Célian Ramis

Égalité femmes-hommes : les sciences résistent ?

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Garance Gourdel, doctorante en bio informatique, investie pour l'accès des filles et des femmes aux sciences
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Les sciences, bastion du masculin, c’est encore un constat et un enjeu actuels. Les représentations genrées sont difficiles à déconstruire et le sexisme, persistant. En témoigne Garance Gourdel, doctorante en bio-informatique.
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Garance Gourdel, doctorante en bio informatique, investie pour l'accès des filles et des femmes aux sciencesÀ peine 10%. C’est le pourcentage indiquant le nombre de femmes en informatique, encore aujourd’hui en France. Les sciences, bastion du masculin, c’est encore un constat et un enjeu actuels. Les représentations genrées sont difficiles à déconstruire et le sexisme, persistant, à l’instar de l’ensemble de la société. L’évolution des mentalités est en route mais elle est aussi très lente. En témoigne Garance Gourdel, doctorante en bio-informatique, lauréate l’an dernier du prix L’Oréal-Unesco pour les femmes et les sciences. 

Son père est chercheur en mathématiques. Sa mère est ingénieure en biologie. Celle-ci a même reçu le prix Bettencourt pour les jeunes chercheurs, en 1996, alors qu’elle était enceinte de Garance. Presque 27 ans plus tard, c’est à son tour d’obtenir une récompense pour ses travaux de thèse en bio-informatique avec le Prix L’Oréal-Unesco pour les femmes et les sciences, décerné en octobre dernier. « Enfant, j’ai vu mes parents passionnés et épanouis par leur métier. Forcément, ça influence ! », se réjouit Garance Gourdel. À cela, s’ajoutent des professeurs de maths amateurs d’énigmes et la découverte de l’informatique, ses aspects constructifs et créatifs et la magie de la fabrication d’un programme.

Elle s’engage d’abord dans une prépa maths puis, grâce au concours des ENS (École Normale Supérieure), intègre l’école de Paris Saclay, « un établissement accessible post bac qui forme à l’enseignement et à la recherche ». Au cours d’un stage, elle rencontre sa directrice de thèse, qu’elle effectue entre la capitale et Rennes, à l’IRISA (Institut de recherche en informatique et systèmes aléatoires) autour de la lecture de l’ADN. Son rôle : créer et analyser de nouveaux algorithmes permettant de traiter et de stocker un grand volume de données, comme celles issues du séquençage. « Plus on a de gros volumes, plus l’ordinateur prend du temps pour exécuter la recherche. Il s’agit donc d’avoir l’algorithme le plus efficace possible. L’objectif étant de développer des outils performants pour les biologistes », explique-t-elle, soulignant qu’il s’agit là « d’un long processus de collaboration. » 

Garance Gourdel, c’est une personnalité enthousiaste. Sa motivation et son énergie sont communicatives. Sa détermination aussi. On sent sa volonté de partager et de transmettre. De rendre son activité accessible à tou-tes et inspirante pour tou-tes. La question de l’éducation à l’égalité et de l’inclusion n’évoque pas en elle des souvenirs anecdotiques de ce que l’on voudrait être « l’ancien monde ». Elle s’y investit à bras le corps pour donner aux filles les mêmes chances que les garçons de parvenir aux métiers scientifiques. Depuis 2017, Garance est engagée dans l’association Girls can code, proposant aux collégiennes et aux lycéennes des stages d’informatique.

« À travers la non mixité, on obtient un univers très rassurant de ne pas être la seule fille. C’est une pression de dingue quand on est la seule fille. Là, ça donne l’occasion de découvrir l’informatique dans un cadre bienveillant. »

LA PROGRESSIVE, ET VIOLENTE, DÉCOUVERTE DU SEXISME

Elle sait ce que ça signifie d’être en minorité dans un groupe majoritairement composé d’hommes. Au lycée, elle trouve l’équilibre entre les filles et les garçons « encore raisonnable » mais après le bac, la bascule s’opère : « En prépa, on était 10 filles sur 40 la première année, 5 la deuxième année. À l’ENS, on n’était plus que 2 sur 30. En informatique, les femmes représentent 10% des effectifs… » Elle se souvient d’une conférence avec quasiment un tiers de femmes dans l’assemblée : « On s’est dit ‘waouh, y a plein de femmes !’ » Au lycée, elle ne réalise pas vraiment le sexisme ambiant. Elle entend dire que les filles ne sont pas douées en géométrie car elles ne voient pas en 3D mais la réflexion, isolée, en est ridicule. « On se rend compte du sexisme quand ça s’accumule et là, on prend du recul. En prépa, j’ai fini par réaliser qu’en tant que fille, on était moins entrainée à la compétition. On est également habituée à être bonne élève. Quand on ne l’est plus ou qu’on l’est moins, on éprouve des difficultés qu’on ne connaissait pas », analyse-t-elle.

Garance Gourdel, doctorante en bio informatique, investie pour l'accès des filles et des femmes aux sciencesDe plus, appartenir à la minorité, c’est aussi davantage s’exposer, dit-elle : « On ne peut plus se cacher et quand on est deux et qu’une est absente, on entend ‘elle est où l’autre fille ?’ » Tout à coup, l’anodin ne l’est plus. Le sexisme est une évidence, quasiment un quotidien. Sous-estimées et pensées comme illégitimes, leur parole est souvent interrompue et la majorité masculine peut devenir oppressante. « On ne se sent pas safe en fait », ajoute Garance. Elle le dit, en informatique, les inégalités sont très visibles. Là où l’on voudrait penser que la nouvelle génération, née avec les ordinateurs, n’a pas essuyé les mêmes mécanismes de domination patriarcale, on s’aperçoit qu’opère encore le conditionnement de l’éducation genrée. « En tant qu’utilisateur-ice, c’est mixte mais la création informatique et le code sont encore réservés à une petite sphère plus genrée », observe-t-elle. Elle raconte comment les garçons s’initient entre eux, résonnant avec les constats établis dans le milieu des arts et de la culture avec l’accès privilégié à l’expérimentation des instruments et des groupes par les adolescents.

« Dans les stages Girls can code, on fait découvrir le code python, qui est un langage accessible de programmation. Et des filles en stage s’orientent ensuite vers l’informatique, c’est super chouette ! Et même pour celles qui ne continuent pas dans cette voie-là, ça les familiarise avec le secteur, elles ont moins peur. C’est aussi et surtout un espace de sororité ! », scande Garance Gourdel avec allégresse, citant également le dispositif L codent, L créent, lancé à Rennes par des chercheuses de l’IRISA dans une même volonté de casser les normes de genre et permettre l’accès aux sciences et à l’informatique pour les filles et les femmes, dès le collège. Elle n’oublie pas non plus Femmes@numeriques, plateforme d’information autour de la place des femmes dans le secteur. Elle insiste : « Vraiment, ça vaut le coup de se lancer dans ces carrières. C’est très intéressant, c’est collaboratif ! Ce n’est pas juste que les femmes y aient moins accès ! »

MULTIPLIER LES REPRÉSENTATIONS POUR CASSER LES CARCANS DU GENRE

Le stéréotype des filles nulles en maths, elle n’en a pas pâti, son père étant vigilant à ce que la discipline s’adresse à tout le monde. Mais Garance Gourdel a conscience désormais du poids des représentations et de la pression d’une société binaire et genrée. Un sujet qu’elle a abordé avec sa mère : « Elle a fait de longues études, en ayant ses enfants pendant sa thèse et son post-doctorat. Puis elle s’est orientée vers une carrière d’ingénieure. Si elle n’avait pas été mère, peut-être aurait-elle continué dans le domaine purement scientifique. Je sais qu’elle se sentait mal d’avoir manqué des moments avec nous alors que de notre côté, on garde le souvenir d’une mère très active et épanouie ! »

Réaliser la réalité du monde patriarcal peut être douloureux. Mais la chercheuse en informatique est du genre optimiste et combattive. Elle constate l’effet post MeToo. Lent mais mouvant. La parole se libère, l’écoute aussi, « des formations autour du harcèlement moral et sexuel se mettent en place. » On manque encore de rôles modèles. L’impact du matrimoine, elle en a bien conscience. Sa grand-mère était la nièce de Jeanne Malivel et a œuvré pour valoriser le travail de cette artiste pionnière en matière d’artisanat. « En voyant une expo sur elle, j’ai compris pourquoi on avait des femmes fortes dans la famille ! », rigole-t-elle. « Elle est super impressionnante dans ces travaux, impliquée dans l’artisanat local, engagée contre l’exode des bretonnes, principalement, à Paris. Son parcours résonne avec des choses qui ont beaucoup de sens. J’ai beaucoup de respect pour ce qu’elle a entrepris à son époque et pour l’ampleur de son travail. »

Et tous les jours durant sa thèse, elle s’est rendue au travail en passant par la rue Jeanne Malivel, à Rennes. « C’est agréable de participer à l’effort pour valoriser ses figures ! » À 27 ans, Garance Gourdel embrasse l’héritage de celles qui avant elles ont brisé les carcans du genre. Dans la capitale de l’hexagone, elle se réjouit de découvrir le monde de l’entreprise, au sein d’une start-up et des questions de cybersécurité sur le développement du code.

Célian ramis

Le coût de la virilité : toute une éducation à repenser

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La virilité a un coût. Exorbitant. Chaque année, la France dépense 95,2 milliards d’euros pour colmater les trous béants d’une société patriarcale bercée aux idéaux virilistes. Une estimation calculée par l’historienne et essayiste Lucile Peytavin.
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La virilité a un coût. Exorbitant. Chaque année, la France dépense 95,2 milliards d’euros pour colmater les trous béants d’une société patriarcale bercée aux idéaux virilistes. Une estimation calculée par l’historienne et essayiste Lucile Peytavin.

« Nous en sommes tous et toutes victimes. Les chiffres ne secouent pas la société : ça en dit long sur celle-ci ! » Il y a quelques années de ça, Lucile Peytavin rédigeait – dans le cadre de ses études en histoire – une thèse sur le travail des femmes et des hommes dans l’artisanat et le commerce aux XIXe et XXe siècles. Au fil de ses recherches, elle tombe sur une statistique à l’origine de son essai Le coût de la virilité – Ce que la France économiserait si les hommes se comportaient comme les femmes : la population carcérale française est composée de 96,3% d’hommes. Pour elle, c’est un choc. « Les prisons sont remplies d’hommes et ce n’est même pas un sujet. À partir de ce moment-là, je n’ai plus du tout vu la société de la même manière », signale-t-elle. Sa prise de conscience se poursuit et le déclic se produit le jour où passent devant elle, dans la rue, des véhicules de police, sirènes hurlantes : « Je me dis alors qu’ils vont intervenir pour un délit probablement commis par un homme. Et à ça, il faudra ajouter l’intervention des pompiers puis de la Justice, des services pénitentiaires, des services de santé, des services d’insertion, etc. Je me suis demandée combien nous dépensions chaque année pour ça ? Et je me suis lancée dans le calcul de ce que j’ai appelé le coût de la virilité ! »

UNE ESTIMATION ALARMANTE ET POURTANT EN DEÇA DE LA RÉALITÉ

Les chiffres sont effarants. Et cerise sur le gâteau, l’essayiste précise que son estimation est en deçà de la réalité. Elle parle « d’un gouffre statistique ». Les hommes représentent 83% des 2 millions d’auteurs d’infractions pénales traitées annuellement par les parquets, 90% des personnes condamnées par la Justice, 86% des mis en cause pour meurtre, 99% des auteurs de viols, 84% des auteurs présumés d’accidents routiers mortels, 95% des auteurs de vols avec violences, 97% des auteurs d’agressions sexuelles… « Tous les hommes ne sont pas des délinquants et des criminels mais majoritairement les délinquants et les criminels sont des hommes ! Et il y a là un point d’aveuglement car quand on étudie la violence, on ne prend pas ça en compte », souligne Lucile Peytavin qui prend l’exemple d’un soir de match de foot : jamais dans les médias, par exemple, on ne mettra en exergue le fait que dans 98% des affaires de violence sont commises par des hommes.

« Il a donc fallu chercher les chiffres au-delà du point d’aveuglement. Le ministère de l’Intérieur et le ministère de la Justice fonctionnent majoritairement pour des hommes, en fait ! J’ai donc calculé les coûts directs et les coûts indirects. Le coût de la virilité correspond à la différence entre les sommes dépensées pour faire face aux comportements asociaux des hommes et les sommes dépensées pour faire face aux comportements asociaux des femmes », explique-t-elle. Et ce coût s’élève à 95,2 milliards par an, en France. Dans son livre, elle détaille tous les éléments, toutes les formules mathématiques et toutes les dépenses, qu’elle récapitule dans un tableau aux résultats vertigineux. Il y a tout d’abord les dépenses de l’État : 9 milliards d’euros pour la défense et la sécurité (dont les forces de l’ordre avec 8,6 milliards d’euros), 7 milliards d’euros pour la justice (incluant l’administration pénitentiaire) et 2,3 milliards d’euros pour la santé.

Et puis il y a les coûts humains et matériels selon la méthode qu’elle détaille dans les pages précédentes : 18 milliards d’euros pour les coups et violences volontaires, 17,8 milliards d’euros pour les crimes et délits sexuels (hors famille), 13,3 milliards d’euros pour l’insécurité routière, 7,5 milliards d’euros pour le trafic de stupéfiants, 8,4 milliards d’euros pour la maltraitance des enfants ou encore 3,3 milliards d’euros pour les violences conjugales. D’autres lignes viennent noircir le tableau : les homicides et tentatives d’homicide, les vols, la traite humaine ou encore les atteintes à la sureté de l’État (attentats du 13 novembre 2015).

« Le surcoût de 95,2 milliards d’euros par an est colossal ! C’est une somme largement sous-estimée puisqu’il est très difficile d’avoir accès aux données par sexe et qu’un grand nombre de délits et crimes ne font pas l’objet d’une procédure pénale… »
déplore Lucile Peytavin.

LA VIRILITÉ : MYTHES ET IDÉES REÇUES

Mais l’idée de la co-fondatrice de l’association Genre et statistiques est d’aller encore au-delà des chiffres. Ou plutôt de les faire parler, ces chiffres explosifs. De les mettre sur la table et de les analyser. Décrypter ce qu’ils nous disent des comportements des hommes et surtout des injonctions sociales à la virilité. Car c’est là que réside tout l’intérêt du travail titanesque effectué par Lucile Peytavin : déconstruire les mythes et idées reçues qui fondent l’éducation patriarcale et genrée, obligeant les garçons dès le plus jeune âge à se construire dans la violence et le mépris d’autrui, en particulier des femmes. « Il y a des hommes pacifiques et des femmes violentes. Nous ne sommes pas prédéterminé-e-s. Des idées reçues circulent pour expliquer et légitimer les violences des hommes », explique l’historienne.

Dans sa ligne de mire : le temps des cavernes confrontant les chasseurs et les cueilleuses, l’impact de la testostérone dans le processus de violence et le cerveau soi-disant différent entre les femmes et les hommes. Au fil des pages comme de sa conférence, elle détricote tous les stéréotypes et préjugés essentialistes visant à établir une nature de la femme et une nature de l’homme. Exit la douceur et l’instinct maternel qui caractérisent le genre féminin et la bravoure et l’agressivité qui caractérisent le genre masculin. « Le paléolithique est la période la plus étendue de notre histoire. Les femmes aussi chassaient et avaient du pouvoir. Et surtout, attention à l’importance qu’on accorde à la chasse ! A cette époque, les populations se nourrissent principalement d’une alimentation végétale », rappelle-t-elle, non sans lien avec l’essai de Marylène Patou-Mathis, L’homme préhistorique est aussi une femme.

Autre notion à manier avec précaution : la testostérone et son influence viriliste. « Des études récentes ont montré que chez un individu, l’hormone peut être attribuée aussi bien à un comportement violent qu’à un comportement altruiste. On le voit chez différentes espèces de singes. La fluctuation du taux de testostérone se fait en fonction du rôle social ! », insiste-t-elle, avant de déboulonner un dernier élément crucial : le cerveau n’a pas de sexe. « On a longtemps pensé que les hommes et les femmes avaient des cerveaux différents. Là encore, le XIXe siècle est passé par là… Aujourd’hui, on sait que ce n’est pas vrai. A la naissance, nous n’avons que 10% de nos capacités neuronales. Ensuite, la plasticité cérébrale s’effectue en fonction de nos expériences, de nos environnements, etc. » Il s’agit donc bien d’une construction sociale, fruit d’une éducation différenciée dès le plus jeune âge entre les filles et les garçons, qui induit des différences de comportements chez les individus en fonction de leur genre. 

LE FLÉAU DE LA VIRILITÉ

Les injonctions pèsent, dès la petite enfance. Partout, la virilité est brandie du côté masculin. Un idéal normatif, défini selon les termes d’Olivia Gazalé, philosophe et autrice de l’essai Le mythe de la virilité. Une norme à atteindre et à travers laquelle on éduque les garçons, les poussant à des rapports de domination, intégrant les violences, les discriminations, la haine des autres, etc. Dès les premiers jours de vie du bébé, on attribuera davantage d’importance à la tonicité d’un garçon, on prendra ses pleurs pour de la colère – là où on verra de la tristesse pour une fille – on sera plus permissif, on communiquera moins avec l’enfant et on misera, grâce à des vêtements confortables et adaptés, sur sa motricité – là où les filles seront plus restreintes à cause des robes et des collants – on les sanctionnera moins et on les mettra moins en garde face aux potentiels dangers.

« On se dit que c’est innocent tout ça, que ce n’est pas très grave ! », ponctue Lucile Peytavin. Pourtant, les jeux de bagarre et les armes factices qu’on fournit aux garçons délivrent des messages de violence, imprimés dans leurs esprits dès qu’ils sont petits. « La violence s’exprime très tôt ! La majorité des héros sont des hommes qui s’adonnent à une violence légitime : ils sauvent le monde donc c’est normal », poursuit l’historienne. Par la suite, à l’adolescence, la virilité se joue dans le regard des pairs. Se donner des coups, s’insulter, résister aux douleurs physiques et psychologiques ressemblent à des rites initiatiques. Le passage dans le monde adulte. Dans le monde de l’homme. Invectiver les femmes, les mépriser, rejeter tout ce qui est attribué au féminin. Apprendre que ce dernier est méprisable : « C’est encore tabou d’offrir du rose à un garçon. Quand on compare avec une fille, c’est pour humilier. Quand on dit ‘Tu cours comme une fille’, c’est rabaissant. On intègre ça et ça crée des comportements sexistes. »

Si les femmes subissent majoritairement les conséquences des violences sexistes et sexuelles, les hommes aussi payent le prix de la virilité, à une échelle différente et non comparable. Mais le risque sur la santé - et sur la vie - est élevé. « À l’âge de 14 ans, les garçons ont 70% de risque supplémentaire d’avoir un accident que les filles. 80% des cancers (dus à l’alcool, au tabac, etc.) atteignent les hommes », souligne-t-elle. Dès les premières lignes de son livre, elle écrit : « Le taux de mortalité évitable est 3,3 fois plus élevé que celui des femmes. »

Face à ses conséquences dramatiques figure l’absence de prévention. L’absence de remise en question. L’absence de prise de conscience. L’absence d’évolution et de changements nécessaires et indispensables au bon déroulement de la vie des filles et des garçons. « Les filles sont éduquées à l’empathie, au respect d’autrui et à la gestion des émotions. Ce qui favorise le capital humain et une meilleure cohésion sociale. Nous avons donc la solution : pourquoi ne pas éduquer les garçons comme les filles ? Ça revient simplement à donner une éducation plus humaniste. Nous vivrions dans une société plus riche et plus apaisée ! », questionne Lucile Peytavin.

COUPER LES ROBINETS DE LA VIOLENCE

Sa réflexion dérange, bouscule, remet les choses en perspective. Pourquoi pousser les filles à recevoir une éducation plus « masculine » alors que celle-ci est synonyme d’exposition à la violence et mise en danger de sa vie et de celle des autres ? L’historienne, convaincue et convaincante, vient interroger nos représentations, nos modes d’éducation et de pensées et les conséquences de toutes les injonctions sexistes et virilistes que nous transmettons aux enfants de génération en génération.

« Ces chiffres sont un excellent outil de sensibilisation. Je fais beaucoup de plaidoyer pour agir sur les politiques publiques et maintenant je veux intervenir à l’échelle européenne »

Son livre, Le coût de la virilité – Ce que la France économiserait si les hommes se comportaient comme les femmes, vient d’être traduit en Italie et adapté à la réalité du pays voisin, tout comme le travail est en cours de réalisation du côté de la Suisse. « Le problème est d’avoir accès aux ressources chiffrées. Il y a encore beaucoup d’études à mener pour qu’on précise les coûts de la virilité. Notamment pour le coût des violences conjugales qui a été estimé il y a 10 ans… », poursuit Lucile Peytavin. Pour elle, le problème majeur et le drame principal de l’immensité de ces dépenses réside dans le fait qu’elles sont réalisées pour colmater les conséquences de la virilité mais non pour les endiguer.

« On augmente les budgets de l’Intérieur et de la Justice mais on ne réfléchit pas aux sources du problème. On ne dépense pas pour prévenir ces comportements. On ne coupe pas les robinets des violences ! On peut se douter que si le surcoût venait des femmes, ce serait beaucoup moins dans l’impunité totale… », déplore-t-elle, sourire froissé. Si on peut se réjouir d’une légère évolution – notamment dans la campagne de la sécurité routière prenant en considération les chiffres – il faut poursuivre les luttes féministes, compter encore et toujours, ne rien lâcher et « jouer sur tous les tableaux ! »

 

  • Lucile Peytavin était en conférence à l'hôtel de Rennes Métropole le 21 novembre dans le cadre de la journée d'études autour des violences sexistes et sexuelles : "Violences de genre : s'en sortir "

Célian Ramis

Diversifier les figures féminines dans le cinéma de genre

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Interroger les représentations de genre dans le cinéma étrange, insolite et fantastique, tel était l’objectif de la rencontre avec Manon Franken, membre du collectif Sorociné, à l’occasion du festival Court Métrange.
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Interroger les représentations de genre dans le cinéma étrange, insolite et fantastique, tel était l’objectif de la rencontre avec Manon Franken, membre du collectif Sorociné (podcast, média papier, ciné-club féministe), à l’occasion du festival Court Métrange, le 28 septembre dernier. 

Le cinéma, à l’instar des arts et de la culture, est un monde genré. Les chiffres en témoignent. Un quart des réalisateur-ice-s sont des femmes tandis qu’en école de cinéma, elles représentent la moitié des effectifs. À la sortie, elles seront 40% à réaliser un court-métrage, 30% un long-métrage et moins de 5% à diriger un film à gros budget. « C’est un secteur très masculin. Le cinéma d’horreur est pourtant le genre dans lequel il y a le plus de personnages féminins : très souvent, il s’agit de femmes poursuivies par des hommes avec des objets pointus », introduit Julia Lerat, membre de l’équipe du festival. Pour Manon Franken, « le cinéma s’ancre dans une culture occidentale très genrée autour d’artistes majoritairement masculins. »

Pas étonnant que les femmes soient représentées « en final girl – la survivante dans les slashers ou surviving movies – ou en vengeresse et que les thématiques comme les règles soient saisies, bien qu’elles ne soient pas souvent bien abordées. » Et pourtant : « Il suffit d’un tout petit pas très léger pour que ça change tout ! » Pour preuve : Riplay est la final girl d’Alien mais, interprétée par Sigourney Weaver, elle incarne aussi l’intelligence, la force et la détermination. Pour Julia Lerat, un seul bémol : « Elle est super forte mais elle a quand même le droit à sa scène en culotte qui n’apporte rien au film… » 

UN PROCESSUS D’IDENTIFICATION

En sous-vêtement dans Alien, en tenue sexy dans Star Wars ou en combinaison latex et talons aiguilles chez Marvel ou DC, le sans faute se fait rare. D’autant qu’il est difficile pour un film de faire l’unanimité, tant le cinéma en appelle aux subjectivités et sensibilités, même si les ressorts principaux résident sur des codes bien établis, dont le patriarcat tire profit, parfois même à coup de feminism washing...

« Il y a une grosse mouvance depuis MeToo quand même. On constate que les femmes sont prises plus au sérieux et que certaines ont moins de craintes pour se lancer. On est sur une bonne pente mais on commence à peine à l’entamer ! »
analyse Manon Franken, journaliste auprès de Sorociné.

Elle cite Titane, long-métrage de Julia Ducournau, qui en 2021 remporte la Palme d’or au festival de Cannes. « Ce film se situe dans la continuité du mouvement, il symbolise les changements qui se déroulent actuellement et baigne dans une époque en quête d’inclusivité », poursuit-elle. Pour Cyrielle Dozières, directrice de Court-Métrange, les personnages féminins forts fleurissent sur les écrans du cinéma de genre depuis plusieurs décennies. Elle s’interroge sur l’impact de cette représentation : « Suffit-il de montrer des femmes badass pour faire évoluer les mentalités ? »

Une question dont saisit Manon Franken pour témoigner de son envie de voir davantage de femmes médiocres, comprendre ici normales, avec leurs forces, leurs ambitions, leurs vulnérabilités, fragilités et leurs contraintes : « Ces femmes-là, elles constituent 90% de la population ! Il y a d’un côté la femme victime du tueur et de l’autre, la femme qui tue des aliens dans l’espace. Entre les deux, il y a un vide ! »

DES CORPS ET DU GORE

Dans le body horror, les personnages féminins sont fréquemment utilisés. La grossesse, l’accouchement, les menstruations, le post partum sont des thématiques récurrentes, « parfois abordées de manière catastrophique et parfois abordées de manière innovante ». Elle cite alors Ginger Snaps, de John Fawcett, dans lequel la protagoniste est griffée dans le dos par une bête. A l’approche de ses règles, la jeune femme devient de plus en plus monstrueuse. « Ce qui est drôle, c’est que finalement ce n’est pas parce qu’elle a ses règles qu’elle est comme ça, c’est parce qu’elle est devenue un loup-garou », s’amuse Manon Franken. Ce à quoi Cyrielle Dozières rétorque : « Le cinéma de genre a beaucoup exploité ça pour créer de l’horreur alors que pour les femmes, avoir ses règles, c’est quelque chose de banal… » Voilà qui pose la question du regard porté sur le propos cinématographique.  

DÉBOULONNER LE MALE GAZE

Les stéréotypes de genre sont intégrés par tou-te-s dès l’enfance. Toutefois, « le rapport au corps est différent quand il est filmé par des hommes ou par des femmes. D’autant plus dans le cinéma d’horreur, très en lien avec le corps et les fluides », souligne Julia Lerat. En 1975, la réalisatrice et critique de cinéma Laura Mulvey théorise le concept de male gaze, traduit en français par regard masculin. La culture visuelle – photo, cinéma, publicité, bande-dessinée… - est dominée par la vision masculine cisgenre hétérosexuelle et s’impose, par sa diffusion massive, auprès de tous les publics. Imprégnés de ce regard, les objets culturels transmettent les stéréotypes de genre et la culture du viol, validant les violences sexistes et sexuelles à l’encontre des personnes sexisées, soumises, victimes et réduites à leurs caractéristiques charnelles, érotiques et sensuelles.

« Heureusement, une nouvelle génération arrive. Elles travaillent depuis longtemps dans le domaine mais elles commencent à être de plus en plus médiatisées », signale Cyrielle Dozières qui fait référence à, entre autres, l’actrice, réalisatrice et scénariste Jennifer Kent, la réalisatrice Mary Lambert ou encore la réalisatrice et productrice Antonia Bird. « Le problème, c’est qu’on a souvent tendance à penser que si une femme réalise, le personnage sera féminin et vivra des choses « féminines ». Heureusement, non, ce n’est pas toujours aussi binaire ! », ajoute Manon Franken. Elle prend pour exemple Jennifer’s body, de Karyn Kusama :

« Après avoir joué dans Transformers, on accuse Megan Fox d’être juste une bimbo. Et là, elle joue une lycéenne séduisante et séductrice, enlevée par des gens veulent sacrifier une vierge alors qu’elle ne l’est plus. J’ai vu peu de films graveleux réalisés par une femme et franchement, c’est drôle et pas sexiste ! »

LA PRÉSENCE DES FEMMES

Le male gaze interroge le regard que l’on porte aussi bien devant que derrière la caméra. « Les réalisatrices s’imposent de plus en plus et des personnages féminins, plus intéressants et complexes, sortent de leurs plumes. Mais il y a aussi la question du public… », lance la directrice de Court-Métrange. En effet, « la cinéphilie n’est pas associée à une passion pour filles, surtout si on y ajoute le genre, on pense à des mecs nerds », répond Manon Franken. Et la difficulté à s’intégrer dans cette communauté, c’est du vécu pour Julia Lerat : « Plusieurs fois en festivals à Paris, on était 1 ou 2 femmes, de temps en temps. Réussir à oser y aller sans subir le regard mi admiratif mi amusé des mecs sur place, c’est pas si facile ! » Même discours du côté de Manon qui se souvient d’une séance avec pratiquement que des hommes dans le public : « Il y a une scène avec une femme qui enlève son tee-shirt et tout le monde se met à hurler « À poil ! », je n’ai pas compris… »

Le cercle est vicieux : manque de femmes dans la création, manque de femmes dans les représentations, manque de femmes dans l’assemblée… Néanmoins, les lignes bougent. « Les solutions ne sont pas simples pour atteindre la parité mais un changement profond a l’air d’être en route et d’ailleurs, c’est indispensable. Dégenrer, déconstruire… Le cinéma est un outil merveilleux pour rouvrir les champs ! », conclut Cyrielle Dozières. 

Célian Ramis

Sciences : performer le genre binaire

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Interroger la binarité et la performance du genre dans les sciences, et notamment dans les domaines du numérique et du sport, était l’objet des conférences de Cécile Plaud et Ludivine Brunes, à l’occasion de la journée « Égalité et sciences : la place des femmes ».
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Interroger la binarité et la performance du genre dans les sciences, et notamment dans les domaines du numérique et du sport, était l’objet des conférences de Cécile Plaud et Ludivine Brunes, jeudi 9 mars, à l’occasion de la journée « Égalité et sciences : la place des femmes », organisée par l’Université de Rennes, à la fac de Sciences économiques. 

« L’informatique a attrapé un sexe et ce sexe est masculin. », affirme Cécile Plaud, en introduction de sa conférence « Pour dégenrer le numérique, cassons les codes ! ». L’enseignante chercheuse en science de l’éducation à l’ENSTA Bretagne, à Brest, cite Grace Hopper, Ada Lovelace, Margaret Hamilton ou encore Betty Holberton, « des femmes qui ont marqué de leurs découvertes le monde de l’informatique mais n’ont été que tardivement reconnues. » Et explique l’effet Matilda – appelé ainsi par sa théoricienne Margaret Rossiter en femmage à la militante féministe Matilda Joslyn Gage – comme un phénomène définissant « comment les femmes scientifiques profitent moins des retombées de leurs recherches et ce, souvent au profit des hommes. » Un effet qui malheureusement se retrouve dans tous les domaines majoritairement masculins, comme le soulignera également Raphaëlle Rannou, de l’Institut National d’Histoire de l’Art, lors de la conférence suivante sur la place des femmes en archéologie.

DES CHIFFRES ÉDIFIANTS

En 2018, les femmes représentaient 33% des salarié-e-s des secteurs de l’informatique. Elles occupent principalement (75%) les fonctions supports, à savoir les ressources humaines, l’administratif, le marketing et la communication, « souvent les moins prestigieuses et les moins rémunérées » et se font rares (15%) dans les fonctions techniques de développement, gestion de projets, etc. Et certains métiers sont particulièrement fermés aux femmes comme dans les start up dans le domaine de la tech (9%) et le big data (12%). Autre chiffre édifiant : en 2020, dans les écoles d’ingénieur-e-s, « alors qu’en 1983, l’informatique était la spécialité la plus féminisée », c’est désormais la moins féminisée avec 16,6% de femmes. « Ce chiffre illustre à lui seul le retournement de situation sans précédent dans le champ professionnel : le numérique est la seule filière scientifique ayant enregistré une nette baisse de la proportion de femmes depuis les années 80. », signale Cécile Plaud, qui interroge alors : « Pourquoi en est-on arrivé là ? » Et la réponse est sans équivoque : c’est une question de pouvoir. Partout où les activités se professionnalisent, les femmes sont écartées. Alors qu’elles ont souvent été à l’initiative du secteur et de son développement :

« Le numérique est partout dans nos vies et est devenu un monde d’hommes. Et cela pèse fortement sur les inégalités professionnelles entre les femmes et les hommes. Au-delà des inégalités systémiques et durables, cela participe à la reproduction du sexisme. »

DES ALGORITHMES SEXISTES

L’enseignante chercheuse se base sur une série d’exemples démontrant le sexisme intégré de la société et diffusé à travers les algorithmes des GAFA. C’est Amazon qui ouvre le bal en 2018 en développant un algorithme permettant d’automatiser le recrutement sur les postes techniques. Systématiquement, celui-ci excluait les CV de femmes : « L’algorithme a déduit, sur la base des postes techniques d’Amazon déjà en fonction, qu’être une femme était un critère discriminatoire. » Fin 2019, c’est Apple qui se rend compte que l’algorithme de sa carte de crédit défavorise largement les femmes. « Les données enregistrées étaient vieilles. Comme leur émancipation financière est récente, il en a déduit que les femmes disposaient de crédits moins élevés. », analyse Cécile Plaud. Vient ensuite le tour de Facebook et Google. Une ONG fait une étude sur les algorithmes des offres d’emploi diffusées par les deux firmes et achète des espaces publicitaires en Suisse, en Allemagne, en Espagne et en France pour des postes de développeurs en machine d’apprentissage, camionneurs, coiffeurs, éducateurs jeunes enfants, conseillers juridiques ou encore infirmiers. Toutes les annonces sont volontairement rédigées au masculin : « Facebook, surtout, a automatiquement ciblé un sexe pour chaque emploi. » Pas de surprise sur la catégorie choisie selon le secteur. Cécile Plaud réagit :

« Il est urgent de dégenrer le numérique pour en faire un champ d’égalité professionnelle et inclusif, pour ne plus reproduire, à notre insu, les stéréotypes de genre. »

On peut aussi constater que les sites de rencontre agissent de manière sexiste par le même processus, tel que l’a démontré la journaliste Judith Duportail, journaliste dont l’enquête sur Tinder a fait l’objet d’un livre, L’amour sous algorithme. Et on retrouvera les mêmes mécanismes concernant les discriminations racistes et validistes, entre autres. 

POIDS DE L’ÉDUCATION GENRÉE

Elle le dit, les femmes n’ont pas toujours été sous-représentées dans le champ du numérique : « Au début de l’informatique et jusqu’au milieu des années 60, les femmes étaient présentes. L’ordinateur était le prolongement de la machine à écrire, associé à la machine de bureau, au secteur tertiaire. » Puis, dans les années 80 et 90, le retrait des femmes s’opère et la micro-informatique y joue un rôle important puisque l’ordinateur familial a été préempté par les hommes, devenus les utilisateurs prioritaires. « Côté professionnel, on passe d’un monde artisanal – je caricature un petit peu – à un monde scientifique et les sciences sont des champs masculins. », déclare l’enseignante chercheuse en science de l’éducation. Elle cite l’anthropologue Alain Testart : « Le travail reste féminin quand il se déroule dans un cadre domestique et devient masculin quand il s’érige en métier. » Au fil des siècles, et des derniers principalement, les hommes se sont appropriés les savoirs en matière de reproduction, dépossédant ainsi les femmes de leurs propres connaissances et compétences concernant leur corps, leur fonctionnement, les plantes médicinales, etc., mais aussi les outils de production et le savoir scientifique.

Aujourd’hui, on associe les sciences du numérique, de l’informatique et des techniques à la rationalité et aux connaissances, caractéristiques que l’on pense au masculin. Et ces stéréotypes sont intégrés et diffusés dans tous les secteurs de la société, le domaine de l’éducation n’en fait pas exception. « L’école n’est pas neutre. C’est un lieu de production et de reproduction des normes binaires de genre. Ces pratiques ne sont pas conscientes. », précise Cécile Plaud qui revient sur l’éducation genrée, la différence de traitement entre les filles et les garçons à l’école mais aussi dans tous les lieux et espaces d’apprentissage, y compris à la maison. Les filles sont littéraires et les garçons, scientifiques. C’est encore une pensée de la société actuelle. Elle pointe les énoncés des exercices de mathématiques qui établissent par association des prénoms, du genre et du rôle, que les hommes pratiquent des métiers et les femmes achètent des choses : « Les hommes sont utiles, les femmes sont futiles. » Les mathématiques étaient à l’origine de l’informatique, les mêmes stéréotypes y seront accolés. La binarité infuse profondément le langage de ce secteur. 

SOUS-REPRÉSENTATIONS ET CLICHÉS

La socialisation genrée influe sur l’orientation scolaire qui elle précède l’organisation genrée du travail. C’est donc à la racine qu’il faut agir, tout en œuvrant en parallèle à la réhabilitation du matrimoine (et en dénonçant les nombreuses spoliations dont ont été victimes les femmes dans les sciences) et la déconstruction des idées reçues et représentations proposées : « La représentation des métiers du numérique passe encore par l’image du hacker et du geek. Encore aujourd’hui, on image un homme asocial, plutôt laid, qui passe son temps avec sa machine, qui a peur des filles, etc. Ce qui n’est pas représentatif du tout ! Mais cette figure agit comme repoussoir auprès des filles. » Sans compter que les modèles féminins présentés sont souvent soit inaccessibles soit référencées en tant qu’épouses de, filles de, etc. Les clichés ont la vie dure et entrainent dans leur sillon ce que l’on appelle « la menace du stéréotype » ou l’effet Pygmalion : les filles intégrant qu’elles sont mauvaises en maths sabotent leur réussite aux tests. Celles qui franchiront les obstacles rencontreront dans leurs carrières professionnelles des difficultés à se sentir légitimes et subiront dans de nombreux cas des violences sexistes et sexuelles dans le cadre de leur travail.

C’est pourquoi Cécile Plaud conclut sur l’importance d’actions à mettre en place à plusieurs niveaux, en valorisant les professions techniques directement auprès des filles « mais en faisant attention à ne pas leur faire porter la responsabilité » de cette sous-représentation actuelle. Elle évoque le dispositif L Codent, L Créent, mis en place pour la 5e année dans 6 collèges brestois : « Ce sont des ateliers de programmation par des étudiantes pour des collégiennes de 3e. Les étudiantes interviennent en binôme ou en trinôme, pendant 45 minutes. On a intégré récemment des étudiants, que l’on a formé à l’égalité et qui doivent accepter de laisser le leadership aux filles et aux femmes. Pendant ces temps, des liens de proximité se créent. Des rôles modèles, aussi. ». Et désormais, les collégiennes ayant participé forment à leur tour leurs camarades masculins. La perception change et les mentalités évoluent. 

SEXISME ET TRANSPHOBIE DANS LE SPORT…

Autre domaine dans lequel s’exerce la binarité de genre : le sport. La place des femmes trans dans le milieu sportif, c’est le sujet de thèse de Ludivine Brunes, doctorante à l’Université de Rennes. Si au départ, elle réalise des entretiens avec des personnes trans tous niveaux confondus, elle en vient rapidement à recentrer la thématique aux sports de loisirs. « Le haut niveau en France comprend 4000 athlètes qui représentent 1% des sportif-ve-s français. C’est donc très faible pour y étudier la transidentité. La majeure partie des français pratique le sport en loisirs. », souligne-t-elle. Ce jeudi 9 mars, elle s’attache principalement toutefois à décrypter le sujet sous l’angle de la pratique professionnelle. « Les athlètes sont autorisé-e-s dans les compétitions dès 2003 par le Consensus de Stockholm. Sous condition d’avoir eu recours à une opération de réassignation sexuelle. Ce qui sera modifié en 2015. », explique-t-elle. La participation des personnes trans aux événements d’ampleur nationale et internationale dérange et suscite des réticences dans les rangs.

« À part l’Ultimate et le Quidditch, tous les autres sports font des distinctions de genre. En 2022, aux JO de Tokyo, on a vu un tournant à ce sujet avec des athlètes trans ou non binaires, sélectionné-e-s et/ou participant à la compétition, notamment en haltérophilie, BMX, foot, triathlon et skateboard. », poursuit la doctorante. Elle parle d’une réelle évolution en terme d’ouverture aux sportif-ve-s LGBTIQ+, s’appuyant sur le chiffre de 182 athlètes queer présent-e-s, « dont une dizaine transgenres », tandis qu’en 2016, iels étaient moins de 100 au total. 

DES CRITÈRES DOUTEUX

Si le premier texte de 2003 oblige les athlètes trans à la réassignation sexuelle pour les femmes et les hommes trans, la deuxième version de 2015 fixe, pour les femmes trans, un taux de testostérone en dessous de 10 nmol/L. Rien pour les hommes. « Déjà, il faut savoir que le Consensus tient sur une page qui contient 5 points à peine développés. Mais pour les hommes, il n’y a pas du tout de critère d’hormones. Ils sont contrôlés comme les hommes cisgenres, pour s’assurer qu’ils ne sont pas doppés. », signale Ludivine Brunes. Pour les femmes, l’accès à l’Olympiade est bien différent. Aujourd’hui, les tests de féminité ne sont plus valables mais ils l’ont été jusqu’en 2012 au moins : « On teste, lors des compétitions sportives, que l’athlète répond bien aux critères associés à la féminité : cheveux longs, minceur, musclée mais pas trop… En dehors, on remet en question leur féminité par des contrôles hormonaux, des examens gynécologiques, voire la vérification de leurs chromosomes… » Un moyen de s’assurer que la sportive appartient bien au sexe féminin biologiquement parlant.

« Aujourd’hui encore, on s’appuie sur le taux de testostérone alors que le féminin et le masculin se basent sur bien d’autres choses ! »
poursuit la doctorante.

Selon les fédérations, les sportives trans devront suivre entre 1 an et 4 ans de traitements médicamenteux pour atteindre le seuil jugé comme tolérable. 

UN RAPPEL À LA NORME

Le scandale apparait à chaque fois qu’une femme dépasse le taux d’hormones accepté. Cis, trans, non binaires et intersexes doivent se soumettre, si iels veulent concourir, à une médicalisation de leur corps. On se souvient de Caster Semenya en 2019 jugée par les instances sportives comme étant un homme. Double championne olympique et triple championne du monde du 800 mètres, elle a été contrainte de suivre le traitement afin que la Fédération internationale d’athlétisme ne retire pas les résultats de ses performances et a fini par refuser de faire baisser son taux d’hormones. Pendant plusieurs mois et années, débat a été fait dans la presse autour de son identité de genre sans prendre en compte la parole de la concernée. La binarité réduit les athlètes à performer le genre et à afficher publiquement leur identité de genre et à s’en justifier. Les femmes trans sont particulièrement visées et la transphobie s’exprime sans complexe.

Même si la doctorante affirme que les difficultés évoquées lors des entretiens menés dans le cadre de sa thèse dépassent la question de la transidentité et s’appliquent à un public plus large (femmes victimes de grossophobie, par exemple), il reste clair que dans l’opinion publique, ce sont les femmes trans qui « sont souvent vues comme tricheuses et voulant gagner facilement des médailles. On oublie la personne en tant que telle, la femme qu’elles sont. » Un rappel à l’ordre pour rester à sa place et entrer dans le moule de la norme cisgenre. Et en 2024 ? « Pas encore de communication à ce propos puisqu’il n’y a pas encore eu de retours sur les athlètes sélectionné-e-s pour les prochains JO. »

 

 

 

 

 

Les définitions proposées par Ludivine Brunes en introduction de la conférence : 

• Queer : ensemble des identités de genre et d’orientations sexuelles qui se vivent en dehors de la cisidentité et/ou de l’hétérosexualité.

• Non binaire : Non identification (partielle ou totale) aux genres masculin et féminin.

• Transidentité : Fait de s’identifier à un genre différent de celui assigné à la naissance. Contraire de cisidentité. 

Célian Ramis

Face à la virilité, l'expression des masculinités plurielles

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Ici, on déboulonne les fondations de la masculinité hégémonique afin de rompre avec ce qui isole les hommes des femmes : l’injonction à se construire en opposition à la féminité et l’obligation à correspondre conformément aux critères de virilité.
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Créer un podcast féministe sur la construction de la masculinité et les conséquences du patriarcat sur les hommes, c’est le projet qu’ont porté Elisabeth Seuzaret et Odoneila Tovolahy lors de leur service civique au sein d’Unis-Cité Bretagne. La série radiophonique Sincère life mêle témoignages des concernés, apports théoriques militants et déconstruction des stéréotypes de genre, pour qu’hommes et femmes s’allient contre le sexisme et ensemble, imaginent et bâtissent un autre possible. 

« Apprendre à porter un masque est la première leçon de masculinité patriarcale qu’un garçon apprenne ». Citation de bell hooks, intellectuelle, universitaire et militante américaine, théoricienne du black feminism et autrice de La volonté de changer : les hommes, la masculinité, l’amour (paru en 2021, quelques mois avant son décès), elle introduit le récent documentaire Make me a man, de Mai Hua et Jerry Hide.

Elle est réalisatrice, il est thérapeute et propose des groupes de parole pour les hommes souhaitant explorer leur vulnérabilité. Le documentaire propose une réflexion autour de la domination patriarcale et de la culture masculine. Les deux œuvres constituent la base de réflexion et le fil rouge de Sincère life, qui s’attache dans son prologue et ses trois épisodes à déboulonner les fondations de la masculinité hégémonique afin de rompre avec ce qui isole les hommes des femmes : l’injonction à se construire en opposition à la féminité et l’obligation à correspondre conformément aux critères de virilité.

ENTENDRE LES VOIX

Elisabeth Seuzaret et Odoneila Tovohaly ont postulé au même service civique à la suite de leur licence de sociologie et ont intégré ensemble l’équipe d’Unis-Cité Bretagne, structure qui organise et promeut les services volontaires des jeunes. La mission : créer son propre projet solidaire. « On était toutes les deux sur la thématique du féminisme. Moi, à travers un podcast et Elisabeth, à travers l’éducation. », signale Odoneila.

Résultat : elles mettent leurs connaissances et envies en commun au service de la création et réalisation de la série Sincère life qui cherche à ouvrir la voie aux questions qu’elles se posent concernant la place des hommes dans le féminisme. « On ne trouvait pas d’issues qui conciliaient le féminisme et le fait d’intégrer les hommes. On a trouvé ça dans le livre de bell hooks. Au départ, on pensait ne faire qu’un seul épisode sur le patriarcat et la masculinité et au final, on a commencé à écrire que sur le sujet. », précise Elisabeth.

C’est Morgane Soularue, chargée de l’éducation aux médias à canal b, radio associative rennaise, qui leur fait tester leurs voix et leur conseille de se rapprocher de l’Edulab de l’Hôtel Pasteur, un lieu d’expérimentation et d’apprentissage dédié aux usages et aux cultures numériques, leur permettant d’accéder à du matériel technique d’enregistrement : « Elle nous a encouragées en nous disant que nos voix se mariaient bien et qu’elles étaient accrocheuses. »

Très rapidement, elles doivent écrire leur trame narrative, s’exercer au micro, apprivoiser leurs voix, se faire aider pour le montage… « Entendre sa voix, la faire écouter. C’est intime… Ça donne confiance en nous, ça a un côté empouvoirant. », confie Odoneila. Elisabeth ajoute : « Souvent, on déteste sa voix. Pouvoir se familiariser autant avec, c’est top ! »

Consommatrices de podcast, elles voient dans cet outil une manière intime de parler de soi et des autres, de mettre des mots sur les problématiques et sur les vécus et d’ouvrir le dialogue sur les sujets traités. Parce que les hommes, disent-elles, n’ont pas conscience du patriarcat et du poids qu’il pèse sur leurs trajectoires, elles proposent là un espace de réflexions et de témoignages introspectifs pour libérer la parole de ceux qui, eux aussi, sont victimes du patriarcat alors qu’ils sont censés en être les gagnants. Et pourtant…

LA CONSCIENCE DES INJONCTIONS VIRILISTES

« C’est possible d’étudier autre chose que son propre vécu. Certes, c’est aux hommes de prendre cette initiative mais si les féministes ne lancent pas cette invitation, ça n’arrivera jamais et on ne règlera jamais le problème qui réside dans l’éducation patriarcale des hommes. », revendique Elisabeth Seuzaret qui poursuit :

« On ne met pas de côté la souffrance des femmes. On essaye de voir comment des mecs peuvent s’intégrer au féminisme. Et ce serait se mentir que de dire qu’ils ne souffrent pas eux aussi du patriarcat. On se met dans l’action, sinon ils resteront des alliés silencieux. »

L’idée n’est pas d’excuser les comportements virilistes et violents mais d’en comprendre les tenants et aboutissants pour les déconstruire. Comment les garçons apprennent-ils à devenir des hommes virils puis des dominants ? Comment intègrent-ils la norme sexiste et finissent par l’incarner ? Ce sont des questions que le duo pose dans les trois épisodes.

Les éléments de réponses, elles les puisent et les mettent en perspective à travers l’usage de la pensée féministe intersectionnelle, développée par bell hooks notamment, la construction de la virilité, décryptée par Olivia Gazalé dans Le mythe de la virilité, ainsi que des témoignages intimes d’hommes de leurs entourages relatant les normes inculquées dans leur enfance par l’éducation parentale et l’école mais aussi inculquées par le groupe social « Hommes ».

Masturbation collective devant des magazines pornos, cohabitation paradoxale entre le rejet de l’homosexualité et la fascination pour des hommes virils en mini shorts et sueur, atrophie des émotions dès le plus jeune âge avec l’injonction « Sois un homme mon fils », honte intégrée de jouer avec des poupées… La masculinité hégémonique se fabrique en opposition à la féminité et dans le mépris de tout ce qui s’en approche.

Ainsi, les femmes seront passives, dociles et aimantes, et les hommes seront actifs, entreprenants et violents. Pourtant, rien de tout cela n’est inné. Les podcasteuses démontrent bien à quel point les traits de caractère associés au féminin et au masculin, dans une binarité réductrice et oppressive, appartiennent à une construction sociale patriarcale.

À l’instar de la sexualité virile qui oblige les hommes à clamer leur domination sur leur partenaire ou encore la rupture intérieure à laquelle on contraint les garçons qui pour devenir des hommes, des vrais, doivent rompre avec leurs émotions et scinder leur personnalité en deux : « le moi acceptable et public et le moi honteux et intime ». 

POUR UNE DÉCONSTRUCTION DES NORMES

D’autres modèles sont possibles et Elisabeth et Odoneila ont à cœur de faire place aux modalités d’actions alternatives pour qu’enfin hommes et femmes entrent dans un dialogue profond et apaisé afin de détruire les fondements de la domination patriarcale qui entrave tous les êtres humains et la nature également. Ce qu’elles veulent, c’est « offrir une autre grille de lecture ».

Dans son ouvrage, « bell hooks ne veut pas détruire la masculinité mais changer le sens de la masculinité. La masculinité est patriarcale aujourd’hui mais elle peut être autre chose. Dans l’empathie, le soin de soi et des autres. Changer le sens de la masculinité, c’est une des clés de l’évolution. » Parce que la rupture intérieure dont elles parlent dans le troisième épisode « Et Dieu créa Adam », n’est pas sans conséquence et mène souvent à des violences que l’on veut croire innées et naturelles.

« Maintenant, comment on réinvente un autre système qui s’inscrit en dehors du système de domination ? Pour nous, La volonté de changer est un livre à mettre dans les mains de tout le monde. Il faut rendre accessible cette pensée. »
souligne Elisabeth.

Le podcast Sincère life pose des questions fondamentales à la compréhension des inégalités, de la manière dont elles se construisent et la façon dont elles se transmettent. Et ouvre la porte à l’expression de masculinités et de féminités plurielles. Elles proposent « une réflexion autant pour les hommes que pour les femmes. »

Parce que comme elles le martèlent : « La masculinité, ce n’est pas que pour les mecs ! » Il est bien temps qu’ils prennent conscience de leur pouvoir d’agir pour une société plus égalitaire et de ce qu’ils ont à y gagner, à savoir une véritable liberté à être qui ils sont, à être qui ils souhaitent être, en dehors des injonctions patriarcales et virilistes. 

 

Célian Ramis

Women in Copernicus : quelle place pour les femmes dans l'aérospatiale ?

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À l’occasion des Mardis de l’égalité, l’ingénieure d’études « Applications spatiales » Marie Jagaille intervenait au Tambour, à l’université Rennes 2, le mardi 8 mars, afin de présenter le collectif Women in Copernicus, ainsi que le podcast éponyme.
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À l’occasion des Mardis de l’égalité, l’ingénieure d’études « Applications spatiales » Marie Jagaille intervenait au Tambour, à l’université Rennes 2, le mardi 8 mars, afin de présenter le collectif Women in Copernicus, ainsi que le podcast éponyme. 

« La participation des femmes est un réel enjeu. », dit-elle. Et pour comprendre cet enjeu, il faut comprendre le cadre dans lequel elles opèrent. Ainsi, elle redéfinit les trois domaines de l’aérospatial qui s’appliquent sur la terre : le positionnement (GPS), les télécommunications et l’observation de la Terre. C’est dans ce dernier domaine que porte son intervention. 

Programme européen d’observation de la Terre, il fournit des satellites, appelés Sentinelles, qui tous les jours collectent des données qui une fois analysées permettent d’établir un état des lieux global de la santé de notre planète, captant par exemple les courants en mer d’Iroise pour mieux envisager les routes maritimes et ainsi consommer moins de carburants, les phytoplanctons dans la Manche pour mieux aider les scientifiques concernant la prolifération des micro-algues ou encore les infrarouges en ville qui pourraient nuire à la végétalisation urbaine, pourtant capitale dans leur rôle de régularisation des températures.

Toutes ces données sont gratuites et accessibles aux entreprises. Copernicus participe donc à l’amélioration des connaissances en terme d’environnement mais également au dévelppement économique, notamment en Bretagne, région très active dans le domaine spatial. C’est un programme important, résultant de nombreuses compétences et de nombreux domaines (traitement des images, algorithmes, intelligence artificielle, océanographie, climatologie, urbanisme…).

PAS POSSIBLE DE TROUVER DES FEMMES... VRAIMENT ?

« Des disciplines où les femmes sont moins nombreuses. », signale Marie Jagaille, qui en arrive donc au point de départ du lancement de Women in Copernicus, collectif réunissant une dizaine de femmes travaillant dans les domaines transversaux de l’observation de la Terre en Europe, fondé en 2020.

C’est Nathalie Stéphenne qui en est à l’initiative. En suivant un mook sur Copernicus, elle constate qu’il n’y a pas de femme et s’en étonne. Ce à quoi on lui répond que cette absence n’est pas expressément voulue mais aucune femme n’a été trouvée en tant qu’intervenante…

« Pour nous, cette réponse n’est pas satisfaisante car chacune d’entre nous connaissons des femmes expertes, légitimes à intervenir. », souligne l’ingénieure. C’est alors que Nathalie Stéphenne leur propose de participer à un appel à projet, permettant de récolter 5 000 euros.

« On a proposé un projet dont l’objectif vise à donner de la visibilité à ces femmes que l’on connaît déjà et aussi à celles que l’on ne connaissait pas encore. »

ALLER CHERCHER LES INFOS

S’il existe de nombreuses études sur les femmes issues des STEM (Sciences, Technologies, Ingénierie & Mathématiques), les données sont rares, voire inexistantes concernant un domaine aussi transversal que l’observation de la Terre. Les membres de Women in Copernicus entament alors une démarche significative : dresser un état des lieux.

Un questionnaire, traduit en 8 langues, est diffusé dans tous leurs réseaux respectifs, en lien avec Copernicus, et sur les réseaux sociaux. Résultat : 450 femmes ont répondu. Sachant « que quand on lance une étude sur un sujet lié au programme Copernicus, en général, on a plutôt 200 réponses. » C’est un succès qu’elle explique notamment par la période « puisque les secteurs s’emparent plutôt du sujet » et l’outil facilitant du questionnaire en ligne.

Les répondantes ont majoritairement entre 30 ans et plus, viennent principalement du secteur académique mais aussi – moins nombreuses – du privé. Elles ont étudié pour 75% d’entre elles les STEM et les autres démontrent des parcours variés, issus des sciences sociales, du journalisme, de l’administration, des arts et de l’éducation.

« Elles ont un rôle stratégique dans Copernicus car elles aident à s’approprier les données. », précise Marie Jagaille. Car pour les ¾ d’entre elles, elles travaillent en lien avec les utilisateurs finaux du programme, « c’est-à-dire toutes les personnes qui vont pouvoir bénéficier dans leurs métiers de ces données sans en être des expertes de l’observation de la Terre. »

Leur rôle est déterminant. D’ailleurs, les répondantes se disent satisfaites de leurs métiers et portent donc un message important puisqu’elles valorisent un secteur porteur, épanouissant professionnellement. Elles sont fières de contribuer à une meilleure connaissance et compréhension de notre planète afin de mieux l’habiter. C’est réjouissant.

LES DIFFICULTÉS PERSISTENT ET PERDURENT

Pour autant, cela ne signifie pas qu’elles ne font pas face à des difficultés au quotidien dans leurs carrières. Et quand la question leur est posée, elles signalent, « sans surprise », souffrir du fait d’être minoritaires dans leurs services. Ce qui était déjà le cas dans leurs études, en général.

La première barrière est identifiée : elles parlent de boy’s clubs, d’événements quasi exclusivement masculins, font part de l’inconfort à être la seule femme au travail. Ainsi, elles subissent les stéréotypes de genre sur leur lieu de travail, se sentent moins écoutées et ressentent qu’elles ont besoin de prouver plus que les hommes leurs compétences et leur légitimité.

Marie Jagaille évoque le plafond de verre qui se traduit par un écart entre le niveau d’expertise, plutôt élevé, et le niveau hiérarchique, moins élevé, de ces femmes. Un écart qu’elle signale d’autant plus flagrant dans le secteur académique que privé.

« C’est le phénomène du tuyau percé. Le pourcentage de femmes dans une carrière académique classique, toutes matières confondues, va diminuer au fil du temps. », explique-t-elle, chiffres à l’appui : 42% assistante, 34% professeure associée, 24% professeure.

L’autre barrière identifiée, c’est celle du manque de confiance. Une réponse qui « revient toujours ». Elles estiment que cela est un frein bloquant dans leurs carrières, et parlent, sans surprise là encore, du syndrome de l’imposteur et du manque de légitimité. Pour Marie Jagaille, il apparaît que l’absence de rôles modèles féminins dans les secteurs questionnés ait un rôle à jouer. C’est un des enjeux principaux : donner de la visibilité à toutes les femmes dans les sciences. 

CONTRIBUER À LA PRISE DE CONSCIENCE

Leur enquête a été présentée au niveau européen et diffusé dans de nombreux événements. Les missions sont multiples :

« Inspirer davantage les filles et femmes à aller vers ces secteurs, encourager les filles à aller vers des parcours scientifiques, montrer que toutes les compétences sont nécessaires, contribuer à la prise de conscience des inégalités de genre dans notre secteur et déconstruire les stéréotypes de genre en impliquant les hommes dans les discussions. »

Elle ne s’en cache pas, le dernier point constitue une véritable difficulté et une grande frustration pour les membres de Women in Copernicus puisque les événements estampillés du nom du collectif sont souvent suivis exclusivement par des femmes.

« A titre personnelle, la frustration pour moi par rapport au format visio des événements était aussi le manque de proximité et de liens avec les collègues. », ajoute-t-elle. Un appel à idées est lancé : survient l’envie et la volonté de lancer un podcast, réalisé et animé par Gwenael Morin, Roberta Rigo, Guglielmo Fernandez Garcia et Marie Jagaille. 

La ligne éditoriale : réaliser des entretiens avec des femmes actives de ce secteur en Bretagne, leur donner la parole, montrer ce qu’est leur métier avec l’objectif de démystifier le côté impressionnant de l’aérospatial et aborder les sujets d’égalité de genres à travers leurs parcours et des études.

À LA RECHERCHE DE SOLUTIONS COLLECTIVES

« On n’est pas des expert-e-s des questions de genre mais on sent bien que ce sont des enjeux. Le manque de confiance revient dans tous les entretiens, imprègne tous les discours. Et on constate que c’est systémique et non une expérience anecdotique. Quand on creuse, il y a un lien avec l’éducation, au sens large du terme, reçue et l’image que l’on attend des femmes. Ne pas prendre trop de place… alors que dans nos métiers, on a besoin d’entrer en discussions, de prendre de la place dans les débats, etc. Et on ne sent pas toujours légitime à la prendre cette place, dans nos laboratoires de recherches. », témoigne Roberta Rigo. 

Ainsi, elle pose la question : si le problème est systémique, les solutions ne devraient-elles pas être collectives ? Questions des quotas, et ce dès l’école et notamment dans les sélections des cursus d’études supérieures, mais aussi prix décernés aux femmes, tables rondes autour de ces sujets, partages des vécus, réflexions collectives (incluant les hommes et les comités scientifiques)… les pistes sont ouvertes et nombreuses pour que les un-e-s et les autres cheminent vers une déconstruction des stéréotypes de genre.

« Le podcast est notre façon à nous d’ouvrir la discussion et de contribuer à ces questions-là. », conclut Marie Jagaille, précisant que 5 épisodes de Women in Copernicus sont en libre écoute !

Célian Ramis

Prendre la parole, ça s'apprend !

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Après avoir constaté la difficulté à atteindre la parité entre les femmes et les hommes dans l’événementiel, Fanny Dufour a eu envie de creuser cette problématique et a fondé Les Nouvelles Oratrices, structure dédiée à la prise de parole des femmes en milieu professionnel.
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Après avoir constaté durant des années la difficulté à atteindre la parité entre les femmes et les hommes dans l’événementiel, Fanny Dufour a eu envie de creuser cette problématique et a fondé Les Nouvelles Oratrices, structure dédiée à la prise de parole des femmes en milieu professionnel.

En tant qu’expertes et journaliste confondues, les prises de paroles des femmes représentent moins d’un tiers du temps de parole total à la télévision (32,7%) et encore moins à la radio (31,2%), selon l’INA qui en 2019 a publié une étude sur le sujet, en analysant pas moins de 700 000 heures de programme.

Fanny Dufour a réalisé sa propre enquête pour avoir des chiffres clés orientés spécifiquement dans le domaine professionnel. Entre juillet et début septembre 2020, 702 femmes ont répondu au questionnaire.

Elles sont étudiantes, salariées, indépendantes, cadres, dirigeantes, stagiaires, en recherche d’emploi... et la moyenne d’âge est de 38 ans environ. 26% d’entre elles prennent la parole tous les jours, 49% plusieurs fois par mois et 24%, occasionnellement.

L’enquête révèle une prise de parole assumée : 72% des répondantes pensent exprimer clairement et brièvement leurs idées, 60% osent intervenir et prendre la parole en cas de conflit et 59% n’ont pas peur d’exprimer leur désaccord. Pourtant, elles sont 71% à dire qu’elles s’auto-censurent régulièrement. Par peur de dire une bêtise. Et 80% pensent après leur intervention qu’elles auraient pu mieux faire.

LA PARITÉ, SOURCE DE LÉGITIMITÉ

Travaillant dans l’événementiel, Fanny Dufour constate la difficulté à atteindre la parité. Par exemple, lorsqu’une invitation à s’exprimer dans un séminaire ou une conférence – elle a présidé TedxRennes pendant 3 ans - est lancée auprès d’une femme « deux fois sur trois, c’est un refus ou une prise de décision assez longue. »

Ces dernières essayent parfois de réorienter l’invitation vers leurs collègues masculins ou demandent à pouvoir intervenir à plusieurs. « Alors que les hommes, c’est quasiment tout le temps qu’ils sont ok ou même - j’ai vu ça avec TedxRennes - qu’ils nous sollicitent pour dire qu’ils peuvent venir parler d’un sujet, sans même avoir de sujet précis ! », souligne-t-elle. 

En entreprise, elle remarque également que les femmes cèdent rapidement la parole aux hommes.

« Des études américaines montrent qu’on coupe la parole aux femmes en moyenne 2,6 fois par tranche de 3 minutes, alors qu’on ne coupe la parole aux hommes qu’une fois par tranche de 3 minutes. »
souligne-t-elle.

Lors du débat présidentiel opposant Donald Trump à Hilary Clinton, celui-ci avait interrompu la candidate démocrate 26 fois en 25 minutes, rappelle Manuela Spinelli, co-fondatrice de l’association Parents & Féministes, à l’occasion de sa conférence sur l’éducation non sexiste, animée en octobre dernier, à l’université Rennes 2.

LA QUESTION DE LA LÉGITIMITÉ

Fanny Dufour décide de creuser cette thématique et fonde Les Nouvelles Oratrices, le 8 mars 2020, en référence à la journée internationale des droits des femmes car, faut-il le rappeler, « la parole est un droit ». 

La prise de parole des femmes dans le milieu professionnel est au cœur de sa structure. La problématique de la légitimité doit être abordée. Et autour de ce sujet-là, elle réalise qu’on manque de connaissance :

« Si on ne s’intéresse pas au féminisme, on ne connaît pas finalement ce sujet, on n’en a pas forcément conscience. En creusant, on comprend : il n’y a pas ou très peu de rôles modèles féminins, dans les manuels scolaires, on ne voit quasiment que des hommes et on a une éducation assez genrée. On a besoin de montrer le côté sociologique de cette difficulté à prendre la parole. »

Sans oublier que les femmes n’ont eu voix au chapitre en matière de citoyenneté qu’à partir de 1944, lorsque le droit de vote a été conquis par de longues luttes féministes et qu’il faudra se battre ensuite pour obtenir un arsenal législatif débarrassant les femmes de la tutelle de leurs maris ou de leurs pères.

Et que malgré l’inscription de l’égalité dans la loi, elle n’est pas réellement effective dans les mentalités et les pratiques.

« J’avais l’idée des Nouvelles Oratrices en tête depuis 6 mois / un an et les choses se sont précipitées dans le cadre de tedx quand j’entendais en commission que ce n’était pas si grave que ça de ne pas avoir la parité. Pour moi, la parité génère un sentiment de légitimité. C’est donc important. Je me suis dit qu’il fallait faire quelque chose, entre femmes. Pour aborder cette question de la légitimité. », explique Fanny Dufour. 

L’ENTRAIDE DES CERCLES

La structure propose des formations professionnelles intitulées Cercles de femmes, sous la forme de 8 rencontres de 2h. Concrètement, des groupes de 6 à 10 personnes par Cercles sont constitués et vont au fil des rendez-vous aborder différentes thématiques inhérentes à la prise de parole.

Des comédiennes prennent en charge la partie autour du corps, des gestes parasites, de la voix, des complexes, etc. Des coachs en prise de parole interviennent sur les arts oratoires, l’éloquence, le débat, etc. Une experte en égalité Femmes-Hommes axe davantage sur la légitimité, les manières de prendre sa place, lors de réunions, d’entretiens d’embauche, etc.

« On a aussi un groupe privé sur Facebook pour poursuivre les échanges, fournir des compléments d’information, etc. Et sur la base du volontariat, celles qui ont déjà participé aux formations peuvent sur des créneaux d’1h30 continuer d’entretenir cette prise de paroles. Parce que parfois, elles sont venues aux Cercles pour préparer un entretien d’embauche ou pour évoluer professionnellement dans leur entreprise.

Elles ont donc un objectif et c’est pour ça qu’elles sont là, c’est ce qu’elles préparent. Mais après, si elles obtiennent le poste par exemple, elles peuvent être amenées à animer des réunions, par exemple. C’est toujours bon d’entretenir sa prise de parole. Et puis le groupe permet aussi de jouer le collectif, l’empowerment. On se met des rituels, des défis, on s’encourage, on s’applaudit. », précise la fondatrice. 

Il existe aussi des Cercles de femmes pour les particuliers. Toujours en lien avec la prise de parole dans le milieu professionnel :

« Parfois, elles viennent à titre personnel parce qu’elles n’ont pas envie d’en parler à leur employeur ou parfois parce que leur employeur ne veut pas prendre la formation en charge. On axe sur le côté professionnel mais ça ressurgit sur le côté privé. J’ai plusieurs femmes qui m’ont déjà dit justement qu’elles avaient réussi à parler à leur mari ou une autre personne de tel ou tel sujet, chose qu’elles n’arrivaient pas à faire jusqu’ici. »

CONSÉQUENCES D’UNE ÉDUCATION GENRÉE…

Si Les Nouvelles Oratrices ciblent principalement le milieu professionnel, la structure n’oublie pas que les freins liés à la prise de parole en public ne naissent pas à l’entrée de la vie active.

Ils découlent d’une construction sociale qui assigne des caractéristiques spécifiques au féminin et au masculin, le premier étant souvent dévalorisé et le second, brandi comme étant la norme à atteindre (sans toutefois pouvoir se le permettre).

Ainsi, leurs actions sont également orientées à destination des jeunes filles de 13 à 18 ans et des femmes en situation de précarité :

« On a toutes besoin de se former. D’apprivoiser notre corps, notre organe vocal. On voit la souffrance du manque de légitimité. On n’est pas du tout armées pour les entretiens, les réunions, les rendez-vous qui peuvent être plein de stéréotypes et d’attaques sexistes. Plus on peut former dès le plus jeune âge, mieux c’est. » 

Elle le dit, à 35 – 45 ans, les femmes sont abimées par ces attaques sexistes et ce manque de légitimité ressenti. Pour la fondatrice des Nouvelles Oratrices, la prise de parole, ça se travaille, ça se pratique :

« En France, on est nul-le là-dessus. On ne travaille pas ça à l’école. On est avec notre « thèse, antithèse, synthèse… ». On n’ose pas parce qu’on n’a pas appris. Et à cela s’ajoute le fait qu’on n’interroge pas les filles et les garçons de la même manière à l’école. On donne plus de crédibilité aux voix plus graves. » 

L’éducation et les stéréotypes genrés pénalisent les femmes, les induisant à la discrétion. Autant dans l’espace occupé par leur corps que par leur organe vocal, considéré péjorativement pour transmettre des commérages.

« Une professeure de collège à Saint-Malo me racontait qu’après le premier confinement, les classes étaient en demi groupe et à ce moment-là, les filles intervenaient beaucoup. En septembre, de retour en classe entière, elles le faisaient beaucoup moins. », souligne la fondatrice des Nouvelles Oratrices, qui insiste sur la notion de pratique : 

« Plus on s’entraine, plus on gagne en aisance. On a besoin de s’outiller et de s’armer. Il faut encourager les filles et les femmes. » 

Fanny Dufour mise sur le partage d’expériences, l’apport de savoir concernant notre histoire et la construction de stéréotypes genrés et sexistes à travers les sociétés, la gestion du stress, l’écoute des émotions, et encore une fois, la pratique.

Et bien sûr, la sororité : « C’est déjà une partie de la solution. En réunion, on peut faire attention à la répartition de la parole, à la manière dont on facilite la prise de parole pour chacun-e et ainsi on peut déjà éviter le mansplaining et la monopolisation de la parole ! ». 

 

Célian Ramis

Remaniement : la riposte féministe

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Vendredi 10 juillet, femmes et hommes sont descendu-e-s dans les rues, un peu partout en France et même à l’étranger, pour protester contre le « gouvernement de la honte », à la suite du remaniement ministériel annoncé lundi 6 juillet.
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Vendredi 10 juillet, femmes et hommes sont descendu-e-s dans les rues, un peu partout en France et même à l’étranger, pour protester contre le « gouvernement de la honte », à la suite du remaniement ministériel annoncé lundi 6 juillet.

Il faut se réinventer, lançait Emmanuel Macron lors du confinement. Une citation qui rejoint le panthéon du langage politique ordurier qui n’a d’autre signification que celle de dire à la population d’aller se faire foutre. Pour trouver du travail, il suffit de traverser la rue. Pour affronter une crise sanitaire aux conséquences sociales et économiques désastreuses, il suffit de se réinventer.

Et pour faire taire les féministes ? Suffit-il de faire croire que l’égalité entre les femmes et les hommes est la grande cause du quinquennat ? Non, elles n’y croient pas, elles réclament une vraie volonté politique, des actes concrets, des moyens financiers et humains et des garanties sur le long terme.

Depuis l’arrivée de Macron à la présidence de la France, il y a eu l’affaire Weinstein, les mouvements Balance ton porc et Me too, les milliards de témoignages de femmes dénonçant sur les réseaux sociaux, dans les médias ou encore dans les arts et la culture, les violences sexistes et sexuelles subies parce qu’elles sont des femmes.

La vague violette est née. Et avec elle, une tempête de colère, d’incompréhension, de rage, de détermination et de puissance. Les féministes ne lâchent rien, les gouvernants le savent. Peu importe. Eux non plus ne lâchent rien. Ni le pouvoir, ni leurs privilèges. La plupart sont des hommes, blancs, cisgenres, hétérosexuels, bourgeois.

Dans les discours, ils prônent la diversité, l’égalité des chances et l’humanisme. Un joli terme bien utile pour universaliser la problématique et invisibiliser les nombreux mécanismes d’oppression et de domination auxquels ils adhèrent fermement. Dans les faits, ils défendent la liberté d’importuner (comprendre ici que les hommes jouissent de la liberté d’importuner les femmes) et les gauloiseries (comprendre ici la culture du viol dans son entièreté, pour plus de clarté, on conseille de lire le livre de Valérie Rey Robert, Culture du viol à la française). 

Ils tentent de semer la confusion entre les actes et les effets d’annonce – pma pour tou-te-s (dont les personnes transgenres sont exclues !), grenelle contre les violences conjugales, âge du consentement pour les mineur-e-s, enregistrement des plaintes en ligne, délai d’avortement… - mais ils se montrent très clairs sur leur ras-le-bol.

Ras-le-bol de faire semblant de s’intéresser à ce qui fondent les inégalités. Ras-le-bol des conneries des militantes féministes qui n’ont rien d’autre à foutre que de s’attaquer à la langue de Molière, à l’éducation de Jules Ferry, aux ambitions sportives de Pierre de Coubertin, au cinéma de Polanski et de Besson…

Elles cherchent clairement à détruire notre belle nation construite par les Grands Hommes pour les Grands Hommes. Où vont-elles s’arrêter ? Au gouvernement Castex I ? Il n’y a pas de doute, la réponse est non. Elles ne céderont pas à la menace du retour de bâton (le fameux « backlash » développé par l’autrice et journaliste, militante féministe, Susan Faludi dans son livre Backlash : la guerre froide contre les femmes, paru en 1993). 

Parce que le retour de bâton est une sorte d’épée de Damoclès au-dessus de la tête des femmes. Sortez des normes, des assignations, des sentiers battus, de votre condition de femme dans tout ce qu’elle comporte d’interdits et d’injonctions, et vous serez punies. Ouvrez vos gueules, tapez du poing sur la table, racontez vos vécus, et vous serez punies. Exposez-vous hors du cadre dans lequel on vous a enfermé depuis plusieurs décennies, et vous serez punies. Eloignez-vous des lignes que l’on a tracées autour de vous, et vous serez punies. Cassez les murs de votre prison sociale, et vous serez punies. Rompez soldates, et vous serez punies.

Il existe des échappatoires, il existe des possibles. Emmanuel Macron demande aux Français-es de se réinventer, les femmes, elles, savent que trop bien ce que c’est que de se réinventer. En permanence. Face aux violences sexistes et sexuelles. Face aux violences LGBTIphobes. Face aux violences racistes. Face aux violences classistes. Face aux violences validistes. Face à toutes ces violences en même temps. Face au croisement de plusieurs de ces violences.

Alors, ça pète de toute part. Parce que s’attaquer à ces inégalités, c’est creuser profondément pour en trouver les sources. Les sources du patriarcat, les sources du capitalisme. Les enjeux de l’esclavage, de la colonisation et de la période post-coloniale. Les conséquences qu’on réfute, qu’on ne veut pas entendre et qu’on ne veut pas voir.

On ne veut pas comprendre parce que comprendre, c’est déjà accepté qu’il n’y ait pas de retour en arrière possible. Et puis parce que ça implique une remise en question, une déconstruction de nos idées reçues et préconçues. Parce qu’enfin ça signifie d’interroger nos positionnements, notre manière de (ne pas) nous situer dans la société, de réaliser qu’on a des privilèges en tant qu’hommes blancs, en tant que femmes blanches, en tant que personnes valides, etc.

Écouter et entendre. Sans renvoyer à l’autre l’état d’un jugement hâtif et basé sur des stéréotypes, sur de l’inconscient patriarcal et raciste (ne mentons pas, qui ne l’a pas intégré en vivant dans une société comme celle de la France ?). Voilà ce dont le gouvernement va à l’encontre.

« Le signal est clair : la parole des victimes est encore une fois bafouée. », scande le collectif Nous Toutes 35 lors du rassemblement de ce vendredi 10 juillet 2020, place de la Mairie à Rennes. Au même moment, des milliers de femmes et d’hommes se mobilisent contre le remaniement de la honte à Ajaccio, Angers, Barcelone, Berlin, Caen, Dijon, Grenoble, Laval, Londres, Marseille, Metz, Montpellier, Montréal, Nantes, Nice, Orléans, Paris, Poitiers, Reims, Saint-Etienne, Sidney, Strarbourg, Tel Aviv, Toulouse, Toulon ou encore Valence (liste non exhaustive). 

Ce remaniement de la honte, c’est celui du 6 juillet 2020. Celui du gouvernement Castex I. Celui qui nomme Darmanin à l’Intérieur, Dupont-Moretti à la Justice et Moreno à l’Égalité femmes-hommes, la Diversité et l’Égalité des chances. Le premier est accusé de viols, l’enquête est en cours. L’autre tient ouvertement des propos sexistes. La troisième n’est pas à proprement parler ministre mais ministre déléguée. Et d’emblée, elle s’emmêle les pieds dans le tapis, comme le rappelle Nous Toutes 35 :

« Elle a déclaré qu’elle ne voulait surtout pas que les hommes se sentent gênés, qu’ils aient l’impression qu’il n’y en a que pour les femmes. » Au-delà de son discours, elle représente avec son statut de cheffe d’entreprise « la classe dominante » et réaffirme « une position conservatrice face aux discriminations. » Pour elle, la seule complémentarité est celle des femmes et des hommes. Les autres sont inexistants. Les autres, on ne veut pas les voir, on ne veut pas les entendre.

Ce vendredi soir, les manifestant-e-s sont venu-e-s en masse. À Rennes, devant l’Opéra, trône la banderole « Remaniement : c’est mâle parti ». Tout autour, on peut lire « Violeur homophobe sexiste », « Gouverné-e-s par la culture du viol », « Sous les masques la rage » ou encore « Culture du viol en marche ». 

Dans les rangs, on entend que ce remaniement est une insulte à toutes les femmes. Un crachat en pleine face. « La grande cause du quinquennat n’est qu’une façade », s’écrie une militante de Nous Toutes 35. Elle parle de « maintien des oppresseurs ». 

Avec la nomination d’un homme accusé de viol (une enquête est en cours, rappelons-le) et celle d’un avocat ultra médiatisé pour ces propos sexistes (non, nous n’emploierons pas le terme punchline, ce serait minimiser), le message est très fort : le gouvernement décide de complètement banaliser les violences faites aux femmes, que l’on peut également appeler les violences masculines.

L’Intérieur et la Justice sont des ministères régaliens. On s’interroge alors sur la responsabilité de l’Etat qui désavoue toute volonté d’égalité. Comment envisager d’avancer en ce sens lorsque « Les accusations de viol n’empêchent pas ni de recevoir un César ni de devenir ministre » ?

En réponse, on brandit souvent la présomption d’innocence. Faisant ainsi passer les militantes féministes pour des harpies hystériques qui font des raccourcis malaisants dans le but d’enrôler toute la population dans une révolution non réfléchie. On parle des femmes qui mentent, qui dénoncent des hommes pour se venger, qui portent plainte contre des hommes de pouvoir pour les faire tomber (et au passage, récolter quelques billets, n’oublions pas que les femmes sont vénales…).

En novembre 2019, Libérationinterroge Noémie Renard sur la définition de la culture du viol. L’autrice d’En finir avec la culture du violrépond : « Dans cette expression, le terme « culture » désigne l’ensemble des caractéristiques d’une société : ses traditions, ses valeurs, ses croyances, son humour. Une culture du viol constitue un ensemble d’attitudes qui minimisent la gravité de ce crime. Dans une culture du viol, les violences sexuelles sont courantes et demeurent impunies. En France, chaque année, 84 000 femmes et 14 000 hommes de 18 à 75 ans sont victimes de viol ou de tentative de viol. Un chiffre en deçà de la réalité, car il ne tient pas compte des mineurs, fréquemment victimes. On estime qu’une victime sur dix porte plainte et il y a une impunité judiciaire : seule une plainte sur dix aboutit à une condamnation. Cette impunité est aussi sociale. Beaucoup de célébrités accusées de violences sexuelles continuent leurs carrières : Roman Polanski accusé d’avoir violé plusieurs adolescentes, Donald Trump accusé de viol par plusieurs femmes, Patrick Bruel dénoncé par plusieurs esthéticiennes pour harcèlement ou agressions sexuelles. On dit souvent que les accusations peuvent détruire une carrière, mais ce n’est pas vraiment le cas dans les faits. »

Pourquoi protège-t-on majoritairement et ne condamne-t-on quasiment jamais les hommes accusés de viol-s, d’agression-s sexuelle-s, de harcèlement sexuel ? Pourquoi renvoie-t-on quasi systématiquement la honte et la culpabilité aux femmes qui osent se déclarer victimes ? Elles ont à un moment outrepassé leur condition, au sens des interdictions et des injonctions, de femme et elles ont été punies.

C’est de leur faute. On ne veut plus les entendre. Voilà ce que dit le gouvernement avec ce remaniement. Sommes-nous radicales de penser et d’affirmer cela ? Ainsi, soit-elle, comme titrait Benoite Groult en 1975. Mais pourquoi tout le temps prendre des pincettes ? Pour dire quoi en  plus ? Que tous les hommes ne sont pas des violeurs ? Que tous les hommes ne cassent pas la gueule de leur meuf ? 

Nous non plus, on ne dit pas ça. Mais on dit que dans un système qui perpétue les inégalités et répand dans toutes les sphères de la société des stéréotypes genrés, tout le monde intègre cette construction sociale qui divise les individus et les hiérarchise en fonction de leur sexe, de leur genre, de leur identité de genre, de leur orientation sexuelle, de leur couleur de peau, de leur santé mentale et/ou physique, etc.

La preuve : on nomme un homme accusé de viol au rang de chef de la police. Et quand on s’insurge, on nous brandit la présomption d’innocence ? Non, ce n’est pas sérieux. Les féministes ne sont pas contre les hommes et ne sont pas contre la Justice. Elles la critiquent, elles la remettent en cause, elles exigent des moyens conséquents, elles veulent la justice pour tou-te-s, la justice sociale, la justice équitable. Personne ne peut raisonnablement envisager de croire qu’elles sont contre la Justice, juste comme ça, par envie de faire chier. Mais n’importe qui peut s’y refuser par volonté de ne pas remettre le système oppressif en question.

« Nous ne nous laisserons pas faire ! Nous ne céderons pas à la peur ni à la volonté de nous faire taire ! », clâme Nous Toutes 35 en conclusion de son intervention, place de la Mairie à Rennes. 

Applaudissements. Cris. Rires. Poing en l’air. Et slogans repris en chœur : « Pas de violeur à l’Intérieur ! Pas de complice à la Justice ! So, so, so, solidarité avec les femmes et les minorités ! » Plus de 1 000 personnes qui hurlent de toute leur rage et qui tapent dans leur main, c’est fort, c’est puissant, c’est empouvoirant.

Et c’est émouvant. Les manifestant-e-s forment un cercle et lorsque l’on tourne sur soi-même, que l’on voit une femme avec un tee-shirt « Female are strong as well », une autre avec un tote bag Les culottéesde Pénelope Bagieu, plein d’autres avec des pancartes aux slogans militants et créatifs, et que l’on entend un millier de voix se réunir pour chanter « Nous sommes fortes, nous sommes fières, et féministes et radicales et en colère », ça nous prend aux tripes.

Alors l’espoir renait, l’espoir nous saisit les entrailles. Non, nous ne laisserons pas faire. Ce coup-là, comme tous les autres coups qu’on a pris et que nos sœurs ont pris, nous ne les oublierons pas. Nous nous battrons. Pour nos droits, pour nos idées, pour l’égalité. Les retours de bâtons ne nous font pas peur. Ils sont notre quotidien.

Il faut se réinventer, dit Emmanuel Macron. Nous ne l’avons pas attendu. Chaque jour, nous réinventons nos féminités, nos masculinités, notre non binarité. Chaque jour, nous réinventons nos libertés et nous luttons pour les concrétiser.

Célian Ramis

Coincé-e-s dans un jeu sur les féminismes, le pied !

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Nous avons testé l'escale game "Le féminisme expliqué aux extraterrestres" créé et installé à l'université Rennes 2. Le souci : on ne veut pas s'échapper d'un tel endroit...
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Depuis plusieurs années, les Escape Game fleurissent aux quatre coins de toutes les villes et font varier les plaisirs avec des thématiques diverses, comme les vampires, les pirates, les années 80, l’asile psychiatrique, etc. Nous n’avions pas encore testé, c’est désormais chose faite depuis le 9 mars dernier, grâce au service culturel de Rennes 2, des chercheuses et des étudiant-e-s qui ont créé un Escape Game autour des féminismes. Le problème : on n’a pas envie de s’échapper d’un endroit pareil…

En Eldenia, les catégories de genre n’existent pas dans la civilisation, qui utilise alors un pronom neutre pour désigner les individus. Aurissor, un-e Elden venue sur Terre, nous demande alors de l’aide pour comprendre ce qu’est le féminisme et trouver des reliques à ramener dans son cabinet de curiosité intergalactique.

Nous disposons de 15 minutes pour résoudre 6 énigmes qui nous mèneront aux reliques. Deux par deux, on se précipite sur les différents ilots pour s’atteler à notre mission. Face à nous, des cubes comportant des QR code, on les scanne et on accède à une vidéo de la chaine Youtube de Game of Hearth expliquant le courant queer féminisme, valorisant la pluralité des identités sexuelles et de genre, comme l’explique l’étiquette devant laquelle il faut disposer le cube.

Trois autres vidéos nous permettent de compléter le code couleur à trouver : Rokhaya Diallo pour l’afro-féminisme, Sara El Attar pour l’intersectionnalité et le port du voile, et Françoise Vergès pour le féminisme décolonial.

L’énigme ne se termine toutefois pas là. Une fois le code entré dans l’ordinateur, apparaît sur l’écran une photo d’Adèle Haenel. L’actrice fait la Une desInrocks, en novembre 2019. On lève la tête et à notre gauche, on remarque que la couverture est affichée au mur, avec une étiquette délivrant des informations sur Adèle Haenel. 

« Actrice plusieurs fois récompensée et féministe engagée. En 2019, elle prend la parole pour dénoncer les abus sexuels qu’elle a subis de la part d’un réalisateur. À la dernière cérémonie des Césars, elle sort de la salle en signe de révolte face à l’industrie du cinéma patriarcale, ayant récompensé Roman Polanski, violeur récidiviste. »

À côté d’elle, une affiche Power & equality et une autre de Laverne Cox, actrice américaine trans, faisant la Une du Time. On voudrait tout lire, tout scruter, mais ce n’est pas le propos. On se recentre sur l’objectif, le code, la Une, l’affiche… Notre binôme la soulève et y trouve un code. Un code permettant d’ouvrir un coffre détenant une des reliques.

Il y a un côté frustrant à ne disposer que de 15 minutes pour réaliser les missions, pensées et réalisées par un groupe d’étudiant-e-s volontaires qui a planché sur le concept chaque semaine depuis octobre, avec l’aide et l’accompagnement de la doctorante Dolly Ramella, de la maitresse de conférences en linguistique française Griselda Drouet et la professeure des universités Elisabeth Richard.

Frustrant certes mais stimulant et enthousiasmant également. Les énigmes sont inventives et créatives et on kiffe le décor. Partout où se pose notre regard, on prend notre pied. Il y a des clitoris suspendus au plafond, une bibliothèque féministe devant laquelle on s’attarde à lire les tranches des bouquins (et on note les titres, évidemment, pour compléter la notre), un puzzle égalité, des infos sur Lizzo, Odile Fillod ou encore Bell Hooks, un extrait de King Kong Théorie de Virginie Despentes et aussi des slogans de manif’ : « Polanski violeur, cinémas coupables, public complice ». 

Niveau féminismes, il y a de tout. On ne tombe pas dans le mainstream ou la facilité (qui serait de se centrer uniquement sur le féminisme blanc, cisgenre, hétéro…), et ça, ça nous plait. L’ambiance sombre et colorée. L’écho aux actualités. Les références à la pluralité des sujets développés par les féminismes. Sans pour autant exiger des connaissances précises et pointues dans ces domaines pour résoudre les énigmes.

Certes, nous n’avons pas déniché toutes les reliques. Mais il faut dire que nous étions 6 là où la jauge permet d’aller jusqu’à 12 participant-e-s. On s’en fout, on a passé un bon moment dans cet Escape Game « Le féminisme expliqué aux extraterrestres » et on est sorti-e-s avec l’envie de recommencer, sur un créneau plus large. Avis aux créateur-ice-s de scénarios…

 

 

 

Célian Ramis

"Nous revendiquons un déconfinement militant et féministe"

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"Partout, depuis quelques mois, se créent des réseaux spontanés de solidarité et d'entraide, qui sont autant de preuves que l’auto-organisation constitue un fer de lance essentiel de la société à laquelle nous aspirons."
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Mardi 19 mai, la coordination féministe nationale a réuni plusieurs personnes de Grenoble, Marseille, Toulouse, Rennes, Rouen et Paris. La tribune a été publiée sur le site de Mediapart le 22 mai dernier. À notre tour, nous relayons ce texte essentiel, signé par de nombreux-ses collectifs et associations, dont Nous Toutes 35 et le Groupe féministe de Fougères. Ensemble, iels appellent à une mobilisation nationale le 8 juin. Parce qu’il y a urgence.

FACE À LA CRISE SANITAIRE, ÉCONOMIQUE ET SOCIALE, UN PLAN D'URGENCE FÉMINISTE 

Nous ne nous habituerons jamais au decompte de nos mort·e·s. Le déconfinement tel qu’il est organisé montre que pour nos dirigeant·e·s, limiter les mort·e·s n’est plus la priorité, « l’économie » passe d’abord. 

Ce décompte devrait devenir aussi insignifiant que celui des femmes assassinées par leur conjoint, des enfants tués par leur père, des migrant·e·s noyé·e·s dans la Méditerranée, des victimes d’accidents et maladies du travail ou des victimes de violences policières. 

Ces mort·e·s paraissent tolérables car les profits passent avant tout, justifiant l’exploitation capitaliste, sexiste, raciste, extractiviste et écocide au mépris de notre santé. 

La crise renforce et souligne les inégalités de race, de genre et de classe. Les femmes sont en première ligne. Les travailleur·se·s les plus précaires et les plus pauvres sont les plus exposé·e·s à la maladie : salarié·e·s de l’hôpital et de la grande distribution, aides à domicile, travailleur·se·s sociaux·ales et ouvriè·re·s de l’industrie agro-alimentaire. 

Les métiers les plus méprisés sont les plus féminisés et les plus mal payés, or ils sont aujourd'hui déclarés essentiels. Dans l’éducation nationale aussi, les femmes sont en première ligne. Agentes d’entretien, ATSEM, AESH, enseignantes : toutes doivent faire face à des conditions de travail ubuesques. 

Enfin, au sein des foyers, ce sont là encore les femmes qui assurent principalement les tâches éducatives et ménagères. Confinement et déconfinement ne font que renforcer cette assignation des femmes à la sphère familiale et domestique : rien n’a changé, tout s’est exacerbé. 

La crise sanitaire actuelle, combinée à une crise économique mondiale, se traduit déjà par une précarisation généralisée et des vagues de licenciements. Les chômeur·se·s, les saisonnier·e·s, les intermittent·e·s, les prostitué·e·s et personnes qui se revendiquent comme travailleur.se.s du sexe voient leurs revenus disparaître. 

Ces dernièr·e·s sont également souvent exposé·e·s, sans protection au virus, car tou·te·s ne peuvent pas se permettre de cesser leur activité et la pratiquent dans des conditions extrêmement dangereuses. 

La menace du chômage de masse sert de chantage pour relancer l’activité des entreprises. Cette dernière augmente la potentialitéde transmission du virus, et se fait au mépris des vies des personnes dont la santéest fragile : celles qui subissent des maladies chroniques, les personnes en situation de handicap, les personnes âgées. Pour celleux placé·e·s en établissements médico-sociaux (EHPAD, ESAT, foyers, MAS, FAM), et dont les situations reposent sur les choix des personnes en charge de leur établissement, cela aura souvent pour conséquence d’aggraver leur isolement et leur enfermement. 

La casse des services publics et la destruction des dispositifs de solidarité comme l’assurance maladie, les retraites ou l’assurance chômage, visent àdiminuer le coût du travail salariéet sont responsables de notre incapacitéàrépondre à la crise sanitaire et àla crise économique qui s’annonce. 

Dans un tel contexte, une tendance au repli sur la famille risque d’accroître la marginalisation des plus vulnérables et les plus isolé·e·s : les personnes handicapées, les personnes LGBTQI, les personnes migrantes, les mères séparées, les personnes âgées isolées, les travailleur·se·s les plus pauvres. 

Mais l’Etat poursuit la répression qui frappe les hospitalièr·e·s et les personnels des maternités et continue d’expulser les réfugié·e·s sans-papiers, de mater les révoltes en prison, en CRA et dans les quartiers populaires. 

Cela est d'autant plus visible quand les gouvernements, partout dans le monde, décident de répondre à cette crise par des mesures liberticides, répressives, et par l’austérité. 

L’état d’urgence sanitaire permet à l’État de casser le code du travail et à sa police de réprimer les contestations et multiplier les violences racistes. 

Face à cette nouvelle crise mondiale, sanitaire, économique et écologique, l'ensemble du mouvement féministe se mobilise et s’inspire des grèves féministes internationales et des luttes des territoires en résistance. 

NOS REVENDICATIONS FÉMINISTES, ANTICAPITALISTES, SOLIDAIRES

Nous ne nous laisserons pas dicter en silence les mesures de « l’après », celles-là mêmes qui auront pour seul objectif de sauver à tout prix le modèle capitaliste. Nous revendiquons un déconfinement militant et féministe. 

Nous exigeons que les métiers essentiels, très souvent occupés par des femmes, soient reconnus à leur juste utilité, reconsidérés socialement et mieux rémunérés. 

Nous revendiquons la reconnaissance des conséquences du travail sur notre santé, et l'augmentation des salaires, notamment dans les emplois féminisés : l'égalité salariale entre les femmes et les hommes et la réduction du temps de travail. 

Nous revendiquons la fin des politiques de casse des services publics et du code du travail. Nous nous battons pour des services publics gratuits et de qualité, prenant en charge la petite enfance, la prise en compte de la dépendance, la restauration, le nettoyage et pour qu'il y ait un partage des tâches au sein de chaque foyer. 

Nous exigeons l'augmentation des budgets publics pour la recherche, l'embauche, la titularisation massive de personnels hospitaliers et de travailleur·se·s sociaux·ales 

ainsi que la réouverture des hôpitaux, des services et des lits supprimés. Nous demandons un accès gratuit et rapide à tous les soins de santé, nous défendons le droit à l’IVG et exigeons un allongement du délai d'avortement sous toutes ses formes. 

Nous réclamons des logements de toute urgence pour les personnes qui subissent lourdement des violences sociales et économiques : les femmes victimes de violences conjugales, les réfugié·e·s, femmes sans domicile, les prostitué·e·s et les personnes qui se revendiquent comme travailleur·se·s du sexe, les femmes migrantes avec ou sans papiers, les personnes LGBTQI marginalisées ; ces personnes qui ne sont pas prises en compte dans les dispositifs mis en place par les institutions. 

Contre les violences faites aux femmes et aux enfants, nous revendiquons un budget et des mesures conséquentes, réclamées haut et fort depuis de nombreuses années par les associations féministes.
Nous exigeons des politiques d’éducation au genre et à la sexualité, essentielles à la construction d’une société égalitaire pour déconstruire les rapports de domination. 

Nous inscrivons notre combat féministe dans le sillon du mouvement international et de toutes les luttes qui, de l'Italie au Rojava, de l'Etat Espagnol àla Corée du Sud et au Chili, de la Pologne au Mexique ou à l'Argentine, démontrent la force et la vitalité du combat féministe. 

Dans un climat mondial de récession, de replis nationalistes, de montée des mouvements racistes, sexistes, LGBTQIphobes et misogynes, nous sommes nécessairement internationalistes ! 

Il est impératif que nous nous organisions collectivement, tant localement qu’à travers les frontières. 

Le féminisme a un fort pouvoir d'action politique et un rôle important à jouer pour la société que nous voulons : nos luttes féministes sont essentielles et doivent s’inscrire dans les transformations écologiques, sociales, économiques d'une société débarrassée de tous rapports d'exploitation, de domination, d'oppression. 

La grève féministe déjà utilisée lors des mobilisations du 8 mars doit devenir un moyen d’action puissant et reste encore à construire. Partout, depuis quelques mois, se créent des réseaux spontanés de solidarité et d'entraide, qui sont autant de preuves que l’auto-organisation constitue un fer de lance essentiel de la société à laquelle nous aspirons. 

 

Nos mouvements féministes s’unissent et appellent à une coordination nationale féministe. 

Nous appelons àune journée d’actions féministes le 8 juin partout sur le territoire ! 

 

Signataires : Assemblée Féministe Toutes en Grève 31, Collages féminicides Rouen, Collages féministes Toulouse, Collectif Bavardes, Collectif Droit des Femmes 14, Collectif Émancipation, Colleurses Grenoble, Droit des femmes Rouen, FASTI, Féministes Révolutionnaires Nantes, Femmes kurdes de Toulouse, GAMS Haute Normandie, Groupe féministe Fougères, GRAF, Marseille 8 mars, Marseille Féministe, Nous Toutes 35, Nous Toutes 38, Nous Toutes 54, Nous Toutes 76, Planning Familial, Planning familial 06, Transat. 

 

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