Célian Ramis

Rassemblement politique et syndical contre les féminicides

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Le 27 septembre se tenait, à Rennes, le premier des 3 rassemblements, destinés à rappeler au gouvernement que les moyens et actions « promis-es » contre les violences conjugales ne sont pas à la hauteur des besoins et des attentes.
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« Forces politiques de gauche et de progrès, syndicats, associations féministes et d’accompagnement des femmes victimes » (selon le communiqué) ont lancé à Rennes trois appels au rassemblement pour lutter contre les violences faites aux femmes. Vendredi 27 septembre se tenait, à République, le premier d’entre eux, destiné à rappeler au gouvernement et son Grenelle contre les violences conjugales que les moyens et actions « promis-es » ne sont pas à la hauteur des besoins et des attentes. 

Du 3 septembre au 25 novembre 2019, le gouvernement a lancé le Grenelle contre les violences conjugales. Très décrié pour l’absence de réels moyens – financiers mais pas que - mis en place pour lutter contre les inégalités hommes/femmes, on peut se demander s’il s’agit là d’une énième action de communication pour affirmer que l’égalité entre les femmes et les hommes figure en tête de liste des priorités du quinquennat macronien ?

Le Grenelle fait en tout cas miroiter des places d’hébergement supplémentaires pour les femmes victimes de violences, un dispositif d’accès à des logements, l’ouverture 24h/24 et 7j/7 du numéro d’urgence 3919…

Quand ? Avec quels moyens ? Les réponses restent vagues et imprécises dans tous les discours de Marlène Schiappa, secrétaire d’Etat chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, qui dressait un premier bilan quinze jours après le lancement en grande pompe du Grenelle.

Sans budget supplémentaire, les associations et structures féministes, les dispositifs d’aide aux femmes victimes de violences conjugales, ne peuvent intervenir à hauteur de l’urgence et de la demande. Sans formation des forces de l’ordre, des travailleurs sociaux, du personnel des enseignant-e-s, des professionnel-le-s de la santé, des membres de la Justice, les féminicides resteront atrocement nombreux et terriblement impunis.

LE LONG COMBAT DES ASSOCIATIONS

Depuis le début de l’année, plus de 110 femmes ont été tuées par leurs conjoints ou ex-conjoints. C’est bien ce que rappellent les messages collés ou pochés sur les murs et trottoirs de la ville de Rennes depuis plusieurs semaines par des militantes féministes, invitant les Rennais-es à se mobiliser contre les féminicides et à prendre part à la marche contre les violences faites aux femmes, organisée par le collectif Nous Toutes 35, le 23 novembre (la manifestation aura également lieu dans d’autres villes de France).

C’est ce que dénoncent tout au long de l’année les militantes féministes, à travers des conférences, des happenings, des mobilisations, etc., alertant sur les (mauvais) traitements médiatiques et judiciaires qui minimisent souvent la parole des victimes et l’acte en lui-même, le caractérisant de « drame passionnel » ou de « drame familial ».

Au quotidien, les associations féministes œuvrent, au sein d’une plateforme d’aide aux victimes (Asfad, CIDFF, UAIR, Planning Familial 35, SOS Victimes 35), à la mise en sécurité, l’aide, l’accompagnement et la reconstruction des femmes victimes de violences, soutenues par les collectivités à hauteur de leurs faibles enveloppes, les budgets Droits des femmes et Egalité entre les femmes et les hommes étant toujours largement insuffisants.

MOBILISATION POLITIQUE ET SYNDICALE

À République, le 27 septembre, on aperçoit les drapeaux des Jeunes Socialistes, de la France Insoumise, de la CGT, de Solidaires, de Lutte Ouvrière, d’Iskis – centre LGBT de Rennes et de Zin 35 (association des femmes kurdes à Rennes). Des pancartes « Aux femmes assassinées, la patrie indifférente », « La jeunesse emmerde le Front Patriarcal » ou encore « 17 – Je me fais battre par mon mari – Merci de patienter - + 1 morte » trônent contre les arcades.

« Monica, Pascale, Séverine, Nadine, Béatrice, Charline, Patricia, une femme, Céline, Josette, Gaëlle, une femme, Ginette, Ilal, Julie, Georgette, Dolores, Dalida, Sandra, une femme, Mouna, Mariette, Dounia, Justine… », les 110 prénoms des femmes assassinées par leurs conjoints ou ex-conjoints depuis le 1erjanvier 2019 sont déclamés au micro. 

Les discours rappellent qu’elles ont été « fusillées, poignardées, brûlées, défenestrées, égorgées, noyées, étouffées, tuées à coups de marteau… ». Que 60 000 euros par Département ne suffisent pas, là où il en faudrait minimum 6 millions. Que « la lutte a besoin de moyens à la hauteur des enjeux » afin que les associations, collectivités, etc. puissent combattre « ce fléau social ».

Plusieurs dizaines de personnes ont répondu ce jour-là à l’appel des « Forces politiques de gauche et de progrès, des syndicats, des associations féministes et d’accompagnement des femmes victimes ». Pourtant, sur place, elles sont peu nombreuses les associations féministes et d’accompagnement des femmes victimes.

OÙ SONT LES ASSOS ?

« Certaines sont venues avec leur drapeau, comme Iskis ou Zin, l’association des femmes kurdes. Il y avait aussi des représentants qui sont venus à titre individuel. Je crois que les associations ont la volonté de rester neutres politiquement, ce que je comprends. », explique Béatrice Hakni-Robin, membre de la Fédération socialiste d’Ille-et-Vilaine. 

Mais aucune ne figure dans les signataires de l’appel, ni n’est mentionnée dans les discours. On s’interroge, au même titre que certaines militantes présentes, sur l’intention de ce rassemblement politique et syndical.

« Il est important de se mobiliser sur ces grands sujets de société pour modifier nos rapports, inscrits dans notre société et fondés sur des rapports de domination. », souligne Béatrice Hakni-Robin.

Mais qu’en est-il de ces sujets-là au sein des partis politiques et des syndicats, non exempts des rapports de domination et des violences engendrées par les inégalités entre les hommes et les femmes ? « C’est vrai que ces sujets-là ne sont pas très discutés dans nos partis et syndicats. C’est l’occasion qu’ils soient mis à l’agenda politique. Il est temps que ces violences qui font aujourd’hui parties de la normalité passent dans l’inacceptable, l’interdit.»

Elle poursuit : « Je sais combien les associations sont mobilisées et que leurs combats sont solides et nombreux. Il faut que le politique s’engage dans ce combat là. Et je suis convaincue que le politique a tout son sens dans ce rassemblement face au Grenelle car on n’entend pas les associations à ce propos. Je ne vois pas de réactions associatives. », souligne Béatrice Hakni-Robin. 

VIGILANCE FACE AU GRENELLE

Pourtant, les réactions sur les réseaux sociaux ont été nombreuses. Toutes appelant à la vigilance face à ce Grenelle, afin qu’il ne soit pas qu’une action de communication. Dans son communiqué national, le Planning Familial écrit, le 5 septembre :

« Si nous pouvons saluer la présence de plusieurs ministres (au lancement du Grenelle, ndlr),montrant que la question doit être transversale et traitée à tous les niveaux, ainsi que l’annonce de certaines mesures demandées par les associations concernant l’autorité parentale ou l’audit de 400 commissariats pour améliorer l’accueil des victimes de violences de couple, nous regrettons que certaines annonces et bilans fassent écho à divers rapports et préconisations déjà existants : les bracelets électroniques, la généralisation des prises de plaintes à l’hôpital, l’augmentation des places d’hébergement ou encore des mesures de prévention à l’école… »

Véronique Séhier, qui signe le communiqué, détaille également : « Nous déplorons le manque d’annonces budgétaires qui accompagnement ces annonces : il faudrait 6 millions d’euros au moins pour garantir aux 12 millions d’élèves, prévention et éducation dès le plus jeune âge lors des séances d’éducation à la sexualité (permettant de comprendre les violences, et les notions d’intimité et de protection), une campagne de prévention régulière dans les établissements scolaires et pour le grand public afin de faire évoluer les mentalités. Il faudrait encore pour la formation des policiers, des professionnel-le-s sociaux, médicaux, enseignant-e-s et toujours de l’argent pour garantir aux victimes une prise en charge rapide et une protection (quand il faut parfois 3 semaines pour avoir une ordonnance de protection faute du manque de professionnel-le-s…). Toutes ces mesures devant s’accompagner d’une augmentation du nombre de professionnel-le-s sur le terrain dans tous ces domaines…

Nous regrettons également le manque d’annonces concernant la santé, quand nous voyons le nombre important de violences dépistées lors de consultations gynécologiques et l’impact sur la santé des victimes, le manque d’annonces concernant la prise en charge des auteurs de violences : nous ne pouvons plus tolérer que les auteurs sortent de prison sans avoir été pris en charge de manière éducative et psychologique, comme c’est le cas depuis longtemps au Canada. »

ASSOCIATIONS ET COLLECTIFS FÉMINISTES : QUEL APPEL ?

À Rennes, le Planning Familial ne s’est pas encore positionné concernant les rassemblements organisés par les forces politiques et syndicales, comme nous l’explique Mathilde Lefèvre, présidente du PF 35, mais devrait apporter une réponse dans les prochaines semaines, pour le 2erassemblement, fixé au 17 octobre, à République.

Du côté de Nous Toutes 35, Appoline Morinière signale que le collectif n’avait pas les forces nécessaires à ce moment-là (en raison de la rentrée et de la préparation de la marche du 23 novembre) pour être présentes en nombre ni le 27 septembre ni dans l’organisation de la mobilisation. Et indique également que Nous Toutes 35, en tant que jeune collectif, n’a pas souhaité – voyant qu’aucune association féministe n’était signataire de l’appel - être la seule organisation à prendre position.

« Nous avons donc décliné la proposition tout en partageant les réserves et critiques émises au sujet du Grenelle et en étant convaincues qu’une mobilisation d’ampleur sur le sujet des violences faites aux femmes est nécessaire. », conclut la militante. 

L’association Osez le Féminisme 35 a été prévenue par mail « qu’avait lieu ce rassemblement mais ce n’était pas un message qui nous invitait à la co-organiser/être signataires, il s’agissait de nous inviter à diffuser l’info dans nos réseaux. » Plusieurs militantes de la structure s’y sont rendues à titre personnel. 

Le prochain rendez-vous politique et syndical contre les féminicides aura lieu le 17 octobre, avec ou sans les associations féministes. Quoi qu’il en soit, une mobilisation d’ampleur est attendue comme chaque année à l’occasion du 25 novembre, journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes. Cette année, la marche est prévue le 23 novembre. Et après ? Qu'en sera-t-il du rassemblement politique et syndical autour des violences faites aux femmes ?

Célian Ramis

Aux portes de la puissance féministe

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Elles prend aux tripes et aux ovaires l’exposition At the Gates - présentée à La Criée jusqu’au 25 août - réunissant des artistes engagées en faveur des droits des femmes et contre les violences politiques et sociales.
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Elles prend aux tripes et aux ovaires l’exposition At the Gates, présentée à La Criée jusqu’au 25 août. Réunissant des artistes engagées en faveur des droits des femmes et contre les violences politiques et sociales, elle donne à entendre et à voir les diverses formes de luttes « portées par des femmes pour les femmes mais pas seulement », souligne Sophie Kaplan, directrice de La Criée. 

R.E.P.E.A.L. C’est le mot que l’on peut lire sur les bannières disposées en quinconce à l’entrée de l’exposition. Abroger en anglais. Ce que demande le collectif d’artistes engagées dans la Campagne pour l’abrogation du 8eamendement (Campaign to repeal the eighth amendment). 

La forme choisie est celle de l’activisme politique à travers des bannières de manifestation, reprenant les codes de l’histoire de l’art et de la religion. Elles réclament la liberté et le respect des femmes décidant d’avorter en Irlande. Dans la Constitution du pays, le 8eamendement, adopté en 1983, reconnaît le droit égal à la vie de mère et de l’enfant à naitre. 

Ainsi, l’avortement est interdit. Sans exception. En 2015, le collectif se crée, dans le but de sensibiliser et de mobiliser autour du droit des femmes à disposer de leur corps. Avec le soutien de milliers d’artistes, les bannières voient le jour et défilent lors de différentes manifestations. Elles ont ensuite été exposées, accompagnées de vidéos de témoignages féminins établissant la liste des conséquences désastreuses du 8eamendement et des discriminations systématiques que cela a entrainé.

L’une des bannières montre d’ailleurs le chemin que les Irlandaises ont à parcourir si elles souhaitent avorter. Munies de quelques affaires personnelles, elles doivent embarquer à bord d’un bateau ou d’un avion, à destination de l’Angleterre. Les difficultés s’accumulent, tant sur le plan économique, que matériel, sans oublier les plans géographique et psychologique.

Après de nombreuses mobilisations militantes en Irlande, le peuple s’est prononcé en 2018 à plus de 66% en faveur de l’abrogation du 8eamendement. Pour Sophie Kaplan, il est intéressant d’ouvrir l’exposition par un sujet de lutte aussi fort en Europe que dans le reste du monde : 

« Quand on voit ce qui se passe en Argentine, dans certains états des Etats-Unis ou même en France où même après 40 ans avec la loi Veil, on a retoqué le report des semaines de délai pour avorter… C’est pas gagné ! La subtilité de l’exposition, c’est de parler des femmes, des droits des femmes mais aussi de poser la question de la liberté. » 

Une liberté dont les artistes ne demande plus l’autorisation. Elles la prennent. C’est là le propos du titre de l’exposition, At the gates, se référant en partie à la nouvelle Devant la Loi de Franz Kafka, dans laquelle un homme passe sa vie devant la porte de la Loi, attendant de pouvoir entrer. 

C’est ce qu’explique Tessa Giblin, directrice de la Talbot Rice Gallery à Edimbourg et commissaire de l’exposition At the Gates (très inspirée par la célèbre autrice féministe, enseignante et militante, Silvia Federici).

« Je connaissais une partie de l’exposition, qui réunissait des artistes qui ne sont pas exposées à La Criée parce qu’on n’a pas la même surface non plus, et je connaissais l’œuvre de Jesse Jones. Tessa est venue ici, voir l’espace et on a travaillé ensemble à une forme condensée. Je voulais une adaptation aussi au contexte français, j’ai donc ajouté deux propositions : Camille Ducellier et Histoires d’A. Les deux répondent en plus très bien à l’exposition du musée des Beaux Arts. », souligne Sophie Kaplan. 

Parce qu’en parallèle, à quelques pas du centre d’art contemporain, se trouve l’exposition Créatrices – l’émancipation par l’art, à découvrir au musée des Beaux-Arts jusqu’au 29 septembre 2019 : « Anne Dary, directrice à l’époque, m’en a parlé et on a programmé ça au même moment. La focale de l’expo ici, c’est l’idée de faire entendre des voix de femmes et des luttes portées par des femmes pour les femmes mais pas seulement. »

C’est inspirant et puissant. Au-delà des œuvres en elles-mêmes, pour la plupart difficiles à décrypter sans en avoir les références, ce sont les histoires sous-jacentes qui sont intéressantes. Une fois les codes en main et quelques clés de compréhension, on prend la mesure de la charge émotionnelle et de l’intensité du militantisme.

On navigue au sein d’une force tentaculesque. Les formes diffèrent mais les propos se rassemblent. Ici, on questionne le droit à la différence, la transmission des savoirs, les lieux de pouvoir et de contre pouvoir. On utilise des symboles forts, percutants, parfois brutaux et dérangeants. Certains matériaux semblent anodins, d’autres moins. Tous regorgent de violences.

Fécondité, prostitution, sorcières, violences physiques, psychologiques et sexuelles… Chaque œuvre invite ou force à la réflexion. Au déclic. À la déconstruction. Déconstruction des idées reçues face à la brutalité des réalités vécues.

Sur un écran télévisé, le visage d’une femme est agressé par une main d’homme. La femme subit. Et l’homme lui demande de manière répétitive et de plus en plus agressive « Comment veux-tu être gouvernée ? » (« How do you want to be governed » est le titre de l’œuvre), elle reste impassible. Dans sa vidéo, Maja Bajevic reprend le travail de Rasa Todosijevic en 1976, intitulé « What is art ? ». Elle montre la résistance, travail de chaque instant.

Quelques mètres plus loin, une autre vidéo dévoile un groupe de femmes, brodant un grand drap blanc, exposé également à La Criée. Ce sont les œuvres de Teresa Margolles qui pendant plusieurs années a récupéré dans les morgues des linceuls de femmes ayant subi une mort violente.

Durant trois années, l’artiste a invité des femmes de différentes communautés des Amériques (dont les Kunas du Panama, les Taharamaras de Mexico et les Mayas au Guatemala) à réaliser des broderies sur ces tissus. Réunies en groupe autour de la broderie, considérée comme une tache féminine (donc secondaire) et non comme un art, les femmes échangent autour de leurs conditions en fonction de leur sexe et de leur genre mais aussi autour des problématiques sociales et environnementales qu’elles traversent.

« De par la broderie (et on notera que les bannières de manifestation contre le 8eamendement sont aussi constituées de broderie), elles réaffirment la puissance de la communauté des femmes. Elles parlent d’accouchement, de relations mais aussi de la déforestation. On voit à quel point les luttes des femmes sont prises dans des luttes plus générales. L’exposition interroge notre capacité de résistance et de liberté par le focus féminin. »
explique Sophie Kaplan, passionnée par le sujet dont la richesse n’est plus à démontrer. 

L’ensemble des discussions, l’art de la broderie, la récupération des symboles, marquent la transmission des savoirs qui ont perduré dans le temps et résonnent avec le partage des expériences intimes comme acte politique.

Le corps des femmes n’appartient pas aux hommes. Le corps des femmes n’appartient pas à la société. Le corps ne peut appartenir qu’à l’individu qui l’occupe, le remplit, se construit dedans et avec.

« Le film de Camille Ducellier, avec 5 portraits, montre des images directes, des images tranchantes. Elle montre une relation au plaisir qui sort des clichés de la jeune et jolie femme qui se fait pénétrer. Les vieilles moches aussi ont le droit de jouir. Les vieux mecs aussi ! Plus largement sur At the gates, je n’ai jamais vu autant de vulves dans une exposition. Et ça interroge sur la représentation du sexe féminin : comment montrer ce qui est caché et pourquoi c’est caché ? On voit beaucoup plus de représentations du sexe masculin… », souligne la directrice de La Criée. 

Elle conclut son propos par l’objectif général de l’exposition : « Il est important de montrer que les artistes sont dans la société, qu’elles et ils portent les questions de société et qu’il y a de multiples formes de le faire. »

Célian Ramis

#MeFoot : un road trip au pays des inégalités

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Lucie Brasseur est l'autrice de #MeFoot. L’occasion pour nous de réaliser le sixième et dernier épisode de notre série sur la Coupe du monde féminine de football : le road trip d’une journaliste dans le milieu macho du ballon rond.
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La Coupe du monde de football 2019 est terminée et malheureusement, les Bleues n’ont pas gagné. Mais elles ont suscité de l’intérêt, battant des records d’audience (que les chaines et les organisateurs n’avaient pas envisagés…), permettant ainsi de s’interroger sur la place des femmes dans le milieu du football. Un sujet qui a passionné la romancière et journaliste Lucie Brasseur, qui rend compte de son enquête dans le livre #MeFoot, publié le 13 juin dernier aux éditions du Rêve (et prochainement dans un documentaire télévisé). Elle était en dédicace à Rennes, au centre culturel Leclerc – Cleunay le 20 juin. L’occasion pour nous de réaliser le sixième et dernier épisode de notre série sur la Coupe du monde féminine de football : le road trip d’une journaliste dans le milieu macho du ballon rond. 

Valentin a 6 ans et demi quand il se tourne vers sa belle-mère en lui disant qu’il ne savait pas que les filles avaient le droit de jouer au football. « Ça a été comme s’il m’assommait d’un uppercut version poids lourd. Les mots étaient là terrifiants. Comment ce petit garçon, élevé dans une famille plutôt très féministe, pouvait-il poser de tels mots ? « Avoir le droit ? » J’en frissonne encore. », souligne Lucie Brasseur dans l’introduction de son livre. 

Le pire, c’est que Valentin met le doigt sur une réalité. Plusieurs réalités même. La plus fragrante, c’est celle de l’ignorance quant à l’existence de la pratique du football par les femmes. Celle qui souligne à quel point les inégalités sont grandes, en terme de visibilité tout d’abord, en terme de légitimité et de reconnaissance, ensuite.

L’autre réalité, qui s’insinue dans la remarque prétendument naïve de Valentin, c’est que pendant plusieurs dizaines d’années, le football a bel et bien été interdit aux femmes, pour d’obscures raisons que feu Pierre de Coubertin pourrait nous expliquer (mais on vomirait nos tripes à l’idée de l’écouter déblatérer des conneries essentialistes sur les femmes).

Entre l’interdiction et l’autorisation, visiblement nouvelle pour le petit garçon, il y a d’autres tristes réalités, comme le fait que les filles ne jouent pas au ballon rond dans la cour de récréation, parce qu’elles sont souvent moquées ou méprisées par leurs homologues masculins. Elles sont d’ailleurs rarement encouragées à des pratiques sportives mêlant physique et stratégie, on leur préfère (encore) la danse et la gymnastique (qui, il serait temps de le réaliser, sont des disciplines sportives exigeantes en terme physique)…

LA POLITIQUE DU « RIEN »

« Le sujet est très peu traité. Pourtant, ça explose ! De 40 000 à 200 000 licenciées en quelques années… Dans la presse, dans la rue, dans les arts, personne ne se saisit du sujet. Dans les footballeuses d’aujourd’hui, il n’y a pas une génération qui a eu des modèles pour se projeter. Maintenant, grâce aux Coupes du monde de 2011, 2015 et celle de maintenant, de 2019, il y a Wendy Renard et Eugénie Le Sommer que les enfants citent majoritairement. Mais ça reste un sujet peu traité. À partir du moment où y a rien sur le sujet, comment s’y intéresser ? C’est juste dingue… », s’insurge Lucie Brasseur.

C’est ce vide, cette zone du quasi rien, qui lui a titillé l’esprit critique, journalistique et féministe. Parce qu’elle a écumé les rayons des librairies et n’y a rien trouvé là non plus. Ou une fois, elle est tombée sur l’autobiographie de Marinette Pichon, meilleure buteuse de l’histoire des Bleues (bientôt détrônée par Eugénie Le Sommer) et pionnière du football féminin. C’est tout.

L’espoir, c’est que la Coupe du monde de football 2019 crée un engouement suffisamment fort et solide pour qu’il y en ait d’autres, pour qu’il y en ait plus. Il y a depuis début mai, celui de Mélissa Plaza, Pas pour les filles ?, et depuis mi juin, le sien, #MeFoot. Mais Lucie Brasseur n’est pas du genre à s’en satisfaire quand partout autour d’elle, elle ne voit aucune publicité, aucune communication : 

« Je fais un tour de France pour la promo du livre et je vais dans les grandes surfaces. Rien n’avait été prévu pour la Coupe du monde 2019 ! Rien, rien, nulle part. Dans les rues, je ne vois rien. Ah si, je vois des pubs pour les gars en septembre. Pour les gars, là, oui, on en entend parler. Et c’est leur rentrée, c’est pas non plus le Mondial ! Sur les filles, rien, rien, tout le monde s’en fout. La plupart des gens ont découvert qu’il y avait une grande compétition 8 jours avant le coup d’envoi ! Combien de personne s’y intéresse réellement ? »

AVANCER ENSEMBLE

Son désarroi et sa colère, on les partage avec elle. Parce que l’on est convaincu-e-s des propos que tient Marinette Pichon dans la conclusion de la préface : « Parce que, comme sur un terrain, nous sommes toutes les deux (elle fait référence à Lucie Brasseur et à elle-même, ndlr) persuadées que l’on peut aller plus loin, si l’on avance ensemble. »

C’est d’ailleurs grâce à l’ancienne footballeuse professionnelle - qui est la première a avoir été jouer aux Etats-Unis pour gagner de l’argent grâce au foot – que le livre a pris vie et surtout a pris des allures de road trip. En France, en Allemagne, en Espagne… la journaliste est sans appel, c’est Marinette qui lui a ouvert les portes et c’est grâce à elle qu’elle a pu rencontrer la majeure partie des personnes interviewées dans #MeFoot

Ainsi, en chemin, on croise l’ancienne joueuse bretonne Mélissa Plaza, qui désormais œuvre pour l’égalité entre les femmes et les hommes, Béatrice Barbusse, ancienne handballeuse, Laurence Prudhomme, historienne, enseignante et autrice de Histoire du football féminin au XXe siècle, Marie-George Buffet, ex-ministre des Sports. 

On croise également Sandrine Roux, de la Fédération Française de Football, Célia Sasic, footballeuse allemande au palmarès éblouissant, Estrela Paulo, (la seule) agente de joueurs-euses au Portugal, Darlene, attaquante brésilienne, et plein d’autres pointures comme Eugénie Le Sommer, Marinette Pichon ou encore Aïssatou Tounkara.

Toutes apportent un éclairage sur les différences entre les femmes et les hommes dans le milieu du football, en France comme à l’étranger. Et rien ne ramène les femmes à leur soi-disant état naturel. Au contraire, dans le livre de Lucie Brasseur, l’étau se resserre sur les enjeux et les conséquences des constructions sociales visant à opposer les sexes et les genres. Déjà convaincu-e-s par le postulat de départ, on se laisse transporter d’une interview à l’autre, d’une rencontre à la suivante, d’une thématique à l’autre.

LE SEXISME AU QUOTIDIEN

Il apparaît clair, au fil des pages et des chapitres, que les femmes ne sont pas dans les mêmes conditions psychologiques que les hommes, dès le départ. Même si les hommes ne peuvent pas tout miser sur une carrière professionnelle, les raisons sont différentes. Chez eux, la concurrence est féroce.

Tandis que chez les femmes, elles pensent études et reconversion parce qu’elles sont terre à terre et n’ont pas beaucoup d’opportunité, tant la professionnalisation est précaire, hormis quelques clubs qui s’illustrent tant sur le plan national que la scène internationale.

« Quand il y a des femmes dans les instances dirigeantes, elles sont plutôt dans un discours de protection. Souvent, ce sont d’anciennes footballeuses et elles ont tellement conscience, parce qu’elles ont vécu ça, que c’est difficile pour les femmes de jouer au football et d’en vivre, qu’elles sont dans la pédagogie auprès des autres femmes pour qu’elles s’engagent dans un double projet : mener études et vies professionnelles en parallèle. Mais on ne leur dit pas « Deviens professionnelle ». On ne dit pas de foncer. », commente la journaliste. 

Dans le livre, elle cite Corinne Diacre, sélectionneuse des Bleues, qui en interview avait déclaré : « Être une femme dans le football est un combat quotidien. » Parce que le sexisme se loge dans chaque journée d’une footballeuse. 

Il y a les remarques, que ce soit dès le plus jeune âge en équipe mixte (les « ah on va gagner, ils ont une fille dans leur équipe » dont parle Sabrina Delannoy, Eugénie Le Sommer, Mélissa Plaza, etc. ) à la question « Est-ce que savez twerker ? » posée par Martin Solveig à Ada Hegerberg lors de la cérémonie du tout premier ballon d’or remis à une footballeuse.

Et il y a aussi les écarts monumentaux de salaire. Et les différences du quotidien, en terme d’équipements sportifs, comme l’explique Mélissa Plaza. Lucie Brasseur s’intéresse de près à l’affirmation de la sélectionneuse et à la manière dont chacune se confronte à la problématique :

« Quand on a évoqué que pour la première fois, cette année en Coupe du monde, elles allaient avoir leur propre maillot, elles avaient des étoiles dans les yeux. C’est comme si on libérait l’accès à quelque chose à quoi on leur disait non avant. Après, chaque joueuse fait à sa façon, selon son pouvoir aussi d’influence. Par exemple, Ada Hegerberg a refusé de jouer cette Coupe du monde. Martha a porté des chaussures noires avec deux barres dorées pour militer pour l’égalité salariale. Chaque joueuse agit en fonction de ce qui lui semble bon de faire. Mais le message global, c’est qu’elles ne veulent pas être traitées au rabais ! »

NE PAS LAISSER RETOMBER LE SOUFFLET

Le chemin est long et laborieux. Mais par la force des combats des anciennes et des actuelles et par les compétences démontrées au cours des dernières compétitions (les femmes doivent, dans tous les domaines, toujours redoubler d’effort pour prouver des valeurs similaires à celles des hommes), les joueuses marquent petit à petit leur Histoire.

À la lecture de #MeFoot, on s’indigne et on se révolte face à ce milieu machiste (qui n’est hélas pas le seul) mais aussi on puise dans la détermination des joueuses et dans l’expertise des intervenant-e-s pour nourrir l’espoir que l’élan fédérateur créé par les Bleues et par toutes les actrices de ce Mondial ne s’arrêtera pas le 7 juillet. 

Aussi optimiste que fataliste, on passe par des émotions éparses et divergentes, et pourtant la conviction profonde qu’on parviendra à bouger les mentalités et à resserrer les écarts entre footballeurs et footballeuses se tient intact dans notre esprit. Une conviction renforcée par celle de Lucie Brasseur :

« La Coupe du monde est un vrai levier pour les petites filles, ça c’est certain. On est en train de se créer un vivier de futures footballeuses. C’est fort possible que ça retombe vite mais si déjà en septembre, on arrive à les accueillir correctement dans le cadre des activités extrascolaires, ce sera déjà une bonne chose. »

Le petit bémol : « Tout ça, c’est plein de points d’interrogation, de question de responsabilité de la Fifa, etc. » Le Mondial est terminé et il reste encore une multitude de points à examiner de près pour réduire les inégalités entre les femmes et les hommes dans le domaine du football entre autre. 

Ce qui nous inquiète aussi, c’est cette fâcheuse tendance qu’on entend dans les gradins visant à appeler les joueuses par leur prénom, là où on nomme les joueurs par leur nom de famille. Quand on en parle avec Lucie Brasseur, elle comprend l’inquiétude et la méfiance mais nous répond :

« Je vois bien ce que vous voulez dire. C’est une forme d’infantilisation, genre « elles sont bien mignonnes ». C’est vrai que moi ça ne me choque pas parce que je suis franco-brésilienne et qu’au Brésil, c’est super normal d’appeler les joueurs et les joueuses par le prénom. Mais c’est vrai qu’on le fait aussi pour les garçons… Là où moi je ne m’inquiète pas trop à ce sujet, c’est que ça, c’est dans les stades. Et ça veut dire que les gens se sentent proches des joueuses et l’engouement populaire vient de là. Et ce qui est rassurant, c’est que dans les commentaires de match, ils font attention à bien dire les prénoms et les noms. »

Ce qui est rassurant également, c’est qu’il y a plein d’actions à entreprendre et que chacun-e peut faire un ou des gestes à son échelle. Et pour commencer, lire #MeFoot est un pas dans l’intérêt que l’on peut porter à un sujet qui dépasse la pratique sportive puisqu’il vient s’imbriquer dans un large sujet de société. 

 

  • L’enquête de Lucie Brasseur donnera également lieu à un documentaire, comme elle l’explique dans le livre pour lequel elle est accompagnée de Marc, un cameraman avec qui elle a l’habitude de collaborer. Au moment où nous écrivons ces lignes, aucune date n’a encore été fixée pour la diffusion mais l’autrice nous indique que le documentaire sera visible sur la chaine du CNOSF (Comité National Olympique et Sportif Français), lancée en prévision des JO de Paris sur la TNT.

Célian Ramis

Camila Sandoval, le rêve de la sélection colombienne de football

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Pour Camila Sandoval, devenir footballeuse professionnelle ne pouvait pas être une réalité. Elle nous explique pourquoi. L’occasion de réaliser le cinquième épisode de notre série sur la Coupe du monde féminine de football : une joueuse qui a côtoyé la sélection colombienne de très près.
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Devenir footballeuse professionnelle, Camila Sandoval, 25 ans, a fait une croix dessus. Parce qu’elle est née trop tôt. Ou plutôt que la ligue professionnelle s’est développée trop tard en Colombie, son pays natal. Aujourd’hui, elle ne boude pas son plaisir devant le Mondial 2019 et vibre avec les footballeuses à chaque match. Son ticket pour la finale à Lyon en poche, elle accepte humblement de nous raconter son parcours. L’occasion de réaliser le cinquième épisode de notre série sur la Coupe du monde féminine de football : une joueuse qui a côtoyé la sélection colombienne de très près. 

Elle a joué au baseball, fait de la natation, pratiqué du tennis et du patin à roulettes avant d’enfiler le short et les crampons. Dans sa famille, personne ne jouait au foot mais sa mère était très sportive et son père un soutien. En 2008, elle commence à jouer avec des garçons puis des filles, elle a 14 ans et c’est la première année que la sélection colombienne se qualifie pour la Coupe du monde de football.

Au bout d’un an, elle change d’équipe et rejoint un autre club de Bogota, plus reconnu. Pas évident pour elle de définir ce qui lui plait dans ce sport. Outre la sensation d’accomplissement lorsqu’elle marque un but, c’est l’aspect collectif qui la prend aux tripes : « L’équipe, c’est comme une famille. Ce n’est pas juste des gens avec qui tu es à l’entrainement, ça va au-delà de l’amitié. »

Elle s’entraine tous les jours après l’école mais aussi le samedi matin. Et le dimanche, elle joue les matchs. « C’est le pic » de sa préparation physique et pourtant, elle n’envisage pas la professionnalisation. 

« C’était plutôt un rêve qu’une réalité. J’avais très envie mais c’était très compliqué à cette époque en Colombie : la ligue professionnelle n’existait pas ! »
explique calmement Camila Sandoval. 

Elle s’est fait une raison, elle n’a pas lâché le football mais elle a opté pour un autre rêve, celui d’étudier aux Etats-Unis. Elle commence son cursus universitaire à Bogota, en ingénierie, et en parallèle joue avec la sélection colombienne des moins de 17 ans.

« J’étais dans la présélection, j’ai fait tout le processus de recrutement. On était 25 mais il en fallait 23, je n’ai pas été retenue. J’étais jeune et je n’ai même pas demandé pourquoi. Ça a été très dur pour moi car je pensais vraiment que j’étais choisie. », poursuit-elle. 

La chance va lui sourire à nouveau quelques semaines plus tard. Alors qu’elle passe la soirée avec ses parents et des ami-e-s à eux, ils évoquent une connaissance qui vient des USA pour attribuer des bourses sportives à des joueuses. La pression monte, elle sait que le match qu’elle fera contre l’équipe de l’université – qu’elle connaît bien puisqu’elle a joué dedans – sera décisif.

Si la première proposition d’aller jouer à l’université militaire de Caroline du Sud n’est pas du tout adaptée pour elle, la seconde ne lui échappe pas. Elle saisit l’opportunité de poursuivre ses études d’ingénieure en Alabama avec une bourse et le plaisir de jouer tous les jours. Uniquement durant la saison de soccer, « les Etats-Unis fonctionnant par saison et non par année ».

Lors de sa dernière année d’université, elle se blesse. Aux ligaments croisés. Elle n’a pas aucun espoir d’intégrer une équipe professionnelle : « Ça n’a pas été trop dur à ce moment-là parce que je pensais vraiment pas qu’ils allaient faire une ligue professionnelle. Je suis rentrée en Colombie en 2015, j’ai commencé ma carrière d’ingénieure et la ligue a été lancée en 2017. »

Grande et bonne nouvelle pour le développement du football ! Néanmoins, Camila Sandoval explique qu’économiquement, la ligue rencontre de grandes difficultés, ayant bien du mal à être rentable. Pourquoi ? Parce que les matchs des footballeuses colombiennes ne sont pas particulièrement suivis, « comme dans le reste du monde… »

Elle regrette le manque de publicité autour des joueuses. Pour elle, la diffusion d’information autour des matchs est mauvaise :

« Il faut investir, mettre l’argent, faire de la publicité. Les gens sont attirés par le foot féminin mais personne ne sait quand sont les matchs, quelles ligues existent, où sont les clubs… Les filles jouent bien, les gens aiment les regarder jouer. Oui il y a de l’intérêt mais je crois que c’est médiatique… »

La Coupe du monde 2019 prouve qu’il y a un intérêt certain pour le football. L’engouement de chaque pays pour son équipe est un fort indicateur de réussite en ce sens. Mais que se passera-t-il si la France perd contre les Etats-Unis (le 7 juillet, les Etats-Unis ont vaincu les Pays-Bas en finale de la Coupe du monde de football / l’interview se déroule quelques minutes avant le coup d’envoi du quart de finale qui oppose les Bleues aux championnes en titre, ndlr) ?

Elle redoute une perte de vitesse dans ce bel élan fédérateur. « Aux Etats-Unis, c’est déjà le sport le plus populaire côté féminin. C’est plus avantageux pour le foot féminin si la France gagne. Sinon, on va perdre l’intérêt. », redoute-t-elle.

Et on le sait, derrière cet intérêt figure de grands enjeux. Celui des représentations non genrées. Celui de l’espoir d’avoir enfin des rôles modèles de footballeuses. « Les inégalités sont présentes partout. En fonction de la couleur de peau, de la religion, du sexe, etc. Parfois on n’est pas conscient-e-s de tout ça mais ce n’est pas normal que les petites filles ne puissent pas jouer au foot ! », s’insurge-t-elle. 

Et quand on lui demande si en Colombie le regard est différent, elle nous fait part d’une anecdote révélatrice de la pensée collective : « En Colombie, oui, on peut jouer au foot en étant une fille mais… Un jour, quand j’étais à l’école primaire, mes parents ont été convoqués. La maitresse leur a dit qu’il y avait un problème avec moi car je ne parlais que de sport, que de formule 1 et que je ne parlais qu’avec des garçons. Ma mère n’a pas compris le problème. Elle a dit « C’est quoi le problème ? À la maison le week-end, elle regarde la formule 1 avec moi donc c’est normal ensuite qu’à l’école elle raconte son week-end. » J’ai compris à ce moment-là que j’aurais toujours le soutien de ma famille. Je n’ai pas vécu les inégalités dans ma famille mais en dehors oui, j’ai bien compris… »

Parce qu’en dehors, au-delà d’une enseignante qui ne comprend pas qu’une enfant franchisse les barrières invisibles imposés par son sexe et son genre (rappelons que Camila a 25 ans, c’est donc encore récent), elle s’est entrainé tous les jours sur le terrain « sans être pro, en payant le club pour pouvoir jouer même et en payant un équipement, etc. » Les moyens ne sont pas les mêmes. 

D’où l’importance de continuer à soutenir les Bleues malgré la déception de leur élimination aux portes de la demi finale et aux portes des qualifications pour les JO 2020. Désormais, les joueuses de Corinne Diacre se concentrent sur l’Euro 2021 pour être au rendez-vous. Et nous aussi.

Célian Ramis

Sabrina Delannoy : La tête sur les épaules et le ballon vissé au coeur

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Interview de Sabrina Delannoy à propos de son parcours. L’occasion de réaliser le quatrième volet de notre série sur la Coupe du monde féminine de football : une ancienne capitaine du PSG et de l’équipe de France.
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À 19 ans, elle sort du Centre national de formation et d’entrainement de Clairefontaine et signe au Paris Saint Germain, là où elle fera toute sa carrière au poste de défenseuse mais aussi en tant que capitaine. Pareil en équipe de France. En 2017, elle raccroche les crampons mais reste fidèle à son club puisqu’elle est aujourd’hui la directrice adjointe de la fondation PSG.

Le 26 juin, au lendemain du match Pays Bas – Japon à Rennes qu’elle a commenté en direct sur TMC, Sabrina Delannoy intervenait à Askoria lors d’une conférence – table ronde organisée par l’association Des Elles, intitulée « Le mindset d’une sportive de haut niveau : inspiration pour le leadership au féminin », réunissant autour d’elle Gaëlle Baldassari, coach physio-comportementale et fondatrice du programme « Kiffe ton cycle » et Pierre-Hugues Igonin, préparateur physique des footballeuses du club de Saint-Etienne qui réalise actuellement une thèse sur l’influence des menstruations sur les performances des joueuses. Animant la table ronde ce soir-là, nous avons recueilli les propos de Sabrina Delannoy quant à son parcours. L’occasion de réaliser le quatrième volet de notre série sur la Coupe du monde féminine de football : une ancienne capitaine du PSG et de l’équipe de France. 

 

YEGG : Qu’est-ce qui vous a amenée au football et au football professionnel ?

Sabrina Delannoy : J’ai commencé le football à l’âge de 5 ans, je pense que c’est culturel on va dire car j’étais dans une famille dans laquelle le football prenait beaucoup de place. Et finalement, dès que j’ai marché, j’ai eu un ballon dans les pieds. Ça a commencé comme ça et mes parents m’ont inscrite dans un club de football, au début des années 90.

À cette époque, il n’y avait pas de club de filles donc jusqu’à 14 ans, j’ai joué avec les garçons. Ça m’a aussi aidée à me construire et à me forger un caractère pour la suite. Finalement, petit à petit, j’ai gravi les échelons jusqu’à m’emmener à une carrière professionnelle.

Pour moi, le football, c’était avant tout un moyen de prendre du plaisir, de retrouver mes ami-e-s, de pouvoir me sentir libre de faire ce que j’avais envie de faire. À 26 ans, j’ai pris cette professionnalisation, c’était en 2012, je l’ai prise comme une opportunité d’en faire un métier.

Je peux pas vous dire qu’à 5 ans je rêvais d’être footballeuse professionnelle parce que ce métier n’existait pas. En tout cas, c’est pas ça qui m’a animée ou qui m’a amenée à ce métier-là. Le travail, l’abnégation, un talent aussi forcément avec lequel je suis née, m’ont permis de franchir toutes les étapes.

 

Est-ce qu’il a fallu vous imposer ? On parle de la répartition genrée dans les cours d’école : Est-ce que vous avez vécu ça ? Comment l’avez-vous vécu ? 

Honnêtement, d’aussi loin que je me souvienne, j’ai jamais du me battre pour jouer dans la cour de récréation. Ce que je pense, c’est que c’est parce que je me débrouillais bien que j’étais acceptée. Peut-être que si je m’étais moins bien débrouillée, j’aurais pas été acceptée. Peut-être que ce n’est pas un bon critère pour juger si mon intégration a été bonne ou si on peut en faire une généralité.

J’ai joué de 5 à 14 ans avec le même groupe de garçons qui sont devenus mes copains, je faisais partie de la bande. Ce sont des amis maintenant pour moi. Je suis encore en contact avec eux, on a construit une amitié forte.

Ce qui était compliqué, c’est quand on se déplaçait, on rencontrait que des équipes avec des garçons. Donc là en terme de clichés, j’en ai connus beaucoup. Avant de commencer, il y avait beaucoup de moqueries. C’était il y a 20 ans certes mais c’est pas si vieux.

Ils disaient « Ah il y a une fille dans l’équipe, c’est sur qu’on va gagner. » ! Ça je l’ai entendu toute ma jeunesse. Je souhaite que ces choses changent. Là où j’ai réussi à m’imposer, c’est parce que je réussissais sur le terrain à être meilleure qu’eux ou au moins faire partie de cette équipe. La preuve de la légitimité…

 

Quelle a été la réaction quand vous avez annoncé que vous vouliez être footballeuse ? 

J’ai la chance d’avoir une famille qui a toujours été bienveillante avec moi et surtout qui m’a aidée. Il faut faire beaucoup de sacrifices à titre personnel et ça nécessite également que les parents en fassent aussi.

Au départ, je jouais dans un tout petit club dans le nord de la France et puis petit à petit j’ai été « détectée » au niveau départemental, régional, puis national… ça veut dire qu’il y a des entrainements, des tournois à faire et ça nécessite beaucoup de déplacements.

L’ensemble de ma famille était derrière moi et ils ont pris ça comme une fierté que quelqu’un de la famille aille un peu à l’encontre de tous les préjugés.

 

Quand vous étiez au PSG et en équipe de France, vous étiez défenseuse. En quoi consiste ce poste ?

Pour faire simple, c’est une position sur le terrain où tu dois empêcher les attaquantes de l’équipe adverse de marquer des buts. Il y a le ou la gardien-ne dans les cages qui lui peut utiliser les mains pour ça, nous, on n’a pas le droit. On joue à 4 défenseur-e-s en général dans une équipe. On est un peu le dernier rempart et c’est un peu pour moi les travailleurs de l’ombre.

 

Comment ça se passe quand vous intégrez une équipe pour définir votre position sur le terrain ? 

Je pense que ça se définit surtout par les caractéristiques techniques, athlétiques et un peu dans la personnalité du joueur ou de la joueuse. Si la personne, pour parler de manière globale, est douée dans la frappe, la technique, les dribles, on va plutôt la positionner sur un rôle offensif pour essayer de marquer des buts. J’avais moi des qualités plutôt athlétiques. J’ai pas forcément une technique spectaculaire, c’est pour ça qu’on m’a rapidement positionnée là.

 

Vous êtes rapidement devenue capitaine du PSG et de l’équipe de France. Dans quel état d’esprit vous étiez au moment où on vous a fait cette proposition ? Déjà est-ce que vous pouvez nous expliquer comment ça se passe quand une joueuse devient capitaine ? 

C’est un feeling avec le coach, le staff, qui doit s’appuyer sur une joueuse pour pouvoir être son relais, pour pouvoir faire passer les messages, incarner les valeurs qu’il a envie de faire passer au collectif et à l’équipe.

Donc, moi j’ai fait une saison au PSG, j’ai pris mes marques, je me suis glissée dans un collectif qui existait déjà donc il fallait se faire une petite place. Et puis l’année qui a suivi, le coach m’a demandée en début de saison si j’acceptais d’être la capitaine de l’équipe.

C’est comme ça que ça a commencé. J’étais le relais entre le staff et les joueuses. C’est un rôle qui n’est pas facile. Il faut jauger, savoir quelles informations tu vas récolter auprès des joueuses, ce que tu vas transmettre au coach…

Il faut toujours voir l’intérêt collectif avant ses propres intérêts. C’est une forme de sacrifice finalement mais c’est quelque chose qui m’a toujours animée et j’ai gardé ce brassard pendant plusieurs années.

 

Combien de saisons capitaine ? 

J’ai joué 12 ans au PSG et j’ai du faire 9 ans de capitanat. Il y a eu un moment où je n'étais plus en adéquation avec le coach et du coup ça me prenait beaucoup d’énergie car je n’étais pas tout à fait d’accord avec les messages qu'il voulait véhiculer aux joueuses.

J’essayais de partager ce que les joueuses voulaient partager au coach mais finalement lui, ne faisait pas la distinction entre mes revendications à moi et les revendications collectives. Ça m’a pris trop d’énergie.

J’avais presque 30 ans, j’avais beaucoup donné pour le groupe et je sentais que je n’étais plus la bonne personne pour endosser ce rôle donc j’ai demandé au coach de trouver un autre relais. J’ai estimé qu’à ce moment-là c’était le meilleur choix pour le groupe mais aussi pour moi.

 

Avec le recul, est-ce que vous arrivez à vous dire que vous avez été une bonne capitaine et selon vous, qu’est-ce qui fait une bonne capitaine ? Est-ce qu’il y a une bonne capitaine ? 

Je pense l’avoir été, en tout cas jusqu’à ce moment où je sentais que je ne pouvais pas accomplir pleinement ce rôle. Le fait que ça ait duré 9 ans, je pense que c’est un indicateur de réussite.

Je vais parler de ma personnalité et de la manière dont je me comportais en tant que capitaine… Il y a des choses qui sont indispensables selon moi quand on veut endosser ce rôle de capitaine.

La première qualité, la première valeur pour moi, c’est de montrer l’exemple à toute épreuve, toujours être exemplaire. La deuxième, c’est de faire preuve d’empathie et de bienveillance avec l’ensemble des joueuses.

Pour moi, c’était naturel d’avoir toujours un œil sur les joueuses. Le matin, j’arrivais, je scannais pour me dire si ça allait ou pas. Pour le bien du groupe, il fallait toujours qu’on se sente bien dans l’effectif pour être au top de la performance.

S’il y en avait une qui n’était pas bien, déjà pour moi ça n’allait pas, je savais qu’à terme, ça allait poser soucis pour le groupe et donc c’était un peu travail de l’ombre. J’avais pas la facette dans ma personnalité de la personne qui crie et rameute les troupes. En revanche, j’étais toujours là pour aider la joueuse qui en avait besoin.

Ça fait partie de ma nature de toujours vouloir aller aider l’autre et de toujours faire en sorte que chacun se sente bien. Si toutes les pièces du puzzle se sentent bien, ça contribue à la performance collective.

 

Est-ce que vous, vous vous autorisiez à aller moins bien ? Qui prenait soin de vous ? 

C’est une bonne question. C’est en fait aussi la raison qui m’a poussée à arrêter d’être capitaine. Je pense que j’étais arrivée au bout d’un système et je me suis rendue compte que ça avait ses limites de toujours vouloir donner aux autres.

J’ai eu tendance à ce moment-là de ma carrière à m’oublier, à oublier de m’occuper de moi. Et effectivement il y a eu des moments plus compliqués, où j’étais moins performante, où je prenais moins plaisir, j’étais susceptible, pas au top.

J’ai eu la chance d’être bien entourée à la maison, d’avoir des ami-e-s en dehors du foot, d’avoir un travail à côté et donc d’avoir les pieds sur terre. De me préoccuper d’autre chose que du football… tout ça a fait que j’ai toujours construit une forme d’équilibre.

Mais j’ai pris conscience qu’il fallait que je pense à moi. J’ai entamé à ce moment-là un travail de développement personnel.

 

Quel est le rôle du mental durant toutes ces années où vous vous occupez des autres et où vous êtes réputée pour votre endurance et vos qualités physiques ? Quel est le rôle du mental dans ce quotidien où vous devez jouer, vous n’avez pas le choix… ?

Ça je l’ai découvert aussi sur le tard parce que je ne me posais pas ces questions-là à 20 ans, je fonçais un peu tête baissée. Il y a vraiment eu une période à 28 – 29 ans qui m’a rattrapée et où je me suis dit que je faisais du foot, que j’en avais toujours rêvé, que j’étais dans un des plus grands clubs d’Europe et je prenais moins de plaisir…

Je me suis dit que quelque chose n’allait pas et donc j’ai pris beaucoup de recul. Je suis tombée assez bas niveau moral, niveau mental. Et quand on tombe, on se dit qu’on va arrêter la chute et qu’on va prendre du recul. C’est ce que j’ai réussi à faire.

J’ai été accompagnée par des coachs, des préparateurs mentaux, des psychologues, des thérapeutes qui m’ont aidée à me demander si j’avais vraiment envie de continuer. La réponse était évidemment oui.

Il fallait donc que je revienne aux bases : ce que j’aime. Et ce que j’aime, c’est taper dans un ballon avec mes copines. Ça m’a fait prendre conscience que c’est ça que j’aime. 

 

En parallèle, depuis 2008, vous travaillez à la fondation PSG. Quel était votre rôle à cette époque-là et comment vous en êtes arrivée à votre poste actuel, directrice adjointe de la fondation ?

J’étais animatrice, éducatrice, j’encadrais les séjours de vacances des petits qui ne partaient pas en vacances. On les emmenait en vacances, on leur faisait faire du foot. C’est un métier qui me plaisait bien.

À partir de 2009 – 2010, j’ai voulu terminer mon Master et je l’ai fait en alternance au sein de la fondation et là j’ai commencé à intégrer les bureaux, la phase administrative, l’événementiel.

Je suis devenue chargée de mission en 2010. Ça a duré 7 ans. Pendant cette période-là, il y a eu l’évolution de ma carrière de footballeuse et petit à petit j’avais de moins en moins de temps à accorder à cette partie-là de ma vie professionnelle.

En 2012, je suis devenue pro au niveau du foot. J’étais la seule joueuse à travailler en parallèle de ma carrière. Ça m’a permis d’être au top de mes performances. J’avais trouvé le bon équilibre dans l’évolution de ma carrière.

En 2017, j’ai décidé de mettre fin à ma carrière et avec les dirigeants du Paris Saint Germain, on a créé le poste de directrice adjointe pour que je puisse avoir une transition au sein du club.

 

Comment est-ce que vous transposez les qualités que vous avez et que vous avez eu en tant que footballeuse professionnelle dans votre nouveau poste ? Comment vous transposez les valeurs du sport dans les valeurs d’une organisation ? 

Pour moi, je m’appuie sur les mêmes valeurs, les mêmes critères, et je me sers beaucoup du côté collectif du football pour fédérer mon équipe. J’ai la chance d’être dans une entreprise dont l’activité a un sens et est utile au quotidien pour des enfants qui sont en souffrance. C’est déjà un moteur énorme pour fédérer et emmener ses équipes avec soi.

Ensuite, comme je le faisais quand j’étais capitaine, j’accorde beaucoup d’importance à la place que chacun va occuper dans l’organisation. Je fais en sorte que, peu importe l’organigramme, chacun comprenne qu’il a une utilité et que sans lui il va manquer un rouage dans l’organisation.

Je travaille beaucoup sur ces notions-là et je m’appuie aussi sur une formation que j’ai suivi qui m’aide beaucoup à comprendre les motivations de chaque collaborateur et à les sensibiliser à ces approches-là. Comprendre quelles sont les motivations pour mieux éveiller leurs talents.

 

Célian Ramis

Laura Georges : « Mes modèles dans le football ont toujours été des hommes »

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Ancienne footballeuse professionnelle, elle a raccroché les crampons mais poursuit sa passion différemment. L’occasion de réaliser le troisième volet de notre série sur la Coupe du Monde de football : la secrétaire générale de la Fédération Française de Football.
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Elle a joué à l’Olympique Lyonnais, au Paris Saint Germaine et au Bayern de Munich. Aujourd’hui, Laura Georges a raccroché les crampons mais reste accrochée à sa passion. Avant d’assister au match France – Nigéria à Rennes, elle participait le 17 juin dernier au déjeuner organisé par le réseau Forces Femmes aux Champs Libres, autour de la thématique de l’audace. L’occasion de réaliser le troisième volet de notre série sur la Coupe du Monde de football : la secrétaire générale de la Fédération Française de Football. 

« Mon quotidien, c’est de partager qui je suis. J’ai 34 ans et j’ai le privilège d’être secrétaire générale de la FFF. », sourit l’ancienne footballeuse internationale lors de son introduction. Elle le dit d’entrée de jeu, elle n’a pas rencontré de difficulté au début de sa carrière. Elle a grandi à Versailles, son père l’a toujours soutenue dans sa décision et même lors des entrainements avec les garçons, elle n’a pas vécu de discriminations liées au sexisme. 

C’est son entraineur à l’OL qui lui a mis des bâtons dans les roues : « Il m’a dit qu’il ne voulait pas que je continue dans le club parce qu’il voulait prendre une autre fille meilleure que moi. » Premier coup dur. Elle réfléchit, consulte sa famille, veut partir jouer ailleurs mais sur les conseils de son entourage, elle reste, elle ne lâche rien. 

« Alors j’ai bossé, je me suis concentrée sur moi. J’ai mieux bossé et j’ai travaillé sans relâche avec mon sélectionneur national. C’est la meilleure saison que j’ai faite ! À la fin de la saison, on a fait le bilan avec le coach de l’OL. Il m’a dit que j’avais été meilleure mais qu’il ne voulait pas me garder. J’ai pleuré. »
commente-t-elle. 

Deuxième coup dur. Mais Laura Georges encaisse. Elle va même jusqu’à remercier celui qui la met à la porte. La mise en difficulté la rendue meilleure, elle décide de prendre cela comme un cadeau. Elle poursuit sa carrière au PSG. Son ancien coach aussi… Troisième coup dur puisque la même chose se reproduit. Elle part pour le Bayern de Munich avant de raccrocher les crampons.

SAISIR L’OPPORTUNITÉ

« J’ai du tempérament, souligne Laura Georges, en rigolant. Et c’est pour ça qu’on m’a proposé le poste à la Fédération. Moi, je me suis demandée si j’étais pas trop jeune, si j’étais à la hauteur ou s’ils me prenaient pour le quota de femmes de couleur… Parfois, dans la vie, il ne faut pas hésiter. Je me suis dit « Allez, faut y aller, je vais apporter qui je suis » ! »

Son rôle ne consiste pas exactement à apporter la vision stratégique et économique de la Fédération. Elle l’explique : « Je représente le président de la FFF. Et j’œuvre aussi pour la promotion et le développement de l’arbitrage au féminin. »

Interrogée à la fin du déjeuner sur l’audace, elle nous précise, comme Frédérique Jossinet, que pour elle, la notion n’est pas genrée. Qu’il s’agit simplement de la capacité ou des opportunités à sortir des sentiers battus :

« C’est une question de responsabilité, de courage de faire des choses différentes. Mais tout dépend de ce que l’on met derrière le terme audace. La volonté, la combattivité, l’audace de changer de club, de vivre quelque chose ! »

Vivre quelque chose et surtout oser le vivre. Ne pas présupposer que l’on n’a pas les armes pour le faire. Dépasser les stéréotypes inculqués par notre éducation et ne pas se remettre en cause avant même d’avoir essayé. C’est ce qu’elle a fait de son côté pour jouer au football, elle qui n’avait pourtant pas de rôles modèles à cette époque :

« J’avais des modèles mais c’était toujours des hommes. Celui qui m’a inspiré, c’est surtout Thuram ! »

PROMOUVOIR L’ARBITRAGE DU CÔTÉ DES FILLES ET DES FEMMES

L’évolution est en marche mais elle est lente. Très lente. Si aujourd’hui, on commence à médiatiser les matchs des footballeuses, on est loin de l’égalité avec les footballeurs. Non seulement en terme de salaires mais également en terme de partenariats, de publicités, de sponsors, d’équipements sportifs, de promotion et de diffusion.

L’intérêt dans cette Coupe du Monde de Football 2019 repose principalement sur les joueuses. Mais qu’en est-il de toutes les autres femmes qui évoluent dans le secteur du football ? Dans sa mission, Laura Georges œuvre pour le développement et la médiatisation des femmes arbitres.

« Arbitre, c’est une fonction noble. C’est un métier qui apprend l’autorité et surtout la gestion des crises. Et puis ça apprend aussi à savoir prendre des décisions ! On a réuni il y a pas longtemps les meilleurs espoirs de l’arbitrage de ligue 1 et de ligue 2. Et à cette occasion, il y avait la première arbitre française. 84 ans ! On a maintenant plusieurs générations pour inspirer les jeunes filles ! », conclut Laura Georges, qui le répète : 

« C’est une belle et noble fonction l’arbitrage ! Il faut oser aller chercher le haut niveau, ça existe, ce n'est pas impossible ! »

Quand on regarde les matchs de cette Coupe du Monde, on n’en doute pas et on les soutient. 

 

 

Célian Ramis

Frédérique Jossinet : "Les filles et les femmes ont besoin de rôles modèles dans le football"

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Ancienne championne de judo, Frédérique Jossinet était à Rennes le 17 juin. L’occasion de réaliser le deuxième volet de notre série sur la Coupe du Monde de football : la directrice Foot féminin de la Fédération Française de Football.
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Multi médaillée pour ses performances en judo, la sportive de haut niveau Frédérique Jossinet était de passage à Rennes lundi 17 juin à l’occasion du match France – Nigéria. Avant cela, elle participait au déjeuner organisé par le réseau Forces Femmes aux Champs Libres, autour de la thématique de l’audace. L’occasion de réaliser le deuxième volet de notre série sur la Coupe du Monde de football : la directrice Foot féminin de la Fédération Française de Football. 

Elle a pratiqué un sport de combat et un art martial qui diffuse des valeurs de mixité. Ça, Frédérique Jossinet en a bien conscience : « Quand on regarde le judo à la télé, on voit aussi bien les filles que les garçons. C’est une vraie force et opportunité. Malgré tout, je voyais bien qu’il y avait une différence sur le rayonnement, sur l’implication des partenaires et des sponsors. » 

Au cours de sa carrière, elle a pris conscience d’un élément essentiel selon elle pour atteindre le haut niveau : l’entourage. Elle en parle précisément comme un besoin. Un énorme besoin. « Ça compte énormément. J’ai fait plein de rencontres qui m’ont donnée de la confiance et qui m’ont accompagnée. La confiance, c’est ce qui te permet d’oser, d’avoir de l’audace. Le succès des performances, c’est l’enfant de l’audace ! », souligne-t-elle.

En aparté, elle développe sa réflexion. L’audace n’est pas genrée. C’est uniquement une question de comment les femmes s’approprient l’audace. Et c’est bien là que se niche le problème. Le système éducatif global instaure des stéréotypes, dès la petite enfance : la performance et la réussite sociale seraient quasiment innées chez les garçons.

« Il faut alors déconstruire auprès des femmes les stéréotypes qu’on leur a inculquées dès le plus jeune âge pour construire de nouvelles images qui les emmènent vers le succès, qui je le dis souvent, est l’enfant de l’audace. Ça ne se fait pas tout seul. Il y a des freins à identifier et à casser pour être décomplexées. »
analyse Frédérique Jossinet. 

Elle a grandi avec deux frères, elle a fait du sport entourée de garçons. Devenir championne, rafler les grands titres, ça a toujours été une évidence pour elle. Après avoir définitivement quitté le tatami, elle entame des études de commerce à l’ESSEC. Désormais médaillée et diplômé, elle veut entrainer.

LE SEXISME, DANS LE SPORT COMME AILLEURS

Elle s’aperçoit alors qu’on préfère donner cette fonction à un jeune athlète, qui n’a pas son palmarès à elle. Loin de là : « J’ai été voir ma fédération et je leur ai demandé ce que c’était le problème ! En posant la question, je me suis dit « Ah mais c’est parce que je suis une fille ». Eux aussi l’ont entendu, même s’ils m’ont dit que c’était pas ça. J’ai été rappelée quelques temps plus tard pour entrainer à l’INSEP… J’ai compris qu’il y avait là un vrai sujet. »

Un vrai sujet. Un sujet vaste. Qui dépasse largement les frontières du football et les frontières du monde sportif en général. Puisqu’elle pointe là les stéréotypes appris dès l’enfance, qui finissent par se transformer en discriminations. Partout, on retrouve le plafond de verre, partout on retrouve le sentiment d’illégitimité et d’estime de soi en majorité chez les femmes.

« Quand je nomme des présidents de commission, ils me disent tout de suite oui. Parfois même sans savoir de quoi il s’agit exactement. Quand je nomme des présidentes de commission, elles me répondent qu’elles doivent réfléchir, voir avec leurs maris, voir avec leurs enfants, etc. Ça fait 5 ans que je suis à la Fédération, ça fait 5 ans que ça dure. Parce que c’est ancré dans les mentalités depuis le plus jeune âge. », commente la présidente du foot féminin au sein de la FFF. 

CONSTRUIRE DE NOUVELLES IMAGES DE SPORTIVES

Elle croit en la puissance du monde scolaire, en la puissance du monde éditorial. Ces deux grands pôles doivent jouer un rôle fondamental dans l’évolution des mentalités. Et cela passe par la diffusion et la valorisation des rôles modèles. Pour elle, il est essentiel d’en avoir dans tous les domaines. Essentiel également de se débarrasser de l’image que Pierre de Coubertin a laissé concernant les femmes dans le sport.

Il y en a eu des arguments pour éloigner la gent féminine de la pratique sportive. Notamment sanitaires, prétextant que certaines disciplines pourraient déplacer l’utérus, rendre stériles. Pendant longtemps, les JO ne leur étaient pas accessibles, les activités étaient parfois interdites aux femmes. Et puis, les tâches ménagères, l’éducation des enfants… Quel temps leur reste-t-il pour s’adonner ne serait-ce qu’à un loisirs ?

Elles ont été écartées des activités, évincées de l’Histoire. Comment se projeter en tant que sportives quand on n’en voit jamais dans les médias et à la télé ?

« Les filles et les femmes ont besoin de rôles modèles pour déconstruire les stéréotypes. Le rêve, la projection, doivent aussi faire partie de la construction des filles. Dans n’importe quel domaine ! Le foot, l’astronomie, dans tout ! »
poursuit Frédérique Jossinet. 

ENCOURAGÉES À OSER

A la Fédération, la féminisation des métiers est un des objectifs fixés. Du côté des arbitres et des entraineuses notamment. En janvier dernier, la FFF organisait à ce titre-là le premier séminaire du Club des 100 femmes dirigeantes. Pour encourager les femmes à prendre plus de responsabilités. À oser franchir la barrière invisible, le sentiment d’illégitimité, le manque de confiance.

« On les forme et on les accompagne pour qu’elles prennent confiance, qu’elles s’investissent et qu’elles s’engagent. On organise des espaces pour qu’elles échangent entre elles sur les bonnes pratiques mais aussi sur leurs ressentis, leurs difficultés, leurs freins. En 5 ans, il y a déjà eu une explosion du nombre de licences féminines mais on peut encore aller plus loin. », souligne la directrice. 

Aux rôles modèles, on y arrive. Plus tôt, il y a déjà eu Nicole Abar, Marinette Pichon, Mélissa Plaza. Elles, elles ont œuvré pour rompre le silence. Pour dénoncer les inégalités. Pour assurer de meilleures conditions d’accueil aux nouvelles. Aujourd’hui sur les terrains, Eugénie Le Sommer, Wendie Renard, Kadidiatou Diani, Amandine Henry, Marta, Ada Hegerberg et de nombreuses autres footballeuses font vibrer les stades et rêver les enfants :

« Les joueuses des 24 équipes sélectionnées sont les actrices de cette Coupe du Monde. Elles sont devenues les rôles modèles de toute une génération de petites filles. Les garçons aujourd’hui, ils vont assister à des matchs où ils voient des footballeuses et se rendent comptent que c’est un jeu performant aussi, qu’elles jouent super bien et qu’elles n’ont rien à envier aux garçons ! »

PRÉVOIR L’HÉRITAGE DE DEMAIN

Rien à envier aux garçons, sauf peut-être les salaires, la médiatisation, la qualité des équipements sportifs et le fait qu’ils ne vivent pas le sexisme dans le regard des gens, dans les jugements et les commentaires des matchs. Après tout, on ne demande pas au ballon d’or s’il sait twerker. Mais à la ballon d’or, si (Ada Hegerberg).

Aller plus loin, comme le mentionne Frédérique Jossinet, c’est ne pas laisser l’engouement suscité par la Coupe du Monde de Football 2019 retomber comme un soufflet. Qui sait la tournure que prendront les choses si les Bleues venaient malheureusement à être éliminées en quart de finale…

Comme le dit Brigitte Henriques, vice présidente déléguée de la FFF et vice présidente du Comité d’Organisation de la Coupe du Monde Féminine de Football de la FIFA, France 2019 :

« La réussite de cette compétition se mesurera à l’aune de l’héritage qu’elle laissera à notre football féminin à l’horizon 2020 avec des objectifs ambitieux : 250 000 licenciées, 8000 équipes 100% féminines, 1500 écoles féminines de football. »

C’est pour cela que la candidature de la France dans l’organisation du Mondial a choisi de se bâtir autour du plan Héritage 2019. Soit une enveloppe de 14 millions d’euros à destination des clubs amateurs. Le site dédié à ce plan (heritage2019.fff.fr) désigne trois niveaux d’actions : la structuration des clubs à vocation féminine, l’investissement pour les infrastructures et la formation à destination des futures dirigeantes, éducatrices et arbitres.

« Les enjeux sont là : le foot féminin est le fer de lance du sport féminin. Beaucoup de filles vont vouloir jouer au football à la rentrée prochaine. Alors, on ne pourra pas atteindre et on ne pourra pas accueillir 2 millions de licenciées (il y a déjà 2 millions de licenciés). Mais on doit pouvoir garantir l’accès des filles au football, dans des bonnes conditions. Ensuite, c’est à nous aussi de faire en sorte qu’elles restent avec nous, qu’elles encadrent, qu’elles dirigent, qu’elles arbitrent, etc. On doit penser en 360 pour le post Coupe du monde. », conclut Frédérique Jossinet.

Célian Ramis

Female Pleasure, l’émancipation après la violence

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Cinéma Arvor, Rennes
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Le 11 juin, le cinéma Arvor de Rennes et la rédaction de YEGG partageaient l'affiche pour une soirée projection - débat autour du film documentaire "Female Pleasure" de Barbara Miller. En présence de l'artiste-chercheuse Lis Peronti.
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Aujourd’hui encore, les femmes ne sont toujours pas libres de disposer de leurs corps. Sacralisé, diabolisé, sexualisé, il est un objet de désir, de tentation, de soumission. La réalisatrice Barbara Miller a filmé cinq femmes qui combattent au quotidien l’exercice de la domination masculine sur leurs corps et leurs sexes afin de s’affranchir des normes patriarcales qui, chaque jour, engendrent plusieurs milliers de victimes de violences sexistes et sexuelles. 

Le 11 juin, à 20h15, la séance affiche complet au cinéma l’Arvor de Rennes, obligé de refuser du monde. Face à la forte demande, une nouvelle projection aura lieu le 23 juin à 11h15, au même endroit. Cette fois, sans l’échange qui a suivi avec l’artiste-chercheuse Lis Peronti, bouleversée ce soir-là par le documentaire de Barbara Miller.

Le terme est le bon. Le film est bouleversant puisqu’il dévoile les témoignages intimes de cinq femmes différentes, issues de pays, d’éducation et de religion différentes, qui partagent hélas l’universalité du patriarcat et ses diverses formes de violences.

« Que s’est-il passé il y a des milliards d’années pour qu’ils s’en prennent à nos corps ? On nous contrôle, on nous mutile, on nous frappe, on nous viole et on nous fait porter le chapeau à cause de notre sexe. », s’insurge Leyla Hussein, dans l’introduction. 

CINQ FEMMES, CINQ SITUATIONS DE VIOLENCE

Elle est originaire de Somalie et vit en Angleterre. En tant que thérapeute, elle lutte à la reconstruction psychologique et émotionnelle des femmes excisées - dont elle fait partie - et œuvre pour la diffusion de l’information pour tou-te-s, menant à l’arrêt définitif d’une pratique qu’elle définit comme étant une agression sexuelle sur enfants.

Elle le dit haut et fort, l’excision n’est pas un problème africain ou même asiatique, c’est un problème mondial. Tout le monde est et doit se sentir concerné-e par cette problématique de mutilation génitale effectuée pour contrôler le corps des femmes.

« Qu’y a-t-il de si effrayant dans le fait qu’une femme ait des désirs ? Qu’elle soit un être sexué ? »
interroge-t-elle. 

Deborah Feldman, elle, a grandi dans une communauté hassidique de New York et raconte comment « dans le judaïsme radical, il est impossible en tant que femme de s’épanouir. » Mariée de force à un inconnu, elle devient rapidement mère d’un petit garçon, avec lequel elle finira par prendre la fuite. 

Une fuite qui lui vaut une déferlante de haine et de menaces de la part de sa communauté. Elle écrit alors Unorthodoxpour y relater son histoire et faire pression, au travers de la médiatisation qui se met en marche autour d’elle et de son ouvrage, sur cette dernière, devenant ainsi la première femme ayant quitté la communauté à obtenir la garde de son enfant. 

À l’autre bout de la planète, en Inde, Vithika Yadav se réjouit d’avoir épousé l’homme qu’elle aime. Mais « grandir en Inde, c’est se faire tripoter, peloter et harceler sexuellement n’importe quand et n’importe où dans l’espace public. » Des agressions sexuelles, elle en a subi. En silence tout d’abord. Avant de réaliser qu’elle voulait briser la culture du silence. 

Elle crée Love Matters, première et unique plateforme indienne à parler de vie affective et sexuelle. Pour « parler d’amour, de consentement mutuel, de la masculinité et des oppressions patriarcales parce que le plaisir est aussi important pour les hommes que pour les femmes. »

Doris Wagner voulait quant à elle dédier sa vie à la religion. D’Allemagne au Vatican, son existence va être quasiment anéantie par les viols à répétition que lui fait subir son supérieur hiérarchique. Elle pense mettre fin à ses jours mais finalement ne passe pas à l’acte. Lorsqu’elle sort du silence, la mère supérieure lui balance « Je te pardonne ». 

Les violences se multiplient, elle porte plainte au commissariat. L’affaire est classée sans suite. « La congrégation religieuse n’a pas pris position. Le père qui m’a violée est toujours prêtre. », signale-t-elle, désormais libre de penser par elle-même, libre d’être la femme qu’elle a envie d’être, loin de cette image pieuse imposée qui « prive de personnalité et de liberté ». 

C’est au Japon que Rokudenashiko exerce son art manga dans lequel elle aborde ses expériences personnelles. Un acte qui n’est pas sans difficultés et conséquences dans un pays où « les femmes doivent être invisibles, silencieuses, sourire et ne pas se plaindre » et où « les organes génitaux des femmes sont tabous ».

Arrêtée et jugée pour obscénité en 3D – à partir d’un moulage de sa vulve, elle a créé un kayak vulve – elle entreprend un combat contre l’injustice subie et poursuit son travail d’artiste :

« On vénère le pénis mais moi je dois répondre de l’art du vagin devant un tribunal ?! (…) Les BD contenant de la pédopornographie où les filles se font violer sont autorisées au Japon. »

LE RAPPORT À LA RELIGION

À la suite de la projection, la rédaction de YEGG – partenaire de l’événement – a invité l’artiste-chercheuse Lis Peronti, dont le travail et les performances, véritables outils de prise de conscience, de diffusion du savoir et d’échanges collectifs, participent à la réappropriation du corps de chacun-e.

Émue par la violence des actes racontés mais aussi par la résilience dont ces femmes font preuve, elle partage tout de même son regard sur les propos généraux du film : « On voit des parties très focalisées sur la religion donc on parle de femmes qui sont de plusieurs confessions, de plusieurs pays. Il faut se rappeler que ce sont dans ces situations spécifiques qu’elles sont en train de vivre ces choses-là. Dans d’autres situations, on vit plein de choses pas simples du tout non plus liées à la sexualité, au plaisir, au sexe. »

Ce rapport à la religion, elle l’avait déjà noté dans son travail autour des menstruations. Au Brésil déjà elle entreprenait des performances autour des règles et en venant en France pour poursuivre ses études d’arts plastiques, elle a rédigé un mémoire sur ce sujet auquel elle s’est intéressée dans plusieurs pays et plusieurs cultures.

« Dans plusieurs religions, dans les livres sacrés, il y a souvent cette interprétation disant que la femme, elle est sale, elle va souiller l’homme, parce qu’elle a ses menstruations. Comme on peut voir dans le film. Celle qui quitte la communauté hassidique en parle avec le rituel du bain. Ce bain que la femme prend quand elle vient d’avoir ses règles. », explique-t-elle. 

Si les interprétations religieuses influent sur les mentalités, on ne peut que constater que toutes les sphères de la société sont imprégnées de cette vision négative des règles, de ce dégout et de ce rejet du sujet.

MENSTRUELLEMENT FEMMES

Lis Peronti le dit et l’affirme, il est encore compliqué aujourd’hui, en France, de parler des menstruations, du sexe des femmes et de la sexualité. Elle le voit et le constate régulièrement lorsqu’elle explique ce sur quoi elle travaille.

La femme est sale, la femme est faible. « Alors que c’est juste parce que pendant notre cycle, on a une période très marquée, elle est marquée par le sang mais en fait, les hommes ont des augmentations et des baisses de testostérone tous les jours. Mais ce n’est pas marqué. », poursuit-elle. Selon elle, les menstruations contribuent à forger le rôle « Femme » dans lequel on continue en 2019 d’asservir la moitié de la population mondiale : 

« Souvent, c’est une excuse pour que la femme gagne moins, qu’elle n’ait pas tel ou tel poste parce qu’elle va avoir ses règles et donc être faible. En France, on est dans un état laïc mais quand même, on a des traces de la religion dans le comportement des gens. Il y a souvent cette histoire de la femme qui va être sale, être faible parce qu’elle saigne, elle ne va pas tenir le coup ou elle va être trop stressée parce qu’il y a les tensions prémenstruelles. »

Dans Female Pleasure, Deborah Feldman et Rokudenashiko abordent cette croyance de femme impure lors de la période menstruelle. L’artiste japonaise, condamnée pour obscénité en 3D, s’en défend : « Mon travail n’est pas sale. » Son histoire, Lis l’avait déjà entendue. Elle la connaissait et elle n’a pas pu s’empêcher la première fois qu’elle a vu le film de rigoler : 

« Cette fête de la fertilité, où les gens sont là en train de lécher et de sucer les sucettes de bite et tout va bien… C’est incroyable ! Alors pour elle, ils ont trouvé l’excuse qu’elle était condamnée à cause des données personnelles vendues sur Internet alors qu’elles ne les a pas vendues les données. Elle faisait un échange pour le financement de son kayak. Je trouve que c’est incroyable ! Mais même, tout ce que l’on voit dans le film, je trouve que c’est incroyable de vivre ça encore aujourd’hui. Incroyable et en même temps on le sait que c’est possible ! » 

PAS TOUTES LES FEMMES…

Dans le documentaire, Barbara Miller, de par un récit extrêmement bien construit, fait jaillir la violence inouïe subie par ces cinq femmes et plus largement par un grand nombre de femmes à travers le monde, au quotidien. Tous les continents et les contextes ne sont pas représentés, la réalisatrice s’en tenant aux témoignages de femmes cisgenres, présupposées hétérosexuelles. Un bémol regrettable qui tend à rendre visible un seul pan de la gent féminine.

Sans négliger leurs vécus et traumatismes, le film laisse un vide et un silence sur les lesbiennes, les bisexuelles, les femmes transgenres, les personnes intersexuées ou encore les personnes non binaires. L’artiste-chercheuse l’a bien noté et précise également qu’elle a manqué de « plaisir féminin » au cours de la projection. 

En effet, le titre peut être trompeur. Parce que finalement, on découvre là, non pas la libération sexuelle des cinq intervenantes, mais la manière dont elles ont été bridées dans leur éducation, dans leur apprentissage ou dans leurs expériences. Au fur et à mesure de l’histoire, le récit évolue et les femmes relatent petit à petit comment, concrètement, elles se sont affranchies des normes et des codes.

RÉSILIENCE ET ÉMANCIPATION

Comment elles en sont arrivées à un certain niveau d’émancipation. Un niveau suffisant pour s’affirmer femmes. Pour s’assumer femmes. Partant d’un traumatisme personnel, subi à cause de l’image et de l’assignation femmes, elles sont devenues des militantes féministes et partagent aujourd’hui leur combat pour que d’autres ne se sentent pas isolées et soient mieux informées et armées contre la domination masculine.

Pour Lis Peronti, tout est parti de sa fascination pour le sang menstruel. Sa manière de se déployer dans l’eau, de tourbillonner, d’exécuter une chorégraphie hypnotisante. Au fil de ses recherches, de ses réflexions, de ses rencontres, de ses échanges, de ses performances, de son travail de modèle vivante, elle s'est épanouie :

« Tout ça, ça fait réfléchir sur qui je suis et ça m’aide à me construire en tant que personne. Cette attirance pour la couleur du sang m’a ouvert une porte énorme, c’est là où j’ai commencé à lire des choses féministes, à me questionner, à me rendre compte de la façon dont j’agissais vis-à-vis du monde, des gens, de ma famille, de mes ami-e-s. »

Female Pleasure est un documentaire à voir. Qui rend compte d’une réalité cachée, tue, méprisée, minimisée. Comme le dit Lis Peronti tristement, « on en est encore là ». L’oppression patriarcale est bien ancrée, profonde. Elle établit une hiérarchie selon le sexe et le genre, avec d’un côté les privilégiés et de l’autre, les discriminées. 

AGIR ENSEMBLE

Partout des femmes se libèrent, s’affranchissent et se reconstruisent. Devenant plus fortes et puissantes. Devenant la plus grande peur du patriarcat. Mais elles sont encore minoritaires à accéder à la résilience et à pouvoir faire entendre leurs voix. Les hommes aussi ont leur rôle à jouer et surtout leurs responsabilités à prendre.

Et ça commence en se rendant dans une salle de cinéma comme celle de l’Arvor, dans une bibliothèque comme celle de l’association rennaise déCONSTRUIRE, en écoutant les propos des concernées sans les interrompre ou les remettre en question, en lisant et en partageant régulièrement nos articles, en demandant des conseils de lectures aux libraires de la Nuit des Temps par exemple ou en écoutant des émissions comme Les Héroïnes sur Canal b.

Ecoutez, lisez, regardez, interrogez-vous. Chacun-e peut agir à son échelle. On rappelle qu’une nouvelle projection de Female Pleasure aura lieu à l’Arvor, le 23 juin à 11h15.

Célian Ramis

À Rennes, toutes avec les Bleues !

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Roazhon Park
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Près de 30 000 personnes étaient au Roazhon Park lundi 17 juin pour encourager et acclamer les Bleues. L’occasion de réaliser le premier volet de notre série sur la Coupe du Monde de Football, organisée en France du 7 juin au 7 juillet : les supportrices.
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Près de 30 000 personnes étaient au Roazhon Park lundi 17 juin pour encourager et acclamer les Bleues qui ont remporté la victoire, non sans difficulté, face au Nigéria (1 – 0), leur permettant ainsi de se qualifier officiellement pour les 8ede finale. L’occasion de réaliser le premier volet de notre série sur la Coupe du Monde de Football, organisée en France du 7 juin au 7 juillet : les supportrices.

« C’est la Coupe du Monde et ce sont des femmes qui jouent ! Je dis enfin !!! », s’exclame Clémence, 25 ans. Aux alentours de 19h45, elle se dirige vers le stade, en passant par le mail François Mitterand et le village des animations de la Fifa.

À quelques mètres de là, dans la fan zone, le Roazone Crew, un collectif rennais de jeunes danseuses-seurs hip hop et breakdance, a revêtit les maillots de l’équipe de France et présente - devant le public, la secrétaire générale de la fifa Fatma Samoura, la ministre des Sports Roxana Maracineanu et la maire de Rennes Nathalie Appéré – un extrait de son savoir-faire, délivrant une partie de l’étendue de son potentiel. Et ça envoie.

Clémence a déjà vu l’équipe de France jouer contre la Grèce en 2016 au Roahzon Park - un match qui avait battu le record d’affluence – et a assisté également au match Allemagne / Chine le 15 juin dernier, à l’occasion de la Coupe du monde :

« J’aime l’ambiance dans les tribunes, le fait qu’on chante tous ensemble des hymnes, etc. Et puis, c’est une fierté que la ville de Rennes accueille des matchs de la Coupe du Monde, c’est un sacré événement ! »

Elle est accompagnée de Marjorie, 33 ans, en accord avec ses propos. Ça fait 21 ans qu’elle s’engage en tant que bénévole dans le milieu du football. La victoire de 98 a provoqué en elle un déclic. Depuis, elle ne lâche plus et aime regarder la discipline, pratiquée par les hommes comme par les femmes.

« Techniquement, elles sont très bonnes. Vraiment, les femmes ont leur place dans le foot ! Les gens aiment regarder les footballeuses jouer parce qu’elles sont douées. Même si c’est un long parcours, je suis certaine que ça va faire venir des filles au foot. », s’enthousiasme-t-elle. 

Pareil pour Clémence qui voit dans cette Coupe du Monde l’occasion d’un impact positif et constructif sur l’égalité entre les femmes et les hommes.

« Le regard va changer sur les femmes. Je pense qu’un événement comme celui-là participe à l’évolution des mentalités sur la place des femmes dans la société. On ne reste plus à la maison à s’occuper des enfants… Il y a encore beaucoup à faire mais cette Coupe du Monde reflète l’évolution des mentalités. »
conclut la jeune femme, aux couleurs tricolores.

Vers 20h, le bagad s’élance dans une marche pour les Bleues, en direction de la route de Lorient, en passant le long de la Vilaine. Sur le chemin, on croise Gabrielle, 24 ans, et Laura, 28 ans, ferventes supportrices du football.

« On vient très souvent voir des matchs. Que ce soit pour la ligue 1, l’Europa League, etc. Et c’est la première fois qu’on va voir les femmes jouer ! C’est une fierté d’avoir un événement comme celui-là dans la ville de Rennes ! », s’exclament-elles. 

Elles ont déjà regardé les Bleues à la télé et pointent une meilleure visibilité de leurs matchs désormais mieux diffusés. Sans oublier la publicité qui commence à compter sur l’image des footballeuses !

Les deux amies, sur le trajet, discutent de la féminisation du football, de l’engouement suscité cette année et qui l’équipe de France devra affronter après le match du 17 juin. Les Etats-Unis, certainement… « Ça fait peur, c’est pas une très bonne nouvelle mais bon, on va le faire et puis comme ça, ce sera fait ! », rigole Laura, parée du drapeau français et d’un t-shirt tagué « #meufdefoot », lancé par Emilie Ros sur Twitter. 

Elle aime la ferveur que procure ce sport au sein du stade et le rassemblement que cela provoque : « Je vois plein de familles venir ! Et au-delà de l’image que ça donne du foot, il y a le rassemblement et la bonne humeur ! C’est cool ! »

Pour Gabrielle, même topo :

« On peut chanter, on peut crier. C’est vachement bien ce qui se passe autour des filles. C’est une très bonne équipe ! »

Enjouées, elles – qui ont pris leurs places plusieurs mois en avance - se préparent à faire la fête durant le spectacle qui finira par offrir la victoire aux Bleues.

À l’entrée du stade, devant la tribune Vilaine, on rencontre Sonia, 40 ans, venue d’Angers pour assister au match avec son frère qui vit à Rennes et des ami-e-s. Elle joue au football, en équipe féminine, depuis qu’elle est toute petite.

« J’ai toujours baigné dans le foot. J’aime l’ambiance, l’esprit d’équipe. Mes enfants aussi jouent au foot. », souligne-t-elle. 

Sa première fois au Roazhon Park, c’est aussi sa première fois face à des joueuses professionnelles : « Je les regarde à la télé, c’est une très bonne équipe, avec de très bonnes joueuses. Dommage qu’elles ne soient pas assez diffusées à la télé ! »

Il est 21h, le coup d’envoi retentit. Le Stade de la capitale bretonne affiche complet et arbore fièrement les couleurs tricolores. Pendant plus d’une heure et demie, hymnes, applaudissements, encouragements des joueuses – en particulièrement pour Eugénie Le Sommer, même bien avant son entrée en deuxième période – s’enchainent.

Les difficultés aussi et les Bleues, bien que dominantes durant la majorité du jeu, ont bien du mal à percer la défense nigériane et les filets de la gardienne Chiamaka Nnadozie. Il faudra alors compter, après un premier penalty manqué par la talentueuse Wendie Renard, sur la VAR (vidéo) et le nouveau règlement de la Fifa quant au positionnement des pieds sur la ligne de la cage, pour que la défenseuse française tire à nouveau le penalty, qui place l’équipe de France première de son groupe, direction les 8ede finale. 

Si le Roazhon Park n’a pas vu ce soir-là le plus beau match de la Coupe du Monde (et heureusement…), il a encore regroupé des milliers de femmes, d’hommes, de filles et de garçons dans les tribunes, tou-te-s bien enclin-e-s à encourager les Bleues et par moment à les tacler d’un « Allez les filles, c’est le bordel là ».

La ferveur nous a emporté, nous aussi, au sein de la rédaction. Mais ne nous a empêché de constater que malgré l’engouement, les joueuses sont acclamées par leurs prénoms, a contrario des joueurs qui eux sont sollicités par leurs noms de famille. Comme quoi, tout n’est pas encore gagné et la vigilance doit être de mise. Le sexisme se logeant également et principalement dans les détails que l’on voudrait penser pas importants, pas prioritaires.

  • D’autres femmes, professionnel-le-s du foot, décrypteront les avancées et les freins à l’égalité entre les femmes et les hommes, dans notre série sur la Coupe du Monde de Football. Et c’est à Rennes que ça se passe !

 

 

Célian Ramis

Pilosité : être en accord avec son corps !

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Avoir du poil aux pattes, c’est la honte. Une touffe sous les bras, c’est dégueu. Et quand c’est l’anarchie sur le pubis, n’en parlons pas. Alors, on enlève tout. Par culpabilité inculquée par une vision patriarcale du corps des femmes.
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Avoir du poil aux pattes, c’est la honte. Une touffe sous les bras, c’est dégueu. Et quand c’est l’anarchie sur le pubis, n’en parlons pas. Alors, on enlève tout. Par culpabilité inculquée par une vision patriarcale du corps des femmes.

La pilosité féminine, c’est le sujet qu’a choisi d’analyser la comédienne et clown Estelle Brochard dans sa conférence gesticulée Le poil incarné, présentée le 7 juin à 20h à la Maison de quartier Villejean. 

« Pourquoi se torturer le corps alors qu’on n’en a pas envie ? C’est psychologiquement tordu ! », s’exclame-t-elle, aussi amusée qu’indignée. Si c’est psychologiquement tordu, c’est parce que l’injonction à s’épiler n’est pas exprimée de manière explicite. Elle est insidieuse : 

« Dès l’adolescence, c’est terrible, on sent le regard des hommes sur notre corps, on sent les jugements sur ce qu’on porte, sur nos poils. Sans qu’on nous oblige à nous épiler, on sent qu’il ne faut pas qu’on les garde. »

Il suffit d’observer les photos dans les médias, la représentation des femmes dans les publicités, les personnages féminins dans les dessins animés, les films, les séries, etc. pour s’apercevoir que toutes les images dévoilent des corps dépourvus de poils. Ainsi, la gent féminine intègre cette information dès le plus jeune âge.

« Ça nous incite à avoir une image négative sur nos corps. On en vient à faire quasi des triples journées. Entre la vie perso, le travail, les taches domestiques et l’épilation, qui prend du temps, qui fait mal, etc. Faut souffrir pour être belle, ça devient normal. Je suis venue à parler de ce sujet-là parce que ça devenait oppressant. J’ai fait le défi de garder mes poils pendant un an. Et là, ça fait un an et 5 mois. C’est devenu un acte politique car je ne peux pas les trouver beaux puisque je n’ai aucune référence de beauté avec des poils. », commente Estelle Brochard qui a depuis rejoint Liberté, pilosité, sororité, un collectif féministe non-mixte luttant en faveur de l’acceptation de la pilosité féminine. 

#ENQUÊTE ÉPILATION

L’enquête Épilation, réalisée par le collectif auprès de 6000 femmes, vient corroborer son propos : environ ¾ des femmes trouvent que leur pilosité est – au moins un peu – laide et près de 8 femmes sur 10 déclarent que leur pilosité leur inspire au moins une émotion négative ; la honte étant l’émotion négative la plus fréquemment éprouvée (par au moins la moitié des femmes).

Le reste des résultats est tout aussi effarant puisqu’il apparaît que seulement 2,7% des répondantes déclarent ne jamais avoir rencontré d’effets secondaires ou de blessures en retirant leur pilosité. Ce qui implique que plus de 7 femmes sur 10 se blessent ou rencontrent des effets secondaires dus à l’épilation ou au rasage.

Si les femmes se torturent donc en se triturant les poils, c’est par injonction confirme l’étude : « Sur une échelle allant de 1 à 10, les répondantes devaient évaluer l’intensité de l’injonction au glabre (1 = Nulle, aucune injonction ; 10 = Très forte ; il est quasi impossible d’échapper à l’injonction). Près de 8 femmes sur 10 ont mis une note égale ou supérieure à 7. »

Le collectif Liberté, Pilosité, Sororité précise en début d’article, à lire sur le site collectiflps.wordpress.com, que leur échantillon surreprésente les femmes âgées entre 20 et 39 ans, féministes, élèves, étudiantes ou appartenant à la classe socio-professionnelle des cadres et professions intellectuelles supérieures.

Et également que « plus une répondante se dit féministe, plus il y a de chance qu’elle ait arrêté de s’épiler ou de se raser ; aussi il est moins probable qu’elle soit épilée ou rasée tout au long de l’année. Les femmes féministes sont par ailleurs moins nombreuses à trouver leur pilosité laide. »

OÙ SE SITUER ? COMMENT SE POSITIONNER ?

Pour Estelle Brochard, la conférence gesticulée permet de se positionner sur un sujet encore méconnu et tabou, sans toutefois culpabiliser le public. Témoigner de ses expériences, qui souvent « parlent aux femmes, et font découvrir la problématiques aux hommes », interroger cette injonction qui participe au contrôle du corps des femmes, réfléchir ensemble et surtout « redonner du sens à nos quotidiens » sont les objectifs de la comédienne, pour libérer la parole et agir ensemble vers l’émancipation de chaque individu. 

Issue d’une famille « tranquille et silencieuse » qui transmet, comme la plupart des familles et des professionnel-le-s, une éducation genrée dans laquelle « les filles sont sages et ne font pas de vagues », la conférence lui a donc permise de prendre la parole et d’oser mettre un positionnement sur cette thématique si importante car « totalement invisibilisée ».

Et c’est aussi un moyen pour elle de ne plus être derrière un personnage. « Je suis comédienne et clown. Et avec le clown, j’ai un solo à partir de 3 ans mais je n’arrivais pas à atteindre ce que je voulais car avec le clown, les gens attendent de rire. Moi, ce que je veux, c’est questionner, débattre ensemble. Avec la conférence gesticulée, je peux me mettre à nu de manière personnelle. Ce que je faisais dire à mon clown, forcément ça ne sortait pas de la même manière. », souligne-t-elle. 

Elle a grandi sans entendre prononcée la fameuse injonction à s’épiler. Et pourtant, elle l’a intégrée. Comme la majorité des jeunes filles : « Au collège, j’étais timide, avec de l’acné… On m’a pas forcé à m’épiler mais j’ai senti, et c’est en ça que c’est insidieux, qu’il ne fallait pas en plus que je garde mes poils… »

Elle poursuit :

« J’ai développé un sentiment d’injustice. Pourquoi les femmes sont-elles obligées alors que les hommes non ? C’est de l’auto-mutilation. On en vient à faire des actes qui nous font mal alors qu’on n’a pas envie de le faire ! C’est tordu ! »

Les médias se régalent de cette culpabilité et jette de l’huile sur le feu en déversant tous les jours des images de femme unique. Blanche, mince, hétéro, sexy. Sans poil. D’où la difficulté à se distancer de la prétendue norme et de la pression.

Estelle Brochard commente les réactions, souvent gênées, des personnes qui découvrent qu’elle ne s’épile pas. Il y a des rires de gêne et des regards surtout. Mais peu de remarques désobligeantes (hors lâcheté numérique bien entendu). Et parfois, des phrases débiles :

« J’ai commencé par laisser pousser juste sous les aisselles au début. On m’a dit que c’était sale et que j’allais repousser les hommes. », rigole-t-elle. « Il y a plein d’idées préconçues en fait, notamment avec l’argument de l’hygiène alors que les poils constituent des barrières naturelles. En fait, ce qui me fait rire, c’est que je me suis découverte féministe à ce moment-là. La question des poils n’est pas isolée, elle fait parti de la réappropriation du corps. Je suis beaucoup plus en accord avec mon corps depuis que j’ai arrêté de m’épiler. »

LE POIDS DU POIL

Il y a le poil de la virilité et le sans poil de la féminité. Raser le pubis des sorcières, tondre les cheveux de celles qui ont couché avec l’ennemi. Cheveux et poils ont des connotations très fortes dans l’histoire du corps des femmes.

La conférence gesticulée « Le poil incarné » entend humblement rendre cette question visible. Sans amener de la culpabilité du côté de celles qui s’épilent :

« L’objectif ici est de pouvoir en parler, de poursuivre la réflexion petit à petit, d’y réfléchir et de ramener du sens dans nos actes.  Que le poil soit plus visible dans le collectif et dans le collectif artistique. »

Elle le dit et le redit, l’injonction est très insidieuse dans l’éducation et « le poids est tellement lourd ! » Sortir en jupe la première fois sans être épilée ? « Pas évident ! » La deuxième et la troisième ? « Pas évident non plus mais on s’y fait, petit à petit. »

Ce spectacle d’éducation populaire, elle espère le faire tourner dans les collèges et les lycées. Pour « requestionner la pub, le rapport aux médias, la pornographie, les violences de genre. » Parce qu’à travers cette question, « on peut parler de plein de choses à propos du corps des femmes ! C’est une déconstruction totale et pour les hommes, c’est déroutant, ils ne voient ça nulle part et ils ne voient pas le temps qu’on y passe, la douleur, l’organisation, etc. Pour nous, c’est du quotidien mais pour eux, c’est invisible. »

Estelle Brochard veut aborder ce sujet de manière légère et drôle. Sans dramatiser mais sans pour autant ignorer les constats. Alors ça perturbe, ça choque, ça alimente les discussions à la terrasse d’un café, les poils font partis de nous, femmes et hommes. Ce qui change, c’est le regard qu’on leur porte.

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