Célian Ramis

8 mars : tou-te-s en grève !

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Le patriarcat ne tombera pas tout seul, organisons-nous pour lui péter la gueule ! Plus qu’un slogan de manifestation, c’est une ligne de conduite. Les militant-e-s féministes répondent à l’appel et œuvrent sans relâche à la grève féministe du 8 mars.
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Le patriarcat ne tombera pas tout seul, organisons-nous pour lui péter la gueule ! Plus qu’un slogan de manifestation, c’est une ligne de conduite. Les militant-e-s féministes répondent à l’appel et œuvrent sans relâche à la grève féministe qui se profile à l’horizon du 8 mars prochain (et du suivant, et du suivant du suivant, et ainsi de suite). À Rennes, les membres de Nous Toutes 35 s’y préparent, conciliant militantisme et festivités comme armes de lutte contre le patriarcat et le capitalisme. 

Depuis le 8 novembre, le célèbre air des années 90 signé Gala envahit l’espace public rennais. Dalle du Colombier, parvis de la gare, parc du Thabor, place Sainte-Anne ou encore sur les campus, les militant-e-s ont organisé tous les mois un flashmob, invitant à la grève féministe. En ce 8 mars 2023, le rendez-vous est donné sur l’esplanade Charles de Gaulle afin de danser ensemble, se mobiliser, s’échauffer et faire entendre les nouvelles paroles de la chanson : « Patriarcat au feu, et les patrons au milieu ! » Le ton est donné. Les corps en mouvement dans l’espace public, la synchronisation des gestes – la choré peut s’apprendre grâce à un tuto YouTube – et le volume à fond : le message est clair. 

Bloquer le pays. Prendre la rue. Prendre le droit de se mettre en grève. Exprimer les revendications. Exposer les conditions de vie des personnes sexisées. Si les femmes s’arrêtent (de travailler, de gérer les tâches ménagères et l’éducation des enfants, etc.), le monde s’arrête. Sans le travail reproductif pris en charge par les femmes, en parallèle de leur travail productif, le monde s’écroule. S’organiser pour faire force et mettre KO le capitalisme. De punchlines en réflexions et liens sur la manière dont sont articulés les rapports de domination, les militant-e-s de Nous Toutes 35 échangent sur le pourquoi du comment d’une grève féministe, inscrite à l’ordre du jour de leur séance plénière qui se déroule à l’Hôtel Pasteur, quelques jours avant le festival. Constats autour du travail domestique non rémunéré et ses conséquences, de son invisibilisation et sa participation à la dépendance économique des femmes à leurs maris, rendant inopérant le principe d’égalité entre les individus, des formes de violences qui en découlent opérant dans l’intimité du foyer et analyse des leviers à actionner pour briser les chaines de l’oppression exercée sur les minorités de genre par le patriarcat. L’enjeu du festival est rappelé : « Se rencontrer et se rendre compte que l’on fait corps autour de ça. Et ensuite, construire le mouvement de la grève générale. Le festival, c’est une étape avant la grève. »

DES GRÈVES INSPIRANTES

Pour faire bouger les lignes et obtenir des droits, les femmes ont souvent eu recours à des grèves massives (sociales, sexuelles, domestiques, etc.). En France, on se rappelle de la série de grèves menée au début du XXe siècle (1905 et 1924) par les sardinières de Douarnenez. Ouvrières des conserveries de poisson, elles se sont mobilisées et unies pour protester contre la pénibilité du travail et réclamer une augmentation des salaires. En Islande, c’est la grève d’octobre 1975 qui marque les esprits, réunissant près de 90% des femmes du pays dont une large majorité manifestera dans les rues de Reykjavik. Les grévistes exigent l’obtention de l’égalité entre les hommes et les femmes et la reconnaissance de leur rôle dans l’économie du pays et la gestion des familles. En clair, elles démontrent qu’elles sont indispensables. Tout simplement. Un message fort envoyé à la société qui va devoir faire évoluer drastiquement ses mentalités. Une inspiration pour les Espagnoles qui le 8 mars 2018 ont répondu massivement à l’appel de 8-M, fédération d’associations féministes, alliée aux syndicats : concerts de casseroles dans Madrid, arrêts des métros et des trains, défilés devant les enseignes commerciales, journaux télévisés sans présentatrices… Elles dénoncent toutes les formes de discriminations et de violences à l’encontre des personnes sexisées. Sans elles, tout s’arrête, elles l’ont encore prouvé et nos voisines suisses n’ont pas hésité l’année suivante, en 2019, a impulsé la grève des femmes dans leur pays, réclamant en premier lieu la fin des inégalités salariales – elles dénoncent les différences de salaire durant les carrières mais également les conséquences sur la retraite, les femmes étant les principales impactées par les réformes retraite… - et la reconnaissance sociale et financière des postes et secteurs occupés par les femmes, et en second lieu la fin des violences sexistes et sexuelles de manière globale.

C’est un fait, tout est lié. De l’injonction à gérer l’espace privé et les tâches qui y sont assignées à la culture du viol, en passant par l’inégal accès et la faible représentativité au travail, à la santé, à la scène politique comme culturelle et artistique, les militant-e-s féministes attaquent de front le système patriarcal dans son ensemble afin de déconstruire les mécanismes d’oppression exercés à tous les niveaux de la société. Les 11 et 12 juin, au festival Mars ou grève, les camarades suisses sont présent-e-s pour partager leurs expériences. « Ce qui nous a fait le plus de bien, c’est qu’elles ont montré que c’était possible ! Elles sont parties d’un terrain où tout était à construire. Elles ont beaucoup tafé et l’engrenage s’est enclenché. Et c’est une des plus grosses mobilisations sociales ! C’est inspirant ! », s’enthousiasme Mélissa, membre de Nous Toutes 35. Elle est accompagnée de Val et d’Aline, toutes deux également militantes au sein du collectif féministe. « C’est une source d’inspiration et d’admiration. Et puis de voir toutes ces marées vertes et violettes sur les villes d’Amérique du sud, d’Amérique centrale, d’Inde, d’Europe, etc. On a envie de ça, de quelque chose de global qui renverse le système capitaliste et patriarcal. Pas juste à Rennes. C’est pour ça que c’est nécessaire de construire ça massivement. », souligne Val.

SE RASSEMBLER POUR PESER

Rien ne se fait en un claquement de doigts. Déboulonner les stéréotypes et rôles genrés, intégrés dès le plus jeune âge et infusés dans toute la société de manière plus ou moins pernicieuse, de manière plus ou moins consciente, demande du temps et des moyens. Pour expliquer d’où proviennent les inégalités, comment elles s’expriment et comment elles perdurent. Il est primordial de fédérer et de s’organiser. « À Rennes, en 2019, on était plusieurs à vouloir monter une structure féministe dans l’objectif d’organiser la manifestation du 25 novembre (journée internationale de lutte contre les violences sexistes et sexuelles faites à l’encontre des personnes sexisées, ndlr). On s’est posé la question de lancer une inter orga ou un collectif. L’idée n’était pas de remplacer les associations féministes existantes mais de coordonner les énergies. À cette époque, les collages commençaient aussi. Entre le 25 novembre et le 8 mars (journée internationale pour les droits des femmes, ndlr), on a bien posé les bases du collectif. », explique Aline. L’année 2020 est bousculée par la crise sanitaire et les confinements qui révèlent la précarité des métiers essentiels et surtout de celles qui les font tourner. « À ce moment-là, Nous Toutes 35 était en contact avec différents collectifs nationaux indépendants. Une poignée s’est organisée et c’est comme ça qu’est née la Coordination féministe. », poursuit Val. Autour de la question « Comment traiter la crise sanitaire d’un point de vue féministe et s’organiser politiquement en temps de confinement ? » s’affinent l’idée et la volonté de transformer profondément et radicalement la société. Après une première mobilisation axée sur un déconfinement féministe, interpelant l’opinion publique quant aux conditions des premières de cordée et de corvées et demandant une revalorisation de leurs statuts et de leurs salaires, éclosent les premières Rencontres nationales féministes, organisées par la Coordination féministe et Nous Toutes 35 (qui fait parti du regroupement national), à Rennes. 

GELER LE PAYS

Nous sommes en janvier 2022 et là encore le propos est à la grève générale. Quelques mois plus tard, la manifestation du 8 mars prend lieu et place le jour même et non comme à son habitude le week-end précédant ou suivant la journée internationale. Un premier pas qui ancre dans les mentalités la faisabilité d’une grève à venir… Une invitation à arrêter de travailler, à l’instar du mouvement #3Novembre9h22 (en 2021), #4Novembre16h16 (en 2020) ou #5Novembre16h47 (en 2019) qui marque le moment de l’année où les femmes commencent à travailler bénévolement, en raison de l’écart des salaires. À la différence que l’effet ici est réduit, malgré la volonté de pointer et de visibiliser cette inégalité criante. La grève féministe va plus loin puisqu’elle tend à geler le pays, bien au-delà de la symbolique. En arrêtant de travailler le 8 mars et en refusant de réaliser les tâches domestiques assignées, elles dépassent la revendication d’égalité salariale. Pour les militantes de Nous Toutes 35, « c’est là que s’articule le mouvement en terme de revendications féministes, en soulignant les différentes dimensions du travail productif (salarié) et du travail reproductif (domestique). » Elles initient une prise de conscience qui pourrait s’avérer spectaculaire. Réaliser le poids des femmes et minorités de genre dans la société et leur impact si elles démissionnent de leurs rôles sexuels et genrés, c’est prendre conscience du pouvoir qu’elles ont, c’est faire comprendre que sans elles, rien n’est possible. C’est imposer leurs revendications et conditions dans l’espace et le débat public pour une refonte complète du système, pour un fonctionnement égalitaire. Qui doit également prendre en compte les nombreuses discriminations qui s’articulent au croisement du sexisme et des rapports de domination en raison des origines réelles ou supposées, du handicap, de la classe sociale, de l’orientation affective et sexuelle, de l’identité de genre, etc. Sans oublier la dimension des territoires (milieu rural, milieu urbain, centre ville, quartiers populaires, etc.).

MOBILISER TOU-TE-S LES PERSONNES CONCERNÉES

La grève féministe, c’est un état d’esprit dans lequel les personnes concerné-e-s se mettent : « On ne peut pas vérifier dans les foyers que tout le monde est en grève. Il ne faut pas être trop puriste. J’aimerais personnellement qu’on arrête tout mais la construction va se faire pas à pas. » Les femmes peuvent débrayer toute la journée, une heure, une minute, porter un badge, rejoindre le mouvement après la journée de boulot. Elles font ce qu’elles peuvent. Car il est nécessaire de penser aux conditions sine qua non au déroulement de la grève. « Si on veut que tout s’arrête, il faut penser les effets en cascade. », souligne Val. Elle explique : « Si les enseignantes se mettent en grève, les enfants sont renvoyés à la maison. Et là, qui va les prendre en charge en général ? Si on s’arrête, des personnes vont rester seules, notamment les enfants, les personnes fragilisées, les personnes handicapées (les métiers de l’éducation, des services à la personne, de la santé, etc. étant majoritairement occupés par les femmes, ndlr). La question se pose : comment on construit la grève autour des enjeux et de la forme avec des alternatives pour ne pas mettre à mal les personnes dont on s’occupe majoritairement ? Il ne faut pas que ça retombe sur les femmes elles-mêmes. » Et que l’on ne reproduise pas les schémas dénoncés, à savoir que ce ne soit pas uniquement les femmes blanches, aisées, cisgenres, valides, hétérosexuelles qui soient en mesure d’affirmer la grève, biaisant une partie des revendications en s’octroyant la parole des concernées absentes. « La question des enfants est centrale. Comment organiser la garde des enfants et transformer ça en sujet collectif ? », interroge Mélissa, qui poursuit plus globalement : « On a besoin de savoir précisément comment ça se passe dans les différents métiers, pour apporter des réponses alternatives à la grève si elles ne peuvent pas y participer entièrement ou pour pouvoir s’organiser afin qu’elles y participent. Et pour ça, on a besoin des syndicats. »

COLLABORER AVEC LES SYNDICATS

S’atteler à la tâche colossale de l’organisation d’une grève générale, on l’aura compris, ne peut s’effectuer seul-e et séparément. Unir les forces mais aussi les compétences et savoirs. Et en cela, chaque collectif, association et syndicat est expert-e du secteur qu’il défend, du secteur dans et sur lequel il opère. « Là, je parle en mon nom et non en celui de Nous Toutes 35. Pour moi, il est important de travailler avec les syndicats. Si on veut mobiliser sur les lieux de travail, on va avoir du mal à le faire sans eux. Je sais que certain-e-s ont peur qu’on ne soit que la caution paillettes (comprendre ici que la collaboration serve de faire valoir à l’action des syndicats qui en collant l’étiquette féministe pourrait être tenté de se débarrasser du travail de remise en cause du système patriarcal au sein même de leurs pratiques et de leurs organisations, ndlr). Mais je pense qu’il faut travailler ensemble à des revendications communes. Les syndicats ont un pied là où nous on n’est pas organisé-e-s, sur des sujets sur lesquels on n’a pas de prise. », commente Aline. Depuis plusieurs années, le collectif rennais s’active à penser la relation partenariale avec notamment la commission féministe de Solidaires et « un peu » FO, la CGT et la CNT, dans le cadre des manifestations des 8 mars et 25 novembre.

Les premières marches sont donc déjà gravies. Si les militantes s’accordent à établir que les énergies et les modes opératoires ne sont pas nécessairement similaires entre engagement militant et engagement syndical, force est de constater que sur le terrain d’une grève générale féministe, il y a tout intérêt à faire alliance. « C’est important de s’emparer de la question de l’exploitation dans les métiers du soin, d’entretien, d’aides à domicile, d’aides soignantes, etc. Car il s’agit là de travail reproductif mais salarié. Sous payé… Notre rôle est de réappuyer sur ces points et de bien indiquer nos raisonnements et revendications aux syndicats. », analyse Val. Aline poursuit la réflexion : « Les secteurs fortement féminisés sont souvent sous syndicalisés. Il nous faut construire les rencontres vers ces personnes employées. En prenant en compte que dans les secteurs tels que les aides à domicile, il n’y a pas forcément de lieux de travail fixes. Si on a envie de diffuser largement cette idée de grève, les syndicats sont indispensables car, eux, ont un accès plus simples aux salarié-e-s que pour nous. S’ils ne suivent pas, on le fera quand même mais ça marchera moins bien. » 

RÉPANDRE L’INFORMATION

Les militantes montrent bien à quel point la situation est complexe et transversale à tous les niveaux de la société. L’ampleur de la tâche ne les démonte pas. Elles savent que le travail va être long. Elles savent que le travail va être compliqué. Leur détermination et leur volonté s’affichent à la hauteur de la mission. Echanges, partages des vécus et des expériences et réflexions sont au cœur de leurs opérations. Au sein du collectif, de la Coordination féministe et des Rencontres nationales (dont la deuxième édition est organisée du 13 au 17 juillet 2022 à Grenoble), la parole se veut libre et l’écoute bienveillante. Il est question de visibilité et de lutte contre l’invisibilisation du travail reproductif non rémunéré, de l’exploitation des personnes sexisées dans les secteurs du care, de l’inégale répartition du travail productif mais aussi de violences conjugales et intrafamiliales, de féminicides et de violences sexuelles. Un propos lourd à porter, difficile à faire reconnaître, parfois même décourageant. Et pourtant, les militant-e-s sont là, répondent présent-e-s et affirment leur adelphité, comme le signalait en février dernier Lisa de la Coordination féministe (lire notre Focus « Inclusion : croiser les forces » / Numéro 95 – Printemps 2022) : « On est pour un militantisme qui ne soit pas du sacrifice. Ça ne veut pas dire que c’est simple à organiser un événement comme on a fait à Rennes, ça veut simplement dire que la balance de force et de bien que ça nous apporte pèse plus que la difficulté. Ça nous donne de la force pour la suite. Des fois, on se sent seul-e-s. Echanger avec des personnes qui ont les mêmes difficultés, ça fait du bien. On s’envoie des messages de cœurs, d’étoiles, on discute dans la joie et la bonne humeur. C’est un mélange de rage et de paillettes ! »

En réunion à l’Hôtel Pasteur, les membres de Nous Toutes 35 évoquent les joies du militantisme et font part du plaisir procuré par des événements qui mêlent engagement et festivités, à l’instar de Big Up organisé en marge du 8 mars à la Maison de quartier de Villejean, à Rennes, ou le festival Mars ou grève. Elles le disent, l’objectif de ce week-end, c’est « de faire un premier pas vers la diffusion de cette grève du 8 mars », « d’appâter avec des animations et des concerts des personnes qui ne seraient pas venues autrement » et « toucher un maximum de gens, en plantant la graine pour dire qu’une grève massive aura lieu en 2023, et rencontrer des gens qui sont intéressés. » Sans oublier que ces événements permettent également aux militant-e-s de s’auto-former sur les questions féministes. « On n’a pas de recette magique. Il faut diffuser l’info, la rabâcher partout, tout le temps. Partout où on va, il faut en parler. Afficher le drapeau « Grève féministe 2023 », partout, tout le temps. Et puis, il faut qu’on réussisse à construire des revendications qui parlent de nos vies quotidiennes pour que ça parle. Les féministes suisses ont écrit un manifeste en 19 points en disant « Si tu te reconnais, viens faire grève avec nous ! ». Il faut qu’en septembre, on ait ça aussi ! », scande Aline. 

Et surtout faire passer le mot : une grève générale féministe massive n’est pas seulement envisageable et envisagée, elle est déjà sur les rails, elle est possible et elle est largement susceptible de fonctionner. Ensemble, on s’arrête tou-te-s. Le 8 mars 2023. Le 8 mars 2024. Le 8 mars 2025. Parce que nos voix comptent. Que nos existences comptent. 

Célian Ramis

Prendre la mer et être libre grâce à l'écologie pirate !

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La piraterie au service de l’écologie et de la liberté pour tou-te-s de circuler, voilà le projet revendiqué par Fatima Ouassak, invitée par le Front de Mères 35 à échanger, lors d’une causerie, autour de son nouveau livre Pour une écologie pirate – Et nous serons libres.
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La piraterie au service de l’écologie et de la liberté pour tou-te-s de circuler, voilà le projet revendiqué par Fatima Ouassak, co-fondatrice de Front de Mères (syndicat de mères pour le respect et la dignité des enfants des quartiers populaires) et Verdragon (première maison de l’écologie populaire) à Bagnolet. Le 4 mars, la politologue et militante écologiste féministe et antiraciste était invitée par le Front de Mères 35 à échanger, lors d’une causerie, autour de son nouveau livre Pour une écologie pirate – Et nous serons libres, au Pôle Associatif de la Marbaudais, à Rennes. 

Faire de l’écologie un sujet populaire et poser les questions d’un point de vue situé. Celui d’une mère habitant et militant à Bagnolet, dans le 93. D’une fille émigré-immigrés du Rif au Maroc. D’une militante qui inscrit depuis 20 ans son engagement dans les luttes ouvrières, de l’immigration et des quartiers populaires, et qui a fondé plusieurs organisations politiques, une association locale à Bagnolet – le Front de Mères – et une organisation féministe, le Réseau Classe/Genre/Race. Mais aussi celui d’une politologue et consultante au contact des politiques publiques, notamment celles en direction des quartiers populaires. C’est elle qui le décrit le mieux, en préambule du premier livre de la trilogie en cours, La puissance des mères. Elle poursuit : « Mon point de vue est situé. Comme tous les points de vue, y compris quand ils prétendent ne pas l’être et représenter tout le monde. Mon point de vue est situé mais je m’adresse à tout le monde. Je m’adresse à tout le monde, mais en faisant de mon point de vue minoritaire et périphérique le point de vue central. Mon point de vue est situé, mais je veux changer le monde entier. C’est dans ce sens, et à cette condition, que la proposition politique que je développe dans ce livre est universelle. »

JOIE MILITANTE ET COLÈRE IRRÉPRESSIBLE

Dans ses ouvrages, elle remet au cœur du sujet les personnes concernées et leur puissance. Elle interroge la thématique au prisme de leurs réalités, héritages et aspirations. Elle dénonce le racisme et la menace de l’extrême droite, l’hypocrisie d’une certaine partie de la gauche et le blanchiment des luttes écologistes et féministes. Elle prône la liberté, la sororité, la joie militante, les victoires conquises à la force de la détermination collective. Elle revendique l’échec et la réussite par l’expérimentation, le droit de se tromper, la ville à hauteur d’enfants, l’égalité réelle entre les individus, les alliances vers un front commun. Pour cela, elle analyse le rapport à la terre et les conditions de circulation des habitant-e-s des quartiers populaires. Deux droits fondamentaux et inaliénables qui pourtant ne sont ni existants ni interrogés au sein même des rangs et des forces de gauche. Prendre la mer pour être libre. Et respirer. Se libérer des logiques capitalistes et coloniales. Se libérer des entraves constantes et des rappels systématiques à l’ordre établi. Se libérer de l’étouffement dû à la pollution environnementale et aux contrôles policiers. 

« La priorité doit être d’organiser les conditions du changement : montrer qu’il n’y a pas de fatalité, que c’est possible et que c’est politique. », écrit Fatima Ouassak dans son livre Pour une écologie pirate – Et nous serons libres. L’autrice effectue une remise en question profonde des thématiques qui en apparences sont des causes justes et nobles. Et pourtant, écologie et féminisme sont des mouvements majoritairement pensés par et pour les blanc-he-s, de classe aisée principalement. Elle remet en perspective les luttes passées et les questionnements actuels. Et surtout, elle personnifie les dragons. Mères et habitant-e-s des quartiers populaires incarnent cette figure, sa force et sa puissance. Sa colère aussi. Parce qu’il est important de pouvoir crier sa rage. Son conte, inscrit à la fin de son livre, en témoigne. « Le Roi Kapist, les Dragons et les enfants-pirates » offre une fable délicieuse et révolutionnaire qui raconte un pan de notre histoire et société, telles qu’elles ne sont jamais ou trop rarement relatées - et arme les générations futures à la construction du monde de demain. Reprendre le pouvoir de décision et d’action. S’ancrer. Et encore une fois, prendre la mer. 

RÉDUIT-E-S À LA FORCE DE TRAVAIL

« On ne peut pas demander aux habitants des quartiers populaires de s’impliquer contre ce qui détruit la terre ici et, en même temps, leur rappeler sans cesse qu’ils n’y sont pas chez eux à coups de discriminations raciales massives dans tous les espaces sociaux, de contrôles policiers racistes, de difficultés à obtenir des papiers ou d’islamophobie plus ou moins assumée. On ne peut pas attendre de populations qui n’ont même pas le droit de dure publiquement Dieu est grand qu’elles veuillent bien rejoindre le front climat par amour pour Gaïa, obscure sous-divinité grecque. On n’est pas en position de protéger une terre en danger là où on est soi-même écrasé et sous contrôle permanent. On n’est pas en position de protéger une terre là où on n’a aucun pouvoir de changer les choses. Dans les quartiers populaires, la question écologique ne peut pas être celle de la protection de la terre – de l’environnement, de la nature, du vivant ; elle doit être celle de sa libération. »

C’est par la lecture de cet extrait, de son livre Pour une écologie pirate, que Fatima Ouassak débute sa causerie. On lui a très souvent demandé pourquoi, en tant que premières victimes du réchauffement climatique, les personnes issues des quartiers populaires ne s’investissaient pas dans l’avenir de leurs enfants. « C’est du mépris de classe ! Ça revient à dire que ces personnes sont complétement bêtes ! », souligne la politologue, qui répond alors : « On répète à cette population, largement issue de l’immigration post coloniale, qu’elle n’est pas ici chez elle ou qu’elle est en sursis… » Dans son viseur, l’extrême droite qui, par sa hiérarchisation raciale et son suprémacisme blanc, protège l’Europe blanche et chrétienne par des murs. L’autrice d’un côté rappelle l’urgence climatique mais aussi politique et citoyenne. Avec l’avènement de l’extrême droite, la menace d’une gestion de crise se dévoile et se concrétise. Fatima Ouassak dénonce de l’autre côté les arguments que l’on oppose à cette pensée fascisante : « Face à ça, l’argument ultime est de dire qu’il ne faut pas re-migrer les gens mais les régulariser ou les garder dans les quartiers populaires car ils sont utiles. Dans les secteurs du bâtiment, de la restauration, de l’hôpital public, etc. Il s’agit de dire « Sans eux, le monde s’effondre. » Mais ce projet est raciste et suprémaciste aussi. » Parce qu’il tend à réduire la population ciblée à sa force de travail. À son utilité pour le système capitaliste. « Et dans les deux cas, il s’agit d’une déshumanisation. », souligne-t-elle, précisant : « On ne veut pas que la classe populaire se mobilise. L’écologie, c’est un pouvoir politique. Un pouvoir de changer les choses. »

DES POPULATIONS SANS TERRE

La vraie question selon elle, c’est celle de la terre. De l’ancrage au territoire. Des damnés de la terre de Frantz Fanon aux emmurés de la terre de One Piece, Fatima Ouassak veut briser le cercle de l’errance. Elle parle de la fierté qu’elle a revendiqué fut un temps de « ne pas être d’ici » sans pour autant « être de là-bas ». « C’est dur de se dire que nos enfants vont errer comme nous. En vrai, on a tous besoin d’une terre et on sait que nos enfants en ont besoin. », poursuit-elle. Pollution, implantation de sites industriels, proximité avec le trafic et les échangeurs routiers… Le constat est alarmant : les territoires sur lesquels sont construits les quartiers populaires sont maltraités. « On ne voit pas la terre ! On parle d’espaces verts mais pas de terre ! », s’indigne-t-elle. Sans oublier les termes utilisés pour les nommer (ZEP, ZUS, ZEP+,…) que les habitants se sont eux-mêmes appropriés :

« J’ai eu beaucoup de difficulté à parler de terre pour les quartiers populaires. On ne défend une terre que dès lors qu’on s’y sent légitime. Le pouvoir de changer les choses vient avec l’ancrage territorial. »

Le rapport à la terre dans les quartiers populaires est central pour analyser la problématique écologiste. Parce que les populations concernées vont intégrer l’idée qu’elles n’ont pas le pouvoir de refuser les murs que l’on dresse entre leurs quartiers et les quartiers pavillonnaires. Dans ces derniers, l’air est moins pollué, la circulation est libre et calme, le volume sonore, restreint. Mais de l’autre côté de la barrière, épaisse d’une seule rue, voire moins, les habitants sont fliqués, assignés à résidence, interdits de contemplations, privés d’agora et de jeux dans l’espace public. « Et un monde travaille pour l’autre. On l’a bien vu pendant le confinement. Ce mot n’avait d’ailleurs pas le même sens selon la classe sociale, l’endroit où on vivait, etc. », signale Fatima Ouassak. Gentrification et résidentialisation puisent dans cette absence d’ancrage et constituent les bases des arguments sécuritaires et des conditions différenciées de circulation selon l’origine sociale. « On dit clairement aux enfants des quartiers populaires qu’ils ne peuvent pas circuler librement. Qu’ils doivent demander l’autorisation. On institue le contrôle de l’adulte et la vidéosurveillance qui rentre dans leur vie privée : c’est intime le jeu entre copains et copines, c’est la liberté, les 400 coups ! », scande l’autrice. 

S’ALLIER POUR AVANCER

Elle défend la liberté de circuler, sans conditions, comme enjeu fondamental pourtant jamais abordé en matière d’écologie sous l’angle des quartiers populaires. Le surnombre de verbalisations en période de confinement dans ces espaces aura fait la fierté de Castaner, tandis que 2020 deviendra l’année record pour les crimes policiers. Les jardins partagés dans les sols pollués de la Seine-Saint-Denis, les fermes urbaines dans lesquelles des enfants entravés par les contrôles policiers font face à des animaux en cage, elle le dit : ça ne fait pas rêver ! Dans son manifeste pour une écologie pirate, elle exige non seulement la liberté de circuler sans condition mais aussi de poser cette revendication au centre d’une alliance globale. « Face au système colonial-capitaliste, il faut mettre en place un truc costaud ! », lance-t-elle. Réunir les féministes, dont la tradition du mouvement prône la libre circulation des femmes, les militant-e-s LGBTIQ+, les luttes pour les droits des personnes migrantes, les combats contre les violences policières, pour faire front commun et inventer ensemble les termes de leur libération et de leur liberté. « On ne va pas se retrouver sur tous les points mais la liberté de circulation peut mettre beaucoup de monde autour de la table ! », se réjouit-elle. Et pas uniquement des personnes blanches. Parce que comme elle le dit en rigolant : « Les marches pour le climat sont encore plus blanches CSP+ que les marches féministes ! »

S’inspirer des mouvements existants et des victoires obtenues apparait essentiel dans l’œuvre de Fatima Ouassak qui lie par cette logique d’appartenance à la terre les luttes de Plogoff, d’Algérie et de Palestine : « S’il y a bien un endroit où la terre est spoliée, c’est bien en Palestine ! C’est une lutte de personnes qui veulent retrouver leur terre et circuler librement ! » Revendiquer l’écologie pirate « pour que les enfants puissent prendre la mer et être libres », comme ce vieux monsieur qui dans son livre clame : « Je ne respire un peu que sur le bateau qui navigue entre la côte espagnole et la côte marocaine. (…) Sur le bateau, je suis libre ! » Au fil des pages, l’autrice nous livre son amour pour le manga le plus vendu au monde One Pieced’Eiichiro Oda. Pour elle, inutile d’invoquer Gaïa pour motiver les troupes à la cause écologiste quand une œuvre comme celle du mangaka existe et infuse la culture des quartiers populaires depuis plus de 20 ans :

« Dans One piece, il y a un trésor à retrouver. Mon hypothèse, c’est que ce trésor c’est la liberté de circuler. En gros, on n’est pas libre si tout le monde n’est pas libre. »

Cela traduit, pour elle, « la soif de prendre la mer pour les populations qui sont emmurées, le pouvoir de s’échapper dans les imaginaires. » Tout y est, précise-t-elle. La violence de la piraterie. Le bateau comme espace autonome. L’infinité de la mer. Le pouvoir de la mère. Se battre pour voir et prendre la mer. Prendre la mer pour se sentir libre. Respirer. Et vivre.  

Célian Ramis

Libérer les menstruations !

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En 2023, la précarité menstruelle reste un fléau que subissent toutes les personnes ayant leurs règles, et en particulier celles qui sont en situation de grande vulnérabilité économique.
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En 2023, la précarité menstruelle reste un fléau que subissent toutes les personnes ayant leurs règles, et en particulier celles qui sont en situation de grande vulnérabilité économique. Selon une étude de l’association Dons Solidaires, 1,7 millions de femmes en France n’ont pas les moyens d’acheter les protections périodiques nécessaires. Un chiffre qui ne prend pas en compte les personnes trans et les personnes non binaires menstruées.

On estime à 2 400, en moyenne, le nombre de jours durant lesquels du sang s’écoulera de l’utérus à la vulve, en passant par le vagin, de plus de la moitié de la population. Et pourtant, les personnes menstruées vont apprendre à taire ce phénomène biologique et intégrer la honte assignée à leur condition. Elles rougiront au supermarché, murmureront pour demander un tampon ou une serviette et se les refileront sous le manteau… Quand elles n’auront pas à choisir entre ça et leur alimentation. Entre ça et leur dignité.

« 30% des étudiantes disent qu’elles doivent choisir entre un paquet de pâtes et des protections périodiques. », signale Elise Thiebaut, journaliste et autrice, entre autre, de l’essai Ceci est mon sang. Le 24 mai, elle était présente à la table ronde « Femmes sans abris et règles », organisée à Askoria, à Rennes, par les associations Entourages et Bulles Solidaires.

Au total, 3 femmes sur 10 sont concernées par la précarité menstruelle, indique le dépliant distribué à l’entrée réalisé et illustré par la talentueuse facilitatrice graphique, Zèdegrafik. Elise Thiebaut poursuit,  précisant que les femmes sont également plus précaires puisque majoritairement investies dans les domaines du soin et des services à la personne, les fameux métiers rendus essentiels lors des confinements mais quotidiennement dévalorisés socialement et financièrement, et majoritairement dans des postes en CDD, à temps partiel, etc.

« Le seul fait d’avoir leurs règles est une raison de mal être. Surtout quand la situation sociale est difficile. Plus on est stigmatisées, plus la douleur est forte. , souligne-t-elle. 

FORTE INVISIBILISATION

Autour de la table, Myriam Jolivet et Elina Dumont, toutes deux anciennes SDF (les femmes représentent 40% des personnes sans abris), témoignent de leurs vécus. La première, membre du Comité de la rue, autrice et comédienne de la pièce Résis-tente, décrit dans un poème « l’errance d’un corps qui saigne » et aborde la condition de femme vivant dans la rue :

« Être une femme à la rue, c’est être une proie. On se masculinise, on s’enlaidit, on se déféminise. C’est notre première préoccupation : protéger notre enveloppe corporelle. Cette hyper vigilance, c’est déjà épuisant. »

La seconde, vice-présidente nationale du Comité de la rue, chroniqueuse radio dans l’émission « Les grandes gueules » sur RMC et autrice de Longtemps j’ai habité dehors, dénonce une réalité qu’elle a connu et qui perdure encore aujourd’hui :

« Oui, en 2022, des femmes prennent des journaux, des tissus dans les poubelles, etc. pour en faire des protections périodiques. Depuis 2020, je propose de mettre des distributeurs devant les pharmacies, via un système de jetons. Parce que quand on est à la rue, on n’a pas le même rapport au temps. Dans le système social, il y a des horaires de journée pour les douches, les bagageries, les structures d’accueil, etc. Il faut que ce soit ouvert 24h/24 et 7 j/7. »

Ensemble, elles posent la problématique du manque de formation et de sensibilisation des professionnel-le-s du social à la condition des personnes sexisées et de leurs cycles. Sarah Garcel confirme. Infirmière au sein de l’accueil de jour Le Puzzle, à Rennes, elle le dit : « C’est un sujet socialement tabou. Dans les formations dans le domaine de la santé, on ne parle pas de précarité menstruelle. C’est tabou pour tout le monde. »

D’autant plus quand les femmes cherchent à se rendre invisibles. « On reçoit très peu de femmes. 6% environ. Pour celles qui reviennent – et vraiment, elles sont très peu nombreuses – c’est un sujet qui n’est pas abordé. Souvent, elles s’en tiennent à la question de comment obtenir des protections. », explique-t-elle.

Même discours du côté de Sarah Placé, cheffe de service à l’Asfad, structure d’accueil et d’hébergement pour les femmes ayant subi des violences conjugales et intrafamiliales, à Rennes.

« Je peux témoigner, dans d’autres structures, des douches non estampillées femmes ou hommes ou qui n’ont pas de séparation femmes – hommes. Cela représente un risque pour les femmes. Ça m’est arrivé de voir 5 minutes avant la fermeture une femme qui prenait plein de sopalin pour en faire une serviette… Il faut réussir en mixité à isoler cette personne pour lui demander si elle a besoin de protection. Ce n’est pas simple ! Encore moins quand les femmes ne parlent pas français. On montre alors des images. Oser dire, oser demander, ce n’est pas simple. Il est important que les éducateurs et éducatrices soient à l’affut du moindre signe. Car il est facile de demander une brosse à dents mais pas de demander des tampons et des serviettes… », déclare-t-elle.

Au sein de l’Asfad, une semaine a été organisée autour de la précarité menstruelle. Alors même qu’il s’agit d’un espace dédié aux femmes, il est apparu des carences en la matière : « On pensait que c’était de l’ordre du non sujet car c’était une évidence. La question de l’hygiène est inclue à l’Asfad. Finalement, on s’est dit qu’on en parlait peu et pas précisément. Pendant cette semaine-là, on a parlé que de ça, on a affiché des protections périodiques partout, on a abordé le sujet des protections lavables, etc. On s’est aperçu que plein de femmes ne savaient pas comment marche le cycle menstruel… »

UN IMPENSÉ DE NOS VIES !

Le tabou perdure, profondément ancré dans les mentalités. Briser le silence autour des menstruations. Rompre avec les traditions archaïques d’isolement des personnes réglées. Pour Elise Thiebaut, la situation a évolué depuis qu’elle a publié Ceci est mon sang, en 2017. Mais la gêne et le dégoût qu’elle a perçu chez la plupart des gens, y compris de la part de certaines militantes féministes, et qui l’ont mené à explorer le sujet, se ressentent encore et toujours dans la société actuelle.

« Quand on a nos règles, on s’entend dire « Ça y est, tu es une femme ! ». C’est une arnaque ! Ce qui fait que l’on vous désigne comme femme réduit votre existence à cela et est entouré de honte ! On ne vous dit alors rien à ce sujet. Alors qu’on parle de son transit à table… »
signale la journaliste.

L’ignorance qui persiste face à ce tabou a de grandes conséquences sur la santé physique des personnes ayant un utérus (rapport à la douleur, diagnostic très long voire inexistant des endométrioses, des ovaires polykystiques, etc.) mais aussi sur leur santé mentale en raison du mépris que l’on porte aux menstruations (mauvaise estime de soi, dégoût, assimilation des sautes d’humeur et de l’état d’énervement aux règles, etc.).

« Cela mène à une situation où on a honte d’être ce qu’on est ! », s’insurge Elise Thiebaut qui poursuit : « 17 millions de femmes ont leurs règles en France. Dans les collèges, les lycées, les universités (hormis Rennes et Lyon, ndlr), les restaurants, les cafés, etc. il n’y a pas de protections périodiques ! Alors qu’il y a partout des préservatifs et qu’ils sont gratuits… Et c’est génial mais si on a ses règles, c’est plus compliqué. Dans les camps de migrant-e-s, des kits d’hygiène contiennent des rasoirs, des shampooings, etc. mais pas de protections hygiéniques ! C’est un impensé total de nos vies ! »

Elle revient sur une expérience pas du tout anecdotique lors d’un séjour dans un hôtel qui propose alors des chambres spécialement pour les femmes. Curieuse, elle teste. Résultat : « Le prix était deux fois plus élevé et il n’y avait que 2 protections périodiques. Il ne s’agissait pas pour moi d’avoir des règles hémorragiques ! » Les rires provoqués par ce commentaire sont nerveux et de courte durée. Parce qu’il révèle l’étendue de la problématique induite par une société patriarcale alliée à un système capitaliste. 

LES RAISONS D’UNE INACCESSIBILITÉ FLAGRANTE

Ainsi, la difficulté d’accès aux protections périodiques est pointée. « Trente milliards de dollars, soit 26 milliards d’euros : c’est ce que représente le marché annuel de la protection périodique, soit l’équivalent du PIB de Bahreïn, un archipel pétrolier du sud de l’Arabie saoudite qui va sans doute être ravi de l’apprendre. En France, selon le magazine professionnel de la consommation LSA, le chiffre d’affaires de l’hygiène féminine représentait, en 2014, 433 millions d’euros, dont 170 millions pour les serviettes hygiéniques, 103 millions pour les protège-slips et 49 millions pour les tampons, qui accusent cependant une baisse de 5% », peut-on lire dans Ceci est mon sang.

Et en plus de cela, il aura fallu attendre 2016 pour obtenir, grâce au combat et à la mobilisation du collectif féministe Georgette Sand, la suppression de la « taxe tampon », ramenant la TVA sur les protections périodiques à 5,5% au lieu de 20%. Malgré leur précarité, les personnes menstruées payaient plus cher leurs serviettes et tampons que n’importe quel autre produit essentiel.

D’où parfois le dilemme entre un paquet de pâtes et des protections périodiques. Des protections périodiques dont on ne connaît quasiment pas la composition. Des protections périodiques à propos desquelles l’information est faible et rare.

« Il y a un déficit d’informations et de formations. Il y a un risque de choc toxique quand on change sa protection avec des mains pas propres, quand on garde le tampon trop longtemps, etc. Quand on n’a pas la notion du temps parce qu’on est dans un présent de survie et qu’on oublie de changer son tampon, c’est très problématique ! », insiste Elise Thiebaut.

Ce présent de survie est relaté par Myriam Jolivet : « T’as déjà pas l’esprit en paix alors penser à aller ici et là pour ta dignité, être propre, faire gaffe à l’heure, etc… C’est trop fatiguant ! » Elina Dumont acquiesce et appuie : « Pour les personnes précaires, la serviette, on la retourne. Et on peut rajouter des couches (sous-entendu avec PQ ou sopalin, ndlr). Avec les tampons, non, on ne peut pas. Sachant que certaines femmes préfèrent ne pas mettre de tampons car si un mec te viole, il n’enlève pas le tampon… À la rue ou en grande précarité, faut vraiment être courageuse quand t’es une femme ! »

CASSER LE TABOU

Parler des règles permet d’approfondir de nombreux sujets, comme le signale Sarah Placé : « Cela permet de parler de ce qui se passe sous la ceinture : les douleurs liées aux règles, la précarité, les violences sexuelles, etc. Tout ce qui est hyper dur à dire ! »

Faire sauter le tabou parce qu’il « est chargé de pouvoir », selon Elise Thiebaut, et parler de nos corps, « pour revenir à ce qui est le plus important : l’humain, l’humanité, la question du vivant. » Partager, changer le regard sur l’autre, tendre la main. Et l’oreille. Pour Myriam Jolivet, « on habite tous la même planète, il faut se sentir concerné-e par l’autre. Je retiens toujours cette citation : « Sois toujours du côté de l’opprimé-e et tu ne te tromperas jamais ». Rien ne justifie d’opprimer quelqu’un ! »

L’information, la formation, l’accès aux protections périodiques doivent être des priorités des politiques publiques, qui se reposent trop souvent sur les engagements et volontés des associations et des militant-e-s qui ensemble collectent et distribuent gratuitement serviettes jetables et lavables, tampons, coupes et culottes menstruelles.

« Grâce à Bulles Solidaires, nous avons plus de stocks mais on nous demande peu des protections… », précise Sarah Garcel pointant là le cercle vicieux du tabou maintenu et garanti par un système à la fois patriarcal et capitaliste.

À l’instar de l’Ecosse qui en novembre 2020 a rendu gratuit l’accès aux protections périodiques, le gouvernement français doit se positionner concrètement contre la précarité menstruelle. Parce que non, les règles ne sont pas sales. Parce que non, les personnes qui ont leurs règles ne sont pas sales. Parce que non, notre santé physique et notre santé mentale ne sont pas négociables. 

Célian Ramis

Solidarité avec les femmes du quartier

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Combien de féminicides faudra-t-il encore pour que les politiques publiques prennent les mesures adéquates ? C’est la question que pose Kuné, le collectif de femmes de Villejean.
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Villejean, Rennes – Le 12 avril, c’est le choc. Marie, 45 ans, a été tuée, étranglée par son mari à son domicile sous les yeux de leurs deux filles. Le 23 avril, une Marche blanche réunissait plusieurs centaines de personnes dans le quartier. Combien de féminicides faudra-t-il encore pour que les politiques publiques prennent les mesures adéquates ? C’est la question que pose Kuné, le collectif de femmes de Villejean.

Déjà 64 femmes tuées par leur conjoint ou ex conjoint depuis le début de l’année. Et toujours la même rengaine : dans la plupart des cas, elles avaient déjà porté plainte pour des faits de violences conjugales ou intrafamiliales. « La police nous a dit que depuis la mort de Marie et la Marche, 236 femmes avaient porté plainte. Son décès a fait peur aux femmes du quartier. », déclare Régine Komokoli, co-fondatrice du collectif Kuné. 

MAIN DANS LA MAIN

« En esperanto, ça veut dire Faire ensemble. Nous sommes des femmes de Villejean, migrantes de Normandie et d’un peu plus bas aussi. », rigole-t-elle. Le collectif prend vie en 2020. Alors qu’elle anime un atelier de couture avec les femmes voilées, la crise sanitaire et le confinement secouent la planète. Elles répondent par un élan de solidarité en créant des masques.

« On sert à quelque chose, on participe à l’effort national ! », signale-t-elle, en poursuivant : « On a fixé ça à Villejean : on se mêle de nos affaires dans nos quartiers ! » Elles envoient une énergie colossale au service de la vie du quartier et de la création de lien social. Elles organisent des événements fédérateurs, à l’instar des repas solidaires, qui mobilisent les acteur-ice-s de la dalle Kennedy et tissent des partenariats avec les structures et associations des environs, dans une démarche solidaire et écologique, basée sur le respect et la valorisation des savoirs et compétences : « Selon les affinités, les envies, on organise des événements. La participation est libre. »

Rencontrer les habitant-e-s, les prendre en considération et revendiquer la richesse des forces créatives et ingénieuses des quartiers populaires. Faire entendre leurs voix. « On n’est pas des assisté-e-s, on veut rendre la dignité à chacun-e. Il y a 52 nationalités qui se côtoient, c’est chouette, on valorise tout le monde ! », s’enthousiasme Régine Komokoli.

Son dynamisme et son aplomb sont représentatifs de la détermination et de l’engagement de Kuné qui comptabilise déjà 31 actions visant à visibiliser les bonnes initiatives de Villejean afin d’en redorer l’image souvent stigmatisée dans le cliché du territoire populaire.

« On est une vingtaine de femmes dans le collectif et on est toutes co-présidentes. L’idée, c’est de s’émanciper, sortir, réaliser son rêve. Je suis élue au Département parce que les femmes de Kuné m’ont portées. On veut améliorer la vie du quartier. »
affirme-t-elle.

Son sourire s’estompe : « On ne pensait pas enterrer une amie. »

FRUIT DU SYSTÈME PATRIARCAL

Le drame de la mort de Marie n’est pas un fait isolé. En France, chaque année, une femme meurt tous les trois jours, assassinée par un homme de sa famille. À Villejean, en avril, c’est le coup de massue, l’électrochoc. Ça n’arrive pas qu’aux autres. « Elles touchent toutes les femmes et encore plus particulièrement les femmes issues de la diversité », clame la co-fondatrice de Kuné. Sans oublier les personnes LGBTIQ+, les femmes handicapées, etc.

Dans une société patriarcale, les mécanismes de domination s’intègrent dès la petite enfance et se transmettent dans l’éducation (maison, école, loisirs), les arts et la culture, les médias, la publicité, etc. Les violences sexistes et sexuelles s’exercent à tous les niveaux et dans tous les domaines et l’espace privé reste un des espaces les plus dangereux pour les personnes sexisées souvent soumises à l’emprise psychologique, physique et/ou économique du compagnon, frère ou père.

« Je suis restée dedans pendant 20 ans. En venant d’un autre pays, il y a souvent de la dépendance administrative, du chantage des familles au pays et une banalisation des violences. Moi, je me suis retrouvée dans la rue puis à l’hôtel et aujourd’hui encore, je suis en hébergement d’urgence. C’est une réalité que souvent les gens ne voient pas. Je suis partie en 2019 et je subis encore les conséquences. J’ai des marques de coups de couteaux dans le dos. », confie Régine Komokoli. 

UNE MAISON DES FEMMES À RENNES ?

Le sentiment de culpabilité s’empare de son quotidien. Parce que Marie avait signalé les violences infligées et qu’elle était sur le point de partir :

« On a organisé la Marche et on a emmené beaucoup de monde avec nous. Il faut que les victimes puissent sortir du silence et les témoins aussi. On essaye de se rattraper… »

Mobilisé à chaque manifestation féministe – les 8 mars, 25 novembre et autres dates selon les actualités – le collectif investit l’espace public aux côtés des militantes, prend la parole et instaure, en partenariat avec Nous Toutes 35, un départ de cortège depuis Villejean, sans oublier le soutien et la collaboration à Big Up, organisé à la Maison de quartier en mars dernier.

Face au micro, Régine Komokoli défend les droits des femmes, rappelle les rouages de la domination masculine et n’oublie pas d’insister sur les ponts à créer et à consolider entre toutes les femmes et les minorités auxquelles elles appartiennent. Les mots sont puissants et les actions concrètes. Mais les moyens manquent.

Pourtant, la création d’un lieu dédié à l’accueil et l’accompagnement des femmes victimes de violences à Rennes est lancée officiellement depuis mars 2022 par le CHU, l’Asfad – centre d’accueil des victimes de violences familiales – et la municipalité, et devrait ouvrir ses portes à l’été 2023 à l’Hôpital sud. Sur le papier, ce lieu pluridisciplinaire s’inspire de la Maison des femmes de Saint-Denis, prévoyant un cadre d’accueil et d’écoute bienveillant-e-s, un accès aux soins et un accompagnement social, administratif et juridique, sans oublier un espace multimédia, des ateliers de reconstruction d’estime de soi, l’hébergement de la ligne téléphonique départementale de la plateforme de lutte contre les violences conjugales (02 99 54 44 88), etc.

« L’équipement est également pensé comme un lieu thérapeutique, avec des espaces de vie et de repos et, par exemple, la possibilité d’y déposer des affaires, d’y laver son linge et de se faire à manger. », indique le communiqué à ce sujet.

UNE PERMANENCE D’ÉCOUTE ET DE SOUTIEN

Pour le collectif de femmes de Villejean, le projet ne répond pas à l’urgence et aux attentes. « À l’hôpital ?! Qu’est-ce que ça veut dire ? Les femmes victimes ne sont pas malades. Et puis, le mec qui veut retrouver sa victime, il n’a qu’à prendre le métro ! Sans oublier que c’est un accueil de jour… La victime doit rentrer chez elle le soir. Ça change complètement le projet… », regrette Régine Komokoli.

Elle poursuit : « On a travaillé sur moi. En tant que personne test, je me suis confiée, j’ai tout dit. Et je n’ai même pas été associée à la suite. On m’a éloignée du projet à cause de mon histoire. Je ne peux pas me détacher de ce qui m’est arrivé, je suis un témoin vivant. Et il y en a plein d’autres… » Le temps manque pour se laisser envahir par la colère et le désarroi. D’ici là, que fait-on ? Kuné réfléchit aux actions possibles pour répondre à la réalité.

« C’est un problème de société qui devrait être traité en société, à travers les politiques de l’Etat. C’est un vrai mépris des femmes et des enfants. On est tout le temps sollicitées pour des questions de violences. On écoute les gens, on les reçoit mais ça ne suffit pas, on n’est pas formées. », réagit la co-présidente.

En juin, elles convoquent la presse sous l’arbre à palabres du square du Docteur Zamenhof. L’occasion de rappeler le constat que les femmes ouvrières, précaires, issues de la diversité, sans papiers ou sans statut sont souvent laissées sans moyens et sans écoute, d’exiger une réponse politique digne de l’ampleur du problème et surtout d’annoncer la mise en place dès septembre d’une permanence d’écoute bénévole et associative, menée de front par Kuné, les structures féministes et de quartier.

« Certaines d’entre nous guérissent de leurs souffrances. Mais ça ne résout pas le problème. Ça fait du bien de pouvoir pleurer et d’être écoutées. Mais comme je le disais, on n’est pas toutes formées. Alors, on va se lancer en mode financement participatif pour aider les femmes de Villejean à se former. »
souligne Régine Komokoli.

Elles demandent l’obtention d’un local fixe et confidentiel pour instaurer une relation de confiance avec toutes les bénéficiaires. En attendant, elles investissent les espaces tels que l’arbre à palabres et le hall de la Maison de quartier de Villejean. 

Kuné lance un appel fort et puissant : « Il faut agir pour que toutes les victimes de violences puissent sortir de la culture du silence. Que tout le monde puisse s’approprier le sujet ! » Dire stop au système patriarcal, sa diffusion et sa transmission. Rompre l’isolement et briser les rouages de la domination masculine. Solidarité et sororité. 

Célian Ramis

Face à la virilité, l'expression des masculinités plurielles

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Ici, on déboulonne les fondations de la masculinité hégémonique afin de rompre avec ce qui isole les hommes des femmes : l’injonction à se construire en opposition à la féminité et l’obligation à correspondre conformément aux critères de virilité.
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Créer un podcast féministe sur la construction de la masculinité et les conséquences du patriarcat sur les hommes, c’est le projet qu’ont porté Elisabeth Seuzaret et Odoneila Tovolahy lors de leur service civique au sein d’Unis-Cité Bretagne. La série radiophonique Sincère life mêle témoignages des concernés, apports théoriques militants et déconstruction des stéréotypes de genre, pour qu’hommes et femmes s’allient contre le sexisme et ensemble, imaginent et bâtissent un autre possible. 

« Apprendre à porter un masque est la première leçon de masculinité patriarcale qu’un garçon apprenne ». Citation de bell hooks, intellectuelle, universitaire et militante américaine, théoricienne du black feminism et autrice de La volonté de changer : les hommes, la masculinité, l’amour (paru en 2021, quelques mois avant son décès), elle introduit le récent documentaire Make me a man, de Mai Hua et Jerry Hide.

Elle est réalisatrice, il est thérapeute et propose des groupes de parole pour les hommes souhaitant explorer leur vulnérabilité. Le documentaire propose une réflexion autour de la domination patriarcale et de la culture masculine. Les deux œuvres constituent la base de réflexion et le fil rouge de Sincère life, qui s’attache dans son prologue et ses trois épisodes à déboulonner les fondations de la masculinité hégémonique afin de rompre avec ce qui isole les hommes des femmes : l’injonction à se construire en opposition à la féminité et l’obligation à correspondre conformément aux critères de virilité.

ENTENDRE LES VOIX

Elisabeth Seuzaret et Odoneila Tovohaly ont postulé au même service civique à la suite de leur licence de sociologie et ont intégré ensemble l’équipe d’Unis-Cité Bretagne, structure qui organise et promeut les services volontaires des jeunes. La mission : créer son propre projet solidaire. « On était toutes les deux sur la thématique du féminisme. Moi, à travers un podcast et Elisabeth, à travers l’éducation. », signale Odoneila.

Résultat : elles mettent leurs connaissances et envies en commun au service de la création et réalisation de la série Sincère life qui cherche à ouvrir la voie aux questions qu’elles se posent concernant la place des hommes dans le féminisme. « On ne trouvait pas d’issues qui conciliaient le féminisme et le fait d’intégrer les hommes. On a trouvé ça dans le livre de bell hooks. Au départ, on pensait ne faire qu’un seul épisode sur le patriarcat et la masculinité et au final, on a commencé à écrire que sur le sujet. », précise Elisabeth.

C’est Morgane Soularue, chargée de l’éducation aux médias à canal b, radio associative rennaise, qui leur fait tester leurs voix et leur conseille de se rapprocher de l’Edulab de l’Hôtel Pasteur, un lieu d’expérimentation et d’apprentissage dédié aux usages et aux cultures numériques, leur permettant d’accéder à du matériel technique d’enregistrement : « Elle nous a encouragées en nous disant que nos voix se mariaient bien et qu’elles étaient accrocheuses. »

Très rapidement, elles doivent écrire leur trame narrative, s’exercer au micro, apprivoiser leurs voix, se faire aider pour le montage… « Entendre sa voix, la faire écouter. C’est intime… Ça donne confiance en nous, ça a un côté empouvoirant. », confie Odoneila. Elisabeth ajoute : « Souvent, on déteste sa voix. Pouvoir se familiariser autant avec, c’est top ! »

Consommatrices de podcast, elles voient dans cet outil une manière intime de parler de soi et des autres, de mettre des mots sur les problématiques et sur les vécus et d’ouvrir le dialogue sur les sujets traités. Parce que les hommes, disent-elles, n’ont pas conscience du patriarcat et du poids qu’il pèse sur leurs trajectoires, elles proposent là un espace de réflexions et de témoignages introspectifs pour libérer la parole de ceux qui, eux aussi, sont victimes du patriarcat alors qu’ils sont censés en être les gagnants. Et pourtant…

LA CONSCIENCE DES INJONCTIONS VIRILISTES

« C’est possible d’étudier autre chose que son propre vécu. Certes, c’est aux hommes de prendre cette initiative mais si les féministes ne lancent pas cette invitation, ça n’arrivera jamais et on ne règlera jamais le problème qui réside dans l’éducation patriarcale des hommes. », revendique Elisabeth Seuzaret qui poursuit :

« On ne met pas de côté la souffrance des femmes. On essaye de voir comment des mecs peuvent s’intégrer au féminisme. Et ce serait se mentir que de dire qu’ils ne souffrent pas eux aussi du patriarcat. On se met dans l’action, sinon ils resteront des alliés silencieux. »

L’idée n’est pas d’excuser les comportements virilistes et violents mais d’en comprendre les tenants et aboutissants pour les déconstruire. Comment les garçons apprennent-ils à devenir des hommes virils puis des dominants ? Comment intègrent-ils la norme sexiste et finissent par l’incarner ? Ce sont des questions que le duo pose dans les trois épisodes.

Les éléments de réponses, elles les puisent et les mettent en perspective à travers l’usage de la pensée féministe intersectionnelle, développée par bell hooks notamment, la construction de la virilité, décryptée par Olivia Gazalé dans Le mythe de la virilité, ainsi que des témoignages intimes d’hommes de leurs entourages relatant les normes inculquées dans leur enfance par l’éducation parentale et l’école mais aussi inculquées par le groupe social « Hommes ».

Masturbation collective devant des magazines pornos, cohabitation paradoxale entre le rejet de l’homosexualité et la fascination pour des hommes virils en mini shorts et sueur, atrophie des émotions dès le plus jeune âge avec l’injonction « Sois un homme mon fils », honte intégrée de jouer avec des poupées… La masculinité hégémonique se fabrique en opposition à la féminité et dans le mépris de tout ce qui s’en approche.

Ainsi, les femmes seront passives, dociles et aimantes, et les hommes seront actifs, entreprenants et violents. Pourtant, rien de tout cela n’est inné. Les podcasteuses démontrent bien à quel point les traits de caractère associés au féminin et au masculin, dans une binarité réductrice et oppressive, appartiennent à une construction sociale patriarcale.

À l’instar de la sexualité virile qui oblige les hommes à clamer leur domination sur leur partenaire ou encore la rupture intérieure à laquelle on contraint les garçons qui pour devenir des hommes, des vrais, doivent rompre avec leurs émotions et scinder leur personnalité en deux : « le moi acceptable et public et le moi honteux et intime ». 

POUR UNE DÉCONSTRUCTION DES NORMES

D’autres modèles sont possibles et Elisabeth et Odoneila ont à cœur de faire place aux modalités d’actions alternatives pour qu’enfin hommes et femmes entrent dans un dialogue profond et apaisé afin de détruire les fondements de la domination patriarcale qui entrave tous les êtres humains et la nature également. Ce qu’elles veulent, c’est « offrir une autre grille de lecture ».

Dans son ouvrage, « bell hooks ne veut pas détruire la masculinité mais changer le sens de la masculinité. La masculinité est patriarcale aujourd’hui mais elle peut être autre chose. Dans l’empathie, le soin de soi et des autres. Changer le sens de la masculinité, c’est une des clés de l’évolution. » Parce que la rupture intérieure dont elles parlent dans le troisième épisode « Et Dieu créa Adam », n’est pas sans conséquence et mène souvent à des violences que l’on veut croire innées et naturelles.

« Maintenant, comment on réinvente un autre système qui s’inscrit en dehors du système de domination ? Pour nous, La volonté de changer est un livre à mettre dans les mains de tout le monde. Il faut rendre accessible cette pensée. »
souligne Elisabeth.

Le podcast Sincère life pose des questions fondamentales à la compréhension des inégalités, de la manière dont elles se construisent et la façon dont elles se transmettent. Et ouvre la porte à l’expression de masculinités et de féminités plurielles. Elles proposent « une réflexion autant pour les hommes que pour les femmes. »

Parce que comme elles le martèlent : « La masculinité, ce n’est pas que pour les mecs ! » Il est bien temps qu’ils prennent conscience de leur pouvoir d’agir pour une société plus égalitaire et de ce qu’ils ont à y gagner, à savoir une véritable liberté à être qui ils sont, à être qui ils souhaitent être, en dehors des injonctions patriarcales et virilistes. 

 

Célian Ramis

Girls to the front, encore et encore !

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Parler des meufs et des minorités de genre dans le milieu des musiques alternatives, et en particulier sur la scène hardcore, punk et tous ses dérivés. Et surtout leur donner la parole. Pour rompre le silence et déconstruire les idées reçues.
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Parler des meufs et des minorités de genre dans le milieu des musiques alternatives, et en particulier sur la scène hardcore, punk et tous ses dérivés. Et surtout leur donner la parole. Pour rompre le silence et déconstruire les idées reçues. Le fanzine Women of the gig garantit l’esprit DIY féministe hérité des mouvements Riot Grrrls et contribue à l’empouvoirement et à la libre expression des personnes concernées. 

« On est fatigué-e-s des boys club, des boys band, qui nous invisibilisent, nous infantilisent, nous coupent la parole trop souvent. Alors, c’est pour ça qu’on a voulu créer ce medium pour donner la parole à celleux qui font la scène, qui vivent par et pour la musique et qui militent pour des valeurs féministes, antifa, anticapitalistes ! »

C’est ainsi que s’ouvre le premier numéro du fanzine Women of the gig, imaginé et réalisé par Ana, paru en juin dernier. « C’est parti de l’envie de parler de mes expériences persos. D’un ras-le-bol que j’ai eu. Je suis allée à un concert hardcore et dans le pit (fosse dans laquelle s’effectuent les danses lors des concers punk, hardcore, queercore, metalcore, etc.), un mec m’a poussé une fois, deux fois, trois fois et m’a dit « T’as pas ta place ici »… », explique-t-elle.

Le sexisme n’est pas anecdotique dans ce milieu, à l’instar de tous les secteurs de la société, il en découle d’un système patriarcal encore et toujours en vigueur. De là, elle décide de créer l’association Mal baisé-e-s et de créer des événements en non mixité choisie. La création d’un fanzine lui trotte rapidement dans la tête :

« J’osais pas… Je pensais être illégitime. En allant dans les soirées organisées par Arak Asso, on m’a dit qu’en tant que meuf straight edge – le straight edge est une sous-culture du punk hardcore (pas d’alcool, de drogue, de comportement addictif, lié au véganisme, etc.) – j’avais ma place et ma légitimité. Je me suis lancée et je l’ai réalisé de A à Z, avec juste l’aide d’un pote pour InDesign. »

Choix des sujets, interviews, dessins, recherches, rédaction et mise en page, Ana s’investit à fond dans la création d’un fanzine riche en informations et en découvertes. Sa volonté : puiser dans son vécu pour questionner les pratiques inégalitaires dans les musiques hardcore et punk, interroger les personnes concernées et restituer les expériences et ressentis dans l’esprit Riot Grrrls. C’est-à-dire « un zine très mignon mais très vindicatif ! » Sans oublier la revendication de Bikini Kill, L7 et leurs copaines : Girls to the front !!!

MUSIQUE LIBÉRATRICE ET CATHARTIQUE

Dans les arts et la culture, les personnes sexisées sont majoritairement absentes des programmations, des postes de direction, des équipes techniques, des conseils d’administration, des studios de répétition, etc. Les musiques actuelles et les musiques alternatives ne font pas exception. Encore pensées comme des bastions de la virilité, elles sont représentées au masculin, fantasmées à coup de testostérone.

« On cantonne toujours les meufs à être chanteuses. Ou on pense que c’est les copines des batteurs… Dans le punk, il y a des meufs. Pas beaucoup mais il y en a. Dans le punk hardcore, il y en a encore moins. Ou peut-être qu’il y en a mais on ne les connaît pas car elles ne sont pas mises en avant. C’est une scène historiquement très masculine avec des danses vues comme très violentes. Les meufs et les minorités de genre ne se sentent pas à l’aise. », souligne Ana.

Il s’agit là d’idées reçues. De stéréotypes néfastes qui entachent la profondeur de ces genres musicaux. « Toutes les scènes ont leur façon de bouger. Beaucoup de gens ont des a priori sur le hardcore. Mais il suffit d’aller aux concerts et de parler aux gens pour comprendre que les danses sont certes violentes mais restent bienveillantes. Si on ne s’y intéresse pas, on pense que c’est juste un truc de mascus… On voit peu de meufs car ce n’est pas un style démocratisé. », poursuit la créatrice du fanzine.

Elle part de sa trajectoire personnelle, du ressenti d’un profond malaise au collège qui la mène au lycée à adopter des conduites addictives qu’elle décrit elle-même comme dangereuses. Elle le dit : « Plus jeune, j’écoutais déjà des groupes comme Blink 182, Greenday, etc. Quand je suis entrée aux Beaux Arts en 2018, j’ai rencontré le gars qui fait le zine de punk No comply, je suis allée l’année suivante au Superbowl of hardcore, au Jardin moderne, à Rennes. Ça m’a forgée de découvrir le hardcore et ses dérivés. Ça s’écoute et ça se vit. La musique est vraiment cathartique pour moi et tout s’est regroupé avec le straight edge. C’est maintenant ma façon de vivre. »

Libérateur, le punk hardcore aborde, grâce aux nouvelles générations et aux groupes politisés, les thématiques de la culture du viol, le respect des êtres humains, ainsi que de tous les êtres vivants, les valeurs antifascistes, anticapitalistes et antispécistes, la réappropriation du corps après un événement traumatique, etc.

« Dans mes textes, je dis que j’ai ma place ici et que t’as pas intérêt à me dire le contraire. Dans les groupes de meufs, il y a cette revendication de vouloir se réapproprier la scène. Et je pense que c’est important de se créer des espaces pour en parler. Moi, j’aime beaucoup ce truc de « Girls to the front », même si pour le coup avec le pit, je sais pas trop comment ce serait possible… »
signale Ana.

Les meufs et les minorités ont toute légitimité à intégrer les canaux de création et de diffusion des musiques alternatives qui doivent, tout autant que les autres branches, déconstruire les mécanismes de domination, intégrés par les un-e-s et les autres de par l’éducation genrée qui perdure dans une société encore largement patriarcale et capitaliste. 

REPRÉSENTATIONS, HISTOIRE ET EMPOUVOIREMENT

Ici, on entend les voix de celleux qui participent à la scène hardcore et queercore en tant que chanteur-euse-s, musicien-ne-s, technicien-ne-s ou encore public, on prend en compte les parcours et trajectoires des interviewé-e-s qui témoignent des difficultés liées à leur sexe, à leur genre ou à leur identité de genre, on déconstruit l’attitude « Tough guy » du hardcore consistant à adopter les codes streetwear et les comportements pensés masculins (dans les tenues, les postures, etc.) pour être intégré-e-s, on parle représentations dans les visuels et les programmations, on (re)découvre l’histoire des Riot Grrrls, on s’inspire des Pussy Riot, on puise des solutions parmi ces mouvements mais aussi la création et mise en place de festivals comme le Ladyfest, proposant à l’occasion d’un rassemblement musical de participer à des ateliers d’auto-défense, de mécanique, de pratique d’instruments, de cuisine végétarienne, etc.

« C’est un cercle vertueux : si des meufs voient d’autres meufs sur la scène, dans le public, aller dans le pit, ça les poussera à aller dans le pit, à créer des fanzines, à monter des groupes, faire des podcasts, lancer des assos, etc. Tout est important ! On est nécessaires à la scène, sinon on reste dans le cliché du milieu méga masculin… »
s’enthousiasme Ana.

Parce que c’est là aussi son message à travers ce fanzine : la découverte d’un milieu musical pour les non initié-e-s et l’empouvoirement de toutes les personnes concernées : « J’ai envie de leur dire de se lancer si iels veulent se lancer ! Être une meuf ne nous conditionne pas à rien faire. Si tu veux te lancer, lance toi ! Sinon, ça passe aussi par le fait de partager les projets de tes potes, de les soutenir, etc. »

Sur elle, ça fonctionne également : « Je suis archi fière ! Je suis même en train de le traduire pour qu’il soit diffusé en Angleterre ! Je ne pensais pas que ça marcherait autant. C’est un outil très cool qui peut tourner, passer de mains en mains. C’est pas fait pour rester dans une bibli… Je me sens maintenant plus légitime pour le numéro 2. Parce que les gens valident et me disent que c’est nécessaire. J’ai plein d’idées encore pour la suite. Je vais parler du straight edge, des luttes anti-fascistes, etc. C’est encore plus personnel. Et puis, j’ai toujours autant envie de donner la parole aux concerné-e-s ! »

 

Numéro 1 – 65 pages – 7 €

Célian Ramis

Matrimoine : La mémoire des femmes

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Femmes du passé et d’aujourd’hui, militantes, comédiennes, metteuses en scène, autrices et chercheuses universitaires… Elles nous proposent de visiter le matrimoine. À travers une mise en mots, en scène et en réseau.
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Femmes du passé et femmes d’aujourd’hui, militantes, comédiennes, metteuses en scène, autrices et chercheuses universitaires… Elles nous proposent de visiter le matrimoine. À travers une mise en mots, en scène et en réseau, elles participent à valoriser et visibiliser toutes celles qui ont œuvré à l’avancée de la société. 

Elles ont marqué l’Histoire. Que ce soit dans le domaine de la philosophie, des sciences, des sports, de la théologie, du monde médical, des technologies, de la politique, de l’économie, du social, des arts et de la culture… elles ont toujours été présentes et ont toujours pensé le monde et agi pour concrétiser leurs idées. Elles sont pourtant reléguées aux tâches ménagères et domestiques, confinées au sein de l’espace privé, au travail de reproduction…

Méprisées, ignorées, oubliées de l’Histoire, cet héritage biaisé, réducteur et sexiste, nous amène à nous construire à travers un vide, un silence, une absence. L’apprentissage scolaire, le langage, les médias ainsi que les institutions artistiques et culturelles ne donnent pas accès à notre matrimoine. Iels nous enseignent et inculquent les valeurs de notre patrimoine. Un terme qui n’est pas neutre puisqu’il inscrit le masculin comme élément central de l’ADN commun des êtres humains.

RENDRE LE RÉCIT COMPLET

Or, les femmes, de tous temps et de toutes origines, ont créé elles aussi le monde d’hier et d’aujourd’hui et pensé le monde de demain. On ne les retient pas ? Parce que l’Histoire est écrite par les hommes, blancs, cisgenres, hétérosexuels, valides, bourgeois, etc. pour les hommes blancs, cisgenres, hétérosexuels, valides, bourgeois, etc.

Le matrimoine redonne aux enfants et aux adultes de quoi rêver leur vie en grand. De quoi se projeter. De quoi se réinventer. Oser. Se sentir légitimes. S’autoriser. Heureusement, militantes, chercheuses, historiennes, femmes de lettres et artistes partent à la conquête de notre héritage issu des femmes.

Elles incarnent des vies oubliées, négligées, elles dépoussièrent des siècles de méconnaissance et d’ignorance et font (re)surgir toutes ces figures de l’ombre. Là, sur scène. Au milieu de brodeuses, au détour d’un cimetière ou devant un pupitre. Elles les rendent vivantes. Elles les rendent présentes. Elles les rendent actrices de leurs destins et chemins. Elles nous les donnent à voir, à entendre, à comprendre, à découvrir.

Pour nous découvrir autrement. Pour regarder l’Histoire et la société à travers un prisme plus complet. Et par là, elles interrogent également la place et le rôle des femmes dans le secteur des arts et de la culture. Elles se mettent en mouvement, elles se mettent en réseau et activent des cercles de puissance, aussi épanouissants que valorisants.

FAIRE PARLER LES MORTES

« À chaque fois qu’on joue, c’est juste dingue l’énergie qu’il y a ! Quand ça commence, ça me bouleverse. C’est une grande émotion de voir ces oubliées. On fait parler les mortes… », s’enthousiasme Laure Fonvieille, metteuse en scène et costumière au sein la compagnie La mort est dans la boite. Son credo : « Toute vie mérite récit ! Toute vie vaut la peine d’être racontée ! »

Et ça, elle le démontre à chaque représentation de Celles d’en dessous, spectacle joué pour la première fois en 2019 au cimetière de l’Est et en novembre 2021 au cimetière du Nord, à Rennes (la création a été adaptée également dans différents cimetières de Strasbourg et de Nantes).

Près de leur tombe, les femmes se racontent et nous font partager leurs exploits, difficultés, engagements, métiers, quotidiens, etc. Ainsi, le 1ernovembre, on palpitait au rythme des récits de dame Hélène de Coëtlogon, alias la sainte aux pochons (Camille Kerdellant), de la directrice d’hôtel, résistante et déportée Anne-Marie Tanguy (Sophie Renou), de Marie Brune, illustre inconnue à la vie bien remplie (Manon Payelleville), d’Hélène Jégado, célèbre empoisonneuse (Sandrine Jacquemont), et de Joëlle Guillevic, alias Jo Manix, autrice de BD (Inès Cassigneul).

« On se rend dans le cimetière quand les services funéraires sont capables de nous faire une visite comprenant 10 – 15 femmes. J’en choisis 5, en fonction de la diversité des personnes, mais aussi en fonction de l’emplacement de la tombe, de la matière que je vais trouver aux archives, etc. On fait également appel aux familles, quand c’est possible, pour avoir des infos. Je fais toutes les recherches, j’adore mener des enquêtes sur toutes ces femmes, aller interviewer les gens, avoir les faits, essayer de palper ce qu’elles étaient puis je transmets aux comédiennes. », explique Laure Fonvieille.

Elle poursuit : « Elles sont là, elles sont présentes, elles ont fait des choses mais on efface leurs traces… C’est passionnant ! En général, on trouve des bribes d’infos car des personnes ont déjà enquêté avant. Pour Jo Manix, son amoureux a œuvré pour que ses livres soient publiés. Sinon, on l’aurait oubliée… Comme dans les encyclopédies sur le théâtre, les femmes sont réduites, enlevées progressivement. » 

TRANSMETTRE DES MODÈLES

Omettre toute une moitié de l’humanité, c’est priver chaque génération de son histoire dans toute son entièreté et de figures aux histoires fabuleuses, réalistes, contrastées et extraordinaires.

Ainsi, dans le nouveau spectacle de la compagnie Nos combats ordinaires intitulé Elles, l’autre mémoire, les comédiennes Caroline Alaoui et Lety Pardalis restituent, sous la forme de portraits ludiques et modulables selon la configuration dans laquelle elles jouent, la parole – entre autres - de Vanessa Nakate, militante écologiste ougandaise, Temple Grandin, scientifique et chercheuse autiste américaine, Wu Zetian, unique impératrice de Chine, Sonita Alizadeh, rappeuse afghane ou encore Thérèse Clerc, militante féministe.

« On a eu envie d’utiliser le théâtre pour parler des femmes dont on ne parle pas assez. Ce sont des femmes d’origines et d’époques différentes, d’âges et de champs d’exploration différents. Parce que les femmes ont toujours fait des choses exceptionnelles ! »
souligne Caroline Alaoui.

À travers des lectures vivantes, humoristiques et/ou poétiques, elles relatent leurs parcours et actions inspirantes : « Cela permet de transmettre et donner à voir des modèles qu’on n’a pas eu le loisirs d’avoir dans notre enfance et/ou adolescence. Et ça crée une différence pour chaque vie, sur la manière de se construire, dans la façon de se rêver, de s’imaginer… » C’est là bien l’objectif de la valorisation du matrimoine. 

SUBVERTIR LES LÉGENDES

Il comble le vide, rétablit l’équilibre et chasse l’absence de ces figures féminines dont les témoignages, passant par le théâtre documentaire ou la fiction, ou le mélange des deux, délivrent un message puissant. La transmission opère et interroge alors l’impact des représentations sur l’ensemble des sociétés et leur vision des filles et des femmes.

De la même manière que l’on questionne l’aspect moralisateur et sexiste transmis dans les contes, la comédienne de la compagnie Sentimentale foule, Inès Cassigneul, s’intéresse de près depuis plusieurs années à la légende oubliée d’Elaine d’Astolat, morte d’amour, qu’elle a choisi de subvertir dans son spectacle Vierges maudites !. 

« J’ai découvert ce personnage quand j’étais ado, par le biais d’un tableau lors d’un voyage à Londres. J’étais sous le charme, je me suis vraiment identifiée et j’ai acheté l’affiche. C’était comme un miroir. En fait, c’était un modèle morbide car il s’agissait du moment où elle meurt. L’association érotisme et beauté était très troublante. Je suis partie de cette confusion-là pour écrire. », commente Inès Cassigneul.

Dans son spectacle, Elaine, au départ tisseuse, devient brodeuse : « La broderie est présente chez mes deux grands-mères. J’ai appris pour avoir un lien avec elles. Quand j’ai rencontré la brodeuse Muriel Fry, j’ai décidé de faire intervenir ce savoir faire technique dans la création. » Est venue alors l’idée de confectionner la tapisserie comme élément de décor qui servirait la narration pour sa première création La carte d’Elaine, en 2019.

À cela s’ajoute une nouvelle broderie reconstituant le voyage de la vierge au lys et l’envie de faire monter les brodeuses sur scène. « Elles ne sont pas souvent vues, pas souvent montrées. On a l’image de la femme au foyer, soumise, etc. qui brode. Souvent, elles n’ont pas eu la reconnaissance qu’elles méritaient pour leurs ouvrages. Il y a là un point commun avec Elaine qui est un personnage secondaire des légendes arthuriennes. Un personnage érotisé quand elle meurt. Une jeune fille sans destin qui meurt dès qu’elle sort à l’extérieur. À ce récit ultra sexiste, je lui ai tordu le cou. », analyse l’artiste.

Elle dénonce et critique un modèle néfaste pour l’éducation sentimentale des jeunes filles. Elle réactualise le propos en aventure initiatique dans laquelle Elaine part à la recherche du Chevalier sans nom, relatée dans un « matrimoine imaginaire ».

Elle explique : « Je pars d’une fiction totale, imaginant un poème qu’une autrice du 19esiècle aurait pu écrire parce que je me suis questionnée sur l’absence de transmission. L’histoire retient plus d’auteurs que d’autrices, alors j’invente des autrices carrément. Et des personnages de femmes dans des fictions passées. Il y a des héroïnes qui servent le patriarcat : on doit en tirer autre chose. On ne peut pas en rester au sacrifice, à la mort. On peut aussi en faire une source d’empowerment, quelque chose qui répare. Et la broderie, ça répare aussi… C’est important de changer de point de vue sur l’Histoire, déplacer le regard. Régénérer une héroïne pour la rendre vivante et réinventer une œuvre textile pour faire corps entre les femmes et les brodeuses. »

Brillants et libérateurs, tous ces spectacles proposés encouragent une plongée dans un univers bien plus vaste et inspirant que le modèle présenté et entrainent également une introspection personnelle, menant souvent à interroger sa propre place dans la société. 

PUISER L’ÉNERGIE CRÉATRICE

Parce qu’en parlant de se rêver en grand, Caroline Alaoui ne fait pas uniquement référence à l’effet positif qui s’instaure alors entre ces récits et le public. Mais aussi à l’impact que cela a sur elle en tant qu’artiste. Il y a celles qui s’expriment sur la scène et celles qui les incarnent. Et toutes forment et participent à notre matrimoine.

« Le travail que je fais autour d’Elaine, c’est la première écriture de cette ambition-là pour moi. De là est venu tout un cheminement autour de la narration. Je suis comédienne et je me suis rendue compte ici de mon désir d’écrire des histoires, plus fort encore que le désir d’incarner les personnages. », confie Inès Cassigneul.

Elle prend l’exemple du Portrait de la jeune fille en feu de Céline Sciamma : « (Re)convoquer des figures d’autrices et de personnages de fiction est source d’énergie et de force. » Cela participe à s’identifier et potentiellement déterrer des questions plus profondes. Et à questionner son rapport à la légitimité, problématique souvent relatée par les personnes sexisées et minorités oppressées, faiblement représentées dans les arts et la culture comme dans le reste de la société.

« Je me dis toujours metteuse en scène et costumière mais c’est vrai que sur ce spectacle, je suis aussi autrice. Manon Payelleville et Camille Kerdellant co-écrivent leurs textes aussi. Oui, je suis autrice. De plus en plus, je l’assume. Ça me plait ! »
se réjouit Laure Fonvieille.

Pareil du côté de Caroline Alaoui : « Au départ, on pensait adapter des œuvres autour du matrimoine et puis en se mettant à l’écriture, on a fini par écrire nos textes et à en faire une création à proprement parler. La question de la légitimité est toujours centrale. En tant que jeunes autrices, il faut toujours se convaincre que nos mots sont à la hauteur. Les temps de recherches étaient très nourrissants, empouvoirants. De ce travail est née l’envie de mettre en parallèle ces femmes et ce qui résonnait en nous (pas dans l’immédiat mais ce sera certainement pour une suite). Et ça nous a posé la question de la place des femmes dans le milieu théâtral. Et nous a poussé à avoir une réflexion sur comment on estimait la valeur de notre travail en tant que créatrices. S’autoriser à rêver grand. À rêver normal, en fait. Au contact de toutes ces femmes, dont on parle et avec qui on travaille, on a pris confiance en nous. »

Et sa consœur et camarade de jeu Lety Pardalis s’est découverte plus engagée : « Ça m’a fait avancer dans mon féminisme. Découvrir toutes ces histoires extraordinaires, ça permet de réaliser le combat de certaines femmes… Et d’être plus vigilantes à ne pas se faire substituer sa place. »

SE RELIER LES UNES AUX AUTRES

Toutes s’accordent sur le caractère puissant et inspirant de cette (ré)appropriation du matrimoine. Rendre visibles les femmes du passé, les femmes du quotidien, les femmes de l’ombre, comme celles qui sont dans la lumière. Un cercle vertueux qu’elles mettent en lien et perspective également avec la puissance du collectif, la puissance du réseau.

« Avec Lety, on s’est rencontrées par les Compagnies du 35. Ça permet de créer de la rencontre entre pairs. On a eu envie de travailler ensemble et on a choisi pour les regards extérieurs des personnes qui nous intéressaient artistiquement. Que ce soit des femmes nous convenait parfaitement car cela permet un peu de rétablir la balance. On connaissait Julie Michel par le collectif Deter et Frédérique Mingant par les Compagnies du 35. Marie Karedwen a réalisé le visuel car elle fait partie de L’imprimerie nocturne et on s’est beaucoup inspirées pour ce spectacle de la revue qu’elle a faite sur F comme Fières. », précise Caroline Alaoui.

Sans oublier HF Bretagne dont fait activement partie Laure Fonvieille : « C’est comme ça que j’ai connu Caroline par exemple. Après, en tant que costumière, je connais pas mal de créatrices. Je partirais bien faire un tour de Bretagne des metteuses en scène ! Parce qu’elles sont là, elle font des choses. On parle ici d’artisanat et vraiment ce n’est pas un gros mot ! J’ai d’ailleurs la broderie en commun avec Inès ! »

Et c’est en allant voir la tapisserie présentée un jour par Inès Cassigneul au musée de Bretagne qu’elle lui propose de participer à la création Celles d’en dessous. « On a fait le constat qu’on était plusieurs à faire du théâtre et de la broderie. C’est un art qui a traversé les luttes féministes du 20esiècle. Les Suffragettes brodaient des bannières. On s’est dit qu’on pouvait nous aussi faire nos bannières pour les manifestations ! », souligne l’interprète de Jo Manix. Elle attire l’attention sur l’importance des chercheuses :

« Elles sont hyper importantes dans l’émergence du matrimoine. On a souvent tendance à les oublier. Je pense qu’il faut les chercher et les écouter. Parce que oui, il y a un courant mainstream qui s’intéresse au matrimoine mais ce sont surtout les chercheuses d’université, les petites maisons d’édition, etc. qui délivrent à ce sujet une information de qualité ! »

Ne pas oublier celles qui œuvrent à rendre le matrimoine tout aussi vivant que les spectacles qu’elles écrivent, créent et mettent en scène. Et profiter de l’éclairage qui lui ait fait actuellement.

« Je ne me fais pas d’illusion. Quand je mourrais, le patriarcat existera encore. Mais je continue de militer ! Pour que l’on soit autant payées que les hommes, et autant reconnues. On gagne des petites batailles et c’est important, j’espère que ça restera et que l’on inscrira les Journées du Patrimoine et du Matrimoine. Je ne me fais pas d’illusions, je sais que l’on sera toujours plus dur-e-s dans la critique envers les femmes. Mais rappelons-nous que le talent n’est pas dans la génétique ni dans les testicules ! », scande Laure Fonvieille en rigolant.

Toutes participent à la création d’une dynamique commune faisant ressortir un tas de facettes de l’Histoire des femmes, du matrimoine, de l’héritage commun. Un héritage vivant !

Célian Ramis

Pour un nouveau modèle de musée

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Que disent nos musées de notre Histoire ? Que nous inspirent les œuvres exposées ? Qui créent les tableaux et les toiles exposé-e-s et étudié-e-s ? Qui réalisent les expos, inventaires, médiations, etc. ? Pourquoi n’avons-nous pas en France un musée de l’histoire féministe ?
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Que disent nos musées de notre Histoire ? Que nous inspirent les œuvres exposées ? Qui créent les tableaux et les toiles que l’on s’empresse d’aller voir ou d’étudier ? Qui réalisent les expositions, inventaires des collections, médiations, etc. ? Pourquoi n’avons-nous pas en France un musée de l’histoire féministe ? L’association musé.e.s s’empare de ces questions et les décortique à l’aune du sexe et du genre, posant la question des représentations dans la sphère muséale.

Elles se sont rencontrées au musée de Bretagne, à Rennes. En tant que contractuelles ou stagiaires sur différents postes. Documentaliste, médiatrice, chargée de coopération culturelle, chargée d’inventaire des collections, chargée de projets et de la communication, constructrice  ou encore organisatrice d’expositions… Elles partagent des fonctions et des compétences complémentaires dans le domaine muséal mais pas que.

« Nous sommes devenues plus que des collègues et les questions de féminisme sont apparues. En mars 2021, j’ai cherché si un livre existait sur la place des femmes dans les musées en France. Rien… Il y a des articles qui en parlent ou des initiatives de structures qui abordent ces questions-là. J’ai proposé aux filles qu’on le fasse, ce livre. Toutes étaient partantes. On s’est lancées ! », sourit Eloïse Jolly.

Accompagnée de Lucie Doillon, Maryne Fournier, Marie-Lucile Grillot, Bonnie Heinry, Juliette Lagny et Sarah Lemiale, l’aventure commence officiellement en mai 2021 à travers la création de l’association musé.e.s, destinée à sensibiliser les publics aux problématiques féministes et valoriser les initiatives existantes dans la sphère muséale. 

LES CHIFFRES PARLENT…

À l’instar de tous les secteurs des arts et de la culture – et de la société – les chiffres sont consternants. L’association a même conçu un jeu de cartes, permettant de relier les éléments chiffrés avec leur signification.

Ainsi, on peut accoler le nombre 1 à la seule femme, Laurence des Cars, ayant travaillé à la tête du musée du Louvre en 228 ans d’histoire, accoler l’année 2022 à la première nomination d’une femme, Alexia Fabre, à la tête de l’école des Beaux-Arts de Paris ou encore - grâce au diagnostic réalisé par HF Bretagne sur la place des femmes dans l’art contemporain et le spectacle vivant en Bretagne - accoler les pourcentages de 21% à la part de femmes dans les acquisitions de collections de structures d’art contemporain en Bretagne et de 30% à la part d’expositions monographiques dédiées à une artiste femme dans 47 structures d’art contemporain en Bretagne en 2019.

Pourtant, les femmes sont majoritaires dans les écoles supérieures d’art… « On ne pose pas simplement la question des représentations au sein des collections mais aussi dans les équipes. Et quand on regarde dans les postes de direction, le nombre de femmes diminue. », regrette Eloïse Jolly, constatant par là les mêmes mécanismes d’effacement des personnes sexisées au fil des carrières et des hiérarchies que dans les autres branches culturelles et artistiques. 

UNE REMISE EN QUESTION NÉCESSAIRE

L’évolution est lente. Les membres de musé.e.s le disent : au vu des chiffres, la situation s’améliore très faiblement. « J’ai travaillé au musée des Beaux-Arts à Rennes et on ne se questionnait pas vraiment sur ces sujets-là. Hormis une exposition du type de Créatrices (en 2019, le musée a présenté 80 œuvres autour de l’émancipation des femmes par l’art, ndlr), on ne creuse pas tellement les sujets en profondeur. Dans les inventaires que l’on fait, on utilise numériquement des mots-clés. Ils sont au masculin… Pour conservateur par exemple, il faut ajouter le mot « femme »… Au musée de Bretagne, on commence à voir une féminisation des termes. », explique Bonnie Heinry.

Une volonté de changement existe mais une remise en question est nécessaire. Et elle doit se faire par le prisme des représentations de sexe, de genre, de races, de classes, d’orientation sexuelle et affective, de handicaps, etc.

« Il y a des endroits où les équipes sont engagées. C’est par exemple le cas avec le FRAC Bretagne qui a lancé Société Mouvante pour interroger des points comme ceux-là. Ce que l’on veut faire, c’est donner des clés, parler des méthodes pour y parvenir en s’adaptant aux publics. Certains articles vont être plus percutants que d’autres et cela va peut-être créer des prises de conscience. Parce que oui, c’est bien de faire une expo sur les femmes et les artistes femmes. Mais l’impact est limité si on en fait une et puis plus rien. Ou si on ne prend pas en compte dans cette expo les travaux des chercheuses, etc. sur le sujet. Pareil, ce travail doit être intégré aussi dans les expos permanentes… », commente Eloïse Jolly.

UN LIVRE POUR SECOUER LES CONSCIENCES

Leur ambition est aussi forte que leur détermination. Depuis plusieurs mois, l’association musé.e.s travaille à un livre de grande envergure auto-édité – soumis en partie au financement participatif sur la plateforme Kiss Kiss Bank Bank – imprimé en Bretagne et intitulé Guide pour un musée féministe – Quelle place pour le féminisme dans les musées français ?. 

La sortie et la diffusion, elles l’espèrent courant juin 2022. Elles se sont entourées d’une illustratrice, Louise Laurent, à la réalisation de la couverture et des visuels, ainsi que d’une vingtaine de contributeur-ice-s rédigeant les deux premières parties articulées autour du constat de départ, du panorama des recherches sur le sujet et de la parole de celles et de ceux qui œuvrent à la mise en place d’initiatives inspirantes.

« On a défini les parties de manière à ce que le livre soit très complet. Et balaye l’ensemble de la France avec différents types de structures, de musées, d’étudiantes, de doctorantes, etc. », signale Bonnie Heinry, rejointe par Eloïse Jolly : « On s’est adressé à des chercheuses mais aussi des étudiantes ayant écrit des mémoires à ce propos. Car ce n’est pas parce qu’on n’a pas fini ou fait de thèse qu’on n’a pas fourni un travail de qualité ! Et puis, ça donne une plus grande prise de liberté et de format. Il y a parfois des articles, parfois des interviews. Certaines parties sont co-écrites à plusieurs… »

Elles ont également récolté, pour la troisième et dernière partie, les témoignages de militant-e-s et de visiteur-euse-s de musées afin de restituer leurs ressentis, vécus, points de vue et analyses mais aussi de nous faire voyager en utopie féministe. 

POUR DES MUSÉES FÉMINISTES ! 

« Il y a des personnes qui ne se rendent pas compte que des femmes ont créé. Ou qu’elles n’ont pas été que des muses… », souligne Bonnie, pointant là l’impact de l’absence de représentation des femmes dans l’espace muséal, dans les collections présentées comme dans les équipements mis en place.

Parce qu’elles rappellent aussi qu’en 2020, une femme s’est vue refuser l’entrée du musée d’Orsay sous prétexte de sa tenue, impliquant par là qu’il y aurait un code vestimentaire à respecter… C’est plutôt de formation que les équipes en place ou sous-traitantes auraient besoin...

« L’art est sacralisé en France. C’est encore un milieu fermé et conservateur. », confie la chargée d’inventaires. « On est là face à l’universalisme à la française… Le citoyen est un homme, blanc, hétéro… Si on visite la Maison Poincaré (lieu d’exposition autour des mathématiques qui ouvrira ses portes en janvier 2023 à Paris, ndlr), en tant que filles et que femmes, ça a un impact sur nous si on voit des mathématiciennes. », ajoute la chargée de projets et de communication.

Sinon, le discours, seulement vu, relaté, interprété et imagé au masculin seulement, est erroné. À l’étranger, aux Etats-Unis, en Allemagne ou au Vietnam par exemple, existent des musées dédiés à l’histoire des femmes. Alors, les membres de l’association ont décidé à travers leur livre de s’intéresser à ce que serait un « monde idéal féministe dans un musée » en posant la questions aux concerné-e-s.

Visibilité des femmes dans les parcours, visites guidées féministes, médiations autour de la dominance cisgenre mais aussi plus largement de l’imprégnation patriarcale dans les œuvres présentées, augmentation des salaires, respect du personnel et du code du travail, valorisation des postes occupés par les personnes sexisées… Les idées, inspirations et créativités ne manquent pas, il y a matière à (re)penser le système muséal en direction de l’égalité des genres et des représentations :

« Les musées sont issus de l’argent public. L’accès pour tou-te-s doit être une question primordiale ! »

 

 

  • Engagements artistiques et militants

Ce ne sont pas des musées mais des galeries d’exposition, des espaces dédiés ou hybrides qui croisent les disciplines artistiques et culturelles et portent fièrement les couleurs de l’engagement, dans son sens le plus global et nous imprègnent d’une multiplicité de représentations, souvent – malheureusement – absentes des structures institutionnelles.

À Rennes, l’Hôtel Pasteur accueillait notamment en février dernier la première exposition de peinture d’Emma Real Molina, Bleu onirique, autour de la représentation corps féminin et de sa diversité. En remontant de quelques centaines de mètres en direction de la place Sainte Anne, c’est à la Chambrée que l’on peut se délester d’un lieu – lancé en 2021 par Louise Quignon, Clémence Lesné et Laurence Perron - valorisant la photographie contemporaine, les personnes sexisées et les créativités queer.

Fin février, c’est du côté de l’ancienne brasserie Saint-Hélier que la galerie drama a ouvert ses portes et inauguré son arrivée avec l’exposition écoféministe de Caroline Ruffault, J’aurais pu être une plante verte mais je suis un arbre, explorant le lien entre le vivant et le corps des femmes. Benjamin Massé, artiste rennais à l’initiative de la galerie, et Kora, de la maison d’artistes Ulysse, dirigent le lieu qu’iels entrevoient comme un relai de propositions artistiques, alternatives, voire militantes, avec une attention particulière en direction des artistes du coin.

Photographies, peintures, sculpture… drama n’a pas vocation à afficher un seul style mais entend bien naviguer entre des esthétiques variées « que l’on peut croiser dans des événements, comme des mini showcase par exemple, avec du théâtre, des arts plastiques, de la musique… », souligne Kora.

Pour Benjamin Massé, c’est « l’exigence dans la manière d’exposer, le rapport populaire et l’ouverture sur l’espace public » qui prime. Lancer la galerie avec une exposition écoféministe réalisée par une artiste malouine leur apparaît comme une évidence : « On la connaît depuis un certain temps. C’est sa première exposition photo solo. On l’a accompagnée pour produire, accrocher, oser et investir dans son travail. C’est super intéressant d’ouvrir sur une exposition poétique et militante ! Et puis, c’est important de réfléchir à la parité hommes-femmes en terme de choix des artistes. Là, ça parle de la place des femmes, de leurs corps, du lien avec le vivant… Ça propose de renouer avec le vivant, de s’interroger sur la société de consommation… »

Benjamin Massé s’enthousiasme de l’enchainement qui se fera ensuite avec le travail de l’artiste Mardi Noir, connu pour ses détournements d’affiches et de marques symbolisant le capitalisme. « Ça offre une réflexion sur les messages et l’espace public au sens large ! », se réjouit-il.

Alors oui, la galerie se dit engagée. Pour la mise en valeur des discours et visions des artistes. Pour la diversité des points de vue défendus. Pour le goût de la radicalité, du tranché, de l’art brut et de l’étrange. Kora et Benjamin Massé souhaitent « éviter les convenances », « ne pas cloisonner le lieu » et surtout « interroger ».

Célian Ramis

Front de Mères, pour une lutte écolo, féministe et antiraciste

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Pour une lutte auto-organisée dans les quartiers populaires. Mais surtout pour le respect et la dignité des enfants et des parents ! À Maurepas, à Rennes, s'est implantée une antenne locale du syndicat national de parents, lancé à Bagnolet par Fatima Ouassak.
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Pour une lutte féministe, antiraciste et écologiste. Pour une lutte auto-organisée dans les quartiers populaires. Mais surtout pour le respect et la dignité des enfants et des parents. Ce sont là les engagements de l’organisation politique Front de mères, fondée à Bagnolet et implantée dans diverses villes de France, en Belgique et bientôt en Espagne. A Rennes, Priscilla Zamord et Aurélie Macé en sont membres. 

 

YEGG : Comment est né Front de mères à Rennes ?

Priscilla Zamord : Front de mères est né en 2021 à Rennes avec l’idée de voir comment on pouvait essayer de mener des luttes adaptées à notre territoire sur le droit des enfants, les parentalités, par rapport à des constats qu’on a pu faire sur des discriminations renforcées et une désenfantisation (c’est-à-dire considérer les jeunes mineurs parfois comme des adultes) de la part des institutions. Historiquement, on a fait venir Fatima Ouassak (fondatrice en 2016 du syndicat national, basé à Bagnolet, ndlr)pour une rencontre en 2021 à la Cohue qui nous a permis de faire le lien autour de son livre (La puissance des mères, ndlr),de rassembler, de commencer à se poser des questions et à monter un petit groupe en regardant les enjeux et les grosses problématiques des quartiers populaires concernant les enfants et les parents. On s’est mis au travail. 

Aurélie Macé : C’est très récent. C’était à l’automne 2021.

 

YEGG : Quelles sont les discriminations constatées ? 

Aurélie Macé : En tant que parent et parent délégué, c’est de se rendre compte que dans une école de quartier populaire ou une école de centre ville – ça dépend des écoles – il y a beaucoup de familles issues des diasporas ou de l’immigration post coloniale. Du coup, comment est-ce qu’entre parents, on peut faire réseau pour accompagner ces familles qui n’ont pas forcément accès à toutes les informations. Ce n’est pas que par rapport à l’action de la ville de Rennes ou de l’école, c’est comment est-ce que le quotidien est vécu quand tu te retrouves dans une situation d’OQTF (Obligation de quitter le territoire français, ndlr) ? Où est-ce que tu es hébergée quand tu es violentée par ton mari et qu’il se trouve à la sortie de l’école ? L’idée, c’est de se poser les questions de « Moi, j’emmène mon enfant à l’école là mais voilà ce qui se passe autour… »

Priscilla Zamord : Vous avez organisé un groupe de travail à ce propos. Pas en lien avec Front de mères mais vous avez eu quelques victoires.

Aurélie Macé : On s’est organisés entre parents, on s’est réuni-e-s en lien avec la ville pour voir comment on pouvait améliorer l’école et comment on pouvait être plus proches des parents en créant du contact et en traduisant ces contacts pour qu’ils soient accessibles. En étant disponibles auprès des assos d’accompagnement des migrants pour accompagner sur l’aspect de la vie quotidienne. En fait, c’est être à l’écoute des demandes et se rendre disponibles, essentiellement.

Priscilla Zamord : Le constat, c’est de se dire que dans les quartiers populaires, notamment à Maurepas, il y a eu des amendes discriminatoires pendant la période de confinement, avec des familles qui se retrouvent avec des sommes astronomiques à régler. C’était extrêmement compliqué le rapport police – population. Il y a aussi une problématique autour de la transmission et de la valorisation des mémoires des familles. Quelle est la place et la reconnaissance des langues des familles ? Quelle est la place et la reconnaissance des histoires, des mobilités aussi qu’ont pu vivre les enfants (le fait d’aller à l’étranger, de se déplacer pendant les vacances, pour moi c’était aux Antilles, pour d’autres ça va être au Maroc, en Algérie, etc.) et comment ces trajectoires-là, elles ne sont pas du tout suffisamment valorisées dans l’institution qu’est l’Education nationale ? Et puis il y a aussi des questions qui sont plutôt liées à la parentalité LGBT, aux enfants trans, par exemple. On a eu plusieurs exemples au niveau national d’enfants trans qui se sont suicidés ou qui ont vécu du harcèlement. Donc c’est aussi de voir comment on traite cette question-là. On pourrait se dire que dans les quartiers populaires, il n’y a pas d’enfants trans ou plus largement de jeunes LGBT, mais c’est qu’en fait, on ne les voit pas, ils sont invisibilisés. Il faut qu’on puisse créer des espaces safe pour accompagner les parents et les enfants. Qu’on soit en quartier populaire ou pas. Après, on ne peut pas nier les violences inter-quartiers à Rennes et c’est aussi comment on accompagne les mamans qui peuvent se retrouver dans des procédures judiciaires vis-à-vis de leurs enfants qui sont aussi stigmatisés, qui peuvent aussi être démunies en terme de ressources de droits, etc. Il y a tout un tas de chantiers. Il y a plein de constats, on ne va pas tout faire. Aujourd’hui, notre question, c’est comment on arrive à mobiliser, à rendre notre démarche accessible et fédératrice et surtout hyper simple. Et quand je dis simple, ça veut dire ambitieuse dans les objectifs mais simple dans la façon de faire. Il y a du génie politique dans les quartiers populaires mais ce n’est pas toujours évident de rendre visible et de faire de l’aller vers. Donc c’est aussi à nous de faire différemment, de se mettre dans l’action et d’organiser des choses.

Aurélie Macé : On a déjà eu des temps d’échanges entre nous.

Priscilla Zamord : Pour écouter les situations. On se contacte toutes les semaines mais après pour se rassembler, c’est un peu soumis aux conditions sanitaires. On fait des visios, on se voit, beaucoup à La Cohue. Et puis il y a des actions qu’on essaye de faire en alliance avec d’autres organisations. Je ne pouvais pas être là mais Aurélie, tu as participé à la Marche pour la vérité et la justice pour Babacar. Ça crée du lien avec d’autres collectifs.

Aurélie Macé : On était plusieurs de Front de Mères à être présent-e-s. À la fois pour montrer notre solidarité par rapport à Awa, la sœur de Babacar, dans sa démarche mais aussi pour faire le lien avec les collectifs Vérité et Justice, plus issus de Paris et de la région parisienne mais qui étaient tous présents. Et puis échanger sur les situations qu’on peut avoir à Rennes, notamment d’accompagner une des mamans pour faire le lien avec ce réseau et se rendre compte des réalités mais aussi de l’accompagnement qui peut être fait. Un des moments forts, c’était avec Assa Traoré, qui était présente, qui est d’origine malienne, et Lalla, elle-même d’origine malienne et membre de Front de Mères. C’était une rencontre forte parce qu’elles sont toutes les deux confrontées à la question de violences policières, à des degrés différents mais on est bien sur une échelle et un parcours malheureusement.

Priscilla Zamord : On parle des discriminations qui peuvent être liées à l’origine ethnique. On a eu les cas très concrets des amendes discriminatoires. On a parlé des LGBT. Mais il y a aussi l’engagement pour l’écologie. Ça c’est un peu le dénominateur commun : l’écologie sociale, populaire. Qui répond à des choses très pratico-pratiques mais qui met aussi en lumière des luttes qui ont été menées dans les quartiers populaires ou par des personnes racisées, invisibilisées. Le 10 mars, on a organisé une projection au Pôle Associatif de la Marbaudais avec Keur Eskemm et Extinction Rebellion sur l’écologie décoloniale, un film documentaire réalisé par deux jeunes citoyens qui se sont auto-organisés avec un financement participatif et qui ont fait un documentaire hyper bien sur le chlordécone aux Antilles. Il s’agit de valoriser des démarches auto-organisées sur des questions d’écologie et de s’approprier le combat, les luttes, etc. Keur Eskemm, ils sont à Maurepas, ils font un travail magnifique je trouve avec les jeunes. Et puis Exctinction Rebellion qu’on connaît aussi pour sa lutte écologique. Autant Front de Mères et Keur Eskemm, ça aurait peut-être été évident parce que c’est un peu le même territoire. Autant rencontrer Exctinction Rebellion, ce n’était pas une évidence en soi donc c’est vraiment chouette, cette alliance-là. Comme je l’ai dit, on commence avec beaucoup d’humilité dans les façons de faire mais avec une volonté très forte. On fait des actions simples, on y va, on s’y met, on voit ce que ça produit… C’est pour ça que c’est aussi un choix de commencer à Maurepas. À la base, on a été sollicité-e-s pour faire un projet « transquartierspopulaires » mais en fait, ça, ça vient après. Il faut d’abord qu’on consolide bien notre base, qu’on soit bien ancré-e-s dans un territoire, qu’on fasse des choses pratiques, qui servent aux gens, immédiates, avant de vouloir éventuellement travailler dans d’autres territoires. Et puis comme on a déjà à gérer la relation avec le national… Parce qu’aujourd’hui, il y a le QG à Bagnolet qui est ultra puissant avec Vertdragon qui est la première maison d’écologie populaire en France (avec l’alliance avec Alternatiba). C’est sur que c’est un peu les paillettes, parce qu’ils ont un super lieu, des moyens, un QG… Et puis Fatima et les autres militantes de Front de Mères, elles sont quand même bien ancrées à Bagnolet depuis des années et des années… Les habitants les connaissent et les identifient donc pour fédérer et faire venir des gens, c’est un peu plus simple. Parce qu’elles ont une histoire là-bas.

Aurélie Macé : Elles sont fédérées en tant que mamans d’élèves.

Priscilla Zamord : Donc le QG est à Bagnolet et autour il y a une antenne à Rennes, à Strasbourg, une en construction à Toulouse, en région parisienne, Pantin en cours aussi… Et puis il y a les alliances au-delà de la France. Il y a un Front de Mères très chouette et très puissant et dynamique à Bruxelles, co-créé par deux femmes dont une qui travaille dans les quartiers et une qui est avocate spécialisée dans la lutte contre les violences policières et qui a suivi des gros dossiers médiatiques en Belgique. Et puis il y a Front de Mères à Barcelone - inauguré publiquement au mois de mai - qui existe déjà. Et puis, il y a aussi des prémices à Rome. C’est chouette parce qu’on arrive à fleurir et à s’adapter aux territoires.

 

YEGG : Ce n’est pas une problématique nationale.

Priscilla Zamord : Non, la lutte contre les discriminations, l’écologie, la lutte contre les violences policières et la question de la transmission des mémoires et des héritages culturels, c’est un combat universel !

Aurélie Macé : Front de Mères est en structuration nationale et européenne et locale. C’est un syndicat. Il s’agit de trouver la forme qui correspond le mieux au fil du temps.

Priscilla Zamord : En étant dans l’auto-organisation ! Parce que pour l’instant, on n’a pas de fonds publics. Ce sont des adhésions et le financement d’une fondation. Et puis on est dans une logique de gouvernance partagée. Aurélie, toi, tu as cette expertise associative et jeunesse, et moi, c’est plutôt le champ ESS (Economie sociale et solidaire) donc on apporte cette volonté aussi de gouvernance partagée, vraiment une gouvernance démocratique, et d’être dans quelque chose de respectueux du territoire et de la forme que ça prend dans chaque ville. Ça n’a jamais été un plaquage de l’Île de France car les réalités sont différentes.

 

YEGG : Comment est-ce reçu par les familles, à Rennes ? 

Aurélie Macé : À Maurepas, du coup. Quand on en parle, quand on a pu être présentes et qu’on a pu échanger, il y a un écho positif et intéressé sur la démarche et les valeurs qui sont portées. Après de là à se réunir et s’engager, c’est une autre démarche. C’est pour ça qu’on ne veut pas multiplier les réunions mais vraiment être dans l’action et faire des choses concrètes pour réunir et fédérer des gens.

Priscilla Zamord : Nos réunions, c’est pour préparer les actions concrètes et sortir du discours. On est très au clair et aligné-e-s sur nos valeurs, sur la ligne politique qu’on défend, et c’est aussi grâce à tout le travail déjà fait par Bagnolet, avec le site, le manifeste, tout est au clair. On sait qui on est, où est-ce qu’on se situe et surtout où est-ce qu’on veut aller et qui sont les personnes/structures toxiques qu’il faut un peu dépolluer, on va dire.

Aurélie Macé : La rencontre avec Fatima Ouassak, qui avait eu lieu en septembre, a réuni toutes les personnes qui avaient pu lire son ouvrage et qui s’y reconnaissaient. Comme par exemple une des mamans que j’ai accompagnée, qui porte le voile, qui est hyper présente auprès de ses enfants, qui a poursuivi ses études, etc. Ça lui a redonné de la force de venir à cette rencontre. Et elle a vu comment elle pouvait s’engager à nos côtés mais aussi suivre un réseau.

Priscilla Zamord : On invite à nous rejoindre toutes les personnes qui se sentent concernées par le présent et l’avenir des générations actuelles et futures dans les quartiers populaires et qui sont outrées par les discriminations que peuvent vivre des enfants et cette déshumanisation qu’il y a parfois. On peut être papa, maman, ni maman, ni papa, tata, etc… Il n’y a pas d’obligation à avoir eu un enfant.

Aurélie Macé : Ça peut être aussi des personnes qui bossent dans l’Education nationale.

Priscilla Zamord : Oui, et c’est le cas d’ailleurs. Encore une fois, on est outré-e-s par les discriminations que peuvent générer l’Education nationale mais on n’est pas contre le corps enseignant. Bien au contraire, on les considère comme des allié-e-s et on est pour une meilleure reconnaissance de leur travail et de leurs conditions de travail. Il y a énormément d’autres professionnel-le-s de l’éducation nationale et populaire, parce que l’éducation, ce n’est pas que l’Education nationale, c’est aussi les médiateurs, éducateurs, animateurs, etc. qui veulent faire des choses pour être exemplaires mais qui n’ont pas forcément les outils et les ressources pour. Ils se confrontent à des murs. Et ces murs, ce sont bien ceux de l’institution. On fait bien la distinction entre les personnes et l’institution. A titre d’exemple, Goundo Diawara, historiquement secrétaire de Front de Mères, elle est CPE en banlieue parisienne, on a aussi une adhérente enseignante à Rennes… Il y a une diversité de profession au sein de Front de Mères, dont des demandeurs d’emplois, moi qui suis à côté élue, Aurélie qui est animatrice… Le dénominateur commun, c’est la dignité des enfants. Et la dignité des parents, particulièrement ceux issus de la diaspora, mais aussi de tous les parents. Les attaques haineuses de l’extrême droite consistent à dire qu’on n’est pas dans l’universalisme français, bah en fait pour nous, c’est tout le contraire. Moi ce que je trouverais universel, c’est que tout le monde se sente concerné par une discrimination ou une violence qu’a pu vivre un enfant.

 

YEGG : Certes l’organisation accueille tout le monde au-delà du genre, mais quelle dimension politique donne-t-on à ce terme de « mères » qui figure dans l’intitulé Front de Mères ?

Priscilla Zamord : En fait, c’est la mère dragon (rires). C’est la figure du dragon, de la dragonne, qui est parfaitement bien expliquée dans le livre de Fatima Ouassak : on veut absolument mettre à distance, déconstruire, et même éradiquer cette image de la mère tampon dans les quartiers populaires et cette somation de la part du gouvernement et de l’État qui en fait impose aux mères issues de l’immigration de « tenir leurs gamins », donc de les tenir à la maison, ce qui pose la question du droit à l’espace public, et de les tenir comme il faut pour qu’ils parlent bien français et puis éventuellement d’être présentes quand il s’agit d’apporter des loukoums, des accras de morue, du couscous dans les fêtes d’école ou les réunions. Alors, oui, il y a la convivialité, aucun souci mais par contre il est hors de question d’être assignées à ce rôle de mères tampons. C’est pour ça qu’on parle de mères dragons, on ne rigole pas du tout en fait. Il y a eu tellement de dinguerie ces derniers temps, je ne peux pas m’enlever de la tête cette image de collégiens ou lycéens, agenouillés par la police, c’est hyper violent.

Aurélie Macé : C’est une image forte et extrême et on ne veut pas de ça en France (et on ne s’arrête pas à la métropole) et dans nos quartiers.

Priscilla Zamord : Nous savons, et je vais rester vague parce que je fais attention, qu’il y a des forces de l’ordre qui se sont moquées de jeunes qui étaient en chantiers collectifs sur l’espace public, en présence d’éducateurs. Ils ont été humiliés et moqués et ce sont des situations qui sont inacceptables. On parlait des amendes discriminatoires pendant les périodes de confinement et encore maintenant. La semaine dernière, je participais à un débat au musée de l’histoire de l’immigration à Paris qui s’appelait « Banlieues en lutte : quel héritage et quel combat actuels ? » et en fait on voit bien que l’urgence, c’est de faire un inventaire – je ne sais pas si on peut dire comme ça – ou une démarche un peu archéologique pour mettre en évidence toutes les luttes qui ont émergé dans les quartiers populaires et qui ont abouti à des victoires. Ces victoires-là sont trop invisibilisées alors qu’elles sont inspirantes pour les habitants et les jeunes qui ont besoin de figures et d’être inspiré-e-s par des personnes. Et faire aussi l’inventaire des échecs. Et j’en viens à un sujet politique : la gauche a fait énormément de mal aux luttes des quartiers populaires et on l’a bien vu avec la Marche de l’égalité dont on fêtait les 40 ans qui a abouti à une instrumentalisation pour créer SOS Racisme et mettre sous cloche l’urgence de déconstruction et de mesures fortes. Ils ont créé SOS racisme et cette logique de Touche pas à mon pote comme si les gens n’étaient pas capables de s’auto-défendre et s’auto-organiser. Donc une approche un peu malsaine entre du caritatif et de l’instrumentalisation… Ça, évidemment, c’est hyper violent. C’est pour ça que je trouve que depuis 40 ans la gauche (dans son entièreté), elle a plutôt mis la lutte antiraciste sous le tapis et donc il y a une rupture de confiance de la part de certains habitants vis-à-vis de l’engagement politique parce qu’on a l’impression tout le temps d’être disqualifié-e ou d’être récupéré-e quand on a de la belle matière grise et qu’on fait de belles actions… On manque d’allié-e-s à gauche et on est attaqué-e-s à la jugulaire par l’extrême droite avec la néofascisation de la France et la monopolisation de l’espace médiatique par des ambassadeurs des ténèbres (de la droite extrême à l’extrême droite). Du coup, dès qu’on a une démarche qui revendique nos droits et tout simplement l’égalité, on est taxé-e-s d’indigénistes, de communautaristes, de wokistes, d’amish aussi. Et comme ça, c’est matraqué, ça ne donne pas envie de s’engager. Parce que ça fait peur. Il faut pouvoir gérer déjà au quotidien les habitants des quartiers populaires, l’impact des discriminations sur la santé, et en plus il faut s’engager en ayant une forme de courage et de solidité morale… Et physique et émotionnelle… pour faire face à ça. Donc quand on est en distorsion comme ça, entre plusieurs choses, soit on est dans l’abandon, soit on est dans le combat. Nous, ce qu’on essaye de faire avec Front de Mères, c’est de détricoter un peu les choses et d’essayer de montrer aux gens que par des choses très simples, on peut s’engager et essayer de trouver de la ressource collective pour essayer de mieux vivre son quotidien, mieux accompagner son gamin quand il a vécu une inégalité, une injustice ou une violence, changer les habitudes et valoriser les pratiques écologistes qui existent depuis super longtemps dans les quartiers populaires, comme le réemploi par exemple même si c’est parfois lié à la précarité… Il faut faire commun et se retrouver autour de moments joyeux.

Aurélie Macé : Je pense que c’est une des forces de Front de Mères. Cette image des mères qui s’occupent des enfants, qui font à manger, etc. Mais être femme, ce n’est pas cantonné à ça. C’est aussi se réunir ensemble et créer de la force dans ce qui est collectif. Et dans le livre de Fatima Ouassak, elle rappelle les autres mouvements de femmes, et ça redonne le pouvoir d’agir.

Priscilla Zamord : C’est très politique. Et dans la diversité des luttes, par exemple, Fatima, elle me parle toujours de Plogoff. Enfin, elle l’évoque souvent, l’importance du combat des femmes à Plogoff et je trouve ça génial. Voilà, Bagnolet-Finistère, même combat ! (Rires) Les alliances sont possibles à partir du moment où on est dans le respect et la non instrumentalisation des luttes. C’est pour ça que je ne parle pas de convergence des luttes. Je préfère alliance. Chacun est soi-même mais on travaille ensemble sur des projets qui nous réunissent de temps en temps, pour faire force.

 

YEGG : Et avec les forces féministes rennaises ? 

Priscilla Zamord : On a participé à la Coordination féministe qui a eu lieu en janvier à Rennes. Je suis intervenue le matin, j’ai co-animé un atelier sur l’écologie et le féminisme. Et Front de Mères a animé un atelier dans le cadre des événements organisés les 12 et 13 mars, à Maurepas(festival Big up, à la Maison de quartier de Villejean, ndlr).D’autres projets sont envisagés avec d’autres structures, je pense aux Marie Rose par exemple. Il y a des choses en perspective.

Aurélie Macé : Il y a du lien par exemple sur le quartier avec le GRPAS.

Priscilla Zamord : Je reviens sur les modalités d’engagement, de manière générale, pas que dans les quartiers populaires, le covid a produit des changements de pratique. On a vu plein de solidarités informelles inspirantes dans les quartiers. Je pense que c’était très très dur ce qu’ils vivaient et j’ai vu plus de solidarité dans le quartier à Maurepas que quand j’ai habité dans le quartier sud gare (où je vivais lors du premier confinement) et où mes voisins ne m’adressaient jamais la parole. Quand je disais bonjour, on ne me répondait pas. Ce n’est pas la seule raison mais ça a participé à me faire revenir à Maurepas. Il y a aussi une forme de bénévolat ou d’engagement qui peut être en pointillé et c’est pas grave. Selon les modes de garde, les temps de travail, etc. on peut venir en one shot, c’est pas grave en fait.

Aurélie Macé : On a envie de montrer qu’on est présentes et c’est pour ça qu’on ne peut pas être sur tous les quartiers aujourd’hui. On veut être bien à Maurepas et être présentes le jour où il y a besoin. C’est important d’être repérées comme ça le jour où il y a besoin, la maman puisse venir pour nous alerter sur une situation de discrimination.

Priscilla Zamord : Et nous, on essaye d’activer tous les réseaux ou de la ressource. Typiquement de l’accompagnement juridique, identifier le bon avocat, faire de la collecte de témoignages, etc.

Aurélie Macé : Et la maman n’a pas besoin d’être adhérente. Simplement savoir qu’elle peut interpeler un réseau de proximité.

Priscilla Zamord : On peut être militant ou activiste de manière ponctuelle. Chacun fait comme il peut. On peut avoir le pied dans plusieurs structures. L’hybridation du militantisme, il n’y a aucun souci avec !

 

YEGG : Concernant les alliances avec d’autres groupes, quand on regarde l’histoire par du féminisme, on voit cette alliance avec les femmes racisées, les personnes LGBTIQ+. Mais aujourd’hui, de cette histoire, on ne retient quasiment que des femmes blanches, hétéros, etc. Quand on pense aux années 70, on parle contraception, avortement, tout en blanc. Comment appréhendez-vous ces alliances pour que ça ne reste pas anecdotique ? Comment fait-on pour ne pas répéter l’histoire ?

Priscilla Zamord : La question de comment faire alliance pour ne pas être invisibilisées après, c’est une très bonne question. Qui résonne à plusieurs titres. Sans entrer dans les détails… je pense que Front de Mères a été tellement observatrice ou en connaissance de phénomènes comme ça de récupération – qui sont une forme de violences – qu’on repère assez vite les groupes mal intentionnés. On ne rigole pas du tout, je ne sais pas comment le dire autrement. Donc oui à l’alliance mais pas à n’importe quel prix. Pour moi, il y a un vrai contrat de réciprocité qu’il faut établir avec les autres organisations. Être dans quelque chose de coopératif mais pas dans quelque chose de l’ordre de la récupération. On est hyper au taquet là dessus. On a une expertise et des héritages où il y a eu tellement d’extorsion qu’on fait attention. Sur la lutte féministe, c’est pareil. On a une telle expertise d’usage au quotidien dans les quartiers populaires qu’on ne peut plus nous la faire à l’envers. Ce n’est plus possible. C’est plus sur la théorie où parfois je vois des glissements. Comme sur l’intersectionnalité par exemple. Y a moyen à un moment de juste revenir sur la genèse ? Kimberlé Crenshaw, juriste afroaméricaine, qui a définit l’intersectionnalité par l’origine ethnique et les discriminations qui venaient autour se compléter. Et aujourd’hui, je vois parfois des féministes qui ont complètement évacué la question de la discrimination raciale et qui se disent « tiens on va y mettre un peu de LGBT, de handicap, etc. ». Non, ça ne marche pas comme ça. Un peu de respect pour celles qui ont conçu, conscientisé, lutté… MeToo, c’est pareil. On dit que c’est Alyssa Milano qui l’a lancé aux Etats-Unis alors que non c’est une afroaméricaine, Tarana Burke, qui a lancé le hashtag. Elle a été complètement invisibilisée.

Aurélie Macé : Et justement le but de Front de Mères, c’est de rendre visibles les invisibles. Par les premières concernées. Ça fait partie des discussions dans le groupe sur la place des un-e-s et des autres. C’est important !

Priscilla Zamord : Et puis, un travail qu’il faudra qu’on fasse à un moment donné sur Front de Mères, localement, c’est de rendre visibles les personnes qui ont participé à des changements, des luttes, issues des minorités qui ont été invisibilisées, ou des personnes actuelles qui ne sont pas forcément dans des luttes mais qui sont des figures culturelles de cette diversité à Rennes et qu’on ne voit pas.

 

YEGG Magazine : Merci à vous.

Célian Ramis

Women in Copernicus : quelle place pour les femmes dans l'aérospatiale ?

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À l’occasion des Mardis de l’égalité, l’ingénieure d’études « Applications spatiales » Marie Jagaille intervenait au Tambour, à l’université Rennes 2, le mardi 8 mars, afin de présenter le collectif Women in Copernicus, ainsi que le podcast éponyme.
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À l’occasion des Mardis de l’égalité, l’ingénieure d’études « Applications spatiales » Marie Jagaille intervenait au Tambour, à l’université Rennes 2, le mardi 8 mars, afin de présenter le collectif Women in Copernicus, ainsi que le podcast éponyme. 

« La participation des femmes est un réel enjeu. », dit-elle. Et pour comprendre cet enjeu, il faut comprendre le cadre dans lequel elles opèrent. Ainsi, elle redéfinit les trois domaines de l’aérospatial qui s’appliquent sur la terre : le positionnement (GPS), les télécommunications et l’observation de la Terre. C’est dans ce dernier domaine que porte son intervention. 

Programme européen d’observation de la Terre, il fournit des satellites, appelés Sentinelles, qui tous les jours collectent des données qui une fois analysées permettent d’établir un état des lieux global de la santé de notre planète, captant par exemple les courants en mer d’Iroise pour mieux envisager les routes maritimes et ainsi consommer moins de carburants, les phytoplanctons dans la Manche pour mieux aider les scientifiques concernant la prolifération des micro-algues ou encore les infrarouges en ville qui pourraient nuire à la végétalisation urbaine, pourtant capitale dans leur rôle de régularisation des températures.

Toutes ces données sont gratuites et accessibles aux entreprises. Copernicus participe donc à l’amélioration des connaissances en terme d’environnement mais également au dévelppement économique, notamment en Bretagne, région très active dans le domaine spatial. C’est un programme important, résultant de nombreuses compétences et de nombreux domaines (traitement des images, algorithmes, intelligence artificielle, océanographie, climatologie, urbanisme…).

PAS POSSIBLE DE TROUVER DES FEMMES... VRAIMENT ?

« Des disciplines où les femmes sont moins nombreuses. », signale Marie Jagaille, qui en arrive donc au point de départ du lancement de Women in Copernicus, collectif réunissant une dizaine de femmes travaillant dans les domaines transversaux de l’observation de la Terre en Europe, fondé en 2020.

C’est Nathalie Stéphenne qui en est à l’initiative. En suivant un mook sur Copernicus, elle constate qu’il n’y a pas de femme et s’en étonne. Ce à quoi on lui répond que cette absence n’est pas expressément voulue mais aucune femme n’a été trouvée en tant qu’intervenante…

« Pour nous, cette réponse n’est pas satisfaisante car chacune d’entre nous connaissons des femmes expertes, légitimes à intervenir. », souligne l’ingénieure. C’est alors que Nathalie Stéphenne leur propose de participer à un appel à projet, permettant de récolter 5 000 euros.

« On a proposé un projet dont l’objectif vise à donner de la visibilité à ces femmes que l’on connaît déjà et aussi à celles que l’on ne connaissait pas encore. »

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S’il existe de nombreuses études sur les femmes issues des STEM (Sciences, Technologies, Ingénierie & Mathématiques), les données sont rares, voire inexistantes concernant un domaine aussi transversal que l’observation de la Terre. Les membres de Women in Copernicus entament alors une démarche significative : dresser un état des lieux.

Un questionnaire, traduit en 8 langues, est diffusé dans tous leurs réseaux respectifs, en lien avec Copernicus, et sur les réseaux sociaux. Résultat : 450 femmes ont répondu. Sachant « que quand on lance une étude sur un sujet lié au programme Copernicus, en général, on a plutôt 200 réponses. » C’est un succès qu’elle explique notamment par la période « puisque les secteurs s’emparent plutôt du sujet » et l’outil facilitant du questionnaire en ligne.

Les répondantes ont majoritairement entre 30 ans et plus, viennent principalement du secteur académique mais aussi – moins nombreuses – du privé. Elles ont étudié pour 75% d’entre elles les STEM et les autres démontrent des parcours variés, issus des sciences sociales, du journalisme, de l’administration, des arts et de l’éducation.

« Elles ont un rôle stratégique dans Copernicus car elles aident à s’approprier les données. », précise Marie Jagaille. Car pour les ¾ d’entre elles, elles travaillent en lien avec les utilisateurs finaux du programme, « c’est-à-dire toutes les personnes qui vont pouvoir bénéficier dans leurs métiers de ces données sans en être des expertes de l’observation de la Terre. »

Leur rôle est déterminant. D’ailleurs, les répondantes se disent satisfaites de leurs métiers et portent donc un message important puisqu’elles valorisent un secteur porteur, épanouissant professionnellement. Elles sont fières de contribuer à une meilleure connaissance et compréhension de notre planète afin de mieux l’habiter. C’est réjouissant.

LES DIFFICULTÉS PERSISTENT ET PERDURENT

Pour autant, cela ne signifie pas qu’elles ne font pas face à des difficultés au quotidien dans leurs carrières. Et quand la question leur est posée, elles signalent, « sans surprise », souffrir du fait d’être minoritaires dans leurs services. Ce qui était déjà le cas dans leurs études, en général.

La première barrière est identifiée : elles parlent de boy’s clubs, d’événements quasi exclusivement masculins, font part de l’inconfort à être la seule femme au travail. Ainsi, elles subissent les stéréotypes de genre sur leur lieu de travail, se sentent moins écoutées et ressentent qu’elles ont besoin de prouver plus que les hommes leurs compétences et leur légitimité.

Marie Jagaille évoque le plafond de verre qui se traduit par un écart entre le niveau d’expertise, plutôt élevé, et le niveau hiérarchique, moins élevé, de ces femmes. Un écart qu’elle signale d’autant plus flagrant dans le secteur académique que privé.

« C’est le phénomène du tuyau percé. Le pourcentage de femmes dans une carrière académique classique, toutes matières confondues, va diminuer au fil du temps. », explique-t-elle, chiffres à l’appui : 42% assistante, 34% professeure associée, 24% professeure.

L’autre barrière identifiée, c’est celle du manque de confiance. Une réponse qui « revient toujours ». Elles estiment que cela est un frein bloquant dans leurs carrières, et parlent, sans surprise là encore, du syndrome de l’imposteur et du manque de légitimité. Pour Marie Jagaille, il apparaît que l’absence de rôles modèles féminins dans les secteurs questionnés ait un rôle à jouer. C’est un des enjeux principaux : donner de la visibilité à toutes les femmes dans les sciences. 

CONTRIBUER À LA PRISE DE CONSCIENCE

Leur enquête a été présentée au niveau européen et diffusé dans de nombreux événements. Les missions sont multiples :

« Inspirer davantage les filles et femmes à aller vers ces secteurs, encourager les filles à aller vers des parcours scientifiques, montrer que toutes les compétences sont nécessaires, contribuer à la prise de conscience des inégalités de genre dans notre secteur et déconstruire les stéréotypes de genre en impliquant les hommes dans les discussions. »

Elle ne s’en cache pas, le dernier point constitue une véritable difficulté et une grande frustration pour les membres de Women in Copernicus puisque les événements estampillés du nom du collectif sont souvent suivis exclusivement par des femmes.

« A titre personnelle, la frustration pour moi par rapport au format visio des événements était aussi le manque de proximité et de liens avec les collègues. », ajoute-t-elle. Un appel à idées est lancé : survient l’envie et la volonté de lancer un podcast, réalisé et animé par Gwenael Morin, Roberta Rigo, Guglielmo Fernandez Garcia et Marie Jagaille. 

La ligne éditoriale : réaliser des entretiens avec des femmes actives de ce secteur en Bretagne, leur donner la parole, montrer ce qu’est leur métier avec l’objectif de démystifier le côté impressionnant de l’aérospatial et aborder les sujets d’égalité de genres à travers leurs parcours et des études.

À LA RECHERCHE DE SOLUTIONS COLLECTIVES

« On n’est pas des expert-e-s des questions de genre mais on sent bien que ce sont des enjeux. Le manque de confiance revient dans tous les entretiens, imprègne tous les discours. Et on constate que c’est systémique et non une expérience anecdotique. Quand on creuse, il y a un lien avec l’éducation, au sens large du terme, reçue et l’image que l’on attend des femmes. Ne pas prendre trop de place… alors que dans nos métiers, on a besoin d’entrer en discussions, de prendre de la place dans les débats, etc. Et on ne sent pas toujours légitime à la prendre cette place, dans nos laboratoires de recherches. », témoigne Roberta Rigo. 

Ainsi, elle pose la question : si le problème est systémique, les solutions ne devraient-elles pas être collectives ? Questions des quotas, et ce dès l’école et notamment dans les sélections des cursus d’études supérieures, mais aussi prix décernés aux femmes, tables rondes autour de ces sujets, partages des vécus, réflexions collectives (incluant les hommes et les comités scientifiques)… les pistes sont ouvertes et nombreuses pour que les un-e-s et les autres cheminent vers une déconstruction des stéréotypes de genre.

« Le podcast est notre façon à nous d’ouvrir la discussion et de contribuer à ces questions-là. », conclut Marie Jagaille, précisant que 5 épisodes de Women in Copernicus sont en libre écoute !

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