Célian Ramis

La clitocratie en pérille mortelle

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Bienvenue en Matriarcate. Ici, les menstruations ne sont pas une taboue, la féminine l'emporte sur la masculine et les petites filles jouent avec des armes à feu. Vous l'aurez compris, ici, les femmes dominent depuis la Nuit des temps...
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Jeudi 12 mars, la maison de quartier de Villejean accueillait, un an après la représentation de Contes à rebours, la comédienne et autrice Typhaine D. qui présentait son one woman show féministe La pérille mortelle. Un spectacle drôle et engagé.

Et si on imaginait un monde dans lequel le ciel est le sol et le sol est le ciel ? Ou un monde dans lequel les autres animaux sont décrétés supérieurs et tuent les humains pour en manger la viande et les foies gras ? Et en profitent pour accrocher dans leur salon leurs trophées de chasse ? La tête de Polanski, comme ça au hasard… Ou un monde dans lequel les outils de jardinage sont inversés et c’est bien le bordel parce que dans ce cas on se roule des râteaux et on se fout des pelles ?

Un monde dans lequel les truies dénonceraient les porcs sur Twitter avec le #balancetonhomme. Ou encore un monde dans lequel 90% de la population mondiale posséderait presque toutes les richesses mondiales, les 10% restant étant des hommes, blancs, pauvres.

Et si on allait un peu plus loin et on imaginait un monde dans lequel les femmes détiennent le pouvoir et dominent les hommes ? Alors oui, on la voit venir Typhaine D. mais on se laisse embarquer par curiosité et par plaisir dans sa proposition de société inversée. Comme elle le dit si bien : « Ça a beau être sans conséquence l’imagination, c’est un peu subversif… »

Nous voilà donc en Matriarcate, où la règle grammaticale de la française est simple : la féminine l’emporte sur la masculine. Ici, les petits garçons sont éduqués à la passivité et à la douceur, éduqués pour s’occuper des autres et des tâches domestiques. Ce sont eux qui dans les contes attendent patiemment du haut de leur tour d’être délivrés par la princesse. Eux qui souffrent du syndrome du schtroumpf.

En Matriarcate, les femmes exhibent fièrement leurs menstruations et les manuels scolaires sont remplis de clitoris et de vulves. En SVT, en classe de 4e, on étudie toute l’année l’organe sexuel féminin dans sa fonction reproductrice mais aussi dans sa fonction de plaisir, et on accorde tout juste une demi journée à l’organe sexuel masculin. 

Les poils sur les femmes sont super féminins et automatiquement dégueulasses et moches sur les hommes, obligés d’être minces. Les femmes, elles, ont des dérogations donnant droit à la bedaine. Elles sont les héroïnes, ils sont les oubliés de l’Histoire. On ne connaît que les femmes de Cro Magnone et de Néandertale, « les copines qui mettaient du sang de menstruation partout. » Puis vinrent les fama erectus, les fama sapiens, etc.

En Matriarcate, on sait soigner l’endométriose, les femmes ne souffrent plus de douleurs menstruelles, les hommes développent des tas de complexes et un des plus gros tabous est l’érection hors mariage. « Mais vous avez quand même des privilèges les copains, on vous ouvre la porte quand vous passez ! », scande Typhaine D. cynique à souhait.

On rit à l’évocation de cette énumération aussi jouissive que sa veste pleine de pins pour les droits des femmes. On rit encore plus quand elle revient en « vieille femelle dominante », animant une conférence de rédaction. À l’ordre du jour : la représentation des hommes dans les médias. Non pas pour creuser la problématique en profondeur, non, plutôt pour trouver « comment on justifie qu’on y arrive pas, à la parité… »

En Matriarcate, il existe plusieurs techniques. Celle du « On n’était pas au courant ». Celle du « On n’y est pour rien et d’ailleurs nous, dans notre entreprise, on en cherche des hommes ». Celle du « C’est de leur faute à eux, nous on leur propose des postes à responsabilités et ils n’en veulent pas ». Ou encore celle de l’empathie : « J’ai trop de respect pour mes amis réalisateurs pour faire l’offense de les sélectionner parce qu’ils sont des hommes ». 

Elle en profite pour faire un point langage. Sur l’écriture « inclu-excessive ». L’argument est choc : les mots ne sont pas au féminin, ils sont neutres, tout le monde a bien compris qu’au féminin, on ne parle pas des femmes mais de tout le monde.

« On ne va quand même pas doublé tous les mots ?! Comme ma copine Jine Delajardine, les MeToo, # machin… Je suis fatiguée ! »
poursuit-elle. 

Un féminicide donc vaut aussi bien pour le meurtre d’une femme que d’un homme. C’est évident. Il est important de continuer de parler de crimes passionnels, de drames familiaux, etc. Et surtout de bien accentuer sur le profil des agresseuses : femmes noires migrantes précaires. Il est impératif que les hommes continuent de penser que ce sont des faits isolés et qu’ils n’ont pas de liens entre eux : 

« C’est importante. Ils ne doivent pas se rendre compte que c’est une système matriarcale. »

C’est d’autant plus jubilatoire quand elle fait apparaître une membre prestigieuse de l’Académie Française : Aline Finkielkroute qui a légèrement modifié son nom, sinon ça se prononçait « Finkielkrotte ».

Et elle y va franchement : « Chères consœurs ovariennes, chères éjaculeuses de Sainte Cyprine, mes chères comatriotes. » Et elle ne lésine pas sur les « Elle était une fois » et « La féminine l’emporte sur la masculine. » Elle enfonce le clou : « La genre féminine est neutre ». Et elle frappe, même après avoir mis ses adversaires à terre : « La langue ne vous concerne que quand on vous la demande. »

Elle est odieuse, méprisante, misandre et perverse. Et elle ne s’appuie que sur des discours et des propos réellement tenus par des hommes, dans le but de rabaisser les femmes. Comme ceux qui ont été étalés dans Valeurs actuelles, criant ici à la nouvelle terreure masculiniste, et arguant qu’ils préfèrent le foot masculin et cassent l’ambiance en soirée.

« Leur écriture incultive et obscène, c’est une pérille mortelle ! », scande-t-elle en conclusion de ce brillant spectacle à l’épilogue savoureux, puisque Typhaine D. rend une femmage à Michèle Sardousse, à la guitare électrique. Evidemment, une femmage à ce glorieux titre sur les « hommes des années 2020, hommes jusqu’au bout du frein ».

On se marre vraiment pendant le one woman show de Typhaine D. Parce qu’elle gratte la merde en profondeur et avec, elle éclabousse le patriarcat, et ça, forcément, ça nous met en joie. Ça fait du bien d’en rire d’ailleurs. La comédienne réussit là où de nombreuses personnalités échouent. Car inverser les rôles est un exercice périlleux et elle, le fait avec beaucoup de talent.

Féminiser l’ensemble de son langage est une gymnastique qui demande rigueur et entrainement. Déjà, c’est impressionnant. Ensuite, ce qui fonctionne avec l’artiste, en parallèle de son enthousiasme, son cynisme et sa légèreté, ce sont les exemples et les arguments dont elle se saisit pour faire basculer le cours des événements.

C’est parce qu’elle est renseignée, c’est parce qu’elle maitrise le sujet lorsque celui-ci est à l’endroit, c’est parce qu’elle comprend et saisit les mécanismes de domination, qu’elle parvient à les renverser et les inverser. Et au passage, à nous faire rire, de par ses choix de thématiques, mais aussi de par ses mimiques et du rythme qu’elle donne à son spectacle. 

Tout ce qu’elle relate est affreux, dans les faits. Mais qu’est-ce qu’elle les met bien en perspective ! On est ébahi-e-s par sa prestation et par l’énergie que ça dégage et procure dans la salle. Elle contrecarre les discours haineux visant à réduire les féministes à des hystériques rabat-joie et pointent toutes les dissonances de nos sociétés actuelles en matière d’égalité femmes-hommes. 

De l’éducation dès la petite enfance aux institutions phallocentrées, en passant par les tabous autour du sexe, qu’il s’agisse des menstruations, de l’organe ou de la sexualité, par l’histoire écrite par et pour les hommes ou encore par les injonctions et les violences faites aux femmes, elle ratisse large (ou elle pelle large, si on se trouve dans un monde où les outils de jardinage ont été inversés) mais elle ratisse bien (ou elle pelle bien, on aura compris). On regrette en revanche que l'inversion reste au niveau de la dominance présupposée : femme blanche cisgenre hétérosexuelle.

C’est extrêmement libérateur de s’autoriser à rire en écoutant et en regardant Typhaine D. sur scène. D’imaginer les mecs à notre place et de s’imaginer, nous les meufs, à leur place, tel que cela est présenté dans La pérille mortelle, c’est drôle. Et cela n’implique pas que l’on soit pour l’inversion des rôles. Simplement, elle démontre qu’il est urgent de déplacer notre regard, mais aussi et surtout le curseur entre les individus. 

 

Célian Ramis

Les femmes et les LGBTIQ+, toujours sur la touche du football

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Sa conférence-performée se présente comme un match de football dont elle est l’organisatrice, la joueuse, la commentatrice et l’arbitre en même temps. Mais le jeu se déroule ici sur le terrain des inégalités.
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C’est au sous-sol du TNB que résonnent, ce dimanche 9 février, les airs de coupes du monde de football. « Magic in the air », de Magic System, ou encore « Waka Waka », de Shakira, Hortense Belhôte les ralentit, en les accompagnant au ukulélé. Cet après-midi-là, la comédienne, metteuse en scène et historienne de l’art présentait sa conférence-performée Une histoire du football féminin, dans le cadre des Menaces d’éclaircie (festival Waterproof / Les Tombées de la Nuit).

Sa conférence-performée se présente comme un match de football dont elle est l’organisatrice, la joueuse, la commentatrice et l’arbitre en même temps. Mais le jeu se déroule ici sur le terrain des inégalités. Lors de la première mi-temps, Hortense Belhôte se concentre sur la première partie du XXe siècle, époque durant laquelle les femmes commencent à s’émanciper.

PREMIÈRE MI-TEMPS

Au sortir de la Première guerre mondiale, non seulement les femmes investissent les terrains de football mais elles créent également des organisations pour les femmes. Dans les années 1920, le peintre mexicain Angel Zarraga peint d’ailleurs une série sur les Footballeuses.

Dans l’Hexagone, elles jouent en coupe de France et intriguent les journalistes. Jeunes, pas mariées, ouvrières, dactylos… certaines sont là pour l’effort musculaire, d’autres pour la compétition et l’envie de gagner, et d’autres encore viennent de familles sportives.

Mais en parallèle, les critiques pleuvent et s’abattent sur la gent féminine. Fortement impliqué dans l’essor et le développement des sports, et connu pour être le rénovateur des Jeux Olympiques, Pierre de Coubertin ne s’illustre pas dans l’accompagnement des femmes dans le milieu sportif. Si celles-ci veulent exercer une activité, qu’elles le fassent mais en toute discrétion et sans public…

Les arguments sexistes se multiplient : pour (soi-disant) des raisons esthétiques, médicales, financières et morales, les femmes feraient mieux de ne pas se mettre au sport. Ou au moins, de ne pas trop en faire.

« Violette Morris est une sportive, footballeuse, lanceuse de poids, lanceuse de disque, aviatrice, qui fait aussi du waterpolo… Et qui s’affiche bisexuelle. Elle est exclue pour atteinte aux bonnes mœurs. »
explique Hortense Belhôte. 

En 1929, gros krach boursier. Montée du chômage. Les femmes rentrent à la maison, « Marie Claire et Vogue prennent en charge la culture féminine. » En 1941, le gouvernement de Vichy interdit vigoureusement la pratique du football féminin. L’arbitre Belhôte siffle : « Fin de la première mi-temps. Autant vous dire qu’on ne mène pas. »

DEUXIÈME MI-TEMPS

La deuxième mi-temps est dédiée à la seconde partie du XXe siècle, époque qui connaît l’essor de la télévision et voit le football devenir une histoire de gros sous. Après 30 ans d’absence, les footballeuses sont de retour.

Nous sommes dans les années 70 et les femmes luttent pour l’accès légal à la contraception, à l’avortement, le partage de l’autorité parentale ou encore pour le droit à disposer librement de leurs salaires.

C’est aussi l’âge d’or des filles du stade de Reims, et certaines font le tour du monde pour la reconnaissance du football féminin. Mais elles ne sont toujours pas considérées comme professionnelles. Pour cela, il faudra attendre encore plusieurs dizaines années.

« Après ses années rebelles, le football féminin va être mis sous la tutelle de la Fifa. On réécrit alors l’Histoire et on dit qu’ont lieu les premiers championnats officiels dans les années 80/90. »
souligne l’historienne de l’art.

La deuxième mi-temps touche à sa fin : « Et le match est toujours un peu nul. » Mais l’issue n’est pas encore déterminée. Sonne alors l’heure des « tirs au (dé)but du XXIe siècle ». Heureusement, depuis une dizaine d’années, le vent tourne et on retransmet à la télévision française les matchs des footballeuses. 

TIRS AU BUT

Panini édite son premier album à l’effigie des joueuses. En parallèle, la coupe du monde de football masculin, en 2010, est une catastrophe. Brigitte Henriques, ancienne footballeuse française et internationale, devient vice-présidente de la Fédération Française de Football. Sa mission : féminiser le football.

Les femmes sont plus que jamais sous les feux des projecteurs. Mais à quel prix ? Là où avant, on leur filait des maillots trop grands, on les faisait jouer sur des terrains pourris le dimanche après-midi, désormais on les expose face aux médias et au public, avec des maillots cintrés et des shorts courts.

« Elles passent à la télé et doivent changer de visage. Le slogan, l’an dernier, pour la coupe du monde de football féminin, c’était quand même « Le moment de briller »… Et la mascotte apparaissait avec les cheveux longs, du maquillage et faisait des cœurs avec ses doigts… »
commente la comédienne. 

Elle dénonce le sexisme et la lesbophobie qui règne dans le milieu du football. Si à l’OL, on encourage les femmes à parler de leurs maris et de leurs enfants, on laisse encore une fois sur la touche les lesbiennes.

Côté mecs, même combat, l’homosexualité n’est pas mieux traitée, rappelle-t-elle, indiquant qu’a lieu le premier coming-out en 1990. L’auteur de celui-ci se suicide en 1998.

Pour Hortense Belhôte, l’instant est au débrief. Malgré les embuches, les femmes résistent et percent à la fois les stratégies d’attaque et les stratégies de défense du patriarcat. Pour autant, peut-on penser qu’elles ont gagné le match ?

DEBRIEF

On est ravi-e-s de retrouver Hortense Belhôte, dont on avait déjà fortement apprécié la conférence-performée « Les arts du sexe », au Diapason (Rennes 1) en décembre 2017. Toujours aussi percutante, pertinente et militante.

Avec ses diapos, son humour, sa voix, son esprit et son corps, elle nous plonge sans difficulté aucune dans l’histoire du football féminin, grâce aux recherches effectuées dans les ouvrages de Laurence Prudhomme-Poncet, profe d’EPS et autrice, et de Béatrice Barbusse, handballeuse et sociologue du sport.

Mais avant cela, ce qui motive sa démarche, c’est sa participation au spectacle de danse contemporaine de Mickaël Phelippeau, Footballeuse,et son expérience personnelle avec le ballon rond, au sein du collectif Les dégommeuses, qu’elle ne nomme pas dans la conférence mais dans une interview à Libération : 

« J’ai aussi fait l’expérience d’un autre football, dans le club des Dégommeuses, qui au-delà du sport est aussi un club militant, luttant pour le droit des femmes, des personnes LGBT et des migrants. J’ai pu donc, grâce au football, voyager, jouer des matchs dans des compétitions internationales, me permettant de me rendre compte des nombreuses questions sociales que l’on peut déceler à travers le football, notamment auprès des populations vulnérables que sont les réfugiés ou encore les populations LGBT de certains pays du monde. De fait, tout l’enjeu a été de restituer ces deux choses : d’une part mon histoire personnelle, avec ma passion pour le foot et mon engagement militant, et d’autre part l’histoire des femmes dans ce sport, afin de gagner en vérité et en profondeur. »

C’est une réussite. Elle distille avec agilité et habileté des analyses géopolitiques, de l’Afrique du Sud à l’Afghanistan, entre deux dates, deux citations ou encore deux photos de Wiltord et de Cissé, pour mettre en perspective le contexte et les conditions dans lesquelles s’intègre l’histoire de ce football, qui à l’image des injonctions paradoxales est toujours trop ou pas assez.

Ainsi, dans la conférence-performée d’Hortense Belhôte, il y a du contenu scientifique, de l’expérience personnelle, du sens critique, de la légèreté, de l’engagement et plus encore. Elle se saisit d’un sujet encore sous-exploité qui pourtant nous apparaît depuis l’an dernier, et la médiatisation autour de la coupe du monde, comme étant largement traité.

C’est là toute la puissance et la subtilité du travail et de la création de la comédienne. Produire du divertissement au sens noble du terme, en nous ouvrant les yeux sur les angles morts du patriarcat et du capitalisme. On la suit avec plaisir et on en redemande.

Célian Ramis

Autour d'Olympe de Gouges, les soeurs de choeur

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Même quand on connaît Olympe de Gouges, on se régale de cet instant de transmission de notre matrimoine. Découvrez "Olympe la rebelle" le 23 novembre à 20h à la Maison Bleue de Rennes.
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Ne pas se laisser marcher sur les pieds, s’insurger contre les inégalités, changer les lois pour faire reconnaître nos droits… Tel est le message du spectacle musical Olympe la rebelle, interprété par le chœur d’ados de la Zik’Zag compagnie les 5 et 6 octobre à la Maison de quartier de la Bellangerais. La pièce est rejouée le 23 novembre à la Maison Bleue de Rennes.

« Olympe de Gouges, elle est pas connue, elle est même pas dans nos livres d’histoire ! », s’écrie une élève. Mr Magne, professeur d’histoire, a inscrit sa classe à un concours dont la militante pour les droits des femmes et l’abolition de l’esclavage est le sujet.

En 1791, elle écrivait dans la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne : « Une femme a le droit de monter à l’échafaud ; elle doit avoir également celui de monter à la tribune. » Par son militantisme et ses écrits, elle dérangeait. Elle fut décapitée.

Plus de 200 ans après la Révolution française, elle a été oubliée, avant d’être réhabilitée il y a quelques années. À l’instar des personnages que les membres du chœur incarnent, les quinze adolescentes (parmi lesquelles figure un seul garçon), âgé-e-s entre 11 et 17 ans, ont découvert cette figure majeure du féminisme.

« C’était difficile pour eux de comprendre. Une révolutionnaire qui se fait guillotiner ! Difficile aussi d’entrer dans ce monde de la révolution et surtout d’accéder au style des écrits d’Olympe de Gouges. Mais ils se sont également rendus compte qu’elle traitait de sujets auxquels ils pouvaient être sensibles et qui restaient pour certains d’actualité. La pièce joue d’ailleurs sur l’ambivalence des jeunes à l’Histoire : un truc vieux, plein de poussière qui ne donne pas envie… mais quand on s’y plonge, elle peut résonner dans nos vies de tous les jours. », explique Claire Visier, qui a mis en scène le spectacle composé initialement par Isabelle Aboulker – qui a écrit le livret pour un collège de Montauban, d’où est originaire Olympe de Gouges – et repris par la cheffe de chœur et pianiste Estelle Vernay.

Dans Olympe la rebelle, les ados chantent et jouent, accompagné-e-s du baryton Olivier Lagarde, dans le rôle du prof d’histoire, et de la soprano Aude Le Bail, dans le rôle de la révolutionnaire. La comédie musicale dépoussière avec rythme et énergie cette période historique grâce à l’angle de vue choisi : celui d’une femme d’esprit, de lettres et d’action qui va leur insuffler débats et chansons sur l’affirmation de soi et l’égalité entre les sexes, et plus largement entre tous les humains.

Et même quand on connaît Olympe de Gouges, on se régale de cet instant de transmission de notre matrimoine et on apprécie l’expression de chaque individualité au sein du chœur. 

Découvrez Olympe la rebelle le 23 novembre à 20h à la Maison Bleue, de Rennes.

Célian Ramis

Dangereuses lectrices ou l'empuissancement par les mots

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Les 28 et 29 septembre, aux Ateliers du Vent, la première édition du festival de littérature féministe, articulée autour de la figure de la sorcière, n’a eu aucun mal à trouver son public.
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Il était attendu ce festival ! Début septembre déjà, plusieurs ateliers affichaient complets, les préventes réduisaient à vive allure, la soirée de soutien au Panama avait cartonné et beaucoup trépignaient d’impatience à l’idée de participer à un événement comme celui-ci, encore jamais organisé à Rennes. Les 28 et 29 septembre, aux Ateliers du Vent, la première édition du festival de littérature féministe, articulée autour de la figure de la sorcière, n’a eu aucun mal à trouver son public. 

La sorcière n’est pas la même partout. Elle n’est pas la même pour tout le monde. Mais elle est toujours marginalisée par une communauté, une société, victime d’un rapport de domination. Que nous dit l’Histoire à ce sujet ? Qui sont-elles aujourd’hui ? La sorcellerie peut-elle être source d’empuissancement ? Quel est l’impact des mots sur nos esprits et nos actions ? Sommes-nous toutes des héritières des sorcières d’hier ?

De nombreuses questions ont été soulevées les 28 et 29 septembre aux Ateliers du Vent pour cette première édition de Dangereuses lectrices. Et les réponses se sont croisées, articulées, percutées, confrontées, ont résonné, rebondi, retenti, ont fait écho à des vécus, des ressentis, des expériences, ont apporté un éclairage sur un sujet caricaturé dans la pop culture mais aussi réapproprié par certaines féministes au fil des siècles. Ou encore ont soulevé d’autres questions.

Les mots sur les maux ont été lus, joués et mis en scène, chantés, performés, discutés, théorisés, photographiés, démontrés, animés. Le politique et l’intime se sont donnés rendez-vous dans les paroles des unes et des autres. Pourquoi et en quoi la figure de la sorcière cristallise-t-elle toujours siècle après siècle le rapport de domination exercé par les hommes sur les femmes ?

VILAINE SORCIÈRE...

Nez crochus, chapeaux pointus, turlututu. On pense que la vilaine sorcière n’est attribuée qu’au monde enfantin. On se trompe. Elle influence toutes les générations. Et vise « les femmes qui a priori sont sorties du rôle attendu d’elles. », souligne Fanny Bugnon, historienne à l’université Rennes 2, lors de sa conférence « Les sorcières dans l’histoire, des procès au symbole féministe ». 

Ce samedi après-midi, elle décortique alors les images de la sorcière à travers le contexte historique. Les premières représentations, qui dateraient de 1451, sont en effet très symboliques : « Des sorcières qui chevauchent un objet emprunté à l’espace domestique, à savoir un balai ou un bâton. » 

Entre le 13esiècle et le 15esiècle, la lutte s’accélère, la grande chasse s’intensifie. Au départ, ce sont les autorités ecclésiastiques qui dénoncent les agissements des sorciers et des sorcières, puis au fil du temps, les accusées sont majoritairement des femmes et des milliers de buchers s’enflamment pour anéantir les sorcières. Elles sont pensées comme des ennemies de la chrétienté et pour cela, elles subiront de nombreuses « mises en humiliation et souffrances de leur corps. »

Instruments de la répression, les femmes vont être les boucs émissaires d’une société européenne frappée par la crise économique et politique. À la fin du Moyen-Âge, « l’économie rurale est bouleversée, la famine guette la population appauvrie, les réformes sont les prémices de la société capitaliste. La révolte gronde. L’Etat déploie la répression et l’Eglise se met en chasse contre les comportements les plus déviants. Les naissances deviennent un enjeu majeur. L’avortement et la contraception sont sévèrement punis… Les savoir-faire et les connaissances des femmes deviennent alors les cibles de la répression ». 

ACCUSÉES, CONDAMNÉES, BRÛLÉES…

Le décor est planté par le collectif L’Intruse, venu jouer ici Le procès de Péronne. On se situe dans le Nord de la France, à la fin du 17esiècle. Des rumeurs circulent sur la vieille Péronne, âgée d’environ 46 ans. Saoulée par un groupe de soldats, elle est un soir humiliée, harcelée physiquement et sexuellement. Sa faute ! déclarent les soldats, expliquant avoir été ensorcelés. 

Sans doute aussi est-elle la cause « du brouillard épais, de la pluie froide, de la gelée qui ravage les récoltes, des orages, des mouches, des maladies, de la lèpre, la peste, des entrailles qui pourrissent » car « c’est évident, c’est un signe du malin. » 

Les deux comédiennes, Camille Candelier et Anna Wessel, interprètent tour à tour les protagonistes du procès en sorcellerie de Péronne. Tantôt fonctionnaires qui complotent, tantôt voisines qui commèrent, elles nous emmènent avec humour et talent dans l’obscurité de l’esprit humain et patriarcal, démontrant l’aisance et la pression avec laquelle les « puissants » de l’époque tricotaient leur manipulatrice influence, allant jusqu’à faire avouer à des femmes leurs accouplements avec le démon.

« On les torture pour les faire avouer leur coït avec le diable. Il ne faut pas oublier qu’à cette époque, la Justice est uniquement composée d’hommes. Et puis il y a ce rapport à la bestialité, à la sexualité. Le bourreau recherche la marque du diable. C’est le signe qu’elle a été possédée par le démon. Si elles connaissent le diable, cela veut dire qu’elles peuvent enfanter des êtres maléfiques. », précise Fanny Bugnon, dont les contenus résonnent avec la pièce de théâtre, le soir même. Elle poursuit :

« La mort ne suffit pas. Par le feu, on purifie le corps social. Parfois, la sorcière n’est pas tuée, elle est bannie. Mais le plus souvent, elle est exécutée, brûlée vive, étranglée… Leurs noms ne figurent pas dans les registres des décès et leurs biens sont confisqués. Elles sont considérées comme païennes, vicieuses, marginales, elles sont célibataires ou non, mais toujours pécheresses. Pour ça, on leur retire leur existence. »

QUE SONT-ELLES DEVENUES ?

Au 18esiècle, la chasse aux sorcières ne disparaît pas réellement. « La sorcellerie devient le monde de l’empoisonnement. Ce sont encore les femmes : les empoisonneuses, les infanticides (le sujet dans sa globalité fait l’œuvre d’un ouvrage collectif, auquel a participé Fanny Bugnon, intitulé Présumées coupables – les grands procès faits aux femmes, ndlr). On va oublier les sorcières et elles vont revenir à la postérité. », souligne l’historienne. 

Dès la fin du 19e, elles réapparaissent. Dans l’essai La Sorcière, écrit par Jules Michelet en 1862 mais aussi le film musical Le magicien d’Oz, la série Ma sorcière bien aimée, le livre jeunesse La sorcière de la rue Mouffetard ou encore un peu plus tard, le film d’animation Kirikou et la sorcière. Entre autre. 

« Dans Merlin l’enchanteur, sorti en 1963, Madame Mim est laide, vieille, elle fait peur. Elle est l’archétype de la vieille sorcière aux pouvoirs maléfiques. Mais les sorcières reviennent aussi dans le monde féministe avec, dans les années 70, la revue Sorcières par exemple. Elles sont des figures d’empowerment car elles sont des femmes qui échappent aux hommes. Les sorcières sont la métaphore de la condition des femmes. Elles sont des femmes qui peuvent, j’ai envie de le croire, réenchanter le monde. », conclut Fanny Bugnon. 

QUI SONT LES SORCIÈRES ?

Plusieurs centaines d’années après la chasse aux sorcières, elles sont nombreuses les militantes à se revendiquer héritières des sorcières d’hier. Et si on attribue souvent ce retour sur le devant de la scène à Mona Chollet grâce à son brillant essai Sorcières – la puissance invaincue des femmes, on néglige et on méconnait alors tous les mouvements qui existent depuis longtemps, aux quatre coins du monde. 

L’autrice Laura Nsafou, dans sa conférence « Soucougnan, sukunabe, deum– Transversalité de la figure de la « sorcière » dans la diaspora africaine », attire l’attention du public, dans un premier temps, sur la barrière de la langue. Car « sorcière » est terme européen. « Si on traduit ce mot français, on n’obtiendra pas la même signification aux Antilles ou en Afrique, ni même d’un pays à l’autre. », précise-t-elle. 

Il est important de décoloniser le vocabulaire, fondé sur une méconnaissance absolue des religions et des croyances des pays colonisés. 

« Le surnaturel est très présent dans la diaspora africaine. Mais il y a eu une diabolisation qui a commencé lors des périodes de la colonisation. Le vaudou, par exemple, on le retrouve énormément dans la fiction occidentale. On parle de magie noire. De magie qui tue. Le vaudou est une vraie religion qui signifie « mettre en paix ». »
explique Laura Nsafou.

Elle exprime sa fatigue face à ce processus de diabolisation permanente : « L’imaginaire blanc qui catégorise ces religions a des conséquences sur la manière dont les personnes concernées le vivent. » 

Encore aujourd’hui marginalisées et stigmatisées, les conséquences sont immenses et souvent passés sous silence dans les médias. Elle mentionne par exemple les camps de sorcières dans lesquels vivent les femmes accusées, par leurs entourages, de sorcellerie. Les camps sont insalubres et des maltraitances y sont subies.

« Mais sur ce sujet, je n’ai pas trouvé beaucoup de sources pour le moment. Que des articles en anglais. », souligne-t-elle.

Autre exemple : les persécutions se poursuivent pour les adeptes du candomblé, une des religions afro-brésiliennes, qui voient leurs lieux de culte réduits à néant. Et d’un autre côté, sans vergogne, les Occidentaux-tales se réapproprient les rituels des peuples minorisés, sans se soucier de la pertinence et de ce que cela représente pour eux/elles.  

L’autrice insiste, il est nécessaire de se situer et de se questionner : « C’est comme pour l’exotisation des corps des femmes noires. En littérature, la présence des corps noirs a commencé par la littérature de voyage à destination des hommes blancs. Pour les divertir et non pas pour les informer. Il fallait le rendre attrayant pour le regard blanc occidental. Quand la représentation est produite par des non concerné-e-s, elle devient une caricature, un divertissement aux dépens des concerné-e-s. Le discours devient alors marginalisant. »

TOUTES DES SORCIÈRES ?

Qui sont les sorcières et que signifie le fait de se revendiquer descendantes de sorcières ou sorcières tout court ? La table ronde réunissant Camille Ducellier, artiste multimédia, Taous Merakchi (alias Jack Parler), autrice et rédactrice, et Maureen Wingrove (alias Diglee), illustratrice et autrice, a permis de poursuivre le propos de Laura Nsafou, dans le fait de se situer.

Ainsi, les trois femmes ne se définissent pas toutes sorcières et composent ensemble, pendant cette rencontre, autour de leurs différents points de vue, qui parfois se complètent, parfois s’opposent et parfois se rejoignent.

Diglee, elle, n’est pas une sorcière. Elle nuance : elle est passionnée et curieuse de l’archétype de la sorcière. Elle ne pratique pas, ou très rarement, elle préfère écouter les récits de pratique. Taous Merakchi parle quant à elle de spiritualité alternative car elle ne sait pas encore précisément où se situe le politique et où se situe le spirituel dans sa pratique. Et Camille Ducellier explique qu’il lui arrive, parmi son « millefeuille identitaire », de se définir comme sorcière. 

« Ça m’a réconciliée et aidée d’avoir un terme. Passionnée par les cultures ésotériques et baignée dans une culture féministe, ça m’a donné un trait d’union entre tout ça. Se dire lesbienne, queer, sorcière… C’est la puissance du verbe. Se dire quelque chose, c’est déjà un acte ! Je me sens sorcière queer, ça a une dimension politique. Ma vie de gouine et ma vie de queer font que j’ai des pratiques marginales qui se rajoutent encore… »
signale-t-elle. 

A chacune, la sorcellerie apporte, de manière différente. Diglee, passionnée au départ par la connaissance des minéraux, veut comprendre ce qu’est la magie. « Mais dans le milieu ésotérique, le sexisme est roi, comme partout ailleurs. Il y a peu de femmes, peu de personnes racisées. Pour m’informer, je vais dans un tas de conférences sur le sujet, elles sont souvent animées par des hommes qui catégorisent la haute magie comme étant celle héritée de l’église donc pour les hommes et la sorcellerie, héritée des femmes donc intuitive et instinctive. Je veux comprendre ce qu’est la magie. Mais quand on est une femme, c’est difficile. Alors que je ne suis pas non plus du genre « féminin sacré ». Attention, c’est bien de revaloriser les qualités du féminin. Mais il faut qu’on puisse aussi conquérir les qualités du masculin ! Je veux me sentir humain avant d’être femme, ce qui est totalement illusoire. », déclame-t-elle. 

Pour Taous Merakchi, la sorcellerie intervient sur un plan personnel et intime : « Revenir à moi-même, qui je suis, comment avancer avec les outils que j’ai déjà. Moi, je ne suis pas à plaindre du tout. C’est pour ça que ça ne m’appartient pas la définition de sorcière. Je ne suis pas prioritaire, il y a bien plus marginalisée que moi. »

Là où elles tombent toutes d’accord, c’est sur la source d’empuissancement que cela crée, peu importe si la personne se définit ou non sorcière. L’accès à l’information amène sur le chemin de la déconstruction. Que ce soit avec le livre de Mona Chollet, celui de Camille Ducellier intitulé Guide pratique du féminisme divinatoire, celui de Jack Parker et Diglee intitulé Grimoire de la sorcière moderneou encore à travers les réseaux sociaux. 

« Ma déconstruction a commencé sur internet. Pour comprendre où était le problème et construire ma vision de la féminité. De ma féminité. Le féminin n’est pas sacré par essence. » précise Taous Merakchi, rejointe par Maureen Wingrove : 

« Le collectif est porteur. Ça a été avéré qu’un groupe dégage une énergie. Quand il y a du nombre et de l’émotion, ça circule et ça fait du bien que ce soit psychologique, magique ou autre. On sent que quelque chose agit, quelque chose se passe. »

Camille Ducellier, elle, croit également que cette énergie, source d’empuissancement car source de transformation, ne doit pas rester au niveau individuel. Politiser le mouvement mais aussi le sortir des normes que l’on ne connaît que trop bien.

« Les américaines par exemple sont plus tournées vers l’action. En France, on est très accroché-e-s à la parole, l’analyse, la critique, etc. C’est très bien mais ce n’est pas la seule manière de comprendre le monde. La psychanalyse, l’ésotérisme et le féminisme sont trois systèmes symboliques que j’aime et que j’essaye de faire dialoguer. », souligne-t-elle. 

À CHACUNE SES RITUELS

La table ronde, au large succès, n’apporte pas de réponse concernant la définition précise de ce qu’est une sorcière aujourd’hui. Elle nous incite plutôt à nous questionner sur nos propres attentes et pratiques, nous déculpabilisant grâce à une phrase de Camille Ducellier :

« Je pars du principe que si on se sent intimement en lien avec cet héritage, on peut se définir sorcière si on a envie. C’est un va et vient entre le passé, le présent et le futur. Les événements ont été effacés par le patriarcat, confisqués par le colonialisme. Aujourd’hui encore, il y a des femmes stigmatisées, des femmes considérées comme des « mauvaises femmes ». On peut se sentir connectées à cet héritage. »

Cet héritage, Liz Viloria le met en partage et en résonnance lors d’une performance qui se déroule à la nuit tombée sur le parvis des Ateliers du Vent. L’instant est solennel, une bougie est allumée, quatre personnes attisent la curiosité des festivalier-e-s qui, petit à petit, forment un cercle autour d’elles. On pense évidemment à l’exécution d’un rite magique.

Liz Viloria travaille sur une thèse, à l’université Rennes 2, en littérature comparée portant sur le statut des femmes dans les Caraïbes. « L’idée de la performance est née de mon parcours académique car je me suis rendu compte que mis à part le fait que le travail intellectuel est très solitaire, sa portée est limitée à un public restreint et plutôt spécialisé », explique-t-elle.

Sa performance, Calíbana,vient de son envie de partager les outils acquis auprès de tou-te-s les autrices et auteurs « écrivant au service de la déconstruction de la notion patriarcale du statut Femme. » Initialement réalisée en Colombie sur la thématique de la sexualité féminine, elle a eu lieu la première fois devant la cathédrale de Barranquilla : 

« Sans que ceci ne soit voulu, aux yeux des spectateurs, la représentation parut comme un rite sorcier. Malgré les préjugés, les personnes (dont la police) sont venues regarder intriguées, curieuses et bienveillantes. »

Dans Calíbana, le sujet change selon l’occasion. Pour le festival Dangereuses lectrices, une nouvelle équipe s’est constituée et la thématique s’est portée sur la figure de la sorcière. Pendant un mois, ielles se sont retrouvées pour faire des cercles, travailler sur les rapports au corps mais aussi à leur lignée féminine, ainsi que les rapports aux arcanes majeurs du Tarot « qui dans la performance viennent représenter les différents archétypes présents dans l’inconscient collectif. »

Liz Viloria poursuit :

« Parmi ces archétypes, la sorcière est la femme savante, celle qui sait, qui lit, qui détient différents savoirs, la sorcière se perçoit elle même comme un organisme qui fait parti de la nature, qui connaît ses rythmes et qui écoute et connaît son corps. Cette connaissance ne vient pas du monde extérieur. »

Pour se préparer, elle a donc puisé dans son univers personnel, qu’elle a ensuite mis en partage et en résonnance avec les expériences des trois autres membres de l’équipe.

« Je viens d’une culture dont le rapport à ces rythmes est toujours présent : du citron avec de l’eau chaude le matin pour alcaliniser le corps, couper les légumes avec les mains et non avec des couteaux afin de garder leur texture pour la cuisson, nettoyer la maison avec de la sauge une fois par mois… Ce sont des petits rituels qui, au delà de leurs effets sur le monde extérieur, organisent la vie intérieure de la personne qui pratique : les rituels aident au bien vivre. Pendant le mois de préparation, on a partagé des rituels, certains nouveaux, d’autres déjà appris au cours de nos vies… On se déconstruit et se resignifie en prenant conscience de l’immersion du corps propre dans le monde quotidien. Dans cette édition, Laura Zylberyng (française), Jason-Jasmine Fortheringham (australien-ne), Touré Mayalan (guinéenne) et moi-même, portant le poids de la culture de quatre continents différents, avons décelé des points en commun dans l’assomption du corps propre et dans la construction de ce que Femme peut signifier. », analyse Liz Viloria. 

SORTIR DE LA NORME HÉTÉRO-CIS-BLANCHE

Ainsi, le festival Dangereuses lectrices met en avant et en perspective des expériences sensibles, des récits de vie, des théories féministes, des héritages, des vécus et ressentis, qui s’expriment à travers chacun-e de manière et sous des formes différentes. Il y a les conférences et tables rondes, des ateliers, mais aussi du théâtre, une performance, la projection d’un film, une lecture, un concert… 

Les arts sont porteurs de paroles et de points de vue. Et ici, ils prennent évidemment un sens militant et politique, même si on peut s’en détacher pour n’y voir que de l’informatif et du divertissement (intelligent). 

Le mélange des genres et des styles est exaltant durant ce week-end aux Ateliers du Vent. Il suffit de tendre l’oreille pour entendre des propositions enthousiasmantes comme la lecture de Lizzie Crowdagger, spécialiste des histoires fantastiques et de fantasy avec des vampires motardes, des sorcières lesbiennes et des punks garous. 

Elle lit des extraits de trois de ses ouvrages parmi lesquels figurent Enfant de Mars et de Vénus, une enquête fantastique avec une lesbienne motarde, une camionneuse trans, du surnaturel et des morts, Une autobiographie transsexuelle (avec des vampires),un roman de fantasy avec des lesbiennes vampires à moto, et La sorcellerie est un sport de combat, dans lequel le balai est une Clio un peu particulière. 

L’autrice prouve que d’autres personnages et récits sont possibles et que les sorcières sont tout aussi plurielles et multiples que les autres. Elle s’affranchit des assignations et casse les normes d’un genre littéraire codifié au masculin, et pré supposé hétérosexuel. Tout comme le cabinet d’intimité nous invite à observer des sexes, photographiés en noir et blanc, en oubliant totalement l’étiquette binaire assignée par l’organe, Homme ou Femme. 

ÉCRITURE POIGNANTE

Petit à petit, l’enchainement des expressions permet de mieux comprendre le fonctionnement des systèmes d’oppression et au fil du temps, et des investissements, de nous déconstruire nous-mêmes. Dangereuses lectrices participe grandement à cette exploration et analyse, aussi personnelle que collective. 

Mais incontestablement, pour nous, c’est le concert de Petra Pied de Biche qui marque nos esprits. Sans détours, l’artiste clame sa Rage de raison, du nom de son dernier album. Un vrai coup de poing dans la gueule. 

Son écriture brute, la violence de ses récits et vécus, son regard très franc souvent accompagné d’un large sourire, le rythme percutant de ses musiques nous hypnotisent complètement. Quand Petra Pied de Biche s’exprime, on la boucle et on l’écoute. 

Témoignage du racisme latent vécu au quotidien, témoignage des jugements incessants quant à ses choix de vie, témoignage du sexisme ambiant mais aussi culture du viol, exploitation des travailleur-euse-s, minimisation des faits et des ressentis, l’artiste dénonce avec talent et engagement et secoue les mentalités. Parce qu’il y a urgence à écouter et à prendre en compte les discours des personnes concerné-e-s. 

Par le biais de la littérature sous ses formes diverses, le festival Dangereuses lectrices a convoqué l’âme des révolté-e-s. Révolté-e-s parce que marginalisé-e-s en raison de leur sexe, de leur apparence, de leur orientation sexuelle, de leur couleur de peau, de leur identité de genre, de leurs choix de vie, etc. 

Sorcières ou pas, une chose est sure : les femmes qui lisent sont dangereuses. Tout comme les femmes qui écrivent sont dangereuses. Alors, patriarcat, gare à ton cul. Les Dangereuses lectrices entendent bien être libres. 

Célian Ramis

Quand les militantes féministes bricolent le cinéma, quelle libération !

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Les Mardis de l'égalité ont fait leur rentrée le 1er octobre avec une passionnante conférence d'Hélène Fleckinger sur les cinémas féministes des années 70. En partenariat avec HF Bretagne.
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Les Mardis de l’égalité faisaient leur rentrée le 1eroctobre dernier et lançaient leur 4eédition au Tambour, à l’université Rennes 2, avec une conférence sur le cinéma féministe des années 70, animée par Hélène Fleckinger. En partenariat avec HF Bretagne. 

Quelle est la relation entre le cinéma, la vidéo et le féminisme ? C’est la question à laquelle Hélène Fleckinger, maitresse de conférences à Paris 8, était invitée à répondre ce mardi 1eroctobre, devant une salle blindée. Pour la conférencière, une plongée dans l’histoire s’impose pour comprendre une époque en pleine ébullition militante et créative. 

Elle s’amuse d’ailleurs de la coïncidence : « L’année prochaine, on fêtera les 50 ans du Mouvement de Libération des Femmes. Ce sera aussi les 50 ans de votre université. De mon université aussi. » C’est là dans cette période post 68 que militantisme et créativité vont se lier. Au printemps 70, nait le Mouvement de Libération des Femmes (MLF).

REVENDIQUER AVEC CRÉATIVITÉ

« Gardez votre gauche », « Le muguet a encore augmenté », « Ni faux cils ni marteaux piqueurs », « Quand les femmes s’aiment, les hommes ne récoltent pas » ou encore « Les sorcières peuvent aussi guérir les mots d’ordre »… 

Les slogans, que l’on retrouve dans le film Où est-ce qu’on se mai ?de Delphine Seyrig et Ioana Wieder, « témoignent d’une grande créativité, qui va avec la créativité du MLF. Une femme qui a fait une vidéo a aussi souvent fait une chanson, a participé à des publications, etc. Il n’y a pas que le cinéma dans cette période, c’est un ensemble d’expressions : des chansons, des photos, des tracts, des affiches… »

Le Mouvement de Libération des Femmes affirme son autonomie à l’égard des politiques et des syndicats et dénonce le sexisme qui régit également le militantisme. Le mouvement est informel, sans carte ni adhésion. Et en non mixité. Ce qui ne sera pas le cas ensuite du Mouvement pour la Liberté de l’Avortement et de la Contraception, créé en 1973.

Les militantes féministes s’approprient alors, entre autre, la caméra, comme outil de contre pouvoir, d’intervention et de créativité. « Si je parle dans cette conférence du cinéma féministe, il faut quand même préciser qu’il revêt des formes et des orientations politiques différentes. Il faudrait en parler au pluriel. Des cinémas féministes. », souligne Hélène Fleckinger. 

Des cinémas souvent expérimentaux où les femmes explorent non seulement la question de la libération des femmes mais aussi la réappropriation des images. Pour cela, elles s’éloignent du cinéma « classique », celui investit par les hommes, dont elles sont exclues. Car si elles peuvent accéder aux formations, elles en sont souvent découragées avant même d’y entrer.

LE CINÉMA MILITANT POST 68

En 1968, naissent les Etats généraux du cinéma. Au sein de cet événement, les caméras circulent, la volonté est claire : investir le cinéma comme arme de lutte politique et d’échanges politiques.

« Mais dans les pratiques militantes post 68, la question simplement des femmes est à peine relayée. C’est une affaire d’hommes qui rejoue les mêmes répartitions genrées : les hommes à la réalisation et, les fois où il y a des femmes, elles sont au montage. »
précise la maitresse de conférences. 

Avec son film Sorcières camarades, Danielle Jaeggi, une des rares à l’époque à ressortir de sa formation avec la mention « Réalisatrice », signe une œuvre manifeste, en 1971, qui annonce une libération. Elle produit ici un « Film sur les femmes, un film par les femmes, un film pour les femmes, Avec une caméra d’homme. » Pour la libération, « celle des femmes ».

À l’exception d’un des films majeurs en terme de cinéma militant féministe – Histoire d’A, de Charles Brémont et Marielle Issartel, en faveur de l’avortement, avant sa légalisation – les femmes ne vont pas investir les techniques argentiques, mais vont plutôt s’orienter vers des techniques plus amateures, comme avec la Super 8.

INVENTION ET CRÉATION DE LEURS CINÉMAS

« Elles vont investir la Super 8 pour le coût mais aussi pour l’adéquation avec leur libération en tant que femmes et la libération des images. »
souligne Hélène Fleckinger.

De nombreux collectifs féministes non mixtes vont se constituer, toujours dans la lignée des 3 missions : contre pouvoir, intervention, libération des images. 

Arrive alors sur le marché la vidéo, permettant à l’aide d’une caméra et d’un magnétoscope, d’enregistrer les paroles dans la longueur, le son étant relié de manière synchrone. Dans les publicités, ce sont d’ailleurs les femmes qui sont mises en avant. Mais la raison n’est pas féministe. Bien au contraire, on utilise leur image parce que le public visé est celui de la famille.

Qu’importe, elles vont en faire autre chose. La vidéo va véritablement servir à recueillir les paroles occultées des femmes, accompagnant les mobilisations pour le droit à l’IVG, les manifestations contre le viol, l’action des prostituées à Lyon revendiquant droits et dignité ainsi que les grèves d’ouvrières.

Mais la vidéo s’insère aussi dans les intimités bafouées, voire interdites, des femmes. Elles parlent de sexualité, de lesbianisme, d’accouchement, ou encore du travail domestique.

TRANSMISSION ET DIFFUSION D’UN MOYEN DE LUTTE IDÉOLOGIQUE

Avec la vidéo, les militantes se forment sur le tas et donnent des stages aux autres femmes. Puisque les femmes ne sont pas encouragées à suivre les formations dans les écoles, elles seront leurs propres professeures et tutrices.

C’est ce qu’a fait Carole Roussopoulos, « pionnière de la vidéo militante et de la libération des femmes. » Elles expérimentent sur le terrain directement, ont la possibilité d’effacer les images en direct et peuvent ainsi créer un climat de confiance avec les interviewées. 

« C’est un moyen de lutte idéologique ! », déclare la conférencière qui démontre alors que les collectifs de vidéos féministes sont à cette époque déterminés à dénoncer l’image et le rôle stéréotypés des femmes véhiculées par les médias. Parce que rien ne relève du détail en matière d’inégalités et de discrimination, elles signent les productions uniquement de leurs prénoms, affirmant ainsi le refus de l’identité transmise par le père. 

Les images, documentaires, films expérimentaux, etc. sont ensuite projetés sur des moniteurs ressemblant à des écrans de télévision, avec la possibilité d’obtenir un son très fort. Dans les événements, sur les marchés, partout où elles veulent, elles peuvent installer les moniteurs et diffuser leurs productions qui ne sont pas uniquement des « moyens d’agitation et outils de contre pouvoir, mais aussi des outils d’expression et de réponses à la télévision. » Elles sont « investies dans la création. »

UNE INFLUENCE CERTAINE MAIS LENTE

Le Mouvement de Libération des Femmes qui s’illustre par son autonomie, son militantisme et sa créativité, influence alors le milieu cinématographique, y compris dans la fiction. En 1969, seulement 3% des cinéastes sont des femmes. Dix ans plus tard, elles sont 10%.

« Ce n’est pas la panacée mais bon… On assiste à des nouvelles histoires, de nouveaux récits, des points de vue différents… La notion de films de femmes devient stratégique pour les féministes. Aujourd’hui, on ne l’entend plus comme ça mais à l’époque, c’était stratégique. »
s’enthousiasme Hélène Fleckinger.

En 2020, le Festival International de Films de Femmes de Créteil et du Val de Marne célèbrera sa 49eédition. 

La prise de conscience militante féministe, soulevée par le MLF mais aussi par tout un contexte de nombreuses luttes à venir et de luttes passées, s’est donc effectuée par petits groupes, utilisant la vidéo parce qu’il était alors un « média vierge, sans école, sans passé et sans usage accaparé par les hommes. »

Mais aussi parce qu’elle a permis « une organisation souple du travail et de participer à tous les postes de la réalisation au montage, elles ont cassé la division genrée du travail et il faut savoir que les modes de diffusion à ce moment-là étaient fastidieux, elles devaient tout faire elles-mêmes. »

Et lorsqu’elles organisaient une projection, celle-ci était toujours suivie d’une discussion. D’une certaine manière, la vidéo a permis de recueillir la parole occultée et individuelle des femmes pour la libérer ensuite en assemblée. Un cycle qui continue aujourd’hui encore et permet à de nombreuses femmes d’exprimer et de partager leurs vécus et ressentis et à de nombreuses femmes également de ne plus se sentir seules.

 

 

QUELQUES FILMS ÉVOQUÉS PAR HÉLÈNE FLECKINGER

• Où est-ce qu’on se mai ?, de Delphine Seyrig et Ioana Wieder

• Sorcières camarades, de Danielle Jaeggi

• Histoires d’A, de Charles Bremont et Marielle Issartel

• Mais qu’est-ce qu’elles veulent ?, de Coline Serreau

• Quand les femmes ont pris la colère, de René Vautier et Soizic Chappedelaine

• Double labyrinthe, de Maria Klonaris et Katerina Thomadaki

• L’une chante, l’autre pas, d’Agnès Varda

• L’amour violé, de Yannick Bellon

 

 

POUR ALLER PLUS LOIN :

Très prochainement, sera mise en ligne la plateforme fondée par Hélène Fleckinger, Bobines Féministes. « Cet automne j’espère, au plus tard en janvier. », souligne la maitresse de conférences, expliquant que l’on y trouvera des archives audios, iconographiques, photographiques, graphiques, des films, des extraits vidéos, etc. « Ce sera une grosse base de données éditorialisée sur laquelle on peut parcourir et rebondir sur les ressources. », conclut-elle. 

 

 

 

Célian Ramis

L'émotion vive, au coeur du duo Géraldine Nakache et Leïla Bekhti

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Après "Tout ce qui brille" et "Nous York", le duo Géraldine Nakache et Leïla Bekhti se reforme à l’écran dans "J’irai où tu iras", présenté le 20 septembre dernier en avant-première au CGR de La Mezière.
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Après Tout ce qui brille et Nous York, le duo Géraldine Nakache et Leïla Bekhti se reforme à l’écran dans J’irai où tu iras. Le premier film complètement en solo, au scénario comme à la réalisation, de Géraldine Nakache était présenté vendredi 20 septembre en avant-première au CGR de La Mezière.

Vali est chanteuse dans les mariages, Mina est art thérapeute dans une clinique. Entre les deux sœurs, la communication est rompue depuis longtemps. Pourtant, contraintes par leur père, elles vont devoir se côtoyer le temps d’un week-end particulier, puisque Mina va accompagner Vali à la dernière étape des auditions pour être choriste de Céline Dion.

Dans J’irai où tu iras, on retrouve tous les thèmes chers au cinéma de Géraldine Nakache : les relations, la famille, les non dits, la quête de soi et bien évidemment la chanson francophone. Et pour traiter de ces sujets, c’est la comédie qu’elle choisit : « Ce n’est pas possible de faire autre chose. La comédie, c’est un bouclier que j’ai aussi dans la vie. C’est inhérent à ma personnalité. »

Malgré le postulat de départ qui nous laisse imaginer un humour parodique, la réalisatrice – qui affirme être réellement fan de Céline Dion - accentue la portée dramatique de son propos. Plus épuré au niveau des personnages que dans Tout ce qui brille et Nous York, basés sur des bandes d’ami-e-s, le film se concentre sur un nombre plus restreint de personnalités que Géraldine Nakache peut davantage amplifier et complexifier, rendant centraux les silences et les non-dits. 

« On n’est jamais tout noir ou tout blanc. Ce sont les gris qui sont intéressants. », souligne Leïla Bekhti, sa complice de longue date. Dans le long-métrage, l’entente est bancale, toujours sur le fil du rasoir. La relation étant brouillée par les incompréhensions. Les deux sœurs n’arrivent plus à se parler, n’arrivent plus à se comprendre. Elles se jaugent, se tournent autour, se taclent. Elles dérivent, emportées par des courants contraires.

Comme dans l’excellent Larguées d’Héloïse Lang, le film se base sur des personnalités opposées pour faire éclater la problématique centrale. Le jeu est dangereux car il est facile de basculer dans les chamailleries de gamines et de tomber dans un registre effarant de lourdeurs. Et pourtant, Géraldine Nakache maintient jusqu’au bout, malgré quelques drôles revirements de situation, la tension et les rancœurs entre les sœurs : 

« Le problème, c’est qu’elles se regardent trop l’une l’autre. Qu’elles commentent trop la vie de l’autre. Finalement, elles sont exactement au même endroit. Mais évidemment, il n’y a pas que du jugement, sinon ça ne pourrait pas marcher. »

Leïla Bekhti non plus ne défend pas son personnage, sans pour autant la juger : « Dans mon métier, je vis des vies de gens que je ne serais peut-être jamais. Le cinéma m’éduque, comme mes parents m’ont éduquée et que je me suis éduquée. Mes personnages, comme Mina, je ne sais si je les comprends mais en tout cas, je ne les juge pas. J’ai envie de les aimer pour certaines choses et de moins les aimer pour d’autres. Pour Mina, la seule chose, c’est que je n’ai pas voulu lui donner de circonstances atténuantes. Je n’aurais pas trouvé ça intelligent. »

Si l’histoire n’a rien de révolutionnaire, on apprécie tout de même la manière dont le duo la porte et l’investit avec cette émotion vive souvent sur le fil du rasoir, invitant à se joindre à elles, entre autre, Patrick Timsit dans le rôle du père un brin envahissant et surprotecteur, et Pascale Arbillot, en mère de substitution le temps de quelques heures et de quelques moments expressément voulus gênants et touchants.

Drôles et percutants, les dialogues apportent de la fraicheur et du rythme à cette histoire de famille qui pourrait être celle de milliers de gens. Géraldine Nakache nous surprend de par les subtilités du langage non verbal, qui dévoilent l’étendue de son talent d’actrice - même s’il n’est plus à démontrer, à l’instar d’une Leïla Bekhti à l’interprétation intense et toujours plus captivante de film en film.

« Les rôles de Mina et Vali sont aux antipodes de ce que l’on est dans la vie avec Géraldine. », précise Leïla Bekhti, qui incarne ici Mina, une jeune femme distante et rapidement irritée par le caractère de sa sœur, déterminée à être choriste derrière Céline Dion : « Le parallèle avec la chanteuse, il n’est pas gratuit dans le film. Il y a une similitude entre Vali qui donne tout lorsqu’elle chante dans les mariages et Céline qui donne tout en concert tous les soirs à Végas. »

Il y a la lumière qu’on nous offre et la lumière qu’on s’offre. Les moyens qu’on trouve pour se protéger. Les moyens pour communiquer. Les solitudes à combler. « Vali et Mina ne savent pas dire les choses mais elles peuvent s’entendre à un endroit, il faut juste le trouver. », commente Géraldine Nakache. 

La réalisatrice, dans ce nouveau film, donne une place prépondérante aux personnages féminins. Un élément que Leïla Bekhti n’a pas oublié de remarquer : « Quand j’ai lu le scénario, je me suis fait la réflexion qu’en général, quand il y a une histoire sur des femmes qui ne s’entendent pas, la cause est toujours liée à un homme. J’ai trouvé ça très judicieux que ce ne soit pas un homme qui les sépare. »

Si certains personnages secondaires peuvent être un peu caricaturaux pour les besoins de la comédie, Géraldine Nakache nous embarque dans une tranche de vie familiale rafraichissante, qui nous incite à creuser au-delà des apparences. Un bon moment.

Célian Ramis

"Dans le documentaire, il y a plus de réalisatrices car il y a moins de budget"

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Interview de Céline Dréan, réalisatrice et scénariste de documentaires à Rennes, à propos de la place des femmes dans le milieu du cinéma.
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Le 12 février, elle participait, aux côtés de Véronique Le Bris, journaliste et fondatrice du magazine en ligne Cine-Woman, à une table ronde animée par HF Bretagne sur la place des femmes dans le milieu du cinéma, précédée de la projection du film de Clara et Julia Kuperberg Et la femme créa Hollywood. Au Tambour (université Rennes 2), dans le cadre du festival Travelling. L’interview a été diffusée dans le numéro 78 de YEGG (mars 2019), on la retranscrit ici dans sa globalité car le sujet reste, malheureusement, toujours d’actualité. 

Le film s’attache à montrer que 1910 – 1920 est une période où les femmes à Hollywood ont de grandes responsabilités et tout d’un coup, plus rien. Que s’est-il passé ?

Je suppose qu’il y a un faisceau assez complexe de causes mais l’essentiel, c’est que l’argent est arrivé. Au départ, le cinéma était un art complètement expérimental, il n’y avait pas d’enjeu financier. C’était plutôt un endroit dans lequel venaient les personnes qui n’avaient pas de travail, c’est-à-dire les femmes, qui n’arrivaient pas à être embauchées ailleurs. C’est quand les industriels ont commencé à s’intéresser au cinéma et donc à y mettre de l’argent que l’enjeu a été modifié. Ce n’était plus seulement un enjeu de création mais c’était également un enjeu économique et c’est là que les hommes sont arrivés et ont pris le pouvoir. Ce qui est assez symptomatique – alors là je m’avance peut-être un peu – de plein d’autres domaines, comme les sciences par exemple.

Il y a un autre mouvement dans les années 80. Il y a des femmes réalisatrices et finalement ça ne perdure pas…

Alors, c’est pas comme ça que je voyais le truc. Si on prend les différents genres définis par le Centre National du Cinéma et de l’image animée (la fiction, le documentaire et l’animation), évidemment, il y a plus de femmes réalisatrices aujourd’hui. Mais le genre où il y en a le plus, c’est le documentaire. C’est le genre le plus pauvre. Avec les plus petits budgets.

Si on regarde en animation – je n’ai pas de chiffre précis mais on en a parlé pendant la table ronde - il semblerait qu’il y ait pas mal de femmes qui font des courts-métrages, qui sont sur des choses plus expérimentales où il n’y a pas beaucoup d’argent, mais sur le long-métrage, il n’y a quasiment pas de femmes. Peut-être une ou deux. Le passage au long-métrage ne se fait que pour les hommes alors qu’il y a pas mal de femmes en anim’ au départ.

Là, c’est pareil, c’est l’arrivée de l’argent, le fait que d’un coup l’enjeu économique est fort et donc les hommes prennent le pouvoir.

Comme si une femme ne pouvait pas gérer un budget trop élevé, n’avait pas les épaules, l’ambition, la capacité à en avoir la prétention. Je crois beaucoup à la manière dont on est éduquées… Peut-être que la génération qui arrive va se comporter différemment. J’ai tendance à vouloir être optimiste.

Je dévie un peu mais la dernière fois pendant la rencontre, il y avait quelques rangées d’étudiantes qui avaient l’air d’être assez engagées. Moi, j’ai fait des études de cinéma et j’ai strictement jamais entendu parler de ces femmes. Jamais, jamais. Alors que j’avais un prof de cinéma absolument merveilleux, qui était un ponte de l’histoire du cinéma, et je n’ai jamais entendu parler de ces femmes.

Et il y avait des jeunes filles qui disaient à la rencontre qu’elles avaient eu un cours, pas par l’histoire du cinéma mais par la sociologie je crois, par une prof qui venait d’arriver à la fac, où elles ont découvert tout ce pan de création du début d’Hollywood. Là, récemment. Alors je me dis que ça bouge. Et je me dis que si elles ont, elles, cette connaissance-là, elles auront probablement un rapport différent à la transmission.

Vous avez évoqué l’éducation, la manière dont on intègre des attitudes, comportements, etc. Le film montre les processus d’invisibilisation. Montre-t-il également les freins qu’ont les femmes à accéder à tous les postes ? 

Alors le film est vraiment sur l’invisibilisation, sur ce processus qui est quasiment un rapt. C’est vraiment incroyable… C’est tellement gros… Après, on continue dans l’histoire du cinéma, l’histoire du studio, le fait qu’il n’y ait plus de productrices (il y en a juste une), qu’il n’y ait qu’une seule femme à avoir eu un Oscar… Il n’y a jamais eu autant de femmes à faire du cinéma qu’à cette époque ! C’est quand même incroyable ! Aujourd’hui encore il y en a beaucoup moins qu’à cette époque. Il y aurait pu avoir un creux et après ça remonte tranquillement avec les années 70, avec les luttes pour l’égalité. Non, jamais on est revenues à ce niveau.

Pourquoi, alors ? Comme vous dites, il y a eu de nombreuses luttes féministes. Pourquoi le milieu du cinéma n’a pas été investi par ces questions-là comme aujourd’hui il commence à s’investir dans ces luttes ? 

Je crois vraiment que c’est l’argent qui explique tout ça. Et aussi, comme je le disais tout à l’heure, je crois beaucoup qu’on intègre dans la manière dans laquelle on est éduquées et dans toutes les choses inconscientes qui sont du coup difficiles à débusquer… Il s’agit pas de dire que tous les parents d’une génération ou d’une autre sont coupables ou pas, ce sont des choses qui sont très souterraines, qui se transmettent de manière souterraine.

Dans mon milieu, dans les gens qui sont autour de moi, mes collègues, dans ce que je connais et ce que je vis moi aussi, je suis absolument sure que nous les femmes on négocie quasiment jamais nos salaires. Et que les hommes les négocient. Pas parce qu’ils sont des gros requins et que nous on est nulles. Mais parce qu’ils ont l’habitude de négocier pour être payés à leur juste valeur et ils ont la prétention, au sens très positif du terme, de négocier.

Et nous, je crois vraiment, qu’on négocie peu ou pas. Je sais pas si on peut faire des généralités ou pas mais je crois qu’on a intégré quelque chose de l’ordre du ‘faut pas trop déranger, faut être sage, être appliquée, bien travailler’. C’est un peu cliché de dire ça mais c’est encore à l’œuvre. En tout cas dans ma génération. J’espère vraiment très sincèrement que ça diminue voire que ça disparaisse. Mais prétendre, avoir de l’ambition, se dire qu’on a envie de faire un truc… Ce sont des choses que les hommes font plus facilement que les femmes. Ils vont plus facilement vers des trucs ambitieux, avec une espèce de panache.

Des femmes peuvent le faire, évidemment ça existe. Mais si on le fait, je pense que ça nous coûte plus. La question de la légitimité, les femmes se la posent beaucoup plus que les hommes. Après, je pense aussi qu’il y a une histoire vraiment d’argent et de pouvoir. Parce que tant qu’il y aura principalement, et là je peux le dire très concrètement, des hommes de 50 – 60 ans à tous les postes, enfin à beaucoup de postes qui sont des lieux de pouvoir, c’est logique qu’il y ait une vision plus masculine des choses.

Un exemple très concret : il y a eu récemment une table ronde de travail sur des questions très importantes, sur l’audiovisuel public (la réforme de l’audiovisuel c’est hyper important pour nous), avec des enjeux très forts. Autour de cette table, il y avait une dizaine de personnes. Des gens à des postes importants de décision. Il y avait notamment France 3, plusieurs directeurs de France 3 région, des directeurs de la SCAM, les dirigeants des services culturels de la région et un modérateur. Donc une dizaine de personnes qui étaient tous des hommes de 50 – 60 ans et une femme qui venait représenter son directeur.

C’est symptomatique ! Ça n’enlève rien à leur valeur, ce sont des gens qui sont intéressants, comme partout, il y a des gens avec qui tu es d’accord, pas d’accord, que tu trouves brillants, d’autres pas intéressants, etc. Mais il n’empêche que ce sont tous des hommes. C’est très symptomatique à notre époque. Ça commence à changer mais ça prend du temps. 

C’est peut-être compliqué de faire bouger les choses quand les femmes sont réalisatrices mais qu’on sait que ce sont elles qui ont les plus petits budgets. On dit que les femmes sont souvent plus dans un cinéma indépendant. Elles ne sont pas à la tête des blockbusters, des productions, etc.

Ah non non non c’est vrai. A la SCAM, il y a un exemple sur les chiffres. Ils datent de 2014 – 2015 mais doivent probablement être assez actuels, même si ça pousse à la SCAM, avec un CA qui est en train de se féminiser. Mais, à la SCAM, il y a 35% de femmes sur presque 30 000 adhérents.

Si tu regardes dans la tranche des moins de 30 ans, il y a plus de 50% de femmes. Entre 30 et 40 ans, tu baisses à 48% de femmes. Après 40 ans, c’est à 37%. Après 50 ans, c’est 30%. Et après 60, c’est 25%. C’est quand même assez vertigineux comme chute. Il y a plus de 75% des plus de 50 ans à la SCAM qui sont des hommes.

Pour voir l’ampleur du truc, j’explique comment fonctionne la SCAM : tu as des grades. Quand tu arrives, tu es adhérent. Ensuite, en fonction du nombre d’heures de film que tu fais, tu montes en grade. Tu deviens sociétaire stagiaire, puis tu deviens sociétaire. Chaque grade a un nombre de voix différent à l’assemblée générale. Donc évidemment, plus tu es vieux, plus tu as fait des films, plus t’as une voix. Par définition, il y a moins de femmes qui sont sociétaires.

Evidemment, il y a une autre raison à ça, c’est la question des enfants. Moi je tiens à ce que l’on oublie pas ça. Des fois, on a tendance à oublier de parler de ça dans le milieu culturel parce que le milieu culturel il aime à penser qu’il est plus évolué que les autres de ce côté-là, du côté de la répartition des tâches, alors que c’est archi faux. En réalité, il est peut-être plus évolué en terme de répartition des tâches avant que les enfants arrivent.

Mais après… Quand tu veux faire des films, il faut que tu t’en ailles, tu dois pouvoir partir en repérage, en tournage. Comme quand tu veux prendre des responsabilités dans n’importe quel métier et que tu rentres tard parce que tu as des réunions, etc. Ça reste compliqué. Si tu es avec quelqu’un et que c’est toi qui prend le plus en charge l’organisation de la famille, tu ne peux pas partir trois semaines en tournage et ça c’est quand même une clé !

On entend de plus en plus en interview les actrices dirent qu’elles viennent d’avoir des enfants et qu’elles partent en tournage avec les enfants. Par contre, on n’entend pas les acteurs dirent qu’ils partent en tournage avec les bébés… 

Ouais et puis on entend des actrices qui sont à un niveau hyper élevé, qui peuvent avoir des nounous avec elles. Une technicienne son, une cheffe op’, une réalisatrice qui fait plutôt du documentaire, je peux te dire qu’il y aura pas de nounou, pas de budget pour ça.

Soit tu as quelqu’un d’autre qui peut assurer quand t’es pas là, soit t’as pas et t’as pas de solution. Moi, je me rappellerais toujours - et ça c’est arrivé à plein de femmes quelque soit leur milieu et leur travail – le premier festival où je suis allée après avoir eu ma première fille, un copain m’a dit ‘bah alors, qu’est-ce que t’as fait de ta fille ?’. Je suis absolument sure que personne n’a dit ça au père de ma fille quand il est sorti pour la première fois.

C’est comme la question posée aux femmes en politique, la fameuse ‘Qui va s’occuper des enfants ?’…

Ouais c’est exactement ça. Et je pense que c’est important de le redire. Y a une espèce d’impression que c’est fait mais en fait non c’est pas du tout fait et ça reste une plaie. Ça et l’argent.

Ce qui est hallucinant et que j’ai découvert en préparant la table ronde c’est qu’il y a 46% d’écart de salaire entre réalisateurs et réalisatrices. 46% ! C’est vachement plus que la moyenne nationale !

Ce qui ne veut pas dire que moi je gagne 46% de moins que mes collègues qui font des films à peu près sur les mêmes territoires que moi, avec à peu près les mêmes budgets que moi. C’est sur l’ensemble. Vu que les gros budgets vont aux hommes, ça crée une différence énorme. Ce qui crée une différence aussi énorme, c’est le fait qu’on ne confie pas à une femme des gros budgets. 46% c’est dingo !

Ça c’est en France. Depuis l’affaire Weinstein, forcément, on entend plus de choses. Notamment sur les violences sexuelles, et plus largement sur ce rapport de domination effectué par ces hommes âgés qui ont quasiment toujours été là, qui ont de l’influence. Les actrices américaines et anglaises commencent à parler. On pense à Meryl Streep, qui n’a pas attendu cette affaire pour faire des discours sur l’égalité, à Emma Watson, à Kate Winslet, etc. Il y a maintenant Time’s Up. En France, ça peine un peu… Qu’est –ce qu’on peut dire sur la situation en France ? 

À l’échelle de la fiction, je ne sais pas. Je ne comprends pas vraiment pourquoi on n’a pas le même phénomène. Est-ce que c’est lié – et ce serait affreux – à ce côté culture française, dragueur, comme on dit avec les italiens, le côté européen, latin, qui n’est pas du tout la même culture qu’aux Etats-Unis où il y a plus de puritanisme ? Ce serait lié à ce côté latin où il y aurait une acceptation plus grande du truc, intégré encore une fois par les hommes et les femmes ? Est-ce que la question financière est la même aux Etats-Unis et en France ?

En tout cas ce qui est sûr c’est que s’il y avait pas, j’ai l’impression, ce déséquilibre économique aussi grand, les femmes seraient probablement moins à la merci d’un homme. Il y a une histoire de pouvoir. Les hommes qui dominent les femmes et qui leur font subir des agressions sexuelles, des agressions, des humiliations, c’est parce qu’ils ont le pouvoir. S’ils avaient en face une femme qui avait le même pouvoir économique qu’eux, donc qui pourrait quitter la table sans prendre le risque de se faire virer ou autre, peut-être que ça changerait la donne.

La question de l’argent, c’est une clé ! Si ta survie économique dépend d’un homme, il a du pouvoir sur toi. Si ta survie économique ne dépend que de toi, que l’homme a le même niveau que toi, ça se rééquilibre. C’est comme dans un couple. S’il y a une grande différence de pouvoir économique et que ça ne se passe pas bien, y en a un qui tient l’autre, éventuellement. Si tu as une égalité de pouvoir, chacun est libre. Mine de rien, c’est vachement important.

En France, les réalisatrices commencent à parler de la question budgétaire mais leur parole reste remise en cause, ou en tout cas est minimisée. Et les actrices parlent plus des rôles qu’elles vont avoir. Ou ne pas avoir justement. Parce qu’elles vont disparaître après 40 – 50 ans… Elles dénoncent moins des inégalités en profondeur dans le milieu du cinéma. Parce qu’en même temps, on sait qu’elles sont face à une plus grande majorité de réalisateurs qui eux ont une vision masculine de la société.

Oui, elles ont souvent des rôles aussi qui sont en lien avec un homme. Aux César, si tu regardes la liste des nommé-e-s, en sortant des catégories qui sont genrées (meilleur comédien, meilleure comédienne…), les meilleurs films et les meilleurs réalisateurs – qui sont les catégories les plus prestigieuses – il y a peu de femmes. Il y a une seule femme meilleure réal’, c’est Tonie Marshall. Là pour les César 2019, sur 6 ou 7 personnes, il y a une seule femme, pour le film Pupilles, c’est Jeanne Herry. Et c’est une histoire liée à la maternité… Après, si tu regardes les autres catégories, tu as envie de chialer… 

Justement, Véronique Le Bris avec qui vous étiez lors de la table ronde, a créé le prix Alice Guy ! 

Oui, c’est vachement bien ! C’est vachement bien que le prix soit remis le jour des César, c’est un vrai symbole. C’est je pense son intention d’interpeler sur la quasi absence des femmes dans les cérémonies comme les César. Le prix Alice Guy, c’est une belle compétition, c’est un jury chouette. Et puis le chouette nom de cette femme, dont je n’avais jamais entendu parler, qui a tout appris à Méliès. C’est quand même fou ça ! Elle a fait 400 films, des films complètement fous, avant-gardistes et personne ne les connaît. C’est incroyable !

C’est le propos du film Et la femme créa Hollywood, de montrer que les femmes étaient à l’avant-garde d’Hollywood, qu’elles ont créé ce langage cinématographique que les hommes utilisent aujourd’hui encore. Elles ont été bannies de l’histoire…

Complètement !

Il y a un mouvement aujourd’hui de réhabilitation des femmes dans l’histoire, le film s’inscrit dans ce mouvement. 

Oui c’est vrai. On relit l’histoire à l’aune de cette donnée-là, d’invisibilisation qui a été forte. Même dans le milieu scientifique, il y a des tas de femmes qui ont été oubliées de l’histoire alors qu’elles ont fait des découvertes. C’est le même principe. J’imagine que dès que l’argent est arrivé, on a écarté les femmes. C’est un mouvement qui se fait parallèlement dans plein de secteurs.

Si on reprend ce dont on parlait sur les catégories genrées, on voit dans le cinéma, que si on prend l’animation, on va avoir pas mal de femmes. Qu’en est-il dans le documentaire ? 

Dans le documentaire, il y a beaucoup plus de femmes. Je n’ai pas de statistiques mais ça se voit à vue de nez. Dans le documentaire, il y a plus de femmes réalisatrices, de femmes productrices, mais c’est parce qu’il y a moins de budget. À un moment je me suis demandée si c’était pas aussi le côté ‘documentaire, c’est le regard sur le monde, la production de discours, le partage’ et donc ce serait l’apanage des femmes.

Mais on en a parlé avec Véronique Le Bris la dernière fois et elle me disait que non, c’était uniquement l’argent. La raison principale serait vraiment le manque de budget. Et même en documentaire, quand on parle de grosse collection, de série prestigieuse, de prime time, ce sont les hommes qui ont la majorité des budgets. Même dans les endroits avec plus de femmes, on n’arrive pas à passer le cap.

Et vous ne sentez pas de mouvement qui s’organise avec des femmes ? 

Si, si, il y en a. Dans l’animation, il y a un collectif qui s’appelle Les femmes s’animent, qui réfléchit, qui travaille et qui produit des choses intéressantes sur des conférences, des études, sur la question de l’héroïne, qu’est-ce qu’on propose pour les enfants, etc. Il y a ça mais à d’autres endroits, il y a d’autres choses. Dans HF Bretagne, qui a organisé la table ronde et qui travaille sur la question de l’égalité dans la culture, il est question de créer un sous groupe Cinéma. Ça s’organise.

Et puis il y a des choses aussi qui se passent au niveau des institutions. Depuis le 1erjanvier, il y a des nouvelles règles au CNC qui sont purement écrites pour pallier à l’inégalité entre les hommes et les femmes. C’est-à-dire qu’il y aura des bonus quand tu demanderas une subvention au CNC s’il y a une majorité de femmes au poste d’encadrant. C’est intéressant parce que ce n’est pas une histoire de quotas qui est compliquée. Parce qu’on a pas forcément envie d’être aidées parce qu’on est des femmes mais parce que les projets sont intéressants et qu’on a du talent.

Là, avec ce bonus, on essaye de pallier avec cette inégalité de base qui existe. D’autres mesures ont été prises par le CNC donc je pense que ça bouge. J’ai envie d’être optimiste. Mais c’est sur des choses vraiment profondes que c’est lent et donc comme toutes les choses qui sont liées à des collectifs la loi aide à faire avancer les choses. 

Il faudrait que les films passent au test de Bechdel pour attribuer les budgets… 

C’est ça ! L’autre truc aussi c’est que parmi ces nouvelles règles, les manifestations et les structures qui seront aidées par le CNC devront prouver la parité. Dans un festival aidé par le CNC par exemple, le comité de sélection devra justifier de la parité. C’est vachement intéressant ça aussi je trouve. Le festival de Berlin a pour la première fois eu une politique volontariste dans leur comité de sélection. Ils étaient à 40% et quelques de films réalisés par des femmes contre 17% l’année dernière.

Et je pense qu’ils vont être suivis. C’est un très gros festival et ils ont beaucoup communiqué là dessus. Après c’est une espèce de mode, mais tant mieux, allons-y, surfons dessus sans vergogne. Parce que ça va s’ancrer et puis à un moment plus personne n’en parlera parce que ce sera naturel. J’espère.

Encore une chose, quand je bossais à Vivement lundi !, il y avait une femme qui faisait de l’animation et une femme qui faisait du docu. Je pense pas qu’il y avait d’autres femmes, produites par Vivement lundi !, ou peut-être des co-réalisatrices. Aujourd’hui, il y en a plein ! Plein de jeunes femmes notamment. Qui font de l’animation. Et en docs aussi. J’en ai discuté avec eux justement. Et Aurélie Angebault, de Vivement lundi !, fait parti des Femmes s’animent. Elle me disait que ce n’est pas partout pareil en France. Loin de là. Ça bouge mais pas partout, pas aux mêmes vitesses.

Célian Ramis

L'origine du monde, source des malheurs

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Mise en mots et mise en corps se mêlent dans ce théâtre gestuel qui donne à entendre s’exprimer ici la moitié de l’humanité. Dans L’origine du monde, la compagnie Fiat Lux dresse un panorama non exhaustif des souffrances subies par les femmes.
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Mise en mots et mise en corps se mêlent dans ce théâtre gestuel qui donne à entendre s’exprimer ici la moitié de l’humanité. Celle que l’on oublie, celle que l’on ignore, celle que l’on minore, celle que l’on méprise, celle que l’on bafoue… Dans L’origine du monde, la compagnie Fiat Lux dresse un panorama non exhaustif des souffrances subies par les femmes. 

La tête nous tourne, vendredi 5 avril, en sortant de la représentation proposée, dans le cadre du festival Mythos, au centre culturel Pôle Sud, co-producteur du spectacle pensé et construit par la compagnie briochine Fiat Lux. Parce que pendant plus d’une heure, la pièce nous a assailli de témoignages de femmes.

Et quand les femmes témoignent de leur condition de femmes, c’est rarement joyeux. Mais c’est nécessaire pour donner à entendre, pour faire comprendre. Faire comprendre qu’à cause de leur sexe, de cette origine du monde pour reprendre le nom du tableau de Gustave Courbet – qui a peint là une partie du corps de Constance Quéniaux – elles seront les proies de nombreuses discriminations tout au long de leurs vies.

Pendant près de 2 ans, le metteur en scène Didier Guyon a travaillé à la création de ce spectacle, dont la première représentation a eu lieu en mars 2019. Dès janvier 2017, il a collecté des paroles de femmes, tout comme il avait procédé pour Dis moi, présenté en 2016, autour de la vieillesse. 

Des entretiens avec une cinquantaine de femmes, dont la durée oscille entre 1h et 1h30, il en a gardé des extraits mais surtout en a préservé l’essence pour la restituer avec le plus de véracité possible. Parce que l’intime est politique, il faut manier les témoignages avec soin et précaution et essayer au maximum de ne pas les manipuler.

Le récit nous plonge au cœur de la condition féminine, celle qui prend forme dès lors que la jeune fille devient femme. Un moment qui surviendrait aux premières colorations rougeâtres de nos culottes.

« Ma mère m’a dit « Un jour tu vas voir tu vas avoir du sang dans la culotte… ». Ça faisait belle lurette que je savais ça ! Fin de l’éducation sexuelle. »

Dès les premières règles, les femmes s’avèrent différentes les unes des autres. Mais rares sont celles qui le vivent avec joie et légèreté et nombreuses sont celles qui éprouvent de la honte. Une honte liée aux tabous autour des menstruations et plus largement du corps et de la sexualité.

De la ménarche déboussolée à la femme atteinte d’endométriose, on passe à l’escort militante se positionnant en faveur de l’accompagnement sexuel des personnes handicapées à la meuf qui adore sucer des bites mais qui aujourd’hui en est dégoutée.

« C’est comme les huitres. J’adorais ça, le matin au petit déjeuner avec du vin blanc et puis un jour j’ai été malade, j’en ai plus jamais mangé. C’est ça en fait. C’est ouf. »

Il y en a pour qui la sexualité est source d’épanouissement personnel mais aussi pour qui la thématique est complexe « parce que c’est une invitation à être soi et ce n’est pas si simple parce qu’on peut en avoir envie et peur à la fois. » Ou alors parce que leur orientation sexuelle n’est pas bien vue et leur homosexualité, elles n’en ont pas parlé à leurs familles. Ou encore parce que l’injonction à la virilité obstrue les rapports : 

« Y a des mecs qui me prennent la tête parce qu’ils peuvent pas bander. Si tu veux faire jouir une femme, t’es pas obligé de bander ! Peu importe la raison, ça finit toujours par être de la faute (des femmes), toujours ! »

Au fur et à mesure de la pièce, on avance crescendo vers les violences symboliques (in)visibles. Principalement autour de la maternité. Avortements cachés, accouchement douloureux, fausse couche, parcours PMA, mort du nourrisson… Les femmes intègrent rapidement et inconsciemment le poids des tabous, s’orientant instinctivement vers le silence, pour se protéger.

Et puis, il y a aussi les mauvaises mères. Celles qui partent travailler au lieu de rester dans le foyer pour s’occuper de l’éducation des enfants. Mais la société est bien faite et elles le paieront puisqu’elles se confronteront alors au sexisme des métiers genrés et au plafond de verre qui les empêchera d’atteindre des postes à responsabilités.

Les femmes n’ont pas les épaules pour gérer des gros budgets mais elles ont les visages tuméfiés et les dos fouettés. Elles sont nombreuses, malheureusement, à endurer les violences physiques, psychologiques et/ou sexuelles. Sont nombreuses aussi, malheureusement encore, à faire perdurer la culture du viol de génération en génération.

« Le système est bien construit, il est très difficile à remettre en cause. Il faut déconstruire les mères. »

Quand est-ce que le schéma de l’horreur s’arrête ? À la ménopause ? Ce moment où la femme arrête d’être une femme parce qu’elle ne peut plus concevoir d’enfant ? La pièce se termine sur un message d’espoir. Finalement, cet instant tant redouté ne devrait-il pas être le moment tant attendu ? Le plus beau jour dans la vie d’une femme libre ?

« Le corps se modifie et on peut enfin choisir sa vie. Je veux être libre, je veux plus qu’on m’emmerde, je veux vivre ma vie de femme, d’individu. »

Un individu doté de son passé, de la sagesse tirée de ses expériences, de ses souffrances vécues mais aussi d’un regain de vitalité, d’une envie de sexualité, etc. Un individu libéré du poids de la contraception et de ses conséquences. Mais également un individu qui vogue désormais dans les eaux de la vieillesse.

Comme pour les règles, elles ne sont pas égales dans la traversée de cette énième aventure réservée aux personnes ayant un utérus. Certaines veulent chanter à tue-tête « Libérée, délivrée », tandis que d’autres ont juste envie que ça s’arrête parce qu’elles subissent les bouffées de chaleur et autres déconvenues depuis 15 ans.

Le spectacle s’arrête, laissant les deux comédiennes entièrement nues sur le plateau avec le son de ce dernier témoignage affirmant le moment où la personne est devenue femme : quand elle a arrêté de se définir par rapport à l’homme. C’est le soulagement. Les nerfs à vif, on se laisse submerger par l’émotion d’un public aux applaudissements forts et sincères.

C’est douloureux d’entendre toutes ces paroles résumant des siècles de souffrances infligées, aujourd’hui encore, par des sociétés patriarcales qui plongent la moitié de l’humanité dans le silence et le mépris et une partie de l’autre dans le déni, sorte également de souffrance puisque la virilité, tant qu’elle n’est pas questionnée, restera source de malheurs et de frustrations pour l’intégralité des populations.

C’est douloureux et pourtant, on recommande L’origine du monde à quiconque souhaite satisfaire sa curiosité envers la condition féminine et l’égalité mais aussi en matière d’art social sublimé par la créativité et l’originalité de la compagnie Fiat Lux. 

Sans oublier le talent des comédiennes, Eléonore Gresset et Ian Su, qui réalise là une performance époustouflante. Jamais elles ne parlent durant la pièce. Leurs corps sont le réceptacle des paroles de celles qui témoignent. Et à travers elles et leur jeu se mêlent émotions violentes, fragilité, tendresse et parfois même humour.

Par du mime, du théâtre d’objet, de la danse des signes, des marionnettes, elles restituent les propos, diffusés en bande audio, des femmes qui osent exprimer leurs vécus et expériences, joyeux ou douloureux. De ce croisement du théâtre gestuel et du théâtre documentaire nait une intensité et une puissance à nous couper le souffle. Comme quand on reçoit un coup violent dans le haut du dos.

On ne peut plus respirer parce qu’une partie de l’humanité suffoque là devant nos yeux et dans le creux de nos oreilles. On ne peut plus respirer non plus parce que face à nous se joue le quotidien tragique de la société à laquelle on appartient. À la fin du spectacle, une bouffée d’oxygène vient nous réanimer.

Parce que le public salue avec hargne le travail de la compagnie Fiat Lux qui a le courage de porter une telle thématique sur les planches, dans la lignée de Marine Bachelot Nguyen ou de Julie Berès, entre autres, toutes deux présentes lors du festival Mythos. Si la noirceur de l’âme humaine trône sur le plateau, on finit par entrevoir un espoir.

Celui de la prise de paroles, celui de l’écoute, celui de la prise de conscience, celui de la transmission et enfin celui de l’éducation à l’égalité. On le sait, l’art en a le pouvoir et L'origine du monde vient nous le rappeler.

Célian Ramis

Duras & Platini : un duel au sommet

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Quand Michel Platini s’entretient avec Marguerite Duras en décembre 87 dans les locaux de Libération, c’est une interview surréaliste. Quand Mohamed El Khatib s’empare de la thématique en avril 2019 à la Parcheminerie, c’est un spectacle drôle et social.
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Quand Michel Platini s’entretient avec Marguerite Duras en décembre 87 dans les locaux de Libération, c’est une interview surréaliste. Quand Mohamed El Khatib s’empare de la thématique en avril 2019 sur la scène de la Parcheminerie, lors du festival Mythos, c’est un spectacle drôle et social qui défile sous nos yeux. 

On avait aimé découvrir en 2016, à l’occasion de ce même festival, la pièce Moi, Corinne Dadat, écrite et mise en scène par Mohamed El Khatib. On avait aimé parce qu’il savait utiliser l’humour pour piquer à vif. 

Il réitère, les 4 et 5 avril, au théâtre de la Parcheminerie à Rennes, avec Duras & Platini, une grande intellectuelle et un monstre du football. Elle a écrit, entre autres, L’amant et a reçu le prix Goncourt pour celui-ci quelques années plus tôt. Il a été le capitaine des Bleus, champion d’Europe et plusieurs fois demi finaliste de la Coupe du monde. Cette année-là, il raccroche les crampons. 

De cette interview, il garde le souvenir de « quelque chose de complètement irréaliste, ou plutôt surréaliste, dans la mesure où moi je ne savais pas qui était Marguerite Duras, je n’avais pas conscience de son rayonnement intellectuel. Non je n’étais pas impressionné, puisque je ne mesurais pas l’importance de cette personne dans un monde littéraire dont j’ignorais tout ou presque. En revanche, j’avais été très intéressé, car j’ai toujours adoré le contact avec des gens qui n’étaient pas du football. Avec elle, j’étais servi, car j’étais certain qu’elle n’était jamais allée à un match de football. »

Mohamed El Khatib est très jeune lorsqu’il apprend que le Maroc est divisé en deux catégories : d’un côté, les supporters du Real de Madrid et de l’autre, les supporters du FC Barcelone. Il a 6 ans quand, devant la télé, son oncle hurle : « On a niqué la reine d’Angleterre ! ». 

La « main de Dieu » de Diego Maradona propulse, en 1986, l’Argentine en demi finale de Coupe du monde, face à l’Angleterre. « Trente ans plus tard, ce même Maradona adresse au Nigéria et au monde entier un doigt d’honneur. », souligne le metteur en scène. 

Pour lui, il n’y a pas de football sans politique. Et le lien football et littérature lui apparaît comme une évidence, les deux étant des surfaces de réparation de la démocratie. Les deux posant la question du récit et comment on raconte la vérité. C’est ce qu’il va mettre en perspective pendant cette heure de théâtre-documentaire du passé pour comprendre le présent.

Et c’est cette question de la vérité qui va être au cœur de l’échange entre Marguerite Duras et Michel Platini qui s’en souviendra comme d’un moment bien plus difficile que tous les matchs qu’il a joué.

Comme à son habitude, Mohamed El Khatib ne quitte pas le plateau et accompagne durant tout le spectacle les comédiens qu’il a choisi pour interpréter ce duel : Anne Brochet et Laurent Poitrenaux.

Ensemble, ils font renaitre une partie d’un entretien fort intéressant à analyser alors que 30 années se sont écoulées depuis. L’angélisme dont parle l’autrice à propos du footballeur, on le perçoit à son propos à elle. C’est beau la manière dont elle appréhende l’homme qu’elle a en face d’elle et la manière dont elle saisit le sport.

« C’est mon métier de regarder le monde »
dit-elle. 

Elle paraît naïve dans ces questions parce qu’en réalité elle l’est, vierge de tout intérêt pour la discipline footballistique. Tout comme Michel Platini avoue n’avoir aucune connaissance du domaine littéraire.

Mais Marguerite Duras a l’avantage et creuse rapidement l’écart. Sans chercher à le piéger, elle le pousse dans l’intellect et dans l’analyse de quelque chose de plus profond, de plus viscéral. Alors qu’il défend le sport comme un spectacle, elle s’enfonce dans les méandres de l’âme humaine pour comprendre ce qui mène à la folie les nations, provoquée par le ballon rond.

Elle évoque le drame du Heysel, survenu en mai 1985 à Bruxelles. Liverpool contre la Juventus. 39 morts et plus de 450 blessés. Parce que des grilles de séparation et un muret ont cédé à la pression et au poids des supporters.

Lui, il n’a pas vu, il était dans les vestiaires. Personne n’avait conscience de ce qui se déroulait à quelques mètres de là. Alors, oui, ils ont joué. Le football, c’est, encore une fois, du spectacle. Duras ne le lâche pas, elle le titille. Que ce soit en prononçant mal le mot « football » (qu’elle prononce « footballe » tout le long de l’interview, malgré les nombreuses rectifications de Platini) ou en cherchant avec insistance ce qui fascine tant dans « ce jeu démoniaque et divin ». 

Il n’y a aucune vérité dans le foot, lui rétorque l’ancien numéro 10 qui estime que le match parfait n’existe pas, sinon il y aurait tout le temps 0 – 0. Ce sont les erreurs qui font gagner l’équipe adverse. Ce sont les coups de génie dans une action. Les coups de folie. Qui peuvent être positifs comme négatifs.

Pour lui, le football, c’est le « seul truc français dont on parle dans le monde entier. » Et « la littérature ? »,soulève Duras. À ce moment-là, le public rigole. Mais la célèbre femme de lettres n’en est pas moins sérieuse. Au contraire, elle y va, lui rentre dedans, lui soulignant qu’elle est traduite dans plus de 30 pays « ce qui fait plus que l’Europe et l’Amérique du Sud ». Et paf ! 

Il ne se démonte pas et lui rend le taquet :

« Oui, mais si vous allez dans les favelas, la littérature n’est pas importante, le football, oui. »

Centré sur sa discipline et sa carrière, il ne s’aperçoit pas de l’ampleur intellectuelle de celle qui se trouve en face de lui. Et lui renvoie par moment de la condescendance. 

Une condescendance que l’on peut saisir peut-être parce qu’il y a 30 ans d’écart entre l’interview et la pièce de Mohamed El Khatib. À l’époque, cela était sans doute considéré comme normal. Toutefois, elle soulève la misogynie du foot, le racisme et le « pré-fascisme ». Ils parlent récupération politique, Platini refusant toute approche à cet instant, et envisagent l’avenir du joueur qui deviendra peu de temps après sélectionneur des Bleus.

Son tempérament de leader, acquis parce que les gens avaient besoin de lui, elle lui permet de l’analyser sans fausse pudeur. Elle a ce don de le faire accoucher de son moi profond. Sans le savoir, il se livre, se dévoile et dit « des choses importantes, même s’il n’en a pas encore conscience ». Elle est visionnaire Marguerite Duras. 

Son approche sensible des événements, sa capacité à analyser très rapidement les propos de l’autre, son intelligence sous couvert de naïveté… Elle nous fascine. Pendant quasiment tout le spectacle, on en oublie que Platini est le cœur de l’interview. Parce que finalement, elle est la tête mais en devient aussi le cœur encore plus que lui. Elle l’envoie sur la touche.

Si l’interview est qualifiée de duel, on voit sur scène un duo. Entre légèreté et dureté, c’est sans doute un bras de fer intellectuel qui s’engage là, sous nos yeux de novices ignorant jusqu’alors l’existence de cette interview qui est loin d’être surréaliste. Quand la littérature de Duras et le football de Platini rencontrent le mordant d’El Khatib, de Poitrenaux et de Brochet, c’est un moment d’extase sociale et politique qui s’installe.

Célian Ramis

Face aux assignations sexistes et racistes, désobéir

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D’un pas décidé et d’un bloc, le regard bien droit et profond, les quatre comédiennes nous secouent dès leur entrée en scène. L’impact est imminent et puissant avec la pièce Désobéir de Julie Berès, présentée à l’Aire Libre, les 29 et 30 mars.
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D’un pas décidé et d’un bloc, le regard bien droit et profond, les quatre comédiennes nous secouent dès leur entrée en scène. L’impact est imminent et puissant avec la pièce Désobéir de Julie Berès, présentée au théâtre de l’Aire Libre, à St Jacques-de-la-Lande, les 29 et 30 mars. Dans le cadre du festival Mythos. 

Désobéir, elles le graffent au couteau dans le mur noir au fond de la scène. Dès les premières minutes, elles donnent le ton. Elles ne sont pas des filles sages. Elles sont des femmes plurielles et singulières. Complexes. Avec leurs rêves, leurs désillusions, leurs révoltes, leurs désirs et leurs espoirs.

Elles ont la flamme de celles qui combattent les assignations et injonctions parce qu’elles doutent, interrogent, trébuchent, remettent en question, souffrent, encaissent, crient et transforment colère et tristesse en boules d’énergie capables de les porter loin. Et surtout, elles parlent et partagent.

Dans Désobéir, Julie Berès croise les récits de vie, les réflexions et les questionnements des femmes observées et rencontrées à Aubervilliers lors d’une immersion documentaire proposée dans le cadre des « Pièces d’actualité » du théâtre de la Commune. 

La metteuse en scène s’empare alors de la Pièce d’actualité n°9 pour entrer en contact avec les femmes du 93, s’intéressant au départ à ce qui se joue dans le processus de radicalisation de celles qui, viscéralement marquées par les injustices et inégalités, se laissent séduire par les discours de Daech.

C’est Nour qui ouvre le bal dans une mise en scène très épurée. Le plateau vide, une chaise sur laquelle elle s’installe et son visage projeté en direct sur le mur, filmé par un Smartphone. Entièrement voilée, elle raconte la naissance en elle, au collège, de « ce sentiment très fort, le sentiment que rien n’est juste et qu’on nous élève dans le mensonge. » Un sentiment qui lui procure tristesse et honte. 

Sa relation épistolaire moderne – sms, Facebook, WhatsApp – avec Hassan, son obsession d’un monde meilleur, sa découverte de l’Islam défendant « les frères, les faibles et les opprimé-e-s » et son voyage intérieur l’apaisent. Elle décide de se voiler et apprend à vivre avec, à marcher avec, à affronter le regard de la société avec. 

N’en pouvant plus de ressentir de la haine, elle prend ses affaires et fugue pour rejoindre Hassan qui, à l’adresse indiquée, est absent. « Il a retourné la religion contre moi, je devenais folle de rage, folle de haine. », scande-t-elle, avant de découvrir qu’il s’était marié, révélation qui lui inflige « une douleur violente » : 

« Il salit tout ce en quoi je crois. Mais j’ai gardé les textos, mon voile et l’Islam. Parce qu’il est plus grand que moi et mes erreurs. Plus grand que ma colère, la France et tous ses racistes. »

Aujourd’hui, elle ne sait pas trop ce qu’elle a envie de faire mais se demande si les femmes peuvent être imam, comme au Canada, au Danemark ou en Afrique du Sud. « C’est trop beau », conclut-elle, avant de ranger sa chaise, quitter le plateau et y revenir pour ôter son voile et arracher la moquette. 

Elle laisse la place à Charmine qui raconte – tout en « poppant » (danse popping) – l’éducation par les coups qu’elle reçoit de son père iranien, sa mère qui la défend, les garçons avec qui elle traine parce qu’avec eux « on peut parler de tout et n’importe quoi et même des meufs, surtout des meufs ».

Elle dévoile cet épisode au cours duquel elle a menacé ses parents avec un couteau, épisode qui lui a valu un séjour à l’hôpital, au service pédopsychiatrie. L’enfermement provoque en elle une danse qui ne la quitte jamais et quand elle danse, elle sourit. Sa porte de sortie : le jour où sa mère a parlé. Où elle a dit toute la vérité aux médecins sur son mari qui bat sa fille depuis des années.

« De retour à la maison, c’était reparti. La danse était toujours là. J’ai arrêté les études et je dansais le popping. J’ai été prise dans toutes les écoles de danse et un jour ma mère m’a dit ‘j’ai une grande nouvelle, ton père te paye l’école de danse’ »
s’écrie la protagoniste qui laisse alors son corps s’exprimer pleinement sur la scène de l’Aire Libre. 

Ça tourne au battle quand une autre se joint à elle, suivie d’une troisième et d’une quatrième qui se met à chanter a cappella. « C’est un poème de chez toi ? », lui balance une des filles : « C’est doux, je trouve ça envoutant, je suis fan de ce qui est tellurique. Et puis cette transmission de la grand-mère à la mère puis à la fille. Ces générations de souffrance. Et puis tu passes du français à ta langue et on n’entend pas ton accent quand tu parles ! Moi, j’adore ta culture,PersepolisLes mille et une nuits, tout ça, j’adore. »

Le racisme « ordinaire », la prétendue bienveillance, les amalgames… le ton est à l’humour dans cette nouvelle partie du spectacle mais le fond est bien à la dénonciation des micros-agressions dont elles sont sans cesse victimes en tant que femmes ayant des origines « réelles ou supposées ».

En tant que femme noire, Séphora, qui a passé tous ses dimanches à l’église évangéliste quand son père a décidé d’un coup d’un seul d’être croyant, n’a pas accès au rôle d’Agnès dans L’école des femmesde Molière. 

Elle qui a trouvé sa liberté et sa sécurité en sortant de chez elle, en apprivoisant le dehors et en s’enfermant dans les bibliothèques pour y dévorer Les malheurs de Sophieet les écrits de Simone de Beauvoir, entre autres. Elle qui est tombée amoureuse du théâtre, s’est formée et a passé les auditions et a été repérée par le metteur en scène pour ce rôle.

« J’étais aux anges, j’ai appelé tout le monde ! Et puis il m’a rappelé un peu plus tard, il était en plein questionnement sur sa création. Il a eu peur que me faire jouer Agnès ne déplace la grille de lecture du spectateur. Je peux le comprendre… Mais je voudrais ce soir partager avec vous le texte d’Agnès. Est-ce que quelqu’un accepterait de me donner la réplique, en lisant le texte d’Arnolphe s’il vous plait ? Le monsieur, là, avec les lunettes ?! Oui, vous ! Lisez bien le texte qui va s’afficher sur le mur et surtout, quoi qu’il arrive avant la fin de la scène, continuez de lire.»,  explique Séphora. 

Evidemment, Désobéir dépoussière le dialogue et transforme la langue de Molière en langage urbain en situation de harcèlement de rue. Les quatre femmes réagissent, provoquant l’hilarité dans le public. Le décalage n’en est pas un. Il renforce simplement le schéma répétitif, à travers les époques, de la domination masculine. 

La discussion s’instaure entre Lou-Adriana, Charmine, Hatice et Séphora. Les mecs, la sexualité, le plaisir dans la domination, le tabou, la pudeur, le sentiment de soumission, elles abordent de nombreux sujets dont le rapport à la religion.

Leurs voix s’entremêlent, se confrontent, se croisent et se superposent dans un récit pluriel qui amène à envisager chaque thématique comme personnelle et intime. Rien n’est universel, tout est singulier à l’instar de chaque individu.

En quelques minutes, elles explosent les codes du féminisme universaliste. Parce qu’elles ont des points de vue différents et qu’à travers les quatre protagonistes qui brouillent les pistes entre témoignages personnels, paroles recueillies et fiction, ce sont les voix d’une multitude de femmes qui s’expriment sur la scène.

Des femmes que personne ne peut enfermer dans cases parce qu’elles parlent comme des lascars, qu’elles s’habillent de telle ou telle manière, qu’elles pratiquent ou non leur religion comme bon leur semble, qu’elles osent prendre la parole et l’espace, qu’elles se voilent, qu’elles ne se voilent pas mais comprennent celles qui le font, qu’elles dansent, qu’elles chantent, qu’elles rient, qu’elles pètent un câble, qu’elles s’insurgent…

Françaises, Iraniennes, Turques, noires, musulmanes, évangélistes, normandes, comédiennes, danseuses, mauvaises élèves, amoureuses de littérature, mariées, célibataires, non pratiquantes, athées, elles sont toutes des êtres humains en quête de liberté, portées par la révolte de leurs parcours semés d’embuches révélatrices des nombreuses injustices et inégalités.

Une révolte dans laquelle elles puisent afin de transformer la souffrance des épreuves et des injonctions en flammes de l’espoir et de l’accomplissement. Sans s’affranchir de tous les codes et s’émanciper de toutes les normes, elles questionnent, remettent en cause, dénoncent, échangent et partagent.

Pour pouvoir avancer, pour aller plus loin. Pour continuer de rêver aussi, dans cette société qui les amène à envisager de faire de la self défense « pour se défendre mais aussi pour porter nos couilles ». 

La puissance qui se dégage de cette pièce époustouflante de réalisme réside non seulement dans le talent des comédiennes Lou-Adriana Bouziouane, Charmine Fariborzi, Hatice Ozer et Séphora Pondi mais également dans la subtilité des croisements de témoignages intimes, de lâcher prises collectifs, de dialogues à l’unisson ou non et des tons donnés à chaque morceau qui nous font visiter une palette large d’émotions, du rire aux larmes.

Julie Berès nous donne à voir, à entendre mais aussi à réfléchir. Sur nous-mêmes, nos assignations, nos stéréotypes et nos préjugés. Mais aussi sur la source de nos révoltes et les multiples manières d’atteindre la résilience. Parce que comme les protagonistes, nous n’avons « aucune envie de partir avec des frustrations et des choses inachevées. » Tâchons de ne pas l’oublier. Et de rester modestes face à l’adversité.

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