Célian Ramis

Pour un nouveau modèle de musée

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Que disent nos musées de notre Histoire ? Que nous inspirent les œuvres exposées ? Qui créent les tableaux et les toiles exposé-e-s et étudié-e-s ? Qui réalisent les expos, inventaires, médiations, etc. ? Pourquoi n’avons-nous pas en France un musée de l’histoire féministe ?
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Que disent nos musées de notre Histoire ? Que nous inspirent les œuvres exposées ? Qui créent les tableaux et les toiles que l’on s’empresse d’aller voir ou d’étudier ? Qui réalisent les expositions, inventaires des collections, médiations, etc. ? Pourquoi n’avons-nous pas en France un musée de l’histoire féministe ? L’association musé.e.s s’empare de ces questions et les décortique à l’aune du sexe et du genre, posant la question des représentations dans la sphère muséale.

Elles se sont rencontrées au musée de Bretagne, à Rennes. En tant que contractuelles ou stagiaires sur différents postes. Documentaliste, médiatrice, chargée de coopération culturelle, chargée d’inventaire des collections, chargée de projets et de la communication, constructrice  ou encore organisatrice d’expositions… Elles partagent des fonctions et des compétences complémentaires dans le domaine muséal mais pas que.

« Nous sommes devenues plus que des collègues et les questions de féminisme sont apparues. En mars 2021, j’ai cherché si un livre existait sur la place des femmes dans les musées en France. Rien… Il y a des articles qui en parlent ou des initiatives de structures qui abordent ces questions-là. J’ai proposé aux filles qu’on le fasse, ce livre. Toutes étaient partantes. On s’est lancées ! », sourit Eloïse Jolly.

Accompagnée de Lucie Doillon, Maryne Fournier, Marie-Lucile Grillot, Bonnie Heinry, Juliette Lagny et Sarah Lemiale, l’aventure commence officiellement en mai 2021 à travers la création de l’association musé.e.s, destinée à sensibiliser les publics aux problématiques féministes et valoriser les initiatives existantes dans la sphère muséale. 

LES CHIFFRES PARLENT…

À l’instar de tous les secteurs des arts et de la culture – et de la société – les chiffres sont consternants. L’association a même conçu un jeu de cartes, permettant de relier les éléments chiffrés avec leur signification.

Ainsi, on peut accoler le nombre 1 à la seule femme, Laurence des Cars, ayant travaillé à la tête du musée du Louvre en 228 ans d’histoire, accoler l’année 2022 à la première nomination d’une femme, Alexia Fabre, à la tête de l’école des Beaux-Arts de Paris ou encore - grâce au diagnostic réalisé par HF Bretagne sur la place des femmes dans l’art contemporain et le spectacle vivant en Bretagne - accoler les pourcentages de 21% à la part de femmes dans les acquisitions de collections de structures d’art contemporain en Bretagne et de 30% à la part d’expositions monographiques dédiées à une artiste femme dans 47 structures d’art contemporain en Bretagne en 2019.

Pourtant, les femmes sont majoritaires dans les écoles supérieures d’art… « On ne pose pas simplement la question des représentations au sein des collections mais aussi dans les équipes. Et quand on regarde dans les postes de direction, le nombre de femmes diminue. », regrette Eloïse Jolly, constatant par là les mêmes mécanismes d’effacement des personnes sexisées au fil des carrières et des hiérarchies que dans les autres branches culturelles et artistiques. 

UNE REMISE EN QUESTION NÉCESSAIRE

L’évolution est lente. Les membres de musé.e.s le disent : au vu des chiffres, la situation s’améliore très faiblement. « J’ai travaillé au musée des Beaux-Arts à Rennes et on ne se questionnait pas vraiment sur ces sujets-là. Hormis une exposition du type de Créatrices (en 2019, le musée a présenté 80 œuvres autour de l’émancipation des femmes par l’art, ndlr), on ne creuse pas tellement les sujets en profondeur. Dans les inventaires que l’on fait, on utilise numériquement des mots-clés. Ils sont au masculin… Pour conservateur par exemple, il faut ajouter le mot « femme »… Au musée de Bretagne, on commence à voir une féminisation des termes. », explique Bonnie Heinry.

Une volonté de changement existe mais une remise en question est nécessaire. Et elle doit se faire par le prisme des représentations de sexe, de genre, de races, de classes, d’orientation sexuelle et affective, de handicaps, etc.

« Il y a des endroits où les équipes sont engagées. C’est par exemple le cas avec le FRAC Bretagne qui a lancé Société Mouvante pour interroger des points comme ceux-là. Ce que l’on veut faire, c’est donner des clés, parler des méthodes pour y parvenir en s’adaptant aux publics. Certains articles vont être plus percutants que d’autres et cela va peut-être créer des prises de conscience. Parce que oui, c’est bien de faire une expo sur les femmes et les artistes femmes. Mais l’impact est limité si on en fait une et puis plus rien. Ou si on ne prend pas en compte dans cette expo les travaux des chercheuses, etc. sur le sujet. Pareil, ce travail doit être intégré aussi dans les expos permanentes… », commente Eloïse Jolly.

UN LIVRE POUR SECOUER LES CONSCIENCES

Leur ambition est aussi forte que leur détermination. Depuis plusieurs mois, l’association musé.e.s travaille à un livre de grande envergure auto-édité – soumis en partie au financement participatif sur la plateforme Kiss Kiss Bank Bank – imprimé en Bretagne et intitulé Guide pour un musée féministe – Quelle place pour le féminisme dans les musées français ?. 

La sortie et la diffusion, elles l’espèrent courant juin 2022. Elles se sont entourées d’une illustratrice, Louise Laurent, à la réalisation de la couverture et des visuels, ainsi que d’une vingtaine de contributeur-ice-s rédigeant les deux premières parties articulées autour du constat de départ, du panorama des recherches sur le sujet et de la parole de celles et de ceux qui œuvrent à la mise en place d’initiatives inspirantes.

« On a défini les parties de manière à ce que le livre soit très complet. Et balaye l’ensemble de la France avec différents types de structures, de musées, d’étudiantes, de doctorantes, etc. », signale Bonnie Heinry, rejointe par Eloïse Jolly : « On s’est adressé à des chercheuses mais aussi des étudiantes ayant écrit des mémoires à ce propos. Car ce n’est pas parce qu’on n’a pas fini ou fait de thèse qu’on n’a pas fourni un travail de qualité ! Et puis, ça donne une plus grande prise de liberté et de format. Il y a parfois des articles, parfois des interviews. Certaines parties sont co-écrites à plusieurs… »

Elles ont également récolté, pour la troisième et dernière partie, les témoignages de militant-e-s et de visiteur-euse-s de musées afin de restituer leurs ressentis, vécus, points de vue et analyses mais aussi de nous faire voyager en utopie féministe. 

POUR DES MUSÉES FÉMINISTES ! 

« Il y a des personnes qui ne se rendent pas compte que des femmes ont créé. Ou qu’elles n’ont pas été que des muses… », souligne Bonnie, pointant là l’impact de l’absence de représentation des femmes dans l’espace muséal, dans les collections présentées comme dans les équipements mis en place.

Parce qu’elles rappellent aussi qu’en 2020, une femme s’est vue refuser l’entrée du musée d’Orsay sous prétexte de sa tenue, impliquant par là qu’il y aurait un code vestimentaire à respecter… C’est plutôt de formation que les équipes en place ou sous-traitantes auraient besoin...

« L’art est sacralisé en France. C’est encore un milieu fermé et conservateur. », confie la chargée d’inventaires. « On est là face à l’universalisme à la française… Le citoyen est un homme, blanc, hétéro… Si on visite la Maison Poincaré (lieu d’exposition autour des mathématiques qui ouvrira ses portes en janvier 2023 à Paris, ndlr), en tant que filles et que femmes, ça a un impact sur nous si on voit des mathématiciennes. », ajoute la chargée de projets et de communication.

Sinon, le discours, seulement vu, relaté, interprété et imagé au masculin seulement, est erroné. À l’étranger, aux Etats-Unis, en Allemagne ou au Vietnam par exemple, existent des musées dédiés à l’histoire des femmes. Alors, les membres de l’association ont décidé à travers leur livre de s’intéresser à ce que serait un « monde idéal féministe dans un musée » en posant la questions aux concerné-e-s.

Visibilité des femmes dans les parcours, visites guidées féministes, médiations autour de la dominance cisgenre mais aussi plus largement de l’imprégnation patriarcale dans les œuvres présentées, augmentation des salaires, respect du personnel et du code du travail, valorisation des postes occupés par les personnes sexisées… Les idées, inspirations et créativités ne manquent pas, il y a matière à (re)penser le système muséal en direction de l’égalité des genres et des représentations :

« Les musées sont issus de l’argent public. L’accès pour tou-te-s doit être une question primordiale ! »

 

 

  • Engagements artistiques et militants

Ce ne sont pas des musées mais des galeries d’exposition, des espaces dédiés ou hybrides qui croisent les disciplines artistiques et culturelles et portent fièrement les couleurs de l’engagement, dans son sens le plus global et nous imprègnent d’une multiplicité de représentations, souvent – malheureusement – absentes des structures institutionnelles.

À Rennes, l’Hôtel Pasteur accueillait notamment en février dernier la première exposition de peinture d’Emma Real Molina, Bleu onirique, autour de la représentation corps féminin et de sa diversité. En remontant de quelques centaines de mètres en direction de la place Sainte Anne, c’est à la Chambrée que l’on peut se délester d’un lieu – lancé en 2021 par Louise Quignon, Clémence Lesné et Laurence Perron - valorisant la photographie contemporaine, les personnes sexisées et les créativités queer.

Fin février, c’est du côté de l’ancienne brasserie Saint-Hélier que la galerie drama a ouvert ses portes et inauguré son arrivée avec l’exposition écoféministe de Caroline Ruffault, J’aurais pu être une plante verte mais je suis un arbre, explorant le lien entre le vivant et le corps des femmes. Benjamin Massé, artiste rennais à l’initiative de la galerie, et Kora, de la maison d’artistes Ulysse, dirigent le lieu qu’iels entrevoient comme un relai de propositions artistiques, alternatives, voire militantes, avec une attention particulière en direction des artistes du coin.

Photographies, peintures, sculpture… drama n’a pas vocation à afficher un seul style mais entend bien naviguer entre des esthétiques variées « que l’on peut croiser dans des événements, comme des mini showcase par exemple, avec du théâtre, des arts plastiques, de la musique… », souligne Kora.

Pour Benjamin Massé, c’est « l’exigence dans la manière d’exposer, le rapport populaire et l’ouverture sur l’espace public » qui prime. Lancer la galerie avec une exposition écoféministe réalisée par une artiste malouine leur apparaît comme une évidence : « On la connaît depuis un certain temps. C’est sa première exposition photo solo. On l’a accompagnée pour produire, accrocher, oser et investir dans son travail. C’est super intéressant d’ouvrir sur une exposition poétique et militante ! Et puis, c’est important de réfléchir à la parité hommes-femmes en terme de choix des artistes. Là, ça parle de la place des femmes, de leurs corps, du lien avec le vivant… Ça propose de renouer avec le vivant, de s’interroger sur la société de consommation… »

Benjamin Massé s’enthousiasme de l’enchainement qui se fera ensuite avec le travail de l’artiste Mardi Noir, connu pour ses détournements d’affiches et de marques symbolisant le capitalisme. « Ça offre une réflexion sur les messages et l’espace public au sens large ! », se réjouit-il.

Alors oui, la galerie se dit engagée. Pour la mise en valeur des discours et visions des artistes. Pour la diversité des points de vue défendus. Pour le goût de la radicalité, du tranché, de l’art brut et de l’étrange. Kora et Benjamin Massé souhaitent « éviter les convenances », « ne pas cloisonner le lieu » et surtout « interroger ».

Célian Ramis

Front de Mères, pour une lutte écolo, féministe et antiraciste

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Pour une lutte auto-organisée dans les quartiers populaires. Mais surtout pour le respect et la dignité des enfants et des parents ! À Maurepas, à Rennes, s'est implantée une antenne locale du syndicat national de parents, lancé à Bagnolet par Fatima Ouassak.
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Pour une lutte féministe, antiraciste et écologiste. Pour une lutte auto-organisée dans les quartiers populaires. Mais surtout pour le respect et la dignité des enfants et des parents. Ce sont là les engagements de l’organisation politique Front de mères, fondée à Bagnolet et implantée dans diverses villes de France, en Belgique et bientôt en Espagne. A Rennes, Priscilla Zamord et Aurélie Macé en sont membres. 

 

YEGG : Comment est né Front de mères à Rennes ?

Priscilla Zamord : Front de mères est né en 2021 à Rennes avec l’idée de voir comment on pouvait essayer de mener des luttes adaptées à notre territoire sur le droit des enfants, les parentalités, par rapport à des constats qu’on a pu faire sur des discriminations renforcées et une désenfantisation (c’est-à-dire considérer les jeunes mineurs parfois comme des adultes) de la part des institutions. Historiquement, on a fait venir Fatima Ouassak (fondatrice en 2016 du syndicat national, basé à Bagnolet, ndlr)pour une rencontre en 2021 à la Cohue qui nous a permis de faire le lien autour de son livre (La puissance des mères, ndlr),de rassembler, de commencer à se poser des questions et à monter un petit groupe en regardant les enjeux et les grosses problématiques des quartiers populaires concernant les enfants et les parents. On s’est mis au travail. 

Aurélie Macé : C’est très récent. C’était à l’automne 2021.

 

YEGG : Quelles sont les discriminations constatées ? 

Aurélie Macé : En tant que parent et parent délégué, c’est de se rendre compte que dans une école de quartier populaire ou une école de centre ville – ça dépend des écoles – il y a beaucoup de familles issues des diasporas ou de l’immigration post coloniale. Du coup, comment est-ce qu’entre parents, on peut faire réseau pour accompagner ces familles qui n’ont pas forcément accès à toutes les informations. Ce n’est pas que par rapport à l’action de la ville de Rennes ou de l’école, c’est comment est-ce que le quotidien est vécu quand tu te retrouves dans une situation d’OQTF (Obligation de quitter le territoire français, ndlr) ? Où est-ce que tu es hébergée quand tu es violentée par ton mari et qu’il se trouve à la sortie de l’école ? L’idée, c’est de se poser les questions de « Moi, j’emmène mon enfant à l’école là mais voilà ce qui se passe autour… »

Priscilla Zamord : Vous avez organisé un groupe de travail à ce propos. Pas en lien avec Front de mères mais vous avez eu quelques victoires.

Aurélie Macé : On s’est organisés entre parents, on s’est réuni-e-s en lien avec la ville pour voir comment on pouvait améliorer l’école et comment on pouvait être plus proches des parents en créant du contact et en traduisant ces contacts pour qu’ils soient accessibles. En étant disponibles auprès des assos d’accompagnement des migrants pour accompagner sur l’aspect de la vie quotidienne. En fait, c’est être à l’écoute des demandes et se rendre disponibles, essentiellement.

Priscilla Zamord : Le constat, c’est de se dire que dans les quartiers populaires, notamment à Maurepas, il y a eu des amendes discriminatoires pendant la période de confinement, avec des familles qui se retrouvent avec des sommes astronomiques à régler. C’était extrêmement compliqué le rapport police – population. Il y a aussi une problématique autour de la transmission et de la valorisation des mémoires des familles. Quelle est la place et la reconnaissance des langues des familles ? Quelle est la place et la reconnaissance des histoires, des mobilités aussi qu’ont pu vivre les enfants (le fait d’aller à l’étranger, de se déplacer pendant les vacances, pour moi c’était aux Antilles, pour d’autres ça va être au Maroc, en Algérie, etc.) et comment ces trajectoires-là, elles ne sont pas du tout suffisamment valorisées dans l’institution qu’est l’Education nationale ? Et puis il y a aussi des questions qui sont plutôt liées à la parentalité LGBT, aux enfants trans, par exemple. On a eu plusieurs exemples au niveau national d’enfants trans qui se sont suicidés ou qui ont vécu du harcèlement. Donc c’est aussi de voir comment on traite cette question-là. On pourrait se dire que dans les quartiers populaires, il n’y a pas d’enfants trans ou plus largement de jeunes LGBT, mais c’est qu’en fait, on ne les voit pas, ils sont invisibilisés. Il faut qu’on puisse créer des espaces safe pour accompagner les parents et les enfants. Qu’on soit en quartier populaire ou pas. Après, on ne peut pas nier les violences inter-quartiers à Rennes et c’est aussi comment on accompagne les mamans qui peuvent se retrouver dans des procédures judiciaires vis-à-vis de leurs enfants qui sont aussi stigmatisés, qui peuvent aussi être démunies en terme de ressources de droits, etc. Il y a tout un tas de chantiers. Il y a plein de constats, on ne va pas tout faire. Aujourd’hui, notre question, c’est comment on arrive à mobiliser, à rendre notre démarche accessible et fédératrice et surtout hyper simple. Et quand je dis simple, ça veut dire ambitieuse dans les objectifs mais simple dans la façon de faire. Il y a du génie politique dans les quartiers populaires mais ce n’est pas toujours évident de rendre visible et de faire de l’aller vers. Donc c’est aussi à nous de faire différemment, de se mettre dans l’action et d’organiser des choses.

Aurélie Macé : On a déjà eu des temps d’échanges entre nous.

Priscilla Zamord : Pour écouter les situations. On se contacte toutes les semaines mais après pour se rassembler, c’est un peu soumis aux conditions sanitaires. On fait des visios, on se voit, beaucoup à La Cohue. Et puis il y a des actions qu’on essaye de faire en alliance avec d’autres organisations. Je ne pouvais pas être là mais Aurélie, tu as participé à la Marche pour la vérité et la justice pour Babacar. Ça crée du lien avec d’autres collectifs.

Aurélie Macé : On était plusieurs de Front de Mères à être présent-e-s. À la fois pour montrer notre solidarité par rapport à Awa, la sœur de Babacar, dans sa démarche mais aussi pour faire le lien avec les collectifs Vérité et Justice, plus issus de Paris et de la région parisienne mais qui étaient tous présents. Et puis échanger sur les situations qu’on peut avoir à Rennes, notamment d’accompagner une des mamans pour faire le lien avec ce réseau et se rendre compte des réalités mais aussi de l’accompagnement qui peut être fait. Un des moments forts, c’était avec Assa Traoré, qui était présente, qui est d’origine malienne, et Lalla, elle-même d’origine malienne et membre de Front de Mères. C’était une rencontre forte parce qu’elles sont toutes les deux confrontées à la question de violences policières, à des degrés différents mais on est bien sur une échelle et un parcours malheureusement.

Priscilla Zamord : On parle des discriminations qui peuvent être liées à l’origine ethnique. On a eu les cas très concrets des amendes discriminatoires. On a parlé des LGBT. Mais il y a aussi l’engagement pour l’écologie. Ça c’est un peu le dénominateur commun : l’écologie sociale, populaire. Qui répond à des choses très pratico-pratiques mais qui met aussi en lumière des luttes qui ont été menées dans les quartiers populaires ou par des personnes racisées, invisibilisées. Le 10 mars, on a organisé une projection au Pôle Associatif de la Marbaudais avec Keur Eskemm et Extinction Rebellion sur l’écologie décoloniale, un film documentaire réalisé par deux jeunes citoyens qui se sont auto-organisés avec un financement participatif et qui ont fait un documentaire hyper bien sur le chlordécone aux Antilles. Il s’agit de valoriser des démarches auto-organisées sur des questions d’écologie et de s’approprier le combat, les luttes, etc. Keur Eskemm, ils sont à Maurepas, ils font un travail magnifique je trouve avec les jeunes. Et puis Exctinction Rebellion qu’on connaît aussi pour sa lutte écologique. Autant Front de Mères et Keur Eskemm, ça aurait peut-être été évident parce que c’est un peu le même territoire. Autant rencontrer Exctinction Rebellion, ce n’était pas une évidence en soi donc c’est vraiment chouette, cette alliance-là. Comme je l’ai dit, on commence avec beaucoup d’humilité dans les façons de faire mais avec une volonté très forte. On fait des actions simples, on y va, on s’y met, on voit ce que ça produit… C’est pour ça que c’est aussi un choix de commencer à Maurepas. À la base, on a été sollicité-e-s pour faire un projet « transquartierspopulaires » mais en fait, ça, ça vient après. Il faut d’abord qu’on consolide bien notre base, qu’on soit bien ancré-e-s dans un territoire, qu’on fasse des choses pratiques, qui servent aux gens, immédiates, avant de vouloir éventuellement travailler dans d’autres territoires. Et puis comme on a déjà à gérer la relation avec le national… Parce qu’aujourd’hui, il y a le QG à Bagnolet qui est ultra puissant avec Vertdragon qui est la première maison d’écologie populaire en France (avec l’alliance avec Alternatiba). C’est sur que c’est un peu les paillettes, parce qu’ils ont un super lieu, des moyens, un QG… Et puis Fatima et les autres militantes de Front de Mères, elles sont quand même bien ancrées à Bagnolet depuis des années et des années… Les habitants les connaissent et les identifient donc pour fédérer et faire venir des gens, c’est un peu plus simple. Parce qu’elles ont une histoire là-bas.

Aurélie Macé : Elles sont fédérées en tant que mamans d’élèves.

Priscilla Zamord : Donc le QG est à Bagnolet et autour il y a une antenne à Rennes, à Strasbourg, une en construction à Toulouse, en région parisienne, Pantin en cours aussi… Et puis il y a les alliances au-delà de la France. Il y a un Front de Mères très chouette et très puissant et dynamique à Bruxelles, co-créé par deux femmes dont une qui travaille dans les quartiers et une qui est avocate spécialisée dans la lutte contre les violences policières et qui a suivi des gros dossiers médiatiques en Belgique. Et puis il y a Front de Mères à Barcelone - inauguré publiquement au mois de mai - qui existe déjà. Et puis, il y a aussi des prémices à Rome. C’est chouette parce qu’on arrive à fleurir et à s’adapter aux territoires.

 

YEGG : Ce n’est pas une problématique nationale.

Priscilla Zamord : Non, la lutte contre les discriminations, l’écologie, la lutte contre les violences policières et la question de la transmission des mémoires et des héritages culturels, c’est un combat universel !

Aurélie Macé : Front de Mères est en structuration nationale et européenne et locale. C’est un syndicat. Il s’agit de trouver la forme qui correspond le mieux au fil du temps.

Priscilla Zamord : En étant dans l’auto-organisation ! Parce que pour l’instant, on n’a pas de fonds publics. Ce sont des adhésions et le financement d’une fondation. Et puis on est dans une logique de gouvernance partagée. Aurélie, toi, tu as cette expertise associative et jeunesse, et moi, c’est plutôt le champ ESS (Economie sociale et solidaire) donc on apporte cette volonté aussi de gouvernance partagée, vraiment une gouvernance démocratique, et d’être dans quelque chose de respectueux du territoire et de la forme que ça prend dans chaque ville. Ça n’a jamais été un plaquage de l’Île de France car les réalités sont différentes.

 

YEGG : Comment est-ce reçu par les familles, à Rennes ? 

Aurélie Macé : À Maurepas, du coup. Quand on en parle, quand on a pu être présentes et qu’on a pu échanger, il y a un écho positif et intéressé sur la démarche et les valeurs qui sont portées. Après de là à se réunir et s’engager, c’est une autre démarche. C’est pour ça qu’on ne veut pas multiplier les réunions mais vraiment être dans l’action et faire des choses concrètes pour réunir et fédérer des gens.

Priscilla Zamord : Nos réunions, c’est pour préparer les actions concrètes et sortir du discours. On est très au clair et aligné-e-s sur nos valeurs, sur la ligne politique qu’on défend, et c’est aussi grâce à tout le travail déjà fait par Bagnolet, avec le site, le manifeste, tout est au clair. On sait qui on est, où est-ce qu’on se situe et surtout où est-ce qu’on veut aller et qui sont les personnes/structures toxiques qu’il faut un peu dépolluer, on va dire.

Aurélie Macé : La rencontre avec Fatima Ouassak, qui avait eu lieu en septembre, a réuni toutes les personnes qui avaient pu lire son ouvrage et qui s’y reconnaissaient. Comme par exemple une des mamans que j’ai accompagnée, qui porte le voile, qui est hyper présente auprès de ses enfants, qui a poursuivi ses études, etc. Ça lui a redonné de la force de venir à cette rencontre. Et elle a vu comment elle pouvait s’engager à nos côtés mais aussi suivre un réseau.

Priscilla Zamord : On invite à nous rejoindre toutes les personnes qui se sentent concernées par le présent et l’avenir des générations actuelles et futures dans les quartiers populaires et qui sont outrées par les discriminations que peuvent vivre des enfants et cette déshumanisation qu’il y a parfois. On peut être papa, maman, ni maman, ni papa, tata, etc… Il n’y a pas d’obligation à avoir eu un enfant.

Aurélie Macé : Ça peut être aussi des personnes qui bossent dans l’Education nationale.

Priscilla Zamord : Oui, et c’est le cas d’ailleurs. Encore une fois, on est outré-e-s par les discriminations que peuvent générer l’Education nationale mais on n’est pas contre le corps enseignant. Bien au contraire, on les considère comme des allié-e-s et on est pour une meilleure reconnaissance de leur travail et de leurs conditions de travail. Il y a énormément d’autres professionnel-le-s de l’éducation nationale et populaire, parce que l’éducation, ce n’est pas que l’Education nationale, c’est aussi les médiateurs, éducateurs, animateurs, etc. qui veulent faire des choses pour être exemplaires mais qui n’ont pas forcément les outils et les ressources pour. Ils se confrontent à des murs. Et ces murs, ce sont bien ceux de l’institution. On fait bien la distinction entre les personnes et l’institution. A titre d’exemple, Goundo Diawara, historiquement secrétaire de Front de Mères, elle est CPE en banlieue parisienne, on a aussi une adhérente enseignante à Rennes… Il y a une diversité de profession au sein de Front de Mères, dont des demandeurs d’emplois, moi qui suis à côté élue, Aurélie qui est animatrice… Le dénominateur commun, c’est la dignité des enfants. Et la dignité des parents, particulièrement ceux issus de la diaspora, mais aussi de tous les parents. Les attaques haineuses de l’extrême droite consistent à dire qu’on n’est pas dans l’universalisme français, bah en fait pour nous, c’est tout le contraire. Moi ce que je trouverais universel, c’est que tout le monde se sente concerné par une discrimination ou une violence qu’a pu vivre un enfant.

 

YEGG : Certes l’organisation accueille tout le monde au-delà du genre, mais quelle dimension politique donne-t-on à ce terme de « mères » qui figure dans l’intitulé Front de Mères ?

Priscilla Zamord : En fait, c’est la mère dragon (rires). C’est la figure du dragon, de la dragonne, qui est parfaitement bien expliquée dans le livre de Fatima Ouassak : on veut absolument mettre à distance, déconstruire, et même éradiquer cette image de la mère tampon dans les quartiers populaires et cette somation de la part du gouvernement et de l’État qui en fait impose aux mères issues de l’immigration de « tenir leurs gamins », donc de les tenir à la maison, ce qui pose la question du droit à l’espace public, et de les tenir comme il faut pour qu’ils parlent bien français et puis éventuellement d’être présentes quand il s’agit d’apporter des loukoums, des accras de morue, du couscous dans les fêtes d’école ou les réunions. Alors, oui, il y a la convivialité, aucun souci mais par contre il est hors de question d’être assignées à ce rôle de mères tampons. C’est pour ça qu’on parle de mères dragons, on ne rigole pas du tout en fait. Il y a eu tellement de dinguerie ces derniers temps, je ne peux pas m’enlever de la tête cette image de collégiens ou lycéens, agenouillés par la police, c’est hyper violent.

Aurélie Macé : C’est une image forte et extrême et on ne veut pas de ça en France (et on ne s’arrête pas à la métropole) et dans nos quartiers.

Priscilla Zamord : Nous savons, et je vais rester vague parce que je fais attention, qu’il y a des forces de l’ordre qui se sont moquées de jeunes qui étaient en chantiers collectifs sur l’espace public, en présence d’éducateurs. Ils ont été humiliés et moqués et ce sont des situations qui sont inacceptables. On parlait des amendes discriminatoires pendant les périodes de confinement et encore maintenant. La semaine dernière, je participais à un débat au musée de l’histoire de l’immigration à Paris qui s’appelait « Banlieues en lutte : quel héritage et quel combat actuels ? » et en fait on voit bien que l’urgence, c’est de faire un inventaire – je ne sais pas si on peut dire comme ça – ou une démarche un peu archéologique pour mettre en évidence toutes les luttes qui ont émergé dans les quartiers populaires et qui ont abouti à des victoires. Ces victoires-là sont trop invisibilisées alors qu’elles sont inspirantes pour les habitants et les jeunes qui ont besoin de figures et d’être inspiré-e-s par des personnes. Et faire aussi l’inventaire des échecs. Et j’en viens à un sujet politique : la gauche a fait énormément de mal aux luttes des quartiers populaires et on l’a bien vu avec la Marche de l’égalité dont on fêtait les 40 ans qui a abouti à une instrumentalisation pour créer SOS Racisme et mettre sous cloche l’urgence de déconstruction et de mesures fortes. Ils ont créé SOS racisme et cette logique de Touche pas à mon pote comme si les gens n’étaient pas capables de s’auto-défendre et s’auto-organiser. Donc une approche un peu malsaine entre du caritatif et de l’instrumentalisation… Ça, évidemment, c’est hyper violent. C’est pour ça que je trouve que depuis 40 ans la gauche (dans son entièreté), elle a plutôt mis la lutte antiraciste sous le tapis et donc il y a une rupture de confiance de la part de certains habitants vis-à-vis de l’engagement politique parce qu’on a l’impression tout le temps d’être disqualifié-e ou d’être récupéré-e quand on a de la belle matière grise et qu’on fait de belles actions… On manque d’allié-e-s à gauche et on est attaqué-e-s à la jugulaire par l’extrême droite avec la néofascisation de la France et la monopolisation de l’espace médiatique par des ambassadeurs des ténèbres (de la droite extrême à l’extrême droite). Du coup, dès qu’on a une démarche qui revendique nos droits et tout simplement l’égalité, on est taxé-e-s d’indigénistes, de communautaristes, de wokistes, d’amish aussi. Et comme ça, c’est matraqué, ça ne donne pas envie de s’engager. Parce que ça fait peur. Il faut pouvoir gérer déjà au quotidien les habitants des quartiers populaires, l’impact des discriminations sur la santé, et en plus il faut s’engager en ayant une forme de courage et de solidité morale… Et physique et émotionnelle… pour faire face à ça. Donc quand on est en distorsion comme ça, entre plusieurs choses, soit on est dans l’abandon, soit on est dans le combat. Nous, ce qu’on essaye de faire avec Front de Mères, c’est de détricoter un peu les choses et d’essayer de montrer aux gens que par des choses très simples, on peut s’engager et essayer de trouver de la ressource collective pour essayer de mieux vivre son quotidien, mieux accompagner son gamin quand il a vécu une inégalité, une injustice ou une violence, changer les habitudes et valoriser les pratiques écologistes qui existent depuis super longtemps dans les quartiers populaires, comme le réemploi par exemple même si c’est parfois lié à la précarité… Il faut faire commun et se retrouver autour de moments joyeux.

Aurélie Macé : Je pense que c’est une des forces de Front de Mères. Cette image des mères qui s’occupent des enfants, qui font à manger, etc. Mais être femme, ce n’est pas cantonné à ça. C’est aussi se réunir ensemble et créer de la force dans ce qui est collectif. Et dans le livre de Fatima Ouassak, elle rappelle les autres mouvements de femmes, et ça redonne le pouvoir d’agir.

Priscilla Zamord : C’est très politique. Et dans la diversité des luttes, par exemple, Fatima, elle me parle toujours de Plogoff. Enfin, elle l’évoque souvent, l’importance du combat des femmes à Plogoff et je trouve ça génial. Voilà, Bagnolet-Finistère, même combat ! (Rires) Les alliances sont possibles à partir du moment où on est dans le respect et la non instrumentalisation des luttes. C’est pour ça que je ne parle pas de convergence des luttes. Je préfère alliance. Chacun est soi-même mais on travaille ensemble sur des projets qui nous réunissent de temps en temps, pour faire force.

 

YEGG : Et avec les forces féministes rennaises ? 

Priscilla Zamord : On a participé à la Coordination féministe qui a eu lieu en janvier à Rennes. Je suis intervenue le matin, j’ai co-animé un atelier sur l’écologie et le féminisme. Et Front de Mères a animé un atelier dans le cadre des événements organisés les 12 et 13 mars, à Maurepas(festival Big up, à la Maison de quartier de Villejean, ndlr).D’autres projets sont envisagés avec d’autres structures, je pense aux Marie Rose par exemple. Il y a des choses en perspective.

Aurélie Macé : Il y a du lien par exemple sur le quartier avec le GRPAS.

Priscilla Zamord : Je reviens sur les modalités d’engagement, de manière générale, pas que dans les quartiers populaires, le covid a produit des changements de pratique. On a vu plein de solidarités informelles inspirantes dans les quartiers. Je pense que c’était très très dur ce qu’ils vivaient et j’ai vu plus de solidarité dans le quartier à Maurepas que quand j’ai habité dans le quartier sud gare (où je vivais lors du premier confinement) et où mes voisins ne m’adressaient jamais la parole. Quand je disais bonjour, on ne me répondait pas. Ce n’est pas la seule raison mais ça a participé à me faire revenir à Maurepas. Il y a aussi une forme de bénévolat ou d’engagement qui peut être en pointillé et c’est pas grave. Selon les modes de garde, les temps de travail, etc. on peut venir en one shot, c’est pas grave en fait.

Aurélie Macé : On a envie de montrer qu’on est présentes et c’est pour ça qu’on ne peut pas être sur tous les quartiers aujourd’hui. On veut être bien à Maurepas et être présentes le jour où il y a besoin. C’est important d’être repérées comme ça le jour où il y a besoin, la maman puisse venir pour nous alerter sur une situation de discrimination.

Priscilla Zamord : Et nous, on essaye d’activer tous les réseaux ou de la ressource. Typiquement de l’accompagnement juridique, identifier le bon avocat, faire de la collecte de témoignages, etc.

Aurélie Macé : Et la maman n’a pas besoin d’être adhérente. Simplement savoir qu’elle peut interpeler un réseau de proximité.

Priscilla Zamord : On peut être militant ou activiste de manière ponctuelle. Chacun fait comme il peut. On peut avoir le pied dans plusieurs structures. L’hybridation du militantisme, il n’y a aucun souci avec !

 

YEGG : Concernant les alliances avec d’autres groupes, quand on regarde l’histoire par du féminisme, on voit cette alliance avec les femmes racisées, les personnes LGBTIQ+. Mais aujourd’hui, de cette histoire, on ne retient quasiment que des femmes blanches, hétéros, etc. Quand on pense aux années 70, on parle contraception, avortement, tout en blanc. Comment appréhendez-vous ces alliances pour que ça ne reste pas anecdotique ? Comment fait-on pour ne pas répéter l’histoire ?

Priscilla Zamord : La question de comment faire alliance pour ne pas être invisibilisées après, c’est une très bonne question. Qui résonne à plusieurs titres. Sans entrer dans les détails… je pense que Front de Mères a été tellement observatrice ou en connaissance de phénomènes comme ça de récupération – qui sont une forme de violences – qu’on repère assez vite les groupes mal intentionnés. On ne rigole pas du tout, je ne sais pas comment le dire autrement. Donc oui à l’alliance mais pas à n’importe quel prix. Pour moi, il y a un vrai contrat de réciprocité qu’il faut établir avec les autres organisations. Être dans quelque chose de coopératif mais pas dans quelque chose de l’ordre de la récupération. On est hyper au taquet là dessus. On a une expertise et des héritages où il y a eu tellement d’extorsion qu’on fait attention. Sur la lutte féministe, c’est pareil. On a une telle expertise d’usage au quotidien dans les quartiers populaires qu’on ne peut plus nous la faire à l’envers. Ce n’est plus possible. C’est plus sur la théorie où parfois je vois des glissements. Comme sur l’intersectionnalité par exemple. Y a moyen à un moment de juste revenir sur la genèse ? Kimberlé Crenshaw, juriste afroaméricaine, qui a définit l’intersectionnalité par l’origine ethnique et les discriminations qui venaient autour se compléter. Et aujourd’hui, je vois parfois des féministes qui ont complètement évacué la question de la discrimination raciale et qui se disent « tiens on va y mettre un peu de LGBT, de handicap, etc. ». Non, ça ne marche pas comme ça. Un peu de respect pour celles qui ont conçu, conscientisé, lutté… MeToo, c’est pareil. On dit que c’est Alyssa Milano qui l’a lancé aux Etats-Unis alors que non c’est une afroaméricaine, Tarana Burke, qui a lancé le hashtag. Elle a été complètement invisibilisée.

Aurélie Macé : Et justement le but de Front de Mères, c’est de rendre visibles les invisibles. Par les premières concernées. Ça fait partie des discussions dans le groupe sur la place des un-e-s et des autres. C’est important !

Priscilla Zamord : Et puis, un travail qu’il faudra qu’on fasse à un moment donné sur Front de Mères, localement, c’est de rendre visibles les personnes qui ont participé à des changements, des luttes, issues des minorités qui ont été invisibilisées, ou des personnes actuelles qui ne sont pas forcément dans des luttes mais qui sont des figures culturelles de cette diversité à Rennes et qu’on ne voit pas.

 

YEGG Magazine : Merci à vous.

Célian Ramis

Women in Copernicus : quelle place pour les femmes dans l'aérospatiale ?

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À l’occasion des Mardis de l’égalité, l’ingénieure d’études « Applications spatiales » Marie Jagaille intervenait au Tambour, à l’université Rennes 2, le mardi 8 mars, afin de présenter le collectif Women in Copernicus, ainsi que le podcast éponyme.
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À l’occasion des Mardis de l’égalité, l’ingénieure d’études « Applications spatiales » Marie Jagaille intervenait au Tambour, à l’université Rennes 2, le mardi 8 mars, afin de présenter le collectif Women in Copernicus, ainsi que le podcast éponyme. 

« La participation des femmes est un réel enjeu. », dit-elle. Et pour comprendre cet enjeu, il faut comprendre le cadre dans lequel elles opèrent. Ainsi, elle redéfinit les trois domaines de l’aérospatial qui s’appliquent sur la terre : le positionnement (GPS), les télécommunications et l’observation de la Terre. C’est dans ce dernier domaine que porte son intervention. 

Programme européen d’observation de la Terre, il fournit des satellites, appelés Sentinelles, qui tous les jours collectent des données qui une fois analysées permettent d’établir un état des lieux global de la santé de notre planète, captant par exemple les courants en mer d’Iroise pour mieux envisager les routes maritimes et ainsi consommer moins de carburants, les phytoplanctons dans la Manche pour mieux aider les scientifiques concernant la prolifération des micro-algues ou encore les infrarouges en ville qui pourraient nuire à la végétalisation urbaine, pourtant capitale dans leur rôle de régularisation des températures.

Toutes ces données sont gratuites et accessibles aux entreprises. Copernicus participe donc à l’amélioration des connaissances en terme d’environnement mais également au dévelppement économique, notamment en Bretagne, région très active dans le domaine spatial. C’est un programme important, résultant de nombreuses compétences et de nombreux domaines (traitement des images, algorithmes, intelligence artificielle, océanographie, climatologie, urbanisme…).

PAS POSSIBLE DE TROUVER DES FEMMES... VRAIMENT ?

« Des disciplines où les femmes sont moins nombreuses. », signale Marie Jagaille, qui en arrive donc au point de départ du lancement de Women in Copernicus, collectif réunissant une dizaine de femmes travaillant dans les domaines transversaux de l’observation de la Terre en Europe, fondé en 2020.

C’est Nathalie Stéphenne qui en est à l’initiative. En suivant un mook sur Copernicus, elle constate qu’il n’y a pas de femme et s’en étonne. Ce à quoi on lui répond que cette absence n’est pas expressément voulue mais aucune femme n’a été trouvée en tant qu’intervenante…

« Pour nous, cette réponse n’est pas satisfaisante car chacune d’entre nous connaissons des femmes expertes, légitimes à intervenir. », souligne l’ingénieure. C’est alors que Nathalie Stéphenne leur propose de participer à un appel à projet, permettant de récolter 5 000 euros.

« On a proposé un projet dont l’objectif vise à donner de la visibilité à ces femmes que l’on connaît déjà et aussi à celles que l’on ne connaissait pas encore. »

ALLER CHERCHER LES INFOS

S’il existe de nombreuses études sur les femmes issues des STEM (Sciences, Technologies, Ingénierie & Mathématiques), les données sont rares, voire inexistantes concernant un domaine aussi transversal que l’observation de la Terre. Les membres de Women in Copernicus entament alors une démarche significative : dresser un état des lieux.

Un questionnaire, traduit en 8 langues, est diffusé dans tous leurs réseaux respectifs, en lien avec Copernicus, et sur les réseaux sociaux. Résultat : 450 femmes ont répondu. Sachant « que quand on lance une étude sur un sujet lié au programme Copernicus, en général, on a plutôt 200 réponses. » C’est un succès qu’elle explique notamment par la période « puisque les secteurs s’emparent plutôt du sujet » et l’outil facilitant du questionnaire en ligne.

Les répondantes ont majoritairement entre 30 ans et plus, viennent principalement du secteur académique mais aussi – moins nombreuses – du privé. Elles ont étudié pour 75% d’entre elles les STEM et les autres démontrent des parcours variés, issus des sciences sociales, du journalisme, de l’administration, des arts et de l’éducation.

« Elles ont un rôle stratégique dans Copernicus car elles aident à s’approprier les données. », précise Marie Jagaille. Car pour les ¾ d’entre elles, elles travaillent en lien avec les utilisateurs finaux du programme, « c’est-à-dire toutes les personnes qui vont pouvoir bénéficier dans leurs métiers de ces données sans en être des expertes de l’observation de la Terre. »

Leur rôle est déterminant. D’ailleurs, les répondantes se disent satisfaites de leurs métiers et portent donc un message important puisqu’elles valorisent un secteur porteur, épanouissant professionnellement. Elles sont fières de contribuer à une meilleure connaissance et compréhension de notre planète afin de mieux l’habiter. C’est réjouissant.

LES DIFFICULTÉS PERSISTENT ET PERDURENT

Pour autant, cela ne signifie pas qu’elles ne font pas face à des difficultés au quotidien dans leurs carrières. Et quand la question leur est posée, elles signalent, « sans surprise », souffrir du fait d’être minoritaires dans leurs services. Ce qui était déjà le cas dans leurs études, en général.

La première barrière est identifiée : elles parlent de boy’s clubs, d’événements quasi exclusivement masculins, font part de l’inconfort à être la seule femme au travail. Ainsi, elles subissent les stéréotypes de genre sur leur lieu de travail, se sentent moins écoutées et ressentent qu’elles ont besoin de prouver plus que les hommes leurs compétences et leur légitimité.

Marie Jagaille évoque le plafond de verre qui se traduit par un écart entre le niveau d’expertise, plutôt élevé, et le niveau hiérarchique, moins élevé, de ces femmes. Un écart qu’elle signale d’autant plus flagrant dans le secteur académique que privé.

« C’est le phénomène du tuyau percé. Le pourcentage de femmes dans une carrière académique classique, toutes matières confondues, va diminuer au fil du temps. », explique-t-elle, chiffres à l’appui : 42% assistante, 34% professeure associée, 24% professeure.

L’autre barrière identifiée, c’est celle du manque de confiance. Une réponse qui « revient toujours ». Elles estiment que cela est un frein bloquant dans leurs carrières, et parlent, sans surprise là encore, du syndrome de l’imposteur et du manque de légitimité. Pour Marie Jagaille, il apparaît que l’absence de rôles modèles féminins dans les secteurs questionnés ait un rôle à jouer. C’est un des enjeux principaux : donner de la visibilité à toutes les femmes dans les sciences. 

CONTRIBUER À LA PRISE DE CONSCIENCE

Leur enquête a été présentée au niveau européen et diffusé dans de nombreux événements. Les missions sont multiples :

« Inspirer davantage les filles et femmes à aller vers ces secteurs, encourager les filles à aller vers des parcours scientifiques, montrer que toutes les compétences sont nécessaires, contribuer à la prise de conscience des inégalités de genre dans notre secteur et déconstruire les stéréotypes de genre en impliquant les hommes dans les discussions. »

Elle ne s’en cache pas, le dernier point constitue une véritable difficulté et une grande frustration pour les membres de Women in Copernicus puisque les événements estampillés du nom du collectif sont souvent suivis exclusivement par des femmes.

« A titre personnelle, la frustration pour moi par rapport au format visio des événements était aussi le manque de proximité et de liens avec les collègues. », ajoute-t-elle. Un appel à idées est lancé : survient l’envie et la volonté de lancer un podcast, réalisé et animé par Gwenael Morin, Roberta Rigo, Guglielmo Fernandez Garcia et Marie Jagaille. 

La ligne éditoriale : réaliser des entretiens avec des femmes actives de ce secteur en Bretagne, leur donner la parole, montrer ce qu’est leur métier avec l’objectif de démystifier le côté impressionnant de l’aérospatial et aborder les sujets d’égalité de genres à travers leurs parcours et des études.

À LA RECHERCHE DE SOLUTIONS COLLECTIVES

« On n’est pas des expert-e-s des questions de genre mais on sent bien que ce sont des enjeux. Le manque de confiance revient dans tous les entretiens, imprègne tous les discours. Et on constate que c’est systémique et non une expérience anecdotique. Quand on creuse, il y a un lien avec l’éducation, au sens large du terme, reçue et l’image que l’on attend des femmes. Ne pas prendre trop de place… alors que dans nos métiers, on a besoin d’entrer en discussions, de prendre de la place dans les débats, etc. Et on ne sent pas toujours légitime à la prendre cette place, dans nos laboratoires de recherches. », témoigne Roberta Rigo. 

Ainsi, elle pose la question : si le problème est systémique, les solutions ne devraient-elles pas être collectives ? Questions des quotas, et ce dès l’école et notamment dans les sélections des cursus d’études supérieures, mais aussi prix décernés aux femmes, tables rondes autour de ces sujets, partages des vécus, réflexions collectives (incluant les hommes et les comités scientifiques)… les pistes sont ouvertes et nombreuses pour que les un-e-s et les autres cheminent vers une déconstruction des stéréotypes de genre.

« Le podcast est notre façon à nous d’ouvrir la discussion et de contribuer à ces questions-là. », conclut Marie Jagaille, précisant que 5 épisodes de Women in Copernicus sont en libre écoute !

Célian Ramis

Juste une femme, tout simplement

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Le corps, les normes et les standards oppressifs… Aurélie Budor conjugue l’intime au politique dans la pièce Juste une femme, basée sur son histoire, des textes d’Annie Ernaux et des chansons d’Anne Sylvestre.
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Le corps, les normes et les standards oppressifs… Aurélie Budor conjugue l’intime au politique dans la pièce Juste une femme, basée sur son histoire, des textes d’Annie Ernaux et des chansons d’Anne Sylvestre. Un spectacle – suivi d’une discussion avec la comédienne – le 15 mars à 16h dans les locaux de CRIDEV, à Rennes. 

Dans son dernier livre, Mémoire de fille, Annie Ernaux dévoile son rapport à l’écriture et à l’être littéraire qu’elle a accepté de devenir tout au long de sa carrière d’écrivaine. Lors de son passage à Rennes le 26 mai 2016, à la librairie Le Failler, elle expliquait : « Faire de ce qui m’arrive un objet littéraire, je pense que ça m’a aidé. » (Lire l’article « Annie Ernaux, femme au-delà de son temps - 2 juin 2016 – yeggmag.fr) 

Avec certitude, son expérience partagée dans l’intégralité de son œuvre aura aidé – et continue de le faire - bon nombre de lectrices (et sans doute de lecteurs) à se comprendre, s’extirper du sentiment de culpabilité et s’émanciper. En 2014, en pleine recherche pour sa création théâtrale, une amie conseille à Aurélie Budor la lecture des textes d’Annie Ernaux.

« Ma rencontre avec son écriture et son histoire a été extraordinaire. Je me retrouve dans son histoire et la fracture sociale qu’elle a vécue (fille de commerçants en Normandie, l’autrice est devenue, après des études infructueuses d’institutrice, une femme de lettres, évoluant ainsi dans une sphère sociale différente de celle de ses parents, ndlr). Elle n’avait alors plus le même verbe, plus la même façon de penser. C’est exactement ce que j’ai ressenti dans ma vie, c’est assez fou de se reconnaître comme ça. Elle touche énormément de femmes et n’individualise pas sa situation. », soutient la créatrice de Juste une femme

DE L’INDIVIDUEL AU COLLECTIF, ET VICE VERSA

Aurélie Budor pratique en amateure le théâtre depuis ses 8 ans et a notamment joué à l’ADEC de Rennes avec des professionnel-le-s, comme Camille Kerdellant par exemple. En revenant d’un voyage de 6 mois en Amérique du Sud, elle a co-écrit, avec une amie, et co-créé le spectacle Suerte

Et c’est en parlant avec des ami-e-s qui organisent un festival qu’elle va s’intéresser au thème de la vieillesse et peu à peu établir un lien avec les femmes. Plus précisément avec le corps des femmes. De là découle une envie qui se transforme bientôt en nécessité à aborder la question des normes et des standards qui oppriment la gent féminine.

« J’ai eu besoin de faire un retour entre mon intime et le politique. Mon histoire singulière et intime n’est pas un cas isolé. Il fait parti d’un système social et sociétal qui fait que les femmes sont opprimées. Je questionne alors les standards de beauté mais je questionne aussi le statut de mère. Les mères s’oublient en tant que femmes. Contrairement aux hommes, elles gèrent le travail professionnel, le travail domestique, l’éducation des enfants puis leur accompagnement. », constate Aurélie, désireuse de rendre hommage à sa propre mère. 

Cette agent hospitalière à St Brieuc qui, de son vivant, a vécu les études de sa fille par procuration. La jeune femme poursuit l’introspection : « Je suis issue d’un milieu prolétaire. Je ne suis plus dans ce milieu-là car j’ai eu une instruction et j’ai changé de statut social. De par mon environnement social actuel, il y a des choses que je ne veux pas reproduire, sans pour autant rejeter tout ce que ma mère m’a transmis. Je parle surtout de classe prolétaire car je me base sur mon histoire personnelle et intime. Ce qui ne veut pas dire qu’il y a moins de femmes soumises dans les autres classes… » 

Parce qu’il lui est difficile au lycée de poursuivre dans une filière générale, elle obtient un bac STT et s’oriente ensuite vers un IUT information-communication – option communication – à Lannion, avant d’effectuer une licence 3 en conception de projet culturel à Metz, intéressée depuis longtemps par le secteur socio-culturel.

S’AFFRANCHIR DU SYSTÈME PATRIARCAL

Juste une femmeinterpelle alors les valeurs traditionnelles et les injonctions de toujours à « être femme ». Vouloir devenir mère, est-ce inné ? Se marier, est-ce la preuve d’un amour entre deux personnes ou une manière de contrôler l’autre ? Pour qui s’apprêtent les femmes pendant des heures dans la salle de bain ? 

Pour elle, la réponse vient des normes et des dictats aliénants imposés par une société hétéronormée. Une société qui fixe les règles d’un jeu dominant/dominée basée sur une injonction à être séduisante et désirable. Objetisée dans les médias et les publicités et insidieusement dans les mentalités et l’espace public.

« Je suis plutôt hétéro. Par conséquent, je cherche à plaire à des hommes. Et les femmes en général doivent être séduisantes pour les hommes. J’ai ressenti beaucoup de souffrance par rapport à mon corps « hors norme ». Maintenant, j’ai du recul, mais c’est ce que je vis dans mon corps en tant que femme. On vit les harcèlements, les viols, les agressions sexuelles, on n’est pas bien dans nos bask’, on met du rouge à lèvres et des décolletés pour attirer l’attention et plaire. On porte des talons ce qui ralenti notre démarche et nous rend plus vulnérables dans la rue. Tout ça, c’est le système patriarcal. », s’exclame Aurélie Budor. 

Elle lie alors son savoir et son vécu, et les transmet dans son spectacle, invoquant également les mots d’Annie Ernaux extraits des livres Une femme et Une femme gelée et ceux de la chanteuse Anne Sylvestre avec les chansons « La vaisselle », « Juste une femme » et « Maman, elle est pas si bien que ça ».

Célian Ramis

Patricia Godard, sur les pas de Colette Cosnier

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Patricia Godard publie en février 2022, Colette Cosnier – Un féminisme en toutes lettres, aux éditions Goater. Un femmage réjouissant, interactif et vibrant avec une figure marquante d’un féminisme qui résonne dans notre temps.
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Engagée pour les droits des femmes, la valorisation et la reconnaissance du matrimoine, Patricia Godard a co-fondé l’association Histoire du féminisme à Rennes, avec Lydie Porée. Ensemble, elles ont signé le livre Les femmes s’en vont en lutte, paru aux éditions Goater en 2014. Aujourd’hui, la militante revient avec un nouvel ouvrage, publié en février 2022, Colette Cosnier – Un féminisme en toutes lettres. Un femmage réjouissant, interactif et vibrant avec une figure marquante d’un féminisme qui résonne dans notre temps. 

 

YEGG : Qu’est-ce qui vous a amené à écrire sur Colette Cosnier ?

Patricia Godard : Ça part d’une rencontre amenée par mon premier travail de recherches, fait avec Lydie Porée sur les luttes féministes à Rennes. On cherchait des féministes qui avaient fait des actions dans les années 70 et on nous disait d’aller interviewer Colette Cosnier. Elle nous avait répondu qu’elle n’avait rien fait. Parce qu’on avait amené les questions vers les luttes collectives, les groupes féministes. Elle ne s’était pas sentie concernée. On a gardé son nom en tête et puis on avait été sollicitées par Place publique Rennes pour écrire un abécédaire. On s’était dit que ça pouvait être bien de la recontacter et puis elle devait y participer aussi. Je suis allée chez elle l’interroger et ça a été un coup de foudre. C’était une sacrée personnalité. Quelqu’un de passionnant, d’attachant. Donc je dirais que le départ, c’est une rencontre. Je me suis sentie tout de suite à l’aise, avec beaucoup d’affinités alors qu’on est deux générations différentes, dans notre féminisme aussi. On est restées en lien, elle a adhéré à l’association Histoire du féminisme à Rennes, elle trouvait que c’était vraiment super qu’il y ait cette relève localement. Elle a écrit la préface de notre livre qui est sorti en 2014. J’avais lu Marion du Faouët et ses biographies aussi. Pour les hommages après son décès en janvier 2016, j’ai encore lu autre chose. J’en savais un peu plus et je me suis dit qu’il fallait que je continue à creuser. 

 

Comment est-ce que vous décririez Colette Cosnier. Passionnée, attachante, mais encore ?

Je dirais que c’était une écrivaine, une féministe, une universitaire… Il y a toutes ces dimensions-là qui sont très liées. Et puis des aspects que j’ai vraiment découvert : c’est aussi une femme de théâtre, une historienne des femmes… Elle a plein de facettes et en même temps il y a une cohérence dans tout son travail et dans toutes ses actions. Elle a fait de la vidéo, du théâtre, elle a écrit du théâtre, elle a fait journaliste… C’est difficile de s’arrêter à une dimension.

 

Mais comment vous, vous la percevez, au-delà de toutes ces casquettes ? 

Dans son engagement principal. Sortir de l’ombre des femmes qu’on a ignorées, oubliées ou dont l’Histoire a falsifié la vie. Il y a chez Colette Cosnier ce rôle de transmission. Et dans ce qu’on appelle aujourd’hui le matrimoine - car elle, elle n’appelait pas encore ça le matrimoine - c’est vraiment une pionnière. C’est la première universitaire, en 1973, qui travaillait sur les femmes et la littérature. Michelle Perrot le faisait à Jussieu en histoire mais en littérature, elle est vraiment pionnière. S’il y a une chose à retenir, c’est ça. Son côté justicière. Et anticonformiste. Je pense que c’est un aspect qui est très intéressant. C’est lié en partie à ses origines modestes (en tout cas, c’est mon hypothèse), elle ne rentre jamais vraiment dans les clous. Elle ne passe jamais l’agrégation, ne fait pas de thèse, elle rentre à la fac par la petite porte, avec un sujet hyper marginal : les femmes. A la fac, elle n’a pas du tout de réflexion sur sa carrière. J’ai interrogé notamment une ancienne collègue à elle à qui on a dit de ne pas bosser sur les femmes parce que ça allait ruiner sa carrière. C’est ce qu’on a dit aussi à Michelle Perrot en lui conseillant de s’intéresser plutôt aux ouvriers…

 

Alors que finalement, ça va beaucoup intéresser ses étudiant-e-s…

Oui ! Parmi les militantes que l’on a interrogées avec Lydie, beaucoup suivaient ses cours. Et c’était vraiment une caisse de résonnance par rapport aux luttes qui se passaient à ce moment-là. Colette Cosnier était très à l’écoute du mouvement des femmes dans les années 70. Elle lisait des revues féministes, s’intéressait à des débats sur l’écriture féminine. Son roman Le chemin des salicornes est très imprégné de la littérature féministe des années 70-80 autour du corps. Le corps prend vraiment de la place dans le récit. Ça va donc influencer son travail. Tout est imbriqué. Les luttes féministes, la littérature, son travail d’écrivaine, d’universitaire, de transmission… tout ça, ça fonctionne vraiment ensemble. Parce que sinon elle disait toujours qu’elle n’était pas militante à proprement parler. Elle a était adhérente du Planning familial à un moment mais elle n’était pas fan des groupes. 

 

Le féminisme résonne dans ses réflexions et travail mais elle ne se définissait pas militante dans le sens activiste…

Oui, et pourtant, à plein de moments, elle va avoir des positions assez politiques. Lors de la guerre du Golfe en 91, elle découpe sa carte d’électrice et elle l’envoie à Edmond Hervé (alors maire de Rennes, ndlr). C’est une rebelle un peu ! Elle est furax que les députées socialistes femmes aient voté la guerre. Elle fait référence à Louise Bodin et à toutes les féministes de gauche. Elle a l’impression qu’elles ont suivi les mecs dans leur truc viriliste de guerre. Elle est toujours révoltée mais ne se définit pas militante. Elle dit qu’elle fait ce qu’elle sait faire, à savoir écrire et enseigner. Et c’est là où s’exprime son féminisme.

 

Qu’est-ce qui résonne en vous dans le parcours de Colette Cosnier ?

Ses origines modestes, d’une petite ville de province… j’ai été touchée par la correspondance avec son prof. Elle est archivée aux Champs Libres. Elle raconte ses années étudiantes notamment à Paris. On la sent perdue, sans repères. Elle n’a pas les bons réseaux, elle n’est pas aiguillée et il n’y a que ce prof-là, qui est un facho mais bon… Et ça m’a vraiment touchée, ses années étudiantes. J’ai fait une prépa à Paris, à Louis le Grand, je suis fille d’ouvriers arrivant dans ce milieu-là et j’ai trouvé ça hyper violent. Et puis le fait d’être féministe. Quand elle parle des années 90, qui étaient des années assez difficiles dans le féminisme… J’ai milité au début des années 2000 avec Mix-Cité et dans les manifs, il n'y avait personne. Le 8 mars, on ne partait pas en manif, on était en rassemblement, il y avait 50 personnes… Il y a eu une traversée du désert. Ça commence à reprendre. Au début des années 2000, ça reprend très très doucement. Ça frémissait on va dire. On essayait de se marrer mais c’est vrai qu’il fallait assumer d’être dans la rue. Je me rappelle du 1ermai où on était 8 ou 9 avec nos casseroles à distribuer des tracts sur les tâches ménagères ou des trucs comme ça. Et puis j’ai beaucoup aimé faire les recherches, ça m’a éclaté de découvrir plein de trucs. Elle avait elle aussi ce goût des recherches. 

 

Vous êtes allée à La Flèche, sa ville natale…

Oui, c’était le premier lieu de recherches. Je suis allée sur les pas de Colette Cosnier. Voir ses maisons, les tombes de ses parents, de ses grands-parents et puis aux archives municipales, j’ai feuilleté les vieux journaux. C’était une première étape. J’ai ensuite fait pas mal d’entretiens, je suis allée aux archives municipales de Rennes et surtout au centre des archives du féminisme à Angers. André Hélard (son mari, ndlr) a versé les archives pendant ma recherche, donc il a fallu que j’attende que ce soit classé, et encore ce n’est pas terminé… On m’a laissé y accéder avant le classement définitif. Il y avait 17 cartons et je me suis plongée dedans. Je n’avais qu’une semaine. Le bon côté, c’est que je suis allée chercher plein de choses par des moyens détournés avant ça. Pendant 7 jours, je faisais l’ouverture et la fermeture de la bibliothèque universitaire, j’étais plongée dedans. C’était très très riche. Pas mal de photos, qui figurent dans le bouquin d’ailleurs, des traces de son enfance, de sa scolarité. Il y a des manuscrits, c’est très chouette de voir comment elle travaillait, elle raturait, faisait des tirets, elle accumulait beaucoup puis elle retirait de sa matière… Quelques revues de presse autour de la sortie de ses bouquins aussi. Les entretiens ont pris du temps, j’ai interrogé une trentaine de personnes et André Hélard, la personne que j’ai le plus souvent rencontrée. Une de mes sources principales à partir de 1972.

 

Vous avez choisi une forme particulière puisque vous discutez avec elle. Comment avez-vous articulé travail de recherches et imagination autour des réponses qu’elle vous donne ? 

J’ai essayé d’organiser toute cette matière-là pour répondre aux questions que je me posais : comment elle était devenue féministe par exemple ? Je n’ai pas trouvé d’élément déclencheur - c’est rare qu’on devienne féministe parce qu’une lumière nous tombe dessus (Rires) – mais plein de faisceaux qui convergeaient donc j’essaye de lui faire dire ça. Il y a une petite part d’imagination mais pas tant que ça finalement. Je m’appuie beaucoup sur sa manière de parler, qu’on entend dans des émissions de radio, dans des conférences, etc. J’ai essayé de calquer sa façon de parler. Et puis tout ce que je raconte est sourcé, je n’ai rien inventé. Le fait de la connaître, ça aide. Souvent, les personnes qui l’ont connue parlaient de sa voix. Elle a fait beaucoup de théâtre, il paraît qu’elle était vraiment bonne comédienne, notamment en improvisation… Sa voix dégageait quelque chose.

 

C’est hyper intéressant de se dire que les gens ont retenu la voix d’une femme qui en plus parle des femmes ! 

Oui ! Le mot voix, elle l’utilise aussi quand elle parle de ses grands-parents. Elle dit qu’elle veut leur donner une voix parce qu’ils n’ont pas laissé d’archives particulières. Elle utilise souvent ce mot-là, pour les femmes biographiées aussi. Elle leur donnait une voix. Le fait que les femmes soient enfermées dans des modèles. Ça va avec le silence… Ce dialogue, c’est aussi une poursuite de l’entretien que j’avais commencé avec elle. Je l’avais revue depuis mais il y avait des questions que j’avais envie de lui poser. Et puis, s’est posée la question de la légitimité. Je me suis dit que c’était une grande biographe et je ne me sentais pas capable d’écrire une biographie sur elle. Au départ, c’était une pirouette pour éviter d’écrire une biographie classique, traditionnelle. Parce qu’il faut, comme avec un roman, avoir un sens du récit, tenir le fil tout du long… Maintenant, je me dis que j’aurais finalement peut-être été capable mais je suis contente de cette forme-là car c’est vivant, accessible à lire, et ça s’y prête bien.

 

Est-ce que les gens qui la connaissent et qui ont lu le livre entendent justement cette voix marquante ? 

André Hélard m’a dit qu’il avait eu l’impression de l’entendre. Que ça passait très bien. Le livre vient tout juste de sortir donc je n’ai pas encore eu beaucoup de retours mais j’ai plutôt des bons échos. Michelle Perrot, au départ, elle était hyper sceptique. Et finalement, elle trouve que ça fonctionne bien. C’est vrai que c’était un peu gonflé, je ne m’en suis pas rendu compte sur le coup, c’est un peu atypique comme manière d’aborder la biographie. Mais ça correspond au personnage qui était aussi atypique.

 

Vous disiez qu’elle ne parlait pas à cette époque-là de matrimoine. Est-ce qu’en avançant dans sa vie, elle a entendu ce terme ?

On n’en parlait pas encore trop en 2016. On se disait ça avec André Hélard, son mari, en préparant la conférence du 17 mars - à la MIR avec Justine Caurant de HF Bretagne et Marie-Laure Cloarec, clown qui lira des textes à cette occasion. On se disait qu’elle aurait été trop contente de voir tout ce qui sort sur le matrimoine, toutes ces questions-là, le livre de Titiou Lecoq (Les grandes oubliées, ndlr) entre autre… Elle aurait été super contente. Elle a manqué toutes les étapes qui découlent de MeToo et ça l’aurait je pense conforté dans ce qu’elle a fait. Elle se disait être un « dinosaure féministe », elle se voyait comme une ancienne combattante… Elle a du souffrir je pense de solitude en étant féministe. 

 

Surtout quand on fait un travail de mémoire sur les femmes à une époque où on n’a pas du tout envie de les entendre. On l’a dit à ce moment-là, il n’y a pas de mot, comment elle se considère, elle, en ressortant ces femmes de l’oubli ?

Peut-être comme une historienne des femmes, même si ce n’était pas sa formation. Elle fait quelque part œuvre d’historienne, notamment dans Le silence des filles. Le sujet du bouquin, c’est pourquoi au 19eet au début du 20e, il y a si peu d’écrivaines, de compositrices, d’artistes, etc. Elle s’était rapprochée de Michelle Perrot, elles avaient participé au livre de Christine Bard sur Un siècle d’antiféminisme. À partir des journaux intimes, des manuels d’éducation des femmes, elle va plus loin dans l’analyse des mécanismes d’effacement des femmes. Avec toujours l’entrée littéraire. D’où le titre, « en toutes lettres ».

 

Une association comme Histoire du féminisme à Rennes poursuit sa lignée, sa continuité de Colette Cosnier. Quelle est l’importance du local pour elle ? 

Tous les travaux de Colette s’ancrent dans un territoire. Ça démarre avec les vidéos qu’elle fait. Ce sont des films de famille, de vacances, mais on voit qu’elle filme les gens sur un territoire. Elle filme notamment à merveille les pêcheurs du Croisic. Il y a les vidéos mais aussi tous les textes qu’elle écrivait dans des revues locales. Pour elle, c’était important de s’ancrer sur un territoire. Ses origines sarthoises étaient importantes pour elle. Elle a fait des recherches sur la fléchoise Marie Pape-Carpantier et d’autres personnalités locales. Elle a continué ce travail-là dans Les gens de l’office, sur ses grands-parents. Après, elle arrive en Bretagne, s’intéresse à Marion du Faouët. Quand elle fait partie de la troupe du TRAC, les pièces se passent toujours à Rennes : le grand incendie, la révolution française, les luttes de 1936, Dreyfus, etc. Et puis sa grande figure : Louise Bodin qu’elle a fait revivre auprès des rennaises et des rennais. Même à Chamonix, elle va écrire George Sand et les quatre montagnesVictor Hugo et le Mont Blanc, ou une biographie d’Henriette d’Angeville, la première femme à avoir franchi le sommet du Mont-Blanc.

 

La première femme seule…

Oui, seule, sans être portée comme sa prédécesseuse en effet. Et puis elle a fait aussi avec Dominique Irvoas-Dantec un travail sur les rues, les quelques rues avec des noms de femmes mais aussi avec des personnages anonymes, des prostituées, etc.

 

Vous dites qu’elle avait déjà des réflexions sur l’écriture. Nous sommes aujourd’hui aux prémices d’un gros débat sur l’écriture inclusive. Quel regard portait-elle sur ce sujet-là ?

Dans les années 80, elle faisait partie de la commission sur la féminisation des noms de métiers, présidée par Benoite Groult. Elle n’a pas beaucoup participé, elle a fait quelques réunions, elle ne se sentait pas légitime car elle n’était pas linguiste mais c’est une question qui l’intéressait. Elle avait bien compris l’enjeu de la langue dans l’égalité entre les femmes et les hommes. Très tôt, dans les textes, elle féminise les mots. Avec un slash. Etudiant/e, par exemple. C’est hyper novateur. Elle féminisait les noms. Elle n’écrivait pas autrice mais auteure. Elle aimait bien le mot écrivaine. Elle avait bien saisi l’enjeu. À cette époque-là, en 85, elle publie un livre sur Marie Bashkirtseff où elle découvre que son journal a été censuré, que des mots y ont été barrés. Donc elle voit bien que la langue et l’écriture sont un enjeu de visibilité, de paroles. Elle n’a pas négligé cet aspect-là du combat féministe et aujourd’hui, elle serait vraiment pour l’écriture inclusive, je n’en doute pas.

 

Elle était plutôt libérée des carcans et des étiquettes. Est-ce que dans ce que l’on constate des réflexions qu’elle portait, qui sont des réflexions qui commencent à émerger dans le débat public alors qu’on est en 2022, elle est en avance sur son temps ou est-ce que cela témoigne justement de ce creux dont vous parliez dans les vagues féministes ? 

Oui, il y a un vrai backlash dans les années 90 qui essaye de renverser tout ce qui a été pensé, toutes les avancées. Et ça se passe où ? Dans les livres, les médias, etc. Dans le bouquin de Susan Faludi, elle explique bien ça. Et aujourd’hui, on sent clairement qu’on peut bien se reprendre ça dans la figure. Colette Cosnier a fait une conférence en 2009 qui s’appelle De l’utilité des écrivaines, où elle dit bien que ce n’est pas dans les années 70 qu’on a inventé le féminisme ou la parole des femmes. Elle reprend l’histoire littéraire à partir de Christine de Pisan pour montrer que cette parole-là a toujours existé. Effectivement, on l’a faite taire régulièrement mais les femmes ont toujours parlé. Ça fait écho au livre de Titiou Lecoq. Les femmes ont toujours été là dans l’Histoire. Colette Cosnier s’inscrivait elle-même dans une chaine. Elle avait de la reconnaissance justement pour ces femmes qu’elles disaient être comme des phares qui nous ont guidé jusqu’à aujourd’hui. 

 

Est-ce qu’elle aurait pu imaginer être elle aussi un phare pour les nouvelles générations féministes qui peuvent la découvrir grâce à ce livre notamment ?

Je pense que c’était son souhait le plus profond mais elle n’avait pas du tout cette prétention-là. Elle s’effaçait par rapport à ses sujets. Elle était toujours dans la transmission mais jamais elle ne s’est présentée comme un phare. Mais de fait, elle l’était. Quand je discute avec ses anciennes étudiantes, elles gardent vraiment un souvenir très très fort de ce modèle-là. Il y avait moyen de penser autrement, de lire autrement, de lire autre chose. Elle a fait beaucoup en terme de transmission. Elle a fait par exemple un travail avec des étudiantes de 2eannée et des femmes retraitées de l’université du temps libre où elle confrontait d’un côté les souvenirs des femmes de l’université du temps libre et les textes qu’étudiaient les étudiantes. Sur plein de sujets : la maternité, le mariage, les modèles… Je trouve ça super intéressant comme expérience. 

 

Sur la notion de mariage, on voit dans les extraits anotés dans le livre qu’elle est parfois Colette Hélard, Colette Hélard-Cosnier et Colette Cosnier. Elle réaffirme son identité personnelle malgré le mariage ? 

Alors c’est plus complexe que ça. Moi aussi ça m’a questionné et je me suis dit que j’allais faire un tableau. Après, j’ai compris la logique. Au départ, à l’université, elle était Colette Hélard et c’est là que ça a évolué. Car sur les textes, il n’y a que Marion du Faouët qui est écrit par Colette Hélard-Cosnier. Après elle signe toujours ses livres en tant que Colette Cosnier. Dans le cadre universitaire, dans ses collaborations, colloques, etc. d’abord elle était Colette Hélard et ensuite ça a évolué en Hélard-Cosnier. Par contre, elle a fini sa carrière au Mans en tant que Colette Cosnier, en 95.

 

On sait ce qui l’amène à ses réflexions qui encore une fois (ré)apparaissent aujourd’hui dans le débat féministe ? 

Je pense qu’elle avait conscience de l’importance du patriarcat qui s’inscrit dans le nom de famille. Je pense aussi qu’elle a du s’appeler Hélard pour des raisons administratives parce qu’à l’époque, on ne pouvait même pas imaginer que ça se passe autrement. Peu à peu, elle a fait rentrer son nom. Et puis, elle avait le modèle de Marie Pape-Carpantier qui a apposé son nom de famille, Carpantier, à celui de son mari. Ça a pu faire un déclic pour elle.

 

Qu’est-ce que raconte plus largement ce livre sur Colette Cosnier qui parle d’une figure mais s’étend plus largement à nous faire réfléchir plus globalement au matrimoine ? Qu’est-ce qu’il représente dans ce matrimoine que l’on n’a pas envie de réduire à Rennes ?

De plus en plus, j’y réfléchis et je pense qu’il faut que j’arrête de la présenter comme une écrivaine rennaise. Il faut que je dise écrivaine française. Que ce soit la plume de Colette Cosnier qui est vraiment une belle plume, ou dans l’ensemble de son travail, elle mérite d’être reconnue, vraiment, et pas simplement comme une figure locale. Oui, il s’agit du matrimoine tout court et je regrette qu’elle ne soit pas dans le Dictionnaire des féministes qui a été publié en 2017, il me semble. Il faudra peut-être une réédition…

 

Sans doute faudra-t-il de très nombreuses rééditions de livres et manuels pour faire apparaître les femmes dans l’Histoire. Merci Patricia Godard ! 

 

  • LES DATES À RETENIR : 

  • Les 12 et 13 mars : rencontre avec Patricia Godard au festival Rue des livres, au Cadet de Bretagne, à Rennes.
  • Le 13 mars à 10h15 : table-ronde sur le matrimoine littéraire avec Patricia Godard, Gaëlle Pairel et André Hélard au festival Rue des livres, au Cadet de Bretagne, à Rennes.
  • Le 17 mars à 18h30 : Deux livres, une femme – Colette Cosnier, conférence avec Patricia Godard organisée par Histoire du féminisme à Rennes, à la Maison Internationale de Rennes.
  • Le 19 mars à 14h30 : Déambulation dans Rennes autour de Colette Cosnier – un combat pour la place des femmes, organisée par Histoire du féminisme à Rennes (lieu précisé lors de la réservation : histoire.feminisme.rennes@gmail.com)

 

Célian Ramis

Mue, la réappropriation de son corps après un cancer du sein

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Une histoire de corps. Une histoire de reconstruction psychique après un cancer du sein. Une histoire profondément humaine. Une histoire en images racontée par la photographe Anne-Cécile Estève et les personnes concernées.
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Une histoire de corps. Une histoire de reconstruction psychique après un cancer du sein. Une histoire de confiance. Une histoire d’esthétique. Une histoire profondément humaine. Une histoire en images racontée par la photographe Anne-Cécile Estève et les personnes concernées, à travers l’exposition Mue, présentée du 7 au 27 mars à l’Hôtel Dieu, à Rennes.

« J’ai eu un premier projet avec un chirurgien qui réparait les femmes excisées mais ce projet a été mis en stand by. J’ai rencontré la chirurgienne plasticienne Cécile Méal (spécialisée en chirurgie mammaire, elle exerce entre autre au Centre Eugène Marquis, ndlr) et je lui en avais parlé et elle, de son côté, elle me parlait des femmes qui vivaient mal leur cancer. », explique Anne-Cécile Estève.

De cette rencontre va naitre Mue, une exposition photographique sensible dévoilant les corps des femmes ayant vécu une ablation du sein à cause du cancer. « Toutes le vivent très mal. », précise la photographe. Parce qu’elles subissent, en plus, une difficulté invisible à propos de laquelle elles ne se sentent pas entendues :

« Une fois qu’elles sont guéries médicalement, les gens ne comprennent pas qu’elles ne soient pas guéries psychologiquement. Mais la reconstruction physique est différente de la reconstruction psychique. »

UN NOUVEAU REGARD

Ainsi, 17 femmes ont participé à la proposition artistique qui cherche avant tout à valoriser l’esthétique des corps présentés en noir et blanc. « J’avais vu plusieurs choses sur la thématique et j’avais fait des essais. Je savais déjà que je ne voulais pas imposer le nu. J’ai essayé avec une femme le cadre noir et blanc et ça m’a paru évident que c’était ça qu’il fallait faire. », signale Anne-Cécile Estève. 

Elle poursuit : « Je demande toujours s’il y a quelque chose qui ne leur plait pas chez elle pour être sure de ne pas accentuer leurs complexes et au niveau éclairage, je travaille avec une ou deux lumières studios qui me permettent de jouer sur l’esthétique. Car la question de la beauté doit leur convenir à elles ! »

Elle est parfois la première personne à qui la modèle dévoile son corps depuis l’opération chirurgicale. Il est alors crucial pour la photographe d’établir une relation de confiance, basée sur l’écoute et le non jugement.

« Je leur offre un nouveau regard. Mon regard devient leur miroir. Elles m’en ont parlé de ça : certaines sont incapables de se regarder dans le miroir justement. Les photos leur font du bien. Elles leur permettent d’accepter et de se réapproprier leur corps. »
souligne Anne-Cécile Estève

PETIT À PETIT

Pour cela, Anne-Cécile Estève les contacte dans un premier temps par téléphone. Afin de leur expliquer sa démarche dans les grandes lignes et surtout bien préciser l’importance de leur consentement et de leur engagement : à tout moment, elles peuvent dire stop, à tout moment, elles peuvent quitter le projet.

Une fois le contact établi, une première rencontre est organisée pour entrer davantage dans le vif du sujet, leur donner le temps de raconter leur histoire, d’exprimer leur rapport au corps. Avec attention, la photographe récolte leurs témoignages puis les synthétisent et les soumet à validation, tout comme elle le fera avec les visuels. « C’est important qu’elles consentent pleinement à l’exposition. », précise-t-elle.

La phase de la prise d’images pourra ensuite commencer : « J’aime bien le faire en deux fois parce que ça leur permet de cheminer entre la rencontre et la séance photos, que je fais chez elles. Il y en a une par exemple qui voulait arrêter le lendemain de notre discussion. Après une semaine de réflexion, elle a choisi d’accepter de poursuivre le projet. »

La peur de l’objectif se mêle ici au sentiment de honte ressenti par rapport à l’image qu’elles ont désormais de leur corps, souvent pensé comme hors norme puisqu’invisibilisé dans une société de l’apparence unique.

« C’est bien le problème avec la publicité, les médias, etc. concernant l’image des femmes, c’est qu’il y a un seul modèle de femme et pas 2, 3 ou plus. Une des participantes m’a dit qu’un jour elle avait cherché sur la plage des corps de femmes qui avaient subi une ablation du sein. Elle n’en a pas trouvé… Souvent, elles ont honte, elles se cachent. Certaines parlent même d’une ‘maladie sale’… »

SE FAIRE DU BIEN, PAR LA PHOTOGRAPHIE

Se réconcilier avec son image, son apparence, son corps. La démarche intéresse profondément Anne-Cécile Estève qui réfléchit, avec Cécile Méal, à la création d’une association fondée autour de la photographie thérapeutique.

« Quand j’ai photographié les compagnons bâtisseurs, je me suis rendue compte du bien que ça leur faisait de se trouver bien en photo. C’est un outil un peu différent qui permet d’aider les personnes avec leur image. Pas que les personnes malades. Ça agit sur la confiance en soi et la relation avec les autres. », commente-t-elle.

Vient la réflexion autour de cette image normative, réductrice et culpabilisante des femmes. Parce qu’elle représente l’injonction patriarcale à la minceur – voire à la maigreur – et à la beauté unique (blanche) qui objetise les femmes en les figeant dans une posture de désirabilité et les enferme dans une case. Ce que l’on nomme le « male gaze », le regard masculin et dont les femmes sont également imprégnées puisqu’elles sont elles aussi éduquées dans une société sexiste, raciste, LGBTIphobe, handiphobe et grossophobe.

« Il faut être sacrément bien avec soi-même pour lutter contre ça. J’ai bien conscience qu’en retravaillant mes photos, je gomme les rondeurs, cachent les cicatrices, etc. Mais l’objectif ici n’est pas de montrer la réalité de leurs poitrines ou les marques qu’on peut avoir sur le corps. Mon but, c’est de leur faire du bien. Qu’elles se réapproprient leur corps à travers mes photos. Ensuite, elles cheminent à leur rythme. Dans leurs témoignages, elles le disent : ça les aide à se réconcilier avec leur corps. Il y a même une 18efemme qui m’a contactée parce qu’elle a vraiment envie de participer au projet. Alors, ce ne sera pas pour cette expo mais j’ai vraiment envie de poursuivre. »

Avec Mue, Anne-Cécile Estève leur offre un espace bienveillant dans lequel elles peuvent lâcher prise, oser, s’autoriser à essayer, s’exprimer, arrêter tout, recommencer, etc. Le titre de l’exposition résonne dans cette mise en mouvement opérée entre les femmes photographiées et la photographe : 

« Elles commençaient toujours la prise de photo habillées. Au fur et à mesure, elles se déshabillaient, en cachant leurs seins. Il n’y avait aucune obligation ensuite d’enlever les mains de la poitrine. Pour trouver la bonne posture et être plus à l’aise, je les dirigeais un peu. S’étirer, se cambrer, danser… Je voulais du mouvement ! Mouvement, changement, émotions… ça va avec la mue, ce changement physique et/ou psychologique. J’aime ces mots ! Je crois que j’ai un truc avec le changement ! », rigole Anne-Cécile Estève.

  • Exposition à découvrir du 7 au 27 mars à l’Hôtel Dieu, à Rennes.

 

Célian Ramis

Haut les coeurs : le courage des femmes dans l'espace public

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Dix-neuf femmes, des quartiers Blosne-Italie et Cleunay-La Courrouze, dévoilent et affirment dans l’espace public, dans le cadre du projet Haut les cœurs, porté par l’Agence Sensible.
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Dix-neuf femmes, habitant dans les quartiers Blosne-Italie et Cleunay-La Courrouze, dévoilent et affirment leurs courages à travers les photos d’Ingrid Borelli, réalisées et collées dans l’espace public, dans le cadre du projet Haut les cœurs, porté par l’Agence Sensible. Une deuxième édition à découvrir en mars à Rennes. 

Leur marque de fabrique : s’installer dans un quartier, nicher chez leurs partenaires et partir à la rencontre des habitant-e-s, des structures existantes et des besoins des un-e-s et des autres. En 2020, le nichage de l’Agence sensible s’effectue à Carrefour 18 et de là, née une première expérimentation autour d’un projet de portraits de personnes – hommes et femmes - courageuses.

L’envie partagée entre Carrefour 18 et le centre social Ty Blosne de réfléchir et de travailler sur la place des femmes dans l’espace public amène l’association à affiner le propos. La première édition de Haut les cœurs est lancée entre janvier et mars 2021 et valorise 18 femmes du Blosne et du centre ville, réunies autour de la notion de courage et la posture d’héroïnes.

Le résultat est joyeux, poétique et puissant. Les participantes livrent leurs parcours forts et précieux et témoignent de la persévérance et de la détermination entreprises pour lever les freins et surmonter les obstacles. Elles posent avec des accessoires et des costumes, dans des décors urbains, et affichent des sensibilités aussi variées que leurs horizons et ambitions.

UNE DÉMARCHE PARTICIPATIVE

« C’est hyper important pour nous : que toutes les femmes soient consentantes à chaque étape du projet et qu’elles soient fières de tout ce qui est produit. », explique Marion Poupineau, co-fondatrice de l’Agence sensible. 

Une première phase consiste à la réalisation d’un entretien individuel. Avec chacune des 19 participantes de cette 2eédition, instaurée sur le quartier du Blosne et les quartiers Cleunay – La Courrouze. Durant plus d’1h30, elles se racontent à travers la notion de courage, « à partir d’une image du Dixit, pleine de symboles, qu’elles choisissent. »

À partir de là, un texte court est rédigé et validé par la personne concernée : « Elles sont souvent étonnées d’en avoir raconté autant. C’est vrai qu’il existe peu d’espace d’écoute comme celui-là, gratuit, sans jugements… Les témoignages sont toujours très intimes et intenses. Il y a malheureusement souvent beaucoup de récits de violences masculines subies. »

Une deuxième phase commence ensuite, celle des postures. La mise en mouvements du sentiment de puissance. L’exploration et l’expérimentation des positions illustrant leurs propos et ressentis.

« On prépare des images qui nous semblent renvoyer à des postures puissantes. Elles en choisissent une et imitent, font des essais… Ça crée une dynamique de groupe. On aime bien faire de la facilitation, pour que le collectif fonctionne avec toutes leurs différences. », souligne Marion Poupineau.

Viennent ensuite les séances photos avec Ingrid Borelli et les accessoires (prêtés par des structures, théâtres, compagnies, en réseau avec l’Agence sensible) sélectionnés. « Elles se mettent en position de bienveillance les unes envers les autres. Elles s’applaudissent beaucoup notamment. Pour se sentir bien, accueillies et en sécurité. », précise la co-fondatrice de l’Agence sensible.

Elles pourront participer à toutes les étapes, de la sélection des photos à la création des affiches qu’elles iront ensuite coller elles-mêmes dans les quartiers du Blosne et de Cleunay – La Courrouze, à plusieurs reprises : « On les associe à tous les temps et c’est très important. Ça donne du pouvoir d’agir, de l’encapacitation. »

L’APPROPRIATION DU PROJET ET DE L’ESPACE PUBLIC

Plusieurs enjeux se croisent dans Haut les cœurs. S’autoriser à se sentir légitime à prendre part à un tel projet, livrer son récit et affirmer sa présence dans l’espace public, à travers une séance photo puis la présence d’affiches présentant son portrait.

Car, comme le rappelle Marion Poupineau, « ce n’est pas rien avec leurs parcours et leurs difficultés d’aller faire des photos dans l’espace public avec des accessoires. » En effet, « l’an dernier, 120 affiches ont été collées ! » Des moments joyeux qui nécessitent bel et bien du courage : « C’est un peu politique de coller dans l’espace public, même si on ne le fait pas sur des espaces sauvages. Dans l’imaginaire collectif, à 6 nanas, on a toujours l’impression de faire un geste défendu. »

Mais, haut les cœurs, les participantes se prêtent au jeu. Début mars, elles effectuent donc des sessions collages dans leurs quartiers. Avec fierté, elles installent sur les murs leurs images. « Et c’est fort ! Les gens viennent leur parler parce que ça interpelle. C’est un moment où elles s’approprient le projet car ce sont elles qui répondent aux questions. »

Et là se joue une nouvelle avancée. Non seulement pour les participantes mais également toutes les personnes qui bénéficieront de la vue des collages dans les quartiers, des photos exposées dans les centres sociaux et de la lecture du livret qui réunit textes et images (le livret de la première édition est à télécharger sur le site de l’Agence sensible).

Elles prennent l’espace public et nous offrent, au-delà d’une réflexion sur la place des femmes dans ces lieux, l’opportunité de les découvrir elles. Elles et leurs parcours, leurs différences, leurs singularités, leurs joies, leurs batailles, leurs combats, leurs convictions, leurs quotidiens.

L’opportunité d’apercevoir et d’appréhender des récits qui résonnent ou diffèrent des nôtres et surtout des normes. L’opportunité de comprendre un peu plus, un peu mieux, les gens qui nous entourent.

« Dans le projet, on souhaite qu’il y ait un public mélangé, qui représente la diversité dans les quartiers. La représentation a un impact. Lors de la première édition, on n’était pas très satisfait-e-s du peu de mélange. Il y avait pas ou peu de personnes racisées, pas ou peu de jeunes femmes. On a refait au Blosne cette deuxième édition en comptant aussi sur le bouche-à-oreille, pour trouver des femmes qui sortent peut-être un peu des radars des structures avec qui on travaille. On a pris d’autres relais et d’autres manières de parler du projet. Et ça s’est rééquilibré. Alors, on n’a toujours pas d’ados mais on a des filles de 20 ans avec déjà des histoires de vies dingues ! », commente Marion Poupineau.

Pour les découvrir, deux déambulations sont proposées les 11 et 16 mars, respectivement au départ du centre social de Cleunay, à 17h, suivi du vernissage photos à 18h, et au départ du centre social Ty Blosne à 14h30. L’exposition sera ensuite visible à Carrefour 18 du 4 au 22 avril et au centre social Ty Blosne du 20 mai au 3 juin.

Célian Ramis

Elles, l'autre mémoire : pour rêver grand et voir le monde autrement !

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Dans Elles, l’autre mémoire, Caroline Alaoui et Lety Pardalis, de la compagnie Les combats ordinaires, proposent de lire l'Histoire autrement. A travers des portraits théâtralisés de femmes inspirantes.
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De tout temps, les femmes ont réalisé et entrepris des choses exceptionnelles. Pourtant, parce qu’elle est écrite par des hommes blancs cisgenres hétérosexuels, pour des hommes blancs cisgenres hétérosexuels, l’Histoire n’a pas retenu leurs noms et leurs accomplissements. Dans Elles, l’autre mémoire, Caroline Alaoui et Lety Pardalis, de la compagnie Les combats ordinaires, proposent de lire cette Histoire autrement. A travers des portraits théâtralisés de femmes inspirantes.

Il y a cette femme, née en 1927 en banlieue parisienne, dans une famille bourgeoise, catho et très conservatrice. Cette femme, c’est Thérèse Clerc, et elle va lire Marx, parler violences, injustices et patriarcat, découvrir le plaisir avec les femmes, militer au Mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception (MLAC) ou encore fonder la Maison des femmes, lieu d’accueil et d’écoute, ainsi que la Maison des Babayagas, une résidence pour femmes âgées.

Il y a aussi cette femme, au XIe siècle en Italie, qui devient médecin chirurgienne et pionnière de la gynécologie. Cette femme, c’est Trotula de Salerne, et elle va écrire des traités médicaux, notamment sur les menstruations et l’accouchement sans douleur, et verra son travail confisqué par des hommes, décidant de censurer des passages jugés comme hérétiques et s’appropriant la paternité de son œuvre.

Ou encore, il y a cette femme, née en 1996 à Hérat, qui grandit dans les années 2000 en Afghanistan au moment où les talibans s’emparent du pouvoir, réduisant à néant les droits des femmes. Cette femme, c’est Sonita Alizadeh, et elle n’est qu’une enfant quand elle va refuser d’être mariée à seulement 9 ans. Elle n’est qu’une ado quand elle va devoir survivre, sans papiers, en Iran. Elle va découvrir Eminem et écrire des chansons de rap, sera repérée par une réalisatrice qui paiera la dotte du mariage de son frère afin qu’elle échappe à un second mariage forcé et la fera venir aux Etats-Unis pour étudier dans une école d’art.

FAIRE VIBRER LES RÉCITS

Sous la forme d’un hommage funéraire, d’un jeu télévisé ou d’un portrait vivant, les comédiennes et autrices Caroline Alaoui et Lety Pardalis racontent Thérèse Clerc, Trotula de Salerne, Sonita Alizadeh… mais aussi Vanessa Nakate, militante écologiste ougandaise, Temple  Grandin, scientifique et chercheuse autiste américaine, Wu Zetian, unique impératrice de Chine, Agnodice, première femme médecin et gynéco grecque ou encore Nellie Bly, journaliste américaine et Irena Sendler, résistante et militante polonaise.

Elles les font vivre. Elles les font vibrer, ces femmes qui constituent ce que l’on nomme le matrimoine. C’est-à-dire ce qui nous vient des mères. Des femmes. Dire qui elles sont, mettre en lumière des filles et des femmes d’âges et de champs d’explorations différents, aussi que d’époques et d’origines différentes, c’est rétablir cette Histoire arrachée, confisquée, déformée.

« On avait cette idée de faire un spectacle sur le matrimoine. L’envie d’utiliser le théâtre pour parler des femmes dont on ne parle pas assez. En adaptant des œuvres autour du matrimoine, on s’est finalement mis à écrire nos propres pièces. C’est devenue une création à part entière. », signale Caroline Alaoui, qui a rencontré Lety Pardalis grâce au réseau des Compagnies du 35.

Ensemble, elles s’attèlent à un travail de recherches, s’inspirent de la lecture des Culottées, de Pénélope Bagieu, mais aussi de celle des F comme fières, de L’imprimerie nocturne, de Ni vues ni connues, du collectif Georgette Sand ou encore de Femmes de lettres en Bretagne, ouvrage collectif initié par Gaëlle Pairel.

Et de leurs textes est né un format nomade et modulable, articulé autour de portraits joués, incarnés, interprétés avec humour, force, poésie et interactivité. « Ce n’est pas une conférence gesticulée, ni même une conférence tout court. Ce n’est pas un spectacle d’entresoi. On a pensé un support adaptable selon les publics et les lieux, pour pouvoir jouer partout. », précise Caroline Alaoui.

RÊVER GRAND, L’IMPACT DU MATRIMOINE

Relater les récits et les parcours de ces femmes qui ont existé et existent encore aujourd’hui, participant à penser et faire évoluer les sociétés, c’est une manière de donner à voir le monde autrement. C’est aussi proposer de nouveaux modèles aux filles et aux garçons, aux femmes et aux hommes.

Y compris pour les deux créatrices de ces lectures théâtralisées. « Ça m’a fait avancer dans mon féminisme. Découvrir toutes ces histoires extraordinaires, ça permet de réaliser le combat de certaines femmes… Et d’être plus vigilantes à ne pas se faire substituer sa place. Ça provoque aussi des questionnements. Chaque portrait m’interroge à un endroit différent. Quand on prend l’exemple de Wu Zetian, première femme régnante en Chine au 7esiècle, on pense à la résonnance avec aujurd’hui, où on assiste pour la première fois en France à une quasi mixité aux élections présidentielles… On peut presque tout ramener à aujourd’hui. », s’enthousiasme Lety Pardalis.

Elles le disent, elles sont complémentaires et sur cette création, elles sont heureuses de partager cette plongée dans des univers passionnants et inspirants. Et très empouvoirants. « On se prend à rêver grand ! », scande Caroline Alaoui. Elle poursuit : « Il y a de quoi être en colère quand on découvre toutes ces femmes, leurs noms et leur nombre ! Mais nous ne sommes pas dans la colère. Au contraire, c’est très réjouissant ! »

Et on se réjouit avec elles de rencontrer, faire la connaissance ou de redécouvrir celles qui ont marqué l’Histoire d’hier et celles qui poursuivent le combat, aujourd’hui, pour demain. Les lectures sont vivantes, drôles, touchantes, émouvantes. Les voix s’expriment et s’entremêlent. Les visages de l’ombre apparaissent, sans se confondre avec celles qui les racontent dans la lumière. C’est là où le duo nous cueille avec beaucoup d’émotions.

« On a envie de transmettre et donner à voir des modèles qu’on n’a pas eu durant notre enfance et notre adolescence. Ce sont nos petits combats, à notre échelle. », signale Caroline Alaoui. Des petits combats qui peuvent faire la différence : « C’est important d’avoir accès à ce matrimoine pour chaque vie, chaque construction, ça impacte la façon de se rêver, de s’imaginer ! »

Avec humilité et dans le respect de toutes ces vies entravées, négligées et méprisées, les deux comédiennes et autrices participent à la réhabilitation du matrimoine. À faire sortir les oubliées de leurs silences contraints et forcés. À multiplier les voix et les voies possibles. C’est apaisant et libérateur à la fois.

 

  • LES DATES À RETENIR

  • 8 mars, 17h : Représentation de la lecture-théâtralisée Elles, l’autre mémoire, à la Bibliothèque des Champs Libre, Rennes.
  • 10 mars, 20h : Représentation de la lecture-théâtralisée Elles, l’autre mémoire, à la Maison de quartier La Bellangerais, Rennes.
  • 15, 22 et 29 mars, de 10h à 12h : Ateliers d’écriture autour de Elles, l’autre mémoire, à la Biblithèque La Bellangerais, Rennes.

Célian Ramis

La rue fait mauvais genre

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« La rue nous attire et nous repousse. », déclare Malou Estenne. La rue est aussi le théâtre des inégalités qui quotidiennement rappellent aux femmes qu’elles ne peuvent y être que de passage. Et encore… le passage sera semé d’embûches !
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« La rue nous attire et nous repousse. », déclare Malou Estenne. La rue est aussi le théâtre des inégalités qui quotidiennement rappellent aux femmes qu’elles ne peuvent y être que de passage. Et encore… le passage sera semé d’embûches ! Le 5 mars, Osez le Féminisme 35 propose une représentation du spectacle au théâtre de la Parcheminerie, suivi d’une marche exploratoire de femmes.

« Toutes les femmes qui passent se font rappeler à l’ordre. Cet espace appartient aux hommes ! » Celle qui le souligne, c’est une zonarde dont le « gang » ignore qu’elle est lesbienne car « (ils) ne connaissent même pas le mot » et dont nous n’avons pas le prénom ni le nom, seulement les paroles. À travers la voix et le corps de l’autrice, conteuse et compositrice Malou Estenne. 

Son conte électro urbain intituléLa rue fait mauvais genre, qui oscille entre musiques électrico-palpitantes, poésie et récits authentiques collectés par l’artiste, interroge la place des femmes dans l’espace public. 

Ou plutôt cette moitié de place, étriquée et bancale. Et surtout, une place très discutée. La société voudrait penser qu’elle a avancé sur le sujet mais dans les faits, les villes sont construites par les hommes et pour les hommes et les femmes, dans la rue, n’y sont que tolérées, importunées, insultées, humiliées, voire agressées.

UN CHANGEMENT TROP LENT…

Et la loi du 3 août 2018 sur l’outrage sexiste n’a pas modifié les comportements révélateurs du sexisme ambiant dont est imprégnée la population. Puisque le harcèlement de rue résulte d’un ensemble de stéréotypes et de préjugés, conscients et inconscients, inculqués dès la petite enfance.

Les témoignages autour de ce sujet affluent toujours autant et Malou Estenne s’en saisit pour pointer les nombreuses difficultés rencontrées par les femmes dans l’espace public, parmi lesquelles on peut citer les sifflements et les remarques (sexistes, racistes, LGBTIphobes, handiphobes), le manspreading (le fait qu’un mec soit assis toutes jambes écartées) à l’arrêt de bus ou dans les transports en commun ou encore le réflexe de pisser contre un mur, là où les femmes n’ont qu’à se retenir jusqu’à chez elles.

On décèle à chaque mot un sentiment d’insécurité, un sentiment de malaise. Une peur d’être visible, de se faire remarquer, de se faire emmerder. Et puis, il y a les phrases qui prouvent que l’on n’a pas quitté l’ancien monde : « « C’est pas beau une femme qui boit. Elle va finir par se faire violer. » La menace constante mène aux stratégies d’évitements largement déployés par les femmes. « Je tue le silence avec ce récital cru. La rue, la nuit, la rue, la nuit, la rue fait mauvais genre. », conclut Malou Estenne. 

 

  • La représentation, qui aura lieu le samedi 5 mars à 21h au Théâtre de la Parcheminerie, sera suivie d’une marche exploratoire de femmes, accompagnée de la lecture de témoignages de Rennaises sur leur ressenti au cœur de la ville.

 

Célian Ramis

Lumières sur les féminicides à l'encontre des personnes sexisées

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C’est une marche lumineuse et quasi silencieuse qui s’est lancée depuis République ce jeudi 25 novembre, journée internationale de lutte contre les violences sexistes et sexuelles.
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C’est une marche lumineuse et quasi silencieuse qui s’est lancée depuis République ce jeudi 25 novembre, journée internationale de lutte contre les violences sexistes et sexuelles. À Rennes, à l’appel du collectif NousToutes35, plusieurs centaines de personnes se sont réunies pour une manifestation en femmage aux victimes de féminicides.

ON NE NAIT PAS FEMME MAIS ON EN MEURT - Chaque année, plus d’une centaine de femmes meurent en France, tuées par leur conjoint ou ex conjoint. Le 24 novembre, le compte Féminicides par compagnons ou ex indiquait que ce nombre était porté à 103 depuis le 1erjanvier 2021. Depuis, 2 autres féminicides ont été recensés.

Samedi 20 novembre, l’association Ouest Trans organisait un rassemblement dans la capitale bretonne pour la Journée du Souvenir Trans – Trans Day of Remembrance (TDoR) – afin de commémorer la mémoire des personnes trans assassinées ou poussées au suicide. Cette année, selon les chiffres du Trans Murder Monitoring, ce sont 375 personnes trans tuées, soit 7% de plus que l’an dernier.

La structure rappelle : « Ce que ce chiffre nous montre c’est que certaines personnes trans sont plus touchées par cette violence que d’autres. Dans ces chiffres, on trouve quasiment exclusivement des femmes trans, une grande partie d’entre elles sont aussi travailleuses du sexe, racisées ou migrantes. L’intersection entre les différentes oppressions, la transmisogynie, la putophobie, le racisme, la xénophobie est d’autant plus dangereuse. Le climat actuel ouvertement islamophobe et raciste et les politiques visant à criminaliser les travailleuses du sexe vont dans ce sens-là et ce sont donc sur ces points que nous devons lutter. »

En effet, à la suite de la marche de ce 25 novembre et de la projection du filmEmpower au 4 Bis à Rennes, Doris, secrétaire du Strass (Syndicat du travail sexuel en France) et fondatrice des Pétrolettes (Association de développement communautaire pour lutter contre les violences faites aux femmes et autres minorités avec et pour les travailleur.ses du sexe) souligne que les assassinats de travailleuses du sexe ne sont pas pris en compte au même titre que les meurtres de femmes dans le cadre des violences conjugales. 

VOUS N’AUREZ PLUS JAMAIS LE CONFORT DE NOS SILENCES

La banderole trône en tête du cortège qui s’élance de République jusqu’à l’esplanade Charles de Gaulle, en passant par l’avenue Janvier et la gare. À 18h, bougies et flambeaux s’embrasent parmi la foule qui brandit lumières, drapeaux syndicaux et militants et pancartes, rappelant que « Céder n’est pas consentir » ou encore la lutte « contre les violences sexistes et sexuelles au travail ». 

La sono laisse entendre des chants partisans, contre les féminicides. Pas de prise de paroles militantes ce soir-là, le collectif NousToutes35 souhaitant les réserver pour la grande marche organisée ce samedi 27 novembre, mais la foule fait tout de même entendre sa voix et entame l’hymne qui rythme les manifestations féministes. « Nous sommes fortes, nous sommes fières, et féministes et radicales et en colère ! »

Une autre manifestation a réuni plusieurs milliers de personnes ce samedi 27 novembre pour dénoncer l’ensemble des violences sexistes et sexuelles subies par les personnes sexisées. Un départ était donné à 14h de Kennedy, Henri Fréville et Joliot-Curie, en direction de l’esplanade Charles de Gaulle, d’où est parti le cortège à 15h. Prochainement, on en (re)parle sur yeggmag.fr !

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