Célian Ramis

Trans 2019 : Les tripes à l'air avec Lous and The Yakuza

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Après Jeanne Added et Aloïse Sauvage, c'était au tour de Lous and The Yakuza de monter sur la scène de l'Aire Libre, à l'occasion des TransMusicales 2019.
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Chaque année, aux Trans, c’est un peu le suspens : qui sera l’artiste en création à l’Aire Libre ? La réponse attise la curiosité, principalement parce que c’est sur cette scène que se propulsent certaines carrières, à l’instar par exemple de Jeanne Added ou Aloïse Sauvage. Du 4 au 8 décembre, c’est Lous and The Yakuza qui était en résidence et en concert tous les soirs à St-Jacques-de-la-Lande. 

En première partie, le duo d’Alber Jupiter nous hypnotise et nous transcende. Entièrement instrumental – guitare / batterie – et psychédélique, les musiciens renno-nantais nous envoient loin, très loin dans les étoiles en quelques morceaux post-rock.

La voix de Marie-Pierra Kakoma nous ramène directement sur notre fauteuil. « Une vie de merde, c’est juste une vie de merde. », chante-t-elle. Ce qui paraît être une évidence banale, ou une banale évidence, prend une autre tournure avec la chanteuse, autrice, compositrice de Lous and The Yakuza.

Les sujets abordés sont lourds de sens et parfois graves. Elle les interprète avec calme et légèreté. Sans jamais leur enlever cette substance sérieuse et pesante. Simplement, elle déplace le point d’impact. Capte l’attention de par son air naturellement joyeux et sa manière d’angliciser bon nombre de termes quand elle s’adresse au public. Et bam, elle frappe.

« Je sens comme un courant d’air entre les jambes de ta mère… », entame-t-elle rapidement dans son set. La prostitution ne sera pas l’unique et seul tabou qu’elle lèvera pendant le spectacle. Elle parle aussi de violences sexuelles, relatant dans une autre chanson l’histoire d’un viol, à travers le point de vue de l’agressée et le point de vue de l’agresseur. 

Et aborde également le problème du racisme. Dans le texte, elle souligne « Pourquoi le noir n’est-il pas une couleur de l’arc-en-ciel », précisant que les noir-e-s doivent sans cesse « se défendre, se taire, se débattre, se battre jusqu’à la muerte. » Face au public, elle explique : « Cette chanson, « Solo », je l’ai écrite pour les gens de ma communauté, c’est-à-dire les noir-e-s. Parce que quand on est noir-e en Europe, on fait face à beaucoup de racisme et on se sent seul-e. »

Comme un fil conducteur, la solitude traverse quasiment tous les morceaux qu’elle présente et qui figureront prochainement - au printemps 2020 - sur son premier album. Depuis quelques mois, l’artiste belge a dévoilé à plusieurs reprises son parcours de vie, relatant une période durant laquelle elle a vécu dans la rue.

Elle s’en inspire pour sa musique, qui mêle pop, r’n’b et chanson française, mais ne raconte pas précisément son vécu. Elle puise dedans, et ce qu’elle nous restitue semble plutôt appartenir à des choses de l’ordre de l’observation et du ressenti.  

Accompagnée de deux musiciens et de deux choristes, elle délivre une voix au service de ses récits. Sur le fil du rasoir, comme si elle allait dérailler. Et finalement, elle ne rompt jamais. On sent sa puissance mais la chanteuse de Lous and The Yakuza n’entre pas dans la performance vocale. Elle utilise sa voix comme instrument et moyen d’expression pour sortir le fond de ses tripes.

La proposition est sensible et joyeuse. Très entrainante, Marie-Pierra Kakuma n’hésitant pas à faire lever le public à plusieurs reprises pour le faire danser. N’hésitant pas non plus à directement aller dans le public « pour être là ensemble ».

Sa proximité surprend son audience, bousculée dans les habituelles conventions d’une salle de théâtre. Celle-ci s’en amuse et embarque même les plus sceptiques dans un spectacle basé sur le jeu de clair-obscur, autant dans la forme que dans le fond.

Célian Ramis

Celles du dessous racontées par celles du dessus

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Le 21 septembre 2019, ce sont Simone Alizon, Christine Papin, Odette Séveur, Raymonde Tillon et Maria Aubault qui sont Celles d’en dessous et leurs récits de vie, souvent délaissés ou méprisés par l’Histoire, composent une partie de notre Matrimoine.
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« Je vous appelle à la rescousse, je vous appelle à mon secours, femmes en qui j’ai pris ma source, mais dont l’image tourna court, qui ne demeurez dans l’histoire, que sous la forme de portraits, Ô vous dont l’œuvre dérisoire, jour après jour se défaisait, je vous appelle et je commence, derrière l’immobilité, de vos maintiens de convenance, à deviner la vérité, et quand monte en moi la colère, que, désespérément, je crois, retrouver au bout de la lumière, c’est vos visages que je vois. », chantait Anne Sylvestre dans Portrait de mes aïeules, en 1977. Le 21 septembre 2019, ce sont Simone Alizon, Christine Papin, Odette Séveur, Raymonde Tillon et Maria Aubault qui ont repris cette chanson, au cimetière de l’Est, à Rennes. Elles sont Celles d’en dessous et leurs récits de vie, souvent délaissés ou méprisés par l’Histoire, composent une partie de notre Matrimoine. 

Devant leur tombe, chacune leur tour, elles nous content leurs histoires personnelles. Il y a Simone Alizon qui, durant la seconde guerre mondiale, s’engage avec sa sœur Marie dans la résistance. Toutes les deux arrêtées en 1942, elles sont déportées à Auschwitz, rasées « aisselles et pubis compris, marquées comme des bêtes. » Sa frangine décède à 22 ans, et Simone, elle, est envoyée ailleurs pour travailler à l’armement nazi, là où avec d’autres, elles saboteront le boulot. Elle a 20 ans lorsque survient la Libération.

Christine Papin, elle, meurt en 1937, à l’asile public d’aliénés de Rennes. Condamnée à mort quatre ans plus tôt, c’est la faim qui la précipite dans la tombe. Avec sa sœur cadette, Léa, elles travaillaient au service de la famille Lancelin, au Mans. Jusqu’au soir où elles arrachèrent les yeux de Madame et sa fille et les tabassèrent jusqu’à leur dernier souffle. La scène du crime sera retrouvée nettoyée, le duo, nu, dans le lit de leur patronne et le double assassinat sera avoué sans motif ni préméditation. 

Y A-T-IL UNE VIE QUI NE MÉRITE PAS D’ÊTRE RACONTÉE ?

Quelques centaines de mètres plus loin, c’est la cousine Odette que l’on retrouve. Dans les années 30, « ne voulant pas (s)e réduire aux tâches ménagères », Odette Séveur répond à une annonce pour une émission à destination des enfants, sur une radio locale. En direct du cimetière de l’est, elle anime ce jour-là son fameux programme « Les matinées enfantines de cousine Odette ».

Enjouée, elle nous parle de l’historique du lieu et avec son énergie débordante nous cite quelques épitaphes dont la splendide « Si le paradis existe, attends moi au bar ». Aujourd’hui, elle donne son nom à un square rennais, heureuse qu’il y ait là «une aire de jeux pour les enfants ! »

Raymonde Tillon a elle aussi son avenue à Rennes, qu’elle partage avec son deuxième mari Charles Tillon. Grande militante pour le Front populaire, elle s’engage, lorsque la guerre éclate, dans la résistance et est arrêtée sur dénonciation, condamnée à 20 ans de travaux forcés. Elle mène la prison à la révolte, est envoyée dans différents camps en Allemagne en 1944, sabote les ateliers d’armement et sort de là 35 kilos à peine.

Mais Raymonde Tillon ne va pas s’arrêter là. À Marseille, elle reprend ses engagements politiques et devient responsable de la commission féminine de la CGT, avant de devenir députée et de figurer parmi les 33 premières élues à l’Assemblée nationale. La citoyenneté s’ouvre aux femmes :

« Je pense à Olympe de Gouges et sa déclaration. Il aura fallu 150 ans pour obtenir le droit de vote. Avec le combat de Louise Michel, d’Hubertine Auclert, de Séverine, des suffragettes et de bien d’autres. »

Et enfin il y a Maria Aubault, « une femme, une épouse, une travailleuse, une mère, une grand-mère, une arrière grand-mère, une arrière arrière grand-mère », décédée à l’âge de 107 ans. Elle se présente à nous, en 1930, elle est âgée de 23 ans et c’est le jour de son mariage.

Elle ne le sait pas encore mais elle va mettre au monde 4 enfants, va vivre dans une ferme avant de venir habiter à Rennes, de connaître les restrictions et les arrestations durant la guerre, elle va travailler à l’usine Monnier, subir 2 paralysies faciales dues au froid et à la fatigue des ménages, va aller au bal rue Ginguené, faire des voyages, marcher sur les bords de la Vilaine, perdre son fils ainé traumatisé par la guerre d’Algérie, va voir ses petits enfants grandir et être fière de sa descendance. En 2015, la grippe l’emporte. « Y a-t-il une vie qui ne mérite pas d’être racontée ? »

LEUR RENDRE LA PAROLE

La proposition initiée par la compagnie La mort est dans la boite est exaltante. Créée au départ en amateur, entre étudiant-e-s de Rennes 2, elle se professionnalise en 2010 et réalise des pièces, classées dans la catégorie Théâtre documentaire. C’est grâce à son nom que la structure est repérée par Nathalie Bidan, chargée du patrimoine funéraire.

« Elle fait des visites autour des sépultures remarquables et a constaté que ce sont quasiment que des hommes dont elle parle, souligne Laure Fonvieille, metteuse en scène. Je suis aussi co-présidente d’HF Bretagne et je suis très attachée au matrimoine. » Le spectacle Celles d’en dessous répond à une demande pour le cimetière de l’est, là où sont enterrées une criminelle, une animatrice radio, une politique mais aussi des inconnues, comme Maria Aubault, entre autre :

« C’est la grand-mère d’un ami. Il a interviewé son entourage pour nous apporter de la matière. Ça me plaisait énormément d’avoir une inconnue. On en a besoin, et moi la première, de voir que telle ou telle femme a vécu telle chose, a subi telle chose, etc. On se dit que ça arrive à d’autres femmes et que nous aussi on peut le faire ! Et puis, ça permet aussi de ne pas connaître que Frida Kahlo… »

DES FEMMES INSPIRANTES

Réhabiliter celles du dessous par celles du dessus, c’est l’engagement ici de Laure Fonvieille, combinant son militantisme, son métier de metteuse en scène et celui de costumière. Elle bâtit le projet avec Sophie Renou (Raymonde Tillon), et toutes les deux s’entourent d’une brillante équipe de comédiennes parmi lesquelles figurent Gaëlle Hérault (Simone Alizon), Sandrine Jacquemont (Christine Papin), Camille Kerdellant (Odette Séveur) et Manon Payelleville (Maria Aubault).

La première représentation, jouée le 2 juin 2019, fait carton plein avec 120 personnes présentes. Rebelote en septembre, avec une jauge volontairement réduite à une petite centaine de curieuses-eux arpentant les rues pavées du cimetière de l’est, à la découverte et à la rencontre de celles qui ont vécu hier. Pour certaines, les ressources sur leur vie étaient limitées, pour d’autres, il a fallu trier.

« On a écrit en trois jours avec les comédiennes qui sont vraiment parties prenantes de leur scène. On a monté ça avec la chanson d’Anne Sylvestre et aussi la déclaration d’Olympe de Gouges, les deux me tenaient à cœur. », souligne Laure Fonvieille. On ressent un réel plaisir à assister à cette déambulation, aussi engagée que créative, à la fluidité et l’équilibre très maitrisés grâce aux formes rythmées et variées des récits, mêlant poésie, violences, épreuves de la vie, combats du quotidien et militantisme politique.

« Quand on voit Maria Aubault, Simone Alizon, Raymonde Tillon, etc. et la richesse de leurs vies, ça fait du bien ! Y a pas que des grands hommes ! C’est chouette parce qu’il y a de tout. »
précise la metteuse en scène.

Raconter d’autres histoires, ouvrir son regard, attiser la curiosité, rendre possible les mêmes choses pour les filles et pour les garçons, intégrer la notion d’égalité dans le vocabulaire, les arts et les autres secteurs de la société… Valoriser le matrimoine à la même hauteur que le patrimoine, parce que non, le masculin ne l’emporte pas sur le féminin. 

 

  • DES DATES À VENIR ?

  • Le spectacle Celles d’en dessous n’a pour l’instant pas d’autres dates annoncées. Mais il y a de fortes possibilités pour qu’une adaptation se fasse au cimetière du nord, à Rennes. La ville de Strasbourg, également intéressée, a contacté Laure Fonvieille. La metteuse en scène, enthousiaste, explique qu’elle doit d’abord se rendre sur place afin de s’assurer pouvoir trouver de la matière. On n’en doute pas… Il faut donc rester à l’affut de l’actualité de la compagnie La mort est dans la boite (l’occasion de découvrir une compagnie locale qui développe des pièces de théâtre super intéressantes !) : https://cielmdb.com

Célian Ramis

Quand la Vilaine fait des bulles

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Quand une trentaine d’autrices-eurs, scénaristes et dessinatrices-eurs, plus ou moins rennais-es associent leurs talents et univers, ça donne une revue inédite intitulée La Vilaine. Le numéro 2 est en cours...
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Quand une trentaine d’autrices-eurs, scénaristes et dessinatrices-eurs, plus ou moins rennais-es associent leurs talents et univers, ça donne une revue inédite intitulée La Vilaine, vendue à 450 exemplaires avant même sa sortie officielle grâce à une campagne de financement participatif. « La revue dessinée en bande » était à découvrir aux Champs Libres le 21 septembre, au festival Pré en Bulles à Bédée le 22 septembre, en dédicaces chez M’enfin ?! et Critic le 27 septembre, Sans oublier Quai des Bulles, à Saint-Malo, du 25 au 27 octobre. Pas de panique pour les autres, on trouve La Vilaine dans toutes les librairies indépendantes de Rennes.

Elle a failli s’appeler Gazette Saucisse cette revue. Elle se prénomme finalement La Vilaine et c’est tout aussi bien. Chaque histoire, signée par des autrices, auteurs, dessinatrices et dessinateurs du coin, se déroule dans le décor rennais. Et dans le (vilain) esprit rennais. Tantôt cynique, tantôt nostalgique, tantôt politique, tantôt humoristique, ou même tantôt tout à la fois, il est bien là, intact et vivace, étiré entre le milieu underground et l’univers start-up, une représentation qui, de loin, pourrait sembler un brin caricaturale mais qui s’imbrique planche par planche dans un tourbillon de réalisme.

Et ça fonctionne. De par la pluralité et la diversité des récits, des personnages, des rubriques et des styles, la revue, symbole d’un bouillonnement créatif, nous tient en haleine du début à la fin. On rigole du scénario d’un Plus belle la vieà la rennaise, on apprécie la découverte et la qualité de chaque univers littéraire et graphique, on s’amuse des jeux dessinés proposés et on se prend d’affection pour ce premier numéro qui n’oublie pas de taquiner notre bonne vieille capitale bretonne, tout en lui rendant hommage. Parfaites illustrations de l’adage « Qui aime bien châtie bien ». 

IMPULSER UNE ÉMULATION

« Ce projet parait évident. Et pourtant, ça a été un très gros travail. Il y a beaucoup de bédéistes à Rennes mais on n’en parle pas souvent. », indique WComics, autrice-dessinatrice qui a rapidement adhéré à l’ambition de l’équipe initiatrice - composée de Loïc Gosset, Maryse Berthelot, Lomig et Chloé Gwinner – qui donnait rendez-vous aux motivé-e-s, pros ou amateur-e-s tous les premiers mercredis du mois. Dans la revue, le premier rassemblement est malicieusement croqué par Lomig : la terrasse de l’Amarillys, tellement bondée de bédéistes qu’un personnage grimpe en haut d’un lampadaire.

« En fait, on a tout de suite été débordé-e-s alors que l’appel avait été lancé simplement par le bouche-à-oreille. On était plus d’une cinquantaine là-dedans ! On ne tenait pas à l’étage, certain-e-s sont parti-e-s parce qu’ils/elles n’entendaient rien. »,précise Chloé Gwinner. Elle n’est pas issue du milieu de la BD mais a mis un pied dedans en tant que journaliste, à l’occasion d’un reportage :

« Je me suis rapidement greffée aux initiateurs. Ils avaient envie de lancer un truc, de créer une émulation autour de la bande-dessinée. Un projet qui rassemble. Des amitiés sont nées, des projets se sont créés en dehors de la revue ! »

Coupler les forces pour valoriser les talents et compétences du cru rennais. Faire jaillir la scène locale sur la place publique. Parce qu’ielles sont nombreux-ses à se dédier au 9eart mais qu’ielles ne se connaissent pas forcément et que le grand public n’en a pas nécessairement conscience.

« Les libraires font un effort pour valoriser la production rennaise. Mais on n’achète pas local en BD. En tout cas, ce n’est pas un argument de vente mais ça peut le devenir. Pendant plus d’un an, les auteurs pros ont été présents aux réunions, ils ont pu conseiller les autres, les accompagner. Ils sont présents également aux rencontres avec le public et sont accessibles. Il y a un vrai intérêt à cet aspect local ! »
poursuit la co-présidente de l’association. 

UNE REVUE PARTICIPATIVE

Telle est la volonté du noyau dur de La Vilaine : que chacun-e puisse s’exprimer et proposer des histoires, des rubriques, un nom pour la revue… Ce qui au départ a été un peu casse-gueule : « Ça donnait l’impression qu’on ne savait pas trop ce qu’on faisait et c’était vrai. Dans les retours, on a compris qu’il y avait une envie d’être guidés donc on a repris les rênes du projet, avec un comité d’une dizaine de personnes, tout en laissant le champ ouvert aux propositions. Pour nous, c’est ça l’idée, que le projet grandisse d’après les rencontres et les envies. On s’adapte aux désirs des gens, en offrant des opportunités. »

Des opportunités de liberté pour certain-e-s qui en profitent pour sortir du cadre des commandes, de professionnalisation pour d’autres, à l’instar de WComics, ou de découvertes, comme cela a été le cas pour Vanessa Robidou, illustratrice d’albums jeunesse qui s’est testée à la bande-dessinée pour la première fois, en suivant le storyboard réalisé par Loïc Gosset.

Réunies dans La Vilaine pour des raisons différentes et par des manières de travailler différentes – chacun-e a pu plancher sur sa partie, seul-e, ou en binôme, ou encore réaliser une illustration unique, un jeu, etc. - elles ont un discours commun sur l’intérêt ici de se rassembler dans une expérience commune et collective.

« Il n’y a pas de lieu à Rennes où les gens qui dessinent peuvent se retrouver. Moi, je suis illustratrice, je vis en dehors de Rennes, et donc je suis un peu isolée. Là, c’était super riche pour moi, c’est chouette ! », souligne Vanessa Robidou, rejointe par WComics :

« Il y a le Bar À Mines mais c’est pas non plus une institution. C’est vrai que c’est assez solitaire comme métier. On a pu partager le ras-le-bol de la solitude. Et surtout rencontrer plein de monde, des auteurs, des auteurs BD, des scénaristes, des journalistes, des dessinateurs-scénaristes… C’est très enrichissant ! »

Pour le public aussi, c’est précieux. Un premier numéro, tiré à 1500 exemplaires, sans financement public pour l’instant, rassemblant une trentaine de talents (bénévoles) illustrant un pan de la société sur fond d’ambiance rennaise, et laissant présager un deuxième numéro tout aussi surprenant. En espérant qu’au même titre que Casier(s),sa grande sœur brestoise, La Vilaine fera sensation à Angoulême en janvier 2020.

« C’est une vitrine importante car elle va circuler dans les événements, les festivals. C’est une chance quand on n’habite pas à Angoulême, Lyon ou Paris… », s’enthousiasme WComics. Une chance en effet qui nous donne l’envie de creuser désormais la question de l’égalité dans le secteur de la bande-dessinée. Promis, on planche dessus (et c'est ce qu'on a fait dans le numéro 84 - octobre 2019). 

 

INFO HYPER IMPORTANTE : Le numéro 2 se dessine à l'horizon. Le rendez-vous est donné à tou-te-s celles et ceux qui souhaitent participer mercredi 6 novembre aux Champs Libres pour les 4C. Il est également possible de contacter les membres de l'association par mail : la.vilaine.asso@gmail.com, avec en objet "je suis zinzin et je veux participer au projet de l'asso".

 

Célian Ramis

Affaire Dreyfus : "S'il n'y a pas des femmes pour parler des femmes, il ne se passe rien !"

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À l’occasion des 120 ans de la révision du procès Dreyfus, l’association Histoire du Féminisme à Rennes organise le 30 novembre une visite guidée sur la thématique « Femmes et procès Dreyfus à Rennes en 1899 ».
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À l’occasion des 120 ans de la révision du procès Dreyfus, l’association Histoire du Féminisme à Rennes organisait le 21 septembre dernier, une visite guidée sur la thématique « Femmes et procès Dreyfus à Rennes en 1899 ». Françoise Bagnaud et Françoise Tyrant, co-présidentes d’Histoire du féminisme à Rennes, nous racontent les rôles qu’ont joué les femmes dans ce contexte.

(Une autre visite est prévue le samedi 30 novembre à 14h30 / Inscription gratuite par mail à histoire.feminisme.rennes@gmail.com, en précisant votre numéro de téléphone). 

YEGG : Qu’est-ce qui a incité à développer cette thématique dans les visites guidées de l’association Histoire du féminisme à Rennes ? 

HFR : Histoire du féminisme à Rennes est une association qui cherche à promouvoir les femmes qui sont souvent invisibilisées, et qui d’une manière ou d’une autre ont été importantes pour la ville de Rennes. Ce qui nous a amené à cette thématique, soyons claires, c’est une idée de André Helard, historien et adhérent de l’association avec lequel on a déjà travaillé sur l’hommage à Colette Cosnier, qui était sa compagne, et qui nous avait aussi aidé pour une visite guidée autour de Louise Bodin.

Lucie Dreyfus n’est pas une femme féministe dans le sens où on l’entend aujourd’hui, même si l’histoire l’a amenée à subvertir sa posture de mère et de femme qui subissait car elle a été très active dans le soutien à son mari, soutien épistolaire et puis soutien parce qu’elle était tutrice de ses enfants.

Aussi, grâce aux recherches de Colette Cosnier et d’André Helard, ont été mises en lumière les femmes qui ont accueilli la famille Dreyfus et les Dreyfusards, y compris la section des Droits de l’Homme avec Victor Basch et Hélène Basch. Et puis surtout aussi, ce qui nous a beaucoup intéressé mais qui paradoxalement ne sont pas des femmes rennaises, ce sont les journalistes de La Fronde, premier journal féminin féministe, créé et dirigé par des femmes. 

Au moment du procès, ça a été la première fois que les reporteresses de La Frondes ont venues sur le site et ont été reconnues comme telles. Il y avait Marguerite Durand, Séverine et Jeanne Brémontier. Tout ça, ça nous amené à faire des recherches. 

Par ailleurs, il se trouve qu’à Rennes, il y a le fonds Dreyfus, et les Amis du musée de Bretagne nous ont aidé à retrouver des correspondances et des documents. On s’est rendu-e-s compte qu’on avait largement matière à faire une visite guidée. Et parallèlement, on a été sollicité-e-s par la Ligue de l’enseignement pour intervenir sur le même thème au centre pénitentiaire des hommes et au centre pénitentiaire des femmes, ce que nous avons accepté.

Quand auront lieu les interventions dans les prisons ? 

Il y en a une au mois de novembre et une au mois de décembre. Je vérifie dans mon agenda : c’est le 29 novembre au centre pénitentiaire des femmes et le 18 décembre au centre pénitentiaire des hommes.

Pour la visite guidée, nous avons composé un groupe de travail avec 4 personnes, les deux co-présidentes d’Histoire du féminisme à Rennes, Françoise Tyrant et moi-même, André Helard et une adhérente, Mireille.

Pour entrer dans le vif du sujet, quel était le rôle de Lucie Dreyfus ?

Le rôle de Lucie Dreyfus était assez clair : c’était d’abord l’épouse du capitaine Dreyfus et la mère de leurs deux enfants. Ça a d’abord été son rôle principal. Lucie Dreyfus n’était pas une femme féministe, elle a d’ailleurs eu du mal avec les journalistes de La Fronde qui elles étaient féministes. 

Elle s’est comporté pour les uns comme une épouse ou une mère modèle, elle a été une femme qu’il fallait soutenir parce qu’elle était malheureuse, d’autres l’admiraient parce qu’elle restait digne, qu’elle continuait à défendre son mari. En même temps, c’est aussi une femme qui a largement soutenu les démarches qui étaient faites et qui a autorisé un certain nombre de démarches et de soutiens à son mari.

Mais elle n’était pas féministe. C’est l’histoire qui a fait qu’elle a eu ce rôle, de femme de capitaine Dreyfus à qui elle a écrit tous les jours. Alfred Dreyfus a dit que s’il n’avait pas eu ça, il se serait suicidé. Il n’aurait jamais été jusqu’au deuxième procès.

On sait que Lucie Dreyfus a énormément œuvré dans les démarches pour libérer son mari. L’histoire a été réécrite et ces démarches, on les attribue aujourd’hui au frère du capitaine Dreyfus. 

C’est vrai. Quand on lit le livre d’Elisabeth Weissman (Lucie Dreyfus, la femme du capitaine), on a l’impression qu’elle est très autonome dans les démarches. On sent que c’est une femme qui a été très éduquée, comme l’étaient les filles de la bourgeoisie. Elle écrit très bien, elle comprend très bien je pense ce qu’il se passe. 

C’est difficile de savoir ce qui appartient à Mathieu Dreyfus et ce qui appartient à Lucie Dreyfus. Car c’était toujours des stratégies par derrière, par en dessous, il n’y a pas de traces sauf quand elle rencontrait la haute hiérarchie. Sinon, il n’y a pas de signe de ce qui lui appartient à elle.

Mais comme dans tous les duos je dirais d’intellectuels, de chercheurs, etc. Là, le couple c’est la femme et le frère de Dreyfus. Difficile de dire ce qu’elle faisait et ce qu’elle ne faisait pas. Je pense qu’elle a été dans toutes les stratégies de toutes les étapes. Au début, elle a été sous la pression du silence parce qu’Alfred Deyfus le voulait comme ça. À Rennes, on a un autre exemple de couple comme ça avec Victor et Hélène Basch.

Après, les autres femmes dont on parle dans la visite sont autonomes de fait car elles sont veuves : Mme Godard, qui a laissé sa maison à la famille Dreyfus, Mme Caillot, qui dirigeait le journal de la ville de Rennes, et Mme Jarlet, qui tenait l’auberge des 3 marches qui en fait est devenue le quartier général de Victor Basch et de tous les dreyfusards et de la Ligue des droits de l’Homme.

Elles ont en commun ce rôle modeste et en même temps, c’était des gens engagés. Etre pro Dreyfus, c’était se préparer à des retours de bâtons. Et toutes ont eu des calomnies. Mme Godard a récupéré des insanités dans les journaux locaux. Il faut se rappeler que c’est une époque où il y avait des annonces qui paraissaient dans les journaux « Chambre à louer, sauf pour les dreyfusards ». Et puis, il y avait un sentiment antisémite extrêmement violent. Alors qu’il n’y avait même pas 10 familles juives à Rennes…

Pour revenir à Lucie Dreyfus, il faut aussi se rappeler que quand tout ça lui arrive, elle a 23 ans, 2 enfants en bas âge. Au départ, ça lui tombe dessus, c’est une catastrophe. Quand il y a la perquisition, elle se retrouve avec son mari dégradé publiquement. Son monde s’écroule. Il n’y a plus de revenus puisque le monde militaire éjecte Alfred Dreyfus. Des deux côtés, sa famille à elle et sa famille à lui, elle est entourée et soutenue.  

Ce dont on s’est rendu compte avec les recherches qu’on a faites, c’est que Lucie Dreyfus, elle a servi de surface de projection à des femmes notamment qui voyaient en elle une héroïne, une mère courage, une épouse parfaite. Elle représentait ce que chacune voulait y mettre.

En France mais aussi à l’étranger, grâce à la presse qui était très vivante à cette époque. Il y avait des femmes en Angleterre, des femmes en Uruguay, qui se manifestaient pour témoigner de leur sympathie. Elle est martyre en écho au martyre de son mari. C’est une période où les gens sont très croyants et dans les courriers, ça se ressent beaucoup. Il y a beaucoup de références à Dieu, à la foi, etc.

Qu’est-ce qui fait qu’on oublie Lucie Dreyfus ?

C’est comme pour d’autres femmes. À Paris, il y a une plaque où il y a écrit « Ici, vécut Alfred Dreyfus » alors que c’est là où ils ont vécu tous les deux ans pendant des années. Ça fait parti du système patriarcal et de la domination masculine. On met les hommes au premier rang. Ce sont les hommes qui font l’Histoire et quand ils font l’Histoire, ils ne parlent pas forcément des femmes.

Et puis, ce qui est compliqué aussi c’est par exemple Victor Basch, c’est quelqu’un qui était aussi compliqué dans son rapport à la place des femmes. Il participe un peu aux propos négatifs qu’on trouve sur Mme Godard. C’est une femme singulière et aussitôt on dit que c’est une femme de mauvaise vie. Et Victor Basch y participe. Ça traverse tous les partis politiques cette position.

Ce sont des femmes qui ont retrouvé une visibilité parce qu’il y a des gens comme Colette Cosnier et André Helard qui ont fait des recherches et ont mis ça en évidence. Aujourd’hui, on commence à voir émerger des recherches sur le fait que ce sont des femmes qui ont fait certaines découvertes scientifiques majeures. Mais pendant des années et des années, on a attribué cela à des hommes.

Les frondeuses vont faire écho des choix singuliers de ces trois femmes, sur des registres différents. Notamment leur envoyée spéciale Jeanne Brémontier, elle va faire des interviews de Mme Godard, va mettre sur la place publique les stratégies de harcèlement à l’égard de Mme Godard pour la dénigrer, elles vont mettre à l’honneur Mme Caillot, elles vont parler de Mme Jarlet et du banquet qu’elle organise le 14 juillet pour tous les dreyfusards. Mais s’il n’y a pas des femmes pour parler des femmes, il ne se passe rien.

Il y a une forme d’invisibilité et de silence qu’il faut tout le temps combattre. C’est partout ! Je suis allée voir une exposition sur Berthe Morisot (artiste peintre du 19esiècle). On dit partout qu’elle est morte en soignant sa fille de la grippe alors qu’elle est morte des suites de la syphilis que son mari lui a filée. C’est comme ça tout le temps. Il faut avoir une grille de lecture féministe, au sens large du terme, pour se demander quelle est la place de la femme là-dedans, sinon ce n’est jamais donné. C’est une recherche à faire à chaque fois. 

Dans les gens qui sont venus à la visite : était-ce des gens plutôt sensibilisés, habitués à suivre les visites d’Histoire du Féminisme à Rennes, ou y avait-il des gens dont la curiosité quant à l’absence des femmes dans l’affaire des Dreyfus les a mené à vous ?

Il y avait 25 personnes inscrites, 22 qui sont venues. Sur les 22, 8 avaient déjà participé à des visites et les autres sont venus par différents canaux. C’était un public assez mélangé en âge. Dans la visite guidée, il y avait des personnes qui n’avaient jamais entendu parler du journal La Fronde

Elles connaissaient Marguerite Durand à cause de la bibliothèque à Paris mais elles n’avaient jamais su qu’elle avait fondé ce journal, que c’était des femmes qui y travaillaient et qu’elle-même avait ensuite joué un rôle dans la création de syndicats, etc. Jeanne Brémontier non plus n’était pas connue des gens qui sont venus.

Séverine un petit peu plus. Il y a eu pas mal de bouquins sur sa vie. Toutes les trois ont vécu de leurs travaux d’écriture. Séverine, c’est un petit peu comme Colette, pas dans le même registre car elle n’a jamais écrit de roman, mais elle était assez connue.

Ce qui m’a frappée chez ces trois journalistes, c’est qu’elles ont toutes les trois marqué leur autonomie en tant que femmes. Elles se sont séparées de leurs compagnons, elles ont fait leur propre chemin, elles étaient toutes les trois assez cultivées, etc.

Est-ce qu’il y a des lieux emblématiques dans Rennes (hors lycée Zola) ? Il y a donc l’auberge qui était le QG…

L’auberge est devenue le Coq Gabdy. Pour la visite, on a fait un parcours. On a choisi la gare aussi, la rue Duhamel pour la maison de Mme Godard, après on est allé-e-s à l’arrière de la prison, devant le lycée Zola, et puis après on a fait un choix car on ne pouvait pas aller à l’Avenir de Rennes, c’était loin, mais on a fait une station symbolique devant Ouest France. Puis on a fini aux Champs Libres, on a partagé un pot avec les gens qui ont fait la visite et on a lu un ou deux témoignages qui avaient été envoyés à Lucie Dreyfus. Et voilà. 

Aux Champs Libres se trouve le musée de Bretagne qui a une exposition permanente sur l’affaire Dreyfus et qui manque évidemment de femmes. Est-ce qu’en travaillant avec les Amis du musée de Bretagne et peut-être même le musée de Bretagne, qui essaye de renouveler cette exposition, on fait avancer les choses ?

Ils nous ont permis de récupérer pas mal de lettres qu’on a lu à la fin. On n’est pas allé-e-s dans l’espace Dreyfus parce qu’il est sombre. Mais dans le fonds Dreyfus il y a toute une matière ! On ne le trouve pas très bien fait l’espace…

Eux non plus, je crois… 

Justement. C’est vrai qu’ils ont beaucoup de contraintes sur leur espace, avec les lumières, etc. Mais aussi l’affaire est compliquée. Elle est sur 5 ans mais elle est complexe à comprendre. Ils ont beaucoup d’objets mais ça manque un peu de synthèse au démarrage.

Ça évoluera peut-être un jour. Ils n’ont effectivement pas l’aspect des femmes non plus mais par contre dans les courriers, il y a vraiment beaucoup de pétitions et de lettres de femmes. Elles sont très étonnantes. Pour l’époque, c’est vraiment un sujet dont elles se sont emparées sur des modes collectifs, avec des pétitions ou par le biais de syndicats en Angleterre par exemple.

C’est ça qui nous a vraiment beaucoup intéressé-e-s. La répercussion chez les femmes, alors que ce n’est pas une femme qui vit cette injustice. Et puis, à cette époque, elles n’ont pas le droit de vote, c’est pour ça qu’on a trouvé ça surprenant qu’elles s’engagent sur des signatures de pétitions. En janvier 1898, 1958 norvégiennes ont envoyé un télégramme à Lucie Dreyfus. Le 30 août 1899, 110 uruguayennes. C’est pas franco-français, c’est international !

Est-ce qu’aujourd’hui, avec des visites guidées, en travaillant avec le musée, etc. on peut petit à petit réhabiliter la mémoire de toutes ces femmes qui ont participé à l’affaire Dreyfus. Par exemple, pour ne plus avoir une plaque qui dit « Ici, vécut Alfred Dreyfus » mais « Ici, vécurent Alfred et Lucie Dreyfus » ? 

Alors, à Paris, on y peut rien. Mais ici par exemple, la ville de Rennes a inauguré une plaque le samedi matin de la première visite sur Antoinette Caillot. Ce n’est pas lié à notre visite précisément mais on est dans une ville où à force que les forces féministes appuient sur la question de la visibilité des femmes, il y a de plus en plus de rues portant des noms de femmes.

Après je pense que c’est un travail avec des allers-retours. Il y a des avancées. A chaque fois, dans les visites guidées, je vois des gens plus jeunes que nous et je me dis que ça avance. La question de la place des femmes, elle est et demeurera encore très longtemps je pense. Mais je pense que chaque petite avancée est une avancée.

L’intérêt aussi de la visite guidée c’est que ça montre que des gens qui ne sont pas des leaders, des superwomen, des dirigeantes, peuvent prendre une place aussi : la leur, dans une forme d’engagement qui peut être parcellaire. Mais 120 ans après, on en parle. Il suffit parfois de pas grand chose pour faire avancer les choses.

Est-ce que vous avez des choses à rajouter ? 

Oui, comme je vous le disais au début on va donc intervenir dans les centres pénitentiaires. C’est un peu paradoxal parce qu’on va intervenir sur des femmes qui ont d’une manière ou d’une autre contribué à faire libérer, à leur modeste mesure, quelqu’un qui était en erreur judiciaire volontaire. A la fin du procès, il a encore été condamné. Il a été gracié puis réhabilité. Mais aujourd’hui, il n’a toujours pas son grade de général. Donc vous voyez, ce n’est toujours pas très satisfaisant cette histoire.

On n’est pas à l’abri d’autres nauséabondes histoires un jour ou l’autre. C’est en ça que c’est une histoire exemplaire.

C’est aussi une des premières fois où les intellectuels se sont engagés et la première fois que des journalistes femmes sont reconnues comme des journalistes. Et puis ce sont effectivement de vraies journalistes, qui font des enquêtes, des vraies reporteresses. Elles ont appris à écrire, elles ont appris vite. C’est dans une époque où les femmes se battent pour accéder aux métiers et surtout aux formations.

 

Célian Ramis

Dangereuses lectrices ou l'empuissancement par les mots

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Les 28 et 29 septembre, aux Ateliers du Vent, la première édition du festival de littérature féministe, articulée autour de la figure de la sorcière, n’a eu aucun mal à trouver son public.
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Il était attendu ce festival ! Début septembre déjà, plusieurs ateliers affichaient complets, les préventes réduisaient à vive allure, la soirée de soutien au Panama avait cartonné et beaucoup trépignaient d’impatience à l’idée de participer à un événement comme celui-ci, encore jamais organisé à Rennes. Les 28 et 29 septembre, aux Ateliers du Vent, la première édition du festival de littérature féministe, articulée autour de la figure de la sorcière, n’a eu aucun mal à trouver son public. 

La sorcière n’est pas la même partout. Elle n’est pas la même pour tout le monde. Mais elle est toujours marginalisée par une communauté, une société, victime d’un rapport de domination. Que nous dit l’Histoire à ce sujet ? Qui sont-elles aujourd’hui ? La sorcellerie peut-elle être source d’empuissancement ? Quel est l’impact des mots sur nos esprits et nos actions ? Sommes-nous toutes des héritières des sorcières d’hier ?

De nombreuses questions ont été soulevées les 28 et 29 septembre aux Ateliers du Vent pour cette première édition de Dangereuses lectrices. Et les réponses se sont croisées, articulées, percutées, confrontées, ont résonné, rebondi, retenti, ont fait écho à des vécus, des ressentis, des expériences, ont apporté un éclairage sur un sujet caricaturé dans la pop culture mais aussi réapproprié par certaines féministes au fil des siècles. Ou encore ont soulevé d’autres questions.

Les mots sur les maux ont été lus, joués et mis en scène, chantés, performés, discutés, théorisés, photographiés, démontrés, animés. Le politique et l’intime se sont donnés rendez-vous dans les paroles des unes et des autres. Pourquoi et en quoi la figure de la sorcière cristallise-t-elle toujours siècle après siècle le rapport de domination exercé par les hommes sur les femmes ?

VILAINE SORCIÈRE...

Nez crochus, chapeaux pointus, turlututu. On pense que la vilaine sorcière n’est attribuée qu’au monde enfantin. On se trompe. Elle influence toutes les générations. Et vise « les femmes qui a priori sont sorties du rôle attendu d’elles. », souligne Fanny Bugnon, historienne à l’université Rennes 2, lors de sa conférence « Les sorcières dans l’histoire, des procès au symbole féministe ». 

Ce samedi après-midi, elle décortique alors les images de la sorcière à travers le contexte historique. Les premières représentations, qui dateraient de 1451, sont en effet très symboliques : « Des sorcières qui chevauchent un objet emprunté à l’espace domestique, à savoir un balai ou un bâton. » 

Entre le 13esiècle et le 15esiècle, la lutte s’accélère, la grande chasse s’intensifie. Au départ, ce sont les autorités ecclésiastiques qui dénoncent les agissements des sorciers et des sorcières, puis au fil du temps, les accusées sont majoritairement des femmes et des milliers de buchers s’enflamment pour anéantir les sorcières. Elles sont pensées comme des ennemies de la chrétienté et pour cela, elles subiront de nombreuses « mises en humiliation et souffrances de leur corps. »

Instruments de la répression, les femmes vont être les boucs émissaires d’une société européenne frappée par la crise économique et politique. À la fin du Moyen-Âge, « l’économie rurale est bouleversée, la famine guette la population appauvrie, les réformes sont les prémices de la société capitaliste. La révolte gronde. L’Etat déploie la répression et l’Eglise se met en chasse contre les comportements les plus déviants. Les naissances deviennent un enjeu majeur. L’avortement et la contraception sont sévèrement punis… Les savoir-faire et les connaissances des femmes deviennent alors les cibles de la répression ». 

ACCUSÉES, CONDAMNÉES, BRÛLÉES…

Le décor est planté par le collectif L’Intruse, venu jouer ici Le procès de Péronne. On se situe dans le Nord de la France, à la fin du 17esiècle. Des rumeurs circulent sur la vieille Péronne, âgée d’environ 46 ans. Saoulée par un groupe de soldats, elle est un soir humiliée, harcelée physiquement et sexuellement. Sa faute ! déclarent les soldats, expliquant avoir été ensorcelés. 

Sans doute aussi est-elle la cause « du brouillard épais, de la pluie froide, de la gelée qui ravage les récoltes, des orages, des mouches, des maladies, de la lèpre, la peste, des entrailles qui pourrissent » car « c’est évident, c’est un signe du malin. » 

Les deux comédiennes, Camille Candelier et Anna Wessel, interprètent tour à tour les protagonistes du procès en sorcellerie de Péronne. Tantôt fonctionnaires qui complotent, tantôt voisines qui commèrent, elles nous emmènent avec humour et talent dans l’obscurité de l’esprit humain et patriarcal, démontrant l’aisance et la pression avec laquelle les « puissants » de l’époque tricotaient leur manipulatrice influence, allant jusqu’à faire avouer à des femmes leurs accouplements avec le démon.

« On les torture pour les faire avouer leur coït avec le diable. Il ne faut pas oublier qu’à cette époque, la Justice est uniquement composée d’hommes. Et puis il y a ce rapport à la bestialité, à la sexualité. Le bourreau recherche la marque du diable. C’est le signe qu’elle a été possédée par le démon. Si elles connaissent le diable, cela veut dire qu’elles peuvent enfanter des êtres maléfiques. », précise Fanny Bugnon, dont les contenus résonnent avec la pièce de théâtre, le soir même. Elle poursuit :

« La mort ne suffit pas. Par le feu, on purifie le corps social. Parfois, la sorcière n’est pas tuée, elle est bannie. Mais le plus souvent, elle est exécutée, brûlée vive, étranglée… Leurs noms ne figurent pas dans les registres des décès et leurs biens sont confisqués. Elles sont considérées comme païennes, vicieuses, marginales, elles sont célibataires ou non, mais toujours pécheresses. Pour ça, on leur retire leur existence. »

QUE SONT-ELLES DEVENUES ?

Au 18esiècle, la chasse aux sorcières ne disparaît pas réellement. « La sorcellerie devient le monde de l’empoisonnement. Ce sont encore les femmes : les empoisonneuses, les infanticides (le sujet dans sa globalité fait l’œuvre d’un ouvrage collectif, auquel a participé Fanny Bugnon, intitulé Présumées coupables – les grands procès faits aux femmes, ndlr). On va oublier les sorcières et elles vont revenir à la postérité. », souligne l’historienne. 

Dès la fin du 19e, elles réapparaissent. Dans l’essai La Sorcière, écrit par Jules Michelet en 1862 mais aussi le film musical Le magicien d’Oz, la série Ma sorcière bien aimée, le livre jeunesse La sorcière de la rue Mouffetard ou encore un peu plus tard, le film d’animation Kirikou et la sorcière. Entre autre. 

« Dans Merlin l’enchanteur, sorti en 1963, Madame Mim est laide, vieille, elle fait peur. Elle est l’archétype de la vieille sorcière aux pouvoirs maléfiques. Mais les sorcières reviennent aussi dans le monde féministe avec, dans les années 70, la revue Sorcières par exemple. Elles sont des figures d’empowerment car elles sont des femmes qui échappent aux hommes. Les sorcières sont la métaphore de la condition des femmes. Elles sont des femmes qui peuvent, j’ai envie de le croire, réenchanter le monde. », conclut Fanny Bugnon. 

QUI SONT LES SORCIÈRES ?

Plusieurs centaines d’années après la chasse aux sorcières, elles sont nombreuses les militantes à se revendiquer héritières des sorcières d’hier. Et si on attribue souvent ce retour sur le devant de la scène à Mona Chollet grâce à son brillant essai Sorcières – la puissance invaincue des femmes, on néglige et on méconnait alors tous les mouvements qui existent depuis longtemps, aux quatre coins du monde. 

L’autrice Laura Nsafou, dans sa conférence « Soucougnan, sukunabe, deum– Transversalité de la figure de la « sorcière » dans la diaspora africaine », attire l’attention du public, dans un premier temps, sur la barrière de la langue. Car « sorcière » est terme européen. « Si on traduit ce mot français, on n’obtiendra pas la même signification aux Antilles ou en Afrique, ni même d’un pays à l’autre. », précise-t-elle. 

Il est important de décoloniser le vocabulaire, fondé sur une méconnaissance absolue des religions et des croyances des pays colonisés. 

« Le surnaturel est très présent dans la diaspora africaine. Mais il y a eu une diabolisation qui a commencé lors des périodes de la colonisation. Le vaudou, par exemple, on le retrouve énormément dans la fiction occidentale. On parle de magie noire. De magie qui tue. Le vaudou est une vraie religion qui signifie « mettre en paix ». »
explique Laura Nsafou.

Elle exprime sa fatigue face à ce processus de diabolisation permanente : « L’imaginaire blanc qui catégorise ces religions a des conséquences sur la manière dont les personnes concernées le vivent. » 

Encore aujourd’hui marginalisées et stigmatisées, les conséquences sont immenses et souvent passés sous silence dans les médias. Elle mentionne par exemple les camps de sorcières dans lesquels vivent les femmes accusées, par leurs entourages, de sorcellerie. Les camps sont insalubres et des maltraitances y sont subies.

« Mais sur ce sujet, je n’ai pas trouvé beaucoup de sources pour le moment. Que des articles en anglais. », souligne-t-elle.

Autre exemple : les persécutions se poursuivent pour les adeptes du candomblé, une des religions afro-brésiliennes, qui voient leurs lieux de culte réduits à néant. Et d’un autre côté, sans vergogne, les Occidentaux-tales se réapproprient les rituels des peuples minorisés, sans se soucier de la pertinence et de ce que cela représente pour eux/elles.  

L’autrice insiste, il est nécessaire de se situer et de se questionner : « C’est comme pour l’exotisation des corps des femmes noires. En littérature, la présence des corps noirs a commencé par la littérature de voyage à destination des hommes blancs. Pour les divertir et non pas pour les informer. Il fallait le rendre attrayant pour le regard blanc occidental. Quand la représentation est produite par des non concerné-e-s, elle devient une caricature, un divertissement aux dépens des concerné-e-s. Le discours devient alors marginalisant. »

TOUTES DES SORCIÈRES ?

Qui sont les sorcières et que signifie le fait de se revendiquer descendantes de sorcières ou sorcières tout court ? La table ronde réunissant Camille Ducellier, artiste multimédia, Taous Merakchi (alias Jack Parler), autrice et rédactrice, et Maureen Wingrove (alias Diglee), illustratrice et autrice, a permis de poursuivre le propos de Laura Nsafou, dans le fait de se situer.

Ainsi, les trois femmes ne se définissent pas toutes sorcières et composent ensemble, pendant cette rencontre, autour de leurs différents points de vue, qui parfois se complètent, parfois s’opposent et parfois se rejoignent.

Diglee, elle, n’est pas une sorcière. Elle nuance : elle est passionnée et curieuse de l’archétype de la sorcière. Elle ne pratique pas, ou très rarement, elle préfère écouter les récits de pratique. Taous Merakchi parle quant à elle de spiritualité alternative car elle ne sait pas encore précisément où se situe le politique et où se situe le spirituel dans sa pratique. Et Camille Ducellier explique qu’il lui arrive, parmi son « millefeuille identitaire », de se définir comme sorcière. 

« Ça m’a réconciliée et aidée d’avoir un terme. Passionnée par les cultures ésotériques et baignée dans une culture féministe, ça m’a donné un trait d’union entre tout ça. Se dire lesbienne, queer, sorcière… C’est la puissance du verbe. Se dire quelque chose, c’est déjà un acte ! Je me sens sorcière queer, ça a une dimension politique. Ma vie de gouine et ma vie de queer font que j’ai des pratiques marginales qui se rajoutent encore… »
signale-t-elle. 

A chacune, la sorcellerie apporte, de manière différente. Diglee, passionnée au départ par la connaissance des minéraux, veut comprendre ce qu’est la magie. « Mais dans le milieu ésotérique, le sexisme est roi, comme partout ailleurs. Il y a peu de femmes, peu de personnes racisées. Pour m’informer, je vais dans un tas de conférences sur le sujet, elles sont souvent animées par des hommes qui catégorisent la haute magie comme étant celle héritée de l’église donc pour les hommes et la sorcellerie, héritée des femmes donc intuitive et instinctive. Je veux comprendre ce qu’est la magie. Mais quand on est une femme, c’est difficile. Alors que je ne suis pas non plus du genre « féminin sacré ». Attention, c’est bien de revaloriser les qualités du féminin. Mais il faut qu’on puisse aussi conquérir les qualités du masculin ! Je veux me sentir humain avant d’être femme, ce qui est totalement illusoire. », déclame-t-elle. 

Pour Taous Merakchi, la sorcellerie intervient sur un plan personnel et intime : « Revenir à moi-même, qui je suis, comment avancer avec les outils que j’ai déjà. Moi, je ne suis pas à plaindre du tout. C’est pour ça que ça ne m’appartient pas la définition de sorcière. Je ne suis pas prioritaire, il y a bien plus marginalisée que moi. »

Là où elles tombent toutes d’accord, c’est sur la source d’empuissancement que cela crée, peu importe si la personne se définit ou non sorcière. L’accès à l’information amène sur le chemin de la déconstruction. Que ce soit avec le livre de Mona Chollet, celui de Camille Ducellier intitulé Guide pratique du féminisme divinatoire, celui de Jack Parker et Diglee intitulé Grimoire de la sorcière moderneou encore à travers les réseaux sociaux. 

« Ma déconstruction a commencé sur internet. Pour comprendre où était le problème et construire ma vision de la féminité. De ma féminité. Le féminin n’est pas sacré par essence. » précise Taous Merakchi, rejointe par Maureen Wingrove : 

« Le collectif est porteur. Ça a été avéré qu’un groupe dégage une énergie. Quand il y a du nombre et de l’émotion, ça circule et ça fait du bien que ce soit psychologique, magique ou autre. On sent que quelque chose agit, quelque chose se passe. »

Camille Ducellier, elle, croit également que cette énergie, source d’empuissancement car source de transformation, ne doit pas rester au niveau individuel. Politiser le mouvement mais aussi le sortir des normes que l’on ne connaît que trop bien.

« Les américaines par exemple sont plus tournées vers l’action. En France, on est très accroché-e-s à la parole, l’analyse, la critique, etc. C’est très bien mais ce n’est pas la seule manière de comprendre le monde. La psychanalyse, l’ésotérisme et le féminisme sont trois systèmes symboliques que j’aime et que j’essaye de faire dialoguer. », souligne-t-elle. 

À CHACUNE SES RITUELS

La table ronde, au large succès, n’apporte pas de réponse concernant la définition précise de ce qu’est une sorcière aujourd’hui. Elle nous incite plutôt à nous questionner sur nos propres attentes et pratiques, nous déculpabilisant grâce à une phrase de Camille Ducellier :

« Je pars du principe que si on se sent intimement en lien avec cet héritage, on peut se définir sorcière si on a envie. C’est un va et vient entre le passé, le présent et le futur. Les événements ont été effacés par le patriarcat, confisqués par le colonialisme. Aujourd’hui encore, il y a des femmes stigmatisées, des femmes considérées comme des « mauvaises femmes ». On peut se sentir connectées à cet héritage. »

Cet héritage, Liz Viloria le met en partage et en résonnance lors d’une performance qui se déroule à la nuit tombée sur le parvis des Ateliers du Vent. L’instant est solennel, une bougie est allumée, quatre personnes attisent la curiosité des festivalier-e-s qui, petit à petit, forment un cercle autour d’elles. On pense évidemment à l’exécution d’un rite magique.

Liz Viloria travaille sur une thèse, à l’université Rennes 2, en littérature comparée portant sur le statut des femmes dans les Caraïbes. « L’idée de la performance est née de mon parcours académique car je me suis rendu compte que mis à part le fait que le travail intellectuel est très solitaire, sa portée est limitée à un public restreint et plutôt spécialisé », explique-t-elle.

Sa performance, Calíbana,vient de son envie de partager les outils acquis auprès de tou-te-s les autrices et auteurs « écrivant au service de la déconstruction de la notion patriarcale du statut Femme. » Initialement réalisée en Colombie sur la thématique de la sexualité féminine, elle a eu lieu la première fois devant la cathédrale de Barranquilla : 

« Sans que ceci ne soit voulu, aux yeux des spectateurs, la représentation parut comme un rite sorcier. Malgré les préjugés, les personnes (dont la police) sont venues regarder intriguées, curieuses et bienveillantes. »

Dans Calíbana, le sujet change selon l’occasion. Pour le festival Dangereuses lectrices, une nouvelle équipe s’est constituée et la thématique s’est portée sur la figure de la sorcière. Pendant un mois, ielles se sont retrouvées pour faire des cercles, travailler sur les rapports au corps mais aussi à leur lignée féminine, ainsi que les rapports aux arcanes majeurs du Tarot « qui dans la performance viennent représenter les différents archétypes présents dans l’inconscient collectif. »

Liz Viloria poursuit :

« Parmi ces archétypes, la sorcière est la femme savante, celle qui sait, qui lit, qui détient différents savoirs, la sorcière se perçoit elle même comme un organisme qui fait parti de la nature, qui connaît ses rythmes et qui écoute et connaît son corps. Cette connaissance ne vient pas du monde extérieur. »

Pour se préparer, elle a donc puisé dans son univers personnel, qu’elle a ensuite mis en partage et en résonnance avec les expériences des trois autres membres de l’équipe.

« Je viens d’une culture dont le rapport à ces rythmes est toujours présent : du citron avec de l’eau chaude le matin pour alcaliniser le corps, couper les légumes avec les mains et non avec des couteaux afin de garder leur texture pour la cuisson, nettoyer la maison avec de la sauge une fois par mois… Ce sont des petits rituels qui, au delà de leurs effets sur le monde extérieur, organisent la vie intérieure de la personne qui pratique : les rituels aident au bien vivre. Pendant le mois de préparation, on a partagé des rituels, certains nouveaux, d’autres déjà appris au cours de nos vies… On se déconstruit et se resignifie en prenant conscience de l’immersion du corps propre dans le monde quotidien. Dans cette édition, Laura Zylberyng (française), Jason-Jasmine Fortheringham (australien-ne), Touré Mayalan (guinéenne) et moi-même, portant le poids de la culture de quatre continents différents, avons décelé des points en commun dans l’assomption du corps propre et dans la construction de ce que Femme peut signifier. », analyse Liz Viloria. 

SORTIR DE LA NORME HÉTÉRO-CIS-BLANCHE

Ainsi, le festival Dangereuses lectrices met en avant et en perspective des expériences sensibles, des récits de vie, des théories féministes, des héritages, des vécus et ressentis, qui s’expriment à travers chacun-e de manière et sous des formes différentes. Il y a les conférences et tables rondes, des ateliers, mais aussi du théâtre, une performance, la projection d’un film, une lecture, un concert… 

Les arts sont porteurs de paroles et de points de vue. Et ici, ils prennent évidemment un sens militant et politique, même si on peut s’en détacher pour n’y voir que de l’informatif et du divertissement (intelligent). 

Le mélange des genres et des styles est exaltant durant ce week-end aux Ateliers du Vent. Il suffit de tendre l’oreille pour entendre des propositions enthousiasmantes comme la lecture de Lizzie Crowdagger, spécialiste des histoires fantastiques et de fantasy avec des vampires motardes, des sorcières lesbiennes et des punks garous. 

Elle lit des extraits de trois de ses ouvrages parmi lesquels figurent Enfant de Mars et de Vénus, une enquête fantastique avec une lesbienne motarde, une camionneuse trans, du surnaturel et des morts, Une autobiographie transsexuelle (avec des vampires),un roman de fantasy avec des lesbiennes vampires à moto, et La sorcellerie est un sport de combat, dans lequel le balai est une Clio un peu particulière. 

L’autrice prouve que d’autres personnages et récits sont possibles et que les sorcières sont tout aussi plurielles et multiples que les autres. Elle s’affranchit des assignations et casse les normes d’un genre littéraire codifié au masculin, et pré supposé hétérosexuel. Tout comme le cabinet d’intimité nous invite à observer des sexes, photographiés en noir et blanc, en oubliant totalement l’étiquette binaire assignée par l’organe, Homme ou Femme. 

ÉCRITURE POIGNANTE

Petit à petit, l’enchainement des expressions permet de mieux comprendre le fonctionnement des systèmes d’oppression et au fil du temps, et des investissements, de nous déconstruire nous-mêmes. Dangereuses lectrices participe grandement à cette exploration et analyse, aussi personnelle que collective. 

Mais incontestablement, pour nous, c’est le concert de Petra Pied de Biche qui marque nos esprits. Sans détours, l’artiste clame sa Rage de raison, du nom de son dernier album. Un vrai coup de poing dans la gueule. 

Son écriture brute, la violence de ses récits et vécus, son regard très franc souvent accompagné d’un large sourire, le rythme percutant de ses musiques nous hypnotisent complètement. Quand Petra Pied de Biche s’exprime, on la boucle et on l’écoute. 

Témoignage du racisme latent vécu au quotidien, témoignage des jugements incessants quant à ses choix de vie, témoignage du sexisme ambiant mais aussi culture du viol, exploitation des travailleur-euse-s, minimisation des faits et des ressentis, l’artiste dénonce avec talent et engagement et secoue les mentalités. Parce qu’il y a urgence à écouter et à prendre en compte les discours des personnes concerné-e-s. 

Par le biais de la littérature sous ses formes diverses, le festival Dangereuses lectrices a convoqué l’âme des révolté-e-s. Révolté-e-s parce que marginalisé-e-s en raison de leur sexe, de leur apparence, de leur orientation sexuelle, de leur couleur de peau, de leur identité de genre, de leurs choix de vie, etc. 

Sorcières ou pas, une chose est sure : les femmes qui lisent sont dangereuses. Tout comme les femmes qui écrivent sont dangereuses. Alors, patriarcat, gare à ton cul. Les Dangereuses lectrices entendent bien être libres. 

Célian Ramis

Quand les militantes féministes bricolent le cinéma, quelle libération !

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Les Mardis de l'égalité ont fait leur rentrée le 1er octobre avec une passionnante conférence d'Hélène Fleckinger sur les cinémas féministes des années 70. En partenariat avec HF Bretagne.
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Les Mardis de l’égalité faisaient leur rentrée le 1eroctobre dernier et lançaient leur 4eédition au Tambour, à l’université Rennes 2, avec une conférence sur le cinéma féministe des années 70, animée par Hélène Fleckinger. En partenariat avec HF Bretagne. 

Quelle est la relation entre le cinéma, la vidéo et le féminisme ? C’est la question à laquelle Hélène Fleckinger, maitresse de conférences à Paris 8, était invitée à répondre ce mardi 1eroctobre, devant une salle blindée. Pour la conférencière, une plongée dans l’histoire s’impose pour comprendre une époque en pleine ébullition militante et créative. 

Elle s’amuse d’ailleurs de la coïncidence : « L’année prochaine, on fêtera les 50 ans du Mouvement de Libération des Femmes. Ce sera aussi les 50 ans de votre université. De mon université aussi. » C’est là dans cette période post 68 que militantisme et créativité vont se lier. Au printemps 70, nait le Mouvement de Libération des Femmes (MLF).

REVENDIQUER AVEC CRÉATIVITÉ

« Gardez votre gauche », « Le muguet a encore augmenté », « Ni faux cils ni marteaux piqueurs », « Quand les femmes s’aiment, les hommes ne récoltent pas » ou encore « Les sorcières peuvent aussi guérir les mots d’ordre »… 

Les slogans, que l’on retrouve dans le film Où est-ce qu’on se mai ?de Delphine Seyrig et Ioana Wieder, « témoignent d’une grande créativité, qui va avec la créativité du MLF. Une femme qui a fait une vidéo a aussi souvent fait une chanson, a participé à des publications, etc. Il n’y a pas que le cinéma dans cette période, c’est un ensemble d’expressions : des chansons, des photos, des tracts, des affiches… »

Le Mouvement de Libération des Femmes affirme son autonomie à l’égard des politiques et des syndicats et dénonce le sexisme qui régit également le militantisme. Le mouvement est informel, sans carte ni adhésion. Et en non mixité. Ce qui ne sera pas le cas ensuite du Mouvement pour la Liberté de l’Avortement et de la Contraception, créé en 1973.

Les militantes féministes s’approprient alors, entre autre, la caméra, comme outil de contre pouvoir, d’intervention et de créativité. « Si je parle dans cette conférence du cinéma féministe, il faut quand même préciser qu’il revêt des formes et des orientations politiques différentes. Il faudrait en parler au pluriel. Des cinémas féministes. », souligne Hélène Fleckinger. 

Des cinémas souvent expérimentaux où les femmes explorent non seulement la question de la libération des femmes mais aussi la réappropriation des images. Pour cela, elles s’éloignent du cinéma « classique », celui investit par les hommes, dont elles sont exclues. Car si elles peuvent accéder aux formations, elles en sont souvent découragées avant même d’y entrer.

LE CINÉMA MILITANT POST 68

En 1968, naissent les Etats généraux du cinéma. Au sein de cet événement, les caméras circulent, la volonté est claire : investir le cinéma comme arme de lutte politique et d’échanges politiques.

« Mais dans les pratiques militantes post 68, la question simplement des femmes est à peine relayée. C’est une affaire d’hommes qui rejoue les mêmes répartitions genrées : les hommes à la réalisation et, les fois où il y a des femmes, elles sont au montage. »
précise la maitresse de conférences. 

Avec son film Sorcières camarades, Danielle Jaeggi, une des rares à l’époque à ressortir de sa formation avec la mention « Réalisatrice », signe une œuvre manifeste, en 1971, qui annonce une libération. Elle produit ici un « Film sur les femmes, un film par les femmes, un film pour les femmes, Avec une caméra d’homme. » Pour la libération, « celle des femmes ».

À l’exception d’un des films majeurs en terme de cinéma militant féministe – Histoire d’A, de Charles Brémont et Marielle Issartel, en faveur de l’avortement, avant sa légalisation – les femmes ne vont pas investir les techniques argentiques, mais vont plutôt s’orienter vers des techniques plus amateures, comme avec la Super 8.

INVENTION ET CRÉATION DE LEURS CINÉMAS

« Elles vont investir la Super 8 pour le coût mais aussi pour l’adéquation avec leur libération en tant que femmes et la libération des images. »
souligne Hélène Fleckinger.

De nombreux collectifs féministes non mixtes vont se constituer, toujours dans la lignée des 3 missions : contre pouvoir, intervention, libération des images. 

Arrive alors sur le marché la vidéo, permettant à l’aide d’une caméra et d’un magnétoscope, d’enregistrer les paroles dans la longueur, le son étant relié de manière synchrone. Dans les publicités, ce sont d’ailleurs les femmes qui sont mises en avant. Mais la raison n’est pas féministe. Bien au contraire, on utilise leur image parce que le public visé est celui de la famille.

Qu’importe, elles vont en faire autre chose. La vidéo va véritablement servir à recueillir les paroles occultées des femmes, accompagnant les mobilisations pour le droit à l’IVG, les manifestations contre le viol, l’action des prostituées à Lyon revendiquant droits et dignité ainsi que les grèves d’ouvrières.

Mais la vidéo s’insère aussi dans les intimités bafouées, voire interdites, des femmes. Elles parlent de sexualité, de lesbianisme, d’accouchement, ou encore du travail domestique.

TRANSMISSION ET DIFFUSION D’UN MOYEN DE LUTTE IDÉOLOGIQUE

Avec la vidéo, les militantes se forment sur le tas et donnent des stages aux autres femmes. Puisque les femmes ne sont pas encouragées à suivre les formations dans les écoles, elles seront leurs propres professeures et tutrices.

C’est ce qu’a fait Carole Roussopoulos, « pionnière de la vidéo militante et de la libération des femmes. » Elles expérimentent sur le terrain directement, ont la possibilité d’effacer les images en direct et peuvent ainsi créer un climat de confiance avec les interviewées. 

« C’est un moyen de lutte idéologique ! », déclare la conférencière qui démontre alors que les collectifs de vidéos féministes sont à cette époque déterminés à dénoncer l’image et le rôle stéréotypés des femmes véhiculées par les médias. Parce que rien ne relève du détail en matière d’inégalités et de discrimination, elles signent les productions uniquement de leurs prénoms, affirmant ainsi le refus de l’identité transmise par le père. 

Les images, documentaires, films expérimentaux, etc. sont ensuite projetés sur des moniteurs ressemblant à des écrans de télévision, avec la possibilité d’obtenir un son très fort. Dans les événements, sur les marchés, partout où elles veulent, elles peuvent installer les moniteurs et diffuser leurs productions qui ne sont pas uniquement des « moyens d’agitation et outils de contre pouvoir, mais aussi des outils d’expression et de réponses à la télévision. » Elles sont « investies dans la création. »

UNE INFLUENCE CERTAINE MAIS LENTE

Le Mouvement de Libération des Femmes qui s’illustre par son autonomie, son militantisme et sa créativité, influence alors le milieu cinématographique, y compris dans la fiction. En 1969, seulement 3% des cinéastes sont des femmes. Dix ans plus tard, elles sont 10%.

« Ce n’est pas la panacée mais bon… On assiste à des nouvelles histoires, de nouveaux récits, des points de vue différents… La notion de films de femmes devient stratégique pour les féministes. Aujourd’hui, on ne l’entend plus comme ça mais à l’époque, c’était stratégique. »
s’enthousiasme Hélène Fleckinger.

En 2020, le Festival International de Films de Femmes de Créteil et du Val de Marne célèbrera sa 49eédition. 

La prise de conscience militante féministe, soulevée par le MLF mais aussi par tout un contexte de nombreuses luttes à venir et de luttes passées, s’est donc effectuée par petits groupes, utilisant la vidéo parce qu’il était alors un « média vierge, sans école, sans passé et sans usage accaparé par les hommes. »

Mais aussi parce qu’elle a permis « une organisation souple du travail et de participer à tous les postes de la réalisation au montage, elles ont cassé la division genrée du travail et il faut savoir que les modes de diffusion à ce moment-là étaient fastidieux, elles devaient tout faire elles-mêmes. »

Et lorsqu’elles organisaient une projection, celle-ci était toujours suivie d’une discussion. D’une certaine manière, la vidéo a permis de recueillir la parole occultée et individuelle des femmes pour la libérer ensuite en assemblée. Un cycle qui continue aujourd’hui encore et permet à de nombreuses femmes d’exprimer et de partager leurs vécus et ressentis et à de nombreuses femmes également de ne plus se sentir seules.

 

 

QUELQUES FILMS ÉVOQUÉS PAR HÉLÈNE FLECKINGER

• Où est-ce qu’on se mai ?, de Delphine Seyrig et Ioana Wieder

• Sorcières camarades, de Danielle Jaeggi

• Histoires d’A, de Charles Bremont et Marielle Issartel

• Mais qu’est-ce qu’elles veulent ?, de Coline Serreau

• Quand les femmes ont pris la colère, de René Vautier et Soizic Chappedelaine

• Double labyrinthe, de Maria Klonaris et Katerina Thomadaki

• L’une chante, l’autre pas, d’Agnès Varda

• L’amour violé, de Yannick Bellon

 

 

POUR ALLER PLUS LOIN :

Très prochainement, sera mise en ligne la plateforme fondée par Hélène Fleckinger, Bobines Féministes. « Cet automne j’espère, au plus tard en janvier. », souligne la maitresse de conférences, expliquant que l’on y trouvera des archives audios, iconographiques, photographiques, graphiques, des films, des extraits vidéos, etc. « Ce sera une grosse base de données éditorialisée sur laquelle on peut parcourir et rebondir sur les ressources. », conclut-elle. 

 

 

 

Célian Ramis

Rassemblement politique et syndical contre les féminicides

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Le 27 septembre se tenait, à Rennes, le premier des 3 rassemblements, destinés à rappeler au gouvernement que les moyens et actions « promis-es » contre les violences conjugales ne sont pas à la hauteur des besoins et des attentes.
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« Forces politiques de gauche et de progrès, syndicats, associations féministes et d’accompagnement des femmes victimes » (selon le communiqué) ont lancé à Rennes trois appels au rassemblement pour lutter contre les violences faites aux femmes. Vendredi 27 septembre se tenait, à République, le premier d’entre eux, destiné à rappeler au gouvernement et son Grenelle contre les violences conjugales que les moyens et actions « promis-es » ne sont pas à la hauteur des besoins et des attentes. 

Du 3 septembre au 25 novembre 2019, le gouvernement a lancé le Grenelle contre les violences conjugales. Très décrié pour l’absence de réels moyens – financiers mais pas que - mis en place pour lutter contre les inégalités hommes/femmes, on peut se demander s’il s’agit là d’une énième action de communication pour affirmer que l’égalité entre les femmes et les hommes figure en tête de liste des priorités du quinquennat macronien ?

Le Grenelle fait en tout cas miroiter des places d’hébergement supplémentaires pour les femmes victimes de violences, un dispositif d’accès à des logements, l’ouverture 24h/24 et 7j/7 du numéro d’urgence 3919…

Quand ? Avec quels moyens ? Les réponses restent vagues et imprécises dans tous les discours de Marlène Schiappa, secrétaire d’Etat chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, qui dressait un premier bilan quinze jours après le lancement en grande pompe du Grenelle.

Sans budget supplémentaire, les associations et structures féministes, les dispositifs d’aide aux femmes victimes de violences conjugales, ne peuvent intervenir à hauteur de l’urgence et de la demande. Sans formation des forces de l’ordre, des travailleurs sociaux, du personnel des enseignant-e-s, des professionnel-le-s de la santé, des membres de la Justice, les féminicides resteront atrocement nombreux et terriblement impunis.

LE LONG COMBAT DES ASSOCIATIONS

Depuis le début de l’année, plus de 110 femmes ont été tuées par leurs conjoints ou ex-conjoints. C’est bien ce que rappellent les messages collés ou pochés sur les murs et trottoirs de la ville de Rennes depuis plusieurs semaines par des militantes féministes, invitant les Rennais-es à se mobiliser contre les féminicides et à prendre part à la marche contre les violences faites aux femmes, organisée par le collectif Nous Toutes 35, le 23 novembre (la manifestation aura également lieu dans d’autres villes de France).

C’est ce que dénoncent tout au long de l’année les militantes féministes, à travers des conférences, des happenings, des mobilisations, etc., alertant sur les (mauvais) traitements médiatiques et judiciaires qui minimisent souvent la parole des victimes et l’acte en lui-même, le caractérisant de « drame passionnel » ou de « drame familial ».

Au quotidien, les associations féministes œuvrent, au sein d’une plateforme d’aide aux victimes (Asfad, CIDFF, UAIR, Planning Familial 35, SOS Victimes 35), à la mise en sécurité, l’aide, l’accompagnement et la reconstruction des femmes victimes de violences, soutenues par les collectivités à hauteur de leurs faibles enveloppes, les budgets Droits des femmes et Egalité entre les femmes et les hommes étant toujours largement insuffisants.

MOBILISATION POLITIQUE ET SYNDICALE

À République, le 27 septembre, on aperçoit les drapeaux des Jeunes Socialistes, de la France Insoumise, de la CGT, de Solidaires, de Lutte Ouvrière, d’Iskis – centre LGBT de Rennes et de Zin 35 (association des femmes kurdes à Rennes). Des pancartes « Aux femmes assassinées, la patrie indifférente », « La jeunesse emmerde le Front Patriarcal » ou encore « 17 – Je me fais battre par mon mari – Merci de patienter - + 1 morte » trônent contre les arcades.

« Monica, Pascale, Séverine, Nadine, Béatrice, Charline, Patricia, une femme, Céline, Josette, Gaëlle, une femme, Ginette, Ilal, Julie, Georgette, Dolores, Dalida, Sandra, une femme, Mouna, Mariette, Dounia, Justine… », les 110 prénoms des femmes assassinées par leurs conjoints ou ex-conjoints depuis le 1erjanvier 2019 sont déclamés au micro. 

Les discours rappellent qu’elles ont été « fusillées, poignardées, brûlées, défenestrées, égorgées, noyées, étouffées, tuées à coups de marteau… ». Que 60 000 euros par Département ne suffisent pas, là où il en faudrait minimum 6 millions. Que « la lutte a besoin de moyens à la hauteur des enjeux » afin que les associations, collectivités, etc. puissent combattre « ce fléau social ».

Plusieurs dizaines de personnes ont répondu ce jour-là à l’appel des « Forces politiques de gauche et de progrès, des syndicats, des associations féministes et d’accompagnement des femmes victimes ». Pourtant, sur place, elles sont peu nombreuses les associations féministes et d’accompagnement des femmes victimes.

OÙ SONT LES ASSOS ?

« Certaines sont venues avec leur drapeau, comme Iskis ou Zin, l’association des femmes kurdes. Il y avait aussi des représentants qui sont venus à titre individuel. Je crois que les associations ont la volonté de rester neutres politiquement, ce que je comprends. », explique Béatrice Hakni-Robin, membre de la Fédération socialiste d’Ille-et-Vilaine. 

Mais aucune ne figure dans les signataires de l’appel, ni n’est mentionnée dans les discours. On s’interroge, au même titre que certaines militantes présentes, sur l’intention de ce rassemblement politique et syndical.

« Il est important de se mobiliser sur ces grands sujets de société pour modifier nos rapports, inscrits dans notre société et fondés sur des rapports de domination. », souligne Béatrice Hakni-Robin.

Mais qu’en est-il de ces sujets-là au sein des partis politiques et des syndicats, non exempts des rapports de domination et des violences engendrées par les inégalités entre les hommes et les femmes ? « C’est vrai que ces sujets-là ne sont pas très discutés dans nos partis et syndicats. C’est l’occasion qu’ils soient mis à l’agenda politique. Il est temps que ces violences qui font aujourd’hui parties de la normalité passent dans l’inacceptable, l’interdit.»

Elle poursuit : « Je sais combien les associations sont mobilisées et que leurs combats sont solides et nombreux. Il faut que le politique s’engage dans ce combat là. Et je suis convaincue que le politique a tout son sens dans ce rassemblement face au Grenelle car on n’entend pas les associations à ce propos. Je ne vois pas de réactions associatives. », souligne Béatrice Hakni-Robin. 

VIGILANCE FACE AU GRENELLE

Pourtant, les réactions sur les réseaux sociaux ont été nombreuses. Toutes appelant à la vigilance face à ce Grenelle, afin qu’il ne soit pas qu’une action de communication. Dans son communiqué national, le Planning Familial écrit, le 5 septembre :

« Si nous pouvons saluer la présence de plusieurs ministres (au lancement du Grenelle, ndlr),montrant que la question doit être transversale et traitée à tous les niveaux, ainsi que l’annonce de certaines mesures demandées par les associations concernant l’autorité parentale ou l’audit de 400 commissariats pour améliorer l’accueil des victimes de violences de couple, nous regrettons que certaines annonces et bilans fassent écho à divers rapports et préconisations déjà existants : les bracelets électroniques, la généralisation des prises de plaintes à l’hôpital, l’augmentation des places d’hébergement ou encore des mesures de prévention à l’école… »

Véronique Séhier, qui signe le communiqué, détaille également : « Nous déplorons le manque d’annonces budgétaires qui accompagnement ces annonces : il faudrait 6 millions d’euros au moins pour garantir aux 12 millions d’élèves, prévention et éducation dès le plus jeune âge lors des séances d’éducation à la sexualité (permettant de comprendre les violences, et les notions d’intimité et de protection), une campagne de prévention régulière dans les établissements scolaires et pour le grand public afin de faire évoluer les mentalités. Il faudrait encore pour la formation des policiers, des professionnel-le-s sociaux, médicaux, enseignant-e-s et toujours de l’argent pour garantir aux victimes une prise en charge rapide et une protection (quand il faut parfois 3 semaines pour avoir une ordonnance de protection faute du manque de professionnel-le-s…). Toutes ces mesures devant s’accompagner d’une augmentation du nombre de professionnel-le-s sur le terrain dans tous ces domaines…

Nous regrettons également le manque d’annonces concernant la santé, quand nous voyons le nombre important de violences dépistées lors de consultations gynécologiques et l’impact sur la santé des victimes, le manque d’annonces concernant la prise en charge des auteurs de violences : nous ne pouvons plus tolérer que les auteurs sortent de prison sans avoir été pris en charge de manière éducative et psychologique, comme c’est le cas depuis longtemps au Canada. »

ASSOCIATIONS ET COLLECTIFS FÉMINISTES : QUEL APPEL ?

À Rennes, le Planning Familial ne s’est pas encore positionné concernant les rassemblements organisés par les forces politiques et syndicales, comme nous l’explique Mathilde Lefèvre, présidente du PF 35, mais devrait apporter une réponse dans les prochaines semaines, pour le 2erassemblement, fixé au 17 octobre, à République.

Du côté de Nous Toutes 35, Appoline Morinière signale que le collectif n’avait pas les forces nécessaires à ce moment-là (en raison de la rentrée et de la préparation de la marche du 23 novembre) pour être présentes en nombre ni le 27 septembre ni dans l’organisation de la mobilisation. Et indique également que Nous Toutes 35, en tant que jeune collectif, n’a pas souhaité – voyant qu’aucune association féministe n’était signataire de l’appel - être la seule organisation à prendre position.

« Nous avons donc décliné la proposition tout en partageant les réserves et critiques émises au sujet du Grenelle et en étant convaincues qu’une mobilisation d’ampleur sur le sujet des violences faites aux femmes est nécessaire. », conclut la militante. 

L’association Osez le Féminisme 35 a été prévenue par mail « qu’avait lieu ce rassemblement mais ce n’était pas un message qui nous invitait à la co-organiser/être signataires, il s’agissait de nous inviter à diffuser l’info dans nos réseaux. » Plusieurs militantes de la structure s’y sont rendues à titre personnel. 

Le prochain rendez-vous politique et syndical contre les féminicides aura lieu le 17 octobre, avec ou sans les associations féministes. Quoi qu’il en soit, une mobilisation d’ampleur est attendue comme chaque année à l’occasion du 25 novembre, journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes. Cette année, la marche est prévue le 23 novembre. Et après ? Qu'en sera-t-il du rassemblement politique et syndical autour des violences faites aux femmes ?

Célian Ramis

Aux portes de la puissance féministe

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Elles prend aux tripes et aux ovaires l’exposition At the Gates - présentée à La Criée jusqu’au 25 août - réunissant des artistes engagées en faveur des droits des femmes et contre les violences politiques et sociales.
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Elles prend aux tripes et aux ovaires l’exposition At the Gates, présentée à La Criée jusqu’au 25 août. Réunissant des artistes engagées en faveur des droits des femmes et contre les violences politiques et sociales, elle donne à entendre et à voir les diverses formes de luttes « portées par des femmes pour les femmes mais pas seulement », souligne Sophie Kaplan, directrice de La Criée. 

R.E.P.E.A.L. C’est le mot que l’on peut lire sur les bannières disposées en quinconce à l’entrée de l’exposition. Abroger en anglais. Ce que demande le collectif d’artistes engagées dans la Campagne pour l’abrogation du 8eamendement (Campaign to repeal the eighth amendment). 

La forme choisie est celle de l’activisme politique à travers des bannières de manifestation, reprenant les codes de l’histoire de l’art et de la religion. Elles réclament la liberté et le respect des femmes décidant d’avorter en Irlande. Dans la Constitution du pays, le 8eamendement, adopté en 1983, reconnaît le droit égal à la vie de mère et de l’enfant à naitre. 

Ainsi, l’avortement est interdit. Sans exception. En 2015, le collectif se crée, dans le but de sensibiliser et de mobiliser autour du droit des femmes à disposer de leur corps. Avec le soutien de milliers d’artistes, les bannières voient le jour et défilent lors de différentes manifestations. Elles ont ensuite été exposées, accompagnées de vidéos de témoignages féminins établissant la liste des conséquences désastreuses du 8eamendement et des discriminations systématiques que cela a entrainé.

L’une des bannières montre d’ailleurs le chemin que les Irlandaises ont à parcourir si elles souhaitent avorter. Munies de quelques affaires personnelles, elles doivent embarquer à bord d’un bateau ou d’un avion, à destination de l’Angleterre. Les difficultés s’accumulent, tant sur le plan économique, que matériel, sans oublier les plans géographique et psychologique.

Après de nombreuses mobilisations militantes en Irlande, le peuple s’est prononcé en 2018 à plus de 66% en faveur de l’abrogation du 8eamendement. Pour Sophie Kaplan, il est intéressant d’ouvrir l’exposition par un sujet de lutte aussi fort en Europe que dans le reste du monde : 

« Quand on voit ce qui se passe en Argentine, dans certains états des Etats-Unis ou même en France où même après 40 ans avec la loi Veil, on a retoqué le report des semaines de délai pour avorter… C’est pas gagné ! La subtilité de l’exposition, c’est de parler des femmes, des droits des femmes mais aussi de poser la question de la liberté. » 

Une liberté dont les artistes ne demande plus l’autorisation. Elles la prennent. C’est là le propos du titre de l’exposition, At the gates, se référant en partie à la nouvelle Devant la Loi de Franz Kafka, dans laquelle un homme passe sa vie devant la porte de la Loi, attendant de pouvoir entrer. 

C’est ce qu’explique Tessa Giblin, directrice de la Talbot Rice Gallery à Edimbourg et commissaire de l’exposition At the Gates (très inspirée par la célèbre autrice féministe, enseignante et militante, Silvia Federici).

« Je connaissais une partie de l’exposition, qui réunissait des artistes qui ne sont pas exposées à La Criée parce qu’on n’a pas la même surface non plus, et je connaissais l’œuvre de Jesse Jones. Tessa est venue ici, voir l’espace et on a travaillé ensemble à une forme condensée. Je voulais une adaptation aussi au contexte français, j’ai donc ajouté deux propositions : Camille Ducellier et Histoires d’A. Les deux répondent en plus très bien à l’exposition du musée des Beaux Arts. », souligne Sophie Kaplan. 

Parce qu’en parallèle, à quelques pas du centre d’art contemporain, se trouve l’exposition Créatrices – l’émancipation par l’art, à découvrir au musée des Beaux-Arts jusqu’au 29 septembre 2019 : « Anne Dary, directrice à l’époque, m’en a parlé et on a programmé ça au même moment. La focale de l’expo ici, c’est l’idée de faire entendre des voix de femmes et des luttes portées par des femmes pour les femmes mais pas seulement. »

C’est inspirant et puissant. Au-delà des œuvres en elles-mêmes, pour la plupart difficiles à décrypter sans en avoir les références, ce sont les histoires sous-jacentes qui sont intéressantes. Une fois les codes en main et quelques clés de compréhension, on prend la mesure de la charge émotionnelle et de l’intensité du militantisme.

On navigue au sein d’une force tentaculesque. Les formes diffèrent mais les propos se rassemblent. Ici, on questionne le droit à la différence, la transmission des savoirs, les lieux de pouvoir et de contre pouvoir. On utilise des symboles forts, percutants, parfois brutaux et dérangeants. Certains matériaux semblent anodins, d’autres moins. Tous regorgent de violences.

Fécondité, prostitution, sorcières, violences physiques, psychologiques et sexuelles… Chaque œuvre invite ou force à la réflexion. Au déclic. À la déconstruction. Déconstruction des idées reçues face à la brutalité des réalités vécues.

Sur un écran télévisé, le visage d’une femme est agressé par une main d’homme. La femme subit. Et l’homme lui demande de manière répétitive et de plus en plus agressive « Comment veux-tu être gouvernée ? » (« How do you want to be governed » est le titre de l’œuvre), elle reste impassible. Dans sa vidéo, Maja Bajevic reprend le travail de Rasa Todosijevic en 1976, intitulé « What is art ? ». Elle montre la résistance, travail de chaque instant.

Quelques mètres plus loin, une autre vidéo dévoile un groupe de femmes, brodant un grand drap blanc, exposé également à La Criée. Ce sont les œuvres de Teresa Margolles qui pendant plusieurs années a récupéré dans les morgues des linceuls de femmes ayant subi une mort violente.

Durant trois années, l’artiste a invité des femmes de différentes communautés des Amériques (dont les Kunas du Panama, les Taharamaras de Mexico et les Mayas au Guatemala) à réaliser des broderies sur ces tissus. Réunies en groupe autour de la broderie, considérée comme une tache féminine (donc secondaire) et non comme un art, les femmes échangent autour de leurs conditions en fonction de leur sexe et de leur genre mais aussi autour des problématiques sociales et environnementales qu’elles traversent.

« De par la broderie (et on notera que les bannières de manifestation contre le 8eamendement sont aussi constituées de broderie), elles réaffirment la puissance de la communauté des femmes. Elles parlent d’accouchement, de relations mais aussi de la déforestation. On voit à quel point les luttes des femmes sont prises dans des luttes plus générales. L’exposition interroge notre capacité de résistance et de liberté par le focus féminin. »
explique Sophie Kaplan, passionnée par le sujet dont la richesse n’est plus à démontrer. 

L’ensemble des discussions, l’art de la broderie, la récupération des symboles, marquent la transmission des savoirs qui ont perduré dans le temps et résonnent avec le partage des expériences intimes comme acte politique.

Le corps des femmes n’appartient pas aux hommes. Le corps des femmes n’appartient pas à la société. Le corps ne peut appartenir qu’à l’individu qui l’occupe, le remplit, se construit dedans et avec.

« Le film de Camille Ducellier, avec 5 portraits, montre des images directes, des images tranchantes. Elle montre une relation au plaisir qui sort des clichés de la jeune et jolie femme qui se fait pénétrer. Les vieilles moches aussi ont le droit de jouir. Les vieux mecs aussi ! Plus largement sur At the gates, je n’ai jamais vu autant de vulves dans une exposition. Et ça interroge sur la représentation du sexe féminin : comment montrer ce qui est caché et pourquoi c’est caché ? On voit beaucoup plus de représentations du sexe masculin… », souligne la directrice de La Criée. 

Elle conclut son propos par l’objectif général de l’exposition : « Il est important de montrer que les artistes sont dans la société, qu’elles et ils portent les questions de société et qu’il y a de multiples formes de le faire. »

Célian Ramis

#MeFoot : un road trip au pays des inégalités

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Lucie Brasseur est l'autrice de #MeFoot. L’occasion pour nous de réaliser le sixième et dernier épisode de notre série sur la Coupe du monde féminine de football : le road trip d’une journaliste dans le milieu macho du ballon rond.
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La Coupe du monde de football 2019 est terminée et malheureusement, les Bleues n’ont pas gagné. Mais elles ont suscité de l’intérêt, battant des records d’audience (que les chaines et les organisateurs n’avaient pas envisagés…), permettant ainsi de s’interroger sur la place des femmes dans le milieu du football. Un sujet qui a passionné la romancière et journaliste Lucie Brasseur, qui rend compte de son enquête dans le livre #MeFoot, publié le 13 juin dernier aux éditions du Rêve (et prochainement dans un documentaire télévisé). Elle était en dédicace à Rennes, au centre culturel Leclerc – Cleunay le 20 juin. L’occasion pour nous de réaliser le sixième et dernier épisode de notre série sur la Coupe du monde féminine de football : le road trip d’une journaliste dans le milieu macho du ballon rond. 

Valentin a 6 ans et demi quand il se tourne vers sa belle-mère en lui disant qu’il ne savait pas que les filles avaient le droit de jouer au football. « Ça a été comme s’il m’assommait d’un uppercut version poids lourd. Les mots étaient là terrifiants. Comment ce petit garçon, élevé dans une famille plutôt très féministe, pouvait-il poser de tels mots ? « Avoir le droit ? » J’en frissonne encore. », souligne Lucie Brasseur dans l’introduction de son livre. 

Le pire, c’est que Valentin met le doigt sur une réalité. Plusieurs réalités même. La plus fragrante, c’est celle de l’ignorance quant à l’existence de la pratique du football par les femmes. Celle qui souligne à quel point les inégalités sont grandes, en terme de visibilité tout d’abord, en terme de légitimité et de reconnaissance, ensuite.

L’autre réalité, qui s’insinue dans la remarque prétendument naïve de Valentin, c’est que pendant plusieurs dizaines d’années, le football a bel et bien été interdit aux femmes, pour d’obscures raisons que feu Pierre de Coubertin pourrait nous expliquer (mais on vomirait nos tripes à l’idée de l’écouter déblatérer des conneries essentialistes sur les femmes).

Entre l’interdiction et l’autorisation, visiblement nouvelle pour le petit garçon, il y a d’autres tristes réalités, comme le fait que les filles ne jouent pas au ballon rond dans la cour de récréation, parce qu’elles sont souvent moquées ou méprisées par leurs homologues masculins. Elles sont d’ailleurs rarement encouragées à des pratiques sportives mêlant physique et stratégie, on leur préfère (encore) la danse et la gymnastique (qui, il serait temps de le réaliser, sont des disciplines sportives exigeantes en terme physique)…

LA POLITIQUE DU « RIEN »

« Le sujet est très peu traité. Pourtant, ça explose ! De 40 000 à 200 000 licenciées en quelques années… Dans la presse, dans la rue, dans les arts, personne ne se saisit du sujet. Dans les footballeuses d’aujourd’hui, il n’y a pas une génération qui a eu des modèles pour se projeter. Maintenant, grâce aux Coupes du monde de 2011, 2015 et celle de maintenant, de 2019, il y a Wendy Renard et Eugénie Le Sommer que les enfants citent majoritairement. Mais ça reste un sujet peu traité. À partir du moment où y a rien sur le sujet, comment s’y intéresser ? C’est juste dingue… », s’insurge Lucie Brasseur.

C’est ce vide, cette zone du quasi rien, qui lui a titillé l’esprit critique, journalistique et féministe. Parce qu’elle a écumé les rayons des librairies et n’y a rien trouvé là non plus. Ou une fois, elle est tombée sur l’autobiographie de Marinette Pichon, meilleure buteuse de l’histoire des Bleues (bientôt détrônée par Eugénie Le Sommer) et pionnière du football féminin. C’est tout.

L’espoir, c’est que la Coupe du monde de football 2019 crée un engouement suffisamment fort et solide pour qu’il y en ait d’autres, pour qu’il y en ait plus. Il y a depuis début mai, celui de Mélissa Plaza, Pas pour les filles ?, et depuis mi juin, le sien, #MeFoot. Mais Lucie Brasseur n’est pas du genre à s’en satisfaire quand partout autour d’elle, elle ne voit aucune publicité, aucune communication : 

« Je fais un tour de France pour la promo du livre et je vais dans les grandes surfaces. Rien n’avait été prévu pour la Coupe du monde 2019 ! Rien, rien, nulle part. Dans les rues, je ne vois rien. Ah si, je vois des pubs pour les gars en septembre. Pour les gars, là, oui, on en entend parler. Et c’est leur rentrée, c’est pas non plus le Mondial ! Sur les filles, rien, rien, tout le monde s’en fout. La plupart des gens ont découvert qu’il y avait une grande compétition 8 jours avant le coup d’envoi ! Combien de personne s’y intéresse réellement ? »

AVANCER ENSEMBLE

Son désarroi et sa colère, on les partage avec elle. Parce que l’on est convaincu-e-s des propos que tient Marinette Pichon dans la conclusion de la préface : « Parce que, comme sur un terrain, nous sommes toutes les deux (elle fait référence à Lucie Brasseur et à elle-même, ndlr) persuadées que l’on peut aller plus loin, si l’on avance ensemble. »

C’est d’ailleurs grâce à l’ancienne footballeuse professionnelle - qui est la première a avoir été jouer aux Etats-Unis pour gagner de l’argent grâce au foot – que le livre a pris vie et surtout a pris des allures de road trip. En France, en Allemagne, en Espagne… la journaliste est sans appel, c’est Marinette qui lui a ouvert les portes et c’est grâce à elle qu’elle a pu rencontrer la majeure partie des personnes interviewées dans #MeFoot

Ainsi, en chemin, on croise l’ancienne joueuse bretonne Mélissa Plaza, qui désormais œuvre pour l’égalité entre les femmes et les hommes, Béatrice Barbusse, ancienne handballeuse, Laurence Prudhomme, historienne, enseignante et autrice de Histoire du football féminin au XXe siècle, Marie-George Buffet, ex-ministre des Sports. 

On croise également Sandrine Roux, de la Fédération Française de Football, Célia Sasic, footballeuse allemande au palmarès éblouissant, Estrela Paulo, (la seule) agente de joueurs-euses au Portugal, Darlene, attaquante brésilienne, et plein d’autres pointures comme Eugénie Le Sommer, Marinette Pichon ou encore Aïssatou Tounkara.

Toutes apportent un éclairage sur les différences entre les femmes et les hommes dans le milieu du football, en France comme à l’étranger. Et rien ne ramène les femmes à leur soi-disant état naturel. Au contraire, dans le livre de Lucie Brasseur, l’étau se resserre sur les enjeux et les conséquences des constructions sociales visant à opposer les sexes et les genres. Déjà convaincu-e-s par le postulat de départ, on se laisse transporter d’une interview à l’autre, d’une rencontre à la suivante, d’une thématique à l’autre.

LE SEXISME AU QUOTIDIEN

Il apparaît clair, au fil des pages et des chapitres, que les femmes ne sont pas dans les mêmes conditions psychologiques que les hommes, dès le départ. Même si les hommes ne peuvent pas tout miser sur une carrière professionnelle, les raisons sont différentes. Chez eux, la concurrence est féroce.

Tandis que chez les femmes, elles pensent études et reconversion parce qu’elles sont terre à terre et n’ont pas beaucoup d’opportunité, tant la professionnalisation est précaire, hormis quelques clubs qui s’illustrent tant sur le plan national que la scène internationale.

« Quand il y a des femmes dans les instances dirigeantes, elles sont plutôt dans un discours de protection. Souvent, ce sont d’anciennes footballeuses et elles ont tellement conscience, parce qu’elles ont vécu ça, que c’est difficile pour les femmes de jouer au football et d’en vivre, qu’elles sont dans la pédagogie auprès des autres femmes pour qu’elles s’engagent dans un double projet : mener études et vies professionnelles en parallèle. Mais on ne leur dit pas « Deviens professionnelle ». On ne dit pas de foncer. », commente la journaliste. 

Dans le livre, elle cite Corinne Diacre, sélectionneuse des Bleues, qui en interview avait déclaré : « Être une femme dans le football est un combat quotidien. » Parce que le sexisme se loge dans chaque journée d’une footballeuse. 

Il y a les remarques, que ce soit dès le plus jeune âge en équipe mixte (les « ah on va gagner, ils ont une fille dans leur équipe » dont parle Sabrina Delannoy, Eugénie Le Sommer, Mélissa Plaza, etc. ) à la question « Est-ce que savez twerker ? » posée par Martin Solveig à Ada Hegerberg lors de la cérémonie du tout premier ballon d’or remis à une footballeuse.

Et il y a aussi les écarts monumentaux de salaire. Et les différences du quotidien, en terme d’équipements sportifs, comme l’explique Mélissa Plaza. Lucie Brasseur s’intéresse de près à l’affirmation de la sélectionneuse et à la manière dont chacune se confronte à la problématique :

« Quand on a évoqué que pour la première fois, cette année en Coupe du monde, elles allaient avoir leur propre maillot, elles avaient des étoiles dans les yeux. C’est comme si on libérait l’accès à quelque chose à quoi on leur disait non avant. Après, chaque joueuse fait à sa façon, selon son pouvoir aussi d’influence. Par exemple, Ada Hegerberg a refusé de jouer cette Coupe du monde. Martha a porté des chaussures noires avec deux barres dorées pour militer pour l’égalité salariale. Chaque joueuse agit en fonction de ce qui lui semble bon de faire. Mais le message global, c’est qu’elles ne veulent pas être traitées au rabais ! »

NE PAS LAISSER RETOMBER LE SOUFFLET

Le chemin est long et laborieux. Mais par la force des combats des anciennes et des actuelles et par les compétences démontrées au cours des dernières compétitions (les femmes doivent, dans tous les domaines, toujours redoubler d’effort pour prouver des valeurs similaires à celles des hommes), les joueuses marquent petit à petit leur Histoire.

À la lecture de #MeFoot, on s’indigne et on se révolte face à ce milieu machiste (qui n’est hélas pas le seul) mais aussi on puise dans la détermination des joueuses et dans l’expertise des intervenant-e-s pour nourrir l’espoir que l’élan fédérateur créé par les Bleues et par toutes les actrices de ce Mondial ne s’arrêtera pas le 7 juillet. 

Aussi optimiste que fataliste, on passe par des émotions éparses et divergentes, et pourtant la conviction profonde qu’on parviendra à bouger les mentalités et à resserrer les écarts entre footballeurs et footballeuses se tient intact dans notre esprit. Une conviction renforcée par celle de Lucie Brasseur :

« La Coupe du monde est un vrai levier pour les petites filles, ça c’est certain. On est en train de se créer un vivier de futures footballeuses. C’est fort possible que ça retombe vite mais si déjà en septembre, on arrive à les accueillir correctement dans le cadre des activités extrascolaires, ce sera déjà une bonne chose. »

Le petit bémol : « Tout ça, c’est plein de points d’interrogation, de question de responsabilité de la Fifa, etc. » Le Mondial est terminé et il reste encore une multitude de points à examiner de près pour réduire les inégalités entre les femmes et les hommes dans le domaine du football entre autre. 

Ce qui nous inquiète aussi, c’est cette fâcheuse tendance qu’on entend dans les gradins visant à appeler les joueuses par leur prénom, là où on nomme les joueurs par leur nom de famille. Quand on en parle avec Lucie Brasseur, elle comprend l’inquiétude et la méfiance mais nous répond :

« Je vois bien ce que vous voulez dire. C’est une forme d’infantilisation, genre « elles sont bien mignonnes ». C’est vrai que moi ça ne me choque pas parce que je suis franco-brésilienne et qu’au Brésil, c’est super normal d’appeler les joueurs et les joueuses par le prénom. Mais c’est vrai qu’on le fait aussi pour les garçons… Là où moi je ne m’inquiète pas trop à ce sujet, c’est que ça, c’est dans les stades. Et ça veut dire que les gens se sentent proches des joueuses et l’engouement populaire vient de là. Et ce qui est rassurant, c’est que dans les commentaires de match, ils font attention à bien dire les prénoms et les noms. »

Ce qui est rassurant également, c’est qu’il y a plein d’actions à entreprendre et que chacun-e peut faire un ou des gestes à son échelle. Et pour commencer, lire #MeFoot est un pas dans l’intérêt que l’on peut porter à un sujet qui dépasse la pratique sportive puisqu’il vient s’imbriquer dans un large sujet de société. 

 

  • L’enquête de Lucie Brasseur donnera également lieu à un documentaire, comme elle l’explique dans le livre pour lequel elle est accompagnée de Marc, un cameraman avec qui elle a l’habitude de collaborer. Au moment où nous écrivons ces lignes, aucune date n’a encore été fixée pour la diffusion mais l’autrice nous indique que le documentaire sera visible sur la chaine du CNOSF (Comité National Olympique et Sportif Français), lancée en prévision des JO de Paris sur la TNT.

Célian Ramis

Camila Sandoval, le rêve de la sélection colombienne de football

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Pour Camila Sandoval, devenir footballeuse professionnelle ne pouvait pas être une réalité. Elle nous explique pourquoi. L’occasion de réaliser le cinquième épisode de notre série sur la Coupe du monde féminine de football : une joueuse qui a côtoyé la sélection colombienne de très près.
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Devenir footballeuse professionnelle, Camila Sandoval, 25 ans, a fait une croix dessus. Parce qu’elle est née trop tôt. Ou plutôt que la ligue professionnelle s’est développée trop tard en Colombie, son pays natal. Aujourd’hui, elle ne boude pas son plaisir devant le Mondial 2019 et vibre avec les footballeuses à chaque match. Son ticket pour la finale à Lyon en poche, elle accepte humblement de nous raconter son parcours. L’occasion de réaliser le cinquième épisode de notre série sur la Coupe du monde féminine de football : une joueuse qui a côtoyé la sélection colombienne de très près. 

Elle a joué au baseball, fait de la natation, pratiqué du tennis et du patin à roulettes avant d’enfiler le short et les crampons. Dans sa famille, personne ne jouait au foot mais sa mère était très sportive et son père un soutien. En 2008, elle commence à jouer avec des garçons puis des filles, elle a 14 ans et c’est la première année que la sélection colombienne se qualifie pour la Coupe du monde de football.

Au bout d’un an, elle change d’équipe et rejoint un autre club de Bogota, plus reconnu. Pas évident pour elle de définir ce qui lui plait dans ce sport. Outre la sensation d’accomplissement lorsqu’elle marque un but, c’est l’aspect collectif qui la prend aux tripes : « L’équipe, c’est comme une famille. Ce n’est pas juste des gens avec qui tu es à l’entrainement, ça va au-delà de l’amitié. »

Elle s’entraine tous les jours après l’école mais aussi le samedi matin. Et le dimanche, elle joue les matchs. « C’est le pic » de sa préparation physique et pourtant, elle n’envisage pas la professionnalisation. 

« C’était plutôt un rêve qu’une réalité. J’avais très envie mais c’était très compliqué à cette époque en Colombie : la ligue professionnelle n’existait pas ! »
explique calmement Camila Sandoval. 

Elle s’est fait une raison, elle n’a pas lâché le football mais elle a opté pour un autre rêve, celui d’étudier aux Etats-Unis. Elle commence son cursus universitaire à Bogota, en ingénierie, et en parallèle joue avec la sélection colombienne des moins de 17 ans.

« J’étais dans la présélection, j’ai fait tout le processus de recrutement. On était 25 mais il en fallait 23, je n’ai pas été retenue. J’étais jeune et je n’ai même pas demandé pourquoi. Ça a été très dur pour moi car je pensais vraiment que j’étais choisie. », poursuit-elle. 

La chance va lui sourire à nouveau quelques semaines plus tard. Alors qu’elle passe la soirée avec ses parents et des ami-e-s à eux, ils évoquent une connaissance qui vient des USA pour attribuer des bourses sportives à des joueuses. La pression monte, elle sait que le match qu’elle fera contre l’équipe de l’université – qu’elle connaît bien puisqu’elle a joué dedans – sera décisif.

Si la première proposition d’aller jouer à l’université militaire de Caroline du Sud n’est pas du tout adaptée pour elle, la seconde ne lui échappe pas. Elle saisit l’opportunité de poursuivre ses études d’ingénieure en Alabama avec une bourse et le plaisir de jouer tous les jours. Uniquement durant la saison de soccer, « les Etats-Unis fonctionnant par saison et non par année ».

Lors de sa dernière année d’université, elle se blesse. Aux ligaments croisés. Elle n’a pas aucun espoir d’intégrer une équipe professionnelle : « Ça n’a pas été trop dur à ce moment-là parce que je pensais vraiment pas qu’ils allaient faire une ligue professionnelle. Je suis rentrée en Colombie en 2015, j’ai commencé ma carrière d’ingénieure et la ligue a été lancée en 2017. »

Grande et bonne nouvelle pour le développement du football ! Néanmoins, Camila Sandoval explique qu’économiquement, la ligue rencontre de grandes difficultés, ayant bien du mal à être rentable. Pourquoi ? Parce que les matchs des footballeuses colombiennes ne sont pas particulièrement suivis, « comme dans le reste du monde… »

Elle regrette le manque de publicité autour des joueuses. Pour elle, la diffusion d’information autour des matchs est mauvaise :

« Il faut investir, mettre l’argent, faire de la publicité. Les gens sont attirés par le foot féminin mais personne ne sait quand sont les matchs, quelles ligues existent, où sont les clubs… Les filles jouent bien, les gens aiment les regarder jouer. Oui il y a de l’intérêt mais je crois que c’est médiatique… »

La Coupe du monde 2019 prouve qu’il y a un intérêt certain pour le football. L’engouement de chaque pays pour son équipe est un fort indicateur de réussite en ce sens. Mais que se passera-t-il si la France perd contre les Etats-Unis (le 7 juillet, les Etats-Unis ont vaincu les Pays-Bas en finale de la Coupe du monde de football / l’interview se déroule quelques minutes avant le coup d’envoi du quart de finale qui oppose les Bleues aux championnes en titre, ndlr) ?

Elle redoute une perte de vitesse dans ce bel élan fédérateur. « Aux Etats-Unis, c’est déjà le sport le plus populaire côté féminin. C’est plus avantageux pour le foot féminin si la France gagne. Sinon, on va perdre l’intérêt. », redoute-t-elle.

Et on le sait, derrière cet intérêt figure de grands enjeux. Celui des représentations non genrées. Celui de l’espoir d’avoir enfin des rôles modèles de footballeuses. « Les inégalités sont présentes partout. En fonction de la couleur de peau, de la religion, du sexe, etc. Parfois on n’est pas conscient-e-s de tout ça mais ce n’est pas normal que les petites filles ne puissent pas jouer au foot ! », s’insurge-t-elle. 

Et quand on lui demande si en Colombie le regard est différent, elle nous fait part d’une anecdote révélatrice de la pensée collective : « En Colombie, oui, on peut jouer au foot en étant une fille mais… Un jour, quand j’étais à l’école primaire, mes parents ont été convoqués. La maitresse leur a dit qu’il y avait un problème avec moi car je ne parlais que de sport, que de formule 1 et que je ne parlais qu’avec des garçons. Ma mère n’a pas compris le problème. Elle a dit « C’est quoi le problème ? À la maison le week-end, elle regarde la formule 1 avec moi donc c’est normal ensuite qu’à l’école elle raconte son week-end. » J’ai compris à ce moment-là que j’aurais toujours le soutien de ma famille. Je n’ai pas vécu les inégalités dans ma famille mais en dehors oui, j’ai bien compris… »

Parce qu’en dehors, au-delà d’une enseignante qui ne comprend pas qu’une enfant franchisse les barrières invisibles imposés par son sexe et son genre (rappelons que Camila a 25 ans, c’est donc encore récent), elle s’est entrainé tous les jours sur le terrain « sans être pro, en payant le club pour pouvoir jouer même et en payant un équipement, etc. » Les moyens ne sont pas les mêmes. 

D’où l’importance de continuer à soutenir les Bleues malgré la déception de leur élimination aux portes de la demi finale et aux portes des qualifications pour les JO 2020. Désormais, les joueuses de Corinne Diacre se concentrent sur l’Euro 2021 pour être au rendez-vous. Et nous aussi.

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