement et de réinsertion sociale de Vitré.  

Pour lutter contre l’exclusion et la grande précarité, le ministère des Solidarités brigue plusieurs axes de travail : l’égalité des chances dès le plus jeune âge, la garantie des droits fondamentaux des enfants, la garantie d’un parcours de formation pour tous les jeunes, une orientation vers des droits sociaux plus accessibles, plus équitables et plus incitatifs à l’activité et l’investissement pour l’accompagnement de tous vers l’emploi. En attendant la mise en place concrète des 5 engagements de la stratégie pauvreté, hors langue de bois, blabla gouvernemental et promesses inatteignables concernant les leviers d’action, il faut agir. Sur le terrain. 

Aux Tertres Noirs, les couloirs en pierre de l’ancien monastère de Vitré sont investis par les stands de distribution de vêtements, de produits d’hygiène et cosmétiques ou encore de collation. Les cris vainqueurs des enfants s’égosillant au baby foot résonnent joyeusement dans l’établissement et animent la foule qui attend patiemment devant la porte vitrée du salon éphémère de coiffure, installé pour l’occasion.

Cette occasion, c’est l’événement organisé l’après-midi du dimanche 25 novembre par l’association Bulles Solidaires, au Centre d’Hébergement et de Réinsertion Sociale (CHRS) : le Salon solidaire Bien-être, réunissant des professionnelles de la coiffure, de l’esthétique et du massage - venues ce jour-là bénévolement – et des membres de l’association renno-vitréenne.

Un exemple concret de solidarité démontrant l’importance du prendre soin dans les parcours des personnes en grande précarité. Souvent, on pense l’hygiène comme secondaire dans la vie et les besoins des individus les plus démunis. À tort.

Son importance est reconnue dans la construction de sa propre image et donc l’estime de soi et la confiance, essentielles pour se sentir bien, ou au moins mieux, dans son corps mais aussi pour pouvoir effectuer des démarches nécessaires au retour à l’emploi et à l’autonomie. 

COMBLER LE MANQUE

Le recours à la socio-esthétique n’est pas rare en milieu hospitalier ou dans les maisons de retraite. Dans des situations de perturbation de l’estime de soi, d’isolement social, de fatigue physique et/ou morale, les soins d’hygiène et de beauté participent à retrouver une certaine image de soi et peut également aider à renouer un contact social.

Parce qu’ils constituent un instant privilégié dans l’écoute et l’attention mais aussi dans le rapport au corps et aux conséquences des vécus, que ce soit après ou pendant le traitement d’un cancer, dans le constat des effets du vieillissement, dans la reconstruction personnelle après avoir subi des violences ou encore dans une période de grandes difficultés financières et matérielles.

Dans le cas de la lutte contre l’exclusion et la pauvreté et dans l’accompagnement des personnes défavorisées, la priorité est mise sur l’alimentation, les vêtements et l’hébergement. L’hygiène faisant plutôt l’objet d’actions ponctuelles.

« Il y a plein d’assos dans ce secteur. Peu sont spécifiques à l’hygiène. On a appelé les structures parisiennes et rennaises pour leur demander ce qu’elles pensaient du projet et elles nous ont dit de foncer ! Parce qu’il y a une forte demande. », nous expliquait Laure-Anna Galeandro-Diamant, en mars dernier.

Bulles Solidaires, l’association qu’elle a fondée et qu’elle préside depuis septembre 2017, a pour vocation de collecter des échantillons et produits d’hygiène corporelle – non entamés, non périmés – via le bouche à oreille, le démarchage de pharmacies, les instituts de beauté et hôtels, les boites de collecte et les actions devant les supermarchés. « Au début, on s’est dit qu’on allait compter mais on a vite été dépassé-e-s. On a commencé à peser à partir de septembre 2018. On avait 198 kilos de produits collectés. », souligne Laure-Anna.

En octobre, le chiffre monte en flèche. Près de 680 kilos récoltés en six collectes. « C’est trop trop bien ! », s’enthousiasme Anaëlle Giraurdeau, 20 ans. En étude pour devenir éducatrice spécialisée à l’école Askoria de Rennes, elle a effectué un stage de plusieurs mois dans l’association dont la présidente effectue la même formation :

« On a fait pas mal de missions différentes. La récolte de produits dans des magasins comme Biocoop ou Avril ou devant les supermarchés, la promo de l’association au festival Tam Tam, le tri et la préparation des colis pour le Secours populaire, le foyer Saint Benoit Labre de Rennes, les structures comme Le Puzzle, Leperdit, etc. On a trié les produits selon les besoins. On a tout un tableau avec le public de chaque établissement et le nombre de personnes. Ça aide à cibler au mieux les besoins.

Si par exemple, c’est une structure dans laquelle il y a beaucoup d’hommes, on va mettre davantage de rasoirs, de mousse à raser, etc. Si c’est une structure qui accueille plutôt les familles, on va mettre des couches, des biberons, etc. Pour les femmes, plutôt des tampons ou des serviettes. Pendant les collectes, on en parlait pas mal avec les gens en les sensibilisant : vous êtes une femme, vivant dans la rue, vous n’avez pas de tampons ou de serviettes, vous faites comment ? »

DROIT À LA DIGNITÉ

Autre volet de l’association : la distribution. À travers les maraudes ou les salons. En 2017, un salon de coiffure éphémère et solidaire a eu lieu sur la place de la République à Rennes, auquel Bulles Solidaires a participé avant d’organiser son propre événement au CHRS de Vitré en avril puis en novembre.

« Je suis aussi en formation d’éducatrice spécialisée, j’aurais pu être allégée du stage car j’avais déjà une expérience dans le social mais auprès d’un autre public. En découvrant l’association, il m’est apparu essentiel de s’intéresser au côté hygiène. J’ai donc voulu faire mon stage ici. J’attendais vraiment les maraudes. C’est à nous d’aller vers eux, de sortir de notre cadre. Dans la rue, on passe devant les gens sans les regarder, sans leur parler. J’avais envie de rencontrer ce public qu’on marginalise beaucoup trop. Parfois en collecte devant les supermarchés, les gens étaient surpris qu’on récolte des produits d’hygiène et plusieurs produits d’hygiène. On a eu le droit à « Les gens dans la rue veulent choisir ? » ou « Du déodorant ? Pour mettre du propre sur du sale ? ». Ce sont des gens comme tout le monde qui ont le droit d’avoir une estime correcte d’eux-mêmes. », précise Manon Le Pennec, 19 ans. 

Le Salon solidaire Bien-être se veut convivial, dédié au prendre soin des résident-e-s du lieu mais aussi aux bénéficiaires des Restos du cœur, de l’Epicerie solidaire, du réseau partenarial de l’AIS 35 (Association pour l’Insertion Sociale). Et c’est un succès. Malgré l’annulation de certaines professionnelles survenue à la dernière minute, le public lui est au rendez-vous et déambule entre les différents stands et les différentes salles.

Entre la pose de vernis et la coupe de cheveux, les produits sont à disposition des participant-e-s. Maquillage, dentifrice, gel douche, shampooing, crème hydratante pour le visage, les mains et le corps, tampons, démaquillant, masques pour le visage, cotons, tétines, soins pour le change des bébés, les un-e-s et les autres passent devant, observent, demandent l’autorisation et prennent ce dont ils et elles ont besoin et envie. Pareil avec les habits ou les jeux.

« On a connu l’association grâce à un article dans le journal. On a rencontré Laure-Anna et le premier salon s’est très très bien passé. Certains ont dit que ça permettait de reprendre confiance. Ils changent de regard sur eux mais le regard des autres sur eux change aussi ! Ça fait beaucoup ! », confie Manuella Martineau, animatrice au CHRS de Vitré.

La cheffe de service, Guillemette Rebours, confirme : « Tout le travail ici consiste à accompagner les personnes d’un point de vue global. La confiance en soi et l’estime de soi ne sont pas des sujets faciles à aborder. Venir prendre soin de soi, pour eux qui n’ont pas une bonne image d’eux-mêmes, n’est pas facile. Sur le premier salon, il y a eu de très bons retours parce que les personnes se sont senties choyées. C’est pourquoi on le refait. Et c’est une action qui ne s’arrête pas à aujourd’hui. Ensuite, à nous ici de faire en sorte que la personne garde cette image-là. »

La structure dispose de 33 places, attribuées par une commission, en chambres individuelles ou en studios, ces derniers étant majoritairement attribués à des femmes seules ou avec enfants. Aussi, 15 places supplémentaires sont prévues pour l’hébergement d’urgence.

« Dans ce cas, il s’agit d’une mise à l’abri, qui va de trois jours à une semaine, selon les besoins. Sinon, au CHRS,les personnes peuvent y accéder pendant 6 mois, ce qui laisse le temps de se poser. La durée est renouvelable. Elles sont là parce qu’à un moment donné de leurs parcours, elles ont besoin d’être accompagnées dans leurs démarches et/ou hébergées. Parce que selon où elles en sont, avoir un logement autonome est encore compliqué. Ici, nous proposons des ateliers d’adaptation à la vie active avec des moniteurs d’activité. Ça peut être du maraichage, le travail du bois, le chauffage, la cuisine, l’entretien des locaux. Ce sont des ateliers, pas un travail, mais qui permettent de retrouver un rythme de vie. », explique-t-elle. 

L’ÉMOTION DU TEMPS DONNÉ ET PARTAGÉ

L’organisation d’un événement plaçant au centre de celui-ci leur bien-être est accueillie avec beaucoup d’émotions. C’est ce dont témoignent Zara, 49 ans, et Dominique, 58 ans. « C’est un bon geste. Une bonne initiative pour les gens qui n’ont pas le temps et les moyens de prendre soin d’eux. », dit la première, rejointe par son amie :

« Ça apporte du réconfort, du partage. Ça fait plaisir, c’est du temps qu’on nous donne gratuitement, un dimanche, et c’est un très bon moment. Je suis allée au salon de coiffure faire un rafraichissement. J’ai pu discuter avec la coiffeuse. Au maquillage et au vernis, pareil, j’ai échangé avec la personne et j’ai reçu des conseils par rapport à mes besoins. »

Elles le confient sans difficulté, elles se sentent parfois abandonnées. Et se délaissent. Pendant un temps, Dominique ne portait que des habits noirs : « Ma fille m’a boostée, j’ai ressorti les couleurs, me suis reprise en main. Je suis ici depuis un an. On a envie de montrer une belle image de nous. Ce renouveau, ça redonne confiance en nous. On se dit qu’on peut être comme avant, ne pas se négliger et rester dans le contexte ! » Zara approuve. Et ajoute en souriant :

« C’est l’occasion de se « coquiner » ! D’être désirable pour soi-même, c’est important ! On prend soin de nous. Les personnes donnent de leur temps pour nous, l’échange est bien passé et c’est un bel accueil qui donne envie de revenir ! On a envie de remercier tout le monde, l’association, les bénévoles, les professionnelles, le CHRS, tout ça c’est grâce à eux ! »

À côté d’elles, Alexandra, originaire d’Arménie, le visage radieux, écoute attentivement et discrètement. Elle s’apprête à se faire masser, des étoiles dans les yeux en entendant le commentaire de la personne précédente, fraichement sortie de la salle : « C’est la première fois qu’on me fait un massage. Elles ont des mains de fée, c’est génial ! »

Un ressenti qu’Alexandra partagera quelques dizaines de minutes plus tard : « Ça fait du bien ! Je sais que j’ai mal parce que je suis vieille mais ça fait du bien ! » Elle poursuit en rigolant :

« Je n’ai pas besoin de me faire coiffer, d’avoir du maquillage ou des ongles… Mais l’épaule, oui, j’ai mal. C’est important ça. »  

PRENDRE SOIN DES PETITES ACTIONS

Dans les couloirs, grouillent les échanges autour de ce que chacun-e vient de vivre et les conseils aux un-e-s et aux autres entre les « Ça te va super bien ! », « Moi je suis pas très maquillage, par contre le soin des mains, j’ai adoré », « Tu n’es pas allée te faire coiffer ? Tu devrais y aller, y a plus trop de monde » ou encore les « T’as testé le massage ? C’est top ! », « Wah ça te va très bien ce vernis, pour le maquillage, je suis d’accord mais léger, hein ?! », « Vous avez des préservatifs ou du gel pour les cheveux ? ».

Dans les salles, règne l’harmonie de l’ambiance intimiste et paisible instaurée à cet effet. Hommes et femmes déambulent d’une pièce à l’autre, poussé-e-s par la curiosité et l’envie de profiter de ces instants suspendus de soin et de cocooning.

« En maraude, les gens sont assez surpris mais sont heureux qu’on leur propose des produits d’hygiène, ils n’ont pas l’habitude. Au début, ils disent souvent non puis ils reviennent nous voir. Qu’on prenne soin des personnes qui sont ici, c’est une pause pour elles. Elles se font chouchouter. Les personnes en situation de grande précarité, c’est un sujet tabou. Moi, je n’ai jamais été confrontée à ça et ça me plait d’abattre les barrières, de pouvoir être en contact avec elles. La distribution, c’est l’opportunité d’un vrai contact humain. Ce sont des personnes humaines, comme vous et moi malgré les difficultés. Les petites actions sont vraiment utiles. C’est important de faire ces petites actions. », commente Anaëlle Giraurdeau. 

PARTAGE DE L’INTIME

Du don de produits d’hygiène et de beauté à la capacité d’écoute, tout le monde peut agir par solidarité. Selon son temps et ses moyens. Ou même ses compétences.

« Ça les a marqué-e-s et ça leur a fait plaisir qu’on vienne bénévolement. Et nous, ça nous fait plaisir de les voir content-e-s, de les aider. Ça donne un coup de boost à tout le monde ! »
précise Marine Simon, 20 ans, coiffeuse en apprentissage, venue avec sa responsable et une collègue.

D’autres professionnelles ont annulé à la dernière minute. Malgré cela, près de cinquante personnes - enfants, femmes et hommes - ont pu bénéficier du salon de coiffure solidaire. Un terme qui prend d’autant de sens lorsque c’est une participante qui prend au pied levé le remplacement d’une des coiffeuses attendues à l’événement.

« Je venais aujourd’hui pour me faire coiffer pour un entretien demain. J’ai filé un coup de main aujourd’hui mais je me suis fait coiffer quand même ! J’ai participé au prendre soin et on a pris soin de moi. C’est un échange de bons procédés ! », s’enthousiasme Cécile Justal, 48 ans.

Les sourires illuminent les visages, les mercis pleuvent, dans la formulation comme dans le regard. C’est un après-midi sous le signe de la solidarité et de la bienveillance, de l’écoute et du partage de l’intime. Un après-midi bien-être durant lequel personne n’est exclu, malgré l’idée reçue que l’on pourrait avoir visant à penser que les hommes se tiendraient à l’écart.

« Ça c’est super bien ! Je le dis aux bénévoles au début : les parfums et les crèmes hydratantes ne doivent pas être distribués qu’aux femmes. Les hommes sont tout aussi coquets et apprécient ces moments où l’on s’occupe d’eux. Tout le monde en a besoin, de se faire bichonner… On arrête de penser aux tracas. », livre Laure-Anna Galeandro-Diamant, dressant un premier bilan à chaud, vers 17h, lorsque tout le monde remballe. 

L’EFFET DOMINO

Visages, mains, cheveux, ongles, épaules et dos ont été choyés, massés, crémés, vernis, selon les besoins et les envies. Tout le monde n’a pas toujours osé pousser la porte de chaque salle, mais la possibilité a été offerte. De participer à une activité, de se restaurer, de prendre des produits ou des vêtements, de profiter des soins corporels, de recevoir des conseils. D’être écouté-e-s, considéré-e-s.

« Il s’est passé plein de choses. En terme d’échange, ça a été très riche. Une femme m’a dit qu’elle était battue, surendettée… Juste le fait d’être là, avec elle, a fait qu’elle m’a confié ça. », souligne la présidente de Bulles Solidaires, légèrement étourdie par le poids de la journée – et des semaines précédant la concrétisation de l’événement – et le flot d’informations et d’émotions circulant encore dans l’ancien monastère. 

Quelques heures auparavant, elle se réjouissait de l’aide spontanée qu’avaient proposé deux participants au Salon pour ranger le lieu, au fur et à mesure.

« J’adore, c’est super chouette ! C’est un autre volet de l’association : le peu que je fais permet aux gens de voir à quel point ça leur plait de s’investir. Les stagiaires se sont éclaté-e-s, les bénévoles aussi, les intervenant-e-s aussi. On peut tou-te-s le faire. Il suffit d’insuffler cette motivation, cette envie et de prendre exemple. Mes parents m’ont donné l’envie de m’engager très tôt mais n’importe qui peut le faire ! C’est une question de temps. Avant, je n’avais jamais monté d’association, d’événement comme celui-là… Tout le monde peut le faire ! », conclut Laure-Anna, 24 ans, optimiste solidaire convaincue de « l’effet domino dans le sens positif ! »

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L'instant suspendu du prendre soin
Une solidarité au service du bien-être
Tou-te-s concerné-e-s !

Célian Ramis

Urgence écologique : se reconnecter à la Nature

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L'urgence écologique résonne de toute part. À l'heure où les lobbys agissent sans retenue pour l'utilisation des pesticides, les citoyen-ne-s affirment leur mécontentement et leur volonté d'un avenir plus sain. Avec des abeilles et des coquelicots !
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Les articles se multiplient, les appels à la mobilisation et la prise de conscience retentissent aux quatre coins du monde, les initiatives citoyennes et militantes fleurissent, les événements de sensibilisation et d’information s’enchainent. De partout, on entend l’alarme de l’urgence écologique.

Excepté peut-être pour les député-e-s s’accrochant au glyphosate, qui eux/elles n’entendent que le doux son des cloches du pouvoir et des lobbys agricoles, industriels et pharmaceutiques… Une puissance qui a, en quelques décennies, exercé des pressions incroyablement dangereuses et ravageuses, menaçant la planète entière, faune, flore, terre, air, mer et humain-e-s inclus-es.

Aujourd’hui, si la catastrophe écologique semble inévitable, il ne faut pour autant pas renoncer à la sauvegarde de l’environnement qui passe par le respect et la transmission des savoirs autour de cette Nature.

Pas besoin de prendre la voiture des dizaines de kilomètres durant pour profiter d’un bout de nature. Elle est partout autour de nous. On l’écrabouille, on l’use, on en abuse, on la maltraite. Dès lors que l’humain stoppe son intervention, elle reprend ses droits. Il n’y a qu’à se rendre place Sainte Anne pour le constater : après quelques mois d’inactivité du côté des marches de l’église, c’est un vrai champ de verdure qui pousse à son aise, loin de la main humaine obnubilée par « les mauvaises herbes ». Par manque d’esthétique devant les maisons, par les nuisances qu’elles pourraient provoquer, par ignorance de leurs vertus gastronomiques ou médicinales. Un savoir, auparavant détenu par les femmes que l’on désignait comme sorcières, qu’il est bon de réintroduire pour voir fleurir des éco-systèmes - essentiels à la sauvegarde de la planète - qui disparaissent rapidement et brutalement.  

Il suffit de se laisser conter des histoires (grinçantes) de vieilles femmes avides de jeunesse, de cordonnier désespéré de trouver l’amour et de consommation raisonnable pour s’apercevoir que la nature est omniprésente autour de nous. Pas après pas.

Samedi 15 septembre, à l’occasion de la 4eédition de la fête de la biodiversité cultivée - Du champ à l’assiette, Najoua Darwiche nous baladent de ces récits imaginaires de l’éco-centre de la Taupinais au cœur du quartier Cleunay, en passant par la micro-ferme Perma G’Rennes et la passerelle surplombant la rocade.

Hors des sentiers de la Prévalaye et du parc de la Guérinais, la conteuse choisit de nous faire voyager à chaque arrêt. Un bord de route laissé en friche, un espace boisé, un coin de pelouse, un terrain de maraichage… À l’image du reste de Rennes, la partie Sud Ouest de la capitale bretonne, à quelques pas du centre ville, regorge de verdure, d’arbres fruitiers, de plantes et fleurs comestibles et/ou médicinales. C’est ce que nous invite à découvrir ce même après-midi, Mikaël Hardy, permaculteur fondateur de Perma G’Rennes :

« Les plantes sont riches. L’Homme a toujours pratiqué la nature, pour la santé, la maison, l’alimentation. Depuis les années 1970-1980 et l’arrivée des grandes surfaces, on a oublié notre instinct de glaneurs. Il ne faut pas oublier notre passé de chasseurs-cueilleurs. » 

Au fil d’une balade « Plantes usuelles et comestibles », la Prévalaye dévoile son haut potentiel - souvent ignoré des habitant-e-s – regroupant un certain nombre d’espèces issues de la famille botanique des rosacées. Mais pas seulement.

Sur quelques mètres, le guide signale la présence de pissenlits, utiles pour nettoyer le corps des toxines, de viorne obier, dont le bois robuste peut servir à fabriquer des flûtes ou des armatures de paniers, de ronces, avec lesquelles on peut - après avoir enlevé les épines – faire de la ficelle (et même des menottes, à une époque), de châtaigniers, dont la liqueur est bonne pour la gorge, de cornouillers mâles, dont le bois sert à fabriquer des manches de marteaux, d’aubépine épineuse, dont le fruit comestible a un effet bénéfique sur le sommeil, ou encore d’ortie, plante qui stimule les défenses immunitaires. 

REDORER LE BLASON DES HERBORISTES

Le 26 septembre dernier, le sénateur écologiste du Morbihan, Joël Labbé, a rendu public les recommandations de la mission d’information du Sénat sur le développement de l’herboristerie et des plantes médicinales.

Car depuis 1941, année au cours de laquelle le régime de Vichy a supprimé le certificat d’État d’herboristerie, « les herboristes ne peuvent plus officiellement se revendiquer comme tel » et « ne peuvent vendre qu’un nombre restreint de plantes, l’essentiel des plantes médicinales appartenant au monopole pharmaceutique.(…) pour un herboriste, dire qu’une tisane de thym est bonne contre le rhume le place hors la loi.», indique la pétition « Réhabilitons les métiers de l’herboristerie », qui précise qu’il y a « pourtant une demande et une place pour la vente de plantes médicinales hors pharmacie, pour les petits maux du quotidien et le maintien en forme. »

Hormis quelques remèdes de grand-mère qui nous restent en mémoire, nous avons perdu au fil des années et des siècles les connaissances que détenaient nos ancêtres sorcières, brûlées, entre autre, pour ce savoir. Aujourd’hui, la gelée royale est une gélule à prendre dès l’entrée dans l’hiver, la propolis, un spray pour la gorge et la phytothérapie consiste à prendre un cachet d’Euphytose avant d’aller au lit.

Produits de la ruche ou extraits de plantes, nous ne les connaissons guère sous leurs formes originelles et naturelles. Surtout, on ne sait plus, de manière générale, composer avec et selon la nature. On veut consommer ce que l’on veut quand on le veut, peu importe la saison et la provenance. Triste constat alors que les plantes sauvages, comestibles, usuelles et/ou médicinales fleurissent partout autour de nous. En ville, on les arrache. À la campagne, on les détruit à coups de pesticides.  

SE RECONNECTER À LA NATURE

Au cœur de la Prévalaye, ancienne zone de maraichage jusque dans les années 80, Mikaël Hardy a aménagé son terrain d’un demi hectare, « soit la moitié d’un stade de foot », en septembre 2016. Auparavant, il a travaillé 15 ans dans l’étude et la protection de la biodiversité :

« Mon rôle, c’était de dire aux autres quoi faire... Personne ne l’appliquait. Maintenant, je montre qu’il n’y a pas de frein. On peut optimiser la surface, valoriser l’espace et protéger l’environnement. Ce qui est plus difficile, c’est de connecter de la rentabilité économique à tout ça mais ça se fait. »

Lors de la fête Du champ à l’assiette, il conduit un groupe d’intéressé-e-s à sa ferme urbaine en les faisant entrer par un petit chemin sauvage et naturel, bordant la mare. « Je vous demande d’y passer en silence, pour peut-être entendre les grenouilles, écouter les oiseaux… Pour se reconnecter à la Nature. », précise-t-il.

Cette phrase revient souvent, joyeusement et passionnément au cours de sa visite. Se reconnecter à la Nature, faire avec la Nature, aménager autant que possible des éco-systèmes, créer et faire avec la biodiversité, comprendre comment tout cela fonctionne, valoriser les mauvaises herbes…

« En décembre 2016, j’ai fait mon premier marché mais je n’avais encore rien récolté puisque je venais d’arriver. J’ai fait de la cueillette sauvage dans la zone de la Prévalaye, que j’ai transformé en confitures pour avoir de l’argent pour ensuite pouvoir produire. L’argent de la première saison m’a permis d’aménager le site. En général, les premiers légumes arrivent en juin. Avant, je vends des mauvaises herbes. », explique Mikaël.

Parti d’une friche, il a pensé le design – issu d’un processus de diagnostic écologique - et a travaillé avec le potentiel du sol, riche en vie (graines, vers de terre, etc.), alimenté par l’implantation de seigle, la mise en place de paillage, etc., et les capacités du terrain pour y accueillir plusieurs espèces interagissant ensemble, dans un temps donné et un climat donné :

« Les microclimats donnent naissance à la végétation. On cherche à créer des lisières, là où deux écosystèmes vont s’embrasser, là où deux éco-systèmes vont se rencontrer. On peut créer des jardins avec différents microclimats. »

Toute l’année, il ouvre sa ferme au grand public le samedi après-midi et donne également des cours de permaculture. Des cours d’écologie, en somme, avec un état d’esprit visant 3 grands principes : prendre soin de l’humain, prendre soin de la planète, répartir les richesses équitablement.

« Il ne s’agit pas simplement d’aménager son terrain en permaculture mais de voir sa vie en permaculture. Consommer juste ce dont on a besoin. Partager. Faire des concessions (pas d’électricité sur le terrain, pas d’engins à moteur...). Ne pas arroser, ne pas désherber. », détaille-t-il, avant de conclure sur une phrase qui vient percuter notre cerveau de plein fouet : « Il faut réapprendre aux plantes à parler. Les plantes parlent. » À nous, donc, de les écouter. 

DES COQUELICOTS, ENCORE ET TOUJOURS

Et donc de les préserver. Une tâche bien difficile par les temps qui courent… Malgré le vote des députés, qui ont renouvelé dans la nuit du 14 au 15 septembre dernier leur volonté de ne pas inscrire l’interdiction du glyphosate dans la loi, des initiatives citoyennes et militantes existent, perdurent et naissent, à l’instar au niveau local des Amis de la Prévalaye, d’Incroyables comestibles, de la Nature en ville, de Perma G’Rennes, du Jardin des Mille Pas, de la Clé du champ, de la Fête des possibles, du Scarabio festival, de la fête Du champ à l’assiette, etc.

Au niveau national, ce qui agite et anime actuellement le débat et les consciences pour un avenir plus engagé en faveur de la nature et moins en faveur de celle des lobbys, c’est l’appel des 100 pour l’interdiction de tous les pesticides de synthèse. Un appel que nous relayons ici dans son intégralité :

« Les pesticides sont des poisons qui détruisent tout ce qui est vivant. Ils sont dans l’eau de pluie, dans la rosée du matin, dans le nectar des fleurs et l’estomac des abeilles, dans le cordon ombilical des nouveau-nés, dans le nid des oiseaux, dans le lait des mères, dans les pommes et les cerises. Les pesticides sont une tragédie pour la santé. Ils provoquent des cancers, des maladies de Parkinson, des troubles psychomoteurs chez les enfants, des infertilités, des malformations à la naissance. L’exposition aux pesticides est sous-estimée par un système devenu fou, qui a choisi la fuite en avant. Quand un pesticide est interdit, dix autres prennent sa place. Il y en a des milliers. 

Nous ne reconnaissons plus notre pays. La nature y est défigurée. Le tiers des oiseaux y ont disparu en quinze ans ; la moitié des papillons en vingt ans ; les abeilles et les pollinisateurs meurent par milliards ; les grenouilles et les sauterelles semblent évanouies ; les fleurs sauvages deviennent rares. Ce monde qui s’efface est le nôtre et chaque couleur qui succombe, chaque lumière qui s’éteint est une douleur définitive. Rendez-nous nos coquelicots ! Rendez-nous la beauté du monde ! 
Non, nous ne voulons plus. À aucun prix. Nous exigeons protection. 

Nous exigeons de nos gouvernants l’interdiction de tous les pesticides de synthèse en France. Assez de discours, des actes. »

IMPACT COLOSSAL SUR LA SANTÉ

Ces derniers mois – ou plus exactement ces dernières années mais les discours ne sont entendus et relayés que depuis peu - nous assistons à une déferlante de sonneries d’alarme. Elles retentissent, les sirènes de l’urgence écologique. Parce que les pesticides font des ravages colossaux.

Sur la nature, avec par exemple une gestion catastrophique des forêts en France, comme le montre François-Xavier Drouet dans son film Le temps des forêts, sorti au cinéma le 12 septembre. Calqué sur l’agriculture productiviste intensive, le réalisateur explique dans une interview à l’Obsles conséquences de ce modèle : 

« Dans les forêts où on ne trouve qu’un seul type d’arbre, il n’y a pas ou peu de biodiversité. Mon film s’ouvre sur une scène tournée dans une forêt du Limousin. On y voit des rangées d’arbres uniformes. Il règne dans cette forêt un profond silence, il n’y a aucun bruit d’oiseaux. Pourquoi ? Tout simplement parce qu’ils n’ont pas de quoi se nourrir ou construire leur nid. Ces plantations en monoculture sont des plus en plus privilégiées alors qu’elles appauvrissent considérablement les sols et la biodiversité. » 

Les forêts sont pourtant nourricières et peuvent servir d’inspiration pour le développement de « synergies entre les différents règnes minéral, fongique, végétal, animal et humain », comme l’indique le centre de recherche en permaculture, la Forêt Nourricière, association créée en 2011 autour des recherches de Franck Nathié et qui accompagne des projets d’éco-villages ou d’installations permacoles professionnelles ou familiales vers leur autonomie alimentaire, énergétique et organisationnelle.

Ce sont aussi des impacts conséquents sur la santé. À cause des perturbateurs endocriniens et autres saletés composant les produits nocifs et toxiques répandus très largement dans la nature, les sols, les eaux et l’air. On les ingère à travers l’alimentation, on les respire au quotidien, on se les étale sur la peau, on tapisse les fesses des bébés avec et on les introduit dans les vagins des femmes… 

Quoi de mieux pour le développement des maladies telles que Parkinson, dont le lien avec les pesticides a été reconnu – le 7 mai dernier, un décret est entré en vigueur reconnaissant cette maladie neurodégénérative comme maladie professionnelle pour les agriculteurs – ou autres pathologies bien lourdes, comme le diabète ou l’endométriose (dont la causalité environnementale n’est toujours pas reconnue officiellement mais fortement suspectée) ? 

On avance, lentement, vers la prise de conscience, tout en continuant d’agir comme si de rien n’était. On se goinfre de toutes les richesses que peut nous offrir la planète, sans jamais se soucier de son avenir. Par confort. C’est ce que montre le (très chouette) court-métrage animé Thermostat 6, diffusé par le médiaUsbek et Ricaet réalisé pour leur projet de fin d’études à l’école des Gobelins par Maya Av-ron, Marion Coudert, Mylène Cominotti et Sixtine Dano. 

SAUVER NOTRE PATRIMOINE VÉGÉTAL

L’appel des 100 dépasse désormais le cadre formel d’une pétition. Il devient une mobilisation citoyenne dans toute la France. Chaque mois, un rassemblement sera organisé pour défendre nos droits d’évoluer sur une planète sans pesticides, à compter du 5 octobre (puis le 2 novembre, le 7 décembre et le 4 janvier). À Rennes, le rendez-vous est donné – pour chaque date – place de la Mairie, dès 18h. Pour affirmer à l’unisson que nous voulons des coquelicots, du cœur de la ville jusqu’aux champs les plus isolés. 

« Les coquelicots sont des bio-indicateurs. Quand on ne les voit plus, ça veut dire qu’ils sont impactés. Faut se poser des questions… » Dimanche 16 septembre, une quinzaine de personne est réunie, à l’occasion de la Fête des possibles, dans la pépinière spécialité dans la production de plantes sauvages locales de Floridée’o, située à Bruz.

Thao Ngo, éco-conceptrice, en est la fondatrice.  À 52 ans, son « trip », sa motivation « pour se lever et savoir pourquoi on se lève », c’est de « partir à la sauvegarde de l’environnement, parce qu’il y a une disparition énorme de la flore locale. » L’idée : « lister les espèces menacées et partir à la recherche de la graine pour relancer la production. Si on ne les sauve pas, toutes les fleurs du massif armoricain vont disparaître. Il y a malheureusement dans l’imaginaire collectif une connotation péjorative quand on pense aux plantes sauvages. On pense à « sales ». Mais tout a un rôle. »

Sur son terrain, elle met en culture une grande diversité de végétaux, disponibles ensuite sous forme de plants et de semences. Tous les prélèvements de semences sont réalisés par l’équipe afin de garantir l’origine locale des plantes.

« On étudie les différents éco-systèmes, les biotopes, comment recréer les milieux des plantes sauvages. Ça devient très très demandé. Au début de notre projet, personne ne voulait y croire. Mais on oublie que ces plantes ont toujours été présentes. Mais l’évolution, l’urbanisme,… font qu’elles disparaissent. On peut tous et toutes en mettre 2 ou 3 dans nos jardins pour sauvegarder l’environnement. », présente Thao.

Une partie de son activité consiste également à étudier et rechercher les plantes locales phytoépuratrices et phyto-rémédiation que Floridée’o cultive dans des bassins extérieurs. :

« Selon les problèmes, on fait des études pour trouver les plantes adaptées. Ça peut être des cours d’eau contaminés à cause des nitrates des agriculteurs par exemple, on met certains types de plantes. »

Dans son discours, on ressent évidemment les principes de permaculture. Ne pas retourner le sol mais le faire vivre. Associer les cultures. Arroser le moins possible. Laisser agir le monde microbien. Amener les espèces en dormance à s’épanouir comme elles l’entendent. Puis, aller sensibiliser les gens.

« Pour notre patrimoine végétal ! Faut avoir de la salive pour tout ça, je peux vous le dire ! Je vais dans des écoles, j’interviens avec les détenues de la prison des femmes, je travaille avec les collectivités, les entreprises (Yves Rocher, EDF,…), les agriculteurs (on peut utiliser les plantes pour faire du compost et amender les terrains au lieu d’utiliser des engrais chimiques, notamment en cas de problème de phosphore), les apiculteurs. Il faut former les responsables des services verts des municipalités, les élu-e-s. T’en convainc un et puis hop, les élections arrivent et il faut tout recommencer ! Parce que l’obstacle, c’est en partie les élu-e-s, ce sont eux/elles qui signent… », avoue-t-elle sans langue de bois et sans frilosité aucune même si c’est Floridée’o qui a bâti les ilots de plantes sauvages flottant désormais sur les bords de la Vilaine (à voir depuis la passerelle Saint Germain). 

UNE AUTRE VIE DANS LA VILLE

Ce jour-là, les discussions sont passionnées. Pascal Branchu, apiculteur et membre de La Nature en ville, prône, tout comme Thao Ngo, l’acceptation de la végétation en milieu urbain. Que ce soit devant les maisons, les bâtiments municipaux, etc., il faut perdre l’habitude d’arracher toutes les mauvaises herbes. Car elles participent à dépolluer l’air, à créer de la vie.

« La question est de voir comment on peut délaisser le minéral pour le végétal, petit à petit. Le minéral assèche l’air, créer des problèmes de santé, des allergies. On a besoin du végétal et de l’humidité dans l’air. », explique-t-il.

L’association citoyenne œuvre, grâce aux multiples participations bénévoles, à la création d’actions en faveur de la biodiversité, pour réussir à atteindre l’objectif d’une ville vivrière.

« On programme tous les dimanches des films au Cinéville de Rennes et pendant le débat qui suit la projection, on cherche aussi à recruter des bénévoles pour nous aider. On a eu plus de 600 volontaires pour planter des arbres fruitiers. On fait ça avec les écoles aussi. Sur les espaces publics. À la Poterie, dans la coulée verte, dans la zone sud de la gare, on peut planter des poiriers, du houblon, des vignes… Y en a plein des endroits comme ça dans Rennes ! On met de la nourriture dans la ville. On peut chacun-e faire sa part de colibri, c’est très bien, mais ensemble, c’est encore mieux ! Ça crée de la solidarité, du lien social, de jardiner dans les parcelles d’Incroyables comestibles ! », s’enthousiasme Pascal. 

AU SERVICE DE L’HUMAIN

C’est bien connu, la Nature a des vertus thérapeutiques pour l’humain. D’où l’aménagement de jardins partagés, de jardins de soins ou de végétation luxuriante dans les maisons de retraite, les structures accueillant des personnes en situation de handicap ou encore dans les maternités.

Sur la pépinière de Floridée’o, on trouve de tout. Des tomates poussent au milieu des fleurs de tabac, de l’origan, de la guimauve ou encore de l’onagre. Cette « primevère du soir », comme on l’appelle, est utilisée pour la prévention du cancer du sein, nous prévient Thao qui s’est beaucoup servie des plantes lorsque le sien est survenu :

« En tant qu’asiatique, culturellement, on se soigne beaucoup par les plantes naturelles. Quand je suis tombée malade, je me suis pas mal renseignée. Beaucoup de livres parlent de tout ça, il suffit de creuser. Aujourd’hui, on commence à se ré-intéresser à tout ça, à tous les bienfaits du thé vert, du curcuma, de la verveine citronnée… les gens galèrent mais je me mets à leur service pour les informer. Et puis, quand ils viennent ici, ils m’apprennent aussi plein de choses, partagent des recettes de grands-mères, c’est passionnant. Ce côté citoyen et humaniste… C’est vraiment avec mes tripes que je travaille. C’est le travail de bien plus qu’une vie de connaître tout ça et de découvrir les plantes.»

En lui disant qu’elle poursuit ici le travail des sorcières, elle nous guide vers une des serres dans lequel se trouvent d’autres plantes. Dont certaines spécifiques pour apaiser et accompagner les femmes dans leurs maux, leurs cycles, leurs corps et leurs souffrances. Si on connaît des remèdes naturels pour diminuer les douleurs dues aux menstruations, Thao en revanche nous fait découvrir le tamier, une belle plante verte aux petits fruits rouges.

« On l’appelle aussi Herbe à la femme battue. C’est moche hein ?! Parce qu’on la frotte contre les bleus, les hématomes, pour la cicatrisation des plaies… », souffle-t-elle. 

En silence, on établit un lien entre l’écologie et les droits des femmes. Thao, elle, le dit à voix haute : « C’est pareil, ça ne rapporte rien, donc les gens ne s’y mettent pas ! »

Dommage car les plantes parlent, comme le dit Mikaël Hardy, et nous enrichissent d’un passé et d’un avenir communs. Qu’il faut préserver, protéger, apprendre à connaître et à respecter. L’éco-conceptrice ne se décourage pas : « Pour nous je sais qu’il est trop tard. Mais c’est pour les générations futures qu’il faut se battre. » Quel monde voulons-nous leur laisser ?

Tab title: 
Arrêtons de faire taire les plantes
Préservons la Nature en ville (et pas que...)
À table
Prendre soin

Célian Ramis

PMA pour tou-te-s : L'urgence !

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Le projet de loi aurait du voir le jour en 2013, et plus récemment celui qui devait être rédigé à l’automne 2018, puis début 2019 a été repoussé à juin 2019 puis de nouveau repoussé... Pourquoi ?
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C’est la thématique qu’ont choisi de développer le Collectif breton pour la PMA et l’association Georges Sand lors d’une conférence organisée le 29 janvier dernier, à l’IEP de Rennes. 

«J’avais 33 ans quand Najat Vallaud-Belkacem a annoncé que ça allait se faire. Moi qui ne voulait pas aller à l’étranger… J’en ai maintenant 40. C’est une urgence parce que je ne suis pas sûre qu’on ait réellement parlé de la PMA, de la technique médicale pour concevoir un enfant. On a entendu des discours pour beaucoup lesbophobes et transphobes. C’est un imaginaire extrêmement néfaste qui se construit en France depuis 2012. », déclare Alice Coffin, journaliste militante féministe lesbienne, qui dénonce la lesbophobie d’État nichée derrière le report systématique* d’un projet de loi encadrant l’extension de la PMA aux couples lesbiens, femmes célibataires et personnes trans.

Elle parle de « grande mythologie, grande fable, autour de la PMA ». Les politiques la promettent depuis maintenant 7 ans sans jamais tenir leurs engagements. Violences des non-actes, des discours relayés par les médias, invisibilisation des personnes concernées, manque de représentation…

Alice Coffin analyse un ensemble de faisceaux indiquant que les pouvoirs en place discriminent ardemment les lesbiennes. « Les mois à venir vont être durs. La Manif pour tous a eu des effets désastreux et il y a un vrai lien entre les propos relayés par les politiques et les agressions LGBTphobes. », conclut-elle, pessimiste mais toujours activiste.

Discriminations flagrantes, lâcheté politique, mauvais traitement médiatique, la liste des impunités est longue et toxique puisqu’elle conduit une partie de la population, privée de droits égaux à ceux des hétéros cisgenres, à l’asphyxie. Une liste à laquelle Florence Bertocchio, militante transgenre, ajoute la transphobie de la Justice et de la Santé.

La question de la conservation des gamètes est épineuse. Y avoir recours avant un traitement entrainant la stérilité, oui. Y avoir recours avant un traitement entrainant la stérilité dans le cas d’une transition, non.

« On nous dit ‘Vous n’avez qu’à adopter’ alors que c’est très compliqué d’obtenir l’agrément pour l’adoption quand on est une personne trans et ‘Vous n’avez qu’à avoir des enfants avant la transition’ mais jeune on ne pense pas toujours aux enfants qu’on voudra ou non plus tard. C’est important de pouvoir conserver ses gamètes pour pouvoir y avoir accès même après une transition. », déclare-t-elle, s’appuyant sur des décisions judiciaires clairement transphobes et un cas concret de contentieux opposant une femmes trans et un CECOS.

Les deux militantes démontrent l’urgence absolue qu’il y a à établir cette loi. Pour donner les mêmes droits à tou-te-s. Peu importe le sexe, le genre et l’orientation sexuelle. 

* Le projet de loi aurait du voir le jour en 2013, et plus récemment celui qui devait être rédigé à l’automne 2018, puis début 2019 a été repoussé à juin 2019.

Célian Ramis

Mad'âmes : les artistes indisciplinées du street art

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Pas de doute, ces indisciplinées aux pinceaux bien pendus n’ont pas fini de transformer autant l’urbanisme que les mentalités. « On n’a pas fini de nous voir sur les murs de la ville », conclut Maya Wnu, l’œil frétillant.
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Les femmes ne sont pas artistes. Les femmes ne font pas du street art. Le street art ne peut se définir que si l’on utilise uniquement de la peinture en bombe… Formulé ainsi, ce discours n’a pas de sens. Ni formulé autrement d’ailleurs. Une preuve supplémentaire en acte avec l’exposition collective MAD’ÂMES à découvrir jusqu’au 16 février à l’Impermanence galerie, à Rennes. Les huit artistes réunies mêlent leurs univers divers dans une fresque murale devant laquelle il est conseillé de prendre le temps de s’arrêter. Pour observer, se perdre dans les détails, voyager, rêver, s’émerveiller… Pour respirer, tout simplement. 

Dos à l’entrée de Beaulieu, le restaurant Le Tournebride. Et en contrebas, un parking et un accès à l’Impermanence galerie. Par les escaliers, nous accédons à cet espace dans lequel s’attèlent les artistes de l’exposition collective à venir. Le lendemain, le 18 janvier, aura lieu le vernissage de MAD’ÂMES.

Bibiche Zède, Christine (2 x) Ammour, Maïté Rouault, Valérie Martin, Maya Wnu, Helena Gath, Eve le Trévedic et Anne-Laure Chevallier œuvrent ensemble à la transformation du mur - mis à disposition par le restaurant - en une grande fresque onirique, contrastée et poétique.

On joue à s’éloigner pour profiter de la vue d’ensemble et à se rapprocher pour observer chaque détail, ce qui relève de la mission impossible. De l’origine du monde à la végétation, en passant par les éléments célestes et la faune, l’œuvre, ornée par ci par là d’or et de cuivre, est envoutante.

Les couleurs fluos du paysage se marient au noir et blanc des personnages et les différents univers propres à chaque artiste viennent créer une sorte de symbiose harmonieuse agrémentée par les nombreux rires du collectif qui, malgré le froid et la grisaille, s’applique joyeusement à la métamorphose de la façade.

SANS REVENDICATION ?

À l’invitation de Maya Wnu et Thiago Ritual, gérant-e-s de l’Impermanence galerie, elles ont toutes répondu positivement, sans se connaitre. Pour « la notion de plaisir, de désir. On nous invite à dessiner sur les murs, on dit oui ! Pour le faire, pour être ensemble, pour avoir du plaisir ! », souligne Eve le Trévedic.

L’idée initiale : réunir des univers artistiques que le duo apprécie - dans une exposition à découvrir à l’intérieur de la galerie - et les mélanger dans une fresque murale. « C’est une exposition collective féminine mais pas féministe. Même si certaines sont féministes, il n’y a pas forcément ici de revendication. C’est surtout le mot « artiste » qui intéresse. », explique Maya.

Sa description nous intrigue. On cherche alors à décortiquer le propos : « On veut arrêter d’être cataloguées comme des artistes femmes. C’est une expo normale d’artistes et on ne devrait pas avoir besoin de revendiquer qu’on est des artistes. On est des artistes, point barre. »

Malheureusement, comme le souligne Thiago Ritual, dans le milieu artistique – comme dans le reste de la société – les femmes disposent de moins d’espace de diffusion que les hommes qui eux sont plus souvent programmés et programmateurs.

Pour Bibiche Zède, « on est obligé-e-s de passer par le sexe des gens avant de se faire reconnaître comme artistes à part entière. » Ce qu’elle critique fermement :

« Artiste femme. On n’est pas obligé-e-s de savoir que j’ai des ovaires !!! » 

Ce n’est pas nouveau, partout où elles sont et vont, les femmes doivent redoubler d’effort pour prouver leurs valeurs et leurs talents. Surtout quand elles investissent un domaine pensé comme essentiellement masculin. « Les femmes ont du talent et ça peut déranger les hommes dans une société patriarcale. », insiste Valérie Martin, rejointe par Christine (2 x) Ammour :

« C’est notre image artistique qui nous relie, qu’on soit homme ou femme. » Finalement, la revendication est évidente : être considérée pour son talent et non pas pour son sexe. Une demande pleine de sens pourtant toujours pas « naturelle » puisqu’il faut encore en passer par des démonstrations des inégalités bien vivaces. 

« ON FAIT CE QU’ON VEUT ! »

Au fil de la discussion, les arguments et anecdotes autour de la place des femmes dans le street art se multiplient. « Il y a une représentation masculine du street art. On imagine des hommes avec des bombes. Alors voir une femme peindre un mur au pinceau, c’est trop ! Au Brésil, il y a plein de nanas dans ce milieu, elles sont intégrées à la scène artistique, c’est normal là-bas. », commente Thiago.

Helena Gath confirme : « En Amérique latine, en Italie, en Espagne, c’est beaucoup plus ouvert à tous les genres, styles, sexes qu’ici. Au Pérou par exemple, on voit beaucoup de femmes – principalement parce que ce sont les maitresses - peindre les murs extérieurs des écoles maternelles et primaires avec des pinceaux. »

Durant les deux journées de réalisation de la fresque, elles ont constaté le passage de plusieurs artistes reconnus dans la discipline et se sont senties observées, jugées, « comme attendues au tournant », précise Eve. Maya, qui a arrêté de peindre dans la rue parce qu’elle était la seule femme, rigole :

« Y en un qui est venu me voir pendant que je dessinais l’oiseau et qui m’a demandé ‘Mais c’est quoi le message ? Pourquoi un oiseau ?’. Je lui ai répondu que c’était parce que j’avais pas la place de faire un poney ! Et il a continué : ‘Mais pourquoi au pinceau ?’ Pour d’autres, on avait du mal à savoir ce qu’ils pensaient. Enfin, y en a 1 ou 2 qui ont dit quand même que ça leur plaisait pas. On ne dirait pas ça aux graffeurs. »

Derrière les rires, elles dénoncent le paternalisme condescendant et méprisant visant à faire sentir aux femmes qu’elles ne sont que des femmes et ainsi les amener à renoncer. Mais c’est mal connaître les MAD’ÂMES qui avec cette exposition et cette fresque murale – qui visiblement casse doublement les codes en raison des outils utilisés et du sexe des artistes – lancent « un crew » de street art du même nom.

« On fait ce qu’on veut ! On montre qu’on est là, qu’on existe, qu’on fait des trucs, rétorque Bibiche Zède. Toute peinture murale n’a pas besoin d’être validée par les graffeurs. » 

CE N’EST QUE LE DÉBUT ! 

Le collectif permet donc d’accentuer la visibilité de chacune, de développer des réseaux et de faire infuser dans les esprits que le talent n’est pas défini par le sexe de l’artiste. Après tout, que sait-on de Banksy ou de War ? Sans connaître leurs identités, on les imagine au masculin. Ici, les MAD’ÂMES s’affranchissent des codes et des normes.

En liant leurs arts, elles prennent leur pied et livrent au grand public une fresque murale onirique et poétique. L’étincelle est créée par l’assemblage des techniques (collage, pochoir, peinture, etc.) et de leurs savoir-faire et le croisement de leurs univers alors mis en dialogue. « Ce sont des univers qui créent un univers. Quand on regarde les étoiles, on en regarde plein et c’est ce qui fait l’univers. », s’amusent à déclarer Bibiche Zède et Eve le Trévedic.

Pas de doute, ces indisciplinées aux pinceaux bien pendus n’ont pas fini de transformer autant l’urbanisme que les mentalités. « On n’a pas fini de nous voir sur les murs de la ville », conclut Maya Wnu, l’œil frétillant. 

 

 

Célian Ramis

Heureux comme Lazzaro : À couper le souffle

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Cinéville Colombier, Rennes
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Alice Rohrwacher offre au 7e art un troisième film subtil, intelligent, juste et puissant. Sur l’innocence, les migrations, l’exploitation, le bonheur, la lutte des classes, l’écologie, le ridicule et la persistance. Sublime et profond.
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C’est une ingénieuse merveille qu’a réalisé la cinéaste Alice Rohrwacher avec son film Lazzaro Felice, projeté le 18 janvier dernier lors de l’inauguration du festival du film italien Filmissimo, au cinéville Colombier de Rennes. 

Le film met une première claque. La réalisatrice une seconde. De celles qui font du bien parce qu’elles permettent de regarder le monde avec simplicité mais sans naïveté. De s’émerveiller devant la bonté pure d’un être humain, malgré la brutalité de l’exploitation avilissante d’abord de toute une communauté pour en arriver ensuite à l’effet grossissant de toute une société.

« En italien, ‘lazzaro’ désigne un homme qui vit dans la rue. ‘Lazzaro felice’ est une expression locale, difficile à traduire en français, mais ça désigne un homme qui n’a rien et qui est heureux. », précise Alice Rohrwacher, présente ce soir-là à Rennes.

Lazzaro, c’est un simple d’esprit qu’elle refuse de juger. C’est un saint de la religion du « nous », les humains. Si son film est plein de grâce, emprunt de références bibliques et de spiritualité, il n’en est pas moins très cartésien et réaliste. Hors du temps et de la civilisation, les paysan-ne-s de l’Inviolata, hameau rural du centre de l’Italie, travaillent à la solde de la marquise, réduit-e-s en esclavage, sans en avoir conscience.

La révélation de la grande escroquerie les propulse directement dans le monde moderne où là encore, ils/elles sont à la marge. « Ce sont des gens qui restent toujours dehors. En dehors des luttes. », souligne la réalisatrice qui a, plus jeune, vécu dans une zone proche de l’Inviolata :

« Quand on est arrivé-e-s en Ombrie avec mes parents, nous avons habité une maison qui venait d’être laissée par ces gens-là. J’ai grandi dans le vide qu’ils avaient laissé. » Marquée par ses souvenirs personnels,Lazzaro Felice (en français, Heureux comme Lazzaro) ne peut être détaché de son vécu et ressenti :

« J’ai fait des études classiques, pas de cinéma. Mais j’aimais le cinéma. Le documentaire. C’est le hasard de la rencontre avec mon producteur qui m’a fait venir au cinéma. Je crois qu’on fait des films parce qu’il y a des choses qu’on n’arrive pas à dire. C’est plus simple avec les images qu’avec les paroles. Ce n’est pas un film autobiographique mais moi aussi j’ai quitté la campagne pour aller à la ville. Même si je ne suis pas Lazzaro, j’ai partagé son regard pendant un moment. J’imaginais toujours avoir Lazzaro à côté de moi. »

Alice Rohrwacher offre au 7eart un troisième film subtil, intelligent, juste et puissant. Sur l’innocence, les migrations, l’exploitation, le bonheur, la lutte des classes, l’écologie, le ridicule et la persistance. Sublime et profond. 

Célian Ramis

Ode à nos corps libres !

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MJC Le Grand Cordel, Rennes
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Présumés atypiques, bien moulés dans la norme, complexés, sacralisés, dépossédés, hypersexualisés… certains corps sont exposés, d’autres dissimulés. Tous sont politiques.
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Présumés atypiques, bien moulés dans la norme, complexés, sacralisés, dépossédés, hypersexualisés… certains corps sont exposés, d’autres dissimulés. Tous sont politiques. C’est ce qu’a affirmé le collectif Les Femmes Libres dans l’exposition présentée du 10 au 21 décembre 2018 à la MJC du Grand Cordel à Rennes.

« Pourquoi cette thématique ? Parce qu’on parle tout le temps du corps. Il est politique parce qu’il faut se battre sans arrêt pour l’acceptation du corps, de soi-même… Et c’est pas gagné ! » Entre consternation et espoir, Petite Poupée 7, fondatrice du collectif d’artistes féministes et queer Les Femmes Libres, milite par les arts pour une plus juste représentation des corps. Parce qu’ils sont multiples, au-delà de la perception patriarcale largement médiatisée et diffusée dans les pubs, les jeux vidéos, les films, etc.

« On se questionne beaucoup sur notre corps. Est-ce que je suis grosse ? Est-ce que je suis belle quand même ? On se compare aux autres, on a peur des vêtements que l’on porte et de ce qu’ils renvoient… C’est politique d’arriver à se dire que l’on s’accepte comme on est ! Le corps est libre ! », s’enthousiasme-t-elle.

L’expo vient casser les clichés d’un corps féminin idéalisé et fantasmé pour proclamer la diversité des genres et des corps. Dans « Mon corps est politique », la question n’est plus de savoir si sur la photo ou la peinture se tient un homme ou une femme mais plutôt comment chacun-e incarne son enveloppe charnelle et se perçoit. Et ce à quoi ça nous renvoie.

Les œuvres sont véritablement fascinantes, impactantes. Tant dans la réflexion artistique que politique. Les esthétiques se mélangent et dans la simplicité du propos nait la force du message qui tend à rendre beaux tous les corps ainsi qu’à les désacraliser afin de se distancer de la morale et des normes infligées par une société imprégnée de conventions conservatrices qui ne font que renier la multiplicité des possibilités.

« Modifier son corps dans son sexe et son genre, perdre du poids, muscler son corps en faisant du sport, c’est pareil. Si on ne voit pas ça au même niveau, c’est à cause de notre échelle de valeurs. Ma transition vers le féminin, niveau corporel, n’a pas été contraignante ou violente dans ma chair. Pourtant, c’est une violence inouïe pour la société. », explique Selene Tonon, alors présidente d’Iskis, centre LGBT+ de Rennes, invitée à animer une causerie au sein même de l’exposition, le 13 décembre dernier.

Elle dénonce le conditionnement des femmes, cis et trans, au dégoût de soi, à la comparaison permanente et aux jugements néfastes et revendique l’émancipation pour tou-te-s. 

 

Artistes exposé-e-s : Douxerose, Jorgasme, Céline Bernier, Briel Hughes Pécourt, Hugo Le Fevre Dolci, PP7 et Sofia Tabouche.

Célian Ramis

Pour se réapproprier son corps : "Appelons une vulve une vulve"

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CRIJ, Rennes
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« La médecine moderne s’est construite sur les cendres de la chasse aux sorcières », nous informe Nina Faure, réalisatrice militante du documentaire Paye (pas) ton gynéco, diffusé au CRIJ de Rennes.
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« La médecine moderne s’est construite sur les cendres de la chasse aux sorcières »,nous informe Nina Faure, réalisatrice militante du documentaire Paye (pas) ton gynéco, diffusé au CRIJ de Rennes le 27 novembre dernier lors d’une soirée organisée par le Planning Familial 35. Une explication qui permet de comprendre – sans excuser – le caractère patriarcal et sexiste de ce secteur et d’envisager, ensemble, des solutions pour lutter individuellement et collectivement contre les violences gynécologiques et obstétricales. 

« Un acte médical n’a pas à être douloureux ou humiliant. », signale en guise d’introduction Aurore, militante au PF 35 et animatrice de la soirée consacrée aux violences gynécologiques. Ce soir-là, la salle du 4 Bis est pleine à craquer, plusieurs personnes assistant à la conférence assises sur le sol ou debout au fond de la salle. 

« Ce n’est pas un hasard que nous soyons aussi nombreuses. Je me souviens quand le #Payetonutérus a été lancé, très vite, il y a eu 7000 témoignages sur Twitter. C’est ce qui m’a fait me questionner car je pensais que je n’étais pas victime. Il a fallu lire les témoignages des autres pour réaliser que j’avais été exposée à ça, aux remarques sexistes. », souligne ensuite Nina Faure. 

Avant la projection de son documentaire, mis en ligne sur YouTube le 27 juin 2018, elle en précise la genèse : « J’avais un projet de film sur le désir féminin. J’ai fait pas mal d’entretiens avec des femmes et j’ai constaté qu’elles parlaient beaucoup des violences gynécologiques. Le film ne montre pas l’entièreté du sujet mais sert à ouvrir le débat ». 

Elle milite pour une redéfinition des pratiques ainsi qu’une redéfinition de ce qu’est le corps dans l’espace social en tant que personne ayant un vagin. Et donc pour la déconstruction des idées patriarcales, très répandues encore dans la médecine moderne. Ce que confirme Elinore, médecin généraliste en exercice depuis 3 ans au Planning Familial de Rennes :

« Déconstruire plein de trucs a été un apport énorme dans ma pratique ! »

OUTILS DE PRISE (ET DE RÉVEIL) DE CONSCIENCE

« Et bah je ne vous excite pas des masses quand même ! ». Ce sont les propos d’un gynécologue face à Nina Faure, en caméra cachée lors d’une consultation, en mesurant sa tension. En réaction, elle écrit au site Gyn&co sur lequel elle a trouvé le contact du praticien afin que ce dernier soit retiré de la liste. 

La suite de son documentaire est tout aussi choquante. Au niveau du langage employé – on n’utilise pas le terme pénétration en médecine mais invasif et ce terme ne s’applique pas aux examens gynécologiques – tout comme au niveau des témoignages d’étudiant-e-s en médecine et des arguments affligeants des représentants du secteur.

D’une vingtaine de minutes environ, Paye (pas) ton gynéco sert d’outils, non seulement en terme de prise de conscience mais également comme moyen d’ouvrir le débat et de réfléchir ensemble à l’objectif commun, selon la formule du médecin et écrivain, Baptiste Beaulieu, « Soignants, soignés, réconciliés ». 

« Je suis allée voir les représentants pour essayer de comprendre pourquoi ils réagissent dans le déni, dans la négation du problème. Il y a une volonté de ne pas remettre en question l’autorité de la blouse blanche. La profession est marquée par cette volonté de protection corporatiste, c’est très patriarcal. »
explique la réalisatrice. 

L’autorité de la blouse blanche. Une des bases du problème. Parce que le médecin « est dans la position du sachant, et donc dans une position de domination. », souligne Elinore. Ce qui explique qu’il soit difficile pour les femmes de réagir ou de contester lorsqu’elles font face, jambes écartées, pieds dans l’étrier et tête du praticien au niveau de leur vulve, à des remarques ou actes sexistes et sexuel-le-s. 

Il s’agit, comme le signale Aurore - en réagissant au conseil de Martin Winckler, recommandant aux patientes de quitter le cabinet sur le champ, sans payer -  d’« une barrière symbolique ».

Et le symbole est très prégnant dans l’histoire de la gynécologie moderne : « Le speculum a été inventé par un tortionnaire qui le testait sur des esclaves ! Il y a là un rapport de domination de genre et de race. La médecine moderne s’est construite sur les cendres de la chasse aux sorcières. Les femmes ont été brûlées parce qu’elles étaient autonomes, émancipées, détenaient un savoir populaire sur le corps des femmes, concernant notamment l’avortement, la contraception et la grossesse… » 

Et ça, ça dérange. Et parce que ça dérange, le pouvoir ecclésiastique le détruit pour construire une médecine non mixte. « C’est en 1871 que les femmes sont réintroduites. Il s’agit d’une infirmière, envoyée sur le front de guerre et qui opère avec des outils conçus par des hommes. Le speculum, les forceps,… Il y a dans ces termes une puissance symbolique ! », ajoute Nina Faure. 

DÉPOSSÉDÉES DE NOS CORPS

Le Syndicat National des Gynécologues et Obstétriciens a toujours été présidé par des hommes (Bernard de Rochambeau, qui considère qu’un avortement est synonyme d’un homicide, occupe actuellement le poste). La représentation sociale du médecin est donc ainsi : homme, blanc, hétéro, cis, bourgeois.

« Je suis étonnée de l’incapacité de certains médecins à expliquer les choses aux patientes. Expliquer le corps et son fonctionnement, c’est là le devoir du médecin. Sans ça, il ne peut pas y avoir de réappropriation du corps. Parfois, en consultation, pas toujours mais j’essaye de le faire, je propose à la patiente de mettre elle-même le speculum, je demande si elle veut voir le col de l’utérus, etc. »
énonce Elinore, dans une démarche bienveillante et militante. 

Aux méthodes patriarcales s’ajoutent le manque d’écoute, d’empathie et l’application rigoureuse de certaines idées qui ont la vie dure. Comme le frottis par exemple utilisé dans le cadre du dépistage du cancer du col. Pour Elinore, « il est conseillé mais pas obligatoire. Certains médecins se disent qu’il faut le faire tous les ans, c’est comme ça, pas autrement. Mais non… »

Aujourd’hui, il est préconisé dès l’âge de 25 ans. Pas avant. Comme de nombreuses femmes, Nina Faure l’a pourtant vécu bien avant cela : « J’ai eu le menu complet dès le début ! Je trouve que c’est une conception qui nous amène à penser que notre corps est tout le temps malade et que l’on ne peut pas détecter quand il y a quelque chose. C’est la base de la dépossession : nous donner peur de notre corps en pensant qu’il peut nous trahir en permanence. 

Alors tous les ans, on nous fait venir pour le check up. C’est pas un contrôle technique ! C’est impossible de s’éloigner de cette conception alors qu’on peut très bien sentir quand on ressent une gêne, on peut observer nos pertes, etc. Avec un speculum, j’ai pu observer mon col, constater mon cycle, découvrir une partie de moi, le visualiser dans l’espace. Avant, l’intérieur de mon vagin était totalement abstrait pour moi. Mais ça a vraiment du sens dans la réappropriation du corps. »

SE RÉAPPROPRIER NOS CORPS, NOS VULVES, NOS VAGINS

Il faut attendre septembre 2017 pour qu’un manuel de SVT publie enfin un schéma du clitoris. Dans tous les autres livres scolaires, il est le grand absent. Comme dans le livre du médecin et animateur TV, Michel Cymes, Quand ça va, quand ça va pas : le corps expliqué aux enfants (et aux parents) 

« Il a totalement oublié le clitoris parce que soi-disant on ne parle pas de ça aux enfants. La page suivante, il parle érection… Et puis de manière générale, on parle du pénis pour les garçons et du vagin pour les filles, alors que chez les filles, il y a le clitoris, la vulve, le vagin… ça change l’histoire ! »

Pour elle, l’éducation à la sexualité (non sexiste) doit être intégrée dans les programmes de SVT dont les ouvrages doivent proposer des schémas anatomiques exacts. Pour ne pas laisser penser que le sexe féminin est un point. Un trou. Un rien.

« Le langage est un moyen puissant de représentation. On dit que chez les garçons, le sexe est dehors et chez les filles, le sexe est dedans. Mais NON ! La vulve est dehors. Une partie du clitoris aussi. Souvent, on dit vagin à la place de vulve. Il faut appeler une vulve une vulve ! C’est une vraie libération d’utiliser les bons mots et en plus ça fait du bien à tout le monde ! », scande la réalisatrice.

Parce que l’histoire n’est pas écrite « par les personnes qui ont un vagin », il est nécessaire aujourd’hui de redéfinir les termes du débat. D’un autre point de vue. Celui des femmes. Pour des représentations plus justes. Mais aussi pour accéder à une relation plus égale entre les médecins et les patient-e-s. 

Par sa posture de sachant-e, le/la professionnel-le de la santé domine la personne qui s’en remet à lui/elle. Quand s’ajoute des critères de sexe, la parole des femmes est minimisée et celles-ci, dès le plus jeune âge, intègrent cela comme étant la norme. Douleurs et gênes dans le bas ventre, inconfort lors de l’examen, cycle menstruel invivable et handicapant au quotidien… ce seraient elles qui exagèrent, car « ce n’est rien ». Le même rien que le sexe féminin. 

« On n’arrête pas de se dire ‘je ne suis pas victime, je vais m’en remettre’, mais non ! Même principe qu’avec les blagues, les remarques sexistes, etc. L’enchainement des petites blagues fait que notre existence est affaiblie et on n’a même plus les moyens de répondre. C’est un continuum de violences. Jusqu’à la domination. »
souligne Nina Faure. 

Les solutions sont multiples. Il y en a « toute une palette ». Au niveau individuel, elle conseille « ce qui fait du bien, ce qui fait se sentir bien avec soi. » Partir du cabinet d’un-e médecin sexiste et malveillant-e, écrire à l’établissement de santé dans lequel la personne a été violentée, maltraitée, aller (essayer de) porter plainte au commissariat…

Elle croit particulièrement au collectif pour échanger d’abord des témoignages puis réfléchir ensemble à des ressources pour amener la société à évoluer vers un traitement digne et bienveillant des personnes dans le suivi médical.

« Il faut redéfinir ce qui se passe socialement et cela se fait grâce à toutes les actions militantes. La société sexiste est partout. Quand on veut s’en défendre, on s’y re-confronte tout de suite après. Se regrouper entre femmes est un puissant outil politique. Car ça permet de prendre conscience de notre condition, ça nous arme. Être entourée de femmes, pour moi, a été une étape nécessaire pour me former et me défendre intellectuellement. »

Difficile de légitimer sa parole quand on se sent seule, anormale. On craint les « tu exagères », les « mais non, ce n’est rien », les « ça va, y a plus grave, arrête un peu ». Les femmes prennent l’habitude de voir leurs paroles minimisées. Avec le temps, elles apprennent à vivre leurs souffrances et leurs difficultés en silence. 

Heureusement, grâce aux féminismes et aux nombreuses luttes des militantes (qui n’ont pas attendu le mouvement #MeToo et #BalanceTonPorc), les témoignages se multiplient pour ne plus subir de violences dont font grandement partie les violences gynécologiques et obstétricales.

Cependant, les résistances sont malheureusement très coriaces et la déconstruction a du mal à s’opérer. Si les militantes des années 70 revendiquaient déjà le droit à disposer de leurs corps, en prônant le recours à l’auto-examen comme moyen de se les réapproprier (documentaire Clito va biendu groupe Femmes de Quimper en 1979 – Lire notre article « Sortir de l’ombre le tabou du corps et de la sexualité », 12 octobre 2018, yeggmag.fr), elles sont encore minoritaires celles qui le pratiquent.

Ce soir-là, Nina Faure est venue avec son kit, montrant différents speculums et expliquant qu’avec quelques outils et accessoires, il est possible d’observer sa vulve, son vagin, son col de l’utérus. Apprendre à distinguer comment notre sexe est bâti. Apprendre à repérer les changements lors du cycle. Apprendre à concevoir son sexe, y compris la partie interne qu’on ne voit pas et dont on ne nous parle pas mais qui existe bel et bien.

ÉDUCATION ET FORMATION, DES ENJEUX MAJEURS

L’éducation a un rôle fondamental à jouer et pourtant, la loi de 2001 n’est toujours pas appliquée dans tous les établissements, censés dispenser des séances d’éducation aux sexualités et à la vie affective à plusieurs reprises dans l’année, que ce soit en élémentaire, au collège ou au lycée.

Pareil dans la formation des étudiant-e-s en médecine. Elinore le confirme :

« Pendant nos études de médecine, on n’est pas formé-e-s à la sexualité, aux particularités féminines. Seulement à l’angle reproductif en gynéco… »

Pourtant, la formation est indispensable pour combattre les normes sexistes qui régissent nos sociétés, tout comme les médecins devraient être formé-e-s à la transmission de l’information. On le voit avec « la norme de la contraception » définie « en fonction de l’âge », souligne la médecin du PF35 : 

« Quand une femme est jeune, on va forcément lui donner la pilule, sauf si elle demande autre chose. C’est au médecin de lui donner toutes les informations sur les différentes contraceptions mais aussi sur les effets indésirables de la pilule, que ce soit sur l’humeur, la libido, etc. 

À 30 ans, beaucoup de femmes ne veulent plus la pilule. Peut-être que le médecin qui lui a donné la pilule au départ n’a pas abordé la question du désir, etc. Ce n’est pas normal. Tout comme ça ne devrait pas être un problème d’obtenir un stérilet quand on est jeune… »

Elle regrette également que la question du consentement ne soit pas automatique. Au Planning Familial, « une affiche dans la salle d’attente dit qu’ici il n’y a pas d’examen non consenti et surtout, qu’il n’y a pas toujours d’examen. Ce n’est pas obligatoire. »

Les examens intrusifs, les positions pour les pratiquer, l’écoute lors de la consultation, l’information complète (afin d’être personnalisée), l’empathie… Il est maintenant essentiel que toutes ces thématiques soient posées sur la table et discutées.

La médecine moderne ne doit pas continuer de se développer au détriment des femmes comparées à des juments lors du 42econgrès national des gynécologues et obstétriciens, qui a eu lieu les 6 et 7 décembre 2018 et qui a alors diffusé une diapo contenant les propos suivants : 

« Les femmes c’est comme les juments, celles qui ont de grosses hanches ne sont pas les plus agréables à monter, mais c’est celles qui mettent bas le plus facilement. »

Heureusement, le président du syndicat, Israel Nisand a expliqué, en s’excusant, qu’il s’agissait d’une maladresse. On aurait peut-être pu y croire (en fait non) si les intitulés des master-class au programme n’étaient pas « Ces prétendues violences obstétricales : les enjeux juridiques » et « Comment se prémunir des plaintes pour attouchements sexuels ».

On se réjouit alors de la diffusion du documentaire de Nina Faure, Paye (pas) ton gynéco, de soirées comme celle organisée par le Planning Familial le 27 novembre affichant complet et d’actions militantes libérant la parole et permettant de petit à petit se construire, dans l’individuel comme dans le collectif. 

Pour que chacun-e se réapproprie son corps, sa vulve, son vagin, son clitoris, ses fesses, ses seins, ses hanches, etc.

Célian Ramis

Les suppliantes : l'appel à l'humanité

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ADEC, Rennes
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Le Théâtre du Tiroir fait du texte d'Eschyle, Les Suppliantes, un chantier citoyen, invitant sur les planches, des comédien-ne-s amateur-e-s français-es et étranger-es-s, demandeur-se-s d’asile, à prendre la parole. Celle, souvent, de leur propre histoire.
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Près de 2500 ans après son écriture, le texte d’Eschyle, poète de la Grèce antique, reste terriblement d’actualité. Mêlant menaces de mort, droit d’asile et liberté des femmes, la pièce Les Suppliantes est adaptée par le metteur en scène lavallois Jean-Luc Bansard, du Théâtre du Tiroir. Celui-ci en fait un chantier citoyen, invitant sur les planches, des comédien-ne-s amateur-e-s français-es et étranger-es-s, demandeur-se-s d’asile, à prendre la parole. Celle, souvent, de leur propre histoire. Le 23 novembre dernier, une quarantaine de personnes et une quinzaine de nationalités et de langues s’entremêlaient sur les planches de l’ADEC, à Rennes. 

« La mort plutôt que le viol ! » C’est le cri des Danaïdes. Cinquante femmes libyennes réfugiées dans le temple de Zeus, dans la cité d’Argos en Grèce, après avoir traversé la Méditerranée pour fuir leurs cousins les Egyptiades qui les pourchassent pour les épouser de force. Face au Prince, elles demandent asile tandis que leur père Danaos, part chercher de l’aide auprès du peuple.

« J’ai peur de l’ombre. Que la question des étrangers n’apporte pas le trouble ! », déclame le souverain, craignant une guerre causée par l’accueil de ces femmes. Elles qui tiennent le signe des suppliantes, dans ce lieu célébrant le dieu des demandeurs d’asile. Elles qui prouvent, par le récit du mythe d’Io, descendre des mêmes ancêtres. Elles qui devant les hommes s’affichent en guerrières, refusant la fatalité supposée de leur condition :

« Jamais nous n’accepterons de leur être soumises. Sois du côté de la Justice et décide ! »

Devant la détermination, le courage et l’appel à l’aide des Danaïdes, le Prince s’en remet à la démocratie : « Si la cité est en danger, c’est à la cité de trancher ! » À l’unanimité, les grecs se proclament en faveur de leur protection, décision qui déclenche la colère des Egyptiens, qui décident alors de rentrer en guerre. 

LA CRÉATION D’UN CHANTIER CITOYEN

« La fiction de Eschyle rejoint la réalité d’aujourd’hui », explique Jean-Luc Bansard, metteur en scène et créateur du Théâtre du Tiroir, à Laval, dans le documentaire Hospitalières et Suppliantes, diffusé sur France 3 Pays-de-la-Loire, le 12 novembre dernier (à revoir sur le site de la chaine).

C’est un passionné et un humaniste. Depuis 30 ans, il anime le Théâtre du Tiroir de sa curiosité pour les cultures du monde qu’il découvre au fil de ses nombreux voyages. Amoureux des littératures et des langues, le déclic opère lorsqu’il entend parler du texte d’Eschyle. Il l’intègre dans ses chantiers citoyens, conçus pour faire se rencontrer sur les plateaux de théâtre et dans les salles, le maximum de personnes d’origines et de cultures différentes.

« J’ai lancé un appel à toutes les femmes qui voulaient parler du sujet des mariages forcés. J’ai eu une douzaine de femmes. Ensuite, j’ai cherché des femmes réfugiées dans les centres d’alphabétisation, au 115, etc. Il y avait pas mal de difficultés car elles ne connaissaient pas toutes la culture et la langue française et le théâtre. Sont venues des femmes algériennes, albanaises, guinéennes… On a fait des duos : une femme française / une femme étrangère. Et à chaque fois, les françaises ont du apprendre au moins une phrase dans la langue de sa binôme. », s’enthousiasme-t-il.

Il peut parler des heures durant de ses rencontres et de ce qui l’anime dans le théâtre : « Le théâtre, c’est se tenir debout et dire quelque chose au monde. Et là, c’est formidable, un cordonnier d’Erythrée porte la parole d’Eschyle. Pour moi, c’est le meilleur résultat de ce spectacle. Un paysan de Guinée parle au monde entier à travers Eschyle. Une femme de ménage française qui travaille dans les écoles de Laval, elle dit une parole qui a 2500 ans. Que demande-t-on au théâtre, si ce n’est qu’il porte la parole des plus humbles d’entre nous ? » (extrait du documentaire de Pierre Guicheney). 

DES FEMMES LIBRES ET PUISSANTES

Sur scène, le chœur des femmes est beau et puissant. Combattives, elles implorent l’aide et le soutien d’une peuple frère et ami « contre le viol et l’esclavage ». Elles chantent, elles dansent, elles s’expriment. Dans une dizaine de langues différentes (auxquelles s’ajoutent également les langues des hommes, jouant les soldats). Et également dans une langue imaginaire, inventée par Olivier Messager, réunissant les sonorités du monde entier.

« Pour moi nous sommes combattives et guerrières. Et nous ne sommes pas des victimes. », souligne Florence, dans le documentaire, précisant : « Je me sens utile. Je n’ai jamais su comment militer réellement. Et là, c’est une forme de militantisme mais au travers de la culture. »

Pour Hélène, aussi comédienne dans la pièce : « Dès la première scène, j’ai vraiment l’impression qu’on est embarquées avec eux sur le bateau. Alors tous ne sont pas arrivés par la mer bien sûr. Et ça y est, l’aventure est là, on est ensemble. On va se battre pour ce droit d’asile, et en tant que femmes pour résister à la loi des hommes et ça devient presque vrai. » 

AU-DELÀ DU RÉCIT

Presque vrai. Voire vrai tout court. Walid a fui la Syrie avec Sana, sa femme, et leur fille. Parce qu’ils étaient menacés de mort « par les groupes terroristes, qui kidnappent et violent les femmes. » Mauri a « fui la mort » qui l’attendait en Côte d’Ivoire où il a été battu et torturé et a risqué sa vie en traversant la mer dans un bateau, entassé avec d’autres :

« Mon soucis, c’est d’obtenir des papiers français, sinon je ne peux rien faire. Et c’est très dur de ne rien faire de ta vie, tu tournes en rond alors que tu es dans un pays où tu te sens à l’aise. Je me bats pour le futur, pour mes enfants, pour ne pas qu’ils subissent les souffrances que j’ai connu. »

Jeannette s’est enfuie avant d’être excisée, quittant le Kenya la veille de son mariage forcé. Arrivée en Europe, on lui propose un mariage blanc en Belgique afin d’obtenir des papiers. Elle s’y oppose. Aujourd’hui, elle crie sa liberté sur les planches du théâtre :

« Ici, on s’entend comme si on était du même père. On ne calcule même pas la couleur de peau ici. Comme si c’était une seule personne qui nous a mis au monde. Parce que même si quelqu’un se met à déconner, on arrive à lui faire comprendre ‘ça c’est pas bien, c’est mieux comme ça’ et on accepte tout de suite, on comprend tout de suite. »

L’adaptation de cette pièce multilingue est une ode à l’humanisme et un rappel à tou-te-s que le droit à la dignité nous incombe à tou-te-s. Après la représentation, pas de débat mais une invitation en musique et en danse à venir se joindre à la joyeuse troupe à l’énergie débordante, insufflée par un metteur en scène engagé et amplifiée par les sourires de la quarantaine de comédien-ne-s qui font instantanément tomber les barrières et secouent les mentalités. Bouleversant.

Célian Ramis

Anna Uru et ses joyeuses turlutaines

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Université Rennes 2
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Venue exposée "Les Turlutaine" du 22 novembre 2018 au 22 janvier 2019 à la galerie de la Chambre Claire, située sur le campus de Rennes 2, l'illustratrice Anne Uru a démontré que frivolité rime avec réflexion et qualité.
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À travers l’affiche de Week-end à Rennes (8 – 11 novembre), réalisée pour l’Antipode MJC, ou à travers les 23 dessins regroupés dans l’exposition « Les Turlutaines », qui étaient à découvrir jusqu’au 22 janvier 2019 à la galerie de la Chambre Claire située à Rennes 2, l’illustratrice Anna Uru démontre que frivolité rime avec réflexion et qualité. 

C’était la fête du slip dans le bâtiment de la Présidence de l’université Rennes 2 entre le 22 novembre et le 22 janvier, du nom d’un tableau d’Anna Uru en hommage (dé)culotté à la marque Le Slip Français, signale la légende. Son univers fantaisiste aux grivoiseries couleurs pastel illumine et anime la galerie de la Chambre Claire, venant s’acoquiner avec le sérieux supposé du lieu.

L’exposition « Les Turlutaines » est réjouissante, les situations cocasses. Qu’il s’agisse des Tartineurs artistiques en train de se beurrer la biscotte, du Twist and shout dans lequel un homme et une femme créent un méli-mélo de corps nus en jouant au Twister ou de La Bonne Prise d’escalade en forme de verge, les dessins comportent, sous traits d’humour, une légèreté originale pour aborder des réflexions autour de l’amour, du couple et du cul. 

« Ce sont les trucs qui m’inspirent le plus donc j’ai vogué là-dessus. J’aime les trucs drôles et j’essaye là-dedans de diluer le côté cul. Ce que je représente, ce sont des extrapolations de moments intimes que j’ai pu vivre. Très extrapolés ! Je mets plein de choses qui font sens chez moi. J’ai du mal à expliquer mais je véhicule des symboles, j’inclus des messages dans des compositions qui touchent à un sujet avec un élément, un truc, frappant, impactant. », souligne l’illustratrice parisienne, de passage à Rennes pour l’inauguration de son exposition. 

LIBRE INTERPRÉTATION

Elle dessine ce qui lui passe par la tête. En rapport avec l’actualité, son vécu et celui de son entourage. Et cela prend toujours la forme de personnages solides et souples, libres, aux corps, à la sensualité et la sexualité assumés :

« Le point de vue au départ, c’était un message sur les relations hommes-femmes, sur les idées de comportement qu’on a dessus. Et de détourner les codes de représentation de ces relations intimes, plus sous la forme du jeu. Qu’elles soient joyeuses et rigolotes. Simples et drôles. Parce que c’est comme ça que je vois les choses. Et ça passe par des expériences personnelles parce que ça m’est arrivé d’être mal à l’aise, déstabilisée, dans certaines situations, alors qu’il n’y a pas à l’être. Pourquoi ça ne serait pas drôle ? Pourquoi en tant que femme on doit toujours subir, en quelque sorte, ou se cantonner à certaines choses ? » 

On aime prendre le temps d’observer de loin les tableaux, réalisés essentiellement sur Photoshop et Illustrator, puis se rapprocher pour apprécier la qualité de chaque détails et la beauté d’une esthétique un peu kitsch affinée au grain. Sans yeux, nez et bouche, les personnages et les situations sont pourtant particulièrement vivant-e-s et animé-e-s.

« Je trouve que c’est plus fort visuellement. Il y a déjà beaucoup de choses dans mes dessins. Et puis ça permet aux gens de se projeter, de s’identifier ou de mettre le visage de qui l’on veut à la place. »
souligne Anna Uru. 

Et ça fonctionne puisqu’à partir de ces mises en scène potaches et rigolotes, on se prend à réfléchir à leur interprétation, que l’on associe généralement à des situations qui résonnent avec nos propres vécus :

« Il y a un dessin où j’ai fait 3 œufs au plat sur les seins d’une femme. C’est parti d’une blague de merde parce que j’ai trois tétons. Certains y ont vu un manifeste pour la reconstruction mammaire. Je trouve ça trop bien ! L’aspect féministe n’est pas frontal mais y est, et est dans l’invitation à réfléchir davantage que juste ce que je dessine. Les gens foutent leur interprétation et c’est vraiment bien ! » On est d’accord, c’est vraiment bien.

Célian Ramis

Pupille, la nouvelle pépite de Jeanne Herry

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Jeanne Herry signe Pupille, une nouvelle œuvre impeccable, dans laquelle elle n’omet aucun détail et n’émet aucun jugement vis-à-vis de ses personnages.
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Quatre ans après son premier long-métrage Elle l’adore, Jeanne Herry signe une nouvelle œuvre impeccable, dans laquelle elle n’omet aucun détail et n’émet aucun jugement vis-à-vis de ses personnages. Pupille, sur les écrans le 5 décembre, était projetait en avant-première le 14 novembre dernier au cinéma Gaumont de Rennes, en présence de la réalisatrice, d’Olivia Côte et d’Elodie Bouchez. 

Alice apprend qu’elle aura bientôt un enfant. Après 10 ans de combat, son dossier a été choisi. Elle deviendra la mère adoptive de Théo, bébé accouché sous X. Dès sa naissance, les services de l’Aide sociale à l’enfance et le service adoption se mettent instantanément à l’œuvre pour recueillir les souhaits de la mère biologique, prendre en charge l’enfant placé momentanément dans le foyer d’un assistant familial et trouver une famille.

Ici, pas de personnage principal. Mais un ensemble d’individus essentiels au bon déroulement des opérations et à l’accompagnement de ce nouveau-né. Chaque geste doit être calibré au millimètre près, tout comme chaque note d’une partition doit être jouée avec précision. Et pour cela, la cheffe d’orchestre, Jeanne Herry, ne laisse rien au hasard.

L’idée lui vient de son entourage, une amie à elle ayant adopté : « Elle m’a passé un coup de fil pour m’annoncer qu’elle allait avoir un bébé. Ça a allumé 1000 questions en moi. J’ai réalisé que je ne m’étais pas intéressée à ce qu’elle avait vécu durant toutes ces années. L’accouchement sous X, les lois, le protocole qui encadre ces parcours du combattant… »

Elle va alors se documenter et rencontrer les travailleurs sociaux de Brest afin de constituer une matière réelle et réaliste, dans laquelle elle voit « des enjeux de fiction, le côté romanesque de la vie, de beaux personnages et une belle histoire. »

La réalisatrice se lance dans l’écriture d’un scénario tendu et complet, veillant à ne jamais tomber dans la caricature ou le jugement. « Je n’ai pas de raison de juger les personnages, de les critiquer. De la mère biologique à la recueillante, le but est de comprendre les enjeux, les missions, les objectifs, les désirs et les difficultés. C’est un échiquier riche a animé. Ce n’était pas du tout intéressant de mettre des personnages qui mettent des bâtons dans les roues… », souligne Jeanne Herry. 

Dès la première scène, on sait qu’Alice sera la mère de l’enfant. Le suspens n’est pas le propos. Ce qui l’anime, elle, c’est de travailler une autre tension. Celle qu’éprouve le bébé. Celle qu’éprouve la future mère. Par où va-t-on arriver à l’aboutissement de la procédure ? C’est la question qu’elle pose et qu’elle développe, en décidant de nous montrer un service dans lequel « ça se passe bien. »

Et la force de Jeanne Herry est de filmer les histoires dans l’histoire. Celles de chacun des personnages réunis autour d’un même but mais aussi pris par les aléas de leurs propres vies. Tou-te-s sont à un tournant de leur existence. Fatigue, départ à la retraite, déboires amoureux… le film prend sa dimension complexe dans les moindres détails qui ne sont jamais laissés au hasard.

« Il y a des champs de mines et des champs de fleurs chez les gens qui adoptent, tout comme chez les gens qui travaillent pour les services sociaux. », précise Jeanne Herry qui, au-delà de l’histoire initiale, s’attache à donner la parole y compris lorsque la personne n’en est pas encore dotée, comme tel est le cas pour le bébé. 

Parce que ce qu’elle aime par dessus tout, c’est écrire des scènes dialoguées, faire parler les gens dans une action de paroles et non de bavardages : « Les actions qu’ils engagent sont vitales dans la vie des gens, et ils le font avec leur subjectivité et leur capacité d’analyse et d’empathie. Même quand on travaille bien, dans un service qui fonctionne, comme il s’agit d’un collectif dans lequel chacun est un individu avec sa vie privée, etc., forcément il y a des tensions. Il faut faire les bons gestes au bon moment, il y a un besoin de solidité, de personnes prêtes, etc. Chacun va venir se régénérer à sa façon auprès du bébé. »

Elle le dit elle-même : dans un endroit dur, de l’accouchement sous X à l’adoption, il y a des endroits d’espoir. Pupille fait du bien. Au-delà de la bienveillance qui caractérise la relation qu’entretient la réalisatrice avec ses personnages, Jeanne Herry a aussi la particularité de saisir avec subtilité la finesse des non dits.

En filmant en gros plan les regards, la peau, les mains, les gestes… elle attire notre inconscient sur la solitude des femmes. « Je suis touchée par les femmes seules. J’aime les filmer dans la solitude. Il y a en effet toute une thématique sur les femmes seules qui sont aussi des femmes désirantes. Qui matent les garçons quand même ! Je les aime bien dans leur solitude. », explique-t-elle. 

Elle le fait avec légèreté et enthousiasme. Avec un œil affuté et sensible. Sans tomber dans le pathos ou le larmoyant. Elle recrée des instants de vie, sans intervenir dans le cours des événements. Et pourtant elle s’octroie quelques libertés qu’elle intègre pour signifier que ça peut et ça devrait être normal. C’est le cas pour le rôle de Gilles Lellouche, qui interprète l’assistant familial.

« Il y a beaucoup d’éducateurs mais très peu d’hommes en tant qu’assistants familiaux. Au début, on le voit avec des enfants plutôt ados. On ne l’attend effectivement pas avec un bébé. C’est lui qui va assurer le relai dans la phase d’adaptation. Il est aussi l’homme de l’intendance, de la logistique, etc. dans son foyer, sans être dégradé dans sa virilité au quotidien. », précise la réalisatrice. 

Nuancé, détaillé, complexe, intelligent, bienveillant, parfaitement ficelé, engagé, émouvant, documenté… On pourrait en trouver bien d’autres des termes ou adjectifs pour qualifier le film de Jeanne Herry, véritable pépite qui regroupe des actrices et acteurs à la hauteur de l’exigence du scénario et des messages (Elodie Bouchez, Olivia Côte, Gilles Lellouche, Sandrine Kiberlain, Miou-Miou, Stéfi Celma, Youssef Hajdi…).

Si on peut penser l’histoire angoissante et anxiogène, les 1h45 de projection nous prouvent le contraire. On respire, on admire, on éprouve une multitude de sentiments et on relâche la pression. C’est intense et on adore ça. Un cinéma réaliste, en retenue mais sans jugements, caricatures et stéréotypes.

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