Célian Ramis

À la recherche du corps (im)parfait !

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Fanny Chériaux revient sur ce qui a marqué et forgé son corps et son esprit, et décortique la construction sociale de la féminité et ce qui se joue dans les interstices de nos inconscients pétris de clichés et de complexes qui en découlent.
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Dans Venise, un corps à soi, Fanny Chériaux – entourée de Thomas Couppey et Sébastien Dalloni - revient sur ce qui a marqué et forgé son corps et son esprit, et décortique avec autodérision, en musique et en danse, la construction sociale de la féminité et ce qui se joue dans les interstices de nos inconscients pétris de clichés et de complexes qui en découlent. Un spectacle présenté au théâtre du Vieux St Etienne le 13 avril, dans le cadre du festival Mythos.

Alors qu’elle chante sur scène une de ses chansons, deux danseurs improvisent une chorégraphie. Elle aime le moment, elle aime l’idée d’y donner une suite, et puis soudain, elle prend conscience qu’elle aussi, elle va devoir danser. De là, nait l’introspection dans laquelle elle nous propose de plonger dans Venise, un corps à soi. Le rapport au corps, le rapport à soi quand celui-ci est mis à mal par les injonctions paradoxales et patriarcales, par les complexes que l’on intègre et développe, par les étapes de vie qui transforment nos enveloppes corporelles en ennemi public n°1. Au lieu d’en faire un allié, on le rejette, on le déteste, on le maltraite. Et pourtant, il n’en a pas toujours été ainsi. Il y a bien eu un avant l’obligation à se soumettre au poids de la conformité. Surtout pour une femme en devenir.

ATTENTION : INJONCTIONS !

Pas encore bridée, l’enfant qu’elle est aime sauter. Partout, tout le temps, de toutes les manières. Elle aime se bagarrer aussi. Plus le temps passe, plus elle grandit, plus les injonctions pèsent. La pression sociale, c’est dans le fait de ne pas avoir encore ses règles, c’est dans le fait de ne pas encore avoir de hanches et de lolos, c’est dans le fait de ne pas encore avoir fait l’amour. Et pourtant elle va comprendre assez rapidement que c’est une vraie liberté en tant que fille de ne pas encore avoir les attributs de ce qui nous fait basculer dans la catégorie des femmes. Le physique, le physique, le physique. Le physique avant tout. Être sexy mais pas trop, être mince mais pas trop, ne pas être trop grosse non plus, être accessible et disponible mais sans l’être. Répondre à des canons de beauté sans jamais parvenir à atteindre l’idéal requis, ne pas être celle dont tous les garçons sont amoureux, s’imprégner de la culture populaire qui objectifie les femmes… Fanny Cheriaux remonte dans son enfance, nous raconte son adolescence, les chanteurs des années 80 et 90 qui chantent sur les femmes, les films qui sexualisent les corps féminins, et nous livre ses complexes, ses questionnements et ses blessures. 

EXPLOSER LES BARRIÈRES

Accompagnée de Thomas Couppey et Sébastien Dalloni sur le plateau, qui apportent un effet comique, léger et décalé non négligeable, Fanny Chériaux utilise la chanson et le piano, ses outils d’expression depuis de nombreuses années, mais ne se cache pas derrière pour autant. Elle se dévoile, autant qu’elle module son organe vocal. Elle joue avec beaucoup d’autodérision et de sincérité et au fil de son récit renforce sa confiance en elle et en son corps. Le plaisir et la jouissance découverts sur le tard, la PMA à 44 ans qui étouffe le corps et la santé mentale à coup d’injections et de remarques désobligeantes et jugeantes, un avortement et les litres et les litres de sang qui coulent, le temps perdu à cultiver la haine de sa propre enveloppe charnelle parce que trop ceci ou pas assez cela… elle en aborde tous les aspects en décryptant au prisme de la société ce que devenir une femme signifie quand on n’a pas les codes de la bonne meuf. Et puis, elle s’en affranchit et nous émancipe au passage des regards malveillants, culpabilisants et moralisateurs. Venise, un corps à soi est un spectacle qui fait du bien, qui nous fait rigoler et nous insuffle une dose dynamisante de bonne humeur. Qui nous offre un souffle léger, une respiration, une profonde réflexion sur le sexisme et le poids du patriarcat que l’on fait peser sur nos corps et nos esprits. Les blessures infligées pourraient être évitées si on s’y autorisait. Alors osons être douces, être tendres, à l’aise et non conformes aux attendus d’une féminité unique, réductrice et contraignante. Sur l’idée de Virginia Woolf, offrons-nous un espace de bien-être et de liberté. Un espace dans lequel être soi est permis, accepté et assumé. Le grain de folie de Fanny Chériaux, Thomas Couppey et Sébastien Dalloni nous réveille et nous secoue, agissant en nous comme un catalyseur nécessaire à l’expression de nos individualités. Loin de la binarité du genre qui nous enferme et nous oppresse.

Célian Ramis

Le mythe de la sirène, un coup de queue dans le patrimoine

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Premier spectacle de la compagnie rennaise 52 Hertz, Sirènes est un succès burlesque revisitant les monuments mythologiques et patrimoniaux sur lesquels se basent nos fictions, représentations et imaginaires.
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Premier spectacle de la compagnie rennaise 52 Hertz, Sirènes est un succès burlesque revisitant les monuments mythologiques et patrimoniaux sur lesquels se basent nos fictions, représentations et imaginaires. Les 11 et 12 avril, c’est sur la scène du théâtre de La Paillette qu’Hélène Bertrand, Margaux Dessailly et Blanche Ripoche ont charmé le public de Mythos à travers une performance muette, originale et drôle.

Si, aujourd’hui, on pêchait des sirènes ? Elles seraient, pour sûr, enfermées dans un vivarium et vendues en attraction à un public avide de les observer sous toutes les coutures. Qu’y verrait-on dans ce jardin d’acclimatation ? Des créatures glamour et douces au chant redoutable ? Des monstres assoiffés du sang des humains noyés par leur incapacité à résister à l’attirance et au désir éprouvés ? Des êtres hybrides rêvant d’appartenir à la race humaine et prêts à tout pour transformer leur queue en jambes ? Point de départ de la pièce Sirènes, écrit et mis en scène par Hélène Bertrand, Margaux Dessailly et Blanche Ripoche, on assiste, quelque peu désemparé-e-s, à cette situation incongrue et ubuesque. Et pourtant, la compagnie 52 Hertz nous rappelle que nous, les humains, fonctionnons ainsi, enfermant derrière des vitres des animaux mais aussi nos semblables que l’on infériorisera au titre de la race. Pas de pitié donc pour ces figures mythiques qui naviguent en eaux troubles dans nos imaginaires. Pas de traitement de faveur non plus. On les réduit à un espace clos qui n’a rien de naturel et on les dresse, armé-e-s d’un poisson frétillant en guise de récompense. Pour le show. Pour le sensationnel. Pour le frisson. Mais aussi pour nous rappeler qui sont les conquérant-e-s et qui sont les vaincu-e-s. 

INTERROGER NOTRE PATRIMOINE

Ici le fantasme de la sirène s'émiette. Parce que les comédiennes s'amusent à tordre le cou aux clichés qui perdurent au fil des mythes et légendes, sur lesquelles elles se sont fortement documentées et appuyées, allant même jusqu'à un road trip finistérien sur les pas de la première sirène bretonne, Dahut et la légende de la Cité d'Ys. Ici les sirènes paraissent ensuquées et primaires. Des otaries plutôt que des femmes élégantes et gracieuses... Elles explorent l'animalité de la créature rendue servile et domestique, au service de l'attrait humain pour le voyeurisme et la domination. Mais sont-elles sauvages, animales, manipulatrices, cruelles, différentes ? Ou portons-nous simplement des regards biaisés sur elles par rapport à nos propres représentations à travers les siècles ? C'est là ce qu'interroge la compagnie 52 Hertz qui inconsciemment nous amène à nous situer. 

De quoi sont faites nos histoires et quel point de vue parlons-nous ? A l'instar d'Alice Zeniter qui dans Je suis une fille sans histoire (livre qu'elle a brillamment adapté sur scène) décrypte le schéma narratif pour analyser nos rapports et relations avec la fiction et l'Histoire, le spectacle Sirènes revisite par le mime et le burlesque les grandes figures, les batailles, conquêtes, victoires et les heures sombres de nos récits au passé colonialiste et ravageur. Semeur de morts et de souffrances. Que disent-ils, ces récits, de l'animalité et du sauvage ? De l'altérité ? De la féminité ? De notre manière de bâtir nos narrations collectives et communes ? 

ÉCLATER NOS LIMITES

Par la caricature, les comédiennes démystifient la virilité de notre Histoire et déconstruisent les barrières que la masculinité hégémonique a bâti, empêchant l'expression de la pluralité et d'un autre possible, voire même deux ou trois ou plus. De par leurs talents de scénographie, l'humour triomphe et l'espoir surgit. Elles éclatent les limites minimales instaurées par notre patrimoine étriqué. En revenant sur ce qui nous a amené là, elles forgent un futur plus éclairé et optimiste. Où les êtres peuvent exprimer leurs individualités, où les féminités peuvent être plurielles et où la symbiose des vivant-e-s n’est pas qu’une légende : « Hérédité, je te refuse. Je ne suis pas un mythe, une réécriture, pas une femme, pas une surfemme, pas une muse, pas un monstre. Je ne suis pas fini-e. Rien n’est fini. »

 

 

 

 

Célian Ramis

L'empouvoirement des musiciennes

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Le talent n’a pas de genre et pourtant, les chiffres révèlent une faible présence des femmes dans les musiques rock et actuelles. Comment (re)penser l’accompagnement des musiciennes ?
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Le talent n’a pas de genre et pourtant, les chiffres révèlent une faible présence des femmes dans les musiques rock et actuelles. Dès l’adolescence, les garçons sont plus nombreux à créer des groupes là où les filles se détachent des loisirs et par conséquent, de la pratique musicale et instrumentale. Comment (re)penser l’accompagnement des musiciennes ? Sans doute à travers la sororité, la formation des équipes et les ateliers non mixtes…

Fougue et énergie rock sur la scène des Transmusicales, le 4 décembre 2021, grâce aux artistes musiciennes d’Ottis Cœur ! Elles se sont rencontrées en formation, ne sont pas appréciées tout de suite et puis, elles ont fini par se confiner toutes les deux, en mars 2020. Sans intention professionnelle au départ, elles ont composé, expérimenté et chanté ensemble. Ça a matché et de là est née la créativité rugissante montrée à l’Étage du Liberté. Elles prônent l’identité DIY, le rock et le féminisme. Et on se régale autant en visionnant le clip de « Je marche derrière toi » qu’en l’écoutant en live. À la différence que là, on savoure leur panache et leur dynamisme électrisants ! Ça sent bon le garage, le rock alternatif, les influences pop rock et la colère débordante au service d’une créativité rythmique et explosive. Leurs voix s’unissent, les harmonies renforcent leur proposition musicale et accentuent leur discours, scandé en français, dénonçant les violences sexistes et masculines. Leur ras-le-bol des histoires fumeuses, des mecs qui ne pensent qu’à leur gueule – oubliant le plaisir et l’orgasme des femmes - du mensplaining et on en passe, elles l’expriment avec hargne, saisissant et brandissant leurs émotions catapultées sous la forme de forces libératrices et empouvoirantes. Elles bondissent, guitare électrique, basse et batterie saturent et vrombissent, et l’énergie envahit très vite la salle. L’enthousiasme gagne la foule, convaincue par ce mélange de calme, d’amertume et de fureur. Les tripes sur le plateau, laissant entrevoir également leur jovialité, légèreté et humour entre les morceaux, Camille et Margaux signent un set puissant, qui retient notre attention et surtout alimente notre curiosité pour Ottis Cœur, qu’il faudra suivre, c’est certain, dans les prochaines années. Ce sont là les prémices d’un duo bien décidé à chanter fort sans s’excuser. 

PLONGÉE DANS LA SORORITÉ

Pourtant, il ne leur a pas été aisé d’arriver jusque-là. Du talent, elles en ont. De la volonté et de la détermination, également. Des expériences, aussi. Et pas toujours heureuses. Les réflexions sexistes et misogynes du type « T’es une fille, tu ne sais pas jouer » de la part des mecs ou les remarques non appropriées d’un producteur décidant de transformer la musicienne « en diva », elles en ont fait les frais. En formation, via le Studio des Variétés à Paris, dédié au perfectionnement et l’accompagnement des artistes de musiques actuelles, elles découvrent la puissance de la sororité. « La promo était quasi uniquement féminine. Ça a été un levier le côté collectif avec que des meufs qui développent des projets. Ça nous a soudées, on allait se voir en concert. Quand je suis arrivée, j’étais en dépression, prête à arrêter la musique. Ça m’a reboostée de fou ! », rigole Camille.

Le premier confinement arrive, elles s’installent à la campagne dans sa maison familiale et se mettent à composer et à enregistrer ensemble. Isolées, elles vont s’affranchir du regard masculin qui peut mener à l’hésitation ou l’auto-censure et lever les freins éventuels qui pourraient s’interposer avec leur création. « Sans le confinement, on aurait peut-être fait mais plus tard. Être là toutes les deux, préservées des remarques et des doutes, c’était sans barrières. On n’avait jamais joué de batterie avant, on a testé. On avait l’étincelle de l’expérimentation ! », soulignent les membres d’Ottis Cœur. Et pour Margaux, cela marque un tournant décisif dans sa manière d’agir : « Camille m’a inspirée. Avant, je n’aurais jamais osé faire un solo de guitare sur scène. Elle m’a aidée à prendre confiance en moi, à me sentir légitime dans le travail. On discutait beaucoup et c’est important, car un mot positif de quelqu’un-e que tu estimes beaucoup peut tout changer ! » Même son de cloche du côté de sa co-musicienne : « Je n’osais pas sortir de moi-même pour exprimer ma parole et ma voix. J’avais du mal à m’exprimer et à me faire entendre. Margaux m’a permis de libérer plein de trucs ! On trouve des idées à deux, en rebondissant sur ce que dit l’autre… C’est vachement bien ! »

SOLIDIFIER LA CONFIANCE ET LA LÉGITIMITÉ

Découvrir le plaisir de faire de la musique ensemble, de pratiquer d’un instrument, de prendre place dans un groupe de rock… c’est l’objectif du Girls Rock Camp organisé pour la première fois du 7 au 11 février 2022, au Jardin Moderne (et du 13 au 18 février 2023 pour la seconde édition). Parce que comme le rappelle Audrey Guiller, batteuse et coordinatrice de l’événement, « sur les 900 musiciens qui répètent ici, seulement 12% sont des femmes, il est temps que ça change ! » Les chiffres sont édifiants. Selon HF Bretagne, 82% des artistes qui se produisent sur scène, dans le secteur du rock, sont des hommes. Pour pallier à ce sévère déséquilibre, le Jardin Moderne s’engage dans une démarche autour de l’égalité des genres et, en coopération avec l’Antipode, lance son premier Girls Rock Camp, destiné à des adolescentes rennaises âgées entre 14 et 18 ans, sous la forme d’un stage dédié à la pratique instrumentale. Durant une semaine, les huit participantes ont été accompagnées par des musiciennes et techniciennes professionnelles et amatrices. Batterie, basse, guitare, coaching vocal, coaching scénique, flyer, yoga, prise de parole en public… Elles ont découvert les bases et les fondamentaux du rock, son énergie, sa vitalité, l’apprentissage des instruments et la création de musiques originales. Et surtout ont pu prendre confiance en elles. 

Le 11 février, en fin d’après-midi, elles sont prêtes. Elles osent, elles montent sur scène, divisées en deux groupes. Snakes 4, tout d’abord. Main Towanda, ensuite. Timides au départ, on sent rapidement que le stress se dissipe pour faire place au plaisir d’être sur scène. Elles prennent des postures rock, s’affranchissent d’une part de leurs appréhensions et saisissent l’instant pour emporter le public dans l’aventure vécue. Et pour finir, c’est ensemble qu’elles entament a cappella une chanson d’amour que Sam déclame en algérien à sa copine, installée au premier rang. Elle a 17 ans et a décidé de s’inscrire au Girls Rock Camp « par goût de la musique ». La faible présence des femmes dans le milieu musical, elle en avait déjà conscience avant de venir. « C’est clair que ça doit changer ! », poursuit-elle. À ses côtés, Jeanne, 17 ans, a été séduite par le côté « être entre meufs dans un groupe » et Pome, 13 ans, est convaincue que cela a permis « de se mieux se lâcher, s’exprimer et se rendre compte qu’on peut se libérer ! J’aurais beaucoup moins osé avec des hommes autour, c’est certain. » Ce qu’elles retiennent de leur stage, c’est l’ambiance et la sororité, la confiance que cela procure. « Il y en avait une qui avait une idée, la disait, on rebondissait. On était ensemble. On a fait ensemble. On a écouté, testé, beaucoup testé… Là, on voyait du soutien partout, on s’encourageait. On n’était pas en rivalité comme on nous fait croire que les femmes sont. On s’est bien entendues et c’est là, quand tu te sens libre que tu sors ton talent à 100% ! », signale Sam.

CONTRE LES VIOLENCES SEXISTES ET SEXUELLES

C’est certain, mettre entre les mains des filles et des femmes les clés vers leur autonomisation participe à établir les bases d’une égalité entre les genres. La formation de tou-te-s les professionnel-le-s de la musique et des équipes encadrant les événements musicaux et festifs, la sensibilisation aux thématiques féministes ainsi que l’accompagnement des personnes concernées par les structures dédiées dès le plus jeune âge sont nécessaires et essentielles pour prévenir, réduire et éliminer les violences sexistes et sexuelles à l’encontre des personnes sexisées. On la voit l’urgence. Dans la création de labels et maisons de disque féministes et queer tel-le-s que Elemento Records, Warriorecords ou encore Cartelle, dans l’impact des associations comme le mouvement HF, dans les campagnes prônant le consentement en festivals et concerts, dans l’émergence et l’importance des réseaux non mixtes à l’instar de She Said So, dans les projets qui se développent comme Musiciennes au Bastion à Besançon, dans les ateliers d’empowerment et de musique pour les femmes, personnes trans et non binaires tels que les conçoit Salut les Zikettes ou encore les engagements pris par divers-es lieux et scènes de musiques actuelles en faveur d’une égalité matérielle, financière, d’accessibilité aux résidences, scènes, etc… Partout, la sororité doit être au cœur du processus de valorisation des musiciennes.

 

  • Vers plus d’égalité des genres

En janvier 2022, le Jardin Moderne a convié ses adhérent-e-s et partenaires à une assemblée générale extraordinaire afin de lutter ensemble contre les violences sexistes et sexuelles et plus largement les inégalités dans les musiques actuelles. Cet événement s’inscrit dans le projet porté par la structure rennaise initié depuis 2020 autour de la construction d’un plan d’action concret pour aller vers plus d’égalité. L’association indique : « Accompagnée par les structures La Petite et Pluségales, des formations des équipes et du conseil d’administration sont menées ainsi que des groupes de travail pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles, favoriser la pratique musicale des femmes, mettre en place une communication plus inclusive et travailler en partenariat autour des démarches d’égalité. » L’assemblée générale extraordinaire était l’occasion de dresser un premier point étape et de débattre ensemble des avancées à venir. 

Célian Ramis

Vers la reconstruction du corps et de l'esprit

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Les Marie Rose, c'est un salon de tatouage solidaire et thérapeutique, accessible à tou-te-s. Depuis, il est devenu un tiers-lieu safe d’accompagnement pluridisciplinaire post-traumatique.
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En août 2019, Marie Disserbo et Marie Charuel fondent les Marie Rose, un salon de tatouage solidaire et thérapeutique, accessible à tou-te-s. Depuis, il est devenu un tiers-lieu safe d’accompagnement pluridisciplinaire post-traumatique.

« Cette journée-là, j’ai fait 3 tatouages. Les dates de naissance en braille de mes trois enfants sur le poignet, un cœur pour mon conjoint sur le talon et une phrase « nec plane eadem nec plane altera » - « ni tout à fait la même ni tout à fait une autre » - pour moi sur la colonne vertébrale. » Cette journée-là, Emilie Lebrun, 38 ans, l’a passée au salon des Marie Rose, à Rennes. Parce qu’elle a combattu le cancer du sein et qu’elle a entendu parler de l’association, dont elle a immédiatement apprécié le projet : « J’avais déjà l’idée d’un tatouage avant de les contacter. Leur projet m’a plu. Le fait de pouvoir contribuer financièrement par ce biais à aider d’autres personnes m’a emballée. » Et puis, c’est pour elle une avancée, « une autre étape dans la reconstruction. » Emilie le formule : « Les tatouages m’aident à me réapproprier mon corps après l’épreuve de la maladie. » Une vraie démarche de reconstruction qui fait du bien, conclut-elle.

ENCRER, RESPIRER, PARTICIPER

Point majeur des Marie Rose, c’est bien un lieu d’accueil, d’écoute et d’accompagnement que le duo fondateur propose. Quand Marie Charuel rencontre Marie Disserbo, elles sont toutes les deux à un tournant important de leurs existences. La première est en pleine reconversion professionnelle, avec la volonté forte d’être tatoueuse, et la seconde, est récemment guérie d’un cancer du sein et réfléchit à l’idée d’un lieu non médicalisé. « Je venais de perdre ma mère, décédée de la maladie de Charcot, et j’avais lu un fabuleux article dans Causette sur le tatouage réel. Je voulais du sens ! Devenir tatoueuse pour aider les gens à se reconstruire après la maladie. », souligne Marie Charuel, alias James Blonde. Ainsi, en 2019, elles fondent leur structure d’accompagnement post traumatique, tout d’abord sous la forme d’un salon de tatouage solidaire et thérapeutique, ouvert à tou-te-s. « Tout le monde peut venir. Que ce soit pour un besoin thérapeutique ou esthétique. Une partie du prix est reversé dans un pot commun, ce qui permet de financer des tatouages pour des personnes qui n’en ont pas les moyens. », ajoute-t-elle.

Au départ près de la gare, les Marie Rose ont recherché un nouveau local et ont déménagé à Cleunay, leur permettant de développer leur projet dans un espace plus grand, afin d’y accueillir un panel d’activités pluridisciplinaires, dédiées à la diffusion d’informations mais pas uniquement : « Il y a un vrai trou dans la raquette dans les parcours de soin. Quand on est guéri-e-s physiquement, ce n’est pas forcément la fin. Psychologiquement, on en est où ? Surtout que les traumatismes sont divers et variés. On souhaite créer un lieu, toujours non médicalisé, qui permette de trouver un max d’infos mais aussi une écoute et un accueil particulier. Avoir un panel de professionnel-le-s, composé d’avocat-e, diététicien-ne, psychologue, sophrologue, sexologue, et des pratiques qui peuvent apporter des réponses à des traumas spécifiques. » A travers le tatouage notamment mais aussi un centre de ressources, « peut-être aussi une friperie solidaire avec des vêtements non genrés et un lieu de vie ouvert à tout le monde encore une fois, dans lequel on pourrait organiser des événements, des conférences, etc. » Il est toujours possible de les soutenir et de les aider via une campagne de financement participatif.

DES PARCOURS MULTIPLES ET PLURIELS

Deuil, maladies, accidents, grossesses extra-utérines, fausses couches, kyste enflammé, handicap dû à un traumatisme crânien non traité dans les temps, violences verbales, transition de genre, cicatrices, volonté de participer au projet… Nombreuses sont les raisons qui amènent les personnes à pousser la porte des Marie Rose. « Le tatouage est un acte qui permet de décider d’être maitre de son corps. Reprendre l’emprise sur son corps, ça revient quasiment à chaque fois dans les discussions. Car pour beaucoup, ils et elles ont subi des drames qui sont vécus comme imposés, puisque la personne n’a pas le contrôle dessus. On parle bien de subir des violences, subir la maladie, subir un accident. », commente la tatoueuse qui dans son quotidien rencontre tous les cas de figure. Pas de parcours type. Que des histoires de vie personnelles portées et ressenties de manière singulière. Qui donnent lieu à des dessins uniques, symbolisant ou non l’expérience de la personne. « Une femme malgache, adoptée à 14 mois, cherche à retrouver ses parents biologiques. Elle est venue pour se faire tatouer l’île de Madagascar. Une femme est venue pour une grossesse extra-utérine, elle a souhaité une étoile dans le bas du dos, au même niveau que l’utérus. Chaque personne est différente et chaque dessin aussi. », signale Marie. Elle le dit : il n’y a pas de règle dans le chemin de la reconstruction qui demeure propre à chacun-e. « Une femme a fait une fausse couche et est venue ici une semaine après. Une autre qui a eu un accident de cheval est venue des années après. Encore une autre est venue deux mois après le décès de son frère. Chacun-e fait son chemin différemment. », précise-t-elle.

UNE ÉTAPE LIBÉRATRICE          

Le tatouage, tel que le pratique James Blonde, peut s’avérer comme une étape importante vers l’apaisement moral, vers la sérénité d’un corps meurtri à un moment donné. Sans oublier le pouvoir d’une écoute bienveillante et non jugeante. Ce dont témoigne Emilie Lebrun : « Le contact avec Marie a été super dès les premiers échanges. Les temps passés en sa compagnie sont un réel plaisir. On se sent libre de poser les questions, de se livrer, on est en confiance. » Avoir le choix. De parler ou pas. D’expliquer leurs motivations ou non. Chacun-e est libre de livrer son récit ou de le garder pour soi. « C’est déjà une grosse étape d’être parvenue à nous contacter. Personnellement, j’estime que c’est bénéfique de parler mais chacun-e l’entend comme il ou elle peut. Nous, on propose une oreille attentive et un espace safe. Chaque personne est libre de parler ou pas. Tout le monde n’a pas envie de cette écoute et on respecte. », confie Marie Charuel. Faire en fonction des besoins. Un terme qui revient régulièrement dans les propos et les échanges. Des besoins qui peuvent être psychologiques et/ou physiques. De reprendre la main sur son corps. De ne plus subir ce qui fait le trauma.

« C’est une forme de catharsis. De résilience. Modifier son corps pour l’enjoliver ou le faire différent de ce qu’il a été. Le corps qui vieillit, le corps qu’on vient marquer… Il s’agit vraiment de la vie du corps ! »

Que l’on vienne pour un tatouage thérapeutique ou esthétique, Marie Charuel y voit là une vraie affirmation de la personne vis-à-vis de son corps : « C’est un acte puissant, de s’encrer le corps pour se le réapproprier ! Dans cette vie qui est la notre, le corps est exposé à tout va et en même temps, il est tabou. C’est hyper politique selon moi de dire « Mon corps m’appartient ! » !!! »

Célian Ramis

La résilience, entre rage, rap et paillette

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Un cri. Un hurlement. Une fête. Une pente glissante. Un tourbillon. Un spectacle coup de poing. Un spectacle qui fait du bien. Une histoire noire aux couleurs de l’arc-en-ciel. Trou témoigne du parcours d’une femme victime de viol en chemin vers la résilience.
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Un cri. Un hurlement. Une fête. Une pente glissante. Un tourbillon. Un spectacle coup de poing. Un spectacle qui fait du bien. Une histoire noire aux couleurs de l’arc-en-ciel. On pourrait s’y perdre mais pas du tout. Mathilde Paillette et Lauren Sobler nous ont guidé, le 15 mars dernier, à la MJC Bréquigny, avec agilité dans Trou, témoignant du parcours d’une femme victime de viol en chemin vers la résilience. 

« Je ne ferme pas ma gueule ! Je suis une enfant tombée du nid… Je ne ferme pas ma gueule ! » Elle chante de plus en plus fort. Avec ses samples, les voix et rythmiques prennent l’espace. Elles amplifient l’effet et donnent le ton : Paillette est une jeune femme libre, qui conduit des poids lourds, n’est pas biodégradable et est « méga giga indestructible. » Elle brille à l’infini et scintille, partout. Liberté, grain de folie, jovialité, légèreté… Paillette cultive tout ça en elle. Elle ne ferme pas sa gueule et elle a bien raison. Il y a chez elle cette insouciance et cette candeur de l’enfance. Et puis il y a aussi cette pression et ces injonctions de l’âge adulte, en particulier quand on est une femme. Elle passe beaucoup de temps sur les chantiers avec sa chatte, Cindy, qui adore regarder les grues et flirter avec. Mais ce jour-là, aux abords des travaux près de la gare, une grue écrabouille sa chatte et se barre, laissant Cindy meurtrie…

UNE QUÊTE COMPLEXE

Point de départ de l’histoire, le viol n’est pas directement au centre du spectacle qui s’attache, avec rage et panache, à valoriser la quête de Paillette vers la résilience. Pour cela, elle sera accompagnée de la resplendissante sirène, aux gros jambons, à l’allure décapante et aux airs de diva. Dans l’océan de larmes, le trou, le chemin qui pue, le pays magique… Paillette le dit : « Il ne faut pas mourir, je ne courberais pas l’échine. » Annihiler la souffrance. La faire disparaitre. La nier pour ne plus y penser. La colère, contre la culture du viol. L’ivresse, pour s’en échapper et ne plus étouffer. Mais même dans un pays enchanté, sans grues et sans mort-e-s, Paillette est hantée par les questions incessantes et culpabilisantes. Se justifier. Sans arrêt. Elle, la femme qui jouit sans honte et sans détour, la femme qui prend le mic’ face à un gang de mecs qui rappent, la femme qui n’a pas peur de se lancer à l’aventure, d’assouvir ses désirs et de l’ouvrir… Elle se perd. Ne sait plus ce qu’elle veut. Assaillie par la dureté des jugements, elle manque de souffle dans un univers qu’elle croyait bon mais qu’elle découvre nauséabond. Dès lors, une seule obsession : retrouver Cindy.

DE L’AUTRE CÔTÉ DU MIROIR

Cabossée, apathique… Sa chatte est abîmée. Comme les bras de Paillette et son cœur paillasson. Alors, face à la grue, elle se confronte et affronte sa colère, qu’elle libère dans un flot de paroles assassines. Elle renverse le stigmate et lui jette à la figure. Le propos est cinglant et cathartique. Empouvoirant. La sirène peut s’en aller désormais : « Tu sais la défendre maintenant et elle, elle te guide partout ». Cindy et Paillette ne font plus qu’une et avancent, conjointement, sur le chemin de la résilience. Puisqu’il est là le sujet principal de l’histoire de Trou qui déploie humour, poésie, rap et rage dans une pièce musicale contée qui nous happe et nous saisit avec force et finesse. Au fil de ses concerts, spectacles et travaux d’écriture, Mathilde Paillette a fini par réunir tous les morceaux en un seul, Trou en est l’aboutissement. Avec Lauren Sobler, dans le rôle de la sirène, la comédienne et musicienne nous propose une exploration d’émotions diverses et contradictoires qui mènent tout droit à l’explosion et l’apaisement. C’est riche, intense et éblouissant. Parce que le duo s’autorise à puiser dans l’imaginaire enfantin, à tirer les fils de l’insouciance et de l’innocence, à dire, hurler, mimer, danser, rapper… à entremêler le rire et l’horreur, à affirmer que non c’est non et à assumer de continuer à dire oui. Parce que le duo touche au cœur, sans user la corde sensible ni les cordes vocales. Là où le bât blesse, elles trouvent les mots pour renforcer le propos. Dans des situations pourtant si difficiles à décrire, elles parviennent à doser le témoignage tout en poésie, réalisme et en ressenti. 

PLONGER SANS FILET AVEC UN DUO DE TALENT

Paillette, protagoniste et artiste créatrice, s’affranchit des codes et des étiquettes. Elle convoque les émotions, les paroles, les styles, les notions et les concepts, les secoue et se les approprie. Ne pas déranger. Ne pas faire de bruit. Ne pas bouleverser l’ordre établi. Ne pas baigner dans la vulgarité. Ne pas déborder. Paillette et Sirène envoient tout péter. Elles prennent leur place et leur espace, elles vont trop loin, elles sombrent dans la caricature, elles crient, elles tapent des pieds, elles éclatent les carcans de leur condition de femmes, elles ne revendiquent pas un engagement en particulier. Elles disent, elles font, elles cherchent, elles questionnent, elles avancent, elles s’aident, elles expérimentent et ressentent, elles s’accompagnent, elles nous embarquent avec elles, dans leurs peurs, angoisses, combats, forces, singularités, univers artistiques, succès, etc. Et on plonge. On plonge avec elles dans le trou. On tombe dans le désarroi et la solitude et on comble le vide et le trauma. On remonte à la surface, avec la puissance de l’espoir et la force de la sororité. On se délecte de cette proposition sensible qui explore les recoins d’une âme en souffrance sur le chemin de la résilience. Avec son lot de doutes, de contradictions, de faiblesses, de déni mais aussi de forces, de capacités à rebondir, à s’adapter et à sublimer et à nuancer la noirceur de la réalité. Sans la renier. Ne pas juste survivre. Remonter à la surface, respirer et vivre.

Célian Ramis

Écrire les luttes féministes algériennes au pluriel

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Le 13 mars, Amel Hadjadj, militante féministe et co-fondatrice du Journal Féministe Algérien, est revenue sur l'histoire des luttes des femmes, d'hier et d'aujourd'hui, en Algérie, à la Maison Internationale de Rennes.
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Le 13 mars, l’association de Jumelage Rennes-Sétif invitait Amel Hadjadj, co-fondatrice du Journal Féministe Algérien, à la Maison Internationale de Rennes pour une conférence sur les luttes féministes, d’hier et d’aujourd’hui, en Algérie. 

« L’Histoire a été écrite par les hommes, pour les hommes. », rappellent la militante féministe Amel Hadjadj. « On manque de ressources et d’archives. On retrouve toujours les mêmes figures féminines dans l’Histoire. Il y en a 6 ou 7 qui reviennent régulièrement. », précise-t-elle. Le matrimoine algérien est minimisé. Ainsi, dans le récit féministe que les militantes entreprennent de raconter, un grand travail est effectué à ce niveau-là. « Les femmes sont la moitié de la société. 44 millions de personnes en Algérie. 22 millions de femmes donc… », souligne-t-elle. Une moitié d’humanité qui a besoin de connaitre son héritage sans que celui-ci soit amputé d’une partie de son histoire et sans que celui-ci soit dénaturé par les stéréotypes de genre. « On décrit les femmes pendant la guerre comme infirmières. C’est très bien, il en fallait mais on minimise leur rôle. Pendant la guerre de libération, les femmes poseuses de bombes ont pris des risques énormes ! Certaines sont mortes, SDF, dans l’anonymat… Pour transporter les armes, il fallait des femmes car les hommes se faisaient fouiller. Si elles se faisaient prendre, elles étaient violées, emprisonnées, etc. », scande Amel Hadjadj. Aux détracteurs qui estiment que la réhabilitation des femmes à travers l’Histoire est un argument biaisé pour simplement se donner une légitimité, elle répond :

« Je veux qu’on rende justice à ces femmes ! » 

SCOLARISATION ET TRAVAIL 

C’est en 1947 qu’est créée la première association de femmes en Algérie - l’Association des femmes musulmanes algériennes – venant préciser ici la spécificité de la condition des femmes. Quelques années plus tard, l’indépendance est déclarée et l’Algérie organise sa première assemblée constituante. Les femmes y sont quasiment absentes. « Elles sont 5 ou 6 sur plus d’une centaine de personnes ! Même les progressistes disaient que les femmes devaient retourner en cuisine… », signale Amel Hadjadj. L’Union des femmes organise la première manifestation le 8 mars 1965. Les pancartes prônent le soutien à toutes les femmes dans le monde vivant encore sous l’oppression du colonialisme mais ce jour-là est aussi l’occasion de revendiquer leur droit de travailler. 

« Seulement 3% des algériennes travaillaient après l’indépendance. Le patriarcat et la mentalité algérienne acceptaient les enseignantes et les infirmières… » Elles se battent également pour la scolarisation des filles et des ainés, de manière générale, souvent envoyés tôt au travail pour aider le patriarche. À Alger, elles marchent du centre de la ville jusqu’à la baie où elles jettent leurs voiles : « C’est un acte éminemment politique mais cela n’a rien à voir avec le débat sur le port du voile. Il s’agit là d’un symbole : elles jettent le voile que portent les femmes au foyer. Les travailleuses, elles, ont une autre tenue. Elles luttent ici pour le travail. »

INSTAURATION DU CODE DE LA FAMILLE

Vont se multiplier les projets de loi concernant un code de la famille. Les codes français (civil, pénal, etc.) seront traduits. « Cela ne s’inscrivait pas du tout dans le reste des progressions du pays. Cela amenait la société vers quelque chose qu’elle n’avait jamais vécue ! », explique la militante. Après deux versions avortées – que les femmes des parlementaires ont faites fuiter auprès des étudiantes pour qu’elles les dénoncent – le code de la famille est promulgué en 1984. Dedans figure, entre autres, « le devoir d’obéissance à son mari et à la famille de son mari et tout un tralala… ». Amel Hadjadj réagit :

« C’est toute une idéologie qui opprimait les femmes des autres pays qu’on a importé ici. Aux luttes pour la scolarisation et le travail, s’ajoute l’abrogation du code de la famille. »

À cette époque, c’est un parti unique qui gouverne le pays. D’autres mouvances s’organisent en souterrain, dans la clandestinité, et font naitre à la fin des années 80 – à la création du multipartisme - des associations luttant contre cette répression politique à l’encontre des femmes. « Mais les années 90 arrivent et avec elles, le terrorisme. » Les féminicides se multiplient. Elles meurent parce qu’elles refusent de porter le voile. Elles meurent parce qu’elles s’assument féministes. Le mouvement est meurtri et entame les années 2000 fatigué. Les associations historiques des années 80/90 disparaissent quasiment toutes. 

UNE NOUVELLE DYNAMIQUE

La société algérienne n’est plus la même, signale Amel Hadjadj : « Il y a eu une rupture. On n’est plus dans l’organisation. Certains traumas de l’Histoire du pays n’arrivent pas à être dépassés. Beaucoup de féministes de ces années sont d’ailleurs venues vivre en France. Ma génération arrive et finalement, on revient inconsciemment à la clandestinité. Des associations naissent, les sujets ne sont plus les mêmes… » On y parle harcèlement, communauté LGBT, violences, etc. mais le contexte ne les rend ni visibles ni audibles. Un tournant s’opère en 2015 et, comme elle le dit, la force des réseaux sociaux met en lien des féministes d’hier et d’aujourd’hui et fait la lumière sur l’ampleur des féminicides. « On organise des rencontres intergénérationnelles féministes algériennes. Ce n’est pas simple de se comprendre et de comprendre les traumatismes des anciennes. », poursuit-elle.

En 2016, à Constantine, sa ville natale, un nouveau féminicide pousse les militantes à organiser un sit-in : « L’assassin était en cavale, il fallait qu’on diffuse partout sa photo. Des sit-in ont été organisés à Constantine, à Alger, à Oran et ailleurs. Le bruit incroyable que ça a suscité a permis d’arrêter l’assassin. Et ça nous a obligé à sortir du cocon des réseaux sociaux ! » En 2019, elles réalisent qu’un mouvement d’ampleur s’organise : « J’ai déménagé à Alger pour avoir plus de liberté et pour pouvoir lutter. Un mouvement grandiose se passe. Le collectif féministe d’Alger se cache toujours mais il y a une vraie volonté de rencontrer les autres. » Un besoin immense de reprendre en main l’histoire effacée de toutes les femmes dont le rôle a été minimisé, bafoué, méprisé, écarté, etc. Des carrés féministes s’instaurent dans la capitale mais aussi à Oran et en Kabylie. « Les survivantes des années 90 reprennent les associations qui avaient disparu. Ce qui n’a pas plu à tout le monde. Mais tant pis, le principal, c’est de s’organiser. », se réjouit la militante féministe. 

DES FÉMINISMES, AU PLURIEL !

Né ainsi le renouveau des dynamiques féministes. Elles sont de plus en plus dans l’espace public mais aussi dans les sports et d’autres secteurs de la société. Elles s’imposent. Mais cela n’est pas suffisant. De nombreuses revendications perdurent et les militantes sont sans cesse attaquées et décrédibilisées. « On a essayé de mettre les féministes dans les cases de tous les traumas, y compris ceux qui n’ont pas été traités. Pour moi, il y a une urgence à décoloniser les luttes. La peur des autres, de son passé et la violence sont encore présentes. En plus du patriarcat… La révolution, c’est pas les bisounours. Il faut continuer de sortir et de s’organiser malgré les divergences et les rejets. », commente Amel Hadjadj. Les médias et partis politiques adaptent leurs discours, intégrant de plus en plus les problématiques et revendications féministes. En parallèle, est créée l’association du Journal Féministe Algérien. « En 2015, on a ouvert une page sur les réseaux sociaux pour annoncer le sitting. On a eu de l’impact. On couvre tout ce qui se fait, les mouvements féministes, les lettres ouvertes, etc. Il faut continuer à s’organiser. », insiste-t-elle. Elle poursuit :

« Le vécu nous a poussé à réaliser qu’il n’y a pas un seul féminisme, mais plusieurs. C’est pour ça qu’on a fondé l’association. On veut rassembler toutes les femmes, qu’elles soient toutes représentées, qu’elles puissent toutes s’exprimer. »

L’idée : aller à la rencontre des groupes locaux, à travers tout le pays, afin de les accompagner dans leurs luttes. « On travaille à un manifeste des mouvements féministes algériens, pour créer le rapport de force. », signate-t-elle. Intrinsèquement liées aux territoires, les revendications diffèrent selon les zones : manque de gynéco, taux minime de travailleuses, absence de maternité… « Il y a des luttes qui sont plus visibles que d’autres. Notre association lutte pour qu’on ait toutes le même niveau d’informations. », insiste Amel Hadjadj. Visibiliser tous les combats sans les hiérarchiser et les prioriser. Valoriser les militantes, leur courage, leur diversité, leur pluralité, singularité et résilience. « En 2019, proche d’une des frontières Sud de l’Algérie, a lieu un viol collectif d’enseignantes dans leur logement de fonction. En mai 2021, une manifestation est organisée contre le viol. Des femmes sont venues de partout ! Elles n’ont pas simplement dénoncé les viols, les violences et l’insécurité, elles ont aussi réaffirmé leur volonté de travailler. Malgré le drame, elles ont dit : « On n’arrêtera pas de travailler ! » Il n’y a pas une seule région dans le pays où il n’y a pas de femmes en mouvement. », poursuit-elle avec hargne.

De nouvelles générations de militantes féministes émergent en Algérie et Amel Hadjadj témoigne de l’ampleur grandissant de l’engouement. Les revendications se multiplient. Les mouvements prônent la liberté d’être et d’agir, la pluralité des voix et des voies de l’émancipation, la diversité des identités et l’importance de la reconnaissance et de la prise en considération de toutes les personnes concernées, leurs spécificités, leurs trajectoires, traumatismes, souffrances et moyens d’organisation. 

Célian Ramis

Explorer la sexualité dans le cinéma de genre

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Comment sont représentés la sexualité et le plaisir féminin à l’écran, et notamment dans les courts-métrages fantastiques ? Cyrielle Dozières, directrice de Court Métrange, et Maude Robert, philosophe, interrogent ces notions à travers le monstrueux...
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Comment sont représentés la sexualité et le plaisir féminin à l’écran, et notamment dans les courts-métrages fantastiques ? Cyrielle Dozières, directrice du festival Court Métrange, et Maude Robert, philosophe, ont interrogé ces notions et la figure monstrueuse qui y est associée, à l’occasion d’un ciné-débat le 10 mars, au musée des Beaux-Arts.

Une femme devant le miroir se déshabille. Elle se regarde, se touche, scrute son corps. Au fil de sa chorégraphie, elle sculpte son désir, le laisse s’évader et fait corps avec avant que celui-ci ne s’incarne, entre ses cuisses, en loup léchant son sexe. La respiration bestiale se fait entendre au milieu d’une forêt qui jaillit et dans laquelle commencent une course poursuite et une danse charnelle entre la femme et cette figure monstrueuse qu’elle tient à distance, embrasse, rejette, enlace, repousse avant de lâcher prise et de se faire dévorer par son désir grandissant qui la pénètre jusqu’à la jouissance. Fin du premier court-métrage. Celui de Vladimir Mavounia-Kouka, La bête, réalisé en 2013. Une forme dans laquelle le plaisir féminin est esthétisé, par l’animation en noir et blanc et le crayonné délicat et virevoltant, mais aussi mouvementé et teinté de brutalité dans un acte masturbatoire subjectif et consenti. La tension oscille durant le film, proposant des moments de respiration et d’apaisement, avant l’explosion menant à la sérénité et la libération. 

Une ambiance très éloignée du deuxième court-métrage présenté ce soir-là, celui de Joséphine Hopkins, réalisé en 2016 et intitulé Margaux, du nom de la protagoniste. Une lycéenne de 16 ans dont les premiers émois sexuels et la découverte du désir sont caractérisés symboliquement par une créature monstrueuse rodant à chaque balbutiement de plaisir. Noirceur, mal être, pression sociale, insultes et agression physique, enjeu de séduction et domination patriarcale s’emparent de la jeune fille et s’exercent tout au long de la projection, suscitant de très nombreuses interrogations quant à un final associé au genre horrifique qui laisse libre cours à notre imagination.

QUESTION DE REGARDS

Difficile de parler de représentation de la sexualité et du plaisir féminin sans évoquer la problématique du male gaze, traduit en français par regard masculin. Théorisé en 1975 par Laura Mulvey, il encadre toute une culture visuelle imposant, à travers le corps des femmes, l’expression de leur sexualité, leurs postures, attributs et soumission, une vision patriarcale hétérosexuelle cisgenre dans le but de satisfaire le plaisir masculin. Cyrielle Dozières, directrice du festival Court Métrange à Rennes, rappelle que plus récemment, c’est Iris Brey qui a, en France, réintroduit cette notion sous l’angle du regard féminin qu’elle analyse dans son livre éponyme. Elle décrit la représentation de la sexualité comme un spectacle et non comme une expérience. « Les deux courts-métrages que l’on a sélectionnés ne sont pas dans cette optique-là, mêmes s’ils sont imparfaits et qu’on peut interroger des choses dedans. Il faut déjà préciser qu’en 19 ans de festival, il y a eu très peu de films qui ont présenté le plaisir féminin et la sexualité. Ici, ils montrent le plaisir par l’expérience de la femme, par l’intérieur du personnage. », précise-t-elle, en ajoutant : « C’est très important de pouvoir représenter le corps et le plaisir d’une femme qui n’est pas dépourvue d’une personnalité. »

Permettre aux personnages féminins d’incarner les sujets de leurs histoires et trajectoires. Comme dans La leçon de piano, de Jane Campion, dans lequel la réalisatrice fond sa caméra dans le vécu de sa protagoniste. « On sent l’émoi et l’excitation sexuelle. On sent le corps en effervescence. C’est quasiment la première fois au cinéma. », s’enthousiasme la philosophe Maude Robert. Nous sommes en 1993 et depuis, la sexualité des femmes restera majoritairement figée dans l’imaginaire collectif dans des représentations et des reproductions de la vision patriarcale et des rapports de dominations qui perdurent dans la société. Gros plans sur les fesses et les poitrines des femmes, scènes de nudité féminine et de sexe hétéro qui n'apportent souvent rien au propos du film, démonstration de force et de violence dans les rapports sexuels et les relations femmes-hommes, absence de sexualités plurielles et variées, etc. constituent les principaux reproches au fameux male gaze, retranscrit également par les femmes, imprégnées de ses schémas sociaux et cinématographiques. 

SE LIBÉRER DU REGARD MASCULIN

« Le premier film de Gustav Machaty, Extase, en 1933, est un affront extraordinaire. Il a été censuré parce qu’il dévoile frontalement le plaisir féminin. Le cinéaste essaye vraiment de nous faire vivre l’expérience. D’autres ont essayé… C’est vraiment une histoire en pointillés et elle n’est pas terminée ! Il faut vraiment s’interroger sur comment on peut filmer les corps de femmes et leur plaisir pour s’affranchir du regard masculin. C’est précieux de venir imager la quête du plaisir. », commente Cyrielle Dozières. Aussi bien dans La bête que dans Margaux, les deux personnages sont en recherche autour de leur sexualité et de la manière dont elles vont pouvoir éprouver du plaisir, à travers leur corps mais aussi à travers le regard des autres et l’approbation – ou désapprobation – sociale. Associée à la figure du monstre, la sexualité de l’une et de l’autre semble explorer leur propre psyché, leur inconscient, tel que l’analyse Maude Robert, au prisme de la psychanalyse : « Dans le premier, on serait plutôt dans quelque chose de l’ordre de la pulsion, du fantasme. Dans le deuxième, il semblerait qu’on soit dans la représentation de sa subjectivité et de son inconscient. »

Elle parle de la pulsion de mort, certainement enfouie chez Margaux. Représenter l’irreprésentable. « Mettre en image ce qui nous traverse inconsciemment. », poursuit-elle. Le spectateur plonge alors dans la tête d’une jeune fille qui découvre ses premiers émois. Les deux professionnelles constatent également la faible présence des personnages masculins. « Ce n’est pas très fréquent au cinéma. Le plaisir féminin est souvent associé à la présence masculine. », souligne la directrice de Court Métrange. Pourtant, Margaux semble bel et bien construire son rapport à la sexualité directement en lien avec le regard des hommes de son environnement scolaire (camarade de classe, prof…) et son angoisse pourrait venir de cet apprentissage biaisé par le poids de la norme et de la pression sociale. Puisque c’est à l’adolescence, lorsque survient la puberté, que les filles deviennent objetisées et sexualisées par le regard patriarcal. Une période charnière durant laquelle elles intègrent l’injonction à être séduisantes, à paraitre sexuellement disponibles, sans pour autant apprendre à découvrir leurs corps et désirs personnels. 

LA FIGURE DU MONSTRE

Le plaisir féminin est souvent tabou. Honteux, caché. À l’instar des organes sexuels qui sont en partis dissimulés et méconnus. « Pendant le Moyen-Âge et la Renaissance, les femmes étaient considérées comme lubriques. Celles qui attirent et qui sont attirées. Parce qu’elles sont facilement corruptibles, sensibles, etc. elles sont davantage tentées par le malin, le diable. Leur appétit sexuel était considéré comme vorace et insatiable, c’est pourquoi on a pensé qu’il fallait endiguer le plaisir féminin. Cette pensée a traversé les siècles. », analyse Maude Robert. Tentation, peur, sexualité, mort, plaisir se croisent, se confrontent et se répondent dans les deux courts-métrages. « Ce sont des thématiques qui irriguent complétement le cinéma de genre. Le genre horreur. », ajoute Cyrielle Dozières. La dualité, le choc, la résistance et l’acceptation semblent des étapes essentielles à la découverte de la sexualité. L’aspect pulsionnel dont parlait déjà Maude Robert refait surface, servant de levier dans la compréhension de l’utilisation de cette figure monstrueuse : « Dans les pulsions, il y a une forme de monstruosité. La vie pulsionnelle en général ne correspond pas aux valeurs morales. Il y a les pulsions de mort, de destruction, d’agression, d’autodestruction. Et il y a les pulsions de vie, d’autoconservation et de sexualité. Tout ne se dit pas en société. Ce n’est pas étonnant d’en passer par le monstre. » Dans La bête, elle y voit une forme de rêve « et le rêve s’achève toujours par la satisfaction du désir. » Si le final indique la jouissance, on peut interroger le rapport de domination montré dans la course poursuite dans la forêt. « Et pourquoi toujours passer par la pénétration ? Est-ce que ce film interroger les limites entre l’acceptable ou non ? On voit une forme de bestialité qui finit par être acceptée. », questionne Cyrielle Dozières. 

INJONCTIONS PARADOXALES

La figure du loup dans La bête, la créature gluante et repoussante dans Margaux, nous amènent rapidement à entrevoir les intentions des réalisateur-ice-s comme étant celles d’associer la sexualité au côté sauvage et sale afin de dénoncer son aspect culturellement mal vu lorsque les femmes se livrent à leurs pulsions. La figure monstrueuse semblerait par conséquent incarner le désir et le plaisir des femmes, honteuses de les éprouver et de s’y abandonner. Il se peut aussi que la flaque visqueuse et tentaculaire qui hante Margaux soit la représentation d’une société elle-même monstrueuse. « On retrouve dans le court-métrage cette ambivalence entre la société qui demande aux filles d’être sexualisées mais qui punit, ici par une agression, lorsqu’elles passent à l’acte. », signale la directrice de Court Métrange. Avec Maude Robert, elles établissent des hypothèses : « Margaux est peut-être effrayée par sa propre libido. Les tentacules du monstre symbolisent peut-être son fantasme. Ou peut-être un symbole de mort ? Ou alors, est-ce qu’il s’agit d’une projection de son mal être ? » Pas de réponse. Des indices sont distillés dans le film mais c’est à chacun-e de faire son cheminement et de trancher, ou non. Une piste audacieuse est élaborée par les deux intervenantes : celle de l’inceste. 

Que l’on adhère ou non à cette thèse, la discussion menant à différentes pistes d’analyse et aux multiples hypothèses de Cyrielle Dozières et Maude Robert démontre l’ampleur d’un sujet comme celui de la représentation de la sexualité et du plaisir féminin. La thématique questionne et fait débat. Qui filme ? À travers quelle perception ? Dans quel contexte ? Pourquoi ? Comment ? Se situer semble essentiel comme dans tout propos développé autour de sujets controversés par la morale patriarcale (hétéro cisgenre) et blanche. Diversifier les propositions, les visions, les représentations. Surtout lorsque le fantastique interroge le réel, il suscite les réflexions profondes et incite à donner libre cours à nos imaginaires. Toutes les formes d’art les construisent en partie et les nourrissent en profondeur. Cultivons-les pour nous élever, nous libérer et nous faire prendre notre pied ! 

Célian Ramis

Femme, Vie, Liberté : la gronde du peuple iranien

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La sociologue et politologue Hanieh Ziaei décrypte les mouvements de contestation en Iran, au prisme du genre et du caractère indivisible des luttes réunissant femmes et hommes autour des valeurs de liberté et de démocratie.
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Invitée par l’Association franco-Iranienne de Bretagne, la sociologue et politologue Hanieh Ziaei a décrypté, le 8 mars à la Maison Internationale de Rennes, les mouvements de contestation en Iran, au prisme du genre et du caractère indivisible des luttes réunissant femmes et hommes autour des valeurs de liberté et de démocratie.

« Femme, Vie, Liberté ». Le slogan résonne. À travers l’Iran mais aussi bien au-delà des frontières érigées par l’État Islamique qui gouverne le pays depuis 44 ans. À Paris, le musée d’art moderne, le palais de Tokyo, l’école des Beaux-Arts et le palais de la Porte Dorée ont paré leurs façades d’affiches revendiquant le slogan, en soutien aux manifestations et au peuple iranien. À travers le symbole des cheveux, les visuels de Marjane Satrapi, Innejatz ou encore Roya Ghassemi dénoncent le contrôle policier et l’emprise omniprésente d’un état autoritaire. « L’esprit créatif émerge de ces mouvements. La quête de liberté et la lutte pour la liberté en sont au cœur. », souligne Hanieh Ziaei.

DE LA MORT D’UNE JEUNE FILLE À LA NAISSANCE D’UN MOUVEMENT

Septembre 2022. Mahsa Amini, étudiante iranienne de 22 ans, est arrêtée par la police des mœurs, aussi appelée police de la moralité. Elle décède quelques jours plus tard, le 16 septembre, suscitant la colère et l’indignation de tout un peuple.

« Elle a perdu la vie pour deux mèches de cheveux. La police a jugé qu’elle était « mal voilée ». Les manifestations éclatent partout en Iran. »
précise la sociologue.

La mobilisation populaire est forte, les affrontements, violents. À Paris, Montréal, Bruxelles ou encore Berlin, les témoignages de soutien affluent, démontrant selon Hanieh Ziaei l’intérêt et l’implication de certains pays pour la situation iranienne mais aussi le travail de sensibilisation et de diffusion de l’information de la diaspora. Face à la défense des valeurs démocratiques, l’Etat Islamique répond par une répression « sans limite dans le non respect des droits humains. » Elle salue le courage, principalement des femmes mais aussi des hommes : « La population, de divers âges, se mobilise au péril de sa vie pour défendre sa liberté. Parce qu’aller manifester dans l’espace public en Iran, c’est mettre sa vie en danger. Cette jeune génération ne veut plus accepter l’inacceptable. On voit qu’elle n’a plus rien à perdre. Elle est très connectée aux réseaux sociaux mais aussi aux réalités sociales. Et cela va au-delà parfois de la désobéissance civile. Il s’agit de refuser les diktats, la dictature. »

La mort de Mahsa Amini touche d’autres enjeux. Si la question du code vestimentaire est centrale, le décès d’une femme, jeune, issue d’une minorité ethnique (née à Saqqez, province iranienne du Kurdistan) ravive les tensions autour de toutes ces dimensions. « Sa mort donne naissance à un mouvement. », déclare la politologue. Elle poursuit : « C’est certain que le mouvement n’a pas la même intensité tout le temps, c’est normal. Sept mois après, il change de forme. La résistance s’organise différemment. » Par l’art, par exemple. Ainsi, les fontaines de Téhéran rougissent, symbolisant le sang versé, puisque ce sont, approximativement 520 morts comptabilisés en 2023 dans ces mobilisations. « En Iran, il n’y a pas de statistiques officielles, c’est très difficile d’avoir le chiffre exact. On a une estimation pour avoir une vision globale. », précise-t-elle. Elle parle de féminicides et d’infanticides comme pratiques usuelles de l’Etat Islamique, « et même de génocide avec les cas des empoisonnements, qui sont un exemple parmi d’autres… » Fondamental selon elle, c’est que désormais la communauté internationale ne fera plus la confusion entre le peuple iranien et le régime, en place depuis 44 ans : « On a bien une société à 2 vitesses. Deux mondes qui se confrontent. »

LA RÉPRESSION PAR LES EMPOISONNEMENTS

Depuis mars 2023, ce sont environ 300 attaques et 5000 personnes affectées que compte le pays. Les intoxications au gaz chimique visent majoritairement les écolières, collégiennes et lycéennes. Ces intimidations ne sont pas nouvelles. À l’automne déjà, rappelle Hanieh Ziaei, avait éclaté le scandale de l’eau contaminée à l’université. « On s’attaque aux établissements universitaires et scolaires car ils sont porteurs des mouvements de contestation. C’est pour ça qu’on vient les cibler. 25 des 31 provinces d’Iran ont été attaquées. », commente-t-elle. Elle raconte l’onde de choc, les crises de panique des élèves qui présentent toutes les mêmes symptômes (suffocation, vomissement,…) et crient « On ne veut pas mourir ». L’horreur. La responsabilité de l’Etat est très rapidement mise en cause : « L’Etat exerce un hypercontrôle et une surveillance omniprésente. Comment peut-il dire qu’il ne comprend pas ce qu’il se passe ? C’est là qu’apparait la contradiction, la faille dans le discours. »

Les médias visibilisent, de manière importante, ces crimes contre l’humanité – « c’est dans la juridiction du droit international ! » - qui pourtant sont loin d’être une nouveauté en Iran. Depuis l’avènement de l’Etat Islamique au pouvoir, le pays connait des séries de contestations et de protestations, remettant en question l’architecture institutionnelle.

DANS LA CONTINUITÉ

Les femmes, depuis longtemps, contestent contre le port du voile obligatoire. En 1980, elles revendiquent déjà par les slogans « Liberté, Egalité, c’est notre droit » et « Nous ne voulons pas du voile obligatoire » leur liberté de s’habiller comme elles le souhaitent. Et au fur et à mesure, la manière de porter le voile évolue. En 2017, elles protestent toujours à travers les Mercredis blancs. Par opposition, elles portent un voile blanc. En soutien, les hommes se parent également de blanc. « C’est là que l’on voit le caractère indivisible du peuple iranien. C’est un des rares pays où quand les femmes se mobilisent, les hommes aussi. En Afghanistan, pays voisin, quand on a attaqué les femmes, les hommes n’ont pas bougé. », analyse la sociologue :

« Ça dépasse l’identité de genre. Femmes et hommes combattent pour des valeurs communes. »

Elle souligne et insiste sur l’inscription de ce mouvement, de 2022, dans la continuité de plusieurs vagues de protestation, toujours accompagnées de la triple domination subie par les femmes : patriarcat, poids de l’idéologie et pratiques autoritaires. Dans les villes urbaines et périphériques, le mécontentement général gronde « et le visage de la contestation change en fonction des restrictions imposées par l’Etat. » Les espaces et les moyens varient, au même titre que les formes d’expression protestataire. Les mouvements se distinguent à chaque fois par leur côté pacifique, l’émergence de la créativité artistique, les hommages aux victimes pour ne pas les oublier. Campagne « Un million de signatures » en 2006, mort de Neda lors d’une manifestation contestant l’élection présidentielle en 2009, mouvement vert la même année… Seule la force de la répression déployée en face ne change pas. « Les différents mouvements s’inscrivent dans une continuité. À chaque fois, il y a un déclencheur et ensuite ça va plus loin : le peuple exprime son rejet du système. Et on est encore dans les mêmes revendications : la démocratie, la liberté, etc. Et les femmes sont toujours présentes dans les mouvements de contestations. », signale Hanieh Ziaei. 

Utilisation des réseaux sociaux pour diffuser l’information et donner une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, d’une part, inscriptions de message sur le corps des femmes, voile porté au niveau des épaules ou pas du tout, détournement des billets de banque, d’autre part lorsque le gouvernement coupe Internet dans le pays. « Les pancartes et slogans sont interdits. On attaque aussi le mobilier urbain parce que l’idéologie visuelle est très présente dans l’espace public. On tâche de rouge les visages des martyrs, comme on a coloré les fontaines de Téhéran. », rappelle la politologue. Tout comme on fait circuler des photos et des dessins, en soutien à des icônes de la contestation comme le leader étudiant Majid Tavakoli arrêté par les autorités qu’il tentait de fuir en portant le tchador traditionnel ou l’illustration « Share me » d’Homa Arkani.

LA RUPTURE ENTRE L’ÉTAT ET LE PEUPLE

Répressions, arrestations arbitraires, disparitions d’opposants politiques, contrôle total, surveillance omniprésente (« avec beaucoup de bavures »), lacunes organisationnelles se multiplient et s’amplifient, suscitant la méfiance sociale et le sentiment d’insécurité du peuple iranien qui remet en question la légitimité politique du gouvernement. Dans son travail, Hanieh Ziaei observe depuis 2005 un effritement graduel de la confiance de la population face à un Etat qui pratique aisément mensonges, corruptions et non-dits. Sans oublier la lenteur et l’inefficacité, voire l’inexistance, des réponses et actions face aux catastrophes naturelles et à la crise sanitaire. «

 Le bilan est lourd après 44 ans de gouvernance. Et cela explique pourquoi le peuple iranien est prêt à mettre sa vie en péril pour la liberté. Les pressions sont idéologiques, morales, sociales, économiques, l’ingérence de l’Etat dans la vie privée de ses citoyens est quotidienne et l’Etat ne garantit pas la sécurité et le bien-être de la population. »
conclut-elle.

Face à ce déploiement inouï de violentes répressions, le peuple iranien se soulève, scande sa colère et son indignation et brave les interdits pour revendiquer sa liberté et ses aspirations démocratiques pour leur pays.

 

 

 

Célian Ramis

Sciences : performer le genre binaire

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Interroger la binarité et la performance du genre dans les sciences, et notamment dans les domaines du numérique et du sport, était l’objet des conférences de Cécile Plaud et Ludivine Brunes, à l’occasion de la journée « Égalité et sciences : la place des femmes ».
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Interroger la binarité et la performance du genre dans les sciences, et notamment dans les domaines du numérique et du sport, était l’objet des conférences de Cécile Plaud et Ludivine Brunes, jeudi 9 mars, à l’occasion de la journée « Égalité et sciences : la place des femmes », organisée par l’Université de Rennes, à la fac de Sciences économiques. 

« L’informatique a attrapé un sexe et ce sexe est masculin. », affirme Cécile Plaud, en introduction de sa conférence « Pour dégenrer le numérique, cassons les codes ! ». L’enseignante chercheuse en science de l’éducation à l’ENSTA Bretagne, à Brest, cite Grace Hopper, Ada Lovelace, Margaret Hamilton ou encore Betty Holberton, « des femmes qui ont marqué de leurs découvertes le monde de l’informatique mais n’ont été que tardivement reconnues. » Et explique l’effet Matilda – appelé ainsi par sa théoricienne Margaret Rossiter en femmage à la militante féministe Matilda Joslyn Gage – comme un phénomène définissant « comment les femmes scientifiques profitent moins des retombées de leurs recherches et ce, souvent au profit des hommes. » Un effet qui malheureusement se retrouve dans tous les domaines majoritairement masculins, comme le soulignera également Raphaëlle Rannou, de l’Institut National d’Histoire de l’Art, lors de la conférence suivante sur la place des femmes en archéologie.

DES CHIFFRES ÉDIFIANTS

En 2018, les femmes représentaient 33% des salarié-e-s des secteurs de l’informatique. Elles occupent principalement (75%) les fonctions supports, à savoir les ressources humaines, l’administratif, le marketing et la communication, « souvent les moins prestigieuses et les moins rémunérées » et se font rares (15%) dans les fonctions techniques de développement, gestion de projets, etc. Et certains métiers sont particulièrement fermés aux femmes comme dans les start up dans le domaine de la tech (9%) et le big data (12%). Autre chiffre édifiant : en 2020, dans les écoles d’ingénieur-e-s, « alors qu’en 1983, l’informatique était la spécialité la plus féminisée », c’est désormais la moins féminisée avec 16,6% de femmes. « Ce chiffre illustre à lui seul le retournement de situation sans précédent dans le champ professionnel : le numérique est la seule filière scientifique ayant enregistré une nette baisse de la proportion de femmes depuis les années 80. », signale Cécile Plaud, qui interroge alors : « Pourquoi en est-on arrivé là ? » Et la réponse est sans équivoque : c’est une question de pouvoir. Partout où les activités se professionnalisent, les femmes sont écartées. Alors qu’elles ont souvent été à l’initiative du secteur et de son développement :

« Le numérique est partout dans nos vies et est devenu un monde d’hommes. Et cela pèse fortement sur les inégalités professionnelles entre les femmes et les hommes. Au-delà des inégalités systémiques et durables, cela participe à la reproduction du sexisme. »

DES ALGORITHMES SEXISTES

L’enseignante chercheuse se base sur une série d’exemples démontrant le sexisme intégré de la société et diffusé à travers les algorithmes des GAFA. C’est Amazon qui ouvre le bal en 2018 en développant un algorithme permettant d’automatiser le recrutement sur les postes techniques. Systématiquement, celui-ci excluait les CV de femmes : « L’algorithme a déduit, sur la base des postes techniques d’Amazon déjà en fonction, qu’être une femme était un critère discriminatoire. » Fin 2019, c’est Apple qui se rend compte que l’algorithme de sa carte de crédit défavorise largement les femmes. « Les données enregistrées étaient vieilles. Comme leur émancipation financière est récente, il en a déduit que les femmes disposaient de crédits moins élevés. », analyse Cécile Plaud. Vient ensuite le tour de Facebook et Google. Une ONG fait une étude sur les algorithmes des offres d’emploi diffusées par les deux firmes et achète des espaces publicitaires en Suisse, en Allemagne, en Espagne et en France pour des postes de développeurs en machine d’apprentissage, camionneurs, coiffeurs, éducateurs jeunes enfants, conseillers juridiques ou encore infirmiers. Toutes les annonces sont volontairement rédigées au masculin : « Facebook, surtout, a automatiquement ciblé un sexe pour chaque emploi. » Pas de surprise sur la catégorie choisie selon le secteur. Cécile Plaud réagit :

« Il est urgent de dégenrer le numérique pour en faire un champ d’égalité professionnelle et inclusif, pour ne plus reproduire, à notre insu, les stéréotypes de genre. »

On peut aussi constater que les sites de rencontre agissent de manière sexiste par le même processus, tel que l’a démontré la journaliste Judith Duportail, journaliste dont l’enquête sur Tinder a fait l’objet d’un livre, L’amour sous algorithme. Et on retrouvera les mêmes mécanismes concernant les discriminations racistes et validistes, entre autres. 

POIDS DE L’ÉDUCATION GENRÉE

Elle le dit, les femmes n’ont pas toujours été sous-représentées dans le champ du numérique : « Au début de l’informatique et jusqu’au milieu des années 60, les femmes étaient présentes. L’ordinateur était le prolongement de la machine à écrire, associé à la machine de bureau, au secteur tertiaire. » Puis, dans les années 80 et 90, le retrait des femmes s’opère et la micro-informatique y joue un rôle important puisque l’ordinateur familial a été préempté par les hommes, devenus les utilisateurs prioritaires. « Côté professionnel, on passe d’un monde artisanal – je caricature un petit peu – à un monde scientifique et les sciences sont des champs masculins. », déclare l’enseignante chercheuse en science de l’éducation. Elle cite l’anthropologue Alain Testart : « Le travail reste féminin quand il se déroule dans un cadre domestique et devient masculin quand il s’érige en métier. » Au fil des siècles, et des derniers principalement, les hommes se sont appropriés les savoirs en matière de reproduction, dépossédant ainsi les femmes de leurs propres connaissances et compétences concernant leur corps, leur fonctionnement, les plantes médicinales, etc., mais aussi les outils de production et le savoir scientifique.

Aujourd’hui, on associe les sciences du numérique, de l’informatique et des techniques à la rationalité et aux connaissances, caractéristiques que l’on pense au masculin. Et ces stéréotypes sont intégrés et diffusés dans tous les secteurs de la société, le domaine de l’éducation n’en fait pas exception. « L’école n’est pas neutre. C’est un lieu de production et de reproduction des normes binaires de genre. Ces pratiques ne sont pas conscientes. », précise Cécile Plaud qui revient sur l’éducation genrée, la différence de traitement entre les filles et les garçons à l’école mais aussi dans tous les lieux et espaces d’apprentissage, y compris à la maison. Les filles sont littéraires et les garçons, scientifiques. C’est encore une pensée de la société actuelle. Elle pointe les énoncés des exercices de mathématiques qui établissent par association des prénoms, du genre et du rôle, que les hommes pratiquent des métiers et les femmes achètent des choses : « Les hommes sont utiles, les femmes sont futiles. » Les mathématiques étaient à l’origine de l’informatique, les mêmes stéréotypes y seront accolés. La binarité infuse profondément le langage de ce secteur. 

SOUS-REPRÉSENTATIONS ET CLICHÉS

La socialisation genrée influe sur l’orientation scolaire qui elle précède l’organisation genrée du travail. C’est donc à la racine qu’il faut agir, tout en œuvrant en parallèle à la réhabilitation du matrimoine (et en dénonçant les nombreuses spoliations dont ont été victimes les femmes dans les sciences) et la déconstruction des idées reçues et représentations proposées : « La représentation des métiers du numérique passe encore par l’image du hacker et du geek. Encore aujourd’hui, on image un homme asocial, plutôt laid, qui passe son temps avec sa machine, qui a peur des filles, etc. Ce qui n’est pas représentatif du tout ! Mais cette figure agit comme repoussoir auprès des filles. » Sans compter que les modèles féminins présentés sont souvent soit inaccessibles soit référencées en tant qu’épouses de, filles de, etc. Les clichés ont la vie dure et entrainent dans leur sillon ce que l’on appelle « la menace du stéréotype » ou l’effet Pygmalion : les filles intégrant qu’elles sont mauvaises en maths sabotent leur réussite aux tests. Celles qui franchiront les obstacles rencontreront dans leurs carrières professionnelles des difficultés à se sentir légitimes et subiront dans de nombreux cas des violences sexistes et sexuelles dans le cadre de leur travail.

C’est pourquoi Cécile Plaud conclut sur l’importance d’actions à mettre en place à plusieurs niveaux, en valorisant les professions techniques directement auprès des filles « mais en faisant attention à ne pas leur faire porter la responsabilité » de cette sous-représentation actuelle. Elle évoque le dispositif L Codent, L Créent, mis en place pour la 5e année dans 6 collèges brestois : « Ce sont des ateliers de programmation par des étudiantes pour des collégiennes de 3e. Les étudiantes interviennent en binôme ou en trinôme, pendant 45 minutes. On a intégré récemment des étudiants, que l’on a formé à l’égalité et qui doivent accepter de laisser le leadership aux filles et aux femmes. Pendant ces temps, des liens de proximité se créent. Des rôles modèles, aussi. ». Et désormais, les collégiennes ayant participé forment à leur tour leurs camarades masculins. La perception change et les mentalités évoluent. 

SEXISME ET TRANSPHOBIE DANS LE SPORT…

Autre domaine dans lequel s’exerce la binarité de genre : le sport. La place des femmes trans dans le milieu sportif, c’est le sujet de thèse de Ludivine Brunes, doctorante à l’Université de Rennes. Si au départ, elle réalise des entretiens avec des personnes trans tous niveaux confondus, elle en vient rapidement à recentrer la thématique aux sports de loisirs. « Le haut niveau en France comprend 4000 athlètes qui représentent 1% des sportif-ve-s français. C’est donc très faible pour y étudier la transidentité. La majeure partie des français pratique le sport en loisirs. », souligne-t-elle. Ce jeudi 9 mars, elle s’attache principalement toutefois à décrypter le sujet sous l’angle de la pratique professionnelle. « Les athlètes sont autorisé-e-s dans les compétitions dès 2003 par le Consensus de Stockholm. Sous condition d’avoir eu recours à une opération de réassignation sexuelle. Ce qui sera modifié en 2015. », explique-t-elle. La participation des personnes trans aux événements d’ampleur nationale et internationale dérange et suscite des réticences dans les rangs.

« À part l’Ultimate et le Quidditch, tous les autres sports font des distinctions de genre. En 2022, aux JO de Tokyo, on a vu un tournant à ce sujet avec des athlètes trans ou non binaires, sélectionné-e-s et/ou participant à la compétition, notamment en haltérophilie, BMX, foot, triathlon et skateboard. », poursuit la doctorante. Elle parle d’une réelle évolution en terme d’ouverture aux sportif-ve-s LGBTIQ+, s’appuyant sur le chiffre de 182 athlètes queer présent-e-s, « dont une dizaine transgenres », tandis qu’en 2016, iels étaient moins de 100 au total. 

DES CRITÈRES DOUTEUX

Si le premier texte de 2003 oblige les athlètes trans à la réassignation sexuelle pour les femmes et les hommes trans, la deuxième version de 2015 fixe, pour les femmes trans, un taux de testostérone en dessous de 10 nmol/L. Rien pour les hommes. « Déjà, il faut savoir que le Consensus tient sur une page qui contient 5 points à peine développés. Mais pour les hommes, il n’y a pas du tout de critère d’hormones. Ils sont contrôlés comme les hommes cisgenres, pour s’assurer qu’ils ne sont pas doppés. », signale Ludivine Brunes. Pour les femmes, l’accès à l’Olympiade est bien différent. Aujourd’hui, les tests de féminité ne sont plus valables mais ils l’ont été jusqu’en 2012 au moins : « On teste, lors des compétitions sportives, que l’athlète répond bien aux critères associés à la féminité : cheveux longs, minceur, musclée mais pas trop… En dehors, on remet en question leur féminité par des contrôles hormonaux, des examens gynécologiques, voire la vérification de leurs chromosomes… » Un moyen de s’assurer que la sportive appartient bien au sexe féminin biologiquement parlant.

« Aujourd’hui encore, on s’appuie sur le taux de testostérone alors que le féminin et le masculin se basent sur bien d’autres choses ! »
poursuit la doctorante.

Selon les fédérations, les sportives trans devront suivre entre 1 an et 4 ans de traitements médicamenteux pour atteindre le seuil jugé comme tolérable. 

UN RAPPEL À LA NORME

Le scandale apparait à chaque fois qu’une femme dépasse le taux d’hormones accepté. Cis, trans, non binaires et intersexes doivent se soumettre, si iels veulent concourir, à une médicalisation de leur corps. On se souvient de Caster Semenya en 2019 jugée par les instances sportives comme étant un homme. Double championne olympique et triple championne du monde du 800 mètres, elle a été contrainte de suivre le traitement afin que la Fédération internationale d’athlétisme ne retire pas les résultats de ses performances et a fini par refuser de faire baisser son taux d’hormones. Pendant plusieurs mois et années, débat a été fait dans la presse autour de son identité de genre sans prendre en compte la parole de la concernée. La binarité réduit les athlètes à performer le genre et à afficher publiquement leur identité de genre et à s’en justifier. Les femmes trans sont particulièrement visées et la transphobie s’exprime sans complexe.

Même si la doctorante affirme que les difficultés évoquées lors des entretiens menés dans le cadre de sa thèse dépassent la question de la transidentité et s’appliquent à un public plus large (femmes victimes de grossophobie, par exemple), il reste clair que dans l’opinion publique, ce sont les femmes trans qui « sont souvent vues comme tricheuses et voulant gagner facilement des médailles. On oublie la personne en tant que telle, la femme qu’elles sont. » Un rappel à l’ordre pour rester à sa place et entrer dans le moule de la norme cisgenre. Et en 2024 ? « Pas encore de communication à ce propos puisqu’il n’y a pas encore eu de retours sur les athlètes sélectionné-e-s pour les prochains JO. »

 

 

 

 

 

Les définitions proposées par Ludivine Brunes en introduction de la conférence : 

• Queer : ensemble des identités de genre et d’orientations sexuelles qui se vivent en dehors de la cisidentité et/ou de l’hétérosexualité.

• Non binaire : Non identification (partielle ou totale) aux genres masculin et féminin.

• Transidentité : Fait de s’identifier à un genre différent de celui assigné à la naissance. Contraire de cisidentité. 

Célian Ramis

8 mars : tou-te-s en grève !

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Le patriarcat ne tombera pas tout seul, organisons-nous pour lui péter la gueule ! Plus qu’un slogan de manifestation, c’est une ligne de conduite. Les militant-e-s féministes répondent à l’appel et œuvrent sans relâche à la grève féministe du 8 mars.
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Le patriarcat ne tombera pas tout seul, organisons-nous pour lui péter la gueule ! Plus qu’un slogan de manifestation, c’est une ligne de conduite. Les militant-e-s féministes répondent à l’appel et œuvrent sans relâche à la grève féministe qui se profile à l’horizon du 8 mars prochain (et du suivant, et du suivant du suivant, et ainsi de suite). À Rennes, les membres de Nous Toutes 35 s’y préparent, conciliant militantisme et festivités comme armes de lutte contre le patriarcat et le capitalisme. 

Depuis le 8 novembre, le célèbre air des années 90 signé Gala envahit l’espace public rennais. Dalle du Colombier, parvis de la gare, parc du Thabor, place Sainte-Anne ou encore sur les campus, les militant-e-s ont organisé tous les mois un flashmob, invitant à la grève féministe. En ce 8 mars 2023, le rendez-vous est donné sur l’esplanade Charles de Gaulle afin de danser ensemble, se mobiliser, s’échauffer et faire entendre les nouvelles paroles de la chanson : « Patriarcat au feu, et les patrons au milieu ! » Le ton est donné. Les corps en mouvement dans l’espace public, la synchronisation des gestes – la choré peut s’apprendre grâce à un tuto YouTube – et le volume à fond : le message est clair. 

Bloquer le pays. Prendre la rue. Prendre le droit de se mettre en grève. Exprimer les revendications. Exposer les conditions de vie des personnes sexisées. Si les femmes s’arrêtent (de travailler, de gérer les tâches ménagères et l’éducation des enfants, etc.), le monde s’arrête. Sans le travail reproductif pris en charge par les femmes, en parallèle de leur travail productif, le monde s’écroule. S’organiser pour faire force et mettre KO le capitalisme. De punchlines en réflexions et liens sur la manière dont sont articulés les rapports de domination, les militant-e-s de Nous Toutes 35 échangent sur le pourquoi du comment d’une grève féministe, inscrite à l’ordre du jour de leur séance plénière qui se déroule à l’Hôtel Pasteur, quelques jours avant le festival. Constats autour du travail domestique non rémunéré et ses conséquences, de son invisibilisation et sa participation à la dépendance économique des femmes à leurs maris, rendant inopérant le principe d’égalité entre les individus, des formes de violences qui en découlent opérant dans l’intimité du foyer et analyse des leviers à actionner pour briser les chaines de l’oppression exercée sur les minorités de genre par le patriarcat. L’enjeu du festival est rappelé : « Se rencontrer et se rendre compte que l’on fait corps autour de ça. Et ensuite, construire le mouvement de la grève générale. Le festival, c’est une étape avant la grève. »

DES GRÈVES INSPIRANTES

Pour faire bouger les lignes et obtenir des droits, les femmes ont souvent eu recours à des grèves massives (sociales, sexuelles, domestiques, etc.). En France, on se rappelle de la série de grèves menée au début du XXe siècle (1905 et 1924) par les sardinières de Douarnenez. Ouvrières des conserveries de poisson, elles se sont mobilisées et unies pour protester contre la pénibilité du travail et réclamer une augmentation des salaires. En Islande, c’est la grève d’octobre 1975 qui marque les esprits, réunissant près de 90% des femmes du pays dont une large majorité manifestera dans les rues de Reykjavik. Les grévistes exigent l’obtention de l’égalité entre les hommes et les femmes et la reconnaissance de leur rôle dans l’économie du pays et la gestion des familles. En clair, elles démontrent qu’elles sont indispensables. Tout simplement. Un message fort envoyé à la société qui va devoir faire évoluer drastiquement ses mentalités. Une inspiration pour les Espagnoles qui le 8 mars 2018 ont répondu massivement à l’appel de 8-M, fédération d’associations féministes, alliée aux syndicats : concerts de casseroles dans Madrid, arrêts des métros et des trains, défilés devant les enseignes commerciales, journaux télévisés sans présentatrices… Elles dénoncent toutes les formes de discriminations et de violences à l’encontre des personnes sexisées. Sans elles, tout s’arrête, elles l’ont encore prouvé et nos voisines suisses n’ont pas hésité l’année suivante, en 2019, a impulsé la grève des femmes dans leur pays, réclamant en premier lieu la fin des inégalités salariales – elles dénoncent les différences de salaire durant les carrières mais également les conséquences sur la retraite, les femmes étant les principales impactées par les réformes retraite… - et la reconnaissance sociale et financière des postes et secteurs occupés par les femmes, et en second lieu la fin des violences sexistes et sexuelles de manière globale.

C’est un fait, tout est lié. De l’injonction à gérer l’espace privé et les tâches qui y sont assignées à la culture du viol, en passant par l’inégal accès et la faible représentativité au travail, à la santé, à la scène politique comme culturelle et artistique, les militant-e-s féministes attaquent de front le système patriarcal dans son ensemble afin de déconstruire les mécanismes d’oppression exercés à tous les niveaux de la société. Les 11 et 12 juin, au festival Mars ou grève, les camarades suisses sont présent-e-s pour partager leurs expériences. « Ce qui nous a fait le plus de bien, c’est qu’elles ont montré que c’était possible ! Elles sont parties d’un terrain où tout était à construire. Elles ont beaucoup tafé et l’engrenage s’est enclenché. Et c’est une des plus grosses mobilisations sociales ! C’est inspirant ! », s’enthousiasme Mélissa, membre de Nous Toutes 35. Elle est accompagnée de Val et d’Aline, toutes deux également militantes au sein du collectif féministe. « C’est une source d’inspiration et d’admiration. Et puis de voir toutes ces marées vertes et violettes sur les villes d’Amérique du sud, d’Amérique centrale, d’Inde, d’Europe, etc. On a envie de ça, de quelque chose de global qui renverse le système capitaliste et patriarcal. Pas juste à Rennes. C’est pour ça que c’est nécessaire de construire ça massivement. », souligne Val.

SE RASSEMBLER POUR PESER

Rien ne se fait en un claquement de doigts. Déboulonner les stéréotypes et rôles genrés, intégrés dès le plus jeune âge et infusés dans toute la société de manière plus ou moins pernicieuse, de manière plus ou moins consciente, demande du temps et des moyens. Pour expliquer d’où proviennent les inégalités, comment elles s’expriment et comment elles perdurent. Il est primordial de fédérer et de s’organiser. « À Rennes, en 2019, on était plusieurs à vouloir monter une structure féministe dans l’objectif d’organiser la manifestation du 25 novembre (journée internationale de lutte contre les violences sexistes et sexuelles faites à l’encontre des personnes sexisées, ndlr). On s’est posé la question de lancer une inter orga ou un collectif. L’idée n’était pas de remplacer les associations féministes existantes mais de coordonner les énergies. À cette époque, les collages commençaient aussi. Entre le 25 novembre et le 8 mars (journée internationale pour les droits des femmes, ndlr), on a bien posé les bases du collectif. », explique Aline. L’année 2020 est bousculée par la crise sanitaire et les confinements qui révèlent la précarité des métiers essentiels et surtout de celles qui les font tourner. « À ce moment-là, Nous Toutes 35 était en contact avec différents collectifs nationaux indépendants. Une poignée s’est organisée et c’est comme ça qu’est née la Coordination féministe. », poursuit Val. Autour de la question « Comment traiter la crise sanitaire d’un point de vue féministe et s’organiser politiquement en temps de confinement ? » s’affinent l’idée et la volonté de transformer profondément et radicalement la société. Après une première mobilisation axée sur un déconfinement féministe, interpelant l’opinion publique quant aux conditions des premières de cordée et de corvées et demandant une revalorisation de leurs statuts et de leurs salaires, éclosent les premières Rencontres nationales féministes, organisées par la Coordination féministe et Nous Toutes 35 (qui fait parti du regroupement national), à Rennes. 

GELER LE PAYS

Nous sommes en janvier 2022 et là encore le propos est à la grève générale. Quelques mois plus tard, la manifestation du 8 mars prend lieu et place le jour même et non comme à son habitude le week-end précédant ou suivant la journée internationale. Un premier pas qui ancre dans les mentalités la faisabilité d’une grève à venir… Une invitation à arrêter de travailler, à l’instar du mouvement #3Novembre9h22 (en 2021), #4Novembre16h16 (en 2020) ou #5Novembre16h47 (en 2019) qui marque le moment de l’année où les femmes commencent à travailler bénévolement, en raison de l’écart des salaires. À la différence que l’effet ici est réduit, malgré la volonté de pointer et de visibiliser cette inégalité criante. La grève féministe va plus loin puisqu’elle tend à geler le pays, bien au-delà de la symbolique. En arrêtant de travailler le 8 mars et en refusant de réaliser les tâches domestiques assignées, elles dépassent la revendication d’égalité salariale. Pour les militantes de Nous Toutes 35, « c’est là que s’articule le mouvement en terme de revendications féministes, en soulignant les différentes dimensions du travail productif (salarié) et du travail reproductif (domestique). » Elles initient une prise de conscience qui pourrait s’avérer spectaculaire. Réaliser le poids des femmes et minorités de genre dans la société et leur impact si elles démissionnent de leurs rôles sexuels et genrés, c’est prendre conscience du pouvoir qu’elles ont, c’est faire comprendre que sans elles, rien n’est possible. C’est imposer leurs revendications et conditions dans l’espace et le débat public pour une refonte complète du système, pour un fonctionnement égalitaire. Qui doit également prendre en compte les nombreuses discriminations qui s’articulent au croisement du sexisme et des rapports de domination en raison des origines réelles ou supposées, du handicap, de la classe sociale, de l’orientation affective et sexuelle, de l’identité de genre, etc. Sans oublier la dimension des territoires (milieu rural, milieu urbain, centre ville, quartiers populaires, etc.).

MOBILISER TOU-TE-S LES PERSONNES CONCERNÉES

La grève féministe, c’est un état d’esprit dans lequel les personnes concerné-e-s se mettent : « On ne peut pas vérifier dans les foyers que tout le monde est en grève. Il ne faut pas être trop puriste. J’aimerais personnellement qu’on arrête tout mais la construction va se faire pas à pas. » Les femmes peuvent débrayer toute la journée, une heure, une minute, porter un badge, rejoindre le mouvement après la journée de boulot. Elles font ce qu’elles peuvent. Car il est nécessaire de penser aux conditions sine qua non au déroulement de la grève. « Si on veut que tout s’arrête, il faut penser les effets en cascade. », souligne Val. Elle explique : « Si les enseignantes se mettent en grève, les enfants sont renvoyés à la maison. Et là, qui va les prendre en charge en général ? Si on s’arrête, des personnes vont rester seules, notamment les enfants, les personnes fragilisées, les personnes handicapées (les métiers de l’éducation, des services à la personne, de la santé, etc. étant majoritairement occupés par les femmes, ndlr). La question se pose : comment on construit la grève autour des enjeux et de la forme avec des alternatives pour ne pas mettre à mal les personnes dont on s’occupe majoritairement ? Il ne faut pas que ça retombe sur les femmes elles-mêmes. » Et que l’on ne reproduise pas les schémas dénoncés, à savoir que ce ne soit pas uniquement les femmes blanches, aisées, cisgenres, valides, hétérosexuelles qui soient en mesure d’affirmer la grève, biaisant une partie des revendications en s’octroyant la parole des concernées absentes. « La question des enfants est centrale. Comment organiser la garde des enfants et transformer ça en sujet collectif ? », interroge Mélissa, qui poursuit plus globalement : « On a besoin de savoir précisément comment ça se passe dans les différents métiers, pour apporter des réponses alternatives à la grève si elles ne peuvent pas y participer entièrement ou pour pouvoir s’organiser afin qu’elles y participent. Et pour ça, on a besoin des syndicats. »

COLLABORER AVEC LES SYNDICATS

S’atteler à la tâche colossale de l’organisation d’une grève générale, on l’aura compris, ne peut s’effectuer seul-e et séparément. Unir les forces mais aussi les compétences et savoirs. Et en cela, chaque collectif, association et syndicat est expert-e du secteur qu’il défend, du secteur dans et sur lequel il opère. « Là, je parle en mon nom et non en celui de Nous Toutes 35. Pour moi, il est important de travailler avec les syndicats. Si on veut mobiliser sur les lieux de travail, on va avoir du mal à le faire sans eux. Je sais que certain-e-s ont peur qu’on ne soit que la caution paillettes (comprendre ici que la collaboration serve de faire valoir à l’action des syndicats qui en collant l’étiquette féministe pourrait être tenté de se débarrasser du travail de remise en cause du système patriarcal au sein même de leurs pratiques et de leurs organisations, ndlr). Mais je pense qu’il faut travailler ensemble à des revendications communes. Les syndicats ont un pied là où nous on n’est pas organisé-e-s, sur des sujets sur lesquels on n’a pas de prise. », commente Aline. Depuis plusieurs années, le collectif rennais s’active à penser la relation partenariale avec notamment la commission féministe de Solidaires et « un peu » FO, la CGT et la CNT, dans le cadre des manifestations des 8 mars et 25 novembre.

Les premières marches sont donc déjà gravies. Si les militantes s’accordent à établir que les énergies et les modes opératoires ne sont pas nécessairement similaires entre engagement militant et engagement syndical, force est de constater que sur le terrain d’une grève générale féministe, il y a tout intérêt à faire alliance. « C’est important de s’emparer de la question de l’exploitation dans les métiers du soin, d’entretien, d’aides à domicile, d’aides soignantes, etc. Car il s’agit là de travail reproductif mais salarié. Sous payé… Notre rôle est de réappuyer sur ces points et de bien indiquer nos raisonnements et revendications aux syndicats. », analyse Val. Aline poursuit la réflexion : « Les secteurs fortement féminisés sont souvent sous syndicalisés. Il nous faut construire les rencontres vers ces personnes employées. En prenant en compte que dans les secteurs tels que les aides à domicile, il n’y a pas forcément de lieux de travail fixes. Si on a envie de diffuser largement cette idée de grève, les syndicats sont indispensables car, eux, ont un accès plus simples aux salarié-e-s que pour nous. S’ils ne suivent pas, on le fera quand même mais ça marchera moins bien. » 

RÉPANDRE L’INFORMATION

Les militantes montrent bien à quel point la situation est complexe et transversale à tous les niveaux de la société. L’ampleur de la tâche ne les démonte pas. Elles savent que le travail va être long. Elles savent que le travail va être compliqué. Leur détermination et leur volonté s’affichent à la hauteur de la mission. Echanges, partages des vécus et des expériences et réflexions sont au cœur de leurs opérations. Au sein du collectif, de la Coordination féministe et des Rencontres nationales (dont la deuxième édition est organisée du 13 au 17 juillet 2022 à Grenoble), la parole se veut libre et l’écoute bienveillante. Il est question de visibilité et de lutte contre l’invisibilisation du travail reproductif non rémunéré, de l’exploitation des personnes sexisées dans les secteurs du care, de l’inégale répartition du travail productif mais aussi de violences conjugales et intrafamiliales, de féminicides et de violences sexuelles. Un propos lourd à porter, difficile à faire reconnaître, parfois même décourageant. Et pourtant, les militant-e-s sont là, répondent présent-e-s et affirment leur adelphité, comme le signalait en février dernier Lisa de la Coordination féministe (lire notre Focus « Inclusion : croiser les forces » / Numéro 95 – Printemps 2022) : « On est pour un militantisme qui ne soit pas du sacrifice. Ça ne veut pas dire que c’est simple à organiser un événement comme on a fait à Rennes, ça veut simplement dire que la balance de force et de bien que ça nous apporte pèse plus que la difficulté. Ça nous donne de la force pour la suite. Des fois, on se sent seul-e-s. Echanger avec des personnes qui ont les mêmes difficultés, ça fait du bien. On s’envoie des messages de cœurs, d’étoiles, on discute dans la joie et la bonne humeur. C’est un mélange de rage et de paillettes ! »

En réunion à l’Hôtel Pasteur, les membres de Nous Toutes 35 évoquent les joies du militantisme et font part du plaisir procuré par des événements qui mêlent engagement et festivités, à l’instar de Big Up organisé en marge du 8 mars à la Maison de quartier de Villejean, à Rennes, ou le festival Mars ou grève. Elles le disent, l’objectif de ce week-end, c’est « de faire un premier pas vers la diffusion de cette grève du 8 mars », « d’appâter avec des animations et des concerts des personnes qui ne seraient pas venues autrement » et « toucher un maximum de gens, en plantant la graine pour dire qu’une grève massive aura lieu en 2023, et rencontrer des gens qui sont intéressés. » Sans oublier que ces événements permettent également aux militant-e-s de s’auto-former sur les questions féministes. « On n’a pas de recette magique. Il faut diffuser l’info, la rabâcher partout, tout le temps. Partout où on va, il faut en parler. Afficher le drapeau « Grève féministe 2023 », partout, tout le temps. Et puis, il faut qu’on réussisse à construire des revendications qui parlent de nos vies quotidiennes pour que ça parle. Les féministes suisses ont écrit un manifeste en 19 points en disant « Si tu te reconnais, viens faire grève avec nous ! ». Il faut qu’en septembre, on ait ça aussi ! », scande Aline. 

Et surtout faire passer le mot : une grève générale féministe massive n’est pas seulement envisageable et envisagée, elle est déjà sur les rails, elle est possible et elle est largement susceptible de fonctionner. Ensemble, on s’arrête tou-te-s. Le 8 mars 2023. Le 8 mars 2024. Le 8 mars 2025. Parce que nos voix comptent. Que nos existences comptent. 

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