Célian Ramis

Patricia Godard, sur les pas de Colette Cosnier

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Patricia Godard publie en février 2022, Colette Cosnier – Un féminisme en toutes lettres, aux éditions Goater. Un femmage réjouissant, interactif et vibrant avec une figure marquante d’un féminisme qui résonne dans notre temps.
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Engagée pour les droits des femmes, la valorisation et la reconnaissance du matrimoine, Patricia Godard a co-fondé l’association Histoire du féminisme à Rennes, avec Lydie Porée. Ensemble, elles ont signé le livre Les femmes s’en vont en lutte, paru aux éditions Goater en 2014. Aujourd’hui, la militante revient avec un nouvel ouvrage, publié en février 2022, Colette Cosnier – Un féminisme en toutes lettres. Un femmage réjouissant, interactif et vibrant avec une figure marquante d’un féminisme qui résonne dans notre temps. 

 

YEGG : Qu’est-ce qui vous a amené à écrire sur Colette Cosnier ?

Patricia Godard : Ça part d’une rencontre amenée par mon premier travail de recherches, fait avec Lydie Porée sur les luttes féministes à Rennes. On cherchait des féministes qui avaient fait des actions dans les années 70 et on nous disait d’aller interviewer Colette Cosnier. Elle nous avait répondu qu’elle n’avait rien fait. Parce qu’on avait amené les questions vers les luttes collectives, les groupes féministes. Elle ne s’était pas sentie concernée. On a gardé son nom en tête et puis on avait été sollicitées par Place publique Rennes pour écrire un abécédaire. On s’était dit que ça pouvait être bien de la recontacter et puis elle devait y participer aussi. Je suis allée chez elle l’interroger et ça a été un coup de foudre. C’était une sacrée personnalité. Quelqu’un de passionnant, d’attachant. Donc je dirais que le départ, c’est une rencontre. Je me suis sentie tout de suite à l’aise, avec beaucoup d’affinités alors qu’on est deux générations différentes, dans notre féminisme aussi. On est restées en lien, elle a adhéré à l’association Histoire du féminisme à Rennes, elle trouvait que c’était vraiment super qu’il y ait cette relève localement. Elle a écrit la préface de notre livre qui est sorti en 2014. J’avais lu Marion du Faouët et ses biographies aussi. Pour les hommages après son décès en janvier 2016, j’ai encore lu autre chose. J’en savais un peu plus et je me suis dit qu’il fallait que je continue à creuser. 

 

Comment est-ce que vous décririez Colette Cosnier. Passionnée, attachante, mais encore ?

Je dirais que c’était une écrivaine, une féministe, une universitaire… Il y a toutes ces dimensions-là qui sont très liées. Et puis des aspects que j’ai vraiment découvert : c’est aussi une femme de théâtre, une historienne des femmes… Elle a plein de facettes et en même temps il y a une cohérence dans tout son travail et dans toutes ses actions. Elle a fait de la vidéo, du théâtre, elle a écrit du théâtre, elle a fait journaliste… C’est difficile de s’arrêter à une dimension.

 

Mais comment vous, vous la percevez, au-delà de toutes ces casquettes ? 

Dans son engagement principal. Sortir de l’ombre des femmes qu’on a ignorées, oubliées ou dont l’Histoire a falsifié la vie. Il y a chez Colette Cosnier ce rôle de transmission. Et dans ce qu’on appelle aujourd’hui le matrimoine - car elle, elle n’appelait pas encore ça le matrimoine - c’est vraiment une pionnière. C’est la première universitaire, en 1973, qui travaillait sur les femmes et la littérature. Michelle Perrot le faisait à Jussieu en histoire mais en littérature, elle est vraiment pionnière. S’il y a une chose à retenir, c’est ça. Son côté justicière. Et anticonformiste. Je pense que c’est un aspect qui est très intéressant. C’est lié en partie à ses origines modestes (en tout cas, c’est mon hypothèse), elle ne rentre jamais vraiment dans les clous. Elle ne passe jamais l’agrégation, ne fait pas de thèse, elle rentre à la fac par la petite porte, avec un sujet hyper marginal : les femmes. A la fac, elle n’a pas du tout de réflexion sur sa carrière. J’ai interrogé notamment une ancienne collègue à elle à qui on a dit de ne pas bosser sur les femmes parce que ça allait ruiner sa carrière. C’est ce qu’on a dit aussi à Michelle Perrot en lui conseillant de s’intéresser plutôt aux ouvriers…

 

Alors que finalement, ça va beaucoup intéresser ses étudiant-e-s…

Oui ! Parmi les militantes que l’on a interrogées avec Lydie, beaucoup suivaient ses cours. Et c’était vraiment une caisse de résonnance par rapport aux luttes qui se passaient à ce moment-là. Colette Cosnier était très à l’écoute du mouvement des femmes dans les années 70. Elle lisait des revues féministes, s’intéressait à des débats sur l’écriture féminine. Son roman Le chemin des salicornes est très imprégné de la littérature féministe des années 70-80 autour du corps. Le corps prend vraiment de la place dans le récit. Ça va donc influencer son travail. Tout est imbriqué. Les luttes féministes, la littérature, son travail d’écrivaine, d’universitaire, de transmission… tout ça, ça fonctionne vraiment ensemble. Parce que sinon elle disait toujours qu’elle n’était pas militante à proprement parler. Elle a était adhérente du Planning familial à un moment mais elle n’était pas fan des groupes. 

 

Le féminisme résonne dans ses réflexions et travail mais elle ne se définissait pas militante dans le sens activiste…

Oui, et pourtant, à plein de moments, elle va avoir des positions assez politiques. Lors de la guerre du Golfe en 91, elle découpe sa carte d’électrice et elle l’envoie à Edmond Hervé (alors maire de Rennes, ndlr). C’est une rebelle un peu ! Elle est furax que les députées socialistes femmes aient voté la guerre. Elle fait référence à Louise Bodin et à toutes les féministes de gauche. Elle a l’impression qu’elles ont suivi les mecs dans leur truc viriliste de guerre. Elle est toujours révoltée mais ne se définit pas militante. Elle dit qu’elle fait ce qu’elle sait faire, à savoir écrire et enseigner. Et c’est là où s’exprime son féminisme.

 

Qu’est-ce qui résonne en vous dans le parcours de Colette Cosnier ?

Ses origines modestes, d’une petite ville de province… j’ai été touchée par la correspondance avec son prof. Elle est archivée aux Champs Libres. Elle raconte ses années étudiantes notamment à Paris. On la sent perdue, sans repères. Elle n’a pas les bons réseaux, elle n’est pas aiguillée et il n’y a que ce prof-là, qui est un facho mais bon… Et ça m’a vraiment touchée, ses années étudiantes. J’ai fait une prépa à Paris, à Louis le Grand, je suis fille d’ouvriers arrivant dans ce milieu-là et j’ai trouvé ça hyper violent. Et puis le fait d’être féministe. Quand elle parle des années 90, qui étaient des années assez difficiles dans le féminisme… J’ai milité au début des années 2000 avec Mix-Cité et dans les manifs, il n'y avait personne. Le 8 mars, on ne partait pas en manif, on était en rassemblement, il y avait 50 personnes… Il y a eu une traversée du désert. Ça commence à reprendre. Au début des années 2000, ça reprend très très doucement. Ça frémissait on va dire. On essayait de se marrer mais c’est vrai qu’il fallait assumer d’être dans la rue. Je me rappelle du 1ermai où on était 8 ou 9 avec nos casseroles à distribuer des tracts sur les tâches ménagères ou des trucs comme ça. Et puis j’ai beaucoup aimé faire les recherches, ça m’a éclaté de découvrir plein de trucs. Elle avait elle aussi ce goût des recherches. 

 

Vous êtes allée à La Flèche, sa ville natale…

Oui, c’était le premier lieu de recherches. Je suis allée sur les pas de Colette Cosnier. Voir ses maisons, les tombes de ses parents, de ses grands-parents et puis aux archives municipales, j’ai feuilleté les vieux journaux. C’était une première étape. J’ai ensuite fait pas mal d’entretiens, je suis allée aux archives municipales de Rennes et surtout au centre des archives du féminisme à Angers. André Hélard (son mari, ndlr) a versé les archives pendant ma recherche, donc il a fallu que j’attende que ce soit classé, et encore ce n’est pas terminé… On m’a laissé y accéder avant le classement définitif. Il y avait 17 cartons et je me suis plongée dedans. Je n’avais qu’une semaine. Le bon côté, c’est que je suis allée chercher plein de choses par des moyens détournés avant ça. Pendant 7 jours, je faisais l’ouverture et la fermeture de la bibliothèque universitaire, j’étais plongée dedans. C’était très très riche. Pas mal de photos, qui figurent dans le bouquin d’ailleurs, des traces de son enfance, de sa scolarité. Il y a des manuscrits, c’est très chouette de voir comment elle travaillait, elle raturait, faisait des tirets, elle accumulait beaucoup puis elle retirait de sa matière… Quelques revues de presse autour de la sortie de ses bouquins aussi. Les entretiens ont pris du temps, j’ai interrogé une trentaine de personnes et André Hélard, la personne que j’ai le plus souvent rencontrée. Une de mes sources principales à partir de 1972.

 

Vous avez choisi une forme particulière puisque vous discutez avec elle. Comment avez-vous articulé travail de recherches et imagination autour des réponses qu’elle vous donne ? 

J’ai essayé d’organiser toute cette matière-là pour répondre aux questions que je me posais : comment elle était devenue féministe par exemple ? Je n’ai pas trouvé d’élément déclencheur - c’est rare qu’on devienne féministe parce qu’une lumière nous tombe dessus (Rires) – mais plein de faisceaux qui convergeaient donc j’essaye de lui faire dire ça. Il y a une petite part d’imagination mais pas tant que ça finalement. Je m’appuie beaucoup sur sa manière de parler, qu’on entend dans des émissions de radio, dans des conférences, etc. J’ai essayé de calquer sa façon de parler. Et puis tout ce que je raconte est sourcé, je n’ai rien inventé. Le fait de la connaître, ça aide. Souvent, les personnes qui l’ont connue parlaient de sa voix. Elle a fait beaucoup de théâtre, il paraît qu’elle était vraiment bonne comédienne, notamment en improvisation… Sa voix dégageait quelque chose.

 

C’est hyper intéressant de se dire que les gens ont retenu la voix d’une femme qui en plus parle des femmes ! 

Oui ! Le mot voix, elle l’utilise aussi quand elle parle de ses grands-parents. Elle dit qu’elle veut leur donner une voix parce qu’ils n’ont pas laissé d’archives particulières. Elle utilise souvent ce mot-là, pour les femmes biographiées aussi. Elle leur donnait une voix. Le fait que les femmes soient enfermées dans des modèles. Ça va avec le silence… Ce dialogue, c’est aussi une poursuite de l’entretien que j’avais commencé avec elle. Je l’avais revue depuis mais il y avait des questions que j’avais envie de lui poser. Et puis, s’est posée la question de la légitimité. Je me suis dit que c’était une grande biographe et je ne me sentais pas capable d’écrire une biographie sur elle. Au départ, c’était une pirouette pour éviter d’écrire une biographie classique, traditionnelle. Parce qu’il faut, comme avec un roman, avoir un sens du récit, tenir le fil tout du long… Maintenant, je me dis que j’aurais finalement peut-être été capable mais je suis contente de cette forme-là car c’est vivant, accessible à lire, et ça s’y prête bien.

 

Est-ce que les gens qui la connaissent et qui ont lu le livre entendent justement cette voix marquante ? 

André Hélard m’a dit qu’il avait eu l’impression de l’entendre. Que ça passait très bien. Le livre vient tout juste de sortir donc je n’ai pas encore eu beaucoup de retours mais j’ai plutôt des bons échos. Michelle Perrot, au départ, elle était hyper sceptique. Et finalement, elle trouve que ça fonctionne bien. C’est vrai que c’était un peu gonflé, je ne m’en suis pas rendu compte sur le coup, c’est un peu atypique comme manière d’aborder la biographie. Mais ça correspond au personnage qui était aussi atypique.

 

Vous disiez qu’elle ne parlait pas à cette époque-là de matrimoine. Est-ce qu’en avançant dans sa vie, elle a entendu ce terme ?

On n’en parlait pas encore trop en 2016. On se disait ça avec André Hélard, son mari, en préparant la conférence du 17 mars - à la MIR avec Justine Caurant de HF Bretagne et Marie-Laure Cloarec, clown qui lira des textes à cette occasion. On se disait qu’elle aurait été trop contente de voir tout ce qui sort sur le matrimoine, toutes ces questions-là, le livre de Titiou Lecoq (Les grandes oubliées, ndlr) entre autre… Elle aurait été super contente. Elle a manqué toutes les étapes qui découlent de MeToo et ça l’aurait je pense conforté dans ce qu’elle a fait. Elle se disait être un « dinosaure féministe », elle se voyait comme une ancienne combattante… Elle a du souffrir je pense de solitude en étant féministe. 

 

Surtout quand on fait un travail de mémoire sur les femmes à une époque où on n’a pas du tout envie de les entendre. On l’a dit à ce moment-là, il n’y a pas de mot, comment elle se considère, elle, en ressortant ces femmes de l’oubli ?

Peut-être comme une historienne des femmes, même si ce n’était pas sa formation. Elle fait quelque part œuvre d’historienne, notamment dans Le silence des filles. Le sujet du bouquin, c’est pourquoi au 19eet au début du 20e, il y a si peu d’écrivaines, de compositrices, d’artistes, etc. Elle s’était rapprochée de Michelle Perrot, elles avaient participé au livre de Christine Bard sur Un siècle d’antiféminisme. À partir des journaux intimes, des manuels d’éducation des femmes, elle va plus loin dans l’analyse des mécanismes d’effacement des femmes. Avec toujours l’entrée littéraire. D’où le titre, « en toutes lettres ».

 

Une association comme Histoire du féminisme à Rennes poursuit sa lignée, sa continuité de Colette Cosnier. Quelle est l’importance du local pour elle ? 

Tous les travaux de Colette s’ancrent dans un territoire. Ça démarre avec les vidéos qu’elle fait. Ce sont des films de famille, de vacances, mais on voit qu’elle filme les gens sur un territoire. Elle filme notamment à merveille les pêcheurs du Croisic. Il y a les vidéos mais aussi tous les textes qu’elle écrivait dans des revues locales. Pour elle, c’était important de s’ancrer sur un territoire. Ses origines sarthoises étaient importantes pour elle. Elle a fait des recherches sur la fléchoise Marie Pape-Carpantier et d’autres personnalités locales. Elle a continué ce travail-là dans Les gens de l’office, sur ses grands-parents. Après, elle arrive en Bretagne, s’intéresse à Marion du Faouët. Quand elle fait partie de la troupe du TRAC, les pièces se passent toujours à Rennes : le grand incendie, la révolution française, les luttes de 1936, Dreyfus, etc. Et puis sa grande figure : Louise Bodin qu’elle a fait revivre auprès des rennaises et des rennais. Même à Chamonix, elle va écrire George Sand et les quatre montagnesVictor Hugo et le Mont Blanc, ou une biographie d’Henriette d’Angeville, la première femme à avoir franchi le sommet du Mont-Blanc.

 

La première femme seule…

Oui, seule, sans être portée comme sa prédécesseuse en effet. Et puis elle a fait aussi avec Dominique Irvoas-Dantec un travail sur les rues, les quelques rues avec des noms de femmes mais aussi avec des personnages anonymes, des prostituées, etc.

 

Vous dites qu’elle avait déjà des réflexions sur l’écriture. Nous sommes aujourd’hui aux prémices d’un gros débat sur l’écriture inclusive. Quel regard portait-elle sur ce sujet-là ?

Dans les années 80, elle faisait partie de la commission sur la féminisation des noms de métiers, présidée par Benoite Groult. Elle n’a pas beaucoup participé, elle a fait quelques réunions, elle ne se sentait pas légitime car elle n’était pas linguiste mais c’est une question qui l’intéressait. Elle avait bien compris l’enjeu de la langue dans l’égalité entre les femmes et les hommes. Très tôt, dans les textes, elle féminise les mots. Avec un slash. Etudiant/e, par exemple. C’est hyper novateur. Elle féminisait les noms. Elle n’écrivait pas autrice mais auteure. Elle aimait bien le mot écrivaine. Elle avait bien saisi l’enjeu. À cette époque-là, en 85, elle publie un livre sur Marie Bashkirtseff où elle découvre que son journal a été censuré, que des mots y ont été barrés. Donc elle voit bien que la langue et l’écriture sont un enjeu de visibilité, de paroles. Elle n’a pas négligé cet aspect-là du combat féministe et aujourd’hui, elle serait vraiment pour l’écriture inclusive, je n’en doute pas.

 

Elle était plutôt libérée des carcans et des étiquettes. Est-ce que dans ce que l’on constate des réflexions qu’elle portait, qui sont des réflexions qui commencent à émerger dans le débat public alors qu’on est en 2022, elle est en avance sur son temps ou est-ce que cela témoigne justement de ce creux dont vous parliez dans les vagues féministes ? 

Oui, il y a un vrai backlash dans les années 90 qui essaye de renverser tout ce qui a été pensé, toutes les avancées. Et ça se passe où ? Dans les livres, les médias, etc. Dans le bouquin de Susan Faludi, elle explique bien ça. Et aujourd’hui, on sent clairement qu’on peut bien se reprendre ça dans la figure. Colette Cosnier a fait une conférence en 2009 qui s’appelle De l’utilité des écrivaines, où elle dit bien que ce n’est pas dans les années 70 qu’on a inventé le féminisme ou la parole des femmes. Elle reprend l’histoire littéraire à partir de Christine de Pisan pour montrer que cette parole-là a toujours existé. Effectivement, on l’a faite taire régulièrement mais les femmes ont toujours parlé. Ça fait écho au livre de Titiou Lecoq. Les femmes ont toujours été là dans l’Histoire. Colette Cosnier s’inscrivait elle-même dans une chaine. Elle avait de la reconnaissance justement pour ces femmes qu’elles disaient être comme des phares qui nous ont guidé jusqu’à aujourd’hui. 

 

Est-ce qu’elle aurait pu imaginer être elle aussi un phare pour les nouvelles générations féministes qui peuvent la découvrir grâce à ce livre notamment ?

Je pense que c’était son souhait le plus profond mais elle n’avait pas du tout cette prétention-là. Elle s’effaçait par rapport à ses sujets. Elle était toujours dans la transmission mais jamais elle ne s’est présentée comme un phare. Mais de fait, elle l’était. Quand je discute avec ses anciennes étudiantes, elles gardent vraiment un souvenir très très fort de ce modèle-là. Il y avait moyen de penser autrement, de lire autrement, de lire autre chose. Elle a fait beaucoup en terme de transmission. Elle a fait par exemple un travail avec des étudiantes de 2eannée et des femmes retraitées de l’université du temps libre où elle confrontait d’un côté les souvenirs des femmes de l’université du temps libre et les textes qu’étudiaient les étudiantes. Sur plein de sujets : la maternité, le mariage, les modèles… Je trouve ça super intéressant comme expérience. 

 

Sur la notion de mariage, on voit dans les extraits anotés dans le livre qu’elle est parfois Colette Hélard, Colette Hélard-Cosnier et Colette Cosnier. Elle réaffirme son identité personnelle malgré le mariage ? 

Alors c’est plus complexe que ça. Moi aussi ça m’a questionné et je me suis dit que j’allais faire un tableau. Après, j’ai compris la logique. Au départ, à l’université, elle était Colette Hélard et c’est là que ça a évolué. Car sur les textes, il n’y a que Marion du Faouët qui est écrit par Colette Hélard-Cosnier. Après elle signe toujours ses livres en tant que Colette Cosnier. Dans le cadre universitaire, dans ses collaborations, colloques, etc. d’abord elle était Colette Hélard et ensuite ça a évolué en Hélard-Cosnier. Par contre, elle a fini sa carrière au Mans en tant que Colette Cosnier, en 95.

 

On sait ce qui l’amène à ses réflexions qui encore une fois (ré)apparaissent aujourd’hui dans le débat féministe ? 

Je pense qu’elle avait conscience de l’importance du patriarcat qui s’inscrit dans le nom de famille. Je pense aussi qu’elle a du s’appeler Hélard pour des raisons administratives parce qu’à l’époque, on ne pouvait même pas imaginer que ça se passe autrement. Peu à peu, elle a fait rentrer son nom. Et puis, elle avait le modèle de Marie Pape-Carpantier qui a apposé son nom de famille, Carpantier, à celui de son mari. Ça a pu faire un déclic pour elle.

 

Qu’est-ce que raconte plus largement ce livre sur Colette Cosnier qui parle d’une figure mais s’étend plus largement à nous faire réfléchir plus globalement au matrimoine ? Qu’est-ce qu’il représente dans ce matrimoine que l’on n’a pas envie de réduire à Rennes ?

De plus en plus, j’y réfléchis et je pense qu’il faut que j’arrête de la présenter comme une écrivaine rennaise. Il faut que je dise écrivaine française. Que ce soit la plume de Colette Cosnier qui est vraiment une belle plume, ou dans l’ensemble de son travail, elle mérite d’être reconnue, vraiment, et pas simplement comme une figure locale. Oui, il s’agit du matrimoine tout court et je regrette qu’elle ne soit pas dans le Dictionnaire des féministes qui a été publié en 2017, il me semble. Il faudra peut-être une réédition…

 

Sans doute faudra-t-il de très nombreuses rééditions de livres et manuels pour faire apparaître les femmes dans l’Histoire. Merci Patricia Godard ! 

 

  • LES DATES À RETENIR : 

  • Les 12 et 13 mars : rencontre avec Patricia Godard au festival Rue des livres, au Cadet de Bretagne, à Rennes.
  • Le 13 mars à 10h15 : table-ronde sur le matrimoine littéraire avec Patricia Godard, Gaëlle Pairel et André Hélard au festival Rue des livres, au Cadet de Bretagne, à Rennes.
  • Le 17 mars à 18h30 : Deux livres, une femme – Colette Cosnier, conférence avec Patricia Godard organisée par Histoire du féminisme à Rennes, à la Maison Internationale de Rennes.
  • Le 19 mars à 14h30 : Déambulation dans Rennes autour de Colette Cosnier – un combat pour la place des femmes, organisée par Histoire du féminisme à Rennes (lieu précisé lors de la réservation : histoire.feminisme.rennes@gmail.com)

 

Célian Ramis

Mue, la réappropriation de son corps après un cancer du sein

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Une histoire de corps. Une histoire de reconstruction psychique après un cancer du sein. Une histoire profondément humaine. Une histoire en images racontée par la photographe Anne-Cécile Estève et les personnes concernées.
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Une histoire de corps. Une histoire de reconstruction psychique après un cancer du sein. Une histoire de confiance. Une histoire d’esthétique. Une histoire profondément humaine. Une histoire en images racontée par la photographe Anne-Cécile Estève et les personnes concernées, à travers l’exposition Mue, présentée du 7 au 27 mars à l’Hôtel Dieu, à Rennes.

« J’ai eu un premier projet avec un chirurgien qui réparait les femmes excisées mais ce projet a été mis en stand by. J’ai rencontré la chirurgienne plasticienne Cécile Méal (spécialisée en chirurgie mammaire, elle exerce entre autre au Centre Eugène Marquis, ndlr) et je lui en avais parlé et elle, de son côté, elle me parlait des femmes qui vivaient mal leur cancer. », explique Anne-Cécile Estève.

De cette rencontre va naitre Mue, une exposition photographique sensible dévoilant les corps des femmes ayant vécu une ablation du sein à cause du cancer. « Toutes le vivent très mal. », précise la photographe. Parce qu’elles subissent, en plus, une difficulté invisible à propos de laquelle elles ne se sentent pas entendues :

« Une fois qu’elles sont guéries médicalement, les gens ne comprennent pas qu’elles ne soient pas guéries psychologiquement. Mais la reconstruction physique est différente de la reconstruction psychique. »

UN NOUVEAU REGARD

Ainsi, 17 femmes ont participé à la proposition artistique qui cherche avant tout à valoriser l’esthétique des corps présentés en noir et blanc. « J’avais vu plusieurs choses sur la thématique et j’avais fait des essais. Je savais déjà que je ne voulais pas imposer le nu. J’ai essayé avec une femme le cadre noir et blanc et ça m’a paru évident que c’était ça qu’il fallait faire. », signale Anne-Cécile Estève. 

Elle poursuit : « Je demande toujours s’il y a quelque chose qui ne leur plait pas chez elle pour être sure de ne pas accentuer leurs complexes et au niveau éclairage, je travaille avec une ou deux lumières studios qui me permettent de jouer sur l’esthétique. Car la question de la beauté doit leur convenir à elles ! »

Elle est parfois la première personne à qui la modèle dévoile son corps depuis l’opération chirurgicale. Il est alors crucial pour la photographe d’établir une relation de confiance, basée sur l’écoute et le non jugement.

« Je leur offre un nouveau regard. Mon regard devient leur miroir. Elles m’en ont parlé de ça : certaines sont incapables de se regarder dans le miroir justement. Les photos leur font du bien. Elles leur permettent d’accepter et de se réapproprier leur corps. »
souligne Anne-Cécile Estève

PETIT À PETIT

Pour cela, Anne-Cécile Estève les contacte dans un premier temps par téléphone. Afin de leur expliquer sa démarche dans les grandes lignes et surtout bien préciser l’importance de leur consentement et de leur engagement : à tout moment, elles peuvent dire stop, à tout moment, elles peuvent quitter le projet.

Une fois le contact établi, une première rencontre est organisée pour entrer davantage dans le vif du sujet, leur donner le temps de raconter leur histoire, d’exprimer leur rapport au corps. Avec attention, la photographe récolte leurs témoignages puis les synthétisent et les soumet à validation, tout comme elle le fera avec les visuels. « C’est important qu’elles consentent pleinement à l’exposition. », précise-t-elle.

La phase de la prise d’images pourra ensuite commencer : « J’aime bien le faire en deux fois parce que ça leur permet de cheminer entre la rencontre et la séance photos, que je fais chez elles. Il y en a une par exemple qui voulait arrêter le lendemain de notre discussion. Après une semaine de réflexion, elle a choisi d’accepter de poursuivre le projet. »

La peur de l’objectif se mêle ici au sentiment de honte ressenti par rapport à l’image qu’elles ont désormais de leur corps, souvent pensé comme hors norme puisqu’invisibilisé dans une société de l’apparence unique.

« C’est bien le problème avec la publicité, les médias, etc. concernant l’image des femmes, c’est qu’il y a un seul modèle de femme et pas 2, 3 ou plus. Une des participantes m’a dit qu’un jour elle avait cherché sur la plage des corps de femmes qui avaient subi une ablation du sein. Elle n’en a pas trouvé… Souvent, elles ont honte, elles se cachent. Certaines parlent même d’une ‘maladie sale’… »

SE FAIRE DU BIEN, PAR LA PHOTOGRAPHIE

Se réconcilier avec son image, son apparence, son corps. La démarche intéresse profondément Anne-Cécile Estève qui réfléchit, avec Cécile Méal, à la création d’une association fondée autour de la photographie thérapeutique.

« Quand j’ai photographié les compagnons bâtisseurs, je me suis rendue compte du bien que ça leur faisait de se trouver bien en photo. C’est un outil un peu différent qui permet d’aider les personnes avec leur image. Pas que les personnes malades. Ça agit sur la confiance en soi et la relation avec les autres. », commente-t-elle.

Vient la réflexion autour de cette image normative, réductrice et culpabilisante des femmes. Parce qu’elle représente l’injonction patriarcale à la minceur – voire à la maigreur – et à la beauté unique (blanche) qui objetise les femmes en les figeant dans une posture de désirabilité et les enferme dans une case. Ce que l’on nomme le « male gaze », le regard masculin et dont les femmes sont également imprégnées puisqu’elles sont elles aussi éduquées dans une société sexiste, raciste, LGBTIphobe, handiphobe et grossophobe.

« Il faut être sacrément bien avec soi-même pour lutter contre ça. J’ai bien conscience qu’en retravaillant mes photos, je gomme les rondeurs, cachent les cicatrices, etc. Mais l’objectif ici n’est pas de montrer la réalité de leurs poitrines ou les marques qu’on peut avoir sur le corps. Mon but, c’est de leur faire du bien. Qu’elles se réapproprient leur corps à travers mes photos. Ensuite, elles cheminent à leur rythme. Dans leurs témoignages, elles le disent : ça les aide à se réconcilier avec leur corps. Il y a même une 18efemme qui m’a contactée parce qu’elle a vraiment envie de participer au projet. Alors, ce ne sera pas pour cette expo mais j’ai vraiment envie de poursuivre. »

Avec Mue, Anne-Cécile Estève leur offre un espace bienveillant dans lequel elles peuvent lâcher prise, oser, s’autoriser à essayer, s’exprimer, arrêter tout, recommencer, etc. Le titre de l’exposition résonne dans cette mise en mouvement opérée entre les femmes photographiées et la photographe : 

« Elles commençaient toujours la prise de photo habillées. Au fur et à mesure, elles se déshabillaient, en cachant leurs seins. Il n’y avait aucune obligation ensuite d’enlever les mains de la poitrine. Pour trouver la bonne posture et être plus à l’aise, je les dirigeais un peu. S’étirer, se cambrer, danser… Je voulais du mouvement ! Mouvement, changement, émotions… ça va avec la mue, ce changement physique et/ou psychologique. J’aime ces mots ! Je crois que j’ai un truc avec le changement ! », rigole Anne-Cécile Estève.

  • Exposition à découvrir du 7 au 27 mars à l’Hôtel Dieu, à Rennes.

 

Célian Ramis

Haut les coeurs : le courage des femmes dans l'espace public

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Dix-neuf femmes, des quartiers Blosne-Italie et Cleunay-La Courrouze, dévoilent et affirment dans l’espace public, dans le cadre du projet Haut les cœurs, porté par l’Agence Sensible.
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Dix-neuf femmes, habitant dans les quartiers Blosne-Italie et Cleunay-La Courrouze, dévoilent et affirment leurs courages à travers les photos d’Ingrid Borelli, réalisées et collées dans l’espace public, dans le cadre du projet Haut les cœurs, porté par l’Agence Sensible. Une deuxième édition à découvrir en mars à Rennes. 

Leur marque de fabrique : s’installer dans un quartier, nicher chez leurs partenaires et partir à la rencontre des habitant-e-s, des structures existantes et des besoins des un-e-s et des autres. En 2020, le nichage de l’Agence sensible s’effectue à Carrefour 18 et de là, née une première expérimentation autour d’un projet de portraits de personnes – hommes et femmes - courageuses.

L’envie partagée entre Carrefour 18 et le centre social Ty Blosne de réfléchir et de travailler sur la place des femmes dans l’espace public amène l’association à affiner le propos. La première édition de Haut les cœurs est lancée entre janvier et mars 2021 et valorise 18 femmes du Blosne et du centre ville, réunies autour de la notion de courage et la posture d’héroïnes.

Le résultat est joyeux, poétique et puissant. Les participantes livrent leurs parcours forts et précieux et témoignent de la persévérance et de la détermination entreprises pour lever les freins et surmonter les obstacles. Elles posent avec des accessoires et des costumes, dans des décors urbains, et affichent des sensibilités aussi variées que leurs horizons et ambitions.

UNE DÉMARCHE PARTICIPATIVE

« C’est hyper important pour nous : que toutes les femmes soient consentantes à chaque étape du projet et qu’elles soient fières de tout ce qui est produit. », explique Marion Poupineau, co-fondatrice de l’Agence sensible. 

Une première phase consiste à la réalisation d’un entretien individuel. Avec chacune des 19 participantes de cette 2eédition, instaurée sur le quartier du Blosne et les quartiers Cleunay – La Courrouze. Durant plus d’1h30, elles se racontent à travers la notion de courage, « à partir d’une image du Dixit, pleine de symboles, qu’elles choisissent. »

À partir de là, un texte court est rédigé et validé par la personne concernée : « Elles sont souvent étonnées d’en avoir raconté autant. C’est vrai qu’il existe peu d’espace d’écoute comme celui-là, gratuit, sans jugements… Les témoignages sont toujours très intimes et intenses. Il y a malheureusement souvent beaucoup de récits de violences masculines subies. »

Une deuxième phase commence ensuite, celle des postures. La mise en mouvements du sentiment de puissance. L’exploration et l’expérimentation des positions illustrant leurs propos et ressentis.

« On prépare des images qui nous semblent renvoyer à des postures puissantes. Elles en choisissent une et imitent, font des essais… Ça crée une dynamique de groupe. On aime bien faire de la facilitation, pour que le collectif fonctionne avec toutes leurs différences. », souligne Marion Poupineau.

Viennent ensuite les séances photos avec Ingrid Borelli et les accessoires (prêtés par des structures, théâtres, compagnies, en réseau avec l’Agence sensible) sélectionnés. « Elles se mettent en position de bienveillance les unes envers les autres. Elles s’applaudissent beaucoup notamment. Pour se sentir bien, accueillies et en sécurité. », précise la co-fondatrice de l’Agence sensible.

Elles pourront participer à toutes les étapes, de la sélection des photos à la création des affiches qu’elles iront ensuite coller elles-mêmes dans les quartiers du Blosne et de Cleunay – La Courrouze, à plusieurs reprises : « On les associe à tous les temps et c’est très important. Ça donne du pouvoir d’agir, de l’encapacitation. »

L’APPROPRIATION DU PROJET ET DE L’ESPACE PUBLIC

Plusieurs enjeux se croisent dans Haut les cœurs. S’autoriser à se sentir légitime à prendre part à un tel projet, livrer son récit et affirmer sa présence dans l’espace public, à travers une séance photo puis la présence d’affiches présentant son portrait.

Car, comme le rappelle Marion Poupineau, « ce n’est pas rien avec leurs parcours et leurs difficultés d’aller faire des photos dans l’espace public avec des accessoires. » En effet, « l’an dernier, 120 affiches ont été collées ! » Des moments joyeux qui nécessitent bel et bien du courage : « C’est un peu politique de coller dans l’espace public, même si on ne le fait pas sur des espaces sauvages. Dans l’imaginaire collectif, à 6 nanas, on a toujours l’impression de faire un geste défendu. »

Mais, haut les cœurs, les participantes se prêtent au jeu. Début mars, elles effectuent donc des sessions collages dans leurs quartiers. Avec fierté, elles installent sur les murs leurs images. « Et c’est fort ! Les gens viennent leur parler parce que ça interpelle. C’est un moment où elles s’approprient le projet car ce sont elles qui répondent aux questions. »

Et là se joue une nouvelle avancée. Non seulement pour les participantes mais également toutes les personnes qui bénéficieront de la vue des collages dans les quartiers, des photos exposées dans les centres sociaux et de la lecture du livret qui réunit textes et images (le livret de la première édition est à télécharger sur le site de l’Agence sensible).

Elles prennent l’espace public et nous offrent, au-delà d’une réflexion sur la place des femmes dans ces lieux, l’opportunité de les découvrir elles. Elles et leurs parcours, leurs différences, leurs singularités, leurs joies, leurs batailles, leurs combats, leurs convictions, leurs quotidiens.

L’opportunité d’apercevoir et d’appréhender des récits qui résonnent ou diffèrent des nôtres et surtout des normes. L’opportunité de comprendre un peu plus, un peu mieux, les gens qui nous entourent.

« Dans le projet, on souhaite qu’il y ait un public mélangé, qui représente la diversité dans les quartiers. La représentation a un impact. Lors de la première édition, on n’était pas très satisfait-e-s du peu de mélange. Il y avait pas ou peu de personnes racisées, pas ou peu de jeunes femmes. On a refait au Blosne cette deuxième édition en comptant aussi sur le bouche-à-oreille, pour trouver des femmes qui sortent peut-être un peu des radars des structures avec qui on travaille. On a pris d’autres relais et d’autres manières de parler du projet. Et ça s’est rééquilibré. Alors, on n’a toujours pas d’ados mais on a des filles de 20 ans avec déjà des histoires de vies dingues ! », commente Marion Poupineau.

Pour les découvrir, deux déambulations sont proposées les 11 et 16 mars, respectivement au départ du centre social de Cleunay, à 17h, suivi du vernissage photos à 18h, et au départ du centre social Ty Blosne à 14h30. L’exposition sera ensuite visible à Carrefour 18 du 4 au 22 avril et au centre social Ty Blosne du 20 mai au 3 juin.

Célian Ramis

Elles, l'autre mémoire : pour rêver grand et voir le monde autrement !

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Dans Elles, l’autre mémoire, Caroline Alaoui et Lety Pardalis, de la compagnie Les combats ordinaires, proposent de lire l'Histoire autrement. A travers des portraits théâtralisés de femmes inspirantes.
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De tout temps, les femmes ont réalisé et entrepris des choses exceptionnelles. Pourtant, parce qu’elle est écrite par des hommes blancs cisgenres hétérosexuels, pour des hommes blancs cisgenres hétérosexuels, l’Histoire n’a pas retenu leurs noms et leurs accomplissements. Dans Elles, l’autre mémoire, Caroline Alaoui et Lety Pardalis, de la compagnie Les combats ordinaires, proposent de lire cette Histoire autrement. A travers des portraits théâtralisés de femmes inspirantes.

Il y a cette femme, née en 1927 en banlieue parisienne, dans une famille bourgeoise, catho et très conservatrice. Cette femme, c’est Thérèse Clerc, et elle va lire Marx, parler violences, injustices et patriarcat, découvrir le plaisir avec les femmes, militer au Mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception (MLAC) ou encore fonder la Maison des femmes, lieu d’accueil et d’écoute, ainsi que la Maison des Babayagas, une résidence pour femmes âgées.

Il y a aussi cette femme, au XIe siècle en Italie, qui devient médecin chirurgienne et pionnière de la gynécologie. Cette femme, c’est Trotula de Salerne, et elle va écrire des traités médicaux, notamment sur les menstruations et l’accouchement sans douleur, et verra son travail confisqué par des hommes, décidant de censurer des passages jugés comme hérétiques et s’appropriant la paternité de son œuvre.

Ou encore, il y a cette femme, née en 1996 à Hérat, qui grandit dans les années 2000 en Afghanistan au moment où les talibans s’emparent du pouvoir, réduisant à néant les droits des femmes. Cette femme, c’est Sonita Alizadeh, et elle n’est qu’une enfant quand elle va refuser d’être mariée à seulement 9 ans. Elle n’est qu’une ado quand elle va devoir survivre, sans papiers, en Iran. Elle va découvrir Eminem et écrire des chansons de rap, sera repérée par une réalisatrice qui paiera la dotte du mariage de son frère afin qu’elle échappe à un second mariage forcé et la fera venir aux Etats-Unis pour étudier dans une école d’art.

FAIRE VIBRER LES RÉCITS

Sous la forme d’un hommage funéraire, d’un jeu télévisé ou d’un portrait vivant, les comédiennes et autrices Caroline Alaoui et Lety Pardalis racontent Thérèse Clerc, Trotula de Salerne, Sonita Alizadeh… mais aussi Vanessa Nakate, militante écologiste ougandaise, Temple  Grandin, scientifique et chercheuse autiste américaine, Wu Zetian, unique impératrice de Chine, Agnodice, première femme médecin et gynéco grecque ou encore Nellie Bly, journaliste américaine et Irena Sendler, résistante et militante polonaise.

Elles les font vivre. Elles les font vibrer, ces femmes qui constituent ce que l’on nomme le matrimoine. C’est-à-dire ce qui nous vient des mères. Des femmes. Dire qui elles sont, mettre en lumière des filles et des femmes d’âges et de champs d’explorations différents, aussi que d’époques et d’origines différentes, c’est rétablir cette Histoire arrachée, confisquée, déformée.

« On avait cette idée de faire un spectacle sur le matrimoine. L’envie d’utiliser le théâtre pour parler des femmes dont on ne parle pas assez. En adaptant des œuvres autour du matrimoine, on s’est finalement mis à écrire nos propres pièces. C’est devenue une création à part entière. », signale Caroline Alaoui, qui a rencontré Lety Pardalis grâce au réseau des Compagnies du 35.

Ensemble, elles s’attèlent à un travail de recherches, s’inspirent de la lecture des Culottées, de Pénélope Bagieu, mais aussi de celle des F comme fières, de L’imprimerie nocturne, de Ni vues ni connues, du collectif Georgette Sand ou encore de Femmes de lettres en Bretagne, ouvrage collectif initié par Gaëlle Pairel.

Et de leurs textes est né un format nomade et modulable, articulé autour de portraits joués, incarnés, interprétés avec humour, force, poésie et interactivité. « Ce n’est pas une conférence gesticulée, ni même une conférence tout court. Ce n’est pas un spectacle d’entresoi. On a pensé un support adaptable selon les publics et les lieux, pour pouvoir jouer partout. », précise Caroline Alaoui.

RÊVER GRAND, L’IMPACT DU MATRIMOINE

Relater les récits et les parcours de ces femmes qui ont existé et existent encore aujourd’hui, participant à penser et faire évoluer les sociétés, c’est une manière de donner à voir le monde autrement. C’est aussi proposer de nouveaux modèles aux filles et aux garçons, aux femmes et aux hommes.

Y compris pour les deux créatrices de ces lectures théâtralisées. « Ça m’a fait avancer dans mon féminisme. Découvrir toutes ces histoires extraordinaires, ça permet de réaliser le combat de certaines femmes… Et d’être plus vigilantes à ne pas se faire substituer sa place. Ça provoque aussi des questionnements. Chaque portrait m’interroge à un endroit différent. Quand on prend l’exemple de Wu Zetian, première femme régnante en Chine au 7esiècle, on pense à la résonnance avec aujurd’hui, où on assiste pour la première fois en France à une quasi mixité aux élections présidentielles… On peut presque tout ramener à aujourd’hui. », s’enthousiasme Lety Pardalis.

Elles le disent, elles sont complémentaires et sur cette création, elles sont heureuses de partager cette plongée dans des univers passionnants et inspirants. Et très empouvoirants. « On se prend à rêver grand ! », scande Caroline Alaoui. Elle poursuit : « Il y a de quoi être en colère quand on découvre toutes ces femmes, leurs noms et leur nombre ! Mais nous ne sommes pas dans la colère. Au contraire, c’est très réjouissant ! »

Et on se réjouit avec elles de rencontrer, faire la connaissance ou de redécouvrir celles qui ont marqué l’Histoire d’hier et celles qui poursuivent le combat, aujourd’hui, pour demain. Les lectures sont vivantes, drôles, touchantes, émouvantes. Les voix s’expriment et s’entremêlent. Les visages de l’ombre apparaissent, sans se confondre avec celles qui les racontent dans la lumière. C’est là où le duo nous cueille avec beaucoup d’émotions.

« On a envie de transmettre et donner à voir des modèles qu’on n’a pas eu durant notre enfance et notre adolescence. Ce sont nos petits combats, à notre échelle. », signale Caroline Alaoui. Des petits combats qui peuvent faire la différence : « C’est important d’avoir accès à ce matrimoine pour chaque vie, chaque construction, ça impacte la façon de se rêver, de s’imaginer ! »

Avec humilité et dans le respect de toutes ces vies entravées, négligées et méprisées, les deux comédiennes et autrices participent à la réhabilitation du matrimoine. À faire sortir les oubliées de leurs silences contraints et forcés. À multiplier les voix et les voies possibles. C’est apaisant et libérateur à la fois.

 

  • LES DATES À RETENIR

  • 8 mars, 17h : Représentation de la lecture-théâtralisée Elles, l’autre mémoire, à la Bibliothèque des Champs Libre, Rennes.
  • 10 mars, 20h : Représentation de la lecture-théâtralisée Elles, l’autre mémoire, à la Maison de quartier La Bellangerais, Rennes.
  • 15, 22 et 29 mars, de 10h à 12h : Ateliers d’écriture autour de Elles, l’autre mémoire, à la Biblithèque La Bellangerais, Rennes.

Célian Ramis

La rue fait mauvais genre

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« La rue nous attire et nous repousse. », déclare Malou Estenne. La rue est aussi le théâtre des inégalités qui quotidiennement rappellent aux femmes qu’elles ne peuvent y être que de passage. Et encore… le passage sera semé d’embûches !
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« La rue nous attire et nous repousse. », déclare Malou Estenne. La rue est aussi le théâtre des inégalités qui quotidiennement rappellent aux femmes qu’elles ne peuvent y être que de passage. Et encore… le passage sera semé d’embûches ! Le 5 mars, Osez le Féminisme 35 propose une représentation du spectacle au théâtre de la Parcheminerie, suivi d’une marche exploratoire de femmes.

« Toutes les femmes qui passent se font rappeler à l’ordre. Cet espace appartient aux hommes ! » Celle qui le souligne, c’est une zonarde dont le « gang » ignore qu’elle est lesbienne car « (ils) ne connaissent même pas le mot » et dont nous n’avons pas le prénom ni le nom, seulement les paroles. À travers la voix et le corps de l’autrice, conteuse et compositrice Malou Estenne. 

Son conte électro urbain intituléLa rue fait mauvais genre, qui oscille entre musiques électrico-palpitantes, poésie et récits authentiques collectés par l’artiste, interroge la place des femmes dans l’espace public. 

Ou plutôt cette moitié de place, étriquée et bancale. Et surtout, une place très discutée. La société voudrait penser qu’elle a avancé sur le sujet mais dans les faits, les villes sont construites par les hommes et pour les hommes et les femmes, dans la rue, n’y sont que tolérées, importunées, insultées, humiliées, voire agressées.

UN CHANGEMENT TROP LENT…

Et la loi du 3 août 2018 sur l’outrage sexiste n’a pas modifié les comportements révélateurs du sexisme ambiant dont est imprégnée la population. Puisque le harcèlement de rue résulte d’un ensemble de stéréotypes et de préjugés, conscients et inconscients, inculqués dès la petite enfance.

Les témoignages autour de ce sujet affluent toujours autant et Malou Estenne s’en saisit pour pointer les nombreuses difficultés rencontrées par les femmes dans l’espace public, parmi lesquelles on peut citer les sifflements et les remarques (sexistes, racistes, LGBTIphobes, handiphobes), le manspreading (le fait qu’un mec soit assis toutes jambes écartées) à l’arrêt de bus ou dans les transports en commun ou encore le réflexe de pisser contre un mur, là où les femmes n’ont qu’à se retenir jusqu’à chez elles.

On décèle à chaque mot un sentiment d’insécurité, un sentiment de malaise. Une peur d’être visible, de se faire remarquer, de se faire emmerder. Et puis, il y a les phrases qui prouvent que l’on n’a pas quitté l’ancien monde : « « C’est pas beau une femme qui boit. Elle va finir par se faire violer. » La menace constante mène aux stratégies d’évitements largement déployés par les femmes. « Je tue le silence avec ce récital cru. La rue, la nuit, la rue, la nuit, la rue fait mauvais genre. », conclut Malou Estenne. 

 

  • La représentation, qui aura lieu le samedi 5 mars à 21h au Théâtre de la Parcheminerie, sera suivie d’une marche exploratoire de femmes, accompagnée de la lecture de témoignages de Rennaises sur leur ressenti au cœur de la ville.

 

Célian Ramis

Lumières sur les féminicides à l'encontre des personnes sexisées

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C’est une marche lumineuse et quasi silencieuse qui s’est lancée depuis République ce jeudi 25 novembre, journée internationale de lutte contre les violences sexistes et sexuelles.
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C’est une marche lumineuse et quasi silencieuse qui s’est lancée depuis République ce jeudi 25 novembre, journée internationale de lutte contre les violences sexistes et sexuelles. À Rennes, à l’appel du collectif NousToutes35, plusieurs centaines de personnes se sont réunies pour une manifestation en femmage aux victimes de féminicides.

ON NE NAIT PAS FEMME MAIS ON EN MEURT - Chaque année, plus d’une centaine de femmes meurent en France, tuées par leur conjoint ou ex conjoint. Le 24 novembre, le compte Féminicides par compagnons ou ex indiquait que ce nombre était porté à 103 depuis le 1erjanvier 2021. Depuis, 2 autres féminicides ont été recensés.

Samedi 20 novembre, l’association Ouest Trans organisait un rassemblement dans la capitale bretonne pour la Journée du Souvenir Trans – Trans Day of Remembrance (TDoR) – afin de commémorer la mémoire des personnes trans assassinées ou poussées au suicide. Cette année, selon les chiffres du Trans Murder Monitoring, ce sont 375 personnes trans tuées, soit 7% de plus que l’an dernier.

La structure rappelle : « Ce que ce chiffre nous montre c’est que certaines personnes trans sont plus touchées par cette violence que d’autres. Dans ces chiffres, on trouve quasiment exclusivement des femmes trans, une grande partie d’entre elles sont aussi travailleuses du sexe, racisées ou migrantes. L’intersection entre les différentes oppressions, la transmisogynie, la putophobie, le racisme, la xénophobie est d’autant plus dangereuse. Le climat actuel ouvertement islamophobe et raciste et les politiques visant à criminaliser les travailleuses du sexe vont dans ce sens-là et ce sont donc sur ces points que nous devons lutter. »

En effet, à la suite de la marche de ce 25 novembre et de la projection du filmEmpower au 4 Bis à Rennes, Doris, secrétaire du Strass (Syndicat du travail sexuel en France) et fondatrice des Pétrolettes (Association de développement communautaire pour lutter contre les violences faites aux femmes et autres minorités avec et pour les travailleur.ses du sexe) souligne que les assassinats de travailleuses du sexe ne sont pas pris en compte au même titre que les meurtres de femmes dans le cadre des violences conjugales. 

VOUS N’AUREZ PLUS JAMAIS LE CONFORT DE NOS SILENCES

La banderole trône en tête du cortège qui s’élance de République jusqu’à l’esplanade Charles de Gaulle, en passant par l’avenue Janvier et la gare. À 18h, bougies et flambeaux s’embrasent parmi la foule qui brandit lumières, drapeaux syndicaux et militants et pancartes, rappelant que « Céder n’est pas consentir » ou encore la lutte « contre les violences sexistes et sexuelles au travail ». 

La sono laisse entendre des chants partisans, contre les féminicides. Pas de prise de paroles militantes ce soir-là, le collectif NousToutes35 souhaitant les réserver pour la grande marche organisée ce samedi 27 novembre, mais la foule fait tout de même entendre sa voix et entame l’hymne qui rythme les manifestations féministes. « Nous sommes fortes, nous sommes fières, et féministes et radicales et en colère ! »

Une autre manifestation a réuni plusieurs milliers de personnes ce samedi 27 novembre pour dénoncer l’ensemble des violences sexistes et sexuelles subies par les personnes sexisées. Un départ était donné à 14h de Kennedy, Henri Fréville et Joliot-Curie, en direction de l’esplanade Charles de Gaulle, d’où est parti le cortège à 15h. Prochainement, on en (re)parle sur yeggmag.fr !

Célian Ramis

Artistes : un parcours semé d'embûches pour elles

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Quel lien peut-on établir entre précarité des intermittent-e-s et invisibilisation des femmes artistes ?
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En mars 2021, le collectif Les Matermittentes publie un communiqué demandant des mesures d’urgence pour les salarié-e-s discontinu-e-s qui ne perçoivent plus de congé maternité et maladie indemnisé. En juillet 2021, HF Bretagne publie un diagnostic sur la représentation des femmes dans les arts. Mais quel lien peut-on établir entre précarité des intermittent-e-s et invisibilisation des femmes artistes ?  

Aujourd’hui encore, des femmes salariées ne sont pas indemnisées pour leurs congés maternités. Ou très faiblement. Amandine Thiriet, comédienne et chanteuse, co-fondatrice du collectif Les Matermittentes explique :

« C’est encore possible, même en étant salariée. Ca concerne surtout les emplois discontinus, c'est-à-dire les intermittentes du spectacle mais pas que : cela concerne toutes les intermittentes de l'emploi ».

En somme, toutes les personnes qui alternent des périodes de contrat et de chômage. Le problème, c’est que, pendant longtemps, atteindre le seuil nécessaire était complexe : le système d’indemnisation privait des femmes du congé maternité. Et comme l’explique la bénévole, les conséquences peuvent être graves :

« Une femme qui a un enfant peut être condamnée à n’avoir pas de revenu ou un revenu de misère le temps de son congé maternité et donc, en terme d’indépendance financière, d’autonomie et d’engrenage de précarisation, c’est assez grave et c’est cela qu’on dénonce. »

Quand le collectif est créé en 2009, les membres sont directement concernées : initialement appelées Les recalculées, elles dénoncent un mauvais calcul de Pôle Emploi, pénalisant lourdement les intermittentes. Elles occupent les CPAM, les agences Pôle Emploi, font du bruit et obtiennent partiellement gain de cause.

L’expertise qu’elles acquièrent pendant leur combat leur permet d’analyser le système d’indemnisation et les inégalités qui en découlent. En effet, le système d’équivalence avec Pôle Emploi est défaillant : des femmes perdent leur intermittence car elles ont un enfant, les indemnisations sont trop basses et mettent les concernées dans des situations de précarité importante.

Rebaptisé Les Matermittentes, le collectif saisit le Défenseur des Droits et c’est seulement deux ans plus tard, en 2012 que les politiques se saisissent du sujet, constatant une inégalité. En 2015, elles obtiennent un abaissement des seuils, jusque-là démesurés, pour l’accès au congé maternité et en 2016 avec les syndicats, elles réussissent à faire changer la manière dont celui-ci est pris en compte dans l’assurance chômage pour que ce ne soit plus discriminant. 

NE RIEN LÂCHER

Malgré ces évolutions encourageantes, le travail du collectif ne s’arrête pas là. Depuis 2017, les Matermittentes sont très - trop - souvent sollicitées pour des cas d’erreur de calculs, des refus d’indemnisations et des refus de congés maternités. En cause ? Des mesures insuffisantes et le risque d’un retour en arrière important avec la réforme de l’assurance-chômage actuellement en débat.

La méthode de calcul imaginée va en effet très lourdement pénaliser les personnes qui alternent des petits contrats. La crise sanitaire et sa gestion ont également accentué ces inégalités. Plus généralement, ce sont les discriminations et le manque de reconnaissance liées aux emplois discontinus que le collectif dénonce :

« Quand on écoute Elisabeth Borne (Ministre du Travail, de l'Emploi et de l'Insertion, ndlr) au Sénat, elle parle comme si les professions discontinues choisissaient leur manière de travailler : si on ne travaille qu’un jour sur deux, c’est de notre faute, on a qu’à trouver un CDI ! Mais ce n’est pas vrai, (...) il faut reconnaître qu’il existe des pratiques de travail. On ne peut pas être tous les jours en représentation ou en tournage ! »

UN MANQUE DE REPRÉSENTATION 

En juillet, HF Bretagne publie un diagnostic sur la représentation des femmes dans les arts. En portant des valeurs de féminisme, collégialité et de transversalité, il souhaite agir pour faire avancer l’égalité réelle entre les femmes et les hommes.

Avec cette étude, qui existe depuis 2014, publiée tous les deux ans, l’objectif est de compter, révélant ainsi cet écart majeur en défaveur des femmes, à la fois dans les équipes artistiques, les équipes permanentes et de direction. Lucile Linard, coordinatrice de l’association explique :

« Le diagnostic légitime notre action, c’est dire “voilà la photographie de la réalité” mais c’est aussi pour responsabiliser les structures et faire prendre conscience que même si on a l’impression que ca avance, en fait, pas vraiment, ca avance très très lentement. C’est pour ça qu'on compte. »

Cette année le collectif a fait le choix de changer sa méthodologie permettant de mettre en lumière de nouvelles informations et de nouveaux indicateurs, comme les budgets, la communication, l'accueil de résidence, etc. Le diagnostic permet de rendre compte d’une situation qui évolue, mais encore trop doucement.

Dans les arts visuels, on constate par exemple des chiffres encourageants avec une hausse de 6 points de pourcentage entre 2014 et 2019 : les femmes représentaient 29% des artistes exposées contre 35% en 2019. Mais le combat est loin d’être fini ! De plus, les femmes, si elles sont plus exposées, c’est surtout dans les expositions collectives que monographiques. Elles sont donc davantage invisibilisées …

Dans les musiques actuelles et les musiques traditionnelles, on retrouve les plus grosses inégalités avec des chiffres choquants : sur 562 concerts étudiés, 3 se sont déroulés sans aucun homme et 71 sans aucune femme. Soit 12,5% des concerts sans femmes.

Lucile s’indigne « Comment se projeter quand on est habitué-e à ça ? Il y a un mouvement de dénonciation avec Music too, mais on est encore trop habitué-e à ne pas voir de femmes sur scène. » 

UN PROCESSUS D'ÉVAPORATION DES FEMMES ?

On le sait, les diplômées sont là. Pourtant, elles sont moins exposées. Dans le focus sur les arts visuels, elles comptent : aux écoles d’art sur l’année 2019-2020, ce sont 72% de femmes diplômées. Et déjà, sur les bancs de l’école, les étudiantes ne peuvent pas se projeter : ce sont 53% d'enseignants, 62% d’artistes masculins intervenants.

Mathilde Dumontet, chargée d’étude pour le diagnostic, souligne : « Quand on leur enseigne, quand elles vont voir des expositions, il y a un manque de représentativité, elles ne voient que des hommes. La figure de l’artiste est masculine. Ça limite le “oui, moi aussi, je peux le faire”. »

De plus, les violences sexistes et sexuelles ainsi que les discriminations vécues dès l’école participent à écarter les femmes des parcours artistiques à la fin de leurs études. Les mots de trop, un projet mené par 3 étudiantes de l'EESAB de Rennes fin 2019, met en lumière ces discriminations.

Sous forme d’une enquête et d’un projet graphique, elles ont récolté au total 343 témoignages d’élèves. Le sexisme est une des formes de discriminations le plus vécu parmi toutes les expériences citées : racisme, validisme, homophobie, etc. Notons qu'elles sont toutes cumulables et prennent des formes variées, allant de l’humour oppressif au harcèlement. En tête des attitudes discriminantes : l’équipe pédagogique. Lucile Linard explique :

« Régulièrement on se demande pourquoi cet écart entre les diplômées et les femmes actives ? On parle d’un processus d’évaporation. Pourquoi est-ce qu'elles s’évaporent après leurs études ? Peut-être que ces violences, ces discriminations vécues dès l’école, ce sont des pistes de réflexion. » 

TALENT, NOM MASCULIN ? 

Sur le site d’HF Bretagne est écrit en gros “Talent = Moyens + Travail + Visibilité". La coordinatrice explique l'importance de ce slogan : encore aujourd’hui, trop de personnes pensent que le manque de représentation des femmes dans les milieux artistiques est dû à un manque de talent. Sans moyens, comment rendre le travail des femmes artistes visibles ?

Le collectif Les Matermittentes et sa mission d’accompagnement permettent de révéler les inégalités et les risques de précarité importants pour les femmes. Une étude publiée en mai 2021 par la DARES « Emploi discontinu et indemnisation du chômage : Quels usages des contrats courts ? » montre que les femmes sont surreprésentées dans les emplois discontinus.

Elles seront donc les premières touchées par la réforme d’assurance-chômage. Amandine Thiriet dénonce une stratégie : « C’est hypocrite car ils font comme si c’était de la faute des employé-e-s alors qu’ils encouragent en même temps cette économie de la précarité : ils voudraient que ces gens ne soient pas salarié-e-s mais indépendant-e-s, la stratégie c’est d’enlever les indemnités. C’est un combat pour une protection sociale qui touche surtout les femmes. »

Les violences sexistes et sexuelles, l’expérience des discriminations mais aussi les violences matérielles et le manque de moyens qui touchent les femmes participent et accentuent le phénomène d'évaporation des femmes artistes après leurs études. Dans les équipes permanentes se sont majoritairement des femmes.

Une évolution partiellement victorieuse, car si les femmes sont plus présentes, on constate toutefois que leur présence diminue quand les moyens et les budgets augmentent. Plus il y a d’argent dans les structures, plus il y a d’hommes. Mathilde Dumontet commente :

« On parle d’évaporation des femmes mais on constate aussi un phénomène d’apparition des hommes. »

Des différences de moyens, qui entraînent aussi des visibilités inégales. 

Les actions des associations et collectifs comme les Matermittentes et HF Bretagne sont colossales et encourageantes. Le travail pour l’égalité est immense et les avancées encore fragiles. HF Bretagne prévoit ainsi déjà un autre diagnostic sur l’impact de la crise sanitaire dans les arts. Comme les Matermittentes, le collectif s'inquiète des conséquences dans le milieu artistique. Ainsi, compter, analyser, se mobiliser et se soutenir permet de faire face et de faire avancer l’égalité, la visibilité et les représentations des femmes artistes. 

Célian Ramis

Violences sexuelles : Les voix de la colère

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Action publique – L’association Prendre le droit a fait entendre les voix de 55 victimes de violences sexistes et sexuelles qui ont témoigné d’un mauvais accueil de la part des forces de l’ordre et de la Justice, dans le cadre d’un dépôt de plainte ou d’une enquête judiciaire.
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Action publique – Samedi 20 mars, l’association Prendre le droit a fait entendre les voix de 55 victimes de violences sexistes et sexuelles qui ont témoigné d’un mauvais accueil de la part des forces de l’ordre et de la Justice, dans le cadre d’un dépôt de plainte ou d’une enquête judiciaire.

« Vous avez eu des menaces ? Des coups ? Non ? Alors, ce n’est pas un viol… » Un policier, lors d’un dépôt de plainte pour viol. « Ce sont des choses qui arrivent dans un couple. » Un procureur, dans le cadre d’un procès pour viol conjugal. « Si c’était aussi dur que vous le décrivez, pourquoi êtes-vous restée 3 ans ½ avec lui ? Il fallait partir. » Même situation. « L’amnésie traumatique, c’est des conneries. À 12 ans, on se souvient de ce genre de choses. »

Un policier, lors d’un dépôt de plainte pour inceste. « Vous êtes sure que vous ne l’avez pas un peu provoqué ? Un peu chauffé ? ». Un policier, lors d’un dépôt de plainte pour viol digital. « Vous comprenez, il y a trop d’agressions sexuelles ici, faut pas s’attendre à quoi que ce soit. » Un gendarme, lors d’un dépôt de plainte pour viol. « Mais c’est quoi cette mode de porter plainte pour viol ? Depuis BalanceTonPorc, c’est devenu du n’importe quoi ! » Un policier, lors d’un dépôt de plainte pour viol. 

LA DOUBLE PEINE

Ce samedi de mars, à République, 55 témoignages recueillis par l’association rennaise Prendre le droit sur les réseaux sociaux via les hashtags #PayeTaJustice, #PayeTaPlainte et #PayeTaPolice sont déclamés à plusieurs voix par les bénévoles de la structure. Ce qu’elles dénoncent : le mauvais accueil des personnes victimes de violences sexistes et sexuelles par les forces de l’ordre et la Justice.

« Il y a une vraie double peine à être victime et à chercher une protection qui n’arrive pas. Et même qui broie les femmes car on leur dit que ce n’est pas si grave. C’est ce mécanisme qu’on dénonce. Le fait qu’on demande aux femmes de fournir la preuve qu’elles se sont débattues, qu’elles n’étaient pas consentantes, etc. »
nous explique Gabrielle Jarrier, militante féministe investie dans l’association depuis 2 ans.

Banalisation des faits, remise en cause des propos et de la sincérité des victimes, sexisme, découragement pour le dépôt de plainte… Les premiers contacts avec celles et ceux chargé-e-s d’enquêter et de rendre justice sont encore majoritairement problématiques, malgré les annonces du ministère de l’Intérieur qui début 2021 défendait que « 90% des femmes ayant porté plainte en 2020 pour des faits de violences conjugales étaient satisfaites de l’accueil en commissariats et gendarmeries. »

Peu convaincues par la réalité de ce pourcentage, considéré comme décalé par rapport à ce qui est constaté sur le terrain par le tissu associatif et militant, le collectif #NousToutes a lancé une enquête auprès de personnes ayant tenté de porter plainte ou ayant porté plainte pour des faits de violences conjugales, violences sexistes ou sexuelles. En 15 jours, 3 500 témoignages, venant majoritairement de femmes ainsi que de personnes non binaires, principalement majeures, ont été récoltés. Sur l’ensemble, 66% des répondantes font état d’une mauvaise prise en charge par les forces de l’ordre lorsqu’elles ont voulu porter plainte pour des faits de violences sexuelles. 

CULTURE DU VIOL

« C’est un problème de société. Si on a choisi de faire cet événement dans l’espace public, c’est parce que ce n’est pas un problème individuel. Il faut que les femmes s’organisent et que les hommes, socialisés en tant qu’hommes, entendent toutes ces choses. », souligne Gabrielle Jarrier.

Elle pointe là la culture du viol dont toutes les sphères de la société sont imprégnées. Et les phrases entendues par les victimes de violences sexistes et sexuelles, que ce soit dans les commissariats, les gendarmeries ou les tribunaux le prouvent régulièrement. Le mythe du prédateur est établi depuis longtemps, laissant penser que les agresseurs sont généralement racisés et tapis dans l’ombre d’une ruelle ou d’un parking, prêts à bondir sur les femmes qui rentrent seules le soir et la nuit.

Pourtant, 80% des agressions sexuelles et viols sont commis par des proches, membres de l’entourage ou de la famille, des victimes. Toutefois, la parole des personnes sexisées est banalisée, mise en doute, voire en accusation quant à sa tenue et son comportement. On condamne finalement celles qui franchissent les portes des forces de l’ordre et des parquets et on retourne le processus contre elles : elles sont culpabilisées, elles sont rendues coupables. Tout du moins, suspectes.

« Pourquoi n’avez-vous pas crié ? Pourquoi êtes-vous restée passive ? », « Allez, oubliez, ça arrive pendant les vacances de faire un faux pas. », « Comment était votre pyjama ? Parce que l’agresseur a surement eu des idées en vous regardant dormir ! », « Si vous n’aviez pas consommé d’alcool, il ne vous serait rien arrivé. », « On ne va pas fouiller à toutes les portes sous prétexte que vous êtes imprudente… ».

Et puis, dans certains cas, on défend l’accusé : « Vous savez, c’est sérieux, il risque la prison. Sa vie ne sera plus jamais la même. Vous êtes sure de vouloir continuer ? » ou encore « Il va se marier dans deux mois. Vous voulez lui gâcher la vie ou quoi ? Vous avez une idée du prix du traiteur ? » 

UN TRAITEMENT À LA RACINE, PAS UN PANSEMENT !

Pour la membre de Prendre le droit – Féministes pour un monde sans viol(s), il est urgent de faire évoluer les mentalités et de former tou-te-s les agent-e-s de la chaine policière et judiciaire, accueillant des victimes de violences sexistes et sexuelles. Elle rappelle les chiffres du ministère de l’Intérieur – là où à sa tête, Gérald Darmanin est visé par des enquêtes pour harcèlement et viol – ainsi que de l’enquête VIRAGE, réalisée en 2014, autour des violences : 80% des plaintes pour viols et agressions sexuelles sont classées sans suite, 1% des viols aboutit à une condamnation « et souvent, les peines ne sont pas bien lourdes » et 95% des affaires de violences sexistes et sexuelles sont perpétrées par des hommes.

Sans parler de tous les crimes de viols correctionnalisés, c’est-à-dire renvoyés vers le tribunal correctionnel qui requalifie l’acte ou les actes en agression-s sexuelle-s. « On ne peut pas comprendre les viols conjugaux sans formation. Ni même les différentes réactions qui peuvent survenir lors d’une agression, l’amnésie traumatique, etc. Ça touche aussi la santé mentale des femmes, c’est une question de santé publique : comment les traumas mettent les femmes au banc de la société quand elles pètent les plombs parce que la mémoire leur revient des années après sans que personne comprenne ! Souvent, on nous demande des formations. On n’est pas ultra d’accord sur le fait que ce soit encore une fois aux forces associatives de faire ça ! Ça devrait être une mission de service public. », commente Gabrielle Jarrier.

A la suite de leur rencontre avec le procureur Philippe Astruc, elle le dit clairement : « Il y a des avancées. Il veut renforcer le pré accueil car il le dit, tous les agents ne pourront pas être formés. En gros, il y a peu de moyens et des affaires, il y en a trop. Sur le pré accueil au commissariat de Rennes, on a des témoignages très différents. À la brigade des mœurs, il semble que ça s’arrange un peu. Mais ça manque toujours de bienveillance… Il faut un positionnement politique fort par rapport à tout ça. On ne veut pas des mesures pansements, on ne veut pas mieux vivre les violences : on veut les éradiquer à la racine ! Il y a beaucoup de chemin à parcourir. »

Alors pour l’association, qui à l’année accompagne de très nombreuses femmes victimes de violences dans les procédures juridiques mais aussi dans le conseil et l’orientation en vue d’une prise en charge, il est important de porter ces paroles dans l’espace public. Pour changer l’imaginaire collectif mais aussi pour aider celles qui se sentiraient isolées après avoir subi agression-s sexuelle-s, viol-s, violences conjugales, insultes, menaces, etc.

« Ça aide aussi dans la réparation de poser un discours féministe et de savoir qu’on n’est pas seules. Que ce n’est pas un coup de pas de bol, ça dépasse les cas individuels. »
explique la militante. 

Informer. Autour des lois mais aussi de ce qui régit les inégalités entre les hommes et femmes et permet à la domination masculine, mais aussi au racisme, des LGBTIphobies, du validisme, etc. de perdurer. Écouter les femmes victimes de violences sexistes et sexuelles. Sans remettre en cause son témoignage. En commençant par une parole toute simple : « Je te crois ». Prendre la parole et le droit, libérer l’écoute, des actions qui paraissent banales, et qui pourtant ont été confisquées aux personnes sexisées et racisées.

Célian Ramis

Prendre la parole, ça s'apprend !

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Après avoir constaté la difficulté à atteindre la parité entre les femmes et les hommes dans l’événementiel, Fanny Dufour a eu envie de creuser cette problématique et a fondé Les Nouvelles Oratrices, structure dédiée à la prise de parole des femmes en milieu professionnel.
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Après avoir constaté durant des années la difficulté à atteindre la parité entre les femmes et les hommes dans l’événementiel, Fanny Dufour a eu envie de creuser cette problématique et a fondé Les Nouvelles Oratrices, structure dédiée à la prise de parole des femmes en milieu professionnel.

En tant qu’expertes et journaliste confondues, les prises de paroles des femmes représentent moins d’un tiers du temps de parole total à la télévision (32,7%) et encore moins à la radio (31,2%), selon l’INA qui en 2019 a publié une étude sur le sujet, en analysant pas moins de 700 000 heures de programme.

Fanny Dufour a réalisé sa propre enquête pour avoir des chiffres clés orientés spécifiquement dans le domaine professionnel. Entre juillet et début septembre 2020, 702 femmes ont répondu au questionnaire.

Elles sont étudiantes, salariées, indépendantes, cadres, dirigeantes, stagiaires, en recherche d’emploi... et la moyenne d’âge est de 38 ans environ. 26% d’entre elles prennent la parole tous les jours, 49% plusieurs fois par mois et 24%, occasionnellement.

L’enquête révèle une prise de parole assumée : 72% des répondantes pensent exprimer clairement et brièvement leurs idées, 60% osent intervenir et prendre la parole en cas de conflit et 59% n’ont pas peur d’exprimer leur désaccord. Pourtant, elles sont 71% à dire qu’elles s’auto-censurent régulièrement. Par peur de dire une bêtise. Et 80% pensent après leur intervention qu’elles auraient pu mieux faire.

LA PARITÉ, SOURCE DE LÉGITIMITÉ

Travaillant dans l’événementiel, Fanny Dufour constate la difficulté à atteindre la parité. Par exemple, lorsqu’une invitation à s’exprimer dans un séminaire ou une conférence – elle a présidé TedxRennes pendant 3 ans - est lancée auprès d’une femme « deux fois sur trois, c’est un refus ou une prise de décision assez longue. »

Ces dernières essayent parfois de réorienter l’invitation vers leurs collègues masculins ou demandent à pouvoir intervenir à plusieurs. « Alors que les hommes, c’est quasiment tout le temps qu’ils sont ok ou même - j’ai vu ça avec TedxRennes - qu’ils nous sollicitent pour dire qu’ils peuvent venir parler d’un sujet, sans même avoir de sujet précis ! », souligne-t-elle. 

En entreprise, elle remarque également que les femmes cèdent rapidement la parole aux hommes.

« Des études américaines montrent qu’on coupe la parole aux femmes en moyenne 2,6 fois par tranche de 3 minutes, alors qu’on ne coupe la parole aux hommes qu’une fois par tranche de 3 minutes. »
souligne-t-elle.

Lors du débat présidentiel opposant Donald Trump à Hilary Clinton, celui-ci avait interrompu la candidate démocrate 26 fois en 25 minutes, rappelle Manuela Spinelli, co-fondatrice de l’association Parents & Féministes, à l’occasion de sa conférence sur l’éducation non sexiste, animée en octobre dernier, à l’université Rennes 2.

LA QUESTION DE LA LÉGITIMITÉ

Fanny Dufour décide de creuser cette thématique et fonde Les Nouvelles Oratrices, le 8 mars 2020, en référence à la journée internationale des droits des femmes car, faut-il le rappeler, « la parole est un droit ». 

La prise de parole des femmes dans le milieu professionnel est au cœur de sa structure. La problématique de la légitimité doit être abordée. Et autour de ce sujet-là, elle réalise qu’on manque de connaissance :

« Si on ne s’intéresse pas au féminisme, on ne connaît pas finalement ce sujet, on n’en a pas forcément conscience. En creusant, on comprend : il n’y a pas ou très peu de rôles modèles féminins, dans les manuels scolaires, on ne voit quasiment que des hommes et on a une éducation assez genrée. On a besoin de montrer le côté sociologique de cette difficulté à prendre la parole. »

Sans oublier que les femmes n’ont eu voix au chapitre en matière de citoyenneté qu’à partir de 1944, lorsque le droit de vote a été conquis par de longues luttes féministes et qu’il faudra se battre ensuite pour obtenir un arsenal législatif débarrassant les femmes de la tutelle de leurs maris ou de leurs pères.

Et que malgré l’inscription de l’égalité dans la loi, elle n’est pas réellement effective dans les mentalités et les pratiques.

« J’avais l’idée des Nouvelles Oratrices en tête depuis 6 mois / un an et les choses se sont précipitées dans le cadre de tedx quand j’entendais en commission que ce n’était pas si grave que ça de ne pas avoir la parité. Pour moi, la parité génère un sentiment de légitimité. C’est donc important. Je me suis dit qu’il fallait faire quelque chose, entre femmes. Pour aborder cette question de la légitimité. », explique Fanny Dufour. 

L’ENTRAIDE DES CERCLES

La structure propose des formations professionnelles intitulées Cercles de femmes, sous la forme de 8 rencontres de 2h. Concrètement, des groupes de 6 à 10 personnes par Cercles sont constitués et vont au fil des rendez-vous aborder différentes thématiques inhérentes à la prise de parole.

Des comédiennes prennent en charge la partie autour du corps, des gestes parasites, de la voix, des complexes, etc. Des coachs en prise de parole interviennent sur les arts oratoires, l’éloquence, le débat, etc. Une experte en égalité Femmes-Hommes axe davantage sur la légitimité, les manières de prendre sa place, lors de réunions, d’entretiens d’embauche, etc.

« On a aussi un groupe privé sur Facebook pour poursuivre les échanges, fournir des compléments d’information, etc. Et sur la base du volontariat, celles qui ont déjà participé aux formations peuvent sur des créneaux d’1h30 continuer d’entretenir cette prise de paroles. Parce que parfois, elles sont venues aux Cercles pour préparer un entretien d’embauche ou pour évoluer professionnellement dans leur entreprise.

Elles ont donc un objectif et c’est pour ça qu’elles sont là, c’est ce qu’elles préparent. Mais après, si elles obtiennent le poste par exemple, elles peuvent être amenées à animer des réunions, par exemple. C’est toujours bon d’entretenir sa prise de parole. Et puis le groupe permet aussi de jouer le collectif, l’empowerment. On se met des rituels, des défis, on s’encourage, on s’applaudit. », précise la fondatrice. 

Il existe aussi des Cercles de femmes pour les particuliers. Toujours en lien avec la prise de parole dans le milieu professionnel :

« Parfois, elles viennent à titre personnel parce qu’elles n’ont pas envie d’en parler à leur employeur ou parfois parce que leur employeur ne veut pas prendre la formation en charge. On axe sur le côté professionnel mais ça ressurgit sur le côté privé. J’ai plusieurs femmes qui m’ont déjà dit justement qu’elles avaient réussi à parler à leur mari ou une autre personne de tel ou tel sujet, chose qu’elles n’arrivaient pas à faire jusqu’ici. »

CONSÉQUENCES D’UNE ÉDUCATION GENRÉE…

Si Les Nouvelles Oratrices ciblent principalement le milieu professionnel, la structure n’oublie pas que les freins liés à la prise de parole en public ne naissent pas à l’entrée de la vie active.

Ils découlent d’une construction sociale qui assigne des caractéristiques spécifiques au féminin et au masculin, le premier étant souvent dévalorisé et le second, brandi comme étant la norme à atteindre (sans toutefois pouvoir se le permettre).

Ainsi, leurs actions sont également orientées à destination des jeunes filles de 13 à 18 ans et des femmes en situation de précarité :

« On a toutes besoin de se former. D’apprivoiser notre corps, notre organe vocal. On voit la souffrance du manque de légitimité. On n’est pas du tout armées pour les entretiens, les réunions, les rendez-vous qui peuvent être plein de stéréotypes et d’attaques sexistes. Plus on peut former dès le plus jeune âge, mieux c’est. » 

Elle le dit, à 35 – 45 ans, les femmes sont abimées par ces attaques sexistes et ce manque de légitimité ressenti. Pour la fondatrice des Nouvelles Oratrices, la prise de parole, ça se travaille, ça se pratique :

« En France, on est nul-le là-dessus. On ne travaille pas ça à l’école. On est avec notre « thèse, antithèse, synthèse… ». On n’ose pas parce qu’on n’a pas appris. Et à cela s’ajoute le fait qu’on n’interroge pas les filles et les garçons de la même manière à l’école. On donne plus de crédibilité aux voix plus graves. » 

L’éducation et les stéréotypes genrés pénalisent les femmes, les induisant à la discrétion. Autant dans l’espace occupé par leur corps que par leur organe vocal, considéré péjorativement pour transmettre des commérages.

« Une professeure de collège à Saint-Malo me racontait qu’après le premier confinement, les classes étaient en demi groupe et à ce moment-là, les filles intervenaient beaucoup. En septembre, de retour en classe entière, elles le faisaient beaucoup moins. », souligne la fondatrice des Nouvelles Oratrices, qui insiste sur la notion de pratique : 

« Plus on s’entraine, plus on gagne en aisance. On a besoin de s’outiller et de s’armer. Il faut encourager les filles et les femmes. » 

Fanny Dufour mise sur le partage d’expériences, l’apport de savoir concernant notre histoire et la construction de stéréotypes genrés et sexistes à travers les sociétés, la gestion du stress, l’écoute des émotions, et encore une fois, la pratique.

Et bien sûr, la sororité : « C’est déjà une partie de la solution. En réunion, on peut faire attention à la répartition de la parole, à la manière dont on facilite la prise de parole pour chacun-e et ainsi on peut déjà éviter le mansplaining et la monopolisation de la parole ! ». 

 

Célian Ramis

Elemento Records, label féministe et LGBTIQ+

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La démarche du label, féministe et LGBTIQ+, interroge la place des femmes, personnes trans et personnes non binaires dans le secteur de la culture en questionnant nos représentations et les conditionnements dans lesquels nous évoluons.
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Le talent n’a ni sexe ni genre. Et pourtant, les femmes sont moins présentes dans les festivals, moins programmées dans les lieux culturels et artistiques. Moins visibles, moins médiatisées, sauf quand il s’agit de commenter leur physique, juger leur niveau de vocabulaire, les remettre à leur place lorsqu’elles outrepassent les limites de la condition féminine. Un discours rétro, à faire péter les plombs et surtout à déchainer les éléments…

Dans son diagnostic sur la place des femmes dans le spectacle vivant et les arts visuels, publié en 2019, HF Bretagne signale qu’elles représentent « 60% des étudiant-e-s, 40% des artistes actif-ves, 20% des artistes aidé-e-s par des fonds publics, 20% des dirigeant-e-s, 20% des artistes programmé-e-s, 10% des artistes récompensé-e-s. »

Selon le rapport du Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes de 2018, à poste égal et à compétences égales, une femme artiste gagne en moyenne 18% de moins qu’un homme artiste. Dans les musiques actuelles, l’association bretonne qui défend l’égalité HF dans les arts et la culture présente les chiffres et ils ne sont pas bons. La part d’artistes programmées dans les salles et festivals ne dépasse pas les 20% et se situe, sur 51 structures étudiées, principalement entre 10 et 20%. 

Compter constitue la première étape. Celle qui mène à la prise de conscience. Celle qui met sur la table les questions qui fâchent tant de monde : pourquoi n’y a-t-il pas plus de femmes artistes sur le devant de la scène ? Si le talent n’est pas un critère, doit-on alors en déduire que les femmes n’investissent pas les différents domaines des arts et de la culture ?

« Je suis issue du monde de la fête depuis pas mal de temps maintenant et en teuf, elles ne sont pas nombreuses les femmes. Avec DGTL, j’ai découvert plein d’artistes talentueuses et je me suis alors demandé pourquoi elles n’étaient pas plus reconnues ?! C’est un milieu très masculin, j’en ai parlé avec Emilia Sagués, Léna Morvan et Marie Bergot et on s’est demandé comment on pouvait changer les choses. C’est là qu’on a eu l’idée d’un collectif réunissant différents savoir-faire. Ça permet de créer la force du nombre et des compétences ! », explique Charline Patault, co-fondatrice du label de musiques électros et culture rave Elemento Records, lancé officiellement en décembre 2020 à Rennes.

« Les artistes avec qui on travaille sont pointues, elles bossent d’arrache pied. C’est important qu’elles soient valorisées comme elles le méritent. »
poursuit-elle. 

VALORISATION GLOBALE DES ARTISTES

Elles font bouger les lignes, bâtissant un projet ambitieux basé sur la musique, le street art, les arts graphiques et le spectacle vivant. Et la déconstruction des préjugés, à travers l’identité même d’Elemento Records qui prône des valeurs d’émancipation et d’inclusion et promeut la pluralité des artistes femmes, transgenres et non binaires à travers ses activités de production musicale (podcast, various artist…), de booking et d’organisation d’événements.

L’accueil et l’accompagnement des artistes dans le développement de leurs carrières est également un point central du collectif. L’occasion d’aborder la question de la valorisation dans sa globalité : de la présence scénique à la représentation médiatique, en passant par le contrat juridique mais aussi économique.

« Je n’avais pas conscience au départ de ces inégalités, je me suis intégrée assez facilement en tant que DJ. Au fur et à mesure, je me suis interrogée sur le fait d’être DJ et femme. Et le projet m’a parlé direct. On a fait pas mal de recherches et je me suis rendue compte de l’ampleur du mécanisme d’exclusion. Le plafond de verre, je ne le nommais pas mais il existe. Dans l’asso, on a une spécialiste des droits d’auteur chargée de la partie législative. C’est important de comprendre, par exemple, le fonctionnement de la Sacem et comment récupérer nos droits. Avec ça, on peut guider nos artistes vers une juste rémunération. », explique Léna Morvan. 

LÉGITIMITÉ & SAFE SPACE

Elles connaissent les freins auxquels sont souvent confrontées les artistes, elles les ont identifiés et proposent des leviers en adéquation avec les difficultés relevées.

« La question de la légitimité est essentielle. Ce n’est pas propre à l’électro. Même dans les musiques classiques, on voit que les femmes doivent se battre pour leur légitimité. Il y a plein de filles qui mixent mais qui ne se sentent pas légitimes à monter sur scène. Organiser des ateliers, dans le cadre d’un festival ou autre, ça peut les aider à casser cette barrière. »
analyse Emilia Saguès.

Les membres d’Elemento Records affichent leur volonté et leur détermination à pouvoir monter leurs propres événements, quand ceux-ci seront de nouveau autorisés… Réflexion est faite sur les espaces safe. Des lieux qui favorisent le bien-être et la sécurité non seulement du public mais également de toutes les personnes qui participent à l’événement, qu’il s’agisse des équipes techniques, des organisateur-ices, des bénévoles ou encore des artistes.

« Grâce à la parole des femmes, sur les violences sexistes et sexuelles en milieu festif, on peut travailler sur des protocoles à mettre en place. Ce sont des protocoles qui doivent à chaque fois être pensés et adaptés selon l’événement, le festival, etc. Et puis en amont, il faut faire des campagnes aussi pour expliquer. Il y a des gars qui n’ont pas conscience de mal se comporter car c’est tellement commun de harceler les meufs en soirée… », précise Emilia.

Endroit cosy pour se poser tranquillement, espace dédié à l’échange, charte des festivalier-e-s et des bénévoles, affiche de prévention, identification du numéro de téléphone de l’organisation en cas de soucis, sensibilisation des équipes de sécurité, conférences et tables rondes sur ces sujets, cours de self défense en non-mixité…

Elles s’inspirent des actions mises en place aux festivals Visions ou Astropolis mais également de tout le travail de fond réalisé par l’association Consentis qui nomme les situations, invite à penser nos comportements sociaux et accompagne témoins et victimes à réagir en cas d’agressions, sans soumettre le processus à une injonction. 

LE CHAMP DES POSSIBLES

La démarche du label, féministe et LGBTIQ+, interroge la place des femmes, personnes trans et personnes non binaires dans le secteur de la culture en questionnant nos représentations et les conditionnements dans lesquels nous évoluons, dans une société encore largement patriarcale.

Par dessus tout, Elemento Records valorise des arts, des compétences et des savoir-faire, des manières de penser et d’agir, de s’exprimer à travers différents biais culturels, des parcours et le croisement des disciplines artistiques. Au-delà du sexe et du genre, songent-elles.

Qu’il n’y ait plus de disparités entre les genres. Qu’il n’y ait plus d’étiquettes. Mais des intentions, du partage d’émotions, des espaces d’expression visuels ou sonores. Ou même les deux. Elemento Records, c’est avant tout de la découverte de talents brut et l’ouverture du champ des possibles.

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