Célian Ramis

Elemento Records, label féministe et LGBTIQ+

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La démarche du label, féministe et LGBTIQ+, interroge la place des femmes, personnes trans et personnes non binaires dans le secteur de la culture en questionnant nos représentations et les conditionnements dans lesquels nous évoluons.
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Le talent n’a ni sexe ni genre. Et pourtant, les femmes sont moins présentes dans les festivals, moins programmées dans les lieux culturels et artistiques. Moins visibles, moins médiatisées, sauf quand il s’agit de commenter leur physique, juger leur niveau de vocabulaire, les remettre à leur place lorsqu’elles outrepassent les limites de la condition féminine. Un discours rétro, à faire péter les plombs et surtout à déchainer les éléments…

Dans son diagnostic sur la place des femmes dans le spectacle vivant et les arts visuels, publié en 2019, HF Bretagne signale qu’elles représentent « 60% des étudiant-e-s, 40% des artistes actif-ves, 20% des artistes aidé-e-s par des fonds publics, 20% des dirigeant-e-s, 20% des artistes programmé-e-s, 10% des artistes récompensé-e-s. »

Selon le rapport du Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes de 2018, à poste égal et à compétences égales, une femme artiste gagne en moyenne 18% de moins qu’un homme artiste. Dans les musiques actuelles, l’association bretonne qui défend l’égalité HF dans les arts et la culture présente les chiffres et ils ne sont pas bons. La part d’artistes programmées dans les salles et festivals ne dépasse pas les 20% et se situe, sur 51 structures étudiées, principalement entre 10 et 20%. 

Compter constitue la première étape. Celle qui mène à la prise de conscience. Celle qui met sur la table les questions qui fâchent tant de monde : pourquoi n’y a-t-il pas plus de femmes artistes sur le devant de la scène ? Si le talent n’est pas un critère, doit-on alors en déduire que les femmes n’investissent pas les différents domaines des arts et de la culture ?

« Je suis issue du monde de la fête depuis pas mal de temps maintenant et en teuf, elles ne sont pas nombreuses les femmes. Avec DGTL, j’ai découvert plein d’artistes talentueuses et je me suis alors demandé pourquoi elles n’étaient pas plus reconnues ?! C’est un milieu très masculin, j’en ai parlé avec Emilia Sagués, Léna Morvan et Marie Bergot et on s’est demandé comment on pouvait changer les choses. C’est là qu’on a eu l’idée d’un collectif réunissant différents savoir-faire. Ça permet de créer la force du nombre et des compétences ! », explique Charline Patault, co-fondatrice du label de musiques électros et culture rave Elemento Records, lancé officiellement en décembre 2020 à Rennes.

« Les artistes avec qui on travaille sont pointues, elles bossent d’arrache pied. C’est important qu’elles soient valorisées comme elles le méritent. »
poursuit-elle. 

VALORISATION GLOBALE DES ARTISTES

Elles font bouger les lignes, bâtissant un projet ambitieux basé sur la musique, le street art, les arts graphiques et le spectacle vivant. Et la déconstruction des préjugés, à travers l’identité même d’Elemento Records qui prône des valeurs d’émancipation et d’inclusion et promeut la pluralité des artistes femmes, transgenres et non binaires à travers ses activités de production musicale (podcast, various artist…), de booking et d’organisation d’événements.

L’accueil et l’accompagnement des artistes dans le développement de leurs carrières est également un point central du collectif. L’occasion d’aborder la question de la valorisation dans sa globalité : de la présence scénique à la représentation médiatique, en passant par le contrat juridique mais aussi économique.

« Je n’avais pas conscience au départ de ces inégalités, je me suis intégrée assez facilement en tant que DJ. Au fur et à mesure, je me suis interrogée sur le fait d’être DJ et femme. Et le projet m’a parlé direct. On a fait pas mal de recherches et je me suis rendue compte de l’ampleur du mécanisme d’exclusion. Le plafond de verre, je ne le nommais pas mais il existe. Dans l’asso, on a une spécialiste des droits d’auteur chargée de la partie législative. C’est important de comprendre, par exemple, le fonctionnement de la Sacem et comment récupérer nos droits. Avec ça, on peut guider nos artistes vers une juste rémunération. », explique Léna Morvan. 

LÉGITIMITÉ & SAFE SPACE

Elles connaissent les freins auxquels sont souvent confrontées les artistes, elles les ont identifiés et proposent des leviers en adéquation avec les difficultés relevées.

« La question de la légitimité est essentielle. Ce n’est pas propre à l’électro. Même dans les musiques classiques, on voit que les femmes doivent se battre pour leur légitimité. Il y a plein de filles qui mixent mais qui ne se sentent pas légitimes à monter sur scène. Organiser des ateliers, dans le cadre d’un festival ou autre, ça peut les aider à casser cette barrière. »
analyse Emilia Saguès.

Les membres d’Elemento Records affichent leur volonté et leur détermination à pouvoir monter leurs propres événements, quand ceux-ci seront de nouveau autorisés… Réflexion est faite sur les espaces safe. Des lieux qui favorisent le bien-être et la sécurité non seulement du public mais également de toutes les personnes qui participent à l’événement, qu’il s’agisse des équipes techniques, des organisateur-ices, des bénévoles ou encore des artistes.

« Grâce à la parole des femmes, sur les violences sexistes et sexuelles en milieu festif, on peut travailler sur des protocoles à mettre en place. Ce sont des protocoles qui doivent à chaque fois être pensés et adaptés selon l’événement, le festival, etc. Et puis en amont, il faut faire des campagnes aussi pour expliquer. Il y a des gars qui n’ont pas conscience de mal se comporter car c’est tellement commun de harceler les meufs en soirée… », précise Emilia.

Endroit cosy pour se poser tranquillement, espace dédié à l’échange, charte des festivalier-e-s et des bénévoles, affiche de prévention, identification du numéro de téléphone de l’organisation en cas de soucis, sensibilisation des équipes de sécurité, conférences et tables rondes sur ces sujets, cours de self défense en non-mixité…

Elles s’inspirent des actions mises en place aux festivals Visions ou Astropolis mais également de tout le travail de fond réalisé par l’association Consentis qui nomme les situations, invite à penser nos comportements sociaux et accompagne témoins et victimes à réagir en cas d’agressions, sans soumettre le processus à une injonction. 

LE CHAMP DES POSSIBLES

La démarche du label, féministe et LGBTIQ+, interroge la place des femmes, personnes trans et personnes non binaires dans le secteur de la culture en questionnant nos représentations et les conditionnements dans lesquels nous évoluons, dans une société encore largement patriarcale.

Par dessus tout, Elemento Records valorise des arts, des compétences et des savoir-faire, des manières de penser et d’agir, de s’exprimer à travers différents biais culturels, des parcours et le croisement des disciplines artistiques. Au-delà du sexe et du genre, songent-elles.

Qu’il n’y ait plus de disparités entre les genres. Qu’il n’y ait plus d’étiquettes. Mais des intentions, du partage d’émotions, des espaces d’expression visuels ou sonores. Ou même les deux. Elemento Records, c’est avant tout de la découverte de talents brut et l’ouverture du champ des possibles.

Célian Ramis

Le potager urbain, vecteur d'égalité

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Au Potager des Cultures, « il y a une volonté d’avoir de la transmission de savoir. Ce n’est pas un jardin partagé, c’est une micro ferme urbaine, les bénévoles réalisent un engagement citoyen. On ne récolte pas le fruit de son travail, tout ce qui est produit est donné à l’épicerie solidaire. »
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Du 6 avril au 29 mai, Le Potager des Cultures accueille l'exposition « Cultivons notre jardin », des extraits de la BD Le potager Rocambole, de Laurent Houssin, réalisée avec Luc Bienvenu. L’occasion également de découvrir les lieux, un potager citoyen et engagé, qui défend la mixité, l'environnement et l'égalité. Des valeurs partagées par les auteurs de la BD et par Hélène Brethes, coordinatrice de l’association des Cols Verts, qui depuis 2018 porte le projet et ses engagements…

Exposées sur des grandes planches en bois au milieu des plantes, des aromates et des légumes, des bulles dessinées trônent fièrement dans le potager. La culture côtoie les cultures. Et dans cette BD d’ailleurs, il est aussi question de cultures. Depuis le 6 avril et jusqu’au 29 mai, l’exposition « Cultivons notre jardin », en partenariat avec la librairie L’Établi des Mots et Spéléographies, est visible au sein de cette micro-ferme rennaise. 

On y trouve des extraits de la bande-dessinée Le potager Rocambole – La vie d’un jardin biologique, dans laquelle l’auteur Laurent Houssin se place en une sorte de disciple de Luc Bienvenu, avec qui il réalise l’ouvrage et qui n’est autre que le créateur des splendides jardins de Rocambole, situés à Corps-Nuds, à quelques kilomètres de Rennes. 

Leçons de jardinage, transmission des savoirs mais aussi d’une passion pour la terre ainsi que tout ce qui vit et pousse dedans… et tout ça, à l’observation et l’expérience. Loin des étiquettes. Un propos qui fait écho avec les valeurs du lieu : elle véhicule une volonté de rendre accessible au plus grand nombre la diversité végétale, le travail du sol, la découverte du potager… 

Et Hélène Brethes, coordinatrice de l’association des Cols Verts le souligne : ça permet d’attirer les curieux-ses ! Mais aussi de faire découvrir le quartier, grâce aux 3 lieux d’exposition. Quand on lui demande comment le projet prend sens aujourd’hui, à la suite des trois confinements, elle répond : « Déjà de se faire plaisir, d’avoir une expo à l’extérieur, on n’a pas besoin de QR code, juste des panneaux, un potager et ça le fait très bien ! »

LE POTAGER DES CULTURES, UN LIEU D’ACCUEIL, DE DÉCOUVERTE ET D’APPRENTISSAGE 

Elle le précise d’emblée, au Potager des Cultures, « il y a une volonté d’avoir de la transmission de savoir, le potager des cultures ce n’est pas un jardin partagé, c’est une micro ferme urbaine, c’est-à-dire que les bénévoles ici ils réalisent un engagement citoyen. Ici, on ne récolte pas le fruit de son travail, tout ce qui est produit est donné à l’épicerie solidaire. »

Et cette distinction a une importance majeure. L’association des Cols Verts Rennes, lorsqu’elle s’installe sur les lieux et organise la création du potager, c’est d’abord dans une démarche et une perspective citoyenne. En 2018 le projet est voté au budget participatif et l’année suivante, le site est inauguré. 

Cette même année, Hélène Brethes se saisit du sujet et met un point d'orgue à ce que la participation soit citoyenne. Elle insiste tout le long de la consultation : tout le monde peut donner son avis. De la mère dont les enfants jouent dans le quartier au conseiller familial du centre social. Il y a une volonté de réunir, pour réfléchir le projet ensemble, de la gouvernance à l’aménagement. 

Quand le potager ouvre, elle précise à nouveau : c’est important que le potager soit accessible à tout le monde. Les profils sont variés et tous sont les bienvenus : les habitant-e-s, les personnes en situation de handicap, les personnes à la rue, celles qui se questionnent sur la valeur de leur travail ou encore celles qui portent des valeurs écologistes : l'objectif est de créer une véritable mixité. 

Cette volonté de mixité, d’apprentissage, de découverte, elle se lit jusque dans le nom du potager. Le Potager des Cultures, c’est la volonté de croiser la culture du sol avec la culture avec un grand C, grâce à sa proximité avec le Triangle et ses expositions. 

Historiquement, le potager est aussi installé là où se déroulait la fête des cultures : un moment de croisement, intergénérationnel, de diversité. Le nom répond à un besoin. « La sémantique est importante. Quand le projet est né, quand on parlait de ferme urbaine, tout le monde pensait aux vaches et aux tracteurs. Si on voulait que le projet aboutisse il fallait que les habitant-e-s puissent mieux situer de quoi il s’agissait : d’un potager, d’un lieu de rencontres. », précise Hélène. 

LE POTAGER, POUR CASSER LES CLICHÉS 

En s’installant, Hélène a aussi un objectif précis : casser les clichés. Et pour lutter contre, engager une maraîchère, ça avait du sens pour elle. Aline Desurmont, salariée depuis 2019, montre à tous les publics qu’une femme agricultrice, c’est possible ! Et en plus, d’attirer un public féminin, de le mettre plus à l’aise dans la ferme urbaine. 

Parce que les clichés ont la peau dure : si la chambre d’agriculture essaie de donner plus de voix aux agricultrices et à leurs parcours et rôles, leur reconnaissance n’est que très récente. En nous conseillant le visionnage du documentaire Nous Paysans, elle rappelle que le statut d'agricultrice n’existe que depuis peu. 

Si le terme agricultrice apparaît pour la première fois en 1961 dans Le Petit Larousse il faut attendre 1999 pour qu’elles soient considérées comme « conjointes collaboratrices » et c’est seulement en 2006, qu’elles deviennent des agricultrices à part entière et peuvent s’émanciper de leurs maris. Pour elle : “C’est encore un métier d’homme même s’il se diversifie”.

A l’inverse, l’agriculture urbaine attire surtout des femmes. Pour Hélène : « L'agriculture urbaine fait un peu un pied de nez, parce qu’il y a majoritairement des femmes. On nous rétorque qu'on ne nourrira pas le monde, ce n’est pas ce qu’on veut faire ! On n’est pas prise au sérieux, pourtant (l’agriculture urbaine), ça peut être porteur. » 

Cet écart, Hélène l’explique par son volet social, qui attire davantage les femmes. Mais encore une fois, même si la majorité des bénévoles sont des femmes car, comme l’analyse la coordinatrice, « le don de soi on l’apprend plus aux femmes », on retrouve cette volonté tenace d'attirer tous les publics, montrer que le bénévolat, c’est pour tout le monde, quel que soit le genre.

Au-delà du genre, il est aussi question de briser les clichés autour de l'agriculture de manière générale : montrer que c’est un secteur porteur auprès des jeunes. Hélène veut casser l’image de l’agriculteur avec lequel elle a grandi : « C’est montrer que l’agriculture, ça n’a pas de sexe, que ça peut être autant des nanas que des mecs, c’est montrer que l’agriculture peut être un secteur porteur et pas juste un truc de bouseux, parce que moi, j’ai grandi avec cette image, et je veux montrer autre chose ». 

Aline, maraîchère des Cols Verts, a quitté son travail de juriste dans le droit de l'environnement pour se réorienter vers un métier qui avait du sens pour elle : « Je voulais faire quelque chose dont l'énergie servirait à empêcher l'effondrement écologique ».

Pour elle, la meilleure manière d’utiliser cette énergie, c’est à travers l’agriculture biologique. Elle se forme, découvre le métier, les difficultés, elle déchante aussi : c’est un métier difficile physiquement et précaire. En arrivant au Potager des Cultures, elle rejoint ses valeurs. Elle veut redonner au métier d'agriculteur ses lettres de noblesse : un métier technique, avec de la réflexion et beaucoup de connaissances. 

LE POTAGER, POUR L’ÉGALITÉ 

Pour Hélène, aucun doute, le potager est vecteur d’égalité. Ouvert à tout le monde, elle rappelle : « Il y a une grosse mixité dans les bénévoles et les bénéficiaires, des personnes en situation de handicap, des enfants, des femmes, des adultes, et pour nous l’équité, ça passe par la valorisation de chaque personne sur la ferme. Les personnes sur la ferme ne sont pas de la main d’œuvre, c’est un apprentissage gratuit donc égalitaire, ça permet à des personnes de se révéler. » De plus, lelieu permet une proximité : pour venir au potager, pas besoin de voiture, il est au cœur du quartier du Blosne.

Elle soulève aussi l'importance de mobiliser et d’aller chercher les mères. Car le potager peut être un soutien éducatif, faire venir les enfants, leur faire découvrir le potager, comme un cahier de vacances. Majoritairement encore en charge de l’éducation des enfants, en les faisant venir sur les lieux, c’est aussi leur permettre de se réapproprier l’espace. Pour cela des ateliers en non-mixité sont organisésavec la volonté d’instaurer un climat de confiance. 

Aline appuie les propos d'Hélène : pour elle, le potager peut permettre l’égalité, il est synonyme de mixité, d'intergénérationnalité. Dans le potager, elle fait faire aux hommes et aux femmes les mêmes tâches. Il permet aussi de se poser des questions. En partageant son expérience, Aline est fière de permettre à des jeunes de s’interroger, de se questionner sur leur avenir et les valeurs qu’ils veulent y attacher. 

Elle le reconnaît, les rencontres avec les services civiques et les bénévoles lui ont redonné envie de s'intéresser aux questions d’égalité, de comprendre les mouvements féministes. Pour elle, le potager c’est avant tout un échange. 

Le potager est politique, il peut être un lieu d’apprentissage, de diversité et vecteur d’égalité. Des valeurs défendues dans la BD Le potager Rocambole, mais aussi par le potager collectif de Rennes 2 qui propose un espace d’apprentissage participatif à portée de tou-te-s. Comme le Potager des Cultures, il fait vivre les lieux en mêlant cultures et Culture : on y retrouvait une exposition féministe dans le cadre du 8 mars et on y découvre depuis le mois d’avril une fresque anti-carcérale. Une manière de politiser un lieu fondamentalement citoyen. Alors, cultivons notre jardin !

Célian Ramis

Solidarité avec les personnes LGBTI+ de Pologne

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Le 17 mai, journée mondiale contre l’homophobie, la biphobie et la transphobie, l'association Iskis - Centre LGBTI+ de Rennes organisait une action symbolique en soutien aux personnes LGBTI+ de Pologne.
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Il y a seulement 31 ans que l’OMS – Organisation Mondiale de la Santé – a retiré l’homosexualité de la liste des maladies mentales. C’est le 17 mai 1990 que la décision a été prise et aujourd’hui, la date symbolise la Journée mondiale contre l’homophobie, la biphobie et la transphobie.

Une action symbolique a eu lieu dans la matinée du 17 mai 2021, dans le quartier du Blosne, à l’initiative de l’association Iskis – Centre LGBTI+ de Rennes. « Chaque année, ce jour-là, nous faisons particulièrement attention à visibiliser, soit des questions générales concernant les droits et les luttes des personnes LGBTI soit un point précis, dans l’espace public. », nous explique les militant-e-s.

Iels sont peu nombreux-ses. Trois seulement. Au croisement de l’avenue de Pologne et du boulevard de Yougoslavie, les membres d’Iskis ont pour autant à cœur de soutenir les personnes LGBTI+ de Pologne, dénonçant les politiques virulentes exercées par les partis conservateurs et d’extrême droite, actuellement au pouvoir.

Depuis 2019, plus de 100 zones « sans idéologie LGBT » ont été recensées. Concrètement, des collectivités polonaises autorisent les commerçant-e-s à interdire l’accès à leurs boutiques à des personnes LGBTIQ+ et s’octroient le droit de couper les subventions à des initiatives pro-LGBTIQ+. 

Et quand on ne prône pas leur exclusion totale, on en appelle « au moins » à la discrétion. Traduction : on veut voir uniquement des personnes hétéros et cisgenres, pour le reste, on ne veut pas le savoir. Mais vivre caché-e-s en permanence quand la population renie votre existence, ça ne s’appelle pas vivre…

« ON N’EN PEUT PLUS DE CE SILENCE ! »

En réponse, l’Union Européenne a coupé les subventions à seulement 6 de ces zones en 2020 et en mars 2021 s’est proclamée « zone de liberté » pour les personnes LGBTIQ+. Des « mesures » largement insuffisantes face aux violences d’une politique drastiquement stigmatisante et discriminatoire.

« On avait déjà organisé une mobilisation il y a trois ans par rapport à la situation en Pologne. On constate que rien n’a bougé. Ça s’enlise même. », déclare les militant-e-s d’Iskis qui ont organisé cette action à l’appel de Solidarités LGBTI+ Pologne, dont l’association a rejoint le mouvement. « On n’en peut plus de ce silence ! », poursuivent-iels.

Iels dénoncent l’utilisation du sujet et des droits des personnes LGBTI+ pour plaire à un certain électorat. En effet, le parti au pouvoir, parmi lequel figure PiS (Droit et justice), vise par des campagnes de haine les personnes LGBTI+ au nom des valeurs traditionnelles familiales. Un papa, une maman, un enfant…

« Ça crée un climat de fond propice aux attaques contre les droits de la population LGBT. Et c’est une attaque envers tous les individus. Car cela concerne aussi les personnes qui viennent sur le territoire. En Erasmus ou autre. Ce qu’on pose aujourd’hui, c’est la question des droits humains. Faut-il agir ou se taire ? », signale Iskis.

L’association, ainsi que Solidarités LGBTI+ Pologne, somment les gouvernant-e-s français-es au même titre que l’Union Européenne de réagir, sans plus tarder, par des mesures concrètes et fortes. Sans « fausse pudeur ». « La Pologne n’est pas éloignée de nous. Nous partageons un socle commun de lois européennes. Si on laisse faire en Pologne, qu’est-ce qui empêche cette haine de se répandre dans les autres pays ? », s’inquiètent les militant-e-s.

« ON CRAINT UNE SITUATION SIMILAIRE »

Iels le disent : « En Pologne, la restriction des droits LGBTI est promue par des partis fascisants. En France, des partis fascisants prennent aussi place dans les médias. On craint une situation similaire. »

Pinkwashing en période électorale, discours LGBTIphobes décomplexés, lâcheté politique face, entre autre, à l’extension de la PMA pour tou-te-s… les violences sont quotidiennes également en France. L’action de ce 17 mai est symbolique mais lance un message clair : l’Union Européenne, ainsi que nos dirigeant-e-s, doivent assumer une position claire et ne plus cautionner les actes haineux et discriminants envers une partie de la population.

De l’injure aux meurtres, en passant par les humiliations, agressions physiques et/ou sexuelles et les discriminations (à l’emploi, au logement, etc.), les LGBTIphobies ne sont pas anecdotiques. Elles sont nombreuses et plurielles, relevant du sexisme, du racisme, du validisme, etc.

Dans son rapport 2020, SOS Homophobie – qui a enregistré une augmentation de 26% des témoignages - signale : « Le nombre d’agressions physiques rapportées par les personnes trans a plus que doublé, avec une augmentation de 130%. Les violences physiques dont sont victimes les personnes LGBTI sont une réalité indéniable qui reste ancrée dans notre société. »

Sans oublier que la crise sanitaire mondiale a exacerbé les violences à l’encontre des personnes sexisées, des personnes LGBTIQ+ ainsi que des personnes racisées et des personnes handicapées.

La situation est alarmante. La réaction doit être à la hauteur. Que ce soit dans les politiques européennes et nationales, avec des positionnements clairs et forts comme l’extension de la PMA pour tou-te-s, l’adoption pour les familles LGBTI, l’auto-détermination des personnes trans, l’obtention du titre de séjour pour les personnes exilées menacées par les LGBTIphobies, etc. comme dans les médias, les films et les séries, le sport, la littérature, etc.

Les représentations non stéréotypées et stigmatisantes sont essentielles et indispensables à la déconstruction d’une société patriarcale qui sanctionne faiblement des agissements de marginalisation, d’exclusion et de violences.

Célian Ramis / Illustrations d'Adeline Villeglé

L'île aux femmes ou la résilience du matrimoine breton

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La série radiophonique L'île aux femmes, fruit d'une collaboration entre HF Bretagne et la Corlab, réhabilite le matrimoine breton, raconté en dix épisodes. Un projet brillant et puissant !
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Bertina Lopes, artiste mozambicaine, Flora Nwapa, écrivaine nigériane, Joséphine Baker, artiste et résistante française, Marguerite Duras, écrivaine française… Toutes les quatre figurent parmi les 8 femmes engagées dont les noms seront bientôt attribués à des rues de la capitale bretonne. Si à Rennes, on atteint le 13% de rues qui portent des noms de femmes, la France affiche encore une moyenne de 6%. Ce n’est pas insignifiant. C’est au contraire révélateur de l’idée que l’on se fait du genre des personnes qui ont marqué l’Histoire. Le masculin n’est donc pas neutre et le patrimoine ne l’est tout autant pas. 

Tendre le micro à celles et ceux qui savent raconter notre héritage culturel commun. Ainsi commence « M ton matrimoine », le premier épisode de la série radiophonique L’île aux femmes, fruit d’une collaboration entre HF Bretagne, association pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes dans les arts et la culture, et la Corlab, Coordination des radios locales associatives bretonnes. 

En 2016, se forme au sein de HF Bretagne le groupe Matrimoine, composé d’Elise Calvez, Justine Caurant, Marie-Laure Cloarec et Adeline Villeglé. Elles viennent d’horizons différents et ont des sensibilités diverses pour telle ou telle discipline artistique. L’une s’intéresse davantage à la photographie, là où l’autre sera passionnée par les arts plastiques et où une autre encore préférera se dédier aux musiques bretonnes.

Elles partagent néanmoins cette volonté de mettre en lumière toutes les artistes qui ont participé à la vie culturelle et sociale de la région mais qui ont été oubliées, ignorées, méprisées. Parce qu’elles sont femmes et que l’Histoire est écrite par et pour les hommes.

Dans le premier épisode, Laurie Hagimont, alors coordinatrice d’HF Bretagne, qualifie le groupe « d’encyclopédie vivante ». Elise Calvez nous explique que le travail de recherches a été de longue haleine mais révèle « un vrai vivier » d’artistes et d’initiatives à visibiliser. Elle le dit, elles sont parties de leur propre ignorance et de leur propre étonnement à en connaître si peu. 

Trois ans de boulot plus tard, elles ont recensé plus de 300 femmes « peu connues ou connues mais disparues des mémoires. » La base de données est immense, classée par discipline, territoire et époque. Un travail minutieux et colossal. « Il y a un vrai travail de recherches et de sortie de l’oubli. », souligne Elise Calvez.

Et puis, elles ont aussi participé à l’écriture des scénarios qui vont donner lieu sur un an à la diffusion de 10 épisodes radiophoniques, réalisés par Anaëlle Abasq, au départ service civique puis journaliste salariée de la Corlab.

LE MATRIMOINE, C’EST QUOI ?

A l’école, on apprend que le masculin l’emporte sur le féminin. Ce n’est pas neutre comme message et cela s’étend bien au-delà de la question du langage. Car en masculinisant tous les termes, notre quotidien et nos imaginaires collectifs se construisent sur l’invisibilisation des femmes.

Et quand on parle de patrimoine, on a beau dire que le terme englobe aussi bien les hommes que les femmes, on entend quand même ce qui vient de nos pères. Dans les manuels scolaires, les films, les livres, les séries, les ouvrages jeunesse mais aussi la peinture ou les sciences, ce sont les travaux et les exploits des hommes que l’on présente très majoritairement.

Et les quelques femmes qu’on aborde du bout des lèvres sont présentées comme le signale Elise Calvez comme des femmes d’exception. Ainsi, quand Anaëlle Abasq tend le micro pour demander si le terme « matrimoine » parle aux gens qu’elle rencontre, la réponse est claire : c’est non.

« On pense que c’est un néologisme. Mais le terme existait déjà au Moyen-Âge : patrimoine, ce qui vient des pères, et matrimoine, ce qui vient des mères. Les deux termes étaient usités, la langue était mixte à cette époque. Au siècle des Lumières, on a décidé qu’on était égaux mais différents. On a commencé à genrer. Aux femmes l’éducation, les enfants, les tâches domestiques. Aux hommes la sphère professionnelle, la guerre, etc. En parallèle, des mots disparaissent de la langue française : autrice, matrimoine… La manipulation de la langue dit bien des choses : que les femmes n’ont pas accès à des fonctions de prestige, de représentation. C’est une idéologie, ça n’a rien de biologique. », explique Laurie Hagimont.

Les luttes au sein du mouvement féministe sont nombreuses. Et parmi elles, figure le combat concernant le langage. Le droit à la parole est essentiel, tout autant que celui de pouvoir nommer ce que l’on vit. Les mots ont un sens. Les récits autour des violences sexistes et sexuelles le prouvent tous les jours. C’est également le cas avec la question de la féminisation des termes et celle de l’écriture inclusive.

La série L’île aux femmes pointe cela très clairement : identifier notre matrimoine et le nommer, c’est rappeler que des créatrices de talent ont existé à toutes les époques et dans tous les domaines. C’est aussi bousculer nos représentations collectives et stéréotypées sur les arts et la culture et œuvrer pour l’égalité. Dans toute la société en général. 

Le podcast s’attache à décrypter ce processus d’invisibilisation subi par les femmes et qui s’étend tout autant aux personnes LGBTIQ+ et aux personnes racisées. Mais il s’attache aussi à mettre en exergue des initiatives actuelles comme le mentorat mis en place par la Fedelima dans le secteur des musiques actuelles, formant des binômes sur des fonctions encore très genrées comme les postes de direction, de technique, etc. Ou encore les actions régulières de l'association Histoire du féminisme à Rennes.

DÉCONSTRUIRE LE MYTHE DU MATRIARCAT BRETON

En introduction du deuxième épisode intitulé « Figures féminines et imaginaire breton », Justine Caurant signale : « On est toutes d’accord pour dire ce que ce n’est pas parce qu’on a un imaginaire collectif mixte que ça veut dire que l’égalité est réelle. Loin de là. » 

En Bretagne, on aime à penser qu’il existerait dans l’histoire régionale un matriarcat breton. A travers 5 figures féminines – Dahut, Sainte Anne, Marion du Faouët, Naïa et les Bigoudènes - ancrées dans l’imaginaire collectif et la mythologie bretonne, la série questionne cette idée reçue.

Justine Caurant poursuit : « Comment est-ce qu’elles sont représentées ces femmes ? Elles sont toutes archétypales et représentent toutes un aspect, une dimension, une caractéristique qu’on prête aux femmes. »

Pêcheresses, maternelles, sorcières… Elles incarnent la morale des légendes : les filles et les femmes doivent être obéissantes, sinon elles sont punies. Elles doivent être sages et sont en charge de l’éducation et de la transmission. Quand elles transgressent les normes et les assignations de genre, on cherche à les évincer de l’histoire, on les réduit à leur physique et leurs beautés envoutantes. Et même quand elles se lancent dans des mouvements de résistance et de protestation, elles se voient érigées en symboles de folklore régional, dépossédées petit à petit de leurs fonctions et rôles.

La série énonce : « Ce qui a été construit, on peut aussi le déconstruire. »

VALORISER LE MATRIMOINE BRETON

La construction de L’île aux femmes est brillante. Et il faut le dire, empouvoirante. Elle fait du bien cette série radiophonique. Parce qu’elle est complète sans être indigeste. Parce qu’elle parcourt les époques et les disciplines artistiques, explore les fondations et les mécanismes des inégalités qui subsistent encore aujourd’hui, donne à entendre des voix d’hier et d’aujourd’hui et à découvrir des parcours forts et des points de vue variés et pas toujours consensuels et parce qu’à travers cette mise en perspective de ce matrimoine culturel tombé aux oubliettes, elle nous éclaire sur la construction et le fondement de notre société actuelle, légèrement moins inégalitaire qu’autrefois, et encore, pas tant que ça.

Elle est aussi très accessible et sans jugement. Elle apaise cette part qui nous manquait et nous renvoyait un sentiment d’illégitimité et nous offre une matière inépuisable pour satisfaire notre curiosité d’en savoir plus sur cette histoire confisquée de notre héritage culturel commun.

On rencontre, pour la première fois ou non, des artistes qui transcendent les codes comme la styliste Val Piriou qui mêle dans ses créations influences punk et bretonnes, comme la passeuse d’histoires Maryvonne Le Flem, au CV impressionnant entre aide-maçon, goémonière, couturière ou encore « dynamiteuse » de rochers, ou comme la harpiste et compositrice Kristen Noguès, qui a renouvelé les musiques bretonnes notamment grâce au jazz et aux musiques improvisées.

Les citer toutes n’aurait pas de sens. Il faut écouter chaque épisode pour s’imprégner de l’univers de L’île aux femmes, trésor inestimable en terme de ressources et de travail réalisé. Mais aussi en terme d’analyse fine des freins et des obstacles rencontrés par les femmes, artistes en l’occurrence (mais pas que) mais par extension à toutes les femmes. Muses, femmes de, etc. elles sont souvent victimes de critiques et de minimisation de leurs rôles. Et pourtant, elles ont agi et montré quand elles l’ont pu l’étendue de leurs capacités et savoirs.

TIRER LE FIL : L’IMPACT

« Avant, je pensais que souligner à chaque fois le genre de la personne ne faisait que renforcer les inégalités parce que je n’avais pas conscience de l’invisibilisation des femmes. Dans les faits elles sont présentes mais dans le récit, non, on les éclipse. Que ce soit les femmes, les personnes racisées, les LGBTIQ, les personnes issues des classes moyennes, etc. Avant, ce qu’il manquait, c’était les chiffres. Là, c’est indéniable, les femmes sont sous-représentées. », nous confie Anaëlle Abasq.

Durant 10 épisodes, elle a tendu le micro à de multiples personnes racontant et expliquant le matrimoine et son impact. « C’est une narration à la première personne du singulier. Je pars à la découverte et à la compréhension du matrimoine. On parle de l’art mais l’art est surtout un prétexte pour parler de la société. Chaque domaine est champion : l’invisibilisation est systématique. », précise-t-elle.

Tirer le fil de cette histoire permet de créer un choc. Une prise de conscience. C’est d’ailleurs là le reflet de tout le travail mené par HF Bretagne qui compte et établit un diagnostic chiffré tous les deux ans sur la place des femmes dans les arts et la culture en Bretagne.

Pour Elise Calvez, cette (re)découverte de l’histoire des arts et de l’histoire en général est « importante pour la construction des femmes et des filles et de tout le monde en fait, car cela permet d’avoir une vision plus juste de l’Histoire et de la place des femmes au fil de l’Histoire. »

Elle raccroche tout ça aux violences sexistes et sexuelles qui sévissent encore dans notre société à l’égard des personnes sexuées. Car ce sont les stéréotypes dont il fait état dans L’île aux femmes, avec les assignations genrées et le manque de représentations variées, qui perdurent dans le temps qui permettent la transmission de la domination masculine d’une génération à l’autre. Effacer les femmes de l’Histoire permet à cette domination de s’instaurer et de se légitimer.

Toute cette matière, distillée dans la série radiophonique mais aussi élaborée dans la base de données créée par le groupe Matrimoine, peut servir de ressources. « Les territoires peuvent se l’approprier. Pour chaque commune, chaque lieu, il y a des figures méconnues à revaloriser. », souligne Elise Calvez qui précise l’enjeu militant intrinsèque à ce travail.

Parce qu’en interrogeant cette partie manquante de l’héritage culturel commun, on fait bouger les lignes. On interroge alors les manuels scolaires, les noms de rue, les répertoires joués dans les Conservatoires, la manière dont on transmet nos savoirs, le genre de nos expositions, le rapport que l’on entretient avec le milieu des sciences, etc. Ainsi, HF, en Bretagne comme dans les autres antennes régionales, agit auprès des collectivités pour que les Journées du Patrimoine deviennent les Journées du Patrimoine et du Matrimoine.

« Il faut que ce savoir entre à la connaissance du grand public. Tant que ce n’est pas intégré à l’Histoire en général, ça reste une affaire de passionné-e-s. Il y a toujours eu des femmes en responsabilités, en création ou en travail. Elles ont galéré mais elles ont agi. L’Histoire a ensuite été écrite par les hommes qui ont minimisé le rôle des femmes. Il faut passer par la formation, la reconnaissance et la pérennité de ces savoirs. Par le prisme du matrimoine, on questionne les pratiques anciennes qui perdurent aujourd’hui. Comment on reconnaît les œuvres d’aujourd’hui pour les pérenniser demain ? Qu’est-ce qu’on fait aujourd’hui pour transmettre aux générations de demain ? »

  • Tous les épisodes sont à retrouver sur le site de L’île aux femmes et dans le cadre du 8 mars 2024, l'exposition et le podcast sont à (re)découvrir au festival Rue des livres (Cadets de Bretagne) les 16 et 17 mars.

Célian Ramis

Ce sont les féminicides qu'il faut stopper et non les militantes !

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Jeudi 1er avril, des militantes féministes ont appelé au rassemblement place de la Mairie à Rennes, pour dire stop aux féminicides. Les prises de parole ont été interrompues par les forces de l’ordre, contraignant les organisatrices à dissoudre la mobilisation.
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Ce jeudi 1er avril, plusieurs militantes féministes ont appelé au rassemblement place de la Mairie à Rennes, sur fond d'occupation de l'Opéra, pour dire stop aux féminicides et plus largement aux violences à l’encontre des personnes sexisées. Le message est partiellement passé puisque les prises de parole ont été interrompues par les forces de l’ordre, contraignant les organisatrices à dissoudre la mobilisation.

Jennifer, 35 ans, tuée au couteau par son conjoint. Deux enfants ont également été tués (11 et 16 ans). Avril 2020.

Anonyme, 52 ans, retrouvée inanimée après avoir été battue à mort par son conjoint. Mai 2020.

Virginie, 45 ans, tuée par arme à feu par son conjoint gendarme. Juillet 2020.

Anonyme, 37 ans, poignardée puis égorgée par son ex-mari en attente d’un jugement pour violence conjugale. Juillet 2020.

Laetitia, 38 ans, abattue au fusil de chasse par son mari qui a ensuite dissimulé le corps. Octobre 2020.

Anonyme, 76 ans, étranglée par son mari « parce qu’il était à bout de nerfs ». Octobre 2020.

Ces crimes sont inscrits sur les pavés ce midi du premier avril, place de la Mairie, à Rennes. Les passant-e-s s’arrêtent, lisent, repartent ou s’arrêtent quelques minutes, interpelé-e-s par les affiches qui jonchent le sol aux côtés de messages tout aussi forts : « Y’a pas mort d’homme ! y’a juste mort de femme », « Le sexisme tue tous les jours », « Police, justice, classement sans suite : vous êtes complices » ou encore « Dans 2 féminicides, c’est Pâques ».

Le décompte est glaçant : « Déjà 475 féminicides que Macron a nommé les violences faites aux femmes comme grande cause du quinquennat ». Plus d’une centaine de femmes ont été tuées par leur conjoint ou ex-conjoint en 2020. Depuis le 1er janvier 2021, ce sont déjà 27 femmes assassinées par leur compagnon ou ex compagnon, selon le recensement du compte Féminicides par compagnons ou ex.

Récemment, près de Rennes, c’est le meurtre de Magali Blandin qui secoue. Assassinée en février 2021 par son mari, à coups de batte de base-ball. « Comme la grande majorité des femmes tuées par leurs conjoints ou ex, elle avait porté plainte pour violences conjugales (la plainte avait été classée sans suite). Comme la grande majorité des femmes tuées par leurs conjoints ou ex, elle avait demandé de l’aide, mais n’a pas été prise au sérieux. », signale le tract distribué et lu au micro à l’occasion du rassemblement.

LES MOTS ONT UN SENS

La question du langage est centrale. La société n’assiste pas à une libération de la parole de la part des personnes sexisées. MeToo ainsi que tous les mouvements permettant les témoignages massifs dénonçant les violences sexistes et sexuelles ont amené le grand public à les écouter davantage.

Les militantes féministes insistent depuis plusieurs années pour faire évoluer les mentalités à ce sujet : on ne tue jamais par amour. Pourtant, dans les médias ou dans les procédures d’accueil des victimes, dans les enquêtes et les procès, on entend encore parler de « crime passionnel », de « drame familial ». Le tract le mentionne, ajoutant : « Dans la bouche de l’avocat du meurtrier de Magali Blandin, il l’a tuée « parce qu’il tient énormément à la famille ». »

Sans oublier le processus d’inversion de la culpabilité que l’on brandit sans vergogne dans de nombreux cas de féminicides, à l’instar de l’affaire Alexia Daval, tuée par son conjoint Jonathann Daval dont les avocats avaient dressé un portrait de femme castratrice. De quoi légitimer son crime : si elle a ôté la virilité de son époux, celui-ci peut lui ôter la vie.

Durant les prises de parole, les militantes rappellent :

« Ce sont des crimes de possession. Un homme s’octroie le droit de vie et de mort sur sa compagne qui n’a pas le droit selon lui d’exister sans lui. On voulait juste rappeler qu’avec l’épidémie du covid, il y a une explosion des violences masculines faites aux femmes. Selon les données de l’ONU en septembre, le confinement du printemps a fait augmenter ces agressions, ces viols, ces meurtres de 30% en France. »

Et puis, il y a ces phrases que les victimes entendent dans les commissariats ou les tribunaux, visant à les décourager de porter plainte ou d’aller au bout de la procédure : « Ça pourrait changer la vie de Monsieur à tout jamais, c’est pas rien ! » C’est ce dont témoigne cette militante ce midi-là :

« J’interviens aujourd’hui en tant que militante au sein du NPA, en tant que femme, en tant que femme lesbienne, en tant que mère d’une jeune femme, et j’ai aussi été cette enfant qui a grandit au milieu de la violence conjugale. Je repense à ma mère qui quand elle avait tenté de porter plainte contre cet homme violent, le père, elle s’était entendue dire « Vous êtes sure Madame que ce serait pas un gros préjudice pour votre mari ? Il risque la prison quand même. » Alors elle est repartie. C’était il y a plus de 40 ans. Ça n’a pas tellement changé. »

EXIGER DES MOYENS À LA HAUTEUR DU PROBLÈME

Le rassemblement vise encore une fois à réclamer des moyens satisfaisants. Pas des effets de communication ou de « beaux » discours sur l’importance de lutter contre les violences patriarcales. Non, des moyens, des vrais. À la hauteur de l’ampleur et de l’étendue des violences sexistes et sexuelles qui cautionnent qu’une femme meurt tous les 3 jours environ des coups de son conjoint, dont on essaye d’amoindrir le geste.

Les militantes féministes exigent non seulement la mise à disposition de structures d’hébergement pouvant accueillir les femmes victimes de violences conjugales, la formation des agent-e-s de toute la chaine juridico-policière, mais surtout la lutte profonde contre la culture du viol, contre la culture patriarcale visant à réduire les femmes au statut d’objet appartenant aux hommes.

La liste des revendications est longue et non exhaustive : « Dire notre colère ne suffit pas. En tant que femme, comme en tant que personne subissant les oppressions et les violences patriarcales, nous devons nous organiser pour faire entendre notre colère. Et pour obtenir des victoires contre ce système. Nous devons exiger des mesures immédiates, la mise sous protection effective de la victime dès la première alerte, la simplification des démarches pour porter plainte, pour quitter le domicile conjugal, éloigner l’agresseur, l’accès facilité aux services de santé spécialisés, des personnels spécialisés formés en nombre suffisant dans tous les services concernés : police, justice, éducation et bien d’autres, l’application de la loi afin que l’agresseur soit tenu éloigné, des places d’hébergement sécurisés et en nombre suffisant pour les femmes et leurs enfants, un accès au droit d’asile immédiat pour les femmes et personnes LGBTQI étrangères, plus de moyens aux associations féministes et LGBTQI qui assurent les missions de service public d’accompagnement et de soutien, des campagnes régulières d’information et d’éducation populaire, des moyens encore pour la mise en place effective pour l’éducation à la vie sexuelle et affective à l’Education nationale…»

« JE SUIS UNE FEMME ET JE VEUX POUVOIR ME SENTIR LIBRE »

Et puis, il y a ce témoignage de Louise. Exceptionnellement, nous le retranscrivons ici dans son intégralité :

« Je suis une femme, j’ai 17 ans et je fais partie des 97%. Alors que je croyais être invincible, que j’étais sûre de ne jamais subir de violences, il y a deux ans je suis tombée dans le filet d’un violeur. J’en ai parlé avec mes sœurs, chacune d’entre elles m’ont alors confié qu’elles aussi avaient subi des violences. 

La violence, elle a de multiples facettes. C’est difficile de savoir où est-ce qu’elle commence et quand elle s’arrête. Il y a les violences physiques, qui passent par les coups, les gestes qui nous font mal au corps. 

Les violences sexuelles : viols, attouchements, refus d’une contraception, harcèlement de rue, non respect du consentement. En France, 30% des femmes subiront des violences de la part de leur actuel ou ancien compagnon et 97% d’entre elles seront victimes de viol-s ou harcèlement sexuel. 

Il y a les violences psychologiques, qui ne laissent pas de traces visibles mais alimentent un mal être constant. L’agresseur utilise les mots pour détruire sa proie. Il dévalorise son comportement, son apparence, son caractère, sa personnalité. La torture psychologique se fait aussi par des actes qu’on pourrait percevoir comme de la jalousie excessive mais qui sont en réalité néfastes et dangereux. Contrôler la totalité des faits et gestes de quelqu’un, l’empêcher de travailler, d’avoir une vie sociale, d’avoir une indépendance, faire en sorte d’être essentiel pour ne jamais être remplacé, tel est le mode opératoire d’un pervers narcissique. 

Les violences peuvent être économiques lorsque l’agresseur ne paye pas la pension alimentaire, contrôle l’argent de sa victime ou l’empêche d’utiliser son salaire. 

Les mariages précoces et fermés, les mutilations génitales et les exploitations sexuelles sont aussi des violences que les femmes subissent. Dans le monde, environ 650 millions de femmes ont été mariées de force et 200 000 autres sont victimes de mutilation génitale. 

Les violences peuvent avoir lieu n’importe où et n’importe quand. Au travail comme dans la rue, au sein d’un couple comme dans la famille, à l’école comme dans les transports ou même les milieux hospitaliers. Peu importe leur durée, les violences sont anormales et pourtant si banalisées. 

Comment expliquer que 80% des plaintes sont classées sans suite, que les féminicides ont lieu tous les 3 jours ? Comment expliquer qu’au moment où je lis ces mots quelqu’un quelque part en France subit un viol ? Comment expliquer qu’une femme ne puisse pas se sentir en sécurité dans la rue ? Qu’elle ne se sente pas légitime à porter les vêtements qu’elle aime ? Qu’elle soit insultée selon ses pratiques sexuelles ? 

Je suis une femme, j’ai 17 ans et j’ai peur. Il y a tout un tas de choses effrayantes dans la vie d’une adolescente mais les violences que les femmes subissent sont effroyables et m’inquiétent car on n’est jamais à l’abri d’un sifflement ou d’un regard… 

Je suis une femme et je veux pouvoir me sentir libre et en sécurité. Partout et tout le temps. Sensibilisons les plus jeunes pour nous assurer un avenir, éduquons-les loin du patriarcat. Agresseurs, changez de camp ! Battez la société dans laquelle nous sommes enfermé-e-s plutôt que de vous défouler sur nos corps ! »

La mobilisation est interrompue par les forces de l’ordre qui exigent la dissolution de l’assemblée. Les organisatrices ont repoussé ce moment par respect envers la femme qui s’exprime. Le symbole est fort, et il est lourd, pesant. Interrompre la parole des femmes dans l’espace public en usant de son autorité… C’est choquant. Et cela renforce la colère entendue dans chaque prise de parole, y compris dans celles qui n’ont pas pu prendre le micro.

« Si la police était aussi efficace dans les violences faites aux femmes, ce serait vraiment le top ! », sera le mot de la fin et sera accompagnée par une levée des voix en chœur : « Nous sommes fortes, nous sommes fières, et féministes et radicales et en colère ! ». Espérons que la chanson reste dans la tête des flics…

 

Célian Ramis

Pour un aménagement féministe et écologiste des villes

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Elsa Koerner est doctorante en sociologie à l’université Rennes 2. L’articulation entre les questions de genre et la végétalisation de l’espace urbain dans la production et l’aménagement de la ville, elle en a fait le sujet de sa thèse.
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Elsa Koerner est doctorante en sociologie à l’université Rennes 2. L’articulation entre les questions de genre et la végétalisation de l’espace urbain dans la production et l’aménagement de la ville, elle en a fait le sujet de sa thèse. Le 26 mars, l’association Les Effronté-e-s Rennes, dont elle a co-créé l’antenne rennaise en 2017, proposait une visioconférence animée par Elsa Koerner autour de l’étude qu’elle réalise depuis maintenant 3 ans. Dans le cadre du 8 mars à Rennes.

La veille, on la rencontre dans le jardin de la Confluence, espace aménagé pour lézarder sur les bords de la Vilaine, au bout du mail François Mitterand. Elsa Koerner balaye rapidement la zone du regard. Autour de nous, une majorité écrasante d’usagères.

Est-ce là parce qu’il s’agit d’un espace vétégalisé, aménagé de bancs et de banquettes ? D’un lieu légèrement retiré et ainsi préservé de l’agitation du centre ville ? Serait-ce la même configuration si la nuit était tombée ? Ou simple fruit du hasard ? Les raisons peuvent être multiples et complexes. C’est bien là tout l’attrait et l’enjeu du sujet.

LE DÉPART DE SA RÉFLEXION

En tant que militante féministe et écolo, elle s’intéresse à la question de la répartition genrée dans l’espace public, la production des villes durables et l’émancipation des femmes. En 2015, l’article d’Yves Raibaud, géographe du genre, sur la ville durable mais inégalitaire l’interpelle. Elle est étudiante à Sciences Po Strasbourg et effectue son Master 2 en Droits de l’environnement.

Elle cherche un stage à Rennes ou à Nantes, villes qu’elle sait engagées et dynamiques sur le plan de la prise en compte du genre dans l’aménagement urbain. Et c’est à l’agrocampus de la capitale bretonne qu’elle trouve son stage et rencontre celui qui va devenir son directeur de thèse.

« J’ai découvert les recherches en sociologie et ça m’a beaucoup plu. Mon directeur travaille en sociologie de l’environnement, en particulier en nature urbaine. Ce qui m’intéresse, c’est la sociologie de l’action publique : étudier comment on produit la ville à travers les espaces végétalisés ou en cours de végétalisation, auprès des agent-e-s en charge de cette production, de la conception à la réalisation. », explique la doctorante.

Ainsi, elle réalise un travail de terrain et d’observation autour de la manière dont les agent-e-s s’approprient la question du genre et comment ils et elles en tirent des outils pour l’aménagement des espaces. Sa posture est à la fois celle d’une chercheuse en formation et celle d’une consultante, salariée d’un bureau d’études.

Sa recherche est commandée par les trois villes qu’elle étudie et compare : Rennes, Strasbourg et Le Mans. Pour cela, elle est en lien avec les services Jardin et biodiversité et les chargées de mission Egalité de chaque municipalité.

« Les ressources sont très différentes d’une ville à l’autre, d’un service à l’autre. Dans chaque ville, j’observe comment les agent-e-s s’approprient les enjeux de l’égalité. Car si l’objectif d’égalité est acquis pour quasiment tou-te-s les agent-e-s rencontré-e-s, la définition n’est pas toujours la même ni la manière dont cet objectif peut être appliqué. Il faut savoir que ce sont des questions très récentes dans l’aménagement du territoire. »
précise Elsa Koerner.

UNE HISTOIRE RÉCENTE

Durant la conférence, elle revient très rapidement sur l’histoire de l’étude de l’espace urbain au prisme du genre et de l’approche genrée dans l’urbanisme. Dans les années 80, émergent les études de genre, et c’est à cette période que la chercheuse américaine Dolores Hayden propose le plan d’un bâtiment non sexiste sur un campus. Elle repense l’aménagement des espaces en y intégrant cantine et crèche collectives, gérées par les habitant-e-s et usager-e-s « afin que la gestion des tâches soit commune et ne repose pas uniquement sur les femmes. »

Ce sont dans les années 2000 que vont apparaître en France les études en géographie sociale à travers une approche sexuée. Elsa Koerner cite Jacqueline Coutras et Sylvette Denèfle qui interrogent alors la mobilité des femmes et plus précisément analysent le rapport entre l’aménagement des villes et les pratiques des femmes.

Elle mentionne également la thèse de Marylène Lieber qui évoque et décrypte les rappels à l’ordre patriarcaux, la construction de la peur des femmes en ville, les stratégies d’évitement ou encore la dimension sociale de la nuit. Sans oublier les travaux d’Edith Marejouls sur l’égalité filles – garçons dans les cours d’école ou encore ceux d’Yves Raibaud, rendu célèbre par son ouvrageLa ville, faite par et pour les hommes : dans l’espace urbain, une mixité en trompe l’œil.

« Le sujet est donc relativement récent. Il se multiplie depuis 5 ans parce qu’on parle de plus en plus de la répartition genrée de l’espace public. On sait que l’espace public est traversé par les femmes, là où les hommes l’occupent davantage. On sait que dans les pratiques les femmes ont plus tendance à occuper les espaces verts (parcs, espaces végétalisés au bord des quais, etc.), en raison des rôles sociaux qui nous ont été assignés. »
analyse Elsa Koerner.

Les militantes féministes investissent le sujet, devenu en quelques décennies l’objet d’études universitaires mais aussi de démarches collectives avec par exemple la création en 2012 de l’association Genre et Ville, par Chris Blache, anthropologue urbaine, et Pascale Lapalud, urbaniste designer, ou encore la recherche-action à l’initiative en 2013 des Urbaines à Gennevilliers, réunissant des chercheur-euse-s en géographie, urbanisme, sciences politiques, des habitant-e-s, des artistes, des photographes, entre autres, autour des pratiques genrées dans les espaces publics.

Et ce sujet influe sur les municipalités à travers le « gendermainstreaming » que la doctorante explique comme étant le fait de « tranversaliser la question de l’égalité de genre dans les politiques publiques. » En somme, « il s’agit de faire porter les fameuses lunettes de l’égalité et donc pour ça de former les agent-e-s à ces questions. » Des questions qui font souvent débat car Elsa Koerner insiste : nous ne sommes encore qu’en phase d’expérimentation.

LA VOLONTÉ POLITIQUE

Pour l’instant, tout est à faire. Tout est à penser, à construire, à tester. Le cadre n’est pas posé depuis longtemps, la Charte européenne pour l’égalité entre les femmes et les hommes dans la vie locale datant de 2006 à peine, la loi pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes de 2014 seulement.

Et celle-ci précise : « Dans les communes de plus de 20 000 habitants, préalablement aux débats sur le projet de budget, le maire présente un rapport sur la situation en matière d’égalité entre les femmes et les hommes intéressant le fonctionnement de la commune, les politiques qu’elle mène sur son territoire et les orientations et programmes de nature à améliorer cette situation. »

Elsa Koener commente : « Cette obligation entre en vigueur en 2016. La mesure est principalement incitative : en somme, elle impose aux villes de plus de 20 000 habitants de faire un rapport sur l’égalité femmes-hommes et les perspectives d’amélioration, sans donner de recommandations, sans aiguiller les politiques publiques. Les municipalités doivent se débrouiller par elles-mêmes. Tout demeure flou et sans objectifs bien définis. »

Pour les aider, des guides paraissent notamment « Le guide référentiel de la mairie de Paris », Genre & espace public, et les ouvrages de Genre et ville « Garantir l’égalité dans l’aménagement des espaces publics – Méthode et outils » et « Garantir l’égalité dans les logements – Méthode et outils ».

« Tout le travail peut être abandonné selon l’alternance des municipalités, un départ en retraite d’une chargée de mission égalité, etc… Les villes peuvent donc se saisir des guides existants. Des expérimentations existent. Il y a des villes pionnières et des villes qui cherchent à raccrocher les wagons. »

Sa thèse compare trois villes : Rennes, Strasbourg et Le Mans. Des villes engagées et dynamiques dans leur volonté d’intégrer les questions d’égalité dans les diverses politiques publiques.

La capitale bretonne signe dès 2006 la Charte européenne pour l’égalité entre les femmes et les hommes, obtient en 2013 le label Egalité professionnelle, invite Yves Raibaud en 2015 pour se former à ces questions, réalise des marches exploratoires destinées à établir des diagnostics sensibles des différents quartiers rennais, commande l’étude d’Elsa en 2019 et dans la même année lance un projet de végétalisation des cours d’école.

Un projet élargi par Geneviève Letourneux - élue municipale en charge des Droits des femmes et de la Lutte contre les discriminations - au prisme du genre. En 2020, le travail réalisé par les stagiaires de l’INET, qui a donné lieu à un groupe de travail, est concrétisé sur le groupe scolaire de l’Ille, à Rennes, avec un partage équitable de l’espace.

À Strasbourg, c’est aussi de la volonté de la chargée de mission que part la dynamique. En 2014, elle repère une salariée qu’elle mobilise sur les questions d’égalité. Celle-ci quitte la municipalité pour travailler un temps au sein du cabinet des Droits des femmes. À son retour, elle est intégrée au service urbanisme et de là nait un groupe de travail qui produit depuis 2018 un plan d’actions sensible au genre.

Si Le Mans n’a pas encore de groupe de travail dédié à ces questions, la ville affiche une volonté réelle de s’inscrire également en pionnière en terme d’égalité de genre, luttant également contre les discriminations LGBTIQ+. Le travail de fond a été lancé par Marlène Schiappa qui a quitté ses fonctions pour rejoindre le gouvernement en 2017 et a été repris depuis. L’an dernier, le maire a nommé sa première adjointe en charge de l’égalité femmes – hommes, un geste « fort symboliquement », souligne Elsa Koerner.

Elle précise : « Cela montre à quel point tout dépend des volontés, des parcours, des personnes, etc. L’ensemble est très fragile. »

Fragile mais enthousiasmant. La matière amène de nombreux questionnements. À savoir notamment quelle nature voulons-nous en ville ? Et est-ce que la nature en ville implique forcément un projet féministe ? Est-ce que la nature apaise les relations et ainsi réduit les violences sexistes et sexuelles qui sévissent dans les rues et les transports en commun ?

QUAND L’IDÉAL ÉCOLO SE HEURTE AUX PRATIQUES QUOTIDIENNES

Dans l’idéal de la ville durable, figure le droit à la ville pour tou-te-s, « c’est-à-dire la réalisation des besoins économiques, sociaux, politiques et de loisirs au sein des quartiers de résidence. »Néanmoins, elle le dit : « Tout ceci se fait sur la matrice d’une ville construite et reconstruite au fil des siècles et d’un aménagement depuis les années 60 autour de l’usage de la voiture et la distinction des fonctions de travail, des lieux de vie et d’accès aux commerces, administration, etc. »

À partir de là, les critiques pleuvent. Car on répond à un idéal écologiste sur certains aspects sans « chausser les lunettes du genre ». Les choses se complexifient : la doctorante prend l’exemple de la réduction des places de stationnement pour préserver l’environnement. Elle explique que d’un côté les femmes adhèrent à la cause environnementale et d’un autre, n’osent par conséquent pas expliquer que cela posera problème pour déposer les enfants, faire les courses, etc. Parce qu’on vit encore dans une société divisée par des tâches genrées.

« Le schéma urbain nous contraint à utiliser la voiture pour réaliser ces tâches dans la double journée que les femmes subissent. Les intérêts des femmes semblent contrevenir à l’objectif même de la protection de l’environnement alors même qu’elles adhèrent à cet objectif. Elles ne se sentent pas autorisées à exprimer leurs besoins et avis. Double injonction aussi pour les femmes : elles sont responsables des tâches domestiques encore aujourd’hui à près de 80% et en plus elles doivent trouver des solutions écologiques : couches lavables, produits d’entretien faits maison… »

Ce sont là quelques exemples de critiques pointées et relevées par les chercheur-euse-s du genre. D’autres points soulèvent des interrogations. Comme la trame noire par exemple, dans le parc de l’éco-quartier Beauregard à Rennes. Cette trame noire est incluse dans les plans de biodiversité et s’applique concrètement par la réduction de l’éclairage afin de permettre le respect des rythmes naturels de la faune et de la flore.

Mais ce qui a été constaté, c’est que les femmes font des longs détours pour rentrer chez elles, pour éviter ce parc qu’elles considèrent comme insécurisants. « Cela montre que quand on ne considère pas tous les aspects, on peut faire des choses très bien écologiquement et techniquement mais dans l’appropriation et dans les pratiques, en fait, ces choses peuvent être des freins et des obstacles, notamment pour les femmes. », résume Elsa Koerner.

Elle poursuit : « Certains auteurs vont jusqu’à dire que la ville qui est produite actuellement ne serait qu’un vernis écolo sur une ville néo-libérale, toujours soumise aux logiques d’accumulation capitalistique. L’adjectif durable aurait été annexé par la ville capitaliste, androcentrée, qui reproduit donc les mêmes méthodes, les mêmes analyses et les mêmes techniques en guise de solutions, manquant le rendez-vous du grand chambardement de l’écologie populaire dans des villes accueillantes, solidaires et à taille humaine.»

LES ENJEUX DU DÉBAT ACTUEL

Une multitude de questions se bouscule. Si les espaces naturels ou que l’on végétalise de manière champêtre et sauvage sont insécurisants, que faire ? Les éclairer ? Comment ? À quelle heure ? Faut-il dégager l’horizon pour que l’ensemble du panorama soit accessible à notre regard ? Faut-il les fermer la nuit, comme ça, la biodiversité est tranquille ?

Faut-il investir davantage les pratiques de jardinage et de végétalisation participatives ? N’y retrouve-t-on pas des pratiques genrées là aussi ? À ces questions, la doctorante prend l’exemple des études anglosaxones qui s’intéressent à la queer ecology via les pratiques collectives de jardinage :

« Il y a une véritable appropriation de petits espaces par des personnes LGBTI ou par des femmes où se créent le lien social et l’apprentissage à la fois de compétences pratiques mais aussi d’une nouvelle représentation de soi. Guérilla végétale, Les incroyables comestibles ou encore les permis de végétaliser qui visent de façon subversive ou de façon contractuelle avec la ville à végétaliser l’espace urbain pourraient également être étudiés au prisme du genre. »

Pour elle, il est important de concerter les personnes concernées. Leur donner la parole, c’est leur donner une place légitime de sujets politiques. D’acteurs et actrices politiques. Encore faut-il que celles-ci soient en capacité de donner leur avis et identifier et exprimer leurs besoins dans l’immédiat.

Par sa conférence et sa démonstration, Elsa Koerner démontre qu’il n’y a pas de réponses définies et définitives. Que l’aménagement d’une ville par le prisme du genre est un sujet extrêmement complexe, qui mérite une réflexion profonde et l’implication des agent-e-s, forces de propositions, mais aussi des habitant-e-s, acteurs et actrices de leur quotidien.

Produire une ville féministe et écologiste implique de repenser les rapports que l’on entretient à la nature mais aussi entre les humains. Implique de penser des équipements mixtes pour que chacun-e s’approprie l’endroit et la structure en dehors des tâches assignées et des rôles sociaux définis par une société patriarcale. Implique de penser une nature spécifique qui doit trouver sa place entre les réseaux souterrains, la pollution et les usages du quotidien.

Cela implique également une démocratie sociale, des concertations adaptées, des pratiques collectives et participatives (sans que cela devienne une injonction), des formations et des expérimentations. Avancer étape par étape.

Elle conclut sur les cours d’école, véritables laboratoires justement. Ces espaces bétonnés que l’on sait partagés entre les jeux de ballons encore très largement investis par les garçons tandis que les filles jouent en périphérie du terrain du foot.

« Les cours d’école doivent être verdies car étant bétonnées, elles créent des ilots de chaleur : ce qui n’est ni bon pour les enfants, ni pour l’environnement. Quitte à repenser l’aménagement des cours, autant en profiter pour intégrer la dimension de l’égalité filles – garçons ! C’est un milieu fermé, n’y entre pas qui veut, contrôlé par la municipalité, ce qui est fait un lieu parfait d’expérimentation puisque la ville a la main jusqu'au bout et peut via les agent-e-s de l’éducation nationale et du périscolaire analyser ses effets dans le temps. »

 

 

Célian Ramis

Le cinéma documentaire à l'aune du genre

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Du 8 au 29 mars, Docs au féminin a réglé sa focale sur les luttes féministes et les personnes sexisées. Sans oublier celles qui créent, écrivent, produisent, réalisent, sélectionnent et partagent des visions et des points de vue, des émotions et des tranches de vie.
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Du 8 au 29 mars, Docs au féminin a réglé sa focale sur les luttes féministes et les portraits de personnes sexisées à travers une série de longs et courts métrages documentaires, diffusés en ligne ou à travers des vitrines, à l’occasion du 8 mars à Rennes. Sans oublier celles qui créent, écrivent, produisent, réalisent, œuvrent à la mise en place de l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, sélectionnent et partagent des visions et des points de vue, des émotions et des tranches de vie.

En février 2019, on rencontrait la réalisatrice Céline Dréan pour parler avec elle de la place des femmes dans le milieu du cinéma. Elle venait de participer avec Véronique Le Bris, journaliste et fondatrice du magazine en ligne Cine-Woman à une table ronde sur le sujet, animée par HF Bretagne dans le cadre du festival Travelling. 

Cet événement était précédé de la projection du film de Clara et Julia Kuperberg, Et la femme créa Hollywood qui s’attache à montrer qu’au départ, dans les années 1910 - 1920 les femmes étaient présentes dans la création cinématographique, et pas qu’un peu ! Elles étaient en nombre, compétentes et à des postes à responsabilité. Mais depuis que s’est-il passé ? 

« Je suppose qu’il y a un faisceau assez complexe de causes mais l’essentiel, c’est que l’argent est arrivé. Au départ, le cinéma était un art complètement expérimental, il n’y avait pas d’enjeu financier. C’était plutôt un endroit dans lequel venaient les personnes qui n’avaient pas de travail, c’est-à-dire les femmes, qui n’arrivaient pas à être embauchées ailleurs. C’est quand les industriels ont commencé à s’intéresser au cinéma et donc à y mettre de l’argent que l’enjeu a été modifié. Ce n’était plus seulement un enjeu de création mais c’était également un enjeu économique et c’est là que les hommes sont arrivés et ont pris le pouvoir. Ce qui est assez symptomatique – alors là je m’avance peut-être un peu – de plein d’autres domaines, comme les sciences par exemple. », nous avait alors répondu Céline Dréan.

La situation a-t-elle beaucoup évolué depuis ? Oui, c’est indéniable. Il y a désormais davantage de réalisatrices que dans les années 50. Mais pour la professionnelle, il y a encore de nombreux écarts, notamment dans la répartition femmes-hommes selon les genres cinématographiques. Dans le documentaire, notamment, encore une fois très imprégné de l’esprit expérimental, et peu étiqueté « gros budgets ».

Le cinéma, comme le reste des arts et de la culture, n’est pas un secteur qui fait exception. Il est empreint, à l’instar de tous les domaines de la société, d’une éducation genrée, permise par un système global reposant sur des mécanismes de domination : sexisme, racisme, validisme, LGBTIphobie, grossophobie, classisme, âgisme, etc. Les oppressions pouvant se croiser et se cumuler.

Compter, c’est une des premières étapes essentielles à la prise de conscience générale. C’est ce que rappelle Elise Calvez, membre de HF Bretagne, association œuvrant pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes dans les arts et la culture, mardi 23 mars.

Elle animait, en visio, une table ronde autour de la place des femmes dans le cinéma documentaire, à l’occasion de Docs au féminin, réunissant Natalia Gómez Carvajal, chargée de la programmation, Claire Rattier-Hamilton, chargée de mission court-métrage et documentaire à la Région Bretagne, Marine Ottogalli, co-réalisatrice de Ayi, et Leïla Porcher, co-réalisatrice de Je n’ai plus peur de la nuit. 

DES CHIFFRES ÉDIFIANTS, ENCORE…

Du côté de la Scam, la Société civile des auteurs multimédia, l’enquête concernant la répartition des autrices et des auteurs sur une décennie (2009 – 2019) montre une évolution très faible du nombre d’autrices membres de la structure. En 2009, elles représentent 36%. Dix ans plus tard, 37%. Le chiffre est dérisoire.

En mars 2021, le CNC publie son étude sur « La place des femmes dans l’industrie cinématographique et audiovisuelle », de 2010 à 2019, montrant que différents métiers au sein même du secteur de la production cinématographique sont encore profondément genrés et les salaires des femmes encore inférieurs à ceux des hommes (37,3% d’écart entre un réalisateur et une réalisatrice concernant le salaire moyen).

Les postes de scripte et assistant-e scripte, costumier-e et habilleur-euse et de coiffeur-euse et maquilleur-euse sont principalement occupés par des femmes, tandis que les professions techniques comme machiniste, électricien-ne et éclairagiste sont largement occupées par des hommes.

Inégalités encore avec les films français agréés encore majoritairement réalisés ou co-réalisés par des hommes à 74,1%. Et ils coûtent plus chers. En 2019, le devis moyen des films français réalisés par des femmes est inférieur d’environ 2 M€ à celui des hommes.

« Ces écarts s’expliquent en partie par l’absence de très grosses productions réalisées par des femmes et l’importance du genre documentaire au sein des films réalisés par des femmes, genre moins coûteux à produire »
indique l’étude du CNC dans sa synthèse. 

LA RÉGION S’Y MET DOUCEMENT

En région, la question des chiffres est complexe, comme l’explique Claire Rattier-Hamilton, chargée de mission Court-métrage et Documentaire à la région Bretagne. Elle a récolté des données à la demande du festival mais insiste sur le fait qu’elles sont à prendre avec précaution. Il n’y a pas encore d’étude précise et officielle sur le sujet.

Ainsi, en 2020, tout genre confondu, elle constate qu’il y a eu plus de projets portés par des hommes aidés au niveau de la production « mais c’est un tout petit peu moins flagrant en développement et en écriture. »Ainsi, les écarts se resserrent : « On a aidé plus de projets en développement et en écriture portés par les femmes. »

D’un point de vue financier, les projets portés par les femmes demandent moins de budget pour les aides à la production. Et l’écart n’est pas fin : « Environ 29 000 euros pour les femmes et environ 47 000 euros pour les hommes. » En revanche, ce qu’elle note, c’est qu’au final, les hommes obtiennent un budget inférieur à leur demande initiale et les femmes obtiennent « à peu près » ce qu’elles demandent.

Elise Calvez le souligne : l’évolution est lente et modeste malgré la prise en compte de ces préoccupations, globalement dans de nombreux secteurs des arts et de la culture depuis plusieurs années. Il faut compter pour établir des données chiffrées parlantes et révélatrices d’une problématique profonde. Il faut compter pour établir une prise de conscience significative.

S’outiller pour comprendre d’où viennent les problématiques, ces sources d’inégalités qui persistent et pouvoir ainsi analyser ces écarts qui non seulement perdurent mais aussi se creusent au fil des échelles que l’on étudie. On sait notamment grâce au diagnostic chiffré établi en 2019 par HF Bretagne sur la place des femmes dans le spectacle vivant et les arts visuels que les femmes représentent :

« 60% des étudiant-e-s, 40% des artistes actif-ves, 20% des artistes aidé-e-s par des fonds publics, 20% des dirigeant-e-s, 20% des artistes programmé-e-s, 10% des artistes récompensé-e-s. »

ÉMERGENCE D’UNE NOUVELLE GÉNÉRATION

Cette évolution lente et modeste dont Elise Calvez parlait amène tout de même à faire bouger quelques lignes. Heureusement. Avec l’arrivée par exemple de davantage de réalisatrices mais aussi de productrices. En 2020, par exemple, Claire Rattier-Hamilton précise que la région a aidé 16 productrices et 17 producteurs. Pour que ce chiffre soit satisfaisant, il doit se pérenniser.

Ce constat est partagé également par Leïla Porcher qui a travaillé pour son premier long-métrage avec une équipe quasi exclusivement féminine parce que ses productrices étaient entourées de femmes sur tous les postes, excepté le mixage : « On a sans doute été préservées de ce que ça représente dans la confrontation au quotidien. »

Celle qui a d’abord entrepris des études d’anthropologie avant de se former en documentaire et réalisation à Aix-Marseille, précise : « Dans ma formation, on était une majorité de femmes. À la sortie, par contre, les gens que je connais et qui ont poursuivi en réalisation sont des hommes. »

Marine Ottogalli, elle, a une formation de technicienne. Ce qui l’anime dans le cinéma, c’est d’être cheffe opératrice. Les chiffres cités précédemment ne sont, selon elle, pas surprenants : « Ils me parlent, surtout sur le fait que les femmes arrivent dans la production. »

Ce qu’elle remarque principalement, c’est la difficulté qu’ont les femmes, en règle générale, à imposer un salaire : « Ce sont les hommes autour de moi qui font monter les salaires, souvent. Mais après, je pense aussi qu’il y a une question de personnalité, au-delà de la question du genre. »

Si très rares sont les modèles de cheffes opératrices, en revanche, la réalisatrice précise que dans ces influences lui viennent principalement des femmes, à l’instar de Chantal Akerman. Si elle a eu davantage d’hommes mentors dans son parcours, en revanche « après, dans les stages ou les postes d’assistante, ce sont des femmes qui m’ont aidée à monter dans ma carrière. » 

VISIBILISER LES FEMMES

De son côté, Leïla Porcher regrette de n’avoir bénéficié d’aucun modèle de réalisatrices. « J’aurais aimé en avoir. C’est avec Anna Roussillon que j’ai découvert que c’était possible, que oui, on pouvait arriver à ce type d’écriture, etc. », explique-t-elle. Sur le relationnel avec les hommes dans ce secteur, elle n’en a pas encore fait l’expérience.

En revanche, elle l’affirme : le film Je n’ai plus peur de la nuit n’aurait pas pu être réalisé par des hommes. « La société kurde est ségréguée sexuellement. Je pense que ça aurait été impossible d’accès pour des hommes. En tout cas, ils n’auraient pas pu développer les liens qu’on a pu avoir. Nous avons passé beaucoup de temps avec ces femmes, des combattantes kurdes, déjà ça a changé notre regard mais je pense aussi qu’en tant que femmes, on avait moins de risque de tomber dans l’exotisation et la romantisation. », analyse-t-elle.

Au départ du projet documentaire d’Ayi, l’idée était de montrer les cuisines de rue. Au bout de la première année, Marine Ottogalli et Aël Théry ont choisi d’axer autour de la figure d’Ayi, « tellement charismatique que tout s’est polarisé autour d’elle. » Le film est devenu un portrait de femme migrante dans un quartier de Shangaï, racontant « l’émancipation d’une femme partie de son village où elle s’occupait de sa famille et qui a choisi de partir et de trouver une place en ville. »

Donner à voir des luttes féministes et des portraits de femmes. C’est là l’objectif de Docs au féminin, géré par Natalia Gómez Carvajal, sa chargée de programmation au sein de Comptoir du doc depuis septembre 2020. Elle avait l’espoir que l’événement se déroule en présentiel mais la gestion gouvernementale de la situation sanitaire a contraint les salles de cinéma et lieux de culture a fermé leurs portes.

Prévoir les projections en ligne, cela pose question au sein de la structure qui défend l’espace du cinéma comme opportunité de faire du lien et de rencontrer le public. Ainsi, Docs au féminin s’est inspiré d’une initiative grenobloise et a organisé le 13 et 20 mars des séances de courts-métrages, diffusés dans les vitrines de commerces du centre ville et de Maurepas.

Concernant la diffusion via une plateforme ciné, un avantage se profile rapidement : si la manifestation est d’ordinaire organisée à Rennes – aux Champs libres – cette année, tout le monde pourra bénéficier de ses séances gratuitement, sans barrières géographiques.

« Les violences sexistes et sexuelles existent de partout. Surtout dans les foyers, on le sait et on le voit bien depuis les confinements. Là, on fait entrer des films documentaires qui parlent de ces sujets, par différents biais, directement dans les foyers. »
souligne Natalia Gómez Carvajal.

Du 8 au 29 mars, 4 films ont été proposés tous les lundis soirs : In search de Beryl Magoko et Jule Katinka Cramer, sur le rapport à l’excision d’une femme kenyane qui va ensuite découvrir la chirurgie réparatrice, Ayi de Marine Ottogalli et Aël Théry, sur le combat d’une femme migrante qui cuisine dans la rue en évitant les forces de l’ordre dans un quartier de Shangai, The Giverny document de Ja’Tovia Gary sur les conséquences des représentations coloniales des femmes noires sur l’intégrité de leurs corps ainsi que leurs résiliences, et Je n’ai plus peur de la nuit, de Leïla Porcher et Sarah Guillemet, sur la formation politique et militaire des combattantes kurdes. 

Natalia Gómez Carvajal nous explique sa manière de procéder pour la sélection de films : « Je regarde un maximum de films sans regarder si c’est fait par un homme ou une femme. C’est vraiment un choix. Je lis le synopsis, s’il me plait, je regarde. Je fais au ressenti. À chaque fois, ça a été des films réalisés par des femmes. J’étais contente ! J’avoue que si ça n’avait été que des hommes à la réalisation, je me serais posée des questions… Ensuite, je travaille avec un groupe de programmation, cette année, constitué de 8 – 9 personnes qui ont vu tous les films et suivi tous les échanges. »

L’objectif a été rempli selon la chargée de programmation qui s’enthousiasme de pouvoir proposer, au sein de la thématique vaste des femmes et des luttes féministes, des visions plurielles et diverses. Pas uniquement centré sur l’occident, sur le corps blanc, etc.

« On aborde dans le festival également la question des identités de genre. Et on réfléchit et on est preneur-euse-s de proposition d’un nom qui pourrait justement inclure davantage toutes les identités de genre. », souligne Natalia Gómez Carvajal.

UN MOMENT DE BASCULEMENT

On questionne la place des femmes et des minorités de genre dans les différents secteurs de la société. On réalise un travail profond de réhabilitation de celles-ci dans l’Histoire. On valorise le matrimoine. On déconstruit au fur et à mesure ce qui fondent les inégalités profondes de notre société. On dénonce les violences sexistes et sexuelles. On compte. Aussi bien en terme de chiffres que dans les récits et les parcours.

« On est peut-être à un moment de basculement. », nous dit la chargée de programmation de Docs au féminin. Elle poursuit : « Ce qui est intéressant avec les deux réalisatrices qui étaient présentes à la table ronde, c’est que pour toutes les deux c’était leur premier film et qu’elles représentent cette nouvelle génération qui arrive avec des nouvelles réalisatrices, des nouvelles productrices. Elles osent davantage. »

Pour elle, les études sont encore très difficiles à analyser et ne peuvent pas tout à fait être considérées comme photographie fidèle et globale du secteur du cinéma : « Mais c’est intéressant car ça interroge. Il y a des choses à creuser à mon avis. Comme cette chute que l’on constate : en ce qui concerne les aides à l’écriture, les femmes demandent partout. Mais ensuite au moment du développement, il y a un écart. Ce qu’il faut voir, c’est que ce sont les boites de production qui font les demandes d’aides financières. Est-ce qu’elles osent demander plus quand ce sont des projets portés par des hommes ? Il faut creuser la question. »

Numériser les projets aiderait à suivre précisément tout le trajet du dossier pour l’analyser plus en détail et en profondeur. La question est encore très complexe et Elise Calvez le signale également : du côté de HF Bretagne, aucun groupe Cinéma n’a encore été constitué. L’appel est lancé. Pour compter, décrypter, prendre conscience, informer, sensibiliser, former, faire bouger les lignes ensemble.

Célian Ramis

De Gisèle Halimi à aujourd'hui : de l'intime au collectif

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Dans le cadre du 8 mars, l'association Déclic femmes organisait une conférence intitulée « Générations féministes, de Gisèle Halimi à la vague #MeToo », animée par l’autrice engagée, Jessie Magana, mardi 16 mars.
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« Chaque pas du féminisme est un pas pour les femmes migrantes ». C’est le postulat de départ de Fatima Zédira, fondatrice – en 1995 – et directrice de l’association rennaise Déclic Femmes qui en 26 ans a accueilli et accompagné entre 400 et 500 femmes exilées. Dans le cadre du 8 mars, la structure organisait une conférence intitulée « Générations féministes, de Gisèle Halimi à la vague #MeToo », animée par l’autrice engagée, Jessie Magana, mardi 16 mars. 

Gisèle Halimi, dans ses discours, ses écrits et ses actes en tant qu’avocate, autrice et députée, a toujours accompagné Fatima Zédira. Elle a d’abord défendu les indépendantistes tunisiens avant de venir en France et de s’inscrire au barreau de Paris. « Elle a découvert une justice instrumentalisée, au service de la domination coloniale. », précise la directrice de Déclic Femmes.

Elle s’est rapidement engagée dans le féminisme, créant avec Simone de Beauvoir entre autre, l’association Choisir la cause des femmes. Le procès de Bobigny, dans lequel elle défend une jeune femme ayant avorté à la suite d’un viol (en 1972, l’IVG est illégal) mais aussi sa mère, désignée complice, et trois autres femmes, ainsi que le « procès du viol », à la suite duquel l’avocate va brillamment réussir à faire changer la loi, figurent parmi les procès historiques du siècle dernier.

« Gisèle Halimi porte la cause des femmes jusqu’à ce qu’elles soient prises en compte. »
déclare Fatima Zédira en introduction de la conférence.

Au quotidien, elle œuvre avec les bénévoles pour l’insertion socio-professionnelle et l’apprentissage de la langue française des personnes exilées mais aussi et surtout pour « l’intégration réelle, celle qui prend en compte la dignité et l’histoire de la personne. »

Elle le rappelle, un migrant sur deux est une femme : « Une femme souvent diplômée, compétente ! Les femmes migrantes doivent être incluses dans le féminisme. Ce sont des richesses et non des poids. L’association fait l’interface entre les femmes et le pays d’accueil. Cette année encore, on a des femmes qui se sont inscrites en M2, en doctorat, etc. De par leur statut de femmes et de migrantes, elles subissent : discriminations, barrière de la langue, non équivalence des diplômes, manque de connaissances des dispositifs dans le pays d’accueil, manque de réseau (et donc isolement), manque de mobilité… Ces freins font qu’elles sont exposées à de nombreuses violences. »

Pendant le confinement, Fatima Zédira le dit clairement, la question des violences à l’encontre des femmes exilées s’est posée « encore plus fort que d’habitude. » L’association a rencontré Jessie Magana, autrice engagée dans les combats féministes mais aussi anti-racistes. 

Elle a notamment écrit Les mots pour combattre le sexisme, Des mots pour combattre le racisme, avec Alexandre Messager aux éditions Syros, Riposte – comment répondre à la bêtise ordinaire aux éditions Actes sud junior, Des cailloux à ma fenêtre aux éditions Talents Hauts ou encore Rue des Quatre-Vents – au fil des migrations, aux éditions des Eléphants.

Récemment, elle a signé le nouvel album de la collection Petites et grandes questions, chez Fleurus, Tous différents mais tous égaux ? et toutes les questions que tu te poses sur le sexisme, le racisme et bien d’autres discriminations et début mars est paru son roman Nos elles déployées, aux éditions Thierry Magnier. Sans oublier qu’en mai son livre Gisèle Halimi : non au viol, publié chez Actes sud junior en 2013, sera réédité. 

RENCONTRE AVEC GISÈLE HALIMI

En 2009, Jessie Magana écrit son premier livre édité, Général de Bollardière : non à la torture (dans la même collection chez Actes sud junior). La guerre d’Algérie fait partie de son histoire familiale, à travers son père, et c’est en effectuant des recherches sur le sujet qu’elle tombe sur Gisèle Halimi.

« Elle est féministe dans toutes les dimensions du terme ! Elle lutte pour les droits des femmes mais aussi pour elle-même. Et je trouve que c’est un modèle intéressant à montrer aux jeunes. Je n’aime pas tellement le terme « modèle », je trouve qu’il renvoie l’idée de se conformer… Je dirais plutôt source d’inspiration ! », explique l’autrice. 

Peu de temps après éclate l’affaire DSK. C’est un déferlement médiatique qui montre que le combat que Gisèle Halimi a porté pour faire reconnaître le viol en crime est toujours d’actualité :

« La notion de consentement, l’inversion de la charge sur la victime… Elle a fait changer la loi en 1978 mais en 2011, on en était toujours à avoir les mêmes comportements et remarques dans les médias… »

Pendant la conférence, elle raconte comment Gisèle Halimi, dans cette décennie qui va marquer l’histoire des féminismes, se saisit d’un cas particulier et l’érige en procès de société. Avec l’avortement tout d’abord lors du fameux procès de Bobigny où elle défend Marie-Claire et sa mère, entre autres.

« En 72, elle fait venir à la barre experts, politiques, journalistes, médecins, etc. et fait le procès de l’avortement. Elle a ensuite été menacée, comme elle l’avait été en défendant les indépendantistes algériens. C’était une remise en question de ce qu’elles étaient en tant que femmes qui prennent la parole, comme pour Simone Veil. En 78, elle reproduit ça avec le procès de deux jeunes femmes violées, Anne Tonglet et Araceli Castellano. Au départ, l’affaire est envoyée en correctionnelle pour coups et blessures. Mais les deux femmes obtiennent la requalification du procès. Gisèle Halimi prend leur défense et là encore, elle gagne. Non seulement elle gagne le procès mais elle gagne une nouvelle loi qui précise le viol et empêche sa correctionnalisation (dans le texte, car dans les faits, nombreuses sont les victimes à voir leur affaire requalifiée en agression sexuelle plutôt qu’en viol, ndlr). », précise Jessie Magana. 

Et le 16 mars 2021, quelques heures avant l’échange organisé par Déclic Femmes, les député-e-s fixaient à l’Assemblée nationale l’âge du consentement à 15 ans. Malgré le « procès du viol », l’affaire DSK, l’affaire Weinstein, et de nombreuses autres, les violences sexistes et sexuelles sont toujours terriblement prégnantes. Pourtant, l’arsenal judiciaire ne manque pas.

PARLER, PRENDRE LA PAROLE, DÉNONCER… ET ÊTRE ÉCOUTÉ-E-S ET ENTENDU-E-S…

Nous subissons toujours la lenteur de l’évolution des mentalités, précise Jessie Magana. Les mentalités évoluent plus lentement que la loi. Toutefois, les militantes féministes ne lâchent rien et c’est parce qu’elles œuvrent au combat et à la reconnaissance des droits et des choix et qu’elles prennent la parole et dénoncent les violences sexistes et sexuelles que l’autrice réédite Gisèle Halimi : non au viol, actualisant le propos dans un contexte nouveau, en pleine effervescence féministe.

« Avec les réseaux sociaux, les #, des actrices, chanteuses, femmes comme vous et moi sans audience médiatique ont pu s’exprimer. Grâce à ces mouvements, la parole d’une femme devient mondiale. », s’enthousiasme-t-elle.

Au départ, Jessie Magana est éditrice. Elle publie les récits et les imaginaires d’auteurs et autrices. Un jour, elle ressent le besoin de parler en son propre nom : « J’ai mis du temps à trouver ma voix et ma voie. Et j’ai choisi de m’adresser en priorité aux jeunes mais mes livres peuvent aussi être lus par les vieux… Quand on écrit pour la jeunesse, on est considéré-e-s un peu en marge. Et puis on a tendance à considérer qu’il faut avoir un ton neutre. J’essaye, dans tous mes livres, d’avoir un point de vue engagé pour transmettre mes combats et inciter à l’action. La littérature peut changer le monde ! »

Elle va réveiller l’adolescente qu’elle était. Une adolescente qu’elle décrit comme un peu seule dans sa révolte. « Je ne viens pas d’une famille de militants mais le sentiment d’injustice me suit depuis mon enfance. Ma conscience politique s’est construite au collège, par les rencontres et les livres. », souligne-t-elle, précisant qu’elle est née en 1974, « l’apogée du féminisme », mais lorsqu’elle grandit, dans les années 80 et 90, elle est « dans le creux de la vague… ».

Dans ces décennies de fin de siècle, les militantes sont traitées d’hystériques de service. Elles luttent pour du vent, se dit-on dans l’imaginaire collectif, puisque la contraception, c’est ok, l’avortement, c’est ok, l’accès à l’emploi, aussi… Alors quoi encore ? « À cette époque, seule la réussite individuelle comptait. Si on n’était pas une femme épanouie, si on était une femme victime de violences par exemple, bah, c’était de notre faute… », se remémore-t-elle.

Jessie Magana se souvient encore de la solitude en manif. Elles n’étaient pas très nombreuses à prendre la rue et occuper l’espace public pour défendre les droits déjà conquis et ceux à conquérir. Elle n’est pas amère vis-à-vis de cette période, elle dit même que finalement ça l’a forgée et lui a permis d’avoir du recul :

« Je considère que j’ai un rôle de trait d’union entre les générations. Et ça, ça m’intéresse beaucoup dans mon travail de transmission. »

LA QUESTION DE LA TRANSMISSION

Son nouveau roman, Nos elles déployées, répond parfaitement à ce pont entre les générations. Elle a écrit une première version il y a 15 ans. Sans réponse favorable de la part des maisons d’édition, elle l’a enfermé dans un tiroir mais la jeune fille, son héroïne, a lutté pour ressurgir, parler et trouver sa place.

Jessie Magana a retravaillé son histoire. Ou plutôt l’histoire de Solange, lycéenne dans les années 70 qu’elle traverse aux côtés de sa mère, Coco, et ses ami-e-s militantes féministes. En 2018, Solange est devenue mère à son tour et sa fille est héritière de deux générations différentes de femmes.

L’autrice explore ici les cheminements de ses personnages pour trouver leurs propres voix/voies et s’inscrire chacune dans leur propre contexte de lutte collective et d’épanouissement personnel. On aime son écriture, poétique et réaliste, son sens du détail et sa manière de nous intégrer à des événements historiques que nous n’avons pas vécu. Dans Nos elles déployées, on sent l’ambiance et on la vit. C’est un roman cinématographique qui met nos sens en éveil et nous plonge dans la vie de Solange, sur fond, très présent, de révolution féministe. 

Des réflexions sur le corps, les choix, la liberté, la parentalité, le sexe, les normes sociales, les conventions patriarcales mais aussi les complexes, les paradoxes, les oppositions… « L’intime est politique, c’est ce que je voulais faire avec ce roman. Créer une alternance entre l’intime et le collectif. Et je voulais parler du rapport au féminisme mais aussi du rapport à l’autre. Entre femmes mais aussi entre deux pays, Solange va aller en Algérie. C’est important de ne pas rester dans le contexte franco-français. Ce qui nous rassemble, c’est d’être ou de nous considérer femmes. On se retrouve dans la sororité. », souligne-t-elle.

UN RÉCIT INTIME ET COLLECTIF

Elle ne gomme pas les différences. Elle fait simplement en sorte que cela ne divise pas les femmes : « On utilise souvent les différences des femmes pour les diviser. On le voit à travers les questions d’identité de genre, de race, de religion, etc. Même au sein du mouvement féministe, avec les pro prostitution ou pas, la reconnaissance et l’inclusion de la transidentité dans les débats féministes… Il y a toujours un espace de dialogue d’opinions différentes mais l’expérience intime de la féminité nous rassemble. Il y a toujours eu des conflits, même dans les années 70 entre les gouines rouges et les mouvements plus axés féminisme d’État. Ça fait partie du plaisir de brasser les idées, de débattre ensemble, etc. »

Jessie Magana insiste, ce n’est pas seulement un roman de lutte, c’est aussi un récit qui questionne notre rapport à l’intime, nos manières et possibilités de nous construire à travers des désirs contradictoires, de s’affranchir des injonctions, en l’occurrence ici celle de la mère de Solange qui lui assène d’être libre, notre rapport à l’amour et à comment écrire l’amour. C’est un récit intense et enthousiasmant, profondément humain et vibrant.

Un récit qui résonne jusqu’en Afrique subsaharienne puisque ce soir-là, depuis Dakar, Odome Angone suit la conférence, elle est universitaire, ses travaux sont orientés sur l’afroféminisme et elle témoigne :

« Ici, être féministe est toujours un gros mot. Des femmes font entendre leurs voix au-delà des assignations. On nous reproche d’être contaminées par le discours occidental. Mais ce n’est pas un concept exogène, c’est une réalité que l’on vit au quotidien. »

Elle à Dakar, nous à Rennes. Toutes derrière nos écrans, en train de partager un instant suspendu de luttes féministes qui dépassent largement les frontières. Y compris celles de la définition pure du sexisme pour nous faire rejoindre celle de l’intersectionnalité.

Pour Jessie Magana, c’est d’ailleurs cela chez Gisèle Halimi qui inspire aujourd’hui les jeunes générations. Avocate engagée pour la cause des femmes, elle devient une figure intersectionnelle et rebelle, dans une société où les féminismes évoluent au pluriel, vers une prise en compte comme l’a formulé Fatima Zédira de la dignité et de l’histoire de la personne.

 

 

Célian Ramis

De la solitude des femmes iraniennes à la répression d'une population

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9 mars 1979. Les Iraniennes envahissent massivement l’espace public pour protester contre l’obligation de porter le voile. Du point de vue de Mahnaz Shirali, sociologue et enseignante à Sciences Po Paris, cette photo symbolise la "solitude des femmes en Iran".
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9 mars 1979. Les Iraniennes envahissent l’espace public pour protester contre l’obligation pour elles de porter le voile. Du point de vue de Mahnaz Shirali, sociologue et enseignante à Sciences Po Paris, cette photo symbolise la situation des femmes en Iran, aujourd’hui encore : 

« C’est ce que j’appelle la solitude des femmes iraniennes. Elles sont seules dans la rue. Sans le soutien des hommes. Dès qu’elles parlent de ce qu’elles vivent au quotidien, après 42 ans de résistance, tout de suite les voix masculines s’élèvent pour dire ‘Nous aussi, on souffre’. Je reconnais que ce n’est pas facile pour eux non plus mais il y a une séparation entre ces deux situations. »

Elle poursuit : « On pense qu’il y a tellement de problèmes qu’il ne faut pas parler des conditions des femmes. » Elles ne sont pas une priorité. Pour la sociologue, ce que les hommes iraniens ne voient pas, c’est que la répression, dont ils souffrent à l’heure actuelle, s’est imposée en plusieurs étapes.

Mercredi 10 mars, Mahnaz Shirali animait une conférence « Décalage entre les sexes : la solitude des femmes iraniennes », organisée par l’Association Franco-Iranienne de Bretagne à l’occasion du 8 mars à Rennes, et retraçait l’histoire d’une répression qui a débuté par celle des femmes avant de s’étendre à l’ensemble de la population.

LA SOCIOLOGIE DE TERRAIN… À DISTANCE

« Il y a eu d’énormes cas d’infanticides et de féminicides cet été. La société iranienne n’a jamais été aussi violente. », déplore la sociologue qui avant de démarrer sa conférence explique sa méthode de travail. 

« Les sociologues – critiques avec le régime - ne sont pas les bienvenu-e-s en Iran. Jusqu’en 2000, j’y allais régulièrement. Je pratiquais la sociologie de terrain. En 2001, ma thèse a été publiée et je n’ai pas osé ouvertement y retourner. Je me suis tournée vers l’histoire de l’Iran. »
souligne-t-elle.

En 2008, elle parle d’un changement majeur : l’arrivée des réseaux sociaux. Facebook tout d’abord puis Twitter, Instagram, etc. Ainsi, elle accède aux Iranien-ne-s et depuis 2014, peut explorer la possibilité d’en tirer un travail sociologique. Prochainement son livre Fenêtre sur l’Iran – le cri d’un peuple bâillonné, dans lequel elle raconte tous ces bouleversements, sera publié.

« C’est inédit ! Ce sont de vraies mines d’or pour nous. Par contre, ce qui est compliqué c’est d’extraire et d’utiliser la matière récoltée. Depuis mai 2020, on assiste à une explosion des violences à l’encontre des femmes. On le voit à travers les journaux du pays et les vidéos postées par les iranien-ne-s sur les réseaux sociaux, qui sont des outils qui leur permettent de communiquer avec le monde libre. Ils filment les situations et les postent. Ces scènes quotidiennes sont confirmées ensuite dans les journaux. »

Elle fait mention d’une femme décapitée par son père parce qu’elle s’était réfugiée chez son amoureux. Le patriarche n’a pas été inculpé pour l’infanticide commis. « Le corps de la femme appartient au père. Dans les cas de féminicides, les femmes sont tuées par la famille du mari, le mari ou sa propre famille. Selon les lois, les hommes sont les chefs de la famille. Les victimes sont les enfants et les femmes. », commente-t-elle.

S’ATTAQUER AUX DROITS DES FEMMES

Plus l’économie est en chute libre, plus la quantité de violences intrafamiliales augmente. On le sait, les droits des femmes ne sont jamais acquis et les crises, qu’elles soient politiques, économiques et/ou religieuses, les menacent sans relâche. Au fil de ses recherches, Mahnaz Shirali constate que les violences à l’égard des femmes deviennent de plus en plus banalisées.

Elle se rappelle notamment de l’époque où elle se rendait en Iran. La polygamie était autorisée mais mal vue : « Sous la république islamique, le mariage des enfants est devenu tout à fait légal. Sous l’ancien régime, l’âge légal était fixé à 15 ans. Ensuite, Khomeini l’a baissé à 13 ans. Aujourd’hui, il n’y a plus d’âge, à partir du moment où le père accepte. Cet acte de marier les enfants est devenu banal. »

Concernant la maternité, les femmes sont réduites à l’état de la nourricière, déclare-t-elle. Aucune décision concernant l’éducation des enfants ne peut être encadrée par la mère. La sociologue concède aux ayatollahs au pouvoir la réalisation d’un travail minutieux pour avantager massivement les hommes, « les rendant complices de ses établis » et créant un conflit entre eux et les femmes, isolées, sans alliés.

Sans célébrer l’ancien régime du Shah d’Iran, elle explique tout de même la modernité alors du pays, de ses infrastructures et des structures politiques. Ce n’est certes pas une démocratie mais le pays est modernisé et les femmes y ont accès à des postes à responsabilité, comme juges, chirurgiennes ou encore ministre de l’Education.

« Le 8 mars 1979, c’est la première année de Khomeini. Son arrivée n’était pas facile. Il a aboli la loi de protection de la famille, a imposé le port du voile aux femmes et a réprimé les droits des femmes. », souligne Mahnaz Shirali, partageant alors son écran sur lequel est diffusé la photo d’une foule compacte composée exclusivement de femmes dans la rue. Le fameux 9 mars 1979 illustrant « la solitude des femmes iraniennes ». 

Le régime en place a instauré la répression progressive de toute une population. En commençant par celle des femmes. «

 Il n’aurait pas pu s’installer s’il n’avait pas commencé par là pour ensuite réprimer le reste de la société. Parler des femmes en Iran n’est pas marginal. La lutte contre la répression doit commencer par la lutte pour les droits des femmes. Et ce n’est pas une lutte marginale ! »
insiste la conférencière. 

CONDITIONNER LES ENFANTS AUX ASSIGNATIONS DE GENRE

Et comme dans toute problématique de discrimination, l’enjeu se niche dans l’éducation. Dès le plus jeune âge, on conditionne les enfants à établir une distinction entre les deux sexes et les deux genres et petit à petit à ancrer la supériorité de l’un sur l’autre.

Ainsi, les petites filles sont éduquées à devenir des mères. « J’ai remarqué dans les dessins animés, etc., elles sont invitées à devenir mères mais dans le sens, comme je vous le disais tout à l’heure, de nourricières ! Ce sont les pères qui prennent les décisions pour les enfants. », s’insurge-t-elle.

Les petits garçons, eux, sont nourris à la violence des images d’exécution et de tortures. « C’est devenu le quotidien dans les villes. La république islamique montre son plein pouvoir. », conclut Mahnaz Shirali.

Elle le dit sans vergogne : en tant qu’iranienne, la situation la déprime au plus haut niveau mais la fascine, en tant que sociologue. 

Célian Ramis

Combattantes du monde des sciences

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Le combat des scientifiques. C’était notre première idée de titre. On ne voulait pas dire « femmes scientifiques ». Et parce qu’on n’avait pas envie de dire « le combat des femmes dans le milieu des sciences ». Mais voilà, quand on est face à un terme neutre, on pense au masculin.
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Le combat des scientifiques. C’était notre première idée de titre. Parce qu’on n’avait pas envie de dire « femmes scientifiques ». Et parce qu’on n’avait pas envie de dire « le combat des femmes dans le milieu des sciences ». Mais voilà, quand on est face à un terme neutre, on pense au masculin. Et on invisibilise la bataille qu’elles ont mené et mènent encore actuellement pour être reconnues en tant que telles : des scientifiques à part entière, respectées et reconnues pour leurs recherches et travaux.

Sa fille l’accompagne un jour au laboratoire. Elle a 3 ans. Elle sait que sa mère est une scientifique mais c’est en la voyant en tenue blanche qu’elle réalise et dit « Tu es vraiment une scientifique, maman ! Je veux être scientifique plus tard ! » En entendant ces mots, Jane Willenbring, géologue, fond en larmes. Des larmes de joie mais aussi de terreur : 

« Parce quej’ai imaginé qu’elle serait traitée comme une moins que rien. »

C’est ainsi que démarre Picture a scientist, un film documentaire réalisé aux Etats-Unis en 2020 par Sharon Shattuck et Ian Cheney, et diffusé ce jeudi 11 mars sur Vimeo en amont de la table ronde autour des inégalités et discriminations subies et vécues par les femmes dans les sciences, organisée par l’université Rennes 1 dans le cadre du 8 mars. 

LA QUESTION DE LA REPRÉSENTATION

Aux genres féminin et masculin, on attribue des images. En terme de carrières professionnelles, on imagine les femmes dans les métiers du soin et de l’éducation et les hommes dans les postes à responsabilités, la politique et les sciences.

« Les femmes sont sous-représentées dans les sciences. Ce n’est pas notre place, c’est ça le message. Il y a des règles : les hommes les écrivent, ils les connaissent. Pas nous. »
nous dit le documentaire en introduction.

Picture a scientist explore les tenants et les aboutissants de cette sous-représentation, en donnant la parole à des scientifiques qui se sont battues et se battent encore pour faire valoir la place qu’elles occupent et la place qu’elles méritent. Leurs témoignages mettent en lumière l’isolement subi et le travail acharné qu’elles doivent fournir pour accéder à la reconnaissance.

« J’étais dans une école privée pour filles. On ne nous apprenait pas les maths et les sciences. Plus tard, j’ai suivi un cours de bio et ça m’a changée. Je ne pouvais pas imaginer vivre sans cette science. », explique Nancy Hopkins, biologiste. Marquée par le cancer de sa mère, elle a voulu très tôt s’orienter vers la recherche contre la maladie.

Rares sont les femmes qui sont encouragées à prendre et poursuivre la voie des sciences. C’est ce qu’a démontré l’enquête réalisée dans le cadre du livre Égalité en science ! Une approche globale des inégalités femmes-hommes en mathématiques, informatique et science : comment les mesure ? comment les réduire ? présenté lundi 8 mars par les professeures émérites Colette Guillopé et Marie-Françoise Roy dans une conférence organisée également par l’université Rennes 1. 

Dans le documentaire, la chimiste Raychelle Burk témoigne de la double discrimination qu’elle subit en tant que femme racisée : « Je n’ai pas été encouragée pendant mes études. Il n’y a pas de profe noire de chimie… »

Le seul personnage auquel elle peut se référer est celui de Uhura dans la série SF Star Trek, alors seule scientifique noire portée à l’écran. Dans la réalité, 2,2% des femmes noires ont des doctorats.

Elle raconte que souvent on la prend pour la femme de ménage, qu’on l’ignore en réunion et qu’elle reçoit des mails de critiques déplacées, inappropriées, qu’on ne ferait pas à une femme blanche, encore moins à un homme blanc. Et explique, les larmes aux yeux, l’énergie qu’elle dépense en répondant à ces messages. Des temps qu’elle ne consacre pas à ses travaux.

C’est ça souligne-t-elle qu’il faut avoir en permanence à l’esprit. C’est que les autres ne passent pas une partie de leur temps à recevoir des mails plombants de par le sexisme et le racisme qu’ils diffusent et à devoir formuler des réponses, pour ensuite pouvoir reprendre le cours de ses recherches.

Elle est la seule professeure noire de son établissement. D’autres chiffres apparaissent comme flagrants d’un système raciste et sexiste : 7% des doyens et moins de 3% des recteurs sont des femmes de couleur.

« Plus on monte dans la tour d’ivoire, plus c’est blanc. On s’habitue à être insultées, mal traitées… et c’est à nous qu’on demande d’être polies… Tu essayes de rentrer dans le moule mais certains ne te considèrent toujours pas. »
déplore-t-elle.

UNE IMAGE BIEN ANCRÉE DANS LES MENTALITÉS

Les femmes doivent redoubler d’effort pour être acceptées. Pas seulement pour rentrer dans le moule de l’institution qui comme l’évoque Raychelle Burk exige un certain type de comportement, un certain type d’habillement, un certain type de langage, etc. comme dans n’importe quel groupe social. Il faut surtout entrer dans le moule du genre.

« Il faut beaucoup bosser, il faut prendre de l’élan pour faire une carrière dans les sciences en tant que femme. On devait être gentilles, jamais déplaisantes. Sinon, on ne voulait pas de nous et on ne nous accordait pas les crédits nécessaires à nos recherches. », souligne Nancy Hopkins. 

Les mentalités n’ont que trop peu évoluer à ce sujet. Deux tests le prouvent dans le documentaire. Le premier établit deux CV. En réalité, ils sont identiques au détail près que l’un est censé être le CV d’une femme et l’autre, celui d’un homme. Pas de suspens : c’est le CV de l’homme qui obtient le plus de résultats positifs. Plus embauchable et mieux rémunéré. Effarant.

Le deuxième est effectué auprès d’un groupe constitué d’hommes et de femmes. A l’écran, la colonne de gauche dévoile un prénom masculin et la colonne de droite, un prénom féminin. La sociologue donne les consignes : dès que les participant-e-s entendent des mots en lien avec les sciences, ils et elles doivent l’attribuer au prénom masculin et dire « gauche », même principe quand ils entendent des mots en lien avec la sphère privée, ils et elles doivent l’attribuer au prénom féminin et dire « droite ».

Les réponses sont prononcées instantanément et d’une seule et même voix. Mais quand la professionnelle inverse les deux prénoms, ça cafouille et le résultat est plus long à être obtenu, et ce dans une certaine cacophonie.

Eugénie Saitta est enseignante-chercheuse auprès du laboratoire Arènes de l’IUT de Rennes. Elle est invitée par l’université Rennes 1 et sa chargée de mission Parité, Nicoletta Tchou, ce jeudi 11 mars à commenter le documentaire et par conséquent cette difficulté à envisager les femmes dans des carrières scientifiques.

Pour elle, le témoignage de Raychelle Burk révèle l’importance et le rôle des modèles féminins qui « ouvrent l’imaginaire des possibles ». Elle aborde deux effets principaux : 

« Il y a l’effet de socialisation primaire qui se fait dans la famille, le système éducatif, etc. Les petits garçons sont encouragés à la compétition et les petites filles à la docilité. Et il y a l’effet d’intériorisation des schémas qui jouent ensuite sur la construction et les choix des individus. »

En d’autres termes, ne pas encourager les filles dans la voie des sciences, là où on encourage les garçons que l’on représente et érige en modèles dans ces carrières, c’est leur faire croire qu’elles n’en ont pas les capacités. Ainsi, elles vont intérioriser cette idée, allant même jusqu’à se saboter inconsciemment. Par conséquent, lors du choix des études et des métiers, elles ne vont pas être nombreuses à s’orienter dans les domaines scientifiques, excepté pour les sciences sociales.

LES INJUSTICES ÉPISTÉMIQUES

Difficile d’expliquer son ressenti et de dénoncer son vécu quand les mots nous manquent. Ceux-là même qui permettent de nommer les situations. Sur ce point précis, les avancées sont indéniables. Grâce à Kimberlé Crenshaw par exemple, la notion d’intersectionnalité entre dans le langage et surtout libère de très nombreuses personnes qui peuvent enfin exprimer les discriminations qu’elles subissent et qui s’articulent entre les questions raciales, de genre et de classe. Et surtout, le terme apporte une reconnaissance à leur vécu.

Un jour, Nancy Hopkins s’apprête à assister à la conférence du biologiste Francis Crick. Pour elle, c’est un génie, elle l’admire énormément. Elle est assise à son bureau lorsque celui-ci déboule dans la pièce, met ses mains sur la poitrine de Nancy et lui demande sereinement sur quoi elle travaille.

« On ne parlait pas de harcèlement sexuel à cette époque. Je ne voulais pas l’embarrasser alors j’ai fait comme si rien ne s’était passé. », témoigne-t-elle.

Aujourd’hui, on parlerait d’agression sexuelle. La biologiste sait que la situation est anormale. Elle sent que le geste n’est pas approprié mais l’absence de vocabulaire spécifique à ce vécu néglige la gravité des faits. Les mots comptent. D’autant plus que sans eux, il est aisé pour le groupe dominant de remettre en cause le discours du groupe dominé, surtout si l’individu est isolé ou en minorité.

La philosophe Miranda Fricker, comme l’explique Eugénie Saitta lors de la table ronde, conceptualise « les injustices épistémiques », désignant l’ensemble des mécanismes permettant de décrédibiliser la parole, en l’occurrence des personnes sexisées et racisées.

LES MOTS COMPTENT…

D’un côté des personnes victimes d’un langage qui ne se met pas au service de leurs expériences, de l’autre des personnes qui abusent de paroles dures et néfastes, dans l’intention de nuire véritablement. Raychelle Burk en témoigne lorsqu’elle parle des mails déplacés qu’elle reçoit, au racisme et sexisme latents et ravageurs. Pour répondre, elle met du temps et de l’énergie pour trouver justement les bons mots.

Elle évoque également les insultes auxquelles elle s’est habituée. C’est dramatique. Elle que l’on voit travailler dans la bonne humeur, le partage et l’échange, a toujours en tête ce climat de tension dont on essaye de lui faire croire qu’elle est responsable. La force qu’elle met dans un sourire est décuplée. La question de la charge et de la santé mentale des femmes racisées n’est pas nommée en tant que telle dans le documentaire mais mériterait un film en lui-même.

L’hostilité, le climat tendu, les insultes… Tout cela représente la partie immergée de l’iceberg, la métaphore étant omniprésente dans Picture a scientist. La partie émergée est elle constituée des violences sexuelles. 

Jane Willenbring raconte sa première mission en Antarctique avec Dave Marchant. Pareil que pour Nancy, elle l’admire, le trouve brillant et se réjouit de cette expédition qui se déroule bien au départ, lorsque le groupe (Dave Marchant, le frère de Dave Marchant, Adam Lewis et elle) est encore à la base, avec de nombreux autres scientifiques.

Le groupe part en mission et c’est là que Jane commence à subir des insultes de la part de son mentor Dave, qui la traite de salope et de pute, « pour rigoler » à la suite d’un sketch dans lequel le comique faisait mention de « Jane la salope ». Chaque discussion est douloureuse : « Je voulais juste parler de science ! »

Lorsqu’elle va aux toilettes, en pleine nature, il lui jette des cailloux. « C’était humiliant ! », scande-t-elle. Elle arrête de s’hydrater durant la journée, commence à avoir du sang dans les urines et son corps développe de nombreuses infections urinaires. A un autre moment, il l’appelle pour lui faire observer des cristaux. Elle s’approche, il lui jette les cendres à la figure, elle s’en prend dans les yeux. Ça, c’est quand il n’est pas trop occupé à la pousser d’u haut d’une colline…

Jane Willenbring n’a de cesse de se contenir pour paraître désinvolte :

« Mon avenir dépendait de lui ! »

Tout comme cette étudiante qui témoigne sous anonymat. Elle rêvait d’être astronaute et devait obtenir un doctorat pour poursuivre son ambition. En arrivant auprès de Dave Marchant, celui-ci lui répond qu’il ne veut pas accompagner une fille. Son CV ne laissait pourtant pas de doute quant à cette partie de son identité.

Ensuite, c’est harcèlement et insultes tous les jours. Il va jusqu’à lui dire très clairement qu’elle n’obtiendrait jamais de financements pour ses recherches et qu’il s’en assurerait directement. Quand elle porte l’affaire à la présidence de son université, on lui répond que Dave Marchant est trop influent et rapporte trop d’argent pour le virer. À la place, on lui demande à elle de s’en aller. « Sans doctorat, je ne pouvais pas être astronaute », conclut-elle, désemparée. 

Le désarroi, le sentiment d’illégitimité, la perte de confiance et d’estime en soi et ainsi sa capacité à réfléchir et travailler – déjà souvent pas bien grande puisqu’aucun encouragement n’a été reçu, ni aucune marque de reconnaissance – participent à décourager de nombreuses scientifiques qui quittent leur domaine d’activité.

LA PRISE DE CONSCIENCE ET LE TEMPS DE L’ACTION

Pour Anne Siegel, combattre le haut de l’iceberg tout comme la partie immergée est compliqué et complexe. Mais pas impossible, évidemment : « C’est le solidarité des femmes mais aussi de certains hommes que nait la prise de conscience. À partir de là, on peut avancer. Il y a au départ un sentiment d’illégitimité puis la parole se répand et la prise de conscience mène au collectif, ça dépasse alors l’individuel, le sentiment individuel d’imposture par exemple. »

Dans le film documentaire, on voit ce cheminement à travers le parcours de Nancy qui à un moment se met à venir le soir au labo et à mesurer les surfaces occupées dans les labos, constatant des inégalités flagrantes entre l’espace décerné aux femmes et celui décerné aux hommes. Elle écrit une lettre au président du MIT à propos du sexisme systémique mais avant de lui transmettre, elle demande à une collègue, à l’occasion d’un déjeuner, si elle peut la lui lire.

Elle a peur. Peur que sa collègue la juge. Peut que sa collègue ne la comprenne pas. Peur que sa collègue l’exclut pour avoir oser parler, dénoncer. Sa peur est balayée par non seulement la compréhension de sa collègue mais aussi et surtout le partage du même sentiment et des mêmes expériences.

Il y a seulement 15 femmes sur 6 départements au MIT, elles vont aller à leur rencontre, échanger avec elles, et former un groupe pour lutter ensemble contre les discriminations qu’elles subissent en tant que femmes. Elles vont bosser, œuvrer, compter ! Et les chiffres, forcément, sont une arme redoutable.

« Les chiffres ont prouvé la vérité ! Moins de surface pour les femmes dans les labos, moins de salaires. Pas de garde d’enfants sur les campus universitaires, etc. Sans les femmes, on perd la moitié des talents ! »
s’insurge-t-elle. 

De l’individuel au collectif, les phases se succèdent, sans règle absolue et sans mesure exacte du temps que cela prend. Tout dépend des individus. Tout dépend des combats. Tout dépend des contextes… Eugénie Saitta synthétise :

« D’abord, on expérimente individuellement des choses qui nous mettent mal à l’aise. Ensuite, il y a la mise en commun des expériences, souvent sur des temps informels, entre femmes. On le voit avec Nancy et sa collègue, qui vont s’allier. La prise de conscience individuelle peut prendre du temps à arriver au collectif. »

Pour faire reconnaître leur juste place, les scientifiques vont devoir se battre sans relâche, ce qui équivaut comme le dit très bien Raychelle Burk à dépenser une énergie qui n’est pas mise dans le travail. Mais qui profite aux générations futures. Car si elle n’avait pas de modèle, hors fiction, de profe de chimie noire, elle incarne pour ses étudiant-e-s, stagiaires et collaborateur-ice-s la possibilité de changer la norme, qui en l’état est excluante et discriminatoire.

Jane Willenbring a décidé des années plus tard de porter plainte contre Dave Marchant, sachant qu’il reproduisait son comportement avec d’autres personnes. Le combat est long, très long, trop long. Mais aboutit finalement à la destitution du géologue de son poste à l’université.

« C’est très difficile de porter plainte contre son directeur de thèse, de stage, de recherches… à cause de la logique de pouvoir. On le voit, il rapporte énormément d’argent à l’université, c’est lui qui a le pouvoir. »
commente Eugénie Saitta.

LENTEMENT, DES AVANCÉES…

Le rapport remis au MIT par Nancy Hopkins et ses collègues obtient un retentissement important. Le président de la structure s’engage à leurs côtés, alors même qu’il sait qu’il devra essuyer de nombreuses et sévères critiques de ses homologues pétris dans la mentalité patriarcale, et 9 autres universités lancent le mouvement de la réflexion et de l’action en faveur de l’égalité.

Sangeeta Bhatia est ingénieure et a bien conscience qu’elle bénéficie de certains privilèges obtenus grâce aux combats de leurs ainées et même de leurs contemporaines qui ont repris le flambeau et ouvrent le champ des possibles en focalisant l’attention sur l’essentielle inclusion de tous les individus.

Anne Siegel met l’accent sur les avancées en cours, à l’échelle locale de l’IRISA, laboratoire informatique de Rennes, domaine dans lequel les femmes sont encore sous-représentées :

« On constate une volonté depuis 3 – 4 ans de faire bouger les lignes. Le groupe de travail sur l’égalité est devenu un comité et on a mis en place plusieurs dispositifs comme le Club sandwich sur le temps du midi, pour que les femmes discutent entre elles de plein de sujets différents, mais aussi le mentorat, qui n’est pas réservé aux femmes, mais permet un accompagnement pour identifier les verrous dans les carrières et vies personnelles. Ça permet de limiter l’isolement et de faire justement émerger les prises de conscience. »

Le film documentaire Picture a scientistse referme sur la conclusion que l’évolution est constante mais encore insuffisante. Des biais existent encore et les faits de harcèlement – dans son sens le plus large – créent des fuites dans le système. 

Anne Siegel aborde l’effet Matilda, conceptualisée par Margaret Rossiter dans les années 80, qui désigne le fait de nier ou oublier les découvertes et la contribution des femmes aux recherches scientifiques. On peut alors lire l’ouvrage Ni vues ni connues – Panthéon, histoire, mémoire : où sont les femmes ?, écrit par le collectif Georgette Sand, qui dédie un chapitre aux découvertes des femmes que les hommes se sont attribuées. 

Enfin, elle prend un exemple qui en dit long, celui du prix nobel de physique attribué en 2020 à un tri d’expert-e-s, Roger Penrose, Reinhard Genzel et Andrea Ghez : « Celle-ci est la seule à ne pas avoir de page wikipédia… » Pas de commentaire. L’action s’impose. 

 

 

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