Célian Ramis

Endométriose : "Non, ce n'est pas normal d'avoir des douleurs pendant ses règles !"

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Krystel Nyangoh Timoh, chirurgienne gynécologue-obstétricienne au CHU de Rennes
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Chirurgienne gynéco-obstétricienne, Krystel Nyangoh Timoh s’engage au quotidien pour faire évoluer la recherche, les techniques et les approches médicales, au service de la santé et du confort des personnes atteintes d'endométriose.
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Chirurgienne gynéco-obstétricienne au CHU de Rennes et maitresse de conférences en anatomie à l’université de Rennes, Krystel Nyangoh Timoh s’engage au quotidien pour les femmes atteintes d’endométriose. Amélioration et individualisation de la prise en charge globale, précision des connaissances en anatomie et en chirurgie robotique (mini invasive), prise en considération des besoins et envies de la personne concernée… Elle œuvre pour faire évoluer la recherche, les techniques et les approches médicales, au service de la santé et du confort de la patiente.

Elle parle de l’invisible souffrance des femmes et surtout de leur prise en charge. Krystel Nyangoh Timoh œuvre, au quotidien, pour l’amélioration de l’accompagnement global de ces 2,5 millions de françaises atteintes d’endométriose. « C’est extrêmement fréquent, vous avez tou-te-s une cousine, une mère, une amie… qui a une endométriose », souligne-t-elle, précisant :

« On parle de 10% des femmes à en être atteintes, c’est une estimation car il y en a probablement plus. » 

Davantage encore demain. De par la médiatisation du sujet, la diffusion de l’information auprès des patient-e-s, la formation des professionnel-le-s, permettant ainsi une plus rapide prise en considération des symptômes et douleurs pour établir, plus vite, un diagnostic plus précis. Mais aussi de par l’augmentation et le développement des perturbateurs endocriniens, mis en cause dans la maladie en tant qu’hypothèse puisqu’il n’existe, à l’heure actuelle, pas de certitudes sur les causes de l’endométriose.

UN QUOTIDIEN DE SOUFFRANCES

On en connait, néanmoins, les conséquences : première cause d’infertilité féminine, la maladie chronique peut empêcher les porteur-euses de « mener leur vie comme elles le souhaitent ». La gynécologue-obstétricienne dresse une liste non exhaustive des effets : fatigue, santé mentale qui peut se dégrader plus rapidement, troubles digestifs, troubles urinaires, obligeant parfois à l’absentéisme (à l’école, dans les études, au travail…) mais aussi l’isolement dans la vie sociale. 

Sans oublier « le coût pour la patiente, les soins complémentaires (sophro, acupuncture, réflexologie, par exemple) qui participent au bien-être ne sont pas pris en charge » et le coût également pour la société estimée à environ 10 000 euros par femme et par année (coûts directs relatifs aux soins et à la perte de productivité pour l’employeur, selon une étude de la Fondation mondiale de recherche sur l’endométriose, réalisée en avril 2012). « On devrait tou-te-s la prendre à bras le corps cette maladie ! », s’exclame alors Krystel Nyangoh Timoh. Et plus le diagnostic est long à établir, plus la prise en charge tarde à être mise en place et adaptée à la personne concernée, plus les douleurs pelviennes peuvent devenir chroniques et invalidantes. 

« Nous, les chirurgiens, et je m’inclus dedans, on prend en charge la maladie comme un nodule. On a besoin de prendre en charge de manière globale. Avoir une endométriose, ça amène les femmes à se poser des questions. Sur la possibilité d’avoir ou non un enfant, sur la pratique de tel ou tel métier… Elles ont besoin d’un accompagnement individualisé qui s’adapte à leur vie, leurs envies, etc. »

PETITE HISTOIRE DU SILENCE…

En 2024, l’évolution est lente. L’endométriose, elle, a pourtant toujours été là. « Dès l’Antiquité, il y a des textes qui parlent des douleurs que certaines femmes avaient pendant leurs règles », précise la gynécologue-obstétricienne. Et puis, il faut attendre 1860 pour que le docteur Rotikansky observe, à l’occasion d’une autopsie, des lésions sur le péritoine et identifie ainsi l’endométriose. En 1921, John A. Sampson théorise sur la maladie « et depuis, il ne s’est pas passé grand-chose ».

Krystel Nyangoh Timoh se souvient, lors de ses études à Paris, avoir vu des patientes atteintes d’endométriose. Souhaitant comprendre, elle cherche dans son ouvrage de référence sur la gynécologie : « Il y avait 2 lignes seulement alors que beaucoup de femmes souffraient ! » Les années 2000 voient des associations de patientes se créées, à l’instar d’EndoFrance puis récemment, en Bretagne, EndoBreizh, une filière de soins pour la prise en charge de l’endométriose. Grâce à ces structures et aux personnalités publiques ayant médiatisé la maladie – Laëtitia Millot, Lorie, Enora Malagré, etc. – Emmanuel Macron a annoncé, en 2022, une première stratégie nationale pour lutter contre l’endométriose.

BIAIS ANATOMIQUES ET CHIRURGICAUX

S’attaquer aux origines de la maladie figure comme un objectif de ce plan. Car aujourd’hui, « on ne sait pas comment elle arrive ». Ce que l’on sait : chez les personnes menstruées, atteintes d’endométriose, des lésions se développent dans et en dehors de l’utérus, pouvant se propager, comme des métastases, et atteindre d’autres organes. « Mais des jeunes filles ressentent des douleurs dès les premières règles. Cela signifie que l’endométriose était déjà présente », souligne la gynécologue-obstétricienne, pointant ici les potentiels facteurs génétiques et la possibilité que les lésions se soient créés lors de la vie intra-utérine du bébé. 

L’essentiel pour elle, dans son quotidien de praticienne : améliorer la prise en charge des personnes endométriosiques. Et cela passe par l’obtention et la diffusion de connaissances pointues en termes d’anatomie et de chirurgie. Elle constate, à force de recherches et d’expériences, une connaissance plus aiguë de l’organe masculin que de l’organe féminin, rejoignant les revendications féministes à se réapproprier les savoirs concernant le corps des femmes et à en explorer tous les recoins, afin que chacun-e puisse reprendre son pouvoir d’action et de consentement. 

Elle l’applique à son métier : « Quand on fait de la chirurgie, il est important de comprendre où est-ce se situent les lésions et comment elles sont innervées. » Elle le dit, la chirurgie de l’endométriose est une des plus complexes tant « il faut connaitre son anatomie par cœur ». Dans l’opération, elle observe deux missions : enlever la maladie et préserver l’innervation pelvienne. Passionnée d’anatomie, Krystel Nyangoh Timoh veut comprendre. Avec son étudiante en médecine, elles ont traqué les nerfs de la zone un par un et ont ainsi réalisé une cartographie, « un travail colossal et fondateur pour la suite ». 

En parallèle, elle identifie un autre biais de la médecine face à l’endométriose, celui de la chirurgie. Actuellement, l’évaluation de la chirurgie s’effectue sur la base d’un questionnaire des symptômes « et non pas sur un questionnaire détaillé des douleurs, ce qui en fait une évaluation peu ou pas appropriée, pas précise ou pas représentative ». Toutes les personnes atteintes d’endométriose ne sont pas opérées (mais il existe aujourd’hui des techniques mini invasives – par la chirurgie robotique par exemple – permettant de limiter les séquelles des patient-e-s).

UN DÉFI SOCIÉTAL

Ainsi, attention est portée à l’élaboration d’une grille d’analyse plus adéquate et plus cohérente à la pluralité des symptômes, des douleurs, des patientes et des endométrioses. Œuvrer à l’amélioration de la prise en charge passe donc par la recherche, en matière de connaissances anatomiques, et surtout par l’étroite collaboration avec les personnes concernées. Afin d’identifier les besoins et les intentions. Parce qu’elles n’ont pas toutes les mêmes modes de vie, les mêmes ambitions, les mêmes âges et les mêmes enjeux. 

« Si on en parle autant, c’est parce que c’est un défi sociétal et culturel », analyse la professionnelle. Elle raconte : « J’ai pris en charge une patiente de 36 ans qui n’avait pas d’enfant. Jusque-là, tous les praticiens lui avaient conseillé de ne pas retirer l’utérus car elle n’avait pas d’enfant. Je ne dis pas qu’il faut systématiquement pratiquer l’hystérectomie mais ça nous pose la question de nos propres croyances. À quel âge, on peut enlever l’utérus d’une patiente ? Selon quels critères ? Quand est-ce que le désir de la patiente compte ? » Elle s’interroge et attire l’attention sur la projection des croyances de chaque praticien-ne renvoyée sur la patiente. 

« Il me semble que nous, on est là pour que les femmes puissent accomplir leur vie, comme elles, elles l’entendent »
ponctue-t-elle. 

Son questionnement est indispensable dans la pratique d’une médecine - encore empreinte des stéréotypes de genre – à destination d’une population souvent et longtemps reléguée au second plan. Elle cite les apports et les travaux de la chercheuse Camille Berthelot et de l’épidémiologiste Marina Kvaskoff, œuvrant à l’avancée et l’évolution des connaissances mais aussi des mentalités : « Heureusement, il y a aujourd’hui plus de femmes, plus de diversité et plus d’opportunités pour rendre le sujet visible et écouter les patientes. » 

UNE ÉVOLUTION LENTE

Krystel Nyangoh Timoh, investie et engagée dans de nombreux projets pour l’amélioration de la prise en charge globale des patientes, la précision des données scientifiques, anatomiques, chirurgicales et numériques ou encore la création (longue) d’une maison de l’endométriose à Rennes (et pour tout ça, élue Rennaise de l’année 2023 par les lecteurs d’Ouest France), reconnait l’évolution des pratiques mais semble regreter la lenteur de celle-ci. 

« On avance. Le but des filières comme EndoBreizh, c’est de sensibiliser, informer, former nos collègues pour qu’on puisse mieux prendre en charge les patientes. Et à partir du moment où la médiatisation est importante, on en parle davantage. Dans la formation, en médecine, et je le sais parce que c’est moi qui anime le cours au CHU de Rennes, ça a augmenté la partie sur l’endométriose. Mais ce n’est pas assez… C’est 4h, c’est pas énorme ! » 

Sans compter la longue procédure pour obtenir un diagnostic. Peu d’experts en échographie travaillent en France, a contrario des pays germaniques, ce qui rend la tâche compliquée pour précisément poser le diagnostic. Ainsi, dans l’hexagone, il est établi l’ordre suivant : « L’interrogatoire, l’examen clinique, l’échographie en première intention afin d’éliminer d’autres pathologies comme un kyste ou autre, tenter le traitement hormonal puis si celui-ci ne fonctionne pas, faire l’IRM… »

En moyenne, on estime à 7 ans la durée moyenne d’un diagnostic d’endométriose. À prendre en compte également, comme le souligne la gynéco-obstétricienne : toutes les femmes qui ont mal ne sont pas atteintes d’endométriose. « C’est le sommet de l’iceberg, l’endométriose. Mais il y a une vraie nécessité à pousser les recherches sur les douleurs de la femme. Ce n’est pas normal d’avoir mal pendant ses règles ! », conclut Krystel Nyangoh Timoh.

 

  • Krystel Nyangoh Timoh intervenait au Diapason, à Rennes, dans le cadre de la journée « Égalité et sciences : la place des femmes », organisée le 11 mars par l’Université de Rennes.

Célian Ramis

Algues vertes, entre chaos et résilience

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À travers l’exposition Algues maudites, a sea of tears, l’artiste photographe Alice Pallot présente sa vision d’un futur proche autour de la problématique des algues vertes et interroge l’omerta autour du sujet.
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À travers l’exposition Algues maudites, a sea of tears, l’artiste photographe Alice Pallot présente sa vision d’un futur proche autour de la problématique des algues vertes et interroge l’omerta autour du sujet. De la Belgique à la Bretagne, en passant par l’Occitanie, elle a réalisé un travail collaboratif en partenariat avec des militant-e-s écologistes et des scientifiques.

Il y a, dans les tableaux d’Alice Pallot, de la poésie, de l’onirisme. Mais aussi du monstrueux et du flippant. C’est une histoire horrifique. Celle de l’effondrement de la biodiversité, impactée par l’humain et sa capacité à détruire son environnement. En Bretagne, dans les eaux littorales comme dans certains fleuves, les algues vertes prolifèrent. Pollution visuelle et pollution olfactive, elle est aussi mortelle lorsqu’elle relâche de l’hydrogène sulfuré (gaz H2S) qui, hautement concentré, devient toxique et fatal. Une arme résultant des déchets de l’agriculture intensive et du réchauffement climatique. Dans la bande dessinée Algues vertes – l’histoire interdite, la journaliste Inès Léraud – accompagnée par Pierre Van Hove aux illustrations – relate une enquête hyper documentée au cœur du lobby de l’agroindustrie bretonne et de l’omerta qui plonge les expert-e-s dans le silence, laissant le danger se propager. 

UNE HISTOIRE PEU DOCUMENTÉE EN IMAGES

Choquée par la lecture de cette BD, Alice Pallot se lance dans des recherches sur Internet. « Je me suis renseignée et pour un tel enjeu, il n’y avait pas grand chose sur le sujet. Du point de vue de la photo, la documentation était faible en tout cas ! », explique-t-elle. Elle se souvient de quelques photos d’animaux morts. « Mais si on ne connait pas le sujet, qu’on n’habite pas en Bretagne par exemple, on ne sait pas qu’il y a une omerta », ajoute Alice Pallot qui habite et travaille entre Bruxelles et Paris. Pourtant, elle va vite y goûter à la loi du silence : « Un jour, sur la plage, j’étais toute seule et je prenais des photos des algues. Une personne m’a interpelée et a appelé la police pour me dénoncer. J’ai eu un peu peur… » Elle souhaite alors entreprendre sa propre investigation. A travers sa propre lecture de la problématique. 

La série Algues maudites, a sea of tears se développe dans le cadre de la résidence 1 + 2 à Toulouse, mêlant travail artistique et travail scientifique. Aller sur le terrain, observer, prélever, échantillonner, analyser et restituer. Dans une optique de transmission, vulgarisation et prise de conscience, elle choisit son médium de prédilection : la photographie et, au travers d’une narration spécifique, invente à partir de faits réels un scénario d’anticipation. Aux côtés de militant-e-s écologistes breton-ne-s et de chercheur-euse-s toulousain-e-s, elle trace son sillon entre le réel et la fiction, pour en faire ressurgir le morbide et la beauté, le vert et le noir, le vivant et la putréfaction.

Au plus près du sujet, elle embarque dans l’aventure auprès de l’association Sauvegarde du Trégor Goëlo Penthièvre, en baie de Saint-Brieuc. L’objectif ? « Aller comprendre, sentir la problématique », souligne la photographe. C’est là qu’elle capte et crée les images d’une plage rouge, sur laquelle « les algues ont proliféré en masse et où il n’y a plus assez d’oxygène dans les sols pour la biodiversité. » Elle part d’un invisible néfaste et toxique pour imaginer le futur : « Les algues vertes sont présentes même quand on ne les voit pas. Je ne fais pas de retouches sur les photos, je ramasse des déchets, comme les algues et des bouteilles et je créé, à partir de ça, un univers science-fictionnel. »

AU-DELÀ DU SILENCE, LA RÉSILIENCE DE LA NATURE

Elle veut parler de l’invisibilité de la toxicité des algues vertes, du manque d’informations de certain-e-s passant-e-s, de l’omerta flagrante, du travail des scientifiques. « Comme je n’avais pas le droit de montrer les images de leur travail officiellement, j’ai recréé des scènes par le prisme de la fiction, en demandant à des modèles de refaire les gestes. Je ne voulais pas perpétuer l’omerta à mon tour », explique Alice Pallot qui souhaite également présenter la vision d’une algue verte : « Elles sont diabolisées mais ce n’est pas leur matière qui est toxique. C’est la réaction au soleil et aux déchets de l’agriculture intensive. » Au fil de la narration, l’artiste photographe offre un regard qu’elle définit « désanthropocentré ». Elle dézoome le propos de l’intervention humaine et de ses conséquences sur l’environnement pour réduire la focale sur les micro-organismes vivants passés au microscope : « Ils sont en mode pause, par manque d’oxygène par exemple, mais ils vont revivre lorsqu’ils auront les bonnes conditions. On voit là la résilience de la part de certains organismes ! » 

En récréant, avec l’aide du CNRS de Toulouse, les marées vertes dans des zones réduites, elle a pu les observer et en photographier les échantillons. Force est de constater que le résultat de la prolifération des algues ressemble de très près à des figures extraterrestres. « Pas du tout ! », rigole Alice Pallot. « Il s’agit d’escargots et autres organismes. L’idée est de questionner les conditions d’habitabilité de la Terre. C’est drôle et humain. Et surtout, ça montre la résilience ! La situation est ce qu’elle est mais à côté, il y a de belles choses. C’est un peu une beauté malade ! » Pour elle, les algues vertes, c’est une histoire d’urgence, clairement, mais dans laquelle on peut trouver de l'espoir.

UN UNIVERS ESTHÉTIQUE POUR RÉVÉLER LA PROBLÉMATIQUE

Et puis, elle expérimente. En faisant pousser des algues sur des tirages. Plus précisément, sur une photographie d’un marcassin mort, intoxiqué par les algues vertes en 2011 : « C’est important de montrer l’invisible en photographie. D’utiliser le pouvoir narratif de la photo pour donner autre chose. C’est aussi un autre moyen de se poser des questions. » L’esthétique comme appât. La création visuelle pour embellir le sujet afin d’attirer les spectacteur-ice-s et d’attiser leur curiosité jusqu’au point de bascule. Le moment où ils et elles se rendent compte que derrière l’image léchée se trouve un animal mort, tué par le gaz toxique d’une masse d’algues vertes. 

L’esthétisation du sujet peut poser problème. Notamment dans les milieux militants qui cherchent à dénoncer la réalité de la situation. « Sur Instagram aujourd’hui, ce sont les belles images qui dominent. J’utilise le pouvoir esthétique de l’image pour poser questions. Ça permet aussi de créer de l’empathie. Et l’empathie permet de créer des conversations, de la synergie collective et par la suite, de l’action. Le sujet est fort et l’image doit elle aussi être super forte ! », conclut Alice Pallot. 

 

  • Présentée à l’université Rennes 2 (à la Chambre claire) jusqu’au 15 décembre dans le cadre du cycle Verdoyons ! et de la première édition du festival photographique Glaz, dont la thématique est axée autour de l'urgence.

Célian Ramis

"C'est important de dire qu'il existe des femmes scientifiques !"

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Delphine Leclerc, biologiste, et Mégane Bournissou, mathématicienne, croisent leurs regards et leurs parcours sur les trajectoires scientifiques et les problématiques liées aux inégalités persistantes entre les hommes et les femmes.
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Lauréates du prix jeunes talents L’Oréal-UNESCO – Pour les femmes et la science en 2022, Delphine Leclerc, 25 ans, doctorante en biologie moléculaire et cellulaire à Rennes, et Mégane Bournissou, 27 ans, post-doctorante en mathématiques à Bordeaux, croisent leurs regards et leurs parcours sur les trajectoires scientifiques et les problématiques liées aux inégalités persistantes entre les hommes et les femmes. 

Les chiffres sont édifiants : en Europe, seulement 14% des postes scientifiques à responsabilité sont occupés par des femmes. À l’échelle mondiale, elles ne représentent que 33,3% des chercheur-euse-s et moins de 4% des prix Nobel scientifiques ont été décernés à des femmes. Intégration des stéréotypes de genre dès la petite enfance, manque de représentation des personnes sexisées dans les matières scientifiques, violences sexistes et sexuelles difficiles à dénoncer et plafond de verre sont autant de freins à identifier qu’à lever pour permettre aux concerné-e-s d’accéder à des métiers restant aujourd’hui encore des bastions masculins. 

Même là où ça progresse, la figure du scientifique blanc, âgé, cisgenre, hétérosexuel et bourgeois prédomine encore dans les imaginaires collectifs. Ainsi, les revendications en faveur de l’égalité se multiplient. Financements équitables de leurs travaux, égal accès à la prise de paroles, opportunités de publications et de promotions, visibilité des femmes à travers la diversité des domaines et des profils sont les enjeux du programme Pour les femmes et la science, porté par la fondation L’Oréal, associée à l’Unesco, qui, à ce titre, récompensent chaque année plusieurs dizaines de doctorantes en France. Ainsi, elles obtiennent une reconnaissance financière et professionnelle et deviennent les ambassadrices de l’égalité femmes-hommes dans les carrières scientifiques. 

 

YEGG : Que signifie, pour vous, ce prix ? 

Delphine : C’est une très grande fierté. Ça récompense mon travail et permet d’offrir de la visibilité à mes travaux. Actuellement, les chercheurs académiciens sont récompensés plutôt vers le milieu ou la fin de leur carrière. Là, le fait de recevoir un prix dès le début de notre carrière, c’est vraiment très encourageant ! 

Mégane : Ça permet, je pense, d’asseoir une certaine confiance en nous et notre place dans le monde dans lequel on évolue. Ça permet de se rassurer sur sa légitimité. 

 

YEGG : Avant le doctorat, quel a été votre parcours ?

Delphine : Petite, j’ai été très stimulée par mes parents. Ma mère ne travaillait pas et j’ai fait beaucoup de jeux de logique et de stratégie avec elle. Mes parents m’ont très souvent emmenée au Palais de la Découverte et pour moi, c’était comme la caverne d’Ali Baba !

Je regardais les chercheurs qui réalisaient des expériences devant moi et c’était comme de la magie. J’avais envie de comprendre comment ils faisaient…

J’ai alors fait un baccalauréat scientifique à Caen et ensuite, j’ai décidé de m’orienter dans la biologie car j’étais intéressée par la recherche médicale. J’ai fait un IUT Génie Biologique à l’université de Caen et j’ai poursuivi mes études à Rennes où j’ai fait une licence 3 en Biologie, le master Biologie moléculaire et cellulaire et là je suis en 3e année de thèse au laboratoire INSERM U1242. 

Mégane : Pour moi, c’était moins clair, au sens où au lycée, j’aimais énormément l’école et apprendre de manière générale. Je me rappelle avoir été passionnée par les explications de texte en français autant que par les exercices de maths. J’aimais beaucoup apprendre et je pense que j’ai été très influencée par les professeur-e-s que j’avais. J’ai choisi les études scientifiques parce que j’aimais ça mais aussi parce que le discours c’était que ça ouvrait plus de portes. J’ai fait un bac S à Poitiers et après, dans la continuité, j’ai fait une prépa, à Poitiers toujours, en maths-physique. J’ai finalement choisi les maths et j’ai intégré l’ENS Rennes. Mais vu que je n’aime pas choisir, dans le département de mathématiques, j’ai fait une double licence de physique en parallèle. Puis, j’ai poursuivi en thèse à l’ENS Rennes.

 

YEGG : Pouvez-vous vulgariser vos travaux de thèse ? 

Delphine : Je peux partir d’un chiffre. Dans le monde, il y a 250 millions de personnes qui souffrent de maladies génétiques et malheureusement, la plupart n’ont pas accès à des traitements curatifs. Mon rôle en tant que biologiste, ça va être de concevoir de nouveaux traitements et de tester leur efficacité in vitro pour corriger les mutations dans l’ADN qui sont responsables de ces maladies génétiques. Pour ça, j’utilise la technologie, très connue dans mon domaine, CRISPR-Cas9, qui s’appelle également le « gene editing ». 

YEGG : Que fait cette technologie ? 

Delphine : Elle permet d’agir sur l’ADN pour modifier les nucléotides et réécrire à façon le génome pour corriger des mutations. La technologie existait déjà, moi je l’ai adaptée à la pathologie sur laquelle je travaille. 

YEGG : Vous avez testé ? 

Delphine : Oui, j’ai testé l’efficacité de cet outil sur les cellules d’un patient en particulier qui était atteint d’une maladie génétique qu’on appelle la gangliosidose. C’est une maladie neuro-dégénérative et les patients ne disposent pas de traitement. J’ai prouvé que la technologie utilisée était efficace pour corriger la mutation associée à cette pathologie. Je n’ai bien évidemment fait aucun test sur le patient. Uniquement in vitro sur des cellules en culture. Et l’objectif dans le futur, c’est d’apporter ces outils vers la clinique, tout en sachant qu’aux Etats-Unis, il y a déjà certains essais cliniques qui ont démarré pour le traitement notamment de la drépanocytose. On a encore peu de recul sur les résultats mais le peu qu’on a laisse sous-entendre que cette technologie est vraiment ultra efficace.  

 

YEGG : Et vous, Mégane ? 

Mégane : Avant d’expliquer mon sujet de thèse, je dois souligner que je fais de la recherche fondamentale en mathématique. Un des buts est d’améliorer la compréhension du monde au travers des mathématiques. Pour ma part, je suis à un niveau très très abstrait. Je vais étudier des modèles qui ont des difficultés mathématiques particulières et je vais chercher comment les résoudre. Comme je vous le disais, ça se situe à un niveau théorique abstrait parfois loin de la réalité. 

YEGG : Vous travaillez en théorie du contrôle…

Mégane : En théorie du contrôle, on s’intéresse à des systèmes physiques sur lesquels on a les moyens d’agir. D’abord un contre-exemple : sur la chute libre d’une balle, la force qui intervient est la force gravitationnelle et on ne peut rien faire à cette force-là, on peut seulement observer le mouvement de la balle. Nous, ça ne va pas nous intéresser. On va s’intéresser à des systèmes comme la voiture ou la trajectoire de la voiture. On n’a pas un rôle d’observateur mais de contrôleur puisqu’à chaque instant, en tournant le volant, en accélérant, etc. on peut influencer cette trajectoire. Sur ce genre de système, on se demande si l’action qu’on a sur la voiture est suffisante pour faire passer le système de n’importe quel état A à n’importe quel état B en un temps arbitrairement court. Pour la voiture, cela correspond à dire : est-ce qu’on peut faire Paris-Marseille en un temps arbitrairement court ? À cause de la phrase « temps arbitrairement court », la réponse est non puisqu’on a des limitations de vitesse ou de mécanique. Si on veut faire une trajectoire spécifique, est-ce qu’on a un moyen d’agir sur le système pour réaliser cette trajectoire ? Moi, je fais ça sur le modèle de la physique quantique, sur l’équation de Schrödinger, qui a une signification physique qui modélise le comportement d’une particule quantique. Je prends ce modèle physique non pas pour l’application qu’il pourrait avoir mais parce qu’il a une difficulté mathématique qui va m’intéresser et que je vais chercher à résoudre. C’est une particule quantique qui est soumise à un laser (une particule quantique a des niveaux d’énergie quantifiés) et on se demande si on a une manière d’utiliser notre laser pour faire passer la particule à un état d’excitation qu’on voudrait. 

YEGG : Pardon de poser la question, mais Schrödinger, c’est en lien avec le chat ? 

Mégane : (Rires) Avec Schrödinger oui, le physicien, mais pas avec le chat. En mécanique quantique, Schrödinger a fait beaucoup de choses ! Nous, on s’intéresse au comportement d’une particule quantique localisée spatialement qui est soumise à un laser. 

YEGG : Y a-t-il eu obtention d’un résultat ?

Mégane : On a eu plusieurs résultats. Le problème, c’est que la réponse n’est pas juste oui ou non, même si la question a été simplifiée à un niveau où on peut la comprendre. Mais la réponse est très technique et fait appel à des outils mathématiques. La chose qu’on peut comprendre, c’est qu’on a un modèle qui est compliqué et une façon de l’étudier, c’est de regarder des modèles simplifiés de l’équation générale. On a identifié des modèles approchés suffisamment précis pour en déduire des informations. 

 

YEGG : Qu’est-ce qui vous anime dans vos recherches ? 

Delphine : C’est un moteur au quotidien de me dire qu’un jour, mes recherches pourront peut-être servir à soigner des patient-e-s. C’est très appliqué et c’est de la recherche médicale donc il y a vraiment le/la patient-e derrière qui est là pour, peut-être, pouvoir bénéficier d’un traitement ou bénéficier d’outil pour améliorer son diagnostic.

Mégane : C’est de se dire qu’on contribue à améliorer la compréhension de l’outil mathématique et donc, de manière un peu simplifiée, à améliorer la compréhension du monde. C’est un peu un socle pour comprendre les phénomènes physiques, biologiques, etc. Et même si on est en amont de la chaine, on sait qu’on contribue à développer des outils que d’autres personnes après pourront utiliser pour comprendre des phénomènes et faire des choses avec. 

 

YEGG : Vous avez évoqué tout à l’heure la confiance en soi et la légitimité. Au fil de votre parcours, vous êtes-vous questionnées sur cette légitimité et sur votre place chacune dans votre domaine ? 

Delphine : En biologie, la parité n’est pas respectée, en tout cas dans mon laboratoire. Cependant, il n’y a pas non plus une femme pour 10 hommes. Il y a encore des améliorations à faire mais ce n’est pas catastrophique on va dire. En ce qui me concerne, je n’ai pas rencontré de difficulté particulière remettant en question ma place. En revanche, il m’est arrivé parfois d’arriver en stage et de me retrouver dans une équipe 100% masculine et c’est vrai que ça peut être intimidant. J’ai toujours eu des personnes bienveillantes dans mon entourage, à l’écoute et toujours prêtes à m’aider. J’aimerais souligner le fait qu’il y a des efforts qui sont faits dans le domaine. Depuis quelques années, je sais que les écoles doctorales demandent à ce que les jurys de thèse respectent la parité, par exemple. Il y a des petites actions comme ça qui font qu’on essaye d’améliorer les égalités hommes-femmes. Les sciences sont vraiment des disciplines créatives et on a besoin de diversité au niveau des profils pour innover et faire travailler l’intelligence collective. La diversité, c’est à la base de l’innovation.

Mégane : La situation est peut-être plus compliquée en mathématiques, c’est un monde majoritairement masculin. Je pense qu’à niveau conscient, ça n’a jamais impacté mon comportement. Quand j’ai décidé de faire ces études-là et d’intégrer ce monde-là, je ne me suis pas posée la question de si j’allais être minoritaire ou pas ni de l’impact que ça pourrait avoir. J’ai eu une chance incroyable de tomber dans des environnements très bienveillants. Après, il y a quand même quelque chose… J’ai eu à un niveau personnel pas mal de questions sur ma légitimité. J’avais l’impression de ne pas forcément me conforter à l’idée qu’on peut se faire d’un mathématicien. Un discours qu’on peut avoir sur soi-même et que j’ai sur moi-même, c’est que je suis très scolaire et très méthodique et en mathématiques, on a besoin de gens qui ont des intuitions, qui voient les choses… Et donc j’avais l’impression de ne pas me conforter à ça parce que c’était un peu l’image véhiculée. 

J’ai longtemps considéré que ces questions d’illégitimité étaient liées à des insécurités personnelles et intimes. Récemment, j’ai rencontré l’idée que l’intime pouvait être politique et ça m’a fait me poser beaucoup de questions. 

Notamment parce que j’ai des élèves, des jeunes femmes, que j’ai eu en cours, qui sont venues me parler et qui ont tenu exactement le même discours que moi j’avais tenu à leur place. Ne pas se sentir légitimes, ne pas correspondre aux attendus… La similarité de discours m’a fait dire que le problème n’est sans doute pas intime. J’ai l’impression que dans le parcours, il y a eu une intériorisation. 

 

YEGG : Durant la semaine encadrant la remise du prix, vous avez assisté à des ateliers et conférences. On vous a appris à répondre aux remarques sexistes et parlé des biais de genre. Est-ce que cela a résonné en vous ? 

Mégane : C’est durant la rencontre sur « Comment répondre aux remarques sexistes ? » que je me suis aperçue que j’avais eu la chance d’avoir un parcours bienveillant parce que je pouvais me dire que les situations présentées ne m’étaient jamais arrivées. Et bien sûr, ce n’est pas parce que ça ne m’est pas arrivé que ce n’est pas un problème. Là où ça m’a le plus frappée, c’est comme je l’ai dit par rapport à mes élèves, c’est de se rendre compte de la manière dont on se parle à soi, les voix méchantes dans notre tête… Même si on est différentes, on avait quand même toutes ce sentiment d’illégitimité, de doute, etc. Cette similarité de discours est frappante. 

Delphine : Il y a un environnement très bienveillant qui s’est instauré entre les 35 gagnantes et certaines ont pu livrer les difficultés rencontrées. Je suis un peu tombée des nues et je ne réalisais pas à quel point j’étais chanceuse. Ça m’a vraiment sensibilisée sur le sujet et j’ai pris conscience de l’importance de ce sujet. A l’avenir, je vais être plus vigilante. On nous a donné des clés de réponse à donner à la personne concernée lorsque l’on est victimes de remarques sexistes et je pense que je vais les utiliser si ça m’arrive à moi ou si ça arrive à une personne de mon environnement. 

 

YEGG : Est-ce que dans vos parcours, vous avez eu des figures un peu modèles ? 

Delphine : Les modèles que j’ai eu étaient souvent des maitres de stage (deux hommes et deux femmes). Ce sont elles et eux qui m’ont tout appris : à rédiger un rapport de stage, à mettre au point des expériences, etc. C’est grâce aux stages que j’ai évolué sur le plan personnel, humain, car j’étais très timide et ça m’a montré que moi aussi j’étais capable de donner des résultats à l’oral, devant les autres. Mais aussi sur les plans techniques et scientifiques. 

YEGG : Pendant vos études, on ne vous parle pas de personnes ayant œuvré dans ce domaine-là ? 

Delphine : Si, mais ça me paraissait un peu abstrait car ce ne sont pas des personnes que je connaissais… Les personnes qui se sont vraiment investies auprès de moi, je considère que ce sont elles qui ont participé à mon éducation. 

Mégane : C’est un peu pareil pour moi. Je me suis peu posée la question de « est-ce que quelqu’un d’autre avant moi l’a fait ? ». Je me suis dit « je vais là et puis on verra bien ». Je n’ai pas de personne qui corresponde à l’idée de modèle mais un peu comme Delphine, j’ai des gens qui au quotidien m’ont énormément soutenue et auprès de qui j’ai énormément appris. Je pense à certain-e-s de mes profs de prépa et puis mes encadrant-e-s de thèse qui au quotidien ont eu un impact énorme sur la personne que je suis maintenant. Ils et elles ont nourri des parts de moi qui avaient besoin d’être nourries.

 

YEGG : Vous avez un rôle de transmission désormais et même d’inspiration : quelle importance accordez-vous à ce rôle ? 

Mégane : Même avant le prix, là où j’ai eu l’impression de faire une différence même infime, c’était en tant que prof. Pendant ma thèse, j’ai donné des cours à l’ENS Rennes et je pense à ces jeunes femmes dont je parlais tout à l’heure : elles sont venues me voir parce que au-delà d’être entendues, elles seraient comprises et ça c’était très important. Je ne veux pas parler pour elles mais le fait de leur dire qu’elles ont le droit d’exister telles qu’elles sont dans ce monde-là, ça a été hyper fort. De manière générale, on rencontre beaucoup de réticence envers les mathématiques et les gens sont souvent hermétiques. C’est assez dur de savoir quel discours adopter pour montrer quelle peut être la beauté des mathématiques. 

Delphine : L’Oréal nous pousse fortement à rencontrer des jeunes. Par exemple, retourner dans notre école primaire pour parler de notre travail, les éveiller aux sciences et aux applications qu’il y a derrière. Je pense que c’est ce que je vais faire, aussi bien en primaire, au collège ou au lycée. On a vraiment un rôle d’ambassadrices et c’est ce que je vais essayer de remplir. Au niveau des conseils que je pourrais donner au niveau des jeunes filles qui souhaitent entreprendre des études scientifiques, c’est de ne pas trop se poser de questions, suivre la voie qu’elles aiment, écouter leur cœur et pas forcément ce que les autres vont dire. Il est important que les professeur-e-s et les parents les mettent en confiance dès le plus jeune âge. Faire attention aussi aux stéréotypes hommes-femmes véhiculés dans l’imaginaire collectif. Par exemple, quand on demande aux enfants de dessiner un scientifique, ils vont avoir tendance à dessiner un homme. C’est important de leur dire qu’il existe des femmes scientifiques. Et puis bien sûr, faire intervenir dans des classes des modèles, pour que les jeunes filles puissent s’identifier à ce genre de parcours et puissent se projeter plus facilement. 

Mégane : Moi comme conseil, j’ajouterais de ne pas oublier de prendre soin de soi. À cause de l’exigence scolaire ou l’exigence que l’on peut se mettre nous-même liée à notre position de femme, on a l’impression de devoir exceller pour prouver qu’on a notre place… On se sent aussi de devoir prendre soin de nos camarades, en leur passant nos notes ou je ne sais quoi… N’oublions pas de prendre soin de nous ! L’exigence ne doit pas avoir pour prix sa propre santé. On ne pourra pas apporter au monde quoi que ce soit si nous on ne va pas bien. 

 

YEGG : Qu’envisagez-vous pour la suite ? 

Delphine : Grâce à ce prix, en tant que doctorante, on gagne une bourse de 15 000 euros. Pour notre usage personnel. Mais on nous demande de l’utiliser pour promouvoir nos recherches. J’ai décidé de partir aux Etats-Unis pour assister à des conférences internationales parce que là-bas ce sont des leaders dans mon domaine de recherche. Et je vais profiter pour visiter des laboratoires dans lesquels je pourrais effectuer mon post doctorat. J’ai encore un an de thèse. 

Mégane : Je suis actuellement en post doctorat à Bordeaux. Le projet est de continuer à explorer le monde de la recherche. Après, je n’ai pas de plan fixe parce qu’en fait, il y a certaines difficultés aujourd’hui en France à trouver des postes permanents en recherche fondamentale. L’idée aujourd’hui est plus de voir quelles sont les opportunités qui vont se présenter et de suivre le chemin qui va se dessiner au fur et à mesure. 

Célian Ramis

Sciences : performer le genre binaire

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Interroger la binarité et la performance du genre dans les sciences, et notamment dans les domaines du numérique et du sport, était l’objet des conférences de Cécile Plaud et Ludivine Brunes, à l’occasion de la journée « Égalité et sciences : la place des femmes ».
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Interroger la binarité et la performance du genre dans les sciences, et notamment dans les domaines du numérique et du sport, était l’objet des conférences de Cécile Plaud et Ludivine Brunes, jeudi 9 mars, à l’occasion de la journée « Égalité et sciences : la place des femmes », organisée par l’Université de Rennes, à la fac de Sciences économiques. 

« L’informatique a attrapé un sexe et ce sexe est masculin. », affirme Cécile Plaud, en introduction de sa conférence « Pour dégenrer le numérique, cassons les codes ! ». L’enseignante chercheuse en science de l’éducation à l’ENSTA Bretagne, à Brest, cite Grace Hopper, Ada Lovelace, Margaret Hamilton ou encore Betty Holberton, « des femmes qui ont marqué de leurs découvertes le monde de l’informatique mais n’ont été que tardivement reconnues. » Et explique l’effet Matilda – appelé ainsi par sa théoricienne Margaret Rossiter en femmage à la militante féministe Matilda Joslyn Gage – comme un phénomène définissant « comment les femmes scientifiques profitent moins des retombées de leurs recherches et ce, souvent au profit des hommes. » Un effet qui malheureusement se retrouve dans tous les domaines majoritairement masculins, comme le soulignera également Raphaëlle Rannou, de l’Institut National d’Histoire de l’Art, lors de la conférence suivante sur la place des femmes en archéologie.

DES CHIFFRES ÉDIFIANTS

En 2018, les femmes représentaient 33% des salarié-e-s des secteurs de l’informatique. Elles occupent principalement (75%) les fonctions supports, à savoir les ressources humaines, l’administratif, le marketing et la communication, « souvent les moins prestigieuses et les moins rémunérées » et se font rares (15%) dans les fonctions techniques de développement, gestion de projets, etc. Et certains métiers sont particulièrement fermés aux femmes comme dans les start up dans le domaine de la tech (9%) et le big data (12%). Autre chiffre édifiant : en 2020, dans les écoles d’ingénieur-e-s, « alors qu’en 1983, l’informatique était la spécialité la plus féminisée », c’est désormais la moins féminisée avec 16,6% de femmes. « Ce chiffre illustre à lui seul le retournement de situation sans précédent dans le champ professionnel : le numérique est la seule filière scientifique ayant enregistré une nette baisse de la proportion de femmes depuis les années 80. », signale Cécile Plaud, qui interroge alors : « Pourquoi en est-on arrivé là ? » Et la réponse est sans équivoque : c’est une question de pouvoir. Partout où les activités se professionnalisent, les femmes sont écartées. Alors qu’elles ont souvent été à l’initiative du secteur et de son développement :

« Le numérique est partout dans nos vies et est devenu un monde d’hommes. Et cela pèse fortement sur les inégalités professionnelles entre les femmes et les hommes. Au-delà des inégalités systémiques et durables, cela participe à la reproduction du sexisme. »

DES ALGORITHMES SEXISTES

L’enseignante chercheuse se base sur une série d’exemples démontrant le sexisme intégré de la société et diffusé à travers les algorithmes des GAFA. C’est Amazon qui ouvre le bal en 2018 en développant un algorithme permettant d’automatiser le recrutement sur les postes techniques. Systématiquement, celui-ci excluait les CV de femmes : « L’algorithme a déduit, sur la base des postes techniques d’Amazon déjà en fonction, qu’être une femme était un critère discriminatoire. » Fin 2019, c’est Apple qui se rend compte que l’algorithme de sa carte de crédit défavorise largement les femmes. « Les données enregistrées étaient vieilles. Comme leur émancipation financière est récente, il en a déduit que les femmes disposaient de crédits moins élevés. », analyse Cécile Plaud. Vient ensuite le tour de Facebook et Google. Une ONG fait une étude sur les algorithmes des offres d’emploi diffusées par les deux firmes et achète des espaces publicitaires en Suisse, en Allemagne, en Espagne et en France pour des postes de développeurs en machine d’apprentissage, camionneurs, coiffeurs, éducateurs jeunes enfants, conseillers juridiques ou encore infirmiers. Toutes les annonces sont volontairement rédigées au masculin : « Facebook, surtout, a automatiquement ciblé un sexe pour chaque emploi. » Pas de surprise sur la catégorie choisie selon le secteur. Cécile Plaud réagit :

« Il est urgent de dégenrer le numérique pour en faire un champ d’égalité professionnelle et inclusif, pour ne plus reproduire, à notre insu, les stéréotypes de genre. »

On peut aussi constater que les sites de rencontre agissent de manière sexiste par le même processus, tel que l’a démontré la journaliste Judith Duportail, journaliste dont l’enquête sur Tinder a fait l’objet d’un livre, L’amour sous algorithme. Et on retrouvera les mêmes mécanismes concernant les discriminations racistes et validistes, entre autres. 

POIDS DE L’ÉDUCATION GENRÉE

Elle le dit, les femmes n’ont pas toujours été sous-représentées dans le champ du numérique : « Au début de l’informatique et jusqu’au milieu des années 60, les femmes étaient présentes. L’ordinateur était le prolongement de la machine à écrire, associé à la machine de bureau, au secteur tertiaire. » Puis, dans les années 80 et 90, le retrait des femmes s’opère et la micro-informatique y joue un rôle important puisque l’ordinateur familial a été préempté par les hommes, devenus les utilisateurs prioritaires. « Côté professionnel, on passe d’un monde artisanal – je caricature un petit peu – à un monde scientifique et les sciences sont des champs masculins. », déclare l’enseignante chercheuse en science de l’éducation. Elle cite l’anthropologue Alain Testart : « Le travail reste féminin quand il se déroule dans un cadre domestique et devient masculin quand il s’érige en métier. » Au fil des siècles, et des derniers principalement, les hommes se sont appropriés les savoirs en matière de reproduction, dépossédant ainsi les femmes de leurs propres connaissances et compétences concernant leur corps, leur fonctionnement, les plantes médicinales, etc., mais aussi les outils de production et le savoir scientifique.

Aujourd’hui, on associe les sciences du numérique, de l’informatique et des techniques à la rationalité et aux connaissances, caractéristiques que l’on pense au masculin. Et ces stéréotypes sont intégrés et diffusés dans tous les secteurs de la société, le domaine de l’éducation n’en fait pas exception. « L’école n’est pas neutre. C’est un lieu de production et de reproduction des normes binaires de genre. Ces pratiques ne sont pas conscientes. », précise Cécile Plaud qui revient sur l’éducation genrée, la différence de traitement entre les filles et les garçons à l’école mais aussi dans tous les lieux et espaces d’apprentissage, y compris à la maison. Les filles sont littéraires et les garçons, scientifiques. C’est encore une pensée de la société actuelle. Elle pointe les énoncés des exercices de mathématiques qui établissent par association des prénoms, du genre et du rôle, que les hommes pratiquent des métiers et les femmes achètent des choses : « Les hommes sont utiles, les femmes sont futiles. » Les mathématiques étaient à l’origine de l’informatique, les mêmes stéréotypes y seront accolés. La binarité infuse profondément le langage de ce secteur. 

SOUS-REPRÉSENTATIONS ET CLICHÉS

La socialisation genrée influe sur l’orientation scolaire qui elle précède l’organisation genrée du travail. C’est donc à la racine qu’il faut agir, tout en œuvrant en parallèle à la réhabilitation du matrimoine (et en dénonçant les nombreuses spoliations dont ont été victimes les femmes dans les sciences) et la déconstruction des idées reçues et représentations proposées : « La représentation des métiers du numérique passe encore par l’image du hacker et du geek. Encore aujourd’hui, on image un homme asocial, plutôt laid, qui passe son temps avec sa machine, qui a peur des filles, etc. Ce qui n’est pas représentatif du tout ! Mais cette figure agit comme repoussoir auprès des filles. » Sans compter que les modèles féminins présentés sont souvent soit inaccessibles soit référencées en tant qu’épouses de, filles de, etc. Les clichés ont la vie dure et entrainent dans leur sillon ce que l’on appelle « la menace du stéréotype » ou l’effet Pygmalion : les filles intégrant qu’elles sont mauvaises en maths sabotent leur réussite aux tests. Celles qui franchiront les obstacles rencontreront dans leurs carrières professionnelles des difficultés à se sentir légitimes et subiront dans de nombreux cas des violences sexistes et sexuelles dans le cadre de leur travail.

C’est pourquoi Cécile Plaud conclut sur l’importance d’actions à mettre en place à plusieurs niveaux, en valorisant les professions techniques directement auprès des filles « mais en faisant attention à ne pas leur faire porter la responsabilité » de cette sous-représentation actuelle. Elle évoque le dispositif L Codent, L Créent, mis en place pour la 5e année dans 6 collèges brestois : « Ce sont des ateliers de programmation par des étudiantes pour des collégiennes de 3e. Les étudiantes interviennent en binôme ou en trinôme, pendant 45 minutes. On a intégré récemment des étudiants, que l’on a formé à l’égalité et qui doivent accepter de laisser le leadership aux filles et aux femmes. Pendant ces temps, des liens de proximité se créent. Des rôles modèles, aussi. ». Et désormais, les collégiennes ayant participé forment à leur tour leurs camarades masculins. La perception change et les mentalités évoluent. 

SEXISME ET TRANSPHOBIE DANS LE SPORT…

Autre domaine dans lequel s’exerce la binarité de genre : le sport. La place des femmes trans dans le milieu sportif, c’est le sujet de thèse de Ludivine Brunes, doctorante à l’Université de Rennes. Si au départ, elle réalise des entretiens avec des personnes trans tous niveaux confondus, elle en vient rapidement à recentrer la thématique aux sports de loisirs. « Le haut niveau en France comprend 4000 athlètes qui représentent 1% des sportif-ve-s français. C’est donc très faible pour y étudier la transidentité. La majeure partie des français pratique le sport en loisirs. », souligne-t-elle. Ce jeudi 9 mars, elle s’attache principalement toutefois à décrypter le sujet sous l’angle de la pratique professionnelle. « Les athlètes sont autorisé-e-s dans les compétitions dès 2003 par le Consensus de Stockholm. Sous condition d’avoir eu recours à une opération de réassignation sexuelle. Ce qui sera modifié en 2015. », explique-t-elle. La participation des personnes trans aux événements d’ampleur nationale et internationale dérange et suscite des réticences dans les rangs.

« À part l’Ultimate et le Quidditch, tous les autres sports font des distinctions de genre. En 2022, aux JO de Tokyo, on a vu un tournant à ce sujet avec des athlètes trans ou non binaires, sélectionné-e-s et/ou participant à la compétition, notamment en haltérophilie, BMX, foot, triathlon et skateboard. », poursuit la doctorante. Elle parle d’une réelle évolution en terme d’ouverture aux sportif-ve-s LGBTIQ+, s’appuyant sur le chiffre de 182 athlètes queer présent-e-s, « dont une dizaine transgenres », tandis qu’en 2016, iels étaient moins de 100 au total. 

DES CRITÈRES DOUTEUX

Si le premier texte de 2003 oblige les athlètes trans à la réassignation sexuelle pour les femmes et les hommes trans, la deuxième version de 2015 fixe, pour les femmes trans, un taux de testostérone en dessous de 10 nmol/L. Rien pour les hommes. « Déjà, il faut savoir que le Consensus tient sur une page qui contient 5 points à peine développés. Mais pour les hommes, il n’y a pas du tout de critère d’hormones. Ils sont contrôlés comme les hommes cisgenres, pour s’assurer qu’ils ne sont pas doppés. », signale Ludivine Brunes. Pour les femmes, l’accès à l’Olympiade est bien différent. Aujourd’hui, les tests de féminité ne sont plus valables mais ils l’ont été jusqu’en 2012 au moins : « On teste, lors des compétitions sportives, que l’athlète répond bien aux critères associés à la féminité : cheveux longs, minceur, musclée mais pas trop… En dehors, on remet en question leur féminité par des contrôles hormonaux, des examens gynécologiques, voire la vérification de leurs chromosomes… » Un moyen de s’assurer que la sportive appartient bien au sexe féminin biologiquement parlant.

« Aujourd’hui encore, on s’appuie sur le taux de testostérone alors que le féminin et le masculin se basent sur bien d’autres choses ! »
poursuit la doctorante.

Selon les fédérations, les sportives trans devront suivre entre 1 an et 4 ans de traitements médicamenteux pour atteindre le seuil jugé comme tolérable. 

UN RAPPEL À LA NORME

Le scandale apparait à chaque fois qu’une femme dépasse le taux d’hormones accepté. Cis, trans, non binaires et intersexes doivent se soumettre, si iels veulent concourir, à une médicalisation de leur corps. On se souvient de Caster Semenya en 2019 jugée par les instances sportives comme étant un homme. Double championne olympique et triple championne du monde du 800 mètres, elle a été contrainte de suivre le traitement afin que la Fédération internationale d’athlétisme ne retire pas les résultats de ses performances et a fini par refuser de faire baisser son taux d’hormones. Pendant plusieurs mois et années, débat a été fait dans la presse autour de son identité de genre sans prendre en compte la parole de la concernée. La binarité réduit les athlètes à performer le genre et à afficher publiquement leur identité de genre et à s’en justifier. Les femmes trans sont particulièrement visées et la transphobie s’exprime sans complexe.

Même si la doctorante affirme que les difficultés évoquées lors des entretiens menés dans le cadre de sa thèse dépassent la question de la transidentité et s’appliquent à un public plus large (femmes victimes de grossophobie, par exemple), il reste clair que dans l’opinion publique, ce sont les femmes trans qui « sont souvent vues comme tricheuses et voulant gagner facilement des médailles. On oublie la personne en tant que telle, la femme qu’elles sont. » Un rappel à l’ordre pour rester à sa place et entrer dans le moule de la norme cisgenre. Et en 2024 ? « Pas encore de communication à ce propos puisqu’il n’y a pas encore eu de retours sur les athlètes sélectionné-e-s pour les prochains JO. »

 

 

 

 

 

Les définitions proposées par Ludivine Brunes en introduction de la conférence : 

• Queer : ensemble des identités de genre et d’orientations sexuelles qui se vivent en dehors de la cisidentité et/ou de l’hétérosexualité.

• Non binaire : Non identification (partielle ou totale) aux genres masculin et féminin.

• Transidentité : Fait de s’identifier à un genre différent de celui assigné à la naissance. Contraire de cisidentité. 

Célian Ramis

Women in Copernicus : quelle place pour les femmes dans l'aérospatiale ?

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À l’occasion des Mardis de l’égalité, l’ingénieure d’études « Applications spatiales » Marie Jagaille intervenait au Tambour, à l’université Rennes 2, le mardi 8 mars, afin de présenter le collectif Women in Copernicus, ainsi que le podcast éponyme.
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À l’occasion des Mardis de l’égalité, l’ingénieure d’études « Applications spatiales » Marie Jagaille intervenait au Tambour, à l’université Rennes 2, le mardi 8 mars, afin de présenter le collectif Women in Copernicus, ainsi que le podcast éponyme. 

« La participation des femmes est un réel enjeu. », dit-elle. Et pour comprendre cet enjeu, il faut comprendre le cadre dans lequel elles opèrent. Ainsi, elle redéfinit les trois domaines de l’aérospatial qui s’appliquent sur la terre : le positionnement (GPS), les télécommunications et l’observation de la Terre. C’est dans ce dernier domaine que porte son intervention. 

Programme européen d’observation de la Terre, il fournit des satellites, appelés Sentinelles, qui tous les jours collectent des données qui une fois analysées permettent d’établir un état des lieux global de la santé de notre planète, captant par exemple les courants en mer d’Iroise pour mieux envisager les routes maritimes et ainsi consommer moins de carburants, les phytoplanctons dans la Manche pour mieux aider les scientifiques concernant la prolifération des micro-algues ou encore les infrarouges en ville qui pourraient nuire à la végétalisation urbaine, pourtant capitale dans leur rôle de régularisation des températures.

Toutes ces données sont gratuites et accessibles aux entreprises. Copernicus participe donc à l’amélioration des connaissances en terme d’environnement mais également au dévelppement économique, notamment en Bretagne, région très active dans le domaine spatial. C’est un programme important, résultant de nombreuses compétences et de nombreux domaines (traitement des images, algorithmes, intelligence artificielle, océanographie, climatologie, urbanisme…).

PAS POSSIBLE DE TROUVER DES FEMMES... VRAIMENT ?

« Des disciplines où les femmes sont moins nombreuses. », signale Marie Jagaille, qui en arrive donc au point de départ du lancement de Women in Copernicus, collectif réunissant une dizaine de femmes travaillant dans les domaines transversaux de l’observation de la Terre en Europe, fondé en 2020.

C’est Nathalie Stéphenne qui en est à l’initiative. En suivant un mook sur Copernicus, elle constate qu’il n’y a pas de femme et s’en étonne. Ce à quoi on lui répond que cette absence n’est pas expressément voulue mais aucune femme n’a été trouvée en tant qu’intervenante…

« Pour nous, cette réponse n’est pas satisfaisante car chacune d’entre nous connaissons des femmes expertes, légitimes à intervenir. », souligne l’ingénieure. C’est alors que Nathalie Stéphenne leur propose de participer à un appel à projet, permettant de récolter 5 000 euros.

« On a proposé un projet dont l’objectif vise à donner de la visibilité à ces femmes que l’on connaît déjà et aussi à celles que l’on ne connaissait pas encore. »

ALLER CHERCHER LES INFOS

S’il existe de nombreuses études sur les femmes issues des STEM (Sciences, Technologies, Ingénierie & Mathématiques), les données sont rares, voire inexistantes concernant un domaine aussi transversal que l’observation de la Terre. Les membres de Women in Copernicus entament alors une démarche significative : dresser un état des lieux.

Un questionnaire, traduit en 8 langues, est diffusé dans tous leurs réseaux respectifs, en lien avec Copernicus, et sur les réseaux sociaux. Résultat : 450 femmes ont répondu. Sachant « que quand on lance une étude sur un sujet lié au programme Copernicus, en général, on a plutôt 200 réponses. » C’est un succès qu’elle explique notamment par la période « puisque les secteurs s’emparent plutôt du sujet » et l’outil facilitant du questionnaire en ligne.

Les répondantes ont majoritairement entre 30 ans et plus, viennent principalement du secteur académique mais aussi – moins nombreuses – du privé. Elles ont étudié pour 75% d’entre elles les STEM et les autres démontrent des parcours variés, issus des sciences sociales, du journalisme, de l’administration, des arts et de l’éducation.

« Elles ont un rôle stratégique dans Copernicus car elles aident à s’approprier les données. », précise Marie Jagaille. Car pour les ¾ d’entre elles, elles travaillent en lien avec les utilisateurs finaux du programme, « c’est-à-dire toutes les personnes qui vont pouvoir bénéficier dans leurs métiers de ces données sans en être des expertes de l’observation de la Terre. »

Leur rôle est déterminant. D’ailleurs, les répondantes se disent satisfaites de leurs métiers et portent donc un message important puisqu’elles valorisent un secteur porteur, épanouissant professionnellement. Elles sont fières de contribuer à une meilleure connaissance et compréhension de notre planète afin de mieux l’habiter. C’est réjouissant.

LES DIFFICULTÉS PERSISTENT ET PERDURENT

Pour autant, cela ne signifie pas qu’elles ne font pas face à des difficultés au quotidien dans leurs carrières. Et quand la question leur est posée, elles signalent, « sans surprise », souffrir du fait d’être minoritaires dans leurs services. Ce qui était déjà le cas dans leurs études, en général.

La première barrière est identifiée : elles parlent de boy’s clubs, d’événements quasi exclusivement masculins, font part de l’inconfort à être la seule femme au travail. Ainsi, elles subissent les stéréotypes de genre sur leur lieu de travail, se sentent moins écoutées et ressentent qu’elles ont besoin de prouver plus que les hommes leurs compétences et leur légitimité.

Marie Jagaille évoque le plafond de verre qui se traduit par un écart entre le niveau d’expertise, plutôt élevé, et le niveau hiérarchique, moins élevé, de ces femmes. Un écart qu’elle signale d’autant plus flagrant dans le secteur académique que privé.

« C’est le phénomène du tuyau percé. Le pourcentage de femmes dans une carrière académique classique, toutes matières confondues, va diminuer au fil du temps. », explique-t-elle, chiffres à l’appui : 42% assistante, 34% professeure associée, 24% professeure.

L’autre barrière identifiée, c’est celle du manque de confiance. Une réponse qui « revient toujours ». Elles estiment que cela est un frein bloquant dans leurs carrières, et parlent, sans surprise là encore, du syndrome de l’imposteur et du manque de légitimité. Pour Marie Jagaille, il apparaît que l’absence de rôles modèles féminins dans les secteurs questionnés ait un rôle à jouer. C’est un des enjeux principaux : donner de la visibilité à toutes les femmes dans les sciences. 

CONTRIBUER À LA PRISE DE CONSCIENCE

Leur enquête a été présentée au niveau européen et diffusé dans de nombreux événements. Les missions sont multiples :

« Inspirer davantage les filles et femmes à aller vers ces secteurs, encourager les filles à aller vers des parcours scientifiques, montrer que toutes les compétences sont nécessaires, contribuer à la prise de conscience des inégalités de genre dans notre secteur et déconstruire les stéréotypes de genre en impliquant les hommes dans les discussions. »

Elle ne s’en cache pas, le dernier point constitue une véritable difficulté et une grande frustration pour les membres de Women in Copernicus puisque les événements estampillés du nom du collectif sont souvent suivis exclusivement par des femmes.

« A titre personnelle, la frustration pour moi par rapport au format visio des événements était aussi le manque de proximité et de liens avec les collègues. », ajoute-t-elle. Un appel à idées est lancé : survient l’envie et la volonté de lancer un podcast, réalisé et animé par Gwenael Morin, Roberta Rigo, Guglielmo Fernandez Garcia et Marie Jagaille. 

La ligne éditoriale : réaliser des entretiens avec des femmes actives de ce secteur en Bretagne, leur donner la parole, montrer ce qu’est leur métier avec l’objectif de démystifier le côté impressionnant de l’aérospatial et aborder les sujets d’égalité de genres à travers leurs parcours et des études.

À LA RECHERCHE DE SOLUTIONS COLLECTIVES

« On n’est pas des expert-e-s des questions de genre mais on sent bien que ce sont des enjeux. Le manque de confiance revient dans tous les entretiens, imprègne tous les discours. Et on constate que c’est systémique et non une expérience anecdotique. Quand on creuse, il y a un lien avec l’éducation, au sens large du terme, reçue et l’image que l’on attend des femmes. Ne pas prendre trop de place… alors que dans nos métiers, on a besoin d’entrer en discussions, de prendre de la place dans les débats, etc. Et on ne sent pas toujours légitime à la prendre cette place, dans nos laboratoires de recherches. », témoigne Roberta Rigo. 

Ainsi, elle pose la question : si le problème est systémique, les solutions ne devraient-elles pas être collectives ? Questions des quotas, et ce dès l’école et notamment dans les sélections des cursus d’études supérieures, mais aussi prix décernés aux femmes, tables rondes autour de ces sujets, partages des vécus, réflexions collectives (incluant les hommes et les comités scientifiques)… les pistes sont ouvertes et nombreuses pour que les un-e-s et les autres cheminent vers une déconstruction des stéréotypes de genre.

« Le podcast est notre façon à nous d’ouvrir la discussion et de contribuer à ces questions-là. », conclut Marie Jagaille, précisant que 5 épisodes de Women in Copernicus sont en libre écoute !

Célian Ramis / Illustrations d'Adeline Villeglé

L'île aux femmes ou la résilience du matrimoine breton

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La série radiophonique L'île aux femmes, fruit d'une collaboration entre HF Bretagne et la Corlab, réhabilite le matrimoine breton, raconté en dix épisodes. Un projet brillant et puissant !
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Bertina Lopes, artiste mozambicaine, Flora Nwapa, écrivaine nigériane, Joséphine Baker, artiste et résistante française, Marguerite Duras, écrivaine française… Toutes les quatre figurent parmi les 8 femmes engagées dont les noms seront bientôt attribués à des rues de la capitale bretonne. Si à Rennes, on atteint le 13% de rues qui portent des noms de femmes, la France affiche encore une moyenne de 6%. Ce n’est pas insignifiant. C’est au contraire révélateur de l’idée que l’on se fait du genre des personnes qui ont marqué l’Histoire. Le masculin n’est donc pas neutre et le patrimoine ne l’est tout autant pas. 

Tendre le micro à celles et ceux qui savent raconter notre héritage culturel commun. Ainsi commence « M ton matrimoine », le premier épisode de la série radiophonique L’île aux femmes, fruit d’une collaboration entre HF Bretagne, association pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes dans les arts et la culture, et la Corlab, Coordination des radios locales associatives bretonnes. 

En 2016, se forme au sein de HF Bretagne le groupe Matrimoine, composé d’Elise Calvez, Justine Caurant, Marie-Laure Cloarec et Adeline Villeglé. Elles viennent d’horizons différents et ont des sensibilités diverses pour telle ou telle discipline artistique. L’une s’intéresse davantage à la photographie, là où l’autre sera passionnée par les arts plastiques et où une autre encore préférera se dédier aux musiques bretonnes.

Elles partagent néanmoins cette volonté de mettre en lumière toutes les artistes qui ont participé à la vie culturelle et sociale de la région mais qui ont été oubliées, ignorées, méprisées. Parce qu’elles sont femmes et que l’Histoire est écrite par et pour les hommes.

Dans le premier épisode, Laurie Hagimont, alors coordinatrice d’HF Bretagne, qualifie le groupe « d’encyclopédie vivante ». Elise Calvez nous explique que le travail de recherches a été de longue haleine mais révèle « un vrai vivier » d’artistes et d’initiatives à visibiliser. Elle le dit, elles sont parties de leur propre ignorance et de leur propre étonnement à en connaître si peu. 

Trois ans de boulot plus tard, elles ont recensé plus de 300 femmes « peu connues ou connues mais disparues des mémoires. » La base de données est immense, classée par discipline, territoire et époque. Un travail minutieux et colossal. « Il y a un vrai travail de recherches et de sortie de l’oubli. », souligne Elise Calvez.

Et puis, elles ont aussi participé à l’écriture des scénarios qui vont donner lieu sur un an à la diffusion de 10 épisodes radiophoniques, réalisés par Anaëlle Abasq, au départ service civique puis journaliste salariée de la Corlab.

LE MATRIMOINE, C’EST QUOI ?

A l’école, on apprend que le masculin l’emporte sur le féminin. Ce n’est pas neutre comme message et cela s’étend bien au-delà de la question du langage. Car en masculinisant tous les termes, notre quotidien et nos imaginaires collectifs se construisent sur l’invisibilisation des femmes.

Et quand on parle de patrimoine, on a beau dire que le terme englobe aussi bien les hommes que les femmes, on entend quand même ce qui vient de nos pères. Dans les manuels scolaires, les films, les livres, les séries, les ouvrages jeunesse mais aussi la peinture ou les sciences, ce sont les travaux et les exploits des hommes que l’on présente très majoritairement.

Et les quelques femmes qu’on aborde du bout des lèvres sont présentées comme le signale Elise Calvez comme des femmes d’exception. Ainsi, quand Anaëlle Abasq tend le micro pour demander si le terme « matrimoine » parle aux gens qu’elle rencontre, la réponse est claire : c’est non.

« On pense que c’est un néologisme. Mais le terme existait déjà au Moyen-Âge : patrimoine, ce qui vient des pères, et matrimoine, ce qui vient des mères. Les deux termes étaient usités, la langue était mixte à cette époque. Au siècle des Lumières, on a décidé qu’on était égaux mais différents. On a commencé à genrer. Aux femmes l’éducation, les enfants, les tâches domestiques. Aux hommes la sphère professionnelle, la guerre, etc. En parallèle, des mots disparaissent de la langue française : autrice, matrimoine… La manipulation de la langue dit bien des choses : que les femmes n’ont pas accès à des fonctions de prestige, de représentation. C’est une idéologie, ça n’a rien de biologique. », explique Laurie Hagimont.

Les luttes au sein du mouvement féministe sont nombreuses. Et parmi elles, figure le combat concernant le langage. Le droit à la parole est essentiel, tout autant que celui de pouvoir nommer ce que l’on vit. Les mots ont un sens. Les récits autour des violences sexistes et sexuelles le prouvent tous les jours. C’est également le cas avec la question de la féminisation des termes et celle de l’écriture inclusive.

La série L’île aux femmes pointe cela très clairement : identifier notre matrimoine et le nommer, c’est rappeler que des créatrices de talent ont existé à toutes les époques et dans tous les domaines. C’est aussi bousculer nos représentations collectives et stéréotypées sur les arts et la culture et œuvrer pour l’égalité. Dans toute la société en général. 

Le podcast s’attache à décrypter ce processus d’invisibilisation subi par les femmes et qui s’étend tout autant aux personnes LGBTIQ+ et aux personnes racisées. Mais il s’attache aussi à mettre en exergue des initiatives actuelles comme le mentorat mis en place par la Fedelima dans le secteur des musiques actuelles, formant des binômes sur des fonctions encore très genrées comme les postes de direction, de technique, etc. Ou encore les actions régulières de l'association Histoire du féminisme à Rennes.

DÉCONSTRUIRE LE MYTHE DU MATRIARCAT BRETON

En introduction du deuxième épisode intitulé « Figures féminines et imaginaire breton », Justine Caurant signale : « On est toutes d’accord pour dire ce que ce n’est pas parce qu’on a un imaginaire collectif mixte que ça veut dire que l’égalité est réelle. Loin de là. » 

En Bretagne, on aime à penser qu’il existerait dans l’histoire régionale un matriarcat breton. A travers 5 figures féminines – Dahut, Sainte Anne, Marion du Faouët, Naïa et les Bigoudènes - ancrées dans l’imaginaire collectif et la mythologie bretonne, la série questionne cette idée reçue.

Justine Caurant poursuit : « Comment est-ce qu’elles sont représentées ces femmes ? Elles sont toutes archétypales et représentent toutes un aspect, une dimension, une caractéristique qu’on prête aux femmes. »

Pêcheresses, maternelles, sorcières… Elles incarnent la morale des légendes : les filles et les femmes doivent être obéissantes, sinon elles sont punies. Elles doivent être sages et sont en charge de l’éducation et de la transmission. Quand elles transgressent les normes et les assignations de genre, on cherche à les évincer de l’histoire, on les réduit à leur physique et leurs beautés envoutantes. Et même quand elles se lancent dans des mouvements de résistance et de protestation, elles se voient érigées en symboles de folklore régional, dépossédées petit à petit de leurs fonctions et rôles.

La série énonce : « Ce qui a été construit, on peut aussi le déconstruire. »

VALORISER LE MATRIMOINE BRETON

La construction de L’île aux femmes est brillante. Et il faut le dire, empouvoirante. Elle fait du bien cette série radiophonique. Parce qu’elle est complète sans être indigeste. Parce qu’elle parcourt les époques et les disciplines artistiques, explore les fondations et les mécanismes des inégalités qui subsistent encore aujourd’hui, donne à entendre des voix d’hier et d’aujourd’hui et à découvrir des parcours forts et des points de vue variés et pas toujours consensuels et parce qu’à travers cette mise en perspective de ce matrimoine culturel tombé aux oubliettes, elle nous éclaire sur la construction et le fondement de notre société actuelle, légèrement moins inégalitaire qu’autrefois, et encore, pas tant que ça.

Elle est aussi très accessible et sans jugement. Elle apaise cette part qui nous manquait et nous renvoyait un sentiment d’illégitimité et nous offre une matière inépuisable pour satisfaire notre curiosité d’en savoir plus sur cette histoire confisquée de notre héritage culturel commun.

On rencontre, pour la première fois ou non, des artistes qui transcendent les codes comme la styliste Val Piriou qui mêle dans ses créations influences punk et bretonnes, comme la passeuse d’histoires Maryvonne Le Flem, au CV impressionnant entre aide-maçon, goémonière, couturière ou encore « dynamiteuse » de rochers, ou comme la harpiste et compositrice Kristen Noguès, qui a renouvelé les musiques bretonnes notamment grâce au jazz et aux musiques improvisées.

Les citer toutes n’aurait pas de sens. Il faut écouter chaque épisode pour s’imprégner de l’univers de L’île aux femmes, trésor inestimable en terme de ressources et de travail réalisé. Mais aussi en terme d’analyse fine des freins et des obstacles rencontrés par les femmes, artistes en l’occurrence (mais pas que) mais par extension à toutes les femmes. Muses, femmes de, etc. elles sont souvent victimes de critiques et de minimisation de leurs rôles. Et pourtant, elles ont agi et montré quand elles l’ont pu l’étendue de leurs capacités et savoirs.

TIRER LE FIL : L’IMPACT

« Avant, je pensais que souligner à chaque fois le genre de la personne ne faisait que renforcer les inégalités parce que je n’avais pas conscience de l’invisibilisation des femmes. Dans les faits elles sont présentes mais dans le récit, non, on les éclipse. Que ce soit les femmes, les personnes racisées, les LGBTIQ, les personnes issues des classes moyennes, etc. Avant, ce qu’il manquait, c’était les chiffres. Là, c’est indéniable, les femmes sont sous-représentées. », nous confie Anaëlle Abasq.

Durant 10 épisodes, elle a tendu le micro à de multiples personnes racontant et expliquant le matrimoine et son impact. « C’est une narration à la première personne du singulier. Je pars à la découverte et à la compréhension du matrimoine. On parle de l’art mais l’art est surtout un prétexte pour parler de la société. Chaque domaine est champion : l’invisibilisation est systématique. », précise-t-elle.

Tirer le fil de cette histoire permet de créer un choc. Une prise de conscience. C’est d’ailleurs là le reflet de tout le travail mené par HF Bretagne qui compte et établit un diagnostic chiffré tous les deux ans sur la place des femmes dans les arts et la culture en Bretagne.

Pour Elise Calvez, cette (re)découverte de l’histoire des arts et de l’histoire en général est « importante pour la construction des femmes et des filles et de tout le monde en fait, car cela permet d’avoir une vision plus juste de l’Histoire et de la place des femmes au fil de l’Histoire. »

Elle raccroche tout ça aux violences sexistes et sexuelles qui sévissent encore dans notre société à l’égard des personnes sexuées. Car ce sont les stéréotypes dont il fait état dans L’île aux femmes, avec les assignations genrées et le manque de représentations variées, qui perdurent dans le temps qui permettent la transmission de la domination masculine d’une génération à l’autre. Effacer les femmes de l’Histoire permet à cette domination de s’instaurer et de se légitimer.

Toute cette matière, distillée dans la série radiophonique mais aussi élaborée dans la base de données créée par le groupe Matrimoine, peut servir de ressources. « Les territoires peuvent se l’approprier. Pour chaque commune, chaque lieu, il y a des figures méconnues à revaloriser. », souligne Elise Calvez qui précise l’enjeu militant intrinsèque à ce travail.

Parce qu’en interrogeant cette partie manquante de l’héritage culturel commun, on fait bouger les lignes. On interroge alors les manuels scolaires, les noms de rue, les répertoires joués dans les Conservatoires, la manière dont on transmet nos savoirs, le genre de nos expositions, le rapport que l’on entretient avec le milieu des sciences, etc. Ainsi, HF, en Bretagne comme dans les autres antennes régionales, agit auprès des collectivités pour que les Journées du Patrimoine deviennent les Journées du Patrimoine et du Matrimoine.

« Il faut que ce savoir entre à la connaissance du grand public. Tant que ce n’est pas intégré à l’Histoire en général, ça reste une affaire de passionné-e-s. Il y a toujours eu des femmes en responsabilités, en création ou en travail. Elles ont galéré mais elles ont agi. L’Histoire a ensuite été écrite par les hommes qui ont minimisé le rôle des femmes. Il faut passer par la formation, la reconnaissance et la pérennité de ces savoirs. Par le prisme du matrimoine, on questionne les pratiques anciennes qui perdurent aujourd’hui. Comment on reconnaît les œuvres d’aujourd’hui pour les pérenniser demain ? Qu’est-ce qu’on fait aujourd’hui pour transmettre aux générations de demain ? »

  • Tous les épisodes sont à retrouver sur le site de L’île aux femmes et dans le cadre du 8 mars 2024, l'exposition et le podcast sont à (re)découvrir au festival Rue des livres (Cadets de Bretagne) les 16 et 17 mars.

Célian Ramis

Combattantes du monde des sciences

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Le combat des scientifiques. C’était notre première idée de titre. On ne voulait pas dire « femmes scientifiques ». Et parce qu’on n’avait pas envie de dire « le combat des femmes dans le milieu des sciences ». Mais voilà, quand on est face à un terme neutre, on pense au masculin.
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Le combat des scientifiques. C’était notre première idée de titre. Parce qu’on n’avait pas envie de dire « femmes scientifiques ». Et parce qu’on n’avait pas envie de dire « le combat des femmes dans le milieu des sciences ». Mais voilà, quand on est face à un terme neutre, on pense au masculin. Et on invisibilise la bataille qu’elles ont mené et mènent encore actuellement pour être reconnues en tant que telles : des scientifiques à part entière, respectées et reconnues pour leurs recherches et travaux.

Sa fille l’accompagne un jour au laboratoire. Elle a 3 ans. Elle sait que sa mère est une scientifique mais c’est en la voyant en tenue blanche qu’elle réalise et dit « Tu es vraiment une scientifique, maman ! Je veux être scientifique plus tard ! » En entendant ces mots, Jane Willenbring, géologue, fond en larmes. Des larmes de joie mais aussi de terreur : 

« Parce quej’ai imaginé qu’elle serait traitée comme une moins que rien. »

C’est ainsi que démarre Picture a scientist, un film documentaire réalisé aux Etats-Unis en 2020 par Sharon Shattuck et Ian Cheney, et diffusé ce jeudi 11 mars sur Vimeo en amont de la table ronde autour des inégalités et discriminations subies et vécues par les femmes dans les sciences, organisée par l’université Rennes 1 dans le cadre du 8 mars. 

LA QUESTION DE LA REPRÉSENTATION

Aux genres féminin et masculin, on attribue des images. En terme de carrières professionnelles, on imagine les femmes dans les métiers du soin et de l’éducation et les hommes dans les postes à responsabilités, la politique et les sciences.

« Les femmes sont sous-représentées dans les sciences. Ce n’est pas notre place, c’est ça le message. Il y a des règles : les hommes les écrivent, ils les connaissent. Pas nous. »
nous dit le documentaire en introduction.

Picture a scientist explore les tenants et les aboutissants de cette sous-représentation, en donnant la parole à des scientifiques qui se sont battues et se battent encore pour faire valoir la place qu’elles occupent et la place qu’elles méritent. Leurs témoignages mettent en lumière l’isolement subi et le travail acharné qu’elles doivent fournir pour accéder à la reconnaissance.

« J’étais dans une école privée pour filles. On ne nous apprenait pas les maths et les sciences. Plus tard, j’ai suivi un cours de bio et ça m’a changée. Je ne pouvais pas imaginer vivre sans cette science. », explique Nancy Hopkins, biologiste. Marquée par le cancer de sa mère, elle a voulu très tôt s’orienter vers la recherche contre la maladie.

Rares sont les femmes qui sont encouragées à prendre et poursuivre la voie des sciences. C’est ce qu’a démontré l’enquête réalisée dans le cadre du livre Égalité en science ! Une approche globale des inégalités femmes-hommes en mathématiques, informatique et science : comment les mesure ? comment les réduire ? présenté lundi 8 mars par les professeures émérites Colette Guillopé et Marie-Françoise Roy dans une conférence organisée également par l’université Rennes 1. 

Dans le documentaire, la chimiste Raychelle Burk témoigne de la double discrimination qu’elle subit en tant que femme racisée : « Je n’ai pas été encouragée pendant mes études. Il n’y a pas de profe noire de chimie… »

Le seul personnage auquel elle peut se référer est celui de Uhura dans la série SF Star Trek, alors seule scientifique noire portée à l’écran. Dans la réalité, 2,2% des femmes noires ont des doctorats.

Elle raconte que souvent on la prend pour la femme de ménage, qu’on l’ignore en réunion et qu’elle reçoit des mails de critiques déplacées, inappropriées, qu’on ne ferait pas à une femme blanche, encore moins à un homme blanc. Et explique, les larmes aux yeux, l’énergie qu’elle dépense en répondant à ces messages. Des temps qu’elle ne consacre pas à ses travaux.

C’est ça souligne-t-elle qu’il faut avoir en permanence à l’esprit. C’est que les autres ne passent pas une partie de leur temps à recevoir des mails plombants de par le sexisme et le racisme qu’ils diffusent et à devoir formuler des réponses, pour ensuite pouvoir reprendre le cours de ses recherches.

Elle est la seule professeure noire de son établissement. D’autres chiffres apparaissent comme flagrants d’un système raciste et sexiste : 7% des doyens et moins de 3% des recteurs sont des femmes de couleur.

« Plus on monte dans la tour d’ivoire, plus c’est blanc. On s’habitue à être insultées, mal traitées… et c’est à nous qu’on demande d’être polies… Tu essayes de rentrer dans le moule mais certains ne te considèrent toujours pas. »
déplore-t-elle.

UNE IMAGE BIEN ANCRÉE DANS LES MENTALITÉS

Les femmes doivent redoubler d’effort pour être acceptées. Pas seulement pour rentrer dans le moule de l’institution qui comme l’évoque Raychelle Burk exige un certain type de comportement, un certain type d’habillement, un certain type de langage, etc. comme dans n’importe quel groupe social. Il faut surtout entrer dans le moule du genre.

« Il faut beaucoup bosser, il faut prendre de l’élan pour faire une carrière dans les sciences en tant que femme. On devait être gentilles, jamais déplaisantes. Sinon, on ne voulait pas de nous et on ne nous accordait pas les crédits nécessaires à nos recherches. », souligne Nancy Hopkins. 

Les mentalités n’ont que trop peu évoluer à ce sujet. Deux tests le prouvent dans le documentaire. Le premier établit deux CV. En réalité, ils sont identiques au détail près que l’un est censé être le CV d’une femme et l’autre, celui d’un homme. Pas de suspens : c’est le CV de l’homme qui obtient le plus de résultats positifs. Plus embauchable et mieux rémunéré. Effarant.

Le deuxième est effectué auprès d’un groupe constitué d’hommes et de femmes. A l’écran, la colonne de gauche dévoile un prénom masculin et la colonne de droite, un prénom féminin. La sociologue donne les consignes : dès que les participant-e-s entendent des mots en lien avec les sciences, ils et elles doivent l’attribuer au prénom masculin et dire « gauche », même principe quand ils entendent des mots en lien avec la sphère privée, ils et elles doivent l’attribuer au prénom féminin et dire « droite ».

Les réponses sont prononcées instantanément et d’une seule et même voix. Mais quand la professionnelle inverse les deux prénoms, ça cafouille et le résultat est plus long à être obtenu, et ce dans une certaine cacophonie.

Eugénie Saitta est enseignante-chercheuse auprès du laboratoire Arènes de l’IUT de Rennes. Elle est invitée par l’université Rennes 1 et sa chargée de mission Parité, Nicoletta Tchou, ce jeudi 11 mars à commenter le documentaire et par conséquent cette difficulté à envisager les femmes dans des carrières scientifiques.

Pour elle, le témoignage de Raychelle Burk révèle l’importance et le rôle des modèles féminins qui « ouvrent l’imaginaire des possibles ». Elle aborde deux effets principaux : 

« Il y a l’effet de socialisation primaire qui se fait dans la famille, le système éducatif, etc. Les petits garçons sont encouragés à la compétition et les petites filles à la docilité. Et il y a l’effet d’intériorisation des schémas qui jouent ensuite sur la construction et les choix des individus. »

En d’autres termes, ne pas encourager les filles dans la voie des sciences, là où on encourage les garçons que l’on représente et érige en modèles dans ces carrières, c’est leur faire croire qu’elles n’en ont pas les capacités. Ainsi, elles vont intérioriser cette idée, allant même jusqu’à se saboter inconsciemment. Par conséquent, lors du choix des études et des métiers, elles ne vont pas être nombreuses à s’orienter dans les domaines scientifiques, excepté pour les sciences sociales.

LES INJUSTICES ÉPISTÉMIQUES

Difficile d’expliquer son ressenti et de dénoncer son vécu quand les mots nous manquent. Ceux-là même qui permettent de nommer les situations. Sur ce point précis, les avancées sont indéniables. Grâce à Kimberlé Crenshaw par exemple, la notion d’intersectionnalité entre dans le langage et surtout libère de très nombreuses personnes qui peuvent enfin exprimer les discriminations qu’elles subissent et qui s’articulent entre les questions raciales, de genre et de classe. Et surtout, le terme apporte une reconnaissance à leur vécu.

Un jour, Nancy Hopkins s’apprête à assister à la conférence du biologiste Francis Crick. Pour elle, c’est un génie, elle l’admire énormément. Elle est assise à son bureau lorsque celui-ci déboule dans la pièce, met ses mains sur la poitrine de Nancy et lui demande sereinement sur quoi elle travaille.

« On ne parlait pas de harcèlement sexuel à cette époque. Je ne voulais pas l’embarrasser alors j’ai fait comme si rien ne s’était passé. », témoigne-t-elle.

Aujourd’hui, on parlerait d’agression sexuelle. La biologiste sait que la situation est anormale. Elle sent que le geste n’est pas approprié mais l’absence de vocabulaire spécifique à ce vécu néglige la gravité des faits. Les mots comptent. D’autant plus que sans eux, il est aisé pour le groupe dominant de remettre en cause le discours du groupe dominé, surtout si l’individu est isolé ou en minorité.

La philosophe Miranda Fricker, comme l’explique Eugénie Saitta lors de la table ronde, conceptualise « les injustices épistémiques », désignant l’ensemble des mécanismes permettant de décrédibiliser la parole, en l’occurrence des personnes sexisées et racisées.

LES MOTS COMPTENT…

D’un côté des personnes victimes d’un langage qui ne se met pas au service de leurs expériences, de l’autre des personnes qui abusent de paroles dures et néfastes, dans l’intention de nuire véritablement. Raychelle Burk en témoigne lorsqu’elle parle des mails déplacés qu’elle reçoit, au racisme et sexisme latents et ravageurs. Pour répondre, elle met du temps et de l’énergie pour trouver justement les bons mots.

Elle évoque également les insultes auxquelles elle s’est habituée. C’est dramatique. Elle que l’on voit travailler dans la bonne humeur, le partage et l’échange, a toujours en tête ce climat de tension dont on essaye de lui faire croire qu’elle est responsable. La force qu’elle met dans un sourire est décuplée. La question de la charge et de la santé mentale des femmes racisées n’est pas nommée en tant que telle dans le documentaire mais mériterait un film en lui-même.

L’hostilité, le climat tendu, les insultes… Tout cela représente la partie immergée de l’iceberg, la métaphore étant omniprésente dans Picture a scientist. La partie émergée est elle constituée des violences sexuelles. 

Jane Willenbring raconte sa première mission en Antarctique avec Dave Marchant. Pareil que pour Nancy, elle l’admire, le trouve brillant et se réjouit de cette expédition qui se déroule bien au départ, lorsque le groupe (Dave Marchant, le frère de Dave Marchant, Adam Lewis et elle) est encore à la base, avec de nombreux autres scientifiques.

Le groupe part en mission et c’est là que Jane commence à subir des insultes de la part de son mentor Dave, qui la traite de salope et de pute, « pour rigoler » à la suite d’un sketch dans lequel le comique faisait mention de « Jane la salope ». Chaque discussion est douloureuse : « Je voulais juste parler de science ! »

Lorsqu’elle va aux toilettes, en pleine nature, il lui jette des cailloux. « C’était humiliant ! », scande-t-elle. Elle arrête de s’hydrater durant la journée, commence à avoir du sang dans les urines et son corps développe de nombreuses infections urinaires. A un autre moment, il l’appelle pour lui faire observer des cristaux. Elle s’approche, il lui jette les cendres à la figure, elle s’en prend dans les yeux. Ça, c’est quand il n’est pas trop occupé à la pousser d’u haut d’une colline…

Jane Willenbring n’a de cesse de se contenir pour paraître désinvolte :

« Mon avenir dépendait de lui ! »

Tout comme cette étudiante qui témoigne sous anonymat. Elle rêvait d’être astronaute et devait obtenir un doctorat pour poursuivre son ambition. En arrivant auprès de Dave Marchant, celui-ci lui répond qu’il ne veut pas accompagner une fille. Son CV ne laissait pourtant pas de doute quant à cette partie de son identité.

Ensuite, c’est harcèlement et insultes tous les jours. Il va jusqu’à lui dire très clairement qu’elle n’obtiendrait jamais de financements pour ses recherches et qu’il s’en assurerait directement. Quand elle porte l’affaire à la présidence de son université, on lui répond que Dave Marchant est trop influent et rapporte trop d’argent pour le virer. À la place, on lui demande à elle de s’en aller. « Sans doctorat, je ne pouvais pas être astronaute », conclut-elle, désemparée. 

Le désarroi, le sentiment d’illégitimité, la perte de confiance et d’estime en soi et ainsi sa capacité à réfléchir et travailler – déjà souvent pas bien grande puisqu’aucun encouragement n’a été reçu, ni aucune marque de reconnaissance – participent à décourager de nombreuses scientifiques qui quittent leur domaine d’activité.

LA PRISE DE CONSCIENCE ET LE TEMPS DE L’ACTION

Pour Anne Siegel, combattre le haut de l’iceberg tout comme la partie immergée est compliqué et complexe. Mais pas impossible, évidemment : « C’est le solidarité des femmes mais aussi de certains hommes que nait la prise de conscience. À partir de là, on peut avancer. Il y a au départ un sentiment d’illégitimité puis la parole se répand et la prise de conscience mène au collectif, ça dépasse alors l’individuel, le sentiment individuel d’imposture par exemple. »

Dans le film documentaire, on voit ce cheminement à travers le parcours de Nancy qui à un moment se met à venir le soir au labo et à mesurer les surfaces occupées dans les labos, constatant des inégalités flagrantes entre l’espace décerné aux femmes et celui décerné aux hommes. Elle écrit une lettre au président du MIT à propos du sexisme systémique mais avant de lui transmettre, elle demande à une collègue, à l’occasion d’un déjeuner, si elle peut la lui lire.

Elle a peur. Peur que sa collègue la juge. Peut que sa collègue ne la comprenne pas. Peur que sa collègue l’exclut pour avoir oser parler, dénoncer. Sa peur est balayée par non seulement la compréhension de sa collègue mais aussi et surtout le partage du même sentiment et des mêmes expériences.

Il y a seulement 15 femmes sur 6 départements au MIT, elles vont aller à leur rencontre, échanger avec elles, et former un groupe pour lutter ensemble contre les discriminations qu’elles subissent en tant que femmes. Elles vont bosser, œuvrer, compter ! Et les chiffres, forcément, sont une arme redoutable.

« Les chiffres ont prouvé la vérité ! Moins de surface pour les femmes dans les labos, moins de salaires. Pas de garde d’enfants sur les campus universitaires, etc. Sans les femmes, on perd la moitié des talents ! »
s’insurge-t-elle. 

De l’individuel au collectif, les phases se succèdent, sans règle absolue et sans mesure exacte du temps que cela prend. Tout dépend des individus. Tout dépend des combats. Tout dépend des contextes… Eugénie Saitta synthétise :

« D’abord, on expérimente individuellement des choses qui nous mettent mal à l’aise. Ensuite, il y a la mise en commun des expériences, souvent sur des temps informels, entre femmes. On le voit avec Nancy et sa collègue, qui vont s’allier. La prise de conscience individuelle peut prendre du temps à arriver au collectif. »

Pour faire reconnaître leur juste place, les scientifiques vont devoir se battre sans relâche, ce qui équivaut comme le dit très bien Raychelle Burk à dépenser une énergie qui n’est pas mise dans le travail. Mais qui profite aux générations futures. Car si elle n’avait pas de modèle, hors fiction, de profe de chimie noire, elle incarne pour ses étudiant-e-s, stagiaires et collaborateur-ice-s la possibilité de changer la norme, qui en l’état est excluante et discriminatoire.

Jane Willenbring a décidé des années plus tard de porter plainte contre Dave Marchant, sachant qu’il reproduisait son comportement avec d’autres personnes. Le combat est long, très long, trop long. Mais aboutit finalement à la destitution du géologue de son poste à l’université.

« C’est très difficile de porter plainte contre son directeur de thèse, de stage, de recherches… à cause de la logique de pouvoir. On le voit, il rapporte énormément d’argent à l’université, c’est lui qui a le pouvoir. »
commente Eugénie Saitta.

LENTEMENT, DES AVANCÉES…

Le rapport remis au MIT par Nancy Hopkins et ses collègues obtient un retentissement important. Le président de la structure s’engage à leurs côtés, alors même qu’il sait qu’il devra essuyer de nombreuses et sévères critiques de ses homologues pétris dans la mentalité patriarcale, et 9 autres universités lancent le mouvement de la réflexion et de l’action en faveur de l’égalité.

Sangeeta Bhatia est ingénieure et a bien conscience qu’elle bénéficie de certains privilèges obtenus grâce aux combats de leurs ainées et même de leurs contemporaines qui ont repris le flambeau et ouvrent le champ des possibles en focalisant l’attention sur l’essentielle inclusion de tous les individus.

Anne Siegel met l’accent sur les avancées en cours, à l’échelle locale de l’IRISA, laboratoire informatique de Rennes, domaine dans lequel les femmes sont encore sous-représentées :

« On constate une volonté depuis 3 – 4 ans de faire bouger les lignes. Le groupe de travail sur l’égalité est devenu un comité et on a mis en place plusieurs dispositifs comme le Club sandwich sur le temps du midi, pour que les femmes discutent entre elles de plein de sujets différents, mais aussi le mentorat, qui n’est pas réservé aux femmes, mais permet un accompagnement pour identifier les verrous dans les carrières et vies personnelles. Ça permet de limiter l’isolement et de faire justement émerger les prises de conscience. »

Le film documentaire Picture a scientistse referme sur la conclusion que l’évolution est constante mais encore insuffisante. Des biais existent encore et les faits de harcèlement – dans son sens le plus large – créent des fuites dans le système. 

Anne Siegel aborde l’effet Matilda, conceptualisée par Margaret Rossiter dans les années 80, qui désigne le fait de nier ou oublier les découvertes et la contribution des femmes aux recherches scientifiques. On peut alors lire l’ouvrage Ni vues ni connues – Panthéon, histoire, mémoire : où sont les femmes ?, écrit par le collectif Georgette Sand, qui dédie un chapitre aux découvertes des femmes que les hommes se sont attribuées. 

Enfin, elle prend un exemple qui en dit long, celui du prix nobel de physique attribué en 2020 à un tri d’expert-e-s, Roger Penrose, Reinhard Genzel et Andrea Ghez : « Celle-ci est la seule à ne pas avoir de page wikipédia… » Pas de commentaire. L’action s’impose. 

 

 

Célian Ramis

Réduire concrètement les inégalités femmes-hommes dans les sciences

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Quand on pense aux sciences, on a en tête l’image d’un chimiste en blouse blanche dans son laboratoire, du mathématicien en train de noircir son tableau d’équations, de l’ingénieur qui conçoit les technologies de demain. On pense au masculin, à tort.
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Quand on pense au domaine des sciences, on a très souvent l’image d’un chimiste en blouse blanche dans son laboratoire, du mathématicien en train de noircir son tableau d’équations, de l’ingénieur qui conçoit les technologies de demain. On pense au masculin, à tort. Les filles et les femmes s’investissent dans les carrières scientifiques mais pâtissent d’un manque de visibilité et d’un manque d’encouragement, pouvant donner lieu à un sentiment d’illégitimité, sans oublier les violences sexistes et sexuelles qu’elles vont subir durant leurs études et l’exercice de leur fonction.

Les choses bougent. Lentement mais elles bougent. Ainsi, on constate ces dernières années qu’enfin des femmes obtiennent par exemple le Docteur Honoris Causa, un titre honorifique que l’université décerne à une personnalité éminente.

Entre 1987 et 2012, à l’université Rennes 1, 48 titres ont été remis. Uniquement à des hommes. Le 8 mars 2013, 3 femmes, dont la mathématicienne Hélène Esnault, ont accédé au DHC. Entre 2014 et 2019, le titre a été décerné à seulement 3 femmes contre 12 hommes. Ça progresse mais c’est largement insuffisant.

« Identifier et réduire les inégalités dans les sciences », c’est la thématique choisie par l’université Rennes 1 pour une conférence en ligne qui a eu lieu le 8 mars, journée internationale des droits des femmes.

Colette Guillopé et Marie-Françoise Roy sont toutes les deux professeures émérites, respectivement de l’université Paris-Est Créteil et de l’université Rennes 1, engagées pour l’égalité femmes-hommes dans les sciences, et ont participé au projet international « The gender gap in science – A global approach to the gender gap in mathematical, computing and natural sciences : how to measure it, how to reduce it ? » dont l’ouvrage réalisé – publié il y a un an - est actuellement traduit en français par les deux intervenantes.

Entre 2017 et 2019, à l’initiative de l’Union internationale de mathématiques (à travers son Committee for women in mathematics) et l’Union internationale de physique, 11 coordinatrices et 1 coordinateur, issu-e-s de toutes les disciplines scientifiques et de différents pays ont mené une enquête auprès de 32 000 scientifiques répondant-e-s depuis 130 pays, ont analysé des millions de publications et revues depuis les années 70, ont créé une base de données des bonnes pratiques, référençant 68 activités, et ont dressé une liste de recommandations à destination des parents, des organisations locales et des institutions scientifiques.

DES DIFFÉRENCES CONSTATÉES SIGNIFICATIVES

Pour cette enquête, hommes et femmes ont été interrogées sur l’ensemble de leur vie universitaire et professionnelle. Résultat :

« Les expériences des femmes sont moins positives que celles des hommes. »
commente Colette Guillopé.

Les femmes sont souvent moins encouragées dans leurs études et carrières par leurs proches et leurs familles. Elles disposent de moins de rôles modèles, perçoivent un salaire moindre et voient leurs carrières évoluaient plus lentement que celles des hommes. 

Autre point non négligeable : un quart des femmes interrogées ont signalé avoir été victimes de harcèlement sexuel pendant leurs études ou au travail. Il est essentiel de travailler à la culture de l’égalité dans tous les secteurs de la société.

Dans l’analyse des publications de 1970 à 2018, Colette Guillopé constate une augmentation régulière de la proportion des femmes autrices d’articles scientifiques. Dans ce qui est considéré comme les meilleures revues, les plus renommées du moins, l’amélioration en astronomie et en chimie est nette (20% en 2020), tandis qu’il n’y a pas de progrès en mathématiques et en physique théorique où elles sont toujours moins de 10%.

En ce qui concerne la base de données des bonnes pratiques, Colette Guillopé établit qu’il est difficile de savoir ce qui relève de la « bonne » pratique et ce qui n’entre pas dans la catégorie : « Surtout qu’il y en a certainement plein mais qu’on ne les connaît pas forcément. »

L’intérêt n’est pas nécessairement de constituer une liste exhaustive mais surtout de sensibiliser les familles et les communautés pour promouvoir les carrières en science auprès des filles, surtout quand celles-ci vont à l’encontre des normes et des préjugés. Pour encourager les femmes à s’intéresser aux questions scientifiques. Pour promouvoir un soutien pour les femmes, via des systèmes de marrainage et de réseaux par les chercheuses et professionnelles confirmées dans les STIM.

LES AXES DE RECOMMANDATIONS

« Nous avons listé une trentaine de recommandations qui sont des choses plus ou moins déjà faites maintenant que, depuis 2013, les chargé-e-s de mission Égalité sont obligatoires dans les établissements d’enseignement supérieur. », explique la professeure de Paris-Est.

À destination des parents et des professeur-e-s, les préconisations concerneront le fait d’éviter les préjugés relatifs aux femmes et aux hommes et de plutôt promouvoir l’égalité des sexes et sensibiliser aux questions de genre.

Il y a également de nombreuses actions à entreprendre au niveau des organismes scientifiques et des établissements d’enseignement sur l’axe par exemple du harcèlement sexuel et de la discrimination afin de les empêcher, signaler et les condamner, mais aussi l’axe de la promotion de l’égalité des sexes dans les politiques de l’établissement ou encore l’axe de la parentalité, de son impact sur les carrières mais aussi de sa gestion avec l’environnement professionnel.

Concernant les recommandations formulées pour les unions scientifiques et autres organismes internationaux, Colette Guillopé et Marie-Françoise Roy conseillent de travailler sur le changement des normes, d’encourager les bonnes pratiques, d’augmenter la visibilité des femmes scientifiques et de créer des comités pour les femmes en science.

« ÉGALITÉ EN SCIENCE ! »

Afin de pouvoir accès aux mesures concrètes proposées et aux résultats de l’enquête, il faudra attendre encore quelques temps. La traduction est en cours, assurent les deux expertes. Et elle sera partielle avec cependant l’ajout de deux chapitres, un sur les mathématiciennes africaines – grâce à l’African women in mathematics association – et un sur les mathématiciennes françaises – grâce à l’association Femmes et mathématiques.

Le livre en français s’appelle : Égalité en science ! Une approche globale des inégalités femmes-hommes en mathématiques, informatique et sciences : comment les mesurer ? comment les réduire ?

Concernant les mathématiciennes françaises, elles en ont sélectionnées 5 et les ont interrogées sur leur parcours, leurs résultats scientifiques et leur action phare pour l’égalité femmes-hommes en mathématiques. Figurent ainsi Anne Boyé, Clotilde Fermanian, Geneviève Robin, Olga Romaskevich, Anne Siegel.

On y trouve aussi des statistiques plutôt accablantes sur la proportion de femmes et d’hommes professeur-e-s de maths depuis 1996. Les femmes représentent moins de 10% et leur nombre diminue progressivement avec le temps.

« En 2075, il n’y aura plus une seule profe de maths à l’université en France si ça continue. »
déplore Marie-Françoise Roy.

FAIRE PROGRESSER L’ÉGALITÉ CONCRÈTEMENT

À l’occasion de la conférence, Marie-Françoise Roy s’appuie sur différentes situations et actions que l’on peut mettre en lumière dans le cadre des avancées dues à des mouvements en faveur de l’égalité femmes – hommes.

Elle prend l’exemple du CIRM – Centre international de recherches mathématiques – un centre de rencontres organisées sur une semaine, dans le sud de la France. Créé en 1981, « il était interdit depuis le début d’y amener des bébés. Si une mère voulait allaiter, elle devait sortir de l’enceinte de la structure. » Et quand elles venaient en famille avec des enfants même plus âgés que les nourrissons, elles devaient louer un hébergement en dehors du CIRM au lieu de loger avec les autres.

A coups de protestations et de pétitions, « l’impossible est devenu possible ». Depuis 2016, soit 35 ans après son ouverture et à la suite d’une rénovation des locaux, le CIRM autorise les bébés et les enfants, installés avec leurs parents dans des studios familiaux. Les familles peuvent donc depuis 5 ans manger et loger avec le reste des personnes présentes. « Quand ils ont changé le règlement, ils n’ont pas fait beaucoup de pub à ce sujet… », conclut la professeure qui embraye rapidement sur les initiatives positives mises en place sur le campus de Beaulieu.

L’université Rennes 1, en collaboration avec l’université Rennes 2, l’EHESP, l’INSA, l’ENSAB et l’ENSCR, ont mis en place un dispositif de prévention et de lutte contre le harcèlement sexuel. Sur le site de Rennes 1, un espace est dédié par exemple pour alerter une ou des situations de harcèlement sexuel, que l’on en soit victime ou témoin.

Une fois l’alerte effectuée, la présumée victime peut avoir accès à une cellule de soutien, composée de médecins, d’une assistance sociale, d’une psychologue et d’un soutien juridique. Elle pourra éventuellement être orientée vers l’association SOS Victimes. Si elle le souhaite, elle pourra suivre les mesures conservatoires et/ou disciplinaires avec l’établissement.

Autre initiative en faveur de l’égalité femmes-hommes : l’inauguration en octobre 2019 de l’amphithéâtre Maryam Mirzakhani, pemière et seule mathématicienne à avoir obtenu la médaille Fields en 2014. Une exposition sur la vie et le travail de Maryam Mirzakhani a eu lieu au Diapason, à la Bibliothèque universitaire ainsi qu’à la MIR et deux tables rondes ont été organisées en 2019 et en 2020, dans le cadre du 8 mars à Rennes, sur la place des femmes dans les sciences, et notamment en mathématiques.

L’université Rennes 1 engage une politique de lutte contre les violences sexuelles, pour la visibilité des femmes scientifiques et œuvre plus largement contre toutes les formes de violences sexistes, dont celles qui concernent la grossesse des post-doctorantes, en soutenant financièrement les pertes éventuelles de rémunération (du contrat de recherche) pendant leur congé maternité. 

Un projet est à l’étude en ce moment concernant le congé pour recherche ou conversions thématique (CRCT) – qui permet une période de recherche à plein temps et dispense de l’enseignement et des activités administratives pendant six mois à un an – afin que celui-ci soit accordé de droit aux enseignantes-chercheuses de l’université Rennes 1 qui en font la demande au retour de leur congé maternité.

En 2021, ce sont des actions innovantes. Les mentalités évoluent. Lentement. Trop lentement. Mais les politiques en faveur de l’égalité femmes-hommes, à l’instar de toutes les politiques en faveur de la lutte contre les discriminations, doit être encouragée. Afin que ce soit les filles et les femmes qui en bénéficient. Dans leurs orientations scolaires, choix de métier, évolutions de carrières, possibilité d’articuler vie professionnelle et vie personnelle sans sacrifices visant toujours les mêmes individus.

 

Célian Ramis

En mathématiques, comment résoudre l’équation de l’égalité ?

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Les mathématiciennes étaient mises à l'honneur à la MIR le 11 mars, dans le cadre de l'exposition "Remember Maryam Mirzakhani" et de la conférence sur la place des femmes dans les mathématiques.
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Les filles, elles sont nulles en math. Elles n’ont pas l’esprit scientifique. C’est plutôt un truc de garçon. Evidemment, ce sont des idées reçues et des stéréotypes issus d’une construction sociale agissant à travers l’éducation genrée dès le plus jeune âge, qui influe ensuite sur l’orientation scolaire, les choix universitaires et enfin sur les carrières professionnelles.

À la Maison Internationale de Rennes, 18 tableaux ornent la galerie du 10 au 17 mars dans l’exposition Remember Maryam Mirzakhani, orchestrée par le Committee for Women in Mathematics (Comité pour les Femmes en Mathématiques) en 2018 autour de celle qui reste aujourd’hui encore la seule femme à avoir obtenu la médaille Fields en 2014, lors du Congrès International des Mathématiciens.

Actuellement, dans le monde, circule 20 copies de cette exposition dont les droits sont donnés gratuitement par le CWM en fonction de la cohérence du projet examiné. Le 15 octobre 2019, l’université Rennes 1 la dévoilait pour la première fois à Rennes à l’occasion de l’inauguration de son amphithéâtre Maryam Mirzakhani.

À chaque fois, il est exigé de bien respecter le format et l’ordre des affiches, établies selon le parcours de cette femme, née en Iran en 1977 et qui grandit à Téhéran. Au lycée, elle étudie dans un établissement dédié aux filles exceptionnellement douées et très vite, elle remporte la médaille d’or lors des Olympiades Mathématiques Internationales, en 1994 et en 1995.

Tous les posters renvoient à une thématique de sa vie. Que ce soit à travers des photos de famille, des photos de sa fille Anahitah qui pensait, voyant sa mère faire des dessins sur des feuilles, que celle-ci était une artiste peintre, d’elle en train de travailler. Mais aussi à travers des mots, de concepts et de citations. Jusqu’à la compilation d’articles de journaux abordant sa mort en 2017, à la suite d’un cancer du sein.

Elle est un formidable exemple de réussite, dépassant les frontières des assignations genrées. Mais aussi une exception. Malgré elle. Elle est la première et unique mathématicienne à avoir obtenu la médaille Fields à ce jour. Une médaille remise tous les 4 ans, à 4 lauréat-e-s âgé-e-s de moins de 40 ans.

« Sur 55 ou 56 titulaires, il n’y a eu qu’une seule femme depuis que la médaille a été créée, en 1936 je crois. Maryam a eu un destin tragique puisqu’elle est décédée à 40 ans. Elle n’a pas pu donner son exposé dans ce cadre-là car elle était déjà atteinte du cancer du sein. Mais elle voulait dédier sa distinction à toutes les femmes qui viendraient après elle. »
précise Marie-François Roy, présidente du CWM.

UN MONDE DE MECS…

Le 11 mars, après le vernissage de l’exposition, le laboratoire de mathématiques de Rennes 1 proposait de poursuivre les réflexions autour d’une conférence sur la place des femmes dans les mathématiques, animée par Nicoletta Tchou, chargée de mission Parité et lutte contre les discriminations et maitresse de conférences en mathématiques.

Le monde des mathématiques est reconnu comme majoritairement masculin. Les femmes représentent 30%, dans le monde, à la base des mathématiques, c’est-à-dire dans les écoles de formation. Dans les revues et dans les lauréat-e-s des prix, elles ne sont plus que 10% et ce pourcentage n’a pas évolué depuis 50 ans, ce qui n’est pas le cas dans d’autres disciplines scientifiques, comme la chimie par exemple.

« Depuis 1996, jusqu’à 2016, la part des filles en série S est passée de 42% à 47%. La pente est faible mais quand même, on voit une augmentation du nombre de filles en S. On voit en revanche, dans le suivi post bac, que les études médicales sont plus choisies par les filles qui avaient des profils scientifiques au lycée que les sciences dures ou l’ingénierie. En fait, dès qu’il y a de l’humain dans l’intitulé, il y a globalement plus de filles. », souligne Nicole Guenneuguès, chargée de mission égalité filles-garçons au sein du rectorat.

De son côté, Christophe Ritzenthaler, responsable de la commission Parité de l’Institut de recherche mathématique de Rennes, fournit des chiffres nationaux et locaux. En France, on comptabilise 21% de femmes dans le secteur des mathématiques dans les universités. Un chiffre stable depuis 1996. Elles sont 27% à être maitresses de conférences et autour de 10% au niveau supérieur. Dans les mathématiques dites « pures », on compte 31 femmes pour 467 hommes.

« Et ce n’est pas plus réjouissant à Rennes. En fait, on perd à chaque étage. Plus on progresse dans les échelons, plus on perd les femmes. Parmi les doctorant-e-s et post-doctorant-e-s, il y a environ 30% de femmes et 10% au niveau supérieur. », précise-t-il. 

Avec la commission, il s’est replongé dans des études concernant le recrutement. Il en partage une avec la salle. 127 CV, en biologie, sont fournis à un comité de recrutement composé de manière paritaire. Parmi les CV, certains sont identiques, sauf qu’un exemplaire est au nom d’une femme et qu’un autre exemplaire est au nom d’un homme. Résultat : plus de postes sont proposés aux hommes, « avec des meilleurs salaires ! »

DES LEVIERS À ACTIONNER

Les discriminations ne s’effectuent pas toujours de manière consciente. Le sexisme commence dès le plus jeune âge à travers l’éducation genrée. On ne parle pas de la même manière aux filles qu’aux garçons, on n’attend pas d’elles et d’eux les mêmes comportements et compétences, on privilégie les qualités d’écoute et d’empathie pour les filles et des qualités d’actions pour les garçons.

« Un des premiers leviers, c’est celui de la formation des personnels. Au-delà des mathématiques. Femmes et hommes enseignant-e-s ont aussi des représentations stéréotypées. Ça se voit avec les mêmes copies, le regard, les encouragements et les commentaires ne sont pas les mêmes. Quand on attend quelque chose de nous, on a tendance à aller vers cet attendu. Pour les garçons, c’est plus de savoir compter. Pour les filles, de savoir parler. »
explique Nicole Guenneuguès.

Au sein de l’académie, différentes actions sont mises en place, comme par exemple une journée de formation à destination des professeur-e-s de mathématiques pour lutter contre la menace du stéréotype, une journée Filles et Maths composée de conférences animées par des mathématiciennes, de speed meetings et d’un théâtre forum sur les stéréotypes, ou encore un partenariat avec Orange sur la base de marrainages, afin de travailler sur la confiance en soi et le poids du modèle.

Un projet interdisciplinaire, dont nous fait part Marie-Françoise Roy, a permis d’interroger 32 000 scientifiques (50% de femmes et 50% d’hommes) sur leurs conditions, vécus et ressentis afin d’établir un diagnostic assez précis et représentatif de la situation et de construire une base de données des initiatives à travers le monde.

Sur le site du projet (gender-gap-in-sciences.org), on retrouve donc l’enquête globale qui témoigne qu’environ un quart des femmes ont eu une expérience personnelle de harcèlement sexuel durant leurs études ou au travail, et que les écarts de salaire sont significatifs entre les hommes et les femmes, la parentalité ayant un impact très différent sur les vies des hommes et des femmes.

On trouve également l’étude des modes de publication qui analyse des millions de publication, de 1970 à aujourd’hui dans les domaines de l’astronomie, les mathématiques, la chimie ou encore la physique théorique. Résultat : moins de 10% d’autrices dans les revues renommées en 1970 / 20% d’autrices dans les revues renommées en 2020. Sauf en mathématiques, où elles restent à moins de 10%.

Enfin, l’enquête délivre des recommandations aux parent-e-s et enseignant-e-s, aux organisations locales (départements scientifiques des universités, centres de rencontres, groupes de recherche dans l’industrie) ainsi qu’aux unions scientifiques.

A titre d’exemple, parent-e-s et enseignant-e-s peuvent encourager à des activités non mixtes adaptées pour stimuler la confiance des filles en elles-mêmes et leurs capacités à s’exprimer, ou encore utiliser des livres et des médias promouvant l’égalité femmes-hommes et mettant en évidence les contributions des femmes dans les sciences.

Les organisations locales peuvent créer une atmosphère de travail respectueuse et de qualité, définir des bonnes pratiques pour prévenir, signaler et résoudre les cas de harcèlement sexuel et de discrimination au travail, ou encore prendre en compte l’impact de la parentalité sur les carrières des femmes.

Les unions scientifiques peuvent travailler collectivement au changement de culture et de normes pour réduire les différents aspects des inégalités entre femmes et hommes, et peuvent encourager la diversification des prix scientifiques mais aussi encourager la présence de femmes dans les comités éditoriaux, etc.

« Il y a beaucoup d’initiatives pour que la situation évolue. Mais c’est extrêmement lent. Car c’est le reflet d’autres problèmes dans la société. Le problème ne va pas être facile à résoudre car on rencontre des blocages profonds. Il y a des actions à faire à tous les niveaux, à tous les étages. »
commente la présidente du Committee for Women in Mathematics.

DES AVANCÉES ET DES RÉSISTANCES…

En effet, on sait que le sexisme est systémique, comme le racisme, les LGBTIphobies, le validisme, etc. On doit donc travailler sur la déconstruction des stéréotypes auprès des adultes et sur la construction d’un modèle et de valeurs égalitaires. Dès le plus jeune âge, une nouvelle pédagogie doit être pensée et appliquée. Et le travail est en cours. Malheureusement, on sait que toutes les villes, tous les territoires, ne s’accordent pas sur les mêmes enjeux, à la même vitesse, ce qui creuse également les inégalités dans le sujet de l’égalité.

Toutefois, il est évident que les initiatives sont à encourager. Christophe Ritzenthaler intervenait le 11 mars sur quelques exemples d’axes mis en place : « La commission a été créée en 2018 et nous avons donné 3 axes. Un par année. Le premier, c’est de regarder le recrutement. Le deuxième, le vivre ensemble. Et le troisième concerne les questions d’enseignement. »

En France, il est interdit de créer des postes spécifiques, pour les femmes. « Mais on peut sensibiliser nos collègues, transmettre les statistiques, échanger. Dans le comité de recrutement, on a mis en place un couple de veilleurs chargé de vérifier que l’on n’a pas fait d’oubli dans le recrutement. », signale-t-il. 

Même chose du côté des séminaires où il a fallu également discuter de la faible présence des femmes. En un an, leur présence a quasi doublé dans les événements organisés :

« Il suffit que les collègues se rendent un peu compte. Et c’est pareil pour les financements de colloques et de séminaires. On met maintenant des conditions. »

Il y a donc un travail à réaliser pour permettre la prise de conscience de tout ce qui se joue au niveau des inconscients, des impensés. Il y a aussi un travail de sensibilisation et d’échanges. Le comité a donc également fait appel au théâtre forum, outil ludique et interactif qui met en scène les situations de discrimination et demande la participation des volontaires, dans le public, pour proposer des manières de dénouer le problème.

Et puis, il y a les résistances. Dans les couloirs du labo, un affichage permanent valorise les mathématiciennes en Europe. « Par deux fois, les panneaux ont été vandalisés. », conclut-il. C’est souvent là que ça coince. Dans la phase de valorisation. Parce que nombreuses sont les personnes à ne pas comprendre pourquoi on met l’accent sur les femmes et non sur les femmes et les hommes. 

Le sexisme est systémique. Il se niche dans le quotidien et dans ce qui semble être du détail. En mathématiques, comme en littérature, on retient les noms des hommes qui ont marqué l’histoire. Parce qu’on étudie uniquement les auteurs et les mathématiciens et quasiment jamais les autrices et les mathématiciennes. Pourtant, nombreuses sont leurs contributions à l’histoire, et par conséquent à ce qui donne la société dans laquelle nous évoluons actuellement.

Célian Ramis

Les Bretonnes bougent pour la mixité professionnelle

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Rennes
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La délégation bretonne de l'association Elles bougent fédère les actions déjà implantées qui incitent les étudiantes à s'orienter vers des secteurs scientifiques non-mixtes, comme l'informatique, l'aéronautique ou l'aérospatial.
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L'association Elles bougent a inauguré le 12 janvier dernier sa nouvelle délégation bretonne, à Rennes. Elle fédérera les actions déjà implantées qui incitent les étudiantes à s'orienter vers des secteurs scientifiques non-mixtes, comme l'informatique, l'aéronautique ou l'aérospatial.

La dix-huitième délégation régionale s'est lancée dans la capitale bretonne, le mois dernier. Créée par Marie-Sophie Pawlak en 2005, l'association Elles bougent souhaite donner envie aux filles d'aller vers des disciplines dans lesquelles elles sont quasiment absentes, comme la mécanique, l'informatique, le ferroviaire et l'aéronautique.

Or les entreprises sont en demande d'effectif féminin. Mais l'augmentation bouge lentement : aujourd'hui, selon les statistiques réalisées par l'association, 12% de filles, qui décrochent leur baccalauréat scientifique, s'orientent en écoles d'ingénieurs tandis qu'elles étaient 10% il y a une décennie. Alors que la moitié des élèves au lycée, en classe scientifique de filière générale, sont des femmes.

L'une des explications ? Peu de monde connaît réellement les métiers d'ingénieurs. L'imaginaire de la blouse blanche, du bleu de travail ou du casque de chantier jaune est ancré dans les préjugés. Et les collégiennes et lycéennes pensent alors que ce n'est pas pour elles. L'association parisienne, qui regroupe à la fois des établissements scolaires et des entreprises des secteurs non-mixtes, en a fait son cheval de bataille.

LES MARRAINES, DES RÔLES MODÈLES

Le rôle des marraines, qui servent de modèles, est essentiel. Au total, 2 040 salariées des 45 entreprises partenaires s'adressent aux filles pour parler de leurs professions. « Je fais des interventions dans des collèges, lycées, classes préparatoires ou dans des salons d'orientation », développe Claire Vantouroux, responsable sécurité et pyrotechnie à DCNS, marraine depuis deux ans et déléguée régionale de la nouvelle antenne bretonne.

Après avoir participé à la 3e édition de la journée des « Sciences de l'ingénieur au féminin » organisée par Elles bougent et UPSTI, le 26 novembre 2015, elle a gardé contact avec les filles qu'elle a rencontrées dans un lycée de l'académie de Rennes.

« C'est sympa de voir qu'elles ont été boostées ou confortées dans leurs choix par la suite ! »
s'exclame la cadre de 28 ans qui a elle-même connu Elles bougent en terminale.

VOLONTÉ NATIONALE

44 établissements scolaires de la région ont participé à l'évènement l'année dernière, un chiffre qui s'est démarqué des 26 autres académies inscrites. La Bretagne étant très dynamique dans ce domaine. Pour cette raison, « c'était facile de lancer cette délégation, explique Annaick Morvan, déléguée régionale aux droits des femmes et égalité entre hommes et femmes. L'intérêt est de fédérer et de formaliser tout ce qui se fait déjà. »

Selon elle, l'association s'inscrit dans la continuité de la Convention académique pour l’égalité entre les filles et les garçons, les femmes et les hommes dans le système éducatif en Bretagne, signée en 2014. Une déclinaison régionale de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes mise en route depuis 2012, qui était portée par l'ancienne ministre aux droits des femmes, Najat Vallaud-Belkacem. 

Cette volonté a été renforcée par le lancement de la campagne nationale en faveur de la mixité des métiers il y a deux ans. L'objectif a été donné : d'ici 2025, 30% des métiers devront être mixtes, contrairement à 12% aujourd'hui. Cependant, Annaick Morvan le sait bien :

« La mixité en soi ne suffit pas. Ce n'est pas parce qu'on rajoute des femmes dans des entreprises qu'on lutte contre l'ensemble des inégalités. »

C'est un travail de longue haleine à faire dès l'éducation jusqu'au monde du travail afin de combattre les stéréotypes genrés.    

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